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Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? 2012 Dossier

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Page 1: 2012 - Regards sur la Terreregardssurlaterre.com/sites/default/files/rst/2012-32-FR.pdf · procédé d’extraction du sucre de betterave [Chaptal et Delessert, ... 1802], fabrication

Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Dossier

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Chapitre 11L’industrie agroalimentaire au cœur du système alimentaire mondialL’effi cacité économique du modèle agro-industriel tertiarisé se fait souvent au détriment de l’environnement, en générant des injustices sociales entre pays et entre acteurs des fi lières. La durabilité ne sera assurée que par sa cohabitation avec un modèle alternatif fondé sur la proximité et sur des réseaux de petites entreprises, qui valorisent le patrimoine naturel et culturel spécifi que des territoires.

Àl’échelle de l’histoire de l’huma-nité, la transformation de matières premières agricoles périssables en denrées stockables et utilisables pour la préparation des repas (ce que

nous appelons aujourd’hui « industrie agroali-mentaire ») est une activité très ancienne. Elle est probablement née au néolithique, il y a environ 11 000 ans, en même temps que l’agri-culture et la sédentarisation, avec la fabrica-tion de farines et de semoules de céréales, de fromages et de boissons fermentées, le séchage et le fumage de viandes et poissons.

Cette activité est restée très longtemps inté-grée à la production agricole sous une forme artisanale et familiale. L’industrie agroalimen-taire (IAA), au sens contemporain du terme, n’est apparue que tardivement (xixe siècle) au cours de la révolution industrielle. Elle trouve son origine, comme d’autres secteurs (textile,

métallurgie), dans l’innovation technique : procédé d’extraction du sucre de betterave [Chaptal et Delessert, 1811], méthode de sté-rilisation thermique en conserverie [Appert, 1802], fabrication du chocolat [Meunier, 1824] en sont quelques exemples. Ce foisonne-ment d’innovations s’accompagne de nouvelles formes d’organisation de la production, avec le passage de l’artisanat aux manufactures indus-trielles. Les grandes fi rmes agroalimentaires (Nestlé en Suisse, Unilever aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, Liebig en Allemagne, etc.) apparaissent à la fi n du xixe siècle ou au début du xxe. Toutefois, les structures de marché ne vont évoluer signifi cativement qu’à partir de la Seconde Guerre mondiale [Rastoin, 2000].

Aujourd’hui, l’IAA se situe au cœur d’un très important complexe économique (le « système alimentaire ») dont la fi nalité est de nourrir les hommes, le plus souvent à travers des rapports

Jean-Louis RASTOIN, Supagro, France

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Pays à hauts revenus

64 % des IAA2 436 milliards de $-1 à +1 % de croissance moyenne annuelle*13 % de l’industrie manufacturière

1 158 milliards de $7 à 12 % de croissance moyenne annuelle*18 % de l’industrie manufacturière

16 % de la population

Pays émergents

30 % des IAA

52 % de la population

229 milliards de $7 à 18 % de croissance moyenne annuelle*20 % de l’industrie manufacturière

Pays en voie de développement

6 % des IAA

32 % de la population

0 20 40 60 80En %

* (2000-2009)Part de la production des industries agroalimentaires (IAA) par zone

Part de la population approvisionnée par zone

Sources : estimations de l'auteur, d'après CIAA, Data & Trends of the European Food and Drink Industry, 2010 et Unido Databases, 2011.

marchands [Rastoin et Ghersi, 2010]. La place des IAA dans les fi lières composant le système alimentaire est variable selon les pays. On observe cependant une convergence mon-diale vers un modèle agro-industriel tertiarisé, modèle au sein duquel l’IAA occupe une position-charnière stratégique que nous carac-tériserons dans un premier temps. Sur cette base, nous présenterons ensuite les tendances à la globalisation et à la fi nanciarisation de ce modèle, pour enfi n esquisser deux scénarios prospectifs de long terme pour les IAA.

