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Critique économique n° 25 • Automne 2009 109 Mes travaux de recherche ont porté tout d’abord sur l’industrie maquiladora d’exportation au Mexique. Ma thèse démontrait que le modèle de la maquiladora avait des répercussions sur l’industrie locale. Nous faisions l’hypothèse que ces usines « modernes » devaient transformer technologiquement, en matière de conditions de travail et de conditions de production, le tissu industriel local. En fait, nous avons fait le constat de logiques de différenciation des trajectoires des maquiladoras, notamment en découvrant que cette politique industrielle de développement permettait des stratégies de détournement de l’exception juridique et fiscale. Et que de nombreuses industries locales à capitaux mexicains s’étaient soumises au régime maquiladora pour pouvoir bénéficier de la défiscalisation qu’il octroyait mais surtout pour trouver des formes de développement à l’exportation de leurs entreprises. Depuis, je me suis intéressée à d’autres zones franches d’exportation industrielle dans le monde (le terme zone franche d’exportation est le terme valise pour englober toutes les formes de défiscalisation industrielle que l’on peut trouver dans le monde, tantôt maquiladoras, tantôt zone d’entreprises, tantôt Free Trade Zone) en imaginant que ces espaces circonscrits étaient de véritables laboratoires de la mondialisation en œuvre. Le dispositif international des zones franches frontalières d’exportation L’exemple des zones franches d’exportation industrielle doit être analysé comme un dispositif (1) (Agamben, 2006) qui consiste à s’affranchir de certains droits communs en matière douanière et commerciale. Le principe général de ce dispositif est de surseoir pour une durée éventuellement déterminée aux droits communs d’un pays dans ces enclaves, dans le but de profiter, au mieux, de l’environnement local et international. Cela consiste tout d’abord à se distinguer d’une part du mode de développement antérieur (niveau des forces productives, qualité de la main- Delphine Mercier Laboratoire d’économie et de sociologie du travail , Aix-en-Provence (delphine.mercier@univ med.fr) Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables Le cas des zones franches d’exportation industrielle en Amérique centrale (1) Au sens de Foucault : « Le dispositif lui-même c’est le réseau qu’on établit entre ces éléments [ensemble hétérogène comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques ; bref du dit aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif ]. Par dispositif, j’entends une sorte – disons – de formation qui, à un moment donné, a eu pour fonction majeure de répondre à une urgence.

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Critique économique n° 25 • Automne 2009 109

Mes travaux de recherche ont porté tout d’abord sur l’industriemaquiladora d’exportation au Mexique. Ma thèse démontrait que le modèlede la maquiladora avait des répercussions sur l’industrie locale. Nousfaisions l’hypothèse que ces usines « modernes » devaient transformertechnologiquement, en matière de conditions de travail et de conditionsde production, le tissu industriel local. En fait, nous avons fait le constatde logiques de différenciation des trajectoires des maquiladoras, notammenten découvrant que cette politique industrielle de développement permettaitdes stratégies de détournement de l’exception juridique et fiscale. Et quede nombreuses industries locales à capitaux mexicains s’étaient soumisesau régime maquiladora pour pouvoir bénéficier de la défiscalisation qu’iloctroyait mais surtout pour trouver des formes de développement àl’exportation de leurs entreprises. Depuis, je me suis intéressée à d’autreszones franches d’exportation industrielle dans le monde (le terme zonefranche d’exportation est le terme valise pour englober toutes les formesde défiscalisation industrielle que l’on peut trouver dans le monde, tantôtmaquiladoras, tantôt zone d’entreprises, tantôt Free Trade Zone) en imaginantque ces espaces circonscrits étaient de véritables laboratoires de lamondialisation en œuvre.

Le dispositif international des zones franches frontalièresd’exportation

L’exemple des zones franches d’exportation industrielle doit être analysécomme un dispositif (1) (Agamben, 2006) qui consiste à s’affranchir decertains droits communs en matière douanière et commerciale. Le principe général de ce dispositif est de surseoir pour une durée

éventuellement déterminée aux droits communs d’un pays dans ces enclaves,dans le but de profiter, au mieux, de l’environnement local et international.

Cela consiste tout d’abord à se distinguer d’une part du mode dedéveloppement antérieur (niveau des forces productives, qualité de la main-

DelphineMercierLaboratoire d’économieet de sociologie dutravail , Aix-en-Provence ([email protected])

Affranchissement et exceptionau cœur des frontières profitablesLe cas des zones franches d’exportationindustrielle en Amérique centrale

(1) Au sens de Foucault :« Le dispositif lui-mêmec’est le réseau qu’onétablit entre ces éléments[ensemble hétérogènecomportant des discours,des institutions, desaménagementsarchitecturaux, desdécisions réglementaires,des lois, des mesuresadministratives, desénoncés scientifiques, despropositionsphilosophiques, morales,philanthropiques ; bref dudit aussi bien que dunon-dit, voilà leséléments du dispositif ].Par dispositif, j’entendsune sorte – disons – deformation qui, à unmoment donné, a eupour fonction majeure derépondre à une urgence.

