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Introduction Les Etats-Unis doivent « identifier les Etats les plus sensibles du point de vue géopolitique, ceux qui, par leur situation géographique ou du simple fait de leur existence, peuvent avoir des effets catalyseurs sur des acteurs géostratégiques plus importants ou sur les conditions régionales ». C’est ce qu’écrivait Zbigniew Brzezinski dans Le Grand Echiquier, en 1997 1 . Il évoquait plus loin la nécessité de « définir les moyens de les associer ou de les contrôler, de façon à préserver et à promouvoir les intérêts vitaux des Etats-Unis ». L’Ouzbékistan fait aujourd’hui partie de ces Etats. L’Ouzbékistan est situé au cœur d’une région longtemps ignorée des relations internationales : l’Asie centrale. Celle- ci se trouve à l’est de la mer Caspienne et se compose de cinq Etat, indépendants depuis 1991 et tous membres de l’Organisation des Nations Unies depuis le 2 mars 1992 : le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan. La délimitation de ce qu’on appelle « l’Asie centrale » dépend cependant de la définition qu’en donnent les différents chercheurs. Pour Frederick Starr notamment, spécialiste américain de la Russie et de l’Eurasie, l’Asie centrale ne se limite pas seulement aux cinq Républiques que nous avons citées mais englobe également l’Afghanistan, pays 1 Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier (The Grand Chessboard) , Paris, Hachette, 1997, p.67 1

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Introduction

Les Etats-Unis doivent « identifier les Etats les plus sensibles du point de vue

géopolitique, ceux qui, par leur situation géographique ou du simple fait de leur existence,

peuvent avoir des effets catalyseurs sur des acteurs géostratégiques plus importants ou sur les

conditions régionales ». C’est ce qu’écrivait Zbigniew Brzezinski dans Le Grand Echiquier,

en 19971. Il évoquait plus loin la nécessité de « définir les moyens de les associer ou de les

contrôler, de façon à préserver et à promouvoir les intérêts vitaux des Etats-Unis ».

L’Ouzbékistan fait aujourd’hui partie de ces Etats.

L’Ouzbékistan est situé au cœur d’une région longtemps ignorée des relations

internationales : l’Asie centrale. Celle-ci se trouve à l’est de la mer Caspienne et se compose

de cinq Etat, indépendants depuis 1991 et tous membres de l’Organisation des Nations Unies

depuis le 2 mars 1992 : le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le Turkménistan et

l’Ouzbékistan. La délimitation de ce qu’on appelle « l’Asie centrale » dépend cependant de la

définition qu’en donnent les différents chercheurs. Pour Frederick Starr notamment,

spécialiste américain de la Russie et de l’Eurasie, l’Asie centrale ne se limite pas seulement

aux cinq Républiques que nous avons citées mais englobe également l’Afghanistan, pays

frontalier du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan2. Il s’agit ainsi d’une définition

plus large, qui revient en fait à inclure dans « l’Asie centrale » tous les Etats situés entre la

Russie, la Chine, le Pakistan et l’Iran. Nous ne retiendrons cependant pas cette définition, car

il semble que l’Afghanistan puisse être appréhendé de façon totalement indépendante. En

effet, malgré sa proximité géographique avec les cinq républiques centre-asiatiques, on peut

rapidement constater que son histoire a peu de choses en commun avec un quelconque autre

Etat de la région. Dans les années 1970, alors que les cinq républiques connaissaient une

certaine stabilité sous la domination soviétique, l’Afghanistan se plongeait dans une guerre

civile sans fin, « une guerre de destruction nationale » selon l’expression de Larry P.

Goodson3. Celle-ci allait conduire à la prise du pouvoir par les talibans en 1996, puis à la

1 Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier (The Grand Chessboard), Paris, Hachette, 1997, p.672 C’est ce qu’il affirme dans l’article « Making Eurasia Stable », Foreign Affairs, vol.75, n.1, janvier-février 1996, p.803 Larry P. Goodson, Afghanistan’s Endless War: State Failure, Regional Politics, and the Rise of the Taliban , Washington DC, Washington Press, 2001, p.55

1

campagne d’Afghanistan en 2001. En raison de cette spécificité historique de l’Afghanistan, il

paraît donc plus pertinent de ne pas l’inclure dans ce que l’on appelle « l’Asie centrale ».

Néanmoins, on ne peut nier que les destins de l’Asie centrale et de l’Afghanistan aient

été intimement liés par le passé, et notamment au XIXème siècle. La région dans son

ensemble était alors le terrain privilégié de la rivalité entre deux grandes puissances

mondiales, l’une maritime et l’autre continentale : l’Angleterre et la Russie. Dans la course à

l’empire qui caractérisait les relations internationales, l’Asie centrale et l’Afghanistan

formaient une région géostratégique de premier ordre, située entre la Russie tsariste et les

Indes britanniques. Lorsque l’Angleterre décida d’occuper le sud de l’Afghanistan, la Russie

ne put que répliquer à ce qu’elle percevait alors comme « une menace directe contre ses

intérêts », en envahissant à son tour, progressivement, l’ensemble de l’Asie centrale jusqu’à

ce qu’elle parvienne aux portes de l’Afghanistan4. C’est cette rivalité lourde de conséquences

que l’écrivain anglais Rudyard Kipling nomma « le Grand Jeu » (« the Great Game »). Face à

l’incapacité des deux puissances à asseoir leur domination sur l’ensemble de l’Afghanistan,

celui-ci fut transformé en un « Etat-tampon » (« buffer state ») avant qu’il ne parvienne

finalement à assurer son indépendance. En revanche, l’Asie centrale demeura sous occupation

russe, puis sous occupation soviétique, des années 1870 jusqu’en 1991. Mohammed Reza-

Djalili et Thierry Kellner soulignent que durant cette période, « l’Occident est resté

étrangement distant et indifférent à l’égard de la région », désormais rattachée à la zone de

domination russe5. L’Asie centrale ne constituait donc plus une région géostratégique pour les

puissances occidentales, et devint ainsi une zone d’ombre au sein des relations internationales.

On peut considérer qu’elle le resta jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

En effet, malgré la chute de l’Union Soviétique et la transformation en 1991 des cinq

Républiques Socialistes Soviétiques en Républiques indépendantes, l’Asie centrale demeura

fortement liée à la Russie. Les nouveaux Etats furent notamment intégrés à la Communauté

des Etats Indépendants, et parvinrent difficilement à affirmer leur autonomie en matière de

politique étrangère. Ils demeurèrent donc dans ce que Pierre Conesa qualifie de « zone grise »,

c’est-à-dire une zone présentant peu d’intérêt, politique ou économique, sur la scène

internationale6.

Le 11 septembre 2001 est indéniablement une date charnière dans l’histoire de l’Asie

centrale. On peut considérer qu’elle marque la fin de la période post-soviétique pour les Etats 4 Amalendu Misra, Afghanistan, Cambridge, Polity Press, 2004, p.165 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, Paris, PUF, 2001, p.856 Pierre Conesa, « Géographie du ‘monde inutile’ », Manière de voir, n.60, novembre-décembre 2001, p.22

2

s’étant engagés aux côtés des Etats-Unis dans l’opération « Liberté Immuable », visant à

renverser le régime taliban et à mettre un terme aux activités du groupe Al Qaida. Ces Etats

sont principalement l’Ouzbékistan, le Kirghiztan et le Tadjikistan. Le Kazakhstan, plus

proche de la Russie que de l’Afghanistan, n’a été touché que dans une moindre mesure par ce

bouleversement. Le Turkménistan, pour sa part, a préféré rester politiquement neutre. Si l’on

se fie à une distinction quelque peu manichéenne, mais néanmoins efficace, opérée par Pierre

Conesa, on peut alors dire que l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan seraient passés

du « monde inutile » au « monde utile » en septembre 20017. Quatre des cinq républiques

ayant ouvert leur espace aérien aux forces américaines déployées autour de l’Afghanistan,

celles-ci ont soudainement été portées sur le devant de la scène internationale. Selon

Catherine Poujol, elles ont alors « gagné en terme de visibilité internationale et de

médiatisation »8.

C’est donc l’intensification des activités terroristes du groupe Al Qaida, brutalement

révélée au monde occidental par les attentats du 11 septembre, qui a mené le gouvernement

américain à prendre conscience de l’émergence d’une nouvelle menace et à s’intéresser de

plus près aux républiques d’Asie centrale. Cette nouvelle menace, c’est celle du terrorisme

transnational, c’est-à-dire d’une forme de terrorisme qui ne cherche pas uniquement à

produire des effets sur un territoire donné, mais qui s’emploie au contraire à influencer le

cours des relations internationales. Le terrorisme étant devenu l’enjeu principal de la politique

étrangère des Etats-Unis après le 11 septembre, il semble nécessaire d’en rappeler ici

certaines définitions. Le Département d’Etat, qui élabore la politique étrangère américaine, a

précisé la sienne dans le rapport « Patterns of Global Terrorism 2003 » : il s’agit selon lui

d’une « violence préméditée, à mobile politique, qui est perpétrée à l’encontre de cibles non

combattantes par des groupes internes à un pays ou des agents clandestins dont le but est

généralement d’influer sur un public »9. Paradoxalement, le terrorisme transnational ne

semble pas être évoqué par cette définition qui ne prend en compte que les groupes terroristes

propres à un pays, ou les « agents clandestins », c’est-à-dire des individus agissant pour le

compte d’un Etat. Le Département d’Etat a cependant complété sa définition en précisant les

caractéristiques d’une forme particulière de terrorisme : « le terrorisme international ». Celui-

ci doit être compris comme le terrorisme « qui met en jeu des citoyens ou les territoires de

plusieurs pays ». Il existe de nombreux autres essais de définition de ce qu’est le terrorisme. 7 Ibid, p.278 Catherine Poujol, L’Islam en Asie centrale, vers la nouvelle donne, Paris, Ellipses, 2001, p.659 Département d’Etat, Counterterrorism Office, « Patterns of Global Terrorism 2003 », publié en avril 2004.

3

Ainsi selon Gérard Soulier, « il n’y a pas le terrorisme mais une grande variété de situations et

de formes »10. Il distingue notamment le terrorisme fondé sur une revendication nationale, le

terrorisme qui conteste les démocraties et le terrorisme international. Les activités du groupe

Al Qaida semblent répondre à ces deux dernières catégories. Face à cette difficulté de

définition, nous appellerons « terrorisme transnational » toute forme de terrorisme impliquant

les territoires de plusieurs Etats, et organisé par des individus de différentes nationalités

pouvant se déplacer d’un territoire à un autre en fonction des perspectives de développement

offertes par les conditions politiques propres à chaque Etat. Car c’est bien là que se trouve le

nouveau défi pour les dirigeants américains : les nouveaux mouvements terroristes sont

difficilement identifiables de par leur fonctionnement en réseaux, dont les cellules de base ne

sont composées que de peu d’individus ayant en général des contacts limités avec les autres

cellules. De plus, les ramifications des réseaux terroristes semblent aujourd’hui s’étendre sur

les territoires de nombreux Etats : c’est ce que Murielle Delaporte et Robin Laird appellent la

« mondialisation de la menace »11. Ceci explique les difficultés d’identification des groupes

terroristes auxquelles est confrontée l’administration Bush. C’est dans ce contexte particulier

qu’elle a été contrainte, à la suite des attentats du 11 septembre, de s’allier aux gouvernements

se montrant désireux de participer à ses côtés à la lutte contre le terrorisme. Il s’agit bien là

d’une nouvelle conjoncture, dans laquelle les propos de Zbigniew Brzezinski prennent à

nouveau tout leur sens. Selon Marwan Bishara, la question principale à laquelle doivent

répondre les Etats-Unis est donc celle du « niveau de dangerosité des nouvelles menaces »,

qui est fonction du contexte régional dans lequel elles se développent12.

Les républiques d’Asie centrale, jusque là négligées par la politique étrangère des

Etats-Unis, ont ainsi été associées à la « guerre contre le terrorisme » déclarée par le

gouvernement américain le 20 septembre, dans un discours de George W. Bush au Congrès.

Elles ont participé à la campagne d’Afghanistan déclenchée le 7 octobre 2001, jusqu’à ce que

les talibans annoncent leur capitulation le 7 décembre de la même année. La coopération des

gouvernements centre-asiatiques avec les Etats-Unis aurait alors pu prendre fin, en même

temps que disparaissait la menace posée par les talibans et par le groupe Al Qaida en

Afghanistan. Néanmoins, les Etats-Unis ont été amenés à considérer que la menace terroriste

demeurait vivace dans les pays bordant l’Afghanistan. Cette perception de la menace se 10 Gérard Soulier, « Comment lutter contre le terrorisme ? », Manière de voir, n.60, novembre-décembre 2001, p.4011 Murielle Delaporte, Robin Laird, «Les nouvelles perspectives de la politique militaire et de sécurité américaine après les attentats du 11 septembre », Institut Défi-Consultants, décembre 2002, p.1212 Marwan Bishara, « L’ère des conflits asymétriques », Manière de voir, n.60, op. cit., p.29

4

fondait alors sur l’existence de plusieurs mouvements islamistes en Asie centrale. Il convient

ici de rappeler ce qu’est l’islamisme, afin de comprendre quelle menace il pourrait représenter

pour les Etats-Unis. D’après une définition de Laurent Vinatier, l’islamisme consiste en « un

mouvement politique qui prône une islamisation générale des institutions et du gouvernement

de l’Etat. Il veut l’application politique, sociale et économique des préceptes du Coran et de la

Sunna (la Tradition du Prophète), de tout ce qui fonde le droit islamique, de tout ce qui

compose la Loi islamique, dans la perspective de constituer un Etat dont le principe ne

reposerait que sur la religion : le droit positif s’y réduirait au droit islamique »13. En Asie

centrale, les mouvements islamistes ont rapidement été assimilés à une menace terroriste, tant

par les gouvernements centre-asiatiques que par les Etats-Unis. Ces derniers y ont même vu

une menace transnationale susceptible de compromettre un jour les intérêts américains, à

l’étranger ou sur leur territoire. De fait, selon Marwan Bishara, on assiste bien à l’émergence

d’une « nouvelle génération cosmopolite d’islamistes faisant planer une menace globale »14.

Pour comprendre cette perception d’une menace terroriste en Asie centrale, il apparaît donc

nécessaire de se pencher au préalable sur les conditions ayant entouré l’émergence des

mouvements islamistes, ainsi que sur leurs caractéristiques propres.

Face à la menace du terrorisme transnational, les Etats-Unis ont fait le choix de

soutenir tout Etat qui localiserait un mouvement terroriste sur son territoire, et qui se

montrerait déterminé à le combattre. Si plusieurs Etats centre-asiatiques ont été associés à la

lutte contre le terrorisme, c’est l’Ouzbékistan qui est rapidement devenu le partenaire

principal des Etats-Unis dans la région. En témoigne le rapport sur l’Ouzbékistan publié par le

Département d’Etat en février 2005, dans lequel on peut lire ceci: «  En tant que pays le plus

peuplé et centre géographique et stratégique en Asie centrale, l’Ouzbékistan joue un rôle clef

dans la région. En conséquence, les Etats-Unis ont développé une large coopération couvrant

les questions politiques, militaires, économiques, commerciales, ainsi que les questions liées

aux droits de l’Homme, à la non-prolifération, et à l’aide financière »15. Cette déclaration du

Département d’Etat laisse donc penser que l’Ouzbékistan serait devenu un allié privilégié des

Etats-Unis, dans la nouvelle conjoncture issue des attentats du 11 septembre 2001. Avant cette

13 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, Paris, Armand Colin, 2002, p.1214 Marwan Bishara, “L’ère des conflits asymétriques”, op. cit., p.2915 En anglais dans le texte : “As the most populous country in Central Asia and the geographic and strategic center of Central Asia, Uzbekistan plays a pivotal role in the region. The United States accordingly has developed a broad relationship covering political, human rights, military, nonproliferation, economic, trade, assistance, and related issues”, Département d’Etat, Bureau of European and Eurasian Affairs, Background Note: Uzbekistan, Washington DC, février 2005

5

date, la faible intensité des relations diplomatiques entre les deux pays ne laissait pourtant pas

entrevoir un tel rapprochement. Pour comprendre les enjeux de cette récente coopération, il

nous faudra donc chercher à discerner les avantages présentés par l’Ouzbékistan, en

comparaison avec les autres républiques d’Asie centrale. On peut également se demander de

quel type d’intérêts relève la volonté de l’Ouzbékistan de devenir le partenaire des Etats-Unis

en Asie centrale. S’il s’agit d’une coopération aux abords flous, nous nous efforcerons de la

rendre plus claire et plus intelligible tout au long de ce travail. C’est également dans cette

optique que nous établirons au préalable une brève présentation du régime politique de

l’Ouzbékistan depuis son indépendance, en 1991.

6

7

8

Chapitre introductif   : le système politique en

Ouzbékistan depuis l’indépendance

Indépendance et adhésion aux organisations internationales

L’Ouzbékistan est la première République Socialiste Soviétique d’Asie centrale à

avoir affirmé sa souveraineté. Islam Karimov, alors Premier Secrétaire du Parti Communiste

ouzbek, intervient le 6 juillet 1990 au XXVIIIè Congrès du Parti Communiste de l’Union

Soviétique (PCUS) pour demander la souveraineté et l’égalité juridique des membres de

l’Union. Il y souligne le rôle positif des Partis Communistes républicains, qui selon lui

devraient se voir reconnaître une autonomie totale dans la fixation de leurs programmes, et

affirme que l’Union ne devrait disposer que des pouvoirs qui lui auraient été attribués par les

républiques fédérées. En août 1991, la tentative des putschistes d’isoler le président

Gorbatchev en Crimée a pour conséquence d’accélérer la dissolution de l’Union soviétique.

Les évènements se précipitent alors en Ouzbékistan. Le 23 août, le président Karimov

annonce sa démission du Politburo du PCUS, puis le 24 août tous les biens du Parti sont

déclarés propriété nationale. Le 28 août, le PC ouzbek quitte le PCUS pour devenir le « Parti

démocratique populaire ». Enfin, le Soviet Suprême ouzbek proclame le 31 août

l’indépendance de l’Ouzbékistan ainsi que le changement d’appellation de la « République

Socialiste Soviétique d’Ouzbékistan », qui devient la « République d’Ouzbékistan ».

Le 8 décembre 1991 à la réunion de Minsk, l’URSS est remplacée par la Communauté

des Etats Indépendants (CEI). L’Ouzbékistan n’y adhère qu’après la tenue des élections

présidentielles nationales le 29 décembre 1991, date à laquelle l’indépendance du pays est

également confirmée par référendum. Dès lors, l’Ouzbékistan va rejoindre de nombreuses

organisations, régionales et internationales, le plus souvent à travers une procédure commune

à toutes les nouvelles républiques indépendantes d’Asie centrale. Elles rejoignent ainsi le 30

janvier 1992 l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), à laquelle

appartiennent déjà de nombreux Etats européens et nord-américains. Le 2 mars 1992, elles

9

deviennent toutes membres des Nations Unies. L’Ouzbékistan adhère enfin au Fonds

Monétaire International (FMI) ainsi qu’à la Banque Mondiale en septembre 1992.

En revanche, l’Ouzbékistan refuse de rejoindre le groupe régional « Shangai 5 » créé

le 26 avril 1996 par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, et dont

l’objectif est d’établir une politique de sécurité cohérente entre les grandes puissances et les

Etats d’Asie centrale. Il s’agit, pour l’Ouzbékistan, de préserver son autonomie par rapport

aux deux grandes puissances régionales en ne participant pas à une organisation impliquant

une coopération militaire, dans le domaine de la surveillance des frontières notamment.

Un régime politique présidentiel et laïc

Le trait commun des régimes centrasiatiques se trouve dans leur caractère présidentiel

et laïc, que l’on peut considérer comme étant l’héritage principal du régime soviétique.

La Constitution de la République d’Ouzbékistan indépendante est promulguée le 8

décembre 1992. Elle instaure dans son article 10 le suffrage universel direct pour l’élection du

Président et du Parlement (« Oliy Majlis »). Le Parlement est constitué de 150 députés élus

pour un mandat de cinq ans (art.77). Ces deux organes constitutionnels n’ont cependant pas

les mêmes prérogatives : la quasi-totalité des pouvoirs appartient au Président et en particulier

celui de nomination, tandis que le Parlement ne possède pas véritablement de rôle politique.

Le Premier ministre, nommé par le Président, est certes responsable devant l’Assemblée

comme dans tout régime parlementaire, mais le Président possède en contrepartie le droit de

dissoudre l’Assemblée. L’article 93 de la Constitution énumère d’ailleurs les pouvoirs du

Président, parmi lesquels on trouve notamment : représenter la République d’Ouzbékistan

dans les affaires domestiques et dans les relations internationales ; conduire les négociations,

signer les traités internationaux et garantir leur respect ; nommer et révoquer les diplomates et

autres représentants à l’étranger ; former l’administration et la diriger, mettre en place et

dissoudre les ministères, les comités d’Etat et les autres corps de l’administration ; nommer et

révoquer les juges des tribunaux régionaux, de districts, municipaux et d’arbitrage ; proclamer

l’état d’urgence dans l’ensemble du pays ou dans une localité particulière ; proclamer l’état de

guerre ; servir en tant que commandant-en-chef suprême des forces armées ; accorder

l’amnistie ou la grâce présidentielle ; ou encore former les services de sécurité et de

10

renseignement de l’Etat. La Constitution confère donc au Président des pouvoirs très larges, et

instaure ainsi un régime présidentiel fort.

La laïcité est également au cœur du nouveau régime, bien que 92% des ouzbeks se

considèrent comme musulmans selon un rapport de l’International Crisis Group (ICG)16. Elle

est reconnue par la Constitution, qui n’affirme à aucun moment la prééminence de la religion

musulmane dans les institutions de l’Etat. En outre, le texte constitutionnel reconnaît dans son

article 31 que « la liberté de conscience est garantie à tous. Chacun a le droit de professer ou

non une religion. Toute imposition forcée d’une religion est interdite ». D’autre part, l’article

57 de la Constitution ainsi que le Code Pénal de la République d’Ouzbékistan interdisent les

partis religieux militants, privant ainsi les partis islamiques nés pendant la perestroïka de toute

reconnaissance juridique. On peut citer à ce sujet les propos d’Islam Karimov, d’après son

livre Uzbekistan on the threshold of the 21st century : threats to security, conditions and

guarantees to progress publié en 1997 : “Nous n’admettrons jamais que des slogans religieux

soient introduits sur la bannière de la lutte pour le pouvoir […] car nous voyons en ceci une

menace potentielle sérieuse à la sécurité et la stabilité de notre Etat ».

La dérive autoritaire du système politique

Depuis 1989, l’exercice réel du pouvoir appartient à Islam Karimov. Sous le régime

soviétique, il est nommé Premier Secrétaire du Parti Communiste ouzbek puis président du

Conseil des Ministres en novembre 1990, et devient ainsi l’homme fort de la République

Socialiste Soviétique d’Ouzbékistan. Aux élections du 29 décembre 1991, il se présente en

tant que candidat du Parti démocratique populaire et est élu premier président de la

République indépendante d’Ouzbékistan17. C’est surtout à partir de 1993 qu’il renforce ses

pouvoirs, encouragé par la menace que constitue le développement de l’islamisme dans la

vallée de Ferghana18. Les principaux opposants sont contraints de quitter le pays : ainsi

Mohammed Salih, leader du parti Erk (« Liberté »), d’inspiration libérale et assez critique à

l’égard du Président, qui doit se réfugier en Norvège où il est toujours actuellement. Il est

d’ailleurs dans l’impossibilité de revenir en Ouzbékistan où d’après Laurent Vinatier, il serait

16 ICG, Is radical Islam Inevitable in Central Asia ? Priorities for engagement, Asia Report n.72, Osh/Bruxelles, 22 décembre 2003, p.817 Tous les chefs d’Etat actuels des républiques d’Asie centrale sont d’anciens dirigeants de la période soviétique, exception faite du Kirghizstan depuis les évènements de mars 2005 et le renversement du régime d’Askar Akayev.18 Voir Partie 1, Chapitre 1 : « Culture musulmane et mouvements islamistes en Ouzbékistan ».

11

probablement arrêté et éxécuté. Il n’y a donc plus d’opposants véritables au régime de

Karimov dès le milieu des années 1990, du moins dans la légalité. En mars 1995, Islam

Karimov annule les élections présidentielles et choisit de soumettre la reconduction de son

mandat à un référendum. Il est alors plébiscité par 99% des voix : ce score exceptionnel nous

conduit à suggérer, avec Laurent Vinatier, que « les résultats sont probablement faussés par le

bourrage des urnes ou par les pressions qu’exerce la police sur le corps électoral »19. Aux

élections présidentielles du 9 janvier 2000, Islam Karimov est à nouveau réélu avec 91,9%

des voix. Il n’avait alors qu’un seul opposant, Abdoulkhafiz Djalalov, membre du Parti

démocratique populaire c’est-à-dire précisément le parti qui l’avait investi en 1991. Celui-ci

reconnaissait d’ailleurs, lors d’une interview à la télévision ouzbèke en décembre 1999, qu’il

allait lui-même voter pour Islam Karimov et que par conséquent cette concurrence électorale

n’avait pas véritablement de sens20. La candidature du président sortant était également

soutenue par le Parti Adolat (« Parti de la Justice ») et le Parti Fidokkorlar (« Parti altruiste »).

Enfin, en 2002, le Président soumet au référendum le prolongement de son mandat à deux

années supplémentaires : avec une victoire du oui à 91%, le mandat présidentiel passe donc de

cinq à sept ans, et les prochaines élections présidentielles sont ainsi reportées à l’année 2007.

On peut remarquer que la technique du plébiscite, en lieu et place des élections, est une

pratique plutôt courante en Asie centrale. En janvier 1994, le président turkmène Saparmurat

Nyazov s’était fait réélire sans concurrent pour un mandat de 8 ans, avec 99% des voix, avant

d’être nommé président à vie en janvier 2000. Selon Erkin Khalilov, président du Parlement

ouzbek et initiateur du référendum de 2002, de nombreux députés et fonctionnaires lui

auraient signalé leur désir de voir Islam Karimov devenir à son tour président à vie. C’est ce

qui fait dire à Laurent Vinatier qu’ « il n’est pas courant dans l’histoire politique mondiale de

voir un Parlement accepter avec bonne grâce l’accroissement démesuré du poids de l’éxécutif.

C’est le cas en Ouzbékistan »21.

En Ouzbékistan, le processus électoral apparaît donc avant tout comme un processus

de cooptation. Il n’existe pas d’opposition véritable dans le système politique légal. Par

exemple, aux élections législatives de 1994, seuls les partis soutenant le président sont

parvenus à obtenir une représentation parlementaire. Il existe actuellement cinq partis

officiels. Le plus important d’entre eux est le Parti démocratique populaire, successeur du

Parti Communiste ouzbek de l’époque soviétique. Malgré la candidature d’Abdoulkhafiz

Djalalov, on peut toujours le considérer comme étant le parti du Président, d’autant qu’il 19 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.3320 Ibid, p.4221 Ibid, p.42

12

contrôle la majorité des institutions élues. Le parti Adolat, qui a été créé en 1994, est plutôt

considéré comme un groupe de réfléxion. Il a soutenu la candidature d’Islam Karimov aux

élections de janvier 2000, et il semble même que sa plate-forme électorale soit directement

préparée par le Président. Le Parti de la Renaissance nationale recommande quant à lui de la

patience dans l’évolution de la vie politique. Si l’on appliquait la répartition française des

partis sur l’échiquier politique à l’Ouzbékistan, on pourrait dire qu’il s’agit d’un parti plutôt

centriste et modéré. Le quatrième parti est celui du Progrès et de la Patrie, qui rassemble des

intellectuels dévoués au Président et qui s’adresse surtout aux jeunes, chez qui il voit la base

de son électorat futur. Enfin, le parti Fidokkorlar est le parti le plus jeune dans sa composition.

Il s’intéresse aux jeunes talents et les aide à accomplir leurs projets au nom du gouvernement.

Ces cinq partis sont ceux ayant obtenu l’autorisation du Ministère de la Justice de se présenter

aux élections. On peut noter que le parti Birlik (« Unité »), un parti plutôt nationaliste qui

souhaitait promouvoir la spécificité musulmane du pays lors de l’indépendance, a tenté à

plusieurs reprises de s’inscrire aux élections législatives. L’autorisation lui a toutefois été

constamment refusée par le Ministère de la Justice, qui estimait que ses listes de signatures

étaient faussées. Lorsque l’affaire fut portée devant la Cour Suprême ouzbèke, celle-ci déclara

qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur ce type de décision.

