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L’article d’Ernst  Nolte, « Die Action française 1899–1944 » Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte , t. 9, n o 2, 1961, p. 124–165 Tony Kunter Novembre 2007

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  • Larticle dErnst Nolte, Die Action franaise 18991944

    Vierteljahrshefte fr Zeitgeschichte, t. 9, no 2, 1961, p. 124165

    Tony Kunter

    Novembre 2007

  • dition lectronique ralise parMaurras.net

    etlAssociation des Amis

    de la Maison du Chemin de Paradis.

    2007

    Certains droits rservsmerci de consulterwww.maurras.net

    pour plus de prcisions.

  • Texte prsent sur Maurras.net, rdig par Tony Kunter, titulaire dunmaster dhistoire des ides politiques contemporaines.

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  • Prs de dix ans aprs la mort de CharlesMaurras, Ernst Nolte (n en1923), le seul philosophe de lhistoire parmi les historiens et le seul historienparmi les philosophes de lhistoire 1, alors professeur dans un lyce Bonn,publia une synthse globale sur lAction franaise dans la revue munichoisede lInstitut fr Zeitgeschichte.

    Marqu trs jeune par la monte des idologies extrmes du bolchevisme etnational-socialisme2, un handicap de naissance la main lui permit dchap-per lenrlement dans la Wehrmacht et de passer la guerre tudier.Agrg de philosophie en 1952, il aurait aim raliser sa thse (traitant de Lalination et la dialectique dans lidalisme allemand ) sous la directionde Heidegger mais dut se rsigner travailler avec Eugen Fink. Lors deson professorat Bonn, il entreprit dcrire un livre qui fut publi en 1963.Cet ouvrage, le Fascisme dans son poque, connut un succs tel quil futrecrut lUniversit de Marburg puis lUniversit libre de Berlin (1973).

    Dans les annes 80, et plus particulirement entre 1986 et 1988, il fitscandale dans le cadre de l Historikerstreit qui lopposa notamment Jrgen Habermas. Dans la Guerre civile europenne 19171945, National-socialisme et bolchevisme, il dcrivait le fascisme et plus spcifiquement lenational-socialisme comme une raction nationaliste face au dveloppementdu marxisme-lninisme en Europe. Son optique mthodique phnomno-logique de focalisation interne (il se base sur les crits des chefs-penseurscharismatiques), et son approche pistmologique dhistoire des idologies

    1Nolte trouve un tel propos un peu exagr mais (. . .) pas faux . Cest ainsi que ledfinit HorstMoller, directeur de lInstitut dhistoire contemporaine en Allemagne ; citpar Thomas Roman dans son entrevue avec Nolte du 25 novembre 2002, consultableen ligne sur http://www.parutions.com/pages/1-6-82-3331.html (page consulte le4 janvier 2006).

    2 Dans lendroit o jtais enfant, dans la Ruhr, une ville petite mais trs industrielleo les communistes et les nationaux-socialistes taient les deux partis les plus forts, je pusvoir, ds avant la prise du pouvoir, ces deux partis interagir, se menacer etc. Jai doncgrandi dans une atmosphre de controverses idologiques et politiques. Extrait de lamme entrevue.

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  • qui tendait, par une mise en parallle des nazisme et communisme, amoin-drir le caractre singulier de la barbarie hitlrienne, lui valurent dtre taxde rvisionnisme par Habermas, entre autres. Aprs cette dispute des his-toriens , il sest orient davantage vers la philosophie politique (Nietzsche,Heidegger) pour achever sa carrire sur la publication dun recueil de conf-rences sur le national-socialisme.

    Nonobstant une carrire riche en publications, dont bon nombre sontrcentes, le Fascisme dans son poque, de son propre aveu, reprsente le noyaudur de son uvre3. Il est compos de trois parties, dont la premire portesur lAction franaise. Aussi, il semble tout fait concevable davancer quelarticle dune quarantaine de pages publi en 1961 dans le neuvime tome duVierteljahrshefte fr Zeitgeschichte constitue la fois une prsentation et unesynthse du premier volume de son travail. Quand on connat linfluence quaeu ce dernier dans les annes 60 sur le dveloppement de toutes les tudes surle thme du fascisme dans lEurope du court XXe sicle4, on peut conclureaisment que cet essai constitue un prmisse de lhistoricisation massive dufascisme, mme si les antriorits existent (Hannah Arendt, pour exemple,stait largement intresse ces questions dans les annes 50).