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d’œuvre… ce qui veut dire aussi provoquer une rupture et éventuellementdes « pertes de richesses » irrattrapables), d’autre part du reste du pays pourêtre par la suite montré comme un modèle. Il est donc nécessaire pourcomprendre le développement de ces zones franches d’exportation de replacerla zone dans son processus de développement (temps) et dans sonenvironnement (espace).Pour bien comprendre le modèle économique et social qui est véhiculé

par la mise en œuvre de ce dispositif, il est donc nécessaire d’en faire l’histoireen utilisant une définition plus large, soit « un affranchissement momentanéet circonscrit aux droits communs » (Mercier, 2007).

Il s’agit de montrer qu’à l’origine, l’affranchissement du droit du travail(qui n’est pas forcément explicitement consenti par le dispositif public, maisqui peut être un avantage propre au pays ou à la zone) est un avantage quipeut attirer des investisseurs. Au cours du processus de développement dela zone franche, par différents mécanismes (conflits, besoin d’une main-d’œuvre qualifiée, concurrence) le droit commun, les politiques sociales, lesocle de compétences du territoire antérieur à la définition de la zone, etc.sont réintégrés volontairement ou non dans la zone. Ce processus est porté par des acteurs : les acteurs publics à l’origine

du dispositif considèrent que le développement « exogène » produit peutavoir un effet d’entraînement, se diffuser dans l’ensemble du pays. Lesentrepreneurs internationaux sont, eux, éventuellement intéressésmomentanément (voir l’évolution de certaines entreprises dans lesmaquiladoras) par les avantages produits par le dispositif, et par l’enclave.Les travailleurs de ces zones, en partie privés de leur mode de subsistanceantérieur (rupture) sont obligés de s’engager dans le dispositif, même si aucours du temps ils vont le « freiner » et contester le dispositif puis s’engagerpour revenir dans le droit commun. Chacun des acteurs a des intérêts,divergents mais aussi changeants dans le temps, au maintien de l’exceptiondans la zone. Le régime d’exception impose des contraintes de forme et non pas de

contenu. Dans un premier temps, nous décrirons cette action publique àcaractère économique. Puis nous nous intéresserons aux usages privés deces espaces économiques en focalisant sur l’Amérique centrale. Enconclusion, nous allons focaliser notre attention sur un des espaces designifications celui des relations professionnelles internationales, sonimprobable émergence et sa territorialisation.

Les zones franches d’exportation : un dispositif mondialiséet inséré dans le droit national

Depuis l’expérience de Shannon en 1958 en Irlande, le modèle de zonefranche d’exportation industrielle s’est tout d’abord diffusé dans les paysen voie de développement (les pays du Sud), en irradiant tout d’abord les

Le dispositif a donc unefonction stratégiquedominante… »(Agamben, 2006).

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pays les plus au nord du Sud. Ensuite, il s’est diffusé dans une relation desous-traitance entre des pays du Sud et d’autres pays encore plus au sud(Mexique, toute l’Amérique centrale). Ce modèle n’a pourtant pas trouvépreneur au cône sud, notamment en Argentine. Il s’est donc plusparticulièrement développé dans d’autres suds à partir des années 75 : Asie,Afrique… et Europe de l’Est, notamment à partir de la chute du mur deBerlin en 1989.

En 1986, suite à la fermeture d’industries traditionnelles dans les paysdu Nord, le modèle de ZFE s’est à nouveau diffusé dans ces pays afin deredynamiser des bassins d’emploi sinistrés. Une des spécificités de ces zonesest leur localisation dans des espaces frontaliers, pour bénéficier de l’avantageéconomique de ces espaces. Frontière entre mer et terre, frontière entre deuxpays où les lois des Etats sont les plus fragilisées et notamment où le rapportà la règle et à la loi peut être mis en péril.

Qu’est-ce qu’une zone franche ?

Le terme de zone franche couvre différents type d’espace qui ont pourcaractéristique commune de se substituer au régime commun en vigueurdans le pays d’accueil (questions douanières et questions fiscales). Ladéfinition basique et simple est la suivante : les zones franches correspondentà des espaces géographiquement délimités, à l’intérieur desquels sedéveloppent des activités industrielles et/ou commerciales qui bénéficientd’un régime particulier en matière de fiscalité. (Il n’y a pas de droits dedouane, mais les droits deviennent exigibles si les produits sont introduitssur le territoire national du pays où se trouve localisée la zone franche.)Donc les principales caractéristiques d’une ZFE sont les suivantes :– limitation géographique d’une zone et sa séparation du territoire qui

accueille (nous verrons que cette notion a beaucoup évolué et qu’elle constitueune des caractéristiques possibles) ;– application dans cet espace en particulier d’un système fiscal et douanier

avec une dérogation au droit commun applicable sur le reste du territoire.La combinaison de ces deux dispositions implique dans les faits un recul

de la frontière économique et politique de l’Etat. Ces zones portent des nomsdifférents, mais elles ont toutes pour objectif de créer un environnementattractif pour le développement entrepreneurial et commercial.