L’absence de partis d’opposition au sein du Parlement et la nomination des juges de

nombreux tribunaux par le Président nous permet de dire qu’il n’existe pas, en Ouzbékistan,

de véritables contre-pouvoirs face à l’autorité d’Islam Karimov. Par ailleurs, selon Kimberly

Marten, il n’est pas certain que l’armée ouzbèke constitue un pouvoir autonome au sein du

pays : celle-ci serait plutôt soumise à l’influence des clans favorisés par le régime de

Karimov22. Face à ce constat, on peu donc affirmer avec Marie Jégo que les 16 années de

règne d’Islam Karimov lui ont permis d’établir en Ouzbékistan un système de pouvoir

particulier, fait d’un « mélange de soviétisme et de clanisme »23.

22 Kimberly Marten, “Assessing the ‘war on terror’ in Central Asia”, Séminaire, Center for Strategic and International Studies, Washington DC, 3 mai 2004, p.923 Marie Jégo, « Le “système Karimov”: un mélange de soviétisme et de clanisme au service d’un pouvoir féroce », Le Monde, 15 mai 2005

13

Partie 1   :

La menace terroriste en Ouzbékistan,

réalité interne ou perception extérieure   ?

14

Les attentats du 11 septembre 2001 ont brutalement poussé les Etats-Unis et le reste

monde occidental à s’intéresser à l’Asie centrale, une région longtemps ignorée parce

qu’enclavée et traditionnellement dominée par l’influence russe. Outre la campagne

d’Afghanistan débutée en octobre 2001, l’intérêt posé par cette région semble être l’apparition

récente de mouvements islamistes pouvant à terme représenter une véritable menace terroriste

à l’égard du monde occidental. Témoin de cette préoccupation nouvelle, l’inscription dès le

15 septembre 2000 du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MIO) sur la liste des

organisations terroristes dénoncées par le Département d’Etat américain. Il convient donc de

s’intéresser à cette perception d’une menace terroriste par les Etats-Unis, afin d’en

comprendre les fondements et de pouvoir ensuite en saisir les conséquences quant à

l’évolution des relations diplomatiques liant ces deux pays. Pour ce faire, nous étudierons le

contexte politique et religieux ayant entouré l’émergence de mouvements islamistes en

Ouzbékistan: nous analyserons d’abord les caractéristiques de la tradition musulmane propre à

l’Asie centrale, une tradition modérée qui semblait fournir un environnement peu propice au

développement de l’islamisme dans la région ; le phénomène de revivalisme religieux qui

apparaît avec l’affaiblissement puis la chute de l’Union soviétique permet néanmoins à

certaines tendances islamistes de se développer au cours de la décennie 1990, en Ouzbékistan

et dans les pays voisins. Nous distinguerons deux mouvements islamistes : le Mouvement

Islamique d’Ouzbékistan et le Hizb ut-Tahrir, qui constituent depuis la fin des années 1990 la

principale menace dirigée contre le régime ouzbek. Nous les étudierons ensuite à travers leurs

origines, leurs revendications et leurs modes d’action, en vue de comprendre la complexité de

la menace islamiste en Ouzbékistan et les raisons de la perception américaine d’une menace

terroriste liée à ces mouvements.

15

Chapitre 1   : Culture musulmane et mouvements islamistes en

Ouzbékistan

La tradition musulmane modérée des populations centrasiatiques, issue de plusieurs

siècles de pratique soufie et de prééminence de l’école hanafite, aurait pu laisser croire que les

mouvements islamistes ne parviendraient jamais à s’implanter dans la région. Cependant, on

assiste dès la fin de la décennie 1980 à un phénomène de revivalisme religieux, qui offrira des

conditions plus favorables au développement de l’islamisme en Ouzbékistan.

Une tradition islamique modérée   confrontée au revivalisme religieux des

années 1990

En Ouzbékistan comme dans les autres républiques d’Asie centrale, la pratique

contemporaine de l’Islam ne peut être envisagée en dehors d’une perspective historique. C’est

en effet au fil des invasions successives que s’est forgée une culture musulmane spécifique à

cette région. Dès le milieu du VIIè siècle, les premières invasions arabes apportent une foi

nouvelle, l’Islam, qui se conjuguera alors avec les traditions locales. Malgré le court séjour

des armées arabes dans la région, l’Islam s’implante aisément et plusieurs royaumes

musulmans indépendants apparaissent même aux IXè et Xè siècles, le plus important étant

incontestablement celui des Samanides. De langue persane, ceux-ci choisissent Boukhara

pour capitale et en font l’un des centres culturels les plus rayonnants du monde islamique. Les

invasions se succéderont alors : celle des Turcs Seldjoukides au XIè siècle puis celle des

Mongols menés par Gengis Khan au XIIIè siècle. Puis, au XIVè siècle, l’immense empire

constitué par Tamerlan redonne enfin sa grandeur à l’Asie centrale en la plaçant au cœur de la

Route de la Soie. C’est précisément à cette époque que se développent les confréries soufies,

et particulièrement la Naqchbandiyya24, qui encadrent la pratique de l’Islam et exerceront au

cours des siècles suivants une influence notable sur les pouvoirs politiques en place. Apparu

au cours des invasions mongoles, le soufisme avait déjà acquis un poids politique important

24 La Naqchbandiyya, fondée par Baha’ouddin Naqchband, devient très vite la plus importante des confréries soufies par son audience populaire. Originaire de Boukhara, sa capacité d’adaptation aux changements politiques et sociaux lui permet d’acquérir un rôle historique dans la culture musulmane de la région. Les autres confréries soufies d’Asie centrale sont : la Qaderiyya, la Yasawiyya et la Kubrawiyya. Pour une étude synthétique mais claire de ces confréries, voir Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, Paris, Armand Colin, 2002, p. 82-85

16

en s’associant aux princes d’Asie centrale, lesquels se prévalaient volontiers du rôle de

défenseurs de la foi islamique contre les envahisseurs infidèles. Il acquiert également un rôle

social par le biais de ses confréries qui pratiquent largement la charité, allant même jusqu’à

donner parfois du travail aux désoeuvrés. Mais avant tout, l’apport du soufisme à cette époque

consiste en un encadrement de la pratique de l’Islam au sein des populations centre-asiatiques.

Il s’agit d’un encadrement plutôt libéral, menant à une pratique religieuse se voulant ouverte

et adaptable aux sociétés d’Asie centrale. Ainsi, laissant de côté le fondamentalisme du Texte,

il encourage plutôt les pratiques personnelles et tend à promouvoir un Islam qui s’inspire

davantage de la tradition propre au lieu. Il est mué par le souci de rester en accord avec le

monde des hommes, ce qui a donné lieu au précepte « solitaire dans le monde » repris par les

Naqchbandis. Si l’intervention des érudits tels que les mollahs n’est pas souhaitée, le soufisme

instaure néanmoins une structure précise à la pratique religieuse à travers le lien très étroit qui

doit unir les maîtres spirituels à leurs disciples. L’apprentissage dispensé par ces maîtres passe

avant tout par l’humilité des croyants, la richesse venant exclusivement de la relation avec

Dieu qu’ils invoquent tour à tour par des prières silencieuses, par des chants ou même des

danses, les plus connues étant celles des Derviches tourneurs. Le soufisme se manifeste

également par le culte des saints qui se concrétise notamment sous la forme de nombreux

pèlerinages, par exemple sur le tombeau de Baha’ouddin Naqchband à Boukhara, devenu un

véritable lieu saint de l’Islam dans la région. Ainsi, si le fondement de la croyance doit

demeurer la charia, le soufisme d’Asie centrale s’est efforcé de concilier pratique de l’Islam et

mode de vie centre-asiatique, afin de repousser par là-même toute dérive radicale ou

fanatique.

A ces éléments sur la culture soufie en Asie centrale, il convient d’ajouter quelques

précisions concernant la forme juridique de l’Islam adopté dans la région. En effet, c’est

l’Islam de rite hanafite25, par opposition au rite hanbalite, qui s’est rapidement imposé et qui

domine toujours la région. L’école juridique hanafite est avant tout caractérisée par la grande

liberté d’interprétation personnelle laissée aux oulémas, autorisant de cette façon les

divergences d’opinion au sein de la communauté. De même que le soufisme, elle encourage

une pratique tenant compte de l’environnement du fidèle, ce qui permet en quelque sorte « la

réinvention locale de la Tradition du Prophète »26, la Sunna. C’est ainsi qu’elle s’oppose à

l’école hanbalite, laquelle ne reconnaît aucun recours au jugement personnel pour favoriser un

respect absolu des textes et un mode de vie basé sur l’imitation de la Sunna. Il est intéressant 25 Du nom de son fondateur, Abu Hanifa (VIIIè siècle). L’école hanbalite est elle issue de Ibn Hanbal (IXè siècle).26 Laurent Vinatier, op. cit.,p.94.

17

de noter que ces deux écoles se sont longuement affrontées en Asie centrale, tentant chacune

d’imposer leur pratique de la religion et ce notamment au XVIIIè siècle lorsque sont apparus

des mouvements anti-confréristes tels que le wahhabisme. Ces mouvements, radicalement

opposés au culte des saints, considèrent que la tradition musulmane centre-asiatique fondée

sur une pratique tolérante ne pourrait à terme qu’affaiblir l’Islam. Ils préconisent donc une

régénération de la culture religieuse visant à recréer rapidement une pratique épurée de la loi

islamique. Dans la résistance à l’occupation soviétique qui marque le début du XXè siècle,

ces mouvements inspirés du hanbalisme semblent progresser parmi les populations et ce

principalement grâce à un discours affirmant la nécessité de résister à l’envahisseur impie par

un retour à un islam pur. C’est en effet à cette époque que les soviétiques adoptèrent des

mesures très répressives pour éradiquer la pratique de l’islam dans les régions conquises. La

plupart des mosquées furent fermées et transformées en ateliers, le port du voile fut interdit

ainsi que l’apprentissage du Coran27. Malgré la répression féroce qui s’abattait sur celles et

ceux qui tentaient de perpétuer la culture musulmane dans la région, des madrasas et des

mosquées non répertoriées émergèrent dans toute l’Asie centrale et en particulier dans la

vallée de Fergana, conduisant à l’établissement d’un islam clandestin véritablement organisé.

Celui-ci fut porté à la fois par les confréries soufies et par les mouvements inspirés de l’école

hanbalite, qui parvinrent à maintenir les pratiques religieuses grâce à la diffusion clandestine

de textes religieux et par les voyages dans toute l’Asie centrale de mollahs itinérants qui

célébraient les rites religieux dans les familles28. L’islam fut ainsi considéré comme l’un des

traits principaux de la culture propre des sociétés d’Asie centrale, et sa survie devint alors un

élément essentiel de la résistance des peuples centre-asiatiques à l’occupation soviétique.

Néanmoins, on peut aujourd’hui affirmer que même dans ce contexte particulier, le

hanbalisme ne parvint pas à devenir majoritaire dans la région, l’identité islamique centre-

asiatique demeurant basée sur un soufisme populaire mêlé de traditions locales29. Cette

prépondérance durable de l’école hanafite et du soufisme parmi les populations, malgré des

circonstances qui auraient déjà pu encourager une certaine radicalisation de la pratique de

l’islam, est une caractéristique fondamentale de la culture musulmane en Asie centrale. Elle

27 Selon Ahmed Rashid, il ne restait plus que 60 mosquées en Ouzbékistan en 1935, voir Asie Centrale, champ de guerres, Paris, Autrement, 2002, p.4528 Laurent Vinatier décrit le rôle des « mollahs parallèles » et des confréries soufies dans l’encadrement intellectuel de l’islam populaire durant la période soviétique, op. cit., pp.136-13829 Un rapport du Sénat français affirme même que l’islam clandestin pendant l’occupation soviétique « a plutôt joué le rôle d’un conservatoire des traditions ancestrales » par le maintien de rites de passage comme la circoncision ou la vénération des saints, L’Asie centrale 10 ans après les indépendances : quels nouveaux enjeux ? Les exemples du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, Rapport d’information du Sénat n.320, annexé au procès-verbal de la séance du 10 mai 2001, p.17

18

témoigne de la grande stabilité d’un islam traditionnel imprégné de modération et de

tolérance, constituant à la veille des indépendances un cadre peu propice à l’émergence de

mouvements islamistes.

Dès 1988, l’affaiblissement de l’Union Soviétique et le leste donné aux dirigeants

locaux dans le cadre de la perestroïka vont changer la donne en laissant les nouveaux

gouvernements libres d’adopter des politiques sensiblement différentes en matière de religion.

En effet, à la suite de la défaîte de la faction conservatrice du bureau politique du Parti, une

politique religieuse beaucoup plus tolérante va être initiée par Mikhaïl Gorbatchev en 1989. A

l’islam traditionnel pratiqué clandestinement va alors progressivement s’ajouter un islam

« officiel » ou « national » en Ouzbékistan, qui autorise la réouverture de nombreuses

mosquées dont on estime qu’elles seraient déjà 250 en mars 199030, et qui engendre de ce fait

une recrudescence des pratiques religieuses. Par exemple, plus d’un millier de musulmans

ouzbeks auraient pu effectuer un pèlerinage à La Mecque en 1991, signe d’une ouverture

retrouvée vers le reste monde islamique. Il s’agit là d’un changement fondamental survenu

durant les mois précédant et suivant l’indépendance : l’islam d’Asie centrale ne s’était en effet

développé qu’en vase clos durant toute la période soviétique du fait de l’isolement forcé de la

région, ses relations avec le reste du monde musulman ayant été totalement rompues. A partir

de 1991, l’ouverture au monde des nouveaux Etats redonne vie aux anciennes routes de la foi.

Des échanges diplomatiques avec les grands pays musulmans s’établissent, principalement

avec l’Arabie Saoudite, le Pakistan, l’Iran, l’Egypte et la Turquie. En 1992, Islam Karomov

entreprend une visite officielle en Arabie Saoudite et effectue un pèlerinage à La Mecque afin

de renouer les contacts et sans doute de « se donner une figure de bon chef musulman »31 vis-

à-vis de ces Etats. Ceux-ci fournissent dès 1991 une aide financière généreuse pour la

construction de nouvelles mosquées et madrasas ou pour la restauration d’anciens

établissements islamiques, et envoient par milliers des corans ou des guides de prière32. En

Ouzbékistan, l’argent saoudien servira notamment à la construction de plusieurs mosquées

dans la vallée de Ferghana à Namangan et Andijan33, une région traditionnellement marquée

par une pratique religieuse plus intense que dans le reste du pays. De nombreux étudiants

30 Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, Paris, L’Harmattan, 2003, p.15131 Antoine Buisson, Benoît Destouches, « Le champ religieux en Asie centrale : l’islam et la construction des nations », étude réalisée dans le cadre du séminaire de Gilles Kepel intitulé « Les Mouvements Islamistes des années 1970 à nos jours », p.3332 Voir Thierry Zarcone, « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », Hérodote, n.84, 2ème trimestre 1997, p.6133 La vallée de Ferghana est majoritairement située en Ouzbékistan, bien qu’à cheval sur le Kirghizstan et le Tadjikistan également.

19

centre-asiatiques seront également accueillis dans des écoles religieuses saoudiennes,

égyptiennes ou pakistanaises afin d’y recevoir une formation islamique qu’ils pourront ensuite

diffuser dans leur pays d’origine. Outre ces relations nouvelles entre les républiques d’Asie

centrale naissantes et les autres pays du monde musulman, il convient de ne pas négliger le

rôle important joué par les diasporas centre-asiatiques. La diaspora ouzbèke, notamment, est

très nombreuse en Arabie Saoudite et en Turquie. Organisée en associations, elle participe

elle-aussi de façon primordiale aux échanges de l’Ouzbékistan avec ces deux pays.

Impulsée par le nouveau gouvernement ouzbek, cette ouverture vers le monde

musulman va participer à un processus global de réislamisation de la société. En effet,

l’effondrement brutal du système soviétique laisse place en Ouzbékistan à un vide

idéologique rendant difficile la construction du nouvel Etat. Antoine Buisson évoque à ce

sujet « la disparition du référent identitaire soviétique »34. Rappelons qu’au cours des

dernières décennies, aucune contestation importante ne s’était opposée à l’appartenance du

pays à l’URSS, aucun mouvement nationaliste n’ayant manifesté de volonté d’indépendance.

C’est pour cette raison qu’en 1991, le nouveau gouvernement est confié aux anciennes élites

du Parti Communiste désormais dépourvues de légitimité, et notamment à Islam Karimov,

ancien premier secrétaire du PC ouzbek et élu premier président de l’Ouzbékistan

indépendant le 29 décembre 1991. Si d’ordinaire la légitimité d’un gouvernement repose sur

la nation, celle-ci semble être en 1991 une notion floue ne faisant référence à aucun ensemble

homogène : l’Ouzbékistan est alors composé de quantités de minorités russes, tadjikes et

Kazakes35, tandis que des populations d’origine ouzèke sont présentes dans toutes les autres

républiques nouvellement indépendantes. Il s’agit donc pour le pays de redéfinir sa culture

nationale, qui passe par la recherche d’un passé historique propre et par l’affirmation de la

langue comme critère de définition de la citoyenneté. C’est aussi sur le renouveau de l’Islam

que le gouvernement ouzbek va fonder sa nouvelle légitimité, en s’appuyant sur le passé

religieux historique de villes comme Samarcande, Boukhara ou Khiva, et en rappelant

judicieusement le rôle joué par l’Islam au cours des siècles passés, celui de référence

identitaire fondamentale ayant survécu aux multiples invasions et parfois résisté aux tentatives

d’assimilation, comme ce fut le cas à travers la révolte des Basmachis musulmans dans les

années 192036. Fort de cette nouvelle assise, c’est donc l’Etat qui prend en charge la gestion

34 Antoine Buisson, « Entre fragmentation et réintégration régionale : le développement économique du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan au rythme des transformations politiques depuis l’indépendance », EHESS, DEA Recherches Comparatives sur le Développement, Colloque de fin d’année, 17 juin 2003, p.2135 L’Ouzbékistan compte toujours 5% de russes, 4,8% de Tadjiks et 4% de Kazaks selon Laurent Vinatier, « Données géopolitiques des cinq républiques d’Asie centrale », op. cit., p.636 Une analyse historique du mouvement basmachi est donnée par Ahmed Rashid, op. cit., pp. 195-207

20

de la religion à partir de l’indépendance par le biais de l’islam officiel. Il constitue avant tout

un « Comité chargé des affaires religieuses devant le Conseil des ministres » qui partage avec

une direction spirituelle le contrôle de l’islam dans le pays. Ce comité supervise notamment

les réouvertures de mosquées dans le pays qui sont déjà au nombre de 1500 en 1994, la

plupart situées dans la vallée de Ferghana37. La pratique de l’Islam est alors nettement

revalorisée malgré l’affirmation de la laïcité par la Constitution, en témoigne ce symbole fort

représenté par l’image d’Islam Karimov prêtant le serment constitutionnel sur le Coran38. Il

est d’ailleurs significatif que de nombreux leaders politiques locaux aient pris l’habitude, dans

les années suivant l’indépendance, de réciter des prières ou des versets du Coran avant leurs

discours officiels. L’islam est ouvertement affiché par le nouveau drapeau ouzbek sur lequel

apparaît la couleur verte. Les nouvelles républiques centre-asiatiques adhèrent d’ailleurs

toutes à l’Organisation de la Conférence Islamique dans les années 1990, en 1996 pour

l’Ouzbékistan39. Il semble donc que le nouveau régime soit allé bien au-delà d’une simple

tolérance de la religion, tendant plutôt à la soutenir et à l’organiser pour en faire l’un des

outils du contrôle du régime sur la société.

C’est précisément ce contexte de réislamisation de la société voulue par le

gouvernement qui va offrir des conditions favorables au développement d’entités islamistes

au sein de la société ouzbèke. Selon Mohammed Reza-Djalili et Thierry Kellner, « le

phénomène de « revivalisme » islamique est encouragé, contrôlé et manipulé par les pouvoirs

en place »40. On peut néanmoins douter de l’efficacité de ce contrôle, l’apparition de plusieurs

foyers islamistes dans la vallée de Ferghana laissant plutôt penser que la réislamisation de la

société ait pu échapper, dans certains cas, à l’autorité du Comité gouvernemental chargé des

affaires religieuses. Les influences extérieures vont jouer dans ce sens en encourageant les

pays musulmans à répandre chacun leur interprétation spécifique de l’islam, à travers l’envoi

de prédicateurs nationaux et de nombreux ouvrages expliquant l’islam et la pratique religieuse

qui doit l’accompagner. Cette interférence étrangère dans la vie religieuse du pays est

rapidement perçue comme une menace à l’égard de la légitimité de l’islam officiel. Dès 1992-

1993, une cinquantaine de prêcheurs saoudiens sont d’ailleurs expulsés d’Ouzbékistan tandis

que le gouvernement commence à prendre conscience de l’influence grandissante de

37 On dénombrerait aussi environ 5000 étudiants dans 380 madrasas en activité la même année, selon Laurent Vinatier, op. cit., p.14338 Romain Yakemtchouk , op. cit., p.15239 L’OCI est une organisation internationale créée en 1969 qui compte 51 Etats « décidés à rassembler leurs ressources, à unir leurs efforts et à parler d'une seule voix pour défendre leurs intérêts et assurer le progrès et le bien-être de leurs populations et de tous les musulmans à travers le monde », voir le site internet officiel de l’OCI (www.oic-oci.org)40 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, Paris, PUF, 2001, p.240

21

mouvements radicaux étrangers dans la vallée de Ferghana. L’une de ces tendances est

évidemment le wahhabisme qui selon Thierry Zarcone, se révèle en Asie centrale sous la

forme de deux influences distinctes : le wahhabisme saoudien et le wahhabisme pakistanais41.

Ce dernier se développerait dans la région sous l’influence de marchands pakistanais attirés

par le nouveau marché centre-asiatique et membres de la Tablîghi Jama’at. Cette organisation,

dotée d’une structure efficace lui permettant d’être présente dans l’ensemble du monde

musulman, rejette le culte des saints et les autres caractéristiques du soufisme et privilégie une

pratique plus stricte de l’islam. Elle vise la réislamisation de la société par la base, c’est-à-dire

par un processus opposé à celui mis en œuvre par le régime ouzbek qui prétend réislamiser la

société dans le cadre institutionnel fourni par l’Etat. D’autres organisations islamistes

internationales trouveront en Ouzbékistan un terreau favorable au développement de leurs

idées. Il s’agit notamment, d’après Philippe Migaux, des Frères Musulmans qui s’y seraient

implantés par le biais du Hizb ut-Tahrir42. Ces organisations influentes font partie de l’islam

« moderniste » que Thierry Zarcone associe à l’islam traditionnel et à l’islam officiel pour

forger ce qu’il appelle « la règle des trois islams », expression visant à résumer grossièrement

la complexité de la question religieuse en Ouzbékistan43.

Néanmoins, ces influences extérieures ne font que renforcer le revivalisme islamique

déjà engagé dans la vallée de Ferghana. On peut en effet considérer avec Antoine Buisson et

Benoît Destouches que la « radicalisation fondamentaliste […] n’est pas une importation

étrangère même si elle a pu bénéficier d’un soutien extérieur »44. En effet, c’est d’abord par le

Parti de la Renaissance Islamique (PRI) qu’émerge la première tendance islamiste en

Ouzbékistan. Il s’agit d’un parti né à Astrakhan, en Russie, en 1990. Lors de sa réunion

inaugurale, il est décidé par ses fondateurs que chaque république soviétique pourrait créer sa

propre branche du parti dans l’objectif d’établir un parti transnational selon un mode

décentralisé. Reconnu en Russie comme un parti politique à part entière lors de la glasnost de

Gorbatchev, il reste néanmoins interdit dans les républiques d’Asie centrale par les partis

communistes locaux. Ceci ne l’empêchera pas de se développer au Tadjikistan où son

41 Thierry Zarcone, « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », op. cit., p.7242 Philippe Migaux s’appuie sur une filiation entre les Frères Musulmans et et le Hizb ut-Tahrir dont les branches auraient, selon lui, servi de vivier de recrutement aux groupes jihadistes, dans : Gérard Chaliand et Arnaud Blin (sous la direction de), Histoire du terrorisme, de l’Antiquité à Al Qaida, Paris, Bayard, 2004, p.313. Ahmed Rashid, quant à lui, affirme que « le Hizb ut-Tahrir a jadis été proche du groupe des frères musulmans en Egypte », Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 109.43 Thierry Zarcone, « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », op. cit., p.5944 Antoine Buisson, Benoît Destouches, « Le champ religieux en Asie centrale : l’islam et la construction des nations », op. cit., p.22

22

opposition au parti communiste tadjik soutenu par Moscou déclenchera en 1992 une guerre

civile pour le moins sanglante qui durera jusqu’en 199745. Une branche du PRI est également

créée en Ouzbékistan. Dirigée par les ouzbeks Tohir Yuldushev et Juma Hodjiyev dit

« Namangani » car originaire de la ville de Namangan, que l’on retrouvera par la suite à la

tête du MIO, elle réclame l’instauration d’un Etat islamique et se dit prête, dès 1991, à

engager une lutte armée contre le pouvoir politique en place. Elle envoie d’ailleurs un

ultimatum au président Karimov exigeant de lui qu’il jure publiquement sur le Coran sa

fidélité à l’Islam, et surtout qu’il instaure sans tarder un Etat islamique dans lequel la prière

dans les mosquées deviendrait obligatoire pour l’ensemble de la population et où le vendredi

serait déclaré jour férié46. La réaction d’Islam Karimov à cet ultimatum, considéré comme une

tentative de coup d’Etat de la part des mouvements islamistes, ne se fit pas attendre : celui-ci

se rendit immédiatement dans la vallée de Ferghana où il confirma le pouvoir du mufti

Muhammad Yusouf, chef de l’islam officiel, et prit plusieurs mesures radicales à l’encontre

des protagonistes islamistes47. A la suite de cet échec, les deux leaders du PRI ouzbek ne

purent que s’exiler, Yuldushev se réfugiant au nord de l’Afghanistan où il allait organiser les

camps d’entrainement des militants islamistes tandis que Namangani rejoignait les rangs du

PRI tadjik au moment même où éclatait la guerre civile au Tadjikistan. Le PRI ouzbek sera

ainsi dissout et la majorité des militants islamistes qui le soutenaient rejoindront l’Afghanistan

et le Tadjikistan, deux pays dans lesquels les contextes de guerre civile offraient un terrain

plus favorable à la lutte armée pour la prise du pouvoir. D’autres organisations islamistes qui

s’étaient développées dans la vallée de Ferghana depuis le début des années 1990 furent

également victimes de la vague de répressions de 1992. Ainsi l’organisation « Tauba »

(« Repentir ») et le groupe « Adolat » (« Justice ») qui fut interdit en mars 1992 et qui dut

entrer dans la clandestinité48.

La fuite vers l’Afghanistan et le Tadjikistan des principaux activistes du PRI ouzbek

suspend pour un temps la menace islamiste à l’encontre du régime établi par Islam Karimov.

Réunis pour la plupart dans des camps d’entrainement, les islamistes ouzbeks semblent

45 En 1992, les principaux leaders du PRI tadjik prennent le maquis. On estime déjà à 40 000 le nombre de morts au 1er semestre 1992. Voir à ce sujet le chapitre 5 d’Ahmed Rashid, « Le Parti de la renaissance islamique et la guerre civile au Tadjikistan », op. cit., pp. 90-10546 Voir à propos de cet ultimatum Romain Yakemtchouk, op. cit., p.15347 Notamment l’expulsion des prédicateurs saoudiens, pakistanais ou afghans, voir ci-dessus ; néanmoins, le mufti sera révoqué par Islam Karimov en 1993.48 D’après le Rapport d’information n. 320 du Sénat, op. cit., p.18, ces mouvements seraient parvenus à se maintenir en Ouzbékistan et même à développer leur action grâce à des soutiens extérieurs. Le groupe Adolat a ensuite réintégré la vie politique légale en soutenant le président Karimov lors de certaines élections (voir Chapitre introductif)

23

privilégier la lutte aux côtés des Talibans ou du PRI tadjik pendant quelques années, tandis

qu’en Ouzbékistan la vallée de Ferghana retrouvera le calme jusqu’en 1996. A cette date

cependant, les Talibans prennent le pouvoir en Afghanistan et laissent les islamistes ouzbeks

libres de planifier de nouvelles attaques contre leur gouvernement. Ceux-ci ont par ailleurs

gagné un appui important dans le nouveau régime taliban, qui leur offre un sanctuaire d’où ils

pourront mener leurs attaques vers l’Ouzbékistan. De même, au Tadjikistan, la guerre civile

prend fin le 27 juin 1997 par la signature à Moscou de « l’Accord général pour

l’établissement de la paix et de la réconciliation nationale » : loin d’être anodine, l’utilisation

de l’expression « réconciliation nationale » dans les accords de paix signifie qu’il n’y a ni

gagnants ni perdants à l’issue de cette guerre civile, aucun des deux camps n’étant parvenu à

vaincre l’autre militairement. Pour la première fois en Asie centrale, un gouvernement de

coalition est alors établi suivant une logique de partage du pouvoir entre les anciens

communistes et l’opposition menée par le PRI, tandis que la plupart des militants du PRI sont

incorporés dans la nouvelle armée tadjike sous la supervision des Nations Unies. Cependant,

cette disparition du PRI tadjik en tant que force d’opposition au gouvernement communiste ne

fait pas l’unanimité parmi ses militants, ce qui entraîne rapidement plusieurs scissions au sein

du parti et pousse certains de ses membres à s’orienter vers d’autres actions clandestines dans

la région. C’est ainsi que les militants islamistes ouzbeks, forts de leurs expériences dans les

pays voisins de l’Ouzbékistan, vont être amenés à se regrouper à nouveau pour former des

mouvements actifs et notamment le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan. Un autre parti

islamiste, le Hizb ut-Tahrir, s’implante également en Ouzbékistan vers le milieu des années

1990. Nous allons étudier à présent les revendications et les modes d’action de ces deux

principaux mouvements dans une perspective comparative, afin de comprendre à la fois ce qui

les unit et ce qui les différencie et de mieux saisir ensuite la menace qu’ils pourraient

représenter à l’égard du régime ouzbek et des Etats-Unis.

