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26 L’OfïŹciel 3844 - dĂ©cembre 2015 enquĂȘte RETROFIT PLUS DE PEUR QUE DE MAL ? I l ne s’agit certes que d’une hypothĂšse. Mais elle est sĂ©rieuse. Le “brouillon” que les instances ministĂ©rielles ont soumis Ă  l’apprĂ©ciation de quelques organisations professionnelles du secteur du 2-RM, courant octobre semble bien parti pour s’imposer. Seules les motos dotĂ©es de l’ABS seraient Ă©ligibles Ă  une remise en conformitĂ© avec leur certificat de rĂ©ception europĂ©en – elles pourraient ĂȘtre dĂ©bridĂ©es, contrairement Ă  celles qui sont sorties d’usine sans le prĂ©cieux antiblocage associĂ© au systĂšme de freinage. Mais quelle perte de valeur cette disposition franco-française risque d’entraĂźner Ă  la fois pour le consommateur et le rĂ©seau pro de la revente et de la rĂ©paration ? C’est l’enjeu qui se dessine Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance. DonnĂ©e inchiffrable En dĂ©pit de l’incertitude, mĂȘme relative, qui pĂšse encore sur l’avenir immĂ©diat des motos non Ă©ligibles au dĂ©bridage, quelques importateurs ont acceptĂ© de nous confier leur point de vue. Quelle incertitude ? « Tant que le texte rĂ©glementaire n’a pas Ă©tĂ© publiĂ© officiellement, une prudence de principe s’impose », estime Thierry Archambault, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral de la Chambre Syndicale Internationale de l’Automobile et du Motocycle (CSIAM). Sans doute. En attendant, tentons de dĂ©gager une perspective. Chez les poids-lourds, Yamaha, Honda et Suzuki ont acceptĂ© de relever le dĂ©fi, avec plus ou moins Combien risque de coĂ»ter Ă  la ïŹliĂšre moto française la probable perte de valeur des motos non dĂ©bridables Ă  partir du 1er janvier 2016 ? Avec la meilleure volontĂ© du monde, les acteurs interrogĂ©s tentent de rĂ©pondre, sans toutefois oser des formules Ă  l’emporte-piĂšce. Et pour cause : la rĂ©solution du problĂšme devra sans doute ĂȘtre menĂ©e au cas par cas. 1. CONSTRUCTEURS : ILS JOUENT Les importateurs, sous le lĂ©gitime prĂ©texte d’une prudence de circonstance, hĂ©sitent Ă  prĂ©dire l’avenir. Ils rappellent de rĂ©serve, tandis que Triumph, avec son fair play habituel, fournit sa rĂ©ponse de principe. Seuls les Kawasaki, BMW, Ducati et Piaggio (pour Aprilia) ont prĂ©fĂ©rĂ© s’abstenir – un comportement tactique qui, heureusement, n’empĂȘchera personne de raisonner avec les donnĂ©es disponibles. EstimĂ© Ă  quelque 150 000 motos en circulation (soit 5 % du parc > 50 cm 3 ), le nombre des vĂ©hicules appelĂ©s Ă  rester bridĂ©s Ă  106 ch demeure difficile Ă  circonscrire, et ce pour deux raisons au moins : aucun constructeur, aujourd’hui, ne revendique une vision nette sur ce qu’il est advenu ces cinq ou six derniĂšres annĂ©es des motos qu’il a vendues. Par ailleurs, la proportion de ces machines, lorsqu’elles sont illĂ©galement dĂ©bridĂ©es et toujours en circulation, mĂȘme si nul ne peut l’évaluer avec prĂ©cision, vient ajouter au flou ambiant. Comme ses confrĂšres, Vincent Thommeret, directeur France de Yamaha Motor Europe, peine Ă  Ă©valuer le parc des motos de la marque condamnĂ© Ă  une hypothĂ©tique perte de valeur. « Compte tenu de notre part de marchĂ©, peut-ĂȘtre pouvons-nous estimer cette flotte Ă  20 000 ou 25 000 vĂ©hicules, ose-t-il sans grande conviction. Quant Ă  Ă©voquer leur possible perte de valeur, je n’y suis guĂšre enclin tant que le texte de loi n’est pas officiellement sorti. » Mais ce n’est pas la seule raison. Comme tous les interlocuteurs sollicitĂ©s dans ce tour de table, le directeur France de YME souligne l’impossibilitĂ© d’établir une formule qui permettrait de chiffrer le risque : « Le parc des motos bridĂ©es, au fil du temps, a fait une place de plus en plus large aux modĂšles ABS. Les motos qui en sont privĂ©es, Ă  quelques exceptions prĂšs, sont donc de moins en moins rĂ©centes. Par consĂ©quent, leur perte de valeur naturelle devrait contribuer Ă  amoindrir les effets du changement rĂ©glementaire annoncĂ©. » À cela faut-il ajouter ce que tout bon revendeur connaĂźt par cƓur : le prix de reprise d’une moto se calcule Ă  partir d’un ensemble de critĂšres : garantie Ă©chue ou non, entretien dĂ»ment rĂ©alisĂ© par un professionnel accrĂ©ditĂ© ou pas, Ă©tat gĂ©nĂ©ral, kilomĂ©trage, conformitĂ© Ă  la configuration d’origine, etc. L’érosion du temps Et lesdits critĂšres, en l’occurrence, n’ont rien Ă  voir avec le changement rĂ©glementaire annoncĂ©. En outre, les attentes de tel ou tel profil de client varient elles aussi en fonction d’autres paramĂštres – un fondu de sport et un rouleur au long cours Ă  la sauce GT n’auront que rarement la mĂȘme vision de ce qu’un dĂ©bridage peut apporter. Sans compter que le bridage, d’une grosse cylindrĂ©e Ă  l’autre, n’altĂšre pas la prestation technique de chaque moto de la mĂȘme façon. Pour autant, Vincent Thommeret reconnaĂźt que dans le pire des cas, « une moto non dĂ©bridable rĂ©glementairement, qui perd de toute façon plus de 20 % de sa valeur d’acquisition dĂšs la premiĂšre annĂ©e, pourrait voir cette dĂ©cote « Les motos privĂ©es de l’ABS sont de moins en moins rĂ©centes, leur perte de valeur naturelle amoindrira les effets du retroïŹt » Vincent ommeret, country manager Yamaha Motor Europe, succursale France ÂŁ

