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1,00 € Numéros précédents 2,00 € L’O S S E RVATORE ROMANO EDITION HEBDOMADAIRE Unicuique suum EN LANGUE FRANÇAISE Non praevalebunt LXXI e année, numéro 27 (3.640) Cité du Vatican mardi 7 juillet 2020 Un cessez-le-feu mondial et immédiat pour combattre la pandémie Un magistère pour la paix et contre l’hypocrisie ANDREA TORNIELLI Le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé mercredi 1 er juillet une résolution pour «une cessation immédiate des hostilités dans toutes les situations pendant au moins 90 jours consécutifs» afin de garantir l’aide humanitaire aux populations touchées et pour contrer les consé- quences dévastatrices de la propaga- tion du covid-19. François, dans sa réflexion après la prière de l’Angelus, a voulu apporter son soutien à l’ini- tiative, souhaitant que le cessez-le-feu soit «effectivement et rapidement» observé. Cette initiative du Pape re- présente une nouvelle étape sur un long chemin. Une étape rendue en- core plus urgente par la crise que provoque la pandémie, et dont les conséquences les plus dévastatrices — au même titre que celles de la guerre — touchent les plus pauvres. Le dimanche 29 mars, le Pape avait déjà fait cette demande, ap- puyant l’appel lancé cinq jours plus tôt par le secrétaire général des Na- tions unies. António Guterres avait appelé à un «cessez-le-feu global et immédiat» dans le monde entier, rap- pelant que la situation d’urgence sa- nitaire ne connaissait pas de fron- tières. François s’était associé «à tous ceux qui ont répondu à cet appel» et avait invité «à y donner suite en ces- sant toute forme d’hostilité guerrière, en favorisant la création de couloirs pour l’aide humanitaire, l’ouverture à la diplomatie, l’attention à l’égard de ceux qui se trouvent dans des situa- tions de très grande vulnérabilité». François avait émis le souhait que l’engagement commun contre la pan- démie puisse «conduire chacun à re- connaître notre besoin de renforcer nos liens fraternels en tant que mem- bres d’une unique famille. En parti- culier, qu’il suscite chez les responsa- bles des pays et chez les autres par- ties concernées un engagement re- nouvelé en vue de surmonter les riva- lités. Les conflits ne se résolvent pas par la guerre! Il est nécessaire de sur- monter les antagonismes et les oppo- sitions, à travers le dialogue et une recherche constructive de la paix». Au cours des semaines suivantes, François avait à deux reprises déploré les dépenses en armement. Dans son homélie lors de la Veillée pascale, cé- Appel lors de l’Angelus du 5 juillet page 3 DANS CE NUMÉRO Page 2: Un missionnaire parmi les femmes victimes de violence en RD C, par Enrico Casale. La Conférence ecclésiale amazonienne. Pa- ge 3: Intentions de prière pour juillet. Page 4: Message à la Catholic Press Association. Décès de Georg Ratzinger. Page 5: Madeleine-la- Grande, par Sergio Massironi. Pages 6 et 7: Le récit: Entretien avec le photo-reporter Manoocher Deghati, par Piero Di Domenicantonio; La narration comme instrument pour retrouver sa propre identité, par Gae- tano Piccolo. Page 7: Le père Charles de Foucauld. Lettre de la Congré- gation pour la doctrine de la foi aux Frères de la Charité. Page 9: In- formations. Page 10: L’Urbs de Grégoire-le-Grand, par Mario Spinelli. SUITE À LA PAGE 3

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1,00 € Numéros précédents 2,00 €

L’O S S E RVATOR E ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

Unicuique suum

EN LANGUE FRANÇAISENon praevalebunt

LXXIe année, numéro 27 (3.640) Cité du Vatican mardi 7 juillet 2020

Un cessez-le-feu mondial et immédiatpour combattre la pandémie

Un magistèrepour la paix et

contre l’hyp o crisieANDREA TORNIELLI

Le Conseil de sécurité des Nationsunies a approuvé mercredi 1er juilletune résolution pour «une cessationimmédiate des hostilités dans toutesles situations pendant au moins 90jours consécutifs» afin de garantirl’aide humanitaire aux populationstouchées et pour contrer les consé-quences dévastatrices de la propaga-tion du covid-19. François, dans saréflexion après la prière de l’Angelus,a voulu apporter son soutien à l’ini-tiative, souhaitant que le cessez-le-feusoit «effectivement et rapidement»observé. Cette initiative du Pape re-présente une nouvelle étape sur unlong chemin. Une étape rendue en-core plus urgente par la crise queprovoque la pandémie, et dont lesconséquences les plus dévastatrices —au même titre que celles de la guerre— touchent les plus pauvres.

Le dimanche 29 mars, le Papeavait déjà fait cette demande, ap-puyant l’appel lancé cinq jours plustôt par le secrétaire général des Na-tions unies. António Guterres avaitappelé à un «cessez-le-feu global etimmédiat» dans le monde entier, rap-pelant que la situation d’urgence sa-nitaire ne connaissait pas de fron-tières. François s’était associé «à tousceux qui ont répondu à cet appel» etavait invité «à y donner suite en ces-sant toute forme d’hostilité guerrière,en favorisant la création de couloirspour l’aide humanitaire, l’ouverture àla diplomatie, l’attention à l’égard deceux qui se trouvent dans des situa-tions de très grande vulnérabilité».

François avait émis le souhait quel’engagement commun contre la pan-démie puisse «conduire chacun à re-connaître notre besoin de renforcernos liens fraternels en tant que mem-bres d’une unique famille. En parti-culier, qu’il suscite chez les responsa-bles des pays et chez les autres par-ties concernées un engagement re-nouvelé en vue de surmonter les riva-lités. Les conflits ne se résolvent paspar la guerre! Il est nécessaire de sur-monter les antagonismes et les oppo-sitions, à travers le dialogue et unerecherche constructive de la paix».

Au cours des semaines suivantes,François avait à deux reprises déploréles dépenses en armement. Dans sonhomélie lors de la Veillée pascale, cé-

Appel lors de l’Angelusdu 5 juillet

page 3

DANS CE NUMÉROPage 2: Un missionnaire parmi les femmes victimes de violence en RD C,par Enrico Casale. La Conférence ecclésiale amazonienne. Pa-ge 3: Intentions de prière pour juillet. Page 4: Message à la CatholicPress Association. Décès de Georg Ratzinger. Page 5: Madeleine-la-Grande, par Sergio Massironi. Pages 6 et 7: Le récit: Entretien avec lephoto-reporter Manoocher Deghati, par Piero Di Domenicantonio; Lanarration comme instrument pour retrouver sa propre identité, par Gae-tano Piccolo. Page 7: Le père Charles de Foucauld. Lettre de la Congré-gation pour la doctrine de la foi aux Frères de la Charité. Page 9: In-formations. Page 10: L’Urbs de Grégoire-le-Grand, par Mario Spinelli.

SUITE À LA PA G E 3

Page 2: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E …...sible à nous auto-financer à travers la vente de gâteaux ou de vêtements confectionnés par les jeunes filles

page 2 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 juillet 2020, numéro 27

L’œuvre d’un missionnaire parmi les femmes victimes de violence en République démocratique du Congo

Ecoute et soutien pour recommencer à vivreENRICO CASALE

Les vêtements sont déchirés. Les piedsnus. Le regard baissé. Comme si ellesavaient honte des blessures qu’elles

portent. Des blessures dans le corps, maisaussi dans l’âme. Et ces dernières sont lesplus profondes. Celles qui ont du mal àguérir. C’est pour cela qu’elles s’esquivent.Elle ne veulent en parler à personne. Pas àleur communauté. Pas même en famille.Parfois, elles ne s’ouvrent qu’au confession-nal. Elles confessent au prêtre l’enlèvementsubi, les abus vécus, la marginalisation à la-quelle elles sont souvent contraintes dansleur village même. Le père Bernard Ugeux,belge, 74 ans, missionnaire en Républiquedémocratique du Congo, découvre ainsi unmonde d’abus et tend la main à ces jeunesfilles. Il les aide à sortir de ce cauchemar età se refaire une vie en regardant l’avenir defaçon plus sereine.

Le père Ugeux, des missionnairesd’Afrique (Pères blancs), vit et travaille àBukavu, dans le Sud-Kivu. Le Kivu, commetoutes les régions orientales de l’Etat afri-cain, est depuis des années dominé par uneforte instabilité. Des groupes armés — on es-time que 130 milices sont actives — pillentles richesses du territoire et s’abattent com-me des vautours sur la population civile ex-ténuée par les abus. Les femmes sont lesvictimes sacrificielles d’une guérilla générali-sée, déclenchée en 1997 avec la chute del’ancien Zaïre. Depuis, dans les forêts dunord et du Sud-Kivu, dont le gouvernementa du mal à garder le contrôle, on enregistresystématiquement des cas de violences etd’abus. Les Nations unies ont compté plusde quinze mille viols en un an dans le pays:le nombre le plus élevé de crimes sexuelsenregistrés dans le monde. Selon le Kivu

présente tout ce qu’il y a de sacré enAfrique. L’humilier signifie humilier directe-ment son clan, car dans la culture congolai-se, faire violence à une femme signifie faireviolence à sa mère, parce que c’est elle quidonne la vie et éduque les enfants. Les violssont donc planifiés comme une tactique deguerre par des personnes qui connaissentbien la communauté locale. L’Eglise catho-lique s’est ainsi trouvée en première ligne fa-ce à cette brutalité. En avril 2017, l’Unioninternationale des supérieurs généraux, avecle soutien de l’ambassade britannique, a for-mé une quarantaine de personnes consacrées(dont certains prêtres), pour aider les fem-mes victimes de violence sexuelle. Ce quipèse sur ces toutes jeunes vies est également

la pauvreté dans laquelle vit une grandepartie de la population. Des centaines finis-sent dans la rue, où elles subissent toutessortes d’abus, parce que leurs parents sontmalades ou meurent, ou n’ont tout simple-ment pas les moyens de les nourrir.

«Les petites filles sont doublement desvictimes innocentes — explique le mission-naire. Après avoir été victimes d’abus, ellessont considérées comme coupables de ce quileur est arrivé: elles sont répudiées des com-munautés et sont abandonnées à elles-mê-mes». Elles n’en parlent pas et vivent cetoutrage fait à leur corps et à leur âme com-me une faute. Le père Bernard Ugeux écou-te les femmes qui, dans le secret du confes-sionnal, lui racontent les abus auxquels ellesont été soumises. «Quand elles viennentconfesser les agressions qu’elles ont subies —raconte-t-il — je dois leur expliquer qu’ellesn’en sont en aucune façon responsables».

