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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/7 La France, championne des maths (1/3) : un maillage de têtes chercheuses PAR MICHEL DE PRACONTAL ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 5 AOÛT 2014 Notre pays possède l'une des meilleures écoles de mathématiciens au monde. Issue d'une tradition qui remonte à Condorcet et Laplace, cette école allie la continuité historique à une vitalité persistante. Analyse des raisons de ce succès hexagonal, à la veille du Congrès international de mathématiques, qui se tient à Séoul à partir du 13 août. Cela se sait peu, mais les mathématiques françaises ont la réputation d’être parmi les meilleures du monde. John Ball, professeur à l’université d’Oxford, estime dans un point de vue récent que la France « occupe peut-être le second rang, devancée seulement par les États-Unis, voire le tout premier si l’on se rapporte à la taille de sa population ». Un classement établi par Science Watch, émanation de l'agence de presse canadienne Thomson Reuters, situe la France à la deuxième place mondiale pour les mathématiques sur la décennie 1998-2008, juste après les États-Unis, et à la troisième en 2011, la Chine s’étant intercalée entre les deux leaders précédents. Si l’on se réfère au palmarès de la médaille Fields, la plus haute récompense en mathématiques, la France n’est devancée que par les États-Unis, et de justesse. Considérée comme l’équivalent du prix Nobel (qui n’existe pas dans la discipline), la médaille Fields consacre, à chaque édition, entre deux et quatre lauréats, qui doivent être âgés de moins de quarante ans. Elle a été attribuée pour la première fois en 1936, puis tous les quatre ans à partir de 1950. Sur 52 lauréats au total, on compte onze Français (l’un d’eux, Alexandre Grothendieck, apatride mais vivant en France lorsqu’il a obtenu la récompense, en 1966, a été naturalisé en 1971). Les États-Unis ont fait à peine mieux, avec douze lauréats, et un effectif de mathématiciens professionnels cinq à dix fois supérieur. Cédric Villani reçoit la médaille Fields en 2010 à Hyderabad, en Inde © Reuters/Stringer/india Les prochaines médailles Fields seront annoncées lors du Congrès international des mathématiciens (ICM), qui doit s’ouvrir le 13 août 2014 à Séoul. Des milliers de spécialistes du monde entier assisteront à des conférences sur les développements récents des mathématiques, depuis les domaines les plus abstraits de l’algèbre et de la théorie des nombres jusqu’aux équations qui permettent de décrire les tourbillons océaniques ou la croissance d’une tumeur cancéreuse. Ce congrès, la plus importante manifestation de la discipline, se tient tous les quatre ans depuis 1900 (le premier a eu lieu en 1897 à Zurich). Selon des rumeurs qui circulent sur Internet, sans fondement fiable mais qui expriment le sentiment d’un certain nombre de mathématiciens, la France pourrait enrichir son palmarès en 2014. Signe des temps : les pronostics mentionnent des noms de mathématiciennes (pas seulement françaises), alors qu’aucune femme n’a été couronnée jusqu’ici. En 2010, le congrès s’est tenu à Hyderabad, au sud de l’Inde. Il y a eu quatre médaillés Fields, dont deux Français, Ngo Bau Chau (qui est aussi vietnamien) et Cédric Villani, aux styles et aux domaines de recherche très différents. Le premier a démontré un « lemme fondamental » qui établit un lien entre la théorie moderne des nombres et une approche géométrique (lire les explications – assez ésotériques – de Ngo Bau Chau dans La Recherche). Cédric Villani, lui, a travaillé sur des problèmes liés à la physique statistique, comme déterminer la vitesse à laquelle se produit le retour à l’équilibre des particules en mouvement dans un gaz. Villani est aussi un ardent

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  • Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 1

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    La France, championne des maths (1/3) :un maillage de têtes chercheusesPAR MICHEL DE PRACONTALARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 5 AOÛT 2014

    Notre pays possède l'une des meilleures écoles demathématiciens au monde. Issue d'une tradition quiremonte à Condorcet et Laplace, cette école allie lacontinuité historique à une vitalité persistante. Analysedes raisons de ce succès hexagonal, à la veille duCongrès international de mathématiques, qui se tient àSéoul à partir du 13 août.

    Cela se sait peu, mais les mathématiques françaisesont la réputation d’être parmi les meilleures du monde.John Ball, professeur à l’université d’Oxford, estimedans un point de vue récent que la France « occupepeut-être le second rang, devancée seulement par lesÉtats-Unis, voire le tout premier si l’on se rapporteà la taille de sa population ». Un classement établipar Science Watch, émanation de l'agence de pressecanadienne Thomson Reuters, situe la France à ladeuxième place mondiale pour les mathématiques surla décennie 1998-2008, juste après les États-Unis, et àla troisième en 2011, la Chine s’étant intercalée entreles deux leaders précédents.

    Si l’on se réfère au palmarès de la médaille Fields, laplus haute récompense en mathématiques, la Francen’est devancée que par les États-Unis, et de justesse.Considérée comme l’équivalent du prix Nobel (quin’existe pas dans la discipline), la médaille Fieldsconsacre, à chaque édition, entre deux et quatrelauréats, qui doivent être âgés de moins de quaranteans. Elle a été attribuée pour la première fois en1936, puis tous les quatre ans à partir de 1950.Sur 52 lauréats au total, on compte onze Français(l’un d’eux, Alexandre Grothendieck, apatride maisvivant en France lorsqu’il a obtenu la récompense,en 1966, a été naturalisé en 1971). Les États-Unis

    ont fait à peine mieux, avec douze lauréats, et uneffectif de mathématiciens professionnels cinq à dixfois supérieur.

    Cédric Villani reçoit la médaille Fields en 2010à Hyderabad, en Inde © Reuters/Stringer/india

    Les prochaines médailles Fields seront annoncéeslors du Congrès international des mathématiciens(ICM), qui doit s’ouvrir le 13 août 2014 à Séoul. Desmilliers de spécialistes du monde entier assisteront àdes conférences sur les développements récents desmathématiques, depuis les domaines les plus abstraitsde l’algèbre et de la théorie des nombres jusqu’auxéquations qui permettent de décrire les tourbillonsocéaniques ou la croissance d’une tumeur cancéreuse.Ce congrès, la plus importante manifestation de ladiscipline, se tient tous les quatre ans depuis 1900(le premier a eu lieu en 1897 à Zurich). Selon desrumeurs qui circulent sur Internet, sans fondementfiable mais qui expriment le sentiment d’un certainnombre de mathématiciens, la France pourrait enrichirson palmarès en 2014. Signe des temps : les pronosticsmentionnent des noms de mathématiciennes (passeulement françaises), alors qu’aucune femme n’a étécouronnée jusqu’ici.

    En 2010, le congrès s’est tenu à Hyderabad, ausud de l’Inde. Il y a eu quatre médaillés Fields,dont deux Français, Ngo Bau Chau (qui est aussivietnamien) et Cédric Villani, aux styles et auxdomaines de recherche très différents. Le premier adémontré un « lemme fondamental » qui établit unlien entre la théorie moderne des nombres et uneapproche géométrique (lire les explications – assezésotériques – de Ngo Bau Chau dans La Recherche).Cédric Villani, lui, a travaillé sur des problèmes liés àla physique statistique, comme déterminer la vitesse àlaquelle se produit le retour à l’équilibre des particulesen mouvement dans un gaz. Villani est aussi un ardent

    http://www.mediapart.frhttp://www.mediapart.fr/node/435477http://www.mediapart.fr/node/435477http://smf.emath.fr/sites/smf.emath.fr/files/161-164.pdfhttp://archive.sciencewatch.com/http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Grothendieckhttp://www.icm2014.org/en/program/scientific/topicshttp://www.icm2014.org/en/program/scientific/topicshttp://poll.pollcode.com/p6es9_resulthttp://poll.pollcode.com/p6es9_resulthttp://www.larecherche.fr/actualite/mathematiques/comment-j-ai-demontre-lemme-fondamental-01-03-2010-84576http://www.larecherche.fr/actualite/mathematiques/comment-j-ai-demontre-lemme-fondamental-01-03-2010-84576

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    défenseur de sa discipline auprès du grand public (ils’y emploie dans le film Comment j’ai détesté lesmaths).

    Le palmarès des médailles Fields n’est pas le seulindicateur de la vitalité de l’école française demathématiques. Un autre est fourni par le choixdes conférenciers invités au congrès international.Ce choix est effectué par des comités formés demathématiciens de premier plan. Habituellement, laFrance est représentée par un contingent importantd’orateurs. À Séoul, sur les quelque 200 conférenciersattendus, 35 viennent d’universités ou d’instituts derecherche français, ce qui fait de la représentationfrançaise la plus importante à l’exception de celle desÉtats-Unis – loin devant les autres pays d’Europe oud’Asie.