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26 L’Ofïżœciel 3844 - dĂ©cembre 2015

enquĂȘte

RETROFITPLUS DE PEUR QUE DE MAL ?

Il ne s’agit certes que d’une hypothĂšse. Mais elle est sĂ©rieuse. Le “brouillon” que les instances ministĂ©rielles ont soumis Ă  l’apprĂ©ciation de quelques organisations professionnelles du

secteur du 2-RM, courant octobre semble bien parti pour s’imposer. Seules les motos dotĂ©es de l’ABS seraient Ă©ligibles Ă  une remise en conformitĂ© avec leur certificat de rĂ©ception europĂ©en – elles pourraient ĂȘtre dĂ©bridĂ©es, contrairement Ă  celles qui sont sorties d’usine sans le prĂ©cieux antiblocage associĂ© au systĂšme de freinage. Mais quelle perte de valeur cette disposition franco-française risque d’entraĂźner Ă  la fois pour le consommateur et le rĂ©seau pro de la revente et de la rĂ©paration ? C’est l’enjeu qui se dessine Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance.

DonnĂ©e inchiffrableEn dĂ©pit de l’incertitude, mĂȘme relative, qui pĂšse encore sur l’avenir immĂ©diat des motos non Ă©ligibles au dĂ©bridage, quelques importateurs ont acceptĂ© de nous confier leur point de vue. Quelle incertitude ? « Tant que le texte rĂ©glementaire n’a pas Ă©tĂ© publiĂ© officiellement, une prudence de principe s’impose Â», estime Thierry Archambault, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral de la Chambre Syndicale Internationale de l’Automobile et du Motocycle (CSIAM). Sans doute. En attendant, tentons de dĂ©gager une perspective. Chez les poids-lourds, Yamaha, Honda et Suzuki ont acceptĂ© de relever le dĂ©fi, avec plus ou moins

Combien risque de coĂ»ter Ă  la ïżœliĂšre moto française la probable perte de valeur des motos non dĂ©bridables Ă  partir du 1er janvier 2016 ? Avec la meilleure volontĂ© du monde, les acteurs interrogĂ©s tentent de rĂ©pondre, sans toutefois oser des formules Ă  l’emporte-piĂšce. Et pour cause : la rĂ©solution du problĂšme devra sans doute ĂȘtre menĂ©e au cas par cas.

