40 reaug 1994 nr. 1-2
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Revue des tudes Augustiniennes,
40 (1994), 1-22
Pour une histoire de la lecture
pneumatologique de Gn 2, 7 :
Quelques jalons jusqu ' Irne de Lyon
Dans un article paru en 1989, Marie-Odile Boulnois a men une vaste
enqute sur les exgses patristiques de l' insufflation originelle de Gn 2, 7 en
lien avec celle de Jn 20, 22
1
. En introduction de cet article, elle note que de
manire gnrale, le verset de
Gn
2, 7 a peu attir l'attention des patrologues,
alors que l ' interprtation de cette premire insufflation est capitale pour
l'laboration d'une anthropologie, puisqu'elle met en cause l' identification du
don reu par l'homme la cration
2
. Une recherche consacre aux premires
manifestat ions d 'une anthropologie chrtienne
3
nous a conduit la mme
conclusion que Mme Boulnois en ce qui a trait au rle qu'a jou dans la
construction de cette anthropologie l' interprtation de Gn 2, 7. Mais elle nous
a aussi permis de constater que cette interprtation se fonde sur une
transformation pralable, qui est antrieure au christianisme. En d'autres
termes, l ' exgse que le chr ist ianisme ancien - y compris le Nouveau
Testament - a pratique de Gn 2, 7 prsuppose en bonne partie la substitution
de
, et cette substi tu t ion, lo in
d'tre propre aux chrtiens, est
d'origine juive. Voil ce que nous voudrions mettre en lumire dans le prsent
article, qui, nous l'esprons, contribuera l'tude de l' interprtation de Gn 2,
7 que souhaite Mme Boulnois
4
. Notre propre enqute se situera cependant en-
de de la sienne, puisque nous nous arrterons l o celle-ci commence. Ce
terminus ad quem
se justifie nanmoins en raison, dans la mesure o Irne de
Lyon marque une rupture dans l' interprtation pneumatologique de Gn 2, 7.
1.
Tel est le sous-titre de cet article intitul Le souffle et l'Esp rit, paru dans les
Recherches
augustiennes,
vol. XXIV, 1989, p. 3-37.
2.Art. cit.,p. 5.
3. paratre dans le vol. V du
Trattato di antropologia del sacro
des ditions Jaca Book-
Massimo, M ilan.
4.
Cf.
art. cit.,
p. 9, n. 22.
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PAUL-HUBERT POIRIER
La Sagesse de Salomon
La plus ancienne attestation d'une comprhension pneumatologique du
souffle
( ) de Gn 2 , 7 est sans doute celle qu offre laSagesse de Salomon,
Rdig probablement Alexandrie dans la seconde moiti, ou mme le dernier
tiers,
du premier sicle avant notre re
5
, ce livre prsente, au chapitre 15, une
reprise ironique de Gn 2, 7 pour l 'appliquer au faonnage par le potier
d' idoles muettes et sans vie, parce que dpourvues du souffle vital. Le
vocabulaire caractristique de G 2, 7 y est sans cesse repris, en positif comme
en ngatif
6
, cette exception que la
de Gn 2,1 y d evient un ,
celui-ci
tant communiqu l 'homme au moment de sa cration. Ainsi au v.
11 : (L 'hom me ) n 'a pas reconnu celui qui l 'a faonn, qui lui a insuffl
( - ) une
me agissante et inspir un esprit vivifiant
( - -
) ; de mme au . 16 : un homm e les se . les faux-dieux) a faits,
quelqu un dont le souffle ( - ) es t
emprunt, les a faonns
( ), car
aucun homme n a le pouvoir de faonner ( ) u n dieu se mb la ble lui
7
.
Philon d Alexandrie
Aprs le livre de la Sagesse, c 'est chez Philon d 'Alex andrie que l 'on
enregistre le premier tmoignage d'une lecture pneumatologique de
Gn
2, 7.
Notons tout d 'abord
8
que, si Philon connat une forme de
Gn
2, 7 selon
laquelle
remplace , la plupar t du temps, il conserve le texte t rad i
tionnel, mais en en donnant une
interprtation franchement pneumatologique.
Celle-ci se situe dans le cadre de l'explication que donn e Philon des deux rcits
de la cration de l'homme en
Gn
1 et 2. Comprenant le doublet scripturaire
la lumire de l 'exemplarisme platonicien, Philon en tire l ' ide des deux
crations de l'homme, qui lui sert marquer le passage de l' intelligible (G n 1,
26-27) au sensible et l ' individuel (G n 2, 7). Mais, tout en affirmant la
supriorit de la premire cration, selon l' image et selon la ressemblance, il
n'en rserve pas moins la seconde le privilge de la rception du
d i
vin. Nous pouvons citer en ce sens le
dveloppement que le De opificio mundi
9
consacre, aux 134-135, Gn 2, 7, et dans lequel Philon dgage la
signification pour l'homme d'avoir t faonn et non plus seulement fait
l' image de Dieu :
Mose dit ensuite : Dieu faonna l'homme en prenant une motte de terre et il
souffla sur son visage un souffle de vie. Il montre par l trs clairement la
diffrence du tout au tout qui existe entre l'homme qui vient d'tre faonn ici et
celui qui avait t prcdemment engendr l'image de Dieu. Celui-ci, qui a t
5. Cf. C.LARCHER Le livre de la Sagesse ou la Sagesse de Salomon , I{tudesbibliques,
nouvelle srie, 1), Paris, 1983, p. 159-160.
6. Cf., p. ex., pour
, le v. 5b ; p ou r , les v v. 7a et 8b ; p ou r , l es v v.
7bc, 8a, l i a et 16bc ; ^ - , le v . I le ; pour , l e v. I l e .
7. Trad modifie) A. GUILLAUMONT,dans
La
Bible,AncientTestament II Bibliothque
de la Pliade),Paris, 1959.
8. la suite
d
eTh.H. TOBIN,
The Creation
of
Man : Philo and the History
of Interpretation
(The
Catholic
Biblical
Q uaterly,
Monograph Series, 14), Washington, 1983, p. 78. n. 62.
9. d. et trad. R. ARNALDEZ,
Les uvres de Philon d Alexandrie,
vol. 1, Paris, 1961.
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LA LECTURE PNEU MATOLOGIQUE DE GN. 2,7
3
celui qui avait t prcdemment engendr l'image de Dieu. Celui-ci, qui a t
faonn, est sensible
;
il participe dsorma is la qualit ; il est compos de corps et
d'me ; il est homme ou femme, mortel par nature. Celui-l, fait l'image de Dieu,
c'est une ide, un genre ou un sceau ; il est intelligible, incorporel, ni mle ni
femelle, incorruptible de nature. Quant l'homme sensible et individuel, Mose dit
qu'il est, dans sa constitution, une combinaison de substance terrestre et de souffle
divin. En effet, le corps a t cr du fait que l'artiste prit une motte et en forma une
figure hum aine ; au contraire l'me ne vient absolument de rien de cr , mais du
Pre et Matre de l'univers. Car ce qu'il a insuffl n'tait rien d'autre que le souffle
divin ( ) qui a dtach de cette nature fortune et bienheureuse une
sorte de colonie parmi nous, pour le bien de notre race, afin que, m ortelle par sa
partie visible, elle ft du moins imm ortelle par sa partie invisible. Aussi pourrait-on
trs bien dire que l'homme est la limite de la nature mortelle et de la nature
immortelle, dans la mesure o il participe ncessairement de l'une et de l'autre, et
qu'il est la fois mortel et immortel, mortel selon le corps, mais selon la pense,
immortel.
Malgr son caractre second, l 'homme n de la terre de
Gn
2, 7 n 'en
possde pas moins une excellence qui le distingue de ceux qui devaient le
suivre, excellence qui lui vient notamment de ce qu'il est o
du p ro pre L og os de D ieu :
Dieu en effet semble ne
s'treservi pour le fabriquer, d'aucun autre modle pris
dans le devenir, mais uniquement, comme je le disais, de son propre Logos. Aussi
Mose dit-il que c'est une reprsentation de ce Logos qu'e st devenu l'hom me vivifi
par le souffle au visage
( - ) (139).
Les Legum allegori
10
, commentant Gn 2, 7, tmoignent de la mme lecture
pneumatologique :
Et Dieu faonna l'homme en prenant une motte de terre, et il insuffla sur sa face un
souffle de vie
( ) , et l hom me fut
engendr en me vivante. Il y a
deux genres d'hommes : l'homme cleste et l'homme terrestre. L'homme cleste,
en tant que n l'image de Dieu, n'a pas de part une substance corruptible et en
un mot pareille la terre ; l'homm e terrestre est issu d'un e matire parse, qu'il a
appel une motte : aussi dit-il que l'homme cleste a t non pas faonn, mais
frapp l'image de Dieu, et que l'homm e terrestre est un tre faonn, mais non
engendr par l'artisan. Mais il faut rflchir que l'homme de terre, c'est
l'intelligence au moment o Dieu l'introduit dans le corps, mais avant qu'elle y
demeure introduite. Cette sorte d'intelligence serait en vrit semblable la terre et
corruptible, si Dieu ne lui insufflait pas ( - ) un e p uis sa nc e d e v ie
vritable
;
en ce cas, en effet, elle est engendre et non plus faonne en une
me qui n'est pas inactive et dpourvue de la frappe divine, en une me intelligente
et rellement vivante:L'homme, dit-il, fut engendr
11
en me de vie (I, 31-32).
10.
d. et trad. Cl. MONDSERT,
Les uvres de Philon d Alexandrie,
vol. 2, Paris, 1962.
11.
Je traduirais plus volontiers, ici et ailleurs, par
devint
( )
me vivante (cf. le
Philon de la
Loeb
Classical Library
1,
p. 169).
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PAUL-HUBERT POIRIER
Il est intressant de noter qu'une telle lecture pneumatologique semble en
quelque sor te s ' imposer Philon bien qu'e l le soit plus ou moins en
contradiction avec son affirmation de la supriorit de la premire cration sur
la seconde. Philon sent d'ailleurs la difficult, qui l'amne poser la question
suivante : On peut chercher pourquoi en gnral Dieu a jug digne d'un
esprit divin
( - ) l in te llig en ce
ne de la terre et amie du corps,
et non l' intelligence ne sa ressemblance et son image (I, 33). Il dira aussi,
en I, 36, que le
- ( il in su ffla) d e Gn 2 , 7
quivaut
- (il
inspira), ce qui lui permet de
rinterprter en termes pneumatiques les
lments du verset biblique : Tpva yp
, , ,
- , ,
E n effet, trois choses sont requ ises : ce q ui
souffle, ce qui reoit, ce qui est souffl. Ce qui souffle, c'est Dieu ; ce qui
reoit, c'est l' intelligence ; ce qui est souffl, c'est le souffle (I, 37). C'est
d'ailleurs la possession du souffle qui seule permet l'me d'accder la
connaissance de D ieu (I, 38).
