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1111e gIise €aro1iiigieiiii A SAINT-PHILBERT DE GRA1NDLIEU (L0TaE-I N PÉRI EU nE) •0 Le bourg de Saint-Philbert de Grandlieu possède, depuis trente ans, deux églises: une nouvelle, bâtie à grands frais sur un plan très vaste, au milieu d'une place immense, et une autre,, d'apparence misérable, enveloppée de maisons et de constructions de toute sorte, qui sert aujourd'hui de remise aux voitures et de halte les jours de marché. Cette dernière a été abandonnée par le clergé catholique parce qu'elle devenait insuffisante et aussi parce qu'elle menaçait ruine dans plusieurs endroits. Les murs latéraux, portés â une hauteur démesurée, ne pouvant plus supporter la charpente, furent abais- sés de 2 mètres, les bois allégés et les fenêtres en partie supprimées. Dans ces conditions, il était impos- Document r iiti III 111111 1111111111 j ffiI!" 0000005404254

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1111e gIise €aro1iiigieiiiiA

SAINT-PHILBERT DE GRA1NDLIEU

(L0TaE-I N PÉRI EU nE)

•0

Le bourg de Saint-Philbert de Grandlieu possède,depuis trente ans, deux églises: une nouvelle, bâtieà grands frais sur un plan très vaste, au milieu d'uneplace immense, et une autre,, d'apparence misérable,enveloppée de maisons et de constructions de toutesorte, qui sert aujourd'hui de remise aux voitures etde halte les jours de marché.

Cette dernière a été abandonnée par le clergécatholique parce qu'elle devenait insuffisante et aussiparce qu'elle menaçait ruine dans plusieurs endroits.Les murs latéraux, portés â une hauteur démesurée,ne pouvant plus supporter la charpente, furent abais-sés de 2 mètres, les bois allégés et les fenêtres enpartie supprimées. Dans ces conditions, il était impos-

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4 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

sible de conserver â, l'édifice sa destination séculaire;il était défiguré, incommode et -inhabitable pendantla mauvaise saison.

Il est douteux que les paroissiens de Saint-Philbertaient quitté avec regret leur vieille église, car onn'avait jamais rien fait (lue l'enlaidir depuis le jouroù l'on avait tenté de restaurer les dégâts commispar les Normands. Regardez la façade principaleelle est faite d'un simple pignon sans fenêtres, sanscorniche, sans modillons, sansappareillage de pierre;et la grande porte, sans aucune voussure, n'a pourdécoration qu'un' bourrelet en accolade au-dessus deson cintre brisé du xv' siècle. Cette annonce est trom-peuse. Dès que vous avez mis le pied clans l'intérieur,au lieu de gothique, vous apercevez une nef dont lestravées, au nombre de quatre, sont amorties en pleincintre, et quand vous atteignez le centre, vous êtesobligé de passer sous deux ouvertures inégales pourvous rendre dans ce qui aurait dQ former Le transept.Le choeur surélevé parait avoir été disposé pour êtrecontourné par un déambulatoire; mais quand vouscherchez le, vous allez vous heurter d'un côtéâ une sacristie construite à la hauteur de la plate-forme du niaiti-e-autel , de l'autre à une chapelle laté-rale qui barre complétenient le passage- Le choeurétait peut-être suffisant pour le clergé; niais la nef,flanquée de cieux collatéraux étroits, n'était pas enrapport avecla population des paroissiens (4000 lia-bitants). L'éclairage n'était pas non plus très aboli-dan t, surtout au nord ; les fenêtres ouvertes en pleincintre à une grande hau leu' j ie rachetaie n t pas l'ex j-gutr (les jours percés dans les lias côtés. Sur les mursnus s'étalait partout un affreux badigeon blanchâtre,

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UNE

ÉGLISE CAROLINGIENNEA

8AINT-PII1LBMtT DE GRANDL1E1J(LOIRE-INFÉRIEURE)

PAR

LÉ0N MAITIRE

AIl'lIIVS'FE lE L.%II}II1NF1}4IE1JRI

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Extrait du Bulletin monumental. - Année 1898.

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A SAINT-p}JILHERT DE:QRAN»LIETJ 5doublé de crépi ssage. qui avait Peut-être pour but derenvoyer un peu de lumiére dans les coins, mais quiétait d'un effet peu réjouissant et peu artistique. Ceplacage souvent renouvelé s'effritait çà et là et lais-sait voir des archivoltes faites avec des briques quipiquaient la curiosité des amateurs d'antiquités. L'und'eux, M. Marionneau, se hasarda sur ces données àdessiner une coupe de l'édifice, où il fit ressortir laforme et l'appareil des cintres des travées, mais sansrien révéler sur la structure des piliers qui les sup-portent (1).

Il n'a semblé que, pour présenter un édifice aumonde savant, il. Ôtait convenable de le débarrasserde toutes les difformités que le temps et Les hommesavaient accumulées sur ses membres. J'ai donc mis ànu toutes les maçonneries, j'ai fait tomber le crépis-sage et j'ai déblayé tout ce qui était enterré ou cachépar les décombres.

Bouleversements du sel

Le travail qui avait le plus modifié l'aspect inté-rieur de L'église, c'était l'exhaussement du sol. Poursuivre les apports continuels des remblais qui s'ac-complissent toujours dans tous les bourgs par suitedes réfections de chaussée et peut-être aussi pour per-mettre au clergé de pratiquer plus facilement les

(i) Marionneas,A'otiee sur tég lise de Sain t-Philber g de Grand-lieu dans les Mémoires tus à ta Sorbonne CU 1807, ArchéologieParis, ISOS), planche M.

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B tiNS ÉGLISE CAROLINGIENNE

inhumations dans l'enceinte de l'église, on changeaitle niveau du dallage de temps à autre. Malgré lesdéfenses des conciles et les arrêts des cours civiles,l'usage d'enterrer dans les églises n'a pas subi delongues interruptions il s'est rétabli surtout parnécessité, parce que les cimetières étaient exigus etaussi parce que cette faveur était un produit très lu-cratif pour les fabriques.

Le fait est certain pour Saint-Philbert. On ne peutpas donner un coup de pioche dans la nef ou les bascôtés sans déterrer des ossements humains en grandnombre. Pour retrouver la base des piliers, j'ai étéobligé de les déchausser jusqu'à O ni. 80 de profon-deur. Dans le choeur, les remblais sont plus considé-rables; ils cachent l'appareil des jambages des porteset les bases de l'hémicycle jusqu'à une hauteur de1 m. 50. Lorsque j'ai enlevé les marches et le palierqui précédaient le maître-autel, j'ai découvert l'enfeu,dans lequel les corps des curés étaient déposés. Latombe de l'un d'eux avait été longtemps signalée parune belle pierre gravée en creux, représentantl'image d'un prêtre avec une inscription du XVO siè-cle. Elle fut transformée en table d'autel dans lesderniers siècles. Cette fouille m'a fourni l'occasion deconstater que le choeur avait été carrelé ou bétonné âdeux niveaux différents.

Les remblais considérables accumulés dans unearrière-chapelle du chevet étaient destinés aussi âaugmenter le champ des sépultures, de même que lesapports de terre entassés dans tous les jardins envi-ronnants au nord et au sud. Prsonne ne se doutaitde ce travail d'exhaussement et de la présence de tantde générations ensevelies dans un périmètre aussi

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A SAINT-PHILDERT DE CRANDLIEIJ. 7

restreint; mais la vérité éclata, il y a cinquante ans,quand la commune déplaça Le cimetière et • voulutrendre les terrains â la culture. La masse des déblaisqui sortit des alentours de la vieille église est incal-culable. J'insiste sur ce fait d'enfouissement, parcequ'il nous explique l'état de conservation parfaite decertaines parties de l'édifice qui surprennent les visi-teurs.

Avant d'aménager la sacristie dans le déambula-toire du sud â la hauteur d'un premier étage, on avaitégalement • entassé dans les dessous une quantitéconsidérable de décombres, qui ont contribué â pré-server certains murs de la ruine.

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Déformation et retouche des membres de l'édifice.

Commençons par examiner la nef et voyons cequ'en ont fait les architectes ou les entrepreneurs âtravers les siécles. Je ne blâmerai pas les travauxexécutés depuis la désaffectation de l'église, par me-sure de prudence, pour éviter des lézardes dans lesparties hautes; cependant on ne peut s'empêcherd'exprimer des regrets quand on voit les vieilles fenê-tres coupées par la moitié et remplacées par deschàssjs horizontaux. Il y avait urgence d'abaisser lahauteur du choeur, mais les murailles de la nef sonttrès solides et auraient encore supporté longtemps latoiture lambrissée.