    La prsentation de lauteur et de son uvre nous permet donc de voir quel moment de son cheminement intellectuel se situe cet article, ce quilreprsente, ce dont il est porteur concernant son idologie personnelle. Dansun cadre historique plus global, lvocation dune Allemagne dchire aprsl anne zro dcoulant de la chute du nazisme, et qui va avoir maille partir pendant longtemps avec ce pass qui ne veut pas passer , de laresponsabilit collective aux culpabilits individuelles, suffit saisir les enjeuxrelatifs au point de vue dvelopp par Nolte. Cependant, ce point de vue,quel est-il ?

    3 Le Fascisme dans son poque reste mon uvre initiale. Toutes les uvres suivantesont pris leur dpart de ce point. Extrait de la mme entrevue.

    4 ce sujet, on peut citer Ian Kershaw, Quest-ce que le nazisme ? Problmes etperspectives dinterprtation, coll. Folio histoire, Paris, Gallimard, 2003 (rd.), p. 64.

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  • Une description de la problmatique et de lanalyse dployes dans lar-ticle l Action franaise, 1899-1944 semble simposer.

    Nolte dbute sur lvocation du mouvement tel une consquence delaffaire Dreyfus. Mais, plus largement, il fait vite de cette rvolutionsans effusion de sang parmi toutes que fut cette dernire (citant GeorgesSorel) le point de dpart de la France du XXe sicle, insistant aussi sur lagestation du sionisme, ou encore sur la diffrenciation du socialisme et dumarxisme, qui en rsultent. Cette prcocit franaise, alors que le sicle com-mence partout ailleurs en Europe par la Premire Guerre mondiale, en cacheune autre. En effet, lAction franaise prfigure le fascisme ; mieux, elle seraitdaprs le disciple de Heidegger le premier de tous ( der erste von allen ).Cependant, il prcise que cette perspective a t remise en cause, en parti-culier par Hannah Arendt. Cette nuance savre ds lors utile pour mettreen avant tout lintrt de questionner la nature du mouvement rapidementdomin par la personnalit de Charles Maurras.

    Ainsi, la problmatique se pose delle-mme par une srie de questions : lerationalisme de lAction franaise reste-t-il trs loign de cet irrationalismefougueux , qui semble gouverner plus tard les actes et la pense en Italieet en Allemagne ? Ne constitue-t-elle pas quun petit groupe dintellectuelsau regard de la rpartition des forces parlementaires ; petit groupe de touteautre nature que les normes mouvements de masse du fascisme italien etdu national-socialisme allemand ? Est-ce que son monarchisme, sa tendanceconservatrice et contre-rvolutionnaire ne sont pas, pour ainsi dire, lopposdes volonts de changements rvolutionnaires, que Hitler et Mussolinisuivent dans leur combat sans piti contre les forces conservatrices de leurpays ?

    Lauteur prcise que ces questions ne sont pas trs claires sans une analysetraitant des idologies, des types dorganisations et des tendances passer laction. La base dune tude comparative centre, pour cet article, surlAction franaise semble se dcider ds la problmatisation introductive deNolte.

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  • Retraant rapidement lvolution de lAffaire Dreyfus, dun cas de jus-tice une polmique politique globale, insistant sur le rle majeur du chef desservices de renseignement Picquart ( der wahre Held der Affre , le vraihros de lAffaire, selon lui ; opposer au bruit de papier du Syndicat ),il sattarde aprs le suicide de Henry sur larticle le Premier sang . Alorsque le Jaccuse de Zola et surtout le suicide du faussaire rendaient larvision invitable et la rhabilitation probable, la rcriture des vnementspar Maurras avec le faux patriotique dun tmoin de sang redon-nait lissue du dossier son caractre plus incertain, en ce que cette relecturescellait nettement laffrontement entre anti- et pro-Dreyfus. La France,ou plutt le clan, doit se rassembler face aux saignes sournoises des enne-mis de lintrieur et de lextrieur pour livrer la dernire bataille : plusquune mythologie reposant sur le sang, Maurras, unissant dans un men-songe ncessaire ses qualits de lyrique, de flibre, de critique littraire et deconteur, refuse quune individualit puisse mettre devant un juge une institu-tion comme lArme. Cette attaque de lindividualisme face la socit prisedans son acception holistique est mettre en parallle avec les menaces quiplanent sur le devenir de la France, la sainte arche militaire tant la garantiede celui-ci.