    Un troisième indice de la vitalité des mathématiquesfrançaises est leur diversité. Certains chercheurstravaillent sur des domaines très abstraits, à l’instarde Ngo Bau Chau. D’autres s’intéressent davantage àdes problèmes issus de la physique. C’est le cas deCédric Villani, ou encore de Laure Saint-Raymond,professeure à l’École normale supérieure (ENS), quidonnera à Séoul une conférence portant notammentsur des questions d’hydrodynamique. « Je travailleà l’interface entre maths et physique, et je suisinspirée par les problèmes qui viennent de la physique,explique-t-elle. Je ne suis pas fixée sur un sujetparticulier, un problème peut me conduire à un autre,j’aime l’idée que la recherche est le fruit du hasard. »

    Laure Saint-Raymond. © DR

    Elle observe aussi que « l’école française couvreun large spectre ». Ce que confirme MichaelHarris, mathématicien américain installé en France.Spécialiste de la théorie des nombres, Harris estlui aussi invité à Séoul. « La France est avec les

    États-Unis le seul pays où tous les domaines desmathématiques sont représentés à très haut niveau »,remarque-t-il.

    Quatrième aspect qui illustre le succès desmathématiques françaises : la place exceptionnellede Paris, qui concentre un nombre considérabled’organismes de recherche dans la discipline. Celaen fait une sorte de capitale des maths séduisant leschercheurs étrangers. Entre autres hauts lieux, l’Écolenormale supérieure de la rue d’Ulm, l’institut Henri-Poincaré et l’Institut de mathématiques de Jussieu,qui détient le record mondial quant à l’effectif dematheux dans un organisme spécialisé. Au total, untiers des mathématiciens français travaillent à Parisou en région parisienne. « Si l’on regarde tout ce quiexiste à Paris, il y a une offre exceptionnelle, inégaléedans le monde, souligne Laure Saint-Raymond. Celapermet un brassage entre les thèmes de recherche etles personnalités. »

    « Le milieu mathématique n'est pas trèsmandarinal »

    Michael Harris en sait quelque chose. Marié à uneFrançaise, il s’est installé à Paris en 1994 et enseigneà l’université Paris 7. Il est aussi chercheur à l’Institutde mathématiques de Jussieu. « Mon directeur dethèse à Harvard était un habitué de l’IHES, où ilvenait régulièrement », dit-il. L’Institut des hautesétudes scientifiques (IHES), institut de recherchesitué à Bures-sur-Yvette dans l'Essonne, a compté etcompte toujours d’illustres mathématiciens d’origineétrangère, comme les Belges Jean Bourgain et PierreDeligne, ou le Russe Maxim Kontsevich, qui possèdela double nationalité (tous trois sont lauréats de lamédaille Fields).

    Malgré la concentration parisienne, la France n’a pasde « désert mathématique » : toutes les grandes villesuniversitaires possèdent au moins un centre de qualité,assurant le maintien d'un vivier de mathématiciens àl’échelle du pays. Cette situation favorable est dueà une stratégie de recrutement particulière, organiséepar la communauté mathématique française. « Selonune règle non écrite, mais appliquée la plupart dutemps, un jeune mathématicien n’est pas recruté pour

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    son premier poste à l’endroit où il a fait sa thèse,explique Olivier Lafitte, polytechnicien et professeurà l’université Paris 13. Et il n’est pas non plus nomméprofesseur là où il a eu son premier poste. Il y adonc une mobilité organisée, contrairement à d’autresdisciplines où les gens restent en place pendantdes décennies. Cette pratique a deux avantages.D’une part, elle limite le risque que des mandarinss’entourent de personnes qu’ils ont choisies selon descritères pas nécessairement scientifiques. Lorsqu’unjeune chercheur postule pour un poste de maîtrede conférences, il ne bénéficie pas de l’avantaged’être déjà connu par les membres du comité desélection, on peut donc penser qu’il est choisi sursa valeur, qu’il y a moins de favoritisme. L’autreavantage est que ce mode de recrutement permetde répartir les mathématiciens dans tout le réseaunational des universités. On fait en sorte que danschaque université, il y ait au moins un mathématiciende valeur. »

    Fronton de l'ENS ULM © Jastrow

    Ce principe de mobilité est aussi en vigueurau département de mathématiques de l’Écolenormale supérieure, explique Laure Saint-Raymond :« Personne n’est permanent, tous les enseignants sontde passage. J’ai un poste de professeur à Paris 6 et jesuis venue en 2007 pour dix ans à l’ENS, où je fais toutmon service d’enseignement et toute ma recherche.Venir ici a été une chance incroyable. C’est une toutepetite structure, je peux rencontrer des chercheurs quine font pas les mêmes mathématiques que moi. Cettemobilité, spécifique aux maths, permet beaucoup de

    brassage propice à de nouvelles idées. Il y a une trèsgrande liberté. Le milieu mathématique n’est pas trèsmandarinal. »

    Une autre caractéristique intéressante du recrutementdes mathématiciens français est qu’il se fait à un âgesensiblement plus jeune que dans les autres disciplinesscientifiques. En biologie, les jeunes docteurs doiventsystématiquement effectuer un « post-doc » àl’étranger, et parfois deux ou davantage, avantd’obtenir un poste. De plus, dans les disciplinesexpérimentales, la thèse s’appuie sur des « manips »qui demandent un temps incompressible.

    « En mathématiques, il n’y a pas besoin d’attendrel’âge de 30 ans avant d’avoir un premierposte, poursuit Laure Saint-Raymond. On peut êtreprofesseur à 31 ou 32 ans – je l’ai été moi-même à26 ans. De plus, le CNRS a un effet positif, car ilpermet à des chercheurs en début de carrière de fairepeu d’enseignement et de se consacrer à la recherche.C’est sans doute l’un des avantages de la Francedans la compétition internationale. En Allemagne, parexemple, les carrières commencent plus tard. »

    Pour la médaille Fields, comme pour d’autres prixmoins connus, il y a une limite d’âge. La précocité descarrières est un atout, même si elle n’est pas suffisantepour produire une recherche de valeur.

    Jean-Pierre Serre © Myriam Touati

    Cet avantage français risque cependant de s'amoindriren raison des contraintes budgétaires actuelles : àla restriction des postes s'ajoutent des salaires quirendent les carrières de moins en moins attractives. Unchercheur CNRS débutant, après huit années d'étudessupérieures, gagne environ 1 800 euros par mois, etpeut espérer 5 000 euros net au sommet de sa carrière.Les salaires sont beaucoup plus élevés en Suisse, enAllemagne, en Grande-Bretagne, et ils peuvent être

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    trois ou quatre fois supérieurs aux États-Unis. Sansparler du fait que les mathématiques ouvrent la voie àdes carrières nettement plus lucratives que celle de larecherche, par exemple en finance ou en informatique.

    Ces effets ne se sont cependant pas trop fait sentirjusqu’ici. La réussite française en mathématiquescontraste avec leur image parfois négative aux yeuxdu public. L’échec pédagogique de l’enseignementdes maths au collège ou au lycée est régulièrementdénoncé, tout comme le rôle excessif dévolu à ladiscipline dans la sélection scolaire. On l'a aussiaccusée d’avoir contribué à la crise financière de 2008en permettant la création d’outils financiers opaques.

    Pourtant, si la détestation des maths tend à devenir unemode culturelle, elle n’empêche pas l’existence d’unecommunauté de mathématiciens professionnels quisemble peu affectée par la sinistrose et le pessimisme

    ambiants. « Jusqu’au XVIIIe siècle, les mathématiquesétaient plus un hobby qu’une profession, observeOlivier Lafitte. On pourrait dire que le point fortdes mathématiciens est d’avoir fait de leur hobby unmétier. Beaucoup d’entre eux considèrent ce métiercomme un plaisir. C’est l’une des rares professionsdans lesquelles on ne se plaint pas de son travail. »

    «Les États-Unis importent beaucoup deleurs scientifiques»

    Comment expliquer la réussite française enmathématiques, que l’on ne retrouve pas au mêmeniveau dans les autres disciplines scientifiques ?Premier constat : elle n’est pas corrélée au niveaumoyen des lycéens, qui ne sont pas particulièrementbrillants en mathématiques dans notre pays. L’enquêtePisa 2012, portant sur des élèves de 15-16 ans de65 pays, dont les 34 de l’OCDE, place la France àune médiocre 25e place, juste devant le Royaume-Uni, mais loin derrière la Chine (premier), la Corée, leJapon, la Suisse, le Canada ou l’Allemagne. À noterque les États-Unis sont encore plus mal classés que la

    France, à la 36e place.

