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Introduction
Les Etats-Unis doivent « identifier les Etats les plus sensibles du point de vue
géopolitique, ceux qui, par leur situation géographique ou du simple fait de leur existence,
peuvent avoir des effets catalyseurs sur des acteurs géostratégiques plus importants ou sur les
conditions régionales ». C’est ce qu’écrivait Zbigniew Brzezinski dans Le Grand Echiquier,
en 19971. Il évoquait plus loin la nécessité de « définir les moyens de les associer ou de les
contrôler, de façon à préserver et à promouvoir les intérêts vitaux des Etats-Unis ».
L’Ouzbékistan fait aujourd’hui partie de ces Etats.
L’Ouzbékistan est situé au cœur d’une région longtemps ignorée des relations
internationales : l’Asie centrale. Celle-ci se trouve à l’est de la mer Caspienne et se compose
de cinq Etat, indépendants depuis 1991 et tous membres de l’Organisation des Nations Unies
depuis le 2 mars 1992 : le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le Turkménistan et
l’Ouzbékistan. La délimitation de ce qu’on appelle « l’Asie centrale » dépend cependant de la
définition qu’en donnent les différents chercheurs. Pour Frederick Starr notamment,
spécialiste américain de la Russie et de l’Eurasie, l’Asie centrale ne se limite pas seulement
aux cinq Républiques que nous avons citées mais englobe également l’Afghanistan, pays
frontalier du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan2. Il s’agit ainsi d’une définition
plus large, qui revient en fait à inclure dans « l’Asie centrale » tous les Etats situés entre la
Russie, la Chine, le Pakistan et l’Iran. Nous ne retiendrons cependant pas cette définition, car
il semble que l’Afghanistan puisse être appréhendé de façon totalement indépendante. En
effet, malgré sa proximité géographique avec les cinq républiques centre-asiatiques, on peut
rapidement constater que son histoire a peu de choses en commun avec un quelconque autre
Etat de la région. Dans les années 1970, alors que les cinq républiques connaissaient une
certaine stabilité sous la domination soviétique, l’Afghanistan se plongeait dans une guerre
civile sans fin, « une guerre de destruction nationale » selon l’expression de Larry P.
Goodson3. Celle-ci allait conduire à la prise du pouvoir par les talibans en 1996, puis à la
1 Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier (The Grand Chessboard), Paris, Hachette, 1997, p.672 C’est ce qu’il affirme dans l’article « Making Eurasia Stable », Foreign Affairs, vol.75, n.1, janvier-février 1996, p.803 Larry P. Goodson, Afghanistan’s Endless War: State Failure, Regional Politics, and the Rise of the Taliban , Washington DC, Washington Press, 2001, p.55
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campagne d’Afghanistan en 2001. En raison de cette spécificité historique de l’Afghanistan, il
paraît donc plus pertinent de ne pas l’inclure dans ce que l’on appelle « l’Asie centrale ».
Néanmoins, on ne peut nier que les destins de l’Asie centrale et de l’Afghanistan aient
été intimement liés par le passé, et notamment au XIXème siècle. La région dans son
ensemble était alors le terrain privilégié de la rivalité entre deux grandes puissances
mondiales, l’une maritime et l’autre continentale : l’Angleterre et la Russie. Dans la course à
l’empire qui caractérisait les relations internationales, l’Asie centrale et l’Afghanistan
formaient une région géostratégique de premier ordre, située entre la Russie tsariste et les
Indes britanniques. Lorsque l’Angleterre décida d’occuper le sud de l’Afghanistan, la Russie
ne put que répliquer à ce qu’elle percevait alors comme « une menace directe contre ses
intérêts », en envahissant à son tour, progressivement, l’ensemble de l’Asie centrale jusqu’à
ce qu’elle parvienne aux portes de l’Afghanistan4. C’est cette rivalité lourde de conséquences
que l’écrivain anglais Rudyard Kipling nomma « le Grand Jeu » (« the Great Game »). Face à
l’incapacité des deux puissances à asseoir leur domination sur l’ensemble de l’Afghanistan,
celui-ci fut transformé en un « Etat-tampon » (« buffer state ») avant qu’il ne parvienne
finalement à assurer son indépendance. En revanche, l’Asie centrale demeura sous occupation
russe, puis sous occupation soviétique, des années 1870 jusqu’en 1991. Mohammed Reza-
Djalili et Thierry Kellner soulignent que durant cette période, « l’Occident est resté
étrangement distant et indifférent à l’égard de la région », désormais rattachée à la zone de
domination russe5. L’Asie centrale ne constituait donc plus une région géostratégique pour les
puissances occidentales, et devint ainsi une zone d’ombre au sein des relations internationales.
On peut considérer qu’elle le resta jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
En effet, malgré la chute de l’Union Soviétique et la transformation en 1991 des cinq
Républiques Socialistes Soviétiques en Républiques indépendantes, l’Asie centrale demeura
fortement liée à la Russie. Les nouveaux Etats furent notamment intégrés à la Communauté
des Etats Indépendants, et parvinrent difficilement à affirmer leur autonomie en matière de
politique étrangère. Ils demeurèrent donc dans ce que Pierre Conesa qualifie de « zone grise »,
c’est-à-dire une zone présentant peu d’intérêt, politique ou économique, sur la scène
internationale6.
Le 11 septembre 2001 est indéniablement une date charnière dans l’histoire de l’Asie
centrale. On peut considérer qu’elle marque la fin de la période post-soviétique pour les Etats 4 Amalendu Misra, Afghanistan, Cambridge, Polity Press, 2004, p.165 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, Paris, PUF, 2001, p.856 Pierre Conesa, « Géographie du ‘monde inutile’ », Manière de voir, n.60, novembre-décembre 2001, p.22
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s’étant engagés aux côtés des Etats-Unis dans l’opération « Liberté Immuable », visant à
renverser le régime taliban et à mettre un terme aux activités du groupe Al Qaida. Ces Etats
sont principalement l’Ouzbékistan, le Kirghiztan et le Tadjikistan. Le Kazakhstan, plus
proche de la Russie que de l’Afghanistan, n’a été touché que dans une moindre mesure par ce
bouleversement. Le Turkménistan, pour sa part, a préféré rester politiquement neutre. Si l’on
se fie à une distinction quelque peu manichéenne, mais néanmoins efficace, opérée par Pierre
Conesa, on peut alors dire que l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan seraient passés
du « monde inutile » au « monde utile » en septembre 20017. Quatre des cinq républiques
ayant ouvert leur espace aérien aux forces américaines déployées autour de l’Afghanistan,
celles-ci ont soudainement été portées sur le devant de la scène internationale. Selon
Catherine Poujol, elles ont alors « gagné en terme de visibilité internationale et de
médiatisation »8.
C’est donc l’intensification des activités terroristes du groupe Al Qaida, brutalement
révélée au monde occidental par les attentats du 11 septembre, qui a mené le gouvernement
américain à prendre conscience de l’émergence d’une nouvelle menace et à s’intéresser de
plus près aux républiques d’Asie centrale. Cette nouvelle menace, c’est celle du terrorisme
transnational, c’est-à-dire d’une forme de terrorisme qui ne cherche pas uniquement à
produire des effets sur un territoire donné, mais qui s’emploie au contraire à influencer le
cours des relations internationales. Le terrorisme étant devenu l’enjeu principal de la politique
étrangère des Etats-Unis après le 11 septembre, il semble nécessaire d’en rappeler ici
certaines définitions. Le Département d’Etat, qui élabore la politique étrangère américaine, a
précisé la sienne dans le rapport « Patterns of Global Terrorism 2003 » : il s’agit selon lui
d’une « violence préméditée, à mobile politique, qui est perpétrée à l’encontre de cibles non
combattantes par des groupes internes à un pays ou des agents clandestins dont le but est
généralement d’influer sur un public »9. Paradoxalement, le terrorisme transnational ne
semble pas être évoqué par cette définition qui ne prend en compte que les groupes terroristes
propres à un pays, ou les « agents clandestins », c’est-à-dire des individus agissant pour le
compte d’un Etat. Le Département d’Etat a cependant complété sa définition en précisant les
caractéristiques d’une forme particulière de terrorisme : « le terrorisme international ». Celui-
ci doit être compris comme le terrorisme « qui met en jeu des citoyens ou les territoires de
plusieurs pays ». Il existe de nombreux autres essais de définition de ce qu’est le terrorisme. 7 Ibid, p.278 Catherine Poujol, L’Islam en Asie centrale, vers la nouvelle donne, Paris, Ellipses, 2001, p.659 Département d’Etat, Counterterrorism Office, « Patterns of Global Terrorism 2003 », publié en avril 2004.
3
Ainsi selon Gérard Soulier, « il n’y a pas le terrorisme mais une grande variété de situations et
de formes »10. Il distingue notamment le terrorisme fondé sur une revendication nationale, le
terrorisme qui conteste les démocraties et le terrorisme international. Les activités du groupe
Al Qaida semblent répondre à ces deux dernières catégories. Face à cette difficulté de
définition, nous appellerons « terrorisme transnational » toute forme de terrorisme impliquant
les territoires de plusieurs Etats, et organisé par des individus de différentes nationalités
pouvant se déplacer d’un territoire à un autre en fonction des perspectives de développement
offertes par les conditions politiques propres à chaque Etat. Car c’est bien là que se trouve le
nouveau défi pour les dirigeants américains : les nouveaux mouvements terroristes sont
difficilement identifiables de par leur fonctionnement en réseaux, dont les cellules de base ne
sont composées que de peu d’individus ayant en général des contacts limités avec les autres
cellules. De plus, les ramifications des réseaux terroristes semblent aujourd’hui s’étendre sur
les territoires de nombreux Etats : c’est ce que Murielle Delaporte et Robin Laird appellent la
« mondialisation de la menace »11. Ceci explique les difficultés d’identification des groupes
terroristes auxquelles est confrontée l’administration Bush. C’est dans ce contexte particulier
qu’elle a été contrainte, à la suite des attentats du 11 septembre, de s’allier aux gouvernements
se montrant désireux de participer à ses côtés à la lutte contre le terrorisme. Il s’agit bien là
d’une nouvelle conjoncture, dans laquelle les propos de Zbigniew Brzezinski prennent à
nouveau tout leur sens. Selon Marwan Bishara, la question principale à laquelle doivent
répondre les Etats-Unis est donc celle du « niveau de dangerosité des nouvelles menaces »,
qui est fonction du contexte régional dans lequel elles se développent12.
Les républiques d’Asie centrale, jusque là négligées par la politique étrangère des
Etats-Unis, ont ainsi été associées à la « guerre contre le terrorisme » déclarée par le
gouvernement américain le 20 septembre, dans un discours de George W. Bush au Congrès.
Elles ont participé à la campagne d’Afghanistan déclenchée le 7 octobre 2001, jusqu’à ce que
les talibans annoncent leur capitulation le 7 décembre de la même année. La coopération des
gouvernements centre-asiatiques avec les Etats-Unis aurait alors pu prendre fin, en même
temps que disparaissait la menace posée par les talibans et par le groupe Al Qaida en
Afghanistan. Néanmoins, les Etats-Unis ont été amenés à considérer que la menace terroriste
demeurait vivace dans les pays bordant l’Afghanistan. Cette perception de la menace se 10 Gérard Soulier, « Comment lutter contre le terrorisme ? », Manière de voir, n.60, novembre-décembre 2001, p.4011 Murielle Delaporte, Robin Laird, «Les nouvelles perspectives de la politique militaire et de sécurité américaine après les attentats du 11 septembre », Institut Défi-Consultants, décembre 2002, p.1212 Marwan Bishara, « L’ère des conflits asymétriques », Manière de voir, n.60, op. cit., p.29
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fondait alors sur l’existence de plusieurs mouvements islamistes en Asie centrale. Il convient
ici de rappeler ce qu’est l’islamisme, afin de comprendre quelle menace il pourrait représenter
pour les Etats-Unis. D’après une définition de Laurent Vinatier, l’islamisme consiste en « un
mouvement politique qui prône une islamisation générale des institutions et du gouvernement
de l’Etat. Il veut l’application politique, sociale et économique des préceptes du Coran et de la
Sunna (la Tradition du Prophète), de tout ce qui fonde le droit islamique, de tout ce qui
compose la Loi islamique, dans la perspective de constituer un Etat dont le principe ne
reposerait que sur la religion : le droit positif s’y réduirait au droit islamique »13. En Asie
centrale, les mouvements islamistes ont rapidement été assimilés à une menace terroriste, tant
par les gouvernements centre-asiatiques que par les Etats-Unis. Ces derniers y ont même vu
une menace transnationale susceptible de compromettre un jour les intérêts américains, à
l’étranger ou sur leur territoire. De fait, selon Marwan Bishara, on assiste bien à l’émergence
d’une « nouvelle génération cosmopolite d’islamistes faisant planer une menace globale »14.
Pour comprendre cette perception d’une menace terroriste en Asie centrale, il apparaît donc
nécessaire de se pencher au préalable sur les conditions ayant entouré l’émergence des
mouvements islamistes, ainsi que sur leurs caractéristiques propres.
Face à la menace du terrorisme transnational, les Etats-Unis ont fait le choix de
soutenir tout Etat qui localiserait un mouvement terroriste sur son territoire, et qui se
montrerait déterminé à le combattre. Si plusieurs Etats centre-asiatiques ont été associés à la
lutte contre le terrorisme, c’est l’Ouzbékistan qui est rapidement devenu le partenaire
principal des Etats-Unis dans la région. En témoigne le rapport sur l’Ouzbékistan publié par le
Département d’Etat en février 2005, dans lequel on peut lire ceci: « En tant que pays le plus
peuplé et centre géographique et stratégique en Asie centrale, l’Ouzbékistan joue un rôle clef
dans la région. En conséquence, les Etats-Unis ont développé une large coopération couvrant
les questions politiques, militaires, économiques, commerciales, ainsi que les questions liées
aux droits de l’Homme, à la non-prolifération, et à l’aide financière »15. Cette déclaration du
Département d’Etat laisse donc penser que l’Ouzbékistan serait devenu un allié privilégié des
Etats-Unis, dans la nouvelle conjoncture issue des attentats du 11 septembre 2001. Avant cette
13 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, Paris, Armand Colin, 2002, p.1214 Marwan Bishara, “L’ère des conflits asymétriques”, op. cit., p.2915 En anglais dans le texte : “As the most populous country in Central Asia and the geographic and strategic center of Central Asia, Uzbekistan plays a pivotal role in the region. The United States accordingly has developed a broad relationship covering political, human rights, military, nonproliferation, economic, trade, assistance, and related issues”, Département d’Etat, Bureau of European and Eurasian Affairs, Background Note: Uzbekistan, Washington DC, février 2005
5
date, la faible intensité des relations diplomatiques entre les deux pays ne laissait pourtant pas
entrevoir un tel rapprochement. Pour comprendre les enjeux de cette récente coopération, il
nous faudra donc chercher à discerner les avantages présentés par l’Ouzbékistan, en
comparaison avec les autres républiques d’Asie centrale. On peut également se demander de
quel type d’intérêts relève la volonté de l’Ouzbékistan de devenir le partenaire des Etats-Unis
en Asie centrale. S’il s’agit d’une coopération aux abords flous, nous nous efforcerons de la
rendre plus claire et plus intelligible tout au long de ce travail. C’est également dans cette
optique que nous établirons au préalable une brève présentation du régime politique de
l’Ouzbékistan depuis son indépendance, en 1991.
6
Chapitre introductif : le système politique en
Ouzbékistan depuis l’indépendance
Indépendance et adhésion aux organisations internationales
L’Ouzbékistan est la première République Socialiste Soviétique d’Asie centrale à
avoir affirmé sa souveraineté. Islam Karimov, alors Premier Secrétaire du Parti Communiste
ouzbek, intervient le 6 juillet 1990 au XXVIIIè Congrès du Parti Communiste de l’Union
Soviétique (PCUS) pour demander la souveraineté et l’égalité juridique des membres de
l’Union. Il y souligne le rôle positif des Partis Communistes républicains, qui selon lui
devraient se voir reconnaître une autonomie totale dans la fixation de leurs programmes, et
affirme que l’Union ne devrait disposer que des pouvoirs qui lui auraient été attribués par les
républiques fédérées. En août 1991, la tentative des putschistes d’isoler le président
Gorbatchev en Crimée a pour conséquence d’accélérer la dissolution de l’Union soviétique.
Les évènements se précipitent alors en Ouzbékistan. Le 23 août, le président Karimov
annonce sa démission du Politburo du PCUS, puis le 24 août tous les biens du Parti sont
déclarés propriété nationale. Le 28 août, le PC ouzbek quitte le PCUS pour devenir le « Parti
démocratique populaire ». Enfin, le Soviet Suprême ouzbek proclame le 31 août
l’indépendance de l’Ouzbékistan ainsi que le changement d’appellation de la « République
Socialiste Soviétique d’Ouzbékistan », qui devient la « République d’Ouzbékistan ».
Le 8 décembre 1991 à la réunion de Minsk, l’URSS est remplacée par la Communauté
des Etats Indépendants (CEI). L’Ouzbékistan n’y adhère qu’après la tenue des élections
présidentielles nationales le 29 décembre 1991, date à laquelle l’indépendance du pays est
également confirmée par référendum. Dès lors, l’Ouzbékistan va rejoindre de nombreuses
organisations, régionales et internationales, le plus souvent à travers une procédure commune
à toutes les nouvelles républiques indépendantes d’Asie centrale. Elles rejoignent ainsi le 30
janvier 1992 l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), à laquelle
appartiennent déjà de nombreux Etats européens et nord-américains. Le 2 mars 1992, elles
9
deviennent toutes membres des Nations Unies. L’Ouzbékistan adhère enfin au Fonds
Monétaire International (FMI) ainsi qu’à la Banque Mondiale en septembre 1992.
En revanche, l’Ouzbékistan refuse de rejoindre le groupe régional « Shangai 5 » créé
le 26 avril 1996 par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, et dont
l’objectif est d’établir une politique de sécurité cohérente entre les grandes puissances et les
Etats d’Asie centrale. Il s’agit, pour l’Ouzbékistan, de préserver son autonomie par rapport
aux deux grandes puissances régionales en ne participant pas à une organisation impliquant
une coopération militaire, dans le domaine de la surveillance des frontières notamment.
Un régime politique présidentiel et laïc
Le trait commun des régimes centrasiatiques se trouve dans leur caractère présidentiel
et laïc, que l’on peut considérer comme étant l’héritage principal du régime soviétique.
La Constitution de la République d’Ouzbékistan indépendante est promulguée le 8
décembre 1992. Elle instaure dans son article 10 le suffrage universel direct pour l’élection du
Président et du Parlement (« Oliy Majlis »). Le Parlement est constitué de 150 députés élus
pour un mandat de cinq ans (art.77). Ces deux organes constitutionnels n’ont cependant pas
les mêmes prérogatives : la quasi-totalité des pouvoirs appartient au Président et en particulier
celui de nomination, tandis que le Parlement ne possède pas véritablement de rôle politique.
Le Premier ministre, nommé par le Président, est certes responsable devant l’Assemblée
comme dans tout régime parlementaire, mais le Président possède en contrepartie le droit de
dissoudre l’Assemblée. L’article 93 de la Constitution énumère d’ailleurs les pouvoirs du
Président, parmi lesquels on trouve notamment : représenter la République d’Ouzbékistan
dans les affaires domestiques et dans les relations internationales ; conduire les négociations,
signer les traités internationaux et garantir leur respect ; nommer et révoquer les diplomates et
autres représentants à l’étranger ; former l’administration et la diriger, mettre en place et
dissoudre les ministères, les comités d’Etat et les autres corps de l’administration ; nommer et
révoquer les juges des tribunaux régionaux, de districts, municipaux et d’arbitrage ; proclamer
l’état d’urgence dans l’ensemble du pays ou dans une localité particulière ; proclamer l’état de
guerre ; servir en tant que commandant-en-chef suprême des forces armées ; accorder
l’amnistie ou la grâce présidentielle ; ou encore former les services de sécurité et de
10
renseignement de l’Etat. La Constitution confère donc au Président des pouvoirs très larges, et
instaure ainsi un régime présidentiel fort.
La laïcité est également au cœur du nouveau régime, bien que 92% des ouzbeks se
considèrent comme musulmans selon un rapport de l’International Crisis Group (ICG)16. Elle
est reconnue par la Constitution, qui n’affirme à aucun moment la prééminence de la religion
musulmane dans les institutions de l’Etat. En outre, le texte constitutionnel reconnaît dans son
article 31 que « la liberté de conscience est garantie à tous. Chacun a le droit de professer ou
non une religion. Toute imposition forcée d’une religion est interdite ». D’autre part, l’article
57 de la Constitution ainsi que le Code Pénal de la République d’Ouzbékistan interdisent les
partis religieux militants, privant ainsi les partis islamiques nés pendant la perestroïka de toute
reconnaissance juridique. On peut citer à ce sujet les propos d’Islam Karimov, d’après son
livre Uzbekistan on the threshold of the 21st century : threats to security, conditions and
guarantees to progress publié en 1997 : “Nous n’admettrons jamais que des slogans religieux
soient introduits sur la bannière de la lutte pour le pouvoir […] car nous voyons en ceci une
menace potentielle sérieuse à la sécurité et la stabilité de notre Etat ».
La dérive autoritaire du système politique
Depuis 1989, l’exercice réel du pouvoir appartient à Islam Karimov. Sous le régime
soviétique, il est nommé Premier Secrétaire du Parti Communiste ouzbek puis président du
Conseil des Ministres en novembre 1990, et devient ainsi l’homme fort de la République
Socialiste Soviétique d’Ouzbékistan. Aux élections du 29 décembre 1991, il se présente en
tant que candidat du Parti démocratique populaire et est élu premier président de la
République indépendante d’Ouzbékistan17. C’est surtout à partir de 1993 qu’il renforce ses
pouvoirs, encouragé par la menace que constitue le développement de l’islamisme dans la
vallée de Ferghana18. Les principaux opposants sont contraints de quitter le pays : ainsi
Mohammed Salih, leader du parti Erk (« Liberté »), d’inspiration libérale et assez critique à
l’égard du Président, qui doit se réfugier en Norvège où il est toujours actuellement. Il est
d’ailleurs dans l’impossibilité de revenir en Ouzbékistan où d’après Laurent Vinatier, il serait
16 ICG, Is radical Islam Inevitable in Central Asia ? Priorities for engagement, Asia Report n.72, Osh/Bruxelles, 22 décembre 2003, p.817 Tous les chefs d’Etat actuels des républiques d’Asie centrale sont d’anciens dirigeants de la période soviétique, exception faite du Kirghizstan depuis les évènements de mars 2005 et le renversement du régime d’Askar Akayev.18 Voir Partie 1, Chapitre 1 : « Culture musulmane et mouvements islamistes en Ouzbékistan ».
11
probablement arrêté et éxécuté. Il n’y a donc plus d’opposants véritables au régime de
Karimov dès le milieu des années 1990, du moins dans la légalité. En mars 1995, Islam
Karimov annule les élections présidentielles et choisit de soumettre la reconduction de son
mandat à un référendum. Il est alors plébiscité par 99% des voix : ce score exceptionnel nous
conduit à suggérer, avec Laurent Vinatier, que « les résultats sont probablement faussés par le
bourrage des urnes ou par les pressions qu’exerce la police sur le corps électoral »19. Aux
élections présidentielles du 9 janvier 2000, Islam Karimov est à nouveau réélu avec 91,9%
des voix. Il n’avait alors qu’un seul opposant, Abdoulkhafiz Djalalov, membre du Parti
démocratique populaire c’est-à-dire précisément le parti qui l’avait investi en 1991. Celui-ci
reconnaissait d’ailleurs, lors d’une interview à la télévision ouzbèke en décembre 1999, qu’il
allait lui-même voter pour Islam Karimov et que par conséquent cette concurrence électorale
n’avait pas véritablement de sens20. La candidature du président sortant était également
soutenue par le Parti Adolat (« Parti de la Justice ») et le Parti Fidokkorlar (« Parti altruiste »).
Enfin, en 2002, le Président soumet au référendum le prolongement de son mandat à deux
années supplémentaires : avec une victoire du oui à 91%, le mandat présidentiel passe donc de
cinq à sept ans, et les prochaines élections présidentielles sont ainsi reportées à l’année 2007.
On peut remarquer que la technique du plébiscite, en lieu et place des élections, est une
pratique plutôt courante en Asie centrale. En janvier 1994, le président turkmène Saparmurat
Nyazov s’était fait réélire sans concurrent pour un mandat de 8 ans, avec 99% des voix, avant
d’être nommé président à vie en janvier 2000. Selon Erkin Khalilov, président du Parlement
ouzbek et initiateur du référendum de 2002, de nombreux députés et fonctionnaires lui
auraient signalé leur désir de voir Islam Karimov devenir à son tour président à vie. C’est ce
qui fait dire à Laurent Vinatier qu’ « il n’est pas courant dans l’histoire politique mondiale de
voir un Parlement accepter avec bonne grâce l’accroissement démesuré du poids de l’éxécutif.
C’est le cas en Ouzbékistan »21.
En Ouzbékistan, le processus électoral apparaît donc avant tout comme un processus
de cooptation. Il n’existe pas d’opposition véritable dans le système politique légal. Par
exemple, aux élections législatives de 1994, seuls les partis soutenant le président sont
parvenus à obtenir une représentation parlementaire. Il existe actuellement cinq partis
officiels. Le plus important d’entre eux est le Parti démocratique populaire, successeur du
Parti Communiste ouzbek de l’époque soviétique. Malgré la candidature d’Abdoulkhafiz
Djalalov, on peut toujours le considérer comme étant le parti du Président, d’autant qu’il 19 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.3320 Ibid, p.4221 Ibid, p.42
12
contrôle la majorité des institutions élues. Le parti Adolat, qui a été créé en 1994, est plutôt
considéré comme un groupe de réfléxion. Il a soutenu la candidature d’Islam Karimov aux
élections de janvier 2000, et il semble même que sa plate-forme électorale soit directement
préparée par le Président. Le Parti de la Renaissance nationale recommande quant à lui de la
patience dans l’évolution de la vie politique. Si l’on appliquait la répartition française des
partis sur l’échiquier politique à l’Ouzbékistan, on pourrait dire qu’il s’agit d’un parti plutôt
centriste et modéré. Le quatrième parti est celui du Progrès et de la Patrie, qui rassemble des
intellectuels dévoués au Président et qui s’adresse surtout aux jeunes, chez qui il voit la base
de son électorat futur. Enfin, le parti Fidokkorlar est le parti le plus jeune dans sa composition.
Il s’intéresse aux jeunes talents et les aide à accomplir leurs projets au nom du gouvernement.
Ces cinq partis sont ceux ayant obtenu l’autorisation du Ministère de la Justice de se présenter
aux élections. On peut noter que le parti Birlik (« Unité »), un parti plutôt nationaliste qui
souhaitait promouvoir la spécificité musulmane du pays lors de l’indépendance, a tenté à
plusieurs reprises de s’inscrire aux élections législatives. L’autorisation lui a toutefois été
constamment refusée par le Ministère de la Justice, qui estimait que ses listes de signatures
étaient faussées. Lorsque l’affaire fut portée devant la Cour Suprême ouzbèke, celle-ci déclara
qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur ce type de décision.
L’absence de partis d’opposition au sein du Parlement et la nomination des juges de
nombreux tribunaux par le Président nous permet de dire qu’il n’existe pas, en Ouzbékistan,
de véritables contre-pouvoirs face à l’autorité d’Islam Karimov. Par ailleurs, selon Kimberly
Marten, il n’est pas certain que l’armée ouzbèke constitue un pouvoir autonome au sein du
pays : celle-ci serait plutôt soumise à l’influence des clans favorisés par le régime de
Karimov22. Face à ce constat, on peu donc affirmer avec Marie Jégo que les 16 années de
règne d’Islam Karimov lui ont permis d’établir en Ouzbékistan un système de pouvoir
particulier, fait d’un « mélange de soviétisme et de clanisme »23.