    Cette analyse du Lebenslge des Kerns der franzsischen Armee (lemensonge vital, le mensonge expression de linstinct de survie du noyau,du cur que reprsente larme franaise), que mne Nolte, le conduit, au-del du rapprochement de la conception maurrassienne holistique de lintrtgnral croise la parabole de larbre de Barrs, ancrer lidologie5 delAction franaise tout entire dans le travail contre-encyclopdique entreprispar Charles Maurras. Ce dernier a pour finalit dopposer une force com-parable aux enseignements malveillants de Karl Marx. Rappelant le rleprpondrant comme penseur politique de son temps que le matre dActionfranaise va jouer, le philosophe/historien allemand insiste sur lcho final duvieillard de 76 ans son fameux cest la revanche de Dreyfus 6 afin demontrer en quoi cet lment, ce mensonge vital constitue le fil directeurde la vie de Maurras.

    Sa prsentation de lvolution de lAction franaise de 1898 1944, aprsavoir pos les questions principales concernant le sujet et voqu la tramede lAffaire Dreyfus par rapport au mouvement dans sa gestation puis sonvolution, se veut alors chronologique, passant souvent sans les distinguer

    5Et non les ides, la pense ou la doctrine : comme nous lavons vu, le terme a unsens dautant plus fort quil relve dune optique pistmologique et quil soppose ici lidologie marxiste.

    6On sait que cest par cette phrase que Maurras rpondit lannonce de sa condam-nation lissue du procs de 1945.

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  • de Maurras lAction franaise en gnral, et inversement. Ds que celasemble opportun Nolte, il insre des rfrences au fascisme italien et/ouau nazisme allemand, pour progresser dans sa volont comparatiste.

    Il choisit, tout dabord, dans un paragraphe, de prsenter les originesdu penseur dAction franaise. Du cadre familial la surdit qui le conduitsur la voie de la posie, la philosophie et la politique, en passant par sespremiers souvenirs de la guerre de 1870, par lducation catholique et sa ren-contre desprit avec Lamennais, les romantiques, puis la perte de la foi,jusqu son intriorisation des ides de Comte, Nolte montre commentsest forg lesprit de Charles Maurras. Des origines de vie, il en vientdonc la formation intellectuelle du jeune Provenal. Il insiste alors surle choc subi face au cosmopolitisme parisien, et sur sa dtestation prcocepour la propagande du marxisme quil traite dj d allemande et juive .Il revient ensuite sur le premier programme provenaliste de Maurras quisemble sopposer au fascisme. Mais le provincialisme se veut surtout anti-jacobinisme, et anti-protestantisme, car la Rforme est venue den haut.Il traite ds lors de ses choix desthtique littraire qui lamnent vers leno-classicisme et lcole romane deMoras, lensemble tant interconnectavec sa conception de la socit et de la religion (liens entre la forme romano-paenne et le catholicisme). Il en vient enfin lide de nation qui se construitchez Maurras en raction aux crits de Fichte en mme temps quavecune prise de conscience de la dcadence nationale lors de son voyage journa-listique en Grce pour les Jeux olympiques. Cette rvlation le conduit sur lavoie du monarchisme. Nolte conclut sur larrive deMaurras en politiquepar un dpassement, une synthse du pote et du philosophe. Mais il sagitdun politique intgral ( ein integraler Politiker ) qui fonde sa perceptionde la vie de la cit sur une confrontation entre la thologie, la mtaphysiqueet lesthtique.