Hétérogénéités et convergence des industries agroalimentairesL’IAA se situe, dans une très grande majo-rité de pays, au premier rang du vaste sous-ensemble des industries manufacturières, avec un poids variant de 10 à 30 %. Avec près de 4 000 milliards de dollars de production et plus de 25 millions de salariés en 2009, son impor-tance s’explique à la fois par une proximité

technique et économique avec l’agriculture (valorisation de matières premières basiques) et par une fonction de demande incontour-nable : l’alimentation.

Cependant, cette industrie est d’une grande hétérogénéité dans sa structure et dans l’espace géographique. L’IAA est composée de nombreuses fi lières (transformation des céréales, des oléagineux, des produits ani-maux, par exemple) dont les caractéristiques technologiques, économiques et managériales confèrent à chacune d’entre elles des spéci-fi cités marquées. Par ailleurs, les contraintes agro-climatiques, de marché et de niveau économique font que les profi ls d’IAA sont variables selon les pays. En 2009, les pays à haut revenu (PHR), soit 16 % de la population mondiale, représentaient 64 % de la produc-tion en valeur de l’IAA mondiale (72 % du PIB mondial), tandis que les pays en développe-ment (PED) affi chaient respectivement 32 % de la population et 6 % de la production.

Des industries agroalimentaires très contrastées

L’importance de la production des IAA n’est pas corrélée avec la taille de la population approvisionnée, mais plutôt avec le pouvoir d’achat et les capacités d’investissement d’un pays. Elle reste avant tout concentrée dans les pays riches.

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ÉTATS-UNIS

UNIONEUROPÉENNE

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CORÉE DU SUD

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BRÉSIL

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Production vendue(en milliards de $)

Productivité du travailNombre de salariés

1 000500

100

5 millions

1,5 million

Plus de 300 000 $ pour 1 000 salariés

De 200 000 à 300 000 $ pour 1 000 salariés

De 100 000 à 200 000 $ pour 1 000 salariés

De 50 000 à 100 000 $ pour 1 000 salariés200 000

Sources : estimations de l'auteur, d'après CIAA, Data & Trends of the European Food and Drink Industry, 2010 et Unido Databases, 2011.

La dynamique de l’IAA est « plate » dans les pays riches, soutenue dans les pays émer-gents, et rapide dans les PED, ce qui confi rme le caractère basique et démographique des marchés alimentaires : dans le processus de croissance économique, l’IAA constitue un secteur de démarrage dont l’avantage est de mobiliser peu de capitaux et beaucoup de travail et d’accompagner, par la baisse relative des coûts de production des aliments, l’essor des autres biens de consommation. Pourtant, la plupart des gouvernements négligent de stimuler ce secteur. Dans les PHR, la remarque reste valable, car si les besoins courants sont saturés et donc la demande stagne (marché « mature »), l’apparition d’exigences nouvelles (environnement, santé…) crée de potentiels relais de croissance économique pour l’IAA.

L’hétérogénéité de l’agroalimentaire demeure certes très forte, mais elle s’érode, comme dans la plupart des activités capitalistiques, sous la

pression de trois forces puissantes et interdé-pendantes : la concentration, la globalisation et la fi nanciarisation.

Une concentration rapide dictée par les économies d’échelleDix pays concentrent 85 % de la production mondiale de l’IAA et 70 % des salariés. Fait notable, à la suprématie absolue des grands pays riches (États-Unis, Allemagne, France, Japon) a succédé, au début des années 2000, un partage du leadership mondial avec les pays émergents : Chine, Russie, Brésil, Inde.

La concentration doit aussi s’apprécier au niveau des entreprises. Selon nos calculs [Rastoin, 2008], si l’on considère les secteurs les plus avancés du point de vue de la tech-nologie et du marketing, comme par exemple les produits laitiers ultrafrais, les boissons non alcoolisées, les produits de grignotage, l’oligopole se réduit à une poignée de fi rmes

Les leaders mondiaux de l’agroalimentaire en 2009

À côté des acteurs historiques de l’agroalimentaire en Europe, aux États-Unis et au Japon, se développent aujourd’hui de grandes capacités de production dans les pays émergents. Des concurrents d’autant plus redoutables qu’ils n’ont pas encore atteint la productivité des pays du Nord.