s’accentuer et dĂ©passer les 30 % Â». Et le client final confrontĂ© Ă  une telle perte de capital pourrait tout Ă  fait, in fine, renoncer temporairement Ă  acheter une nouvelle moto. L’espoir, au fond, repose sur la (courte) durĂ©e d’une pĂ©riode pendant laquelle des ajustements devront ĂȘtre consentis, Ă  la fois par le consommateur, le dĂ©taillant et, par consĂ©quent, par le fournisseur/constructeur. « Dans le cas d’un vĂ©hicule de 2006, 2007 ou 2008, qui a perdu 70, 60 ou 50 % de sa valeur d’achat initiale, l’impact sera minime Â», reprend le patron de Yamaha. GuĂšre tentĂ© par la mĂ©thode CouĂ©, Vincent Thommeret espĂšre en revanche que le phĂ©nomĂšne « va se lisser dans le temps et que la situation crĂ©Ă©e ne va pas mettre Ă  mal les rĂ©seaux de façon disproportionnĂ©e. Aujourd’hui, il s’agit surtout de se tourner vers l’avenir et s’adapter aux conditions suscitĂ©es par la dĂ©cision que vont prendre les pouvoirs publics. Â»Chez Honda Motor Europe-France (HME), SĂ©bastien Pernel, directeur des ventes, tente de minimiser l’impact qu’aurait la non-remise Ă  niveau technique des motos bridĂ©es dĂ©pourvues de l’ABS. Bien sĂ»r, un nombre indĂ©terminĂ© de CBR 1000 Fireblade, de CBR 600 RR et de VFR 1200 F pose question. Mais comme ses concurrents, il s’empresse de rappeler que l’ABS, depuis quelques annĂ©es, prend une place de plus en plus large dans le catalogue de la marque. « Si dĂ©cote il y a, elle dĂ©pendra des motos. Selon que la machine

1. CONSTRUCTEURS : ILS JOUENT LA DÉDRAMATISATIONLes importateurs, sous le lĂ©gitime prĂ©texte d’une prudence de circonstance, hĂ©sitent Ă  prĂ©dire l’avenir. Ils rappellent nĂ©anmoins certaines rĂ©alitĂ©s factuelles qu’il est effectivement bon de garder Ă  l’esprit.

de rĂ©serve, tandis que Triumph, avec son fair play habituel, fournit sa rĂ©ponse de principe. Seuls les Kawasaki, BMW, Ducati et Piaggio (pour Aprilia) ont prĂ©fĂ©rĂ© s’abstenir – un comportement tactique qui, heureusement, n’empĂȘchera personne de raisonner avec les donnĂ©es disponibles.EstimĂ© Ă  quelque 150 000 motos en circulation (soit 5 % du parc > 50 cm3), le nombre des vĂ©hicules appelĂ©s Ă  rester bridĂ©s Ă  106 ch demeure difficile Ă  circonscrire, et ce pour deux raisons au moins : aucun constructeur, aujourd’hui, ne revendique une vision nette sur ce qu’il est advenu ces cinq ou six derniĂšres annĂ©es des motos qu’il a vendues. Par ailleurs, la proportion de ces machines, lorsqu’elles sont illĂ©galement dĂ©bridĂ©es et toujours en circulation, mĂȘme si nul ne peut l’évaluer avec prĂ©cision, vient ajouter au flou ambiant.Comme ses confrĂšres, Vincent Thommeret, directeur France de Yamaha Motor Europe, peine Ă  Ă©valuer le parc des motos de la marque condamnĂ© Ă  une hypothĂ©tique perte de valeur. « Compte tenu de notre part de marchĂ©, peut-ĂȘtre pouvons-nous estimer cette flotte Ă  20 000 ou 25 000 vĂ©hicules, ose-t-il sans grande conviction. Quant Ă  Ă©voquer leur possible perte de valeur, je n’y suis guĂšre enclin tant que le texte de loi n’est pas officiellement sorti. » Mais ce n’est pas la seule raison. Comme tous les interlocuteurs sollicitĂ©s dans ce tour de table, le directeur France de YME souligne l’impossibilitĂ© d’établir une formule qui

permettrait de chiffrer le risque : « Le parc des motos bridĂ©es, au fil du temps, a fait une place de plus en plus large aux modĂšles ABS. Les motos qui en sont privĂ©es, Ă  quelques exceptions prĂšs, sont donc de moins en moins rĂ©centes. Par consĂ©quent, leur perte de valeur naturelle devrait contribuer Ă  amoindrir les effets du changement rĂ©glementaire annoncĂ©. Â» À cela faut-il ajouter ce que tout bon revendeur connaĂźt par cƓur : le prix de reprise d’une moto se calcule Ă  partir d’un ensemble de critĂšres : garantie Ă©chue ou non, entretien dĂ»ment rĂ©alisĂ© par un professionnel accrĂ©ditĂ© ou pas, Ă©tat gĂ©nĂ©ral, kilomĂ©trage, conformitĂ© Ă  la configuration d’origine, etc.