Pour le religieux, il est indispensabled’adopter une approche psyco-sociale. «Ilne suffit pas de faire preuve d’empathie etde permettre aux victimes d’exprimer desémotions et des souvenirs douloureux», sou-tient-il. «Il est nécessaire d’offrir les ressour-ces matérielles et sociales pour la réinsertiondans leur communauté. Faire en sorte que lavictime retrouve une place et un rôle, dansle respect et dans la plus totale sécurité». Lepère Bernard a ainsi promu, avec une équi-pe de laïcs congolais et les sœurs dorothéen-nes, un parcours de réinsertion pour 250 pe-tites filles fuyant l’horreur. «Ce sont d’an-ciennes enfants des rues, victimes d’abus etde violences, orphelines ou filles de parentstrès pauvres ou n’ayant pas la possibilité des’en occuper», observe le religieux.«Chaque jour, les jeunes fréquentent le cen-tre, qui fournit une assistance sociale et psy-chologique, une instruction, une éducationet une formation professionnelle. Nous leurenseignons le français, les mathématiques, lacouture et la cuisine. Nous accompagnonsles jeunes filles dans le parcours de réinté-gration dans la société, nous cherchons desfamilles d’accueil ou adoptives, prêtes à lesaider, nous cherchons pour autant que pos-sible à nous auto-financer à travers la ventede gâteaux ou de vêtements confectionnéspar les jeunes filles elles-mêmes».

Création de la Conférence ecclésiale amazonienne

Un fruit direct du synode sur l’Amazonie

La Conférence ecclésiale amazonienne est néele lundi 29 juin, «un signe très spécial que lanaissance de cette Conférence ecclésiale del’Amazonie ait eu lieu en la fête de saint Pier-re et saint Paul, comme un geste de leur vo-cation à affirmer l’identité de l’Eglise, de leuroption prophétique et de leur vision mission-naire qui surgit comme un appel inévitablepour le temps présent», écrivent Mgr MiguelCabrejos Vidarte, président du CELAM et lecardinal Claudio Hummes, président du RE-PA M et de cette nouvelle conférence ecclésiale,dans un communiqué à l’issue des délibéra-tions.

Ce nouvel organe est un «Kairos pleind’espoir», un fruit direct du synode surl’Amazonie, écrivent-ils, «en collaborationavec le magistère du Pape François, qui a ac-compagné de près tout ce processus». Le votesur l’intitulé, «Conférence ecclésiale del’Amazonie», et sur son identité, sa composi-tion et son mode général de fonctionnementont été approuvés à l’unanimité par les mem-bres votants.

L’objectif de la Conférence ecclésiale del’Amazonie est d’«ouvrir de nouvelles voiespour l’Eglise et pour une écologie intégrale

dans la région pan-amazonienne», et répon-dre aux menaces multiples qui planent surl’Amérique latine, «comme la pandémie ducoronavirus, et aux réalités de violence, d’ex-clusion et de mort contre le biome et les peu-ples qui l’habitent».

Le cardinal Hummes, élu président, seraassisté par le péruvien Mgr David Martinezde Aguirre, vice-président. Le comité exécutifaura à sa tête le bolivien Mgr Eugenio Voter,pour représenter les conférences épiscopalesdu territoire amazonien. Trois représentantsdes peuples originels ont également été dési-gnés: Patricia Gualinga du peuple Kichwa-Sarayakú (Equateur); sœur Laura Vicuña Pe-reira du peuple Kariri (Brésil); et Delio Siti-conatzi du peuple Asháninka (Pérou).

La naissance de la Conférence ecclésialeamazonienne se situe dans la tradition collé-giale et synodale des Eglises d’Amérique lati-ne et des Caraïbes. Le Conseil épiscopal lati-no-américain (CELAM) collabore avec les égli-ses à l’évangélisation du continent depuisplus de 75 ans. Dès 1955, avec la premièreconférence des évêques d’Amérique latine àRio de Janeiro, une figure régionale a com-mencé à se dessiner.

Security Tracker, aucours des derniers moisde 2019 seulement, 1.275personnes ont été enle-vées dans le Kivu et 720ont été tuées. Un grandnombre des jeunes fillesenlevées sont victimesd’abus. Mais seule uneinfime partie des cas estdénoncée: l’impunitépour les responsables estquasiment assurée.

Les violences sont lamarque indélébile d’uneguerre sans fin. Les victi-mes sont souvent des pe-tites filles, les plus faibleset vulnérables. Dans laculture traditionnelle, lafemme est considéréecomme mère et jouitd’une grande considéra-tion et respect parcequ’elle donne la vie et re-

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numéro 27, mardi 7 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 3

Angelus du 5 juillet

Un cessez-le-feu mondial et immédiatpour combattre la pandémie

Chers frères et sœurs, bonjour!

Le passage évangélique de ce dimanche (cf. Mt11, 25-30) s’articule en trois parties: tout d’ab ord,Jésus élève un hymne de bénédiction et d’actionde grâce au Père, parce qu’il a révélé aux pauvreset aux simples le mystère du Royaume des cieux;ensuite, il révèle le rapport intime et singulier quiexiste entre Lui et le Père; et enfin, il invite à al-ler à Lui et à le suivre pour trouver le réconfort.

En premier lieu, Jésus loue le Père, parce qu’ila gardé cachés les secrets de son Royaume, de savérité, «aux sages et aux habiles» (v. 25). Il lesappelle ainsi avec une pointe d’ironie, parce qu’ilspensent être sages, savants, et que leur cœur estdonc fermé, très souvent. La vraie sagesse vientégalement du cœur, ce n’est pas seulement com-prendre les idées, la vraie sagesse entre égalementdans le cœur. Et si tu sais beaucoup de choses,mais que tu as le cœur fermé, tu n’es pas un sage.Jésus dit que les mystères de son Père sont révélésaux «tout petits», à ceux qui s’ouvrent avec con-

fiance à sa Parole de salut, qui ouvrent leur cœurà la Parole de salut, qui ressentent le besoin deLui et attendent tout de Lui. Le cœur ouvert etconfiant envers le Seigneur.

Ensuite, Jésus explique qu’il a tout reçu duPère, et il l’appelle «mon Père», pour affirmerl’unicité de son rapport avec Lui. En effet, cen’est qu’entre le Fils et le Père qu’il y a une totaleréciprocité: l’un connaît l’autre, l’un vit dans l’au-tre. Mais cette communion unique est comme unefleur qui éclot, pour révéler gratuitement sa beau-té et sa bonté. Voilà alors l’invitation de Jésus:«Venez à moi...» (v. 28). Il souhaite donner cequ’il puise au Père. Il veut nous donner la vérité,et la vérité de Jésus est toujours gratuite: c’est undon, c’est l’Esprit Saint, la Vérité.

De même que le Père a une préférence pour les«tout petits», Jésus s’adresse lui aussi à ceux qui«peinent et sont opprimés». Il se place d’ailleurslui-même parmi eux, parce qu’Il est «doux ethumble de cœur» (v. 29), c’est ce qu’il dit être.Comme dans la première et dans la troisième béa-titude, celles des humbles ou pauvres en esprit; etcelle des doux (cf. Mt 5, 3.5): la douceur de Jésus.Ainsi Jésus, «doux et humble», n’est pas un mo-dèle pour les résignés, ni simplement une victime,mais il est l’Homme qui vit «de tout cœur» cettecondition en pleine transparence dans l’amour duPère, c’est-à-dire dans l’Esprit Saint. Il est le mo-dèle des «pauvres en esprit» et de tous les autres«bienheureux» de l’Evangile, qui accomplissent lavolonté de Dieu et témoignent de son Royaume.

Et ensuite, Jésus dit que si nous allons à Lui,nous trouverons le réconfort: le «réconfort» quele Christ offre à ceux qui peinent et aux opprimésn’est pas seulement un soulagement psycholo-gique ou une aumône élargie, mais la joie despauvres d’être évangélisés et d’être des construc-teurs de la nouvelle humanité. Voilà ce qu’est lesoulagement: la joie, la joie que nous donne Jé-sus. Elle est unique, c’est la joie qu’Il a lui-même.C’est un message pour nous tous, pour tous leshommes de bonne volonté, que Jésus adresse en-core aujourd’hui au monde, qui exalte qui devientriche et puissant. Combien de fois disons-nous:«Ah, je voudrais être comme celui-ci, comme cel-le-là, qui est riche, qui a tant de pouvoir, il ne luimanque rien!». Le monde exalte le riche et lepuissant, peu importe par quels moyens, et ba-foue parfois la personne humaine et sa dignité. Etnous voyons cela tous les jours, les pauvres quisont bafoués. Et c’est un message pour l’Eglise,appelée à vivre les œuvres de miséricorde et àévangéliser les pauvres, à être douce, humble.C’est ainsi que le Seigneur veut que soit son Egli-se, c’est-à-dire nous.

Que Marie, la plus humble et la plus élevée descréatures, implore de Dieu pour nous la sagessedu cœu r, afin que nous sachions discerner ses si-gnes dans notre vie et participer à ces mystèresqui, cachés aux orgueilleux, sont révélés auxhumbles.

A l’issue de l’Angelus, le Pape a ajouté les parolessuivantes:

Chers frères et sœurs, cette semaine le Conseil desécurité des Nations unies a adopté une résolu-tion qui prédispose plusieurs mesures pour af-fronter les conséquences dévastatrices du covid-19,en particulier dans les zones qui sont déjà le théâ-tre de conflits. La demande d’un cessez-le-feumondial et immédiat, qui permettrait la paix et lasécurité indispensables pour fournir l’assistancehumanitaire si urgemment nécessaire, est louable.Je souhaite que cette décision soit effectivementmise en œuvre au plus tôt pour le bien de tant de

personnes qui souffrent. Puisse cette résolutiondu Conseil de sécurité devenir un premier pascourageux pour un avenir de paix.

Je vous salue de tout cœur, Romains et pèlerinsde divers pays. Je salue en particulier les Polo-nais: bienvenus!, et je bénis le grand pèlerinagede la famille de Radio Maria au sanctuaire deCzęstochowa, qui aura lieu samedi prochain, àl’occasion du centenaire de la naissance de saintJean-Paul II, avec la devise «J’ai tout confié àMarie». Que ce pèlerinage soit béni.

