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ACTUALITÉS FORUM ANIMATION
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Les Rencontres Animation Formation (20 et 21 novembre 2014, à Angoulême) ont fait, une nouvelle fois, un état des lieux pertinent du secteur et de ses besoins.
Raf 2014, état des lieux et prospectives
Une table ronde sur les logiciels open source très suivie lors des Raf.
Nous venons à Angoulême
d’abord pour nous rencon-
trer, explique Thierry Melac,
directeur général de Bellecour ESIA
3D. Échanger sur les problématiques
de formation et d’emploi vécues par
les studios… C’est indispensable. »
Organisées par René Broca pour le
Pôle Image Magelis, les journées
débutent par un traditionnel état
des indicateurs du secteur. Points
forts et faiblesses sont passés au
crible des analyses du CNC, de
l’Afdas, d’Audiens et du SFPA. « Nous
constatons que la série TV, dont le
marché s’est stabilisé, ne peut plus
constituer un relais de croissance,
rappelle Stéphane Le Bars, délégué
général du SPFA. Seule, la produc-
tion de long-métrage peut l’assurer.
Or celui-ci n’est pas suffisamment
financé et connaît, depuis deux ans,
une bipolarisation excessive entre
les films à gros budgets et ceux infé-
rieurs à 5 millions d’euros. Il faut
trouver une voie médiane et redimen-
sionner les outils existants (crédit
d’impôt, etc.). »
Entre le rappel des dernières données
sur le secteur de l’emploi, le régime
de l’intermittence et la formation
professionnelle, les Raf lancent aussi
des pistes (comme le télé-ensei-
gnement), mobilisent sur d’autres…
Parmi celles-ci, les logiciels libres.
Sans oublier de livrer un cas d’école
à l’expertise des nombreux studios
et écoles présents. Le producteur
exécutif de Mikros Image s’est prêté
au jeu en présentant le pipeline de
son premier film en 3D, Astérix – Le
Domaine des dieux (Lire page 78),
un projet très franco-gaulois qui a
recouru à presque tous les talents
du réseau Reca.
L’OPEN SOURCE POUR
BOUGER LES LIGNES
Introduite lors des Raf 2013, la ques-
tion du logiciel libre revient, avec
force, dans les débats. Présents à
la table ronde, des acteurs recon-
nus, comme les studios d’animation
Illumi nation Mac Guff et Autour de
Minuit, le centre de formation ATI
Paris 8 et Cap Digital. Leur constat
est unanime : le cloud s’imposant
dans le paysage, les studios et les
écoles n’ont plus la maîtrise de leur
pipeline. « Qu’ils soient jeunes ou plus
historiques, les studios se posent des
questions et commencent à chercher
des alternatives aux logi ciels com-
merciaux », remarque René Broca.
Pour sa part, Autour de Minuit,
qui s’est lancé dans la production
de séries d’animation, n’a pas hé-
sité longtemps : « Il nous arrivait
d’être obligés d’arrêter un film
parce que le studio d’animation
venait de recevoir une commande
plus importante, explique Nicolas
Schmerkin. Nous avons décidé de
fabriquer nous-mêmes ces films à
l’économie risquée. » Le réalisateur
Mathieu Auvray, des séries Babioles
et Jean-Michel, Super Caribou, étant
un fin connaisseur de Blender, c’est
donc tout naturellement que le pro-
ducteur a intégré le logiciel libre
dans sa chaîne de fabrication de
la série hybride Babioles, du court
Jean-Michel, le caribou des bois et
de la série de 52 fois 11 minutes
(en cours de développement). « Avec
Blender, que nous utilisons de la mo-
délisation jusqu’au montage, nous
gagnons en qualité. Le logiciel étant
développé par une petite équipe aux
Pays-Bas, nous bénéficions en plus
d’une mise à jour constante. » Pour
pratique et efficace qu’il soit, le lo-
giciel libre n’en revêt pas moins un
RECA, LA FORCE DE LA COMMUNAUTÉ Le réseau Reca compte vingt-quatre écoles. Dernières arrivées, l’Esma de Toulouse et l’Esra
de Rennes. Faire partie du réseau permet de mettre à jour ses complémentarités, d’échanger
des intervenants et de se positionner comme un interlocuteur de poids vis-à-vis des éditeurs
ou des studios. Aussi, quand Buf décide de diffuser gratuitement une partie de sa suite
logicielle propriétaire, c’est au Reca qu’il réserve la primeur. « Leur pipe line est atypique,
note Cédric Plessiet (ATI). Des outils “standard” comme Blend Shape n’existent pas ! Mais
l’approche de l’animation basée sur les muscles est originale. Comme nous sommes à la
recherche d’alternatives, cela nous intéresse beaucoup. Mais nous ne savons pas com-
ment ces briques vont communiquer avec nos outils dont certains sont open source. »
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Produit par Autour de Minuit, Jean-Michel, le caribou des bois fait largement appel à Blender.
certain coût. Le manque d’anima-
teurs compétents a ainsi obligé Au-
tour de Minuit à assurer eux-mêmes
des formations (de 1 à 2 semaines).