    Dans un second moment, le disciple de Heidegger insre ce person-nage principal, dont il vient de dcrire le vcu de jeunesse et la formationintellectuelle, dans le contexte de lAction franaise en gestation jusqu lafondation du journal en 1908. Nolte dcrit la cration du mouvement enprsentant brivement Henri Vaugeois et Maurice Pujo, et en insistant surlaspect microscopique de ce groupe dintellectuels de tendances trs varies.Il dpeint la monte en puissance, en opposition aux dreyfusards, de lcoledAction franaise, avec son nouveau nationalisme, intgral , teint depenses contre-rvolutionnaires. ce sujet, le philosophe allemand considrequon a eu raison de dire que, dans les annes davant-guerre, il ny avaitnulle part ailleurs un groupe politique intellectuel de si haute qualit que lajeune Action franaise. Il termine sur les publications de Maurras cettepoque et lascension nergique de la Ligue.

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  • Le troisime point sintresse la priode qui va de la fondation du jour-nal quotidien la fin de la guerre. Quand parat celui-ci pour la premirefois, le 21 mars 1908, une nouvelle phase se dessine. La monte de la violencequi transparat avec la naissance des Camelots du roi et laffaire Thalamas,ainsi que la volont de faire un coup de force , qui donne la recette pour la Marche sur Rome , tmoignent dune radicalisation du mouvement, maisfont surtout ressortir les structures de base de la brutalit fasciste ; pourexemple lide dexpdition punitive7. Lauteur revient alors un instant surles rapports, plus ou moins opportunistes, qui se nouent entre Pie x, lglisedans sa dimension conservatrice, et les ides de Maurras, contre lmer-gence du catholicisme social du Sillon de Marc Sangnier. Ce sont ensuiteles relations avec le syndicalisme qui sont tudies. Sur cette thmatique, tousles efforts argumentatifs se bornent dmontrer en quoi penses et actes vontdans le sens d un fascisme avant la lettre 8. Du courant dide national-socialiste de Henri Vaugeois la collaboration de Georges Valois (selonNolte, futur Mussolini franais avec son Faisceau fond en 1925), sansoublier le cercle Proudhon, Nolte veut insister sur la germination fascisteau sein de lAction franaise. Cependant, il nuance son propos par lchec dugroupe sorlien et la prfrence de Maurras pour le conservatisme pater-naliste de La Tour du Pin. Mais la prparation de la guerre va dtournerle mouvement des exprimentations de politique sociale.

    LAction franaise semble sensiblement belliqueuse et militariste avant lepremier conflit mondial. Dans la droite ligne de lantidreyfusisme, Daudetdnonce ds 1910 lespionnage judo-allemand, et Maurras, dans son ou-vrage Kiel et Tanger, dcrit lordalie de guerre qui se profile lhorizonpour la Rpublique. Sattardant sur la haine du Provenal pour le paci-fiste Jaurs, Nolte termine sur la ligne politique du mouvement durantla guerre, ligne politique quil ne quitte plus, participant largement la pro-pagande du conflit, et soutenant la dictature la romaine de Clemenceau9.

    Les trois points suivants sintressent lEntre-deux-guerres, de la fin descombats la condamnation par Rome, qui constitue elle-mme une partiede la synthse, pour continuer sur la priode qui aboutit la dfaite de laFrance. La victoire marque lapoge du rayonnement de lAction franaise

    7Cest le cas pour Thalamas, cet enseignant qui avait insult Jeanne dArc aux yeuxdes Camelots du roi.

    8Il cite ici Michael Freund, Georges Sorel. Le conservatisme rvolutionnaire, Francfort,1932, p. 231.

    9Il rappelle ce sujet que Maurras a mme dit plus tard que Clemenceau avaitfait la politique de lAction franaise (. . .) [et que] par ses mthodes antidmocratiques etmonarchistes, il avait remport la victoire. Il cite ici librement lEnqute sur la Monarchie,en son discours prliminaire , p. xlvi.

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  • mais aussi sa condamnation mort ( Todesurteil ). Avec la Rpubliquetriomphante, la restauration monarchique sombre dans les abmes de loublide lhistoire du XIXe sicle. Quant son rayonnement international, il tend diminuer du fait de la naissance de cousins italiens et allemands mais aussi cause de son incapacit croissante aller de lavant. Mais il serait fauxde voir le mouvement comme une entit de plus en plus circonscrite au seulhexagone, et il a encore se battre, de la mme manire que les fascistesitaliens et les nazis allemands : pour la victoire de chaque peuple contrele principal ennemi ha, en mme temps quavec la rsistance du pouvoirconservateur, dans lombre duquel il volue. Il doit aussi lutter pour devenirle point dinclusion dans un centre de gravit dun pouvoir renforc, pourdpasser laurore/crpuscule issu de la victoire/dfaite10, pour viter cettechute clatante que lon retrouve dans ces trois phnomnes dits fascistes mais ayant chacun leur originalit. Cependant, luvre de lAction franaiseaura surtout t de protester aprs la victoire sur le thme du mauvaistrait . Pour Nolte, la volont de supprimer lAllemagne (la dmembrer,en faire une colonie militaire, seul moyen dviter une guerre de revanche)a favoris paradoxalement le nationalisme allemand, et notamment Hitler.