Et je souhaite à tous un bon dimanche. S’ilvous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Bondéjeuner et au revoir!Un magistère

pour la paixet contre l’hyp o crisie

lébrée à Saint-Pierre, il avait dit: «Faisonstaire le cri de mort, ça suffit les guerres!Que s’arrête la production et le commercedes armes, parce que c’est de pain et non defusils dont nous avons besoin». Le PapeBergoglio avait voulu rappeler ce thème,une fois de plus, qui représente une cons-tante de son pontificat, jusque dans la pluslongue des deux prières mariales proposéesaux fidèles à la fin du rosaire au mois demai: «Assiste les responsables des nations,pour qu’ils œuvrent avec sagesse, sollicitudeet générosité, en secourant ceux qui man-quent du nécessaire pour vivre, en program-mant des solutions sociales et économiquesavec clairvoyance et avec esprit de solidarité.Marie très Sainte, touche les consciencespour que les sommes considérables utiliséespour accroître et perfectionner les arme-ments soient au contraire destinées à pro-mouvoir des études adéquates pour prévenirde semblables catastrophes dans l’avenir».

A plusieurs reprises et en différentes occa-sions, les années précédentes, François avaitdénoncé «l’hypocrisie» et le «péché» desresponsables de ces pays qui «parlent depaix et vendent des armes pour faire cesguerres». Des mots répétés également au re-tour de son dernier voyage internationalavant le début de la pandémie, en Thaïlan-de et au Japon: «A Nagasaki et Hiroshima,je me suis arrêté pour prier, j’ai rencontréquelques survivants et des parents de victi-mes, et j’ai réitéré la ferme condamnationdes armes nucléaires et de l’hypocrisie deceux qui parlent de paix en construisant eten vendant des armes de guerre».

Selon un rapport d’Oxfam, en 2019, lesdépenses militaires mondiales ont atteintdeux mille milliards de dollars et il y a ac-tuellement deux milliards d’êtres humainspiégés dans des pays en guerre et épuiséspar la violence, la persécution, la famine; si-tuations auxquelles s’ajoute la pandémie.

SUITE DE LA PA G E 1

Intentions de prière pour juillet

Pour nos familles

C’est un itinéraire de redécouverte de la va-leur de la famille et de ses liens que proposela vidéo du Réseau mondial de prière duPape pour le mois de juillet. Dans cesbrèves images — rendues publiques dansl’après-midi du 2 juillet — on voit des per-sonnes qui s’occupent des tâches quotidien-nes, chacune plongée dans les problèmes etles difficultés que la vie leur présente. Lamère, prise par son travail, met la famille audeuxième plan. Le père est aux prises avecles problèmes et les dettes à payer. Les en-fants conduisent une sorte de vie parallèlequi ne se mélange pas avec celle des pa-rents, jusqu’à ce que tous les membres de lafamille se rencontrent et que le lien soit re-nouvelé. Une photographie de groupe dupère, de la mère, du fils et de la fille, de-vient l’occasion et le «ressort» qui déclenchele besoin de se retrouver ensemble et delaisser tomber tout ce qui s’oppose à l’unité.

C’est précisément au thème «Nos famil-les», qu’est consacrée l’intention proposéepar le Pape pour ce mois de juillet. «Prions— invite le Pape François — afin que les fa-milles d’a u j o u rd ’hui soient accompagnéesavec amour, respect et conseil, et en particu-lier pour qu’elles soient protégées par lesEtats». En effet, affirme-t-il, la famille «abesoin d’être protégée. Elle affronte denombreux dangers: le rythme de la vie, lestress...». La brève réflexion du Pape abordeensuite les difficultés quotidiennes de la cel-lule familiale: «Parfois les parents oublientde jouer avec leurs enfants. L’Eglise doit en-courager les familles et être à leurs côtés, enles aidant à découvrir des voies qui leur per-mettent de surmonter toutes ces difficultés».La vidéo, traduite en neuf langues, a été dif-fusée comme de coutume sur le site internetwww.thep op evideo.org.

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page 4 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 juillet 2020, numéro 27

Message à la Catholic Press Association

Les médias catholiques uniscontre le racisme, l’injustice et l’i n d i f f é re n c e

Décès de Georg Ratzinger frère aîné de Benoît XVI

Les condoléances du Pape François

Mgr Georg Ratzinger est décédé dans la ma-tinée du 1er juillet à l’âge de 96 ans à Ratis-bonne, en Bavière, ville où il avait passé l’es-sentiel de sa vie et où s’était rendu tout ré-cemment son frère avec qui il était très lié. Ilsavaient été ordonnés prêtres ensemble en1951.

Dans une lettre au Pape émérite en date du2 juillet, le Pape François dit: «Vous avez eula délicatesse de m’informer en premier de lanouvelle du décès de votre frère bien-aimé,Mgr Georg. Je tiens à vous présenter mesplus vives condoléances et à vous renouvelerma proximité spirituelle en ce moment dedouleur. Je vous assure de ma prière d’actionde grâce pour le regretté défunt, afin que leSeigneur de la vie, dans sa bonté miséricor-dieuse, l’introduise dans la patrie du ciel etlui accorde le prix préparé pour les fidèlesserviteurs de l’Evangile. Et je prie aussi pourVotre Sainteté, en invoquant du Père, parl’intercession de la Bienheureuse Vierge Ma-rie, le soutien de l’espérance chrétienne et latendre consolation divine. Toujours unis dansl’adhésion au Christ Ressuscité, source d’es-pérance et de paix».

Né le 15 janvier 1924 à Pleiskirchen, en Ba-vière, Georg Ratzinger jouait de l’orgue dansl’église paroissiale depuis l’âge de 11 ans. En1935, il entra au petit séminaire de Traunstein,mais en 1942, il fut enrôlé dans le Reichsar-beitsdienst, puis dans la Wehrmacht. Capturépar les Alliés en mars 1945, il resta prisonnierà Naples pendant quelques mois avant d’ê t relibéré et autorisé à retourner dans sa famille.

C’est en 1947, qu’il entra au seminaire Her-zogliches Georgianum à Munich, avec sonfrère Joseph. Le 29 juin 1951, les deux frères,ainsi qu’une quarantaine d’autres compa-gnons, furent ordonnés prêtres dans la cathé-

drale de Freising par le cardinal Michael vonFaulhaber. Après être devenu maître de cha-pelle à Traunstein, il a été de 1964 à 1994 chefde chœur de la chorale de la cathédrale deRatisbonne. Il a effectué de nombreuses tour-nées dans le monde entier et a dirigé de nom-breux enregistrements pour Deutsche Gram-mophon, Ars Musici et d’autres grandes mai-sons de disques avec des productions consa-crées à Bach, Mozart, Mendelssohn et d’au-tres compositeurs.

Le 22 août 2008, en remerciant le maire deCastel Gandolfo qui avait accordé à Georg lacitoyenneté d’honneur, Benoît XVI disait deson frère: «Depuis le début de ma vie, monfrère a toujours été pour moi non seulementun compagnon, mais aussi un guide fiable. Ila été pour moi un point d’orientation et deréférence avec la clarté, la détermination deses décisions. Il m’a toujours montré le che-min à suivre, même dans les situations diffici-les».

Un appel à s’engager «pour dépasser lesmaladies du racisme, de l’injustice et del’indifférence qui défigurent le visage de notrefamille commune» a été adressé par le Papeaux agents de la communication catholiquedans un message envoyé dans l’après-midi dumardi 30 juin aux membres de la CatholicPress Association, à l’occasion de sa conférenceannuelle (1er et 2 juillet). Nous en publions ci-dessous une traduction.

Aux membresde la Catholic Press Association

Cette année, pour la première fois dansl’histoire, la Catholic Press Association tien-dra sa conférence annuelle de manière vir-tuelle, en raison de la situation sanitaire ac-tuelle. Permettez-moi, tout d’abord, d’expri-mer ma proximité à ceux qui ont été frap-pés par le virus et à ceux qui, même au ris-que de leur propre vie, se sont prodigués etcontinuent à s’engager pour assister nosfrères et sœurs dans le moment du besoin.

Le thème choisi pour la conférence decette année, Together While Apart, exprimede manière éloquente le sens d’union qui estapparu, paradoxalement, à la suite de l’ex-

périence de la distanciation sociale imposéepar la pandémie. Dans le message pour lajournée mondiale des communications so-ciales de l’année dernière, je réfléchissais surcomment la communication nous permetd’être, comme le dit saint Paul, des «mem-bres les uns des autres» (cf. Ep 4, 25), appe-lés à vivre en communion au sein d’un ré-seau de relations en continuelle expansion.Une vérité que, en raison de la pandémie,nous avons tous appréciée plus pleinement.En effet, l’expérience de ces derniers mois adémontré à quel point la mission des mé-dias est essentielle pour garder les personnesunies, en raccourcissant les distances, enfournissant les informations nécessaires et enouvrant les esprits et les cœurs à la vérité.

Cela a précisément été cette prise de con-science qui a conduit à la création des pre-miers journaux catholiques dans votre pays,outre à l’encouragement constant offert parles pasteurs de l’Eglise. C’est évident dansle cas du Catholic Miscellany, publié en 1822à Charleston par l’évêque John England,suivi par de nombreux journaux et périodi-ques. Aujourd’hui, comme alors, nos com-munautés ont besoin de journaux, de ra-dios, de télévisions et de médias sociaux

pour partager, communiquer, informer etu n i r.

E pluribus unum, l’idéal de l’unité dans ladiversité, présent dans la devise des Etats-Unis, doit inspirer également le service quevous offrez au bien commun. Ce besoin estencore plus urgent aujourd’hui, à uneépoque caractérisée par des conflits et despolarisations contre lesquels personne nesemble être immunisé, pas même la commu-nauté catholique. Nous avons besoin de mé-dias capables de construire des ponts, dedéfendre la vie et d’abattre les murs, visibleset invisibles, qui empêchent le dialogue sin-cère et la vraie communication entre les per-sonnes et les communautés. Nous avons be-soin de médias qui puissent aider les per-sonnes, en particulier les jeunes, à distinguerle bien du mal, à élaborer des jugementscorrects, basés sur une présentation des faitsclaire et impartiale, à comprendre l’imp or-tance de s’engager pour la justice, la concor-de sociale et le respect de la maison com-mune. Nous avons besoin d’hommes et defemmes de principe qui protègent la com-munication de tout ce qui pourrait la défor-mer ou la détourner vers d’autres buts.

Je vous demande alors d’être unis etd’être un signe d’unité également entrevous. Les médias peuvent être grands oupetits, mais dans l’Eglise ce ne sont pas lescatégories qui comptent. Dans l’Eglise, nousavons tous été baptisés dans l’unique Espritet faits membres d’un seul corps (cf. 1 Co12, 13). Comme dans chaque corps, ce sontsouvent les membres les plus petits qui, à lafin, sont nécessaires. Il en est ainsi avec leCorps du Christ. Chacun de nous, où qu’ilsoit, est appelé à contribuer, à travers laprofession de la vérité dans l’amour, à lacroissance de l’Eglise vers la pleine maturitédans le Christ (cf. Ep 4, 15).

