affaire bozano c. france article 50

6
CONSEIL DE L EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COUR T OF HUMAN RIGHTS COUR (CHAMBRE) AFFAIRE BOZANO c. FRANCE (ARTICLE 50) (Requête n o 9990/82) ARRÊT STRASBOURG 2 décembre 1987

Upload: marilena-iordache

Post on 06-Nov-2015

214 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

hm

TRANSCRIPT

  • CONSEILDE LEUROPE

    COUNCILOF EUROPE

    COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME

    EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

    COUR (CHAMBRE)

    AFFAIRE BOZANO c. FRANCE (ARTICLE 50)

    (Requte no 9990/82)

    ARRT

    STRASBOURG

    2 dcembre 1987

  • ARRT BOZANO c. FRANCE (ARTICLE 50) 1

    En laffaire Bozano, La Cour europenne des Droits de lHomme, constitue, conformment

    larticle 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de lHomme et des Liberts fondamentales ("la Convention") et aux dispositions

    pertinentes de son rglement, en une chambre compose des juges dont le

    nom suit:

    M. R. RYSSDAL, prsident,

    Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT,

    MM. F. GLCKL,

    J. PINHEIRO FARINHA,

    L.-E. PETTITI,

    Sir Vincent EVANS,

    M. C. RUSSO,

    ainsi que de M. M.-A. EISSEN, greffier,

    Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil les 26 juin et 27 novembre

    1987,

    Rend larrt que voici, adopt cette dernire date:

    PROCEDURE ET FAITS

    1. Laffaire a t dfre la Cour par la Commission europenne des Droits de lHomme ("la Commission") le 14 mars 1985. A son origine se trouve une requte (n

    o 9990/82) dirige contre la Rpublique franaise et

    dont un ressortissant italien, M. Lorenzo Bozano, avait saisi la Commission

    le 30 mars 1982.

    2. Par un arrt du 18 dcembre 1986, la Cour a relev une infraction

    larticle 5 1 (art. 5-1) de la Convention: la privation de libert impose lintress dans la nuit du 26 au 27 octobre 1979, pendant que la police le transportait de force en voiture de Limoges jusqu la frontire franco-suisse, navait t ni "rgulire" ni compatible avec le "droit la sret"; il "sagissait en ralit dune mesure dextradition dguise, destine tourner lavis dfavorable" que la juridiction comptente "avait exprim le 15 mai 1979, et non dune dtention ncessaire dans le cadre normal dune procdure dexpulsion" (srie A no 111, pp. 22-27 et 29, 53-60 des motifs et point 4 du dispositif).

    Seule reste trancher, pour une part, la question de lapplication de larticle 50 (art. 50) en lespce; quant aux faits de la cause, il chet de

    Note du greffier: L'affaire porte le n 5/1985/91/138. Les deux premiers chiffres

    dsignent son rang dans l'anne d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des

    saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requtes initiales ( la Commission)

    correspondantes.

  • ARRT BOZANO c. FRANCE (ARTICLE 50)

    2

    renvoyer larrt prcit (pp. 8-16, 11-37), la Cour se bornant fournir ici les quelques indications indispensables.

    3. Extrad le 18 juin 1980 de Suisse en Italie, le requrant purge dans

    lle dElbe une peine de rclusion vie que la cour dassises dappel de Gnes avait prononce contre lui, par contumace, le 22 mai 1975 (ibidem,

    pp. 9 et 12, 14 et 27).

    Par les soins de ses conseils il priait la Cour, en ordre principal, de

    recommander au gouvernement franais ("le Gouvernement")

    dentreprendre "auprs des autorits italiennes une dmarche diplomatique tendant soit une mesure de grce prsidentielle", "soit la rvision" de son

    procs pnal; il sollicitait en outre, pour son pouse et lui-mme, "une

    indemnit du chef du prjudice matriel et moral, chiffr plus de

    3.300.000 francs franais (FF), que leur aurait caus la dtention dj subie

    par lui" et, "si la Cour naccueillait pas leur demande principale (...), une compensation pcuniaire - suprieure 17.000.000 FF - des dommages

    matriel et moral rsultant des annes quil [devait] encore passer en prison", de mme que "144.000 FF pour frais de procdure, moyennant

    dduction des sommes verses au titre de laide judiciaire devant la Commission puis la Cour" (ibidem, p. 28, 65-66).

    Larrt du 18 dcembre a cart ladite demande principale, comme trangre lobjet du litige, ainsi que les prtentions formules au nom de Mme Bozano car celle-ci navait pas la qualit de requrante (ibidem, pp. 28-30, 65-66 des motifs et point 7 du dispositif). La Cour a rserv le

    surplus de la question de loctroi dune satisfaction quitable, constatant quil ne se trouvait pas en tat; elle a invit le Gouvernement lui adresser dans les deux mois des observations crites et notamment lui donner

    connaissance de tout accord quil pourrait conclure avec le requrant (ibidem, pp. 29-30, 66 in fine des motifs et point 8 du dispositif).