Que Philon reprenne ici une interprtation traditionnelle ressort du fait qu'il
maintient sa lecture pneumatologique tout en tant bien conscient qu'elle n'est
pas supporte par la lettre de
Gn
2, 7 :
Il a dit: souffle lger
( ) et non souffle ( ) , parce qu i l y a une
diffrence:le souffle
( ) contient les notions de force, de tension et de
puissance; et le souffle
lger
( ) est comme une brise et une exhalaison
paisible et douce.Onpourrait doncdire que intelligence,ne
l'image
de Dieu
et
selon l'ide, a particip au souffle
( ) car
l'activit de sa pense adela
vigueur, et l'autre, qui est de matire lgre et plus subtile, une brise qui est
comme une de ces manations venant des plantes aromatiques : mme si on
conserve celles-ci sans les brler,
elles
dgagent
une
odeur agrable (1,42).
Flavius Josephe
Aprs Philon d'Alexandrie, si nous restons dans le judasme hellnistique,
c'est chez Flavius Josephe que nous voyons rapparatre, mais sans qu'elle soit
dveloppe ni thorise comme chez Philon, la lecture pneumatologique de Gn
2,
7 : Aprs le septime jour, Mose commence disserter sur les choses de
la nature ; et sur la formation de l 'ho m m e, il dit ceci : Dieu faonna
( ) l h om m e en pre na nt de la
poussire de la terre, puis il introduisit en
lui un esprit
( ) et une
me
(Antiquits juives
I , 34)i
2
. Cette rcriture
de
Gn
2, 7 est d'autant plus intressante que c 'est spontanment, pour
reprendre le mot de Dom Jacques Dupont^, en dehors de tout cadre
interprtatif, que Josephe mentionne le .
12.d.
et trad, (modifie)
Et.
NODET,
Flavius Josephe
/- //, Paris, 1990.
13.
VoirGnosis.
La connaissance religieuse dans les pitres de saint
Paul,Paris-Louvain,
1960, p. 173.
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LA LECTURE PNEUMATOLOGIQUE DE GN. 2, 7
5
Paul
Dans le christianisme, l' interprtation pneumatologique de Gn 2,1 s'est trs
tt manifeste au point qu'on puisse en relever des traces chez Paul, et tout
d'abord en conclusion de sa plus ancienne lettre, en 1
T h
5, 23. Ce texte a t
bien tudi par A.-J. Festugirei
4
, qui a montr que Paul y reprend le schma
traditionnel de l'anthropologie tripartite
~ - ~ VOO
, mais en
substituant au
le . Il ne s agit c ep en dant p as d u
stocien,
mais d'un conceptjuif,ou du m oins labor en fonction de textes juifs
15
. Ces
textes sont prcisment ceux, entre autres, de Philon d'Alexandrie et de Flavius
Josephe que nous avons cits. La mme exgse de Gn 2,7 se retrouve dans un
autre passage de Paul, 1 C o 15, 45-47, o il dveloppe l'antithse psychique ~
pneumatique. R. Morissettei
6
a tabli propos de ce texte que les versets 45 et
47 constituent un midrash de Gn 2,1, dont ils reprennent les lmen ts en les
inversant, de la manire suivante :
Gense 2 1C orinthiens 15
7c
45
-
7b - 45 b
7 a K a l 47a
Depuis fort longtemps, on
s est
interrog, propos de ce passage, sur
l'origine de l'antithse
~ . S il
n'apparat pas possible de
dterminer de faon prcise le lieu d'origine de cette terminologie, il est sr,
en revanche, qu'elle requiert, en arrire-plan, une interprtation de
Gn 2,1
semblable celle que l 'on trouve dans le judasme hellnistiquei
7
et dont
Philon d'Alexandrie et Flavius Josephe, et, avant eux, la
Sagesse de Salomon,
sont les tmoins ; une interprtation qui comprenait la
de Gn 2,1 dans le
sens du b ib liq ue .
Malgr la reprise polmique que Paul fait de cette
interprtation, en relguant en dernier lieu l 'apparition du second homme,
venu
( . 4 7 ), il y a d on c u ne remarqu ab le
continuit de la tradition
dans l'utilisation de Gn 2, 7. C'est la comprhension que l'on avait de ce texte
14.Dans un article de 1930 repris dans
L idalreligieuxdes Grecs etVEvangile {tudesb i
bliques),
Paris, 1932, p. 196-220.
15.
Voir
ar t. cit., p.
212.
16.
Voir L'antithse entre le "psychique" et le "pneum atique" en I Corinthiens, XV, 44
46,
Revue des sciences religieuses
46 (1972) 97-143 , sp. p. 98.
17. Cf. R. A. HORSLEY, Pneumatikos vs. Psychikos distinctions of spiritual status
among the Corinthians,
Harvard
Theological
Review
69 (1976), p. 274-280.
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dans le judasme hellnistique qui permit Paul de construire son antithse du
psychique et du pneumatique, en tirant matriellement
i8
le - de la -
de
Gn
2 , 7 c , e t le - , , d u n e
rinterprtation de la
la lumire
du
vtro-testamentaire.
Justin
Laissons maintenant Paul pour passer Justin. Nous nous arrterons au long
passage qu'en ouverture de son
Dialogue
i 9
, en 4, 1-6, 2, Justin consacre la
critique de la doctrine de l 'me des philosophes. Dans ce dveloppement
20
,
Justin, encore platonicien, est conduit par le mystrieux vieillard qu'il vient de
rencontrer, remettre en cause la doctrine platonicienne de la
- de
l 'me avec Dieu en raison de son immortalit. Aprs avoir fait admettre
Justin que les philosophes n'ont pas su dire ce qu'est l 'me {Dial. 5, 1),
puisqu' ils l 'ont crue immortelle et inengendre alors que la vie ne lui
appartient pas en propre comme elle appartient Dieu
> -
Dial.
6, 2), le vieillard conclut
l'change par ces
mots :
De mme que l'hom me n'existe pas perptuellement, et que le corps ne subsiste pas
toujours uni l'me, mais que, lorsque cette harmonie doit tre dtruite, l'me
abandonne le corps et l'homme n'existe plus, de mme aussi, lorsque l'me doit
cesser d'tre, l'esprit vivifiant s'chappe d'elle ; l'me n'existe plus et s'en
retourne son tour l d'o elle avait t tire Dial.6, 2).
D'aprs ce texte, l 'homme est compos de trois lments
(
, - , , dont les deux derniers form ent une qu i
n est pas
appele perdurer, puisqu'en dfinitive, ils doivent leur subsistance
dans l'tre l'esprit vivifiant.
Nous avons ici une trichotomie qui est oppose par le vieillard la
dichotomie platonicienne du
et de la - im m ortelle e t
inengendre.
Comme l'a bien vu J. C. M. van Winden, dans son commentaire
2
, le
qui co uro nn e le
compos humain et lui permet de subsister est
l ' vidence appel par
G 2, 7 relu dans une tradition que nous avons
rencontre dj plusieurs reprises et qui remplace la
par le . En
effet, l e xp re ss io n se re tro uv e en Sg 15, 11, verset qui, nous
l avons
not, paraphrase Gn 2, 7. La pratique d'une lecture pneumatologique
du texte de la Gense est suffisamment atteste depuis le I
er
sicle avant notre
re pour qu'on puisse douter que c'est bien l
arrire-plan de Justin. Mm e
si , par ailleurs, Justin souscrit la dichotomie platonicienne (cf. Apol. I, 8, 4),
18.
Cf. J. DUPONT,
op. cit.,
p. 172.
19.
d. et trad. G. ARCHAMBAULT,
Ju stin. Dialogue avec T ryphon (Textes et Docum ents),
Paris,
1909.
20 .
Sur lequel on consultera le commentaire dtaill de J. C. M. Van WINDEN,
An Early
Christian Philosopher. Justin M artyr s Dialogue with Trypho Chapters O ne to Nine.
Introduction, Text, Commentary
PhilosophiaPatrum,
1), Leiden, 1971.
21 .
Van WINDEN,
op. cit.,
p. 105.
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LA LECTURE PNEUMATOLOGIQUE DE GN.2,7
il reste que, dans leDialogue, il est plus proche de la triade chrtienne ~
> ~
2 2
.
Taen
Tatien ne cite pas une seule foisGn 2,1 dans sonDiscours aux Grecs
23
, mais
il mrite nanmoins qu'on s'y arrte en raison de sa doctrine de l'esprit ou,
plus exactement des esprits. Malgr les difficults que prsente l'interprtation
des donnes pneumatologiques duDiscours,celles-ci ne sont pas sans lien, nous
semble-t-il, avec ce que nous avons rencontr jusqu' maintenant. Tatien
considre divers aspects de cette doctrine, qu'il aborde d'abord sous l'angle de
la thologie entendue au sens strict :
Notre Dieu n 'a pas de commencement dans le temps,
il
est seul sans principe et lui-
mme est le principe de toute chose. Dieu est un esprit (
)
2 4
; il ne
se
rpand pas
travers
la
matire
ov
- ) , m ais
il est le
crateur des esprits matriels
( - ) et des formes qui sont en
elle. On ne peut le voir ni le toucher
c est
lui qui est le
pre des choses sensibles et
des choses invisibles (4,
1-2 ; p. 4,
29-5,
5
Schw artz).
Dans ce premier passage, Dieu est dfini comme
, et il est
aussitt
qualifi de faon ngative : - qui ne serpand pas
travers la matire. La suite de ce chapitre 4, qui affirme la transcendance de
Dieu mais dans le cadre d'une polmique anti-idoltrique, prcise la nature de
cet esprit :
C'est
pour nous
que le
soleil
et la
lune
ont t
crs, comment donc pourrais-je
adorer ceux qui sont mes serviteurs
?
Comm ent pourrais-je dclarer dieux du bois
et des pierres
?
Car l'esprit qui se rpand
travers
la
m atire
(
)
est
infrieur
l'esprit plus divin
( -
) )
;
commeil est
assimil
l 'me
25
,
on ne
doit
pas lui
rendre
les
mmes honneurs
qu'au Dieu parfait (4,
2
; p .
5,
8-12 Schwartz).
Avant de voir comment, dans la suite du Discours, Tatien dveloppe et
prcise dans une perspective anthropologique sa thorie des esprits, il n'est pas
inutile d'essayer d'organiser les donnes du chapitre 4. On y trouve en effet
22 .
Quoi qu'en dise G. ARCHAMBAULT,
op. cit.,
1.1, p. 34, n.
ad
loc.
23 .
d. M.WHITTAK ER,
Tatian
Oratio
ad
Grcos
and
Fragments {Oxford
Early Christian
Texts),
Oxford, 1982 (qui conserve la pagination et la lination de l'dition de Schw artz) ; trad.
