À propos de l’emploi des formules de salutation en …ce même si le moment de la conversation n...
TRANSCRIPT
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.34, 2019.
1
À propos de l’emploi des formules de salutation en japonais
― Spécificité et contraintes ―
日本語の挨拶表現の使用について
―特徴と使用制限―
Alexis LADREYT
語用論的機能のある定型表現は、言語学においてヨーロッパの言語学や教授法の研究者を魅了す
る研究対象の一つである。 そのような語用論的機能の特徴を持つ定型表現の中から、とりわけ挨
拶表現を本稿の研究対象とする。挨拶表現の主な特徴はその文脈依存の強さにある。この特徴を
考察した先行研究としてはポライトネス理論(Brown & Levinson1987)が有名であるが、本稿では待
遇関係と親疎関係の観点からの分析を行い、新たな見方が可能になると考えられる。挨拶概念に
依拠するその言語現象の特徴と使用制限を考察する。日本語における相互行為の構造や社会言語
学的な特徴、または挨拶行為を実現させるために用いられている言語行為などの分析から、特に
相互作用における文脈内の人間関係を考慮し、この現象の分析を試みる。
Mots-clefs : phraséologisme (定型表現), pragmatique (語用論), salutation (挨拶表現)
1. En guise d’introduction1
L’étude des phraséologismes2 à fonction pragmatique (désormais PhP) semble attiser depuis maintenant
plusieurs décennies la curiosité des chercheurs en linguistique et en didactique (Anscombre 2000 ; Kauffer
2016 ; Klein et Lamiroy 2017 ; Polguère 2016 ; Blanco et Mejri 2018, entre autres). Ce champ d’étude
s’applique à caractériser le lien qu’il existe entre des unités phraséologiques particulièrement productives à
l’oral et les fonctions pragmatiques et discursives qui y sont associées, tout en prenant en compte les
spécificités extralinguistiques intrinsèquement liées à la situation de leur énonciation. Au sein de la
catégorie des phraséologismes pragmatiques, ce sont les « PhP de Salutation » qui nous intéressent et qui
nous serviront de cadre notionnel pour caractériser les expressions étudiées dans le présent article. Cette
sous-catégorie renvoie à des phraséologismes pragmatiques à fonction essentiellement interactionnelle,
fortement ritualisés et contraintes dans leur signifié3 par la situation de leur emploi. Nous entendons par
cela que ces expressions ne réalisent leurs fonctions pragmatiques et interactionnelles première que si et
seulement si elles sont utilisées dans leur contexte prototypique d’emploi. Ces expressions ont donc une
1 Nous remercions l’IDEX pour sa contribution au financement de la mobilité qui a permis la rédaction de cet article. 2 Kauffer (2019, à paraitre) propose une définition provisoire des phraséologismes en se basant sur une synthèse des
travaux antérieurs : « un phraséologisme a trois critères définitoires qui sont la polylexicalité, le figement
morpho-syntaxique et l’idiomaticité sémantique. 3 Selon la terminologie de Ferdinand de Saussure (1916), le signifié constitue le concept et les traits sémantiques
associés à la forme graphique ou acoustique d’un signe linguistique (ou signifiant).
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
2
forte valeur actionnelle du fait de leur lien privilégier avec une situation de communication dont les
spécificités sont clairement identifiables et hautement prédictibles 4 par les locuteurs d’une même
communauté linguistique. Ce faisant, ce n’est pas le contenu propositionnel qui prévaut, mais la
performativité impliquée par l’usage de tel PhP de salutation dans telle situation. Lorsqu’il emploie le PhP
de salutation, le locuteur ne se pose donc pas la question du contenu de l’expression, mais de son pouvoir
actionnel sur la situation et sur son interlocuteur, fonction actionnelle qu’il ménage dans le but de répondre
au besoin de communication spécifique de prise de contact ou de prise de congés avec son interlocuteur.
L’objectif de cet article est d’expliciter les opérations linguistiques sous-tendant le fonctionnement des
expressions de salutation en japonais ou aisatsu, catégorie linguistique mettant en avant l’emploi de
nombreuses unités phraséologiques à fonction pragmatique et dont l’usage est fortement contraint par le
contexte. En nous focalisant sur les expressions おはようございます, こんにちは et こんばんは
utilisées en ouverture de l’interaction, nous souhaitons mener une étude préliminaire des contraintes
d’usage de ces expressions. La question qui guidera notre exposé tout au long de cet article est la suivante :
les expressions de salutation étudiées ont-elles pour fonction unique l’expression de la politesse
interactionnelle ?
2. Préambule théorique et contours notionnels de l’objet d’étude
2.1. L’acte de salutation
Le phénomène de salutations repose sur la conception goffmanienne selon laquelle une interaction « engage
et met en danger toutes les personnes présentes, y compris soi-même. » (Goffman 1973 : 35). Il constitue un
acte confirmatif de l’accès mutuel (fonction phatique) envers l’interlocuteur, c’est-à-dire un acte langagier
visant la création d’un univers de communication partagé avec l’interlocuteur, univers dans lequel chacun
projette une image de soi et confirme celle de l’autre. Cette image constitue bien souvent le reflet du locuteur
idéal se conformant à l’éthos communicationnel visé par la norme établie de manière conventionnelle dans une
communauté de locuteurs donnée. Les salutations semblent alors revêtir une utilité majeure dans les rapports
interpersonnels, car elles ont pour fonction principale de maintenir l’ordre rituel (Goffman 1973 : 35), ordre
par lequel les interactions se régulent au quotidien. Cet ordre rituel émerge de la communauté sous forme d’un
système de normes et de règles fondatrices d’un savoir-communiquer socialement institué et prédictible,
déterminant ainsi le comportement verbal légitimé lors des interactions des membres d’une même
communauté linguistique. Les structures de salutations sont donc dotées de la fonction de captatio
benevolentiae (Mocanu 2018), c’est-à-dire un contrat de communication inscrivant les locuteurs débutant une
interaction dans un horizon d’attente spécifié par un ensemble de pratiques sociales conventionnelles, et ce
4 Par cela nous entendons que les paramètres de la situation prototypique d’emploi sont explicites et font partie du
savoir partagé lié aux normes interactionnelles d’une communauté linguistique donnée.