    C’est donc surtout la formation après le baccalauréat etl’entrée dans la carrière de chercheur qui déterminentl’émergence de mathématiciens professionnels

    susceptibles de briller sur la scène internationale. Maisil n’y a pas de recette universelle pour y parvenir. Sil’on compare les deux pays leaders, les États-Unis etla France, on est frappé par le fait que la méthodeaméricaine pour obtenir des mathématiciens de hautniveau est, presque point par point, à l’opposé dusystème français.

    Ce dernier repose sur une filière d’excellencetrès centralisée et très homogène, fondée sur unesélection par les maths et construite sur l’axeclasses préparatoires-grandes écoles, principalementles écoles normales supérieures (on reviendra plusen détail sur cette filière dans le deuxième volet decette série). Ce système est issu d’une tradition qui

    remonte au XVIIIe siècle, et qui met l’accent sur unevision mathématicienne du monde. En un sens, tousles mathématiciens français descendent de Lagrangeet de Laplace.

    Pierre-Simon de Laplace (portrait posthume de 1842). © DR

    Les États-Unis n’ont pas de filière spécifiquecomparable à nos classes préparatoires et à nos grandesécoles d’ingénieurs. Les universités américaines sonttrès diverses et dispersées dans tout le pays, de NewYork et Boston à San Francisco et Los Angeles. Latradition pédagogique ne valorise pas particulièrementles mathématiques pures et, plus qu’en France, metl'accent sur la physique, les sciences de l’ingénieuret les applications. De plus, les universités font très

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    fortement appel au recrutement étranger, en particulierau niveau du doctorat ou au cours de la carrière dechercheur.

    L’analyse de l’échantillon, pourtant restreint, desmédailles Fields est révélateur. Ainsi, parmi les douzemédaillés Fields américains, on trouve d’anciensétudiants de Berkeley, Harvard et Princeton, maisaussi des universités Brandeis et Columbia, de cellede Chicago comme de celle du Michigan. Tous leslauréats français, sans exception, sont passés parl’École normale supérieure de la rue d’Ulm. AlexandreGrothendieck, qui n’a pas passé le concours, n’en a pasmoins suivi les séminaires d’Henri Cartan à l’ENS.Certes, ce monopole n’est pas absolu, car les étudiantsnormaliens font une partie de leurs études dans lesdifférentes universités françaises, voire à l’étranger.Mais l’armature de leur formation est assurée parl’ENS.

    Le contraste entre la France et les États-Unis apparaîttrès nettement dans le groupe des mathématiciensinvités à donner une conférence lors du prochaincongrès de Séoul, d’après une étude réalisée parMartin Andler, professeur à l’université de VersaillesSaint-Quentin-en-Yvelines. Sur les 206 conférenciersvenus d’une trentaine de pays, 35 travaillent en France.Soit le deuxième contingent après les États-Unis quise taillent la part du lion, avec 73 orateurs à Séoul(le Royaume-Uni en a 16, l’Allemagne 11, et tousles autres pays moins d’une dizaine). Mais sur les 35orateurs venus d’instituts français, une trentaine sontnés en France et y ont fait leurs études. À l’inverse,seuls 26 conférenciers sur les 206 sont nés aux États-Unis, alors que 73 y travaillent et que 84 y ont faitleur doctorat. L’apport étranger joue donc un rôlemajeur aux États-Unis, alors qu’il est très minoritaireen France.

    « La force des États-Unis réside dans leur capacitéà faire venir les meilleurs, notamment au niveau dudoctorat, du “post-doc” ou au cours de leur carrièrede chercheur, observe Martin Andler. Comme ilsimportent beaucoup de leurs scientifiques, ils peuventen partie se dispenser de les former, du moins au débutdu cursus universitaire. »

    Dans la jeune génération de mathématiciens étrangersvenus en France, on peut citer Artur Avila, brésiliende naissance, naturalisé français, en qui certains voientun prochain médaillé Fields. Directeur de rechercheau CNRS, déjà lauréat de plusieurs prix importants,il était l’un des orateurs au congrès d’Hyderabad, en2010.

    Jean-Christophe Yoccoz, médaille Fields en 1994. © P. Imbert/Collège de France

    Si notre système est assez ouvert aux échanges avecl’étranger, il n’en reste pas moins que la France assurel’essentiel de la formation de ses mathématiciens.Les écoles normales supérieures, surtout celle dela rue d’Ulm, et dans une moindre mesure l’Écolepolytechnique, sont la colonne vertébrale de cetteformation. Ce système très élitiste et peu ouvertsocialement a aussi les qualités de ses défauts :sa tendance conservatrice lui a permis de préserverla grande tradition mathématique française, de s’ennourrir et parfois de la renouveler.

    Cette tradition remonte aux Lumières et àla Révolution, notamment avec Condorcet et

    D’Alembert, et s’épanouit à l’orée du XIXe siècle,avec Lagrange, Monge, Laplace, Legendre, Fourier,Poisson, Cauchy, Galois… Dans cet essor, lesgrandes écoles scientifiques jouent un rôle central.

    Pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle, c’estPolytechnique, fondée en 1794 par Gaspard Monge etLazare Carnot, qui a la première place, avant de passerle relais à l’École normale supérieure.

    L'influence considérable du groupe Bourbaki

    « L’École polytechnique a joué un rôle extraordinaire

    pendant la première partie du XIXe siècle, rapporteMartin Andler. Elle est devenue une universitéscientifique de premier plan, en dépit de sa finalitéoriginelle qui était de former des ingénieurs. Vers

    la fin du XIXe siècle, l’École normale supérieure,

    http://www.mediapart.frhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Cartanhttp://www.ems-ph.org/journals/newsletter/pdf/2014-06-92.pdfhttp://www.ems-ph.org/journals/newsletter/pdf/2014-06-92.pdfhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Artur_%C3%81vila

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    devenue le principal pourvoyeur de scientifiques depremier plan, a progressivement délaissé son rôleinitial de formation de professeurs de lycées. À la fin

    du XIXe siècle, beaucoup de grands mathématiciens,comme Émile Borel, Henri-Léon Lebesgue, René-Louis Baire ou Jacques Hadamard, grand nom dela théorie des nombres, sont entrés à Normalesup’ – à l’exception notable d’Henri Poincaré,polytechnicien. »

    André Weil © DR

    Au début du XXe siècle, Paris est déjà unegrande ville mathématique. Mais la Première Guerremondiale décapite la recherche française, produisantune hécatombe dans la jeune génération d’étudiantsscientifiques, en particulier chez les élèves de l’Écolenormale supérieure. Plus d’un quart des normaliensdes promotions scientifiques de 1901 à 1917 sontmorts à la guerre, et de nombreux autres ont été blessésou dans l’incapacité de se consacrer à la recherche.

    L’Allemagne, qui a mieux préservé ses élitesintellectuelles, reprend alors le flambeau desmathématiques. Dans les années 1920, la révolutiondes fondements des mathématiques se fait enAllemagne, sous l’impulsion de Georg Cantor,créateur de la théorie des ensembles, et deDavid Hilbert. Après la Première Guerre mondiale,l’université française n’a plus de générationintermédiaire : il ne reste que les plus âgés et lesjeunes. « Le mathématicien André Weil (frère de la

    philosophe Simone Weil), entré à 16 ans à l’Écolenormale supérieure en 1922, raconte que les jeuneschercheurs de son époque ont eu l’impression de setrouver face à un vide sidéral », dit Martin Andler.

    De manière inattendue, cette situation permettrade refonder l’école française de mathématiques.Autour d'André Weil, de jeunes normaliens tels JeanDieudonné, Henri Cartan et Claude Chevalley formentle groupe Bourbaki. Le nom de Nicolas Bourbakidésigne un mathématicien imaginaire qui, à partirdes années 1930, commence à produire les Élémentsde mathématique (sans “s”, pour signifier l’unitéde la discipline), monumental traité censé couvrirl’ensemble des connaissances. Cette approche fondéesur une grande rigueur et un formalisme pousséà l’extrême, au détriment de l’intuition, aura uneinfluence considérable, en France et dans le monde.