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contrôlant près des ¾ du marché. Le profi l moyen des fi rmes du top 10 de l’IAA témoigne de la taille et donc du pouvoir économique consi-dérable de ces entreprises : en moyenne près de 47 milliards de dollars de chiffre d’affaires (CA), 119 000 employés, résultat net d’environ 3,7 milliards de dollars, en 2007. À titre de comparaison, la première entreprise française, Danone, est au 12e rang, avec 17 milliards de dollars de CA (5 fois moins que le numéro 1 Nestlé) et 1,9 milliard de dollars de profi t (6 fois moins que Nestlé). Notons que l’hégé-monie états-unienne reste une réalité : dans le top 15, 9 fi rmes sont américaines. Les quelque 8 000 fi liales étran-gères des 100 premières fi rmes agroalimentaires mondiales sont largement présentes dans les pays émergents et les PED, ce qui accroît la concentration du capital agroalimentaire dans les PHR.

Les « franges » de cet oligo-pole sont peuplées de plus de 600 000 entreprises dans le monde – en majorité petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE) – qui « maillent » densément l’espace rural et périurbain, avec des produits « territo-rialisés » privilégiant souvent la qualité organo-leptique et les cultures locales [Noronha Vaz, N� kamp et Rastoin, 2008]. Dans l’Union euro-péenne, les TPE (0 à 9 salariés) et les PME (10 à 249 salariés) représentaient en 2009 86 % des 360 000 entreprises de l’IAA, 63 % de l’emploi et 48 % du CA [CIAA, 2011].

Des performances économiques et technologiques élevéesLa concentration résulte de la recherche de compétitivité. Dans les systèmes alimentaires industrialisés, le marché de l’IAA est constitué majoritairement par la grande distribution (GD), elle-même très concentrée (dans l’Eu-rope occidentale, les ménages y font plus de 80 % de leurs achats alimentaires). La concur-rence entre fi rmes de la GD s’exerce principale-ment par les prix au consommateur et donc par les prix nets payés aux fournisseurs de l’agroa-limentaire. Il y a donc une obsession des gains

de productivité dans l’IAA poussant à dimi-nuer le coût unitaire fi xe par l’augmentation de la taille des usines (économies d’échelle, substitution de la main-d’œuvre par mécani-sation et robotisation). Les progrès technolo-giques ont permis à la fois de réduire sensible-ment les pertes et d’améliorer les contrôles de qualité sanitaire des produits. Cette prouesse saint-simonienne a deux revers : la diminu-tion considérable des emplois (nombre de sites industriels divisés par quatre 1 et des effets négatifs sur l’environnement et la sécurité alimentaire). Partout, le processus de concen-

tration s’observe dans l’agricul-ture et l’IAA dès que les circuits de commercialisation se modi-fi ent, avec l’arrivée des chaînes de magasins de grande surface [Reardon et Minten, 2011]. Selon nos estimations, en 2010, 55 % de la population mondiale fréquente les supermarchés, s’insérant de fait dans un système alimentaire de type agro-industriel.

La concentration dans l’agroa-limentaire a une autre justifi cation : l’exigence de sûreté alimentaire (non-toxicité des aliments). La crise de l’ESB (vache folle) du milieu des années 1990 et celles qui ont suivi (salmonellose, etc.) ont incité la GD à mettre en place des procédures de surveillance de qualité et de traçabilité très contraignantes au niveau de l’IAA. Aujourd’hui, le système alimentaire vit sous l’empire des normes (IFS, BRC, GlobalGap, etc.) élaborées en partie par la GD. Leur coûteuse application est un passage obligé pour les entreprises agroalimentaires souhaitant être référencées par la GD.

Enfi n, la concentration assure le fi nance-ment des investissements immatériels (inno-vation et communication) qui permettent de gagner des parts de marché, grâce à l’effet de levier autorisé par la taille. Ces investissements sont considérables. Ainsi, la R&D représentait en 2008 environ 1,5 % du chiffre d’affaires

1. La stabilité des effectifs dans l’IAA est due aux petites entreprises compensant par la création d’emplois les destructions importantes au niveau des grands établissements de plus de 500 salariés.

Il y a une obsession

des gains de productivité dans l’IAA poussant à diminuer le coût unitaire fi xe par l’augmentation de la taille des

usines.