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
3
jusqu’au terme de cette interaction. Kerbrat-Orecchioni (2005) reprend cette dimension interpersonnelle en
définissant la salutation comme suit :
« […] l’ensemble des procédés conventionnels ayant pour fonction de préserver le caractère
harmonieux de la relation interpersonnelle, en dépit des risques de friction qu’implique toute
rencontre sociale » (Kerbrat-Orecchioni 2005 : 189)
L’acte de salutation constitue donc un acte sécurisant cadrant l’interaction (Kerbrat–Orecchioni, 2001 : 144)
et ayant une fonction relationnelle et interactionnelle cruciale (Goffman 1973, Kerbrat-Orecchioni 2001). Il est
à noter que les salutations ont également le rôle de délimiteur5 de l’interaction en régulant celle-ci sur le plan
spatial et temporel. Enfin, ces salutations ont la propriété de varier en fonction des spécificités du contexte (et
du cotexte) et des interlocuteurs. Ce faisant, une salutation ne sera pas la même en fonction d’une interaction
avec un ami ou un supérieur hiérarchique par exemple.
Au vu de ces premiers éléments théoriques, il peut être très tentant de définir les expressions de salutations
sous l’unique perspective très séduisante des théories générales de la politesse, l’utilité la plus évidente de ces
expressions étant, a priori, le rituel de salutation, c’est-à-dire un acte conventionnel de politesse témoignée à
l’égard de l’autre (Lakoff & Ide 2005). Non sans considérer cette perspective, nous sommes convaincu que ce
n’est pas ici la fonction essentielle de ces objets linguistiques idiosyncrasiques et dont les manifestations
dépendent d’un ensemble de facteurs contextuels. Nous allons, à l’aune des nouveaux éléments notionnels que
nous apporte le concept d’aisatsu, observer dans ce qui suit que l’acte de salutation est l’objet de nombreuses
contraintes issues d’un système très complexe de régulation interpersonnel.
2.2. Aisatsu
La comparaison avec le japonais nous apporte ici un éclairage contrastif tout à fait intéressant dans la
perception des opérations linguistiques qui sous-tendent le phénomène de salutation. La salutation en
japonais ou aisatsu est une catégorie d’objet linguistique aux multiples facettes et qui semble impliquer de
nombreux paramètres dans son usage. Ide (2009) propose la définition suivante :
[…] in addition to the notions of ‘greeting’ and ‘farewell’, aisatsu contains a wider range of
pragmatic acts such as ‘thanking’, ‘apologizing’, ‘introducing on [sic] self’, ‘making
congratulatory remarks’, ‘giving speeches’, and so on. Generally speaking, aisatsu refers to a
wide variety of fixed verbal and nonverbal formulae as well as ritual conducts that mark
encounters in various contexts from the everyday to the cetremonial [sic].6 (2009 : 18)
5 Cadrage sur le plan temporel (délimite le début, durée et fin de l’interaction) et cadrage sur le plan spatial (délimite
le lieu où se déroule l’interaction).
6 Notre traduction : « […] en plus de la fonction de salutation et de prise de congé dans l’interaction, les aisatsu impliquent un large panel d’actes pragmatiques tels que le remerciement, l’excuse, se présenter, présenter ses félicitations, faire un discours, etc. De manière générale, le concept d’aisatsu renvoie à une grande variété de formules
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
4
Dans la lignée de Suzuki (1987) et de Ide (2009), il nous apparaît essentiel de distinguer 3 dimensions dans la
catégorie des aisatsus que nous avons synthétisées dans le tableau ce dessous :
Forme de réalisation
en contexte
Exemple
Tro
is d
imen
sion
s ais
ats
u
a) Acte d’ouverture et de clôture de l’interaction
Formules ritualisées Structures figées telles que おはようございますohayô gozaimasu (bonjour pour le matin), さよならsayonara (au revoir)
Formules libres Structure au contenu propositionnel libre, en lien le plus
souvent avec la météo ou l’actualité : structures libres
telles que 今日はいい天気ですね kyô wa ii tenki
desu ne (il fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas ?),
pouvant remplir le rôle d’ouverture de l’interaction. b) Actes et comportements sociaux accompagnateurs de l’aisatsu
Comportement/
Attitude
Première approche neutre et coopérative ayant tendance
à la convergence plutôt qu’à la négociation. Recherche
de l’harmonie dans la prise de contact.
Gestuelle お辞儀 Ojigi (s’incliner), 握手 akushu (poignée de
main), expression faciale spécifique, échange des cartes
de visite.
Intonation/
Paraverbal
Mimiques sonores telles que あら ara/ おっ oh/ あっah en rencontrant une personne, intonation spécifique
lors de l’usage de l’expression.
c) Acte protocolaire et rituel
Expressions
spécifiques à des
rituels d’interaction,
cérémonies, etc.
自己紹介 jikoshôkai (présentation de soi), 披露宴
hirôen (dîner de noces), 就任 shûnin (entrée en
fonction, prise de poste)
Tableau 1 : Typologie des différentes manifestations des aisatsus
Notre étude se concentre principalement sur la première catégorie d’aisatsu englobant les « Actes
d’ouverture et de clôture de l’interaction », à savoir des expressions de salutation encadrant l’interaction
orale. Nous utiliserons le terme d’aisatsu de salutation pour désigner cette sous-catégorie.