    Le groupe Bourbaki a récupéré l’héritage de Cantoret Hilbert et remis les mathématiques françaises aupremier plan. Il a aussi cristallisé la suprématie del’École normale supérieure. Les membres du groupeBourbaki totalisent cinq médailles Fields : LaurentSchwartz (lauréat en 1950), Jean-Pierre Serre (1954),Alexandre Grothendieck (1966), Alain Connes (1982)et Jean-Christophe Yoccoz (1994). Mais l’apogée del’influence du bourbakisme se situe dans les années1960-70, et décline ensuite. Les lauréats les plusrécents de la médaille Fields ne sont pas bourbakistes.

    L'École normale supérieure, elle, est restée au premierplan, et a parfois même contribué à renouvelerdes domaines dédaignés par le groupe Bourbaki.Un exemple frappant est celui de la théorie desprobabilités. Les mathématiciens français s’y sont

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    intéressés depuis le XVIIe siècle, avec Pascal etFermat, mais l’ont exposée en termes intuitifs, sansformalisme strict.

    Le premier volume du traité de Bourbaki. © DR

    « La formulation rigoureuse de la théorie desprobabilités a été établie par le mathématicien russeAndreï Kolmogorov, en 1933, explique Jean-FrançoisLe Gall, professeur à l’université Paris-sud Orsay.Kolmogorov s’est appuyé sur la théorie de la mesurequi avait été élaborée au début du siècle par ÉmileBorel et son élève Henri Lebesgue. En France, unautre fondateur de la théorie des probabilités a étéPaul Lévy. Ses travaux sont majeurs. Mais ils n’ont

    pas été reconnus immédiatement car Lévy faisait desprobabilités “à l’ancienne”, loin du formalisme deBourbaki. Son influence a été tardive. »

    Dans les années 1970-80, l’école française deprobabilités est montée en puissance. « Elle doitbeaucoup à deux mathématiciens, Jacques Neveu (quia dirigé le Laboratoire de probabilités de l’universitéParis 6 à partir de 1980) et Paul-André Meyer(qui était à Strasbourg) », précise Jean-François LeGall, qui a été lui-même chercheur au laboratoirede Paris 6 avant de devenir professeur à l’Écolenormale supérieure, en 1997. Il semble qu’il aitconverti un certain nombre de brillants normaliens auxprobabilités. Il a dirigé la thèse de Wendelin Werner,devenu en 2006 le premier probabiliste médailléFields, notamment pour des travaux sur le mouvementbrownien, qui prolongent par certains aspects ceux dePaul Lévy.

    Paradoxe : Paul Lévy a fait sa thèse sous la directiond’Hadamard, qui fut aussi le professeur d’André Weil,le chef de file du mouvement bourbakiste. Hadamardest, intellectuellement, l’« ancêtre commun » à lalignée de Weil et à celle qui aboutit à Werner. Unlien historique et social unit les probabilités « àl’ancienne » à leur version contemporaine : l’Écolenormale supérieure, alma mater de Hadamard, Borel,Lebesgue, Le Gall et Werner. Une école dans laquellenous entrerons dans le prochain volet de cette enquête.

    Directeur de la publication : Edwy PlenelDirecteur éditorial : François BonnetLe journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS).Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007.

    Capital social : 32 137,60€.

    Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des

    publications et agences de presse : 1214Y90071.

    Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit,

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    La France, championne des maths (2/3) :une formation immuablePAR MICHEL DE PRACONTALARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 7 AOÛT 2014

    Si les mathématiciens français sont parmi les meilleursau monde, ils le doivent en grande partie à la filièrede formation des classes préparatoires et des grandesécoles. Ce système très élitiste et socialement peuégalitaire, en place depuis près de deux siècles, semontre d'une remarquable efficacité pour faire écloreles talents mathématiques.

    Comment un système outrageusement élitiste etultraconservateur a-t-il pu engendrer la meilleureécole de mathématiciens du monde ? Particularitéfrançaise, le système des classes préparatoires et desgrandes écoles forme aujourd’hui la majorité desmathématiciens professionnels du pays.

    Fronton de l'ENS ULM © Jastrow

    Son principe repose sur une extrême sélectivité. Si leniveau général en mathématiques de l'ensemble deslycéens français est à peine au niveau de la moyennede l'OCDE, les classes préparatoires écrèment lesmeilleurs d'entre eux, leur donnent une formationaccélérée en deux ans, et envoient une poignéed'étudiants dans les écoles normales supérieures. Surun total de 1,5 million d'étudiants français par an,50 000 entrent dans des « prépas » scientifiques,et 150 sont admis aux concours des ENS en optionmathématiques.

    Environ les trois quarts des chercheurs enmathématiques recrutés au CNRS sont normaliens, àquoi s'ajoute une petite minorité de polytechniciens.

    Tous les lauréats français de la médaille Fields, laprincipale distinction en mathématiques, sont issusde l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Enrésumé, un étudiant sur dix mille entre chaque annéedans la toute petite élite d'où sortiront les meilleursmathématiciens.

    Depuis près de deux siècles, cette filière a fourni à laFrance la quasi-totalité de ses grands mathématiciens.

    Au XIXe siècle, et jusque vers 1870, ils venaientprincipalement de Polytechnique, puis ils sont sortisde Normale sup’. Ainsi Évariste Galois, mort en1832 à l'âge de vingt ans dans un duel, avait-il eule temps d'inventer la théorie des groupes, l'un despiliers de l'algèbre moderne, après avoir fait les classesde mathématiques supérieures et spéciales du lycéeLouis-le-Grand puis intégré en 1829 l’École normalesupérieure – qui s'appelait alors l’École préparatoire.Alexandre Grothendieck, considéré comme l'un desplus grands mathématiciens contemporains, est luiune demi-exception : fils d'un anarchiste juif déportéà Auschwitz en 1942, il a passé son baccalauréatau Collège cévenol et a commencé ses études àMontpellier. Mais il a été admis aux séminairesd'Henri Cartan à l’École normale supérieure, avantde faire sa thèse à Nancy, puis d'intégrer le groupeBourbaki, qui a rénové les mathématiques dans lesannées 1930-40 (lire notre précédent épisode).

    Il n'en reste pas moins que le système des grandesécoles a formé l'essentiel des mathématiciens françaisdepuis l'époque de Lagrange et Laplace. Le premiera enseigné l'analyse à l’École polytechnique et lesecond y a été examinateur. L’origine du systèmeest antérieure à la Révolution. Gaspard Monge aété examinateur des cadets de l’École de la marineroyale, avant de participer à la fondation de l’Écolepolytechnique en 1794. L'École des Ponts date de1747, celle des Mines de 1783. Le principe de lasélection reposait au départ sur un oral d'admission,puis a évolué vers la forme connue aujourd'hui :préparation, puis épreuves écrites avant l'oral.

    « Le système existait déjà il y a 150 ans sous sa formeactuelle : de grandes écoles élitistes, une compétitionà l’entrée, et une forme de classe préparatoire, écrit

    http://www.mediapart.frhttp://www.mediapart.fr/node/435487http://www.mediapart.fr/node/435487http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89variste_Galoishttp://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/220714/la-france-championne-des-maths-13http://fr.scribd.com/doc/191124924/Elitism-in-France

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    Monsieur Lemme (pseudonyme d’un professeur dulycée Louis-le-Grand). Lorsque l’on considère tousles changements politiques que la France a connusdepuis, on voit que le système classes préparatoires-grandes écoles est – ou du moins était – la colonnevertébrale de la bourgeoisie méritocratique » (lacitation est tirée d'un article en anglais publié dans TheDe Morgan Journal, 2, n° 12, 2012 ; la traduction estde Mediapart).

    Evariste Galois à 15 ans dessiné par sa sœur © DR

    Le principe du concours s'oppose à celui de l'universitéouverte à tous, sans sélection à l'entrée. Il est justifié,du moins en théorie, par la logique de la méritocratierépublicaine. L'épreuve sélective est la même pourtous, et la gratuité de l’accès aux classes préparatoires,intégrées aux lycées, doit permettre à chacun de réussirselon son talent, indépendamment de son originesociale. En pratique, de nombreux facteurs contrarientcet égalitarisme de principe. Les enfants des classesles moins favorisées vont rarement dans les classespréparatoires, celles-ci sont hiérarchisées de sorte queles meilleures sont peu accessibles aux familles quine connaissent pas le système, et le rythme trèssoutenu des prépas est difficile à suivre pour ceuxqui ne vivent pas dans des conditions matériellesrelativement confortables.

