Courrier du Savoir N04, Juin 2003, pp. 65-69

Universit Mohamed Khider Biskra, Algrie, 2003

LA SEDIMENTATION DANS LES BARRAGES DE LAFRIQUE DU NORD

W. REMINI, B. REMINI Dpartement de Gnie Rural, Universit de Blida

Tel : 213 25 43 39 40, Fax : 213 25 43 11 64 Email : reminib@yahoo.fr

RESUME La sdimentation des barrages dans les pays de lAfrique du nord est trs leve et mme spectaculaire. Elle est due directement aux forts taux drosion des bassins versants, dont les particules solides sont draines directement par les cours deau et provoqueront lentre des retenues des courants de densit. Cette sdimentation pose dnormes problmes savoir; la rduction de la capacit, lobturation des organes de vidange, la scurit de louvrage, la sdimentation des canaux dirrigation et elle a mme un impact sur la qualit de leau.

Mots cls : Sdimentation - Afrique du nord - Barrage - Erosion - Courants de densit.

1 INTRODUCTION

LAfrique du nord dispose actuellement de plus de 230 barrages dune capacit totale de stockage de 23 milliards de m3 rpartis comme suit (fig. 1, et 2).

Le suivi de lenvasement des retenues, a permis dvaluer prs de 125.106 m3 la capacit perdue par envasement en moyenne chaque anne. Cette capacit est rpartie comme suit (fig.3) entre les trois pays.

En plus de la rduction de la capacit, la sdimentation a un impact au niveau du rservoir lui mme, en amont, et en aval du barrage. Ces pays (Algrie, Tunisie, Maroc), font partie dune zone montagneuse caractrise par un climat agressif avec alternance dannes sches et humides, et des pluies dautomne dvastatrices pour les sols, dautant plus quelles surviennent une priode o la couverture vgtale est rduite ou inexistante, et les sols ameublis par les labours.

La consquence est que dune part, les crues dautomne violentes, et brutales sont la cause dune forte ablation, et dautre part, le taux drosion dans les bassins versants est important, ce qui favorise lapparition des courants de densit dans les rservoirs des barrages des pays de lAfrique du nord.

Dans cette tude, on propose de mettre en relief la gravit du phnomne de la sdimentation des barrages dans la rgion de lAfrique du nord travers lanalyse des tapes du processus de lenvasement (fig.4).

Algrie : 114 barrages

Maroc : 90 barrages

Tunisie : 30 barrages

Figure 1 : Nombre de barrages en Afrique du nord

Maroc: 14 milliards de m 3

Algrie : 5.2 milliards de m 3

Tunisie : 3.5 milliards de m 3

Figure 2 : Capacit de stockage en Afrique du nord

W. Remini & al.

68

Maroc: 65 millions de m 3

Algrie : 32 millions de m 3

Tunisie : 30 millions de m 3

Figure 3 : Envasement annuel en Afrique du nord

Erosion

Transport solide

Pigeage des sdiments et mcanisme

Comblement des retenues

Figure 4 : Processus de la sdimentation

2 EROSION DES BASSINS VERSANTS

Lrosion hydrique correspond la sparation entre la particule et son support, sans inclure le transport et la sdimentation, mme sil se produit toujours un micro-transport (1990). Ce phnomne est trs rpandu en Afrique du nord. En effet, la majorit des bassins versants de lAlgrie, la Tunisie, et le Maroc est caractrise par de fortes dgradations spcifiques dpassant 2000 t/km2.an. A titre dexemple, dans les bassins versants marocains, le taux drosion spcifique est :

suprieure 2000 t/km2.an au niveau des bassins du Martil, de lOuergha, de Lakhdar, et de la Tessaout.

comprise entre 1000 et 2000 t/km2.an au niveau des bassins du Neckor, de MHarhar, et du Loukkos.

comprise entre 500 et 1000 t/km2.an au niveau des bassins versants de Sebou, de lInanoune, de lOued El Abid, et du Massa.

infrieure 500 t/km2.an au niveau du reste du pays (2001).

En Tunisie, lrosion hydrique dgrade les terres cultivables. Au total, 1,2 millions dhectares sont gravement affects par lrosion dans le nord, et le centre de la Tunisie, soit 25% de la superficie totale des terres (1991).

En Algrie, le taux drosion dpasse 2000 t/km2.an sur la plupart des bassins versants de lAtlas Telien (Rhiou, Sly, Fodda, Mazafran, Isser). Il atteint 4000 t/km2.an sur la chane ctire de Dahra, et 5000 t/km2.an sur le bassin trs dgrad de lOued Agrioum (1982). Sur la Seine, par contre, le taux drosion est de 62 t/km2.an, il atteint 1500 t/km2.an sur celui de la Durance (France), et dpasse 2500 t/km2.an sur certains bassins de la Chine, et de lle de Java (1980).

Tous ce matriel rod est transport plus ou moins rapidement jusquaux cours deau. Il comprend des particules fines en suspension, des sdiments grossiers charris, et de la matire dissoute. Ce sont les crues dautomne qui causent le plus drosion.