2.3 Vers un modèle fonctionnel des aisatsus de salutation ?
Pour modéliser les mécanismes qui président à l’usage des structures de salutation en japonais, il
convient de se référer à un modèle opérationnel permettant de donner une explication générale des
différents paramètres impliqués dans la sélection des expressions ayant la fonction de salutation. Parmi les
principes fondateurs de l’acte de salutation, il est de celui des rapports de force qui s’expriment au sein des
relations sociales. L’acte de salutation et plus généralement de communication apparaît donc comme le
siège de tensions entre individualité (motivations et intérêts propres du locuteur) et socialité (respect des
normes sociales d’interaction et poursuite de l’harmonie communautaires). Ces rapports de force
s’expriment au travers de trois principes (Charaudeau 2010) :
figées verbales et averbales, de même qu’une attitude rituelle spécifique chez le locuteur qui se retrouve dans des contextes d’interaction variés allant de la conversation quotidienne à la cérémonie »
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
5
➢ Le principe d’altérité : la prise en compte de son rôle dans la société et la reconnaissance de l’autre
comme locuteur conforme aux attentes communicationnelles d’une culture donnée. Il s’agit donc du retour
perpétuel entre l’identification de soi et la reconnaissance de l’autre, dans un système où Je ne peut exister
sans Tu (Benveniste 1966 dans Charaudeau 2010).
➢ Le principe de régulation : les relations interpersonnelles impliquent un jeu d’influence de soi sur l’autre
et de l’autre sur soi. Les locuteurs mettent ainsi en œuvre des stratégies de régulation des tensions
interactionnelles de manière à aboutir à un équilibre.
➢ Le principe de pertinence : Les participants à l’interaction ne peuvent aboutir à un échange réussi que sur
la base d’une connaissance partagée initialement établie entre ceux-ci, cette connaissance partagée étant la
condition sine qua non à la pleine réalisation de l’acte de communication et à l’intercompréhension
(Sperber et Wilson 1989).
C’est fort de ces principes que nous allons tenter dans ce qui suit de développer les différents paramètres qui
président à l’usage des structures de salutation en japonais, partant du principe que le contexte ne joue pas le
rôle de simple cadre de réalisation de l’acte de salutation, mais impose un certain nombre de contraintes au
locuteur lors de l’usage des aisatsus de salutation.
La grammaire traditionnelle (学校文法) classe les aisatsus de salutation dans la catégorie des
interjections (感動詞). Toutefois, dans la lignée Kuramochi (2013) et Ide (2009), nous constatons que les
aisatsus de salutation ne se limitent pas à la simple fonction d’interpellation de son interlocuteur (fonction
phatique) comme le laisse penser de nombreux travaux interactionnistes sur la question, mais visent
également à susciter la prise de conscience chez son interlocuteur de l’établissement d’un cadre
d’interaction comportant certains paramètres préinscrits dans le savoir partagé par les locuteurs (principe de
pertinence), savoir issu des normes sociales établies de manière conventionnelle par les membres d’une
même communauté. Les aisatsus, et de manière plus globale, les expressions de salutation doivent donc
être perçues selon leurs fonctions plutôt que selon leur contenu ou selon leur régularité distributionnelle
(Kuramochi 2013, Malinowski 1923). Dans la lignée Ide (2003) et Kuramochi (2013), nous sommes en
faveur de l’hypothèse selon laquelle les expressions de salutation intègrent des marqueurs relationnels ou
対人関係マーカー(taijin kankei maakaa) qui indiquent le maintien ou le changement des relations lors de
l’interaction, ainsi que la nature des relations interpersonnelles entre le locuteur et son interlocuteur
(Principe d’altérité).
Ces marqueurs constituent des traces explicites des facteurs de variation qui affectent le choix et la forme
des structures de salutation, parmi lesquels celui du statut social de l’interlocuteur (職位 / skokui) dans les
relations hiérarchiques (上下関係 / jougei kankei) et de la proximité relationnelle (親疎関係 / shinso
kankei ). En fonction de ces paramètres, une même expression dans son contexte d’usage prototypique peut
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
6
varier dans sa forme, mettant ainsi en avant les spécificités de l’interlocuteur et du cadre d’interaction. Ce
faisant, les données indexicales7 véhiculées par l’expression – ici les rapports entretenus entre le locuteur et
l’interlocuteur – , vont s’exprimer au travers de sa morphologie lexicale. On s’appuiera sur les exemples8
du tableau suivant afin d’illustrer ce facteur de variation :
Forme de salutation
Relation hiérarchique
Relation interpersonnelle
Exemple de contexte
おはようございます
Vers supérieur Distance Au bureau, avec les
enseignants
おはよう Vers égal ou inférieur Proximité/familier Collègues, amis, famille
おはよ Vers égal ou inférieur Proximité / familier Famille, amis
おー Vers égal ou inférieur Familier / langage masculin Amis
よー Vers égal ou inférieur Très proche / familier /
langage masculin
Amis
Tableau 2 : Évolution des formes de salutation en fonction des relations interpersonnelles (Kuramochi 2013)
Pour une même expression, nous observons donc un premier axe de variation en fonction des
participants et du contexte. Plus les relations hiérarchiques et la distance relationnelle s’estompent, plus on
observe une contraction des formes de salutations adressées. Chaque forme porte en elle des traces
indexicales qui reflètent le contexte et le type d’interlocuteur lié à l’emploi de la salutation. Ainsi, l’usage
de おはようございます ohayô gozaimasu indique généralement une relation interpersonnelle à caractère
formel avec l’usage du registre poli, tandis que l’usage de おはよ ohayo indiquera une certaine proximité
relationnelle et donc la possibilité de diminuer son registre de langue pour un parler plus familier. Ces
indices linguistiques permettent aux participants de se positionner dans les relations interpersonnelles
(Principe de régulation) et de mener à bien « l’équilibre des relations » (Nakanishi 2008).