22 Kimberly Marten, “Assessing the ‘war on terror’ in Central Asia”, Séminaire, Center for Strategic and International Studies, Washington DC, 3 mai 2004, p.923 Marie Jégo, « Le “système Karimov”: un mélange de soviétisme et de clanisme au service d’un pouvoir féroce », Le Monde, 15 mai 2005
13
Les attentats du 11 septembre 2001 ont brutalement poussé les Etats-Unis et le reste
monde occidental à s’intéresser à l’Asie centrale, une région longtemps ignorée parce
qu’enclavée et traditionnellement dominée par l’influence russe. Outre la campagne
d’Afghanistan débutée en octobre 2001, l’intérêt posé par cette région semble être l’apparition
récente de mouvements islamistes pouvant à terme représenter une véritable menace terroriste
à l’égard du monde occidental. Témoin de cette préoccupation nouvelle, l’inscription dès le
15 septembre 2000 du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MIO) sur la liste des
organisations terroristes dénoncées par le Département d’Etat américain. Il convient donc de
s’intéresser à cette perception d’une menace terroriste par les Etats-Unis, afin d’en
comprendre les fondements et de pouvoir ensuite en saisir les conséquences quant à
l’évolution des relations diplomatiques liant ces deux pays. Pour ce faire, nous étudierons le
contexte politique et religieux ayant entouré l’émergence de mouvements islamistes en
Ouzbékistan: nous analyserons d’abord les caractéristiques de la tradition musulmane propre à
l’Asie centrale, une tradition modérée qui semblait fournir un environnement peu propice au
développement de l’islamisme dans la région ; le phénomène de revivalisme religieux qui
apparaît avec l’affaiblissement puis la chute de l’Union soviétique permet néanmoins à
certaines tendances islamistes de se développer au cours de la décennie 1990, en Ouzbékistan
et dans les pays voisins. Nous distinguerons deux mouvements islamistes : le Mouvement
Islamique d’Ouzbékistan et le Hizb ut-Tahrir, qui constituent depuis la fin des années 1990 la
principale menace dirigée contre le régime ouzbek. Nous les étudierons ensuite à travers leurs
origines, leurs revendications et leurs modes d’action, en vue de comprendre la complexité de
la menace islamiste en Ouzbékistan et les raisons de la perception américaine d’une menace
terroriste liée à ces mouvements.
15
Chapitre 1 : Culture musulmane et mouvements islamistes en
Ouzbékistan
La tradition musulmane modérée des populations centrasiatiques, issue de plusieurs
siècles de pratique soufie et de prééminence de l’école hanafite, aurait pu laisser croire que les
mouvements islamistes ne parviendraient jamais à s’implanter dans la région. Cependant, on
assiste dès la fin de la décennie 1980 à un phénomène de revivalisme religieux, qui offrira des
conditions plus favorables au développement de l’islamisme en Ouzbékistan.
Une tradition islamique modérée confrontée au revivalisme religieux des
années 1990
En Ouzbékistan comme dans les autres républiques d’Asie centrale, la pratique
contemporaine de l’Islam ne peut être envisagée en dehors d’une perspective historique. C’est
en effet au fil des invasions successives que s’est forgée une culture musulmane spécifique à
cette région. Dès le milieu du VIIè siècle, les premières invasions arabes apportent une foi
nouvelle, l’Islam, qui se conjuguera alors avec les traditions locales. Malgré le court séjour
des armées arabes dans la région, l’Islam s’implante aisément et plusieurs royaumes
musulmans indépendants apparaissent même aux IXè et Xè siècles, le plus important étant
incontestablement celui des Samanides. De langue persane, ceux-ci choisissent Boukhara
pour capitale et en font l’un des centres culturels les plus rayonnants du monde islamique. Les
invasions se succéderont alors : celle des Turcs Seldjoukides au XIè siècle puis celle des
Mongols menés par Gengis Khan au XIIIè siècle. Puis, au XIVè siècle, l’immense empire
constitué par Tamerlan redonne enfin sa grandeur à l’Asie centrale en la plaçant au cœur de la
Route de la Soie. C’est précisément à cette époque que se développent les confréries soufies,
et particulièrement la Naqchbandiyya24, qui encadrent la pratique de l’Islam et exerceront au
cours des siècles suivants une influence notable sur les pouvoirs politiques en place. Apparu
au cours des invasions mongoles, le soufisme avait déjà acquis un poids politique important
24 La Naqchbandiyya, fondée par Baha’ouddin Naqchband, devient très vite la plus importante des confréries soufies par son audience populaire. Originaire de Boukhara, sa capacité d’adaptation aux changements politiques et sociaux lui permet d’acquérir un rôle historique dans la culture musulmane de la région. Les autres confréries soufies d’Asie centrale sont : la Qaderiyya, la Yasawiyya et la Kubrawiyya. Pour une étude synthétique mais claire de ces confréries, voir Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, Paris, Armand Colin, 2002, p. 82-85
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en s’associant aux princes d’Asie centrale, lesquels se prévalaient volontiers du rôle de
défenseurs de la foi islamique contre les envahisseurs infidèles. Il acquiert également un rôle
social par le biais de ses confréries qui pratiquent largement la charité, allant même jusqu’à
donner parfois du travail aux désoeuvrés. Mais avant tout, l’apport du soufisme à cette époque
consiste en un encadrement de la pratique de l’Islam au sein des populations centre-asiatiques.
Il s’agit d’un encadrement plutôt libéral, menant à une pratique religieuse se voulant ouverte
et adaptable aux sociétés d’Asie centrale. Ainsi, laissant de côté le fondamentalisme du Texte,
il encourage plutôt les pratiques personnelles et tend à promouvoir un Islam qui s’inspire
davantage de la tradition propre au lieu. Il est mué par le souci de rester en accord avec le
monde des hommes, ce qui a donné lieu au précepte « solitaire dans le monde » repris par les
Naqchbandis. Si l’intervention des érudits tels que les mollahs n’est pas souhaitée, le soufisme
instaure néanmoins une structure précise à la pratique religieuse à travers le lien très étroit qui
doit unir les maîtres spirituels à leurs disciples. L’apprentissage dispensé par ces maîtres passe
avant tout par l’humilité des croyants, la richesse venant exclusivement de la relation avec
Dieu qu’ils invoquent tour à tour par des prières silencieuses, par des chants ou même des
danses, les plus connues étant celles des Derviches tourneurs. Le soufisme se manifeste
également par le culte des saints qui se concrétise notamment sous la forme de nombreux
pèlerinages, par exemple sur le tombeau de Baha’ouddin Naqchband à Boukhara, devenu un
véritable lieu saint de l’Islam dans la région. Ainsi, si le fondement de la croyance doit
demeurer la charia, le soufisme d’Asie centrale s’est efforcé de concilier pratique de l’Islam et
mode de vie centre-asiatique, afin de repousser par là-même toute dérive radicale ou
fanatique.
A ces éléments sur la culture soufie en Asie centrale, il convient d’ajouter quelques
précisions concernant la forme juridique de l’Islam adopté dans la région. En effet, c’est
l’Islam de rite hanafite25, par opposition au rite hanbalite, qui s’est rapidement imposé et qui
domine toujours la région. L’école juridique hanafite est avant tout caractérisée par la grande
liberté d’interprétation personnelle laissée aux oulémas, autorisant de cette façon les
divergences d’opinion au sein de la communauté. De même que le soufisme, elle encourage
une pratique tenant compte de l’environnement du fidèle, ce qui permet en quelque sorte « la
réinvention locale de la Tradition du Prophète »26, la Sunna. C’est ainsi qu’elle s’oppose à
l’école hanbalite, laquelle ne reconnaît aucun recours au jugement personnel pour favoriser un
respect absolu des textes et un mode de vie basé sur l’imitation de la Sunna. Il est intéressant 25 Du nom de son fondateur, Abu Hanifa (VIIIè siècle). L’école hanbalite est elle issue de Ibn Hanbal (IXè siècle).26 Laurent Vinatier, op. cit.,p.94.
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de noter que ces deux écoles se sont longuement affrontées en Asie centrale, tentant chacune
d’imposer leur pratique de la religion et ce notamment au XVIIIè siècle lorsque sont apparus
des mouvements anti-confréristes tels que le wahhabisme. Ces mouvements, radicalement
opposés au culte des saints, considèrent que la tradition musulmane centre-asiatique fondée
sur une pratique tolérante ne pourrait à terme qu’affaiblir l’Islam. Ils préconisent donc une
régénération de la culture religieuse visant à recréer rapidement une pratique épurée de la loi
islamique. Dans la résistance à l’occupation soviétique qui marque le début du XXè siècle,
ces mouvements inspirés du hanbalisme semblent progresser parmi les populations et ce
principalement grâce à un discours affirmant la nécessité de résister à l’envahisseur impie par
un retour à un islam pur. C’est en effet à cette époque que les soviétiques adoptèrent des
mesures très répressives pour éradiquer la pratique de l’islam dans les régions conquises. La
plupart des mosquées furent fermées et transformées en ateliers, le port du voile fut interdit
ainsi que l’apprentissage du Coran27. Malgré la répression féroce qui s’abattait sur celles et
ceux qui tentaient de perpétuer la culture musulmane dans la région, des madrasas et des
mosquées non répertoriées émergèrent dans toute l’Asie centrale et en particulier dans la
vallée de Fergana, conduisant à l’établissement d’un islam clandestin véritablement organisé.
Celui-ci fut porté à la fois par les confréries soufies et par les mouvements inspirés de l’école
hanbalite, qui parvinrent à maintenir les pratiques religieuses grâce à la diffusion clandestine
de textes religieux et par les voyages dans toute l’Asie centrale de mollahs itinérants qui
célébraient les rites religieux dans les familles28. L’islam fut ainsi considéré comme l’un des
traits principaux de la culture propre des sociétés d’Asie centrale, et sa survie devint alors un
élément essentiel de la résistance des peuples centre-asiatiques à l’occupation soviétique.
Néanmoins, on peut aujourd’hui affirmer que même dans ce contexte particulier, le
hanbalisme ne parvint pas à devenir majoritaire dans la région, l’identité islamique centre-
asiatique demeurant basée sur un soufisme populaire mêlé de traditions locales29. Cette
prépondérance durable de l’école hanafite et du soufisme parmi les populations, malgré des
circonstances qui auraient déjà pu encourager une certaine radicalisation de la pratique de
l’islam, est une caractéristique fondamentale de la culture musulmane en Asie centrale. Elle
27 Selon Ahmed Rashid, il ne restait plus que 60 mosquées en Ouzbékistan en 1935, voir Asie Centrale, champ de guerres, Paris, Autrement, 2002, p.4528 Laurent Vinatier décrit le rôle des « mollahs parallèles » et des confréries soufies dans l’encadrement intellectuel de l’islam populaire durant la période soviétique, op. cit., pp.136-13829 Un rapport du Sénat français affirme même que l’islam clandestin pendant l’occupation soviétique « a plutôt joué le rôle d’un conservatoire des traditions ancestrales » par le maintien de rites de passage comme la circoncision ou la vénération des saints, L’Asie centrale 10 ans après les indépendances : quels nouveaux enjeux ? Les exemples du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, Rapport d’information du Sénat n.320, annexé au procès-verbal de la séance du 10 mai 2001, p.17
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témoigne de la grande stabilité d’un islam traditionnel imprégné de modération et de
tolérance, constituant à la veille des indépendances un cadre peu propice à l’émergence de
mouvements islamistes.
Dès 1988, l’affaiblissement de l’Union Soviétique et le leste donné aux dirigeants
locaux dans le cadre de la perestroïka vont changer la donne en laissant les nouveaux
gouvernements libres d’adopter des politiques sensiblement différentes en matière de religion.
En effet, à la suite de la défaîte de la faction conservatrice du bureau politique du Parti, une
politique religieuse beaucoup plus tolérante va être initiée par Mikhaïl Gorbatchev en 1989. A
l’islam traditionnel pratiqué clandestinement va alors progressivement s’ajouter un islam
« officiel » ou « national » en Ouzbékistan, qui autorise la réouverture de nombreuses
mosquées dont on estime qu’elles seraient déjà 250 en mars 199030, et qui engendre de ce fait
une recrudescence des pratiques religieuses. Par exemple, plus d’un millier de musulmans
ouzbeks auraient pu effectuer un pèlerinage à La Mecque en 1991, signe d’une ouverture
retrouvée vers le reste monde islamique. Il s’agit là d’un changement fondamental survenu
durant les mois précédant et suivant l’indépendance : l’islam d’Asie centrale ne s’était en effet
développé qu’en vase clos durant toute la période soviétique du fait de l’isolement forcé de la
région, ses relations avec le reste du monde musulman ayant été totalement rompues. A partir
de 1991, l’ouverture au monde des nouveaux Etats redonne vie aux anciennes routes de la foi.
Des échanges diplomatiques avec les grands pays musulmans s’établissent, principalement
avec l’Arabie Saoudite, le Pakistan, l’Iran, l’Egypte et la Turquie. En 1992, Islam Karomov
entreprend une visite officielle en Arabie Saoudite et effectue un pèlerinage à La Mecque afin
de renouer les contacts et sans doute de « se donner une figure de bon chef musulman »31 vis-
à-vis de ces Etats. Ceux-ci fournissent dès 1991 une aide financière généreuse pour la
construction de nouvelles mosquées et madrasas ou pour la restauration d’anciens
établissements islamiques, et envoient par milliers des corans ou des guides de prière32. En
Ouzbékistan, l’argent saoudien servira notamment à la construction de plusieurs mosquées
dans la vallée de Ferghana à Namangan et Andijan33, une région traditionnellement marquée
par une pratique religieuse plus intense que dans le reste du pays. De nombreux étudiants
30 Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, Paris, L’Harmattan, 2003, p.15131 Antoine Buisson, Benoît Destouches, « Le champ religieux en Asie centrale : l’islam et la construction des nations », étude réalisée dans le cadre du séminaire de Gilles Kepel intitulé « Les Mouvements Islamistes des années 1970 à nos jours », p.3332 Voir Thierry Zarcone, « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », Hérodote, n.84, 2ème trimestre 1997, p.6133 La vallée de Ferghana est majoritairement située en Ouzbékistan, bien qu’à cheval sur le Kirghizstan et le Tadjikistan également.
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centre-asiatiques seront également accueillis dans des écoles religieuses saoudiennes,
égyptiennes ou pakistanaises afin d’y recevoir une formation islamique qu’ils pourront ensuite
diffuser dans leur pays d’origine. Outre ces relations nouvelles entre les républiques d’Asie
centrale naissantes et les autres pays du monde musulman, il convient de ne pas négliger le
rôle important joué par les diasporas centre-asiatiques. La diaspora ouzbèke, notamment, est
très nombreuse en Arabie Saoudite et en Turquie. Organisée en associations, elle participe
elle-aussi de façon primordiale aux échanges de l’Ouzbékistan avec ces deux pays.
Impulsée par le nouveau gouvernement ouzbek, cette ouverture vers le monde
musulman va participer à un processus global de réislamisation de la société. En effet,
l’effondrement brutal du système soviétique laisse place en Ouzbékistan à un vide
idéologique rendant difficile la construction du nouvel Etat. Antoine Buisson évoque à ce
sujet « la disparition du référent identitaire soviétique »34. Rappelons qu’au cours des
dernières décennies, aucune contestation importante ne s’était opposée à l’appartenance du
pays à l’URSS, aucun mouvement nationaliste n’ayant manifesté de volonté d’indépendance.
C’est pour cette raison qu’en 1991, le nouveau gouvernement est confié aux anciennes élites
du Parti Communiste désormais dépourvues de légitimité, et notamment à Islam Karimov,
ancien premier secrétaire du PC ouzbek et élu premier président de l’Ouzbékistan
indépendant le 29 décembre 1991. Si d’ordinaire la légitimité d’un gouvernement repose sur
la nation, celle-ci semble être en 1991 une notion floue ne faisant référence à aucun ensemble
homogène : l’Ouzbékistan est alors composé de quantités de minorités russes, tadjikes et
Kazakes35, tandis que des populations d’origine ouzèke sont présentes dans toutes les autres
républiques nouvellement indépendantes. Il s’agit donc pour le pays de redéfinir sa culture
nationale, qui passe par la recherche d’un passé historique propre et par l’affirmation de la
langue comme critère de définition de la citoyenneté. C’est aussi sur le renouveau de l’Islam
que le gouvernement ouzbek va fonder sa nouvelle légitimité, en s’appuyant sur le passé
religieux historique de villes comme Samarcande, Boukhara ou Khiva, et en rappelant
judicieusement le rôle joué par l’Islam au cours des siècles passés, celui de référence
identitaire fondamentale ayant survécu aux multiples invasions et parfois résisté aux tentatives
d’assimilation, comme ce fut le cas à travers la révolte des Basmachis musulmans dans les
années 192036. Fort de cette nouvelle assise, c’est donc l’Etat qui prend en charge la gestion
34 Antoine Buisson, « Entre fragmentation et réintégration régionale : le développement économique du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan au rythme des transformations politiques depuis l’indépendance », EHESS, DEA Recherches Comparatives sur le Développement, Colloque de fin d’année, 17 juin 2003, p.2135 L’Ouzbékistan compte toujours 5% de russes, 4,8% de Tadjiks et 4% de Kazaks selon Laurent Vinatier, « Données géopolitiques des cinq républiques d’Asie centrale », op. cit., p.636 Une analyse historique du mouvement basmachi est donnée par Ahmed Rashid, op. cit., pp. 195-207
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de la religion à partir de l’indépendance par le biais de l’islam officiel. Il constitue avant tout
un « Comité chargé des affaires religieuses devant le Conseil des ministres » qui partage avec
une direction spirituelle le contrôle de l’islam dans le pays. Ce comité supervise notamment
les réouvertures de mosquées dans le pays qui sont déjà au nombre de 1500 en 1994, la
plupart situées dans la vallée de Ferghana37. La pratique de l’Islam est alors nettement
revalorisée malgré l’affirmation de la laïcité par la Constitution, en témoigne ce symbole fort
représenté par l’image d’Islam Karimov prêtant le serment constitutionnel sur le Coran38. Il
est d’ailleurs significatif que de nombreux leaders politiques locaux aient pris l’habitude, dans
les années suivant l’indépendance, de réciter des prières ou des versets du Coran avant leurs
discours officiels. L’islam est ouvertement affiché par le nouveau drapeau ouzbek sur lequel
apparaît la couleur verte. Les nouvelles républiques centre-asiatiques adhèrent d’ailleurs
toutes à l’Organisation de la Conférence Islamique dans les années 1990, en 1996 pour
l’Ouzbékistan39. Il semble donc que le nouveau régime soit allé bien au-delà d’une simple
tolérance de la religion, tendant plutôt à la soutenir et à l’organiser pour en faire l’un des
outils du contrôle du régime sur la société.
C’est précisément ce contexte de réislamisation de la société voulue par le
gouvernement qui va offrir des conditions favorables au développement d’entités islamistes
au sein de la société ouzbèke. Selon Mohammed Reza-Djalili et Thierry Kellner, « le
phénomène de « revivalisme » islamique est encouragé, contrôlé et manipulé par les pouvoirs
en place »40. On peut néanmoins douter de l’efficacité de ce contrôle, l’apparition de plusieurs
foyers islamistes dans la vallée de Ferghana laissant plutôt penser que la réislamisation de la
société ait pu échapper, dans certains cas, à l’autorité du Comité gouvernemental chargé des
affaires religieuses. Les influences extérieures vont jouer dans ce sens en encourageant les
pays musulmans à répandre chacun leur interprétation spécifique de l’islam, à travers l’envoi
de prédicateurs nationaux et de nombreux ouvrages expliquant l’islam et la pratique religieuse
qui doit l’accompagner. Cette interférence étrangère dans la vie religieuse du pays est
rapidement perçue comme une menace à l’égard de la légitimité de l’islam officiel. Dès 1992-
1993, une cinquantaine de prêcheurs saoudiens sont d’ailleurs expulsés d’Ouzbékistan tandis
que le gouvernement commence à prendre conscience de l’influence grandissante de
37 On dénombrerait aussi environ 5000 étudiants dans 380 madrasas en activité la même année, selon Laurent Vinatier, op. cit., p.14338 Romain Yakemtchouk , op. cit., p.15239 L’OCI est une organisation internationale créée en 1969 qui compte 51 Etats « décidés à rassembler leurs ressources, à unir leurs efforts et à parler d'une seule voix pour défendre leurs intérêts et assurer le progrès et le bien-être de leurs populations et de tous les musulmans à travers le monde », voir le site internet officiel de l’OCI (www.oic-oci.org)40 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, Paris, PUF, 2001, p.240
21
mouvements radicaux étrangers dans la vallée de Ferghana. L’une de ces tendances est
évidemment le wahhabisme qui selon Thierry Zarcone, se révèle en Asie centrale sous la
forme de deux influences distinctes : le wahhabisme saoudien et le wahhabisme pakistanais41.
Ce dernier se développerait dans la région sous l’influence de marchands pakistanais attirés
par le nouveau marché centre-asiatique et membres de la Tablîghi Jama’at. Cette organisation,
dotée d’une structure efficace lui permettant d’être présente dans l’ensemble du monde
musulman, rejette le culte des saints et les autres caractéristiques du soufisme et privilégie une
pratique plus stricte de l’islam. Elle vise la réislamisation de la société par la base, c’est-à-dire
par un processus opposé à celui mis en œuvre par le régime ouzbek qui prétend réislamiser la
société dans le cadre institutionnel fourni par l’Etat. D’autres organisations islamistes
internationales trouveront en Ouzbékistan un terreau favorable au développement de leurs
idées. Il s’agit notamment, d’après Philippe Migaux, des Frères Musulmans qui s’y seraient
implantés par le biais du Hizb ut-Tahrir42. Ces organisations influentes font partie de l’islam
« moderniste » que Thierry Zarcone associe à l’islam traditionnel et à l’islam officiel pour
forger ce qu’il appelle « la règle des trois islams », expression visant à résumer grossièrement
la complexité de la question religieuse en Ouzbékistan43.
Néanmoins, ces influences extérieures ne font que renforcer le revivalisme islamique
déjà engagé dans la vallée de Ferghana. On peut en effet considérer avec Antoine Buisson et
Benoît Destouches que la « radicalisation fondamentaliste […] n’est pas une importation
étrangère même si elle a pu bénéficier d’un soutien extérieur »44. En effet, c’est d’abord par le
Parti de la Renaissance Islamique (PRI) qu’émerge la première tendance islamiste en
Ouzbékistan. Il s’agit d’un parti né à Astrakhan, en Russie, en 1990. Lors de sa réunion
inaugurale, il est décidé par ses fondateurs que chaque république soviétique pourrait créer sa
propre branche du parti dans l’objectif d’établir un parti transnational selon un mode
décentralisé. Reconnu en Russie comme un parti politique à part entière lors de la glasnost de
Gorbatchev, il reste néanmoins interdit dans les républiques d’Asie centrale par les partis
communistes locaux. Ceci ne l’empêchera pas de se développer au Tadjikistan où son
41 Thierry Zarcone, « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », op. cit., p.7242 Philippe Migaux s’appuie sur une filiation entre les Frères Musulmans et et le Hizb ut-Tahrir dont les branches auraient, selon lui, servi de vivier de recrutement aux groupes jihadistes, dans : Gérard Chaliand et Arnaud Blin (sous la direction de), Histoire du terrorisme, de l’Antiquité à Al Qaida, Paris, Bayard, 2004, p.313. Ahmed Rashid, quant à lui, affirme que « le Hizb ut-Tahrir a jadis été proche du groupe des frères musulmans en Egypte », Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 109.43 Thierry Zarcone, « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », op. cit., p.5944 Antoine Buisson, Benoît Destouches, « Le champ religieux en Asie centrale : l’islam et la construction des nations », op. cit., p.22
22
opposition au parti communiste tadjik soutenu par Moscou déclenchera en 1992 une guerre
civile pour le moins sanglante qui durera jusqu’en 199745. Une branche du PRI est également
créée en Ouzbékistan. Dirigée par les ouzbeks Tohir Yuldushev et Juma Hodjiyev dit
« Namangani » car originaire de la ville de Namangan, que l’on retrouvera par la suite à la
tête du MIO, elle réclame l’instauration d’un Etat islamique et se dit prête, dès 1991, à
engager une lutte armée contre le pouvoir politique en place. Elle envoie d’ailleurs un
ultimatum au président Karimov exigeant de lui qu’il jure publiquement sur le Coran sa
fidélité à l’Islam, et surtout qu’il instaure sans tarder un Etat islamique dans lequel la prière
dans les mosquées deviendrait obligatoire pour l’ensemble de la population et où le vendredi
serait déclaré jour férié46. La réaction d’Islam Karimov à cet ultimatum, considéré comme une
tentative de coup d’Etat de la part des mouvements islamistes, ne se fit pas attendre : celui-ci
se rendit immédiatement dans la vallée de Ferghana où il confirma le pouvoir du mufti
Muhammad Yusouf, chef de l’islam officiel, et prit plusieurs mesures radicales à l’encontre
des protagonistes islamistes47. A la suite de cet échec, les deux leaders du PRI ouzbek ne
purent que s’exiler, Yuldushev se réfugiant au nord de l’Afghanistan où il allait organiser les
camps d’entrainement des militants islamistes tandis que Namangani rejoignait les rangs du
PRI tadjik au moment même où éclatait la guerre civile au Tadjikistan. Le PRI ouzbek sera
ainsi dissout et la majorité des militants islamistes qui le soutenaient rejoindront l’Afghanistan
et le Tadjikistan, deux pays dans lesquels les contextes de guerre civile offraient un terrain
plus favorable à la lutte armée pour la prise du pouvoir. D’autres organisations islamistes qui
s’étaient développées dans la vallée de Ferghana depuis le début des années 1990 furent
également victimes de la vague de répressions de 1992. Ainsi l’organisation « Tauba »
(« Repentir ») et le groupe « Adolat » (« Justice ») qui fut interdit en mars 1992 et qui dut
entrer dans la clandestinité48.
La fuite vers l’Afghanistan et le Tadjikistan des principaux activistes du PRI ouzbek
suspend pour un temps la menace islamiste à l’encontre du régime établi par Islam Karimov.
Réunis pour la plupart dans des camps d’entrainement, les islamistes ouzbeks semblent
45 En 1992, les principaux leaders du PRI tadjik prennent le maquis. On estime déjà à 40 000 le nombre de morts au 1er semestre 1992. Voir à ce sujet le chapitre 5 d’Ahmed Rashid, « Le Parti de la renaissance islamique et la guerre civile au Tadjikistan », op. cit., pp. 90-10546 Voir à propos de cet ultimatum Romain Yakemtchouk, op. cit., p.15347 Notamment l’expulsion des prédicateurs saoudiens, pakistanais ou afghans, voir ci-dessus ; néanmoins, le mufti sera révoqué par Islam Karimov en 1993.48 D’après le Rapport d’information n. 320 du Sénat, op. cit., p.18, ces mouvements seraient parvenus à se maintenir en Ouzbékistan et même à développer leur action grâce à des soutiens extérieurs. Le groupe Adolat a ensuite réintégré la vie politique légale en soutenant le président Karimov lors de certaines élections (voir Chapitre introductif)
23
privilégier la lutte aux côtés des Talibans ou du PRI tadjik pendant quelques années, tandis
qu’en Ouzbékistan la vallée de Ferghana retrouvera le calme jusqu’en 1996. A cette date
cependant, les Talibans prennent le pouvoir en Afghanistan et laissent les islamistes ouzbeks
libres de planifier de nouvelles attaques contre leur gouvernement. Ceux-ci ont par ailleurs
gagné un appui important dans le nouveau régime taliban, qui leur offre un sanctuaire d’où ils
pourront mener leurs attaques vers l’Ouzbékistan. De même, au Tadjikistan, la guerre civile
prend fin le 27 juin 1997 par la signature à Moscou de « l’Accord général pour
l’établissement de la paix et de la réconciliation nationale » : loin d’être anodine, l’utilisation
de l’expression « réconciliation nationale » dans les accords de paix signifie qu’il n’y a ni
gagnants ni perdants à l’issue de cette guerre civile, aucun des deux camps n’étant parvenu à
vaincre l’autre militairement. Pour la première fois en Asie centrale, un gouvernement de
coalition est alors établi suivant une logique de partage du pouvoir entre les anciens
communistes et l’opposition menée par le PRI, tandis que la plupart des militants du PRI sont
incorporés dans la nouvelle armée tadjike sous la supervision des Nations Unies. Cependant,
cette disparition du PRI tadjik en tant que force d’opposition au gouvernement communiste ne
fait pas l’unanimité parmi ses militants, ce qui entraîne rapidement plusieurs scissions au sein
du parti et pousse certains de ses membres à s’orienter vers d’autres actions clandestines dans
la région. C’est ainsi que les militants islamistes ouzbeks, forts de leurs expériences dans les
pays voisins de l’Ouzbékistan, vont être amenés à se regrouper à nouveau pour former des
mouvements actifs et notamment le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan. Un autre parti
islamiste, le Hizb ut-Tahrir, s’implante également en Ouzbékistan vers le milieu des années
1990. Nous allons étudier à présent les revendications et les modes d’action de ces deux
principaux mouvements dans une perspective comparative, afin de comprendre à la fois ce qui
les unit et ce qui les différencie et de mieux saisir ensuite la menace qu’ils pourraient
représenter à l’égard du régime ouzbek et des Etats-Unis.