Il est démontré par des sondages pratiqués sur laplace qui précède la façade principale qu'on a sup-

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SliME ÉGLISE CAROLINGIENNE

primé une travée ; il est du reste visible â l'intérieurqu'il y a une rupture entre Le premier pilier et le pi-gnon occidental. Dès qu'on franchissait la grandeporte, on se trouvait sous un clocher fait de hautescharpentes pour la solidité duquel on avait aveugléla première travée droite et à gauche. Cet appen-dice n'avait pas toujours été en bois, tout au moinsdans ses bases, car on a découvert des fondations enavant des piliers.

Non seulement la maçoniierie des piliers était re-couverte d'un épais crépissage qui voilait complète-ment les matériaux et leur appareil, mais encore onavait mutilé les tailloirs de pierre blanche qui déco-raient les impostes tout autour du pilier; aussi biendans les bas côtés que dans l'intérieur de la travée etsur la face antérieure. Ces saillies ne sont pas tom-bées de vétusté, elles ont été martelées avec un ins-trument pointu qui a laissé des traces indéniables surla pierre. C'est l'oeuvre grossière des ravaleurs char-gés de nettoyer l'édifice et pressés d'achever leurbesogne en supprimant tout ce qui gênait leurs outils.Il en est résulté que l'aspect des arcs a été dénaturécomplètement et que la courbe du cintre en venantse confondre aven le profil du contrefort intérieurtaillé en talus a produit la figure d'un fer à chevalqui n'était pas voulu par l'architecte.

La partie centrale est bien autrement défigurée.A. la place où nous sommes habitués à voir un tran-sept, on avait édifié, sur un carré, quatre grands arcshardiment jetés comme pour servir de base à unecoupole. EnÏ'éa(ité, ils sont trop faibles pour recevoircette destination Celui qui s'ouvrait sur la nef a étéuppriiné ainsi que les p1eds-droils sur lesquels retom-

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A SAINT-PIIILBERT DE GRANDLIEU. 9

huit le cintre. L'arc ouvert sur le choeur a perdu seschapiteaux et ses colonnes, et son extradas est dé-chargé de tout poids, comme si on avait voulu faireun chanceau ou un arc triomphal pour y placer legrand Christ, qui d'ordinaire décorait l'avant-choeur.

A gauche et à droite, les baies ont paru trop larges;cependant elles ne portent pas la moindre trace delézardes. La baie des grands cintres a été remplied'une maçonnerie grossière, assemblée avec de laterre, dans laquelle on a pratiqué deux ouverturesnouvelles, dissemblables par leur forme et leur lar-geur (1) et bien plus basses et plus étroites que lespremières. A droite, l'arc est brisé et repose sur despieds-droits ordinaires avec tailloir à l'imposte, tandisqu'à gauche l'architecte a visé à l'effet en faisantretomber son plein cintre sur des chapiteaux et descolonnes, Ici, l'agencement des matériaux mérite unexamen attentif auquel je convie tous ceux qui les ontvus avant le nettoyage de ces derniers temps. Avantl'enlèvement du badigeon, il n'était pas facile dejuger de leur âge et de leur valeur artistique. Aujour-d'hui, on voit distinctement qu'il s'agit de marbresprécieux de l'antiquité, accouplés sans prétention,comme on fait dans les chantiers dépourvus de res-sources (2).

Le chapiteau placé à droite est un beau marbreblanc à quatre faces, dont trois seulement sont visi-bles, parce qu'il fait fonction de pilastre; sa corbeille,

(1)L'ouverture de droite a 2 m. 75; celle de gauche ah mètres.(2) M. Marionneau a pressenti la nature du marbre d'un côté

salis pouvoir en indiquer l'origine. Du côté gauche, il a cri' quetoute la décoration était de pierre blanche.

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10 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

ornée de volutes et de feuillage, a l'élégance et lacorrection des chapiteaux classiques; il est fouillé avecsoin et porte, â son sommet, une palmette. Avant lenettoyage, cette palmette ressemblait un peu au dessind'une petite châsse destinée à contenir des reliques,et l'un de nos meilleurs archéologues en avait concluqu'il était contemporain de l'arrivée du corps desaint Philbert, c'est-à-dire carolingien (1). Il fautrenoncer maintenant à cette interprétation. Ce petitmorwment est d'une époque antérieure.

Le chapiteau qui Lui fait pendant est au contrairepostérieur au IX' siècle, les chevrons et les dentsdescie qu'on ii sculptes sur l'abaque et la corbeille enpierre blanche, le classent parmi les monuments pos-térieurs à l'an mille.

L'un et l'autre des chapiteaux servent de couron-nement à deux colonnes en marbre vert et rouge deCampan, qui n'ont pas la même longueur et qui repo-sent suri des socles différents. Il est visible que les fûtsn'ont pas été faits pour les chapiteaux qu'ils suppor-tent ni pour la décoration â laquelle on les a appli-qués. Leur origine antique se révèle d'ailleurs claire-ment par l'astragale qui couronne leur sommet, aulieu d'être attaché à la base du chapiteau comme dansles oeuvres du moyen âge. Tout cet agencement n'apu être inventé qu'à une époque barbare, comme leXI' siècle, après les ravages des Normands. Il nousmontre ce qu'on savait faire à Saint-Philbert auX? siècle et nous ôte toute pensée d'attribuer la cons-

. (!) Vgir le dessi a qua publié NI. ISlnri0000aU dans les Méinofres

lus h la Sorbonne en $807,

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A SAINT-PIIILBERT DE GRANDL!EU.11

truction si habile de la nef à une génération aussidépourvue de goût.

Le choeur n'a pas été plus épargné que les autresparties de l'église. Le grand arc est privé de ses pi-lastres; il ne tient plus que par la cohésion des maté-riaux. Non se'ulement la grande fenêtre du fond a étérefaite au moins deux fois, puis aveuglée complète-ment, mais encore on a ouvert une porte latéralequand on a fait la sacristie derrière le chevet, sousLouis XIV, puis creusé un placard dans le côté gau-che, changé les paliers et obstrué les ocuti qui per-mettaient de plonger le regard dans le sous-sol. Enfin,on a étalé partout un revêtement de plâtre pour ydessiner des corniches, des pilastres et de faussesarcades dans le goût du XVII' siècle de telle sorteque tous les caractères de l'architecture primitiveavaient disparu.

L'arrière-chevet a subi aussi quelques déformations,qui apparaissent plu ' nettement que jamais mainte-nant que les décombres et les terres ont été enlevés.Au nord, plus de clôture, plus de toiture au sud,.obstruction complète de l'arceau par leque' on arrivaitnu déambulatoire. Le mur droit du fond est percéd'une fenêtre étroite et tréflée au-dessous de laquelleon a adossé un autel dédié â sainte Anne, sur un plandifférent de celui de la crypte, comme l'indique lahauteur d'une crédence placée â 2 mètres du sol. Cedétail nous indique qu'après le départ des reliques, letombeau et les abords furent recouverts de terre,comme si on avait voulu effacer les traces de touteconfession. La raison d'être de la lucarne n'apparais-sant plus aux yéux des fidèles, on forgea une légende,on répéta de génération en génératibn que ce trou

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était l'ouverture d'un souterrain qui courait sous toutel'église.

Un procès-verbal de visite de l'église de 1689 attesteque la chapelle de Sainte-Aune était voïtée encoreassez solidement à cette date pour supporter le plan-cher d'une sacristie, qui venait d'être achevée. Quelétait le système de ces voûtes? Il n'est pas facile des'en rendre compte aujourd'hui où les ruines se rédui-sent à quelques arrachements de voûte biaise et auxpieds-droits de deux arcs plein cintre. A gauche et àdroite, c'est-à-dire aux deux extrémités du déambula-toire, on avait élevé aussi deux absides en cul defour, que le procès-verbal de visite appelle des cita-pelles vodtécs.

L'harmonie aurait voulu que la chapelle absidaledu chevet fut voûtée d'arêtes; c'est le système adoptépour la crypte et pour le petit vestibule qui conduit àla petite fenêtre carrée dont j'ai parlé.