La pauvreté de la définition laisse place à une notion aux multiplescontenus

On peut d’abord distinguer une typologie simple, connue, maispermettant peu l’analyse. C’est celle qui différencie les zones franchescommerciales (historiquement les premières : le prototype étant Shannonen Irlande en 1958), en général, elles se situent dans des zones portuaires ;les ports francs (ou zone franche portuaire), ils furent remplacés par des zonesde stockage sous douane (le premier port franc connu était situé dans l’île

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de Delos en Méditerranée en 166 avant J.C., en France c’est Marseille depuisl’Antiquité jusqu’à 1817) ; les zones franches touristiques, plus connues sousle nom de duty free shop et les zones franches d’exportation / zones franchesd’exportation industrielle et de services : espace géographiquement délimitéet avec un accès strictement contrôlé (police, douane), où les entreprisesbénéficient d’avantages en dérogation avec le régime commun (fiscal etdouanier) soumis à la condition d’exporter toute ou la majeure partie dela production.Le modèle qui nous intéresse est celui de la ZFE ou ZFEIS, dont le

modèle original est celui de Shannon (mesure de reconversion dont lavocation principale était d’organiser la pénétration des Etats-Unis sur lemarché européen). Ce fut d’abord une zone commerciale, et trèsrapidement se sont développées des activités de transformation, d’assemblagede produits pour l’exportation. Nous pouvons donc décliner les ajouts faitsau segment de phrase zone franche industrielle pour souligner la vocationindustrielle, ensuite la zone franche industrielle d’exportation souligne lavocation exportatrice, et enfin la zone franche industrielle d’exportationet de services est l’expression la plus complète et la plus récente, elle démontrela diversification sectorielle de ces espaces. Certaines précautions demeurent essentielles, notamment sur le fait que

certains pays disposent d’une seule zone franche d’exportation. Cette dernièrepeut être étatique (cas le plus fréquent) ou privée (administrée par des acteursprivés mais dans un cadre réglementaire stricte imposé par l’Etat). Denombreux pays, au contraire, ont augmenté le nombre de zones franchesà l’intérieur de leur territoire (Turquie, Egypte, Kenya…). On peut voirparfois 10 zones franches dans un seul pays. Trois cas peuvent exister : zonesfranches strictement publiques, zones franches strictement privées et zonesfranches mixtes (coexistence dans un même pays de zones publiques etprivées).Une autre expression est apparue dans les années 80-90, celle des points

francs : les entreprises bénéficient des mêmes conditions mais ellespeuvent s’installer où elles le souhaitent (1987 au Mexique), c’est le cas deMadagascar, Maurice… Le système des points francs concerne en généralles pays qui ont adopté récemment un régime de zone franche, les pays trèspauvres qui n’ont pas la capacité pour « habiliter » des zones délimitées(Madagascar) et enfin des pays en pointe très attentifs aux attentes desinvestisseurs potentiels. Le point franc joue un rôle significatif pour lesquestions relatives à l’habilitation d’un territoire.De plus, on peut signaler les zones économiques spéciales (ZES). Ce terme

est en vigueur dans les pays encore ou anciennement communistes. Ceszones furent instituées à la fin des années 70 en Chine, de manière plusrécente en Europe de l’Est et dans la Fédération russe. C’est en général laprincipale porte d’entrée pour les investisseurs qui ne peuvent pas s’installerailleurs (cas chinois). Dans le cas chinois, deux objectifs principaux étaient

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visés dans l’installation de ces zones : attirer des capitaux étrangers et exporter.Mais il s’agissait également de mettre en œuvre le démarrage d’une économiede marché dans une zone circonscrite pour l’étendre par la suite dans d’autresparties du pays. Mais dans le cas chinois, la superficie de ces zones peutêtre très importante (régions, villes entières). De fait, les activités qui sedéveloppent à l’intérieur d’une ZES ne sont pas uniquement destinées àl’exportation (construction et activités de services).Enfin, nous nous devons de signaler les zones d’entreprises ou zones franches

urbaines : elles sont situées uniquement en Europe et aux USA. Elles ontpour objectif de soutenir la création locale de nouvelles entreprises ; lavocation exportatrice n’est pas spécifiée. Leur existence remonte au milieudes années 90. Elles ont été développées dans des bassins d’emploi ayantconnu une reconversion importante.