Le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan et le Hizb ut-Tahrir : étude
comparée de leurs revendications et de leurs modes d’action
A l’origine du MIO se trouvent des militants islamistes déçus par la participation du
PRI tadjik au gouvernement et par son refus d’exiger l’instauration d’un Etat islamique. En
1997, l’islamiste ouzbek Juma Namangani refuse le cessez-le-feu, s’oppose aux accords de
24
paix et rencontre alors Tohir Yuldushev au Tadjikistan : un moment décisif pour les deux
hommes, ceux-ci devant faire un choix politique déterminant pour l’avenir de l’islamisme en
Asie centrale. Ce choix, ce sera celui de la création du MIO en 1997, qui se donne pour
objectif de renverser le régime d’Islam Karimov afin de le remplacer par un véritable Etat
islamique. C’est aussi à cette époque que s’implante en Ouzbékistan le Hizb ut-Tahrir al-
Islami (« Parti de la libération islamique »), un mouvement islamiste dont les origines sont
bien différentes de celles du MIO. En effet, il ne s’agit pas d’un parti né en Asie centrale : il
fut fondé en Jordanie en 1953 par Taqiuddin an-Nabhani, un palestinien diplômé de
l’université Al-Azhar au Caire. Lorsqu’il fut interdit au Moyen-Orient dans les années 1970,
nombre de ses leaders partirent pour l’Europe où ils créèrent de nombreuses cellules, la plus
importante se trouvant aujourd’hui à Londres. Ce n’est qu’en 1995-1996 que le mouvement
apparaît en Asie centrale, où il se développe avec une rapidité surprenante étant donné ses
origines étrangères49. Cette extraordinaire capacité d’adaptation du Hizb ut-Tahrir au paysage
politique centre-asiatique, avec lequel il n’avait pourtant aucun lien auparavant, lui permet de
devenir rapidement un élément à part entière de l’islamisme en Ouzbékistan et lui vaut d’être
rapidement considéré par le gouvernement comme un mouvement subversif constituant une
menace à la sécurité du régime.
Malgré ces parcours différents, il semble que les objectifs visés par le MIO et le Hizb
ut-Tahrir soient pourtant similaires en de nombreux points. Tout d’abord, ces deux
mouvements sont liés par la volonté de lutter contre un ennemi commun : le président ouzbek,
Islam Karimov. La Constitution de 1992 avait en effet établi un régime présidentiel fort qui
donnait de larges pouvoirs au président de la République50. La personnalité d’Islam Karimov
en a par la suite renforcé les caractéristiques, menant à l’instauration définitive d’un système
véritablement présidentialiste teinté de dérives autoritaires. Islam Karimov représente donc,
aux yeux des islamistes, le symbole d’un régime hostile qu’il convient d’abattre rapidement.
Hostile, car la prise de conscience de la menace islamiste dans le pays avait très tôt poussé le
gouvernement à prendre des mesures efficaces afin de limiter leurs capacités d’action. En
premier lieu, l’article 57 de la Constitution interdisait dès 1992 l’établissement de partis
politiques à caractère religieux51. La répression s’était ensuite abattue sur les mouvements
49 La date d’apparition du Hizb ut-Tahrir en Asie centrale n’est pas précisément définie, il aurait été introduit en Ouzbékistan en 1995 lors de la création d’une première cellule à Tachkent par un jordanien nommé Salahuddin, voir Ahmed Rashid, op. cit., p.11050 Voir le Chapitre introductif, dans la partie consacrée à la description du régime d’Islam Karimov.51 Art 57 de la Constitution ouzbèke : “The formation and functioning of political parties and public associations aiming to do the following shall be prohibited: (...)advocating war and social, national, racial and religious hostility, and encroaching on the health and morality of the people, as well as of any armed associations and political parties based on the national or religious principles”.
25
islamistes clandestins en 1992, provoquant leur fuite vers les pays voisins, et surtout en 1997
après la fin des conflits afghan et tadjik et le retour de nombreux islamistes ouzbeks dans
leurs régions d’origine. La vague de répression de 1997 fut déclenchée par la décapitation
d’un capitaine de l’armée ouzbèke à Namangan le 2 décembe 1997 et par d’autres assassinats
dans la vallée de Ferghana tout au long du mois de décembre. Bien qu’aucun mouvement
n’ait revendiqué ces meurtres, le gouvernement réagit rapidement en arrêtant notamment plus
d’un millier de personnes dans la région dans les premiers mois de l’année 1998. Les familles
des militants furent aussi durement touchées par cette répression, comme l’explique Ahmed
Rashid dans Asie Centrale, champ de guerres : il y cite les pressions exercées sur les parents
des islamistes présumés ainsi que les emprisonnements souvent accompagnés de tortures dont
furent victimes leurs frères et sœurs52. C’est dans ce contexte qu’on attribue fréquemment à
Islam Karimov les paroles suivantes : « Ces gens-là doivent être abattus d’une balle dans la
tête. Si nécessaire, je tirerai moi-même »53, ou celles-ci prononcées en 1999 : « Si mon fils
choisissait cette voie, je l’étranglerais de mes mains »54.
On comprend donc que l’objectif premier du MIO soit de renverser le régime de
Karimov pour pouvoir prendre le pouvoir à Tachkent. L’appel au jihad lancé en août 1999 et
rédigé par Zubayr Ibn Abdur Raheem, chef religieux du MIO, est pour le moins explicite à ce
sujet : « Le mouvement islamique invite le gouvernement et l’autorité de Karimov à Tachkent
à quitter leurs fonctions, sans condition, avant que le pays n’entre en guerre et que la
destruction n’atteigne la terre et le peuple. La responsabilité en reposera totalement sur les
épaules du gouvernement, et il en sera puni ». De la même façon, le Hizb ut-Tahrir carresse
l’ambition de renverser le régime d’Islam Karimov. Cet objectif s’inscrit néanmoins dans une
vision plus universaliste, celle du renversement de tous les régimes laïcs du monde musulman
en vue de ressusciter le califat qui existait sous l’empire ottoman jusqu’en 192555. Les
régimes des pays musulmans se prétendant « Etats islamiques » ne sont pas non plus épargnés
par la critique du Hizb ut-Tahrir. Il définit les caractéristiques d’un véritable Etat islamique en
affirmant que « pour qu’un territoire soit considéré comme un Etat islamique, chaque article
de la constitution du pays, chaque règle et chaque loi, doivent émaner de la Charia
Islamique »56. L’Arabie Saoudite, en tant que monarchie, ne remplirait d’ailleurs pas les
52 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 13353 Propos rapportés par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 13254 Propos rapportés par Amnesty international, Human Rights Report : Uzbekistan, juin 2001 ; ce rapport cite également des exemples précis d’arrestations arbitraires et de torture à l’encontre des islamistes présumés.55 Voir en annexe le tract du Hizb ut-Tahrir, « Only with the Kalifah will you be Victorious », rédigé par Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem.56 Hizb ut-Tahrir, cité par l’International Crisis Group (ICG), Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, Asia Report n.58, Och/Bruxelles, 30 juin 2003, p.4
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conditions exactes d’un Etat islamique. Malgré cet objectif global et bien qu’opposé à toute
forme de nationalisme, le Hizb ut-Tahrir a été contraint depuis sa création de s’adapter aux
réalités étatiques et de s’inscrire lui aussi dans une perspective nationale. Ainsi, en
Ouzbékistan, le renversement du régime doit servir à l’établissement d’un Etat islamique qui
permettrait à l’islam de régir tous les aspects de la société et des institutions ouzbèkes. Le
mouvement se propose de « ramener les musulmans à un mode de vie islamique dans la
« Maison de l’Islam » (Dar al-islam) et dans une société islamique telle que toutes les
questions concernant la vie dans la société seraient administrées selon les règles de la
Charia »57. Cet objectif se retrouve également dans les revendications du MIO: l’appel au
jihad de Raheem en fait clairement état, lorsqu’il affirme que « le but premier de cette
déclaration de jihad est l’établissement d’un Etat islamique avec application de la charia,
fondée sur le Coran et la noble Sunna prophétique ». Outre la primauté de la Charia, le MIO
appelle donc les musulmans à réconcilier leurs modes de vie avec la tradition du prophète,
faisant preuve ici d’un certain fondamentalisme. Cependant, on peut se demander avec
Laurent Vinatier si cette idée de jihad visant à mettre en place un Etat islamique ne serait pas
davantage issue de la nécessité d’avoir un projet politique afin de se légitimer auprès de la
population ouzbèke. Le but premier du MIO étant de prendre le pouvoir en Ouzbékistan, il est
possible que le jihad islamique ne soit pas tant l’objectif final de ce mouvement qu’un
prétexte à la lutte armée. Selon Laurent Vinatier, l’islam du MIO serait plutôt un « islam de
circonstance »58, inspiré par le succès rapide du Hizb ut-Tahrir dans la région. Ainsi, si le
MIO prône l’établissement d’un Etat islamique qui entrerait dans la perspective plus large de
la mise en place d’un califat sur l’ensemble de la vallée de Ferghana, il apporte bien peu de
précisions à ce sujet. D’autre part, Laurent Vinatier rappelle que ses deux principaux leaders,
Tohir Yuldushev et Juma Namangani, ne sont pas des chefs religieux : bien qu’étant devenu
mollah à l’âge de 24 ans, Yuldushev serait plutôt le chef politique du mouvement, « orateur
enflammé et brillant organisateur »59, tandis que Namangani en représenterait le chef militaire,
doté d’une grande expérience dans la lutte armée grâce à son passé d’ancien soldat soviétique
et à son combat aux côtés du PRI tadjik. Cette lecture critique des objectifs mis en avant par le
MIO ne pourrait pas s’appliquer au Hizb ut-Tahrir : celui-ci tire en effet toute son essence de
la revendication d’un califat islamique, but fondateur qu’il n’a cessé de proclamer depuis sa
création en 1956. L’étude du Hizb ut-Tahrir nous amène enfin à noter deux autres aspects
57 En anglais dans le texte: “bringing the Muslims back to living an Islamic way of life in Dar al-Islam and in an Islamic society such that all of life’s affairs in society are administered according to the Shari’ah rules”.58 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.23159 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 124
27
de son idéologie: d’une part, elle est dotée d’une tendance fortement antijudaïque, révélée par
la rhétorique violente du Hizb ut-Tahrir s’attaquant à la « tyrannie des juifs » et réclamant « la
destruction du juif Karimov »60. On la trouve également dans d’autres pamphlets publiés par
le Hizb ut-Tahrir, qui condamnent notamment « la confiscation de la Palestine par les
juifs »61. D’autre part, il s’agit d’un mouvement violemment anti-chiite, comme en témoignent
ces propos d’un des leaders du Hizb ut-Tahrir en Ouzbékistan, recueillis par Ahmed Rashid :
« nous sommes tout à fait hostiles aux chiites et au chiisme, qui n’est pas la voie
islamique »62.
Les revendications du MIO et du Hizb ut-Tahrir se rejoignent donc en de nombreux
points. Pour cette raison, ils ont tous deux été victimes des répressions féroces du
gouvernement ouzbek qui tend souvent à les confondre en une seule catégorie, celle des
« wahhabis » qui constitueraient tous au même titre une menace pour le pays. Il ne faut
cependant pas négliger une différence majeure entre ces deux mouvements, qui est liée aux
moyens que ceux-ci souhaitent mettre en œuvre pour atteindre leurs objectifs.
Le Hizb ut-Tahrir est un mouvement non violent, qui prône l’utilisation de moyens
pacifistes pour parvenir à ses fins. Le jihad doit se faire en douceur et par le peuple : en effet,
ce sont les populations de chaque pays qu’il cherche à acquérir à sa cause afin qu’un jour,
elles se réunissent dans la Ummah, la société des croyants, et qu’elles rétablissent le califat. Il
cherche donc à faire renaître la conscience politique de l’islam au sein de la société ouzbèke
et l’encourage à renouer avec des pratiques religieuses pures. Pour cela, il diffuse ses idées au
moyen d’une littérature abondante qui serait importée, de cassettes enregistrées et de
nombreux tracts déposés clandestinement dans les boîtes aux lettres au cours de la nuit ou
disponibles sur son site internet. Ces tracts contiennent des passages du Coran, expliquent la
religion musulmane, donnent des conseils pour la pratiquer selon la tradition du prophète et
enfin appellent au jihad et à l’établissement de l’Etat islamique. Il semble qu’une autre
méthode soit utilisée, qui consiste tout simplement pour les militants du mouvement à engager
des conversations au détour des rues et des bazars63. Le Hizb ut-Tahrir privilégie ainsi le
dialogue et l’éducation religieuse comme instruments de persuasion, avec la certitude que le
jour viendra où ses partisans organiseront des manifestations pacifistes pour renverser les
régimes au pouvoir, en Ouzbékistan comme dans les autres pays musulmans. Les partisans du 60 Hizb ut-Tahrir, cité par l’ICG dans Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, op. cit., p.3261 Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem, “To Expel America and Her Allies from the Islamic World is an Obligation upon the Muslims”, 28 août 1998, pamphlet publié sur le site internet officiel du Hizb ut-Tahrir.62 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit.,p.11263 D’après l’ICG, Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, op. cit., p. 29
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Hizb ut-Tahrir semblent jusqu’à présent s’être tenus à cette attitude non-violente. Ils ont
certes été plusieurs fois accusés par le gouvernement ouzbek d’être à l’origine d’attentats ou
d’actions subversives en tous genres : ce fut notamment le cas en mars 2004 lorsque des
affrontements opposèrent pendant plusieurs jours l’armée ouzbèke à des islamistes à Tachkent
et à Boukhara. Le 13 mai 2005, le Hizb ut-Tahrir fut une nouvelle fois accusé d’avoir
organisé un rassemblement subversif à Andijan, et fut par conséquent rendu responsable de la
mort d’au moins un millier de civils ouzbeks tués par la répression menée par l’armée64.
Néanmoins, le Hizb ut-Tahrir n’a jusqu’alors jamais revendiqué d’actions violentes et sa
responsabilité dans l’une d’entre elles n’a par ailleurs jamais pu être prouvée. C’est donc
uniquement sur la base d’une culpabilité présumée que des milliers de ses partisans ont pu
être emprisonnés au cours des dernières années.
A l’opposé, c’est la lutte armée qui a été choisie depuis le début des années 1990 par le
MIO comme le seul moyen de renverser le régime d’Islam Karimov. La fin des années 1990
et le début des années 2000 sont marquées par ce qu’Ahmed Rashid nomme « les campagnes
de 1999 et 2000», séries d’évènements violents pour la plupart revendiqués par le MIO. Le 16
février 1999, cinq explosions frappent la ville de Tachkent sur la route empruntée par le
véhicule d’Islam Karimov. Le 9 août de la même année, des islamistes prennent en otage un
maire et trois officiels au Kirghizstan qui seront libérés quelques jours plus tard. Le 23 août,
toujours au Kirghizstan, sept personnes sont prises en otage dont quatre géologues japonais,
mais ceux-ci ne seront libérés que le 25 octobre. Dans les deux cas, il est certain que la
libération des otages n’a pu aboutir qu’après le versement d’une rançon aux islamistes par le
gouvernement concerné. Les actions menées par le MIO dans la campagne de 2000 sont d’une
plus grande ampleur : en juillet, de véritables attaques armées sont lancées dans l’ensemble de
la vallée de Ferghana, dans ses parties ouzbèke, kirghize mais aussi tadjike. Les affrontements
durèrent plusieurs semaines et ne se terminèrent que lorsque les militants du MIO furent
contraints de se replier, faute de munitions. C’est en Afghanistan qu’ils trouvent alors refuge,
où ils s’installent à Mazar-e-Charif et à Kunduz, dans le nord du pays. On estime qu’à ce
moment les forces du MIO en Afghanistan sont composées d’environ 2000 hommes, dont
certains combattent auprès des talibans contre les forces du général Massoud.
Cette implication du MIO dans le combat des talibans aura des conséquences
primordiales sur l’avenir du mouvement. En effet, lors de la campagne d’Afghanistan menée 64 Le caractère extrêmement récent de ces évènements ne nous permet pas pour l’instant d’avancer une estimation plus précise du nombre de victimes. Le bilan d’au moins 1000 civils ouzbeks tués est avancé par le président de la Société des droits de l’homme d’Ouzbékistan, Talik Yabukov, et a été repris par la Fédération Internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme, voir Le Monde (d’après l’AFP et Reuters), « Le président ouzbek refuse une enquête de l’ONU sur Andijan », 20 mai 2005
29
par les Etats-Unis dès le mois d’octobre 2001, la violence des bombardements dans le nord du
pays lui inflige des pertes considérables : ses installations sont brutalement détruites, tandis
que la plupart de ses militants périssent sous les attaques américaines. Juma Namangani serait
d’ailleurs décédé au cours de ces bombardements en novembre 2001, mais la preuve de sa
mort n’a pas jamais pu être établie. La campagne d’Afghanistan a donc consacré la disparition
des talibans et des multiples groupes jihadistes qui les soutenaient en tant que forces
politiques, en même tant qu’elle a symbolisé la disparition de la lutte armée pour la prise du
pouvoir en Ouzbékistan. Selon Laurent Vinatier, s’il est « peu probable que le Mouvement
Islamique d’Ouzbékistan soit totalement anéanti, a priori, il ne constitue plus une menace en
tant que tel »65. Une recomposition du MIO, peut-être sous une autre forme, reste néanmoins
possible d’autant que toutes ses forces n’ont bien sûr pas été détruites. Bien que les autorités
tadjikes s’en défendent, le gouvernement de Tachkent soupçonne toujours l’existence de
structures du MIO à l’est du Tajikistan. Des camps d’entrainements se seraient également
constitués au Pakistan, ce qui laisse à penser qu’un mouvement islamiste serait en train de se
reconstituer sur les bases laissées par le MIO66. La disparition du sanctuaire afghan et
l’absence de base fixe près d’une frontière avec l’Ouzbékistan nous permet tout de même
d’affirmer qu’il est peu probable que le MIO puisse être un acteur majeur du combat islamiste
contre le régime d’Islam Karimov dans les mois à venir.
Au contraire, il semble que le Hizb ut-Tahrir soit sorti renforcé de la campagne
d’Afghanistan. S’il est vrai que la répression à son encontre s’est poursuivie, la disparition du
MIO a fait de lui le seul mouvement islamiste important en Ouzbékistan. De plus, n’ayant
apparemment jamais entretenu de relations avec les talibans, il n’a en aucune façon été
touché par les attaques américaines sur l’Afghanistan. Il reste donc la seule véritable force
islamiste dotée d’une organisation établie et efficace. Il bénéficie surtout d’un soutien
grandissant auprès de la population, que l’on peut supposer lié à son mode de fonctionnement
non-violent. Le MIO, lui, n’était jamais parvenu à recueillir l’approbation de la population,
même dans la vallée de Ferghana, car ses attaques répétées ainsi que la répression qui les
accompagnaient avaient obligé de nombreuses personnes à quitter leur région pour se réfugier
parfois dans les pays voisins. En outre, c’est souvent pour obtenir un salaire que de jeunes
militants déçus par leurs conditions de vie le rejoignaient. Pour le Hizb ut-Tahrir, cette
situation économique et sociale doit plutôt servir à réislamiser en douceur la société, en
réveillant la conscience religieuse des populations telle un substitut aux déceptions 65 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.1866 Voir les remarques de Daniel Kimmage dans le rapport du séminaire Assessing the war on terror in Central Asia, Center for Strategic and International Studies, Washington DC, 3 mai 2004, p.2
30
matérielles. Paradoxalement, les publications du Hizb ut-Tahrir n’évoquent que très peu les
questions sociales, alors que les préoccupations en matière alimentaire et sanitaire sont
primordiales parmi la population ouzbèke. Pourtant, malgré un discours qui semble peu
adapté aux difficultés quotidiennes, il semble que l’influence du Hizb ut-Tahrir continue à se
développer grâce à une augmentation constante du nombre de ses membres et à un soutien
toujours plus large au sein de la population, bien que celui-ci soit difficile à évaluer.
Nous avons évoqué ici les deux principaux mouvements islamistes ayant marqué
l’Ouzbékistan au long de ces dix dernières années par leurs actions et leur développement. Il
existe très certainement d’autres mouvements islamistes de moins grande ampleur, mais
toutefois actifs : les attentats survenus en mars et en juillet 2004 en sont la preuve. Les deux
attentats-suicides commis en mars 2004 à Tachkent ont d’ailleurs été revendiqués par une
organisation inconnue, le Groupe du Jihad Islamique, qui a décrit ces attentats comme une
réponse aux efforts du gouvernement pour limiter les libertés individuelles, en particulier la
liberté d’expression. Il faut donc demeurer prudents, tout ne pouvant pas être analysé à travers
le prisme des organisations connues. De nouveaux mouvements islamistes peuvent à tout
moment émerger, sur les bases du MIO ou dans un tout autre cadre.
Nous avons vu que l’émergence de ces mouvements islamistes avait entrainé très tôt,
dès 1992, une prise de conscience de la part du gouvernement ouzbek de la menace que ceux-
ci pouvaient constituer à son encontre. Cette perception d’une menace est aisée à comprendre,
le MIO et le Hizb ut-Tahrir ayant toujours ouvertement affirmé leur ambition de renverser le
régime d’Islam Karimov pour le remplacer par un Etat islamique. Depuis le 11 septembre, il
semble que ces mouvements soient également perçus par les Etats-Unis comme une menace à
prendre en compte dans leurs relations avec les Républiques d’Asie centrale. Nous allons
donc à présent nous intéresser à la perception américaine de cette menace, afin de comprendre
les motifs les ayant poussés à développer des liens privilégiés avec l’Ouzbékistan dans le
cadre de la lutte antiterroriste.
31
Chapitre 2 : La perception américaine de la menace terroriste
Dans l’ouvrage Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, Thomas Juneau
affirme que « la menace islamique en Ouzbékistan est soudainement devenue un problème
global »67. Il fait alors allusion au bouleversement entrainé par les attentats du 11 septembre
2001 dans la politique étrangère des Etats-Unis. Pourtant, on pourrait dater la prise de
conscience de l’existence d’une menace islamiste en Ouzbékistan à l’année précédente : c’est
en effet dès le 15 septembre 2000 que le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan aparaît sur la
liste des organisations terroristes étrangères dénoncées par le Département d’Etat américain68.
Les critères nécessaires pour qu’une organisation soit inscrite sur cette liste sont précisés par
l’ « Antiterrorism and Effective Death Penalty Act » de 1996 et sont au nombre de trois :
l’organisation doit être étrangère ; elle doit être engagée dans une activité terroriste ; et enfin,
ses activités doivent menacer la sécurité des américains ou « la sécurité nationale » que l’on
doit comprendre comme la défense nationale, les relations extérieures des Etats-Unis ou ses
intérêts économiques.
Pourtant, les attaques terroristes survenues dans la région au cours des années
précédentes ne laissaient pas présager une telle préoccupation de la part des Etats-Unis vis-à-
vis d’un mouvement agissant dans une région fort éloignée du territoire américain et
traditionnellement délaissée dans les relations internationales. En effet, si l’on se fie aux
données statistiques fournies par l’annexe G annexée au rapport « Patterns of Global
Terrorism 2003», lui-même publié par le Département d’Etat, l’Eurasie représenterait la
région du monde ayant subi le moins d’attaques terroristes après l’Amérique du Nord, entre
1998 et 200369. D’après ce même rapport statistique, un soixantième seulement des attaques
anti-américaines survenues en 2003 auraient eu lieu en Eurasie, contre un tiers au Moyen-
Orient.
Ces chiffres nous amènent légitimement à nous interroger sur les motifs ayant poussé
l’administration américaine à s’intéresser malgré tout à cette région pourtant peu concernée
par la question du terrorisme relativement à d’autres régions du monde, comme le Moyen-
Orient ou l’Amérique latine. De plus, bien peu de discours ou d’actes anti-américains y ont 67 Thomas Juneau, dans Thomas Juneau, G. Hervouet, F. Lasserre (sous la direction de), Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université de Laval, 2004, p.9168 Il s’agit de la liste dite « Foreign Terrorist Organizations (FTO) list », sur laquelle le MIO figure également le 5 octobre 2001, après la réévaluation de cette liste suite aux attentats du 11 septembre. 69 Voici le classement des régions ayant subi des attaques terroristes que l’on peut établir grâce aux chiffres fournis, dans l’ordre décroissant des régions les plus touchées : Amérique Latine, Asie, Europe de l’Ouest, Moyen-Orient, Afrique, Eurasie et enfin Amérique du Nord.
32
été observés, les attentats du 11 septembre n’ayant pas été suivis chez les populations
centrasiatiques par des manifestations de joie telles que l’on en a constatées au Moyen-Orient.
Et pour cause, car l’Asie centrale fait partie de la zone d’influence russe traditionnelle, une
zone dans laquelle les Etats-Unis n’étaient jusqu’alors jamais parvenus à s’implanter.
L’ouverture récente de ces ex-Républiques de l’URSS vers le monde extérieur explique que
l’anti-américanisme ne soit pas d’actualité parmi leurs populations en 2001, peu d’entre eux
d’ailleurs parlant l’anglais. Malgré cela, il semble que l’Asie centrale soit devenue depuis
quelques années une région-clé de la politique étrangère américaine dans le cadre de la
« guerre contre le terrorisme » déclenchée à la suite du 11 septembre 2001.
L’Asie centrale : une région prioritaire dans la lutte contre le terrorisme
depuis le 11 septembre 2001
Une première explication peut être avancée pour expliquer l’intérêt nouveau suscité
par l’Asie centrale, qui a trait à un épisode survenu au Kirghizstan le 12 août 2000 : il s’agit
de la prise en otage de quatre alpinistes américains par huit militants du MIO dans la région
de Batken. Celle-ci ne dura que quelques jours et les otages parvinrent à s’échapper le 16
août. Elle ne passa pas pour autant inaperçue : les anciens otages s’empressèrent de vendre
leur histoire à de nombreux journaux américains ainsi qu’aux studios Universal à Hollywood.
Ainsi, selon Ahmed Rashid, « cet incident prit une importance sans rapport avec sa portée
réelle » aux yeux de l’administration américaine, et l’on peut dire qu’elle contribua largement
à l’inscription du MIO sur la liste des organisations terroristes étangères un mois plus tard 70.
D’autres épisodes participèrent à la formation d’une perception américaine de la menace
terroriste dans la région. On peut notamment citer les déclarations d’Azizbek Karimov, un
membre du MIO, qui déclara peu après son arrestation en 2003 qu’il avait projeté d’attaquer
l’ambassade américaine au Kirghizstan. Cependant, la faible ampleur de ces deux éléments et
surtout le peu de conséquences qu’ils ont eu sur les intérêts américains ne suffisent sans doute
pas à expliquer la préoccupation américaine naissante quant aux activités des mouvements
islamistes de la région. De plus, il n’a jamais fait de doute que le MIO est un mouvement
intrinsèquement lié à l’Ouzbékistan, bien qu’il ait mené plusieurs incursions à partir du
Kirghizstan et du Tadjikistan voisins en 1999 et et 2000. Ses membres se revendiquent
70 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p.152-153
33
ouzbeks, et leurs revendications portent exclusivement sur le renversement du régime d’Islam
Karimov. Pour autant, une extension des activités des islamistes d’Ouzbékistan vers d’autres
d’autres pays de la région doit rester envisageable. Leur influence pourrait, par un « effet de
dominos », toucher les quatre autres Républiques d’Asie centrale et ceci d’autant plus que
l’Ouzbékistan possède des frontières avec chacune d’entre elles. C’est en tout cas une théorie
qui a été défendue par Adolat Najimova au cours du séminaire « Assessing the ‘War on
Terror’ in Central Asia » organisé à Washington en mai 200471. Elle rappelle par ailleurs que
le Hizb ut-Tahrir possède déjà des cellules au Kirghizstan et au Tadjikistan, voire même au
Kazakhstan. Cette théorie des dominos, née dans le contexte de la guerre du Vietnam dans les
années 1960, a été de nombreuses fois utilisée par les Etats-Unis au cours de la guerre froide
afin de distinguer les points stratégiques nécessitant leur implication politique, économique ou
militaire. Elle semble aujourd’hui à nouveau pertinente en Asie centrale, dans un contexte
marqué par la montée de l’islamisme en plein cœur de la région, dans la vallée de Ferghana.