    Dans les faits, les positions prises par Maurras restent limites sur lessujets de politique internationale : lunit de lAllemagne en 1925 lamne uni-quement reposer le mouvement en rempart. Lattitude est comparable pource qui concerne la condamnation romaine. Lanalyse du philosophe/historienallemand est pour cet pisode, assez classique : il dcrit le processus en mon-trant la fin de non-recevoir de lAction franaise mais la relle crise qui secoueles catholiques franais. Avec un royalisme devenu sans dents ( zahnloseRoyalismus ), et la perte de la majeure partie de son auditoire catholique,lapparition de mouvements radicaux se voulant dans lesprit des prceptes deMussolini va rduire encore davantage le rayonnement de lAction franaise,mme si elle est elle-mme la plus vieille organisation qui se donne en exemplepour le fascisme11. Elle hsite cependant se positionner par rapport aumussolinisme et au national-socialisme contrairement certaines formationsdes annes 30 comme le Francisme de Marcel Bucard car, contrairement celles-ci, elle nest pas une imitation. Son attitude se prcise avec la conqutede lthiopie et la guerre dEspagne, dans le cadre desquelles elle prend la d-fense de Rome et des franquistes au nom du combat de la civilisation contre

    10PourNolte, il sagit dune rduction grotesque des origines du fascisme et du national-socialisme. Il souligne aussi le lien marqu dans les rhtoriques fascisantes entre la victoireet la dfaite.

    11Elle en devient mme pour lauteur un amas de temps prhistoriques au milieu de cettejeune gnration ( Block aus Urzeiten ), mme si elle reste dynamique (participation auSix fvrier 34, par exemple).

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  • la barbarie et de la dfense de lintrt national par rapport aux couleurspolitiques des pays frontaliers de la France. Pour les reste, Nolte achvesa description de lavant-guerre en expliquant combien Maurras voue unehaine totale aussi bien au national-socialisme, cet Islam du nord , quaucommunisme, ce qui va lentraner sur la voie dun ultrapacifisme, qui fait desa dfaite la plus sre de toutes avant mme le dclenchement du conflit.

    Vichy constitue lavant dernier tableau sur lequel sattarde lhistorien al-lemand. Il dpeint la mise en place du rgime. Puis, il dcrit moins la placemajeure dvolue au symbole Maurras ( le plus franais des Franais )que celle attribue ses lves en tant quacteurs gouvernementaux de lapolitique vichyssoise. De plus, avec Vichy, la vieille tradition de la pensecontre-rvolutionnaire se trouvait dpasse par la possibilit de renaissancenationale, dune Rvolution nationale , qui allait voir lapprofondissementdau moins deux piliers des ides de Maurras : la monarchie et le fd-ralisme. Nolte dmontre quel point le royalisme du vieux doctrinaire, limage de son catholicisme, sont spcifiques. Se dvouant pleinement au pro-gramme de Philippe Ptain, alors que celui-ci opte pour une politique decollaboration qui signifie le dclin de la France, ne se choquant pas de lac-cueil froid rserv au comte de Paris par le Marchal et Laval, et vantantles mrites dun tat militaire, le penseur dAction franaise rapproche sonmonarchisme du csarisme12, si lon accepte de dtacher celui-ci de ses ori-gines rvolutionnaires. cette dfinition sajoute une rduction progressivede la distance vis--vis du fascisme et du national-socialisme. Pour son f-dralisme, devant la pratique du rgime, le matre de lAction franaise dutlui-mme expliquer quil sagissait en grande partie dillusions.