Le producteur entend néanmoins
« professionnaliser » son utilisation
de logiciels open source tout en
continuant à travailler avec la suite
Adobe… et à mettre en adéquation
les outils avec les exigences artis-
tiques du projet.
Illumination Mac Guff, en revanche,
se montre plus circonspect : « Je ne
prendrai pas le risque de fabriquer
un film 3D avec de tels outils, re-
marque Jacques Bled. J’aurais trop
peur de ne pas arriver au terme de
la production. Mais cette alterna-
tive peut être envisagée pour des
projets différents. Il ne faut pas tou-
tefois sous-estimer l’investissement
que ces logiciels libres représentent
en temps de formation mais aussi
d’intégration. Notre chaîne de fabri-
cation comporte aujourd’hui 50 %
d’outils du marché et 50 % d’outils
propres développés par la R&D. Une
part non négligeable de son temps
passe à faire fonctionner tous ces
outils ensemble ! »
Dans l’assistance, Raul Prado, du
studio d’animation In Efecto (à
Montpellier), qui avait présenté l’an
dernier son expérience avec Blender
sur le pilote Le Jour et la nuit, faisait
remarquer qu’il venait d’intégrer
le logiciel libre dans le pipeline de
fabrication de la série hybride Vlad
& Louise (52 fois 13 minutes). Si
le recours à Blender l’a obligé lui
aussi à assurer des formations en
interne, le logiciel libre a eu le mé-
rite de les faire s’engager dans la
R&D : « Nous avons testé le moteur
de rendu photo réaliste Cycles de
Blender afin qu’il soit compa tible
avec notre chaîne de fabri cation ba-
sée sur Maya. Nous restons toujours
pragmatiques ! Mais nous regrettons
qu’en France les logiciels libres soient
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aussi peu connus. Les animateurs es-
pagnols, confrontés à une économie
drastique des budgets, sont beau-
coup plus nombreux que les Français
à connaître Blender. Il ne faudrait pas
que la France, saluée à l’international
pour la qualité de ses productions et
de son enseignement, s’endorme sur
ses lauriers. »
Afin de mutualiser ces expériences,
René Broca suggère d’établir un état
des lieux des logiciels libres et de leur
accompagnement institutionnel.
Pour l’heure, seuls l’école des Gobe-
lins, qui vient récemment de mettre
en place une formation continue
sur Blender, ArtFX et surtout ATI
(Arts et technologies de l’image),
qui initie entre autres à Natron, Krita
et Gimp (des alternatives à Nuke et
Photoshop), permettent d’appré-
hender de tels logiciels. Stéphane
Singier, délégué général de Cap Di-
gital, parle de favoriser les proposi-
tions open source au sein des projets
soumis à financement : « Chez Cap
Digital, nous avons soutenu plus de
600 projets dont le projet collaboratif
HD3D. Les parties logicielles de ce
projet, lesquelles continuent à être
développées par les studios (comme
TuttleOFX chez Mikros, ndlr), corres-
pondent pour l’essentiel à des briques
open source. »
ASTÉRIX, UN PIPELINE MONTÉ DE TOUTES
PIÈCES… SANS POTION MAGIQUE
S’il repose sur une franchise cé-
lèbre, Astérix – Le Domaine des
dieux d’Alexandre Astier et Louis
Clichy s’est élaboré sur un pipeline
qui partait d’une feuille blanche. « Le
film était fabriqué en même temps
que le pipeline se construisait »,
résume avec humour le directeur de
production, Nicolas Trout. Pour son
premier film 3D relief, Mikros Image
n’est auréolé que de son unique
réfé rence en animation, Logorama
de H5 (oscar du meilleur court-mé-
trage d’animation en 2010). « Les
enjeux étaient élevés. Nous avions à
construire un pipeline quasiment de
toutes pièces. Chaque image inter-
polée devait être interprétée comme
un trait d’Uderzo ! Enfin, nous étions
dans une logique d’enveloppe fer-
mée pour une sortie impérative en
décembre 2014. »
Dès le début de la fabrication (en
septembre 2012), l’équipe décide
de donner la priorité à l’animation.