• Derrière et au-dessous le grand autel, dit l'archi-diacre, est une petite chapelle voûtée dédiée à sainteAnne.... Aux deux costés d'icelLe, il y a deux autrespetites chapelles aussi voûtées D (1).

III

Plan, matériaux et procédés adoptés pour laconstruction de l'édifice. -

Le terrain choisi pour emplacement est légèrementdéclive. L'édifice est orienté et présente en plan laforme d'une croix latine dont les bras ont une largeur

(I) 1'roctx-verbal devisitede 1689. Archives départementales,G 54, pp. 164 et 465.

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PLAN DE • L' ÉGLISE DE SAINTPHILDERT DE GRÂNJ)LIF.U.

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A SAINT-PHILBERT DE GRANDLIEU.13

exceptionnelle. Le chevet actuel est plat et la grandenef est flanquée de deux collatéraux très éti'oits (1).Il n'y a pas d'harmonie dans .l'ensemble•des lignes,ni de régularité dans les remaniements qui se mani-festent de divers côtés. L'axe des collatéraux est dif-férent de celui du déambulatoire, l'extrados et lesimpostes des grands ares du carré ne sont pas à lamême hauteur, et les travéS de la nef n'ont pas lamême largeur ni La même hauteur. La seule chosequi paraisse irréprochable, c'est la rectitude du grandaxe.

Depuis que le crépissage est tombé, on peut selivrer i l'étude des matériaux et faire cette remarqueimportante que nulle part le petit appareil n'a étéintroduit dans La maçonnerie: Le moellon schisteuxde la localité se taille difficilement et ne se réduit pascomme on veut; il ne se prête donc guère aux effetsdécoratifs et au montage des angles. Pour faire uneconstruction un peu soignée, il faut le réserver pourle remplissage et recourir A des matériaux étrangers.L'architecte a fait venir du Poitou ou de l'Anjou dela pierre calcaire; il s'est de plus procuré de l'argile,qui est commune dans la localité, et il a confectionnéde lourdes briques dont la résistance est étonnante,bien que le grain ne soit pas fin.

Avec le concours de ces approvisionnements, il aréussi à élever une construction dont l'aspect n'étaitpas sans élégance. Le mélange de la brique et dumoellon blanc de calcaire est agréable à l'oeil; il aété employé invariablement dans toutes les partiesde l'édifice depuis le bas de la nef jusqu'au chevet,

(I) La nef a 8 mètres de largeur; les collatéraux, 2m. 75.

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14 UNÈ ÉGLISE CAROLINGIENNE

dans toutes les assises des piliers de la nef, dans lesgrands et les petits cintres, dans les jambages depresque toutes les ouvertures, jusque dans le réduitbâti en sous-sol et presque toujours avec la mêmerépétition: deux briques, un moellon

Il n'est pas nécessaire de regarder longtemps lanef pour s'apercevoir de l'inexpérience de l'architectedans l'art de bâtir les grands édifices; il est évident,à ses tâtonnements, que cette oeuvre est son coupd'essai et qu'il n'a pas tracé d'avance ses projets surle papier, autrement il aurait donné le même rayonà toutes ses courbes. Les deux travées les plus voi-sines de la porte principale sont plus larges que lesdeux suivantes.

Les piliers ont une forme qui n'est pas commune.Ce sont des massifs carrés, flanqués en dedans et endehors, en arrière et en avant, de contreforts quimontent jusqu'au sommet des murs en s'aplatissantd'abord à la hauteur des impostes, une autre fois àla hauteur où s'ouvre d'ordinaire le triforium, et unetroisième fois •â la ligne de base des fenêtres. A l'in-tôrieur, cette saillie de maçonnerie produit l'effet dessupports des arcs-doubleaux dans le système des voû-tes, mais il est bien certain que leur office était deservir de pieds-droits aux entraits de la charpente dulambris. L'église de Rossons-le-Long (Aine), quipasse, à tort ou à raison, pour une église du XI' siè-cle, contient aussi des contreforts intérieurs ; elleest la seule qui ressemble àla nôtre sous ce rapport.En plan, le pilier figure une croix, parce que cha-que archivolte est renforcée d'une autre plus petitequi repose sur un pied-droit de l'épaisseur des contre-forts,- -

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A SAINT-PHILBERT DE GRANDLIETJ.15

Cette nef était é&1icée . par des.fenétres beaucoupplus larges que celles qui.se.jencotrentordinaire..ment dans les églisesromanes ;,leur dimension ne6ffait être moindre que celles du choeur, qui ont

116 de largeur entre leur encadrement. Les tuffeaux etles briques sont remplacés par des moellons ordinai-res. On devait prendre jour encore dans les murs la-téraux des bas côtés, au moins du côté Nord, là ou seremarquent trois baies aveuglées qui s'accusent parleur encadrement de briques et de moellons de cal-caire régulièrement alternés, comme dans toute l'é-glise. Il est seulement singulier que ces ouverturesdu rez-de-chaussée aient été percées sans symétrie etmaladroitement, non pas en face du vide des travées,mais en face du d6s des piliers. N'est-ce pas là encoreun signe de barbarie?

C'est en vain qu'on chercherait des points de com-paraison dans le collatéral opposé, la clôture méri-dionale ne renferme pas le moindre indice d'ouvertu-res anciennes qui auraient été bouchées ; elle estpleine et maçonnée grossièrement sans aucun appa-reil. J'en conclus qu'un écroulement s'est produit de cecôté, vers le XIII 0 siècle, sans doute, c'est-à-dire versl'époque où se pratiquaient les portes basses, termi-nées en arc brisé, pareilles à celle qui sert d'entréeau Sud, ou bien à l'époque des Normands.

Il n'y a pas de liaison entre la nef et le carré cen-tral lq point de contact a été fait avec du remplis-sage très apparent (1). D'ailleurs, le système d'appa-

(t) En examinant les fondations, j'ai noté cependant que ladernière travée de la nef et le premier pilier du carré centralse confondaient dans an méme empâtement.

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16 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

reil n'est plus le même et le développement des arcsaccuse une plus grande hardiesse et une plus grandesûreté de main que les travaux précédents. Lescintres, composés d'une seule archivolte, sont fa-çonnés avec des claveaux de pierre calcaire alter-nant avec des briques et retombent sur des pieds-droits faits simplement de gros moellons de calcaireentre lesquels il n'y a pas la moindre brique. Commele tailloir qui servait de chapiteau est suspendu enporte â faux, on doit croire qu'il reposait au n2oinssur une demi-colonne.

Il faut faire une restriction pour le grand arc quis'ouvrait sur la nef, Car on voit encore des assises degrosses briques dans les restes de ses jambages mu-tilés. Le carré formé devant le choeur par ces quatre*grands arcs présentait une grande solidité puisqu'ilétàit renforcé dans les bas côtés par de gros mursqui résistaient â la poussée des cintres; cependant,il n'est pas croyable qu'on les ait utilisés pour sup-porter une coupole. Quand un architecte veut édifierune coupole ou une lanterne, il a soin d'établir unegrande symétrie dans les bases. Ici, les arcs sont dis-semblables; c'est donc un travail purement déco-ratif (1).

En entrant dans le choeur, nous nous trouvons denouveau en face des assises de pierre blanche mêléesde briques, visibles non seulement dans les jambagesdes ouvertures, mais encore dans deux angles sail-lants marqués au départ de la courbe de l'abside etsur son parcours. Les prêtres sortaient par deux

(1) Le ctaage est dissemblable dans chaquè are. Au mnilieuon mesure 0m. 88, à dreiteo m. 60, à gauche 0m. 63.

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ÉGLISE SAINT-PHTLBERT-DE-GRANDLJEUCARRÉ DU TRANSEPT

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A SAINT-PHILBEftP DE GIIANDLIEU.17

portes latérales en plein cintre exactement appa-reillées comme la nef (N et O). Les fidèles qui mon-taient des bas côtés vers le haut de l'église entraientdans le transept Sud sous un mur qui faisait contre-fort au premier grand arc (M), puis ils traversaientle second mur en contrefort de l'arc triomphal duchoeur en passant sous un cintre appareillé (Q), s'en-gageaient dans un couloir voûté en berceau (P) en-tre le choeur et l'absidiole de l'autel Saint-Phiihert,et arrivaient enfin dans la chapelle latérale de Saint-François (C), en faisant une suite de zigzags, caraucun de ces passages n'était sur le même axe. Im-possible d'apercevoir du bas côté ce qui se passaitdans le chevet.