A. PUECH,
R echerches sur leDiscoursaux G recs de T atien suivies d une traduction franaise
du
Discours
avec notes
(Universit de Paris,
Bibliothque
de la Facult des Lettres,
17), Paris,
1903,p.
107-158.
On
trouvera chez M. SPANNEUT,
Le stocisme
des
Pres
de
glise.
De
Clment de Rome
Clmen t d Alexandrie, Patristica sorbonensia,
1, Paris, 1960, p.
138-
140,
la traduction de quelques textes de Tatien, dont nous nous sommes inspir
l'occasion.
24.
Formule identique
Jn
4,2 4, m ais faut-il y voir une citation du quatrime vangile ? Elle
n'est,
en
tout cas, pas retenue comme telle par la
Biblia
patristica
(vol. 1, Paris , 1975, p. 391),
non sans raison tant donn le caractre gnral qu'elle prsenteetl'arrire-plan philosophique
des dveloppements de Tatien sur le .
25 .
Assimil
la
matire,
si l'on
adopte
la
correction de Schwartz ; m ais nous prfrons
suivre le texte des manuscrits, comme le fait d'ailleurs Puech
(o p. cit.,
p. l
3
n.
4).
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trois entits distinctes :
l esprit
qui est Dieu, lequel
(se.
Dieu ) est aussitt dit
ne pas se rpandre travers la matire ; Vesprit qui se rpand travers la
matire, assimil l'me, et infrieur Vesprit plus divin. Devant une telle
enumeration, on peut se poser une premire question : l 'esprit qui est Dieu
est-il identique l 'esp rit plus divin ? On serait tenter de le penser
premire lecture, mais le comparatif fait douter. Nous y reviendrons. Mais
l'origine du vocabulaire qu'emploie ici Tatien ne saurait, quant elle, prter
hsitation, et en particulier l'expression
)
) :
ce vocabulaire est clairement
stocien
26
. Mais pour Tatien, il ne fait pas de
doute que le fait de d ire, d'un ct, de Dieu qu 'il est esprit et qu 'il (se. Dieu)
ne se rpand pas travers la matire, et de lui opposer, de l'autre, un esprit
infrieur, qui se rpand travers la matire et est assimil l'me,
constitue la fois une critique de la conception du
-
me du monde,
divinis, immanent toute chose, et une acceptation de cette notion, une fois
dpouille de son caractre divin. Nous verrons cependant que Tatien ne se
satisfait pas d'exclure le pneuma stocien de la sphre du divin, il instaure entre
lui et le Dieu parfait, un esprit plus divin.
Venons-en maintenant aux chapitres 12 15, o Tatien prsente sa
pneumatologie en regard de sa doctrine de l 'me humaine. Il commence par
noncer une proposition qu'il dveloppera par la suite:
Nous savons qu'il y a deux espces diffrentes d'esprits
( -
) , dont l un s appelle
l'me, et l'autre est suprieur l'me, (tant)
image et ressemblance de Dieu; l'un et l'autre se trouvaient chez les premiers
hommes, de faon qu'ils fussent en partie matriels, en partie suprieurs la
matire (12, 1; p. 12, 18-21 Schwartz).
Suit un dveloppement qui montre la communaut de constitution et
d'origine du monde, du corps humain et des dmons, puisque toute la
constitution du monde et la cration dans son ensemble sont nes de la matire,
et que la matire elle-mme a t produite par Dieu, de telle sorte que, avant
d'avoir t distingue en ses lments, elle tait sans qualit et sans forme, et
qu'aprs cette division elle fut ordonne et rgle (12, 1 ; p. 12, 22-26
Schwartz). D'o la conclusion: Il y a donc un esprit dans les astres, un esprit
dans les hommes, un esprit dans les animaux ; et cet esprit, qui est un et le
mme, a cependant en lui-mme des diffrences. Il semble bien que cet esprit
soit identifier, d'une part, l'me du monde stocienne, pareillement une et
la mm e, et affecte de nom s div ers (cf. S V F II 1021) et, d'a utr e p art, la
- dont parle Tatien au
dbut du chapitre 12.
Quant l'me humaine, qui ne peut chapper la mort qu'en acqurant la
connaissance de Dieu (cf. 13, 1), par elle-mme elle n'est que tnbres, et
rien de lumineux n'est en elle, et c'est l ce qui a t dit : "Les tnbres ne
reoivent pas la lumire" (13, 1 ; p. 14, 16-18 Schwartz). Ds lors, elle ne
peut d'elle-mm e possder vie et salut :
26 .
Cf. l'index des
Stoicorum veterum fragmenta,
IV, Stuttgart, 1924, p. 41.
-
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LA LECTURE PNEUMATOLOGIQUE DE GN. 2, 7
9
Ce n'est donc
pas
l 'me
qui a
sauv l'esprit
;
elle
a t
sauve
par
lu i
27
; et la
lumire
a
reu les tnbres,
en
tant que
la
lumire de Dieu est verbe,
et
que l'me
ignorante
est
tnbres. C'est pourquoi l'me livre
elle-mme s'abme dans
la
matire
et
meurt avec
la
chair
;
mais
si
elle possde l'union avec l'esprit divin
( - - ... - ) , elle ne m an qu e p lu s d a id e; e lle
monte vers les
rgions
o la
guide l'esprit, car c'est en haut qu'il
a
sa demeure,
et
c'est en bas qu'elle
a
son origine (1 3, 1-2; p. 14, 18-26 Schw artz).
D'aprs ce texte, on aboutit une structure trichotomique forme des
lments suivants : l'esprit divin, l'me, la chair. Dans la suite, Tatien prcise,
au sujet de l'esprit divin, qu'il
s'agit
de celui de Dieu, que l'me possdait
l'origine, mais qui ne se trouve plus en tous ;
c'est
lui seul qui permet de
connatre Dieu :
Ds l'origine l'esprit
se fit le
compagnon ( )
de
l 'me
;
mais l'esprit
l'abandonna quand ellenevoulutpas lesuivre. Elle gardaitunetincellede sa
puissance
;
spare de lui, elle ne pouvait voir les choses parfaites
;
elle cherchait
Dieu
et
dans son erreur elle se forma des dieux multiples, suivant les contrefaons
des dmons. L'esprit de Dieu n'est point en tous ; mais en quelques-uns seulement
qui vivent justement
il est
descendu,
s'est
uni
leur m e,
et par
ses prdictions
a
annonc aux autres mes les choses caches ;etcelles qui ont obi lasagesse ont
attir l'esprit qui leur est apparent
( - ), tandis que celles qui
ne l ont pas
coute
et qui ont
rpudi
le
ministre
du
Dieu
qui a
souffert
(
6 ) se sont
montres
les
ennemies
de
Dieu
plutt que ses adoratrices (1 3, 2-3 ; p. 14, 26-15, 7 Schwartz).
La perspective dcrite par le texte que nous venons de citer (voir aussi 7, 3 ;
p .
7, 29-31 Schwartz : Celui-l qui avait t fait l'image de Dieu, l'esprit le
plus puissant s'tant retir de lui, est devenu mortel) commande l'idal qui est
propos l'homme : retrouver la - - de l'me avec l'esprit divin (13,2 ;
p .
14, 22-23 Schwartz) :
Il faut donc
que
nous cherchions
retrouver maintenant
ce que
nous avions
autrefois, mais que nous avons perdu ; que nous unissions notre me
l'esprit saint
et que nous nous donnions de la peine pour l'union selon Dieu
(
- - ) ( 15, 1 ; p. 16,4-6Schwartz).
Cet assemblage, ou accouplement, se ralisera en procurant l'homme de
chair et d'me, ce par quoi il est image et ressemblance de Dieu, c'est--dire
l'esprit saint ou divin :
L'me
des
hommes
est
forme
de
plusieurs parties
et non
simple.
Car
elle
est
compose, de m anire tre visible par le moyen du corps ; par elle-mm e, en effet,
elle ne serait jamais visible sans le corps,
et la
chair non plus ne ressuscite pas sans
l'me. Car l'homme n'est pas, comme
le
prtendent les dogmatiseurs
la
voix
de
corbeau, un tre raisonnable
( )
2 8
, capable de recevoir l intelligence
et la science : on montrerait, selon eux, que les
tres privs
de
raison peuvent
recevoir l'intelligence
et la
science. Mais l'homme
est
seul l'image
et la
27.
Cette phrase
a une
coloration polmique, peut-tre dirige contre
la
valorisation
stocienne de l'me du monde.
28.
Dfinition scolaire
que ni
Justin
(cf.
Dialogue
93, 3) ni le
Pseudo-Justin
De
resurrectione
8) ne craignent de reprendre leur compte.
-
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10
PAUL-HUBERT POIRIER
ressemblance de Dieu, et j'appelle homme non celui qui se conduit comme les
animaux, mais celui quis'estloign bien loin de l'humanit pour se rapprocher de
Dieu lui-mm e. J'ai dvelopp tout cela plus exactement dans mon trait Sur les
animaux
;
mais maintenant ce qu 'il faut
dire,
c'est ce que signifie
:
tre l'image et la
ressemblance de Dieu. Ce qu'on ne peut comparer ne peut tre rien d'autre que
l'tre en soi ; ce qu'on compare n'est rien d'autre que le semblable
(
) . Or le Dieu parfa it n a pas de chair, mais l homme es t chair l'me est
le lien de la chair
( ) , et la c hair est ce qui co ntien t ( )
l'me. Si la
forme d'un tel arrangement est comme un tem ple, Dieu veut y habiter par le moyen
de l'esprit, son reprsentant
29
. Mais, si l'habitation n'est point telle, l'homme ne
l'empo rte sur la bte que par la parole articule ; pour le reste, il mne la mme vie,
n'tant pas la ressemblance de Dieu (1 5,1-3 ; p. 16, 6-27 Schwartz).
Ici encore, nous retrouvons une division trichotomique de l 'tre humain,
identique celle du chapitre 13, sauf que ses lments constitutifs sont
autrement qualifis :
- =
=
Il est
noter que cette trichotomie est avance par Tatien dans une vise
polmique : l 'homme ne saurait tre, comme l 'enseignent les philosophes, un
pur
, et s il peut
tre
, c est pour
autant qu il
possde un
, un
lment qui fonde sa parent avec le
divin. Cet lment, c'est l'esprit, ambassadeur du Dieu la ressemblance
duquel l'hom m e est fait, en mm e temps qu 'il est parent (cf. 13, 3,
)
des
mes dociles la sagesse.
Au dbut de cet examen de la pense anthropologique de Tatien, nous nous
sommes interrogs sur la nature des diffrents q u i l fait i nte rv en ir.
Nous pouvons maintenant, la lumire des textes qui ont t invoqus, revenir
cette question capitale pour la comprhension de son anthropologie.