Confiée à Patrick Delage, la caracté-
risation forte des personnages est
d’emblée mise en relief par un cas-
ting de voix françaises, enregistrées
avant les voix anglaises. Un procédé
facilitant l’actorisation, les anima-
teurs étant massivement franco-
phones. Le choix des outils logiciels
(Maya, Nuke, Katana et Arnold, Hou-
dini) est dicté par l’obligation de
générer une animation de qualité :
« Ces outils devaient être capables
de traiter un nombre important de
personnages à l’écran (en moyenne
5,7 sur un total de 157, y compris
leurs déclinaisons). Et de n’occasion-
ner, lors du compositing, pas plus de
quatre à cinq couches par scène. »
L’autre parti pris affirmé concerne
la gestion des équipes du film (plus
de 200 personnes en France) : « Nous
avons opté pour une organisation
structurée, à l’anglo-saxonne, avec
des chefs de départements. Le ratio
d’encadrement se montre élevé (de
l’ordre de un pour trois ou un pour
quatre) et équivaut à ce qui se pra-
tique dans les plus grands studios. »
Pour suivre la production du film,
dont une partie de la fabrication est
délocalisée en Belgique (chez Grid,
DreamWall et Nozon), pas d’outils
magiques qui résoudraient tout :
l’équipe de Mikros Image recourt
donc à son asset manager, Octopus,
issu du projet de logiciel collabo-
ratif HD3D et Shotgun. « En cours
de fabrication, nous y avons ajouté
d’autres couches et un nombre consi-
dérable de fichiers Excel ! »
Sept cents jours de production plus
tard (et 233 000 images finales cal-
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Série hybride, le projet de série Vlad & Louise (production Marathon) sera réalisé sous Blender par In Efecto.
culées), Nicolas Trout est en mesure
de dresser un bilan de cette copro-
duction de 80 minutes, et de reve-
nir sur des points critiques du film :
« L’aménagement du temps de travail
des réalisateurs (ici secondés par le
directeur de l’animation, Patrick De-
lage, et le directeur artistique, Thierry
Fournier) est crucial. Sur Astérix, ils
devaient valider chaque étape, soit en
tout 17 000 points ! »
Importance aussi de la mise en place
de procédures de test sur les fichiers
de rigging à partir du moment où
la production est délocalisée. Le di-
recteur de production rappelle qu’il
ne faut pas hésiter à changer de fu-
sil d’épaule quand l’approche n’est
pas satisfaisante : « La végétation (la
forêt) représente un défi majeur sur
le film. Nous avions commencé à la
mettre au point de manière classique
(crayonnés artistiques…), mais sa tra-
duction en 3D, trop réaliste, ne corres-
pondait pas au style de l’animation.
La direction artistique a donc décidé
de travailler directement en 3D sur la
clairière. Une fois validée, la scène a
été déclinée sur l’ensemble des décors
végétaux. Pour cela, la R&D a déve-
loppé un outil procé dural permettant
de distribuer les éléments naturels
(répertoriés dans une banque de don-
nées) à partir d’un outil de peinture. »
Enfin, il résume : « La production exé-
cutive d’un long-métrage revient sur-
tout à gérer une somme importante
d’imprévus. »
Annik Hémery
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Mikros Image a assuré la production exécutive d’Astérix – Le Domaine des dieux de Louis Clichy et Alexandre Astier (production M6 Studio/M6 Films).
Animation & VFX : deux écoles
croisent leur vision
ACTUALITÉSINTERVIEW
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À l’occasion des RAF, Gilbert Kiner, directeur d’ArtFX (Montpellier), et Gérard Raucoules, responsable de la section cinéma d’animation, à l’ESMA (Montpellier), échangent leurs points de vue sur les formations appliquées à l’animation et VFX.
Sonovision. Quelle est votre percep-tion de l’emploi en animation ?Gérard Raucoules. On sent depuis
quelque temps un regain d’em-
bauche de la part des studios français
et étrangers. Illumination MacGuff,
TeamTO ou encore Mikros Image
se sont mis à produire des longs-
métrages. Par ailleurs, la série connaît
une embellie et, à l’étranger, la de-
mande est toujours constante. Il faut
avouer que cet appel d’air est une
bonne nouvelle pour nos étudiants.
Et je pense que c’est également le cas
au sein des autres écoles.