L’acte de salutation en japonais implique donc une prise de position particulière où la conduite d’un acte
de rencontre doit se faire de la manière la moins brutale possible, en introduisant l’ensemble des
informations destinées à faciliter la compréhension des différents paramètres de l’interaction avec
l’interlocuteur (Nakanishi 2008 : 76). Il s’agira alors des informations de proximité relationnelle, de
7 « L'indexicalité, ce sont toutes les déterminations qui s'attachent à un mot, à une situation. Indexicalité est un terme
technique adapté de la linguistique. Cela signifie que bien qu'un mot ait une signification trans-situationnelle, il a
également une signification distincte dans toute situation particulière dans laquelle il est utilisé » (Rogers, M.F., 1983,
p. 95) 8 Exemple tirés de Kuramochi (2013), de KOTONOHA et de 日本語の日常会話コーパス
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
7
positionnement hiérarchique ou d’expression de l’affecte qui seront communiqués en fonction de la forme
de salutation sélectionnée. Ces informations indexicalisées dans la structure morphologique et dans les
normes d’emploi de l’expression sont clairement inférées par le locuteur et l’interlocuteur et constituent des
indications nécessaires à l’adaptation du mode langagier et au positionnement interpersonnel des
participants. L’aisatsu de salutation intègre donc, au-delà des simples formes linguistiques, un marquage
de ce comportement d’ajustement interactionnel et relationnel envers l’interlocuteur ou 待遇関係表示
(taigû kankei hyôji) (Nakanishi 2008 : 77), soit une « expression interpersonnelle indiquant une
attitude/posture particulière envers son interlocuteur ». De ce fait, les aisatsus de salutations peuvent être
considérés à juste titre comme des moyens linguistiques visant à réguler le degré d’intimité dans les
conversations formelles ou jugées risquées par le locuteur. On pourrait alors définir les aisatsus comme
suit : « [挨拶]親疎意識に基づいたこれらの表現形9» (shinso ishiki ni motozuita korera no hyougen
keishiki) (Nakanishi 2008 : 78), c’est-à-dire des expressions se fondant sur la proximité relationnelle et
privilégiant la deixis sociale (importance pour les participants de mise en valeur de la relation sociale pour
se situer dans l’interaction).
À la suite de ce rapide examen de la notion de aisatsu, nous constatons que de nombreux paramètres
interviennent dans la sélection et la formulation des structures de salutation, laissant ainsi au locuteur la
possibilité d’un certain nombre d’ajustements de sa stratégie de salutation. En effet, dans une société où
l’éthos communicatif prône avant tout un certain équilibre et une harmonie dans les relations, il apparaît
certain que le calcul interprétatif de la situation vise avant tout à mettre en évidence les relations qui
unissent les participants pour choisir la forme la plus appropriée à la bonne poursuite de l’interaction. Les
aisatsus utilisés en tant que salutation semblent donc avoir un caractère éminemment social et ritualisé et
s’apparentent à une attitude visant d’une part la réalisation de l’acte de salutation et de prise de congés ;
d’autre part, visant une interaction conforme au paradigme interactionnel visé par l’éthos communicatif du
Japon, à savoir une communication harmonieuse et équilibrée entre les participants, privilégiant la
convergence plutôt que la négociation (Higashi 1992). Nous allons maintenant tenter de tester
l’opérationnalité des différentes contraintes précédemment énoncées sur les trois expressions de salutation
suivantes : おはようございます, こんにちは et こんばんは.
3. Étude de cas
3.1. L’expression de salutation おはようございます
9 Notre traduction : « [aisatsu] des expressions qui se fondent sur le degré d’intimité »
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
8
Selon l’emploi commun, おはようございます ohayô gozaimasu (bonjour) est une structure de
salutation utilisée en tant qu’ouverture de l’interaction. Généralement échangée le matin, la salutation
ohayô gozaimasu peut être également utilisée à la première rencontre succédant la rencontre de la veille, et
ce même si le moment de la conversation n’est plus le matin. Les règles énoncées dans les manuels de
savoir-vivre opposent généralement l’emploi de cette expression à celui de こんにちは konnichiwa
réservé pour le milieu de la journée et à celui deこんばんは konbanwa généralement utilisé le soir venu.
Regardons à présent la structure de plus près :
(1) お/はよう/ございます
O hayô gozaimasu
Phonor/tôt. adj/être (inanimés). poli
Nous pouvons observer ici une structure se composant d’un préfixe honorifique o, de l’adjectif hayô
(adj. hayai dans une forme archaïque) et du verbe d’état être pour les inanimés à la forme déférente. À
l’origine, cette structure lexicalisée était une structure phrastique et constituait un commentaire de politesse
échangé avec son interlocuteur très tôt le matin10 :
(2) お/はやく/です/ね
O hayaku desu ne
Phonor/tôt. adv/cop/Pphatique
Il est tôt, n’est-ce pas ? / Vous êtes bien matinal n’est-ce pas ?
Par la suite, l’expression va subir un processus d’érosion phonétique, le « k » intervocalique de l’adverbe
hayaku va chuter et le « ya » va devenir « yo » (hayaku →hayau →hayô). La copule desu va être remplacée
par la forme déférente gozaimasu, créant ainsi une structure polie. Sur le plan sémantique, la structure n’est
pas compositionnelle, l’assemblage du sens de ses sous-unités ne permet d’inférer le sens de l’expression ni
sa visée pragmatique. L’adjectif hayai constitue un ancrage déictique explicite à la situation d’énonciation
et rappelle que cette expression s’utilise essentiellement le matin. Observons l’exemple suivant :
(3) A rencontre son collègue de travail B dans un couloir le matin :
A : あっ、おはようございます!
B : おはようございます!
10 Il est à noter que les exemples retraçant l’origine étymologique des expressions présentées ne sont pas une
représentation exacte de ce qui était prononcé à l’époque, mais une reconstitution reprenant globalement le sens. Ceci
est notamment dû au fait que nos ressources étymologiques du japonais ne proposent pas d’échantillon de variété
ancienne du japonais mais des transcriptions adaptées en japonais contemporain.