La relation entre un modèle juridique et un modèle spatial

On peut décliner trois modalités principales d’implantation :– dans un espace géographiquement limité et très petit quant à lasuperficie (la formule la plus ancienne), ex : ZFE, ports Francs, ZFU ;

– dans un espace limité mais ample qui peut être confondu avec unerégion, ex : ZES ;

– sur tout un territoire national, ex : Maurice, Madagascar, points francs.Mais on peut aussi décliner des formes d’enclave qui se sont modifiées

avec le temps. D’enclave territoriale qui s’applique aux zonesgéographiquement limitées, entourées de murs et dont l’entrée est filtréepar un poste de police, nous sommes passés, avec la multiplication des pointsfrancs, à une enclave fonctionnelle où les activités qui découlent des entreprisessont intégrées dans la zone puis à une enclave juridique et fiscale qui distinguefortement les entreprises qui relèvent du régime de zone franche et cellesqui sont soumises au régime commun. Mais les pays aux revenusintermédiaires ont dû depuis les années 90 se mettre au niveau des nouvellesdirectives de l’OMC, en s’émancipant d’un certain avantage fiscal(Maurice, Singapour…). Les pays sous-développés continuent à bénéficierde cet avantage. C’est pour cela qu’aujourd’hui on peut parler surtoutd’enclaves économiques ; en effet ces ZFE fondent leurs stratégies surl’exportation, bien que le reste du pays demeure orienté vers la substitutiond’importation. La critique faite de façon régulière aux ZFE, c’est qu’elles n’ont pas d’effet

« d’entraînement » sur le tissu productif local. Pour cela, le terme d’enclavereste valide pour définir ces « formes de travail mondialisées ».

Des contraintes de forme et non de contenu

Quand on regarde les déclarations de loi de création de ZFEI dans tousces pays, elles sont faites pratiquement sur le même modèle ; l’absence totaled’articulation entre le modèle juridique et fiscal et un modèle social de

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développement est frappante. Il n’y a pas d’obligation pour les Etats de menerun projet industriel en adéquation avec les besoins des pays,pas de lois spécifiques concernant les conditions d’emploi. Ce vide estpréoccupant.Quel que soit le pays concerné, les zones franches renvoient toutes à

un même principe, celui de se soustraire au régime commun en vigueurhors zone franche, principalement dans les domaines fiscaux (3) etdouaniers (importation en franchise de droit de douane des équipements,matières premières et autres biens intermédiaires nécessaires à laproduction des biens à exporter ; libre exportation des produitsmanufacturés). La définition du concept de zone franche est donc d’abordfondamentalement juridique. Cette dérogation fiscale est généralementtemporaire. Durant une période donnée et inscrite dans la loi (5, 10, 15,20 années, etc.), les entreprises agréées au régime de zone franche ne sontassujetties qu’à une fiscalité réduite, voire nulle dans certains cas. Passéce délai, les entreprises franches rentrent dans le régime commun etdeviennent donc imposables. En contrepartie, elles doivent répondre àun certain nombre de conditions d’agrément, parmi lesquelles figurentnotamment l’obligation d’exporter un pourcentage important de leurproduction (en moyenne 80 à 90 %) ou encore celle de travailler dansdes secteurs d’activité destinés à diversifier la structure économique dupays d’accueil. Ce régime fiscal dérogatoire fait souvent l’objet de critiques,dans la mesure où il prive les Etats de recettes budgétaires. Les Etats s’endéfendent en invoquant les créations d’emplois découlant de la mise enœuvre de ces zones franches et qui n’auraient certainement pas étéenvisageables sans l’instauration d’un régime aussi incitatif.

Ce dispositif juridique s’accompagne généralement d’autres avantagestrès attractifs : simplification des procédures administratives, bâtimentsstandardisés offerts à la location, proximité des infrastructures majeures(aéroport international, port en eau profonde, etc.), coûts des facteurs réduits(eau, électricité, télécommunications, etc.), régimes assouplis pour les changes(allant très souvent jusqu’à la liberté totale des mouvements de fonds), librerapatriement des recettes en devises, larges exonérations fiscales pour lessalariés expatriés, etc.

Des appellations et des principes de fonctionnement différentsselon les pays

Les zones franches d’exportation sont dénommées différemment selonle pays dans lequel elles se trouvent (4). Une analyse sociologique ne peutse soumettre à une loi universelle ; pour pouvoir comprendre les processusde mise en œuvre et apporter une réflexion autre que descriptive, il estnécessaire de se soumettre à l’histoire et à la géographie de ces zones.

En 2003, le nombre de zones franches d’exportation dans le mondes’élevait à 1 072. Un nombre officiel de 45 705 205 personnes y étaient

(3) On notera que,parallèlement àl’instauration de lafiscalité et des droits dedouane, les Etats onttoujours imaginéconcomitamment desrégimes dérogatoires :zones d’immunité fiscaleou parties de territoiresoumises à un régimefiscal et douanier allégé,ports francs, villesfranches, etc.