Nous savons que la communication n’estpas seulement une question de compétenceprofessionnelle. Le vrai communicateur con-sacre toute sa personne au bien-être des au-tres, à chaque niveau, de la vie de chaqueindividu jusqu’à la vie de toute la famillehumaine. Nous ne pouvons pas vraimentcommuniquer si nous ne sommes pas impli-qués en première personne, si nous n’attes-tons pas personnellement de la vérité dumessage que nous transmettons. Toute com-munication a sa source ultime dans la viedu Dieu un et trine, qui partage avec nousla richesse de sa vie divine et nous deman-de, à notre tour, de communiquer ce trésoraux autres, unis dans le service à sa vérité.

Chers amis, j’invoque sur vous et sur letravail de votre conférence les dons de sa-gesse, de compréhension et de bon conseilde l’Esprit Saint. Seul le regard de l’Espritnous permet de ne pas fermer les yeux de-vant ceux qui souffrent et de chercher levrai bien pour tous. Ce n’est qu’avec ce re-gard que nous pouvons travailler efficace-ment pour dépasser les maladies du racisme,de l’injustice et de l’indifférence qui défigu-rent le visage de notre famille commune. Atravers votre dévouement et votre travailquotidien, vous pouvez aider les autres àcontempler des situations et des personnesavec les yeux de l’Esprit. Là où notre mon-de parle trop souvent avec des adjectifs etdes adverbes, puissent les communicateurschrétiens parler avec des noms qui recon-

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numéro 27, mardi 7 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 5

Madeleine-la-GrandeLa femme qui vit Jésus ressuscité avant les apôtres

SERGIO MASSIRONI

Une recherche qui va droit au but. Le petitouvrage d’Adriana Valerio, Maria Maddale-na. Equivoci, storie, rappresentazioni [Marie-Madeleine. Equivoques, histoires, représen-tations] (Bologne, Il Mulino, 2020, 136pp.,12,00 euros), accompagne le lecteur à traversdeux millénaires sans cacher son objectif:celui de ne pas faire de la «pure philologiearchéologique, mais de commencer une ré-volution herméneutique (...) en touchant lecœur même du christianisme». L’enjeu estde taille, mais, selon l’auteure, proportionnéà celle qui, à la suite de Jésus, fut reconnuecomme «la tour», de l’hébreu magdal/mig-dal, d’où l’appellatif qui suit son nom de-puis toujours.

Ce n’est donc pas «de Magdala» — ex-pression totalement absente dans le textegrec des Evangiles — mais «Madeleine»,dans la ligne de saint Jérôme, selon lequel«en raison de son zèle et de l’ardeur de safoi, elle reçut le nom de “tour” et eut le pri-vilège de voir le Christ ressuscité avant lesapôtres». Tour, force, ou bien — comme celaest proposé par la bibliste Maria Luisa Ri-gato — «la Rendue-grande», en reprenantpresque Origène, qui observait: «Elle s’ap-pelle Madeleine, ce qui s’accorde bien avecla signification du nom de sa patrie. En ef-fet, ce lieu est interprété comme grandeur,croissance. Et cette Madeleine a été renduegrande uniquement pour le fait d’avoir suiviJésus et d’avoir assisté au mystère de la pas-sion».

En somme, la révolution dans laquellecroit Adriana Valerio vient de loin et a unrapport avec la «stature» d’une discipledont les Evangiles ne cachent pas l’autorité,bien qu’elle soit d’une qualité tellementnouvelle qu’elle résulte encore en bonnepartie incomprise.

L’histoire de Marie, en effet — comme, dureste, celle de la mère de Jésus — renvoie àune grandeur que l’on n’obtient pas dans la

frénésie (masculine?) de conquérir le cielcomme à Babel, où «se faire un nom» fut ledébut de la confusion et de la dispersion,mais dans la rencontre avec une grâce quirend unique. En effet, ce qui arrive autourde Jésus a un caractère tellement eschatolo-gique que cela empêche toute idée linéairede progrès: la recherche sur les sources etl’histoire des effets documentent l’impact defaçons d’être tout à fait nouvelles, dont l’on-de choc ne cesse d’atteindre les formes cul-turelles et les stratifications historiques de lasocialité humaine.

Selon l’auteure, «c’est pour ces raisonsqu’il faut s’interroger sur la compréhensionde la Bible et sur ses interprétations erro-nées, sur le poids de la tradition dans l’éla-boration de la vision anthropologique, surle tabou sexuel lié aux dynamiques de gen-re, sur l’exclusion des femmes de la succes-sion apostolique et des rôles de pouvoirdans l’Eglise, sur l’identité de la communau-té de foi elle-même à la lumière du messageévangélique et des récentes acquisitions àpropos de la dignité et de l’égalité de lapersonne humaine, homme et femme».

Il s’agit évidemment d’une approche radi-cale et, pour cette raison même, aussi délica-te que digne d’attention: une telle recherchese déroule sur la crête vertigineuse qui sépa-re le discernement authentique d’un ana-chronisme naïf (parfois intéressé), c’estpourquoi il est indispensable que la rigueurscientifique et le sens ecclésial ne soient passéparés. L’ouvrage est magistral dans cesens, bien qu’il ne cache pas sa sympathiepour des solutions de profonde discontinui-té à l’intérieur de la pratique catholique. Eneffet, ce qui est une opinion est proposé etmotivé comme tel, alors que la reconstruc-tion des données et l’interprétation de l’his-toire révèlent une lucidité posée. Certes,l’auteure soutient que, «comme pour l’exé-gèse biblique, on doit parler d’une gammede solutions interprétatives possibles plutôtque d’un schéma univoque, ainsi la tradi-tion, sujette elle aussi aux dynamiques del’histoire, connaît une variété de filons quicontredisent la transmission doctrinale pré-sentée comme l’unique possible».

C’est dans ce sens que «Madeleine est lerévélateur de cette polyvalence de textes quisoulignent la centralité de sa personne dansla constitution de la communauté de foi»,une complexité qui peut effrayer, car onpeut difficilement l’apprivoiser, et qui pour-tant est propre au type de vérité que l’uni-vers biblique met en place, une vérité alter-native et toujours plus grande que tout sys-tème logiquement conclu. Une Vérité vivan-te, débordante et générative, qui agit struc-turellement avec une vigueur qui effraye etattire à la fois. Les femmes de l’Evangile in-carnent la délicatesse de cette force, uneénergie douce qui ne justifie toutefois aucu-ne instrumentalisation.

Marie de Magdala, «la figure féminine laplus aimée et représentée» après la ViergeMarie, manifeste les traits incontournables,dont l’Eglise de tout temps doit tenir comp-te, du rapport chrétien avec la vérité: au dé-but se trouve le fait d’avoir été «renduegrande» par une grâce qui redonne la digni-té et refonde la conscience de la propre va-leur incommensurable; il en naît un espacepour «un discipolat actif et faisant autorité»où la «nouvelle condition d’affranchie»pousse «à se mettre à la suite de Jésus à tra-vers de nouvelles modalités relationnelles»qui comportent des formes inédites de par-

tage et de participation à la vie du groupe;jusqu’au pied de la croix, où le monde en-tier est refondé et seules les femmes devien-nent les «garantes de ce triple témoignagequi est à la base de la foi de la communautéprimitive: “le Christ mourut… il fut enseve-li… il est ressuscité” (Ac 2, 23-24; 1 Co 15, 3-4)». C’est dans ce contexte qu’Adriana Vale-rio lit la préface qui, avec le Décret de laCongrégation pour le culte divin et la disci-pline des sacrements du 10 juin 2016, placeMarie de Magdala parmi les apôtres: «Carelle l’avait aimé pendant sa vie, elle l’avaitvu mourir sur la croix, elle l’avait cherchéalors qu’il gisait au sépulcre et elle fut lapremière à l’adorer ressuscité des morts; etelle l’honore devant les apôtres (coram apos-tolis) à travers la tâche de l’apostolat, afinque la bonne nouvelle de la vie neuve attei-gne les confins du monde». S’il en est ainsi,la fidélité à la vérité évangélique n’implique-ra certainement pas, en particulier de la partde femmes, un retour à Babel où chercher àse faire un nom à travers des revendicationset des projets idéologiques. Toutefois, cettefidélité demande l’ouverture à l’Esprit quichangea la face de Jérusalem et qui continueà vouloir rendre neuve toute la terre, en ver-tu d’une révélation qui, dans le Christ, sedonne d’une manière inépuisable. «D’où lanécessité — observe l’auteure — de considé-rer la “Tr a d i t i o n ” comme un “ensemble detraditions”, comme la transmission différen-ciée et complexe qui inclut des sujets, desgroupes et des mouvements multiples et in-nombrables. Dans le cas de Madeleine,nous nous trouvons en présence de femmeset d’hommes qui, aux diverses époques del’histoire, grâce à son souvenir, ont donnévie à des expériences de foi, à des actes deculte, à des œuvres d’art, à des institutions,à des élaborations doctrinales, à des textesspirituels, à des propositions ecclésiales et àd’autres choses encore, qui ne peuvent pasêtre enfermées de manière acritique dansune proposition univoque».

Il s’agit là, d’autre part, de la richesse dela catholicité, de ce qui concerne la totalité:ce qui apparaît nouveau, particulier, révolu-tionnaire, s’il est lié au tout, ouvre le passéau futur. Adriana Valerio a donc le méritede remettre au présent plusieurs interroga-tions audacieuses auxquelles une Eglise bienunie et guidée par l’Esprit peut se confron-ter, pour répondre aujourd’hui à Celui qui,l’ayant aimée et rachetée, lui parle encore.

Adolfo Tommasi, «Madeleine pénitente» (1893)

Message à la CatholicPress Association

naissent et soutiennent la revendication silen-cieuse de la vérité et promeuvent la dignité hu-maine. Là où le monde voit des conflits et desdivisions, tournez-vous vers la souffrance etvers les pauvres pour donner voix à la requêtede nos frères et sœurs qui ont besoin de misé-ricorde et de compréhension.

Hier, l’Eglise a célébré la solennité des apô-tres Pierre et Paul. Puisse l’esprit de commu-nion avec l’Evêque de Rome, qui a toujoursété un signe distinctif de la presse catholiquedans vos pays, vous garder tous unis dans lafoi et forts par rapport aux modes culturellespassagères qui n’ont pas le parfum de la véritéévangélique. Continuons à prier ensemble pourla réconciliation et la paix dans le monde. Jevous assure de mon soutien et de mes prières,ainsi qu’à vos familles. Et je vous demande, s’ilvous plaît, de me rappeler dans vos prières.