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
9
Cet exemple nous permet de constater l’usage prototypique de l’expression à savoir une structure de
salutation entre personnes d’un même milieu professionnel adressée au début de la journée lors de leur
première rencontre. La relation entre les deux participants étant de nature institutionnelle, le marquage de la
politesse est réalisé par la copule ございます. Toutefois, comme nous l’avons vu précédemment dans le
préambule théorique sur les aisatsus, il existe d’autres variantes possibles de cette expression telles que お
はよう ohayô en fonction de divers paramètres que nous expliciterons plus loin. Cette forme correspond à
la version non marquée par la politesse de ohayô gozaimasu. Cette ablation du morphème poli aura pour
incidence de diminuer le registre déférent pour un registre plus neutre, voire familier (Higashi et Oguma,
2002 : 37). Il y a donc ici une variation des formes en fonction de la distance relationnelle entre les
participants. Soit l’exemple11 suivant :
(4) Sachi : おはよう すず
ohayô Suzu
« Bonjour Suzu »
Suzu : おはようございます
Ohayô gozaimasu
« Bonjour grande-sœur »
Dans cet extrait, nous pouvons observer un exemple de l’usage de la forme contractée de ohayô
gozaimasu par Sachi. L’emploi de cette forme peut s’expliquer par le fait que d’une part, Sachi étant l’aînée,
elle bénéficie d’une certaine ascendance sur les relations verticales qui lui permet de ne pas avoir recours à
une forme polie, et d’autre part, le contexte étant celui du cadre familial, la relation d’intimité permet à la
locutrice d’omettre les marques de politesse. L’usage de ohayô implique donc une relation hiérarchique
asymétrique du supérieur vers l’inférieur et un cadre relationnel de type intime12 (内). L’inverse ne sera pas
possible et impliquera bien souvent un accident interactionnel (par exemple dans le cas d’un employé qui
utilise cette forme contractée avec son supérieur hiérarchique). Constatons que l’échange est ici une
alternance d’acte initiatif/réactif ce qui semble évoquer une certaine ritualisation. En effet, l’usage de
l’expression de salutation va entraîner en retour l’usage d’une expression de salutation, l’usage
conventionnellement établi par la communauté impliquant un échange de salutation pour compléter le rituel
11 Tiré du film « Notre petite sœur » de Koreeda Hirokazu, 2015
12 Nous faisons ici référence à la dichotomie uchi vs soto qui permet de rendre compte des dynamiques de régulation
de l’intimité chez les locuteurs japonais. Pour plus de détail, cf. Nakane (1973)
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
10
interactionnel. Un bon indicateur de ce figement et l’omission d’une réponse à la salutation initialement
adressée, omission qui peut être perçue très négativement. L’usage de la forme polie par Suzu suggère ici
une légère distanciation sur les rapports horizontaux par rapport à ses sœurs adoptives. En effet, Suzu étant
encore nouvelle dans la famille Kôda, elle va avoir tendance à conserver un certain respect pour ses
demi-sœurs, et ce en dépit du cadre familial proche qui autorise les formes contractées et familières.
Toutefois, cet état de fait va évoluer au fur et à mesure que Suzu s’intégrera dans sa famille adoptive. On a
donc dans l’usage de ces formes des traces indexicales de la perception de Suzu des relations qu’elle
entretient avec ses sœurs. De même, les expressions de salutation constituent pour Suzu un outil
d’ajustement de son intimité et de sa relation avec ses sœurs. Notons que dans la traduction du corpus
français, Suzu utilise : « Bonjour grande sœur », « grande sœur » renvoyant à ce marquage de politesse
tourné vers l’interlocuteur que constitue gozaimasu. Cela nous montre donc que cet acte d’ouverture de
l’interaction dépasse le simple cadre de la salutation et indexicalise divers paramètres (relation, place, rôle ;
Higashi 2013).
3.2. Les expressions de salutation こんにちは et こんばんは
Les expressions (5) konnichiwa (bonjour) et (6) konbanwa (bonsoir) sont des salutations utilisées en
ouverture de la conversation. Elles sont respectivement adressées la journée et le soir lors de la première
rencontre du jour avec un interlocuteur. Regardons de plus près la structure formelle de ces expressions :
(5) こん/にち/は
Dem/jour/Prt. thème
(6) こん/ばん/は
dem/soir/Prt. thèm
Nous pouvons constater ici que les expressions se constituent d’un démonstratif kon, du substantif
déictique temporel nichi (le jour) / ban (le soir) et de la particule de thème. Dans une perspective
diachronique, les expressions constituaient des énoncés phrastiques complets à la modalité interrogative.
Voici des reconstitutions en japonais contemporain des structures utilisées à l’époque :
(7) 今日はご機嫌いかがですか ?
Kyô wa go kigen ikaga desu ka ?
Comment vous portez-vous aujourd’hui ?
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
11
(8) 今晩はご機嫌いかがです/か ?
Konban wa go kigen ikaga desu ka ?
Comment vous portez vous ce soir
Tout comme ohayô gozaimasu, on constate que konnichiwa et konbanwa étaient donc à l’origine des
formes d’adresse courtoise visant à entamer la discussion en s’enquérant de l’humeur de son interlocuteur,
structures qui après un usage répété subirent une érosion morphologique à mesure qu’elles se sont
standardisées dans l’usage du rituel de salutation. Du point de vue sémantique, la dérivation du sens des
parties de konnichiwa et konbanwa ne suffit pas à exprimer les fonctions pragmatiques réalisées lors de
l’utilisation de ces salutations, montrant ainsi que ces expressions sont pourvues d’une forte idiomaticité.