2.1 Transport solide Une fois ce matriau solide arriv dans les cours deau, il sera transport par la force du courant. Les concentrations des sdiments sont trs leves suivant les cours deau, et limportance des crues. Elles varient normment et peuvent atteindre ou mme dpasser les 200 g/l en Tunisie. Des concentrations de 100 g/l sont frquentes la Madjerda, au Zeroud, et au Marguellil (Tunisie).

Des quantits considrables de sdiments sont transportes par les cours deau algriens pendant les crues. Variant de 50 150 g/l, avec des valeurs maximales dpassant mme 500 et 600 g/l puisque des valeurs de 650 g/l ont t enregistres sur certaines rivires (1993). Une proportion importante de ces sdiments sera pige dans les retenues de barrages. Par exemple, au Maroc prs de 60% des 100.106 de tonnes de terre rode annuellement se dpose dans les retenues de barrages (2001).

2.2 Pigeage des sdiments et mecanisme de sdimentation

Une fois la crue arrive au niveau des eaux calmes du rservoir, les matriaux grossiers se dposent dans la zone de remous en formant un delta en queue de la retenue. Les particules fines sont piges dans la retenue et commencent se dposer, se tasser, et se consolider diminuant ainsi progressivement leur capacit de stockage en eau.

La sdimentation dans les barrages de l'Afrique du Nord

69

Lorsque la concentration des sdiments est trs leve, les particules fines plongent au fond de la retenue et sy coulent sous forme dun courant de densit (fig.5). La configuration gomtrique des retenues sous forme de canal (fig. 6) pour la plupart des barrages de lAfrique du nord favorise les courants de densit se propager jusquau pied du barrage. En labsence douverture des vannes, les sdiments drains par les courants de densit, se dposent et se tassent puis se compactent selon leur nature, et les conditions physico-chimiques du milieu. (fig.7). Cette consolidation peut gner, plus tard, lvacuation des sdiments accumuls dans la cuvette lorsque les manuvres des vannes seront opres trs en retard.

2.3 Problmes poss par la sdimentation La sdimentation dans les barrages pose dnormes problmes au niveau du rservoir lui mme, mais aussi en amont et en aval du rservoir. Elle entrane la rduction de la capacit utile du barrage. Le blocage des organes de vidange. La sdimentation peut mettre la stabilit de louvrage en danger.

Elle peut aussi acclrer leutrophisation du lac. Les sdiments en suspension dans leau distribue par les canaux, partir des barrages, se dposent dans ces ouvrages, rduisent leur dbitance, et rendent difficile leur exploitation (fig.8).

BarrageEau claire

Courants de densit

Dpt anterieur

a) Propagation du courant de densit

Figure 5 : Propagation dun courant de densit.

Eau

Barrage

Dcantation des particules fines

Dpt anterieur

c) Formation d'un lac boueux

Figure 6 : Quelques exemples des retenues de type canal.

1kmRetenue de Oued El Fodda

Retenue d'Ighil Emda

1kmRetenue de Nabeur

1km

%Retenue d'Erraguene

1kmRetenue de Sautet

1kmRetenue de K'sob

1km

Figure 7 : Dcantation et tassement des particules solides fines

Sdimentation

Rduction de la

capacit Scurit

de l'ouvrage

Blocage des vannes

Eutrophisation

Sdimentation des canaux

Figure 8 : Problmes poss par la sdimentation

W. Remini & al.

68

2.3.1 Rduction de la capacit

Les pays de lAfrique du nord comme lAlgrie, le Maroc, et la Tunisie, dtiennent plus de 220 barrages dune capacit de plus de 20 milliards de m3. Chaque anne, un volume de 120 millions de m3 de vase se dpose dans les rservoirs. Le tableau 1 reprsente le taux de sdimentation dune dizaine de barrages des plus envass de lAfrique du nord.

Il est constater, que le taux de sdimentation annuel est volu 50.106 m3 uniquement pour les dix barrages sur les 220. Ce qui reprsente 40% de lenvasement annuel du nombre total. Cependant, le barrage Mohamed V (Maroc) est le premier barrage de lAfrique du nord, il reoit annuellement un volume de vase gal 11,6.106 m3. Les quatre barrages marocains Mohamed V, Eddahabi, El MAssira, et Ben El Ouidane reoivent annuellement une quantit de vase de 30.106m3, lquivalent de ce que les 114 barrages algriens reoivent annuellement.