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des grandes entreprises agroalimentaires de l’OCDE, tandis que, selon les produits, la publicité représente entre 5 et 15 % du prix fi nal. Là encore, les effets d’échelle jouent et avantagent les grandes fi rmes.

La trajectoire historique de l’économie de marché fait qu’aujourd’hui, dans les PHR, l’IAA dépense plus en services (logistique et marke-ting principalement) qu’en matières premières agricoles. On est passé d’une structure moyenne de prix fi nal d’un aliment « 40/A-40/I-20/S 2 » à « 20/A-30/I-50/S » en un peu plus d’un demi-siècle dans les pays européens : l’IAA est ainsi devenue une industrie tertiaire [Nefussi, 2004], étrange paradoxe ! En réalité, la struc-ture des coûts révèle d’une part l’évolution des comportements des consommateurs et d’autre part un « partage » de la valeur économique du bien refl étant les pouvoirs de marché des différents acteurs des fi lières.

Une industrie qui n’échappe pas aux lois d’airain de la globalisation et de la financiarisationEn dépit de ses nombreuses spécifi cités liées à l’exploitation de matériaux vivants, l’IAA tend à se banaliser et devient une industrie de biens de grande consommation mondialisée et pilotée par les marchés fi nanciers, sans pour autant assurer la sécurité alimentaire.

Une globalisation rapide des marchés agroalimentairesLa globalisation se caractérise à la fois par une intensifi cation des échanges internationaux de toute nature, par une nouvelle géopoli-tique de ces échanges et par des modifi cations en profondeur au plan managérial, impul-sant de nouveaux modes de gouvernance. L’IAA a accompagné ce mouvement beaucoup plus facilement que l’agriculture en raison de sa capacité à rendre stockables et transpor-tables des produits périssables (les matières premières agricoles).

La manifestation la plus visible de la glo-balisation est celle de la croissance soutenue

2. Parts en pourcentage des matières agricoles (A), transformation industrielle (I) et services (S) dans un produit alimentaire.

quoiqu’irrégulière du commerce international. Les exportations mondiales de produits agricoles et alimentaires ont ainsi été mul-tipliées par 4,4 dans les 30 dernières années pour avoisiner 1 000 milliards de dollars en 2009. Néanmoins, les commodités agricoles (matières premières de base) connaissent une progression beaucoup moins rapide que les produits transformés issus de l’IAA dans les échanges internationaux (dont l’exportation représente, en 2009, 40 % du commerce total des produits agricoles et alimentaires). L’Union européenne est la première puissance agroalimentaire mondiale avec 54 % des expor-tations et 49 % des importations mondiales de produits transformés. Les ¾ de celles-ci sont constitués de fl ux intra-communautaires, mais même en n’en tenant pas compte, la supréma-tie européenne se confi rme : 31 % des expor-tations et 22 % des importations mondiales, loin devant le Mercosur (respectivement 20 % et 2 %) et l’Alena (10 % et 17 %). Néanmoins, la croissance rapide des exportations totales de produits alimentaires bruts et transformés de la « ferme du monde », le Brésil, et des autres pays émergents, remodèle inexorablement le panorama du leadership mondial.

Cette dynamique est cependant condition-née par l’achèvement du cycle de Doha dont l’objectif est de démanteler les protections tari-faires et les obstacles techniques au commerce pour les produits agricoles et de l’IAA. Dans un contexte d’enlisement des négociations, les accords régionaux et bilatéraux se mul-tiplient en aggravant souvent les distorsions internationales. La question géopolitique qui se pose alors est celle de l’évitement d’un duo-pole hégémonique États-Unis/Chine par une construction politique euro-méditerranéenne et africaine. Les avatars actuels de la gestion économique de la zone euro font douter d’une telle perspective à moyen terme.

La globalisation a également un impact sur l’organisation des activités productives. Depuis quelques années, un phénomène nouveau se développe : la répartition à travers le monde, selon les critères coûts/avantages, des activités fonctionnelles des grandes fi rmes, c’est-à-dire des services de recherche, de gestion des

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ressources humaines, d’informatique et de fi nance. Cette géostratégie est motivée par deux critères : la recherche de marchés en croissance et celle d’avantages en termes de coûts de production, ce qui explique les deux récentes vagues d’investissement en Europe centrale et orientale, et en Asie.