Au Nord, le bas côté se reliait au transept par unarc brisé (voir lettre L du plan).

Les deux bras de la croix étaient donc divisés cha-cun en deux parties semblables à deux chambres car-rées. La plus voisine du chevet avait son absidioletournée vers l'Orient et pouvait servir de sacristie(voir D et E). Il n'y avait pas d'autre moyen decoin -munication entre la nef et l'arrière-chevet dont j'aiparlé, et qui constitue le principal intérêt de notremonument. La présence de ce sanctuaire, situé endehors de l'église, ne se comprendrait pas si nousn'expliquions pas de suite quel était l'attrait quipouvait pousser les fidèles de ce côté. Il avait saraison d'être dans le voisinage d'un réduit vénéré etimpénétrable où l'on avait déposé le corps de saintFilibert. Déjà on a dù soupçonner l'existence d'uneconstruction en sous-sol en voyant l'élévation sensi-ble de la plate-forme de l'autel majeur au-dessus duniveau général.-

3

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18UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

Iv

L'arrière-chevet de l'église et sa crypte.

Deux auteurs ont déjà décrit cette singulièrecrypte, mais ils ont omis de faire remarquer qu'elleest d'un modèle unique (1). Quand on parte d'unecrypte, on laisse entendre qu'il s'agit d'une cons-truction souterraine, assez étendue pour qu'on puissey célébrer La messe et y honorer un tombeau. Ici,toutes les issues sont fermées. Nous sommes en pré-sence d'un couloir figurant une croix à trois branches,éclairé heulement par la lucarne pratiquée dans laParoi du milieu 2), contre la tête du sarcophage, et

() Orieux, Études archéologiques (dans les Annales de la

Société académique de la Loire-lflférieUfl. 864). - MarionfleaU,Mémoires tus b la Sorbonne en 4867, Paris, 1868, j vol.

(2) L'usage de faire toucher des objets aux reliques des saintspar une petite fenêtre était très répandu na moyen âge.

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A SAINT-PIIILI3ERT DE GRANDLIEU.19par deux oculi ouverts dans tes voûtes d'arêtes quicouvrent ce couloir. On pouvait encore l'éclairer endescendant deux lampes par le sommet de deuxniches étroites pratiquées aux deux extrémités. Cetteconstruction, élevée dans la partie la plus déclive del'emplacement de l'église, if été très soignée ; lesangles des pieds-droits sont bien d'aplomb, les cla-veaux des voûtes en pierre blanche sont très réguliè-rement taillés et les matériaux,. de grosseur variée,sont solidement assemblés; les impostes sont mar-quées par deux assises do fortes briques -pareilles âcelles de l'église supérieure; enfin, les murs sontenduits d'un s3répissage extrêmement résistant quidonne â l'ensemble une -teinte uniforme. Il n'y a pasde trace de carrelage, ni de luxe de décoration.

La partie centrale du réduit (1) est toujours occu-pée par un tombeau qui repose exactement sur laligne du grand axe de l'église. En l'élevant un peuau-dessus de terre sur quatre piliers de maçonnerie,pour mieux considérer sa forme, j'ai pu me rendrecompte que la pierre dans laquelle est taillé ce sarco-phage est un marbre gris bleu, pareilâ celui desyré-iées . (2). C'est une grande auge rectangulaire sansmoulure. Le couvercle, taillé en forme dti â deuxpentes, ne porte pour tout ornement qu'une petitecroix âla tête. -.-

En remuant les terres de cette crypte, on a décou-vert sur une petite pierre mutilée une inscription se

(t) L'auteur du Catalogue des abbés de Tournus désigne ceréduit sous le nom de cachette: t relicto tamen ad Deas SFiti-berti corpore in latebris s , p. 522.

(2) Le Père de la Croix assure que ce marbre est tiré de lacarrière de Saint-Béat.

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(p-

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20UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

rapportant â un: moine qui avait été inhumé sansdoute dans les alentours, et dont les lettres liées sontbien de l'époque antérieure à l'an mille. La voici, âtitre de renseignement:

HIC REQVI 0V N TA

ESCIT IN Ri VS NO

T V M V L O M I IN E

M0NACHvS QVI VinET SAGE LiN OBI

R O O S IT IN LINO

Il n'y a pas de confusion possible: il est bien évi-dent qu'un simple moine n'aurait pas été inhumédans le marbre que nous voyons. Cettecuve funèbre.d'un prix élevé, ne peut avoir été placée là, danscette situation honorable et privilégiée, que pour lepatron de l'édifice, saint Filibert.

Je sais bien que d'autres localités revendiquentl'honneur de posséder le tombeau du même saint;elles seraient bien embarrassées pour justifier leurprétention. Le tombeau sous lequel on passe à Noir-moutier est une restitution du XII siècle, comme Lacrypte. Quant à celui de Loudun, dont la photo-graphie est reproduite par M. Le Blant, c'est, dit-il,un produit du V1 siécle, antérieur de cent ans aumoins à la mort de notre saint personnage (1). Cequi a fait naître cette fausse attribution, c'est que lesreligieux qui emportaient le corps de saint Filibert,se sont reposés dans leur fuite près de Lbudun. Le

(Il Le Btant, Sarcophages chrétiens de ta GatUe, P. 80,

Pl .XXIIL— Communication du Père C. de la Croix.

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A SAINT-PI3TLI3ERT DE GRANDLIEU.21

tombeau qui a servi de base à un autel érigé en sonhonneur â Loudun est un travail d'art avec scènesbibliques, tandis que le sarcophage de Déas est unmonument d'une grande simplicité, comme il conve-nait â un abbé de monastère.

Dansia cella édifiée contre l'enfeu, au même niveau,et destinée à recevoir la visite des pèlerins, on avaitétendu sur la surface des piliers et du bandeau del'arc d'entrée et sur toutes les parois irTtérieures, unenduit très lisse, capable de recevoir des couleurs.Les vestiges de peintures qui restaient sur l'intradosdu cintre principal semblaient former des cercles etdes médaillons. Il est possible que l'humidité ait faitdisparaître les autres fresques étendues dans lesdiverses parties de la relia, car tout annonce quel'architecte avait décoré avec soin toutes les ap-proches de l'enfeu. Dans le vestibule, les impostesdes piliers conservent encore une ligne de mouluresbien supérieures aux grossiers tailloirs de la nef. Aulieu d'un chanfrein, c'est un talon surmonté d'unfilet et lié â un bandeau.

Une fois terminé, le réduit du tombeau fut masquépar des murs très épais, et la base extérieure de l'hé-micycle fut consolidée par un revêtement en formede massif rectangulaire.

De cette façon, le maître-autel se trouvait exacte-ment au-dessus du corps du saint, conformément auxdispositions qu'exigeaient les rites pour la célébrationde la messe. Le véritable nom qui convient â cecaveau est donc le terme de confession. IL faut renon-cer à celui de crypte. -

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22- UNE ÉcLISE CAROLINGIENNE

A quel genre d'architecture faut-il rattacher l'églisede Saint-Philbert de Grandlieu?

Cette question n'aurait pas besoin d'être posée siles détails architectoniques que nous venons de pas-ser en revue -était toujours restés dans leur pureténative. Les obstructions et le crépissage ont seulsfait naitre le désaccord parmi les juges qui se sontprésentés dans cet édifice. Notre architecte diocésain,M. Boismen, u été longtemps persuadé que l'églisede Saint-Philbert était un produit de l'art roman etque son élévation avait été rapide; il se laissait im-pressionner surtout par le système du plein cintre quirègne dans -toutes les parties primitives. M. Orieux,agent voyer en chef du département, qui s'occupad'archéologie à ses heures, et qui a exploré toutes leséglises de la Loire-Inférieure, pensait de la mêmefaçon (1). M. Marionneau, l'ami zélé de nos ruinesgallo-romaines, soutient la même opinion dans lerapport qu'il adressa au Congrès de la Sorbonne, en1867(2).

Pour M. Courajod, qui visita Le monument en 1895,il n'y avait qu'une seule époque. IL affirmait que sonorigine tout entière était carolingienne. Les autrespréopinants ne reconnaissaient cette haute antiquité

- (t) Annales de )a Société académique de Nantes, 1864, p. 401-536. Cet auteur fait des réserves pour le carré central qu'ilregarde comme une construction plus ancienne que ta neC sanslui assigner d'Age.