    4. Aprs lchec des efforts dploys en vue daboutir un tel accord, le greffier a reu les 23 fvrier, 23 mars et 11 mai 1987 les mmoires

    respectifs du Gouvernement, des conseils du requrant et du dlgu de la

    Commission.

    5. Lors de la dlibration finale du 27 novembre 1987, Mme D.

    Bindschedler-Robert et M. F. Glckl, supplants, ont remplac MM. J.

    Cremona et J. Gersing, empchs (articles 22 1 et 24 1 du rglement); la

    Cour a dcid que dans les circonstances de la cause il ny avait pas lieu de tenir audience.

    EN DROIT

    6. Aux termes de larticle 50 (art. 50) de la Convention,

  • ARRT BOZANO c. FRANCE (ARTICLE 50) 3

    "Si la dcision de la Cour dclare quune dcision prise ou une mesure ordonne par une autorit judiciaire ou toute autre autorit dune Partie Contractante se trouve entirement ou partiellement en opposition avec des obligations dcoulant de la (...)

    Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet quimparfaitement deffacer les consquences de cette dcision ou de cette mesure, la dcision de la Cour accorde, sil y a lieu, la partie lse une satisfaction quitable."

    Le requrant sollicite la fois la rparation pcuniaire dun dommage et le paiement dhonoraires davocats.

    I. DOMMAGE

    7. En premier lieu, il rclame une indemnit de 18.729.000 FF - raison

    de 2.000 FF par jour - du chef de ses dtentions en France dans la nuit du 26

    au 27 octobre 1979, en Suisse du 27 octobre 1979 au 18 juin 1980 et en

    Italie depuis lors, y compris la peine quil lui reste purger jusquau 18 juin 2005, date laquelle il pourrait sortir de prison "dans la meilleure des

    hypothses".

    8. Le Gouvernement ne conteste pas la ncessit de lui octroyer une

    compensation pour le prjudice rsultant de son transfert forc de Limoges

    la frontire franco-suisse, "pendant une dure de moins de douze heures";

    la lumire de la jurisprudence de la Cour et de dcisions rendues dans

    lordre juridique interne, "une indemnit de principe" de 1.000 FF au maximum lui semble adquate.

    Aux yeux de la Cour, pareil montant ne correspond pas, tant sen faut, la gravit de linfraction larticle 5 1 (art. 5-1) quelle a constate le 18 dcembre 1986. Il sagissait dune violation du droit la libert et la sret, dune mesure dextradition dguise destine tourner lavis dfavorable de la juridiction franaise comptente, dune procdure dexpulsion dvie de son objet et de sa finalit naturels (arrt prcit, srie A n

    o 111, pp. 26-27, 60-61). Les circonstances qui lont entoure

    (ibidem, pp. 11-12, 22-26, et pp. 25-26, 59) nont pu manquer de porter au requrant un tort moral considrable.

    9. Daprs le Gouvernement, on ne saurait imputer la Rpublique franaise les deux autres privations de libert, subies par M. Bozano

    Genve puis dans lle dElbe: elles ne dcouleraient pas du fait des autorits franaises, mais de la condamnation prononce par la cour

    dassises dappel de Gnes le 22 mai 1975 et confirme par la Cour de cassation dItalie le 25 mars 1976, ainsi que de la demande dextradition dont lItalie avait saisi la Suisse peu aprs (ibidem, p. 9, 14-15, et p. 12, 27).

    Selon le requrant, au contraire, il existe entre son "enlvement"

    Limoges et lesdites privations de libert un lien de causalit direct et

    suffisant, dautant que les consquences prjudiciables du premier "taient prvisibles" et "ont t voulues".

  • ARRT BOZANO c. FRANCE (ARTICLE 50)

    4

    La Cour na pas et naura pas contrler la compatibilit avec la Convention des deux dtentions postrieures la nuit du 26 au 27 octobre

    1979: la Commission a dclar irrecevable, le 12 juillet 1984, la requte que

    lintress avait introduite devant elle contre lItalie; le mme jour, elle a galement rejet celle quil avait forme contre la Suisse, sauf sur un point quelle a retenu le 13 dcembre 1984 (article 5 4) (art. 5-4), et aprs quil eut dclar se dsister elle en a ray du rle le restant le 9 mai 1987 (ibidem,

    p. 17, 39, p. 22, 53, et p. 28, 65 in fine; articles 44 1 a), 49 et 54 du

    rglement intrieur de la Commission). Partant, loctroi dune satisfaction quitable ne saurait en aucune manire servir "remettre en cause" ou

    "compenser - ft-ce en partie - la condamnation de M. Bozano", ni larrt par lequel le Tribunal fdral suisse rejeta, le 13 juin 1980, lopposition de ce dernier son extradition. A cet gard, la Cour souscrit la thse du

    Gouvernement.