(4) Les tableauxrécapitulatifs desappellations recensées etde quelques statistiquessont présentés en annexepour ne pas alourdir ledocument.

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embauchées, réparties entre 515 178 entreprises. Concernant la répartitiondes zones franches dans le monde, on peut avancer les constatations suivantes :

L’Amérique du Nord et l’Amérique centrale (soit dans un espace allantdu Canada au Panama, Caraïbes non-comprises) concentrent le plus grandnombre de zones franches : 479. L’Asie arrive en deuxième position avec153 zones franches. Concernant le rapport du nombre de zones franchesà l’étendue territoriale, la zone Caraïbes présente en 2003 la densité la plusélevée, avec 93 zones franches. La zone « Amérique du Nord et Amériquecentrale », où l’on trouve le plus grand nombre de zones franches, neconcentre pas une aussi grande variété d’entreprises et d’emplois générés.En 2003, on recensait donc 8 462 entreprises (5) dans les ZFE de la zone,et 2 539 535 emplois.

Le rôle des ZFE : de la différence entre les théories économiqueset les réalités sociales

Dans la présentation qu’en font les économistes et les promoteurs deszones franches, les ZFE sont décrites comme des centres de croissance, dopantle processus d’industrialisation des pays en voie de développement etconstituant un échange de technologies entre les entreprises et le paysrécepteurs. Quatre points de définition du rôle que peuvent jouer les ZFEdans la sphère économique sont mentionnés en général dans les études faitessur les ZFE (Madani, 1999). Citons les trois points qui concernent la sphèrede l’emploi :– Les ZFE, en tant que pôles de compétitivité, créent des emplois et

libèrent ainsi les régions dans lesquelles elles s’implantent de la situationde chômage. Néanmoins, sans la libéralisation du reste du pays, les ZFErestent des enclaves dont la contribution économique est limitée.– Les ZFE constituent des zones d’expérimentation de l’économie de

marché mondiale, avec une priorité d’ouverture sur les marchés extérieurs.En tant que laboratoires, elles constituent une étape préalable à un éventuelélargissement au reste du pays. C’est le cas de la Chine.– Les ZFE constituent une source de technologies et de capital humain

transféré vers des régions qui en sont dépourvues. Elles participent ainsi àl’échange technologique et à la formation des travailleurs locaux. Elles sontcensées développer des infrastructures de meilleure qualité.Les rapports présentés par les syndicats libres relativisent cette vision

idéalisée des économistes. En ce qui concerne l’emploi, les ZFE ont souventété une source importante de création d’emplois, mais caractérisées par defaibles périodes de rotation du personnel. Ainsi, au Mexique par exemple,peu d’employés restent plus de cinq ans dans une maquiladora. Concernantles transferts de technologies et la formation du personnel local, il faut làaussi relativiser le propos. Dans nombre de cas, les entreprises amènent latechnologie avec eux et la remportent quand ils délocalisent. Les seuls cascontraires supposent un réel investissement de la part de l’Etat dans ses

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(5) Les principauxinvestisseurs sont lesEtats-Unis, le Canada,l’Union européenne, laCorée du Sud, Taipei, leJapon et Hong Kong.

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zones franches, ce qui est le cas de la Chine notamment. Mais dans nombrede cas, en particulier en Amérique centrale, les entreprises viennent et s’envont sans laisser d’autres traces que des pertes d’emplois. Quant à la formationdes travailleurs, elle existe, mais là aussi, ce n’est pas une vraie« formation » : les employés des ZFE sont formés à leur poste qui consistepour la majorité d’entre eux en des tâches répétitives. De plus, le CIOSL (6)souligne que la majorité des travailleurs des zones franches travaillent dansdes usines à basse technologie.En effet, même si certaines entreprises peuvent être considérées comme

des entreprises modèles en matière de respect des droits des travailleurs oude sécurité, beaucoup d’entreprises voient d’abord les conditions socio-économiques du pays qui leur propose d’investir. Le fort taux de chômagequi touche certaines de ces régions, par exemple, permet d’embaucher destravailleurs à bas salaire et de limiter la contestation. Ensuite, les exemptionsde lois du travail et l’application plus ou moins stricte de ces lois selon lespays sont autant de facteurs qui inciteront ou non un grand nombred’entreprises à s’y installer ou pas.