Vatican, 30 juin 2020

FRANÇOIS

SUITE DE LA PA G E 4

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numéro 27, mardi 7 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO pages 6/7

Entretien avec le photo-reporter Manoocher Deghati

Dans les ruines de la guerre les gens me disaient:«Photographie! Ton œil est notre voix»

La narration comme instrument pour retrouver sa propre identité

Les fils entrelacésd’une tapisserie déchirée

e ré c i tE M O T D E L’ANNÉEl

Saint Augustin (peinture du XVIIIe siècle)

L’incendie d’un puits de pétroledurant la guerre entre l’Iran et l’I ra k(1983, © Manoocher Deghati)

Un photographe de rue à Kaboul (2002, © Manoocher Deghati)

GA E TA N O PICCOLO

Un billet de train retrouvé par hasarddans la poche d’une veste, le contratdu premier emploi enfoui au fond d’untiroir et revenu à la lumière pendant undéménagement, la photo de mariageque tu t’arrêtes pour regarder alors quetu nettoies la poussière un samedi ma-tin... ce sont les fragments d’une his-toire à laquelle nous cherchons sanscesse à donner un sens. Nous essayonsde garder ensemble les fils de la tapis-serie de notre vie, ces fils qui de tempsen temps se cassent, s’accrochent à unclou, perdent de leur couleur ou se ta-chent avec les larmes de la douleur.Quand quelqu’un nous demande quinous sommes, il est difficile que nousrépondions en présentant notre carted’identité. Si nous désirons transmettrequelque chose de nous, nous essayonsgénéralement de raconter une histoire.Et chaque fois l’histoire est un peu dif-férente, car ces fragments sont réunisavec le regard d’a u j o u rd ’hui.

Quand nous nous racontons, nousdécouvrons également quelque chosede plus sur nous. C’est ce dont saintAugustin a eu le premier l’intuition,écrivant ses Confessions pour répondre àcette grande question qu’il sentait êtredevenue également la sienne: je suisune énigme, un abîme, et pour cher-cher à comprendre quelque chose demoi, je cherche à me raconter. La nar-ration peut en effet devenir le lieu oùnous reconnaissons notre identité. Leprotagoniste de l’histoire racontée parsaint Augustin, si l’on regarde bien,n’est cependant pas le narrateur, maisDieu, dont il confesse la louange. Enlouant Dieu, l’Eternel, Augustin secomprend comme créature, qui vit dansle temps. Les mots de cette louange quiaccompagne le récit de la vie d’Augus-tin sont toujours tirés des Saintes Ecri-tures, c’est-à-dire que ce ne sont pas sesmots, mais des mots qu’il a reçus endon. Comme ces mots, Augustin se re-connaît donné à lui-même. Voilà pour-quoi cette narration permet finalementà Augustin de se comprendre, précisé-ment quand il cherche la réponse à cet-te question non plus en lui-même, maisdans un Autre.

A travers son récit, Augustin fondeégalement la possibilité de ce type denarration: il faut revenir à l’intériorité,à la mémoire. Un espace merveilleuxqui, pour la première fois de l’h i s t o i re ,est présenté dans les Confessions commeun espace tridimensionnel, où il estpossible de revenir et d’agir, en cher-chant ce qui semble perdu, comme cet-te femme qui, dans l’Evangile de Luc,balaye sa maison à la recherche de lamonnaie qu’elle ne trouve plus.

Il y a donc des fragments, c’est-à-di-re des instants de vie, des événements,des rencontres et des relations qui nesont jamais perdus. C’est notre vécu.Quand nous racontons, nous revenonstoujours là, à la vie. Nous retrouvonsces fragments et nous essayons de lesrassembler, en effectuant ce que PaulRicœur appelait une configuration dela réalité. Le mythe, c’est-à-dire le cane-vas, précisément comme la trame d’un

vêtement, imite la réalité regardée com-me point de départ. Et selon la ma-nière dont nous rassemblons les frag-ments, nous donnons un certain sensau récit plutôt qu’un autre. Ceux quitravaillent au montage d’un film, d’undocumentaire ou d’une interview le sa-vent bien: selon la façon dont nous dé-cidons de coudre ensemble les mor-ceaux, nous fournissons une interpréta-tion à ce que nous voulons dire. Etnous savons bien que l’honnêteté, lacohérence et la vérité entrent en jeuprécisément à ce moment de la narra-tion.

Chaque fois que nous racontons,nous avons toujours à l’esprit un audi-teur, un lecteur ou un spectateur. S’il

vid, elle parle d’un homme riche quiavait un troupeau nombreux et qui em-porte la seule brebis d’un homme pau-vre. David reconnaît le mal de cette ac-tion et Nathan l’aide à se revoir danscette histoire, comme dans un miroir.Au fond, toute l’Ecriture Sainte metcette dynamique en marche: elle racon-te les dynamiques profondes du cœurhumain, afin que chacun, sans se sentirdirectement jugé, puisse se revoir et re-c o m m e n c e r.

L’identité qui apparaît à travers lanarration n’est pas seulement celle indi-viduelle, mais c’est également l’identitéd’un peuple, d’une culture, d’un cou-ple... C’est précisément pour cette rai-son que la narration peut constituer unparcours de réconciliation: quand lesparties sont en conflit, elles racontentune histoire partielle, d’un certain pointde vue. Un parcours de réconciliationpeut en revanche déclencher un proces-sus qui permet de construire ensemblela narration, de manière à ce qu’elle nesoit plus partielle, mais qu’elle soit lerécit dans lequel nous revoyons notrehistoire. Aujourd’hui, nous nous ren-dons compte, en revanche, que les nar-rations sont utilisées de manière inver-se, elles servent à construire des visionsantagonistes qui accroissent les conflitset les oppositions.

Les récits ont bien évidemment unimmense pouvoir, parce qu’ils réussis-sent à créer des réalités qui n’existentpas: nous créons des personnages, deshéros ou des victimes seulement parcequ’il est très difficile de distinguer entrela narration et la réalité. En particuliersi nous n’avons pas un accès direct à ceque sont les choses, nous nous en re-mettons à ce qui nous est dit. Le dis-cernement, comme le Pape François lerappelle dans son message pour lescommunications sociales de 2020, restele seul antidote possible pour ne pas selaisser tromper. Dans 1984, Orwell ra-contait comment le Ministère de la Vé-rité avait exactement pour but de créer,à travers la production de documentsou l’altération de la mémoire, une réali-té qui n’avait jamais existé. Au-j o u rd ’hui, les médias agissent souventde cette manière, en créant, à travers lanarration, des héros qui n’ont jamaisexisté, ou bien peuvent détruire unepersonne avec le simple objectif decréer un ennemi dont parler et contrelequel catalyser les pulsions des lec-teurs.

Les récits sont puissants car, commel’a affirmé Giorgio Agamben dans Lefeu et le récit, ils nous permettent d’ha-biter là où nous ne pouvons plus être.La foi juive et la foi chrétienne se fon-dent elles aussi sur un événement au-quel il est possible de revenir à traversla mémoire d’un récit: le dernier repasen Egypte et la dernière cène de Jésus.C’est le mémorial à travers lequel noussommes présents à cet événement nonpas physiquement, mais réellement.

Il serait peut-être très bénéfique derecommencer à faire place aux récits,apprendre à raconter et lire une his-toire. En revanche, la perte de ce donpourrait peu à peu devenir l’incapacitéde reconnaître ce que nous sommes.

n’est pas présent physiquement, nousavons cependant à l’esprit un interlocu-teur implicite. Nous écrivons ou nousparlons toujours pour quelqu’un. Nousvoulons que notre récit soit lu d’unecertaine manière. Nous tirons les filsafin que l’on voie ce que nous voulonsmontrer. Et dans ce cas aussi, il n’estpas difficile d’imaginer la manipulationque nous pouvons parfois effectuerpour inciter celui qui écoute, qui voitou qui lit à se former une certaine idéedes choses.

Les histoires nous impliquent donctoujours, car elles ont un inévitable ef-fet cathartique, elles nous permettentde faire sortir ce qui habite en nous,sans nous sentir jugés. Précisément par-ce qu’une histoire part du vécu réel,touche inévitablement quelque chosede nous. C’est précisément dans cettedynamique qu’Aristote reconnaissaitdéjà l’efficacité de la tragédie: le spec-tateur se revoyait dans les vertus du hé-ros ou dans les événements douloureuxdu destin. De cette manière, il pouvaitmanifester, de manière protégée, lespulsions qui accompagnaient cesscènes. La tragédie parlait de chaqueAthénien sans attribuer ces comporte-ments à quelqu’un en particulier. C’estce qui arrive également au Roi Davidaprès son péché avec Bethsabée, quandle prophète Nathan lui raconte une his-toire: cette histoire ne parle pas de Da-

PIERO DI DOMENICANTONIO

Le bleu du ciel, le vert des vignes, le blanc de lachaux sur les trulli. Aujourd’hui, ce sont les cou-leurs de la vallée d’Itria qui remplissent les yeuxde Manoocher Deghati. Des couleurs bien diffé-rentes de celles qu’il a fixées sur la pellicule etgravées dans sa mémoire au cours des plus dequarante ans de travail comme photographe-re-porter pour les plus importantes agences depresse internationales: le rouge du sang des in-nocents, le gris foncé de la fumée des puits depétrole incendiés dans le désert, le noir de l’ob-scurité de la prison des femmes condamnées àmort.

Récompensé par deux World Press Photo,l’oscar du photo-journalisme, Manoocher De-ghati a commencé sa carrière au cours de la ré-volution khomeyniste en Iran, le pays où il estné, il y a 65 ans. Exilé, il est ensuite devenu cito-yen du monde de par sa profession, racontant àtravers les images les principales crises des der-nières décennies. Il vit aujourd’hui dans unensemble de vieux trulli (habitations typiquesdes Pouilles, ndT), qu’il a rénovés en mêlant lacordialité et les parfums de la campagne des Po-uilles avec la gentillesse et les arômes de sa terred’origine. «Ici, je me sens chez moi», raconte-t-il, tandis qu’il offre à ses hôtes une tasse de thénoir au gingembre et qu’il montre une série dechapelets — «tous ne sont pas chrétiens», ex-plique-t-il, en les indiquant à l’entrée de son bu-reau — qu’il a collectionnés au cours de ses in-nombrables voyages: de l’Afghanistan à l’Egyp-te, de l’Amérique centrale à Sarajevo, de l’Irak àla Palestine... comme l’indiquent les étiquettessur les grandes boîtes en plastique qui conser-vent l’archive des négatifs et des diapositives.

Manoocher Deghati, avez-vous lu le message duPape François pour la journée des communicationssociales de cette année? Il parle du besoin de racon-ter, et donc il parle aussi de vous.