L'analyse a confirm qu'il y a chez Tatien trois esprits : le
premier
est Dieu
lui-mme, appel esprit en 4, 2 (p. 5, 2 Schwartz), appellation galement
applique au verbe, esprit fait depuis l'esprit (7, 1 ; p. 7, 6 Schwartz) ; quant
au
troisime,
il n'est autre que le
stocien,
- (4, 2 ;
p.
5, 10 Schwartz),
la fois me du monde et me individuelle (12, 1 ; p. 12,
18-19 Schwartz), esprit matriel
( , 12 , 3 ; p . 13, 11 Schwartz) partout
le
mme, mais susceptible de prendre toutes les formes et de recevoir toutes les
appellations (cf. 12, 5 ; p. 13, 30-31 Schwartz).
29 .Le texte grec porte: . Cette expression peut tre
traduite de deux faons diffrentes. Selon la premire (notre traduction, la suite de Otto et de
Whittaker), on comprendra que Dieu n'habite pas directement dans l'me, mais qu'il est prsent
par l'intermdiaire de l'esprit, son ambassadeur;quant la seconde traduction (par le moyen
de l'esprit suprieur, Puech), elle a en sa faveur que Tatien qualifie plusieurs reprises le
par un comparatif. Il est difficile de trancher entre ces deux
possibilits.
-
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LA LECTURE PNEUMATOLOGIQUE DE GN. 2, 7
11
En ce qui concerne le
deuxime
esprit men tionn par Tatien , il est mo ins
facile de dfinir exactement sa nature. Mais ce qui ressort clairement des textes
que nous avons ex amins, c'est ce qui touche :
(1) sa situation et sa fonction : il est au sommet de la trichotomie
anthropologique (cf. 13, 1-3 et 15, 1-3),
de Dieu et d e
l 'me, tout en lui tant suprieur (12, 1) ; compagnon originel de l'me (cf.
13 ,
2), il l 'abandonne si elle est dsobissante et ne subsiste plus en elle que
comme tincelle
(ibid.)
; mais il descend chez les justes qui deviennent ses
prophtes (cf. 13, 3). Procurant l'me l' immortalit (cf. 13, 2), il est image
et ressemblance de Dieu et, ce titre, il dfinit l'homme vritable (15, 1).
(2) ses appellations : il est tout la fois l'esprit divin (13, 2), plus divin
(4,
2), esprit saint (15, 1), esprit plus puissant (7, 3). Il est encore dit
reprsentant de Dieu (15, 2) et ministre du dieu qui a souffert (13 , 3).
Pour dterminer la nature exacte, ou le statut ontologique, de cet esprit, il
faut considrer l'ensemble des indications parses que livre le Discours aux
Grecs. Disons tout d'abord qu'il ne peut tre identifi avec Dieu, puisqu'il en
est le reprsentant ; et pas davantage au verbe, tant le ministre du Dieu qui a
souffert, c'est--dire du verbe incarn
30
. Par ailleurs, il est, ds l'origine, ce
qui relie l'me au divin, il la mne avec lui vers le haut (13, 2) ; inspirateur
des prophtes, il est prsent aux mes qui ont obi la sagesse (13 , 3 ; p. 15,
4 Schwartz). Ds lors, il semble difficile de voir dans cet esprit une
christianisation pure et simple de
stocien
3
. Nous dirions plutt
que par son statut d'envoy et de ministre, d' inspirateur et d'tincelle
( ) , il rempli t une fonc tion ana logue celle du chez
Justin, en
mme temps qu'il se rapproche du
de la t radit ion sapientiel le
juive qui couronne les trichotomies de Paul et de Justin.
Les gnostiques
Il ne saurait
tre question de procder ici un examen de l'ensemble des
sources, directes ou indirectes, qui donnent accs la thologie des gnostiques.
Nous nous contenterons de retenir deux tmoignages qui illustrent le recours
des docteurs valentiniens
Gn
2, 7, en mme temps que la diversit de leur
attitude face la tradition interprtative dont nous avons identifi quelques
jalons.
Le premier tmoignage que nous retiendrons est celui de la Grande
Notice d'Irne, c'est--dire l'expos de la doctrine de Ptolme, disciple de
Valentin, qui occupe les neuf premiers chapitres du livre I de
YAdversus
hreses
32
.
D'ap rs ce texte, l 'anthropologie valentienne s'enracine dans les
30 .
Ce qui nous amne voir dans le y du
Discours aux Grecs
le verbe incarn, ou le
Christ, ce sont les reprises du prologue de
Jn
que comporte le
Discours.
31 .
Comme l'affirme M. SPANNEUT,
op. cit.,
p. 139 ; nous lui accordons cependant qu 'il y
a une parent fonctionnelle entre le de Tatien et stocien.
32 .
d., trad, et annotation : A. ROUSSEAU, L. DOUTRELEAU,
Sources chrtiennes
263-
264,Paris, 1979. Cette Grande Notice a fait l'objet d'une tude critique approfondie de la part
de Franois Sagnard dans son livre intitul
La Gnose valentinienne et le tmoignag e de saint
-
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12 PAUL-HUBERT POIRIER
trois lments issus, en dernire analyse, du trouble survenu dans le Plrme :
Il existait donc ds lors trois lments, d'aprs eux : l'lment provenant de la
passion, c'est--dire la matire ; l'lment provenant de la conversion, c'est--
dire le psychique ; enfin l'lment enfant par Achamoth c'est--dire le
pneumatique Adv. hr.I, 5, 1). C'est la formation ( ) du second
de ces lments que va dsormais s'occuper Achamoth : Cependant elle
n'avait pas le pouvoir de former l'lment pneumatique, puisque cet lment
lui tait consubstantiel. Elle se tourna donc vers la formation de la substance
issue de sa conversion, c'est--dire de la substance psychique
(
- ) Adv. hr.I, 5, 1). Elle forme tout d'abord celui qui est le Dieu, le
Pre et le Roi de tous les tres, tant de ceux qui lui sont consubstantiels,
c'est-
-dire des psychiques, qu'ils appellent la droite , que de ceux qui sont issus de
la passion et de la matire et qu'ils nomment la gauche . C'est le Mre-
Pre , Sans Pre , Dmiurge et Pre ; ils le disent Pre des tres de
droite, c'est--dire des psychiques, Dmiurge des tres de gauche, c'est--dire
des hyliques, et Roi des uns et des autres Adv. hr. I, 5, 1). Tous les tres
extrieurs au Plrme (5, 2), le Dmiurge s'imagina qu'il les produisait de
lui-mme, mais en ralit il ne faisait que raliser les productions
d'Achamoth Adv. hr. I, 5, 3) ; mme, il se crut seul Dieu et dit par la
bouche des prophtes : C'est moi qui suis Dieu, et en dehors de moi il n'en est
point d'autre Adv. hr. I, 5, 4). C'est ce mme Dmiurge qui procde la
cration de l'homme :
Lorsque
le
Dmiurge
eut
ainsi fabriqu
le
monde,
il fit
aussi l'homme choque,
qu 'il tira, non de cette terre sche, mais de
la
substance invisible, de
lafluidit
et de
l'inconsistance
de la
matire. Dans
cet
homme, dclarent-ils,
il
insuffla ensuite
l 'homme psychique.
Tel est
l 'homme
qui fut
fait selon l'image
et la
ressemblance. Selon l'image d'abord : c'est l'homme hylique, proche de Dieu
33
,
mais sans
lui
tre consubstantiel. Selon
la
ressemblance ensuite
:
c'est l'homme
psychique.
De l
vient que
la
substance
de ce
dernier
est
appele esprit
de
vie
( ) , car elle provient d u n
coulement spirituel. Puis, en dernier lieu,
disent-ils, l'homm e
fut
envelopp de
la
tunique de peau :
les en croire, ce serait
l'lment charnel perceptible par les sens. Quant
l'enfantement qu'avait produit
leur Mre, c'est--dire Achamoth,
en
contemplant
les
Anges
qui
entouraient
le
Sauveur, il tait consubstantiel celle-ci, donc pneumatique:c'est pourquoi il resta,
disent-ils, lui aussi, ignor du Dmiurge. Il fut dpos secrtement dans le
Dmiurge,
l'insu
de
celui-ci, afin d'tre sem
par
son entremise dans l'me
qui
proviendrait de lui, ainsi que dans
le
corps hylique
:
ainsi port dans ces lm ents
comme dans une sorte de sein,
il
pourrait y prendre de la croissance
et
devenir prt
pour
la
rception
du
Logos parfait. Ainsi donc, comme
ils
disent,
le
Dm iurge
n'aperut pas l'homme pneumatique sem par Sagesse l'intrieur m me de son
souffle
lui par l'effet d'une puissance et d'une providence inexprimables. Comme
il avait ignor
la
Mre,
il
ignora
la
semence
de
celle-ci. Cette semence, disent-ils
encore, c'est l'glise, figure
de
l'glise
d'en
haut.
Tel est
l 'homme qu'ils
Irene
(Paris, 1947) ; Sagnard
a
men son analyse en mettant constamment en parallle le texte
d'Irne avec celui deYElenchosd'Hippolyte (VI, 29, 2-34, 8). Outre l'analy se de Sagnard, on
consultera celles
de
Rousseau
et
Doutreleau
op. cit.,vol. 263 p.
116-130),
et de R.
BERTHOUZOZ,
Libert
et
Grce suivant
la
thologie d Irne
de
Lyon (tudes d thique
chrtienne,
8), Paris-Fribourg (Suisse), 1980, p. 56-86.
33 .
Entendons le Dm iurge.
-
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LA LECTURE PNEUMATOLOGIQUE DE GN. 2, 7 13
prtendent exister en eux, de sorte qu'ils tiennent leur me du Dmiurge, leur corps
du limon, leur enveloppe charnelle de la matire et leur homme pneum atique de leur
Mre Achamoth (I, 5, 5-6)
34
.