SNV. Discernez-vous une évolution dans les demandes des studios en matière de profils ?G.R. En effet, en ce moment, on re-
çoit beaucoup de sollicitations pour
des profils plus techniques, avec un
accent porté notamment sur le rig-
ging ou le character FX. Nous avons
également des demandes en scrip-
ting, une meilleure approche des
différents moteurs de rendu. Enfin,
des logiciels comme Houdini com-
mencent à faire partie des besoins
des studios. Cela ne veut pas dire
qu’on les intègre automatiquement
dans notre cursus, mais nous pre-
nons ces évolutions en considéra-
tion pour intégrer des modules au
cœur de la pédagogie.
Gilbert Kiner. De notre côté, nous
avons fait de l’apprentissage des nou-
velles applications et des nouveaux
métiers notre marque de fabrique.
Qu’il s’agisse de logiciels comme VRay,
Arnold et toute la palette pédagogique
qui répond aux demandes des studios.
Pour cela, nous sommes en contact
constant avec eux, car il faut plus que
répondre aux besoins ; il convient de
les anticiper si l’on veut que nos étu-
diants arrivent en phase avec le sec-
teur sur le marché de l’emploi.
SNV. Ne constate-t-on pas de la part des studios la volonté d’embaucher des personnes polyvalentes, bonnes en tout ?G.K. Il y a une double problématique
qui apparaît depuis quelques années,
illustrée par le film de fin d’études. On
constate que des studios sont très
critiques sur certains films issus de
plusieurs écoles, car les responsables
et futurs recruteurs souhaitent à
la fois juger la qualité artistique de
l’œuvre, à l’aune d’un court-métrage
de création, tout en voulant pouvoir
évaluer les compétences techniques
des étudiants. Cette contradiction
est de plus en plus visible. C’est pour-
quoi nous misons sur la polyvalence,
en alliant rigueur et créativité.
G.R. Nous sommes face à un para-
doxe : avoir des profils généralistes
aptes à maîtriser l’ensemble de la
chaîne… mais qui possèdent égale-
ment une hyper spécialisation. En ré-
alité, cela dépend un peu de l’ampleur
des studios. Dans le cas de structures
moyennes, le besoin de profils géné-
ralistes est majeur pour des raisons
évidentes de taille des équipes. En
ce qui concerne les grands studios,
qui emploient plusieurs centaines
de personnes, la tendance est au
cloisonnement sur des tâches très
précises, ce qui implique une surspé-
cialisation.
SNV. Dans les écoles que vous re-présentez, avez-vous choisi l’option géné raliste touche-à-tout ou l’hyper-spécialisation ?G.R. Notre pédagogie s’appuie sur
un tronc commun visant à former
des généralistes. C’est l’année de
leur film de fin d’études que nos
étudiants peuvent choisir de se
spécialiser sur telle ou telle étape
de production. En cela, nous conti-
nuons de répondre à la majeure
partie des demandes des studios.
Nous réfléchissons actuellement
à une évolution de notre cursus,
avec un tronc commun sur deux
ans et demi et non plus deux ans,
suivis de dix-huit mois de spécia-
lisation, soit dans le rendu, avec
toutes les options possibles, soit le
rigging. Le film de fin d’études sera
le moment de choisir une « surspé-
cialisation ». Ces évolutions seront
effectives dès la rentrée 2015 pour
les étudiants intégrant notre école
en première année.
G.K. Demander à la fois une démo
reel et une œuvre personnelle aux
étudiants est complexe. Au sein de
notre volet effets spéciaux numé-
riques par exemple, nous propo-
sons, après une année préparatoire,
deux années sur les fondamentaux
et leurs perfectionnements. Ce
n’est qu’en quatrième année que
l’on touche aux spécialisations avec
Maya et Zbrush, HDRI, le composi-
ting d’images sur Nuke, et autres
matte painting, caméra mapping,
tracking, lighting, rendu. Enfin, la
cinquième année est une année
professionnalisante avec le film de
fin d’études. Cette approche donne
de très bons résultats en termes
d’employabilité, avec des étudiants
aux profils uniques. Par exemple,
tous ceux qui sont spécialistes
des fluides et particules trouvent
un emploi immédiatement… et le
conservent. Je pense que ces outils
vont bientôt faire partie de nos
futurs enseignements. Il convient
donc d’échanger au maximum
entre les différents responsables
d’écoles pour voir comment bien
gérer ces nouvelles évolutions, tou-
jours au profit de nos étudiants.
Propos recueillis par François Chevallier
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.R.
Gérard Raucoules, responsable de la section animation de École supérieure des métiers artistiques de Montpellier.
© D
.R.
Gilbert Kiner, fondateur d’ArtFX.