Tableau 1 : Taux denvasement (2002)

Barrages Anne de mise en eau Capacit .106 m3

En moy.ann. 106 m3/an

Taux de sdimentation

(%) Mohamed V (Maroc) 1967 725 11,6 56

Mansour Edahabi (Maroc)

1972 592 4,8 24

El Massira (Maroc) 1979 2724 9 7,5

Bir El Ouidane (Maroc) 1953 1484 4,5 15

Mellegue (Tunisie) 1954 332 5,94 85

Sidi Salem (Tunisie) 1981 555 5,6 21

Ghrib (Algrie) 1939 280 3,2 72

Oued El Fodda (Algrie) 1932 228 2,31 71

Ighil Emda (Algrie) 1953 155 1,33 42

Boughezoul (Algrie) 1934 55 0,66 81

2.3.2 La scurit de louvrage

La sdimentation des retenues a un impact sur la scurit des barrages, par la mise en danger de la stabilit de louvrage du fait de laugmentation de la force hydrostatique produite par le remplacement acclr du volume deau par la vase. Ceci se traduit par laccroissement de la masse spcifique qui peut atteindre 1,8 t/m3. Ce cas a t signal aux barrages des Zardzas, et Ksob. Nous pouvons dire que si le taux de comblement dune retenue dpasse 50% de la capacit initiale et la vase est en contact de louvrage, dans ce cas, il faut prendre au srieux la stabilit du barrage. Cest le cas des barrages de

Oued El Fodda, et de Foum El Gherza.

2.3.3 Blocage des vannes

La prsence des courants de densit dans une retenue acclre la sdimentation, et peut avoir comme impact lobturation des organes de vidange. La non matrise du mcanisme des courants de densit peut avoir un effet nfaste sur les vannes de fond. En effet, louverture tardive des vannes de fond, par rapport larrive des courants de densit, favorise la consolidation des vases prs des pertuis de vidange et rend plus difficile leurs manuvres. Comme exemple, on peut citer le cas du barrage de Oued El Fodda dont la vanne de fond a t bloque depuis 1948 suite la consolidation rapide de la vase. Actuellement, elle se trouve sous 40 m de hauteur de vase. La vanne du barrage de Foum El Gherza sest obture durant la priode 1981-1989 (1997) Celle du barrage des Zardzas a t bloque durant les annes 90.

2.3.4 Acclration de leutrophisation

Une fois dposes, les particules solides se tassent, et se consolident suivant leur nature, et les conditions physico-chimiques du milieu. Du fait de leutrophisation qui en rsulte, la qualit de leau se dgrade trs srieusement. Plusieurs cas ont t signals dans la rgion de lAfrique du nord. En effet, les dficits en oxygne, enregistrs prs du fond du barrage El Khattabi (Maroc) au cours de la saison dt, ont provoqu une activit de biodgradation dans les zones profondes (2001).

2.3.5 Sdimentation dans les canaux dirrigation

Un autre problme dlicat pos par la sdimentation qui stend cette fois-ci laval du barrage. En effet, lirrigation par leau charge provoque le dpt des sdiments dans les canaux. La section mouille diminue avec le temps et le dbit dcoulement par consquent. Ce problme impose leur entretien, et leur dvasement dune manire priodique.

Selon Badraoui A. et Hajji A. (2001) au Maroc, plusieurs canaux dirrigation senvasent chaque opration dirrigation. Cest le cas du canal de rocade qui alimente les primtres du Haouz central, et la ville de Marrakech partir du complexe Hassan 1er Sidi Driss. Les primtres de Habra, dans louest algrien, senvasent chaque opration dirrigation. Il arrive souvent que les siphons se bouchent par la consolidation de la vase, et le curage devient donc indispensable, et dune manire rgulire.

CONCLUSION La sdimentation des barrages est un phnomne naturel trs complexe quil faut ltudier de lamont laval du barrage. Les consquences de ce phnomne sont extrmement gnantes. Elle a un impact au niveau du rservoir lui mme, amis aussi en amont et en aval du barrage. Le mcanisme de la sdimentation et plus

La sdimentation dans les barrages de l'Afrique du Nord

69

particulirement les courants de densit restent ltape la plus dlicate de ce processus et leur matrise aboutira directement la proposition des mthodes de lutte adquates.

BIBLIOGRAPHIE 1. RAMPON (1990). Erosion hydrique et sdimentation

dans les barrages. Informations techniques CEMAGREF, juin, n 78, note 6 pp. 1-7.

2. BADRAOUI A., HAJJI A. (2001). Envasement des retenues de barrages. Revue la Houille Blanche, n6/7, pp. 72-75.

3. BOUZID A. (1991). Lexprience de la Tunisie dans la protection des sols et des barrages. Sem. Int. sur lrosion et lenvasement des barrages, Alger.

4. DEMMAK A. (1982). Contribution ltude de lrosion et des transports solides en Algrie

septentrionale. Thse de Docteur Ingnieur, universit de Pierre et Marie Curie, Paris XI.

5. MECHIN Y. (1980). Rapport gnral introductif sur le dvasement des retenues. Sminaire international sur le dvasement des retenues. Tunis, 1-4 juillet, 5 p.

6. MEKERTA B., TISOT J-P. (1993). Etude de la sdimentation dans les retenues de barrages, proprits mcaniques, 1er congrs national des grands barrages, Alger 24 et 25 mai, pp. 1-9.

7. REMINI B. (1997). Envasement des retenues de barrages en Algrie : importance, mcanismes et moyen de lutte par la technique du soutirage. Thse de Doctorat dtat, Ecole nationale Polytechnique dAlger, mars, 342 P.

8. REMINI B. (1999). Les consquences de lenvasement des barrages: quelques exemples algriens. Revue Techniques sciences mthodes, n4, avril, pp. 55-62.