LA THÉORIE FACTORIELLE DES TRAITS : CATTELL

I. HISTORIQUE

Raymond CATTELL est né en Angleterre en 1905. Il a suivi l'enseignement d'excellence de son époque : il est entré à l'université de Cambridge à 15 ans et a obtenu son doctorat à 24 ans. Il entre dans la vie professionnelle comme psychologue clinicien et psychologue scolaire. La formation qu'il a reçue en psychologie porte deux caractéristiques : l'importance donnée à l'hérédité des conduites et celle accordée aux mathématiques. Comme beaucoup à son époque, il s'est préoccupé d'eugénisme.

L'eugénisme, qui signifie naissance heureuse, est une doctrine initialement généreuse qui, dans son aspect positif, visait à encourager la naissance d'enfants en bonne santé, qui deviennent des adultes heureux. Dans son aspect négatif l'eugénisme visait à décourager la reproduction d'individus ou de groupes censés porter des traits négatifs. Un raisonnement fréquent à l'époque partait de l'observation que dans les classes populaires les quotients intellectuels sont, en moyenne, plus faibles que dans les classes privilégiées. Comme les classes populaires ont une plus forte fécondité, l'intelligence allait décroître dans la population globale. En conséquence, il fallait faire décroître la natalité des milieux populaires, par exemple en supprimant toute forme d'aide sociale.

Ceci n'a pas grand rapport avec la psychologie de CATTELL. En tous cas, plus intéressant est l'usage systématique qu'il fait de l'analyse factorielle. C'est une méthode statistique qui est souvent utilisée pour gérer un grand nombre de variables liées les unes aux autres : pour décrire leurs relations, pour simplifier la représentation de ces relations, pour les expliquer ou pour confirmer la conformité de leur organisation à un modèle a priori.

L'analyse factorielle est utilisée par de divers psychologues, comme EYSENCK, mais c'est le fondement de la psychologie de CATTELL, qui a appliqué l'analyse factorielle à l'intelligence (distinguant intelligences fluide et cristallisée) et également à la personnalité.

CATTELL était un personnage important et reconnu en psychologie : une cinquantaine d'ouvrages et plus d'un demi millier d'articles. Il a travaillé d'abord en Angleterre, puis aux Etats-Unis puis à Hawaï, où il est mort en 1998.

II. LA PSYCHOLOGIE DES TRAITS

A. La psychologie d'ALLPORT

1. Le développement

CATTELL n'a pas crée la notion de trait ; il s'est inspiré de la psychologie d'un de ses prédécesseurs : Gordon ALLPORT.ALLPORT est surtout connu pour avoir proposé une psychologie du développement du moi plus argumentée et plus précise que celle d'ERIKSON, mais limitée à l'enfance et à l'adolescence.

2. La description des personnes

ALLPORT est également connu pour être une des références du modèle en cinq facteurs. C'est en effet, avec ODBERG, lui qui a recensé les termes qui, en anglais quotidien, servent à décrire le comportement humain. Il avait une approche très organisée à la fois globale (pour le développement du moi) et analytique (pour l'explication des comportements simples à l'aide de traits).

3. Les traits

Le trait selon ALLPORT est l'élément fondamental de l'analyse de la personnalité. Comme l'atome pour le physicien, le trait est le niveau d'analyse à privilégier pour le psychologue. Le trait est une prédisposition à répondre d'une manière spécifique à certains stimuli. La timidité et la méticulosité sont des traits.

Il existerait deux types de traits (distinction reprise par CATTELL) :

- Des traits communs, qui sont partagés par tous ou la plupart des individus dans une même culture et dont la variabilité est distribuée normalement.

- Des traits individuels ou personnels qui ne concernent que quelques personnes et qui sont distribués de manière sporadique.

B. Les traits selon Cattell

Pour CATTELL, ce sont les éléments fondamentaux de la personnalité. En partie hérités et en partie développés ils constituent les invariants qui assurent la stabilité de l'organisation de la personne. Les traits sont nombreux et très divers.