La preuve est que ces expressions prises hors de leur contexte prototypique d’emploi peuvent être
confondues avec les adverbes de temps homophoniques 今日は / konnichiwa (aujourd’hui) et今晩は /
konbanwa (ce soir) en japonais. En effet, konnichiwa est un synonyme de l’adverbe de temps 今日は kyô
wa (aujourd’hui), le premier terme étant une forme plus soutenue du second généralement utilisé en
contexte institutionnel. De même, tout comme konnichiwa avec qui elle partage une structure très similaire,
l’expression konbanwa peut être facilement amalgamée avec le circonstanciel de temps今晩は konban wa
(ce soir). Ce sera notamment le contexte d’usage (la première rencontre après celle de la veille),
l’intonation (montante) et la position dans l’interaction (en ouverture) qui permettront de désambiguïser les
expressions, montrant ainsi leur forte dépendance au contexte. Il est à noter que konnichiwa et konbanwa
que nous observerons plus bas ne peuvent toutefois pas varier sur le plan morphologique comme ohayô
gozaimasu, et ce du fait de l’usage exclusif de ces premières à un contexte de politesse et de non-intimité.
On ne peut donc pas abaisser le registre ou utiliser ces expressions dans un cadre intime (maison, amis,
etc.). Observons l’extrait13 suivant :
(9) Sachi : こんばんは
Konbanwa
« bonsoir »
Ninomiya (tenancière) : あら、いらっしゃい
Ara, irasshai
« Oh ! bienvenue les filles »
Suzu : こんばんは
Konbanwa
« bonsoir »
13 Tiré du film « Notre petite sœur » de Koreeda Hirokazu, 2015
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
12
Chika et Yoshino : こんばんは
Konbanwa
« bonsoir »
Dans cet exemple, nous avons une interaction en milieu commercial (ici un restaurant). Sachi est
la première à rentrer et de ce fait va s’annoncer par l’usage de konbanwa. Dans un premier temps,
cette structure de salutation va avoir une fonction phatique de prise de contact avec un éventuel
interlocuteur dans le restaurant, puis dans un second temps permettre d’établir le cadre relationnel
entre la tenancière et les clientes. À cette salutation, la tenancière va répondre par irasshai, forme
tronquée d’irasshaimase qui à l’instar de la troncation de gozaimasu dans l’expression ohayô
gozaimasu permet d’indexicaliser une certaine proximité relationnelle. L’usage répété par les trois
autres sœurs à leur entrée dans le magasin nous montre là aussi le caractère quasi automatique de
l’usage des expressions de salutation. À l’inverse de ohayô gozaimasu, ces deux expressions sont
généralement utilisées lorsque l’on pénètre chez quelqu’un pour annoncer sa présence. Toutefois, il
sera curieux d’utiliser cette expression en rentrant chez soi, l’expression tadaima étant l’expression
réservée au retour dans le foyer. Cet usage particulier nous permet de dégager un autre paramètre de
sélection opposant l’espace privé à l’espace public. C’est ainsi qu’il est assez aisé de remarquer que
l’usage de ces structures de salutations se retrouve absent dans le contexte familial (uchi / espace
privé), mais reste incontournable en contexte extérieur (soto / espace public).
4. Synthèse de l’observation
4.1. Fonctions de la structure de salutation
➢ Fonction inchoative / terminative de l’interaction
Les différentes observations faites du fonctionnement des aisatsus de salutation nous ont permis de
constater que ces structures avaient pour fonction majeure de déclencher le processus d’interaction
quotidienne (inchoatif) et d’en déterminer la fin (terminatif). Par exemple, lorsque l’enseignant entre dans
la classe et salue ses étudiants avec ohayô gozaimasu, on peut constater que cette salutation va permettre
d’annoncer symboliquement le début de l’interaction dans le cadre du cours. Ainsi, la structure de
salutation constitue le point de passage conventionnellement utilisé dans l’interaction pour en définir les
limites de son déroulement.
➢ Fonction phatique
Une fonction essentielle de l’aisatsu de salutation est celle de notification et de maintien du canal de
communication. Par cela, nous entendons que l’usage d’une forme de salutation à pour fonction d’une part
de notifier son intention d’entrer en communication avec autrui, d’autre part, de maintenir ce contact en
faisant en sorte que le déroulement de l’interaction prototypique s’accomplisse de la manière attendue par
la norme communicative d’un groupe de locuteur donné, évitant ainsi la rupture brutale du canal de
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
13
communication.
➢ Fonction relationnelle
Une autre spécificité intéressante du système de salutation en japonais est sa forte propension à réguler la
distance relationnelle entre les interactants. Ce faisant, le choix de l’expression de salutation et de sa
morphologie va permettre au locuteur de moduler sa proximité relationnelle en fonction du contexte et de
sa volonté de se rapprocher émotionnellement ou non de son interlocuteur. L’aisatsu de salutation joue
donc rôle de premier ordre dans l’établissement du cadre relationnel dans la communication quotidienne.
➢ Fonction cadrative
Cette fonction concerne notamment la capacité des structures de salutation à déterminer les limites
temporelles, spatiales et de tout ce qui a trait aux normes communicatives des différents types d’interaction.
Cette fonction permet donc de poser le cadre général de l’interaction à un moment donné, dans un lieu
donné et avec des spécificités interactionnelles déterminées en fonction de la visée de la communication.
Par exemple, lorsqu’un lycéen salue son ami avec ohayô, on peut constater qu’en plus de délimiter le lieu
de l’interaction (la classe) et le moment (le matin), cette salutation va également cadrer un certain nombre
de conventions interactionnelles, soit tout un ensemble de règles liées à l’établissement d’un cadre de
communication en classe. Cette fonction permet donc de configurer le cadre d’interaction, d’en clarifier les
termes et les spécificités dès l’ouverture de la conversation.
➢ Fonction de politesse
La dernière fonction repérée dans cette étude préliminaire des aisatsus de salutation est la fonction de
politesse. Cette fonction est volontairement évoquée en dernière puisqu’elle constitue à notre sens une
fonction secondaire de l’acte de salutation. Cette fonction consiste à témoigner son respect en valorisant
son interlocuteur par l’usage d’une expression de salutation adaptée en vertu d’un principe universel
socialement institué comme norme, à savoir la courtoisie à l’égard de son interlocuteur. Elle représente ce
qui est le plus emblématique du respect des normes en vigueur dans la communication quotidienne, l’«
appropriété » (Fraser 1990 dans Charaudeau 2010) de l’acte de saluer. L’expression apparaît donc comme
un moyen de protection interactionnelle contre d’éventuelles tensions, moyen ménageant tout un système
visant à préserver la face positive de l’autre (Goffman 1973) et l’harmonie de la communication (Nakanishi
2008).