Le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan et le Hizb ut-Tahrir   : étude

comparée de leurs revendications et de leurs modes d’action

A l’origine du MIO se trouvent des militants islamistes déçus par la participation du

PRI tadjik au gouvernement et par son refus d’exiger l’instauration d’un Etat islamique. En

1997, l’islamiste ouzbek Juma Namangani refuse le cessez-le-feu, s’oppose aux accords de

24

paix et rencontre alors Tohir Yuldushev au Tadjikistan : un moment décisif pour les deux

hommes, ceux-ci devant faire un choix politique déterminant pour l’avenir de l’islamisme en

Asie centrale. Ce choix, ce sera celui de la création du MIO en 1997, qui se donne pour

objectif de renverser le régime d’Islam Karimov afin de le remplacer par un véritable Etat

islamique. C’est aussi à cette époque que s’implante en Ouzbékistan le Hizb ut-Tahrir al-

Islami (« Parti de la libération islamique »), un mouvement islamiste dont les origines sont

bien différentes de celles du MIO. En effet, il ne s’agit pas d’un parti né en Asie centrale : il

fut fondé en Jordanie en 1953 par Taqiuddin an-Nabhani, un palestinien diplômé de

l’université Al-Azhar au Caire. Lorsqu’il fut interdit au Moyen-Orient dans les années 1970,

nombre de ses leaders partirent pour l’Europe où ils créèrent de nombreuses cellules, la plus

importante se trouvant aujourd’hui à Londres. Ce n’est qu’en 1995-1996 que le mouvement

apparaît en Asie centrale, où il se développe avec une rapidité surprenante étant donné ses

origines étrangères49. Cette extraordinaire capacité d’adaptation du Hizb ut-Tahrir au paysage

politique centre-asiatique, avec lequel il n’avait pourtant aucun lien auparavant, lui permet de

devenir rapidement un élément à part entière de l’islamisme en Ouzbékistan et lui vaut d’être

rapidement considéré par le gouvernement comme un mouvement subversif constituant une

menace à la sécurité du régime.

Malgré ces parcours différents, il semble que les objectifs visés par le MIO et le Hizb

ut-Tahrir soient pourtant similaires en de nombreux points. Tout d’abord, ces deux

mouvements sont liés par la volonté de lutter contre un ennemi commun : le président ouzbek,

Islam Karimov. La Constitution de 1992 avait en effet établi un régime présidentiel fort qui

donnait de larges pouvoirs au président de la République50. La personnalité d’Islam Karimov

en a par la suite renforcé les caractéristiques, menant à l’instauration définitive d’un système

véritablement présidentialiste teinté de dérives autoritaires. Islam Karimov représente donc,

aux yeux des islamistes, le symbole d’un régime hostile qu’il convient d’abattre rapidement.

Hostile, car la prise de conscience de la menace islamiste dans le pays avait très tôt poussé le

gouvernement à prendre des mesures efficaces afin de limiter leurs capacités d’action. En

premier lieu, l’article 57 de la Constitution interdisait dès 1992 l’établissement de partis

politiques à caractère religieux51. La répression s’était ensuite abattue sur les mouvements

49 La date d’apparition du Hizb ut-Tahrir en Asie centrale n’est pas précisément définie, il aurait été introduit en Ouzbékistan en 1995 lors de la création d’une première cellule à Tachkent par un jordanien nommé Salahuddin, voir Ahmed Rashid, op. cit., p.11050 Voir le Chapitre introductif, dans la partie consacrée à la description du régime d’Islam Karimov.51 Art 57 de la Constitution ouzbèke : “The formation and functioning of political parties and public associations aiming to do the following shall be prohibited: (...)advocating war and social, national, racial and religious hostility, and encroaching on the health and morality of the people, as well as of any armed associations and political parties based on the national or religious principles”.

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islamistes clandestins en 1992, provoquant leur fuite vers les pays voisins, et surtout en 1997

après la fin des conflits afghan et tadjik et le retour de nombreux islamistes ouzbeks dans

leurs régions d’origine. La vague de répression de 1997 fut déclenchée par la décapitation

d’un capitaine de l’armée ouzbèke à Namangan le 2 décembe 1997 et par d’autres assassinats

dans la vallée de Ferghana tout au long du mois de décembre. Bien qu’aucun mouvement

n’ait revendiqué ces meurtres, le gouvernement réagit rapidement en arrêtant notamment plus

d’un millier de personnes dans la région dans les premiers mois de l’année 1998. Les familles

des militants furent aussi durement touchées par cette répression, comme l’explique Ahmed

Rashid dans Asie Centrale, champ de guerres : il y cite les pressions exercées sur les parents

des islamistes présumés ainsi que les emprisonnements souvent accompagnés de tortures dont

furent victimes leurs frères et sœurs52. C’est dans ce contexte qu’on attribue fréquemment à

Islam Karimov les paroles suivantes : « Ces gens-là doivent être abattus d’une balle dans la

tête. Si nécessaire, je tirerai moi-même »53, ou celles-ci prononcées en 1999 : « Si mon fils

choisissait cette voie, je l’étranglerais de mes mains »54.

On comprend donc que l’objectif premier du MIO soit de renverser le régime de

Karimov pour pouvoir prendre le pouvoir à Tachkent. L’appel au jihad lancé en août 1999 et

rédigé par Zubayr Ibn Abdur Raheem, chef religieux du MIO, est pour le moins explicite à ce

sujet : « Le mouvement islamique invite le gouvernement et l’autorité de Karimov à Tachkent

à quitter leurs fonctions, sans condition, avant que le pays n’entre en guerre et que la

destruction n’atteigne la terre et le peuple. La responsabilité en reposera totalement sur les

épaules du gouvernement, et il en sera puni ». De la même façon, le Hizb ut-Tahrir carresse

l’ambition de renverser le régime d’Islam Karimov. Cet objectif s’inscrit néanmoins dans une

vision plus universaliste, celle du renversement de tous les régimes laïcs du monde musulman

en vue de ressusciter le califat qui existait sous l’empire ottoman jusqu’en 192555. Les

régimes des pays musulmans se prétendant « Etats islamiques » ne sont pas non plus épargnés

par la critique du Hizb ut-Tahrir. Il définit les caractéristiques d’un véritable Etat islamique en

affirmant que « pour qu’un territoire soit considéré comme un Etat islamique, chaque article

de la constitution du pays, chaque règle et chaque loi, doivent émaner de la Charia

Islamique »56. L’Arabie Saoudite, en tant que monarchie, ne remplirait d’ailleurs pas les

52 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 13353 Propos rapportés par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 13254 Propos rapportés par Amnesty international, Human Rights Report : Uzbekistan, juin 2001 ; ce rapport cite également des exemples précis d’arrestations arbitraires et de torture à l’encontre des islamistes présumés.55 Voir en annexe le tract du Hizb ut-Tahrir, « Only with the Kalifah will you be Victorious », rédigé par Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem.56 Hizb ut-Tahrir, cité par l’International Crisis Group (ICG), Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, Asia Report n.58, Och/Bruxelles, 30 juin 2003, p.4

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conditions exactes d’un Etat islamique. Malgré cet objectif global et bien qu’opposé à toute

forme de nationalisme, le Hizb ut-Tahrir a été contraint depuis sa création de s’adapter aux

réalités étatiques et de s’inscrire lui aussi dans une perspective nationale. Ainsi, en

Ouzbékistan, le renversement du régime doit servir à l’établissement d’un Etat islamique qui

permettrait à l’islam de régir tous les aspects de la société et des institutions ouzbèkes. Le

mouvement se propose de « ramener les musulmans à un mode de vie islamique dans la

« Maison de l’Islam » (Dar al-islam) et dans une société islamique telle que toutes les

questions concernant la vie dans la société seraient administrées selon les règles de la

Charia »57. Cet objectif se retrouve également dans les revendications du MIO: l’appel au

jihad de Raheem en fait clairement état, lorsqu’il affirme que « le but premier de cette

déclaration de jihad est l’établissement d’un Etat islamique avec application de la charia,

fondée sur le Coran et la noble Sunna prophétique ». Outre la primauté de la Charia, le MIO

appelle donc les musulmans à réconcilier leurs modes de vie avec la tradition du prophète,

faisant preuve ici d’un certain fondamentalisme. Cependant, on peut se demander avec

Laurent Vinatier si cette idée de jihad visant à mettre en place un Etat islamique ne serait pas

davantage issue de la nécessité d’avoir un projet politique afin de se légitimer auprès de la

population ouzbèke. Le but premier du MIO étant de prendre le pouvoir en Ouzbékistan, il est

possible que le jihad islamique ne soit pas tant l’objectif final de ce mouvement qu’un

prétexte à la lutte armée. Selon Laurent Vinatier, l’islam du MIO serait plutôt un « islam de

circonstance »58, inspiré par le succès rapide du Hizb ut-Tahrir dans la région. Ainsi, si le

MIO prône l’établissement d’un Etat islamique qui entrerait dans la perspective plus large de

la mise en place d’un califat sur l’ensemble de la vallée de Ferghana, il apporte bien peu de

précisions à ce sujet. D’autre part, Laurent Vinatier rappelle que ses deux principaux leaders,

Tohir Yuldushev et Juma Namangani, ne sont pas des chefs religieux : bien qu’étant devenu

mollah à l’âge de 24 ans, Yuldushev serait plutôt le chef politique du mouvement, « orateur

enflammé et brillant organisateur »59, tandis que Namangani en représenterait le chef militaire,

doté d’une grande expérience dans la lutte armée grâce à son passé d’ancien soldat soviétique

et à son combat aux côtés du PRI tadjik. Cette lecture critique des objectifs mis en avant par le

MIO ne pourrait pas s’appliquer au Hizb ut-Tahrir : celui-ci tire en effet toute son essence de

la revendication d’un califat islamique, but fondateur qu’il n’a cessé de proclamer depuis sa

création en 1956. L’étude du Hizb ut-Tahrir nous amène enfin à noter deux autres aspects

57 En anglais dans le texte: “bringing the Muslims back to living an Islamic way of life in Dar al-Islam and in an Islamic society such that all of life’s affairs in society are administered according to the Shari’ah rules”.58 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.23159 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 124

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de son idéologie: d’une part, elle est dotée d’une tendance fortement antijudaïque, révélée par

la rhétorique violente du Hizb ut-Tahrir s’attaquant à la « tyrannie des juifs » et réclamant « la

destruction du juif Karimov »60. On la trouve également dans d’autres pamphlets publiés par

le Hizb ut-Tahrir, qui condamnent notamment « la confiscation de la Palestine par les

juifs »61. D’autre part, il s’agit d’un mouvement violemment anti-chiite, comme en témoignent

ces propos d’un des leaders du Hizb ut-Tahrir en Ouzbékistan, recueillis par Ahmed Rashid :

« nous sommes tout à fait hostiles aux chiites et au chiisme, qui n’est pas la voie

islamique »62.

Les revendications du MIO et du Hizb ut-Tahrir se rejoignent donc en de nombreux

points. Pour cette raison, ils ont tous deux été victimes des répressions féroces du

gouvernement ouzbek qui tend souvent à les confondre en une seule catégorie, celle des

« wahhabis » qui constitueraient tous au même titre une menace pour le pays. Il ne faut

cependant pas négliger une différence majeure entre ces deux mouvements, qui est liée aux

moyens que ceux-ci souhaitent mettre en œuvre pour atteindre leurs objectifs.

Le Hizb ut-Tahrir est un mouvement non violent, qui prône l’utilisation de moyens

pacifistes pour parvenir à ses fins. Le jihad doit se faire en douceur et par le peuple : en effet,

ce sont les populations de chaque pays qu’il cherche à acquérir à sa cause afin qu’un jour,

elles se réunissent dans la Ummah, la société des croyants, et qu’elles rétablissent le califat. Il

cherche donc à faire renaître la conscience politique de l’islam au sein de la société ouzbèke

et l’encourage à renouer avec des pratiques religieuses pures. Pour cela, il diffuse ses idées au

moyen d’une littérature abondante qui serait importée, de cassettes enregistrées et de

nombreux tracts déposés clandestinement dans les boîtes aux lettres au cours de la nuit ou

disponibles sur son site internet. Ces tracts contiennent des passages du Coran, expliquent la

religion musulmane, donnent des conseils pour la pratiquer selon la tradition du prophète et

enfin appellent au jihad et à l’établissement de l’Etat islamique. Il semble qu’une autre

méthode soit utilisée, qui consiste tout simplement pour les militants du mouvement à engager

des conversations au détour des rues et des bazars63. Le Hizb ut-Tahrir privilégie ainsi le

dialogue et l’éducation religieuse comme instruments de persuasion, avec la certitude que le

jour viendra où ses partisans organiseront des manifestations pacifistes pour renverser les

régimes au pouvoir, en Ouzbékistan comme dans les autres pays musulmans. Les partisans du 60 Hizb ut-Tahrir, cité par l’ICG dans Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, op. cit., p.3261 Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem, “To Expel America and Her Allies from the Islamic World is an Obligation upon the Muslims”, 28 août 1998, pamphlet publié sur le site internet officiel du Hizb ut-Tahrir.62 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit.,p.11263 D’après l’ICG, Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, op. cit., p. 29

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Hizb ut-Tahrir semblent jusqu’à présent s’être tenus à cette attitude non-violente. Ils ont

certes été plusieurs fois accusés par le gouvernement ouzbek d’être à l’origine d’attentats ou

d’actions subversives en tous genres : ce fut notamment le cas en mars 2004 lorsque des

affrontements opposèrent pendant plusieurs jours l’armée ouzbèke à des islamistes à Tachkent

et à Boukhara. Le 13 mai 2005, le Hizb ut-Tahrir fut une nouvelle fois accusé d’avoir

organisé un rassemblement subversif à Andijan, et fut par conséquent rendu responsable de la

mort d’au moins un millier de civils ouzbeks tués par la répression menée par l’armée64.

Néanmoins, le Hizb ut-Tahrir n’a jusqu’alors jamais revendiqué d’actions violentes et sa

responsabilité dans l’une d’entre elles n’a par ailleurs jamais pu être prouvée. C’est donc

uniquement sur la base d’une culpabilité présumée que des milliers de ses partisans ont pu

être emprisonnés au cours des dernières années.

A l’opposé, c’est la lutte armée qui a été choisie depuis le début des années 1990 par le

MIO comme le seul moyen de renverser le régime d’Islam Karimov. La fin des années 1990

et le début des années 2000 sont marquées par ce qu’Ahmed Rashid nomme « les campagnes 

de 1999 et 2000», séries d’évènements violents pour la plupart revendiqués par le MIO. Le 16

février 1999, cinq explosions frappent la ville de Tachkent sur la route empruntée par le

véhicule d’Islam Karimov. Le 9 août de la même année, des islamistes prennent en otage un

maire et trois officiels au Kirghizstan qui seront libérés quelques jours plus tard. Le 23 août,

toujours au Kirghizstan, sept personnes sont prises en otage dont quatre géologues japonais,

mais ceux-ci ne seront libérés que le 25 octobre. Dans les deux cas, il est certain que la

libération des otages n’a pu aboutir qu’après le versement d’une rançon aux islamistes par le

gouvernement concerné. Les actions menées par le MIO dans la campagne de 2000 sont d’une

plus grande ampleur : en juillet, de véritables attaques armées sont lancées dans l’ensemble de

la vallée de Ferghana, dans ses parties ouzbèke, kirghize mais aussi tadjike. Les affrontements

durèrent plusieurs semaines et ne se terminèrent que lorsque les militants du MIO furent

contraints de se replier, faute de munitions. C’est en Afghanistan qu’ils trouvent alors refuge,

où ils s’installent à Mazar-e-Charif et à Kunduz, dans le nord du pays. On estime qu’à ce

moment les forces du MIO en Afghanistan sont composées d’environ 2000 hommes, dont

certains combattent auprès des talibans contre les forces du général Massoud.

Cette implication du MIO dans le combat des talibans aura des conséquences

primordiales sur l’avenir du mouvement. En effet, lors de la campagne d’Afghanistan menée 64 Le caractère extrêmement récent de ces évènements ne nous permet pas pour l’instant d’avancer une estimation plus précise du nombre de victimes. Le bilan d’au moins 1000 civils ouzbeks tués est avancé par le président de la Société des droits de l’homme d’Ouzbékistan, Talik Yabukov, et a été repris par la Fédération Internationale d’Helsinki pour les droits de l’homme, voir Le Monde (d’après l’AFP et Reuters), « Le président ouzbek refuse une enquête de l’ONU sur Andijan », 20 mai 2005

29

par les Etats-Unis dès le mois d’octobre 2001, la violence des bombardements dans le nord du

pays lui inflige des pertes considérables : ses installations sont brutalement détruites, tandis

que la plupart de ses militants périssent sous les attaques américaines. Juma Namangani serait

d’ailleurs décédé au cours de ces bombardements en novembre 2001, mais la preuve de sa

mort n’a pas jamais pu être établie. La campagne d’Afghanistan a donc consacré la disparition

des talibans et des multiples groupes jihadistes qui les soutenaient en tant que forces

politiques, en même tant qu’elle a symbolisé la disparition de la lutte armée pour la prise du

pouvoir en Ouzbékistan. Selon Laurent Vinatier, s’il est « peu probable que le Mouvement

Islamique d’Ouzbékistan soit totalement anéanti, a priori, il ne constitue plus une menace en

tant que tel »65. Une recomposition du MIO, peut-être sous une autre forme, reste néanmoins

possible d’autant que toutes ses forces n’ont bien sûr pas été détruites. Bien que les autorités

tadjikes s’en défendent, le gouvernement de Tachkent soupçonne toujours l’existence de

structures du MIO à l’est du Tajikistan. Des camps d’entrainements se seraient également

constitués au Pakistan, ce qui laisse à penser qu’un mouvement islamiste serait en train de se

reconstituer sur les bases laissées par le MIO66. La disparition du sanctuaire afghan et

l’absence de base fixe près d’une frontière avec l’Ouzbékistan nous permet tout de même

d’affirmer qu’il est peu probable que le MIO puisse être un acteur majeur du combat islamiste

contre le régime d’Islam Karimov dans les mois à venir.

Au contraire, il semble que le Hizb ut-Tahrir soit sorti renforcé de la campagne

d’Afghanistan. S’il est vrai que la répression à son encontre s’est poursuivie, la disparition du

MIO a fait de lui le seul mouvement islamiste important en Ouzbékistan. De plus, n’ayant

apparemment jamais entretenu de relations avec les talibans, il n’a en aucune façon été

touché par les attaques américaines sur l’Afghanistan. Il reste donc la seule véritable force

islamiste dotée d’une organisation établie et efficace. Il bénéficie surtout d’un soutien

grandissant auprès de la population, que l’on peut supposer lié à son mode de fonctionnement

non-violent. Le MIO, lui, n’était jamais parvenu à recueillir l’approbation de la population,

même dans la vallée de Ferghana, car ses attaques répétées ainsi que la répression qui les

accompagnaient avaient obligé de nombreuses personnes à quitter leur région pour se réfugier

parfois dans les pays voisins. En outre, c’est souvent pour obtenir un salaire que de jeunes

militants déçus par leurs conditions de vie le rejoignaient. Pour le Hizb ut-Tahrir, cette

situation économique et sociale doit plutôt servir à réislamiser en douceur la société, en

réveillant la conscience religieuse des populations telle un substitut aux déceptions 65 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.1866 Voir les remarques de Daniel Kimmage dans le rapport du séminaire Assessing the war on terror in Central Asia, Center for Strategic and International Studies, Washington DC, 3 mai 2004, p.2

30

matérielles. Paradoxalement, les publications du Hizb ut-Tahrir n’évoquent que très peu les

questions sociales, alors que les préoccupations en matière alimentaire et sanitaire sont

primordiales parmi la population ouzbèke. Pourtant, malgré un discours qui semble peu

adapté aux difficultés quotidiennes, il semble que l’influence du Hizb ut-Tahrir continue à se

développer grâce à une augmentation constante du nombre de ses membres et à un soutien

toujours plus large au sein de la population, bien que celui-ci soit difficile à évaluer.

Nous avons évoqué ici les deux principaux mouvements islamistes ayant marqué

l’Ouzbékistan au long de ces dix dernières années par leurs actions et leur développement. Il

existe très certainement d’autres mouvements islamistes de moins grande ampleur, mais

toutefois actifs : les attentats survenus en mars et en juillet 2004 en sont la preuve. Les deux

attentats-suicides commis en mars 2004 à Tachkent ont d’ailleurs été revendiqués par une

organisation inconnue, le Groupe du Jihad Islamique, qui a décrit ces attentats comme une

réponse aux efforts du gouvernement pour limiter les libertés individuelles, en particulier la

liberté d’expression. Il faut donc demeurer prudents, tout ne pouvant pas être analysé à travers

le prisme des organisations connues. De nouveaux mouvements islamistes peuvent à tout

moment émerger, sur les bases du MIO ou dans un tout autre cadre.

Nous avons vu que l’émergence de ces mouvements islamistes avait entrainé très tôt,

dès 1992, une prise de conscience de la part du gouvernement ouzbek de la menace que ceux-

ci pouvaient constituer à son encontre. Cette perception d’une menace est aisée à comprendre,

le MIO et le Hizb ut-Tahrir ayant toujours ouvertement affirmé leur ambition de renverser le

régime d’Islam Karimov pour le remplacer par un Etat islamique. Depuis le 11 septembre, il

semble que ces mouvements soient également perçus par les Etats-Unis comme une menace à

prendre en compte dans leurs relations avec les Républiques d’Asie centrale. Nous allons

donc à présent nous intéresser à la perception américaine de cette menace, afin de comprendre

les motifs les ayant poussés à développer des liens privilégiés avec l’Ouzbékistan dans le

cadre de la lutte antiterroriste.

31

Chapitre 2   : La perception américaine de la menace terroriste

Dans l’ouvrage Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, Thomas Juneau

affirme que « la menace islamique en Ouzbékistan est soudainement devenue un problème

global »67. Il fait alors allusion au bouleversement entrainé par les attentats du 11 septembre

2001 dans la politique étrangère des Etats-Unis. Pourtant, on pourrait dater la prise de

conscience de l’existence d’une menace islamiste en Ouzbékistan à l’année précédente : c’est

en effet dès le 15 septembre 2000 que le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan aparaît sur la

liste des organisations terroristes étrangères dénoncées par le Département d’Etat américain68.

Les critères nécessaires pour qu’une organisation soit inscrite sur cette liste sont précisés par

l’ « Antiterrorism and Effective Death Penalty Act » de 1996 et sont au nombre de trois :

l’organisation doit être étrangère ; elle doit être engagée dans une activité terroriste ; et enfin,

ses activités doivent menacer la sécurité des américains ou « la sécurité nationale » que l’on

doit comprendre comme la défense nationale, les relations extérieures des Etats-Unis ou ses

intérêts économiques.

Pourtant, les attaques terroristes survenues dans la région au cours des années

précédentes ne laissaient pas présager une telle préoccupation de la part des Etats-Unis vis-à-

vis d’un mouvement agissant dans une région fort éloignée du territoire américain et

traditionnellement délaissée dans les relations internationales. En effet, si l’on se fie aux

données statistiques fournies par l’annexe G annexée au rapport « Patterns of Global

Terrorism 2003», lui-même publié par le Département d’Etat, l’Eurasie représenterait la

région du monde ayant subi le moins d’attaques terroristes après l’Amérique du Nord, entre

1998 et 200369. D’après ce même rapport statistique, un soixantième seulement des attaques

anti-américaines survenues en 2003 auraient eu lieu en Eurasie, contre un tiers au Moyen-

Orient.

Ces chiffres nous amènent légitimement à nous interroger sur les motifs ayant poussé

l’administration américaine à s’intéresser malgré tout à cette région pourtant peu concernée

par la question du terrorisme relativement à d’autres régions du monde, comme le Moyen-

Orient ou l’Amérique latine. De plus, bien peu de discours ou d’actes anti-américains y ont 67 Thomas Juneau, dans Thomas Juneau, G. Hervouet, F. Lasserre (sous la direction de), Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université de Laval, 2004, p.9168 Il s’agit de la liste dite « Foreign Terrorist Organizations (FTO) list », sur laquelle le MIO figure également le 5 octobre 2001, après la réévaluation de cette liste suite aux attentats du 11 septembre. 69 Voici le classement des régions ayant subi des attaques terroristes que l’on peut établir grâce aux chiffres fournis, dans l’ordre décroissant des régions les plus touchées : Amérique Latine, Asie, Europe de l’Ouest, Moyen-Orient, Afrique, Eurasie et enfin Amérique du Nord.

32

été observés, les attentats du 11 septembre n’ayant pas été suivis chez les populations

centrasiatiques par des manifestations de joie telles que l’on en a constatées au Moyen-Orient.

Et pour cause, car l’Asie centrale fait partie de la zone d’influence russe traditionnelle, une

zone dans laquelle les Etats-Unis n’étaient jusqu’alors jamais parvenus à s’implanter.

L’ouverture récente de ces ex-Républiques de l’URSS vers le monde extérieur explique que

l’anti-américanisme ne soit pas d’actualité parmi leurs populations en 2001, peu d’entre eux

d’ailleurs parlant l’anglais. Malgré cela, il semble que l’Asie centrale soit devenue depuis

quelques années une région-clé de la politique étrangère américaine dans le cadre de la

« guerre contre le terrorisme » déclenchée à la suite du 11 septembre 2001.

L’Asie centrale   : une région prioritaire dans la lutte contre le terrorisme

depuis le 11 septembre 2001

Une première explication peut être avancée pour expliquer l’intérêt nouveau suscité

par l’Asie centrale, qui a trait à un épisode survenu au Kirghizstan le 12 août 2000 : il s’agit

de la prise en otage de quatre alpinistes américains par huit militants du MIO dans la région

de Batken. Celle-ci ne dura que quelques jours et les otages parvinrent à s’échapper le 16

août. Elle ne passa pas pour autant inaperçue : les anciens otages s’empressèrent de vendre

leur histoire à de nombreux journaux américains ainsi qu’aux studios Universal à Hollywood.

Ainsi, selon Ahmed Rashid, « cet incident prit une importance sans rapport avec sa portée

réelle » aux yeux de l’administration américaine, et l’on peut dire qu’elle contribua largement

à l’inscription du MIO sur la liste des organisations terroristes étangères un mois plus tard 70.

D’autres épisodes participèrent à la formation d’une perception américaine de la menace

terroriste dans la région. On peut notamment citer les déclarations d’Azizbek Karimov, un

membre du MIO, qui déclara peu après son arrestation en 2003 qu’il avait projeté d’attaquer

l’ambassade américaine au Kirghizstan. Cependant, la faible ampleur de ces deux éléments et

surtout le peu de conséquences qu’ils ont eu sur les intérêts américains ne suffisent sans doute

pas à expliquer la préoccupation américaine naissante quant aux activités des mouvements

islamistes de la région. De plus, il n’a jamais fait de doute que le MIO est un mouvement

intrinsèquement lié à l’Ouzbékistan, bien qu’il ait mené plusieurs incursions à partir du

Kirghizstan et du Tadjikistan voisins en 1999 et et 2000. Ses membres se revendiquent

70 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p.152-153

33

ouzbeks, et leurs revendications portent exclusivement sur le renversement du régime d’Islam

Karimov. Pour autant, une extension des activités des islamistes d’Ouzbékistan vers d’autres

d’autres pays de la région doit rester envisageable.  Leur influence pourrait, par un « effet de

dominos », toucher les quatre autres Républiques d’Asie centrale et ceci d’autant plus que

l’Ouzbékistan possède des frontières avec chacune d’entre elles. C’est en tout cas une théorie

qui a été défendue par Adolat Najimova au cours du séminaire « Assessing the ‘War on

Terror’ in Central Asia » organisé à Washington en mai 200471. Elle rappelle par ailleurs que

le Hizb ut-Tahrir possède déjà des cellules au Kirghizstan et au Tadjikistan, voire même au

Kazakhstan. Cette théorie des dominos, née dans le contexte de la guerre du Vietnam dans les

années 1960, a été de nombreuses fois utilisée par les Etats-Unis au cours de la guerre froide

afin de distinguer les points stratégiques nécessitant leur implication politique, économique ou

militaire. Elle semble aujourd’hui à nouveau pertinente en Asie centrale, dans un contexte

marqué par la montée de l’islamisme en plein cœur de la région, dans la vallée de Ferghana.