(2) Mémoires tus à- la Sorbonne ta 4887, p. 2%

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A SAINT-PHILBERT DE GRANDLIEU.23

qu'à la crypte renfermant le tombeau du saint depuisle 1X0 siècle sans contradiction possible.

Devant cette divergence de jugements, je croisqu'il est utile d'insister sur tous tes caractères qui mesemblent marquer d'une empreinte spéciale tous lesédifices antérieurs à l'an mille: L'emploi répété de labrique et son alternance avec les moellons me four-niront le meilleur argument de ma dissertation. Ceprocédé n'est pas une fantaisie qui aurait pu naîtredans le cerveau d'un architecte de L'époque romane.Rappelez vos souvenirs, cherchez où vous voudrez,vous trouverez peu d'églises postérieures à l'an milleoù l'on ait employé le mélange régulier de matériauxque je signale, tandis que si l'on interroge, au con-traire, les oeuvres des temps antérieurs, on voit qu'ilest d'une pratique assez fréquente. Les architectesromains avaient introduit ce procédé dans l'art deMti.r, afin de donner plus de cohésion aux matériaux,qui se taillaient alors en p•et appareil cubique. Lesrangs de briques placés à diverses hauteurs, sansgrand intervalle, étaient en même temps un élémentde décoration. Nous pouvons encore juger, à Nantes,de l'heureux effet de cette combinaison, en regardantle mur d'enceinte romaine conservé au Refuge, ruedAguesseau, au cimetière Saint-Donatien, sur lesmurs de Saint-Étienne, qui est du VP siècle. Lechevet de l'église de Doulon, qui est du IX' siècle,renferme aussi des rangs de briques (1).

D'abord l'emploi de la brique eut pour effet de con-solider les assises de petit appareil; plus tard il in-tervient comme motif de décoration et comme

(t) ftfonast. Ben.cd., Bibi. nat., rns. lat. 12684, t' 231-233.

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24 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

moyen rapide de construction. C'est le cas de Saint-Philbert de Déas, où les matériaux employés sont dedimension moyenne et se tiennent parfaitement enplace sans le secours des briques.

Dans la Loire-Inférieure, on peut citer un autreexemple de constructions de la même époque, bâtiesavec le mélange des briques comme élément de déco-ration. On dirait que les architectes contemporainsde Charlemagne ont essayé de crédi un nouveaugenre en combinant différemment les procédés deleurs prédécesseurs. Dans le même temps, les moinesde l'abbaye de Vertou, sise à Cinq lieues de DMs,démolissaient leur vieille église du Vll e siècle et re-construisaient une basilique avec des imbricationssavantes. Un contemporain raconte qu'ils étaientparvenus (en 846) â monter leurs murs à trois brassesde hauteur quand les Normands vinrent les inter-rompre (1).

Les derniers vestiges p'avaient pas disparu en1850(2).

(1) a Antiquam ecclesiam ipsi everteraut et iiiajoris venus-tatis instaurare dispesuerant, quod coulis hodieque conspicilicet. Nam idem opus tribus a pavhncnto ulnis porreetum no-bilitatis et potenthe corum qui redifucare c4Teperault testimonioest o (Boit., Ac(a &znotoru . un. octobre, t. X, p 814).

(2)Marionneau, Colt. archéol. du canton de Vertou (Nantes,1877), p_18. En refaisant la façade de l'église de Vertou, M. l'abbéCormerais n vu des imbrications qu'il s'est efforcé d'imiter dansles parties hautes. Voir la planche publiée dans l'Histoire 4eSaitu.t-Jfartin 4e Verrou par l'abbé Auber (Poitiers, I838, t vol.in-80).

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 SÂINT 7PHILBERT DE GRANDLIEU.25

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L'église Saint-Philbert de Grandlieu est unédifice daté.

Tous les lecteurs ne seront pas également impres-sionnés par la description des procédés employés parl'architecte; la majorité sera plus disposée à ouvrirles yeux à la Lumière des documents écrits. Il edsteheureusement un témoignage dont la sincérité et lafidélité ne peuvent être contestées, c'est le récit d'unreligieux de l'abbaye deNoirmoutier, qui était présentà la translation des reliques de saint Filibert, qui aéprouvé toutes les terreurs causées par les irruptionsdes Normands, qui a suivi le déplacement du corpsdepuis son départ de l'île jusqu'à son arrivée à Saint-Philbert et qui a été chargé par son abbé de tenirle journal de tous les événements marquants (1). Cetécrivain officiel se nomme Ermentaire.

Sa relation est d'autant plus précieuse à lire qu'onen compte fort peu d'analogues dans notre histoiremonumentale. Le plus souvent, les chroniques sebornent à nous dire le nom du personnage qui a prisl'initiative des plans exécutés; c'est pourquoi nous

{1) « liilbodo venerabili abhate gregem prefati confessonsChristi Filiberti, Domino favente, gubornuote, cujus jussu egoomnium sacrum infimes monqchorum, hac narranda sus-cepi g (Chifflet, p. 88). La relation d'Errnentiire est publiéedans l'jffg toire de lahbaye royale et de ta ville d-e Tournus parChifflet; dans les Bollandistes, Acta Sanctonon, au jour de lafête de saint Filibert; dans les Annales de saint Benoît; etdans Juénin, Nouvelle histoire de Townvu-s.

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26 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

assistons é. tant de débats contradictoires; tandis quedans Ermentaire, nous apprenons les circonstancesqui ont motivé la création du second monastère deSaint-Philbert, la forme de son église et les moyensemployés pour la transformer â l'arrivée des reli-gieux.

Les renseignements de ce témoin ont passé ina-perçus jusqu'ici, parce qu'ils sont noyés dans uneénumération de prodiges accomplis autour du tom-beau du patron de L'abbaye; ou bien ils ont été consi-dérés comme inapplicables â l'édifice que nous étu-dions. Les murs que ce rapporteur a vus sortir deterre sont encôre ceux que nous avons sous les yeux.L'incendie aLlumé par les Normands n'a pas été undésastre complet (1); il a laissé debout la totalité desgros murs, comme les flammes dupétrole ont respecté,à Paris, les murailles de la Cour des comptes. Lesdégâts ont porté sur la toiture, le mobilier, les au-tels, les boiseries, les colonnes. Après avoir examinéde près et à plusieurs reprises toutes les réfections etles additions faites dans l'église actuelle, avec lerécit d'Ermentaire en main, je demeure convaincuque nous possédons son acte de naissance authen-.tique avec tous les moyens d'établir son identité.

Voyez plutôt les renseignements qui ressortent dutexte dErmentaire

Le 11 juin 836 (2), le bourg de Déas fut le théâtre

(1) u Corpore B. Filiberti adhue in monasterlo quod Deas di-cilur, relicto, quamvis a Nortmannis incenso (Erunentaire,apul Chifliet, p. 124).

Anno Dcccxcvii, Nortmanni 'ii Kalendas Aprilis Deas mo-nasterium suceeodunt » { Chroniron Lentovicense, ibidem).

(2) Le Père C. de la Croix, en grattant le badigeon

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A SAINT-PHILI3ERT DE CRANDLIEU.27

d'un événement émouvant et dont les conséquencesont été si retentissantes, que le bourg en a perdu sonnom. De celtique, il est devenu chrétien. Les docu-ments, (lui le désignent, dans le principe, sous l'ap-pellation de Deas, c'est-à-dire lieu bas et humide, nelui donnent plus déstn'mais que le nom de Saint-

Phi?-ber? de Grandiieu. Voici à quelle occasion eut lieu cechangement.

On vit arriver du côté du couchant une troupe dereligieux effarés, fuyant avec un fardeau qu'ils pa-raissaient pressêsde mettre en sûreté; c'étaient lesreli-gieux de l'abbaye de Noirmoutier qui, effrayés par lesravages causés par la fureur des pirates du Nord, surLes côtes de l'Atlantique, cherchaient à l'intérieur dupaysd'Herbauge une retraite tranquille pour y cacherle corps de leur patron, saint Filibert, et y continuerleurs exercices pieux (I).

Leur nom n'était pas inconnu à Déas. Déjà vingtans auparavant (815), l'abbé Arnoulf, chef du mômemonastère, pressentant le péril auquel son lie étaitexposée, avait jeté les yeux sur l'emplacement de•Déas et y avait fondé une église entourée de bâti-ments, destinée, en cas de panique, à recevoir les

qui recouvrait les pieds-droits de l'entrée de la chapelle basse,n trouvA gravée sur une pierre, en caractères carolingiens,l'inscription suivante « Idus Junil dedicatio S. Satvateris

Il s'agit sans doute ries ides de juin 837, les travaux de trans-formation demandant ou moins un au.