La question la plus controversée est ici celle de la délocalisation des unités industrielles en fonction des avantages concurrentiels. Cependant, ce mouvement ne bénéfi cie pas aujourd’hui aux PED, qui ne sont concernés que par 0,06 % (agriculture) à 2,8 % (agroa-limentaire) des investissements directs à

l’étranger (IDE). Au contraire, ces pays font encore les frais de cette stratégie de localisa-tion d’activités sur des sites avantagés par les coûts fi xes unitaires et surtout l’organisation et la technologie, situés dans les pays riches ou émergents. À partir de ces sites, les produits sont exportés dans le monde entier, comme le montre l’exemple du poulet congelé standard américain ou brésilien inondant les marchés africains, détruisant les fi lières locales et faisant disparaître, à terme, le patrimoine culinaire régional.

La globalisation concerne aussi les risques sanitaires (vulnérabilité accrue aux pandémies

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MERCOSUR

CHINE

RESTE DU MONDE

JAPON

RUSSIE

PSEM*

AFRIQUESUBSAHARIENNE

ALENA

*Pays du Sud-Est méditerranéen

Échanges agroalimentaires mondiaux (en millions de dollars, hors commerce intra-zone)

200

Les échanges de moins de 200 millions de dollars ne sont pas représentés.

1 000 3 000 10 000 25 400

Source : élaboration d’Antoine Madiginer, d’après Nations unies, base de données Comtrade, avril 2011.

Des échanges dominés par le Nord

Si les exportations de produits agroalimentaires augmentent rapidement dans les pays émergents, et notamment le Brésil, les échanges agroalimentaires mondiaux hors-zone sont eux encore dominés par des acteurs du Nord : UE et Alena.

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Food miles, ACV et développement durable

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suite à la concentration de la production animale), les nuisances environnementales (pollutions et gaz à effet de serre), les orga-nisations professionnelles et les ONG. Les mouvements de contestation multi-pays sont de plus en plus fréquents et amplifi és par les technologies de la société numérique. Dans l’agroalimentaire, les crises déclenchent des réactions internationales plus ou moins bien coordonnées mais de plus en plus visibles, comme on a pu le constater lors de la fl ambée des prix de 2008.

L’impact de la financiarisation des grandes firmes agroalimentairesL’IAA n’a pas été épargnée par la fi nanciarisa-tion de l’économie mondiale dans les trente dernières années : la plupart d’entre elles ont recours au marché boursier pour se fi nancer. En conséquence, des fonds d’investissement, pratiquant le court-termisme et exigeant une rentabilité élevée, sont présents à leur capital 3. Ces deux indicateurs justifi ent des décisions souvent brutales d’achat ou de vente d’actions, ce qui génère une instabilité chronique, guère compatible avec l’activité agroalimentaire. En effet, cette activité est soumise aux aléas biolo-giques et climatiques et donc à un horizon temporel bien plus long que l’électronique ou l’industrie du vêtement. À ceci s’ajoute l’in-tervention de hedge  funds (fonds spéculatifs) sur les bourses commerciales internationales comme celle de Chicago, New York ou Londres qui traitent des commodités, avec des effets amplifi cateurs de volatilité (ainsi, en 2007 et 2008, les prix des céréales et oléagineux ont été triplés, puis divisés par deux). Ces soubre-sauts posent d’énormes problèmes tant aux agriculteurs qu’à l’agroalimentaire, en particu-lier aux petites structures.

Et les consommateurs ?L’agriculture et l’IAA ont un rôle essentiel à jouer dans la sécurité alimentaire des consom-mateurs. En effet, elles constituent, ensemble, le « cœur productif » de cette sécurité, avec une

3. Par exemple, dans le cas de Danone, le « noyau stable » d’action-naire est estimé à 5 % du capital.

contribution souhaitable à l’objectif défi ni par la FAO en 1996 d’assurer à tous une alimen-tation de qualité, en quantité suffi sante et conforme aux cultures locales. Le défi global de nourrir une population croissante a bien été relevé voire dépassé dans les 50 dernières années, en termes quantitatifs, puisque les disponibilités alimentaires par habitant de la planète (2 800 kcal/jour/personne en 2007, soit 600 kcal/jour/personne au-dessus des besoins) dépassent aujourd’hui les besoins standard défi nis par les nutritionnistes. La croissance des disponibilités fournies par l’agriculture et l’IAA a été supérieure à celle de la démographie. De plus, à l’échelle mondiale, les risques de toxicité microbienne ont été fortement réduits par les progrès de la science, de la technologie et de l’organisation.