Oui, le message du Pape correspond bien àma vie. Raconter des histoires est ma passion entant que photojournaliste. De belles histoires,mais aussi des histoires tristes. Dans tous les cas,des histoires vraies, comme le sont les révolu-tions, les guerres, les catastrophes naturelles. Laphotographie existe depuis 150 ans, mais depuistoujours, comme le dit le Pape, l’homme vit denarrations. Au début, on se retrouvait autour dufeu. Puis, on a commencé à dessiner des graffitissur les parois des grottes. A présent, nous avonsà disposition des moyens qui nous permettent departager nos images avec des millions, des mil-liards de personnes. Nous avons une grande op-portunité et nous devons savoir l’utiliser poursusciter l’espérance, pour encourager des réac-tions positives, même si nous devons raconterdes histoires horribles. Mais quand tu racontesdes histoires terribles, tu dois le faire pour dé-noncer la méchanceté.

Cette «passion» vous a conduit à risquer votre vie,comme cela a été le cas le 26 septembre 1996,quand vous avez été grièvement blessé par un franc-tireur au cours des affrontements entre Palestinienset militaires israéliens.

Si tu es photographe, pour raconter une his-toire, tu dois être au cœur de l’action. Et cela estle prix à payer.

Comment raconte-t-on une histoire à travers unep h o t o g ra p h i e ?

Avant tout, il faut s’intéresser à ce que l’onveut raconter. Il faut connaître. Il faut savoir

pourquoi on veut le raconter. C’est le plus im-portant. Après, on peut choisir si le faire à tra-vers une seule image ou à travers une séried’images. Pour le «National Geographic», ilm’est arrivé de consacrer deux ans à deux repor-tages en Turquie. J’ai travaillé sur place égale-ment pendant plus d’un mois d’affilé pour en-trer dans la réalité de ce pays. A la fin, j’ai utili-sé près de mille rouleaux — à l’époque, on com-ptait les pellicules! — et trente photos ont étépubliées. Pour France Presse ou pour l’Asso cia-ted Press, je prenais des photos pour des repor-tages. Mais je consacrais toutes mes énergies àréussir à prendre «la» photo, celle capable decontenir toutes les informations, tous les élé-ments nécessaires à faire comprendre égalementaux autres ce qui se déroulait sous mes yeux. Etpour faire passer un message.

Et quel est votre message?

Quand je me suis retrouvé dans des zones deguerre, j’ai toujours senti que mon devoir étaitcelui de dénoncer l’horreur de la guerre. Parceque je déteste les guerres. Je sentais que celaétait mon devoir. Et la photographie est l’i n s t ru -ment le plus efficace pour faire passer ce messa-ge. C’est un langage universel que tout le mondepeut comprendre. Il n’y a pas besoin de bagagesculturels particuliers pour comprendre une ima-ge. C’est toute la force de la photographie.

Quel est votre rapport avec les personnes que vousp h o t o g ra p h i e z ?

La relation avec les autres est très importante.On ne va pas dans un lieu, en sortant son appa-reil photo et en faisant clic. Non. Ce n’est pascomme ça que cela fonctionne. Il faut toujoursfaire comprendre quelles sont tes intentions. Situ veux raconter leurs histoires de façon honnê-te, alors tu verras que les portes s’ouvriront. Trèssouvent, en particulier dans les zones de guerre,il m’est arrivé que les gens me disent: «Vas-y!Prends des photos! Fais voir au monde combiennous souffrons. Ton œil est notre voix». Etquand cela arrive, cela veut dire que tu as réussià faire quelque chose de véritablement positif.

Un photographe de guerre peut-il raconter de bonnesh i s t o i re s ?

Oui, même s’il doit raconter le mal. Parce quequand il prend une photo, c’est comme s’il di-sait: «Voilà le mal qui ne doit pas exister». Si jen’en avais pas été convaincu, je n’aurais pas fait

ce métier. Je crois, et j’ai toujours cru, que pho-tographier, raconter des histoires, doit avoir unretour positif sur la société, doit susciter le chan-gement.

Certaines de vos photos ont atteint cet objectif...

Quelque chose a changé au niveau internatio-nal quand sur certains journaux, sont apparusdes photographies montrant les atrocités perpé-trées par des régimes autoritaires. A partir de cemoment, personne ne pouvait plus affirmer nepas savoir.

Comment votre profession est-elle en train de chan-ger?

Les journalistes, en particulier les photo-jour-nalistes, font peur au pouvoir. Parfois, on noustire dessus. D’autres fois, on nous arrête. Mais lameilleure façon de nous arrêter est de couper lesfonds pour l’information: sans argent, on nepeut pas voyager, on ne peut pas aller voir. Touta commencé il y a plus de vingt ans, par une dé-cision éditoriale prise au niveau mondial. Il arri-ve ainsi qu’un jeune qui, par exemple, s’est ren-du en Syrie au risque de sa vie revienne avec desphotographies incroyables, mais que personne neveut publier. «Nous n’avons pas de fonds», di-sent-ils. Puis, tu t’aperçois que pour un gossip,ils paient jusqu’à cent mille euros. Ils ont bel etbien l’argent, mais pas pour la vérité.

ment. La diffusion des smartphone fait que del’Amazonie jusqu’aux grandes capitales euro-péennes, il y a toujours quelqu’un prêt à prendreune photo. Quand j’ai commencé à travailler,nous étions sans doute une centaine de photo-re-porters dans le monde entier. A présent, nousavons des milliards de photographies. C’est in-croyable. Il n’est plus possible de cacher quelquechose. Nous sommes tous témoins. Et au mo-ment où nous partageons ces images, nous nesommes pas des témoins silencieux. L’exemple leplus récent est le meurtre de George Floyd àMinneapolis. Les images de sa mort n’ont pasété prises par un professionnel. Pourtant, ellesont eu un effet incroyable au niveau planétaire,mobilisant des millions de personnes contre leracisme. C’est un bon exemple de la façon dontles images peuvent changer le monde.

C’est le pouvoir des images...

La photo du Pape seul, place Saint-Pierre, quiprie pour demander que le monde soit libéré dela pandémie est elle aussi d’une puissance ex-traordinaire. Parce ce que ce n’est pas une imageconstruite, mais c’est la vérité. Sur cette placequi était jusqu’à quelques jours auparavant em-plie de fidèles, le Pape a voulu dire avec force«Je suis là. Même si vous ne pouvez pas venir,je suis avec vous». Voilà le message.

Les smartphones et les mé-dias sociaux ont-ils égale-ment eu une influence?

J’ai enseigné la photo-graphie dans le mondeentier: du Guatémala àl’Afghanistan, où j’aifondé la première écolede photo-journalisme ou-verte également aux fem-mes. J’ai toujours penséen effet qu’une histoirepouvait être mieux ra-contée par ceux qui lavivent que par nous, en-voyés, qui habitons àNew York, ou à Paris, etqui nous rendons dansces lieux pendant une se-maine. Aujourd’hui, leschoses changent rapide-

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page 8 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 juillet 2020, numéro 27

En vue de la prochaine canonisation du père Charles de Foucauld

Homme de la charité au-delà des frontièresPar décret du 26 mai 2020 de la Congréga-tion pour les causes des saints, le PapeFrançois a autorisé la canonisation du bien-heureux père Charles de Foucauld, béatifiéle 13 novembre 2005 par Benoît XVI.

Ce futur saint de l’Eglise catholique estconnu pour avoir mené une vie d’ermite aumilieu des Touaregs dans le Sahara au dé-but du XXe siècle, témoignant l’Evangile aucœur de populations musulmanes, dans unenvironnement hostile et particulièrementexigeant.

Cette figure qui dépasse de loin les fron-tières de l’Eglise, dont l’action s’inscrit aussidans le contexte politique de son époque,celle de la colonisation française del’Afrique du Nord et d’une grande partie duSahara, est riche de significations tant sur leplan de la spiritualité, du dialogue avec l’is-lam, de la mission évangélisatrice de l’Egliseet de la quête personnelle de Dieu.

Le père Bernard Ardura, président duComité pontifical des sciences historiques,postulateur de la cause en canonisation deCharles de Foucauld, dont nous proposonsici un entretien avec Vatican News, revientsur le sens de cette annonce: «C’est un évé-nement très important pour la vie de l’Egli-se en Algérie. Ne l’oublions pas, les chré-tiens présents en Algérie sont une infimeminorité, mais c’est une Eglise composéed’étrangers qui est extrêmement vivante etqui vit en quelque sorte les conditions mê-me qu’a vécues Charles de Foucauld, nonpas en prêchant dans les rues mais en don-nant le témoignage de ce que signifie êtrechrétien, être disciples du Christ, être desmissionnaires de son amour. Alors je croisque c’est un événement très important pourl’Eglise universelle.

En tout cas, en ce qui concerne l’Algérie,quand on reparcourt l’histoire de l’évangéli-

sation de ce pays — l’envoi des missionnai-res — on se rend compte qu’il s’agit ici etmaintenant de semer par le témoignage del’amour. Et puis, c’est le Seigneur qui feracroître cette moisson avec l’espérance qu’unjour cette Eglise qui est en l’Algérie soit en-core plus florissante qu’elle ne l’est au-j o u rd ’hui».

Lors de la Messe célébrée en décembre 2016 àl’occasion du centenaire de l’assassinat deCharles de Foucauld, le Pape François avaitsalué son témoignage «qui a fait du bien àl’Eglise». Comment définir l’apport de Charlesde Foucauld à l’Eglise universelle?

D’abord, je dirai que Charles de Foucauldest un homme qu’on prend au sérieux, et onprend son message au sérieux parce qu’il avécu, au jour le jour, le contenu même de safoi. Il ne s’est pas perdu dans d’innombra-bles paroles, bien qu’il ait beaucoup écrit. Ila été le porteur d’une grande cohérence devie. C’est un thème que l’on retrouve beau-coup chez le Pape François: cohérence entrece que l’on croit, ce que l’on professe et ceque l’on vit.

Et puis, Charles de Foucauld, à uneépoque où on ne parlait pas d’œcuménismeet encore moins de dialogue interreligieux,sans avoir à parler sur le plan théologiqueavec ceux qui ne partageaient pas sa foi, aété un interlocuteur qui a été l’homme de lacharité. C’est bien cela, Charles de Foucauldfrère universel.

La vie de Charles de Foucauld a été marquéepar l’altérité, par de nombreuses résistances.Qu’a-t-on à apprendre de son charisme mis-sionnaire radical?