. Il s’agit bien là d’une menace islamiste, c’est-à-dire d’une menace constituée par une
idéologie hostile aux principes libéraux prônés par les Etats-Unis. Jusqu’au 11 septembre,
l’islamisme n’avait pourtant jamais été considéré comme une menace en soi. Olivier Roy
rappelle à ce titre que dans la politique étrangère des Etats-Unis, ce n’était pas tant l’idéologie
des mouvements qui était prise en compte mais davantage leur positionnement politique au
sein des relations internationales. Lors de la prise de Kaboul par les talibans, madame Rafel,
sous-secrétaire d’Etat pour l’Asie du Sud, avait évoqué une « avancée positive » dans la
région72. En revanche, parce que l’un de ces mouvements, le MIO, s’est montré capable de
mener des actions violentes dans plusieurs pays de la région au moyen d’attaques armées, de
prises d’otages et d’attentats, cette menace islamiste a progressivement été perçue comme une
véritable menace terroriste. Dès lors, « guerre contre le terrorisme » et lutte contre l’islamisme
sont devenus indissociables, poussant les Etats-Unis à s’intéresser de plus près aux
mouvements islamistes actifs dans la région, et même au non-violent Hizb ut-Tahrir dont on
ignore de quelle façon il évoluera ces prochaines années. S’il est vrai qu’il prône une
réislamisation pacifique des sociétés centre-asiatiques, il aurait déjà tenté à plusieurs reprises
de prendre le pouvoir par la force en Syrie, en Jordanie en 1969 et 1971 et dans le sud de
l’Irak en 197273.
71 “Unrest in Uzbekistan could create a domino effect in the region”, Adolat Najimova, Assessing the war on terror in Central Asia, op. cit., p.972 “a positive step”, madame Rafel citée par Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, le débat stratégique face au terrorisme, Paris, Seuil, 2002, p.6673 ICG, Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, op. cit., p.3
34
Cette perception d’une menace terroriste dans la région est alimentée par la « théorie
des Etats faibles » (« weak states ») développée par de nombreux chercheurs américains.
Selon cette théorie, tout « Etat faible » est susceptible de se transformer en un « Etat
défaillant » (« failed state »), c’est-à-dire « un Etat qui ne peut pas ou ne veut pas garantir les
conditions civiles minimales, à savoir la paix, l’ordre, la sécurité, etc, à l’intérieur du pays »
d’après la définition de Robert H. Jackson74. Parmi les chercheurs appliquant cette théorie à
l’Asie centrale se trouve Charles Fairbanks, directeur de l’Institut d’Asie centrale et du
Caucase à l’université Johns Hopkins de Washington D.C., qui explique les raisons qu’ont les
Etats-Unis de rester présents dans cette région75 : selon lui, il s’agirait d’empêcher la
formation d’Etats faibles en Asie centrale, afin que les mouvements islamistes ne puissent pas
s’y développer et porter atteinte à la stabilité régionale. Il affirme que l’apport du 11
septembre a été de montrer l’importance d’un recadrage de la politique étrangère américaine,
qui doit à présent s’intéresser à ces territoires autrefois négligés que sont les républiques
d’Asie centrale. En tant que pays majoritairement musulmans, celles-ci pourraient devenir des
refuges idéaux pour les terroristes si elles venaient à s’affaiblir76. Pour cette raison, l’intérêt
des Etats-Unis serait de soutenir les régimes en place en Asie centrale, afin de ne pas offrir
aux mouvements islamistes déjà présents en Ouzbékistan la possibilité d’étendre leur
influence hors de la vallée de Ferghana et de ne pas les encourager à s’orienter vers des
actions plus radicales. L’affaiblissement du régime ouzbek laisserait en effet une marge de
manœuvre plus importante aux mouvements islamistes existants, notamment le Hizb ut-
Tahrir, et permettrait probablement à d’autres entités islamistes de se constituer. A long
terme, ceci pourrait par ailleurs encourager d’autres organisations transnationales comme Al
Qaida à profiter d’un contexte favorable pour s’implanter durablement dans l’ensemble de la
région. C’est ce qui s’était produit dans les années 1980 et 1990 en Afghanistan, après que le
retrait des troupes soviétiques en 1979 ait laissé le pays totalement désordonné, soumis aux
luttes entre les clans traditionnels pour la prise du pouvoir. La prise de Kaboul par les talibans
en 1996 avait alors offert un refuge idéal aux membres d’Al Qaida et avait ainsi permis la
création de nombreux camps d’entrainement, fréquentés par des islamistes venant du monde
entier. Il s’agirait donc, pour les Etats-Unis, d’éviter qu’un tel scénario ne se répète dans la
région. L’expression américaine « afghanicization », employée par de nombreux chercheurs
74 Robert H. Jackson, “Surrogate Sovereignty? Great Power Responsability and ‘Failed States’”, Institute of International Relations, University of British Columbia, Working Paper n.25, novembre 1998, p.275 Charles Fairbanks, « Being There », The National Interest, été 2002, pp.39-5376 “September 11 has shown the need for a major re-focusing of U.S. foreign policy to deal with such neglected cases because weak states that happen also to be Muslim states are prime locales for terrorist refuges”, Charles Fairbanks, Ibid, p.46
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américains mais difficile traduisible en français, témoigne précisément de cette crainte que
l’histoire afghane ne se répète aujourd’hui dans d’autres pays d’Asie centrale77. Certes, on
peut actuellement considérer l’Afghanistan comme un pays relativement stabilisé : grâce à
l’importance numérique des troupes américaines présentes sur le territoire afghan, ce pays
n’est aujourd’hui plus perçu comme une menace à l’encontre des Etats-Unis. C’est ce qu’a
rappelé le président américain George W. Bush lors de la visite du président afghan Hamid
Karzai à Washington, le 23 mai 2005 : « L’Afghanistan n’est plus un lieu sûr pour les
terroristes. L’Afghanistan est un partenaire-clé dans la guerre internationale contre la
terreur »78. Les récents évènements au Kirghizstan, ayant provoqué la chute du président
Askar Akayev en avril 2005, laissent pourtant planer le doute sur l’avenir des régimes des
pays voisins. Dans toutes les républiques d’Asie centrale, les régimes s’étaient établis en 1991
lors des indépendances. Le régime kirghize était néanmoins connu pour être le moins
autoritaire d’entre eux, ce qui aurait permis à l’opposition de s’y développer plus facilement et
ce qui expliquerait qu’il ait été le premier à tomber. En Ouzbékistan, la dureté de la répression
menée par Islam Karimov à l’encontre de ses opposants laisse peu de place au développement
de mouvements d’opposition réels, du moins dans la légalité. Malgré cela, il semble que les
Etats-Unis aient pris conscience du rôle qu’ils doivent à présent jouer dans ces pays s’ils
souhaitent empêcher la propagation de l’islamisme et le développement d’organisations
terroristes telles que le MIO. Comme le souligne Charles William Maynes, les pays d’Asie
centrale pourraient « fournir un sanctuaire à des terroristes tels que ceux qui ont attaqué le
Pentagone et le World Trade Center »79. Si l’hypothèse d’un renversement de l’un des régimes
d’Asie centrale par un mouvement islamiste paraît encore peu probable, il n’est pas exclu que
cela se produise dans la décennie à venir. Les islamistes pourraient du moins encourager les
populations centre-asiatiques à s’insurger contre les dérives autoritaires de leurs gouvernants,
et profiter alors du chaos qui en découlerait pour prendre le pouvoir par la force. Une situation
telle que celle qui caractérisait l’Afghanistan entre 1996 et 2001 pourrait ainsi apparaître, qui
verrait l’un des Etats d’Asie centrale se transformer en un nouveau sanctuaire pour des
organisations islamistes animées par des ambitions terroristes.
77 L’expression « afghanicization » a notamment été employée par Mark Miller, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’Université du Delaware, lors d’un séminaire intitulé « La nouvelle politique de sécurité nationale américaine dans le cadre des relations transatlantiques », Institut d’Etudes Politiques de Lyon, mars 200578 Discours de bienvenue du président George W. Bush au président Hamid Karzai, le 23 mai 2005 à Washington, DC.79 Charles William Maynes, “America Discovers Central Asia”, Foreign Affairs, vol.82, n.2, mars-avril 2003, p.121
36
D’autre part, les déplacements de ces islamistes seraient largement facilités par la
porosité des frontières actuelles. Malgré des efforts en matière de renforcement des contrôles
aux frontières de la part de l’Ouzbékistan notamment, certaines régions montagneuses restent
propices aux déplacements clandestins ou aux trafics de drogue80. C’est alors en quelque
sorte un « endiguement » (« containment ») de l’islamisme qu’il s’agirait d’effectuer, terme
que l’on retrouve cette fois encore dans le rapport du séminaire « Assessing the ‘War on
Terror’ in Central Asia »81. L’endiguement serait alors la réponse principale à apporter aux
mouvements islamistes afin d’empêcher que leur développement ne menace à terme la
sécurité nationale des Etats-Unis. D’après Yuriy Matashev, les nombreuses attaques
terroristes de 1999 et 2000 « ont bel et bien montré qu’avaient été formées dans la région des
unités de combat mobiles, capables de mener une guerre contre les gouvernements d’Asie
centrale »82 . Partant de ce constat, on comprend aisément la crainte du Département d’Etat
américain que les actions terroristes de ces organisations ne puissent un jour toucher leurs
intérêts politiques ou économiques et porter atteinte à leur sécurité.
Si les attentats du 11 septembre 2001 ont soudainement transformé l’Asie centrale
en une région prioritaire de la « guerre contre la terreur » (« war on terror ») américaine, c’est
qu’ils y ont révélé la présence de mouvements islamistes actifs et organisés tendant à
développer leurs réseaux dans plusieurs Etats de la région. Cette menace terroriste demeure
aujourd’hui principalement dirigée contre le régime d’Islam Karimov, mais pourrait un jour se
tourner contre d’autres dirigeants voire contre les Etats-Unis. L’intérêt américain dans la
région se mesure donc en termes de sécurité. Rappelons que la notion de sécurité a
considérablement évolué au cours de ces dernières années: s’il est vrai qu’elle a toujours été,
comme l’indique Raymond Aron, l’un des « objectifs éternels » de la politique extérieure des
Etats, elle ne se limite plus aujourd’hui à la prise en compte de menaces militaires qui seraient
exclusivement le fait des Etats83. Depuis la fin de la guerre froide principalement, elle a été
contrainte de tenir compte de ce qu’on a appelé les « nouvelles menaces », c’est-à-dire celles
constituées par des groupes terroristes non-étatiques. Pour les Etats-Unis, la notion de sécurité
appliquée à l’Asie centrale consiste à éviter l’ « afghanicization » de l’Asie centrale : comme
80 Voir à ce sujet Patrick Simon, « Asie centrale : où en est-on ? Quels enjeux de sécurité ? », novembre 2003, p.581 Assessing the war on terror in Central Asia, op. cit., p.282 Yuriy MATASHEV, « Les sources de l’Islam radical en Ouzbékistan », Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, op. cit., p.17883 Voir à ce sujet Dario Battistella, Théorie des relations internationales, chapitre 14 : « la sécurité », Paris, Presses de Sciences Po, 2003, pp. 431-462
37
l’explique Fiona Hill, spécialiste américaine de l’Asie centrale, ce phénomène impliquerait
« la naissance d’autres groupes terroristes de portée transnationale qui pourraient menacer la
stabilité de toutes les régions qui s’entrecroisent [en Asie centrale] et frapper les Etats-
Unis »84. C’est donc l’émergence de nouveaux mouvements terroristes centre-asiatiques qui
est redoutée, qui pourrait provenir soit de la création de nouveaux mouvements islamistes
violents, soit de l’évolution de mouvements islamistes pour l’instant non-violents comme le
Hizb ut-Tahrir. Un autre danger est également perçu par les Etats-Unis, qui résulterait de
l’alliance de certains mouvements islamistes d’Asie centrale avec des organisations terroristes
transnationales déjà connues pour leurs attaques anti-américaines, telles qu’Al Qaida. C’est ce
à quoi nous allons nous intéresser à présent, en cherchant à comprendre les fondements de la
perception américaine d’une menace transnationale.
La perception américaine d’une menace transnationale
Il semble que les mouvements islamistes d’Asie centrale soient appréhendés par les
Etats-Unis à travers ce qu’Olivier Roy appelle « un combat jihadiste international », c’est-à-
dire un mouvement islamiste qui agirait à l’échelle mondiale et qui menacerait les intérêts
américains, à l’étranger comme sur leur propre territoire85. Cette perception a profondément
marqué la lutte contre le terrorisme engagée depuis octobre 2001. Elle est alimentée par un
courant interne aux Etats-Unis, celui des néo-conservateurs, dominants dans le processus de
décision au sein de l’administration Bush. Néanmoins, si elle a pu s’imposer comme la
référence principale dans l’élaboration de la politique étrangère américaine, c’est parce que
d’autres Etats ont également contribué à la forger. En effet, la Russie, la Chine et
l’Ouzbékistan se sont efforcés, ces dernières années, d’apporter la preuve des connections
existant entre les mouvements islamistes situés sur leurs territoires respectifs. La Russie et la
Chine sont toutes deux confrontées aux problèmes posés par des mouvements
indépendentistes dans leurs provinces proches de l’Asie centrale, en Tchétchénie et dans la
province chinoise du Xinjiang. Il s’agit dans les deux cas de régions fortement imprégnées par
l’Islam, leurs habitants étant majoritairement musulmanes contrairement au reste de la
population chinoise ou russe. La particularité religieuse de ces régions est ainsi devenue le
84 Fiona Hill, “The United States and Russia in Central Asia : Uzbekistan,Tajikistan, Afghanistan, Pakistan, and Iran”, The Aspen Institute Congressional Program, Brookings Institution, 15 août 2002, p.2 85 Olivier Roy, cité par Eurasia Insight, “US failure to comprehend islamic radical motivations undermines democratization hopes for Middle East, Central Asia”, 13 mai 2004, p.1
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point d’appui principal des mouvements indépendantistes, qui se sont progressivement révélés
islamistes86. Concernant la Russie, il est clair qu’elle a amplement bénéficié du déclenchement
de la lutte contre le terrorisme en octobre 2001 : tout d’abord, celle-ci lui a permis de se
réintroduire en tant qu’acteur dans le jeu des relations internationales, en instaurant avec les
Etats-Unis une coopération nouvelle dans le domaine du renseignement. Mais surtout, elle lui
a donné l’occasion de dénoncer l’appartenance des islamistes tchétchènes à une mouvance
islamiste plus large, assimilant de ce fait le mouvement indépendantiste à un mouvement
terroriste international87. Vladimir Poutine déclarait, le 24 septembre 2001 : « Nous pensons
également qu’on ne peut pas considérer les évènements en Tchétchénie en dehors du contexte
de la lutte contre le terrorisme international »88. La prise en otage par des indépendantistes
tchétchènes de quelques 800 personnes dans le théâtre de la Doubrovka à Moscou, en octobre
2002, suivie de celle de l’école primaire de Beslan en Ossétie du Nord, en août 2004, n’ont pu
que renforcer la position russe à ce sujet. De plus, une nouvelle cassette attribuée à Oussama
Ben Laden fut diffusée le 13 novembre 2002 : la prise d’otages de Moscou y était citée
comme faisant partie des victoires remportées par Al Qaida contre les Etats-Unis et leurs
alliés, ce qui ne manqua pas d’encourager la Russie à affirmer une fois de plus l’existence
d’un mouvement terroriste international ayant des réseaux jusqu’en Tchétchénie89. En Chine,
c’est dans la province autonome du Xinjiang que s’est développé un mouvement
indépendantiste, une région riche en ressources naturelles et située à un carrefour stratégique
entre la Chine, la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le
Pakistan et l’Inde. Les Ouigours qui habitent cette région sont des musulmans ethniquement
proches des peuples turcophones d’Asie centrale. Il existe au Xinjiang une tension séparatiste
latente, ponctuée par des manifestations et des attentats sporadiques. Depuis 1996, la
répression chinoise à l’égard de ceux qu’elle accuse d’être liés au terrorisme international
s’est considérablement amplifiée. Comme pour la Russie, la lutte contre le terrorisme
engagée par les Etats-Unis a donc été considérée comme du pain béni par le gouvernement
chinois. « En estimant que la communauté internationale doit renforcer sa coopération dans la
lutte contre le terrorisme, la Chine entend avant tout faire accepter la politique qu’elle mène
dans sa province musulmane du Xinjiang au prétexte que les séparatistes y ont recours à des
86 Selon Jean-Luc Racine, dans ces deux pays, « le nationalisme ethnique et l’islamisme ne répugnent pas à s’allier », voir « Le cercle de Samarcande : géopolitique de l’Asie centrale », Hérodote, n. 84, 2ème trimestre 1997, p.4287 On distingue traditionnellement deux guerres de Tchétchénie : la première s’est déroulée de 1994 à 1996, et la seconde a commencé en 2002. 88 Déclaration du président russe Vladimir Poutine du 24 septembre 2001, à Moscou.89 Voir l’article de Nina Bachkatov, « Mains libres pour la Russie », Le Monde diplomatique, décembre 2002, p.20
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‘pratiques terroristes’ », explique Ilaria Maria Sala dans Le Monde diplomatique90. Les
difficultés internes de la Russie et de la Chine expliquent donc pourquoi ces deux pays ont
très tôt encouragé les Etats-Unis à percevoir les mouvements islamistes de cette région
comme indiscutablement liés au réseau Al Qaida voire à d’autres organisations terroristes.
L’importance première accordée à la sécurité nationale oblige à présent les Etats-Unis à ne
négliger aucune menace, et d’autant plus quand cette menace est pointée du doigt par leurs
alliés.
En Ouzbékistan, on ne compte plus les déclarations officielles qui affirment que le
MIO ou le Hizb ut-Tahrir seraient liés au réseau Al Qaida. En avril 2004, le procureur général
ouzbek Rashid Kadyrov déclare dans une conférence de presse que la responsabilité des
attentats du mois de mars à Tachkent et à Boukhara doit être imputée à une « conspiration
terroriste internationale ». Il y dénonce également le « lavage de cerveau idéologique » qui
serait infligé aux militants ouzbeks par les terroristes étrangers, en particulier par les
islamistes arabes ayant été entrainés dans les camps d’Al Qaida. Nombreux sont ceux qui
soutiennent cette idée aux Etats-Unis, qui serait confortée par l’utilisation en mars 2004 d’une
technique terroriste souvent utilisée au Moyen-Orient : les attentats-suicides perpétrés par des
femmes. Les deux kamikazes des attentats de Tachkent, près du bazar de Chorsou, étaient en
effet des femmes, et ceci pour la première fois en Asie centrale. En outre, les attentats-
suicides ne sont pas habituels en Ouzbékistan : il s’agit plutôt, en général, d’attentats à la
bombe ciblés, visant des membres du gouvernement ou le président lui-même, c’est-à-dire des
cibles clairement identifiées en tant que représentantes de l’ordre établi. C’est sur ce point que
l’on distingue habituellement les mouvements islamistes d’Asie centrale de mouvements
terroristes tel que Al Qaida : d’après Jean-Marc Balencié, l’une des caractéristique du groupe
Al Qaida est qu’il opère dans la perspective d’une « violence apocalyptique »91, qui ne vise
personne en particulier mais cherche à faire un maximum de victimes. A l’opposé, le
mouvements islamistes ouzbeks sembleraient plutôt s’appuyer sur ce qu’il appelle une
« violence régulée », destinée à atteindre des objectifs précis. Les attentats de mars 2004 sont
donc un signe inquiétant, que l’on peut interpréter de deux façons : d’une part, ils pourraient
marquer l’évolution d’un mouvement islamiste ouzbek vers une forme de violence
apocalyptique, qui serait amenée à se répéter ; d’autre part, ces attentats seraient la preuve de
90 Ilaria Maria Sala, « Assimilation forcée dans le Xinjiang chinois », Le Monde diplomatique, février 2002, P.891 Jean-Marc Balencié, « Les mille et un visages du terrorisme contemporain », Questions Internationales, n.8, juillet-août 2004, p.16
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l’influence exercée par Al Qaida sur les islamistes locaux, voire de son implication dans leur
combat contre le régime en place.
Pour les Etats-Unis, il ne fait pas de doute que c’est la seconde hypothèse qui doit être
retenue : leur perception de la menace liée à l’Ouzbékistan s’appuie sur une certitude, celle
d’une collaboration entre Al Qaida et ces islamistes. Dans la liste des organisations terroristes
internationales du Département d’Etat, ils désignent le MIO comme un mouvement « affilié à
Al Qaida », ayant adopté sa logique anti-américaine92. Ils s’appuient sur la participation du
MIO à des attaques menées contre les soldats de la coalition en Afghanistan et au Pakistan, et
sur le soutien apporté par le MIO au régime des talibans. Rappelons que lors de la campagne
d’Afghanistan en octobre 2001, le MIO était installé dans le nord de l’Afghanistan et nombre
de ses militants avaient participé aux combats aux côtés des talibans. Cette affiliation est
confirmée par de nombreux auteurs, ainsi Catherine Poujol qui déclare que « le MIO, classé
27ème organisation terroriste du monde par le Département d’Etat américain depuis l’an 2000,
collabore effectivement avec Ben Laden »93. En revanche, aucune précision n’est apportée
par le Département d’Etat sur les formes ou l’ampleur de la collaboration qu’ils suggèrent
entre le MIO et Al Qaida. Selon quelques responsables ouzbeks et certains leaders du PRI
tadjik, c’est Ben Laden qui aurait encouragé Tohir Yuldushev à poursuivre le combat
islamiste mené en Afghanistan et à créer pour cela un mouvement islamiste ouzbek, avec pour
objectif de libérer la vallée de Ferghana et l’Ouzbékistan du régime d’Islam Karimov94. Cette
hypothèse paraît vraisemblable d’autant que Tohir Yuldushev et Oussama Ben Laden se
seraient rencontrés plusieurs fois en Afghanistan, par l’intermédiaire des talibans, mais
aucune preuve n’a pu être apportée par les Etats-Unis à ce sujet. Le financement du MIO par
Al Qaida est également mis en avant par les Etats-Unis, ainsi qu’une possible aide logistique
qui leur aurait permis de perpétrer les attentats de ces dernières années. D’après Ahmed
Rashid, les fréquentes rencontres à Kandahar entre Yuldushev, Namangani, le mollah Omar et
Ben Laden dans les mois suivant la création du MIO auraient porté sur des questions
matérielles : livraisons d’armes, de munitions et de fonds. Il est vrai que le financement des
islamistes de la région provient essentiellement du narcotrafic organisé par le talibans et par
Al Qaida, à partir de l’Afghanistan. L’hypothèse d’une aide logistique par Al Qaida a été
néanmoins contestée par Olivier Roy lors d’un séminaire organisé à Washington en mai
2004 : selon lui, les islamistes ouzbeks seraient plutôt mal équipés, mal armés, ce qui tendrait 92 “The IMU is closely affiliated with Al-Qa’ida and, under the leadership of Tohir Yoldashev, has embraced Usama Bin Ladin’s anti-US, anti-Western agenda”, Département d’Etat, Country Report on Terrorism 2004, chapitre 6 consacré aux groupes terroristes, p.10093 Catherine Poujol, L’Islam en Asie centrale, vers la nouvelle donne, Paris, Ellipses, 2001, p.6694 Ahmed Rashid, Asie centrale, champ de guerres, op. cit., p.133
41
à démontrer l’absence de connections importantes avec un quelconque groupe jihadiste
international95. Les formes de la collaboration entre les islamistes ouzbeks et Al Qaida
demeurent donc très floues, étant donné que peu d’éléments concrets ne permettent de
l’analyser plus précisément. Nous avons vu que le Département d’Etat, dans sa description du
MIO, mettait en avant une autre caractéristique qui unirait ce mouvement à Al Qaida : la
rhétorique anti-américaine et la volonté de détruire les intérêts américains et occidentaux. Les
objectifs d’Al Qaida ne font évidemment aucun doute sur ce point. Pour ce qui est du MIO, la
seule action qui leur est imputable est la prise d’otage des quatre alpinistes américains en août
2000. Celle-ci avait été perçue comme le premier signe d’une menace à l’encontre des intérêts
américains dans la région. Pourtant, il n’est pas certain que la motivation première des
militants islamistes dans cette prise d’otage ait été de s’attaquer à des ressortissants
américains. Comme nous l’avons vu, d’autres prises d’otages avaient eu lieu au cours des étés
1999 et 2000, qui avaient touché d’autres nationalités et notamment des géologues japonais. Il
est donc peu probable que le MIO ait souhaité, dans cet épisode, s’attaquer volontairement
aux intérêts américains.
En revanche, on ne peut pas nier que l’anti-américanisme soit aujourd’hui l’une des
caractéristiques fondamentales de la rhétorique du Hizb ut-Tahrir. Si celui-ci n’est pas
mentionné dans la liste des organisations terroristes internationales du Département d’Etat,
c’est parce qu’aucune action violente dans la région n’a pu lui être attribuée avec certitude.
Pourtant, si cela venait à se produire, il est certain qu’il constituerait une menace bien plus
importante que le MIO à l’égard des Etats-Unis. On peut trouver dans ses discours de
nombreuses critiques des Etats-Unis, liées notamment à la politique étrangère qu’ils mettent
en œuvre dans le monde musulman. Prenons l’exemple d’un pamphlet écrit par Bismillahi Al-
Rahman Al-Raheem, intitulé « Chasser l’Amérique et ses alliés du monde islamique est une
obligation pour les musulmans »96. La rhétorique y est violente contre les Etats-Unis, qu’il
condamne pour ses incohérences en matière de politique étrangères. L’analyse est précise, et
comporte des allusions au soutien américain des talibans pendant la guerre froide et aux
bombardements au Soudan, en Afghanistan et au Pakistan en août 1998. On peut y lire que
« l’Amérique agit avec les territoires islamiques comme s’ils étaient sa propre ferme », ou
encore que « l’Amérique est le véritable ennemi de la Ummah islamique ». Al-Raheem
encourage alors les dirigeants musulmans à agir contre cet état de fait en fermant leurs
95 Olivier Roy, séminaire intitulé « Terrorisme islamique, Moyen-Orient et Asie centrale : une connection insaisissable », Washington, DC, 10 mai 200496 Cet article est publié en anglais sur le site internet du Hizb ut-Tahrir, « To Expel America and Her Allies from the Islamic World is an Obligation upon the Muslims », 28 août 1998.
42
ambassades, en cessant les échanges commerciaux, en expulsant les citoyens américains, ou
encore en abolissant les traités politiques avec les Etats-Unis. Il ne préconise pas la violence
et précise que considérer les Etats-Unis comme un ennemi ne signifie pas qu’il faille
bombarder leurs ambassades ou attaquer le peuple américain. Il s’agit donc d’un discours
moins radical que celui d’Al Qaida, mais qui le rejoint tout de même en certains points, par
exemple dans la dénonciation de la politique américaine dans le monde musulman. Cette
convergence pourrait, si ce n’est pas déjà fait, les encourager à se rapprocher dans l’avenir. Il
y a donc une véritable menace pour les Etats-Unis, qui serait concrétisée par la radicalisation
des mouvements islamistes d’Asie centrale.
Les évènements de mars 2004 et surtout ceux du mois de juillet n’ont pu que conforter
cette perception de la menace terroriste en Ouzbékistan : en effet, le 30 juillet, trois explosions
touchèrent la ville de Tachkent. L’une d’entre elles visait le ministère de la justice, ce qui
laisserait penser qu’il s’agissait d’islamistes ouzbeks, peut-être des membres du MIO. En
revanche, la seconde cible était l’ambassade des Etats-Unis, fait pour le moins inquiétant.