(1)u Anno igitur Incaraationis Donnai oetingentesimc' trige-simo sexto,... pater Ililhodus rageai adiit 'ippinum... deere-verunt molto melius fore beati Filiberti corpus iode transferridehere quam ibi derelinqui, quod effectuai esse constat annosuprascripto » (Chifflet, p. 87 et 89). Ils étaient partis de Noir-moutiérle 7juin; le trajet dura donc quatre jours.

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28 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

fuyards de Noirmoutier. Il existe un diplôme de Louisle Débonnaire, de 819, qui concède à cet abbé la per-mission de mettre le monastère en Communicationavec la Boulogne au moyen d'un aqueduc, de couperune grande Voie et de jeter un pont sur le canal. Cetacte-du souverain, daté de 819, dit formellement quel'établissement de Deus était de fondation toute ré-cente; c'est pourquoi je le fais remonter à l'année815(l). -

Pendant vingt ans, la communauté vécut errante,tantôt au bord de l'Océan, tantôt dans l'intérieurdes terres; enfin, le péril devenant de plus en plusmenaçant, les religieux prirent le parti de se fixer àDéas. Le ?juin 886, le7 sarcophage du saint fut ex-humé et déposé dans un bateau qui le Conduisit auport de la Fourche (Pure); ensuite il fut placé surun brancard (scaia) et transporté par voie de terrejusqu'à Dons, en passant par Paula (Pains) (2).

Ermentaire complète son récit en disant que l'abbéArnoulf avait bâti son église en forme d'une croixsans avoir préparé un lieu digne de recevoir le corpssaint qu'on apportait (8). En attendant que les

(1) « Netum su.. qualiter Arnulfus abLo, in Ioco cujus voca-bulum est DeAs, novum monasterium aedificusse et cb comme-ditatem ejusdem monasterii ex flurlo qui dicitutr Bedonia aquamibi velle perducere... item .eodem loco velle pontem facere(Bist, de lahb. de Ton q ni,s, p. 191); voir aussi t 'or iu inal du di-dôme aux Archives de Saône-et-Loire, 177, i° I.

(2) i Suffosse igitur septima die jutai mensis sepu!tune Ioco,cum ipso venerabili tumuto elevatur sanctissimuni corpus, no.nitur iii ravi, Circio Dante » (Chifflet, ihidmn, p. 59).

(3) « Non enim ad sepulturamcapiendarn fundamcnta ipsiusecclesim apprime jacta fuerant o (Ibidem, p. 99).-

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A SAINT-PHILBERT DE GRANDLIEU.29

travaux d'appropriation fussent exécutés, les nou-veaux venus placèrent Le sarcophage dans le brasdroit du transept et le brancard dans Le bras gauche;puis ils arrêtèrent de suite le plan d'une modificationrépondant aux nécessités qu'imposait l'arrivée desreliques (1). Il fallait que le corps du saint fût acces-sible sinon aux yeui, du moins à la vénération desMêles, sans que le lieu du dépôt fût trop apparentpour le cas où les Barbares le pousuivraient jusqu'àDeus, et que l'édifice fût assez spacieux pour recevoirla foule des visiteurs (2).

L'abbé Hilbod ne renversa pas totalement l'oeuvrede son prédécesseur; il n'avait pas besoin de cettemesure radicale dans un édifice où il était possibled'ouvrir des débouchés pour la circulation. Voici tex-tuellementet littéralement le travail qu'il fit exécuter.Il abattit le mur de façade (prima fous) (3), il rasajusqu'aux fondations la croix du transept de toute sahauteur, enveloppa le lieu de la sépulture de maté-riaux somptueux et ajouta tout autour trois absides (4).

(l • Sepuicrum Cum sacratissimo pigliore de scala deponituret in dextro cornu ecclesim coUocatur, atque in sinistro latereecclesfte scala ipsa appenditur (Ibid).

t Turbis undique confluentibus inseruitse illis quidam la-trunculus (Ibidem, p. 97). g Sparsim se ac longe lateque talisfarna dilTundit et multorum ineolas locorum ad S. Filiberti suf-fragia expetenda sotiicitat » (Ibidem, p. 98).

t Pariete prime frontis disjecto et quidquid altitudinisest erucis fundituseverso, atque copiose extenso, locus sepul-turm mirifice est transvotutus, tribus perinde absidis circum- -ciia adjectis » (ibidem.).

(4) II est vrai que l'on peut entendre autrement le primafons et l'appliquer au grand are du carré central qui n'existepins et qui faisait partie de la croix primitive de l'abbé Àrnoulf.

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30UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

Je ne comprends pas la première démolition, si cen'était pas pour ouvrir une porte plus large que l'an-cienne et construire un porche pour les malades.Cette annexe était d'autant plus nécessaire que lespèlerins qui venaient demander leur guérison ne sebornaient pas à une simple visite. Quand ils n'obte-naient pas de faveur, ils se couchaient (1), dit Ermen-taire, auprès des portes et y passaient même la nuiten renouvelant leurs supplications à saint Philbert.Notre rapporteur ne dit rien de la nef, parce qu'onla laissa intacte. Quant au transept de 815. il étaitun obstacle à la circulation. Sa clôture devait tom-ber afin d'ouvrir la communication de la nef avec ledéambulatoire, dont on avait absolument besoin pourarriver â l'arrière-chevet. C'est alors qu'on fit cesgrands arcs de gauche et de droite qui procuraientiln large dégagement aux allants et venants. Lesexpressions d'ErmentaiFe indiquent clairement queL'agrandissement fut appliqué aux bras de la croixdont il vient de parler. L'amélioration fut notable,puisque, par suite de L'addition des deux absidioles dedroite et de gauche, les bras de la croix ont acquisune largeur double des dimensions classiques.Quand bien même ce remaniement ne serait pas si-gnalé par notre auteur, il sauterait aux yeux de touslés visiteurs, car il est visible que l'architecte a agisans se préoccuper de faire des raccords avec lesparties préexistantes; il n'a même pas porté sescintres â la hauteur du maltre arc qui s'ouvre sur lechoeur. Si le carré central avait été élevé d'un seul

(I) Qui aliquantisper propter ostium basiliea exeubans nonfrustra przestotatus est auxiflum t (Chifflet, p, tI).

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A SAINTPUILBERT DE QRANDLIEU.31

let , il ne serait pas déparé par l'absence de ré-gularité.

Quoique les modifications du chevet soient indi-quées sommairement par nôtre auteur, nous pouvonscependant nous rendre compte de ce qui existait etde ce qui fut ajouté en 836. Les fouilles pratiquéesjusqu'au sol naturel, en avant et en arrière de l'hé-micycle, établissent que sa maçonnerie, d'abord cir-culaire en bas comme en haut, fut modifiée pourfaire la relia de Sainte-Aune et que sa maçonnerien'est pas liée à celle de la crypte.

Pour dissiper tous les doutes au sujet de son anté.riorité, j'ai même fait percer les parois de la crypteet j'ai aperçu derrière la paroi une muraille envelop-pante, bien jointoyée comme dans les édifices 'paréspour les yeux. J'ai, de plus, acquis La certitude queles angles saillants des parties hautes du choeur secontinuent également vers les fondations.

C'est un fait qui ressort également de l'aspect demurs de remplissage qu'on a intercalés sur plusieursfaces pour rejoindre les parties préexistantes et lesfaire cadrer ensemblel

Ces prémisses étant admises, l'histoire de l'arrière-chevet est facile à reconstituer d'après l'inspectiondes maçonneries et de l'empâtement circulaire 'quise voit dans une tranchée ouverte devant l'arcde la relia de Sainte-Anne. L'enfeu a été bâtià la place du maitre-autel, ainsi, que la relia quiy est adossée, sans rien déranger dans l'hémi-cycle; et du côté du choeur, c'est-à-dire du côtéle plus en vue, on a dérobé la cachette derrière undouble mur, de telle sorte que les visiteurs ne pou-vaient rien apercevoir de la nef. Le chevet rond, n'a.