    Aprs linvasion de la zone sud en 1942, les collaborationnistes ont le venten poupe et Maurras est de plus en plus isol Lyon. Nolte sarrte alorssur lantismitisme maurrassien, qui se veut dtat , par opposition celuides Allemands, qui se veut de peau . Toutefois, le disciple de Heideggertrouve les deux formes comparables. Le philosophe donne le dernier coup depinceau sur le tableau de lAction franaise durant la Deuxime Guerre mon-diale en dcrivant lattitude de Maurras lors de la Libration13 et dresseun bilan nuanc de sa position idologique, avant dvoquer son emprison-nement. Ainsi, sil sest oppos au collaborationnisme, dans lequel avaientsombr nombre des ses lves, il na cess de faire le procs retentissant etdes Anglais, et des juifs, et des gaullistes. Lui, qui a lutt pendant cinquanteans pour que le pays rel lemporte sur le pays lgal, alors quun rgime di-

    12Il sappuie cet effet sur une rfrence des annes 30 : Waldemar Gurian, Die inte-grale Nationalismus in Frankreich. Charles Maurras und die Action franaise, Francfort,Vittorio Klostermann, 1931, p. 92.

    13 Unit franaise dabord .

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  • minuait comme une ombre chinoise devant les volonts de la nation, fut ledernier avocat dun pays lgal non admis par cette dernire.

    Larticle se termine sur le procs, la dtention et la mort de CharlesMaurras. Avec la Libration sachve lhistoire de lAction franaise. Lacondamnation de son matre penser pour intelligence avec lennemi estmarque, selon lauteur, par des ressemblances avec le procs de Dreyfus.Son emprisonnement est caractris, quant lui, par une forte productivitde lcrivain : il crit sur lui, lAction franaise, ses rapports avec lglise,sur sa politique avant le Deuxime Guerre mondiale, mne des analyses quisombrent dans lirralit pour mieux se justifier, et se rassurer. Lapprciationde Nolte vis--vis du Maurras tardif est loin dtre sereine ! Daprs lui,largumentation la plus malhonnte se joue sur la scne du nationalisme duvieillard. Celui-ci voque le chauvinisme des tats-Unis et de lUnion sovi-tique, reproche la Rvolution davoir rvl le concept franais de consciencenationale aux autres peuples.Maurras considre aussi le national-socialismecomme un hitlrisme qui est lui-mme un no-fichtianisme , ce qui signifiequune dnazification doit vouloir dire une dsallemanisation . Lauteurde larticle prcise galement le fait que Maurras se confie sur sa tendancegnocidaire, qui le relie Hitler. Il ajoute enfin que lami de Mistral nerenie pas la parent avec le fascisme mussolinien (depuis 1943). Le rideautombe sur la scne de lidologie aprs que Nolte a dcrit lun des thmesprincipaux des ouvrages de lpoque du triomphe (19401943) : au-del dela mise en parallle positive de lAction franaise, du fascisme italien, et dunational-socialisme, Maurras lve la tradition contre-rvolutionnaire auniveau dune revendication de commandement non seulement des Portugaiset des Italiens, mais aussi des Allemands.

    Lanalyse du parcours de mouvement et de Charles Maurras finit parle rcit du droulement de la dernire anne du penseur jusqu sa mort.Ernst Nolte conclut sur limportance du personnage en tant que politiqueet idologue, et prcise que, selon lui, si le national-socialisme allemand etle fascisme italien offrent un intrt historique, les principes de Maurrasappartiennent toujours au prsent et sont peut-tre mme une provocationpour le futur.

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  • Par lorientation marque et lampleur de lanalyse, on peut donc saisir quel point cet article est central tant dans luvre de Nolte que dans lhis-toriographie de lAction franaise. Il reprsente lune des premires synthsesglobales sur le mouvement et la pense de Charles Maurras14. Une lec-ture critique amne alors, dans un premier temps, prciser que lensemblese veut assez lumineux, dynamique, souvent emphatique. Les faits avancs,dans lensemble, ne paraissent pas ncessiter de mise en doute quelconquetant les rfrences sont prcises et nombreuses.