. Il s’agit bien là d’une menace islamiste, c’est-à-dire d’une menace constituée par une

idéologie hostile aux principes libéraux prônés par les Etats-Unis. Jusqu’au 11 septembre,

l’islamisme n’avait pourtant jamais été considéré comme une menace en soi. Olivier Roy

rappelle à ce titre que dans la politique étrangère des Etats-Unis, ce n’était pas tant l’idéologie

des mouvements qui était prise en compte mais davantage leur positionnement politique au

sein des relations internationales. Lors de la prise de Kaboul par les talibans, madame Rafel,

sous-secrétaire d’Etat pour l’Asie du Sud, avait évoqué une « avancée positive » dans la

région72. En revanche, parce que l’un de ces mouvements, le MIO, s’est montré capable de

mener des actions violentes dans plusieurs pays de la région au moyen d’attaques armées, de

prises d’otages et d’attentats, cette menace islamiste a progressivement été perçue comme une

véritable menace terroriste. Dès lors, « guerre contre le terrorisme » et lutte contre l’islamisme

sont devenus indissociables, poussant les Etats-Unis à s’intéresser de plus près aux

mouvements islamistes actifs dans la région, et même au non-violent Hizb ut-Tahrir dont on

ignore de quelle façon il évoluera ces prochaines années. S’il est vrai qu’il prône une

réislamisation pacifique des sociétés centre-asiatiques, il aurait déjà tenté à plusieurs reprises

de prendre le pouvoir par la force en Syrie, en Jordanie en 1969 et 1971 et dans le sud de

l’Irak en 197273.

71 “Unrest in Uzbekistan could create a domino effect in the region”, Adolat Najimova, Assessing the war on terror in Central Asia, op. cit., p.972 “a positive step”, madame Rafel citée par Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, le débat stratégique face au terrorisme, Paris, Seuil, 2002, p.6673 ICG, Radical Islam in Central Asia : responding to Hizb ut-Tahrir, op. cit., p.3

34

Cette perception d’une menace terroriste dans la région est alimentée par la « théorie

des Etats faibles » (« weak states ») développée par de nombreux chercheurs américains.

Selon cette théorie, tout « Etat faible » est susceptible de se transformer en un « Etat

défaillant » (« failed state »), c’est-à-dire « un Etat qui ne peut pas ou ne veut pas garantir les

conditions civiles minimales, à savoir la paix, l’ordre, la sécurité, etc, à l’intérieur du pays »

d’après la définition de Robert H. Jackson74. Parmi les chercheurs appliquant cette théorie à

l’Asie centrale se trouve Charles Fairbanks, directeur de l’Institut d’Asie centrale et du

Caucase à l’université Johns Hopkins de Washington D.C., qui explique les raisons qu’ont les

Etats-Unis de rester présents dans cette région75 : selon lui, il s’agirait d’empêcher la

formation d’Etats faibles en Asie centrale, afin que les mouvements islamistes ne puissent pas

s’y développer et porter atteinte à la stabilité régionale. Il affirme que l’apport du 11

septembre a été de montrer l’importance d’un recadrage de la politique étrangère américaine,

qui doit à présent s’intéresser à ces territoires autrefois négligés que sont les républiques

d’Asie centrale. En tant que pays majoritairement musulmans, celles-ci pourraient devenir des

refuges idéaux pour les terroristes si elles venaient à s’affaiblir76. Pour cette raison, l’intérêt

des Etats-Unis serait de soutenir les régimes en place en Asie centrale, afin de ne pas offrir

aux mouvements islamistes déjà présents en Ouzbékistan la possibilité d’étendre leur

influence hors de la vallée de Ferghana et de ne pas les encourager à s’orienter vers des

actions plus radicales. L’affaiblissement du régime ouzbek laisserait en effet une marge de

manœuvre plus importante aux mouvements islamistes existants, notamment le Hizb ut-

Tahrir, et permettrait probablement à d’autres entités islamistes de se constituer. A long

terme, ceci pourrait par ailleurs encourager d’autres organisations transnationales comme Al

Qaida à profiter d’un contexte favorable pour s’implanter durablement dans l’ensemble de la

région. C’est ce qui s’était produit dans les années 1980 et 1990 en Afghanistan, après que le

retrait des troupes soviétiques en 1979 ait laissé le pays totalement désordonné, soumis aux

luttes entre les clans traditionnels pour la prise du pouvoir. La prise de Kaboul par les talibans

en 1996 avait alors offert un refuge idéal aux membres d’Al Qaida et avait ainsi permis la

création de nombreux camps d’entrainement, fréquentés par des islamistes venant du monde

entier. Il s’agirait donc, pour les Etats-Unis, d’éviter qu’un tel scénario ne se répète dans la

région. L’expression américaine « afghanicization », employée par de nombreux chercheurs

74 Robert H. Jackson, “Surrogate Sovereignty? Great Power Responsability and ‘Failed States’”, Institute of International Relations, University of British Columbia, Working Paper n.25, novembre 1998, p.275 Charles Fairbanks, « Being There », The National Interest, été 2002, pp.39-5376 “September 11 has shown the need for a major re-focusing of U.S. foreign policy to deal with such neglected cases because weak states that happen also to be Muslim states are prime locales for terrorist refuges”, Charles Fairbanks, Ibid, p.46

35

américains mais difficile traduisible en français, témoigne précisément de cette crainte que

l’histoire afghane ne se répète aujourd’hui dans d’autres pays d’Asie centrale77. Certes, on

peut actuellement considérer l’Afghanistan comme un pays relativement stabilisé : grâce à

l’importance numérique des troupes américaines présentes sur le territoire afghan, ce pays

n’est aujourd’hui plus perçu comme une menace à l’encontre des Etats-Unis. C’est ce qu’a

rappelé le président américain George W. Bush lors de la visite du président afghan Hamid

Karzai à Washington, le 23 mai 2005 : « L’Afghanistan n’est plus un lieu sûr pour les

terroristes. L’Afghanistan est un partenaire-clé dans la guerre internationale contre la

terreur »78. Les récents évènements au Kirghizstan, ayant provoqué la chute du président

Askar Akayev en avril 2005, laissent pourtant planer le doute sur l’avenir des régimes des

pays voisins. Dans toutes les républiques d’Asie centrale, les régimes s’étaient établis en 1991

lors des indépendances. Le régime kirghize était néanmoins connu pour être le moins

autoritaire d’entre eux, ce qui aurait permis à l’opposition de s’y développer plus facilement et

ce qui expliquerait qu’il ait été le premier à tomber. En Ouzbékistan, la dureté de la répression

menée par Islam Karimov à l’encontre de ses opposants laisse peu de place au développement

de mouvements d’opposition réels, du moins dans la légalité. Malgré cela, il semble que les

Etats-Unis aient pris conscience du rôle qu’ils doivent à présent jouer dans ces pays s’ils

souhaitent empêcher la propagation de l’islamisme et le développement d’organisations

terroristes telles que le MIO. Comme le souligne Charles William Maynes, les pays d’Asie

centrale pourraient « fournir un sanctuaire à des terroristes tels que ceux qui ont attaqué le

Pentagone et le World Trade Center »79. Si l’hypothèse d’un renversement de l’un des régimes

d’Asie centrale par un mouvement islamiste paraît encore peu probable, il n’est pas exclu que

cela se produise dans la décennie à venir. Les islamistes pourraient du moins encourager les

populations centre-asiatiques à s’insurger contre les dérives autoritaires de leurs gouvernants,

et profiter alors du chaos qui en découlerait pour prendre le pouvoir par la force. Une situation

telle que celle qui caractérisait l’Afghanistan entre 1996 et 2001 pourrait ainsi apparaître, qui

verrait l’un des Etats d’Asie centrale se transformer en un nouveau sanctuaire pour des

organisations islamistes animées par des ambitions terroristes.

77 L’expression « afghanicization » a notamment été employée par Mark Miller, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’Université du Delaware, lors d’un séminaire intitulé «  La nouvelle politique de sécurité nationale américaine dans le cadre des relations transatlantiques », Institut d’Etudes Politiques de Lyon, mars 200578 Discours de bienvenue du président George W. Bush au président Hamid Karzai, le 23 mai 2005 à Washington, DC.79 Charles William Maynes, “America Discovers Central Asia”, Foreign Affairs, vol.82, n.2, mars-avril 2003, p.121

36

D’autre part, les déplacements de ces islamistes seraient largement facilités par la

porosité des frontières actuelles. Malgré des efforts en matière de renforcement des contrôles

aux frontières de la part de l’Ouzbékistan notamment, certaines régions montagneuses restent

propices aux déplacements clandestins ou aux trafics de drogue80. C’est alors en quelque

sorte un « endiguement » (« containment ») de l’islamisme qu’il s’agirait d’effectuer, terme

que l’on retrouve cette fois encore dans le rapport du séminaire « Assessing the ‘War on

Terror’ in Central Asia »81. L’endiguement serait alors la réponse principale à apporter aux

mouvements islamistes afin d’empêcher que leur développement ne menace à terme la

sécurité nationale des Etats-Unis. D’après Yuriy Matashev, les nombreuses attaques

terroristes de 1999 et 2000 « ont bel et bien montré qu’avaient été formées dans la région des

unités de combat mobiles, capables de mener une guerre contre les gouvernements d’Asie

centrale »82 . Partant de ce constat, on comprend aisément la crainte du Département d’Etat

américain que les actions terroristes de ces organisations ne puissent un jour toucher leurs

intérêts politiques ou économiques et porter atteinte à leur sécurité.

Si les attentats du 11 septembre 2001 ont soudainement transformé l’Asie centrale

en une région prioritaire de la « guerre contre la terreur » (« war on terror ») américaine, c’est

qu’ils y ont révélé la présence de mouvements islamistes actifs et organisés tendant à

développer leurs réseaux dans plusieurs Etats de la région. Cette menace terroriste demeure

aujourd’hui principalement dirigée contre le régime d’Islam Karimov, mais pourrait un jour se

tourner contre d’autres dirigeants voire contre les Etats-Unis. L’intérêt américain dans la

région se mesure donc en termes de sécurité. Rappelons que la notion de sécurité a

considérablement évolué au cours de ces dernières années: s’il est vrai qu’elle a toujours été,

comme l’indique Raymond Aron, l’un des « objectifs éternels » de la politique extérieure des

Etats, elle ne se limite plus aujourd’hui à la prise en compte de menaces militaires qui seraient

exclusivement le fait des Etats83. Depuis la fin de la guerre froide principalement, elle a été

contrainte de tenir compte de ce qu’on a appelé les « nouvelles menaces », c’est-à-dire celles

constituées par des groupes terroristes non-étatiques. Pour les Etats-Unis, la notion de sécurité

appliquée à l’Asie centrale consiste à éviter l’ « afghanicization » de l’Asie centrale : comme

80 Voir à ce sujet Patrick Simon, « Asie centrale : où en est-on ? Quels enjeux de sécurité ? », novembre 2003, p.581 Assessing the war on terror in Central Asia, op. cit., p.282 Yuriy MATASHEV, « Les sources de l’Islam radical en Ouzbékistan », Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, op. cit., p.17883 Voir à ce sujet Dario Battistella, Théorie des relations internationales, chapitre 14 : « la sécurité », Paris, Presses de Sciences Po, 2003, pp. 431-462

37

l’explique Fiona Hill, spécialiste américaine de l’Asie centrale, ce phénomène impliquerait

« la naissance d’autres groupes terroristes de portée transnationale qui pourraient menacer la

stabilité de toutes les régions qui s’entrecroisent [en Asie centrale] et frapper les Etats-

Unis »84. C’est donc l’émergence de nouveaux mouvements terroristes centre-asiatiques qui

est redoutée, qui pourrait provenir soit de la création de nouveaux mouvements islamistes

violents, soit de l’évolution de mouvements islamistes pour l’instant non-violents comme le

Hizb ut-Tahrir. Un autre danger est également perçu par les Etats-Unis, qui résulterait de

l’alliance de certains mouvements islamistes d’Asie centrale avec des organisations terroristes

transnationales déjà connues pour leurs attaques anti-américaines, telles qu’Al Qaida. C’est ce

à quoi nous allons nous intéresser à présent, en cherchant à comprendre les fondements de la

perception américaine d’une menace transnationale.

La perception américaine d’une menace transnationale

Il semble que les mouvements islamistes d’Asie centrale soient appréhendés par les

Etats-Unis à travers ce qu’Olivier Roy appelle « un combat jihadiste international », c’est-à-

dire un mouvement islamiste qui agirait à l’échelle mondiale et qui menacerait les intérêts

américains, à l’étranger comme sur leur propre territoire85. Cette perception a profondément

marqué la lutte contre le terrorisme engagée depuis octobre 2001. Elle est alimentée par un

courant interne aux Etats-Unis, celui des néo-conservateurs, dominants dans le processus de

décision au sein de l’administration Bush. Néanmoins, si elle a pu s’imposer comme la

référence principale dans l’élaboration de la politique étrangère américaine, c’est parce que

d’autres Etats ont également contribué à la forger. En effet, la Russie, la Chine et

l’Ouzbékistan se sont efforcés, ces dernières années, d’apporter la preuve des connections

existant entre les mouvements islamistes situés sur leurs territoires respectifs. La Russie et la

Chine sont toutes deux confrontées aux problèmes posés par des mouvements

indépendentistes dans leurs provinces proches de l’Asie centrale, en Tchétchénie et dans la

province chinoise du Xinjiang. Il s’agit dans les deux cas de régions fortement imprégnées par

l’Islam, leurs habitants étant majoritairement musulmanes contrairement au reste de la

population chinoise ou russe. La particularité religieuse de ces régions est ainsi devenue le

84 Fiona Hill, “The United States and Russia in Central Asia : Uzbekistan,Tajikistan, Afghanistan, Pakistan, and Iran”, The Aspen Institute Congressional Program, Brookings Institution, 15 août 2002, p.2 85 Olivier Roy, cité par Eurasia Insight, “US failure to comprehend islamic radical motivations undermines democratization hopes for Middle East, Central Asia”, 13 mai 2004, p.1

38

point d’appui principal des mouvements indépendantistes, qui se sont progressivement révélés

islamistes86. Concernant la Russie, il est clair qu’elle a amplement bénéficié du déclenchement

de la lutte contre le terrorisme en octobre 2001 : tout d’abord, celle-ci lui a permis de se

réintroduire en tant qu’acteur dans le jeu des relations internationales, en instaurant avec les

Etats-Unis une coopération nouvelle dans le domaine du renseignement. Mais surtout, elle lui

a donné l’occasion de dénoncer l’appartenance des islamistes tchétchènes à une mouvance

islamiste plus large, assimilant de ce fait le mouvement indépendantiste à un mouvement

terroriste international87. Vladimir Poutine déclarait, le 24 septembre 2001 : « Nous pensons

également qu’on ne peut pas considérer les évènements en Tchétchénie en dehors du contexte

de la lutte contre le terrorisme international »88. La prise en otage par des indépendantistes

tchétchènes de quelques 800 personnes dans le théâtre de la Doubrovka à Moscou, en octobre

2002, suivie de celle de l’école primaire de Beslan en Ossétie du Nord, en août 2004, n’ont pu

que renforcer la position russe à ce sujet. De plus, une nouvelle cassette attribuée à Oussama

Ben Laden fut diffusée le 13 novembre 2002 : la prise d’otages de Moscou y était citée

comme faisant partie des victoires remportées par Al Qaida contre les Etats-Unis et leurs

alliés, ce qui ne manqua pas d’encourager la Russie à affirmer une fois de plus l’existence

d’un mouvement terroriste international ayant des réseaux jusqu’en Tchétchénie89. En Chine,

c’est dans la province autonome du Xinjiang que s’est développé un mouvement

indépendantiste, une région riche en ressources naturelles et située à un carrefour stratégique

entre la Chine, la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le

Pakistan et l’Inde. Les Ouigours qui habitent cette région sont des musulmans ethniquement

proches des peuples turcophones d’Asie centrale. Il existe au Xinjiang une tension séparatiste

latente, ponctuée par des manifestations et des attentats sporadiques. Depuis 1996, la

répression chinoise à l’égard de ceux qu’elle accuse d’être liés au terrorisme international

s’est considérablement amplifiée. Comme pour la Russie, la lutte contre le terrorisme

engagée par les Etats-Unis a donc été considérée comme du pain béni par le gouvernement

chinois. « En estimant que la communauté internationale doit renforcer sa coopération dans la

lutte contre le terrorisme, la Chine entend avant tout faire accepter la politique qu’elle mène

dans sa province musulmane du Xinjiang au prétexte que les séparatistes y ont recours à des

86 Selon Jean-Luc Racine, dans ces deux pays, « le nationalisme ethnique et l’islamisme ne répugnent pas à s’allier », voir « Le cercle de Samarcande : géopolitique de l’Asie centrale », Hérodote, n. 84, 2ème trimestre 1997, p.4287 On distingue traditionnellement deux guerres de Tchétchénie : la première s’est déroulée de 1994 à 1996, et la seconde a commencé en 2002. 88 Déclaration du président russe Vladimir Poutine du 24 septembre 2001, à Moscou.89 Voir l’article de Nina Bachkatov, « Mains libres pour la Russie », Le Monde diplomatique, décembre 2002, p.20

39

‘pratiques terroristes’ », explique Ilaria Maria Sala dans Le Monde diplomatique90. Les

difficultés internes de la Russie et de la Chine expliquent donc pourquoi ces deux pays ont

très tôt encouragé les Etats-Unis à percevoir les mouvements islamistes de cette région

comme indiscutablement liés au réseau Al Qaida voire à d’autres organisations terroristes.

L’importance première accordée à la sécurité nationale oblige à présent les Etats-Unis à ne

négliger aucune menace, et d’autant plus quand cette menace est pointée du doigt par leurs

alliés.

En Ouzbékistan, on ne compte plus les déclarations officielles qui affirment que le

MIO ou le Hizb ut-Tahrir seraient liés au réseau Al Qaida. En avril 2004, le procureur général

ouzbek Rashid Kadyrov déclare dans une conférence de presse que la responsabilité des

attentats du mois de mars à Tachkent et à Boukhara doit être imputée à une « conspiration

terroriste internationale ». Il y dénonce également le « lavage de cerveau idéologique » qui

serait infligé aux militants ouzbeks par les terroristes étrangers, en particulier par les

islamistes arabes ayant été entrainés dans les camps d’Al Qaida. Nombreux sont ceux qui

soutiennent cette idée aux Etats-Unis, qui serait confortée par l’utilisation en mars 2004 d’une

technique terroriste souvent utilisée au Moyen-Orient : les attentats-suicides perpétrés par des

femmes. Les deux kamikazes des attentats de Tachkent, près du bazar de Chorsou, étaient en

effet des femmes, et ceci pour la première fois en Asie centrale. En outre, les attentats-

suicides ne sont pas habituels en Ouzbékistan : il s’agit plutôt, en général, d’attentats à la

bombe ciblés, visant des membres du gouvernement ou le président lui-même, c’est-à-dire des

cibles clairement identifiées en tant que représentantes de l’ordre établi. C’est sur ce point que

l’on distingue habituellement les mouvements islamistes d’Asie centrale de mouvements

terroristes tel que Al Qaida : d’après Jean-Marc Balencié, l’une des caractéristique du groupe

Al Qaida est qu’il opère dans la perspective d’une « violence apocalyptique »91, qui ne vise

personne en particulier mais cherche à faire un maximum de victimes. A l’opposé, le

mouvements islamistes ouzbeks sembleraient plutôt s’appuyer sur ce qu’il appelle une

« violence régulée », destinée à atteindre des objectifs précis. Les attentats de mars 2004 sont

donc un signe inquiétant, que l’on peut interpréter de deux façons : d’une part, ils pourraient

marquer l’évolution d’un mouvement islamiste ouzbek vers une forme de violence

apocalyptique, qui serait amenée à se répéter ; d’autre part, ces attentats seraient la preuve de

90 Ilaria Maria Sala, « Assimilation forcée dans le Xinjiang chinois », Le Monde diplomatique, février 2002, P.891 Jean-Marc Balencié, « Les mille et un visages du terrorisme contemporain », Questions Internationales, n.8, juillet-août 2004, p.16

40

l’influence exercée par Al Qaida sur les islamistes locaux, voire de son implication dans leur

combat contre le régime en place.

Pour les Etats-Unis, il ne fait pas de doute que c’est la seconde hypothèse qui doit être

retenue : leur perception de la menace liée à l’Ouzbékistan s’appuie sur une certitude, celle

d’une collaboration entre Al Qaida et ces islamistes. Dans la liste des organisations terroristes

internationales du Département d’Etat, ils désignent le MIO comme un mouvement « affilié à

Al Qaida », ayant adopté sa logique anti-américaine92. Ils s’appuient sur la participation du

MIO à des attaques menées contre les soldats de la coalition en Afghanistan et au Pakistan, et

sur le soutien apporté par le MIO au régime des talibans. Rappelons que lors de la campagne

d’Afghanistan en octobre 2001, le MIO était installé dans le nord de l’Afghanistan et nombre

de ses militants avaient participé aux combats aux côtés des talibans. Cette affiliation est

confirmée par de nombreux auteurs, ainsi Catherine Poujol qui déclare que « le MIO, classé

27ème organisation terroriste du monde par le Département d’Etat américain depuis l’an 2000,

collabore effectivement avec Ben Laden »93. En revanche, aucune précision n’est apportée

par le Département d’Etat sur les formes ou l’ampleur de la collaboration qu’ils suggèrent

entre le MIO et Al Qaida. Selon quelques responsables ouzbeks et certains leaders du PRI

tadjik, c’est Ben Laden qui aurait encouragé Tohir Yuldushev à poursuivre le combat

islamiste mené en Afghanistan et à créer pour cela un mouvement islamiste ouzbek, avec pour

objectif de libérer la vallée de Ferghana et l’Ouzbékistan du régime d’Islam Karimov94. Cette

hypothèse paraît vraisemblable d’autant que Tohir Yuldushev et Oussama Ben Laden se

seraient rencontrés plusieurs fois en Afghanistan, par l’intermédiaire des talibans, mais

aucune preuve n’a pu être apportée par les Etats-Unis à ce sujet. Le financement du MIO par

Al Qaida est également mis en avant par les Etats-Unis, ainsi qu’une possible aide logistique

qui leur aurait permis de perpétrer les attentats de ces dernières années. D’après Ahmed

Rashid, les fréquentes rencontres à Kandahar entre Yuldushev, Namangani, le mollah Omar et

Ben Laden dans les mois suivant la création du MIO auraient porté sur des questions

matérielles : livraisons d’armes, de munitions et de fonds. Il est vrai que le financement des

islamistes de la région provient essentiellement du narcotrafic organisé par le talibans et par

Al Qaida, à partir de l’Afghanistan. L’hypothèse d’une aide logistique par Al Qaida a été

néanmoins contestée par Olivier Roy lors d’un séminaire organisé à Washington en mai

2004 : selon lui, les islamistes ouzbeks seraient plutôt mal équipés, mal armés, ce qui tendrait 92 “The IMU is closely affiliated with Al-Qa’ida and, under the leadership of Tohir Yoldashev, has embraced Usama Bin Ladin’s anti-US, anti-Western agenda”, Département d’Etat, Country Report on Terrorism 2004, chapitre 6 consacré aux groupes terroristes, p.10093 Catherine Poujol, L’Islam en Asie centrale, vers la nouvelle donne, Paris, Ellipses, 2001, p.6694 Ahmed Rashid, Asie centrale, champ de guerres, op. cit., p.133

41

à démontrer l’absence de connections importantes avec un quelconque groupe jihadiste

international95. Les formes de la collaboration entre les islamistes ouzbeks et Al Qaida

demeurent donc très floues, étant donné que peu d’éléments concrets ne permettent de

l’analyser plus précisément. Nous avons vu que le Département d’Etat, dans sa description du

MIO, mettait en avant une autre caractéristique qui unirait ce mouvement à Al Qaida : la

rhétorique anti-américaine et la volonté de détruire les intérêts américains et occidentaux. Les

objectifs d’Al Qaida ne font évidemment aucun doute sur ce point. Pour ce qui est du MIO, la

seule action qui leur est imputable est la prise d’otage des quatre alpinistes américains en août

2000. Celle-ci avait été perçue comme le premier signe d’une menace à l’encontre des intérêts

américains dans la région. Pourtant, il n’est pas certain que la motivation première des

militants islamistes dans cette prise d’otage ait été de s’attaquer à des ressortissants

américains. Comme nous l’avons vu, d’autres prises d’otages avaient eu lieu au cours des étés

1999 et 2000, qui avaient touché d’autres nationalités et notamment des géologues japonais. Il

est donc peu probable que le MIO ait souhaité, dans cet épisode, s’attaquer volontairement

aux intérêts américains.

En revanche, on ne peut pas nier que l’anti-américanisme soit aujourd’hui l’une des

caractéristiques fondamentales de la rhétorique du Hizb ut-Tahrir. Si celui-ci n’est pas

mentionné dans la liste des organisations terroristes internationales du Département d’Etat,

c’est parce qu’aucune action violente dans la région n’a pu lui être attribuée avec certitude.

Pourtant, si cela venait à se produire, il est certain qu’il constituerait une menace bien plus

importante que le MIO à l’égard des Etats-Unis. On peut trouver dans ses discours de

nombreuses critiques des Etats-Unis, liées notamment à la politique étrangère qu’ils mettent

en œuvre dans le monde musulman. Prenons l’exemple d’un pamphlet écrit par Bismillahi Al-

Rahman Al-Raheem, intitulé « Chasser l’Amérique et ses alliés du monde islamique est une

obligation pour les musulmans »96. La rhétorique y est violente contre les Etats-Unis, qu’il

condamne pour ses incohérences en matière de politique étrangères. L’analyse est précise, et

comporte des allusions au soutien américain des talibans pendant la guerre froide et aux

bombardements au Soudan, en Afghanistan et au Pakistan en août 1998. On peut y lire que

« l’Amérique agit avec les territoires islamiques comme s’ils étaient sa propre ferme », ou

encore que « l’Amérique est le véritable ennemi de la Ummah islamique ». Al-Raheem

encourage alors les dirigeants musulmans à agir contre cet état de fait en fermant leurs

95 Olivier Roy, séminaire intitulé « Terrorisme islamique, Moyen-Orient et Asie centrale : une connection insaisissable », Washington, DC, 10 mai 200496 Cet article est publié en anglais sur le site internet du Hizb ut-Tahrir, « To Expel America and Her Allies from the Islamic World is an Obligation upon the Muslims », 28 août 1998.

42

ambassades, en cessant les échanges commerciaux, en expulsant les citoyens américains, ou

encore en abolissant les traités politiques avec les Etats-Unis. Il ne préconise pas la violence

et précise que considérer les Etats-Unis comme un ennemi ne signifie pas qu’il faille

bombarder leurs ambassades ou attaquer le peuple américain. Il s’agit donc d’un discours

moins radical que celui d’Al Qaida, mais qui le rejoint tout de même en certains points, par

exemple dans la dénonciation de la politique américaine dans le monde musulman. Cette

convergence pourrait, si ce n’est pas déjà fait, les encourager à se rapprocher dans l’avenir. Il

y a donc une véritable menace pour les Etats-Unis, qui serait concrétisée par la radicalisation

des mouvements islamistes d’Asie centrale.

Les évènements de mars 2004 et surtout ceux du mois de juillet n’ont pu que conforter

cette perception de la menace terroriste en Ouzbékistan : en effet, le 30 juillet, trois explosions

touchèrent la ville de Tachkent. L’une d’entre elles visait le ministère de la justice, ce qui

laisserait penser qu’il s’agissait d’islamistes ouzbeks, peut-être des membres du MIO. En

revanche, la seconde cible était l’ambassade des Etats-Unis, fait pour le moins inquiétant.