Le texte que nous venons de citer pose, sur la base d'une interprtation
combine de Gn 1, 26 et Gn 2, 7, le thme fondamental de l 'anthropologie
valentinienne, savoir celui de la tripartition hylique/choque ~ psychique ~
pneumatique. En 5, 5-6, cette tripartition est considre, du point de vue de
l'homme fabriqu par le Dmiurge, sur le modle d'un embotement de trois
ralits, elles-mmes enveloppes par les tuniques de peau :
homme choque/hylique tir de la matire par le Dmiurge selon l'image
homme psychique insuffl dans le prcdent par le s el on la re s-
Dmiurge semblance
substance
( - ) du psychique, esprit de vie
provenant, l'insu du Dmiurge,
d'un coulement spirituel
tuniques de peau,
La doc trine des trois hom me s q u ex po se le chap. 5, 5-6, pour
caractristique qu 'elle soit de la thologie valentinienne, n'en est pas mo ins tout
du long traditionnelle. Cela est clair pour les deux premiers hommes,
transposition du couple biblique image ~ ressemblance, mais galement pour le
troisime. Notons tout d'abord que, si l 'homme pneumatique n'est pas indiqu
de faon explicite en 5, 5, il faut nanmoins le reconnatre
35
dans
- du
psychique dont parle le texte, o-
qualifie de
et dite
. D autre part, ce n est rien d autre que
celui que nous avons
rencontr plusieurs reprises dj et qui s'explique par
une lecture pneumatologique de Gn 2, 7, qui substitue la
du
texte biblique un
36
. Q u il s agisse bien l de la mme tradition,
nous en avons deux indications dans le texte d'Irne (et trs srement aussi
dans sa source) : I
o
en 5, 6, le est sem par Sagesse
dans le souffle du Dmiurge
( - ), de
mme que la
de Gn 2,1, devenue, dans la tradition sapientiel le juive, le , avait
t
insuffl
( - ) ; 2 l u tilis atio n, en 5, 5 , du v erb e
propos de
l'identification
= - , sc. , indique que nous
avons
l la reprise d'un lment traditionnel. Ce qui revient dire que
34 . La finale de ce texte (lin. 582-586 Rousseau-Doutreleau) montre bien qu'en chaque
pneumatique rsident les niveaux infrieurs (psychique, hylique et charnel), ainsi que nous le
verrons
propos
d
esExtraitsdeThodote.
35 .
Ce que n'a pas vu Berthouzoz
(op. cit.,
p. 62), mais qu'a remarqu E. Thomassen,
propos du
Trait tripartite
, p. 105, 23, cf. E. THOMASSEN, L. PAINCHAUD,
Le Trait
Tripartite
1,5 ,
Bibliothque copte de N ag Hamm adi,
section Textes, 19), Qubec,
1989,p. 405.
36 .
Berthouzoz
(op. cit.,
p. 113-118) a bien not qu'il y avait l un type d'exgse asso
ciant
Gen.
1:26
Gen.
2:7, mais sans en dgager toutes les implications.
-
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14
PAUL-HUBERT POIRIER
l 'exgse valentinienne a tir de l ' interprtation de Gn 2, 7 sa trichotomie
anthropologique.
Venons-en maintenant un autre expos de la doctrine valentinienne, celui
des Extraits des uvres de Thodote et de l'cole dite orientale, l'poque de
Valentin
3
^ , constitus en recueil par Clment d'Alexandrie. Les extraits qui
se rapportent l'anthropologie (50-57) se situent dans une section (43-65) qui
est parallle la Grande Notice d'Irne
38
.
Le texte suivi reconstitu par Clment d'Alexandrie rend compte de la
manire suivante de la formation de l 'homme psychique dans l ' homme
hylique :
Prenant du limon de la terre, non de la terre sche, mais une portion de la m atire
multiple et complexe, il confectionna une me de terre, me hylique,
irrationnelle, consubstantielle celle des btes : c'est l'hom me l'image. Mais
l'homme qui est la ressemblance du Dmiurge lui-mme, c'est celui qu'il a
insuffl et sem dans le prcdent, o il a dpos, par l'intermdiaire des
Anges, quelque chose de consubstantiel lui-mme. Et en tant que cet homme est
invisible et immatriel, il a appel sa substance souffle de vie
( ) ;
mais en tant qu il a
t form, il est devenu me vivante. Qu'il en soit bien
ainsi, (le Dmiurge) lui-mme le confesse dans les crits prophtiques. Il y a donc
l'homme dans l'homm e, le psychique dans le terrestre, non comme une partie
qui s'ajoute une partie, mais comme un tout se joignant un tout, par
l'inexprimable puissance de Dieu. De l vient que l'homme est faonn dans le
Paradis, au quatrime Ciel. Car, la chair terrestre ne monte pas jusque-l
:
mais,
pour l'me divine
39
, l'me hylique tait comme une chair. C'est ce que
signifie : Voici maintenant l'os de mes os, allusion l'me divine, cache
l'intrieur de la chair, me solide, difficilement passible, suffisamment forte
, et la chair de ma chair, l'me hylique, qui est le corps de l'me
divine. C'est au sujet de ces deux mes que le Sauveur dit
:
Il faut craindre celui
qui a le pouvoir de perdre dans la ghenne et notre me et notre corps, le
corps psychique (50-51).
Notons tout de suite que, par rapport la notice irnenne, les Extraits se
caractrisent par un plus grand souci de prcision et d'explicitation. Par
exemple, alors qu'Irne se contente de noter (en I, 5, 5) que l'homme hylique
n'est pas consubstantiel Dieu (= le Dmiurge), les Extraits prcisent que
l'me hylique est consubstantielle celle des btes alors que l 'homme
fabriqu la ressemblance, c'est--dire le psychique, a quelque chose de
consubstantiel au Dmiurge. D'autre part, les
Extraits
prennent le contre-pied
de l' interprtation pneumatologique de
Gn 2,
7 releve chez Irne
40
:
-
du p sy chiq ue est b ie n la d u tex te b ib liq ue , et non le d e
la tradition sapientielle.
Peut-tre faut-il mme voir dans la remarque de 50, 3
(Qu'il en soit bien ainsi, (le Dmiurge) lui-mme le confesse dans les crits
37.
d. et trad. : F. SAGNARD,
Sources
chrtiennes
23, Paris, 1948.
38.
Cf. F. SAGNARD,
d. cit.,
p. 35.
39.Entendons psychique.
40 .
E n
Adv. hr.
I, 5, 6 (lin. 565-566).
-
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LA LECTURE PNEU M ATO LO Gl QU E DE GN. 2, 7
15
prophtiques) une pointe polmique rencontre d'une exgse valentinienne
concurrente, trop peu soucieuse de la lettre du texte.
Comme chez Irne, il faut encore ajouter deux lments l'hylique et au
psychique pour obtenir l'homme complet
41
. D'abord le
:
Adam possda, seme
en lui son
insu
par
Sagesse,
en son me, la
semence
pneumatique, tablie
dit
(Paul), par
intermdiaire
des
Anges, dans
la
main
d'un Mdiateur :
or
le mdiateur ne Test pas
d'un
seul terme
;
mais Dieu
est
un.
Ainsi par l'intermdiaire des Anges m les sont servies les semences, celles que
Sagesse avait mises dans l'existence, autant qu'il leur tait possible d'exister. Car,
comme
le
Dmiurge,
m
secrtement
par
Sagesse, croit
se
mouvoir de lui-mm e,
ainsi
en
est-il
des
hommes. Donc,
en
premier lieu, Sagesse
a
mis
la
semence
pneumatique qui est en Adam, afin que l'os l'me raisonnable et cleste
ne soit pas vide, mais qu'il soit rempli de moelle pneumatique (53),
puis l'enveloppe charnelle :
Sur Adam, par-dessus les trois lments immatriels, l'homme terrestre en a revtu
un quatrime : les tuniques de peau (55 ,1).
Comme chez Irne encore, les trois lments valent deux niveaux, celui
de l'humanit, par la constitution de trois natures, ou races, et celui de
l'individu, en dterminant son appartenance l'une de celles-ci :
Ainsi
partir d 'Adam, trois natures
4 2
sont engendres
: la
premire,
irrationnelle
laquelle appartient Can ; la deuxim e, la nature raisonnable
et
juste, dont fait partie Abel ; la troisime,
la
pneumatique,
laquelle appartient
Seth. Et l'homme terrestre est l'image ; le psychique, la ressemblance
de
Dieu
; le
pneumatique
est
en propre.C'est
de ces
trois (races) qu 'il
est dit,
sans autre mention d'enfants d'Adam
:
Voici
le
livre
de la
gnration
des
hommes.
Et
parce que Seth
est
pneumatique,
il
n'est
ni
pasteur,
ni
cultivateur,
mais
il
fructifie
en un
enfant comme (tout)
ce qui est
pneum atique.
Et cet
(enfant)
qui
eut
la
confiance d'invoquer le Nom
du
Seigneur, lui dont
le
regard
se porte en haut et dont la vie se passe dans le C iel, celui-l,
le
monde ne
le
contient pas (54,1-3).
Ici aussi, on note le souci de sparer plus nettement le pneumatique de la
cration-formation de Gn 1, 26 et 2, 7 :
41.Cf. F. S AGNARD,
ed. cit.,
p. 164, note
a d
extrait 50.
42 .
On
trouve
ici
- a lors
que le
texte parallle d'Irne
(Adv. hr.I, 7, 5)
porte
genera
=
; ce dernier te rme
apparat cependant dans les
E xtraits,
en 57
:
.
-
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16/579
16 PAUL-HUBERT POIRIER
Alors que le terrestre et le psychique subsistent selon l ' image ou la
ressemblance, seul le pneumatique existe en propre, c 'est--dire sansrfrence aucune un modle extrieur lui, en l 'occurrence celui du
Dmiurge
43
.
Les trois natures constituent donc trois races diffrentes d'hommes,
dfinies non par une option morale qui dpendrait d'eux, ni par un choix
gracieux qui les rendrait tels qu'ils sont, mais par la prsence en eux d'un seul
lment, pour les hyliques, de deux, pour les psychiques, de trois, pour les
pneumatiques, l ' lment suprieur (dans le cas des psychiques et des
pneumatiques) tant prpondrant et seul dterminant, ainsi qu'on peut le
reprsenter par le schma suivant :
pneumatique
psychique psychique
h y l i que hylique hylique
les hyliques lespsychiques les pneumatiques
C'est ce qu'exprime clairement le texte des
Extraits
55 , 2-56, 2 :
Ce n'es t donc pas partir du pneuma, ni partir de l'lment insuffl que
sme Adam : ce sont l, en effet, deux lments divins, tous les deux mis
par
l intermdiaire
d'Adam et non
par
lui.
Et son lment hylique opre en semence
et en gnration, en tant qu'il est mlang la semence
(se.
pneumatique) et qu'il ne
peut pas tre exclu de c t 't assemblage avec elle en ce te vie. C'est en ce sens
qu'Adam, notre pre est
s. : Tribus
modis loquimur de Christo. Aliquando loquimur secundum diuinitatem, aliquando secundum
humanitatem, aliquando secundum membra
(d.
. M.
HRING,
Die Sententie m agistri
Gisleberti Pictavensis
episcopi,
dans
Archives
d'histoire
doctrinalee tlittraire du Moyenge,
t. 45, 1978, p. 128).
71.