Ceci signifie peut-être que la radicalisation de l’islamisme centre-asiatique est déjà engagée,
et dans ce cas on peut supposer qu’elle n’en est qu’à ses débuts et que d’autres attaques contre
des intérêts américains se produiront probablement dans les années à venir. Penchons-nous à
présent sur la troisième cible de ces attaques : l’ambassade d’Israël. Pour la première fois, des
intérêts israéliens étaient visés dans la région. Le seul mouvement local dont on connaisse le
discours anti-judaïque est le Hizb ut-Tahrir. Il s’agit pourtant d’un aspect secondaire de son
idéologie et ses attaques verbales contre les juifs n’ont pas l’ampleur de ses revendications
anti-américaines. En général, les préoccupations des islamistes centre-asiatiques se portent
davantage sur des questions internes, propres aux républiques d’Asie centrale. C’est donc plus
vraisemblablement en tant qu’allié des Etats-Unis que l’Etat d’Israël était visé. Cependant, on
ne peut non plus négliger l’hypothèse que cette attaque soit le fait d’une intervention directe
d’Al Qaida ou d’une autre organisation islamiste plus proche du Moyen-Orient.
La menace terroriste en Ouzbékistan est donc difficile à évaluer. Pour les Etats-Unis, il
est certain que cette menace reste floue malgré une coopération accrue avec les services de
renseignement ouzbeks. Seul le MIO est actuellement perçu comme une organisation
terroriste internationale, mais le nombre de ses membres n’est évalué qu’à environ 500
militants par le Département d’Etat. Ceux-ci se seraient réfugiés au Tadjikistan et au Pakistan
43
à la suite de l’opération « Enduring Freedom » en 2001, c’est-à-dire hors de l’Ouzbékistan. Or
le regain de violence survenu en 2004 montre que des mouvements islamistes actifs seraient
présents dans le pays. La perception américaine d’une menace terroriste ne peut en être que
renforcée, bien que l’incertitude demeure quant à l’identité de ces islamistes et à leurs
objectifs. Selon les Etats-Unis, le groupe Al Qaida serait largement responsable de ces
attentats, soit parce qu’il les aurait lui-même organisés, soit parce qu’il financerait les
islamistes de la région. Quoi qu’il en soit, ces attaques successives ont fait de l’Asie centrale
une région à risque aux yeux des Etats-Unis, dont la politique étrangère est aujourd’hui
dominée par des impératifs de sécurité nationale. L’islamisme est devenu une menace en ce
sens qu’il produirait des mouvements utilisant des méthodes terroristes pour arriver à leurs
fins : attentats-suicides, voitures piégées, incursions armées et prises d’otages. Par deux fois,
en août 2000 et en juillet 2004, ces attaques ont pris pour cible des intérêts américains. La
politique américaine consiste donc depuis le 11 septembre 2001 à endiguer l’islamisme, à
l’empêcher de se développer pour que de telles attaques ne puissent plus se produire.
S’appuyant sur la « théorie des Etats faibles », l’administration Bush s’efforce de renforcer les
régimes en place afin que l’islamisme ne parvienne pas à prendre le pouvoir dans l’un des
pays de la région et d’éviter que le scénario afghan ne se reproduise. Dans cette perspective,
les Etats-Unis ont fait le choix de s’allier aux gouvernements de certaines républiques d’Asie
centrale, et parmi elles l’Ouzbékistan. C’est avec ce pays que s’est développée la coopération
la plus poussée, comme nous allons le voir dans notre seconde partie.
44
Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué l’avènement d’une nouvelle
conjoncture internationale, caractérisée par des changements importants dans les relations
entre les Etats. Ils ont contraint les Etats-Unis à redéfinir leurs rapports avec certains pays
musulmans, notamment l’Arabie Saoudite et le Pakistan. Pour les républiques d’Asie centrale,
les conséquences de ces attentats ont été d’autant plus importantes qu’elles se situent à la
frontière du premier théâtre d’opérations de la « guerre contre le terrorisme » engagée par les
Etats-Unis : l’Afghanistan. En l’espace d’un mois, plusieurs d’entre elles sont devenues le
centre de l’attention des dirigeants occidentaux. Par leur coopération, elles ont rendu possible
les attaques américaines sur l’Afghanistan dans le cadre de l’opération « Liberté Immuable »
(« Enduring Freedom »). Leur implication dans la campagne d’Afghanistan diffère cependant
beaucoup d’un pays à l’autre : le Turkménistan a opté pour la neutralité politique, ne
souhaitant participer qu’à des opérations humanitaires en Afghanistan, tandis que
l’Ouzbékistan est rapidement devenu un partenaire privilégié des Etats-Unis. La coopération
entre ces deux pays ne s’est pas arrêtée avec la fin des combats en Afghanistan. Le 20
septembre 2001, le président George W. Bush déclarait dans un discours au Congrès
américain : « Notre guerre contre la terreur commence avec Al Qaida, mais ne s’arrête pas là.
Elle ne s’arrêtera pas tant que chaque groupe terroriste de portée globale n’aura pas été
trouvé, stoppé et vaincu ». La perception d’une menace terroriste prenant sa source en
Ouzbékistan les a ainsi encouragés à poursuivre leur coopération avec ce pays, au-delà du
cadre de la campagne d’Afghanistan. De plus, d’autres facteurs contribuaient à faire de
l’Ouzbékistan un partenaire idéal dans la région : situé de façon stratégique, au cœur de l’Asie
centrale, il était engagé depuis déjà plusieurs années dans la lutte contre l’islamisme. La
coopération entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan s’intensifia donc rapidement, rompant ainsi
avec des années de relations diplomatiques sporadiques. C’est ce que nous étudierons dans un
premier temps. Nous verrons ensuite que la participation de l’Ouzbékistan au combat des
Etats-Unis contre le terrorisme n’est pas non plus dénuée d’intérêts multiples : intérêts
économiques, au regard de la situation difficile dans laquelle se trouve l’économie ouzbèke
depuis l’indépendance ; intérêts politiques également pour le régime d’Islam Karimov, dont la
stabilité et l’influence régionale se sont vues renforcées par le soutien américain.
47
Chapitre 3 : L’Ouzbékistan, un partenaire privilégié pour les
Etats-Unis
Si l’Ouzbékistan est rapidement devenu un partenaire privilégié des Etats-Unis, c’est
que lui seul était en mesure d’offrir aux Etats-Unis les conditions idéales pour leur
intervention militaire en Afghanistan. Il présentait de plus des avantages non négligeables aux
yeux de l’administration Bush, en termes de puissance démographique et militaire ainsi que
par son engagement durable dans la lutte contre l’islamisme terroriste.
L’Ouzbékistan, un partenaire idéal pour une coopération à long terme
Dans son discours du 7 octobre 2001, le président George W. Bush annonçait au
peuple américain le début des opérations militaires en Afghanistan, et en fixait les objectifs
suivants : « mettre un terme à l’utilisation de l’Afghanistan comme base terroriste des
opérations [sous-entendu d’Al Qaida], et attaquer les infrastructures militaires du régime
taliban »97. Pour y parvenir, il lui était indispensable de recueillir le soutien mais aussi la
coopération de certains pays de la région : l’isolement stratégique de l’Afghanistan devait être
total afin que les opérations puissent être menées sans encombre. Il s’agissait ainsi de trouver
un ou plusieurs alliés sûrs parmi les pays frontaliers de l’Afghanistan, en vue de permettre aux
avions américains effectuant les bombardements de bénéficier de bases aériennes proches des
endroits désignés comme cibles. L’Afghanistan possède en tout 5 529 km de frontières, qu’il
partage avec six Etats et principalement avec le Pakistan. Celui-ci avait été l’allié principal
des Etats-Unis dans les années 1980, quand la lutte contre le communisme avait poussé ces
deux pays à soutenir les moudjahidins afghans dont faisaient partie les futurs talibans. Malgré
le retrait de l’armée soviétique en 1988, le Pakistan avait tout de même poursuivi sa politique
de soutien aux moudjahidins dans le but de voir s’établir en Afghanistan un gouvernement
Pachtoune, qui priverait l’Inde de toute influence dans le pays. Ceci explique les propos du
général Pervez Moucharraf tenus lors d’une conférence de presse à Islamabad le 25 mai 2000,
dans lesquels il déclarait : les Pachtounes « doivent être de notre côté. C’est notre intérêt
national. Les Pachtounes sont aujourd’hui représentés par les talibans, et le Pakistan ne peut
97 “To disrupt the use of Afghanistan as a terrorist base of operations, and to attack the military capability of the Taliban regime”, discours de George W. Bush du 7 octobre 2001.
48
se couper des talibans »98. Pour cette raison, il était évidemment impossible que le Pakistan
devienne l’allié principal des Etats-Unis dans son combat contre les talibans et Al Qaida, bien
que le général Moucharraf ait décidé de suspendre son aide aux talibans à la suite de
l’ultimatum lancé par les Etats-Unis : ceux-ci exigeaient alors du Pakistan qu’il prenne parti,
avec ou contre eux. A l’opposé du Pakistan, l’Iran était depuis longtemps engagé dans la lutte
contre le radicalisme sunnite dont il avait fait l’un de ses objectifs stratégiques principaux.
Possédant près de 1000 km de frontière avec l’Afghanistan, il avait vigoureusement réagit aux
attaques des talibans contre les chiites en fermant sa frontière afghane à plusieurs reprises.
Dès le début de la campagne d’Afghanistan, il est devenu le principal fournisseur d’armes et
de munitions de l’alliance anti-talibans, s’associant ainsi à la coalition internationale. On
connaît cependant le différend historique l’opposant aux Etats-Unis, que la campagne
d’Afghanistan n’a pas suffi à faire oublier. Dans le discours sur l’état de l’Union du président
Bush du 29 janvier 2002, l’Iran était d’ailleurs explicitement cité comme faisant partie de
l’ « axe du mal » aux côtés de l’Irak et de la Corée du Nord. La Chine possède également une
frontière avec l’Afghanistan à l’Est, mais celle-ci ne s’étend que sur 76 km et ne donne accès
qu’à une partie enclavée du pays, relativement éloignée du véritable théâtre des opérations. Il
restait donc aux Etats-Unis à se tourner vers les trois républiques d’Asie centrale : le
Turkménistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Nous l’avons vu, le Turkménistan a
immédiatement opté pour la neutralité politique dans la région, choisissant de ne pas froisser
son allié russe par une coopération poussée avec les Etats-Unis et préférant ainsi ne participer
qu’à des opérations d’ordre humanitaire. Il est vrai que les revenus du Turkménistan
dépendent très largement de la Russie, principal importateur du gaz turkmène. Le Tadjikistan
semble lui aussi très dépendant de la Russie mais pour une toute autre raison. Comme le
rappelle Laurent Vinatier, à la fin de la guerre civile, les groupes armés se réclamant de
l’islamisme radical auraient pu « créer une poche de résistance islamiste face au
gouvernement de Douchanbe et faire resurgir les anciens démons de la guerre civile de 1992-
1997 »99. La présence militaire russe apparaissait alors comme le seul moyen de garantir la
pérennité du nouveau gouvernement de coalition, et d’assurer la stabilité du pays pour les
années à venir. Elle consiste actuellement en 20 000 gardes-frontière russes postés sur la
frontière afghane, auxquels s’ajoutent environ 8 000 soldats de l’armée de terre.
L’Ouzbékistan demeurait donc le seul pays véritablement détaché de l’influence russe. Depuis
1991, celui-ci avait en effet fait preuve d’une volonté non dissimulée de s’émanciper
98 Pervez Moucharraf cité par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, Paris, Autrement, 2002, p.18799 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, Paris, Armand Colin, 2002., p. 25
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définitivement de la tutelle russe, afin de devenir lui aussi une puissance régionale à part
entière. Après les attentats du 11 septembre, il avait été le premier Etat d’Asie centrale à offrir
sa coopération à l’administration Bush : Islam Karimov avait ainsi suggéré aux Etats-Unis,
dès le 13 septembre 2001, de combiner leurs efforts afin de venir à bout du terrorisme dans la
région. L’Ouzbékistan est donc rapidement devenu un partenaire stratégique aux yeux des
Etats-Unis, d’autant qu’il présentait de nombreux avantages susceptibles de simplifier
l’intervention américaine en Afghanistan et de rendre plus efficace sa lutte contre le
terrorisme dans l’ensemble de la région.
Il s’agit tout d’abord d’avantages matériels. L’Ouzbékistan dispose d’infrastructures
de transport relativement bonnes, en comparaison avec celles des autres pays d’Asie centrale.
Rappelons qu’il s’agit d’une région difficile d’accès, dotée d’un relief plutôt hostile à la
présence humaine et faite d’une succession de steppes désertiques et de montagnes
rocailleuses. De nombreuses routes sillonnent pourtant les montagnes situées au sud de
l’Ouzbékistan où se trouve la frontière afghane, offrant ainsi des facilités de déplacement non
négligeables aux convois américains. Les infrastructures ouzbèkes incluent également
plusieurs bases aériennes qui furent mises à la disposition de l’armée américaine. Elles se
situent à Termez, à Chirchik, à Tuzel, la principale étant celle de Karchi-Khanabad située à
200 km de la frontière afghane, au sud de pays. D’autres pays disposent certes de bases
aériennes utilisées par les Etats-Unis, notamment le Kirghizstan avec la base de Manas. Celle-
ci ne présentait cependant pas autant d’intérêt que celle de Karchi-Khanabad, pour deux
raisons : d’abord, elle ne fut mise à la disposition des Etats-Unis que le 14 décembre 2001,
après que le gouvernement kirghize ait demandé son approbation à Moscou et plus de deux
mois après l’arrivée des soldats américains sur le sol ouzbek; ensuite, elle se situe près de
Bichkek, la capitale kirghize, elle-même distante de près de 600 km de la frontière afghane la
plus proche. Un avantage doit cependant lui être reconnu : aucune restriction dans l’utilisation
de la base n’a été imposée par le Kirghizstan, tandis que l’Ouzbékistan avait d’emblée exclu
toute attaque terrestre américaine au départ de la base de Karchi-Khanabad. Néanmoins, il
était tout de même peu probable qu’une attaque terrestre vers l’Afghanistan soit menée à
partir de la base de Manas, le Kirghizstan ne possédant aucune frontière directe avec
l’Afghanistan.
L’étude des conditions politiques propres aux pays frontaliers de l’Afghanistan et des
facilités offertes par l’Ouzbékistan nous permet donc de mieux comprendre les raisons de
50
l’intérêt américain à l’égard de ce pays, dans le cadre de l’opération « Liberté Immuable ».
L’objectif des Etats-Unis fut rapidement atteint : on peut dater la chute des talibans au 7
décembre 2001 lorsque ceux-ci annoncèrent leur capitulation, deux mois jour pour jour après
le début des bombardements sur l’Afghanistan. Ce bouleversement dans le système politique
régional suscita de nombreuses interrogations quant à l’avenir de la coopération entre
l’Ouzbékistan et les Etats-Unis. La perception américaine d’une menace terroriste en Asie
centrale participa, on le sait, à la poursuite de cette coopération à plus long terme. Il est
néanmoins utile de rappeler que d’autres facteurs entrèrent en jeu dans le choix américain de
faire de l’Ouzbékistan leur allié principal dans la région pour les années à venir.
L’Ouzbékistan est le pays le plus important de la région par son poids démographique,
avec 25,6 millions d’habitants en 2004 contre seulement 15 millions pour le Kazakhstan,
second pays le plus peuplé. Il existe également de nombreuses communautés ouzbèkes à
l’étranger. Celles présentes dans d’autres pays du monde musulman, comme l’Arabie
Saoudite, sont issues des vagues d’émigration ayant suivi l’invasion russe de la fin du
XIXème siècle. En Asie centrale, les communautés ouzbèkes sont présentes dans chacune des
Républiques et rappellent que le tracé des frontières opéré par les Soviétiques à partir de 1924
n’avait pas tenu compte de la répartition ethnique des populations. Les ouzbeks représentent
aujourd’hui la minorité ethnique la plus importante dans trois des quatre républiques centre-
asiatiques : au Kirghizstan, au Turkménistan et au Tadjikistan dans lequel ils représentent
même près de 25% de la population100. Cette omniprésence à travers toute l’Asie centrale leur
permet d’y exercer une influence notable en termes culturels, économiques et sociaux.
L’influence de l’Ouzbékistan est aussi militaire, car il possède l’armée la plus nombreuse et la
mieux équipée de la région. En effet, après l’indépendance, la priorité fut rapidement
accordée à la politique de défense dans un environnement marqué par une grande instabilité
régionale, du fait des deux guerres civiles en Afghanistan et au Tadjikistan. Le système de
défense fut réorganisé en profondeur afin de permettre une meilleure répartition des unités sur
le territoire, une professionnalisation du personnel militaire et un affranchissement progressif
de la dépendance stratégique et matérielle vis-à-vis de Moscou. Des moyens financiers
importants ont ainsi été attribués au ministère de la défense, tandis que les effectifs se
stabilisaient à environ 50 000 membres en 2001. On peut donc affirmer, à l’instar du Sénat
français qui s’intéressa à la question en 2000-2001, que l’Ouzbékistan constituait bien « la
100 D’après Laurent Vinatier, « Données géopolitiques des cinq Républiques d’Asie centrale », L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.6
51
première puissance militaire de l’Asie centrale » lors du déclenchement de la campagne
américaine en Afghanistan101.
Cette prééminence militaire de l’Ouzbèkistan sur l’ensemble de la région lui a permis
de s’engager très tôt dans la lutte contre l’islamisme. Devenu la cible privilégiée des
mouvements islamistes dès 1992 mais surtout à partir de 1997, le gouvernement d’Islam
Karimov s’est rapidement efforcé de limiter leurs possibilités d’action dans le pays. En 1998,
il pousse le Parlement (appelé « Oliy Majlis ») à adopter une nouvelle loi sur la liberté de
conscience et les organisations religieuses, qui remplace ainsi la loi de 1991. Elle impose des
limites importantes à la liberté de culte : à titre d’exemple, le port du hijab par les femmes est
interdit et de nombreux hommes portant la barbe sont interrogés au sujet de leurs convictions
religieuses. Surtout, la nouvelle législation impose un nombre minimum de 100 citoyens pour
constituer une organisation religieuse, alors que seules dix personnes étaient recquises d’après
la loi de 1991. L’organisation devra ensuite être reconnue par l’Etat et enregistrée en tant que
telle, tout comme les mosquées. Selon les dispositions du Code pénal adoptées en application
de cette loi, toute personne reconnue coupable d’avoir créé une association religieuses non
déclarée auprès de l’Etat s’exposerait à une peine d’emprisonnement de cinq ans.
L’enseignement privé de la religion devient également passible d’une peine de trois ans de
prison. La répression à l’égard des islamistes s’effectue aussi en dehors du cadre législatif :
pour le seul premier semestre de l’année 1999, Amnesty International estime à 55 le nombre
de condamnations à mort prononcées par les tribunaux ouzbeks, dont plusieurs à l’encontre de
membres du Hizb ut-Tahrir102. La condamnation par la Cour Suprême d’Ouzbékistan des 22
accusés dans l’affaire des attentats du 16 février 1999 est rapportée par Romain
Yakemtchouk, qui cite ces propos du procureur général ouzbek : « certains éléments
criminels, cachant leurs arrières-pensées et agissant sous le masque de l’Islam, ont commencé
à semer les dissensions nationales et religieuses, en organisant une conspiration visant la prise
du pouvoir et le renversement, par le « Jihad », du système constitutionnel dans la République
d’Ouzbékistan »103. Six des accusés sont alors condamnés à mort, tandis que les autres
écopent de longues peines de réclusion pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. Le
gouvernement souhaite ainsi faire la preuve de son intransigeance vis-à-vis de l’islamisme
terroriste, bien qu’aucune preuve irréfutable n’ait pu être apportée quant à la responsabilité
des islamistes dans ces attentats. Certaines rumeurs affirment même qu’ils auraient été
101 Rapport d’information du Sénat n.320, annexé au procès-verbal de la séance du 10 mai 2001, p. 39-40102 Amnesty International est cité par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 114 ; voir aussi le Rapport 1999 d’Amnesty International sur l’Ouzbékistan, Annual Report 1999 : Uzbekistan.103 Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p. 155
52
organisés par le gouvernement lui-même, dans l’objectif de pouvoir renforcer sa répression
contre l’islamisme et contre toute forme d’opposition104. Quoi qu’il en soit, on peut
difficilement douter de la volonté d’Islam Karimov de lutter efficacement contre l’islamisme
terroriste, qui pourrait porter atteinte à son pouvoir. L’Ouzbékistan est d’ailleurs l’un des
seuls pays à avoir ratifié la Convention Internationale des Nations Unies pour la répression du
financement du terrorisme du 8 décembre 1999, avec le Royaume-Uni, le Sri Lanka et le
Botswana. C’est l’ensemble de ces éléments qui fait dire à Emmanuel Lincot, et à juste titre,
que Tachkent est « parmi les capitales d’Asie centrale, la plus stable mais aussi la plus
inflexible dans la lutte qui est menée contre l’extrémisme religieux, le séparatisme national et
le terrorisme international »105.
L’engagement de l’Ouzbékistan dans la lutte contre l’islamisme et contre le terrorisme
s’est également concrétisé dans sa participation à la guerre civile en Afghanistan. A l’instar de
la Russie, de l’Iran et des autres Républiques centrasiatiques hormis le Turkménistan,
l’Ouzbékistan semble avoir accordé un large soutien à l’Alliance du Nord du commandant
Massoud, opposé aux talibans. Il s’en était pourtant défendu à plusieurs reprises au début des
années 1990, en se disant notamment résolu « à conserver une stricte neutralité et à respecter
le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures de l’Afghanistan » devant le
Conseil de Sécurité des Nations Unies le 11 février 1994106. Le 4 octobre 1994, le ministre
ouzbek des Affaires étrangères s’éleve encore contre « les propos calomnieux et dépourvus de
fondement » dirigés contre l’Ouzbékistan, réaffirmant sa « stricte neutralité » dans le conflit
afghan107. Ceci dit, la prise de Kaboul par les talibans en septembre 1996 va radicalement
changer la donne régionale : les talibans deviennent une menace pour la stabilité de l’Asie
centrale, voire pour l’intégrité territoriale des pays frontaliers de l’Afghanistan. En 1999,
l’Ouzbékistan instaure un embargo sur les livraisons d’armes à l’Afghanistan. Au printemps
2000, il organise à Termez, dans la région montagneuse du sud du pays, une rencontre entre
Ahmed Shah Massoud et le général ouzbek Abdurashid Dostum, lequel dirige une force
armée composée de combattants ouzbeks originaires d’Afghanistan. Selon Ahmed Rashid,
dans son article « The Taliban : Exporting Extremism » paru dans la revue américaine
Foreign Affairs, ce soutien apporté aux groupes anti-talibans actifs au nord de l’Afghanistan
104 Certaines personnes que j’ai rencontrées au cours de mon séjour en Ouzbékistan, en août 2004, n’excluaient pas l’hypothèse d’une manipulation orchestrée par le gouvernement d’Islam Karimov. 105 Emmanuel Lincot, “Nouvelles d’Asie, les enjeux sino-centrasiatiques », Le Journal de la Paix, n.474, Paris, L’Harmattan, 2001/4, p.10106 Islam Karimov, Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/1994/156, 11 février 1994 107 Propos cités par Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p.131
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peut s’expliquer à la fois par une méfiance historique des ouzbeks à l’égard des pachtounes, et
par le refus des talibans d’accéder à la demande d’extradition de Tohir Yuldushev formulée
par le gouvernement ouzbek en 1999108. Cette attitude favorable du régime taliban à l’égard
des militants du MIO ne pouvait en effet que leur attirer l’inimitié du régime ouzbek. En
conséquence, le président Islam Karimov avait prévenu l’Assemblée Générale des Nations
Unies, le 8 septembre 2000, que l’Afghanistan était devenu un foyer du terrorisme
international et que cette situation représentait « une menace pour la sécurité non seulement
des Etats de l’Asie centrale, mais de l’ensemble du monde »109. Mohammed Reza-Djalili et
Thierry Kellner indiquent que ces déclarations « ont plu aux dirigeants américains malgré leur
peu de fondements »110. Il est en tout cas certain qu’elles ont incité Washington à mettre
l’accent sur le rôle stabilisateur de l’Ouzbékistan dans la région.
Enfin, il convient de nous intéresser à une autre explication possible, qui justifierait
l’importance nouvelle donnée à l’Ouzbékistan dans les relations bilatérales américaines: c’est
celle d’un intérêt commercial des Etats-Unis, qui serait fondé sur les bénéfices potentiels
pouvant découler des ressources énergétiques dont dispose l’Ouzbékistan. A cet égard, on
peut s’appuyer un discours prononcé en juillet 1997 par Strobe Talbott, alors vice-secrétaire
d’Etat dans l’administration Clinton, dans lequel il déclarait : « la consolidation des sociétés
libres, allant de la mer Noire au Pamir, ouvrira un précieux couloir commercial le long de
l’ancienne route de la soie entre l’Europe et l’Asie ». Il ajoutait plus loin, à propos de
l’éventualité d’une guerre entre plusieurs Etats de la région : « les Etats-Unis seraient très
préoccupés si cela devait se produire dans une zone dont le sol couvre près de 200 milliards
de barils de pétrole »111. Ces propos laissent à penser que les intérêts énergétiques, ou plus
généralement commerciaux, des Etats-Unis étaient la principale raison de leur implication
dans la région, avant les attentats du 11 septembre 2001. Après cette date, cette affirmation
semble cependant moins pertinente, en particulier lorsqu’elle s’applique à l’Ouzbékistan.
Celui-ci est certes le sixième producteur mondial d’or112, le dixième producteur mondial de
gaz, le quatrième producteur mondial d’uranium et le quatrième producteur mondial de coton.
108 Ahmed RASHID, “The Taliban: Exporting Extremism”, Foreign Affairs, vol 78, n.6, nov-déc 1999, p.30109 Islam Karimov, cité par Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p.134110 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, Paris, PUF, 2001, p.89111 Strobe Talbott, Remarks on US Foreign Policy in Central Asia at the Paul Nitze School for Advanced International Studies, Département d’Etat, 21 juillet 1997112 Par exemple, la mine de Muruntau, dans le désert du Kyzyl Koum à 400 km à l’est de Tachkent, fournit 80 à 90% de l’or ouzbek. Ce gisement a été découvert par hasard dans les années 1950 par des géologues soviétiques en quête d’uranium. Voir à ce sujet Le courrier des pays de l’Est, n.1027, août 2002, p.54-55
54
Il possède également certaines réserves de pétrole, et produit du charbon, de l’argent, du zinc
et du tunstène. Néanmoins, seuls l’or et le coton sont massivement exportés tandis que les
hydrocarbures servent principalement à l’usage interne du pays. D’autre part, la production
centrasiatique de gaz ne représenterait que 1% de la production mondiale totale113. Selon
Olivier Roy, les ressources naturelles n’entreraient donc pas en compte dans la volonté
américaine d’engager une coopération plus poussée avec l’Ouzbékistan. Il souligne que les
troupes américaines présentes dans la région sont basées dans des pays exportant peu : le
Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan114. En revanche, on peut effectivement constater
qu’elles sont peu présentes dans les deux républiques centre-asiatiques ayant des ressources
énergétiques plus importantes : le Turkménistan, qui dispose de larges réserves de gaz naturel,
ainsi que le Kazakhstan, connu pour ses ressources pétrolières considérables. Partant de ce
constat, on peut donc affirmer que les considérations énergétiques n’ont joué qu’un rôle
secondaire, voire inexistant, dans la volonté américaine de s’allier durablement à
l’Ouzbékistan. S’il est vrai que les données énergétiques sont un élément primordial dans la
conpréhension des relations internationales, il est évident qu’elles ne suffisent pas toujours à
expliquer la politique étrangère américaine. Dans la nouvelle conjoncture issue du 11
septembre et dans le cas précis de l’Ouzbékistan, la notion de « sécurité » est déterminante et
semble donc constituer un critère plus pertinent dans l’analyse de la coopération américano-
ouzbèke.
L’Ouzbékistan présente donc de multiples avantages, à la fois géographiques,
politiques et militaires, qui le rendent plus à même de lutter contre l’islamisme local et de
remplir le rôle de stabilisateur régional voulu par les Etats-Unis. C’est par l’intensification
des relations diplomatiques entre les deux pays, dès septembre 2001, que l’on peut constater
la mise en place progressive d’une réelle coopération dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme. Les attentats du 11 septembre provoquent donc un changement radical dans la
politique étrangère américaine en Asie centrale, et plus encore en Ouzbékistan. C’est ce à
quoi nous allons nous intéresser à présent, en étudiant l’évolution des relations diplomatiques
entre les deux Etats depuis l’indépendance de l’Ouzbékistan, en 1991.