Ceci signifie peut-être que la radicalisation de l’islamisme centre-asiatique est déjà engagée,

et dans ce cas on peut supposer qu’elle n’en est qu’à ses débuts et que d’autres attaques contre

des intérêts américains se produiront probablement dans les années à venir. Penchons-nous à

présent sur la troisième cible de ces attaques : l’ambassade d’Israël. Pour la première fois, des

intérêts israéliens étaient visés dans la région. Le seul mouvement local dont on connaisse le

discours anti-judaïque est le Hizb ut-Tahrir. Il s’agit pourtant d’un aspect secondaire de son

idéologie et ses attaques verbales contre les juifs n’ont pas l’ampleur de ses revendications

anti-américaines. En général, les préoccupations des islamistes centre-asiatiques se portent

davantage sur des questions internes, propres aux républiques d’Asie centrale. C’est donc plus

vraisemblablement en tant qu’allié des Etats-Unis que l’Etat d’Israël était visé. Cependant, on

ne peut non plus négliger l’hypothèse que cette attaque soit le fait d’une intervention directe

d’Al Qaida ou d’une autre organisation islamiste plus proche du Moyen-Orient.

La menace terroriste en Ouzbékistan est donc difficile à évaluer. Pour les Etats-Unis, il

est certain que cette menace reste floue malgré une coopération accrue avec les services de

renseignement ouzbeks. Seul le MIO est actuellement perçu comme une organisation

terroriste internationale, mais le nombre de ses membres n’est évalué qu’à environ 500

militants par le Département d’Etat. Ceux-ci se seraient réfugiés au Tadjikistan et au Pakistan

43

à la suite de l’opération « Enduring Freedom » en 2001, c’est-à-dire hors de l’Ouzbékistan. Or

le regain de violence survenu en 2004 montre que des mouvements islamistes actifs seraient

présents dans le pays. La perception américaine d’une menace terroriste ne peut en être que

renforcée, bien que l’incertitude demeure quant à l’identité de ces islamistes et à leurs

objectifs. Selon les Etats-Unis, le groupe Al Qaida serait largement responsable de ces

attentats, soit parce qu’il les aurait lui-même organisés, soit parce qu’il financerait les

islamistes de la région. Quoi qu’il en soit, ces attaques successives ont fait de l’Asie centrale

une région à risque aux yeux des Etats-Unis, dont la politique étrangère est aujourd’hui

dominée par des impératifs de sécurité nationale. L’islamisme est devenu une menace en ce

sens qu’il produirait des mouvements utilisant des méthodes terroristes pour arriver à leurs

fins : attentats-suicides, voitures piégées, incursions armées et prises d’otages. Par deux fois,

en août 2000 et en juillet 2004, ces attaques ont pris pour cible des intérêts américains. La

politique américaine consiste donc depuis le 11 septembre 2001 à endiguer l’islamisme, à

l’empêcher de se développer pour que de telles attaques ne puissent plus se produire.

S’appuyant sur la « théorie des Etats faibles », l’administration Bush s’efforce de renforcer les

régimes en place afin que l’islamisme ne parvienne pas à prendre le pouvoir dans l’un des

pays de la région et d’éviter que le scénario afghan ne se reproduise. Dans cette perspective,

les Etats-Unis ont fait le choix de s’allier aux gouvernements de certaines républiques d’Asie

centrale, et parmi elles l’Ouzbékistan. C’est avec ce pays que s’est développée la coopération

la plus poussée, comme nous allons le voir dans notre seconde partie.

44

Partie 2   :

L’Ouzbékistan dans la nouvelle

conjoncture de l’après – 11 septembre

45

Islam Karimov et le Général Tommy FranksTachkent, le 23 août 2002

46

Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué l’avènement d’une nouvelle

conjoncture internationale, caractérisée par des changements importants dans les relations

entre les Etats. Ils ont contraint les Etats-Unis à redéfinir leurs rapports avec certains pays

musulmans, notamment l’Arabie Saoudite et le Pakistan. Pour les républiques d’Asie centrale,

les conséquences de ces attentats ont été d’autant plus importantes qu’elles se situent à la

frontière du premier théâtre d’opérations de la « guerre contre le terrorisme » engagée par les

Etats-Unis : l’Afghanistan. En l’espace d’un mois, plusieurs d’entre elles sont devenues le

centre de l’attention des dirigeants occidentaux. Par leur coopération, elles ont rendu possible

les attaques américaines sur l’Afghanistan dans le cadre de l’opération « Liberté Immuable »

(« Enduring Freedom »). Leur implication dans la campagne d’Afghanistan diffère cependant

beaucoup d’un pays à l’autre : le Turkménistan a opté pour la neutralité politique, ne

souhaitant participer qu’à des opérations humanitaires en Afghanistan, tandis que

l’Ouzbékistan est rapidement devenu un partenaire privilégié des Etats-Unis. La coopération

entre ces deux pays ne s’est pas arrêtée avec la fin des combats en Afghanistan. Le 20

septembre 2001, le président George W. Bush déclarait dans un discours au Congrès

américain : « Notre guerre contre la terreur commence avec Al Qaida, mais ne s’arrête pas là.

Elle ne s’arrêtera pas tant que chaque groupe terroriste de portée globale n’aura pas été

trouvé, stoppé et vaincu ». La perception d’une menace terroriste prenant sa source en

Ouzbékistan les a ainsi encouragés à poursuivre leur coopération avec ce pays, au-delà du

cadre de la campagne d’Afghanistan. De plus, d’autres facteurs contribuaient à faire de

l’Ouzbékistan un partenaire idéal dans la région : situé de façon stratégique, au cœur de l’Asie

centrale, il était engagé depuis déjà plusieurs années dans la lutte contre l’islamisme. La

coopération entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan s’intensifia donc rapidement, rompant ainsi

avec des années de relations diplomatiques sporadiques. C’est ce que nous étudierons dans un

premier temps. Nous verrons ensuite que la participation de l’Ouzbékistan au combat des

Etats-Unis contre le terrorisme n’est pas non plus dénuée d’intérêts multiples : intérêts

économiques, au regard de la situation difficile dans laquelle se trouve l’économie ouzbèke

depuis l’indépendance ; intérêts politiques également pour le régime d’Islam Karimov, dont la

stabilité et l’influence régionale se sont vues renforcées par le soutien américain.

47

Chapitre 3   : L’Ouzbékistan, un partenaire privilégié pour les

Etats-Unis

Si l’Ouzbékistan est rapidement devenu un partenaire privilégié des Etats-Unis, c’est

que lui seul était en mesure d’offrir aux Etats-Unis les conditions idéales pour leur

intervention militaire en Afghanistan. Il présentait de plus des avantages non négligeables aux

yeux de l’administration Bush, en termes de puissance démographique et militaire ainsi que

par son engagement durable dans la lutte contre l’islamisme terroriste.

L’Ouzbékistan, un partenaire idéal pour une coopération à long terme

Dans son discours du 7 octobre 2001, le président George W. Bush annonçait au

peuple américain le début des opérations militaires en Afghanistan, et en fixait les objectifs

suivants : « mettre un terme à l’utilisation de l’Afghanistan comme base terroriste des

opérations [sous-entendu d’Al Qaida], et attaquer les infrastructures militaires du régime

taliban »97. Pour y parvenir, il lui était indispensable de recueillir le soutien mais aussi la

coopération de certains pays de la région : l’isolement stratégique de l’Afghanistan devait être

total afin que les opérations puissent être menées sans encombre. Il s’agissait ainsi de trouver

un ou plusieurs alliés sûrs parmi les pays frontaliers de l’Afghanistan, en vue de permettre aux

avions américains effectuant les bombardements de bénéficier de bases aériennes proches des

endroits désignés comme cibles. L’Afghanistan possède en tout 5 529 km de frontières, qu’il

partage avec six Etats et principalement avec le Pakistan. Celui-ci avait été l’allié principal

des Etats-Unis dans les années 1980, quand la lutte contre le communisme avait poussé ces

deux pays à soutenir les moudjahidins afghans dont faisaient partie les futurs talibans. Malgré

le retrait de l’armée soviétique en 1988, le Pakistan avait tout de même poursuivi sa politique

de soutien aux moudjahidins dans le but de voir s’établir en Afghanistan un gouvernement

Pachtoune, qui priverait l’Inde de toute influence dans le pays. Ceci explique les propos du

général Pervez Moucharraf tenus lors d’une conférence de presse à Islamabad le 25 mai 2000,

dans lesquels il déclarait : les Pachtounes « doivent être de notre côté. C’est notre intérêt

national. Les Pachtounes sont aujourd’hui représentés par les talibans, et le Pakistan ne peut

97 “To disrupt the use of Afghanistan as a terrorist base of operations, and to attack the military capability of the Taliban regime”, discours de George W. Bush du 7 octobre 2001.

48

se couper des talibans »98. Pour cette raison, il était évidemment impossible que le Pakistan

devienne l’allié principal des Etats-Unis dans son combat contre les talibans et Al Qaida, bien

que le général Moucharraf ait décidé de suspendre son aide aux talibans à la suite de

l’ultimatum lancé par les Etats-Unis : ceux-ci exigeaient alors du Pakistan qu’il prenne parti,

avec ou contre eux. A l’opposé du Pakistan, l’Iran était depuis longtemps engagé dans la lutte

contre le radicalisme sunnite dont il avait fait l’un de ses objectifs stratégiques principaux.

Possédant près de 1000 km de frontière avec l’Afghanistan, il avait vigoureusement réagit aux

attaques des talibans contre les chiites en fermant sa frontière afghane à plusieurs reprises.

Dès le début de la campagne d’Afghanistan, il est devenu le principal fournisseur d’armes et

de munitions de l’alliance anti-talibans, s’associant ainsi à la coalition internationale. On

connaît cependant le différend historique l’opposant aux Etats-Unis, que la campagne

d’Afghanistan n’a pas suffi à faire oublier. Dans le discours sur l’état de l’Union du président

Bush du 29 janvier 2002, l’Iran était d’ailleurs explicitement cité comme faisant partie de

l’ « axe du mal » aux côtés de l’Irak et de la Corée du Nord. La Chine possède également une

frontière avec l’Afghanistan à l’Est, mais celle-ci ne s’étend que sur 76 km et ne donne accès

qu’à une partie enclavée du pays, relativement éloignée du véritable théâtre des opérations. Il

restait donc aux Etats-Unis à se tourner vers les trois républiques d’Asie centrale : le

Turkménistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Nous l’avons vu, le Turkménistan a

immédiatement opté pour la neutralité politique dans la région, choisissant de ne pas froisser

son allié russe par une coopération poussée avec les Etats-Unis et préférant ainsi ne participer

qu’à des opérations d’ordre humanitaire. Il est vrai que les revenus du Turkménistan

dépendent très largement de la Russie, principal importateur du gaz turkmène. Le Tadjikistan

semble lui aussi très dépendant de la Russie mais pour une toute autre raison. Comme le

rappelle Laurent Vinatier, à la fin de la guerre civile, les groupes armés se réclamant de

l’islamisme radical auraient pu « créer une poche de résistance islamiste face au

gouvernement de Douchanbe et faire resurgir les anciens démons de la guerre civile de 1992-

1997 »99. La présence militaire russe apparaissait alors comme le seul moyen de garantir la

pérennité du nouveau gouvernement de coalition, et d’assurer la stabilité du pays pour les

années à venir. Elle consiste actuellement en 20 000 gardes-frontière russes postés sur la

frontière afghane, auxquels s’ajoutent environ 8 000 soldats de l’armée de terre.

L’Ouzbékistan demeurait donc le seul pays véritablement détaché de l’influence russe. Depuis

1991, celui-ci avait en effet fait preuve d’une volonté non dissimulée de s’émanciper

98 Pervez Moucharraf cité par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, Paris, Autrement, 2002, p.18799 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, Paris, Armand Colin, 2002., p. 25

49

définitivement de la tutelle russe, afin de devenir lui aussi une puissance régionale à part

entière. Après les attentats du 11 septembre, il avait été le premier Etat d’Asie centrale à offrir

sa coopération à l’administration Bush : Islam Karimov avait ainsi suggéré aux Etats-Unis,

dès le 13 septembre 2001, de combiner leurs efforts afin de venir à bout du terrorisme dans la

région. L’Ouzbékistan est donc rapidement devenu un partenaire stratégique aux yeux des

Etats-Unis, d’autant qu’il présentait de nombreux avantages susceptibles de simplifier

l’intervention américaine en Afghanistan et de rendre plus efficace sa lutte contre le

terrorisme dans l’ensemble de la région.

Il s’agit tout d’abord d’avantages matériels. L’Ouzbékistan dispose d’infrastructures

de transport relativement bonnes, en comparaison avec celles des autres pays d’Asie centrale.

Rappelons qu’il s’agit d’une région difficile d’accès, dotée d’un relief plutôt hostile à la

présence humaine et faite d’une succession de steppes désertiques et de montagnes

rocailleuses. De nombreuses routes sillonnent pourtant les montagnes situées au sud de

l’Ouzbékistan où se trouve la frontière afghane, offrant ainsi des facilités de déplacement non

négligeables aux convois américains. Les infrastructures ouzbèkes incluent également

plusieurs bases aériennes qui furent mises à la disposition de l’armée américaine. Elles se

situent à Termez, à Chirchik, à Tuzel, la principale étant celle de Karchi-Khanabad située à

200 km de la frontière afghane, au sud de pays. D’autres pays disposent certes de bases

aériennes utilisées par les Etats-Unis, notamment le Kirghizstan avec la base de Manas. Celle-

ci ne présentait cependant pas autant d’intérêt que celle de Karchi-Khanabad, pour deux

raisons : d’abord, elle ne fut mise à la disposition des Etats-Unis que le 14 décembre 2001,

après que le gouvernement kirghize ait demandé son approbation à Moscou et plus de deux

mois après l’arrivée des soldats américains sur le sol ouzbek; ensuite, elle se situe près de

Bichkek, la capitale kirghize, elle-même distante de près de 600 km de la frontière afghane la

plus proche. Un avantage doit cependant lui être reconnu : aucune restriction dans l’utilisation

de la base n’a été imposée par le Kirghizstan, tandis que l’Ouzbékistan avait d’emblée exclu

toute attaque terrestre américaine au départ de la base de Karchi-Khanabad. Néanmoins, il

était tout de même peu probable qu’une attaque terrestre vers l’Afghanistan soit menée à

partir de la base de Manas, le Kirghizstan ne possédant aucune frontière directe avec

l’Afghanistan.

L’étude des conditions politiques propres aux pays frontaliers de l’Afghanistan et des

facilités offertes par l’Ouzbékistan nous permet donc de mieux comprendre les raisons de

50

l’intérêt américain à l’égard de ce pays, dans le cadre de l’opération « Liberté Immuable ».

L’objectif des Etats-Unis fut rapidement atteint : on peut dater la chute des talibans au 7

décembre 2001 lorsque ceux-ci annoncèrent leur capitulation, deux mois jour pour jour après

le début des bombardements sur l’Afghanistan. Ce bouleversement dans le système politique

régional suscita de nombreuses interrogations quant à l’avenir de la coopération entre

l’Ouzbékistan et les Etats-Unis. La perception américaine d’une menace terroriste en Asie

centrale participa, on le sait, à la poursuite de cette coopération à plus long terme. Il est

néanmoins utile de rappeler que d’autres facteurs entrèrent en jeu dans le choix américain de

faire de l’Ouzbékistan leur allié principal dans la région pour les années à venir.

L’Ouzbékistan est le pays le plus important de la région par son poids démographique,

avec 25,6 millions d’habitants en 2004 contre seulement 15 millions pour le Kazakhstan,

second pays le plus peuplé. Il existe également de nombreuses communautés ouzbèkes à

l’étranger. Celles présentes dans d’autres pays du monde musulman, comme l’Arabie

Saoudite, sont issues des vagues d’émigration ayant suivi l’invasion russe de la fin du

XIXème siècle. En Asie centrale, les communautés ouzbèkes sont présentes dans chacune des

Républiques et rappellent que le tracé des frontières opéré par les Soviétiques à partir de 1924

n’avait pas tenu compte de la répartition ethnique des populations. Les ouzbeks représentent

aujourd’hui la minorité ethnique la plus importante dans trois des quatre républiques centre-

asiatiques : au Kirghizstan, au Turkménistan et au Tadjikistan dans lequel ils représentent

même près de 25% de la population100. Cette omniprésence à travers toute l’Asie centrale leur

permet d’y exercer une influence notable en termes culturels, économiques et sociaux.

L’influence de l’Ouzbékistan est aussi militaire, car il possède l’armée la plus nombreuse et la

mieux équipée de la région. En effet, après l’indépendance, la priorité fut rapidement

accordée à la politique de défense dans un environnement marqué par une grande instabilité

régionale, du fait des deux guerres civiles en Afghanistan et au Tadjikistan. Le système de

défense fut réorganisé en profondeur afin de permettre une meilleure répartition des unités sur

le territoire, une professionnalisation du personnel militaire et un affranchissement progressif

de la dépendance stratégique et matérielle vis-à-vis de Moscou. Des moyens financiers

importants ont ainsi été attribués au ministère de la défense, tandis que les effectifs se

stabilisaient à environ 50 000 membres en 2001. On peut donc affirmer, à l’instar du Sénat

français qui s’intéressa à la question en 2000-2001, que l’Ouzbékistan constituait bien « la

100 D’après Laurent Vinatier, « Données géopolitiques des cinq Républiques d’Asie centrale », L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.6

51

première puissance militaire de l’Asie centrale » lors du déclenchement de la campagne

américaine en Afghanistan101.

Cette prééminence militaire de l’Ouzbèkistan sur l’ensemble de la région lui a permis

de s’engager très tôt dans la lutte contre l’islamisme. Devenu la cible privilégiée des

mouvements islamistes dès 1992 mais surtout à partir de 1997, le gouvernement d’Islam

Karimov s’est rapidement efforcé de limiter leurs possibilités d’action dans le pays. En 1998,

il pousse le Parlement (appelé « Oliy Majlis ») à adopter une nouvelle loi sur la liberté de

conscience et les organisations religieuses, qui remplace ainsi la loi de 1991. Elle impose des

limites importantes à la liberté de culte : à titre d’exemple, le port du hijab par les femmes est

interdit et de nombreux hommes portant la barbe sont interrogés au sujet de leurs convictions

religieuses. Surtout, la nouvelle législation impose un nombre minimum de 100 citoyens pour

constituer une organisation religieuse, alors que seules dix personnes étaient recquises d’après

la loi de 1991. L’organisation devra ensuite être reconnue par l’Etat et enregistrée en tant que

telle, tout comme les mosquées. Selon les dispositions du Code pénal adoptées en application

de cette loi, toute personne reconnue coupable d’avoir créé une association religieuses non

déclarée auprès de l’Etat s’exposerait à une peine d’emprisonnement de cinq ans.

L’enseignement privé de la religion devient également passible d’une peine de trois ans de

prison. La répression à l’égard des islamistes s’effectue aussi en dehors du cadre législatif :

pour le seul premier semestre de l’année 1999, Amnesty International estime à 55 le nombre

de condamnations à mort prononcées par les tribunaux ouzbeks, dont plusieurs à l’encontre de

membres du Hizb ut-Tahrir102. La condamnation par la Cour Suprême d’Ouzbékistan des 22

accusés dans l’affaire des attentats du 16 février 1999 est rapportée par Romain

Yakemtchouk, qui cite ces propos du procureur général ouzbek : « certains éléments

criminels, cachant leurs arrières-pensées et agissant sous le masque de l’Islam, ont commencé

à semer les dissensions nationales et religieuses, en organisant une conspiration visant la prise

du pouvoir et le renversement, par le « Jihad », du système constitutionnel dans la République

d’Ouzbékistan »103. Six des accusés sont alors condamnés à mort, tandis que les autres

écopent de longues peines de réclusion pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. Le

gouvernement souhaite ainsi faire la preuve de son intransigeance vis-à-vis de l’islamisme

terroriste, bien qu’aucune preuve irréfutable n’ait pu être apportée quant à la responsabilité

des islamistes dans ces attentats. Certaines rumeurs affirment même qu’ils auraient été

101 Rapport d’information du Sénat n.320, annexé au procès-verbal de la séance du 10 mai 2001, p. 39-40102 Amnesty International est cité par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p. 114 ; voir aussi le Rapport 1999 d’Amnesty International sur l’Ouzbékistan, Annual Report 1999 : Uzbekistan.103 Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p. 155

52

organisés par le gouvernement lui-même, dans l’objectif de pouvoir renforcer sa répression

contre l’islamisme et contre toute forme d’opposition104. Quoi qu’il en soit, on peut

difficilement douter de la volonté d’Islam Karimov de lutter efficacement contre l’islamisme

terroriste, qui pourrait porter atteinte à son pouvoir. L’Ouzbékistan est d’ailleurs l’un des

seuls pays à avoir ratifié la Convention Internationale des Nations Unies pour la répression du

financement du terrorisme du 8 décembre 1999, avec le Royaume-Uni, le Sri Lanka et le

Botswana. C’est l’ensemble de ces éléments qui fait dire à Emmanuel Lincot, et à juste titre,

que Tachkent est « parmi les capitales d’Asie centrale, la plus stable mais aussi la plus

inflexible dans la lutte qui est menée contre l’extrémisme religieux, le séparatisme national et

le terrorisme international »105.

L’engagement de l’Ouzbékistan dans la lutte contre l’islamisme et contre le terrorisme

s’est également concrétisé dans sa participation à la guerre civile en Afghanistan. A l’instar de

la Russie, de l’Iran et des autres Républiques centrasiatiques hormis le Turkménistan,

l’Ouzbékistan semble avoir accordé un large soutien à l’Alliance du Nord du commandant

Massoud, opposé aux talibans. Il s’en était pourtant défendu à plusieurs reprises au début des

années 1990, en se disant notamment résolu « à conserver une stricte neutralité et à respecter

le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures de l’Afghanistan » devant le

Conseil de Sécurité des Nations Unies le 11 février 1994106. Le 4 octobre 1994, le ministre

ouzbek des Affaires étrangères s’éleve encore contre « les propos calomnieux et dépourvus de

fondement » dirigés contre l’Ouzbékistan, réaffirmant sa « stricte neutralité » dans le conflit

afghan107. Ceci dit, la prise de Kaboul par les talibans en septembre 1996 va radicalement

changer la donne régionale : les talibans deviennent une menace pour la stabilité de l’Asie

centrale, voire pour l’intégrité territoriale des pays frontaliers de l’Afghanistan. En 1999,

l’Ouzbékistan instaure un embargo sur les livraisons d’armes à l’Afghanistan. Au printemps

2000, il organise à Termez, dans la région montagneuse du sud du pays, une rencontre entre

Ahmed Shah Massoud et le général ouzbek Abdurashid Dostum, lequel dirige une force

armée composée de combattants ouzbeks originaires d’Afghanistan. Selon Ahmed Rashid,

dans son article « The Taliban : Exporting Extremism » paru dans la revue américaine

Foreign Affairs, ce soutien apporté aux groupes anti-talibans actifs au nord de l’Afghanistan

104 Certaines personnes que j’ai rencontrées au cours de mon séjour en Ouzbékistan, en août 2004, n’excluaient pas l’hypothèse d’une manipulation orchestrée par le gouvernement d’Islam Karimov. 105 Emmanuel Lincot, “Nouvelles d’Asie, les enjeux sino-centrasiatiques », Le Journal de la Paix, n.474, Paris, L’Harmattan, 2001/4, p.10106 Islam Karimov, Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/1994/156, 11 février 1994 107 Propos cités par Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p.131

53

peut s’expliquer à la fois par une méfiance historique des ouzbeks à l’égard des pachtounes, et

par le refus des talibans d’accéder à la demande d’extradition de Tohir Yuldushev formulée

par le gouvernement ouzbek en 1999108. Cette attitude favorable du régime taliban à l’égard

des militants du MIO ne pouvait en effet que leur attirer l’inimitié du régime ouzbek. En

conséquence, le président Islam Karimov avait prévenu l’Assemblée Générale des Nations

Unies, le 8 septembre 2000, que l’Afghanistan était devenu un foyer du terrorisme

international et que cette situation représentait « une menace pour la sécurité non seulement

des Etats de l’Asie centrale, mais de l’ensemble du monde »109. Mohammed Reza-Djalili et

Thierry Kellner indiquent que ces déclarations « ont plu aux dirigeants américains malgré leur

peu de fondements »110. Il est en tout cas certain qu’elles ont incité Washington à mettre

l’accent sur le rôle stabilisateur de l’Ouzbékistan dans la région.

Enfin, il convient de nous intéresser à une autre explication possible, qui justifierait

l’importance nouvelle donnée à l’Ouzbékistan dans les relations bilatérales américaines: c’est

celle d’un intérêt commercial des Etats-Unis, qui serait fondé sur les bénéfices potentiels

pouvant découler des ressources énergétiques dont dispose l’Ouzbékistan. A cet égard, on

peut s’appuyer un discours prononcé en juillet 1997 par Strobe Talbott, alors vice-secrétaire

d’Etat dans l’administration Clinton, dans lequel il déclarait : « la consolidation des sociétés

libres, allant de la mer Noire au Pamir, ouvrira un précieux couloir commercial le long de

l’ancienne route de la soie entre l’Europe et l’Asie ». Il ajoutait plus loin, à propos de

l’éventualité d’une guerre entre plusieurs Etats de la région : « les Etats-Unis seraient très

préoccupés si cela devait se produire dans une zone dont le sol couvre près de 200 milliards

de barils de pétrole »111. Ces propos laissent à penser que les intérêts énergétiques, ou plus

généralement commerciaux, des Etats-Unis étaient la principale raison de leur implication

dans la région, avant les attentats du 11 septembre 2001. Après cette date, cette affirmation

semble cependant moins pertinente, en particulier lorsqu’elle s’applique à l’Ouzbékistan.

Celui-ci est certes le sixième producteur mondial d’or112, le dixième producteur mondial de

gaz, le quatrième producteur mondial d’uranium et le quatrième producteur mondial de coton.

108 Ahmed RASHID, “The Taliban: Exporting Extremism”, Foreign Affairs, vol 78, n.6, nov-déc 1999, p.30109 Islam Karimov, cité par Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p.134110 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, Paris, PUF, 2001, p.89111 Strobe Talbott, Remarks on US Foreign Policy in Central Asia at the Paul Nitze School for Advanced International Studies, Département d’Etat, 21 juillet 1997112 Par exemple, la mine de Muruntau, dans le désert du Kyzyl Koum à 400 km à l’est de Tachkent, fournit 80 à 90% de l’or ouzbek. Ce gisement a été découvert par hasard dans les années 1950 par des géologues soviétiques en quête d’uranium. Voir à ce sujet Le courrier des pays de l’Est, n.1027, août 2002, p.54-55

54

Il possède également certaines réserves de pétrole, et produit du charbon, de l’argent, du zinc

et du tunstène. Néanmoins, seuls l’or et le coton sont massivement exportés tandis que les

hydrocarbures servent principalement à l’usage interne du pays. D’autre part, la production

centrasiatique de gaz ne représenterait que 1% de la production mondiale totale113. Selon

Olivier Roy, les ressources naturelles n’entreraient donc pas en compte dans la volonté

américaine d’engager une coopération plus poussée avec l’Ouzbékistan. Il souligne que les

troupes américaines présentes dans la région sont basées dans des pays exportant peu : le

Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan114. En revanche, on peut effectivement constater

qu’elles sont peu présentes dans les deux républiques centre-asiatiques ayant des ressources

énergétiques plus importantes : le Turkménistan, qui dispose de larges réserves de gaz naturel,

ainsi que le Kazakhstan, connu pour ses ressources pétrolières considérables. Partant de ce

constat, on peut donc affirmer que les considérations énergétiques n’ont joué qu’un rôle

secondaire, voire inexistant, dans la volonté américaine de s’allier durablement à

l’Ouzbékistan. S’il est vrai que les données énergétiques sont un élément primordial dans la

conpréhension des relations internationales, il est évident qu’elles ne suffisent pas toujours à

expliquer la politique étrangère américaine. Dans la nouvelle conjoncture issue du 11

septembre et dans le cas précis de l’Ouzbékistan, la notion de « sécurité » est déterminante et

semble donc constituer un critère plus pertinent dans l’analyse de la coopération américano-

ouzbèke.

L’Ouzbékistan présente donc de multiples avantages, à la fois géographiques,

politiques et militaires, qui le rendent plus à même de lutter contre l’islamisme local et de

remplir le rôle de stabilisateur régional voulu par les Etats-Unis. C’est par l’intensification

des relations diplomatiques entre les deux pays, dès septembre 2001, que l’on peut constater

la mise en place progressive d’une réelle coopération dans le cadre de la lutte contre le

terrorisme. Les attentats du 11 septembre provoquent donc un changement radical dans la

politique étrangère américaine en Asie centrale, et plus encore en Ouzbékistan. C’est ce à

quoi nous allons nous intéresser à présent, en étudiant l’évolution des relations diplomatiques

entre les deux Etats depuis l’indépendance de l’Ouzbékistan, en 1991.