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82 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

été attaqué par le dehors que le jour otil'on fut dansla nécessité de satisfaire à l'empressement des pèle-rins qui voulaient s'approcher du précieux tombeau,prier dans la chapelle Sainte-Anne qui est attenanteet passer leur bras par la /'enesti-cila du fond pourcommuniquer la vertu du saint à certains objetsqu'on descendait sur le sarcophage. C'est alors qu'onouvrit l'arc en plein cintre qui donne entrée dans lacella et supporte en môme temps le mur supérieur.Tout ce travail de remaniement fut enveloppé d'unechemise de maçonnerie, qui donne à la base l'appa-rence d'un massif carré.

Un déambulatoire s'est imposé ensuite avec unecouverture pour faciliter la circulation et l'accès dusecond chevet â créer. Il est à présumer que cetteaddition fut circulaire, pour être en harmonie avec lechoeur voisin comme avec les apparences , de meutebiaise qui subsistent à droite et â gauche; mais je nepuis pas dire si elle était en cul de four: Il y avaitcertainement deux autres arcs plein cintre, parallèlesaux lignes et aux ouvertures du déambulatoire, quiretombaient sur les pieds-droits demeurés intacts saufun. En les rétablissant, on se rendra compte sansdoute des premières dispositions.

L'affluence des visiteurs croissant toujours, et lachapelle basse étant incapable de les contenir avec lapetite abside que je suppose au début, le prolongementde l'arrière-chevet devint indispensable. C'est laraison d'être des substructions que l'on voit à l'est.Les deux absidioles qui apparaissent encore sois temur droit du dernier chevet sont une décoration ima-ginée tardivement pour , terminer le déambulatoiredés pèlerins; elles ne doivent pas être, confondues

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A 5ATNTP1liL5ERT DE £RANDLIEU.33

avec celles dont parle Ernientaire (1). peux des troisabsides qu'il attribue à l'abbé •Hilbod furent placéesà droite et à gauche clans le transept; celle du sud,encore debout, est bien édiée dans le style duIX' siècle avec son mélange de briques et 4e moel-Ions. La troisième abside, élevée en 836, est celle quiest annoncée dans l'extension de la chapelle iSainte-Amie, par lesdemi-quarts de cercle en place.

Bien d'autres conséquences ressortent de !a certi-tude acquise au sujet de l'église de .15. Du momentque le chevet était rond et s'arrêtait .4 la chapelleSainterAnne, nous sommes forcé de chercher latrace de la croix dont parle Ermentaire, et dontl'hémicycle forme naturel lement la tête, dans les en-virons du déambulatoire actuel et non pas dans Laprairie, comme on essayait de le faire au début desrecherches (2). De plus, comme il y a une Liaisonétroite entre le choeur et le grand arc qat le termineà l'ouest, la date admise pour le premier devient 4erigueur pour Le second, et nous avons ainsi la figureapproximative du plan de 815 moins soitrenversé en 836.

Une autre réflexion nous conduit 4 regarder lanef comme contemporaine du chevet. On ne formepas une croix architecturale avec une tète et deuxbras; il faut encore un prolongement pour figurer le

(1)3e ne parle pas des substructions qui se cachent sousterre et qui avaient été faites sans doute pour tes dépendancesdu monastère de 815.

(2)Une mauvaise interprétation du mot frons prima m'avaitinduit ccl erreur parce que j'étais influencé, par la découvertedes absides de l'orient et que personne lie connaissait celle dumidi.-

- 4

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34 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

pied; la certitude de l'existence d'un plan cruci-forme (1) entraÎne la certitude de l'existence d'unenef, et nette nef est celle que nous avons sous les yeux.

J'ajouterai encore une observation générale sil'église complète que nous étudions n'avait pas étéconstruite pendant le séjour de tous les religieux àDeus, (le 815 à 880. elle n'aurait jamais eu ce déve-loppement d'église abbatiale (54 mètres de longueur)après l'appauvrissement du pays; car il est avéré quela communauté, une fois dispersée par la nécessité defuir de ville en ville jusqu'en Bourgogne, ne s'estreformée qu'a Tournus. Après avoir erré dans leMaine et l'Anjou de 847 à 858, les religieux revinrentà Déas chercher le corps de leur patron et l'empor-tèrent définitivement vers le Centre, en passant parCunault, Messay, Loudun, etc. Déas abandonné estalors tombé aussitôt au rang de petit prieuré, dont letitulaire n'aurait jamais eu l'ambition de construireun aussi vaste édifice pour une localité minime.L'époque de l'épanouissement religieux de Déas n'apas duré cinquante ans; il n'en a pas fallu davantage,pourtant, pour donner naissance à une église excep-tionnelle dans notre région.

VII

Il n'y a pas tracé évidente d'une église mérovingiennedans le bourg de Déas.

On ne peut pas non plus supposer que les substruc-tions de l'arrière-chevet seraient les vestiges d'une

(I) n igitur cum monasterium ingressi fuissemus atque -in

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 SÂINT-P}IILBERT DE GRÂNDLIETJ.85

église mérovingienne que l'abbé Arnouif aurait ren-versée en 815 pour établir son monastère. Rien nejustifierait cette conjecture dans la relation que nousinvoquons à chaque pas. Et d'ailleurs, il faut bienpenser que le nouveau venu se serait exposé au mé-contentement de la population en renversant lesanctuaire de Déas. Ce n'est pas ainsi qu'opéraientles religieux quand ils arrivaient dans une localité;ils se plaçaient à quelque distance des fondationsantérieures. C'est pourquoi nous rencontrons dansles vieux textes la mention de plusieurs églisesmême dans les bourgs infimes (1). Si ces substruc-tions devaient être expliquées, j'aimerais mieux lesrattacher à quelque partie du monastère liée auchevet.

Pour plaider en faveur de la suppression d'uneéglise antérieure à 815, il faudrait être certaind'abord que le centre paroissial était à Déas, fait quiest très douteux (2). Il n'y arien dans Erinentaire quipermette de le penser; au contraire, cet auteur, pourdésigner béas, se sert d'un terme peu relevé, locus,qui signifie quelque chose comme un relai, une stationquelconque sur une voie (3); Paulx, qu'il a traversé

merlin ecclesiic qrne instar crueis construeta est .. (Chifflet,p, 97).

(I) o Madernas cum ecclesiis, Apelacum cum duabus eccle-sus (Diplôme de 854,Histoire de l'abbaye de Tournas, p. 297;.

(3) Dans un acte de 676 que M. Cli, d'Action vient de décou-vrir dans les archives de Cnnauld, i)éas est appelée villa, do-maine qui appartenait à un vénérable personnage nominéMagnobode (141k!. de l'École des Chartes, 1898, 2' livraison).

(3) « Cum corpus beatissirni Eiliberti ilium in locum trans-ferretur qui antiquo vocabulo Deas nuncupatur (Ermentarius,Ibid., p. 87).

I

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UNE ÉeLISE AkOLftbtHI

en venant à Béas, est ausi appelé lodUt tandis quele plus souvènt, le chroniqueur cite des bbur'gs viôi Etdes villas en parlant des pèlerins qui accourent autombeau Qui abus dit quo la Centre principal n'étaitpas dans une villa écartée, par exempte à Saint-11e-mi ou autour de l'édifice inconnu qui a porte le hohide Sainl-itartin de Gian'diiete (1)?

L'objection qu'on tirera peut-être de l'a rencontrede vestiges de l'art ancien dans l'église carolingiennede Déas n'est pas embarrassante (2). La r'épohse estdans les murs eux-mêmes et d'ans la place 4u'ob-cupaient les débris romains réeihployéé.

Quand un architecte détruit, dans son chantier 3 unédifice soniptueux comme était 'celui dont nous ti'ouvons les marbres, il met de côté les meilleurs mate'riaux pour les utiliser dans l'a nouvelle construction,et son artifice se revête çà et là par des r'encoiifr'eschoquantes. Examinez la 'crypte, le chevets le chœur,toutes les parties primitives qui n'ont pas étéretou-chées, vous ne trouverez pas trace de mêlange i pasde différence dans les niatêtiaux voua reiharqueflezque tout est uniforme dans les parties apparentes

Là OÙ nous avons vu, dans notre' inspection som-maire du début, des fragments d'architecture ancienne,nous somme' cri Dace' d'un& rétection'groesiSé, exé-cutée au XIe siècle, c'est-à-dire après les dévastations

(t) La situation de ce prietfrê, cité, dans les annexes du car-tulaire de Redon; parmi les dépendances do Tournus, n'est pasdéterminée, je -'ne vois que Saint-Martin-de-Passay.