L’érosion du tempsEt lesdits critĂšres, en l’occurrence, n’ont rien Ă  voir avec le changement rĂ©glementaire annoncĂ©. En outre, les attentes de tel ou tel profil de client varient elles aussi en fonction d’autres paramĂštres – un fondu de sport et un rouleur au long cours Ă  la sauce GT n’auront que rarement la mĂȘme vision de ce qu’un dĂ©bridage peut apporter. Sans compter que le bridage, d’une grosse cylindrĂ©e Ă  l’autre, n’altĂšre pas la prestation technique de chaque moto de la mĂȘme façon.Pour autant, Vincent Thommeret reconnaĂźt que dans le pire des cas, « une moto non dĂ©bridable rĂ©glementairement, qui perd de toute façon plus de 20 % de sa valeur d’acquisition dĂšs la premiĂšre annĂ©e, pourrait voir cette dĂ©cote

« Les motos privĂ©es de l’ABS sont de moins en moins rĂ©centes, leur perte de valeur naturelle amoindrira les effets du retroïżœt »Vincent ïżœommeret, country manager Yamaha Motor Europe, succursale France

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par François Blanc photos SLG

Yamaha, affirme n’avoir aucune donnĂ©e fiable Ă  communiquer, le directeur des ventes de HME France livre une information rassurante : « Le coĂ»t du dĂ©bridage, chez Honda, a toujours Ă©tĂ© dissuasif et censĂ© favoriser la tenue d’une position conforme Ă  la loi. Nous savons qu’en moyenne, la mise en conformitĂ© technique des machines concernĂ©es avoisinera les 1 000 €. Nous travaillons donc Ă  l’élaboration d’une solution moins coĂ»teuse pour notre rĂ©seau ». Tout aussi clair, le propos du directeur commercial de Suzuki France apporte la mĂȘme information : « Pour dĂ©brider une Suzuki, dans le cadre de la loi, il sera nĂ©cessaire de changer le boĂźtier ECU dont le coĂ»t est compris entre 500 et 800 â‚Ź TTC selon les motos. Suzuki France va faire un gros effort financier pour proposer Ă  l’ensemble de ses clients un prix rĂ©ellement attractif : les boĂźtiers ECU “pleine puissance” seront proposĂ©s, si la loi passe, au prix de 79 â‚Ź HT Ă  notre rĂ©seau soit environ 95 â‚Ź TTC pour le client final. Ensuite, chaque revendeur pourra appliquer sa propre politique commerciale vis-Ă -vis de son client. Â» Alors, plus de peur que de mal, avec un retrofit rĂ©servĂ© aux motos bonnes freineuses ? « Le projet prĂ©sentĂ© par l’État se veut un compromis acceptable par toutes les parties. EspĂ©rons que rien ne le fera capoter avant sa conclusion Â», conclut Thierry Archambault qui, jusqu’au bout, croise les doigts pour qu’un dĂ©bridage rĂ©troactif ne soit pas, en fin de compte, purement et simplement rayĂ© de la carte


Les sportives seront les principales machines

concernĂ©es par le retroïżœt, reste Ă  voir la perte de

valeur qu’elles subiront.

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s’accentuer et dĂ©passer les 30 % Â». Et le client final confrontĂ© Ă  une telle perte de capital pourrait tout Ă  fait, in fine, renoncer temporairement Ă  acheter une nouvelle moto. L’espoir, au fond, repose sur la (courte) durĂ©e d’une pĂ©riode pendant laquelle des ajustements devront ĂȘtre consentis, Ă  la fois par le consommateur, le dĂ©taillant et, par consĂ©quent, par le fournisseur/constructeur. « Dans le cas d’un vĂ©hicule de 2006, 2007 ou 2008, qui a perdu 70, 60 ou 50 % de sa valeur d’achat initiale, l’impact sera minime Â», reprend le patron de Yamaha. GuĂšre tentĂ© par la mĂ©thode CouĂ©, Vincent Thommeret espĂšre en revanche que le phĂ©nomĂšne « va se lisser dans le temps et que la situation crĂ©Ă©e ne va pas mettre Ă  mal les rĂ©seaux de façon disproportionnĂ©e. Aujourd’hui, il s’agit surtout de se tourner vers l’avenir et s’adapter aux conditions suscitĂ©es par la dĂ©cision que vont prendre les pouvoirs publics. Â»Chez Honda Motor Europe-France (HME), SĂ©bastien Pernel, directeur des ventes, tente de minimiser l’impact qu’aurait la non-remise Ă  niveau technique des motos bridĂ©es dĂ©pourvues de l’ABS. Bien sĂ»r, un nombre indĂ©terminĂ© de CBR 1000 Fireblade, de CBR 600 RR et de VFR 1200 F pose question. Mais comme ses concurrents, il s’empresse de rappeler que l’ABS, depuis quelques annĂ©es, prend une place de plus en plus large dans le catalogue de la marque. « Si dĂ©cote il y a, elle dĂ©pendra des motos. Selon que la machine