Les usages privés de ces espaces économiques :déborde ments, arrangements ou recadrage,le cas de l’Amérique centrale

L’Amérique centrale (Mexique compris) concentre à elle seule, pour lapériode 2000-2003, presque 5 millions des travailleurs dans les zonesfranches sur les 23 millions que l’on compte dans le monde (hors Chine),soit environ 21% de la population mondiale. Le pays qui concentre le plusd’emplois en zones franches est sans surprise le Mexique avec 1 212 125emplois directs et 3 100 000 emplois indirects (dont 60% de femmes)générés par les maquiladoras (soit environ 86% du total des emplois ZFEde la zone). En dehors du Mexique, le Nicaragua avec 340 000 emploisest le deuxième pays en nombre d’emplois, dont 90% sont des femmes.Le Honduras suit avec 135 000 travailleurs (75% de femmes) puis leSalvador et le Guatemala avec respectivement 76 000 (85% de femmes)et 72 000 (70% de femmes) travailleurs. Le Costa Rica, le Panama et leBelize ont une importance moindre quant au nombre de travailleurs enZFE avec respectivement 34 000, 18 000 et 1 200 emplois. Enfin, laRépublique dominicaine que nous présentons avec l’Amérique centrale (7)regroupe un ensemble de 154 000 travailleurs pour la même période dont53,1% sont des femmes.Les pays dont sont originaires les principaux investisseurs sont presque

toujours les mêmes, les Etats-Unis en tête, suivis de la Corée du Sud et deTaïwan. Les entreprises nationales sont quant à elles souvent représentéesdans les zones franches de leur pays. Les raisons invoquées par les différentspays pour investir en Amérique centrale sont diverses. Ainsi, les

(6) ConfederaciónInternacional deOrganizaciones SindícalesLibres.

(7) L’OIT classe laRépublique dominicaineen zone « Caraïbes ».

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investisseurs nord-américains évoquent avant tout un avantage au niveaudu coût de la masse salariale, tandis que les raisons qui poussent les Coréensà s’y installer résideraient plus dans les quotas d’exportation plusfavorables à destination du marché principal : les Etats-Unis.Selon le document intitulé Las zonas francas del Paraguay : Bases para

la Proyeccion Internacional y el Desarollo Competitivo (document du ConsejoNacional de Zonas Francas), les zones franches en Amérique centralereprésenteraient à elles seules environ 40% des exportations de la région(45,2% en 2001, selon le Conseil monétaire centre-américain). Ellesreprésentent plus de la moitié des exportations pour deux pays de la région(Le Salvador : 58,8% – Costa Rica : 51,7% (8)). Les deux pays danslesquelles elles représentent une part beaucoup moins importante dans lesexportations (9) sont le Guatemala (18,1%) et le Nicaragua (15,8%) (10).Elles auraient aussi généré plus de 354 000 emplois directs, soit 26% del’emploi total dans la région.La lecture de plusieurs articles de la presse centre-américaine nous permet

ici de constater l’opposition qui existe dans l’opinion publique entre, d’uncôté, ceux qui font une apologie de ces zones franches (comme sourced’investissements massifs dans le pays, de pôles de compétitivité nécessairepour que le pays rentre dans le système mondialisé de l’économie etgénératrice d’emplois et de croissance) et, de l’autre côté, les détracteurset critiques des ZFE qui y voient la légitimation d’évasions fiscales etl’existence de conditions de travail précaires.

Le non-respect des droits des travailleurs dans les zonesfranches d’Amérique centrale : plus qu’un problème d’exceptions,un problème d’application de la loi

Les différentes législations en matière de droit des travailleurs quirégissent les zones franches centre-américaines sont en général les mêmesque celles qui régissent le reste du pays, à l’exception du Nicaragua et duPanama. En ce qui concerne le Nicaragua, la différence consiste en uneexception qui donne aux tribunaux d’arbitrage la responsabilité de réglerles différends qu’il peut y avoir entre travailleurs et employeurs. Le cas duPanama consiste en une exception plus flagrante. Toute grève y est en effetsoumise à une période préalable d’arbitrage obligatoire. Cette période deconciliation est d’une durée de 36 jours, et les travailleurs grévistes quine respectent pas cette clause peuvent être légalement sanctionnés (lelicenciement étant en général la sanction). En plus de cela, les noms destravailleurs grévistes doivent être publiés. Néanmoins, le cas du Panamareste exceptionnel en Amérique centrale dans le domaine des loisdifférentielles appliquées aux ZFE.En effet, à l’exception du Panama et dans une moindre mesure du

Nicaragua, les droits de grève et de syndicalisation sont respectés dans lestextes de lois des différents pays de la zone, que ce soit dans les ZFE ou

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(8) Source : Rapport duConsejo MonetarioCentroamericano, 2001.Au Honduras, les zonesfranches représentent prèsde la moitié du volumetotal des exportations dupays (47,2%).

(9) Ibid.

(10) On peut ici fairel’hypothèse d’unesituation politique etsécuritaire plus instablepour ces deux pays, encomparaison de payscomme le Costa Rica.

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dans le reste du pays. Le respect de ces droits dans la pratique laisse en généralplus à désirer, et les violations dans ce domaine sont monnaie courante dansl’ensemble de ces pays, même si on considère certaines évolutions positivesen la matière ces dernières années comme au Honduras. Les principalesviolations des droits des travailleurs en Amérique centrale concernent avanttout la liberté syndicale, le droit de grève et les femmes (discriminationsà la grossesse, harcèlement sexuel).