Les usages modernes obligent dulcorer le texte original : Saturauit discipulum de
pectore su o. Ule autem saturatus ructauit, et ipsa ructatio euangelium est ( 5 ). Cette image du
renvoi digestif est courante chez Augustin
:
cf. D. DlDEBERG,
SaintJean,
le
disciplebien-aim,
rvlateurdes secrets duVerbede Dieu,
d
ans Saint Augustinet la Bible, Paris,
1
986, p. 189-
20 1; M.-F. BERROUARD,Le disciple que Jsus aimait, Jean l van gliste,
d
ansBiblio
thque
Augustinienne
(=
BA),
t. 74A, Paris, 1993, p. 418-421. Le processus selon lequel
ructatio
finit, en milieu chrtien, par caractriser un nonc prophtique a t expliqu par
BERROUARD, dans
A , t. 72, 1977, p. 224-225, n. 3. Au M oyen
ge, le double sens du
terme a donn lieu diverses parodies : cf. P. E. BEICHNER,
Non alleluia ruciare,
dans
Mediaeval Studies,
t. 18, 1956, p. 135-144.
72 .Cette critique de l'incarnation enrichit le dossier runi par
P.
COURCELLE,
Propos anti
chrtiens
rapportspa rsaintAugustin,d
ans
RecAug,
t. 1, 1958, p. 149-186.
-
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NOUVEAUX SERMONS D'AUGUSTIN VII
157
leurs parties. Le Verbe divin est entier partout o il veut
73
, mais il nes est pas
incarn partout. Ne le divise pas plus que la parole humaine. Si l'on partageait
entre vous de la nourriture, chacun en aurait un morceau. Mais quand je parle,
chacun capte toutes mes paroles, qui pourtant disparaissent, aprs avoir retenti.
De mme, on peut penser simultanment la justice en Orient et en Occident,
sans qu'elle soit mutile de part et d'autre. Les ralits incorporelles sont
entires partout. N'hsite donc pas croire cela du Verbe de Dieu, qui est Dieu
avec Dieu.
Voici la seconde manire dont les critures parlent du Christ : Le Verbe
s est fait chair, et il a demeur parmi nous (Jean 1, 14). Il est venu, sur sa
monture de chair, vers celui qui gisait bless le long du chemin
74
. Il a
commenc d'tre homme sans cesser d'tre Dieu. coutez le fameux chapitre
de Paul, qui le manifeste homme et Dieu (Philippiens 2, 6-7) : Alors qu'il
tait de condition divine, il n'a pas cru que ce ft une usurpation d'tre gal
Dieu, mais il s'anantit lui-mme en prenant la condition d'esclave. Notez la
diffrence entre tait et prenant
75
. La premire phrase revient dire :
Le Verbe tait Dieu, la seconde : Le Verbe
s est
fait chair.
Ne vous laissez pas impressionner par les difficults que soulvent les
hommes. Gardez cette virginit d'esprit
76
, que le serpent cherche corrompre,
comme il a sduit ve. Les ariens ont troubl les plus faibles d'entre les
fidles, mais comme le Seigneur n'a pas abandonn son peuple, la foi catholi
que l'a emport. Ce quis est pass jadis au paradis, se passe aujourd'hui dans
l'glise. Le serpent continue de susurrer : Vous ne mourrez pas (Gense 3,
4).
Est-ce-que par hasard Dieu voudrait la perte de tous ? Il murmure enco
re : Voici qu'il est crit : Le Pre est plus grand que moi (Jean 14, 28), et toitu le dis gal au Pre ? Mais l'vangile dit aussi : Moi et mon Pre sommes
un (Jean 10, 30). Accepte les deux tmoignages : le Christ est gal au Pre en
tant que Dieu, infrieur lui en tant qu'homme
7 7
. Ou alors montre-moi
com men t, l' incarnatio n mise part, il pourrait tre infrieur Vas-tu dans la
divinit, comme dans les tres corporels, distinguer des qualits : force,
73 . Cf. M. FRICKEL, Deus totus ubique simul. Untersuchungen zur allgemeinen
Gottgegenwart im
Rahmen
der Gotteslehre Gregors des Grossen,Freiburg, 1956, p. 72-74
(Freiburger theologische Studien, 69).
74.Voir M .-F. BERROUARD,
L interprtationchristologiqued ela parabole du bonSamari
tain,
dans
, t. 73A, 1988, p. 516-517.
75.
Cf. VERWILGHEN,Christologiee tspiritualit
(n. 69), p. 147-148.
16.Thme comment par M. AGTERBERG,
Ecclesia-Virgo.
Etude sur la virginit de
glise et des fidles chez saint Augustin,
Hverl-Louvain, 1960, p. 35-46 ; M.-F.
BERROUARD,L gliseViergeet lavirginitde l esprit,
d
ansBA ,t. 71, 1969 (21993), p. 935-
937.
77.La rgle fournie est m oins labore que celle qui est nonce en
S .
Morin 3, 7 (=217
augment) : Regulam uobis do, ut non expauesca tis, quando dicit aliquid filius, ubi uidetur
maiorem patrem significare : aut ex persona hominis dicit, quia deus homine m aior est
;
aut ex
persona geniti dicit, in honorem eius a quo genitus est. Plus non quaeratis. Il se peut
qu'Augus tin simplifie ici dessein pour des raisons didactiques. Dans Mayence 5 5, le terme
regula
est utilis deux fois (vers la fin des 17 et 18), selon une acception qui vient d'tre
commente par C. P. MAYER,Die Bedeutung des Terminus regula fr die Glaubens
begrndung undd ieGlaubensvermittlungbei Augustin,
dans
RevistaAgustiniana,
t. 33, 1992,
p.
639-675, spec. p. 653-658 et 663-666 (=
Augustinus minister et magister.
Homenaje al
profesor Argimiro Turrado Turrado, t. 2).
-
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158
FRANOIS DOLBEAU
longueur, couleur ? Le Fils serait par exemple gal en pouvoir, mais infrieur
en sagesse ? Mais en Dieu, il n'existe pas de distinction entre pouvoir, sagesse,
force et justice ; de lui, rien ne peut tre dit comme il convient. Avec des mots
humains, les critures dclarent de Dieu qu' il est juste, mais aussi qu' il
regrette ou qu'il ignore. Tu te rcries devant les verbes 'regretter' ou 'igno
rer' , et tu admets qu'ils ont un sens figur, mais il en va de mme pour 'tre
juste', car Dieu est au-del de la justice. Il est ineffable et n'a pas plus en lui de
qualits que de parties. Le Fils ne peut don c tre dit gal en justice et infrieur
en vertu, ou gal en vertu mais infrieur en savoir. En tant que Dieu, son
galit avec le Pre ne saurait tre que parfaite ; son infriorit vient de ce
qu'il a pris la condition d'esclave. Grce cette distinction, ne soyez troubls
ni par le verset vanglique (Jean 20, 17) : Vers mon Pre et votre Pre, vers
mon Dieu et votre Dieu, ni par les mots du psaume d'aujourd'hui (21, 11) :
Ds le ventre de ma mre, tu es mon Dieu. Nous sommes seulement des fils
adoptifs. Lui est le Fils engendr avant le porte-lumire (Ps. 109, 3), c'est--
dire avant toute crature. Il distingue donc bon droit notre filiation et la
sienne, mais invoque aussi, en tant qu'homme, le Pre comme son Dieu.
Le troisime mode d'voquer le Christ est relatif son union avec l'glise.
Tous deux sont la tte et le corps, l'poux et l'pouse
78
, dont Isae parle de
faon unitaire (61, 10) : Je fus coiff par lui d'un diadme, comme un poux,
et par d'un vtement, comme une pouse. Nous sommes ensemble les
membres de ce corps, non seulement les gens ici prsents, mais les habitants de
la terre entire, non seulement ceux qui vivent maintenant, mais tous les justes
depuis Abel jusqu' la fin du monde
79
. Cette glise en plerinage, associe
l'glise cleste, constitue la cit du grand roi (Ps. 47, 3), o, aprs la rsur
rection, nous deviendrons les gaux des anges
80
. L'union de la tte et du corps
est indissociable et dcoule du bon vouloir du Christ. Elle est mentionne dans
ce verset de la Gense (2, 24) : Ils seront deux en une seule chair, que Paul
commente en disant (phsiens 5, 32) : Grand est ce mystre. Je veux dire
qu' il s 'applique au Christ et l 'glise
81
. Quand l 'aptre pourchassait les
chrtiens, ce fut le Christ qui l'interpella (Actes 9, 4) ; quand il fut perscut
son tour, ses souffrances vinrent complter la passion du Seigneur (Colossiens
1, 24 )
;
Soyez donc dignes d'un tel poux, c'est--dire une pouse sans tache ni
ride (ph. 5, 27), lave de toute souillure et tendue vers l'au-del.
Ce qui, dans les critures, parat absurde, peut tre compar une noix
close, mais bien pleine. Soupse ces textes rpandus par toute la terre, et tu
78 .
Sur ce troisime mode, on consultera notamment E. FRANZ,
Totus Christus. Studien
ber Christus und die Kirche bei Augustin, Bonn, 1956 ; R. DESJARDINS, Le Christ
sponsus
et glise
sponsa chez saintAugustin,
dans
Bulletin
de
littratureecclsiastique,
t. 67, 1966, p. 241-256.
79.Voir Y. CONGAR,
Ecclesia
ab Abel,
d
ans
Abhandlungen ber Theologie undKirche.
Festschrift fr Karl Adam,
Dsseldorf, 1952, p. 79-108 (spec. p. 84-85).
80.
Cf. .
LAMIRANDE,
L'glise cleste selon saint Augustin,
Paris, 1963, p. 141-142,
235-236 et
passim.
81 .
Nombreux parallles rassembls par P. BORGOMEO,
L'glise de ce temps dans la
prdication desaintAugustin,
Paris, 1972, p. 235-241 A.-M. LA BONNARDIRE,L'interpr
tationaugustinienne dumagnum sacramentumde phs. 5, 32,
dans
RecAug,
t. 12, 1977,
p.
3-45.
-
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NOUVEAUX SERMONS D'AUGUSTIN VII
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verras quel est leur poids d'auto rit. Tu te dis en toi-mme : Que signifie : Ils
seront deux en une seule chair ? Dieu s'occuperait-il des relations entre
hommes et femmes ? Un tel verset est ferm, mais non vide. Si tu ne parviens
pas l'ouvrir, tu dois, comme un enfant, t'en remettre l'aptre, dont l'amour
est la fois paternel et maternel. coute-le : tu auras de quoi t'alimenter. Si tu
rejettes la noix parce que ferme, tu n'atteindras pas la nourriture.
Cette comparaison me fait songer un pisode biblique, malais entendre.
L o les troupeaux allaient boire, Jacob, au temps des accouplements, disposa
des baguettes en partie corces sous les yeux de ses femelles (Gen. 30 , 37-39).