1. CONSTRUCTEURS : ILS JOUENT LA DÉDRAMATISATIONLes importateurs, sous le lĂ©gitime prĂ©texte d’une prudence de circonstance, hĂ©sitent Ă  prĂ©dire l’avenir. Ils rappellent nĂ©anmoins certaines rĂ©alitĂ©s factuelles qu’il est effectivement bon de garder Ă  l’esprit.

lorsqu’elle est bridĂ©e, perd 10, 20 ou 60 chevaux, les consĂ©quences ne seront pas les mĂȘmes. Un VO non Ă©ligible peut tout Ă  fait rester Ă©conomiquement intĂ©ressant Â». Un avis partagĂ© par Guillaume Vuillardot, directeur commercial de Suzuki France, qui ose une mise au point : « Certaines marques ou concessionnaires ont rĂ©agi Ă  chaud en annonçant Ă  leur rĂ©seau ou clients qu’ils ne reprendraient plus les motos non Ă©quipĂ©es de l’ABS. C’est une grave erreur car, d’une part, cela risque d’encourager la “psychose” autour de la rĂ©troactivitĂ©. D’autre part, cela risque de porter gravement atteinte aux clients (perte de valeur de leur machine et perte de confiance dans les professionnels de la moto) et, donc, directement aux rĂ©seaux et aux marques, Ă  court et moyen termes. Il est nĂ©cessaire que les diffĂ©rents acteurs du marchĂ© prennent du recul : toutes ces motos restent de trĂšs bonnes machines et gardent une valeur certaine sur le marchĂ©. J’en veux pour preuve le doublement de nos ventes de GSX-R1000 sur octobre 2015 par rapport Ă  octobre 2014, alors que ces motos ne sont pas Ă©ligibles au passage Ă  la pleine puissance, tandis que les mĂ©dias spĂ©cialisĂ©s ne parlaient que de cela. Â»

Un dĂ©sastre Ă©vitĂ© ?Sur la question du coĂ»t applicable au dĂ©bridage des motos Ă©ligibles, les firmes adaptent leurs discours aux contraintes engendrĂ©es par leurs matĂ©riels respectifs. Ainsi, quand Vincent Thommeret, pour

Prudents, de nombreux

constructeurs attendent la

publication du texte de loi avant de se prononcer.

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Certaines machines seront simples Ă  dĂ©brider par les concessionnaires, d’autres beaucoup moins.

2. RÉSEAUX : À EUX DE GÉRER AU CAS PAR CASLes concessionnaires et leurs organisations professionnelles n’osent parler de dĂ©faite, pas plus qu’ils ne crient victoire. Les intentions des pouvoirs publics en matiĂšre de libĂ©ration de la puissance des motos bridĂ©es dĂ©jĂ  immatriculĂ©es vont bien sĂ»r peser sur la vie des pros. À quelle Ă©chĂ©ance ceux-ci voient-ils la sortie du tunnel ? Vers la ïżœn des annĂ©es 2010. D’ici lĂ , il va falloir composer


Chacun l’aura notĂ© : toutes les marques de moto ne s’annoncent pas Ă©gales devant la question du dĂ©bridage. Qu’il s’agisse du nombre de modĂšles