Toutefois, ce constat doit être nuancé : des disparités considérables existent entre pays et, au sein des pays, entre régions, dont certaines sont marquées par de lourds défi cits alimen-taires, par des carences et/ou par des excès nutritionnels. Outre le milliard de personnes que la FAO a estimé souffrir de défi cit calorique, les carences en oligoéléments (notamment

Une étude britannique [Smith et alii, 2005] a chiffré les externalités négatives des food miles ou « kilomètres alimen-taires » (9 milliards de livres sterling en 2002, soit 13 % de la valeur ajoutée du système alimentaire), avec une forte pro-portion du coût total imputable aux embouteillages (57 %) et un impact significatif en termes de santé publique (accidents, pollution et bruit : 30 %).Selon une étude américaine, en 1997, les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenaient à 84 % de la production agricole et agroalimentaire et seulement à 6 % des trans-ports dans le système alimentaire [Weber et Matthews, 2008]. Il en résulte qu’acheter local permettrait au maximum d’économiser 4 à 5 % d’émissions de GES. Un changement des habitudes alimentaires, en substituant un jour par semaine la viande rouge et les produits laitiers par une autre source de protéines animales ou végétales, aurait le même impact. Fin-alement, les analyses de cycle de vie (ACV) environnementa-les et sociales apparaissent comme beaucoup plus pertinen-tes que les food miles pour évaluer les impacts des différentes filières de production et commercialisation des aliments.

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le fer) et en vitamines touchent 2 milliards de personnes dans le monde, entraînant des troubles de santé souvent irréversibles notam-ment chez les enfants [Delpeuch, Le Bihan et Maire, 2005]. En 2008, le surpoids 4 concernait 1,5 milliard de personnes et l’obésité 5 plus de 500 millions d’individus de plus de 20 ans [OMS, 2011]. Enfi n, des présomptions scien-tifi ques d’effets pathologiques sévères pèsent sur l’accumulation de métaux lourds et de résidus de l’agrochimie ou des ingrédients de synthèse dans les aliments [Schlosser, 2005].

On peut tirer de ce bilan une synthèse en demi-teinte pour l’IAA mondiale qui serait évidemment à nuancer selon les pays et les fi lières. Cette activité tournée vers le marché très basique de l’alimentation continue d’occu-per une place éminente dans les économies contemporaines. Cette place est confortée par des effets d’entraînement économiques

4. Indice de masse corporelle (IMC) égal ou supérieur à 25.

5. IMC égal ou supérieur à 30.

et sociaux en amont (agrofourniture et agri-culture), en aval (commercialisation) et en périphérie (industries et services liés comme les équipements et la logistique) : on estime qu’un emploi dans l’IAA « génère » en moyenne quatre emplois dans son environnement. Le modèle de production de masse fondé sur des économies d’envergure vers lequel convergent la plupart des pays permet une réduction importante des prix réels des aliments et amène une relative sécurité sanitaire alimentaire. Il s’accompagne cependant d’une redistribution des sites industriels induisant celle des bassins de production agricole et aggravant les asy-métries internationales et régionales. Autre conséquence discutable : l’uniformisation des diètes à travers des produits globaux standar-disés dont la consommation est incitée par un packaging et marketing dispensieux, souvent abusifs. Les incitations à l’achat et les défi cits éducatifs entraînent dans les pays riches un gaspillage considérable, proche du tiers de la nourriture achetée [Ventour, 2008]. Enfi n, les externalités négatives de l’IAA concentrée génèrent des coûts importants en termes de santé publique et d’environnement, qui ne sont à ce jour pas intégrés dans les comptes des entreprises, car pris en charge – à des degrés divers – par la collectivité. Il y a un énorme défi pour l’IAA qui pourrait, dans sa position d’interface entre une production agricole insuffi sante (PED) ou fragilisée par la spécialisation et l’intensifi cation (PHR) et un consommateur souvent mal nourri, jouer un rôle important au service de la SA mondiale.