    Il y a pourtant quelques fils d'ouvriers à l'X (surnomde Polytechnique) ou à Normale sup', même s'ilsne sont pas légion. En 1888, Élie Cartan, fils d’unmaréchal-ferrant de Dolomieu (Isère), intègre l’Écolenormale supérieure, avant de devenir un célèbre

    mathématicien. Son fils Henri y entrera en 1923, aprèsavoir préparé le concours au lycée Hoche de Versailles– l’une des prépas les plus cotées aujourd’hui. HenriCartan deviendra l’un des piliers du groupe Bourbaki.Le génie mathématique est au rendez-vous de la rued’Ulm. L’ascenseur social, lui, est intermittent.

    Une étude du ministère de l’enseignement supérieuret de la recherche compare les origines sociales desélèves de classes préparatoires en 2001 et 2011. Aucours de la décennie, la répartition n’a guère changé :la moitié des élèves de ces classes, toutes filièresconfondues, ont un père cadre supérieur ou exerçantune profession libérale, alors qu’il n’y a que 12 % defils d’ouvrier. Pour l’École normale supérieure, c’estencore plus net. Dans un article écrit à l’occasiondu bicentenaire de l’ENS, Bruno Belhoste cite uneenquête sociographique dont les résultats sont sansappel : « Près de 80 % des pères de normaliens etnormaliennes recrutés entre 1988 et 1992 sont descadres supérieurs, des enseignants ou des membresdes professions libérales, et plus de la moitié desélèves ont au moins l’un de leurs parents qui enseigne ;cette situation n’est pas nouvelle, l’ENS ayant toujourseu un recrutement socialement élevé, mais l’étuderévèle une nette aggravation du phénomène, que nesuffit pas à expliquer l’évolution de la structure de lapopulation active… »

    Une autre étude, menée par un chercheur de la rued’Ulm, Christian Baudelot, montre que dès la sixième,les meilleurs élèves ont quatre fois plus de chancesd’aller dans une classe préparatoire si leurs parentssont enseignants ou cadres supérieurs que s’ilsviennent de milieux populaires. La méritocratie estbien bourgeoise, avant d'être républicaine.

    L'argot des prépas était déjà parlé en 1812

    Autre inégalité majeure : le système des prépassélectionne très peu de filles dans la filièremathématique. Elles sont au maximum 10 % à réussirles concours de l'ENS et de l'X dans l'option maths.La suppression de l’École normale supérieure dejeunes filles de Sèvres, fusionnée avec celle de larue d'Ulm en 1985, a accentué le déséquilibre. Cetteinégalité entre les sexes est difficile à expliquer.

    http://www.mediapart.frhttp://fr.scribd.com/doc/191124924/Elitism-in-Francehttp://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2012/60/4/note-information-12-02-CPGE_2011_213604.pdfhttp://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2012/60/4/note-information-12-02-CPGE_2011_213604.pdfhttp://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hedu_0221-6280_1996_num_69_1_2809http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hedu_0221-6280_1996_num_69_1_2809http://www.cefi.org/CEFINET/DONN_REF/HISTOIRE/histoire_preps2.htmhttp://www.cefi.org/CEFINET/DONN_REF/HISTOIRE/histoire_preps2.htmhttp://www.cefi.org/CEFINET/DONN_REF/HISTOIRE/histoire_preps2.htm

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    Il n'y a pas d'argument pour supposer que lesfilles soient intrinsèquement moins douées en mathsque les garçons. Sophie Germain (1776-1831) étaitune grande mathématicienne française, contemporained’Évariste Galois. Aujourd'hui, Laure Saint-Raymond, professeure à l'ENS, Sophie Morel, quienseigne à Princeton, ou encore l'Iranienne MaryamMirzakhani, professeure à l'université Stanford, sontconsidérées comme au sommet de l'élite mondiale desmathématicie(ne)s. Force est cependant de constaterque les femmes sont très minoritaires dans ladiscipline.

    La mathématicienne iranienne Maryam Mirzakhani © DR

    À la décharge du système français, le déséquilibre desgenres se retrouve dans le monde entier. Certainesuniversités comme le MIT (Massachusetts Institute ofTechnology) aux États-Unis ou l’École polytechniquefédérale de Lausanne ont un pourcentage élevéd'étudiantes en mathématiques. Mais cela résulte enpartie d'une politique visant à compenser l'effet desstéréotypes sociaux qui semblent pousser les fillesà juger que les mathématiques sont une disciplinemasculine.

    Dans le cas français, l'esprit de compétition desconcours n'apparaît pas comme le principal obstacle,puisque les filles réussissent bien les concourslittéraires. En revanche, le folklore des classes prépas,efficace pour la cohésion sociale et l'esprit de corps,n'est pas très attirant pour le genre féminin. Lesgrandes écoles scientifiques sont associées à desactivités très marquées comme masculines qu'elles onten partie hérité d'une tradition militaire. « J'ai choisil’École normale supérieure plutôt que Polytechnique

    parce que je n'étais pas particulièrement attirée parla perspective de ramper dans la boue », note avechumour Laure Saint-Raymond.

    Si inégalitaire soit-il, le système des classes prépasn'en est pas moins d'une efficacité remarquablepour faire éclore des talents mathématiques. Commenous l'avons vu, il fonctionne depuis au moins unsiècle et demi et s'est adapté, de manière quasimentdarwinienne, à tous les aléas subis par l’enseignementdans notre pays, quasiment sans changer l'essentiel desa structure. Étant donné la succession de réformes,pas toujours réussies, qui ont affecté l'éducationnationale, cette continuité tient de l'exploit historique.

    Pourquoi ce système est-il particulièrementperformant en mathématiques ? Au départ, il n'étaitpas destiné à former des mathématiciens, maisdes ingénieurs. Cependant, la formation en classespréparatoires scientifiques a assez vite mis l'accentsur les mathématiques au détriment des disciplinesexpérimentales, à l'inverse de ce que font par exempleles États-Unis dans les formations d’ingénieurs.Au départ d'ailleurs, ces classes préparatoiresscientifiques s’appelaient « maths sup » et « mathsspé » et ces anciennes dénominations sont toujoursfréquemment employées.

    Médaille de l'école Polytechnique gravée par M.L. Bourgeois (1894) © DR

    Ces classes prépas sont généralement intégrées dansles lycées. Après le bac, on entre en maths sup,pour un an, puis en maths spé, et l’on présente lesconcours des grandes écoles d’ingénieur à la fin de ladeuxième année. Depuis la Révolution, une kyrielled’écoles sont venues s’ajouter à Polytechnique. Ellessont classées selon une hiérarchie : X, Mines, Ponts,

    http://www.mediapart.frhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Sophie_Germain

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    Centrale, Supelec, ESPCI, etc. En cas d’échec, onpeut redoubler, et l’on devient alors, selon l’argot desprépas, un « cinq demi », après avoir été un « troisdemi » la première année. La classe de maths spés'appelle la « taupe », qui est la réunion des « taupins ».Une interrogation orale est dite « khôlle ». SelonMonsieur Lemme, cet argot, qui participe à la cohésionsociale des élèves, était déjà utilisé par Chasles, entréà Polytechnique en 1812.

    Il est probable que le niveau mathématique desprépas scientifiques soit plus élevé que strictementnécessaire, si l’objectif n’est que de former desingénieurs. La particularité du système est qu'il formetous les élèves à l'excellence mathématique, alorsmême qu'une toute petite minorité d'entre eux sedestinent à devenir mathématiciens professionnels.Cette minorité choisira les concours les plus difficiles,ceux des écoles normales supérieures et celui dePolytechnique. Ainsi les 150 admis aux ENS en optionmathématiques représentent 0,3 % des quelque 50 000élèves de prépas scientifiques par an.

    Cette filière très sélective est aussi très cohérente.Globalement, l’ensemble des prépas fonctionnebeaucoup mieux que la plupart des premiers cyclesuniversitaires. En gros, ces classes bénéficientdes avantages de l'enseignement public, sans lesinconvénients. Selon Pierre Arnoux, professeur demathématiques à l’université d’Aix-Marseille, leplus important n’est pas tant le côté sélectif quel'organisation pédagogique des prépas : « Un groupesoudé d’élèves qui suit le même cursus et travaille avecun petit nombre d’enseignants, un seul enseignantpour chaque grande discipline, ce qui permet unepédagogie très cohérente, écrit-il dans la revue enligne Skhole.fr. Cela contraste avec l’enseignementuniversitaire, pour lequel les étudiants de premièreannée peuvent avoir jusqu’à dix enseignants sur un andans une seule matière. »

    Le côté très hiérarchisé du système assure desclasses assez homogènes, où la plupart des élèvesont un objectif précis : intégrer une école qui leurassurera un emploi. Les étudiants à l'université saventmoins bien ce qu'ils feront, et sont moins assurés

    de réels débouchés. De plus, les étudiants assistentà des cours magistraux et impersonnels dans desamphis pleins à craquer, quand les élèves de prépassuivent l'enseignement d'un professeur qui les connaîtindividuellement.