113 Patrick SIMON, « Asie centrale : où en est-on ? quels enjeux de sécurité ? », novembre 2003, p.2114 Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, le débat stratégique face au terrorisme, Paris, Seuil, 2002, p. 40
55
L’évolution des relations diplomatiques entre l’Ouzbékistan et les Etats-
Unis, 1991-2005
Le 31 août 1991, le Soviet Suprême ouzbek réuni en session extraordinaire proclame
l’indépendance de l’Ouzbékistan, ainsi que le changement d’appellation de la « République
Socialiste Soviétique d’Ouzbékistan » en « République d’Ouzbékistan ». Les Etats-Unis
reconnaissent l’existence de l’Ouzbékistan indépendant le 25 décembre 1991, et ouvrent une
ambassade à Tachkent en mars 1992 : c’est le début des relations diplomatiques entre les deux
pays. L’investissement politique et économique américain restera toutefois modeste jusqu’en
1996. Jusqu’à cette date, c’est principalement le Kazakhstan qui est placé au cœur de la
politique américaine en Asie centrale. Pour les Etats-Unis et l’OTAN, il s’agit avant tout de
sécuriser la région en la débarrassant de l’imposant arsenal de missiles et de têtes nucléaires
soviétiques abritées pas le Kazakhstan lors de son indépendance. Cette opération prendra
plusieurs années, pour se terminer avec succès le 21 avril 1995. Pendant cette période, les
relations bilatérales avec l’Ouzbékistan sont dominées par des questions militaires : par
exemple, un plan bilatéral entre les deux pays permet à des officiers ouzbeks d’effectuer des
stages de formation aux Etats-Unis. De même, en 1995, une délégation militaire américaine
est envoyée à Tachkent à la suite de la nomination d’un officier supérieur américain, le
colonel-général James Johnson, en tant que conseiller militaire auprès de l’armée ouzbèke. En
mars 1996, la visite du Secrétaire américain à la Défense William Perry semble annoncer un
certain changement dans les relations américano-ouzbèkes : à Tachkent, il fait l’éloge de
l’Ouzbékistan qu’il qualifie même d’ « îlot de stabilité » en Asie centrale115. Sa venue et ses
déclarations encourageantes n’auront pourtant pas de conséquences majeures sur le pays. A
cette époque, les Etats-Unis n’ont encore identifié aucun Etat centre-asiatique comme leur
allié, et leur politique étrangère tend alors davantage à établir les bases d’une coopération
nouvelle avec la Russie. C’est ce qu’Ahmed Rashid appelle « la politique de la Russie
d’abord »116. Il s’agit alors de ne pas la mécontenter par l’établissement de liens trop étroits
avec les républiques d’Asie centrale. Comme l’indique Thomas Juneau, « la Russie est au
115 William Perry, cité par S. Frederick Starr, « Making Eurasia Stable », Foreign Affairs, vol.75, n.1, janvier-février 1996, p.92116 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p.168
56
cœur de la politique étrangère à l’endroit des pays de l’ex-URSS » durant les premières
années de l’administration Clinton117.
Il faut attendre le printemps 2000 pour qu’une nouvelle initiative soit prise en faveur
de l’Ouzbékistan. En effet, ce sont les offensives du MIO dès le début de l’année 2000 qui
attirent l’attention de l’administration Clinton. De nombreux hauts fonctionnaires américains
se rendent alors en Ouzbékistan, dont la secrétaire d’Etat Madeleine Albright, le directeur de
la CIA George Tenet et le directeur du FBI Louis Freeh. C’est à cette époque qu’est perçue,
pour la première fois, la menace posée par l’islamisme comme facteur de déstabilisation de la
région. Signe de cette préoccupation nouvelle, les déclarations de George Tenet sur le MIO
dès le mois de février 2000, qui affirme notamment que « en Asie centrale, la corruption, la
pauvreté et d’autres fléaux sociaux offrent un terrain fertile aux extrémistes islamiques, aux
réseaux terroristes et au trafic de drogue et d’armes, qui ont un impact en Russie, en Europe et
au-delà »118. Les premières mesures sont alors prises par l’administration Clinton afin de
contrer le terrorisme en Ouzbékistan. En 2000, elle annonce la création du programme
Central Asian Border Security Initiative, grâce auquel l’Ouzbékistan, ainsi que le Kirghizstan
et le Kazakhstan bénéficient pour la première fois d’une aide financière directe des Etats-
Unis, pour un montant s’élèvant à trois millions de dollars chacun. L’objectif de ce
programme est d’éviter la déstabilisation de l’un de ces pays, en améliorant leurs capacités de
lutte contre les insurrections. Il sera étendu au Turkménistan et au Tadjikistan l’année
suivante, permettant ainsi à toutes les républiques d’Asie centrale de bénéficier d’une aide
équivalente de la part des Etats-Unis. A l’été 2001, l’Ouzbékistan n’est donc pas encore
considéré comme un partenaire privilégié mais davantage comme un rempart parmi d’autres
contre l’expansion de l’islamisme.
En outre, au début de l’année 2001, les relations fraichement établies entre
Washington et Tachkent semblent déjà se détendre. Mohammed Reza-Djalili et Thierry
Kellner proposent à ce sujet deux explications: il s’agit tout d’abord du bilan très mitigé de
l’Ouzbékistan en matière de droits de l’homme, lié à l’accentuation de la répression et du
contrôle de la société civile à la suite des attentats de Tachkent en 1999, et qui déplaît
fortement aux dirigeants américains. D’autre part, ils soulignent qu’on assiste à ce moment à
un regain d’activité de la Russie en Asie centrale. Celle-ci demeure le premier partenaire
commercial de Tachkent ainsi que le principal acteur extérieur dans la région. Le souci de
117 Thomas Juneau, dans T. Juneau, G. Hervouet, F. Lasserre (sous la direction de), Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université de Laval, 2004, p.88118 George Tenet, dirceteur de la CIA, déclarations au Select Committee on Intelligence le 8 février 2000, cité par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p.170
57
redonner sa place à la Russie sur la scène internationale marque en effet les premiers mois de
la présidence de Vladimir Poutine, vainqueur des élections présidentielles du 26 mars 2000.
Ce dernier va alors s’efforcer de relancer la coopération de la Russie avec son « espace néo-
impérial »119, dont fait partie l’Asie centrale. L’évolution de l’Ouzbékistan est
particulièrement significative : ce pays, soucieux jusqu’alors de manifester sa distance à
l’égard de Moscou, se montre plutôt réceptif à la nouvelle politique étrangère russe. C’est
d’ailleurs l’Ouzbékistan qui est choisi comme première destination lors des visites officielles
à l’étranger du nouveau président russe. A cette occasion, le rôle de la Russie dans les
questions de sécurité en Asie centrale semble être reconnu par Islam Karimov, qui déclare :
« les Occidentaux ont donné des conseils pour faire avancer la démocratie mais n’ont pas
voulu comprendre la situation de l’Ouzbékistan »120. Il est vrai que la menace islamiste
émergente n’est pas encore, en 2000, l’une des préoccupations premières du Département
d’Etat. Martha Brill Olcott résume bien cette vision des priorités américaines en matière de
politique étrangère lorsqu’elle déclare devant le Sénat américain que « ni les Etats-Unis ni
l’Union Européenne ne possèdent véritablement d’intérêts vitaux dans la région »121.
Malgré la mise en place du programme Central Asian Border Security Initiative en
2000, il semble que la menace islamiste ou plus globalement les questions de sécurité aient
été négligées par les Etats-Unis dans les 10 premières années suivant l’indépendance de
l’Ouzbékistan. Les attentats du 11 septembre 2001 vont radicalement changer la donne, et
vont être suivis d’une intensification considérable des relations bilatérales entre les Etats-Unis
et l’Ouzbékistan. Comme nous l’avons vu précédemment, l’Ouzbékistan est le premier pays
d’Asie centrale à proposer son aide au gouvernement américain, la 13 septembre 2001. Le 24
septembre, la base de Karchi-Khanabad, dite « base K2 », est mise à la disposition des troupes
américaines combattant les talibans dans le nord de l’Afghanistan et accueille alors un millier
de soldats le 6 octobre122. Un traité bilatéral est ensuite signé le 7 octobre 2001, afin de fixer
les termes de la nouvelle coopération entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan dans la lutte contre
le terrorisme. Il est suivi le 13 octobre d’une déclaration commune prévoyant le début des
119 Expression empruntée à Jean-Luc Racine, « Le cercle de Samarcande : géopolitique de l’Asie centrale », Hérodote, n.84, 2nd trimestre 1997, p.49120 Islam Karimov lors de la visite du président Vladimir Poutine à Tachkent, mai 2000, cité par le Rapport d’information du Sénat n.320, op. cit., p.47121 Martha Brill Olcott, spécialiste des questions de transition post-soviétique, lors d’une audition devant le Sénat américain, Politics of Economic Distribution in the Caspian Sea States, Testimony before the US Senate Foreign Relations Commitee, Sub-Committee on International Economic Policy, Export and Trade Promotion, Washington D.C., 12 avril 2000 122 1500 soldats américains y seraient encore déployés, d’après Ramtanu Maitra dans Asia Times Online, d’après « L’Oncle Sam prend racine en Asie centrale », Courrier International, n.754, 14-20 avril 2005, p.25
58
consultations régulières entre les deux pays, dans l’optique de pouvoir mettre en œuvre des
actions communes en cas de menace à la sécurité de l’Ouzbékistan. Les visites officielles de
représentants américains à Tachkent vont alors se succéder : en 2002, mais aussi en 2003 et
2004, de nombreuses délégations du Congrès américain se rendront en Ouzbékistan afin de
s’entretenir avec le gouvernement ouzbek de la poursuite et des modalités de leur coopération.
Enfin, un pas important dans les relations américano-ouzbèkes est franchi avec la
signature à Washington, le 12 mars 2002, d’une « Déclaration de partenariat stratégique et de
coopération » entre Colin Powell, Secrétaire d’Etat américain, et Abdulaziz Komilov, ministre
ouzbek des Affaires étrangères. Dans son article 2.1, consacré aux questions de sécurité, il est
notamment stipulé que les Etats-Unis « seraient très préoccupés par toute menace extérieure à
l’encontre de la sécurité et de l’intégrité territoriale de la République d’Ouzbékistan. Si cela
arrivait, les Etats-Unis consulteraient la République d’Ouzbékistan de façon urgente afin de
développer et de mettre en œuvre une réponse appropriée en accord avec les procédures
constitutionnelles américaines » 123. Ce texte prévoit donc l’éventualité d’une intervention
militaire américaine en Ouzbékistan en cas de menace extérieure, c’est-à-dire constituée par
un autre Etat, contre son territoire. Il s’agit d’un engagement considérable et véritablement
exceptionnel de la part des Etats-Unis, comme le souligne Sophia Clément Noguier : « le
moins qu’on puisse dire, c’est que les Etats-Unis vont très loin dans leur engagement écrit
avec un Etat dans lequel ils ouvrent leur première base »124. On peut cependant remarquer que
cet accord ne lie pas totalement les Etats-Unis, car en aucun cas une telle menace ne saurait
impliquer, de façon immédiate et inconditionnelle, une intervention militaire de leur part.
L’article 2.1 précise également la nécessité, pour l’Ouzbékistan, de développer des liens
étroits avec ses voisins et de promouvoir la coopération régionale afin qu’une menace
extérieure contre son territoire puisse être évitée. Les modalités du partenariat militaire entre
les deux pays sont ensuite établies dans l’article 2.2. Parmi les mesures prévues, on trouve
notamment : l’instauration d’une coopération permanente entre les services militaires et de
renseignement des deux pays ; l’entrainement d’unités spéciales en Ouzbékistan, destinées à
combattre le terrorisme, le narcotrafic illégal, le blanchiment d’argent, et toutes autres
menaces transnationales ; le renforcement et la construction des infrastructures frontalières de
l’Ouzbékistan afin de garantir une meilleure effectivité dans la protection des frontières.
L’article 2.1 précise, quant à lui, les modalités de la coopération politique pour laquelle il 123 “Declaration on the Strategic Partnership and Cooperation Framework Between the United States of America and the Republic of Uzbekistan”, Washington, 12 mars 2002 124 Sophia Clément Noguier, Stratégies régionales américaines : évolution stratégique après le 11 septembre ? , Institut d’expertise et de prospective de l’ENS, Etude réalisée pour le Ministère de la Défense de la République française, avril 2003, p.33
59
s’agit de promouvoir la démocratisation. L’Ouzbékistan s’y engage à « intensifier la
transformation démocratique de la société dans les domaines politique, économique et
spirituel, à prendre en compte les obligations issues des traités internationaux et les exigences
de la législation nationale ». Des programmes de coopérations sont également établis avec les
autres républiques centre-asiatiques. Une « Déclaration conjointe entre le président Bush et le
président Noursoultan Nazerbaïev », le 21 décembre 2001, pose les bases d’une coopération
avec le Kazakhstan en matière de contre-terrorisme et de non-prolifération, en même temps
qu’elle affirme la volonté du Kazakhstan de s’engager dans des réformes politiques et
économiques, en vue de promouvoir la démocratie, l’économie de marché et le
développement des ressources énergétiques125. Un texte largement similaire est également
adopté au sujet de la coopération entre les Etats-Unis et le Kirghizstan, à travers la
« Déclaration conjointe entre le président Bush et le président Askar Akayev » du 23
septembre 2002126. Néanmoins, ces « déclarations communes » ne sont pas de véritables
accords de partenariat, c’est-à-dire qu’elles ne comportent pas de clauses précises sur les
modalités d’application des objectifs énoncés. Par ailleurs, aucune de ces déclarations
n’engage les Etats-Unis à la hauteur du partenariat stratégique signé avec l’Ouzbékistan : dans
les deux textes, il n’est à aucun moment fait allusion à la possibilité d’une intervention
américaine, quelle qu’elle soit, en cas de menace extérieure contre leurs territoires.
Par cette « Déclaration de partenariat stratégique et de coopération », l’Ouzbékistan est
donc bien devenu le partenaire principal des Etats-Unis en Asie centrale. Une question
demeure cependant en suspens au début de l’année 2002 : celle du maintien de troupes
américaines sur le territoire ouzbek. En août 2002, Islam Karimov déclare que les troupes
américaines pourraient stationner dans le pays « aussi longtemps que nécessaire »127, laissant
ainsi planer le doute sur l’avenir de la présence militaire américaine dans la base de Karchi-
Khanabad. Davantage de précisions sont apportées à ce sujet par le général Tommy Franks,
commandant en chef des troupes de la coalition lors de l’opération « Liberté Immuable », au
cours de sa visite en Ouzbékistan, les 22 et 23 août 2002. Celui-ci annonce en effet que la
présence militaire américaine en Ouzbékistan, au Kirghizstan et en Afghanistan serait appelée
à augmenter dans les mois à venir, ainsi que la coopération militaire avec ces trois pays.
Concernant l’Ouzbékistan, le partenariat stratégique et de coopération entre les deux Etats a
125 “Joint Statement by President George W. Bush and President Nursultan Nazarbayev on the New Kazakhstan-American Relationship”, Washington, 21 décembre 2001 126 “Joint Statement by President George W. Bush and President Askar Akayev on the Relationship Between the United States of America and the Kyrgyz Republic”, Washington, 23 décembre 2002 127 Islam Karimov, cité par Mohammed Reza-Djalili et Thierry Kellner, « L’Asie centrale un an après le 11 septembre », Le courrier des pays de l’Est, n.1027, août 2002, p.5
60
en effet été reconduit le 11 janvier 2004. En visite à Tachkent en février 2004, Donald
Rumsfeld n’a de cesse de complimenter Islam Karimov pour sa coopération, affirmant n’être
pas au courant des violations des droits de l’homme quand la question lui est posée. Il semble
alors que la volonté américaine, au début de l’année 2004, soit de ménager leur allié centre-
asiatique en éludant la question de la démocratisation du pays. Cette attitude est très
certainement liée à ce qu’on peut considérer comme une dégradation de l’influence
américaine dans la région, suite à la guerre en Irak déclenchée en mars 2003. Bien que le
Turkménistan ait réaffirmé sa neutralité, trois des quatre autres républiques d’Asie centrale
s’étaient alors prononcées contre une intervention militaire américaine en Irak : le
Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Le Kazakhstan avait en effet privilégié le
règlement du problème irakien dans le seul cadre des Nations Unies. Le Tadjikistan avait
également protesté contre l’action unilatérale des Etats-Unis, s’alignant ainsi sur la position
russe. Au Kirghizstan, le gouvernement d’Askar Akaïev se trouvait confronté à une opinion
publique ouvertement hostile à une intervention militaire en Irak : craignant la déstabilisation
du pays s’il venait à soutenir les Etats-Unis, il a donc préféré condamner le recours à toutes
mesures militaires et ne pas participer à l’ « Opération Libération de l’Irak » (« Operation
Iraqi Freedom »). Le gouvernement ouzbek, « soucieux de ménager son partenariat avec
Washington pour asseoir son statut de puissance régionale », est donc le seul à avoir
manifesté un soutien inconditionnel à l’intervention militaire en Irak128. Plus que cela, il a été
l’unique Etat de la région à faire partie de la « Coalition pour le désarmement immédiat de
l’Irak » formée le 18 mars 2003. Seules deux autres Républiques de l’ex-URSS ont d’ailleurs
accepté de la rejoindre, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Au regard des positions adoptées par les
républiques d’Asie centrale, « les Etats-Unis auraient quelques raisons de s’interroger sur la
fiabilité de leurs ‘partenaires stratégiques’ » selon Annie Jafalian129. Le soutien de
l’Ouzbékistan explique donc certainement la tolérance des Etats-Unis à son égard, malgré les
violations répétées des droits de l’homme par le régime d’Islam Karimov.
L’absence d’autres partenaires fiables dans la région, tant dans la campagne
d’Afghanistan que dans la guerre en Irak, a conduit les Etats-Unis à mettre en place un
véritable partenariat avec l’Ouzbékistan. Celui-ci présentait de nombreux avantages
stratégiques par son importance démographique, sa puissance militaire, son apparente stabilité
politique et son engagement radical dans la lutte contre l’islamisme. Un autre élément-clé 128 Annie Jafalian, « Asie centrale : quels partenariats stratégiques pour les Etats-Unis ? », Annuaire stratégique et militaire, Paris, Fondation pour la Recherche Stratégique, Odile Jacob, 2004, p.140129 Annie Jafalian, Ibid, p.140
61
consiste en sa position géographique : il ne possède aucune frontière avec l’une des grandes
puissances régionales, à savoir la Chine, l’Iran et la Russie face à laquelle il a d’ailleurs
souvent manifesté sa volonté de s’autonomiser. Pour toutes ces raisons, l’Ouzbékistan
constituait un partenaire idéal pour les Etats-Unis dans la perspective d’une coopération à
long terme. Il est fort probable que les Etats-Unis aient cherché, dès 2002, à s’implanter de
façon durable dans la région grâce à ce partenariat et à leur présence militaire en Ouzbékistan.
Pour Mohammed Reza-Djalili et Thierry Kellner, celle-ci correspondrait même à « un
puissant symbole de la pénétration des Etats-Unis dans une région occupant une position
géostratégique particulière, située au cœur de l’Eurasie », l’Asie centrale130. Cependant, il est
certain que tout accord bilatéral offre une perspective de bénéfices, directs ou indirects, à
chacune des deux parties. Pour les Etats-Unis, il s’agit à l’évidence de bénéfices importants en
termes de sécurité, mais également en termes géostratégiques à travers leur présence dans une
région dont ils avaient été absents jusqu’alors. Quant à l’Ouzbékistan, nous allons voir à
présent qu’il s’agit de bénéfices économiques et politiques considérables.
130 Mohammed Reza-Djalili, Tierry Kellner, « L’Asie centrale un an après le 11 septembre », op. cit., p.5
62
Chapitre 4 : Les avantages pour le régime ouzbek de la menace
terroriste
D’après Olivier Roy, et à l’exception du Turkménistan ayant toujours maintenu sa
neutralité, « les républiques d’Asie centrale n’avaient que des bénéfices à attendre de leur
alliance avec les Etats-Unis »131. Ceci est d’autant plus vrai pour l’Ouzbékistan qu’il est leur
principal partenaire dans la région depuis la « Déclaration de partenariat stratégique et de
coopération » signée le 12 mars 2002. Un imam d’une mosquée de Tachkent, interrogé par
l’International Crisis Group (ICG) en septembre 2001, déclarait que le régime ouzbek pouvait
tirer trois bénéfices majeurs de sa coopération avec les Etats-Unis : il s’agirait, avant tout, de
la « destruction du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan », mais aussi de bénéfices
économiques et de l’adoucissement des critiques américaines à l’égard du non-respect des
droits de l’homme132. On pourrait ajouter à cela deux autres éléments. Tout d’abord, il semble
que les intérêts du régime ouzbek dans cette coopération aient été également militaires.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’article 2.1 de la « Déclaration de partenariat
stratégique et de coopération » prévoyait l’instauration d’une coopération permanente entre
les services militaires et de renseignement des deux pays, ainsi que l’entrainement d’unités
spéciales en Ouzbékistan, destinées à combattre le terrorisme, le narcotrafic illégal, le
blanchiment d’argent, et toutes autres menaces transnationales. De plus, ce partenariat lui
permettait d’effectuer un pas de plus dans le processus d’autonomisation vis-à-vis de la
Russie, engagé dès le début des années 1990 mais mis à mal en 2000 et 2001. Olivier Roy
évoque d’ailleurs, à propos des attentats du 11 septembre, « une divine surprise pour ceux qui
s’étaient résignés au retour de l’influence russe »133. C’était le cas du régime ouzbek qui s’était
à nouveau tourné vers la Russie en 2000, face à l’absence d’aides concrètes de la part des
Etats-Unis dans son combat contre l’islamisme, en Ouzbékistan et en Afghanistan.
Dans ce chapitre, nous nous concentrerons sur les intérêts économiques, militaires et
politiques de l’Ouzbékistan dans son partenariat avec les Etats-Unis.
131 Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, op. cit., p.34132 D’après une interview d’un imam de Tachkent, ICG, Central Asian perspectives on 11 September and the Afghan crisis, Asia Report n.9, Osh/Bruxelles, 28 septembre 2001, p.5133 Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, op. cit., p.35
63
Les intérêts économiques et militaires de l’Ouzbékistan
En 2001, l’Ouzbékistan subit une grave crise économique dont on peut trouver les
prémisses dès les premiers mois de son indépendance. En 1991, la disparition soudaine de
l’URSS entraine le départ de nombreux cadres russes, dont la plupart occupaient des postes
centraux au sein de l’économie ouzbèke. Il s’agit d’un processus que l’on retrouve également
dans les autres anciennes Républiques Socialistes Soviétiques, et qui est comparable aux
processus de décolonisation observés au cours des décennies précédentes : l’Ouzbékistan est
alors dépourvu de cadres expérimentés, la majorité des postes de direction étant
traditionnellement réservée aux ressortissants russes. Le système éducatif est peu développé,
et la majorité des ouzbeks est employée dans l’agriculture ou comme main d’œuvre dans le
secteur industriel. D’autre part, alors qu’il existait sous la période soviétique un marché unifié
de la zone économique centre-asiatique, la mise en place des frontières nationales en 1991
consacre la fin de la libre circulation des biens et des personnes entre les républiques d’Asie
centrale. La réduction du commerce régional entraine alors la faillite de nombreuses
entreprises dont les activités s’étendaient sur l’ensemble de la région, et provoque en
Ouzbékistan une inquiétante montée du chômage134. Il apparaît donc difficile, dans ces
conditions, de maintenir l’économie ouzbèke d’autant qu’elle est également affectée par la
crise économique touchant la Russie. Une politique d’ouverture graduelle à l’économie de
marché va alors être développée, sous le contrôle stricte de l’Etat. Elle est largement
encouragée par les pays occidentaux et notamment les Etats-Unis, dont les experts affirment
que la mise en œuvre des réformes nécessaires entrainerait inévitablement un accroissement
des investissements occidentaux dans le pays. Malheureusement, selon Charles William
Maynes dans un article publié en 2003, « les perspectives d’un investissement occidental
majeur sont encore faibles dans plusieurs des pays [d’Asie centrale] »135. En effet, la quasi-
totalité des investissements occidentaux dans les années 1990 s’est portée sur le Kazakhstan et
le Turkménistan, deux pays respectivement producteurs de pétrole et de gaz. En Ouzbékistan,
il existe certes d’importantes réserves en ressources naturelles exploitables, mais la non-
convertibilité du soum de 1996 à 2003 a largement contribué à dissuader les investisseurs
potentiels. L’économie ouzbèke s’appuie donc davantage sur les exportations de coton que sur
134 Antoine Buisson, « Entre fragmentation et réintégration régionale : le développement économique du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan au rythme des transformations politiques depuis l’indépendance », EHESS, DEA Recherches Comparatives sur le Développement, Colloque de fin d’année, 17 juin 2003, p.20135 Charles William Maynes, « America Discovers Central Asia », Foreign Affairs, vol.82, n.2, mars-avril 2003, p.124
64
l’exploitation de ses ressources naturelles. Selon Laurent Vinatier, « l’économie ouzbèke en
général est trop dépendante du secteur agricole », qui représenterait 50% du produit intérieur
brut et qui concentrerait près de 40% de la population active136. En matière sociale, les
conditions de vie des ouzbeks se sont dégradées au cours des années 1990, en raison
notamment de la hausse des prix et du développement du chômage. Selon Laurent Vinatier, le
chômage réel « n’a rien à voir avec celui annoncé par le gouvernement », et s’élèverait à près
de 30% contre 1% officiellement137. Dans son rapport sur l’Ouzbékistan en 2001-2002, la
Banque Mondiale affirme qu’environ 30% de la population vivrait en-dessous du seuil de
pauvreté138. Elle souligne également les difficultés persistantes auxquelles doit faire face
l’économie ouzbèke : l’absence de compétitivité des marchandises, liée aux contrôles
administratifs trop strictes ; la baisse des exportations, qui menace la stabilité
macroéconomique du pays en alourdissant se dette extérieure ; l’absence d’investissements
étrangers ; la fuite continue des travailleurs qualifiés vers d’autres pays, notamment la
Russie ; ou encore l’impact négatif sur la productivité agricole des longs délais d’introduction
des réformes agraires. Ces perspectives économiques peu promettantes expliquent que le
nouveau partenariat avec les Etats-Unis soit perçu parmi la population comme un « rayon
d’espoir inattendu », comme le souligne Charles William Maynes139.
L’aide économique apportée par les Etats-Unis à l’Ouzbékistan à partir de 2001 est
considérable. En 2001, elle s’élève à 58 millions de dollars, mais l’Ouzbékistan n’est alors pas
encore le principal bénéficiaire de l’aide américaine parmi les républiques d’Asie centrale : le
Tadjikistan et le Kazakhstan reçoivent chacun plus de 70 millions de dollars, sur un total de
près de 260 millions de dollars d’aide attribués à l’ensemble des cinq pays centre-asiatiques.
Cette répartition des aides américaines va cependant s’inverser à partir de 2002. L’aide
américaine augmente alors dans les cinq républiques, mais c’est l’Ouzbékistan qui en
recueille cette fois la part la plus importante, avec 297,82 millions de dollars d’après des
chiffres avancés par Annie Jafalian dans l’Annuaire stratégique et militaire de 2004140. Le
montant de l’aide américaine en Ouzbékistan aurait donc plus que quintuplé par rapport à
l’année 2001. Dans l’ensemble des républiques d’Asie centrale, c’est surtout en matière de
136 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.62137 Ibid, p.62. Lors de mon séjour en Ouzbékistan en août 2004, plusieurs personnes m’ont indiqué qu’elles regrettaient l’époque soviétique car l’emploi était alors une garantie pour tous, ce qui rendait le chômage quasiment inexistant.138 Banque Mondiale, Uzbekistan Country Brief 2001-2002, paru en septembre 2002139 Charles William Maynes, « America Discovers Central Asia », op. cit., p.122140 Annie Jafalian, « Asie centrale : quels partenariats stratégiques pour les Etats-Unis ? », op. cit., p.2
65
sécurité que l’expansion de l’assistance américaine a été remarquable. En effet, ce sont les
subventions accordées aux gouvernements centre-asiatiques dans le cadre du « financement
des programmes militaires étrangers » (« Foreign Military Financing ») qui ont le plus
augmenté, c’est-à-dire les subventions devant servir à financer l’achat, aux Etats-Unis,
d’armes, de services et d’entrainements militaires. En Ouzbékistan, l’aide allouée en matière
de sécurité et d’application de la loi (« security and law enforcement ») en 2002 s’élève ainsi
à 79 millions de dollars, d’après le Département d’Etat. Ce dernier évalue l’aide accordée par
les différents services de l’administration américaine aux républiques d’Asie centrale chaque
année. Il est donc intéressant, à ce niveau, d’étudier d’un peu plus près les documents fournis
par le Bureau des Affaires Européennes et Eurasatiques du Département d’Etat, au sujet de
l’aide accordée à l’Ouzbékistan en 2002 et 2003141.