L’Amérique latine, le continent qui recense le plus de violencesà l’encontre des syndicalistes

A la lecture des différents rapports produits par le CIOSL, l’Amériquecentrale présente une des plus fortes tendances à la violation de la libertésyndicale et du droit de grève. Si l’on élargit cette zone à la zone Amériquelatine en y ajoutant l’Amérique du Sud, c’est dans cette zone que l’on trouverale pays détenant le triste record de syndicalistes tués, et ce depuis denombreuses années : la Colombie. Ensuite, c’est en Amérique centrale quele CIOSL recense le plus grand nombre de menaces à l’encontre dessyndicalistes. Au regard des statistiques, l’Amérique latine apparaît à l’échellemondiale comme la zone la plus dangereuse pour les syndicalistes. EnColombie, le contexte de la guerre civile y est pour beaucoup. En Amériquecentrale c’est le reflet d’une zone marquée par l’impunité et où les règles(les lois) semblent n’exister que sur le papier. Les coupables des agressionsà l’encontre des syndicalistes soit ne sont pas recherchés par la justice, soitn’accomplissent pas leur peine. Le triste exemple d’un syndicaliste tué auGuatemala en 2003 illustre bien le propos : les assassins ont été retrouvés,jugés mais n’ont finalement jamais purgé leur peine. Ainsi, un certain nombred’employeurs n’hésitent pas à engager des groupes armés pour intimiderles syndicalistes et l’action syndicale en général : c’est le cas de la Républiquedominicaine.En dehors de la violence, les employeurs ont recours à un ensemble

d’alternatives pour empêcher la création de syndicats dans leurs entreprises.Une des menaces pratiquées par les entreprises des ZFE centre-américainesest la fermeture d’usine. Ainsi, durant les cinq premiers mois de l’année2006 au Guatemala, 20 de ces usines avaient fermé leurs portes,aboutissant à la perte de 5 000 emplois. Certaines usines ferment mêmeleurs portes pour une période de quelques mois afin de créer une pressionsur les syndicats et les rendre coupables des pertes d’emploi auprès del’opinion publique en cas de prolongement d’une grève, par exemple. Dansces conditions, l’activité syndicale est rendue très difficile. Sans parler icidu contexte international qui a poussé nombre de ces entreprises à délocaliseren Chine, une destination plus avantageuse au niveau des coups deproduction (11), pression supplémentaire sur les syndicats. Ensuite, il y ale cas des listes noires qui circulent entre les entreprises où figurent les nomsdes dirigeants syndicaux ou travailleurs affiliés à des syndicats.

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(11) C’est surtout le casces dernières années denombreuses maquiladorasau Mexique.

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Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables

Pourquoi les Etats concernés n’agissent-ils pas pour faire respecter lalégislation en vigueur ? D’un côté, on évoque le manque de moyens (personnelet finances) pour mener des inspections dans les maquiladoras ou pour fairepression sur ces entreprises. D’un autre côté, on parle du manque de volontéde faire appliquer la loi, expression souvent utilisée pour qualifier legouvernement de la République dominicaine notamment. Cette attitudereflète avant tout la volonté d’attirer et de garder les investisseurs.

Etre une femme dans les zones franches et maquilas centre-américaines : discrimination des femmes enceintes etharcèlement sexuel

Les discriminations concernant les femmes enceintes et l’orientationsexuelle des travailleurs (ou des prétendants à l’embauche) touchentparticulièrement les pays d’Amérique latine. A la lecture des rapports duCIOSL, les accusations concernant les femmes enceintes sont dans unegrande majorité reliées aux pays de cette zone, mais concernent aussi unautre pays latin hors Amérique, les Philippines. La première forme de discrimination est constituée par l’existence de

tests de grossesse. Les tests de grossesse pratiqués sur les employées ou surles prétendantes à l’embauche semblent être l’apanage des pays latins, etles employeurs des zones franches du Mexique, d’Amérique centrale et deRépublique dominicaine semblent y avoir fortement recours. Ainsi, auMexique et en République dominicaine, nombre d’employeurs ontrecours à ces tests avant la signature du contrat et pendant sa durée. AuMexique, ces tests sont réalisés malgré la loi en vigueur qui interdit ladiscrimination à la grossesse.Le CIOSL évoque le cas des lignes d’assemblage d’IBM à Guadalajara

qui incluent la grossesse dans « les motifs pour renvoyer une personne pourmotifs de santé ». Ainsi, les employeurs procèdent à des prises de sang etexcluent la communication des résultats. Ensuite, selon les employeurs,le réel motif de la procédure sera révélé ou pas à la personne concernée.Ceux qui ne le révèlent pas évoquent en général une procédure ayant pourbut de déceler des problèmes de santé qui pourraient être incompatiblesavec le travail.Les mêmes procédures ont lieu en République dominicaine. Les tests

de grossesse sont courants avant la signature d’un quelconque contrat avecl’entreprise de la zone franche. Comme au Mexique, la loi nationaleconditionne le renvoi d’une femme enceinte, l’entreprise doit alors faireune demande au ministère. Mais les employeurs arrivent en général àcontourner la loi en se fiant à des signes prématurés de grossesse chez leursemployées, telles que la baisse de productivité, la somnolence ou les nausées.Découvrir une grossesse grâce à ces signes prématurés leur permet alors delicencier l’employée concernée sans avoir à invoquer le motif de grossesse,ou du moins sans que celui-ci ne soit explicite.