    Le corps enseignant des prépas est lui aussi homogèneet motivé. Les conditions d'enseignement et lessalaires en prépas sont plus stimulants qu'à l'université.Dans les meilleures prépas, les professeurs viennentdes écoles normales supérieures. Ils connaissentparfaitement les épreuves auxquelles ils préparentleurs élèves, qu'ils ont eux-mêmes passées. Qui plusest, les prépas sont souvent « ciblées » sur certainesécoles, en fonction de leur niveau.

    Une exceptionnelle continuité historique

    En pratique, seuls quelques lycées envoient leursélèves dans les écoles les plus fortes. Depuis desdécennies, les meilleurs lycées parisiens (Louis-le-Grand, Henri IV…) et deux lycées de Versailles(Sainte-Geneviève et Hoche) tendent à truster unegrande partie des admissions aux écoles normales et àPolytechnique. Et si Jean-Pierre Serre, médaillé Fieldsen 1954, était élève du lycée Daudet de Nîmes ou AlainConnes, lauréat en 1984, du lycée Thiers de Marseille,aujourd'hui, la part des grands lycées de provincetend à se réduire. Polytechnique publie des statistiquesqui montrent l'évolution de l'origine géographique des

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    admissibles au concours. L’École normale supérieurene publie pas les siennes. Peut-être parce que ce sontdes données stratégiques…

    Entrée du lycée Louis-le-Grand © DR

    En effet, l’ENS ne se contente pas de former lesfutures médailles Fields. Elle forme aussi, avantmême le concours d'entrée, les futurs normaliens.Dans les meilleurs lycées comme Louis-le-Grand,les professeurs de prépas viennent de l’ENS. Pierre-Louis Lions et Jean-Christophe Yoccoz, tous deuxmédaillés Fields en 1994, ont eu le même professeurde mathématiques en terminale, à Louis-le-Grand,Denis Gerll, lui-même issu de l’ENS de Saint-Cloud (transférée depuis à Lyon). Ils ont ensuitesuivi les classes préparatoires, avec comme professeurJacques Chevallet, ancien élève de l’École normalesupérieure. Ce dernier a aussi eu pour élève CédricVillani, médaille Fields en 2010. Le même professeurpeut ainsi s’enorgueillir d’avoir formé trois futursmédaillés Fields.

    [[lire_aussi]]

    On voit ici à quel point la filière qui forme les meilleursmathématiciens français est fortement intégrée : dansun petit nombre de lycées, les futurs normaliensreçoivent, en prépa, l’enseignement de professeursnormaliens pour préparer le concours ; une fois entrés àl’ENS, ils bénéficient d'un enseignement exceptionneldans le cadre du département de mathématiques del'école, avec des professeurs triés sur le volet, puispeuvent faire leur thèse, dirigés par des professeurs qui

    ont suivi la même filière. Les conditions sont un peusimilaires à Polytechnique, mais avec une orientationmoins tournée vers la recherche et l'enseignement.Cela dure depuis un siècle et demi. En somme, lafilière mathématique est une sorte de niche privilégiéeau sommet de la filière plus large de formationdes ingénieurs. Elle est non seulement élitaire maistend fortement à se reproduire, les nouveaux venusreprenant le flambeau des aînés.

    En tout, cinq médaillés Fields français ont été élèvesau lycée Louis-le-Grand. Aux trois cités ci-dessus,il faut ajouter Laurent Lafforgue, lauréat en 2002et Laurent Schwartz, le plus ancien, qui a obtenula médaille en 1950. Considéré comme l’un des

    grands mathématiciens français du XXe siècle, biensûr normalien, Laurent Schwartz a joué un rôledirect ou indirect dans la formation de cinq autresmédaillés Fields. Il a codirigé la thèse d’AlexandreGrothendieck, déjà nommé ; ce dernier a été ledirecteur de thèse de Luc Illusie, normalien, qui adirigé Gérard Laumon, normalien, lui-même directeurde thèse de deux médaillés Fields, Laurent Lafforgueet Ngo Bau Chau. Schwartz a aussi formé Jacques-Louis Lions, le père de Pierre-Louis, médaillé Fields etactuel président du conseil d’administration de l’ENS.

    Ajoutons que Pierre-Louis Lions a été le directeurde thèse de Cédric Villani. Jean-Pierre Serre et RenéThom ont été étudiants d’Henri Cartan, déjà cité.Michel Broué (par ailleurs président de la société desamis de Mediapart) a été l’étudiant de Jean-PierreSerre et de Claude Chevalley, autre grand normalien.Broué est issu de l’ENS de Saint-Cloud, une (relative)originalité dans cette assemblée d’« ulmiens », eta eu le privilège de diriger le département demathématiques de l’école de la rue d’Ulm, deuxièmeoriginalité…

    Partons de Lagrange et Laplace, et dessinons unarbre généalogique dans lequel les descendants d'unmathématicien sont ses élèves ou ceux dont il a dirigéla thèse. On retrouve, génération après génération,les grands noms des mathématiques françaises du

    XVIIIe siècle aux médailles Fields : Poisson, Chasles,Darboux, Picard, Hadamard, Borel, Montel, ce dernier

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    professeur de Henri Cartan et Laurent Schwartz…Tous les médaillés Fields sont, en ce sens, lesdescendants de Lagrange et Laplace.

    Cette extraordinaire continuité se retrouve dans lecontenu de l'enseignement mathématique des prépas,qui ignore les soubresauts des programmes del'enseignement secondaire.« Cela fait 50 ans que l’ontravaille à peu près sur les mêmes programmes,dit Martin Andler, professeur de mathématiques àl’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.Il y a un degré incroyable de raffinement danscertains exercices, que l’on perfectionne année aprèsannée. Cette formation donne aux mathématiciensfrançais une technicité en moyenne supérieure à ceuxdes autres pays. Il est frappant de voir que desmathématiciens étrangers découvrent en faisant de larecherche des astuces que leurs collègues françaisconnaissent depuis “la taupe”. Cela développeune virtuosité, sur un corpus mathématique assezclassique. En général, dans les autres pays, lesétudiants voient plus tôt des mathématiques plusmodernes ou plus avancées qu’en France, mais ils ontdes bases moins solides. »

    Arthur Pivin, jeune polytechnicien, a intégré l’X aprèsune prépa au lycée Hoche de Versailles – où étudiaaussi Wendelin Werner, médaillé Fields en 2006 et,

    avant lui, Henri Cartan. « Je continue de vivre surmes acquis de prépa en 2008, dit-il. Les prépas fontparfois un peu peur, mais les étudiants qui s’adaptentau rythme le vivent très bien. Le système est stressantpour ceux qui n'arrivent pas à suivre, mais pour lesautres il est très efficace. C’est comme apprendre unelangue vivante en s’immergeant dans un pays où onla parle, on se trouve dans un bain mathématique etpar la suite on est à l’aise avec n’importe quel sujet. Àmon avis, c’est la formation qui donne les meilleuresbases en maths au monde. »

    On pourrait craindre que cette filière monopolistiquene produise des esprits trop formatés, et une certainesclérose. Deux siècles d'expérience montrent que cen'est pas le cas. Autant la formation des prépasest homogène et stéréotypée, autant la recherchemathématique française apparaît diverse et capablede se renouveler. Cette formation, quels que soientses défauts, donne aux esprits les plus créatifs lapossibilité de mûrir avant de se retrouver dans l'universde la recherche universitaire, qui demande une grandecapacité d'autonomie. S'il y a de nombreux argumentspour critiquer ce système, les raisons de son succèsméritent d'être analysées par tous ceux qui s'intéressentaux progrès de l'éducation.

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    La France, championne des maths (3/3) :Que cherchent les mathématiciens ?PAR MICHEL DE PRACONTALARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 11 AOÛT 2014

    Par l'invention de concepts très abstraits, l'objet desmathématiques consiste à résoudre des problèmessouvent très éloignés de la réalité. Mais ces conceptsse révèlent puissants et trouvent de nombreusesapplications en physique, en biologie et dans lesdomaines les plus variés, de la finance à lamodélisation informatique ou au traitement desimages numériques.