Conclusion : vers une transition alimentaire « hybride » ?La combinaison de la pression des variables de changement (démographie en hausse, ressources naturelles et biodiversité en baisse, réchauffement climatique, crises socio-écono-miques) et des infl exions dans les cadres politiques et stratégiques justifi ent l’élabora-tion de deux scénarios prospectifs à l’horizon 2050 pour le système alimentaire mondial. Le premier est celui de la généralisation du modèle agro-industriel tertiarisé (MAIT), dans un contexte de continuité du capitalisme

Dans les PVD, et en particulier dans les PMA, la situation est radicalement différente. En effet, au fil du temps, on a vu émerger, dans la plupart des pays du monde, un système ali-mentaire dual, pour ne pas dire schizophrène. D’un côté un sous-ensemble tourné vers les classes moyennes et aisées des grandes métropoles urbaines et l’exportation qui reproduit le schéma agro-industriel ; de l’autre un sous-ensemble tra-ditionnel qui concerne la majorité de l’espace rural. Globa-lement dans ces pays, la population agricole est nombreuse, les prix alimentaires relatifs élevés (ils accaparent la majeure partie du revenu des ménages), un temps considérable est consacré par les femmes à la préparation des repas du fait du faible degré d’élaboration des produits alimentaires, l’inté-gration au commerce international reste faible en dehors de quelques rares commodities. Pour ces pays, la priorité est évi-demment de sortir de la pauvreté [Sen, 1981] par la moder-nisation de l’agriculture et la diversification des activités. Il est donc très important de combiner politiques agricoles et politiques alimentaires [Raoult-Wack et Bricas, 2002]. Ces pays doivent éviter de reproduire un modèle dont on aper-çoit aujourd’hui les limites et intégrer dans leurs politiques les objectifs du développement durable.

La question alimentaire dans les pays en voie de développement

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« libéral ». Le second scénario envisage la consolidation d’un modèle alternatif fondé sur la proximité (MAP) et des réseaux de PME/TPE, dans l’hypothèse du renforcement des politiques en faveur d’un développement local équilibré.

Dans le cadre du MAIT, on peut imaginer, à l’horizon 2050, que 500 000 exploitations agri-coles de 4 000 hectares 6 (agribusiness) et une centaine d’entreprises géantes des secteurs de l’agrofourniture, de l’industrie agroalimentaire, de la logistique et de la distribution assurent l’essentiel de la production et de la commer-cialisation des aliments. La combinaison d’un marché façonné par d’énormes budgets publicitaires et d’un intense lob-bying collusif des multinationales sur des questions transversales telles que les standards de qualité des produits, l’information du consommateur, la fi scalité, etc., assure à ces fi rmes le contrôle de la gouvernance mondiale du système alimentaire.

A  contrario, dans le MAP, les entreprises ont des dimensions réduites (micro-entreprises et PME) et donc des besoins en capitaux limités, ce qui leur permet de ne pas recourir aux marchés fi nanciers et d’adopter des statuts juridiques plus transparents que les sociétés anonymes qui sont la règle dans le MAIT, mais aussi plus impliquant (contact direct avec les actionnaires et les salariés). En agriculture, c’est l’entreprise familiale qui prédomine (environ 50 millions). La taille des entreprises du MAP conduit à des technologies adaptées et à des formats d’usine réduits. Les formes d’organisation et le manage-ment des entreprises dans le MAP sont fondés sur le partage de ressources et de compétences à travers des réseaux d’entreprises de manière à réduire les coûts qui ne bénéfi cient pas des économies d’échelle comme dans le MAIT et à dégager des synergies entre acteurs.