Charles de Foucauld nous enseigne qu’ilne faut pas nous attendre à avoir des résul-

tats immédiats. De fait, il n’a baptisé per-sonne. Mais Charles de Foucauld a vécu decette vertu d’espérance très proche de la foi,qui est cette confiance dans l’action de Dieudans les âmes. Charles de Foucauld a su re-connaître cette action de Dieu et c’est ce quilui a permis, sans se lasser, de continuer àêtre présent. Il nous rappelle aussi que c’estnotre façon d’être qui est fondamentale dansle témoignage de notre foi et dans le témoi-gnage missionnaire qui devrait être le nôtre.

Des différentes intuitions spirituelles de Charlesde Foucauld, quelles est celle qui aujourd’huidécrit le mieux son charisme?

Ce qui est le plus général et qui ne vieillitpas chez Charles de Foucauld, c’est cetterencontre du Christ dans l’écriture et dansl’Eucharistie. Pour lui, la présence du Christest centrale et donc c’est une invitation ànous qui venons d’être privés de la célébra-tion de l’Eucharistie pendant plusieurs mois,de recentrer toute notre vie sur cette rencon-tre du Christ dans l’Evangile et dans l’Eu-charistie. C’est un élément qui ne peut pasvieillir, qui fait partie de l’essence de notrevie chrétienne et qui était au cœur de la viede Charles de Foucauld.

Pauvreté, pénitence mais aussi enfouissementont caractérisé la vie de Charles de Foucauld.En cette période d’isolement liée à la pandémie,de quelle manière Charles de Foucauld peut-ilnous aider à traverser cette épreuve?

Charles de Foucauld a vécu cela lui-mêmedans son désert. Il est resté très longtempssans pouvoir célébrer la Messe et l’Eucharis-tie. Alors je crois qu’en ce temps qui est lenôtre, il est très important de nous confier àl’intercession de ceux qui, comme Charlesde Foucauld, ont été les témoins de cetteprésence du Christ et qui ont vécu réelle-ment de cette présence, qui se sont nourrisde l’Eucharistie et de la médiation del’Evangile. (Hélène Destombes)

Lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi aux Frères de la Charité

L’euthanasie est un acte inadmissible

Nous publions la lettre que le cardinal-préfet dela Congrégation pour la doctrine de la foi aadressée au supérieur général des Frères de laCharité, René Stockman, à propos de la questionde l’euthanasie dans les hôpitaux psychiatriquesde la même congrégation en Belgique.

Rév. Fr. René, supérieur général

En mars 2017, sur le site de la branche bel-ge de la congrégation des «Frères de la Cha-rité», a été publié un document qui admet —à certaines conditions — la pratique de l’eu-thanasie dans une structure hospitalière ca-tholique. Cette pratique, soutenue par l’asso-ciation Provincialat des Frères de la CharitéASBL, se base fondamentalement sur trois cri-tères: l’inviolabilité de la vie, l’autonomie dupatient et le rapport de soin. Un tel docu-ment ne fait cependant pas référence à Dieu,ni à l’Ecriture Sainte, ni à la vision chrétiennede l’homme.

La Congrégation pour la doctrine de la foiqui avait déjà désapprouvé ce document, aécrit au supérieur général, demandant deséclaircissements et, lors de l’audience du 20mai 2017, le préfet du dicastère de l’époque ainformé le Saint-Père de la gravité du cas.

Du 27 juin 2017 jusqu’à aujourd’hui, lescontacts et les rencontres se sont succédé en-

tre la Congrégation pour la doctrine de lafoi, la Congrégation pour les instituts de vieconsacrée et les sociétés de vie apostolique, lasecrétairerie d’Etat, les représentants desFr è re s et de l’association Provincialat desFr è re s , ainsi que les représentants de la confé-rence épiscopale belge, visant à offrir des oc-casions et des espaces de dialogue sur unthème extrêmement délicat et trouver ainsi,dans un esprit d’ecclésialité sincère, une con-vergence sur la doctrine catholique sur cep oint.

On doit rappeler les nombreuses réunionsinterdicastérielles du 31 août et du 7 novem-bre 2017, du 1er février, 15 mars, 20 juin et 12octobre 2018 et du 20 juillet 2019, la lettre dece dicastère au supérieur général des Fr è re sdu 30 juin 2017, le document Principes à res-pecter dans l’accompagnement des patients dansles hôpitaux psychiatriques et la rencontre élar-gie à Rome du 21 mars 2018. En ce siège, lesecrétaire d’Etat et les préfets de la Congréga-tion pour la doctrine de la foi et de la Con-grégation pour les instituts de vie consacréeet les sociétés de vie apostolique ont deman-dé aux représentants des Fr è re s et de l’asso-ciation Provincialat des Frères d’affirmer parécrit et sans équivoque leur adhésion aux

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numéro 27, mardi 7 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 9

L’OSSERVATORE ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

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Lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi

principes de la sacralité de la vie humaine et del’inacceptabilité de l’euthanasie, et, comme con-séquence, le refus absolu de l’exécuter dans lesinstitutions qui dépendent d’eux. Malheureuse-ment, les réponses parvenues n’ont pas donnéd’assurance sur ces points.

L’euthanasie reste un acte inadmissible, mêmedans les cas extrêmes, car «c’est une grave viola-tion de la Loi de Dieu, en tant que meurtre déli-béré moralement inacceptable d’une personne hu-maine. Cette doctrine est fondée sur la loi natu-relle et sur la Parole de Dieu écrite, elle est trans-mise par la tradition de l’Eglise et enseignée parle Magistère ordinaire et universel» (Jean-Paul II,Evangelium vitae, n. 65).

Pour sa part, François a affirmé que «le contex-te socio-culturel actuel mine progressivement laconscience de ce qui rend la vie humaine précieu-se. En effet, celle-ci est de plus en plus souventévaluée en raison de son efficience et de son utili-té, à tel point que l’on considère comme des «viesrejetées» ou des «vies indignes» celles qui ne ré-pondent pas à ces critères. Dans cette situation deperte des valeurs authentiques, les devoirs impéra-tifs de solidarité et de fraternité humaine et chré-tienne disparaissent. En réalité, une société mérited’être qualifiée de «civile» si elle développe lesanticorps contre la culture du rejet, si elle recon-naît la valeur intangible de la vie humaine; si lasolidarité est effectivement pratiquée et sauvegar-dée comme fondement de la coexistence» (Fran-çois, Discours aux participants à l’assemblée plénièrede la Congrégation pour la doctrine de la foi, 30 jan-vier 2020). En outre, il a réaffirmé que «l’a p p ro -che relationnelle — et pas simplement clinique —avec le malade, considéré dans l’unicité et l’inté-gralité de sa personne, impose le devoir de ne ja-

mais abandonner personne en présence de mauxincurables. En raison de sa destination éternelle,la vie humaine conserve toute sa valeur et toutesa dignité en toute situation, y compris de préca-rité et de fragilité, et en tant que telle, elle esttoujours digne de la plus haute considération»(ibid.).

Dans ces derniers mots, le Pape François tou-che le thème de la «compassion», qui est toujoursplus invoquée par l’opinion publique pour justi-fier l’euthanasie.

Jean-Paul II avait déjà éclairci sans équivoqueque l’euthanasie est «une fausse pitié, et plus enco-re une inquiétante «perversion» de la pitié: en ef-fet, la vraie «compassion» rend solidaire de lasouffrance d’autrui, mais elle ne supprime pas ce-lui dont on ne peut supporter la souffrance. Legeste de l’euthanasie paraît d’autant plus une per-version qu’il est accompli par ceux qui — commela famille — devraient assister leur proche avec pa-tience et avec amour, ou par ceux qui, en raisonde leur profession, comme les médecins, devraientprécisément soigner le malade même dans lesconditions de fin de vie les plus pénibles» (Evan-gelium vitae, n. 66).

En synthèse, l’enseignement catholique affirmedonc la valeur sacrée de la vie humaine; l’imp or-tance du soin et de l’accompagnement des mala-des et des porteurs de handicap; la valeur chré-tienne de la souffrance; l’inacceptabilité morale del’euthanasie; l’impossibilité d’introduire cette pra-tique dans les hôpitaux catholiques, pas mêmedans les cas extrêmes, tout comme collaborer àcet égard avec les institutions civiles.

Il semble évident que la position du groupedes Frères de la Charité en Belgique ne répondpas à ces principes. En effet, celle-ci: 1.) refuse lecaractère absolu du respect pour la vie, c’est-à-di-re qu’elle met en doute que la vie d’un être hu-

main innocent doive être «toujours» respectée,laissant ouverte la possibilité d’exceptions; 2.) ence qui concerne l’importance du soin et de l’ac-compagnement des patients psychiatriques, elle seréfère à la loi belge sur l’euthanasie, en en envisa-geant clairement la possibilité pour les patientspsychiatriques non terminaux; 3.) elle laisse auxmédecins la responsabilité et le droit d’accepter larequête d’euthanasie ou de la refuser («acte médi-cal»), en excluant ainsi le choix de l’hôpital;4.) elle maintient la possibilité de l’euthanasie ausein de l’institut avec la justification d’éviter auxfamilles la difficulté de devoir trouver une autresolution.

Le rapport du visiteur apostolique, S.Exc. MgrJan Hendriks, n’a lui aussi enregistré aucun pasen avant, dans la mesure où, de celui-ci, ressort laprofonde difficulté de maintenir le lien entre lesœuvres et la congrégation des Frères de la Chari-té, du moment que les responsables n’acceptentpas de s’engager à trouver une solution praticablequi évite toute forme de responsabilité de l’insti-tution pour l’euthanasie.

C’est pourquoi, au terme de ce chemin long etdouloureux et ayant constaté le manque de volon-té d’accepter la doctrine catholique à propos del’euthanasie, bien qu’avec une profonde tristesse,nous communiquons que les hôpitaux psychiatri-ques gérés par l’association Provincialat des Frèresde la Charité ASBL en Belgique ne pourront plus,dorénavant, se considérer comme des institutionscatholiques.

Resp ectueusement,LUIS F. CA R D. LADARIA, S.J.

P ré f e t

GIACOMO MORANDIS e c ré t a i re

SUITE DE LA PA G E 8

Collège épiscopal Audiencesp ontificales

Administrateurap ostolique

Le Saint-Père a nommé:

25 juin

S.Exc. Mgr GRZEGORZ RYŚ, archevêque métro-politain de Łó dź: administrateur «sede plena»du diocèse de Kalisz (Pologne).

Le Saint-Père a reçu en audien-ce:

24 juin

S.Exc. Mgr DOMENICO COR-NACCHIA, évêque de Molfetta-Ruvo-Giovinazzo-Terlizzi (Ita-lie).