Ce premier travail d’analyse nous a permis de repérer 5 fonctions centrales dans l’usage des aisatsus de
salutation. Il est toutefois indéniable que ce ne sont pas les seules fonctions observables et qu’un travail
plus minutieux sur des données étendues pourrait nous permettre de dresser une typologie plus fine de ces
fonctions. Dans ce qui suit, nous allons tenter de synthétiser les divers paramètres influençant l’usage des
aisatsus de salutation tout en proposant une typologie des différentes variables de ces paramètres.
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
14
4.2. Synthèse des contraintes d’usage
Variables Valeurs possibles de la variable
Para
mèt
res
Paramètre temporel
Moment de la journée
➢ Le matin ➢ Le jour ➢ Le soir
Moment de l’interaction ➢ En ouverture ➢ En clôture
Empan temporel entre deux rencontres
➢ Quelques minutes ➢ Quelques heures ➢ Quelques jours ➢ Quelques années
Paramètre spatial
Cadre d’interaction
• À la maison (informel) • Au travail (institutionnel) • Chez soi / chez l’autre • Dans la rue / à l’intérieur
Position des interactants
• Face à face • Interactant non visible • Interactant de dos (abordage)
Mouvement des interactants
• Rencontre en marchant permettant l’interaction
• Allure rapide ne permettant pas l’interaction
Position géographique
• Variations diatopiques dans un pays • En fonction du pays (coutumes
particulières)
Paramètre interpersonnel
Identification de son statut social et reconnaissance de celui de son interlocuteur
- Famille - Amis - Patron - Personne connue vs personne inconnue - Employé de magasin
Nature de la relation sociale
- Supériorité (respect) - Infériorité (modestie) - Égalité (familiarité)
Contraintes des normes sociales
- Tatemae - Éthos communicatif
(Kerbrat-Orecchioni 2002) - Ce qui est approprié - Respect des rituels linguistiques
Construction de son rôle et de son identité dans le groupe
- S’insérer dans le groupe - Se démarquer du groupe - Viser la convergence ou la divergence
dans l’interaction But de l’interaction
- Interaction formelle (réunion, speech) - Interaction informelle (rencontre amis)
Paramètre d’ajustement de la distance relationnelle
Distanciation / rapprochement affective
▪ Approfondir la relation / la connivence ▪ Neutraliser la relation / absence de
connivence
Intimité 内 / extériorité 外
▪ Par exemple contexte du travail = 外 ▪ Par exemple contexte familial = 内
Implication émotionnelle
▪ Convergence émotionnelle, empathie envers son interlocuteur = amis de longue date
▪ Pas d’implication émotionnelle = avec le facteur par exemple
Tableau 3 : Inventaire des paramètres et des variables impliquées dans la sélection des formes de salutation
Cette synthèse des différents paramètres présidant à l’usage des aisatsus de salutation nous permet de
constater qu’au-delà de la simple politesse courtoise, les échanges de salutation sont guidés par des
contraintes inhérentes à la situation de communication, lesquelles sont réglées par des normes sociales
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
15
conventionnelles (Ladreyt 2017, 2018, 2019). Ces contraintes situationnelles constituent donc des
instructions discursives (Charaudeau 2010) ayant pour but de codifier les manières de dire légitimée dans
une communauté linguistique donnée. C’est en vertu de cette codification que le locuteur va mettre en place
un certain nombre de stratégies visant l’accomplissement harmonieux du rituel de salutation. Cette norme
se constitue autour de la connaissance partagée par les différents locuteurs d’une communauté, de leurs
opinions, leur savoir-être et des valeurs portées par la société, constituant ainsi le « miroir dans lequel les
individus se reconnaissent comme appartenant à une même communauté » (Charaudeau 2010). L’usage des
PhP de salutation s’inscrit donc le cadre d’une conscience collective véhiculée par la langue et à l’origine
des rituels socio-langagiers qui reflètent la façon dans les individus construisent les rapports interpersonnels
qui les unissent dans une situation de communication.
6. Pour (ne pas ?) conclure…
Cet examen préliminaire de l’usage des aisatsus de salutation en ouverture de l’interaction nous a permis
de confirmer notre hypothèse selon laquelle les paramètres de relations interpersonnelles, d’intimité ou
d’extériorité et de rôles sociaux des participants avaient une influence sur le choix et la forme des PhP de
salutation en japonais. En effet, il apparaît maintenant clair que les formes linguistiques employées portent
en elle un certain nombre de données indexicales qui servent de régulateur interactionnel et permettent aux
locuteurs japonais d’ajuster le contenu de leur discours en fonction des spécificités de leur interlocuteur ou
du cadre de communication. Les expressions de salutation ne semblent donc pas constituer des structures
vides de sens, mécaniques et utilisées de manière automatique, comme les approches traditionnelles
semblent le suggérer, mais apparaissent bel et bien comme des structures d’une très grande complexité,
permettant d’offrir un support privilégié de l’expression de l’identité linguistique, culturelle et
interpersonnelle du locuteur. C’est précisément là la fonction des salutations, faire de l’interlocuteur le
protagoniste privilégié de la construction de mon identité de locuteur au sein d’une communauté
linguistique, en construisant un cadre interactionnel propice à la reconnaissance et à l’affirmation des rôles
et des intentions communicatives de chacun des participants. L’examen de différentes caractéristiques telles
que la fixité morphosyntaxique, la compositionnalité sémantique, l’indépendance syntaxique ou la
polylexicalité a permis de révéler certaines régularités dans la structure des PhP de salutation du japonais
étudié dans le présent article. Il reste toutefois selon nous un travail de longue haleine qui consisterait à lier
ces spécificités formelles aux spécificités interactionnelles, en montrant notamment comment les
marquages grammaticaux spécifiques à une expression donnée sont en fait le reflet de certaines spécificités
extralinguistiques de l’interaction, et à l’inverse, d’observer comment l’usage de ces formes concourt à
influencer la situation d’interaction et l’univers de connaissance des participants. Nous conclurons cet
article en remarquant que cette étude, bien que modeste, contribue à élargir le champ d’études des formules
de salutation, et plus largement des phraséologismes à fonction pragmatique, en proposant une approche à
la croisée de la pragmatique interactionnelle et de l’analyse syntactico-sémantique. Toutefois, une vue
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
16
générale de ces objets linguistiques reste encore à construire, le chantier de définition de cette sous-classe
de préfabriqué linguistique étant encore très vaste et présentant de nombreuses zones d’ombre qu’il reste à
explorer à l’aide de corpus plus vastes, à couverture large14 et de meilleure qualité. Cette conclusion n’en
est donc pas vraiment une, mais ouvre plutôt la voie à une réflexion plus globale et vers une meilleure
compréhension de la complexité des PhP de salutation.