    Les mathématiques sont omniprésentes dans le monded'aujourd'hui. Leurs outils sont utilisés pour gérerles flux de messages sur Internet et la sécuritédes transactions commerciales électroniques, pourmodéliser les échanges économiques, pour créer desproduits financiers, pour optimiser les lignes aériennesou les réseaux de transport d'énergie, pour élaborerdes modèles climatiques ou établir des prévisionsmétéorologiques, pour décrire l'équilibre d'un systèmeécologique ou l'évolution d'une population animale…Il n'existe quasiment pas un aspect de notrevie quotidienne qui ne dépende pas d'une ouplusieurs applications des mathématiques. Pourtant,les recherches des mathématiciens professionnelsau plus haut niveau semblent très détachées despréoccupations concrètes.

    Manuscrit d'Euclide. © DR

    Que cherchent les mathématiciens ? Ils ont le chicpour s'intéresser à des questions que personne – endehors du monde mathématique – n'aurait l'idéede poser. Qui, dans la vie normale, se demandecomment se répartissent les nombres premiers ousi la conjecture de Goldbach est vraie ? Qui veutsavoir si le sixième problème de Hilbert peut être

    résolu ? Qui se préoccupe du nombre de solutions deséquations de Navier-Stokes ou du degré d'avancementdu programme de Langlands ?

    Ce sont pourtant là certains des sujets au menu duprochain Congrès international des mathématiciens(ICM) qui s'ouvrira le 13 août à Séoul, et à l'occasionduquel seront décernées les médailles Fields, laplus haute distinction en mathématiques. On seraittenté d'en déduire que les mathématiciens sont uneréunion de snobs qui se complaisent à explorerdes arcanes inaccessibles au commun des mortels.Ce serait une conclusion hâtive. Il y a plusieurstypes de mathématiciens : certains s'attachent à desproblèmes très abstraits, qu'il est quasiment impossiblede traduire en langage ordinaire. D'autres cherchentdes réponses mathématiques à des questions pratiques(ce qui peut nécessiter le recours à des concepts trèsabstraits).

    David Hilbert. © DR

    Benoît Perthame, l'un des conférenciers françaisattendus à Séoul, directeur du Laboratoire Jacques-Louis Lions à Paris, s'intéresse à la modélisationde phénomènes biologiques. Il doit faire un exposésur des équations qui permettent de décrire lacroissance des tumeurs cancéreuses. Jean-MichelMorel, professeur à l'ENS de Cachan, doit discourirsur les mathématiques appliquées au traitementd'images, en particulier pour minimiser le “bruit”sur une image numérisée. Éric Cancès, professeur

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    à l'École des Ponts, va présenter des modèlesmathématiques et numériques destinés à simuler desmolécules.

    Cependant, même si l'intitulé de ces recherchessemble assez concret, elles font appel à de puissantset complexes outils mathématiques : les équationsaux dérivées partielles. D'une manière générale, ceséquations permettent de décrire des processus quiévoluent, des systèmes qui changent d'état. Ellessont à la base des recherches d'un large courantde mathématiciens qui s'inspirent de problèmesissus de la physique. Cédric Villani, directeur del'Institut Henri-Poincaré, médaille Fields en 2010, ouLaure Saint-Raymond, professeure à l'École normalesupérieure, sont représentatifs de ce courant.

    Laure Saint-Raymond. © DR

    Invitée à Séoul, Laure Saint-Raymond y fera unexposé sur des questions mathématiques liées àl'hydrodynamique et à la théorie cinétique des gaz.Une partie de ses travaux porte sur les équations deNavier-Stokes, qui permettent de décrire l'écoulementd'un fluide ordinaire, par exemple la circulation d'uncourant océanique ou les mouvements des massesd'air de l'atmosphère. Ces équations, formulées dans

    la première moitié du XIXe siècle, « s'invitent mêmeà Hollywood, écrit dans un article historique LaureSaint-Raymond, afin, par exemple, de simuler letourbillon où s'enfoncele Titanic lors de son naufrage».

    Il existe des programmes informatiques qui permettentde calculer des solutions approchées des équationsde Navier-Stokes. Pour le physicien, elles fournissentun outil permettant de décrire un phénomène. Maispour le mathématicien, ces solutions soulèvent unesérie de problèmes. Jusqu'ici, on n'a pas réussi àprouver qu'il existe dans tous les cas une solutionaux équations de Navier-Stokes déterminée par les

    conditions initiales du système. Lorsqu'un programmecalcule une solution approchée, on ne sait pas sile résultat est fidèle à la réalité. Pour clarifier lasituation, il faut étudier de manière approfondie lescaractéristiques mathématiques de ces équations.

    [[lire_aussi]]

    Le type de système physique que sont censéesreprésenter les équations de Navier-Stokes estrelativement familier – ce peut être l'eau qui s'écouledans un tuyau, ou un tourbillon océanique. Maisl'outil mathématique, lui, est d'une grande technicité.Cela tient, entre autres raisons, à la structure de ceséquations, qui permettent de relier deux niveaux dedescription : celui d'un fluide considéré comme unmilieu continu et celui des particules qui composent lefluide.

    Il existe une relation entre les équations de Navier-Stokes et l'équation de Boltzmann, qui décrit lesmouvements des particules dans un gaz. Cédric Villani(médaille Fields 2010) a consacré récemment unpassionnant billet de blog aux liens entre l'équationde Boltzmann, l'un de ses sujets de prédilection, etl'irréversibilité du temps. Avant Cédric Villani, sondirecteur de thèse, Pierre-Louis Lions (médaille Fields1994) a travaillé sur l'équation de Boltzmann et cellede Navier-Stokes.

    Dans le prolongement de ces travaux, Laure Saint-Raymond a démontré que les solutions de l'équationde Boltzmann tendent dans certains cas vers celles del'équation de Navier-Stokes.

    La conjecture de Goldbach résiste depuis270 ans

    Ce champ de recherches très actif apparaît commeun approfondissement mathématique des travaux deBoltzmann en physique statistique, dans le dernier

    tiers du XIXe siècle.

    Physicien autrichien, Ludwig Boltzmann a défenduavant l'heure une vision atomiste ; il considèrequ'un fluide, et la matière en général, est faite d'unensemble de particules indivisibles qui déterminentses propriétés mécaniques. Mais il ne disposait pas

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    alors de tous les outils pour aller au bout de ses idées,qu'Einstein reprendra en les prolongeant, du point de

    vue physique, au début du XXe siècle.

    En 1900, David Hilbert, grand mathématicienallemand, dresse une liste de vingt-trois problèmesimportants et non résolus, à l'occasion du deuxièmecongrès international des mathématiciens organisé àParis. L'objet du sixième problème de Hilbert est desavoir dans quelle mesure les théories de la physiquepeuvent prendre la forme axiomatisée d'une théoriemathématique.

    Ludwig Boltzmann © DR

    En particulier, Hilbert invite les mathématiciens àapprofondir la compréhension de la dynamique desgaz. Hilbert écrit : « Les travaux de Boltzmann surles principes de la mécanique suggèrent le problèmede développer mathématiquement les processus… quimènent de la vision atomiste aux lois du mouvementdu continu. » Les recherches de Laure Saint-Raymonddécrites ci-dessus se situent précisément dans cetteperspective.

    L'enchevêtrement de liens historiques et les va-et-vient avec la physique montrent pourquoi l'ésotérismeapparent des mathématiques ne résulte pas d'unequelconque malice des mathématiciens. Il est laconséquence d'une extraordinaire accumulation deconnaissances qui se poursuit depuis des siècles, voiredepuis des millénaires dans certains domaines commela théorie des nombres.

    Plus encore qu'en physique ou en chimie,les recherches mathématiques reprennent etapprofondissent des thèmes antérieurs. Euclide, dansla Grèce antique, étudiait déjà les propriétés desnombres premiers, ceux qui ne sont divisiblesque par eux-mêmes et par l'unité, comme 3,5, 7 ou 11 (mais pas 9, divisible par 3).Les mathématiciens d'aujourd'hui continuent de lesexplorer. Dans l'intervalle, les choses se sonténormément compliquées. La démonstration parEuclide de l'infinité de la suite des nombres premierstient en une demi-page. Aujourd'hui, lorsqu'unspécialiste de théorie des nombres prouve un théorèmeimportant, la démonstration peut prendre des centainesde pages et demander des mois, voire des années devérification par les spécialistes.