Nous pouvons les caractériser par :

a - Leur communauté : certains traits sont communs, i. e. partagés par tous les humains ou un grand nombre d'entre eux ; d'autres traits sont uniques, i. e. propres à une ou quelques personnes. Pratiquement on s'intéresse surtout aux traits communs.

b - Leur généralité : certains traits sont généraux, d'autres sont spécifiques. Plus un trait explique de variance (dans l'analyse factorielle) plus il sera considéré général. Les grands traits extraversion (exvia, selon CATTELL) et anxiété correspondent à des superfacteurs, des facteurs de second ordre.

c - Leur "profondeur" : certains traits sont des traits sources, ils ne sont soumis qu'à une seule source de variation, ils ne sont généralement pas directement observables. Nous pouvons associer le trait source au génotype. D'autres traits sont des traits de surface, ils sont soumis à plusieurs sources de variation, ce sont les caractéristiques de la personnalité, ils sont plus directement observables. nous pouvons rapprocher le trait de surface et le phénotype.

Dans les faits, CATTELL s'intéresse plutôt aux traits communs, de généralité moyenne et plutôt profonds, i. e. aux traits sources qui correspondent aux variables classiques de la psychologie : aptitudes, compétences, motivations, intérêts et valeurs.

Il distingue ainsi dans les traits sources :

- Traits d'habileté (proches des aptitudes).

- Traits de tempérament (les émotions et leur gestion).

- Traits de motivation (intérêts et valeurs).

III. LES DONNÉES

Les faits étudiés par CATTELL sont issus de trois sources de données :

a - Ce sont d'abord des L-Data : des données objectives sur la vie des personnes. Pour CATTELL, ce sont des observations réalisées par un spécialiste ; ce pourraient être des récits de vie.

b - Ce sont ensuite des Q-Data : des auto-évaluations par des questionnaires.

c - Ce sont, enfin, des T-Data : des résultats de tests objectifs, comme des scores de Dépendance - Indépendance du Champ (DIC) ou des temps de réaction.

Il s'agit pour l'auteur de chercher à être exhaustif d'une part, de chercher à montrer des convergences, i. e. observer une même structure sur des données des différents types.

IV. L'OUTIL PRIVILÉGIÉ : L'ANALYSE FACTORIELLE

Plusieurs centaines de personnes ont passé 5 tests mesurant une caractéristique unique, l'anxiété. Les corrélations entre les tests figurent Table 1.

test A test B test C test D test Etest A 1 .63 .72 .45 .54 Table 1test B 1 .56 .35 .42test C 1 .40 .48test D 1 .30test E 1

Si deux tests sont en corrélation c'est qu'ils mesurent en partie la même chose, qui ne peut être a priori que l'anxiété. La partie commune de chaque test peut être déterminée par un calcul simple (Table 2).

test A test B test C test D test E Table 2Anxiété .90 .70 .80 .50 .60

Nous pouvons dire que l'anxiété explique 90% de la variance des scores au test A ou que le test A est fortement saturé dans le facteur anxiété.

Commentaires :

- La Table 1 (table de corrélations) et la Table 2 (table de saturations) apportent la même information. Le passage de l'une à l'autre s'appelle une rotation.

- La Table 2 est plus simple à lire que la Table1.

- Les données sont compatibles avec l'hypothèse d'un seul facteur commun.

- Lorsqu'il n'y a qu'un seul facteur commun, la corrélation entre A et B est le produit des saturations de A et de B. Nous vérifions que la corrélation entre deux tests est bien le produit de leurs saturations dans le facteur commun : rAB = .90 x .70 = .63. Lorsqu'il y a plusieurs facteurs communs, la corrélation est la somme des produits des saturations (sur le facteur 1, puis le 2, etc…).

- Le passage de la Table 1 à la Table 2 permet de justifier a posteriori le trait anxiété.

V. APPLICATIONS

A. La mesure des traits par le 16PF

À partir de 1959, CATTELL a élaboré un questionnaire de personnalité en 16 facteurs, le 16PF. L'approche de l'auteur a été a-théorique et lexicale, partant d'une liste d'environ 18.000 mots qui en anglais courant permettent de décrire les personnes, liste établie par ALLPORT & ODBERG en 1936. Suivent plusieurs regroupements qui s'appuient soit sur le sens commun, soit sur l'analyse factorielle, il parvient à une description en 16 facteurs.