    Sur le terrain de larticle 50 (art. 50), il chet nanmoins "de se rfrer", comme le suggre le dlgu de la Commission, " la situation du requrant

    telle quelle se prsentait avant lexcution force de larrt dexpulsion". Le 15 mai 1979, la chambre daccusation de la cour dappel de Limoges

    avait, au nom des impratifs de lordre public franais, exprim un avis dfavorable lextradition sollicite par lItalie. Sa dcision, qui liait le gouvernement (ibidem, p. 10, 18), ne constituait pas pour autant un

    obstacle la prise dune mesure dexpulsion. Toutefois, lintress aurait normalement d pouvoir attaquer une telle mesure devant le tribunal

    administratif et inviter le Conseil dEtat ordonner un sursis. En attendant plus dun mois pour lui notifier larrt du 17 septembre 1979, les autorits franaises lempchrent dexercer utilement les recours qui souvraient lui en thorie; tout se prsente comme si elles avaient voulu le laisser dans

    lignorance de ce qui se prparait contre lui, pour mieux le placer ensuite devant le fait accompli (ibidem, p. 20, 48, p. 21, 50, et pp. 25-26, 59).

    Aprs la leve, le 26 octobre 1979, du contrle judiciaire sous lequel il se

    trouvait depuis le 19 septembre, il pouvait esprer demeurer en libert sur le

    territoire franais quelque temps au moins. Dans lhypothse o ses recours au tribunal administratif et au Conseil dEtat auraient chou - ce qui nest point vident si lon songe au premier des motifs du jugement dannulation du 22 dcembre 1981 (ibidem, p. 16, 35) -, il aurait d en principe pouvoir

    gagner, au besoin sous surveillance (ibidem, p. 26, 59 in fine), un pays

    autre que la Suisse. Assurment, rien ne dit que cet autre pays ne laurait pas lui aussi livr lItalie, en vertu voire en labsence dun trait dextra- dition applicable leurs relations mutuelles; la remise aux autorits italiennes

    aurait pourtant connu, pour le moins, un certain retard. Le transport forc de

    Limoges la frontire franco-suisse causa donc M. Bozano un dommage

    rel quoique non susceptible dune apprciation exacte. Il sagit l dune consquence non "de la mesure dexpulsion elle-mme", comme laffirme le Gouvernement, mais bien de ses conditions dexcution, de la privation de

  • ARRT BOZANO c. FRANCE (ARTICLE 50) 5

    libert irrgulire et arbitraire subie en France par le requrant dans la nuit

    du 26 au 27 octobre 1979.

    Pour le cas o la Cour accueillerait pareille ide, le Gouvernement

    soutient en ordre subsidiaire que lindemnit supplmentaire octroyer de ce chef ne saurait dpasser 2.000 FF; dans les circonstances de la cause, une

    telle valuation ne correspond cependant pas lampleur du prjudice qui entre en ligne de compte.

    10. Statuant en quit, comme le veut larticle 50 (art. 50), la Cour alloue lintress 100.000 FF pour lensemble du dommage quil a souffert.

    II. HONORAIRES DAVOCATS

    11. Avant les audiences davril 1986, les conseils de M. Bozano dclaraient avoir consacr au dossier 360 heures de travail depuis la saisine

    de la Commission (30 mars 1982); raison de 400 FF par heure, ils

    demandaient 144.000 FF pour frais de procdure, moyennant dduction des

    sommes perues au titre de laide judiciaire devant la Commission et la Cour. Ils nont pas modifi leurs prtentions par la suite.

    Le Gouvernement sen remet sur ce point la sagesse de la Cour. 12. Le montant ainsi indiqu ne parat pas excessif. Il y a lieu den

    retrancher 5.650 FF dhonoraires verss par le Conseil de lEurope pour la priode considre.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, A LUNANIMITE,

    1. Dit que ltat dfendeur doit payer au requrant 100.000 (cent mille) FF pour dommage et 138.350 (cent trente-huit mille trois cent cinquante)

    FF pour frais davocats;

    2. Rejette la demande de satisfaction quitable pour le surplus.

    Fait en franais et en anglais, puis communiqu par crit le 2 dcembre

    1987 en application de larticle 54 2, second alina, du rglement.

    Rolv RYSSDAL

    Prsident

    Marc-Andr EISSEN

    Greffier