Il cherchait ainsi multiplier les agneaux et chevreaux tachets, car il avait
convenu avec son beau-pre que ceux-ci lui reviendraient. Mais pourquoi mit-
il trois baguettes et de trois essences diffrentes : noyer, platane et aliboufier ?
L'obscurit rvle ici la prsence du mystre. Jacob prfigure le Christ ; les
femelles sont les aptres qui, bien qu'appartenant tous au peuple juif, donnent
naissance aux petits tachets, les fidles des diverses nations, parce qu'ils se
sont abreuvs au mystre de l' incarnation. Ce dernier est annonc par les trois
essences dans lesquelles Jacob tailla ses baguettes : le noyer en effet est Jsus
qui,
par l'entremise du bois de la croix, nous conduit la nourriture de son
corps ; l 'aliboufier, un arbuste odorifrant, renvoie au parfum suave de la
virginit inviole de Marie ; le platane, recherch pour l 'opacit de son
feuillage, est le Saint-Esprit qui couvrit la Vierge de son ombre et la protgea
des ardeurs de la concupiscence
82
.
Voici, trs chers, ce que je suis, par la volont du Seigneur, en mesure de
vous expliquer. Comme une terre bien arrose, produisez des fruits en abon
dance. En ces jours de ftes paennes, priez pour les chrtiens qui se laissent
entraner des excs. S'il se trouve ici des gens qui ont omis de jener hier,
qu'ils s'en affligent, afin d'effacer et notre tristesse et leur faute.
Circonstances. Les indications de jou r et de lieu se sont con serv es,
comme on a vu plus haut, dans la rubrique du florilge de Vrone (=
V).
Si
l'on se fie ce document
83
, Augustin aurait parl un 12 dcembre, dans la
Basilica Restitua ou cathdrale de Carthage
84
. La veille avait t un jour de
jene, institu durant une priode de ftes profanes, la fois pour le salut des
paens et en expiation des dbauches auxquelles se livraient alors certains
chrtiens
85
. Augustin ne prcise pas ce qui occasionnait ces db auches : il faut
82.
Cette interprtation allgorique des verges de Jacob est discute ci-dessous aux p. 164-
167.
83 .
Ce qui semble de bonne mthode, mme s'il est avr que de telles mentions peuvent
tre fautives : cf. C. LAMBOT,
Collection antique de sermons de saint Augu stin,
dans
Revue
Bndictine,
t. 57, 1947, p. 89-108 (spec. p. 90).
84. Cf.
p.150.
85.
Ieiunia per istos dies festos paganorum ad hoc exercenda sunt, ut pro ipsis paganis
rogemus deum. Sed ita multorum infelices luxurias perhorrescimus, ut uos hortemur, fratres,
pro quibusdam fratribus christianis orare nobiscum, ut ab ista nequitia se aliquando eme ndan et
corrigi patiantur... Qui hic sunt hodie qui hesterno die non ieiunauerunt, doleant se ceteris
diebus testis paganorum ita uixisse...( 26). L'hostilit des prdicateurs chrtiens l'gard
des ftes est un phnomne gnral, bien comment par R. A. MARKUS,
The End ofancient
Christianity,
Cambridge, 1990, p. 107-123 ; ID.,
Die 'spectacula' als religises Konfliktfeld
-
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160 FRANOIS DOLBEAU
sans doute comprendre que la semaine tait chme partiellement ou en
totalit, en raison d'une srie de spectacles (ou muera). Cela confirme d'une
certaine manire le tmoignage de V, puisque le mois de dcembre tait
effectivement une priode de jeux publics
86
.
L'allocution d'Augustin s'apparente plus une confrence qu' un sermon
proprement dit. L'assemble, o elle fut prononce, tait certes une runion de
prire, laquelle l'orateur invite en finale son auditoire
87
. On y avait, d'autre
part, lu et chant le psaume 21
8 8
. Mais s'agissait-il d'une assemble eucharis
tique ? Le fait est pour le moins douteux : l'exorde, dont le texte hlas est
endommag, laisse en effet entendre qu'Augustin prit la parole aussitt aprs le
psaume
89
, et non aprs l'vangile, comme on s'y attendrait durant une synaxe.
Le confrencier et son public entretiennent une certaine complicit. Certains
sont venus pour s'instruire ; d'autres, parce qu'ils apprcient tout spcialement
l'loquence de l'orateur
90
. Un moment difficile de l'expos provoque une chute
de l'attention et la multiplication des conversations particulires : Augustin
invite gentiment les bavards se taire, en mlant sa requte et l'argum ent alors
trait avec une habilet que pourraient lui envier bien des confrenciers
modernes
91
. Ailleurs, par un silence calcul, il encourage au contraire les audi
teurs intervenir et les complimente longuement d'avoir devin ce qu'il allait
dire
92
. Il n'hsite pas non plus solliciter la mmoire des fidles, en faisant
rfrence une homlie sur saii et Jacob, apparemment prche dans la
mme basilique ( 23)
93
.
stdtischen Lebens in der Sptantike,
dans
Freiburger Z eitschrift fr Philosophie und
Theologie,
38 ,
1991,
p. 253-271 (trad, partielle du prc dent) ; M. HARL,
La
dnonciation
des
festivits profanes dans le discours episcopal et
monastique
en O rient chrtien, la fin du IV
e
sicle,
chez
EAD.,
Le
dchiffrement
du sens.
Etudes
sur l'hermneutique
chrtienne
d'Origne
Grgoire de Nysse,
Paris, 1993, p. 433-453 (Collection des tudes Augustiniennes.
Antiquit, 135).
86 .
Cf. A.-M . LA BONN ARDIERE,
Les Enarr aones in psalmos prches par saint
Augustin Carthage en dcembre 409,
dans
Ree Aug,
t. 11, 1976, p. 52-90 (spec. p. 71-75 et
86-87).
87.
Cf. n. 85.
88.
In psalmo quod m odo cantauimus... Audi psalmum qui lectus est... ( 18).
89.Psalmus
iste,
ut christianis omnibus notu m... ( 1). Je n'a i relev aucune allusion la
lecture d'une ptre ou d'un vangile.
90 .
Quidam nesciunt, et multi quod audierunt obliti sunt, et nonnulli in eo quod tenent
confirmari uolunt, nee desunt qui etiam id in quo firmi sunt
propter nos ipsos
a nobis audireuelint ( 1).
91.
Intendite ad id quod loquimur
:
melius enim ex hoc uerbo accipitis documentum, quod
multis uobis dicitur, quam ex illis, cum eiusdem quidem naturae sint, quae uobis inuicem
dicitis. Agitis enim uos cum paucioribus, nos cum tarn m ultis agimus : omnes audiunt quod
dicimus et omnes totum audiunt ( 9). Un tel rappel l'ordre n'a rien d'inhabituel : cf. A .
OlAVAR, La
predicacin cristianaantigua,
Barcelona,
1991,
p. 815-833.
92 . Quod ita darum est, ut uocem meam intellectu praeueniretis ; quod, antequam
explicarem quod dicere coeperam, uoce uestra declarastis. Quis uos duxit ad istam escam, ut
tam cito intellegeretis, nisi qui pependit in ligno ?... ( 25). Sur ces interventions du public,
on consultera avec profitOLIVAR,
La predicacin cristianaantigua,
p. 761-814.
93.
Minor quippe ille populus in Iacob, unde dictum est :
Et maior seruiet minori
(Gn 25,
23).Iam recensemini exposuisse me sanctitati uestrae de Esa et Iacob, cui etiam dictum est in
illa benedictione quam sumpsit a ptre :
Seruient tibi omnes gentes
(Gn 27, 29). Si la forme
recensemini
est correcte, elle pourrait s'expliquer par l'influence analogique d'un dponent
-
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NOUVEAUX SERMONS D'AUGUSTIN VII
161
quelle pice Augustin, qui cite Gense 25, 23 et 27, 29, veut-il renvoyer ? Nous
possdons encore deux sermons authentiquessurl'histoiredeJacob. Le
S .
5 (De luctatione
Iacobcumangelo) explique le premier verset, maisnon lesecond.Le
S.
4 (De Esaet
Iacob), qui
fut
prononc
un
22 janvier, comm ente
le
second,
en
faisant seulement une brveallusion au premier ; mais
il
faut prciser que la veille, soit un
21
janvier, Augustin avait dj
trait longuement d'saiiet Jacob^.Onsupposera donc, avec vraisemblance^, que Mayence
55 serfre cette explication mmorablequi
s tait
prolonge deux joursdesuite. Notre
rapprochement,s ilest correct, implique que le
S.
4 fut,lui a ussi, prchCarthage. Le renvoi
fait ici par Augustin interdit, mon sens, de sparer beaucoup dans
le
temps les deux sermons
:
ce qui,enpratique, obligeconclure que l'vque d'Hippone avait sjournCarthage deux
hiversdesuite(savoirles 21-22 janvieret 12 dcembrede la mme anne)ou, auplus,
quelques saisons d'intervalle
96
.
Il est malais de prciser l anne o fut prch Mayence 55. Si l on dispose
en effet d un solide
terminus post quem,
on manque d indice srieux pour fixer
avec la mme fermet un
terminus ante quem.
Trois points doivent tre tenus
pour acquis. Tout d abord, le sermon fait tat d une visite impriale Rome,
durant laquelle le souverain rgnant
s tait
prostern sur la tombe de Pierre
97
.
Cette visite, dit l orateur, s est produite
temporibus nostris,
c est--dire il y a
quelque temps dj. Elle tait aussi voque en Mayence 61, mais cette fois au
prsent et avec l adverbe
modo,
ce qui impliquait une concomitance quasi
parfaite
98
. Notre sermon est donc postrieur Mayence 61 et aux textes lis
cet ouvrage
99
.
En second lieu, cette chronologie relative peut tre fonde dans l absolu.
Durant l piscopat d Augustin, il y eut Rome plusieurs sjours de la cour
impriale, mais la premire date possible, et cela quelle que soit la visite
voque, remonte au rgne d Honorius et concide avec l hiver 403-404. Vu le
temps ncessaire pour que soit connue Carthage la dmarche d Honorius,
celle-ci n a pu tre relate au pass en dcembre 403. Le 12 dcembre 404 est
galement exclu, car Augustin se trouvait, ce jour-l, Hippone, en train de
dbattre avec Flix le manichen
100
. En consquence, le premier jour disponi
ble pour la prdication de Mayence 55 est le 12 dcembre 405.
comme
recordamini ;recenseor
n'e st pas rpertori dans l'ouvrag e de P. FLOBERT,
Lesverbes
dponents latinsd esOriginesCharlemagne,
P aris, 1975.
94 .ce sermon aujourd'hui gar, les auditeurs du
S .
4sont renvoys plusieurs reprises
(
1, 3, 12,
14
et
30)
: cf.
l'dition
de
C. LAMBOT, dans
CCSL,
t.
41 , Turnhout, 1961, p.