concernĂ©s dans une gamme, de leur poids dans le catalogue d’un constructeur, de l’ñge moyen des motos bridĂ©es et dĂ©pourvues d’ABS pour chaque marque, ou encore du coĂ»t probable d’un dĂ©bridage lĂ©gal, les cas diffĂšrent et viennent ajouter Ă  la complexitĂ© qui, dĂ©jĂ , prĂ©side au calcul d’un prix de reprise d’un vĂ©hicule d’occasion. Faut-il glisser au passage, mĂȘme discrĂštement, que nombre de professionnels restent sceptiques quant Ă  l’intĂ©rĂȘt de vendre des motos de 180 chevaux dans un contexte de contrĂŽle et de rĂ©pression de plus en plus difficile Ă  ignorer ? Cette question, discutable par nature, Ă©tant mise de cĂŽtĂ©, les revendeurs-rĂ©parateurs pros sondĂ©s au cours de cette nouvelle tentative de clarification apportent de l’eau au moulin. Les deux organisations professionnelles du secteur s’y emploient aussi.Du cĂŽtĂ© du Chesnay (78), dans une banlieue plutĂŽt aisĂ©e de la rĂ©gion parisienne, « la clientĂšle est majoritairement d’ñge mĂ»r Â», prĂ©vient Olivier Bugeval, concessionnaire

Yamaha. Au point que, d’aprĂšs ses observations, « pas une FJR 1300 sur 100 n’est dĂ©bridĂ©e, tout simplement parce que le client n’est pas demandeur Â». Quid de la MT-09 ? « Il s’en est vendu beaucoup. Mais 75 % de celles qui roulent aujourd’hui sont sorties d’usine avec l’ABS. Ce projet de loi, s’il aboutit, ne changera pas grand-chose Ă  la situation actuelle. Cela risque juste d’aggraver le constat, s’agissant des dĂ©bridages illicites Â», estime le gĂ©rant de concession. Seul un doute persiste dans son esprit, lorsqu’il se demande si « la cote des motos bridĂ©es non Ă©quipĂ©es de l’ABS, lorsque le mĂȘme modĂšle a Ă©tĂ© produit avec l’antiblocage de freins, risque de plonger. Parce que les gens, s’ils ont le choix, vont privilĂ©gier les machines dĂ©bridables lĂ©galement, au dĂ©triment des  autres. Â»

Cela dĂ©pendra du coĂ»t
Le coĂ»t du dĂ©bridage sera-t-il un frein Ă  la remise en conformitĂ© du vĂ©hicule ? « Une demi-heure de main-d’Ɠuvre, c’est indolore pour le client. En revanche, pour les pros, cela va alourdir encore un peu plus les tĂąches administratives Ă  accomplir : il va falloir, le cas Ă©chĂ©ant, commander de la piĂšce, en communiquer le bon de livraison Ă  qui de droit

et l’agrafer Ă  l’attestation du concessionnaire avant de refaire une demande d’immatriculation. Â»CĂ©dric Potrel, concessionnaire exclusif Triumph Ă  Pontault-Combault (77), estime lui aussi que la possible dĂ©cote instantanĂ©e des motos non Ă©ligibles au dĂ©bridage « dĂ©pendra du type de moto Â». À la louche, il comprendrait que les sportives perdent « 30 Ă  35 % de leur cote, contre 20 Ă  25 % pour les

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2. RÉSEAUX : À EUX DE GÉRER AU CAS PAR CAS

et l’agrafer Ă  l’attestation du concessionnaire avant de refaire une demande d’immatriculation. Â»CĂ©dric Potrel, concessionnaire exclusif Triumph Ă  Pontault-Combault (77), estime lui aussi que la possible dĂ©cote instantanĂ©e des motos non Ă©ligibles au dĂ©bridage « dĂ©pendra du type de moto Â». À la louche, il comprendrait que les sportives perdent « 30 Ă  35 % de leur cote, contre 20 Ă  25 % pour les

roadsters Â». AprĂšs, ce sont les clients qui feront la diffĂ©rence. Les clients, mais aussi le revendeur lui-mĂȘme, bien sĂ»r, s’il estime qu’une reprise reste possible dans de bonnes conditions. « Certains confrĂšres ont dĂ©cidĂ© de ne plus reprendre les motos bridĂ©es sans ABS. D’autres, comme moi, les reprennent encore, tout simplement parce qu’elles conservent une certaine valeur. Dans le cas des motos Triumph, il s’agit de vendre un type de moto, pas de la puissance pure. Le trois-cylindres, notamment, c’est la souplesse et le couple qui prĂ©valent. Le reste est plus alĂ©atoire Â», relĂšve-t-il. Finalement, le changement rĂ©glementaire ne semble pas poser de vrai problĂšme au concessionnaire. Vrai ? « Il restera, pendant quelque temps encore, Ă  rebrider les reprises qui auront Ă©tĂ© libĂ©rĂ©es illĂ©galement, ce qui entraĂźne gĂ©nĂ©ralement un coĂ»t et nĂ©cessite de nĂ©gocier le prix de reprise sans complaisance. D’une façon gĂ©nĂ©rale, tout cela est regrettable pour le mĂ©tier. Mais nous n’en pĂątirons pas trop, dans la mesure oĂč nous avons anticipĂ© depuis assez longtemps Â», conclut CĂ©dric Potrel.