25 juin

S.Em. le cardinal LUIS FRAN-CISCO LADARIA FERRER, préfetde la Congrégation pour ladoctrine de la foi;S.Exc. Mgr ALFRED XUEREB,archevêque titulaire d’Amantea,nonce apostolique en Corée eten Mongolie.M. GILBERT F. HO U N G B O, pré-sident de l’«International Fundfor Agricultural Development»(I FA D /FIDA).S.E. Mme SAFIA TALEB ALSOUHAIL, ambassadrice d’Iraken Italie, avec son mari.le frère Alois, prieur de Taizé.

Nomination

Le Saint-Père a nommé:

23 juin

S.Exc. Mgr JOSE A. CA B A N TA N : archevêque métro-politain de Cagayan de Oro (Philippines), le trans-férant du siège épiscopal de Malaybalay.

Né à Lagonglong, Misamis oriental (Philippines),le 19 juin 1957, il a été ordonné prêtre le 30 avril1990 pour le clergé de l’archidiocèse métropolitainde Cagayan de Oro. Elu le 18 février 2010 au siège

résidentiel de Malaybalay, il a été ordonné évêquele 30 avril suivant. Au sein de la conférence épisco-pale philippine, il préside la commission pour lescommunautés de base.

Démissions

Le Saint-Père a accepté la démission de:

23 juin

S.Exc. Mgr ANTONIO J. LEDESMA, S.J., qui avait de-mandé à être relevé de la charge pastorale de l’ar-chidiocèse métropolitain de Cagayan de Oro (Phi-lippines).

S.Exc. Mgr LUIS ARMAND O TINEO RIVERA, quiavait demandé à être relevé de la charge pastoraledu diocèse de Carora (Venezuela).

24 juin

S.Exc. Mgr PHILIP LASAP ZA HAW N G qui avait de-mandé à être relevé de la charge pastorale dudiocèse de Lashio (Myanmar).

S.Exc. Mgr LUCAS JE I M P H AU N G DAU ZE, S.D.B.,jusqu’à présent évêque coadjuteur du mêmediocèse, lui succède dans sa charge.

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page 10 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 7 juillet 2020, numéro 27

L’Urbs de Grégoire-le-Grand

Un Pape, une villeMARIO SPINELLI

Les Papes nés à Rome sontpresque une centaine, présentsen particulier au cours du pre-mier millénaire. Le plus récentd’entre eux est en revanche as-sez proche, Pie XII, mort à Cas-tel Gandolfo en 1958. Une gran-de figure, c’est certain, commele sont d’autres parmi les nom-breux papes «doublement» ro-mains. Mais le plus grand detous est un romain-chrétien«d’origine contrôlée» plus quetout autre, et il est difficile d’endouter. Car nous sommes entrain de parler de Grégoire Ier

(540-604), le deuxième Pape ho-noré du titre de «Grand» aprèsLéon Ier mort en 440, et avantJean-Paul II, le troisième Grandde l’histoire de l’Eglise, dont onfête cette année les 100 ans de lanaissance. La mémoire du PapeGrégoire a été rappelée il n’y apas très longtemps, en 2004; samort ne remontait cependantpas à 100 ans, mais à 1400 ans.Et somme toute, cela a été unebonne occasion, comme cela ar-rive souvent (mais pas toujours)dans ces cas, pour célébrer etaussi pour relire de manière cri-tique les termes de la grandeurde Grégoire Ie r, Pape romain.

Des termes qui sont tels et sinombreux que, même en lessynthétisant, on devient prolixe.Dans un corps menu et travaillépar l’ascèse (voir le chef-d’œu v repictural de l’époque baroque deJosé de Ribera, où Grégoire estreprésenté comme l’ancien moi-ne qu’il était, mais vêtu du rou-ge des papes), ce fils de la«crème» de Rome, né de la gensAnicia et façonné par la meilleu-re éducation classique, quin’était cependant plus celled’a u t re f o i s , en équilibre sur lacrête abrupte entre l’antiquitétardive et le haut moyen-âge,concentra entre ses mains fineset dans un esprit immense uneénergie, une lucidité, une déter-mination qui étonne encore.Ayant entamé le cursus honorum,il fut Praefectus Urbi mais il s’ar-rêta là, et l’histoire l’en remercie.En effet, il fut foudroyé parsaint Benoît, se convertit au cé-nobitisme et son premier vraimérite historique est d’avoir in-troduit la culture bénédictine àRome et, en tant que Pape,dans toute l’Europe. Aupara-vant, avant le pontificat, il avaitété diplomate à Constantinople,apprenant l’art difficile de jouersur plusieurs tableaux, l’un plusrisqué que l’autre: des Byzantinsau capricieux empereur Mauri-tius, des Goths aux Vandales,des Lombards à la noblesse ro-maine anarchique. Il jeta les ba-ses de l’idée d’Europe, choisitrésolument l’Occident (voirl’évangélisation de la provincede la Britannia), convertit ceuxqu’on appelait les barbares et ef-

fectua la fusion de Gothia et Ro-mania en inventant le moyen-âge. Et parmi ses nombreux en-gagements, il trouva le temps decréer le chant grégorien etd’écrire des chefs-d’œuvre com-me les Moralia in Job et la Rego-la Pastoralis, qui selon un conse-nsus unanime l’ont promu aurang des «grands» de la patris-tique latine, à côté de Jérôme,Ambroise et Augustin.

Mais nous nous arrêterons icisur un aspect de Grégoire qui,dans un certain sens, les repré-sente tous, de manière iconique,c’est-à-dire sa profonde et totaleidentification avec Rome.L’Urbs du classicisme et duchristianisme, des Césars et desPapes, du Consul Dei, commefut appelé ce grand Pape, et duServus servorum Dei, comme ils’appela lui-même. Une identifi-cation si forte que reconstruirele parcours humain, spirituel,politique, ecclésial de Grégoiredans la Rome contemporaineéquivaut à accomplir, en em-pruntant un terme au lexiquetouristique (absit iniuria verbo),un itinéraire thématique d’un in-térêt extrême.

Partons donc de là où tout acommencé, la naissance. Le lieuoù Grégoire vit le jour est in-diqué par une vénérable tradi-tion dans le site de la petiteéglise du XVIIIe siècle, San Gre-gorio della Divina Pietà, ou SanGregorietto ai Quattro Capi, oùse trouvaient les domus des Ani-ci. Un parallélépipède rococo depierre jaune ocre, isolé commeune sorte de petite armoire entreMonte Savello et le Lungoteverede’ Cenci. Personne n’y fait at-tention, encore moins les per-sonnes qui descendent de ma-nière continue des autobus àl’arrêt situé en face; pourtant, ilest chargé d’histoire, aussi bienen raison de la mémoire de Gré-goire, que comme antique sièged’une confraternité consacrée àl’assistance des «honorables fa-milles pauvres et honteuses», lesnobles tombés en décadence,comme on le lit à côté de la fen-te pour les oboles encore pré-sente. Ce n’est pas tout. Au des-sus de l’entrée, il y une citationsurréaliste d’Isaïe, en hébreu eten latin, dirigée contre les juifs,qui étaient quelquefois obligésd’écouter en ce lieu les homéliesadressées aux fidèles. C’est heu-reusement un passé lointain,bien avant que le troisième«Grand», le Pape Wojtyła, nevisite la synagogue de Rome etne salue chez les juifs nos«frères aînés bien-aimés».

Allons vers l’est et rejoi-gnons… ce qui n’existe plus!Nous parlons de la Velia, la col-line basse située entre le Palatin,le Fagutal et l’Oppio, rasée àzéro dans les années 20 pourélargir la via dei Fori Imperiali.C’est là que selon certaines épi-

graphes devait se trouver laPraefectura Urbi, une administra-tion dirigée par Grégoire jusquevers 575, alors qu’il avait 35 ans.Une charge très élevée, quelquechose d’intermédiaire entre lepréfet, le maire et le questeur,exercée auparavant par JuniusRusticus qui, en 165, avait faitjuger et condamner le philoso-phe Justin au martyre. C’estpeut-être aussi pour cette raisonque, quand il le découvrit, le fu-tur Pape démissionna de lacharge de P ra e f e c t u s . Mais sur-tout parce qu’il se convertit à lavie bénédictine et fonda l’unedes merveilles de Rome: auxpieds du Caelius, du côté de lavia Appia, si nous fermons lesyeux nous pouvons imaginer,sur la pente, la somptueuse villa«suburbaine» des Anici. Lenouveau moine Grégoire la dé-pouilla, donna tout aux pauvreset y fonda l’abbaye bénédictinede Sant’Andrea, dont il devintl’abbé. Aujourd’hui s’y élève lasplendide église San Gregorio alCelio, et dans le monastère adja-cent les fils de Benoît on été«remplacés» par les sœurs deMère Teresa, qui comme le Pa-pe-cénobite prient et aident lespauvres. Sur le côté opposé, lelong du Clivus Scauri qui monteà la Navicella, on trouve lestrois célèbres Oratoires deSant’Andrea, Santa Silvia etSanta Barbara. Des édifices uni-ques, remontant à Grégoire et àsa mère Silvia, qui témoignentde leur vie de prière et de cha-rité.

En tant que Pape, il habita auLatran. En effet, si dans la basi-lique du Latran les Papes offi-ciaient et prêchaient au peuple,pour le reste, du IVe au XIVe siè-cle, ils vécurent dans le Patriar-chio, qui se trouvait là où se si-tue à présent la Scala Santa,mais qui était bien plus grand.Le mystérieux «nicchione» avecla mosaïque restaurée par Fugaqui s’ouvre sur la place n’estrien d’autre que l’abside de l’im-mense salon du premier palaispapal. Dans le Sancta Sanctorumde la Scala Santa, la «chapelleSixtine» de l’époque, se trouveun icône miraculeuse du Christqui remonte à Grégoire et appe-lée Ac h é ro p y t e , n’ayant pas étépeinte de main d’homme. LePape la porta probablement enprocession à Saint-Pierre aucours de la peste de 590, quandla tradition veut que l’on ait vul’archange Michel rengainer sonépée sur la Mole Adriana, signeque l’épidémie était finie.

A Castel Sant’Angelo, nousnous trouvons donc sur un autresite de la Rome grégorienne.Pour la dernière étape, il serasuffisant de franchir le seuil deSaint-Pierre, de rejoindre la nefgauche la plus extérieure etd’entrer dans la chapelle Clé-mentine. Là, au-dessus de l’autelde droite, Grégoire-le-Grand estpeint alors qu’il entaille avec unstylet un lin blanc miraculeuse-ment ensanglanté après avoirtouché des martyrs. Conservéesous l’autel, sa dépouille reposedans l’attente de la Résurrec-tion.

Antonello da Messina,« G ré g o i re - l e - G ra n d »