18-
48 (spec.p.19). Notonsenpassant que chez Possidiusle
S.
4suit immdiatement le S. 51,
c'est--dire Mayence 58 (cf.
Indiculum,
X
6
8-9),
et
prcde de quelques numros M ayence
55
(X 6
13).
95 .
Sans exclure tout fait l'hypothse d'autres sermons perdus sur le mme thme.
96 .
Ajoutons que le
S.
4(du
22
janvier) ne peut avoir t donn le mme hiver que Mayence
5 (prch Carthage un
23
janvier), sauf s'ils agitd'un sermon d'aprs-midi
:
Mayence 5 nous
apprend en effet qu'Augustin avait renonc prcher durant la synaxe de la veille.
97 .
Temporibus enim nostris uenit imperator in urbem Romam : ibiest templum impera-
toris,
ibi est sepulcrum piscatoris. Itaque ille ad deprecandama domino salutem imperator pius
atque christianus non perrexit ad templum imperatoris superbum, sed
ad
sepulcrum piscatoris,
ubi humilis ipsum piscatorem imitaretur 4).
98.
Cf.
Nouveaux
sermonsI,p . 75-76 : Veniunt modo reges Romam ( 25) ... V eniunt,ut
dicere coeperam, reges Rom am ... ( 26),
et
les parallles voq us
ibid.
aux
p.
55-56.
99 .
savoir Mayence 60
et
54
:cf.
Nouveaux
sermons
II,
p. 265.
100.
PERLER-MAIER,
Les voyages de saint Augustin,
p. 255.
-
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162
FRANOIS DOLBEAU
La troisime certitude est que la datation admise, depuis Kunzelmann
101
,
pour le S. 341 est impossible. Cet rudit avait considr que le passage sur
l'arianisme refltait une situation et une problmatique analogues celles du
Contra sermonem arianorum,
ce qui l' incitait proposer 418, ou au plus tard
419. Perler et Maier ont montr ensuite qu'Augustin se trouvait Hippone en
dcembre 418 et qu'il fallait donc prfrer 419
102
. Mais leur argumentation a
t, elle aussi, rendue caduque par la lettre Divjak 23A*, qui rvle la fois
que le Contra sermonem arianorum est de l'automne 419 et qu'Augustin, cette
anne-l, tait rentr chez lui depuis le 11 septembre
10 3
.
La suite de la discussion oblige se dplacer en terrain plus mouvant. En tenant compte de
ce qu'on vient de rappeler, A. Verwilghen a propos de remonter le 5. 341 au 12 dcembre
417
104
.Mais c'est en ralit au fondement mme du raisonnement de Kunzelmann qu'il faut
renoncer. La lecture du sermon dans sa version intgrale montre que la rfrence l'arianisme
( 12) n'y est pas vraiment lie l'actualit, mais qu'elle a un caractre topique dans un expos
systmatique de christologie
1
^. Je ne vois donc aucun motif de rapprocher Mayence 55 du
Contra sermonem
arianorum.
Quatre indices suggrent une datation tardive, ou du moins postrieure la Confrence de
411.
Tout d'abord, le silence de l'orateur l'gard des donatistes, d'autant plus surprenant que
le psaume 21 se prtait des sorties contre le schism e
10 6
: une telle retenue d'Augustin en ces
matires, durant les annes
405-411,
serait au moins trange, sans tre totalement exclue
10 7
.
Ensuite, le lien tabli entre
informa serai
de Philippiens 2, 7 et la mdiation du Christ, tte de
l'glise, dont la seule autre attestation figure dans une uvre rdige vers la fin de4 15
10 8
.En
troisime lieu, la citation de Tite 3, 5 ( 21), qui, rarissime avant le dbut de la querelle
plagienne, devint subitement banale partir de 411-412
10
9. Enfin, l'extension temporelle qui
est confre l'glise : Ex Abel iusto usque in finem saeculi ( 19). Le Pre Congar a
montr en effet que le thme d'Abel comme origine de
YEcclesia
tait li celui des deux Cits
et qu'il tait exploit, en dehors du
S.
341, par la
Cit de Dieu
11 0
et trois
Enarrationes in
101.
A. KUNZELMANN,
Die Chronologie der Sermones des hl. Augustinus,
dans
Miscellanea Agostinina,
t. 2, Roma,
1931,
p. 488.
102.PERLER-MAIER,
Les voyag es de saint Augustin,
p. 359-360.
103.
Cf. G. MADEC,
DU
nouveau dans la correspondance augustinienne,
dans
RAug,
t.
27 ,
1981,
p. 56-66 (spec. p. 63-64) ; M.-F. BERROUARD,
L'activit littraire desaint Augustin
du11 septembreau 1
er
dcembre419 d'aprs la Lettre23*A Possidius deCalama,
dans
Les
Lettres de saint Augustin
dcouvertes
par Johannes Divjak,
Paris, 1983, p. 301-326 (spec. p.
303-304).
104.Dans
Christologie etspiritualit
(n. 69), p.
220-221,
n. 83.
105.Augustin tient ici l'arianism e pour une hrsie du pass, comme il le faisait d'ordinaire
avant 419 : cf. M.-F. BERROUARD, dans
BA,
t. 73A, 1988, p. 467-471 et 485-486. On ignore
quelle poque eut lieu la confrence contradictoire avec le comte Pasc entius : selon PERLER-
MAIER,
Les voyages de saint Augustin,
p. 263, la date de 406 propose par Tillemont reste
hypothtique.
106.Voir, titre d'exem ple, le parti qu'en tire la lettre 76.
107.
Grce Mayence 9
{Nouveaux
sermons VI,
p. 403 et 413), on sait qu'Augustin
s est
abstenu, vers 404, de faire allusion aux schismatiques durant plusieurs sermons successifs,
mais le public justement s'en est tonn.
108.
Le
D e
perfectione iustitiae
hominis,
15, 35 : cf.
VERWILGHEN,
L e
Christ mdiateur
(n.
69),p. 481, n. 40. On notera aussi un parallle troit entre les 12-13 et
Y Enarrano inps.
73,
25,
qu'on place habituellement en 412, mais cette date, fixe par S. M. ZARB,
Chronologia
enarrationum S. Augustini in psalmos,
V aletta, 1948, p. 225 et 233, repose sur une argumen
tation qui me laisse sceptique.
109.Se lon A.-M . LA BONNARDIRE,
Biblia
Augu stiniana.
N . T. Les Eptres aux T hessalo-
niciens, Tite et Philemon,
Paris, 1964, p. 37-39 et 46-48.
110. Sic in hoc saeculo, in his diebus malis non solum a tempore corporalis praesentiae
Christi et apostolorum eius, sed ab ipso Abel, quem primum iustum impius frater occidit, et
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NOUVEAUX SERMONS D'AUGUSTIN VII
163
psalmos
(90, 2, 1 ; 118, 29, 9 ; 142,
3 )
11 1
.
Il en situait l'apparition vers 412, en se fondant, il
est vrai, sur les datations alors admises du
S.
341 et des
Enarrationes.
Son argumentation a
perdu de sa force, car le thme des deux C its, vu la dfinition fournie par M ayence 9 , 8
11 2
, est
srement antrieur 412. Le m otif de
Ecclesiaab Abelpourrait donc, lui aussi,
tre remont
dans le tem ps
11 3
, mais on ne saurait nier que ses occurrences les mieux dates
(De ciu. dei
18,
Inps.
118) appartiennent aux annes 418-422.
D'autres considrations, pourtant, inciteraient situer le texte dans la premire dcennie du
V
e
sicle. Il existe d'abord quelques parallles troits soit avec des ouvrages composs avant
410,soit avec le reste de la collection de Mayence-Lorsch :par exemple l'vocation d'Honorius
prostern devant la tombe de Pierre (4)
11 4
,un vnement survenu en tout tat de cause entre
404 et 408 ; la petitesse de Bethlem
(ibid.),
souligne de mme dans le
De consensu euange-
listarum,
le
De
catechizandis rudibus
et Mayence 62^5 ; la recommandation du jene durant les
ftes paennes ( 26), qui figure, en termes voisins, dans Mayence 10 (=
S .
36 1, 18-19), 58 (=
S.
51, 1), 62
(Nouveaux sermons IV,
p. 95-97) et en
In ps.
98, 5 (hlas non datable). Il y a
surtout l'expos christologique qui devrait fournir, quand il aura t scrut par les thologiens,
le moins mauvais
terminus ante quem.
Il ne semble pas que la rflexion augustinienne sur
l'incarnation y ait atteint le terme de son volution. Le mot
persona
ne figurait pas dans le
S.
341,
de sorte que cette pice est reste trangre la belle enqute de H. R. Drobner
11 6
. Il se litmaintenant trois fois en Mayence 55 ( 1 et 9), mais sans y tre appliqu l'union, chez le
Christ, de la divinit et de l'humanit, bien que le sujet impost souvent l'orateur d'aborder le
mystre du V erbe incarn. Or, selon Drobner,
c est
dans l'hiver 411-412, alors qu'il rdigeait
la lettre 137 Volusien
11 7
, qu'Augustin dcouvrit la solution laquelle, par la suite, il resta
toujours fidle :Vna persona in utraque natura. Les formules de M ayence 5 5, qu i cherchent
rendre l'union des deux natures du Christ : Idem deus qui homo et idem homo qui deus (
2).. .
non ubique personam hominis suscepit, cum qua unus fieret deus et homo ( 9)... deus
homo est et homo deus ( 10)... deus et homo ( 13, 18, 19), appartiennent clairement au
vocabulaire antrieur la lettre 137
11 8
. L'argume nt est fragile, car A ugustins est longtemps
dfi du concept de personne
11 9
et n'a peut-tre pas jug indispensable d'voquer aussitt
dans sa prdication
Yunitas personae.
S'il devait tre accept, le
terminus post q uem non
de
Mayence 55 serait fixer au 12 dcembre 4 09, car il est presque assur que ni en 410 ni en 411
Augustin ne passa dcembre Carthage
120
.
La conclusion de cette discussion chronologique ne peut tre que provisoire. mon sens, le
sermon est antrieur
419,
c'est--dire au moment o la question arienne retrouva une certaine
actualit. Selon le poids accord aux indices qui viennent
d tre
numrs, il sera dat soit de
405-409, soit de 412-418. Quelle que soit la priode retenue, il doit reflter sur le plan pastoral,
deinceps usque in huius saeculi finem inter persecutiones mundi et consolationes dei peregri
nando procurrit ecclesia (18, 51).
111. Ecclesia ab Abel
( . 79), p. 84-85. Cf. aussiIn ps. 61 , 6 (datable de 416 ?) ; 64, 2
(de dcembre 412 ?).
112.
Nouveaux serm ons VI,
p. 408-409 et 419.
113.Augustin disait dj en
Inp