113 Patrick SIMON, « Asie centrale : où en est-on ? quels enjeux de sécurité ? », novembre 2003, p.2114 Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, le débat stratégique face au terrorisme, Paris, Seuil, 2002, p. 40

55

L’évolution des relations diplomatiques entre l’Ouzbékistan et les Etats-

Unis, 1991-2005

Le 31 août 1991, le Soviet Suprême ouzbek réuni en session extraordinaire proclame

l’indépendance de l’Ouzbékistan, ainsi que le changement d’appellation de la « République

Socialiste Soviétique d’Ouzbékistan » en « République d’Ouzbékistan ». Les Etats-Unis

reconnaissent l’existence de l’Ouzbékistan indépendant le 25 décembre 1991, et ouvrent une

ambassade à Tachkent en mars 1992 : c’est le début des relations diplomatiques entre les deux

pays. L’investissement politique et économique américain restera toutefois modeste jusqu’en

1996. Jusqu’à cette date, c’est principalement le Kazakhstan qui est placé au cœur de la

politique américaine en Asie centrale. Pour les Etats-Unis et l’OTAN, il s’agit avant tout de

sécuriser la région en la débarrassant de l’imposant arsenal de missiles et de têtes nucléaires

soviétiques abritées pas le Kazakhstan lors de son indépendance. Cette opération prendra

plusieurs années, pour se terminer avec succès le 21 avril 1995. Pendant cette période, les

relations bilatérales avec l’Ouzbékistan sont dominées par des questions militaires : par

exemple, un plan bilatéral entre les deux pays permet à des officiers ouzbeks d’effectuer des

stages de formation aux Etats-Unis. De même, en 1995, une délégation militaire américaine

est envoyée à Tachkent à la suite de la nomination d’un officier supérieur américain, le

colonel-général James Johnson, en tant que conseiller militaire auprès de l’armée ouzbèke. En

mars 1996, la visite du Secrétaire américain à la Défense William Perry semble annoncer un

certain changement dans les relations américano-ouzbèkes : à Tachkent, il fait l’éloge de

l’Ouzbékistan qu’il qualifie même d’ « îlot de stabilité » en Asie centrale115. Sa venue et ses

déclarations encourageantes n’auront pourtant pas de conséquences majeures sur le pays. A

cette époque, les Etats-Unis n’ont encore identifié aucun Etat centre-asiatique comme leur

allié, et leur politique étrangère tend alors davantage à établir les bases d’une coopération

nouvelle avec la Russie. C’est ce qu’Ahmed Rashid appelle « la politique de la Russie

d’abord »116. Il s’agit alors de ne pas la mécontenter par l’établissement de liens trop étroits

avec les républiques d’Asie centrale. Comme l’indique Thomas Juneau, « la Russie est au

115 William Perry, cité par S. Frederick Starr, « Making Eurasia Stable », Foreign Affairs, vol.75, n.1, janvier-février 1996, p.92116 Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p.168

56

cœur de la politique étrangère à l’endroit des pays de l’ex-URSS » durant les premières

années de l’administration Clinton117.

Il faut attendre le printemps 2000 pour qu’une nouvelle initiative soit prise en faveur

de l’Ouzbékistan. En effet, ce sont les offensives du MIO dès le début de l’année 2000 qui

attirent l’attention de l’administration Clinton. De nombreux hauts fonctionnaires américains

se rendent alors en Ouzbékistan, dont la secrétaire d’Etat Madeleine Albright, le directeur de

la CIA George Tenet et le directeur du FBI Louis Freeh. C’est à cette époque qu’est perçue,

pour la première fois, la menace posée par l’islamisme comme facteur de déstabilisation de la

région. Signe de cette préoccupation nouvelle, les déclarations de George Tenet sur le MIO

dès le mois de février 2000, qui affirme notamment que « en Asie centrale, la corruption, la

pauvreté et d’autres fléaux sociaux offrent un terrain fertile aux extrémistes islamiques, aux

réseaux terroristes et au trafic de drogue et d’armes, qui ont un impact en Russie, en Europe et

au-delà »118. Les premières mesures sont alors prises par l’administration Clinton afin de

contrer le terrorisme en Ouzbékistan. En 2000, elle annonce la création du programme

Central Asian Border Security Initiative, grâce auquel l’Ouzbékistan, ainsi que le Kirghizstan

et le Kazakhstan bénéficient pour la première fois d’une aide financière directe des Etats-

Unis, pour un montant s’élèvant à trois millions de dollars chacun. L’objectif de ce

programme est d’éviter la déstabilisation de l’un de ces pays, en améliorant leurs capacités de

lutte contre les insurrections. Il sera étendu au Turkménistan et au Tadjikistan l’année

suivante, permettant ainsi à toutes les républiques d’Asie centrale de bénéficier d’une aide

équivalente de la part des Etats-Unis. A l’été 2001, l’Ouzbékistan n’est donc pas encore

considéré comme un partenaire privilégié mais davantage comme un rempart parmi d’autres

contre l’expansion de l’islamisme.

En outre, au début de l’année 2001, les relations fraichement établies entre

Washington et Tachkent semblent déjà se détendre. Mohammed Reza-Djalili et Thierry

Kellner proposent à ce sujet deux explications: il s’agit tout d’abord du bilan très mitigé de

l’Ouzbékistan en matière de droits de l’homme, lié à l’accentuation de la répression et du

contrôle de la société civile à la suite des attentats de Tachkent en 1999, et qui déplaît

fortement aux dirigeants américains. D’autre part, ils soulignent qu’on assiste à ce moment à

un regain d’activité de la Russie en Asie centrale. Celle-ci demeure le premier partenaire

commercial de Tachkent ainsi que le principal acteur extérieur dans la région. Le souci de

117 Thomas Juneau, dans T. Juneau, G. Hervouet, F. Lasserre (sous la direction de), Asie centrale et Caucase, une sécurité mondialisée, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université de Laval, 2004, p.88118 George Tenet, dirceteur de la CIA, déclarations au Select Committee on Intelligence le 8 février 2000, cité par Ahmed Rashid, Asie Centrale, champ de guerres, op. cit., p.170

57

redonner sa place à la Russie sur la scène internationale marque en effet les premiers mois de

la présidence de Vladimir Poutine, vainqueur des élections présidentielles du 26 mars 2000.

Ce dernier va alors s’efforcer de relancer la coopération de la Russie avec son « espace néo-

impérial »119, dont fait partie l’Asie centrale. L’évolution de l’Ouzbékistan est

particulièrement significative : ce pays, soucieux jusqu’alors de manifester sa distance à

l’égard de Moscou, se montre plutôt réceptif à la nouvelle politique étrangère russe. C’est

d’ailleurs l’Ouzbékistan qui est choisi comme première destination lors des visites officielles

à l’étranger du nouveau président russe. A cette occasion, le rôle de la Russie dans les

questions de sécurité en Asie centrale semble être reconnu par Islam Karimov, qui déclare :

« les Occidentaux ont donné des conseils pour faire avancer la démocratie mais n’ont pas

voulu comprendre la situation de l’Ouzbékistan »120. Il est vrai que la menace islamiste

émergente n’est pas encore, en 2000, l’une des préoccupations premières du Département

d’Etat. Martha Brill Olcott résume bien cette vision des priorités américaines en matière de

politique étrangère lorsqu’elle déclare devant le Sénat américain que « ni les Etats-Unis ni

l’Union Européenne ne possèdent véritablement d’intérêts vitaux dans la région »121.

Malgré la mise en place du programme Central Asian Border Security Initiative en

2000, il semble que la menace islamiste ou plus globalement les questions de sécurité aient

été négligées par les Etats-Unis dans les 10 premières années suivant l’indépendance de

l’Ouzbékistan. Les attentats du 11 septembre 2001 vont radicalement changer la donne, et

vont être suivis d’une intensification considérable des relations bilatérales entre les Etats-Unis

et l’Ouzbékistan. Comme nous l’avons vu précédemment, l’Ouzbékistan est le premier pays

d’Asie centrale à proposer son aide au gouvernement américain, la 13 septembre 2001. Le 24

septembre, la base de Karchi-Khanabad, dite « base K2 », est mise à la disposition des troupes

américaines combattant les talibans dans le nord de l’Afghanistan et accueille alors un millier

de soldats le 6 octobre122. Un traité bilatéral est ensuite signé le 7 octobre 2001, afin de fixer

les termes de la nouvelle coopération entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan dans la lutte contre

le terrorisme. Il est suivi le 13 octobre d’une déclaration commune prévoyant le début des

119 Expression empruntée à Jean-Luc Racine, « Le cercle de Samarcande : géopolitique de l’Asie centrale », Hérodote, n.84, 2nd trimestre 1997, p.49120 Islam Karimov lors de la visite du président Vladimir Poutine à Tachkent, mai 2000, cité par le Rapport d’information du Sénat n.320, op. cit., p.47121 Martha Brill Olcott, spécialiste des questions de transition post-soviétique, lors d’une audition devant le Sénat américain, Politics of Economic Distribution in the Caspian Sea States, Testimony before the US Senate Foreign Relations Commitee, Sub-Committee on International Economic Policy, Export and Trade Promotion, Washington D.C., 12 avril 2000 122 1500 soldats américains y seraient encore déployés, d’après Ramtanu Maitra dans Asia Times Online, d’après « L’Oncle Sam prend racine en Asie centrale », Courrier International, n.754, 14-20 avril 2005, p.25

58

consultations régulières entre les deux pays, dans l’optique de pouvoir mettre en œuvre des

actions communes en cas de menace à la sécurité de l’Ouzbékistan. Les visites officielles de

représentants américains à Tachkent vont alors se succéder : en 2002, mais aussi en 2003 et

2004, de nombreuses délégations du Congrès américain se rendront en Ouzbékistan afin de

s’entretenir avec le gouvernement ouzbek de la poursuite et des modalités de leur coopération.

Enfin, un pas important dans les relations américano-ouzbèkes est franchi avec la

signature à Washington, le 12 mars 2002, d’une « Déclaration de partenariat stratégique et de

coopération » entre Colin Powell, Secrétaire d’Etat américain, et Abdulaziz Komilov, ministre

ouzbek des Affaires étrangères. Dans son article 2.1, consacré aux questions de sécurité, il est

notamment stipulé que les Etats-Unis « seraient très préoccupés par toute menace extérieure à

l’encontre de la sécurité et de l’intégrité territoriale de la République d’Ouzbékistan. Si cela

arrivait, les Etats-Unis consulteraient la République d’Ouzbékistan de façon urgente afin de

développer et de mettre en œuvre une réponse appropriée en accord avec les procédures

constitutionnelles américaines » 123. Ce texte prévoit donc l’éventualité d’une intervention

militaire américaine en Ouzbékistan en cas de menace extérieure, c’est-à-dire constituée par

un autre Etat, contre son territoire. Il s’agit d’un engagement considérable et véritablement

exceptionnel de la part des Etats-Unis, comme le souligne Sophia Clément Noguier : « le

moins qu’on puisse dire, c’est que les Etats-Unis vont très loin dans leur engagement écrit

avec un Etat dans lequel ils ouvrent leur première base »124. On peut cependant remarquer que

cet accord ne lie pas totalement les Etats-Unis, car en aucun cas une telle menace ne saurait

impliquer, de façon immédiate et inconditionnelle, une intervention militaire de leur part.

L’article 2.1 précise également la nécessité, pour l’Ouzbékistan, de développer des liens

étroits avec ses voisins et de promouvoir la coopération régionale afin qu’une menace

extérieure contre son territoire puisse être évitée. Les modalités du partenariat militaire entre

les deux pays sont ensuite établies dans l’article 2.2. Parmi les mesures prévues, on trouve

notamment : l’instauration d’une coopération permanente entre les services militaires et de

renseignement des deux pays ; l’entrainement d’unités spéciales en Ouzbékistan, destinées à

combattre le terrorisme, le narcotrafic illégal, le blanchiment d’argent, et toutes autres

menaces transnationales ; le renforcement et la construction des infrastructures frontalières de

l’Ouzbékistan afin de garantir une meilleure effectivité dans la protection des frontières.

L’article 2.1 précise, quant à lui, les modalités de la coopération politique pour laquelle il 123 “Declaration on the Strategic Partnership and Cooperation Framework Between the United States of America and the Republic of Uzbekistan”, Washington, 12 mars 2002 124 Sophia Clément Noguier, Stratégies régionales américaines : évolution stratégique après le 11 septembre ? , Institut d’expertise et de prospective de l’ENS, Etude réalisée pour le Ministère de la Défense de la République française, avril 2003, p.33

59

s’agit de promouvoir la démocratisation. L’Ouzbékistan s’y engage à « intensifier la

transformation démocratique de la société dans les domaines politique, économique et

spirituel, à prendre en compte les obligations issues des traités internationaux et les exigences

de la législation nationale ». Des programmes de coopérations sont également établis avec les

autres républiques centre-asiatiques. Une « Déclaration conjointe entre le président Bush et le

président Noursoultan Nazerbaïev », le 21 décembre 2001, pose les bases d’une coopération

avec le Kazakhstan en matière de contre-terrorisme et de non-prolifération, en même temps

qu’elle affirme la volonté du Kazakhstan de s’engager dans des réformes politiques et

économiques, en vue de promouvoir la démocratie, l’économie de marché et le

développement des ressources énergétiques125. Un texte largement similaire est également

adopté au sujet de la coopération entre les Etats-Unis et le Kirghizstan, à travers la

« Déclaration conjointe entre le président Bush et le président Askar Akayev » du 23

septembre 2002126. Néanmoins, ces « déclarations communes » ne sont pas de véritables

accords de partenariat, c’est-à-dire qu’elles ne comportent pas de clauses précises sur les

modalités d’application des objectifs énoncés. Par ailleurs, aucune de ces déclarations

n’engage les Etats-Unis à la hauteur du partenariat stratégique signé avec l’Ouzbékistan : dans

les deux textes, il n’est à aucun moment fait allusion à la possibilité d’une intervention

américaine, quelle qu’elle soit, en cas de menace extérieure contre leurs territoires.

Par cette « Déclaration de partenariat stratégique et de coopération », l’Ouzbékistan est

donc bien devenu le partenaire principal des Etats-Unis en Asie centrale. Une question

demeure cependant en suspens au début de l’année 2002 : celle du maintien de troupes

américaines sur le territoire ouzbek. En août 2002, Islam Karimov déclare que les troupes

américaines pourraient stationner dans le pays « aussi longtemps que nécessaire »127, laissant

ainsi planer le doute sur l’avenir de la présence militaire américaine dans la base de Karchi-

Khanabad. Davantage de précisions sont apportées à ce sujet par le général Tommy Franks,

commandant en chef des troupes de la coalition lors de l’opération « Liberté Immuable », au

cours de sa visite en Ouzbékistan, les 22 et 23 août 2002. Celui-ci annonce en effet que la

présence militaire américaine en Ouzbékistan, au Kirghizstan et en Afghanistan serait appelée

à augmenter dans les mois à venir, ainsi que la coopération militaire avec ces trois pays.

Concernant l’Ouzbékistan, le partenariat stratégique et de coopération entre les deux Etats a

125 “Joint Statement by President George W. Bush and President Nursultan Nazarbayev on the New Kazakhstan-American Relationship”, Washington, 21 décembre 2001 126 “Joint Statement by President George W. Bush and President Askar Akayev on the Relationship Between the United States of America and the Kyrgyz Republic”, Washington, 23 décembre 2002 127 Islam Karimov, cité par Mohammed Reza-Djalili et Thierry Kellner, « L’Asie centrale un an après le 11 septembre », Le courrier des pays de l’Est, n.1027, août 2002, p.5

60

en effet été reconduit le 11 janvier 2004. En visite à Tachkent en février 2004, Donald

Rumsfeld n’a de cesse de complimenter Islam Karimov pour sa coopération, affirmant n’être

pas au courant des violations des droits de l’homme quand la question lui est posée. Il semble

alors que la volonté américaine, au début de l’année 2004, soit de ménager leur allié centre-

asiatique en éludant la question de la démocratisation du pays. Cette attitude est très

certainement liée à ce qu’on peut considérer comme une dégradation de l’influence

américaine dans la région, suite à la guerre en Irak déclenchée en mars 2003. Bien que le

Turkménistan ait réaffirmé sa neutralité, trois des quatre autres républiques d’Asie centrale

s’étaient alors prononcées contre une intervention militaire américaine en Irak : le

Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Le Kazakhstan avait en effet privilégié le

règlement du problème irakien dans le seul cadre des Nations Unies. Le Tadjikistan avait

également protesté contre l’action unilatérale des Etats-Unis, s’alignant ainsi sur la position

russe. Au Kirghizstan, le gouvernement d’Askar Akaïev se trouvait confronté à une opinion

publique ouvertement hostile à une intervention militaire en Irak : craignant la déstabilisation

du pays s’il venait à soutenir les Etats-Unis, il a donc préféré condamner le recours à toutes

mesures militaires et ne pas participer à l’ « Opération Libération de l’Irak » (« Operation

Iraqi Freedom »). Le gouvernement ouzbek, « soucieux de ménager son partenariat avec

Washington pour asseoir son statut de puissance régionale », est donc le seul à avoir

manifesté un soutien inconditionnel à l’intervention militaire en Irak128. Plus que cela, il a été

l’unique Etat de la région à faire partie de la « Coalition pour le désarmement immédiat de

l’Irak » formée le 18 mars 2003. Seules deux autres Républiques de l’ex-URSS ont d’ailleurs

accepté de la rejoindre, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Au regard des positions adoptées par les

républiques d’Asie centrale, « les Etats-Unis auraient quelques raisons de s’interroger sur la

fiabilité de leurs ‘partenaires stratégiques’ » selon Annie Jafalian129. Le soutien de

l’Ouzbékistan explique donc certainement la tolérance des Etats-Unis à son égard, malgré les

violations répétées des droits de l’homme par le régime d’Islam Karimov.

L’absence d’autres partenaires fiables dans la région, tant dans la campagne

d’Afghanistan que dans la guerre en Irak, a conduit les Etats-Unis à mettre en place un

véritable partenariat avec l’Ouzbékistan. Celui-ci présentait de nombreux avantages

stratégiques par son importance démographique, sa puissance militaire, son apparente stabilité

politique et son engagement radical dans la lutte contre l’islamisme. Un autre élément-clé 128 Annie Jafalian, « Asie centrale : quels partenariats stratégiques pour les Etats-Unis ? », Annuaire stratégique et militaire, Paris, Fondation pour la Recherche Stratégique, Odile Jacob, 2004, p.140129 Annie Jafalian, Ibid, p.140

61

consiste en sa position géographique : il ne possède aucune frontière avec l’une des grandes

puissances régionales, à savoir la Chine, l’Iran et la Russie face à laquelle il a d’ailleurs

souvent manifesté sa volonté de s’autonomiser. Pour toutes ces raisons, l’Ouzbékistan

constituait un partenaire idéal pour les Etats-Unis dans la perspective d’une coopération à

long terme. Il est fort probable que les Etats-Unis aient cherché, dès 2002, à s’implanter de

façon durable dans la région grâce à ce partenariat et à leur présence militaire en Ouzbékistan.

Pour Mohammed Reza-Djalili et Thierry Kellner, celle-ci correspondrait même à « un

puissant symbole de la pénétration des Etats-Unis dans une région occupant une position

géostratégique particulière, située au cœur de l’Eurasie », l’Asie centrale130. Cependant, il est

certain que tout accord bilatéral offre une perspective de bénéfices, directs ou indirects, à

chacune des deux parties. Pour les Etats-Unis, il s’agit à l’évidence de bénéfices importants en

termes de sécurité, mais également en termes géostratégiques à travers leur présence dans une

région dont ils avaient été absents jusqu’alors. Quant à l’Ouzbékistan, nous allons voir à

présent qu’il s’agit de bénéfices économiques et politiques considérables.

130 Mohammed Reza-Djalili, Tierry Kellner, « L’Asie centrale un an après le 11 septembre », op. cit., p.5

62

Chapitre 4   : Les avantages pour le régime ouzbek de la menace

terroriste

D’après Olivier Roy, et à l’exception du Turkménistan ayant toujours maintenu sa

neutralité, « les républiques d’Asie centrale n’avaient que des bénéfices à attendre de leur

alliance avec les Etats-Unis »131. Ceci est d’autant plus vrai pour l’Ouzbékistan qu’il est leur

principal partenaire dans la région depuis la « Déclaration de partenariat stratégique et de

coopération » signée le 12 mars 2002. Un imam d’une mosquée de Tachkent, interrogé par

l’International Crisis Group (ICG) en septembre 2001, déclarait que le régime ouzbek pouvait

tirer trois bénéfices majeurs de sa coopération avec les Etats-Unis : il s’agirait, avant tout, de

la « destruction du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan », mais aussi de bénéfices

économiques et de l’adoucissement des critiques américaines à l’égard du non-respect des

droits de l’homme132. On pourrait ajouter à cela deux autres éléments. Tout d’abord, il semble

que les intérêts du régime ouzbek dans cette coopération aient été également militaires.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’article 2.1 de la « Déclaration de partenariat

stratégique et de coopération » prévoyait l’instauration d’une coopération permanente entre

les services militaires et de renseignement des deux pays, ainsi que l’entrainement d’unités

spéciales en Ouzbékistan, destinées à combattre le terrorisme, le narcotrafic illégal, le

blanchiment d’argent, et toutes autres menaces transnationales. De plus, ce partenariat lui

permettait d’effectuer un pas de plus dans le processus d’autonomisation vis-à-vis de la

Russie, engagé dès le début des années 1990 mais mis à mal en 2000 et 2001. Olivier Roy

évoque d’ailleurs, à propos des attentats du 11 septembre, « une divine surprise pour ceux qui

s’étaient résignés au retour de l’influence russe »133. C’était le cas du régime ouzbek qui s’était

à nouveau tourné vers la Russie en 2000, face à l’absence d’aides concrètes de la part des

Etats-Unis dans son combat contre l’islamisme, en Ouzbékistan et en Afghanistan.

Dans ce chapitre, nous nous concentrerons sur les intérêts économiques, militaires et

politiques de l’Ouzbékistan dans son partenariat avec les Etats-Unis.

131 Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, op. cit., p.34132 D’après une interview d’un imam de Tachkent, ICG, Central Asian perspectives on 11 September and the Afghan crisis, Asia Report n.9, Osh/Bruxelles, 28 septembre 2001, p.5133 Olivier Roy, Les illusions du 11 septembre, op. cit., p.35

63

Les intérêts économiques et militaires de l’Ouzbékistan

En 2001, l’Ouzbékistan subit une grave crise économique dont on peut trouver les

prémisses dès les premiers mois de son indépendance. En 1991, la disparition soudaine de

l’URSS entraine le départ de nombreux cadres russes, dont la plupart occupaient des postes

centraux au sein de l’économie ouzbèke. Il s’agit d’un processus que l’on retrouve également

dans les autres anciennes Républiques Socialistes Soviétiques, et qui est comparable aux

processus de décolonisation observés au cours des décennies précédentes : l’Ouzbékistan est

alors dépourvu de cadres expérimentés, la majorité des postes de direction étant

traditionnellement réservée aux ressortissants russes. Le système éducatif est peu développé,

et la majorité des ouzbeks est employée dans l’agriculture ou comme main d’œuvre dans le

secteur industriel. D’autre part, alors qu’il existait sous la période soviétique un marché unifié

de la zone économique centre-asiatique, la mise en place des frontières nationales en 1991

consacre la fin de la libre circulation des biens et des personnes entre les républiques d’Asie

centrale. La réduction du commerce régional entraine alors la faillite de nombreuses

entreprises dont les activités s’étendaient sur l’ensemble de la région, et provoque en

Ouzbékistan une inquiétante montée du chômage134. Il apparaît donc difficile, dans ces

conditions, de maintenir l’économie ouzbèke d’autant qu’elle est également affectée par la

crise économique touchant la Russie. Une politique d’ouverture graduelle à l’économie de

marché va alors être développée, sous le contrôle stricte de l’Etat. Elle est largement

encouragée par les pays occidentaux et notamment les Etats-Unis, dont les experts affirment

que la mise en œuvre des réformes nécessaires entrainerait inévitablement un accroissement

des investissements occidentaux dans le pays. Malheureusement, selon Charles William

Maynes dans un article publié en 2003, « les perspectives d’un investissement occidental

majeur sont encore faibles dans plusieurs des pays [d’Asie centrale] »135. En effet, la quasi-

totalité des investissements occidentaux dans les années 1990 s’est portée sur le Kazakhstan et

le Turkménistan, deux pays respectivement producteurs de pétrole et de gaz. En Ouzbékistan,

il existe certes d’importantes réserves en ressources naturelles exploitables, mais la non-

convertibilité du soum de 1996 à 2003 a largement contribué à dissuader les investisseurs

potentiels. L’économie ouzbèke s’appuie donc davantage sur les exportations de coton que sur

134 Antoine Buisson, « Entre fragmentation et réintégration régionale : le développement économique du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan au rythme des transformations politiques depuis l’indépendance », EHESS, DEA Recherches Comparatives sur le Développement, Colloque de fin d’année, 17 juin 2003, p.20135 Charles William Maynes, « America Discovers Central Asia », Foreign Affairs, vol.82, n.2, mars-avril 2003, p.124

64

l’exploitation de ses ressources naturelles. Selon Laurent Vinatier, « l’économie ouzbèke en

général est trop dépendante du secteur agricole », qui représenterait 50% du produit intérieur

brut et qui concentrerait près de 40% de la population active136. En matière sociale, les

conditions de vie des ouzbeks se sont dégradées au cours des années 1990, en raison

notamment de la hausse des prix et du développement du chômage. Selon Laurent Vinatier, le

chômage réel « n’a rien à voir avec celui annoncé par le gouvernement », et s’élèverait à près

de 30% contre 1% officiellement137. Dans son rapport sur l’Ouzbékistan en 2001-2002, la

Banque Mondiale affirme qu’environ 30% de la population vivrait en-dessous du seuil de

pauvreté138. Elle souligne également les difficultés persistantes auxquelles doit faire face

l’économie ouzbèke : l’absence de compétitivité des marchandises, liée aux contrôles

administratifs trop strictes ; la baisse des exportations, qui menace la stabilité

macroéconomique du pays en alourdissant se dette extérieure ; l’absence d’investissements

étrangers ; la fuite continue des travailleurs qualifiés vers d’autres pays, notamment la

Russie ; ou encore l’impact négatif sur la productivité agricole des longs délais d’introduction

des réformes agraires. Ces perspectives économiques peu promettantes expliquent que le

nouveau partenariat avec les Etats-Unis soit perçu parmi la population comme un « rayon

d’espoir inattendu », comme le souligne Charles William Maynes139.

L’aide économique apportée par les Etats-Unis à l’Ouzbékistan à partir de 2001 est

considérable. En 2001, elle s’élève à 58 millions de dollars, mais l’Ouzbékistan n’est alors pas

encore le principal bénéficiaire de l’aide américaine parmi les républiques d’Asie centrale : le

Tadjikistan et le Kazakhstan reçoivent chacun plus de 70 millions de dollars, sur un total de

près de 260 millions de dollars d’aide attribués à l’ensemble des cinq pays centre-asiatiques.

Cette répartition des aides américaines va cependant s’inverser à partir de 2002. L’aide

américaine augmente alors dans les cinq républiques, mais c’est l’Ouzbékistan qui en

recueille cette fois la part la plus importante, avec 297,82 millions de dollars d’après des

chiffres avancés par Annie Jafalian dans l’Annuaire stratégique et militaire de 2004140. Le

montant de l’aide américaine en Ouzbékistan aurait donc plus que quintuplé par rapport à

l’année 2001. Dans l’ensemble des républiques d’Asie centrale, c’est surtout en matière de

136 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.62137 Ibid, p.62. Lors de mon séjour en Ouzbékistan en août 2004, plusieurs personnes m’ont indiqué qu’elles regrettaient l’époque soviétique car l’emploi était alors une garantie pour tous, ce qui rendait le chômage quasiment inexistant.138 Banque Mondiale, Uzbekistan Country Brief 2001-2002, paru en septembre 2002139 Charles William Maynes, « America Discovers Central Asia », op. cit., p.122140 Annie Jafalian, « Asie centrale : quels partenariats stratégiques pour les Etats-Unis ? », op. cit., p.2

65

sécurité que l’expansion de l’assistance américaine a été remarquable. En effet, ce sont les

subventions accordées aux gouvernements centre-asiatiques dans le cadre du « financement

des programmes militaires étrangers » (« Foreign Military Financing ») qui ont le plus

augmenté, c’est-à-dire les subventions devant servir à financer l’achat, aux Etats-Unis,

d’armes, de services et d’entrainements militaires. En Ouzbékistan, l’aide allouée en matière

de sécurité et d’application de la loi (« security and law enforcement ») en 2002 s’élève ainsi

à 79 millions de dollars, d’après le Département d’Etat. Ce dernier évalue l’aide accordée par

les différents services de l’administration américaine aux républiques d’Asie centrale chaque

année. Il est donc intéressant, à ce niveau, d’étudier d’un peu plus près les documents fournis

par le Bureau des Affaires Européennes et Eurasatiques du Département d’Etat, au sujet de

l’aide accordée à l’Ouzbékistan en 2002 et 2003141.