Le document se rapportant à l’année fiscale 2002 explique les raisons de
l’augmentation de l’aide américaine par rapport à 2001 : il s’agit, « à la suite des attaques
terroristes contre les Etats-Unis le 11 septembre 2001, de faire face aux menaces potentielles à
la stabilité et à la sécurité, dont font partie le terrorisme, le trafic de drogue, la prolifération
des armes, la pauvreté, l’oppression politique, et l’isolement vis-à-vis du monde extérieur ».
Nous l’avons vu, l’aide la plus importante est celle portant sur la sécurité et l’application de la
loi. Elle est elle-même subdivisée en plusieurs domaines d’action, notamment la « non-
prolifération », la « réduction de la menace », et le « financement des programmes militaires
étrangers ». Dans le cadre de la « réduction de la menace », on peut citer un programme de
développement de l’aviation ayant pour objectif de renforcer la sécurité aux frontières et de
promouvoir le contre-terrorisme, financé à hauteur de 14 millions de dollars. Le
« financement des programmes militaires étrangers », qui s’élève à 36 millions de dollars,
consiste pour sa part à améliorer l’inter-opérabilité des forces ouzbèkes avec les forces
américaines, grâce aux achats de matériels de communication militaire américains qui
pourront être effectués par l’Ouzbékistan. Comme le souligne Laurent Vinatier, ces mesures
sont « une excellente occasion pour l’armée ouzbèke de se réformer, en profitant à la fois du
matériel américain proposé dans le cadre de la collaboration et des conseils des experts
américains militaires présents sur le terrain »142. En Ouzbékistan, une réforme profonde de
l’armée apparaît en effet nécessaire pour lui permettre de lutter plus efficacement contre le
terrorisme. Il s’agit d’effectuer une véritable modernisation de l’armée, qui passe par
141 « US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2002 », Washington DC, 9 décembre 2002 et “US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2003 », Washington DC, 17 février 2004 : ces deux documents sont disponibles sur le site internet du Département d’Etat, Bureau des Affaires Européennes et Eurasiatiques. 142 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.20
66
l’acquisition d’un armement plus sophistiqué et par la mise en place de nouvelles formations.
Ce processus est largement facilité par le partenariat avec les Etats-Unis, à partir de 2002. De
plus, on remarque que les dépenses du gouvernement ouzbek en matière de défense avaient
considérablement augmenté à la suite des attentats du 16 février 1999 et des incursions
rebelles des étés 1999 et 2000. Plusieurs centaines de millions de dollars avaient alors été
consacrés à l’achat d’armement en Russie, en vue de protéger plus efficacement les frontières
du pays avec l’Afghanistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. L’effet de l’aide américaine dans
ce domaine n’en est donc que plus important, et l’on peut considérer qu’elle aura permis à
l’Ouzbékistan d’économiser plusieurs millions de dollars en le déchargeant de nouveaux
investissements en matière de sécurité intérieure. Pour Laurent Vinatier, « l’ensemble de ces
dépenses épargnées sont autant de ressources disponibles pour le développement économique,
la prise en charge sociale, l’aide aux investissements productifs », bien qu’il soit encore
difficile de connaître l’usage réel fait par le gouvernement ouzbek de ces économies143.
La seconde part la plus importante de l’aide américaine en 2002 est consacrée à
« l’assistance humanitaire » et aux « services sociaux », pour un montant total de près de 100
millions de dollars. Il s’agit ici de transporter, par bateau, des produits de base qui seront
ensuite distribués à la population : médicaments, produits pharmaceutiques, équipement
médical, vêtements et nourriture. En 2002, le Département d’Etat et le Département de la
Défense ont également développé un programme d’aide aux hopitaux de la vallée de
Ferghana, à Ferghana, Namangan et Andijan. Par ailleurs, un programme du Département de
l’Agriculture américain a permis de fournir 100 000 tonnes de nourriture à l’Ouzbékistan, en
2002. On constate donc, grâce à cet exemple de l’assistance humanitaire, que de nombreux
services de l’administration américaine sont mobilisés afin de garantir la répartition de l’aide
américaine dans différents secteurs. Citons enfin les deux derniers domaines importants dans
la distribution de l’aide : il s’agit des programmes en matière des « démocratie » et de
« réforme du marché ». Ces deux programmes sont cependant peu explicités par le
Département d’Etat en 2002 : pour ce qui est des aides en matière de démocratie, le seul
projet concret auquel il est fait allusion est celui des échanges universitaires et professionnels
à travers lequel environ 2 000 citoyens ouzbeks auraient été financés depuis 1993, pour leur
permettre de voyager aux Etats-Unis. Le rapport de l’année fiscale 2003 donne tout de même
davantage de précisions quant aux modalités de cette aide : par exemple, soutien aux
organisations non-gouvernementales (ONG) ouzbèkes et par là même à la société civile,
soutien au programme de réforme judiciaire, ou encore assistance technique aux associations
143 Ibid, p.23
67
locales, en vue d’encourager une participation accrue des citoyens et une meilleure
transparence dans le processus de prise de décision municipal. En matière de « réforme du
marché », l’objectif exposé par le Département d’Etat en 2002 et en 2003 est d’aider le
gouvernement ouzbek à remplir ses engagements vis-à-vis du Fond Monétaire International.
Pour cela, il se propose d’affecter des conseillers techniques américains dans les différents
services du gouvernement ouzbek, qui interviendraient dans des domaines aussi vastes que le
budget, le système bancaire, le service de la dette ou la mise en place de standards
internationaux de comptabilité. Ce document ne comporte cependant pas d’informations
supplémentaires quant aux actions précises qui seront mise en œuvre à partir des fonds alloués
par l’administration américaine.
Le partenariat entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan est reconduit en 2003, mais le
montant des aides américaines est tout de même bien moins important qu’en 2002 : il est
évalué à 86,1 millions de dollars contre près de 300 millions en 2002. La part la plus
importante de l’aide se trouve toujours dans le domaine de la sécurité et de l’application de la
loi avec 30,2 millions de dollars, soit plus d’un tiers de son montant total. D’autre part, l’aide
humanitaire est réduite de plus de 30 millions de dollars et ne représente plus que 18,5
millions de dollars, tandis que l’aide en « services sociaux » est rattachée à la « réforme du
marché » pour ne plus constituer qu’un seul et même secteur, celui de la « réforme
économique et sociale » doté d’un budget de 18,2 millions de dollars. En 2004, cette tendance
à la baisse de l’aide américaine à l’Ouzbékistan se poursuit. On peut apporter à cela une
explication évidente : le coût élevé de la guerre en Irak et de la présence durable de plus de
130 000 soldats américains dans ce pays ne permet plus aux Etats-Unis de maintenir leur aide
à un niveau équivalent dans les régions n’ayant qu’une importance secondaire pour leur
sécurité. Une redéfinition des priorités américaines en matière de politique étrangère a du être
opérée, au détriment de pays comme l’Ouzbékistan où la menace terroriste semblait réduite.
Par conséquent, l’aide américaine attribuée à l’Ouzbékistan en 2004 n’est plus que de 50,6
millions de dollars144. Le volet « sécurité et application de la loi » n’est plus le secteur
prioritaire de l’aide, c’est la « réforme économique et sociale » qui est cette fois privilégiée
avec un montant en hausse, qui atteint 21,2 millions de dollars. Cette modification de la
composition du budget de l’aide américaine est assez significative : dans la lutte contre le
terrorisme, la priorité semble être enfin donnée aux réformes structurelles de l’économie
ouzbèke plutôt qu’au renforcement de l’armée.
144 Département d’Etat, Bureau of European and Eurasian Affairs, “US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2004”, Washington DC, 17 août 2004
68
On comprend aisément les intérêts économiques des deux pays dans ce partenariat. Si
l’aide semble unilatérale, elle n’est cependant pas dépourvue d’intérêt pour les les Etats-Unis.
On constate par exemple que la majorité de l’aide américaine en matière de sécurité consiste
en de nombreuses subventions, qui doivent permettre au gouvernement ouzbek de réformer
son armée par l’achat de matériel aux Etats-Unis plutôt qu’à la Russie, comme c’était le cas
avant les attentats du 11 septembre145. L’ouverture de l’Ouzbékistan à une économie de
marché est également privilégiée : celle-ci ne s’était effectuée, jusqu’alors, que sous le
contrôle stricte de l’Etat, ce qui rendait difficiles les échanges commerciaux avec les Etats-
Unis. L’envoi de conseillers techniques américains doit donc permettre de libéraliser
davantage l’économie ouzbèke et d’équilibrer sa balance commerciale, afin de supprimer les
contraintes établies par le gouvernement sur les importations et de faciliter les investissements
étrangers. Pour l’Ouzbékistan, cette assistance américaine représente un apport économique
fondamental. Elle lui permet de réformer son armée tout en s’épargnant des dépenses
coûteuses en armements sophistiqués. L’importance de l’aide humanitaire et sociale le
dispense également de s’engager dans des mesures de politique sociale de grande ampleur,
principalement dans la vallée de Ferghana où les dispositifs d’aide aux hôpitaux et de
distribution de produits de base par les Etats-Unis sont les plus développés. Enfin, les
dividendes directs perçus par le gouvernement ouzbek représentent une ressource inespérée,
qui lui permettent avant tout de renforcer sa stabilité politique et d’accroître sa puissance
économique à l’échelle régionale.
Les intérêts politiques de l’Ouzbékistan
Le contrôle des frontières ouzbèkes, grâce à l’aide américaine, a été largement
renforcé ces dernières années et a permis de limiter les déplacements clandestins des militants
islamistes dans la région. Cependant, ce n’est pas tant dans la lutte contre l’islamisme que la
coopération américano-ouzbèke a produit le plus d’effets. Nous l’avons vu, ses aspects
économiques sont primordiaux pour le régime ouzbek, qui a ainsi bénéficié depuis 2001 d’une
stabilité économique accrue. Or dans tout Etat, stabilité économique et stabilité politique sont
145 On peut cependant s’interroger sur la pertinence des moyens utilisés par les Etats-Unis pour augmenter leur sécurité : alors que la « prolifération des armes » est considérée comme faisant partie des menaces potentielles dans le document « US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2002 » (voir ci-dessus), on constate qu’une grande partie de l’aide américaine sert en fait à faciliter l’achat d’armements nouveaux par l’Ouzbékistan.
69
indissociables, et si la première ne suffit pas à assurer la seconde, on peut néanmoins affirmer
avec certitude qu’elle y contribue largement. De plus, en Ouzbékistan, ce n’est pas seulement
l’aide économique américaine qui a contribué à renforcer la stabilité du régime d’Islam
Karimov : la seule présence des troupes américaines sur son territoire représentait déjà, dès
septembre 2001, un gage de stabilité considérable. C’est d’ailleurs précisément ce qui était
recherché par les Etats-Unis. Rappelons-le, la crainte de l’affaiblissement des Etats d’une
région considérée comme potentiellement instable est inhérente à la politique étrangère
américaine depuis plusieurs années. Elle est fondée sur la théorie des « Etats faibles », qui
permettraient aux groupes terroristes non-étatiques de se développer plus facilement146. Ainsi,
pour empêcher la propagation de l’islamisme au sein des populations centrasiatiques, il était
indispensable de renforcer la stabilité politique du régime ouzbek, particulièrement répressif à
l’égard des islamistes du MIO ou du Hizb ut-Tahrir. Laurent Vinatier évoque à ce sujet le
« syndrome russe », révélateur des effets de la politique étrangère d’un Etat sur sa politique
intérieure. La Russie, souvent mise en cause pour la dureté de sa répression en Tchétchénie
avant le 11 septembre, a ensuite été progressivement épargnée par les critiques étrangères, et
notamment américaines, du fait de sa participation à la coalition internationale dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme. On constate ainsi que les critiques américaines sont atténuées
envers les alliés de poids, comme c’est le cas de la Russie, ou envers les partenaires rendus
indispensables par la conjoncture internationale : c’est le cas de l’Ouzbékistan, dans le
contexte de l’opération « Liberté Immuable » puis dans le cadre de la lutte contre l’islamisme
terroriste en Asie centrale. Les intérêts géostratégiques des Etats-Unis prennent alors le pas
sur la question des droits de l’Homme, du moins tant que le contexte de la lutte contre le
terrorisme l’exige. En Ouzbékistan, le soutien américain a ainsi contribué à légitimer une
répression systématique du gouvernement à l’égard de tout individu soupçonné de
complaisance vis-à-vis des mouvements islamistes. Selon un rapport de l’association
américaine Human Rights Watch, « l’Etat a criminalisé la pratique légitime de la religion et
des croyances », et « assimile l’exercice du droit à la liberté de conscience, d’expression et
d’association à une tentative de renversement du gouvernement »147. Cette politique de
répression a été largement encouragée par la volonté de l’administration Bush de lutter, par
tous les moyens, contre la menace constituée par les mouvements islamistes au Moyen-
Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud. C’est à juste titre que Mohammed Reza-Djalili et
146 Cf partie 1, chapitre 2 : « La perception américaine de la menace terroriste ».147 Human Rights Watch, « Les ennemis imaginaires de l’Etat, persécutions religieuses en Ouzbékistan », mars 2004
70
Thierry Kellner affirment que « la menace islamiste a été instrumentalisée, notamment par
Islam Karimov, pour légitimer l’établissement et la perpétuation d’un régime autoritaire et
pour discréditer et réprimer l’opposition potentielle à son autorité »148.
D’autre part, si l’administration américaine a permis de légitimer les violations
répétées des droits de l’Homme en Ouzbékistan, c’est que son aide n’est pas subordonnée au
respect de ses engagements démocratiques par le régime ouzbek. En effet, dans la
« Déclaration de partenariat stratégique et de coopération » du 12 mars 2002, l’Ouzbékistan
s’engageait à « intensifier la transformation démocratique de la société dans les domaines
politique, économique et spirituel ». Néanmoins, la déclaration ne faisait à aucun moment
mention des conséquences financières du non-respect de cet engagement par le régime
ouzbek. Certes, en juillet 2004, le Département d’Etat a décidé de réduire de 18 millions de
dollars l’aide américaine directe au gouvernement ouzbek en raison de son bilan peu
concluant en matière de respect des droits de l’Homme et de démocratisation. Il estimait alors
que l’Ouzbékistan n’avait pas respecté ses engagements dans ce domaine, tels que définis par
l’accord bilatéral de mars 2002. Dans son rapport sur l’Ouzbékistan et les pratiques en matière
de droits de l’Homme paru le 28 février 2005, le Bureau de la Démocratie, des Droits de
l’Homme et du Travail du Département d’Etat introduit sa description de l’Ouzbékistan en le
qualifiant « d’Etat autoritaire, doté de libertés publiques limitées »149. En février 2005
également, le Bureau des Affaires Européennes et Eurasiatiques publie une fiche signalétique
sur l’Ouzbékistan pour le Département d’Etat. Dans le paragraphe consacré à la question des
droits de l’Homme, on peut y lire : « l’Ouzbékistan n’est pas une démocratie et n’a pas de
presse indépendante », ou encore « aucun parti politique indépendant n’a été enregistré » 150. Il
ne fait donc aucun doute, aux yeux du Département d’Etat, que l’Ouzbékistan ne répond pas
aux critères démocratiques qu’il s’était pourtant engagé à promouvoir. Cependant, l’aide
versée au gouvernement ouzbek n’est réduite qu’à hauteur de 18 millions de dollars en 2004,
soit une somme relativement négligeable quand l’on connaît le montant de l’aide perçue par
l’Ouzbékistan au cours des années précédentes151. En outre, pour compenser ce manque à
gagner et sous prétexte d’une intensification de la menace terroriste suite aux attentats-
suicides de juillet 2004, le Département de la Défense américain s’est empressé d’accroître
148 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, op. cit., p.242149 “An authoritarian state with limited civil rights”, Département d’Etat, Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, Uzbekistan, Country Reports on Human Rights Practices 2004, Washington DC, 28 février 2005 (www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2004/41717.htm) 150 “Uzbekistan is not a democracy and does not have a free press”, Département d’Etat, Bureau of European and Eurasian Affairs, Background Note: Uzbekistan, Washington DC, février 2005151 Selon le rapport « US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2002 » du Département d’Etat, op. cit., le gouvernement américain aurait déjà versé environ 444,3 millions de dollars à l’Ouzbékistan entre 1992 et 2002.
71
son assistance à l’Ouzbékistan dès le mois d’août 2004 : en visite à Tachkent le 10 août 2004,
soit moins d’un mois après la décision du Département d’Etat de réduire son aide de 18
millions de dollars, le général Richard Meyers annonce l’attribution d’une aide
supplémentaire de 21 millions de dollars à l’Ouzbékistan. Cette somme s’ajoute ainsi aux 39
millions de dollars déjà prévus par le Département de la Défense pour empêcher la
prolifération des armes biologiques. Selon un article publié par « Eurasianet », la crainte du
Département de la Défense de voir se détendre ses liens stratégiques avec l’Ouzbékistan serait
à l’origine de cette générosité inattendue152. A la suite des attentats de juillet 2004 à Tachkent
et face à une réduction continue du montant de l’aide américaine depuis 2003, le président
Islam Karimov s’était en effet tourné, une nouvelle fois, vers la Russie : il s’agissait alors
d’augmenter les ressources du pays grâce au soutien économique et militaire de la Russie, tout
en diversifiant ses options en matière de sécurité. Ceci explique sans doute que le
Département de la Défense ait cherché à ménager son partenaire centre-asiatique, malgré
l’attitude contraire du Département d’Etat. On peut donc considérer qu’aucune véritable
sanction n’a été prise à l’encontre du gouvernement ouzbek, malgré les violations des droits
de l’Homme dénoncées à la fois par le Département d’Etat et par de nombreuses associations
indépendantes telles que Human Rights Watch ou encore Amnesty International. Le régime
d’Islam Karimov bénéficie ainsi d’une totale latitude en politique interne pour réprimer son
opposition, et pour accentuer son contrôle sur la société civile.
Les intérêts politiques de l’Ouzbékistan dans le partenariat avec les Etats-Unis se
mesurent également en termes de politique extérieure. Le soutien américain va ainsi permettre
au gouvernement ouzbek de renforcer sa position politique et son influence sur le plan
régional. Depuis le début des années 1990, l’Ouzbékistan avait sans cesse cherché à se
démarquer de la Russie, en exprimant par exemple ses réserves quant au « Pacte de Sécurité
Mutuelle » élaboré par la Russie en 1994. Islam Karimov avait dès lors fait de l’indépendance
politique et économique une priorité, et avait systématiquement rejeté tout projet tendant à
établir une alliance militaire ou politique avec la Russie. Selon lui, la coopération avec la
Russie devait se restreindre aux problèmes économiques, afin de préserver la souveraineté de
chaque Etat de l’ex-URSS153. Cette volonté d’autonomisation traduisait déjà les rêves de
puissance de l’Ouzbékistan : pour ce pays qui ne partage aucune frontière avec la Russie, la
Chine ou l’Iran, exercer le leadership dans la région centrasiatique était envisageable. Certains 152 “Top US general tours central asian capitals, dispenses aid to Uzbekistan”, Eurasianet, Eurasia Insight, 13 août 2004153 Voir à ce sujet Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p.89
72
de ses voisins lui prêtent d’ailleurs des pensées expansionnistes. Le Kazakhstan, à la fin des
années 1990, avait accusé les autorités ouzbèkes d’avoir procédé unilatéralement à des
modifications du tracé frontalier sur quelque 230 km. L’accord ouzbéko-kazakh du 16
novembre 2001 avait permis de résoudre partiellement le problème de la délimitation de la
frontière entre les deux pays, mais certains points demeurent encore en suspens. D’autre part,
à la suite des incursions du MIO à partir du Kirghizstan et du Tadjikistan, en 1999, le
gouvernement ouzbek avait fait bombarder les villes de Tavildara et de Gharm au Tadjikistan,
ainsi que celles de Batken et d’Osh au Kirghizstan. L’Ouzbékistan avait alors accusé ces deux
pays de laxisme envers la menace islamiste, et avait décidé de s’attaquer lui-même aux
bastions présumés du MIO. En 2000, un différend était également né entre l’Ouzbékistan et le
Kirghizstan à propos de questions territoriales : l’Ouzbékistan avait exigé que le Kirghizstan
lui fasse des concessions territoriales, pour lui permettre d’établir un couloir vers l’enclave de
Sukh et d’attaquer ensuite les positions du MIO. Selon Antoine Buisson, ces multiples conflits
entre l’Ouzbékistan et ses voisins expliquent que « le Tadjikistan, comme les autres
Républiques d’Asie centrale, se méfie de la volonté de l’Ouzbékistan de se poser en leader de
la région »154.
Il est vrai que l’Ouzbékistan est l’Etat le plus peuplé et le plus puissant de la région.
Selon Jean-Luc Racine, il est « celui qui pourrait le plus aisément nourrir un assentiment
populaire en réveillant le souvenir historique de la grandeur passée des villes qui étaient des
centres de domination du 14ème au 17ème siècle »155. On peut cependant douter que ce soit sur
les bases de sa domination passée que l’Ouzbékistan puisse aujourd’hui se réapproprier le
statut de leader régional. A l’heure actuelle, c’est davantage de son partenariat avec les Etats-
Unis que découle la puissance de l’Ouzbékistan. Celui-ci lui permet d’affirmer sa puissance
économique dans la région, malgré un désavantage fondamental lié à de faibles ressources
énergétiques en comparaison avec le Kazakhstan et le Turkménistan. Si son armée était déjà
la plus puissante de la région avant le 11 septembre, elle l’est encore davantage aujourd’hui
grâce aux équipements nouveaux fournis par les Etats-Unis. Surtout, l’Ouzbékistan devient
alors le seul pays d’Asie centrale à posséder un partenaire stratégique hors de la région. La
dépendance économique et militaire des quatre autres Républiques vis-à-vis de la Russie ne
leur permet pas d’exercer une influence réelle dans la région, et les empêche de mener une
politique étrangère totalement autonome de celle de la Russie. C’est d’ailleurs précisément ce
qui avait limité leur soutien aux Etats-Unis lors de la campagne d’Afghanistan : l’Ouzbékistan 154 Antoine Buisson, « Entre fragmentation et réintégration régionale : le développement économique du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan au rythme des transformations politiques depuis l’indépendance », op. cit., p.22155 Jean-Luc Racine, « Le cercle de Samarcande : géopolitique de l’Asie centrale », op. cit., p.42
73
avait été le seul à pouvoir s’engager rapidement aux côtés des Etats-Unis, sans avoir à
demander son accord préalable à la Russie. On pourrait certes penser que le partenariat de
l’Ouzbékistan avec les Etats-Unis ne marquerait en fait que le remplacement d’une
dépendance par une autre. Néanmoins, le continent américain se situant à environ 15 000 km
de l’Asie centrale, ce partenariat ne semble pas remettre en question l’autonomie de
l’Ouzbékistan dans le cadre de sa politique régionale. Au contraire, les Etats-Unis seraient
plutôt enclins à encourager la prise de puissance de leur allié sur la scène régionale, afin que
celui-ci puisse véritablement remplir son rôle d’ « îlot de stabilité » en Asie centrale.
74
Conclusion
L’étude des mouvements islamistes d’Ouzbékistan nous amène à constater qu’il existe
depuis plusieurs années une menace terroriste réelle dans ce pays. En effet, dès 1999, le
Mouvement Islamique d’Ouzbékistan a démontré qu’il avait la capacité d’organiser des
actions violentes susceptibles de porter atteinte à la stabilité du pays, en utilisant toutes sortes
de techniques : incursions armées à partir des pays voisins, attentats, prises d’otages et
affrontements avec les forces armées ouzbèkes. S’il a été durement touché par les
bombardements américains sur l’Afghanistan et par la chute du régime taliban, rien ne permet
aujourd’hui d’affirmer qu’il ne pourrait pas se reconstituer à partir d’autres pays de la région,
tels que le Tadjikistan ou le Pakistan où il aurait conservé certaines bases. D’autre part, la
disparition momentanée de MIO en Ouzbékistan semble avoir permis au Hizb ut-Tahrir de se
développer davantage. Il s’agit d’un groupe islamiste non-violent, mais qui aspire tout de
même à renverser le régime d’Islam Karimov afin de le remplacer par un Etat islamique. Il
diffuse pour cela un message que l’on peut qualifier de « révolutionnaire » auprès de la
population ouzbèke, en ce sens qu’il vise à instaurer un régime politique et un mode
d’organisation de la société radicalement différents du système actuel. Il est une menace réelle
pour les Etats-Unis sur le plan idéologique, car il utilise un discours largement anti-américain
et anti-démocratique par lequel il espère renverser tous les régimes alliés des Etats-Unis dans
le monde musulman. Il est également une menace réelle sur le plan de la sécurité des Etats-
Unis, qui est aujourd’hui au cœur de leur politique étrangère. En effet, si ses chefs religieux et
idéologiques ne prônent pas le recours à la violence, il serait dangeureux de ne pas envisager
une possible radicalisation de certains de ses militants. Les attentats des mois de mars et
juillet 2004 à Tachkent et à Boukhara peuvent laisser penser qu’une telle radicalisation aurait
déjà eu lieu. Ils sont du moins la preuve qu’il existe encore, malgré la répression menée par le
gouvernement et la disparition du régime taliban, des éléments terroristes actifs en
Ouzbékistan. Ceux-ci représentent une menace d’autant plus importante qu’ils sont encore
difficiles à identifier : on ne sait pas encore s’il faut y voir la résurgence du MIO, la
radicalisation de certains membres du Hizb ut-Tahrir, l’émergence de nouveaux groupes
terroristes ouzbeks, ou l’implantation d’un groupe terroriste étranger en Ouzbékistan. Dans les
trois premiers cas, le caractère plutôt national des revendications des islamistes ne permet
cependant pas d’exclure la possibilité d’un lien réel entre ces individus et des organisations
75
terroristes étrangères, qui les soutiendraient financièrement et logistiquement. Dans le cas de
l’implantation d’un groupe terroriste étranger en Ouzbékistan, ceci constituerait la preuve de
l’existence d’une menace terroriste transnationale dont l’Ouzbékistan serait l’un des relais.
Quelle que soit l’hypothèse envisagée, on peut donc s’accorder à reconnaître qu’il s’agit là
d’une véritable menace terroriste tournée principalement contre le régime ouzbek, mais qui
pourrait également porter préjudice aux intérêts et à la sécurité des Etats-Unis, à moyen ou à
long terme.
La menace terroriste en Ouzbékistan ne peut donc pas être considérée comme un
simple prétexte qui serait instrumentalisé par le gouvernement américain ou par le
gouvernement ouzbek dans le seul but de satisfaire des intérêts nationaux. Néanmoins, force
est de constater que ces intérêts existent et qu’ils ont largement contribué au développement
du partenariat entre les deux pays. En effet, la perception d’une menace commune par deux
Etats n’implique pas nécessairement la mise en œuvre d’une telle coopération. Celle-ci aurait
pu se limiter aux questions de sécurité : dans ce cas, elle n’aurait nécessité que la mise en
place d’une coordination de leurs forces armées et de leurs services de renseignement, ainsi
qu’une assistance américaine aux unités de contrôle des frontières ou de la sécurité du
territoire. Or c’est une coopération plus large que les Etats-Unis et l’Ouzbékistan ont
instaurée, qui touche également le domaine économique et social, les questions de
démocratisation et de droits de l’Homme, et qui a impliqué une intensification des relations
diplomatiques entre les deux pays depuis 2001. Elle explique aussi certainement la
participation de l’Ouzbékistan au sein de la coalition internationale dans la guerre en Irak, en
mars 2003 : sauf à renforcer son alliance avec les Etats-Unis, on voit mal les intérêts du
régime ouzbek à s’impliquer dans cette guerre. Cette coopération a également produit des
effets directs sur le plan interne en renforçant la stabilité du régime d’Islam Karimov,
désormais soutenu par les Etats-Unis, et en légitimant son caractère autoritaire par la nécessité
de lutter contre le terrorisme. On peut toutefois se demander s’il ne s’agit pas là d’une
contradiction importante au regard des objectifs visés par les Etats-Unis, à savoir la
disparition de la menace terroriste.