Ce sera “à la carte”À bonne distance du chaudron francilien, HervĂ© Moindrot, gĂ©rant de Red Bike et de Moto Center, concessions Honda, Kawasaki et Yamaha dans le secteur de Cosne-sur-Loire (58), ne voit pas les choses sous un mĂȘme angle. D’abord parce que l’ABS est largement minoritaire dans le parc qu’il a dĂ©jĂ  vendu et qu’il entretient quotidiennement. Seules les machines de marque Honda, de son point de vue, s’en tireraient mieux sur ce plan. Le lot de consolation, selon HervĂ© : « Le gros du parc de VO est constituĂ© de machines de 500 Ă  750 cm3

qui, dans une trĂšs large majoritĂ©, ne sont pas concernĂ©es par ce qui se passe Â». Quant Ă  la dĂ©cote Ă  craindre, elle sera conditionnĂ©e « par ce qui a cours sur le marchĂ©, et en particulier sur celui de la vente entre particuliers, et non pas en fonction d’une cote thĂ©orique Ă©laborĂ©e pour les professionnels. En gros, ce sera du “à la carte”. Et Ă  chaque fois qu’il le faudra, nous rebriderons les motos Â», se rĂ©soud-il.Les lecteurs de L’Officiel l’auront remarquĂ© : Jean-Claude Hogrel, prĂ©sident de la branche deux-roues du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), n’a pas mĂ©nagĂ© ses rĂ©flexions, ni son engagement, en faveur d’un dialogue avec ses pairs et avec les pouvoirs publics. Il revient Ă  son tour sur la tournure que prend cette rĂ©forme de la “loi des 100 chevaux”. Ni catastrophique, ni enchanteresse, celle-ci « ne manquera pas de faire patiner une frange du marchĂ© du VO. Â», prĂ©dit JCH. Cela aurait pu ĂȘtre pire, mais la profession « n’avait vraiment pas besoin de ça Â», dĂ©plore-t-il. En bon entrepreneur, il fixe dĂ©sormais l’horizon : « L’incidence de cette rĂ©forme, si elle passe, ne sera pas nulle sur le marchĂ© du VO. En toute logique, plus les annĂ©es passeront, moins cette incidence sera pesante. Il va donc falloir, comme toujours, s’adapter aux circonstances. J’aimerais bien savoir, au passage, ce que vont faire les importateurs pour aider leurs rĂ©seaux Ă  passer cette pĂ©riode. Car la perte de valeur d’une partie du parc roulant pourrait bien atteindre les 30 %. Et pour certains concessionnaires, en fonction de leur marque support, ce serait extrĂȘmement difficile Ă  supporter. L’inconnue, dans cette Ă©quation, c’est le client final. Sa volatilitĂ© fera-t-elle la loi ? Â». Les importateurs prĂ©sents Ă  l’appel dans ce dossier, Honda et Suzuki en tĂȘte, apportent un dĂ©but de rĂ©ponse au patron de la moto au sein du CNPA. Reste Ă  entendre les autres sur le mĂȘme thĂšme. Leur silence, en cet instant, ne sera pas de nature Ă  contenter tout le monde.

« Les clients, s’ils ont le choix, vont plutĂŽt privilĂ©gier les motos dĂ©bridables lĂ©galement au dĂ©triment des autres »Olivier Bugeval, co-gĂ©rant de la concession Yamaha Moto RĂ©volution au Chesnay (78)

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« Je reprends les motos sans ABS, tout simplement parce qu’elles gardent une certaine valeur... »CĂ©dric Potrel, concessionnaire Triumph Ă  Pontaut-Combault (77)

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« Le gros du parc de VO soit les 500 à 750 cm3 ne sont pas concernées par ce qui se passe »Hervé Moindrot, multiconcessionnaire à Cosne-sur-Loire (58)

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u Selon un sondage rapide auprĂšs des pros, la dĂ©cote pourrait ĂȘtre supĂ©rieure Ă  20 %. Mais nous n’avons aucune certitude, le marchĂ© parlera. À ce jour, plus aucun client ne projette d’acheter une sportive, ils attendent 2016. Mais – 20 % de quoi ? Aucune machine sportive n’est nĂ©gociĂ©e Ă  sa cote de L’Ofïżœciel ou de la FNCRM. Le prix de vente est trĂšs supĂ©rieur. MĂȘme les assurances remboursent en tenant compte d’une valeur “marchĂ© internet”.