Le document se rapportant à l’année fiscale 2002 explique les raisons de

l’augmentation de l’aide américaine par rapport à 2001 : il s’agit, « à la suite des attaques

terroristes contre les Etats-Unis le 11 septembre 2001, de faire face aux menaces potentielles à

la stabilité et à la sécurité, dont font partie le terrorisme, le trafic de drogue, la prolifération

des armes, la pauvreté, l’oppression politique, et l’isolement vis-à-vis du monde extérieur ».

Nous l’avons vu, l’aide la plus importante est celle portant sur la sécurité et l’application de la

loi. Elle est elle-même subdivisée en plusieurs domaines d’action, notamment la « non-

prolifération », la « réduction de la menace », et le « financement des programmes militaires

étrangers ». Dans le cadre de la « réduction de la menace », on peut citer un programme de

développement de l’aviation ayant pour objectif de renforcer la sécurité aux frontières et de

promouvoir le contre-terrorisme, financé à hauteur de 14 millions de dollars. Le

« financement des programmes militaires étrangers », qui s’élève à 36 millions de dollars,

consiste pour sa part à améliorer l’inter-opérabilité des forces ouzbèkes avec les forces

américaines, grâce aux achats de matériels de communication militaire américains qui

pourront être effectués par l’Ouzbékistan. Comme le souligne Laurent Vinatier, ces mesures

sont « une excellente occasion pour l’armée ouzbèke de se réformer, en profitant à la fois du

matériel américain proposé dans le cadre de la collaboration et des conseils des experts

américains militaires présents sur le terrain »142. En Ouzbékistan, une réforme profonde de

l’armée apparaît en effet nécessaire pour lui permettre de lutter plus efficacement contre le

terrorisme. Il s’agit d’effectuer une véritable modernisation de l’armée, qui passe par

141 « US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2002 », Washington DC, 9 décembre 2002 et “US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2003 », Washington DC, 17 février 2004 : ces deux documents sont disponibles sur le site internet du Département d’Etat, Bureau des Affaires Européennes et Eurasiatiques. 142 Laurent Vinatier, L’islamisme en Asie centrale, op. cit., p.20

66

l’acquisition d’un armement plus sophistiqué et par la mise en place de nouvelles formations.

Ce processus est largement facilité par le partenariat avec les Etats-Unis, à partir de 2002. De

plus, on remarque que les dépenses du gouvernement ouzbek en matière de défense avaient

considérablement augmenté à la suite des attentats du 16 février 1999 et des incursions

rebelles des étés 1999 et 2000. Plusieurs centaines de millions de dollars avaient alors été

consacrés à l’achat d’armement en Russie, en vue de protéger plus efficacement les frontières

du pays avec l’Afghanistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. L’effet de l’aide américaine dans

ce domaine n’en est donc que plus important, et l’on peut considérer qu’elle aura permis à

l’Ouzbékistan d’économiser plusieurs millions de dollars en le déchargeant de nouveaux

investissements en matière de sécurité intérieure. Pour Laurent Vinatier, « l’ensemble de ces

dépenses épargnées sont autant de ressources disponibles pour le développement économique,

la prise en charge sociale, l’aide aux investissements productifs », bien qu’il soit encore

difficile de connaître l’usage réel fait par le gouvernement ouzbek de ces économies143.

La seconde part la plus importante de l’aide américaine en 2002 est consacrée à

« l’assistance humanitaire » et aux « services sociaux », pour un montant total de près de 100

millions de dollars. Il s’agit ici de transporter, par bateau, des produits de base qui seront

ensuite distribués à la population : médicaments, produits pharmaceutiques, équipement

médical, vêtements et nourriture. En 2002, le Département d’Etat et le Département de la

Défense ont également développé un programme d’aide aux hopitaux de la vallée de

Ferghana, à Ferghana, Namangan et Andijan. Par ailleurs, un programme du Département de

l’Agriculture américain a permis de fournir 100 000 tonnes de nourriture à l’Ouzbékistan, en

2002. On constate donc, grâce à cet exemple de l’assistance humanitaire, que de nombreux

services de l’administration américaine sont mobilisés afin de garantir la répartition de l’aide

américaine dans différents secteurs. Citons enfin les deux derniers domaines importants dans

la distribution de l’aide : il s’agit des programmes en matière des « démocratie » et de

« réforme du marché ». Ces deux programmes sont cependant peu explicités par le

Département d’Etat en 2002 : pour ce qui est des aides en matière de démocratie, le seul

projet concret auquel il est fait allusion est celui des échanges universitaires et professionnels

à travers lequel environ 2 000 citoyens ouzbeks auraient été financés depuis 1993, pour leur

permettre de voyager aux Etats-Unis. Le rapport de l’année fiscale 2003 donne tout de même

davantage de précisions quant aux modalités de cette aide : par exemple, soutien aux

organisations non-gouvernementales (ONG) ouzbèkes et par là même à la société civile,

soutien au programme de réforme judiciaire, ou encore assistance technique aux associations

143 Ibid, p.23

67

locales, en vue d’encourager une participation accrue des citoyens et une meilleure

transparence dans le processus de prise de décision municipal. En matière de « réforme du

marché », l’objectif exposé par le Département d’Etat en 2002 et en 2003 est d’aider le

gouvernement ouzbek à remplir ses engagements vis-à-vis du Fond Monétaire International.

Pour cela, il se propose d’affecter des conseillers techniques américains dans les différents

services du gouvernement ouzbek, qui interviendraient dans des domaines aussi vastes que le

budget, le système bancaire, le service de la dette ou la mise en place de standards

internationaux de comptabilité. Ce document ne comporte cependant pas d’informations

supplémentaires quant aux actions précises qui seront mise en œuvre à partir des fonds alloués

par l’administration américaine.

Le partenariat entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan est reconduit en 2003, mais le

montant des aides américaines est tout de même bien moins important qu’en 2002 : il est

évalué à 86,1 millions de dollars contre près de 300 millions en 2002. La part la plus

importante de l’aide se trouve toujours dans le domaine de la sécurité et de l’application de la

loi avec 30,2 millions de dollars, soit plus d’un tiers de son montant total. D’autre part, l’aide

humanitaire est réduite de plus de 30 millions de dollars et ne représente plus que 18,5

millions de dollars, tandis que l’aide en « services sociaux » est rattachée à la « réforme du

marché » pour ne plus constituer qu’un seul et même secteur, celui de la « réforme

économique et sociale » doté d’un budget de 18,2 millions de dollars. En 2004, cette tendance

à la baisse de l’aide américaine à l’Ouzbékistan se poursuit. On peut apporter à cela une

explication évidente : le coût élevé de la guerre en Irak et de la présence durable de plus de

130 000 soldats américains dans ce pays ne permet plus aux Etats-Unis de maintenir leur aide

à un niveau équivalent dans les régions n’ayant qu’une importance secondaire pour leur

sécurité. Une redéfinition des priorités américaines en matière de politique étrangère a du être

opérée, au détriment de pays comme l’Ouzbékistan où la menace terroriste semblait réduite.

Par conséquent, l’aide américaine attribuée à l’Ouzbékistan en 2004 n’est plus que de 50,6

millions de dollars144. Le volet « sécurité et application de la loi » n’est plus le secteur

prioritaire de l’aide, c’est la « réforme économique et sociale » qui est cette fois privilégiée

avec un montant en hausse, qui atteint 21,2 millions de dollars. Cette modification de la

composition du budget de l’aide américaine est assez significative : dans la lutte contre le

terrorisme, la priorité semble être enfin donnée aux réformes structurelles de l’économie

ouzbèke plutôt qu’au renforcement de l’armée.

144 Département d’Etat, Bureau of European and Eurasian Affairs, “US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2004”, Washington DC, 17 août 2004

68

On comprend aisément les intérêts économiques des deux pays dans ce partenariat. Si

l’aide semble unilatérale, elle n’est cependant pas dépourvue d’intérêt pour les les Etats-Unis.

On constate par exemple que la majorité de l’aide américaine en matière de sécurité consiste

en de nombreuses subventions, qui doivent permettre au gouvernement ouzbek de réformer

son armée par l’achat de matériel aux Etats-Unis plutôt qu’à la Russie, comme c’était le cas

avant les attentats du 11 septembre145. L’ouverture de l’Ouzbékistan à une économie de

marché est également privilégiée : celle-ci ne s’était effectuée, jusqu’alors, que sous le

contrôle stricte de l’Etat, ce qui rendait difficiles les échanges commerciaux avec les Etats-

Unis. L’envoi de conseillers techniques américains doit donc permettre de libéraliser

davantage l’économie ouzbèke et d’équilibrer sa balance commerciale, afin de supprimer les

contraintes établies par le gouvernement sur les importations et de faciliter les investissements

étrangers. Pour l’Ouzbékistan, cette assistance américaine représente un apport économique

fondamental. Elle lui permet de réformer son armée tout en s’épargnant des dépenses

coûteuses en armements sophistiqués. L’importance de l’aide humanitaire et sociale le

dispense également de s’engager dans des mesures de politique sociale de grande ampleur,

principalement dans la vallée de Ferghana où les dispositifs d’aide aux hôpitaux et de

distribution de produits de base par les Etats-Unis sont les plus développés. Enfin, les

dividendes directs perçus par le gouvernement ouzbek représentent une ressource inespérée,

qui lui permettent avant tout de renforcer sa stabilité politique et d’accroître sa puissance

économique à l’échelle régionale.

Les intérêts politiques de l’Ouzbékistan

Le contrôle des frontières ouzbèkes, grâce à l’aide américaine, a été largement

renforcé ces dernières années et a permis de limiter les déplacements clandestins des militants

islamistes dans la région. Cependant, ce n’est pas tant dans la lutte contre l’islamisme que la

coopération américano-ouzbèke a produit le plus d’effets. Nous l’avons vu, ses aspects

économiques sont primordiaux pour le régime ouzbek, qui a ainsi bénéficié depuis 2001 d’une

stabilité économique accrue. Or dans tout Etat, stabilité économique et stabilité politique sont

145 On peut cependant s’interroger sur la pertinence des moyens utilisés par les Etats-Unis pour augmenter leur sécurité : alors que la « prolifération des armes » est considérée comme faisant partie des menaces potentielles dans le document « US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2002 » (voir ci-dessus), on constate qu’une grande partie de l’aide américaine sert en fait à faciliter l’achat d’armements nouveaux par l’Ouzbékistan.

69

indissociables, et si la première ne suffit pas à assurer la seconde, on peut néanmoins affirmer

avec certitude qu’elle y contribue largement. De plus, en Ouzbékistan, ce n’est pas seulement

l’aide économique américaine qui a contribué à renforcer la stabilité du régime d’Islam

Karimov : la seule présence des troupes américaines sur son territoire représentait déjà, dès

septembre 2001, un gage de stabilité considérable. C’est d’ailleurs précisément ce qui était

recherché par les Etats-Unis. Rappelons-le, la crainte de l’affaiblissement des Etats d’une

région considérée comme potentiellement instable est inhérente à la politique étrangère

américaine depuis plusieurs années. Elle est fondée sur la théorie des « Etats faibles », qui

permettraient aux groupes terroristes non-étatiques de se développer plus facilement146. Ainsi,

pour empêcher la propagation de l’islamisme au sein des populations centrasiatiques, il était

indispensable de renforcer la stabilité politique du régime ouzbek, particulièrement répressif à

l’égard des islamistes du MIO ou du Hizb ut-Tahrir. Laurent Vinatier évoque à ce sujet le

« syndrome russe », révélateur des effets de la politique étrangère d’un Etat sur sa politique

intérieure. La Russie, souvent mise en cause pour la dureté de sa répression en Tchétchénie

avant le 11 septembre, a ensuite été progressivement épargnée par les critiques étrangères, et

notamment américaines, du fait de sa participation à la coalition internationale dans le cadre

de la lutte contre le terrorisme. On constate ainsi que les critiques américaines sont atténuées

envers les alliés de poids, comme c’est le cas de la Russie, ou envers les partenaires rendus

indispensables par la conjoncture internationale : c’est le cas de l’Ouzbékistan, dans le

contexte de l’opération « Liberté Immuable » puis dans le cadre de la lutte contre l’islamisme

terroriste en Asie centrale. Les intérêts géostratégiques des Etats-Unis prennent alors le pas

sur la question des droits de l’Homme, du moins tant que le contexte de la lutte contre le

terrorisme l’exige. En Ouzbékistan, le soutien américain a ainsi contribué à légitimer une

répression systématique du gouvernement à l’égard de tout individu soupçonné de

complaisance vis-à-vis des mouvements islamistes. Selon un rapport de l’association

américaine Human Rights Watch, « l’Etat a criminalisé la pratique légitime de la religion et

des croyances », et « assimile l’exercice du droit à la liberté de conscience, d’expression et

d’association à une tentative de renversement du gouvernement »147. Cette politique de

répression a été largement encouragée par la volonté de l’administration Bush de lutter, par

tous les moyens, contre la menace constituée par les mouvements islamistes au Moyen-

Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud. C’est à juste titre que Mohammed Reza-Djalili et

146 Cf partie 1, chapitre 2 : « La perception américaine de la menace terroriste ».147 Human Rights Watch, « Les ennemis imaginaires de l’Etat, persécutions religieuses en Ouzbékistan », mars 2004

70

Thierry Kellner affirment que « la menace islamiste a été instrumentalisée, notamment par

Islam Karimov, pour légitimer l’établissement et la perpétuation d’un régime autoritaire et

pour discréditer et réprimer l’opposition potentielle à son autorité »148.

D’autre part, si l’administration américaine a permis de légitimer les violations

répétées des droits de l’Homme en Ouzbékistan, c’est que son aide n’est pas subordonnée au

respect de ses engagements démocratiques par le régime ouzbek. En effet, dans la

« Déclaration de partenariat stratégique et de coopération » du 12 mars 2002, l’Ouzbékistan

s’engageait à « intensifier la transformation démocratique de la société dans les domaines

politique, économique et spirituel ». Néanmoins, la déclaration ne faisait à aucun moment

mention des conséquences financières du non-respect de cet engagement par le régime

ouzbek. Certes, en juillet 2004, le Département d’Etat a décidé de réduire de 18 millions de

dollars l’aide américaine directe au gouvernement ouzbek en raison de son bilan peu

concluant en matière de respect des droits de l’Homme et de démocratisation. Il estimait alors

que l’Ouzbékistan n’avait pas respecté ses engagements dans ce domaine, tels que définis par

l’accord bilatéral de mars 2002. Dans son rapport sur l’Ouzbékistan et les pratiques en matière

de droits de l’Homme paru le 28 février 2005, le Bureau de la Démocratie, des Droits de

l’Homme et du Travail du Département d’Etat introduit sa description de l’Ouzbékistan en le

qualifiant « d’Etat autoritaire, doté de libertés publiques limitées »149. En février 2005

également, le Bureau des Affaires Européennes et Eurasiatiques publie une fiche signalétique

sur l’Ouzbékistan pour le Département d’Etat. Dans le paragraphe consacré à la question des

droits de l’Homme, on peut y lire : « l’Ouzbékistan n’est pas une démocratie et n’a pas de

presse indépendante », ou encore « aucun parti politique indépendant n’a été enregistré » 150. Il

ne fait donc aucun doute, aux yeux du Département d’Etat, que l’Ouzbékistan ne répond pas

aux critères démocratiques qu’il s’était pourtant engagé à promouvoir. Cependant, l’aide

versée au gouvernement ouzbek n’est réduite qu’à hauteur de 18 millions de dollars en 2004,

soit une somme relativement négligeable quand l’on connaît le montant de l’aide perçue par

l’Ouzbékistan au cours des années précédentes151. En outre, pour compenser ce manque à

gagner et sous prétexte d’une intensification de la menace terroriste suite aux attentats-

suicides de juillet 2004, le Département de la Défense américain s’est empressé d’accroître

148 Mohammed Reza-Djalili, Thierry Kellner, Géopolitique de la Nouvelle Asie Centrale, op. cit., p.242149 “An authoritarian state with limited civil rights”, Département d’Etat, Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, Uzbekistan, Country Reports on Human Rights Practices 2004, Washington DC, 28 février 2005 (www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2004/41717.htm) 150 “Uzbekistan is not a democracy and does not have a free press”, Département d’Etat, Bureau of European and Eurasian Affairs, Background Note: Uzbekistan, Washington DC, février 2005151 Selon le rapport « US Assistance to Uzbekistan – Fiscal Year 2002 » du Département d’Etat, op. cit., le gouvernement américain aurait déjà versé environ 444,3 millions de dollars à l’Ouzbékistan entre 1992 et 2002.

71

son assistance à l’Ouzbékistan dès le mois d’août 2004 : en visite à Tachkent le 10 août 2004,

soit moins d’un mois après la décision du Département d’Etat de réduire son aide de 18

millions de dollars, le général Richard Meyers annonce l’attribution d’une aide

supplémentaire de 21 millions de dollars à l’Ouzbékistan. Cette somme s’ajoute ainsi aux 39

millions de dollars déjà prévus par le Département de la Défense pour empêcher la

prolifération des armes biologiques. Selon un article publié par « Eurasianet », la crainte du

Département de la Défense de voir se détendre ses liens stratégiques avec l’Ouzbékistan serait

à l’origine de cette générosité inattendue152. A la suite des attentats de juillet 2004 à Tachkent

et face à une réduction continue du montant de l’aide américaine depuis 2003, le président

Islam Karimov s’était en effet tourné, une nouvelle fois, vers la Russie : il s’agissait alors

d’augmenter les ressources du pays grâce au soutien économique et militaire de la Russie, tout

en diversifiant ses options en matière de sécurité. Ceci explique sans doute que le

Département de la Défense ait cherché à ménager son partenaire centre-asiatique, malgré

l’attitude contraire du Département d’Etat. On peut donc considérer qu’aucune véritable

sanction n’a été prise à l’encontre du gouvernement ouzbek, malgré les violations des droits

de l’Homme dénoncées à la fois par le Département d’Etat et par de nombreuses associations

indépendantes telles que Human Rights Watch ou encore Amnesty International. Le régime

d’Islam Karimov bénéficie ainsi d’une totale latitude en politique interne pour réprimer son

opposition, et pour accentuer son contrôle sur la société civile.

Les intérêts politiques de l’Ouzbékistan dans le partenariat avec les Etats-Unis se

mesurent également en termes de politique extérieure. Le soutien américain va ainsi permettre

au gouvernement ouzbek de renforcer sa position politique et son influence sur le plan

régional. Depuis le début des années 1990, l’Ouzbékistan avait sans cesse cherché à se

démarquer de la Russie, en exprimant par exemple ses réserves quant au « Pacte de Sécurité

Mutuelle » élaboré par la Russie en 1994. Islam Karimov avait dès lors fait de l’indépendance

politique et économique une priorité, et avait systématiquement rejeté tout projet tendant à

établir une alliance militaire ou politique avec la Russie. Selon lui, la coopération avec la

Russie devait se restreindre aux problèmes économiques, afin de préserver la souveraineté de

chaque Etat de l’ex-URSS153. Cette volonté d’autonomisation traduisait déjà les rêves de

puissance de l’Ouzbékistan : pour ce pays qui ne partage aucune frontière avec la Russie, la

Chine ou l’Iran, exercer le leadership dans la région centrasiatique était envisageable. Certains 152 “Top US general tours central asian capitals, dispenses aid to Uzbekistan”, Eurasianet, Eurasia Insight, 13 août 2004153 Voir à ce sujet Romain Yakemtchouk, Ouzbékistan, puissance émergente en Asie centrale, op. cit., p.89

72

de ses voisins lui prêtent d’ailleurs des pensées expansionnistes. Le Kazakhstan, à la fin des

années 1990, avait accusé les autorités ouzbèkes d’avoir procédé unilatéralement à des

modifications du tracé frontalier sur quelque 230 km. L’accord ouzbéko-kazakh du 16

novembre 2001 avait permis de résoudre partiellement le problème de la délimitation de la

frontière entre les deux pays, mais certains points demeurent encore en suspens. D’autre part,

à la suite des incursions du MIO à partir du Kirghizstan et du Tadjikistan, en 1999, le

gouvernement ouzbek avait fait bombarder les villes de Tavildara et de Gharm au Tadjikistan,

ainsi que celles de Batken et d’Osh au Kirghizstan. L’Ouzbékistan avait alors accusé ces deux

pays de laxisme envers la menace islamiste, et avait décidé de s’attaquer lui-même aux

bastions présumés du MIO. En 2000, un différend était également né entre l’Ouzbékistan et le

Kirghizstan à propos de questions territoriales : l’Ouzbékistan avait exigé que le Kirghizstan

lui fasse des concessions territoriales, pour lui permettre d’établir un couloir vers l’enclave de

Sukh et d’attaquer ensuite les positions du MIO. Selon Antoine Buisson, ces multiples conflits

entre l’Ouzbékistan et ses voisins expliquent que « le Tadjikistan, comme les autres

Républiques d’Asie centrale, se méfie de la volonté de l’Ouzbékistan de se poser en leader de

la région »154.

Il est vrai que l’Ouzbékistan est l’Etat le plus peuplé et le plus puissant de la région.

Selon Jean-Luc Racine, il est « celui qui pourrait le plus aisément nourrir un assentiment

populaire en réveillant le souvenir historique de la grandeur passée des villes qui étaient des

centres de domination du 14ème au 17ème siècle »155. On peut cependant douter que ce soit sur

les bases de sa domination passée que l’Ouzbékistan puisse aujourd’hui se réapproprier le

statut de leader régional. A l’heure actuelle, c’est davantage de son partenariat avec les Etats-

Unis que découle la puissance de l’Ouzbékistan. Celui-ci lui permet d’affirmer sa puissance

économique dans la région, malgré un désavantage fondamental lié à de faibles ressources

énergétiques en comparaison avec le Kazakhstan et le Turkménistan. Si son armée était déjà

la plus puissante de la région avant le 11 septembre, elle l’est encore davantage aujourd’hui

grâce aux équipements nouveaux fournis par les Etats-Unis. Surtout, l’Ouzbékistan devient

alors le seul pays d’Asie centrale à posséder un partenaire stratégique hors de la région. La

dépendance économique et militaire des quatre autres Républiques vis-à-vis de la Russie ne

leur permet pas d’exercer une influence réelle dans la région, et les empêche de mener une

politique étrangère totalement autonome de celle de la Russie. C’est d’ailleurs précisément ce

qui avait limité leur soutien aux Etats-Unis lors de la campagne d’Afghanistan : l’Ouzbékistan 154 Antoine Buisson, « Entre fragmentation et réintégration régionale : le développement économique du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan au rythme des transformations politiques depuis l’indépendance », op. cit., p.22155 Jean-Luc Racine, « Le cercle de Samarcande : géopolitique de l’Asie centrale », op. cit., p.42

73

avait été le seul à pouvoir s’engager rapidement aux côtés des Etats-Unis, sans avoir à

demander son accord préalable à la Russie. On pourrait certes penser que le partenariat de

l’Ouzbékistan avec les Etats-Unis ne marquerait en fait que le remplacement d’une

dépendance par une autre. Néanmoins, le continent américain se situant à environ 15 000 km

de l’Asie centrale, ce partenariat ne semble pas remettre en question l’autonomie de

l’Ouzbékistan dans le cadre de sa politique régionale. Au contraire, les Etats-Unis seraient

plutôt enclins à encourager la prise de puissance de leur allié sur la scène régionale, afin que

celui-ci puisse véritablement remplir son rôle d’ « îlot de stabilité » en Asie centrale.

74

Conclusion

L’étude des mouvements islamistes d’Ouzbékistan nous amène à constater qu’il existe

depuis plusieurs années une menace terroriste réelle dans ce pays. En effet, dès 1999, le

Mouvement Islamique d’Ouzbékistan a démontré qu’il avait la capacité d’organiser des

actions violentes susceptibles de porter atteinte à la stabilité du pays, en utilisant toutes sortes

de techniques : incursions armées à partir des pays voisins, attentats, prises d’otages et

affrontements avec les forces armées ouzbèkes. S’il a été durement touché par les

bombardements américains sur l’Afghanistan et par la chute du régime taliban, rien ne permet

aujourd’hui d’affirmer qu’il ne pourrait pas se reconstituer à partir d’autres pays de la région,

tels que le Tadjikistan ou le Pakistan où il aurait conservé certaines bases. D’autre part, la

disparition momentanée de MIO en Ouzbékistan semble avoir permis au Hizb ut-Tahrir de se

développer davantage. Il s’agit d’un groupe islamiste non-violent, mais qui aspire tout de

même à renverser le régime d’Islam Karimov afin de le remplacer par un Etat islamique. Il

diffuse pour cela un message que l’on peut qualifier de « révolutionnaire » auprès de la

population ouzbèke, en ce sens qu’il vise à instaurer un régime politique et un mode

d’organisation de la société radicalement différents du système actuel. Il est une menace réelle

pour les Etats-Unis sur le plan idéologique, car il utilise un discours largement anti-américain

et anti-démocratique par lequel il espère renverser tous les régimes alliés des Etats-Unis dans

le monde musulman. Il est également une menace réelle sur le plan de la sécurité des Etats-

Unis, qui est aujourd’hui au cœur de leur politique étrangère. En effet, si ses chefs religieux et

idéologiques ne prônent pas le recours à la violence, il serait dangeureux de ne pas envisager

une possible radicalisation de certains de ses militants. Les attentats des mois de mars et

juillet 2004 à Tachkent et à Boukhara peuvent laisser penser qu’une telle radicalisation aurait

déjà eu lieu. Ils sont du moins la preuve qu’il existe encore, malgré la répression menée par le

gouvernement et la disparition du régime taliban, des éléments terroristes actifs en

Ouzbékistan. Ceux-ci représentent une menace d’autant plus importante qu’ils sont encore

difficiles à identifier : on ne sait pas encore s’il faut y voir la résurgence du MIO, la

radicalisation de certains membres du Hizb ut-Tahrir, l’émergence de nouveaux groupes

terroristes ouzbeks, ou l’implantation d’un groupe terroriste étranger en Ouzbékistan. Dans les

trois premiers cas, le caractère plutôt national des revendications des islamistes ne permet

cependant pas d’exclure la possibilité d’un lien réel entre ces individus et des organisations

75

terroristes étrangères, qui les soutiendraient financièrement et logistiquement. Dans le cas de

l’implantation d’un groupe terroriste étranger en Ouzbékistan, ceci constituerait la preuve de

l’existence d’une menace terroriste transnationale dont l’Ouzbékistan serait l’un des relais.

Quelle que soit l’hypothèse envisagée, on peut donc s’accorder à reconnaître qu’il s’agit là

d’une véritable menace terroriste tournée principalement contre le régime ouzbek, mais qui

pourrait également porter préjudice aux intérêts et à la sécurité des Etats-Unis, à moyen ou à

long terme.

La menace terroriste en Ouzbékistan ne peut donc pas être considérée comme un

simple prétexte qui serait instrumentalisé par le gouvernement américain ou par le

gouvernement ouzbek dans le seul but de satisfaire des intérêts nationaux. Néanmoins, force

est de constater que ces intérêts existent et qu’ils ont largement contribué au développement

du partenariat entre les deux pays. En effet, la perception d’une menace commune par deux

Etats n’implique pas nécessairement la mise en œuvre d’une telle coopération. Celle-ci aurait

pu se limiter aux questions de sécurité : dans ce cas, elle n’aurait nécessité que la mise en

place d’une coordination de leurs forces armées et de leurs services de renseignement, ainsi

qu’une assistance américaine aux unités de contrôle des frontières ou de la sécurité du

territoire. Or c’est une coopération plus large que les Etats-Unis et l’Ouzbékistan ont

instaurée, qui touche également le domaine économique et social, les questions de

démocratisation et de droits de l’Homme, et qui a impliqué une intensification des relations

diplomatiques entre les deux pays depuis 2001. Elle explique aussi certainement la

participation de l’Ouzbékistan au sein de la coalition internationale dans la guerre en Irak, en

mars 2003 : sauf à renforcer son alliance avec les Etats-Unis, on voit mal les intérêts du

régime ouzbek à s’impliquer dans cette guerre. Cette coopération a également produit des

effets directs sur le plan interne en renforçant la stabilité du régime d’Islam Karimov,

désormais soutenu par les Etats-Unis, et en légitimant son caractère autoritaire par la nécessité

de lutter contre le terrorisme. On peut toutefois se demander s’il ne s’agit pas là d’une

contradiction importante au regard des objectifs visés par les Etats-Unis, à savoir la

disparition de la menace terroriste.