(2) l)ejx 'eliapiteabx de marbre blanc, deux fûts dé colonneen marbre vert 'et rouge, mi tambour en- marbre blanc, dêiusocles, deux blocs- cannelés en cr4uir sur une' face, voilà lebilan des découvertes.

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A SAINT-PHILBERT DE GRANDLIEIJ.37

des Normands. Tout y est pèle-môle, comme dans leschantiers où l'on s'approvisionne dans les décombres.Le romain et le roman se heurtent et se confondent.Les campagnes étaient alors couvertes de ruines detoute sorte, ruines de fermes et ruines de villas trèsrichement ornées où les marbres et les mosaïques nemanquaient pas C'est pourquoi, dès 815, l'atchi-tecte a réemployé des blocs antiques dans les fonda-Lions de l'un des arcs. Il n'était pas nécessaire d'allerâ deux lieues puiser dans les décombres de la stationromaine de Saint-Lumine .de-Coutais; la banlieue deDéas avait elle-même des vestiges de somptueuseshabitations qui gisaient épars dans les champs enfriche (1).

Nous empruntons na lumières ait d'un incen-die qui éclata dans une villa dont le propriétaire étaitvenu au monastère faire sa visite au tombeau desaint Filibert et avait emporté un morceau du brati-card vénérable esposé dans l'église. IL parait quetansce larcin pieux l'incendie aurait dévoré tous les bâti-ments de la villa, mais que la flamme, après avoircouru dans tous les sens, s'arrêta brusquement devantla colonne â laquelle la relique était suspendue (2).

( I ) Déas figure dans l'acte de fondation de Noirmoutier de 676Parmi les Propriétés données â saint Filibet-t par Ausoold souslé simple titre de rifle. (Archives (le Cunautd. - Copie duXI' siècle sur parchemin.

(2) a Est villa qwSam Won niniia r moiastet90 distafls ton-gituditis; quain cnn, succendee ignis cœpissctet huc, iLlucquediffunderetur incendiutn, ventum est ad quandam thunsiunctiinniin qua aliquid de ipso habebatur ligne, Sed Culfi parsipsius,cdiculi cornbusta esset, continue ut (M cdliuinjaj,t iv. QV/i (Lp-

pè)iswm. erat fianma t'èrax pntVoait, tôti\m ineediittn ébtor'puit (Ibid., P. 103).

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28 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

Ce détail n'est pas insignifiant pour nous. Unehabitation ordinaire n'est pas décorée de Colonnes.Quand nous avons la certitude que l'architecte enavait mis une, nous pouvons hardiment affirmerque son plan comportait un portique, un péristyle,une galerie ou un atrium, petit-être le tout ensemble,et alors l'imagination reconstitue dans son entier laphysionomie des splendides salles où les Gallo-Romains étalèrent leur luxe, jusqu'au temps deCharles le Chauve (1). La station romaine de Saint-Lumine, qui est à deux lieuesde Déas, avait certaine-ment des villas luxueuses si la banlieue de Déas enmanquait. A mon sens, voilà la véritable provenancedes fragments de décoration en marbre que lesfouilles ont mis au jour; voilà pourquoi les chapi-teaux et les colonnes déterrés sont d'un module diffé-rentet ne trouvent leur adaptation exacte ni dans lespieds-droits ni aux pilastres des cintres. Ils ne sontentrés dans cette église qu'autour des autels rétablisaprès l'incendie des Normands, au X e ou auXI I siècle (2).

Déjà au IX' siècle, les religieux, manquant de bonSnes carrières, s'étaient procuré dans une stationantique et peut-être même dans une cité commeNantes, de gros blocs de calcaire compact, qu'ilsavaient placés en fondation sous les piliers des arcs

LI Les agglomérations par villas étaient tellement communesIII TX siècle, que le moine Ermentaire, dans le récit de latranslation ries cendres de saint Filibert, n'en cite pas moinsde quinze en bas Poitou ou dans le diocèse de Nantes.

(-2 1 En 1867, M. Mar ionneau a vu dans les basses oeuvres duflanc méridional, un fQt de colonne en marbre blanc de (J m. 33de diamètre, que Ni. Beaufreton vient de retrouver.

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A SAINT-PHILBERT DE GRANDLJEU. 39

du carré central. Deux de ces blocs portent des car-natures profondes qui démontrent leur provenancece sont les restes de forts pila^tres employés pour laconstruction d'un monument bien plus considérablequ'une villa. C'est le cas de répéter que le&gênéra-tiens d'alors allaient souvent fort loin pour emprunterdes matériaux aux monuments en ruine.

Conclusions.

Les conclusions qui ressortent des observations,des fouilles et du nettoyage de l'église de Saint-Philbert de Grandlieu sont nombreuses et importan-tes. L'ensemble de l'édifice annonce que la commu-nauté religieuse qui l'a construit était en pleine pros-périté et avait un motif spécial poul' lui donner ungrand développement, c'est-à-dire la possession d'untrésor qui attirait la foule (1). Nous avons la certitudede posséder le sarcophage de marbre dans lequel lecorps de saint Filibert fut déposé après sa mort, à lafin du VII' siècle. En fuyant au hasard dans toutesles directions, les religieux n'auraient pas pu secharger d'un aussi lourd fardeau que celui de ce tom-beau; ils se bornèrent à enterrer le monument funé-raire et emportèrent les reliques à Tournus, diocèsede Mâcon, où elles sont encore aujourd'hui. Le caveauqui l'enveloppe est bien un réduit tel qu'on en pouvaitfaire dans un temps troublé; il porte sa date en lui-

(1) Ansoald, évêque de Poitiers, bâtit aussi en 683, à Saint-Maixent, une vaste église pour y loger le corps de saint Léger.(Bollandistes, Acta sanctorum, oct., t. 1, P. 4tj. Saint Filibertest mort â•Noirmoutier, vers 684.

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40 UNE ÉGLISE CAROLINGIENNE

même, dans son caractère mystérieux comme dansles détails de sa structure. Son enveloppe, étantnotoirement antérieure, nous fournit un terme pré-cieux de comparaison pour dater le reste de l'édifice.

A l'aide de déductions éclairées par le récit d'untémoin oculaire, nous arrivons à reconnaître qu'il ya concordance parfaite entré les reprises de la cons-truction et les événements dont Déas a été le théàtre,que les additions faites à l'église monastique, en 836,portent bien Le cachet de l'époque carolingienne etl'expression du procédé choisi par l'architecte de 815.La nef est bien la continuation du chevet; elle neconstitue pas une opposition disparate.

Au point de vue décoratif. histoire de l'art pourrabénéficier de plus d'une remarque; elle modifiera sesleçons sur Les principes de l'architecture romane,qu'on a trop séparée jusqu'ici des écoles précédentes.

En conservant l'église de Saint-Philbert de Grand-lieu et en rétablissant, sinon en réalité, du moins surle papier, sa physionomie primitive, nous sauvonsdu naufrage un type d'architecture qui a complète-ment disparu en Frai;ce et nous augmentons le nombredes affirmations dont se compose notre enseignement.La Commission desMonuments historiques a comprisde suite cette pensée puisqu'elle s'est empressée declasser notre église au nombre des monuments placéssous son haut patronage.

Mon opinion personnelle aurait peu de poids si jen'ajoutais promptement qu'elle s'est formée au contactdes éminents visiteurs qui sont venus m'encouragerpar leur présence. Les plus clairvoyants n'ont pastoujours été assez affirmatifs pour que j'ose ici répéterleur système. Il serait à souhaiter que Je Père 4e 1a

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A SAINT-PIJILBERT DE GHANDLTEIJ.41

Croix qui a bien voulu passer de longues journées àretourner le sol, que M. de Lnsteyrie qui n contrôléles plans, que M. Gir y qui a rapproché les textes desremaniements de l'église, pussent condenser ensembleleurs observations et fournit' à un nouveau rédacteurla doctrine d'une noticedélinitive (1).

Léon MAITRE.

(1) Nous apprenons au dernier moment que Ion retrouve ÀTourons le même appareil de moellons et de briques qu'à Déason grattant le crépissage mie la partie la plus ancienne (tel'église INote (le. M. Martin, bibliothécaire à Tournus).

N. de la D. Cette notice lue nu Congrès de Brest et à celuides Sociétés savantes À Paris o été publiée dans le iiuitetirArchéologique du Comité (Année 1806). Mais rouleur a tait denombreuses modifications à ce travail dans La nouvelle éditionque nous en dominons ici.