    Le plan est, pour sa part, assez cohrent : la chronologie a t dcoupeen plusieurs tranches particulirement pertinentes. Ainsi, partant de laffaireDreyfus, lauteur revient un instant sur la formation de Maurras et sarencontre avec le proto-groupe nbuleux de Vaugeois et Pujo, et dcrit lamonte en puissance qui stale de la cration du journal quotidien en 1908 lapoge de laprs Premire Guerre mondiale. Nolte poursuit sur la dcruequi accompagne en particulier la condamnation romaine et lmergence duneconcurrence ligueuse dans les annes 30. Aprs Vichy, prsent comme uninstant de grce si bref que, dans lagitation de lalle du pouvoir, la pensemaurassienne achoppe sur son propre terrain idologique, il sagissait de finirsur les dernires annes de Maurras.

    Louvrage de Jacques Prvotat15, intitul LAction franaise, publi en2005, dun volume semblable, utilise un plan tout fait comparable, si cenest quil insiste davantage sur la prennit de linfluence de cette cole.Cette prennit, Nolte ne pouvait la connatre (il crit la fin des annes50, dbut des annes 60), mais, il lavait devine, comme nous avons pu levoir, dans sa conclusion.

    Cependant, si lon voulait totalement comparer les deux crits, il faudraitprciser que lexamen men par J. Prvotat semble beaucoup plus nuanc

    14Peu de temps aprs parat aux tats-Unis, dEugen Weber, lAction franaise,Stanford University Press, Stanford, 1962.

    15Jacques Prvotat, LAction franaise, Paris, PUF, 2005, 127 p.

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  • que celui du philosophe allemand, pour ce qui concerne la mise en valeurde lantinazisme par antigermanisme de Charles Maurras, ou la dimensionlittraire de son uvre.

    ce sujet, une premire vidence simpose delle-mme : plus de quaranteans sparent les deux synthses. Outre que le temps a peut-tre amoindri lefeu des passions intellectuelles autour de thmes tels que les droites en Franceet le fascisme, le recul de lhistorien lillois, qui profite ainsi de lhistoriographiequi la devanc, lui permet srement de mener son tude selon des normesplus sereines et plus documentes.

    Ces lments avancs, on est tout de mme conduit instruire charge ledossier des optiques mthodique et pistmologique employes par Nolte.Sil oublie largement le Maurras littraire pour en faire un monstre po-litique et idologue, cest surtout sur sa technique phnomnologique ,comme il aime lappeler, et sur son principe de comparatisme historiquequil convient de sappesantir.

    Sa mthode peut sembler intressante en ce quelle rtablit le fascismedans son contexte de gestation au sein des processus cognitifs propres sesacteurs et penseurs principaux. Cependant, lorsque Nolte oublie de confron-ter le fascisme son quivalent historique global, il finit par aboutir uneapprciation des vnements en empathie avec le point de vue quil analyse.

    Le comparatisme historique, qui, dune certaine manire, en dcoule, at vivement critiqu ds la sortie de son ouvrage Le Fascisme dans sonpoque. Les problmes voqus se retrouvent dj dans son article sur lAc-tion franaise : en dtachant lexamen du fascisme de toute son volutionsocio-conomique, le philosophe allemand ne travaillait que par agencementsdidaux-types tels que les dfinit Max Weber. Tout ceci se traduit dansltude par une volont systmatique de rapprocher les diffrents phno-mnes quil nomme fascisme ou national-socialisme. On pourrait qualifiercette opinitret dexacerbation rhtorique qui sombre parfois dans la cari-cature. Lexemple le plus flagrant, cet gard, se situe au tout dbut de laprsentation, quand Nolte, pour prouver que lAction franaise est peut-tre le mouvement le plus fasciste de tous, insiste sur la haine et le mprisdu jeune marxiste Mussolini pour les Camelots du Roi. Il joue aussi avecles reprsentations : il sait trs bien, quavant tout, le lecteur retiendra lefascisme du Duce et non son marxisme de jeunesse. Il ne parat pas choquantdaffirmer que Nolte voudrait sous-entendre que le grand inspirateur dufascisme, lui-mme, avait de la haine pour Maurras.