En effet, lutter contre le terrorisme implique de s’intéresser, au préalable, aux origines
de l’émergence des mouvements terroristes. En Ouzbékistan, parce que la menace terroriste
est assimilée à une menace islamiste, il convient donc de se pencher sur les raisons de
l’influence grandissante d’un mouvement islamiste tel que le Hizb ut-Tahrir. Selon Najia
Badykova, la raison principale de l’émergence de l’islamisme en Asie centrale se trouve dans
les conditions économiques difficiles auxquelles étaient confrontées les populations centre-
76
asiatiques, dans les années 1990156. On pourrait nuancer cette affirmation, car les difficultés
économiques d’un pays ne produisent pas nécessairement l’apparition de mouvements
religieux extrémistes ; elles rendent néanmoins plus probable le soutien de la population à de
tels mouvements. En Ouzbékistan, si les difficultés économiques persistantes peuvent
encourager la population à se révolter, ce n’est pas tant la pauvreté que les espoirs déçus
d’une amélioration des conditions de vie qui sont susceptibles de nourrir les mouvements
islamistes. La coopération de l’Ouzbékistan avec les Etats-Unis avait en effet suscité l’espoir
que le développement économique accru du pays aurait des retombées bénéfiques sur les
conditions sociales de l’ensemble de la population. Ainsi, l’insatisfaction à l’égard du régime
ne pourrait que se renforcer si les dividendes économiques issus de cette coopération
continuaient à être détournés au profit du pouvoir et des clans qui le soutiennent157. L’attrait
de l’islamisme sur les populations exclues du système de reditribution clanique des richesses
risque ainsi de s’intensifier si leurs revendications n’étaient pas davantage prises en compte, à
l’avenir, par le gouvernement158. D’autre part, il semble que l’islamisme soit aujourd’hui la
seule véritable alternative pour ceux qui contestent le régime d’Islam Karimov. Sans une
démocratisation effective du système politique, il est donc probable que les rangs du Hizb ut-
Tahrir ou d’autres mouvements islamistes continueront à grossir. Ceci pourrait être amplifié
par l’organisation même de la société ouzbèke, à travers le poids des « mahallas » : il s’agit de
réseaux de solidarité, qui mobilisent parents, amis et voisins. Selon l’International Crisis
Group (ICG), le soutien d’une large partie de la population au Hizb ut-Tahrir serait lié à un
sentiment de révolte face au traitement infligé par le gouvernement aux islamistes
présumés159. Si l’on considère avec l’ICG que 4 000 militants du Hizb ut-Tahrir au moins
seraient emprisonnés en Ouzbékistan, on comprend l’importance que peut avoir le système
des mahallas dans l’influence de ce mouvement sur la population.
La répression opérée par le régime ouzbek, au nom de la lutte contre le terrorisme,
pourrait donc contribuer à renforcer considérablement le poids de l’islamisme au sein de la
population. Le soutien des Etats-Unis au régime d’Islam Karimov semble donc contre-156 Najia Badykova, Assessing the « war on terror » in Central Asia, Center for Strategic and International Studies, Séminaire, Washington DC, 3 mai 2004, p.4157 Il n’est pas éxagéré de dire que le système politique et économique ouzbek est amplement paralysé par la corruption. Au sujet de la corruption du sytème éducatif, voir Esmer Islamov, “Uzbekistan’s corruption-ridden educational system seen as source of frustration”, Eurasianet, 29 avril 2004158 La répression qui a suivi les manifestations du 13 mai 2005 à Andijan, et qui a fait environ un millier de morts, ne permet pas d’être optimiste quant à la prise en compte des revendications de la population par le régime ouzbek. Plusieurs personnes que j’ai contactées en Ouzbékistan à la suite de ces évènements m’ont affirmé que les manifestants revendiquaient alors des réformes sociales et une amélioration de leurs conditions de vie. 159 International Crisis Group, Radical Islam in Central Asia: Responding to Hizb ut-Tahrir, Asia Report n.58, Osh/Bruxelles, 30 juin 2003, p.22
77
productif, d’autant qu’il porte atteinte à leur crédibilité en tant que défenseurs des droits de
l’Homme dans une région où l’anti-américanisme n’avait pas encore de prise avant 2001.
Cette inadaptation des moyens utilisés par rapport à la menace islamiste en Ouzbékistan ne
doit pas pour autant être perçue comme une incompréhension des Etats-Unis vis-à-vis de la
particularité de l’islamisme d’Asie centrale. On peut émettre l’hypothèse que l’urgence de la
situation révélée par le 11 septembre ait poussé les Etats-Unis à agir au plus vite pour limiter
la portée de l’islamisme en Ouzbékistan. Il n’est alors pas exclu que leur coopération avec
l’Ouzbékistan puisse être réévaluée dans les mois à venir, d’autant que la répression brutale
de la manifestation d’Andijan le 13 mai 2005 et la médiatisation qui l’a suivie ont encore
contribué à ternir l’image de leur allié centre-asiatique.
Il est donc particulièrement difficile pour l’instant de se prononcer sur les perspectives
d’avenir de la coopération entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan. Si celle-ci venait à perdurer,
il serait intéressant de se pencher sur l’impact de la présence américaine dans les équilibres
géostratégiques régionaux. En effet, l’implication des Etats-Unis en Asie centrale depuis
octobre 2001 semble déjà susciter certaines craintes chez les puissances régionales que sont la
Russie et la Chine, et l’on peut penser qu’elles se renforceraient encore dans les années à
venir. D’une part, la Russie pourrait prendre ombrage de la pénétration américaine de ses
anciennes chasses gardées, qui illustrerait le déclin de son influence en Eurasie. La présence
américaine en Asie centrale la prive d’ailleurs déjà d’un moyen de maintenir son influence
dans la région, qui avait été primordial au cours des années 1990 : la coopération dans le
domaine de la sécurité. La Russie était avant le 11 septembre 2001 le principal fournisseur en
armements des républiques d’Asie centrale, et était même parvenue à rendre sa présence
militaire indispensable à la stabilité du gouvernement tadjik depuis 1997. Si les Etats-Unis
venaient à s’installer durablement en Ouzbékistan, la Russie pourrait donc voir son influence
se réduire encore dans la région. Mais c’est principalement de la Chine que risquent
d’émerger les protestations les plus vigoureuses à l’encontre de ce qu’elle considère déjà
comme une stratégie d’encerclement. L’existence de plusieurs bases américaines en Asie
extrême-orientale, au Japon et en Corée notamment, l’a déjà conduite à exprimer ouvertement
sa crainte d’être encerclée par le dispositif militaire des Etats-Unis en Asie. Si la présence
américaine en Ouzbékistan venait à se prolonger, les rivalités naissantes entre la Russie, la
Chine et les Etats-Unis pourraient donc, à terme, modifier radicalement l’équilibre
géostratégique de la région dans son ensemble.
78
Bibliographie
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83
DOCUMENTS ANNEXES
Annexe 1 : Constitution de la République d’Ouzbékistan 84(extraits)
Annexe 2 : “Only with the Kalifah will you be Victorious”, 87Hizb ut-Tahrir
Annexe 3 : “To Expel America and Her Allies from the Islamic 89World is an Obligation Upon the Muslims”, Hizb ut-Tahrir (extraits)
Annexe 4 : Appel au jihad du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan, 90août 1999
Annexe 5 : « Déclaration conjointe entre le Gouvernement des 92Etats-Unis d’Amérique et le Gouvernement de la République d’Ouzbékistan », 12 octobre 2001
Annexe 6 : « Déclaration de Partenariat Stratégique et de Coopération 93entre les Etats-Unis d’Amérique et la République
d'Ouzbékistan », 12 mars 2002 (extraits)
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Annexe 1 : Constitution de la République d’Ouzbékistan (extraits)
Article 10The Oliy Majlis (Supreme Assembly) and President of the Republic, elected by the people, shall have the exclusive right to act on behalf of the people. No section of society, political party, public association, movement or individual shall have the right to act on behalf of the people of uzbekistan.
Article 31Freedom of conscience is guaranteed to all. Everyone shall have the right to profess or not to profess any religion. Any compulsory imposition of religion shall be impermissible.
Article 57The formation and functioning of political parties and public associations aiming to do the following shall be prohibited: changing the existing constitutional system by force; coming out against the sovereignty, territorial integrity and security of the Republic, as well as the constitutional rights and freedoms of its citizens; advocating war and social, national, racial and religious hostility, and encroaching on the health and morality of the people, as well as of any armed associations and political parties based on the national or religious principles.
Article 93The President of the Republic of Uzbekistan shall: 1) guarantee the rights and freedoms of citizens and observance of the Constitution and the laws of the Republic of Uzbekistan; 2) protect the sovereignty, security. and territorial integrity of the Republic of Uzbekistan, and implement the decisions regarding its national-state structure; 3) represent the Republic of Uzbekistan in domestic matters and in international relations; 4) conduct negotiations, sign treaties and agreements in behalf of the Republic of Uzbekistan, and ensure the observance of the treaties and agreements signed by the Republic and the fulfillment of its commitments; 5) receive letters of credence and recall from diplomats and other representatives accredited to him; 6) appoint and recall diplomats and other representatives of the Republic of Uzbekistan to foreign states; 7) present annual reports to the Oliy Majlis on the domestic and international situation; 8) form the administration and lead it, ensure interaction between the highest bodies of state authority and administration, set up and dissolve ministries, state committees and other bodies of administration of the Republic of Uzbekistan, with subsequent confirmation by the Oliy Majlis; 9) appoint and dismiss the Prime Minister, his First Deputy, the Deputy Prime Ministers, the members of the Cabinet of Ministers of the Republic of Uzbekistan, the Procurator-General of the Republic of Uzbekistan and his Deputies, with subsequent confirmation by the Oliy Majlis; 10) present to the Oliy Majlis of the Republic of Uzbekistan his nominees for the posts of Chairman and members of the Constitutional Court, the Supreme Court, and the Higher
85
Economic Court, as well as the Chairman of the Board of the Central Bank of the Republic of Uzbekistan, and the Chairman of the State Committee for the Protection of Nature of the Republic of Uzbekistan; 11) appoint and dismiss judges of regional, district, city and arbitration courts; 12) appoint and dismiss khokims (heads of administrations) of regions and the city of Tashkent with subsequent confirmation by relevant Soviets of People's Deputies; the President shall have the right to dismiss any khokim of a district or a city, should the latter violate the Constitution or the laws, or perform an act discrediting the honor and dignity of a khokim; 13) suspend and repeal any acts passed by the bodies of state administration or khokims; 14) sign the laws of the Republic of Uzbekistan. The President may refer any law, with his own amendments, to the Oliy Majlis for additional consideration and vote. Should the Oliy Majlis confirm its earlier decision by a majority of 2/3 of its total voting power, the Presidents shall sign the law; 15) have the right to proclaim a state of emergency throughout the Republic of Uzbekistan or in a particular locality in cases of emergency (such as a real outside threat, mass disturbances, major catastrophes, natural calamities or epidemics), in the interests of people's security. The President shall submit his decision to the Oliy Majlis of the Republic of Uzbekistan for confirmation within three days. The terms and the procedure for the imposition of the state of emergency shall be specified by law; 16) serve as the Supreme Commander-in-Chief of the Armed Forces of the Republic and is empowered to appoint and dismiss the high command of the Armed Forces and confer top military ranks; 17) proclaim a state of war in the event of an armed attack on the republic of Uzbekistan or when it is necessary to meet international obligations relating to mutual defense against aggression, and submit the decision to the Oliy Majlis of the Republic of Uzbekistan for confirmation; 18) award orders, medals and certificates of honor of the Republic of Uzbekistan, and confer qualification and honorary titles of the Republic of Uzbekistan; 19) rule on matters of citizenship of the Republic of Uzbekistan and on granting political asylum; 20) issue acts of amnesty and grant pardon to citizens convicted by the courts of the Republic of Uzbekistan; 21) form the national security and state control services, appoint and dismiss their heads, and exercised other powders vested in him.
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Annexe 2: “Only with the Kalifah will you be Victorious”, Hizb ut-Tahrir
Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem
O Muslims: At this moment you are witnessing and hearing all kinds of aggression befalling you, ending with the victory of the aggressors. You have been humiliated and defeated by powers, large and small; powers such as America, Britain, Russia, the Yahood and even India amongst others. This happened in Afghanistan and before that in Palestine, Kashmir, Chechnya and other places. Today it has happened in Iraq. The nations have summoned each other to attack you, just as people summon others to share from their dish, and you are subdued in the land.
You have tried every man-made system, such as the monarchical and republican systems as well as systems similar to these. You have looked for every imported thought, seeking with it honour and victory; but instead, shame and humiliation befell you because of what you tried and sought. This is despite having the sources of power, in terms of manpower and wealth, which are abundant in your lands.
You have applauded, time and time again, every corrupt ruler, exposed traitor and disgraced agent. You have done this even though the actions of these rulers clearly show that they do not rule by what Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) has revealed, they do not fight in the Path of Allah, they rule with a mixture of Secularism composed of Capitalism and Socialism and all they are concerned with is staying in power even if the price is to sell the country and its people to the Kaafir colonialists. Despite this you were overjoyed by the rhetoric of these rulers and you thought they would bring you the victory. Rather, they took you from one defeat to another and allowed the Kaafir states to have evil designs over you. They suspended Jihad and handed you over to the Kuffar as the price to stay alive while they are in reality finished.
Has not the time come, O Muslims, after all of this, that you take matters into your own hands and realise that your way out from these mounting injustices is the Khilafah system?
Do you not believe Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) when He explained to you how you could gain your honour and victory?
“Verily, then to Allah belongs all honour, power and glory” [TMQ 4:139].
“If you help (in the cause of) Allah, He will help you” [TMQ 47:7].
So support the cause of Allah and apply His Sharee’ah by establishing the righteous Khilafah, only then will you be victorious and gain honour.
Do you not believe the Messenger of Allah (SalAllahu Alaihi Wasallam) when he said,
“Whosever dies without a Bay’ah (pledge of allegiance) on his neck, he dies the death of Jaahiliyyah”.
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So work to give Bay’ah to a Khaleefah that saves you from the death of Jaahiliyyah (ignorance), and then you will fight behind him and gain protection from him.
“Verily, the Imam is a shield behind whom the Muslims fight and by whom they gain protection”.
O people of power from the army and others; do you not want your pure blood to flow in the Path of Allah (Subhanahu Wa Ta’aala), instead of being spilled for free on the streets aimlessly and without purpose?
Do you not wish to re-live the life of the Ansaar (may Allah be pleased with them) who helped and supported Allah’s Messenger (SalAllahu Alaihi Wasallam) and changed their land into Dar al-Islam? Support the cause of Allah and His Messenger by establishing the Righteous Khilafah, so that the lands may once again become Dar al-Islam, and Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) writes down your actions in the Parchments of Light.
The Khilafah will save you from your humiliation and misery. The Khilafah is enough to return your honour and dignity and it is the system that Allah (Subhanahu Wa Ta’aala), the Lord of the Worlds obliged and made victory linked to it.
With the Khilafah you will re-live the life of al-Mu’tasim. You will respond to the cries of the children who have been humiliated by the Kuffar’s aggression upon Iraq. They have been forced to raise their hands for help; a sight which breaks the hearts. The innocence of childhood shows on their faces, mixed with the fear that has taken hold of their hearts.
With the Khilafah you shall go forth to fight your enemy. Your Khaleefah will be in front of you in the battle and not in front of you in flight. He will protect you, and you will fight behind him. And he will lead you from victory to victory and not from one defeat to another.
O Muslims! Establish the Khilafah and you will be honoured. Re-establish it and you shall succeed. Otherwise you will fall in darkness, one on top of the other, and will regret at a time too late to regret. Then Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) will bring a people better than you who will realise the Promise of Allah (Subhanahu Wa Ta’aala);
“Allah has promised those among you who believe, and do righteous deeds, that He will certainly grant them succession to (the present rulers) in the earth” [TMQ 24:55].
And at their hands, the glad tidings of the Messenger of Allah r will be achieved;
“Then there will be a Khilafah on the way of the Prophethood”.
So capture your own affairs, O Muslims, and help the cause of your Lord, by establishing the righteous Khilafah, then He (Subhanahu Wa Ta’aala) will help you and heal your hearts with the defeat of your enemy;
“And on that Day, the believers (Muslims) will rejoice (at the victory of Allah)” [TMQ 30:4].
O Muslims: Hizb ut-Tahrir calls you to rise up with it and support it. The word and deed has become incumbent upon you, so will you not respond?
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Annexe 3: “To Expel America and Her Allies from the Islamic World is an Obligation upon the Muslims”, Hizb ut-Tahrir
(extraits)
Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem
Yesterday America used to support the fight in Afghanistan against the regime supported by the Soviet Union. America did not call that fight terrorism, rather she called it Jihad. While the fight against the Israeli occupation, and the fight against the American occupation of Saudia Arabia, the Gulf and others, she is pleased to call terrorism. Had America, as she claims, been committed to International Law, she would not have engaged in striking the pharmaceutical plants in Khartoum nor would she have engaged in striking Afghanistan. Rather, she would have brought the case to the Security Council since she claims to have convincing evidence. The Security council would take the appropriate punitive measures.
O Muslims ! America deals with the Islamic lands as if they are her own farm. She deals with the rulers of the Muslims as if they are her servants, rather her slaves. She deals with the Islamic peoples as if they are tools. She exploits them for her service. So she plunders the wealth of the Islamic lands by manipulating Muslims to carry out this plunder for her as Israel manipulates the people of Palestine to build her the settlements in their own land and at the expense of their own rights. This is not the first aggression of America against the Islamic Ummah. Yesterday she hit Iraq and she has laid siege to it . She also hit Libya and laid siege to it. She helped the Jews to steal Palestine and to expel its people and she continues to help them. She occupies Saudia Arabia and imposes upon the Gulf her hegemony so that she plunders the oil and the wealth from their treasures. Look at Saudia Arabia and the gulf countries, how they sink under the burden of debt despite their huge wealth. And all of this is because of the hegemony of America and her allies imposed upon the region of the Islamic world.
America is a true enemy to the Islamic Ummah. Her allies who share with her in the aggression against the Islamic Ummah or who support her in this aggression like the English and the French and others, are true enemies to the Islamic Ummah. It is incorrect to treat the enemy as a friend. It is only the fool who treats the enemy as a friend. And the result of doing so will be evil. Allah (swt) advised us by saying "Shaytan is an enemy to you, so you have to take him as an enemy".
We do not mean that by taking America as an enemy that we bomb the embassies or attack the people. Because Islam orders us to protect the covenant of protection for whoever we gave it to. But when America hits us on our own ground and destroys our factories and homes and kills us without respecting any ties or covenants as if we are insects that have no sanctity or dignity, without any justification, in addition to her previous aggression, what would the world expect of Muslims?
However, we do not call for the Islamic peoples to take revenge from those to whom we gave a covenant of protection in our lands. We rather say the Muslims rulers must treat America and those who supported her as an arrogant enemy, by severing the relationships, closing down the embassies, stopping all trade and all dealings, expelling their citizens, and freezing their assets. More importantly, the Muslim's rulers must abolish any more political treaties and expel all military forces and to close down any military . They must also close their waters, lands and spaces to entry or passage from any of the enemy states. They have also to break off any influence and remove any agent or spy for these states in the Islamic lands.
89
Annexe 4: Appel au jihad du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan, août 1999
Au nom d’Allah le très miséricordieux le très bienveillant
Un message du commandant général du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan
« Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de fitnah et que la religion soit toute pour Allah »
Al-Anfaal, 39
L’émir du Harakatul Islamiyya [Mouvement Islamique] d’Ouzbékistan, Mohammed Tahir
Farouk, a annoncé le début du jihad contre le gouvernement tyrannique d’Ouzbékistan, le
fantoche Islam Karimov et ses acolytes. Les dirigeants du Mouvement islamique confirment
les points suivants dans leur déclaration :
Cette déclaration vient après accord du principal ouléma et des dirigeants du Mouvement
islamique.
Cet accord est fondé sur l’évidence claire de l’obligation de jihad contre le tawagheet ainsi
que pour libérer la terre et le peuple.
Le but premier de cette déclaration de jihad est l’établissement d’un Etat islamique avec
application de la charia, fondée sur le Coran et la noble Sunna prophétique.
Figurent aussi parmi les buts de la déclaration de jihad :
La défense de notre religion d’islam dans notre pays contre ceux qui s’y opposent.
La défense des musulmans dans notre pays contre ceux qui les humilient et versent leur sang.
La défense des érudits et des jeunes musulmans qui sont assassinés, emprisonnés et torturés
de manière extrême, sans qu’aucun droit ne leur soit accordé.
Et le Tout-Puissant dit :
« Et ils n’avaient commis aucune faute sauf de croire en Allah, le Tout-Puissant, digne de
toute louange » Al-Baruj, 8.
Et aussi d’obtenir la libération des faibles et des opprimés qui sont près de 5 000 dans les
prisons, retenus par ceux qui transgressent la loi.
Le Tout-Puissant dit :
« Et que vous arrive t-il pour ne pas combattre pour Allah et les faibles et les opprimés parmi
les hommes, les femmes et les enfants » An-Nisaa, 75.
90
Et de rouvrir les milliers de mosquées et d’écoles islamiques fermées par le gouvernement
malfaisant.
Les moudjahidins du Mouvement islamique, après leur expérience de la guerre, ont accompli
leur formation et sont prêts à établir le jihad béni.
Le Mouvement islamique conseille au gouvernement ouzbek de Tachkent de ne pas soutenir
le combat contre les musulmans.
Le Mouvement islamique conseille aux touristes venant dans ce pays de se tenir à l’écart, de
crainte d’être frappés par les moudjahidins.
Si le jihad est lancé au Kirghizstan, c’est parce que le président Askar Akayev a arrêté des
milliers d’Ouzbeks musulmans qui s’étaient réfugiés au Kirghizstan et qui ont été remis aux
acolytes de Karimov.
Le Très-Haut dit :
« En vérité les oppresseurs se protègent les uns les autres ».
Le Mouvement islamique, par la volonté d’Allah, mènera le jihad au nom d’Allah pour
atteindre tous ses buts et objectifs.
C’est à regret que les moudjahidins étrangers (Al-Ansaar) n’ont pas encore rejoint nos rangs.
Le Mouvement islamique invite le gouvernement et l’autorité de Karimov à Tachkent à
quitter leurs fonctions, sans condition, avant que le pays n’entre en guerre et que la
destruction n’atteigne la terre et le peuple. La responsabilité en reposera totalement sur les
épaules du gouvernement, et il en sera puni.
Allah est Grand et l’Honneur est pour l’islam.
Az Zubayr Ibn Abdur Raheem
Chef religieux du Mouvement islamique d’Ouzbékistan
4e Jumadi Al-Awwal
25 août 1999
91
Annexe 5: “Déclaration conjointe entre le Gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique et le Gouvernement de la République
d’Ouzbékistan,12 octobre 2001
Following is the text of a joint statement between the Government of the United States of America and the Government of the Republic of Uzbekistan.
"The Government of the United States of America and the Government of the Republic of Uzbekistan recognize international terrorism as a serious threat to peace and to global and regional stability. To this end, they signed an agreement October 7 that establishes a strong basis for bilateral cooperation in the struggle against terrorism. Our countries will work closely to create a safer future not only for the people of Central Asia but for people throughout the world.
Our common struggle is against terrorism, not against the Afghan people, and we will work together to support delivery of humanitarian assistance to the people of Afghanistan. We also commit ourselves to eliminate international terrorism and its infrastructure. For these purposes, the Republic of Uzbekistan has agreed to provide the use of its air space and necessary military and civilian infrastructure of one of its airports, which would be used in the first instance for humanitarian purposes.
Our two governments have decided to establish a qualitatively new relationship based on a long-term commitment to advance security and regional stability. We recognize the need to work closely together in the campaign against terrorism. This includes the need to consult on an urgent basis about appropriate steps to address the situation in the event of a direct threat to the security or territorial integrity of the Republic of Uzbekistan."
92
Annexe 6: “Declaration de Partenariat Stratégique et de Coopération entre les Etats-Unis d’Amérique et
la République d’Ouzbékistan”, 12 mars 2002 (extraits)
II. SECURITY COOPERATION IN THE MILITARY AND MILITARY-TECHNICAL FIELD
Article 2.1 Security Issues
Recognizing that the security of states in the region is key to the development, prosperity, and stability of Central Asia, and developing a qualitatively new, long-term relationship, the United States affirms that it would regard with grave concern any external threat to the security and territorial integrity of the Republic of Uzbekistan. Were this to occur, the United States will consult with the Republic of Uzbekistan on an urgent basis to develop and implement an appropriate response in accordance with U.S. Constitutional procedures. For its part, the Republic of Uzbekistan recognizes the critical importance of developing close, cooperative ties with its neighbors and promoting efforts at regional cooperation.
Article 2.2 Combating Transnational Threats to Security
The Sides expect to develop cooperation in combating international terrorism, trafficking in persons, narcotics trafficking, organized crime, money laundering, illegal trafficking in weapons, munitions and explosives, and other transnational threats to security while respecting internationally recognized human rights and the rule of law.
Cooperation in this field may include:
-- holding regular consultations on problems of ensuring security and stability in Central Asia, including political, military, economic, environmental, and other aspects;
-- establishing cooperation, on a permanent basis, between the law enforcement agencies and military services and agencies of the Sides, consistent with the national laws of the Sides;
-- training special units of the Republic of Uzbekistan in combating terrorism, illegal narcotics trafficking, money laundering, and other transnational threats, and providing them with training assistance and equipment, and developing the necessary methodological and logistical basis for training special units;
-- supporting the regime of non-proliferation of nuclear, bacteriological, biological, and chemical weapons and means of their delivery, as well as dual-purpose technologies;
-- intensifying the export-control cooperative relationship to create an effective export-control system in the Republic of Uzbekistan;
93
-- further strengthening and building up the infrastructure of the state border of the Republic of Uzbekistan and ensuring greater effectiveness in guarding and protecting the border; and
-- other forms of cooperation as the Sides see fit.
Article 2.3 Bilateral Military and Military-Technical Cooperation
The Sides take note of the dynamic development of military and military-technical cooperation between the two countries and intend to intensify relations in this area in the future.
The Sides may cooperate in the following areas:
-- modernizing and reforming the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan, including training in civil-military relations and its obligations for conduct under international conventions, increasing their combat readiness, and providing training and advanced training of specialists, officers and command staff of the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan;
-- using up-to-date information and computer technologies in training military personnel, and establishing and developing distance learning, and modeling and simulation systems in the Republic of Uzbekistan;
-- re-equipping the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan with weapons and military hardware, providing assistance in modernizing and restoring the weapons and military hardware of the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan;
-- actively utilizing the entire complex of existing international mechanisms and instruments in providing military-technical assistance to the Republic of Uzbekistan, developing its military infrastructure, and strengthening the logistical and training/methodological foundation of military educational institutions and training centers of the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan; and
-- other forms of cooperation as the Sides see fit.
94
Table des matières
Introduction 1
Chapitre introductif : Le système politique en Ouzbékistan depuis l'indépendance 8
Partie 1 : La menace terroriste en Ouzbékistan, 13réalité interne ou perception extérieure ?
Chapitre 1 : Culture musulmane et mouvements islamistes en Ouzbékistan 15
Une tradition islamique modérée confrontée au revivalisme 15religieux des années 1990
Le Mouvements Islamique d’Ouzbékistan et le Hizb ut-Tahrir : 24étude comparée de leurs revendications et de leurs modes d’action
Chapitre 2 : La perception américaine de la menace terroriste 32
L’Asie centrale : une région prioritaire dans la lutte contre 33le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
La perception américaine d’une menace transnationale 38
Partie 2 : L’Ouzbékistan dans la nouvelle conjoncture de 45l’après – 11 septembre
Chapitre 3 : L’Ouzbékistan, un partenaire privilégié pour les Etats-Unis 48
L’Ouzbékistan, un partenaire idéal pour une coopération 48à long terme
L’évolution des relations diplomatique entre l’Ouzbékistan 56et les Etats-Unis, 1991-2005
Chapitre 4 : Les avantages pour le régime ouzbek de la 63menace terroriste
Les intérêts économiques et militaires de l’Ouzbékistan 64
Les intérêts politiques de l’Ouzbékistan 69
Conclusion 75
Bibliographie 79
Annexes 84
95