    C'est le cas des travaux de Harald Helfgott, unmathématicien péruvien né en 1977 et qui travailleen France, au département de mathématiques del'École normale supérieure. Ses recherches relèventdes mathématiques les plus pures, et ne se relientpas à des questions de physique comme celles deLaure Saint-Raymond ou de Cédric Villani. HaraldHelfgott doit faire au Congrès de Séoul un exposé trèsattendu sur la conjecture de Goldbach, qui constitueune énigme depuis 270 ans. Une conjecture est uneproposition que l'on suppose vraie, mais que l'on n'apas réussi à démontrer. Celle qui nous intéresse a étéémise en 1742 par Christian Goldbach, mathématicienallemand, dans une lettre adressée à son collèguesuisse Leonhard Euler. Elle énonce que tout nombre

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    pair plus grand que 2 peut s'écrire comme la sommede deux nombres premiers. Par exemple, 8 = 3 + 5, 12= 5 + 7, et ainsi de suite.

    Harald Helfgott © Exceptg

    Il n'est pas possible de tester un par un tous les nombrespairs pour vérifier qu'ils satisfont la conjecture deGoldbach, car cela prendrait un temps infini et pluspersonne ne serait là pour énoncer le résultat. Eneffet, la suite des nombres pairs est infinie, et l'on saitaussi depuis Euclide qu'il y a une infinité de nombrespremiers.

    Il faut donc trouver une démonstration qui s'appliqueà tous les nombres pairs, sans avoir besoin de lesénumérer un par un, mais en se servant de propriétésgénérales. Jusqu'ici, on a réussi à prouver que laconjecture est vraie pour la plupart des entiers pairs,mais non pour leur totalité. En 2013, Harald Helfgotta réussi à démontrer une version « faible » de laconjecture de Goldbach. Il a établi que tout nombreimpair plus grand que 5 est la somme de trois nombrespremiers (par exemple 15 = 7 + 5 + 3). Ce résultatne suffit pas à prouver la conjecture de Goldbachsous sa forme initiale. À l'inverse, si la conjecture« forte » était établie, la version « faible » en seraitune conséquence (en effet, tout nombre impair plusgrand que 5 peut s'écrire comme un nombre pair plus3 ; de sorte que si tous les pairs sont la somme de deuxnombres premiers, tous les impairs plus grands que 5sont la somme de deux premiers plus 3, donc de troispremiers).

    Harald Helfgott a ainsi démontré une partie de laconjecture vieille de 270 ans. Avant lui, Terence Tao,mathématicien australien d'origine chinoise (médailleFields en 2006), a prouvé en 2012 que tout nombreimpair pouvait s'écrire comme la somme de 5 nombrespremiers au plus. Ce résultat équivaut à une partiede celui de Helfgott, lequel était encore en cours devérification par les autres mathématiciens au débutde 2014. À Séoul, Helfgott présentera l'état le plusrécent de la question. Certains estiment que sonrésultat mériterait la médaille Fields. Mais même sile mathématicien péruvien est couronné en août, laconjecture de Goldbach « forte » résiste toujoursaux efforts des meilleurs spécialistes. Pourtant, ellepeut être formulée en termes compréhensibles par uncollégien.

    Même les maths les plus pures peuvent serévéler utiles

    Bien sûr, ce n'est pas le cas de la démonstration deHelfgott, qui utilise des instruments mathématiquestrès sophistiqués, inventés au cours du développementde la théorie des nombres. La conjecture de Goldbachest liée aux propriétés des nombres premiers,auxquelles beaucoup de grands mathématiciens sesont intéressés. Ils ont cherché à savoir comment lesnombres premiers se répartissaient dans la suite infiniedes entiers, ou s'il existait une règle permettant, à partird'un nombre premier donné, de déterminer le suivant.Ces problèmes simples à formuler ne sont toujours pasrésolus. On peut dresser la liste des nombres premiersjusqu'à une certaine valeur, et décrire leurs propriétés,mais cela ne répondra pas à la question pour tous lesnombres premiers. Or le mathématicien cherche une

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    solution rigoureuse, vraie dans tous les cas, et non,comme le physicien, une solution approchée, valableà une certaine marge d'erreur près.

    Graphique représentant les solutions à la conjecture de Goldbachpour les petits nombres. © Adam Cunningham et John Ringland

    Lorsque cette solution n'est pas obtenue avec lesnotions existantes, les mathématiciens inventent denouveaux concepts (l'une de leurs principales revuess'appelle fort à propos Inventiones mathématicae – soit« inventions mathématiques » en latin). Un nombreconsidérable de nouvelles notions a été inventé enliaison avec les nombres premiers, formant la base dece que l'on appelle la théorie algébrique des nombres.

    Cette dimension d'invention résulte de ce que lesmathématiciens cherchent à formuler des énoncésvrais dans tous les cas imaginables. Par exemple,l'espace ordinaire où nous évoluons a trois dimensions.En physique, on peut en introduire une quatrièmepour représenter le temps. Et même davantage danscertaines théories cosmologiques. On peut étudier lespropriétés de ces différents espaces de dimension finie.Mais pour le mathématicien, il n'y a aucune raison dese limiter à 10, 100 ou 100 000 dimensions. Pourquoine pas imaginer un espace possédant un nombreinfini de dimensions ? En fait, Hilbert a inventé

    ce concept au début du XXe siècle. Les espaces deHilbert sont devenus des outils utilisés dans la théoriedes équations aux dérivées partielles (le domaine deCédric Villani et de Laure Saint-Raymond) et serventaussi en physique quantique ou dans le traitement dusignal.

    Il arrive souvent que des concepts mathématiquestrouvent des applications inattendues, dans descontextes très différents de ceux où ils ont été

    inventés. En 1829, Évariste Galois, âgé d'à peinedix-huit ans, s'intéresse aux équations algébriques. Ilcherche à savoir s'il existe toujours un procédé pourcalculer les solutions d'une équation en combinantdes opérations simples sur les coefficients. En fait,plusieurs mathématiciens ont remarqué avant ÉvaristeGalois que si l'équation est de degré supérieur à 4,on n'arrive pas à trouver de formule qui permette dela résoudre de cette manière. Évariste Galois montrepourquoi les équations de degré 5 et au-delà ne sontpas solubles par la méthode traditionnelle. À partir dece problème, il fonde la théorie des groupes, l'un despiliers de l'algèbre moderne. La théorie des groupespermet de décrire des symétries, au sens large. Elle estaujourd'hui systématiquement utilisée en physique desparticules et en physique théorique.

    Équations de Navier-Stokes. © DR

    La théorie de Galois, élaborée à partir des travaux dujeune mathématicien français, continue de connaîtrede nouveaux développements du point de vuestrictement mathématique, qui feront l'objet d'exposésau Congrès de Séoul. Les résultats récents de cettethéorie relèvent des mathématiques pures, mais il sepeut qu'ils trouvent un jour de nouvelles applications.

    En 1940, le Britannique Godfrey Harold Hardy, grandspécialiste des nombres premiers, se flattait de n'avoir« jamais rien fait d'utile ». Il écrivait dans sonApologie d'un mathématicien : « Aucune de mesdécouvertes n'a directement ou indirectement, en bienou en mal, modifié d'un iota la beauté du monde. »Hardy poursuivait un idéal de mathématiques pures,détachées de toute finalité pratique, en partie parcequ'il détestait la guerre et les usages militairesdes sciences. Il défendait une esthétique desmathématiques vues presque comme un art. Mais ilse trompait : son domaine a trouvé d'importantes

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    applications concrètes en cryptologie. On se sertdes nombres premiers et de leurs propriétés pourchiffrer des messages, en particulier pour sécuriser lescommunications sur Internet. L'un des procédés decryptage le plus utilisés dans le commerce électroniqueet les échanges de données confidentielles, le systèmeRSA, est basé sur les nombres premiers.

    On pourrait en conclure que les mathématiques puressont moins désincarnées qu'il n'y paraît. En réalité,c'est le contraire : précisément parce qu'elles sontrigoureuses, abstraites et détachées de contingencesparticulières, les notions mathématiques peuvent êtretransposées d'un domaine à un autre.

    [[lire_aussi]]

    Des concepts dérivés des probabilités ont été récupéréspour développer les mathématiques financières qui ontpermis, entre autres, aux analystes de la City de créerles outils complexes tant décriés lors de la crise dessubprimes de 2008. Les mêmes objets mathématiquespeuvent servir à décrire des files d'attente, ou latransmission des communications sur des réseaux.Et ils peuvent servir à créer de nouveaux objetsmathématiques.

    La puissance des mathématiques est liée à leurcaractère ésotérique, et l'abstraction est le prix del'efficacité. En s'affranchissant du concret et deslimites de l'habitude, les concepts mathématiquespeuvent être transposés dans d'autres sciences etcontribuer à renouveler les cadres de pensée.

    Directeur de la publication : Edwy PlenelDirecteur éditorial : François BonnetLe journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS).Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007.

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