    Au final, la mthode phnomnologique et loptique comparatiste ne sontplus pour Nolte des moyens, mais bien des finalits. Il se saisit dun concept,

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  • le fascisme, quil dfinit fort peu dans son article16, lapplique une sorte decontexte mtapolitique europen au XXe sicle, qui nivelle les cultures, lesconomies, les socits dans leur ensemble. Il imprime son schma sur le casde lAction franaise. Du seul fait de son principe de focalisation interne, ilconserve essentiellement llment de lAffaire Dreyfus pour le contexte,puisquil sagit, selon lui, du phnomne capital pour comprendre la vie poli-tique de Maurras. Il est acquis que lvnement fut dimportance pour lui,mais il ne suffit pas expliquer son volution pendant cinq dcennies. Enoutre, sintressant peu la question de lcho du mouvement17, il peut dau-tant mieux le comparer au fascisme et au nazisme quil ne tient pas comptedes diffrences dintensit entre ces manifestations. Ian Kershaw en conclut,comme nombre de critiques du disciple de Heidegger, quil na pas vuque les diffrences lemportaient sur les similitudes, ce qui remet en questionla singularit mme du phnomne 18.

    Au-del de ce nivellement des fascismes en un fascisme en tant que r-ponse pidermique au communisme (et dans cet esprit, Nolte nhsite pas accentuer lantibolchevisme de Maurras), on peut revenir sur lapplicationmme de ce terme lAction franaise. Oui, cet article croise galement laproblmatique historiographique formule par cette question qui a de lavenirdans les annes 60 : y a-t-il eu un fascisme franais ? cet gard, on demeureconfondu de voir que Nolte cite Ren Rmond, certes, pour nommer ceuxque Zeev Sternhell traite plus tard de fascistes vulgaires, mais en lin-cluant dans le fil de son expos qui tend prouver que lAction franaisetait fasciste avant lheure. Ce qui va a contrario de lanalyse de lhistorienfranais.

    Plus largement, il semble en effet pertinent de voir lAction franaisecomme une hritire de la droite contre-rvolutionnaire. Cette droite contre-rvolutionnaire a volu dans le contexte spcifique de la France au court XXesicle, dans ses nouveaux enjeux. Elle est alors entre en concurrence avec lefascisme, n dans lEntre-deux-guerres, notamment, dans laxe du procs debrutalisation des socits europennes, procs trs ancr en Allemagne et enItalie. Vichy la enfin noye dans son idologie composite et opportuniste.

    16Il voque juste le phnomne comme une somme denseignements et une praxis. Pourle caractriser, il parle seulement de la violence, la turbulence, les uniformes, des visagesferms, et dun chef charismatique. Dans son ouvrage densemble, il se tient une dfinitionplus prcise en parlant d une rsistance pratique et violente la transcendance . Par l, ilprsente le fascisme comme la fois un antimodernisme et un antitraditionalisme europen,forg en raction au communisme, et qui est propre une configuration sociologique dutemps (do le Fascisme dans son poque).

    17Cette question est pose en introduction comme nous lavons dit supra, mais Noltene parat pas y rpondre.

    18Ian Kershaw, Quest ce que la nazisme ?, p. 71.

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  • cause des limites mthodologiques soulignes dans son travail, ErnstNolte nous amne ainsi nous poser des questions sur lhistorien face sonsujet dtude. En rappelant sa jeunesse qui la conduit dtester trs jeunele communisme et le nazisme, et durant laquelle il a connu la dgradationnationale lie la chute de lAllemagne nazie et la dcouverte de ses crimes,il trahit, de facto, son intentionnalisme ; intentionnalisme qui est le fruit dumanque de mise distance de son thme de travail.

    treignant lAction franaise dans son champ dinvestigation, il essaie derelativiser le nazisme allemand, en dmontrant que des phnomnes com-parables ont exist la mme poque en Europe, avec des haines certainesvis--vis de ceux qui furent les bourreaux (la germanophobie de Maurras)et qui auraient trs bien pu tre, de ce fait, des victimes. Ds lors, son inten-tionnalisme et son relativisme font moins de son analyse une dmonstrationquune argumentation. Ou plutt, entre le point de dpart qui tient sesressorts personnels, ses motivations psychologiques, et ses reprsentations etle point darrive qui est laboutissement de lensemble, il y a des lmentshistoriques choisis qui sont agencs en vue datteindre lobjectif final. Ainsi,Nolte tient sa conclusion avant mme davoir pos sa problmatique. Leschma construit est cependant loin dtre insignifiant, sil lon sait le reca-drer en clairant ses limites.

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