Les dimensions sont les suivantes :

a- cordialité, b- raisonnement, c- stabilité émotionnelle, e- dominance, f- vivacité, g- conscience, h- assurance, j- sensibilité, l- vigilance, m- imagination, n- intériorisation, o- inquiétude, q1- ouverture, q2- autonomie, q3- perfectionnisme et q4- tension.

Le questionnaire 16PF dans sa version 5 de 1993 comprend 185 questions, soit approximativement une douzaine d'items pour chacun des facteurs. Pour chaque item le sujet a trois réponses possibles.

Par exemple pour l'échelle (A) cordialité, on trouve l'item "Pour certaines fêtes et anniversaires importants, a- j'aime faire des cadeaux personnels, b- je ne sais pas, c- je trouve un peu ennuyeux d'acheter des cadeaux". La réponse (a) donne 2 points sur l'échelle de cordialité, les deux autres réponses (b) et (c) ne donnant aucun point sur aucune échelle.

Outre les seize dimensions, il permet d'estimer trois biais de réponse :

- La désirabilité sociale. - La tendance à l'acquiescement (tendance à dire oui quel que soit le contenu de la

question).- La tendance à donner des réponses rares.

Un peu plus tard, l'histoire du 16PF aura rejoint celle du modèle en 5 facteurs (Big five), puisqu'on a proposé de résumer les 16 dimensions en 5 : ouverture, conscience, extraversion, agréabilité et anxiété.

B. Le modèle en 5 facteurs : big five

L'idée est assez ancienne puisque FISKE (1949) avait déjà proposé une telle solution alors qu'il essayait de retrouver les 16 facteurs de CATTELL. Dans les deux décennies qui suivirent divers auteurs parvinrent aussi à cette solution en cinq acteurs.

C'est à partir des années 1990 que des outils fiables d'évaluation ont été proposés et que les recherches ont suivi.

Ouverture : imaginatif - créatif - aimant la variété (/routinier) - curieux

Conscience : sérieux (/ frivole) - responsable - soigneux (/ négligé) - disciplinéExtraversion : confiant en soi (/ timide) - spontané (/ inhibé) - assuré - actif (/ soumis)Agréabilité : chaleureux (/ froid) - gentil - poli (/ rude) - bon (/ irritable)Nevrotisme: nerveux (reposé) - anxieux (détendu) - relaxé (stressé) - excitable /calme

COSTA & MC CRAE (1992) font l'éloge suivant du modèle en 5 facteurs :

- Les coefficients de fidélité entre un test et un retest séparés de 7 années sont les suivants : O (.84), C (.78), E (.81), A .63) et N (.67).

- Les études longitudinales montrent la validité prédictive des scores.

- Les cinq facteurs se retrouvent dans le langage courant et dans les questionnaires de personnalité.

- Les cinq facteurs sont peu influencés par des variables comme le sexe ou la culture.

- Ils auraient une base biologique. (i. e. les mêmes arguments qu'EYSENCK pour son modèle tri-dimensionnel).

VI. ÉVALUATION

A. Généralité

La théorie de CATTELL est très générale, elle vise à décrire, puis expliquer le fonctionnement des personnes indépendamment des situations.

B. Réfutabilité

La théorie serait tout à fait réfutable, si elle suscitait des recherches permettant la réfutation. Ce n'est pas la situation actuelle et l'analyse factorielle n'est pas un outil théorique mais un instrument pratique

C. Économie conceptuelle

La théorie n'est pas très économique : 16 dimensions ! Alors qu'elle ignore des faits importants comme la transcendance ou le sens de l'humour...

D. Valeur heuristique

Il n'y a pas vraiment de progrès des idées. D'un point de vue théorique, il y a plutôt une régression, puisque l'auteur fait confiance au bon sens populaire pour valider ses catégories.

D'un point de vue méthodologique, l'utilisation de l'analyse factorielle n'est pas en soi originale, mais CATTELL l'a vraiment développée.

E. Validité empirique

Diverses recherches qui éprouvent les conceptions de CATTELL. Un problème est que souvent c'est CATTELL lui-même qui avec ses étudiants allait constater sur le terrain le bien-fondé de la théorie.

F. Validité écologique

La méthode d'analyse de CATTELL continue d'être utilisée. De même l'outil 16PF continue d'être utilisé en psychologie du travail.