Bibliographie
Anscombre, J-C. (2000) : « Parole proverbiale et structures métriques ». In: Langages, 34e année, n° 139. La parole
proverbiale, sous la direction de Jean-Claude Anscombre, p. 6-26.
Benveniste, E. (1966) : Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard.
Blanco, X. & Mejri, S. (2108) : Les pragmatèmes, Domaines linguistiques, Série formes discursives, 11. 3, Classiques
Garnier, Paris.
Charaudeau, P. (2010) : « Étude de la politesse, entre communication et culture », 5ème Coloquio Internacional del
Programa EDICE, Barranquilla, Colombie, 6 au 10 décembre 2010.
De Saussure, F. (1916) : Cours de Linguistique Générale, 1916.
Fraser, B. (1990) : « Perspectives on politeness », in Journal of Pragmatics, n° 14, p. 219-236.
Goffman, E. (1973) : Les rites d’interaction, Paris, Édition de Minuit.
Higashi, T. & Oshima, H. (2013) : « Communication au sein de la famille japonaise à travers les dramas
contemporains », PowerPoint de la conférence, Paris, Inalco, 22 mars 2013.
Higashi, T. (1992) : « Convergence dans la pratique communicante des Japonais », Revue de linguistique et de
didactique des langues (LIDIL) n° 5, PUG, Grenoble, p13-30.
Ide, R. (2009) : « “Aisatsu”, Culture and Language Use », dans Senft G., Östman J.-O, Verschueren J. (ed.), John
Benjamins Publishing Company, Amsterdam/Philadelphia, p. 18-28.
Kauffer, M. (2016) : « ‘Tu vas voir ce que tu vas voir !’ Actes de langage stéréotypés et expression de la menace »,
dans R. Coluccia, J. M. Brincat et F. Mohren (dir.), Actes du XXVIIe CILPR Nancy 2013, ATILF, p. 357-368.
Kauffer, M. (2019) : « Les “actes de langage stéréotypés” : essai de synthèse critique », Cahiers de lexicologie, n° 114,
– 1, Les phrases prefabriquees : Sens, fonctions, usages, p. 149-171.
Kerbrat-Orecchioni, C. (2005) : Le discours en interaction, Paris, A. Colin.
Kerbrat-Orecchioni, C. & Mitterand, H, (2001) : Les actes de langage dans le discours : théories et fonctionnement,
Paris, Colin.
Kerbrat-Orecchioni, C. (2002) : « Système linguistique et éthos communicatif », Cahiers de praxématique 38.
Montpellier : Pulm, pp. 35-57.
14 C’est-à-dire présentant une grande diversité des types d’interaction afin d’observer l’usage des structures
pragmatiques dans des contextes diversifiés.
Bulletins de linguistique et de littérature françaises de l'Université de Tsukuba, vol.00, 2019.
17
Klein, J-R. & Lamiroy, B. (2017) : « Routines conversationnelles et figement », Le figement linguistique : la parole
entravée, pp. 195‑214.
Koreeda, H. (2015) : Notre petite sœur (海街 diary).
Kuramochi, M. (2013) : « Transformation of aisatsu words », 「明海日本語」第 18 号, pp. 259-284.
Ladreyt, A. (2017) : « Les pragmatèmes interactionnels de clôture et d’ouverture en japonais : vers une description des
spécificités de ces phraséologismes pragmatiques fortement stéréotypés et ritualisés », mémoire de première
année de master mention Linguistique parcours recherche.
Ladreyt, A. (2018) : « Les pragmatèmes d’ouverture et de clôture de l’interaction en japonais dans les romans de
Murakami Haruki : une étude de corpus », mémoire de deuxième année de master mention Linguistique
parcours recherche.
Ladreyt, A. (2019) : « Les pragmatèmes de salutation du japonais dans une perspective contrastive avec le français :
traitement et typologie du phénomène », Actes du colloque LTT 2018, Grenoble, Septembre 2018.
Lakoff, R-T. & Ide, S. (2005) : Broadening the horizon of linguistic politeness, Pragmatics & beyond, new ser., v. 139,
Amsterdam, Philadelphia, PA, John Benjamins Publishing.
Nakane, C. (1973) : Japanese Society, Renewed ed., Repr., Berkeley, California, University of California Press.
Nakanishi, T. (2008) : « The cognition of social relationships observed through colloquial greeting expressions », The
Japanese journal of language in society Language, vol.11, n° 1, pp. 76-90.
Rogers, M-F. (1983) : Sociology, Ethnomethodology and experience : A phenomenology Critique, Cambridge, CUP.
Sperber, D. & Wilson, D. (1989) : La Pertinence, Paris, Ed. de Minuit.
Suzuki, T. (1987) : Aisatsu to kotoba, Kotoba shiriizu 14, Tôkyô, Henshuu Bunkachou.
(Laboratoire LIDILEM, Université Grenoble Alpes)