La prospective du système alimentaire construite autour de deux scénarios contrastés

6. Moyenne théorique ne rendant pas compte des disparités interna-tionales subsistantes.

fait l’hypothèse que le MAIT n’est pas en mesure de répondre de façon satisfaisante aux préconisations du développement durable. En effet, si ce modèle parvient, globalement, à fournir des denrées à bas prix (effi cacité économique), c’est souvent au détriment de l’environnement naturel (externalités néga-tives) et en générant des injustices sociales entre pays et, au sein des pays, entre acteurs des fi lières qu’ils soient producteurs, commer-çants ou consommateurs. De son côté, le scé-nario alternatif, s’il satisfait mieux à trois des exigences du développement durable (équité, environnement et gouvernance participative), pose problème en ce qui concerne la compé-

titivité économique et l’aptitude à fournir des aliments à bas prix 7.

Compte tenu des inerties tant des producteurs que des consom-mateurs et des limites inhérentes au système démocratique (l’hori-zon des politiciens est limité à la prochaine élection), l’évolution la plus probable du système alimen-taire est la poursuite d’un troi-sième scénario de cohabitation entre les deux modèles présentés,

avec une incertitude sur la consolidation et la croissance du schéma alternatif. En effet, un ajustement du modèle agro-industriel pour prendre en compte certaines des contraintes évoquées plus haut est déjà en cours.

Il est donc indispensable de réfl échir à la façon d’organiser la transition vers un nou-veau modèle de développement alimentaire « durable ». Ce modèle prendra probablement, à l’horizon de deux générations, une forme hybride combinant, selon les espaces géogra-phiques, les mentalités et les comportements, des confi gurations modernes (basées sur la globalisation) et post-modernes (basées sur l’ancrage territorial), du fait de l’extrême diversité des situations observées.

7. Le modèle quantitatif Agrimonde conduit à une conclusion majeure : dans deux scénarios contrastés s’apparentant aux modèles discutés ici, les ressources en biomasse agricole potentiellement mobilisables dans le monde permettent de satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050 [Paillard, Treyer et Dorin, 2010].

Il est donc indispensable

de réfl échir à la façon d’organiser

la transition vers un nouveau

modèle de développement

alimentaire « durable ».

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Pour aller vers une alimentation durable, on ne peut tabler sur une régulation par le seul marché. Une véritable politique alimen-taire doit être mise en place, qui n’est visible dans aucun pays du monde à ce jour. Une politique alimentaire doit être une incitation effi cace à améliorer le régime nutritionnel. Elle est basée sur une modifi cation du com-portement du consommateur par une édu-cation à entamer dès le plus jeune âge. Elle passe par une réfl exion sur les allocations de ressources budgétaires (revalorisation du budget alimentaire) et de temps (augmenta-tion du temps domestique consacré à l’éla-boration des repas). Elle doit aussi guider la politique agricole et industrielle dans le sens de l’amélioration de la qualité nutritionnelle des produits vendus et du remodelage du modèle de production-commercialisation par une diversifi cation et des circuits plus courts. Enfi n, elle doit comporter un effort de R&D sur ces modèles, visant en particulier de nouveaux itinéraires techniques, paniers de produits et formats d’entreprises.

Une telle politique alimentaire implique une coordination régionale et une concertation

internationale. Compte tenu des dérives induites par la globalisation des marchés agricoles et agroalimentaires, on pourrait imaginer de « régionaliser la mondialisation » (c’est-à-dire envisager des mesures spécifi ques dissuasives et incitatives aux frontières et au sein de macro-régions telles que l’Euro-Médi-terranée), afi n de « relocaliser » les systèmes alimentaires. Il s’agirait alors de resserrer les distances entre lieux de production et lieux de consommation. La réhabilitation des fi lières courtes aurait pour avantages essentiels de maintenir (s’il est encore temps) la diversité des modèles de consommation (en les faisant évoluer vers une meilleure adéquation nutri-tionnelle), de stabiliser ou créer des activités et donc des emplois en zone rurale, dans la majorité des pays de la planète et de redonner du sens aux rapports entre producteurs et consommateurs [Winter, 2003].

Le scénario alternatif nous invite à inven-ter un nouveau modèle agroalimentaire qui valorise le patrimoine historique spécifi que de chaque société et de chaque territoire, avec les connaissances scientifi ques et tech-niques de ce siècle. ■

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

2012

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25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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