Quelle pourrait ĂȘtre la dĂ©cote rĂ©elle des

motos non Ă©ligibles au dĂ©bridage ?

« Selon les pros, la dĂ©cote des motos non dĂ©bridables pourrait dĂ©passer les 20 % »

NADINE ANNELOTPrésidente de la FNCRM

LA À
PAROLE

u Non, les professionnels remettront les motos en version rĂ©glementaire 100 chevaux. De toute façon, c’est le prix de la moto qui dĂ©termine les moyens du client. Ceux qui n’ont pas le budget pour une moto neuve subiront la rĂšglementation. C’était d’ailleurs nos arguments en rĂ©union au ministĂšre. Ce sont encore les jeunes sans moyen qui subiront les consĂ©quences de la non rĂ©troactivitĂ©. Ils seront encore tentĂ©s d’ĂȘtre hors la loi. Une fois de plus, ce sont les plus modestes qui sont impactĂ©s.

Les pros seront-ils tentés de délaisser ces VO et de laisser

les particuliers se débrouiller entre eux

jusqu’à ce que le â€œïżœlon” se tarisse ?

u Nous n’avons pas encore tous les Ă©lĂ©ments des motos modiïżœables. Les constructeurs s’inquiĂ©taient du niveau de contrĂŽle que le ministĂšre imposera – pot, support plaque, etc. Dans le cas d’une moto totalement d’origine, selon les constructeurs, cela pourrait ĂȘtre gratuit. Ducati a commencĂ©. Suzuki avait promis, lors de la prĂ©cĂ©dente convention, la gratuitĂ© sur les GSX-S et les motos vendues en 2015. Vont-ils tenir leurs promesses, ou vont-ils l’imposer Ă  leur rĂ©seau, comme Ducati ?

Avez-vous une idée du coût de la remise à

niveau des motos modiïżœables ?

u C’est vraiment une problĂ©matique pour notre profession. En lĂ©galisant tout le parc, nous n’aurions plus portĂ© la responsabilitĂ© du dĂ©bridage. Aujourd’hui, rien ne change. L’État botte en touche. Nous devrons, comme auparavant, veiller Ă  remettre les vĂ©hicules en conformitĂ©, vĂ©riïżœer que les piĂšces existent encore ou ne plus reprendre ce type de moto. Nous sommes toujours sous le coup de la rĂ©glementation qui condamne les pros Ă  de fortes amendes et des peines d’emprisonnement. Les constructeurs ont prĂ©fĂ©rĂ© prendre un retroïżœt sur l’ABS plutĂŽt que rien. En ïżœn de compte, les constructeurs sont les grands gagnants. Ils vendront des vĂ©hicules neufs, et en cascade – les rĂ©seaux aussi. Le gros problĂšme des rĂ©seaux, ce sont leurs stocks de motos neuves ou de dĂ©mo non dotĂ©es de l’ABS.

Comment les réseaux moto vont-ils

considérer les motos déjà (illégalement)

débridées, aussi bien celles qui ne pourront

jamais l’ĂȘtre ofïżœciellement que

celles qui le pourront ?

TRIUMPH PEU TOUCHÉEJean-Luc Mars, directeur gĂ©nĂ©ral de Triumph Motorcycles en France, reste le plus dĂ©contractĂ© des interlocuteurs de L’Ofïżœciel dans ce dossier. En cause : d’une part, le faible nombre de motos potentiellement frappĂ©es d’inĂ©ligibilitĂ© – « quelques Daytona et Speed Triple Â» – et, d’autre part, l’insolente simplicitĂ© technique de la remise en conformitĂ© des machines avec leur certiïżœcat de rĂ©ception communautaire. En d’autres termes, dĂ©brider ces motos-lĂ  ne coĂ»tera pratiquement rien, ni au rĂ©seau, ni au client ïżœnal. Quant Ă  une possible dĂ©cote, elle ne convainc pas le dirigeant qui parie qu’elle « ne sera sans doute pas considĂ©rable Â», notamment parce qu’une moto de plus de quatre ans d’ñge « afïżœche dĂ©jĂ  une valeur assez modeste. Et le VO demeure un ïżœux intĂ©ressant pour tout bon revendeur Â». À condition qu’il sache s’y prendre, bien entendu


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