En effet, lutter contre le terrorisme implique de s’intéresser, au préalable, aux origines

de l’émergence des mouvements terroristes. En Ouzbékistan, parce que la menace terroriste

est assimilée à une menace islamiste, il convient donc de se pencher sur les raisons de

l’influence grandissante d’un mouvement islamiste tel que le Hizb ut-Tahrir. Selon Najia

Badykova, la raison principale de l’émergence de l’islamisme en Asie centrale se trouve dans

les conditions économiques difficiles auxquelles étaient confrontées les populations centre-

76

asiatiques, dans les années 1990156. On pourrait nuancer cette affirmation, car les difficultés

économiques d’un pays ne produisent pas nécessairement l’apparition de mouvements

religieux extrémistes ; elles rendent néanmoins plus probable le soutien de la population à de

tels mouvements. En Ouzbékistan, si les difficultés économiques persistantes peuvent

encourager la population à se révolter, ce n’est pas tant la pauvreté que les espoirs déçus

d’une amélioration des conditions de vie qui sont susceptibles de nourrir les mouvements

islamistes. La coopération de l’Ouzbékistan avec les Etats-Unis avait en effet suscité l’espoir

que le développement économique accru du pays aurait des retombées bénéfiques sur les

conditions sociales de l’ensemble de la population. Ainsi, l’insatisfaction à l’égard du régime

ne pourrait que se renforcer si les dividendes économiques issus de cette coopération

continuaient à être détournés au profit du pouvoir et des clans qui le soutiennent157. L’attrait

de l’islamisme sur les populations exclues du système de reditribution clanique des richesses

risque ainsi de s’intensifier si leurs revendications n’étaient pas davantage prises en compte, à

l’avenir, par le gouvernement158. D’autre part, il semble que l’islamisme soit aujourd’hui la

seule véritable alternative pour ceux qui contestent le régime d’Islam Karimov. Sans une

démocratisation effective du système politique, il est donc probable que les rangs du Hizb ut-

Tahrir ou d’autres mouvements islamistes continueront à grossir. Ceci pourrait être amplifié

par l’organisation même de la société ouzbèke, à travers le poids des « mahallas » : il s’agit de

réseaux de solidarité, qui mobilisent parents, amis et voisins. Selon l’International Crisis

Group (ICG), le soutien d’une large partie de la population au Hizb ut-Tahrir serait lié à un

sentiment de révolte face au traitement infligé par le gouvernement aux islamistes

présumés159. Si l’on considère avec l’ICG que 4 000 militants du Hizb ut-Tahrir au moins

seraient emprisonnés en Ouzbékistan, on comprend l’importance que peut avoir le système

des mahallas dans l’influence de ce mouvement sur la population.

La répression opérée par le régime ouzbek, au nom de la lutte contre le terrorisme,

pourrait donc contribuer à renforcer considérablement le poids de l’islamisme au sein de la

population. Le soutien des Etats-Unis au régime d’Islam Karimov semble donc contre-156 Najia Badykova, Assessing the « war on terror » in Central Asia, Center for Strategic and International Studies, Séminaire, Washington DC, 3 mai 2004, p.4157 Il n’est pas éxagéré de dire que le système politique et économique ouzbek est amplement paralysé par la corruption. Au sujet de la corruption du sytème éducatif, voir Esmer Islamov, “Uzbekistan’s corruption-ridden educational system seen as source of frustration”, Eurasianet, 29 avril 2004158 La répression qui a suivi les manifestations du 13 mai 2005 à Andijan, et qui a fait environ un millier de morts, ne permet pas d’être optimiste quant à la prise en compte des revendications de la population par le régime ouzbek. Plusieurs personnes que j’ai contactées en Ouzbékistan à la suite de ces évènements m’ont affirmé que les manifestants revendiquaient alors des réformes sociales et une amélioration de leurs conditions de vie. 159 International Crisis Group, Radical Islam in Central Asia: Responding to Hizb ut-Tahrir, Asia Report n.58, Osh/Bruxelles, 30 juin 2003, p.22

77

productif, d’autant qu’il porte atteinte à leur crédibilité en tant que défenseurs des droits de

l’Homme dans une région où l’anti-américanisme n’avait pas encore de prise avant 2001.

Cette inadaptation des moyens utilisés par rapport à la menace islamiste en Ouzbékistan ne

doit pas pour autant être perçue comme une incompréhension des Etats-Unis vis-à-vis de la

particularité de l’islamisme d’Asie centrale. On peut émettre l’hypothèse que l’urgence de la

situation révélée par le 11 septembre ait poussé les Etats-Unis à agir au plus vite pour limiter

la portée de l’islamisme en Ouzbékistan. Il n’est alors pas exclu que leur coopération avec

l’Ouzbékistan puisse être réévaluée dans les mois à venir, d’autant que la répression brutale

de la manifestation d’Andijan le 13 mai 2005 et la médiatisation qui l’a suivie ont encore

contribué à ternir l’image de leur allié centre-asiatique.

Il est donc particulièrement difficile pour l’instant de se prononcer sur les perspectives

d’avenir de la coopération entre les Etats-Unis et l’Ouzbékistan. Si celle-ci venait à perdurer,

il serait intéressant de se pencher sur l’impact de la présence américaine dans les équilibres

géostratégiques régionaux. En effet, l’implication des Etats-Unis en Asie centrale depuis

octobre 2001 semble déjà susciter certaines craintes chez les puissances régionales que sont la

Russie et la Chine, et l’on peut penser qu’elles se renforceraient encore dans les années à

venir. D’une part, la Russie pourrait prendre ombrage de la pénétration américaine de ses

anciennes chasses gardées, qui illustrerait le déclin de son influence en Eurasie. La présence

américaine en Asie centrale la prive d’ailleurs déjà d’un moyen de maintenir son influence

dans la région, qui avait été primordial au cours des années 1990 : la coopération dans le

domaine de la sécurité. La Russie était avant le 11 septembre 2001 le principal fournisseur en

armements des républiques d’Asie centrale, et était même parvenue à rendre sa présence

militaire indispensable à la stabilité du gouvernement tadjik depuis 1997. Si les Etats-Unis

venaient à s’installer durablement en Ouzbékistan, la Russie pourrait donc voir son influence

se réduire encore dans la région. Mais c’est principalement de la Chine que risquent

d’émerger les protestations les plus vigoureuses à l’encontre de ce qu’elle considère déjà

comme une stratégie d’encerclement. L’existence de plusieurs bases américaines en Asie

extrême-orientale, au Japon et en Corée notamment, l’a déjà conduite à exprimer ouvertement

sa crainte d’être encerclée par le dispositif militaire des Etats-Unis en Asie. Si la présence

américaine en Ouzbékistan venait à se prolonger, les rivalités naissantes entre la Russie, la

Chine et les Etats-Unis pourraient donc, à terme, modifier radicalement l’équilibre

géostratégique de la région dans son ensemble.

78

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83

DOCUMENTS ANNEXES

Annexe 1 : Constitution de la République d’Ouzbékistan 84(extraits)

Annexe 2 : “Only with the Kalifah will you be Victorious”, 87Hizb ut-Tahrir

Annexe 3 : “To Expel America and Her Allies from the Islamic 89World is an Obligation Upon the Muslims”, Hizb ut-Tahrir (extraits)

Annexe 4 : Appel au jihad du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan, 90août 1999

Annexe 5 : « Déclaration conjointe entre le Gouvernement des 92Etats-Unis d’Amérique et le Gouvernement de la République d’Ouzbékistan », 12 octobre 2001

Annexe 6 : « Déclaration de Partenariat Stratégique et de Coopération 93entre les Etats-Unis d’Amérique et la République

d'Ouzbékistan », 12 mars 2002 (extraits)

84

Annexe 1   : Constitution de la République d’Ouzbékistan (extraits)

Article 10The Oliy Majlis (Supreme Assembly) and President of the Republic, elected by the people, shall have the exclusive right to act on behalf of the people. No section of society, political party, public association, movement or individual shall have the right to act on behalf of the people of uzbekistan.

Article 31Freedom of conscience is guaranteed to all. Everyone shall have the right to profess or not to profess any religion. Any compulsory imposition of religion shall be impermissible.

Article 57The formation and functioning of political parties and public associations aiming to do the following shall be prohibited: changing the existing constitutional system by force; coming out against the sovereignty, territorial integrity and security of the Republic, as well as the constitutional rights and freedoms of its citizens; advocating war and social, national, racial and religious hostility, and encroaching on the health and morality of the people, as well as of any armed associations and political parties based on the national or religious principles.

Article 93The President of the Republic of Uzbekistan shall: 1) guarantee the rights and freedoms of citizens and observance of the Constitution and the laws of the Republic of Uzbekistan; 2) protect the sovereignty, security. and territorial integrity of the Republic of Uzbekistan, and implement the decisions regarding its national-state structure; 3) represent the Republic of Uzbekistan in domestic matters and in international relations; 4) conduct negotiations, sign treaties and agreements in behalf of the Republic of Uzbekistan, and ensure the observance of the treaties and agreements signed by the Republic and the fulfillment of its commitments; 5) receive letters of credence and recall from diplomats and other representatives accredited to him; 6) appoint and recall diplomats and other representatives of the Republic of Uzbekistan to foreign states; 7) present annual reports to the Oliy Majlis on the domestic and international situation; 8) form the administration and lead it, ensure interaction between the highest bodies of state authority and administration, set up and dissolve ministries, state committees and other bodies of administration of the Republic of Uzbekistan, with subsequent confirmation by the Oliy Majlis; 9) appoint and dismiss the Prime Minister, his First Deputy, the Deputy Prime Ministers, the members of the Cabinet of Ministers of the Republic of Uzbekistan, the Procurator-General of the Republic of Uzbekistan and his Deputies, with subsequent confirmation by the Oliy Majlis; 10) present to the Oliy Majlis of the Republic of Uzbekistan his nominees for the posts of Chairman and members of the Constitutional Court, the Supreme Court, and the Higher

85

Economic Court, as well as the Chairman of the Board of the Central Bank of the Republic of Uzbekistan, and the Chairman of the State Committee for the Protection of Nature of the Republic of Uzbekistan; 11) appoint and dismiss judges of regional, district, city and arbitration courts; 12) appoint and dismiss khokims (heads of administrations) of regions and the city of Tashkent with subsequent confirmation by relevant Soviets of People's Deputies; the President shall have the right to dismiss any khokim of a district or a city, should the latter violate the Constitution or the laws, or perform an act discrediting the honor and dignity of a khokim; 13) suspend and repeal any acts passed by the bodies of state administration or khokims; 14) sign the laws of the Republic of Uzbekistan. The President may refer any law, with his own amendments, to the Oliy Majlis for additional consideration and vote. Should the Oliy Majlis confirm its earlier decision by a majority of 2/3 of its total voting power, the Presidents shall sign the law; 15) have the right to proclaim a state of emergency throughout the Republic of Uzbekistan or in a particular locality in cases of emergency (such as a real outside threat, mass disturbances, major catastrophes, natural calamities or epidemics), in the interests of people's security. The President shall submit his decision to the Oliy Majlis of the Republic of Uzbekistan for confirmation within three days. The terms and the procedure for the imposition of the state of emergency shall be specified by law; 16) serve as the Supreme Commander-in-Chief of the Armed Forces of the Republic and is empowered to appoint and dismiss the high command of the Armed Forces and confer top military ranks; 17) proclaim a state of war in the event of an armed attack on the republic of Uzbekistan or when it is necessary to meet international obligations relating to mutual defense against aggression, and submit the decision to the Oliy Majlis of the Republic of Uzbekistan for confirmation; 18) award orders, medals and certificates of honor of the Republic of Uzbekistan, and confer qualification and honorary titles of the Republic of Uzbekistan; 19) rule on matters of citizenship of the Republic of Uzbekistan and on granting political asylum; 20) issue acts of amnesty and grant pardon to citizens convicted by the courts of the Republic of Uzbekistan; 21) form the national security and state control services, appoint and dismiss their heads, and exercised other powders vested in him.

86

Annexe 2: “Only with the Kalifah will you be Victorious”, Hizb ut-Tahrir

Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem  

O Muslims: At this moment you are witnessing and hearing all kinds of aggression befalling you, ending with the victory of the aggressors. You have been humiliated and defeated by powers, large and small; powers such as America, Britain, Russia, the Yahood and even India amongst others. This happened in Afghanistan and before that in Palestine, Kashmir, Chechnya and other places. Today it has happened in Iraq. The nations have summoned each other to attack you, just as people summon others to share from their dish, and you are subdued in the land. 

You have tried every man-made system, such as the monarchical and republican systems as well as systems similar to these. You have looked for every imported thought, seeking with it honour and victory; but instead, shame and humiliation befell you because of what you tried and sought. This is despite having the sources of power, in terms of manpower and wealth, which are abundant in your lands. 

You have applauded, time and time again, every corrupt ruler, exposed traitor and disgraced agent. You have done this even though the actions of these rulers clearly show that they do not rule by what Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) has revealed, they do not fight in the Path of Allah, they rule with a mixture of Secularism composed of Capitalism and Socialism and all they are concerned with is staying in power even if the price is to sell the country and its people to the Kaafir colonialists. Despite this you were overjoyed by the rhetoric of these rulers and you thought they would bring you the victory. Rather, they took you from one defeat to another and allowed the Kaafir states to have evil designs over you. They suspended Jihad and handed you over to the Kuffar as the price to stay alive while they are in reality finished. 

Has not the time come, O Muslims, after all of this, that you take matters into your own hands and realise that your way out from these mounting injustices is the Khilafah system?

Do you not believe Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) when He explained to you how you could gain your honour and victory?

“Verily, then to Allah belongs all honour, power and glory” [TMQ 4:139].

“If you help (in the cause of) Allah, He will help you” [TMQ 47:7]. 

So support the cause of Allah and apply His Sharee’ah by establishing the righteous Khilafah, only then will you be victorious and gain honour. 

Do you not believe the Messenger of Allah (SalAllahu Alaihi Wasallam) when he said, 

“Whosever dies without a Bay’ah (pledge of allegiance) on his neck, he dies the death of Jaahiliyyah”.

87

So work to give Bay’ah to a Khaleefah that saves you from the death of Jaahiliyyah (ignorance), and then you will fight behind him and gain protection from him. 

“Verily, the Imam is a shield behind whom the Muslims fight and by whom they gain protection”.

O people of power from the army and others; do you not want your pure blood to flow in the Path of Allah (Subhanahu Wa Ta’aala), instead of being spilled for free on the streets aimlessly and without purpose?

Do you not wish to re-live the life of the Ansaar (may Allah be pleased with them) who helped and supported Allah’s Messenger (SalAllahu Alaihi Wasallam) and changed their land into Dar al-Islam? Support the cause of Allah and His Messenger by establishing the Righteous Khilafah, so that the lands may once again become Dar al-Islam, and Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) writes down your actions in the Parchments of Light. 

The Khilafah will save you from your humiliation and misery. The Khilafah is enough to return your honour and dignity and it is the system that Allah (Subhanahu Wa Ta’aala), the Lord of the Worlds obliged and made victory linked to it.

With the Khilafah you will re-live the life of al-Mu’tasim. You will respond to the cries of the children who have been humiliated by the Kuffar’s aggression upon Iraq. They have been forced to raise their hands for help; a sight which breaks the hearts. The innocence of childhood shows on their faces, mixed with the fear that has taken hold of their hearts. 

With the Khilafah you shall go forth to fight your enemy. Your Khaleefah will be in front of you in the battle and not in front of you in flight. He will protect you, and you will fight behind him. And he will lead you from victory to victory and not from one defeat to another.

O Muslims! Establish the Khilafah and you will be honoured. Re-establish it and you shall succeed. Otherwise you will fall in darkness, one on top of the other, and will regret at a time too late to regret. Then Allah (Subhanahu Wa Ta’aala) will bring a people better than you who will realise the Promise of Allah (Subhanahu Wa Ta’aala);

“Allah has promised those among you who believe, and do righteous deeds, that He will certainly grant them succession to (the present rulers) in the earth” [TMQ 24:55]. 

And at their hands, the glad tidings of the Messenger of Allah r will be achieved; 

“Then there will be a Khilafah on the way of the Prophethood”.

So capture your own affairs, O Muslims, and help the cause of your Lord, by establishing the righteous Khilafah, then He (Subhanahu Wa Ta’aala) will help you and heal your hearts with the defeat of your enemy; 

“And on that Day, the believers (Muslims) will rejoice (at the victory of Allah)” [TMQ 30:4].

O Muslims: Hizb ut-Tahrir calls you to rise up with it and support it. The word and deed has become incumbent upon you, so will you not respond? 

88

Annexe 3: “To Expel America and Her Allies from the Islamic World is an Obligation upon the Muslims”, Hizb ut-Tahrir

(extraits)

Bismillahi Al-Rahman Al-Raheem  

Yesterday America used to support the fight in Afghanistan against the regime supported by the Soviet Union. America did not call that fight terrorism, rather she called it Jihad. While the fight against the Israeli occupation, and the fight against the American occupation of Saudia Arabia, the Gulf and others, she is pleased to call terrorism. Had America, as she claims, been committed to International Law, she would not have engaged in striking the pharmaceutical plants in Khartoum nor would she have engaged in striking Afghanistan. Rather, she would have brought the case to the Security Council since she claims to have convincing evidence. The Security council would take the appropriate punitive measures.

O Muslims ! America deals with the Islamic lands as if they are her own farm. She deals with the rulers of the Muslims as if they are her servants, rather her slaves. She deals with the Islamic peoples as if they are tools. She exploits them for her service. So she plunders the wealth of the Islamic lands by manipulating Muslims to carry out this plunder for her as Israel manipulates the people of Palestine to build her the settlements in their own land and at the expense of their own rights. This is not the first aggression of America against the Islamic Ummah. Yesterday she hit Iraq and she has laid siege to it . She also hit Libya and laid siege to it. She helped the Jews to steal Palestine and to expel its people and she continues to help them. She occupies Saudia Arabia and imposes upon the Gulf her hegemony so that she plunders the oil and the wealth from their treasures. Look at Saudia Arabia and the gulf countries, how they sink under the burden of debt despite their huge wealth. And all of this is because of the hegemony of America and her allies imposed upon the region of the Islamic world.

America is a true enemy to the Islamic Ummah. Her allies who share with her in the aggression against the Islamic Ummah or who support her in this aggression like the English and the French and others, are true enemies to the Islamic Ummah. It is incorrect to treat the enemy as a friend. It is only the fool who treats the enemy as a friend. And the result of doing so will be evil. Allah (swt) advised us by saying "Shaytan is an enemy to you, so you have to take him as an enemy".

We do not mean that by taking America as an enemy that we bomb the embassies or attack the people. Because Islam orders us to protect the covenant of protection for whoever we gave it to. But when America hits us on our own ground and destroys our factories and homes and kills us without respecting any ties or covenants as if we are insects that have no sanctity or dignity, without any justification, in addition to her previous aggression, what would the world expect of Muslims?

However, we do not call for the Islamic peoples to take revenge from those to whom we gave a covenant of protection in our lands. We rather say the Muslims rulers must treat America and those who supported her as an arrogant enemy, by severing the relationships, closing down the embassies, stopping all trade and all dealings, expelling their citizens, and freezing their assets. More importantly, the Muslim's rulers must abolish any more political treaties and expel all military forces and to close down any military . They must also close their waters, lands and spaces to entry or passage from any of the enemy states. They have also to break off any influence and remove any agent or spy for these states in the Islamic lands.

89

Annexe 4: Appel au jihad du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan, août 1999

Au nom d’Allah le très miséricordieux le très bienveillant

Un message du commandant général du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan

« Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de fitnah et que la religion soit toute pour Allah »

Al-Anfaal, 39

L’émir du Harakatul Islamiyya [Mouvement Islamique] d’Ouzbékistan, Mohammed Tahir

Farouk, a annoncé le début du jihad contre le gouvernement tyrannique d’Ouzbékistan, le

fantoche Islam Karimov et ses acolytes. Les dirigeants du Mouvement islamique confirment

les points suivants dans leur déclaration :

Cette déclaration vient après accord du principal ouléma et des dirigeants du Mouvement

islamique.

Cet accord est fondé sur l’évidence claire de l’obligation de jihad contre le tawagheet ainsi

que pour libérer la terre et le peuple.

Le but premier de cette déclaration de jihad est l’établissement d’un Etat islamique avec

application de la charia, fondée sur le Coran et la noble Sunna prophétique.

Figurent aussi parmi les buts de la déclaration de jihad :

La défense de notre religion d’islam dans notre pays contre ceux qui s’y opposent.

La défense des musulmans dans notre pays contre ceux qui les humilient et versent leur sang.

La défense des érudits et des jeunes musulmans qui sont assassinés, emprisonnés et torturés

de manière extrême, sans qu’aucun droit ne leur soit accordé.

Et le Tout-Puissant dit :

« Et ils n’avaient commis aucune faute sauf de croire en Allah, le Tout-Puissant, digne de

toute louange » Al-Baruj, 8.

Et aussi d’obtenir la libération des faibles et des opprimés qui sont près de 5 000 dans les

prisons, retenus par ceux qui transgressent la loi.

Le Tout-Puissant dit :

« Et que vous arrive t-il pour ne pas combattre pour Allah et les faibles et les opprimés parmi

les hommes, les femmes et les enfants » An-Nisaa, 75.

90

Et de rouvrir les milliers de mosquées et d’écoles islamiques fermées par le gouvernement

malfaisant.

Les moudjahidins du Mouvement islamique, après leur expérience de la guerre, ont accompli

leur formation et sont prêts à établir le jihad béni.

Le Mouvement islamique conseille au gouvernement ouzbek de Tachkent de ne pas soutenir

le combat contre les musulmans.

Le Mouvement islamique conseille aux touristes venant dans ce pays de se tenir à l’écart, de

crainte d’être frappés par les moudjahidins.

Si le jihad est lancé au Kirghizstan, c’est parce que le président Askar Akayev a arrêté des

milliers d’Ouzbeks musulmans qui s’étaient réfugiés au Kirghizstan et qui ont été remis aux

acolytes de Karimov.

Le Très-Haut dit :

« En vérité les oppresseurs se protègent les uns les autres ».

Le Mouvement islamique, par la volonté d’Allah, mènera le jihad au nom d’Allah pour

atteindre tous ses buts et objectifs.

C’est à regret que les moudjahidins étrangers (Al-Ansaar) n’ont pas encore rejoint nos rangs.

Le Mouvement islamique invite le gouvernement et l’autorité de Karimov à Tachkent à

quitter leurs fonctions, sans condition, avant que le pays n’entre en guerre et que la

destruction n’atteigne la terre et le peuple. La responsabilité en reposera totalement sur les

épaules du gouvernement, et il en sera puni.

Allah est Grand et l’Honneur est pour l’islam.

Az Zubayr Ibn Abdur Raheem

Chef religieux du Mouvement islamique d’Ouzbékistan

4e Jumadi Al-Awwal

25 août 1999

91

Annexe 5: “Déclaration conjointe entre le Gouvernement des

Etats-Unis d’Amérique et le Gouvernement de la République

d’Ouzbékistan,12 octobre 2001

Following is the text of a joint statement between the Government of the United States of America and the Government of the Republic of Uzbekistan.

"The Government of the United States of America and the Government of the Republic of Uzbekistan recognize international terrorism as a serious threat to peace and to global and regional stability. To this end, they signed an agreement October 7 that establishes a strong basis for bilateral cooperation in the struggle against terrorism. Our countries will work closely to create a safer future not only for the people of Central Asia but for people throughout the world.

Our common struggle is against terrorism, not against the Afghan people, and we will work together to support delivery of humanitarian assistance to the people of Afghanistan. We also commit ourselves to eliminate international terrorism and its infrastructure. For these purposes, the Republic of Uzbekistan has agreed to provide the use of its air space and necessary military and civilian infrastructure of one of its airports, which would be used in the first instance for humanitarian purposes.

Our two governments have decided to establish a qualitatively new relationship based on a long-term commitment to advance security and regional stability. We recognize the need to work closely together in the campaign against terrorism. This includes the need to consult on an urgent basis about appropriate steps to address the situation in the event of a direct threat to the security or territorial integrity of the Republic of Uzbekistan."

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Annexe 6: “Declaration de Partenariat Stratégique et de Coopération entre les Etats-Unis d’Amérique et

la République d’Ouzbékistan”, 12 mars 2002 (extraits)

II. SECURITY COOPERATION IN THE MILITARY AND MILITARY-TECHNICAL FIELD

Article 2.1 Security Issues

Recognizing that the security of states in the region is key to the development, prosperity, and stability of Central Asia, and developing a qualitatively new, long-term relationship, the United States affirms that it would regard with grave concern any external threat to the security and territorial integrity of the Republic of Uzbekistan. Were this to occur, the United States will consult with the Republic of Uzbekistan on an urgent basis to develop and implement an appropriate response in accordance with U.S. Constitutional procedures. For its part, the Republic of Uzbekistan recognizes the critical importance of developing close, cooperative ties with its neighbors and promoting efforts at regional cooperation.

Article 2.2 Combating Transnational Threats to Security

The Sides expect to develop cooperation in combating international terrorism, trafficking in persons, narcotics trafficking, organized crime, money laundering, illegal trafficking in weapons, munitions and explosives, and other transnational threats to security while respecting internationally recognized human rights and the rule of law.

Cooperation in this field may include:

-- holding regular consultations on problems of ensuring security and stability in Central Asia, including political, military, economic, environmental, and other aspects;

-- establishing cooperation, on a permanent basis, between the law enforcement agencies and military services and agencies of the Sides, consistent with the national laws of the Sides;

-- training special units of the Republic of Uzbekistan in combating terrorism, illegal narcotics trafficking, money laundering, and other transnational threats, and providing them with training assistance and equipment, and developing the necessary methodological and logistical basis for training special units;

-- supporting the regime of non-proliferation of nuclear, bacteriological, biological, and chemical weapons and means of their delivery, as well as dual-purpose technologies;

-- intensifying the export-control cooperative relationship to create an effective export-control system in the Republic of Uzbekistan;

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-- further strengthening and building up the infrastructure of the state border of the Republic of Uzbekistan and ensuring greater effectiveness in guarding and protecting the border; and

-- other forms of cooperation as the Sides see fit.

Article 2.3 Bilateral Military and Military-Technical Cooperation

The Sides take note of the dynamic development of military and military-technical cooperation between the two countries and intend to intensify relations in this area in the future.

The Sides may cooperate in the following areas:

-- modernizing and reforming the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan, including training in civil-military relations and its obligations for conduct under international conventions, increasing their combat readiness, and providing training and advanced training of specialists, officers and command staff of the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan;

-- using up-to-date information and computer technologies in training military personnel, and establishing and developing distance learning, and modeling and simulation systems in the Republic of Uzbekistan;

-- re-equipping the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan with weapons and military hardware, providing assistance in modernizing and restoring the weapons and military hardware of the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan;

-- actively utilizing the entire complex of existing international mechanisms and instruments in providing military-technical assistance to the Republic of Uzbekistan, developing its military infrastructure, and strengthening the logistical and training/methodological foundation of military educational institutions and training centers of the Armed Forces of the Republic of Uzbekistan; and

-- other forms of cooperation as the Sides see fit.

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Table des matières

Introduction 1

Chapitre introductif : Le système politique en Ouzbékistan depuis l'indépendance 8

Partie 1 : La menace terroriste en Ouzbékistan, 13réalité interne ou perception extérieure ?

Chapitre 1 : Culture musulmane et mouvements islamistes en Ouzbékistan 15

Une tradition islamique modérée confrontée au revivalisme 15religieux des années 1990

Le Mouvements Islamique d’Ouzbékistan et le Hizb ut-Tahrir : 24étude comparée de leurs revendications et de leurs modes d’action

Chapitre 2 : La perception américaine de la menace terroriste 32

L’Asie centrale : une région prioritaire dans la lutte contre 33le terrorisme depuis le 11 septembre 2001

La perception américaine d’une menace transnationale 38

Partie 2 : L’Ouzbékistan dans la nouvelle conjoncture de 45l’après – 11 septembre

Chapitre 3 : L’Ouzbékistan, un partenaire privilégié pour les Etats-Unis 48

L’Ouzbékistan, un partenaire idéal pour une coopération 48à long terme

L’évolution des relations diplomatique entre l’Ouzbékistan 56et les Etats-Unis, 1991-2005

Chapitre 4 : Les avantages pour le régime ouzbek de la 63menace terroriste

Les intérêts économiques et militaires de l’Ouzbékistan 64

Les intérêts politiques de l’Ouzbékistan 69

Conclusion 75

Bibliographie 79

Annexes 84

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