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Aux Philippines, les employeurs procèdent de la même manière qu’enRépublique dominicaine. On pousse alors les femmes enceintes àdémissionner dès (ou avant) le quatrième mois, et on ne les réincorporepas à l’équipe après leur accouchement. Le fait qu’elles soient poussées àdémissionner (par des pressions) ne constitue donc pas un licenciementpour cause de grossesse.Concernant les discriminations basées sur l’orientation sexuelle, les

témoignages recueillis concernent principalement les maquiladorasmexicaines qui refuseraient l’embauche ou auraient licencié des travailleurshomosexuels. Néanmoins, on peut supposer que les discriminations de cetordre puissent avoir lieu dans d’autres pays de la zone, notamment auNicaragua, où l’homosexualité est tout simplement considérée hors-la-loidans la législation nationale.

La territorialisation des relations professionnelles : unespace intermédiaire ou l’impossible mise en ordre desrelations de travail selon un schéma unique

Dans le cadre de ce travail, nous avons analysé un corpus de plaintesrecensées par les différents organismes internationaux, par les journaux locauxmais également en suivant de près les rapports réalisés par « la junta deconciliación – les prud’hommes » – notamment au Mexique. Cettecompilation depuis une dizaine d’années a permis de lister un certain nombrede pratiques en discordance avec la législation en œuvre dans le pays et deconstituer un corpus, qui a été retranscrit et travaillé de façon thématiqueafin de faire émerger des catégories de violation du droit du travail. Nousavons confronté ce corpus aux législations en place en termes de droit dutravail dans les zones concernées. De plus, ce corpus est confronté auxdifférents terrains réalisés ces dernières années notamment au Mexique, enUruguay, au Maroc, en Argentine.

Plusieurs tendances sont à analyser en termes d’évolution du systèmede relations professionnelles.

La première relève du non-respect de la liberté syndicale

Lorsqu’on fait un recensement des différentes violations du droit dutravail dans un certain nombre de zones franches, il apparaît que dans laplupart des cas elles ont pour origine l’absence des syndicats ou les pressionsexercées sur ceux-ci. En effet, dans la quasi-totalité des cas de violation dudroit du travail (heures supplémentaires excessives rémunérées ou non,harcèlement sexuel, travail des enfants, licenciements abusifs, etc.), celles-ci ont lieu dans des ZFE où la liberté syndicale est faible, sous pression,bafouée ou tout simplement inexistante. En effet, les rapports qui font étatde l’apparition d’un syndicat dans les zones franches (ou quand lesconventions collectives sont respectées) dressent un bilan plutôt positif quant

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Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables

à l’amélioration des conditions des travailleurs mais aussi de la productivitéet de la qualité du travail effectué.

Dans un premier temps, il est important de préciser que dans la majoritédes pays dans lesquels on trouve des ZFE, la législation y est la même quecelle qui s’applique dans le reste du pays en matière de droit du travail. Lamajorité des textes de loi concernant les zones franches (ou leurs appellationsdiverses) insistent sur le respect des droits des travailleurs élaborés parl’Organisation internationale du travail (OIT) et du droit du travail en vigueurdans le reste du pays. Ainsi, la liberté d’adhérer à un syndicat, la libertéd’organisation et la liberté de création de syndicats est presque toujours stipuléedans les lois nationales concernant les zones franches. Il est en général indiquéque le non-respect de ces droits relatifs au code du travail sera suivi de sanctionsà l’encontre de l’entreprise fautive. Néanmoins, il existe des zones d’ombrequant à ces droits du travailleur dans certains pays. Ainsi, la notion d’exceptionapparaît dans certains articles des lois régissant les ZFE de certains Etats.C’est le cas par exemple de la Turquie ou de la République dominicaine.

Des «exemptions» par rapport à la législation nationale dansles ZFE de certains pays

L’OCDE cite le Département du travail des Etats-Unis qui fait valoir que14 pays au moins imposaient en droit et en fait des restrictions aux droitsdes travailleurs. « Une ou plusieurs restrictions à la liberté syndicale, au droitde grève et au droit de négociation collective ont été constatées au Bangladesh,en République dominicaine, en Malaisie, à la Jamaïque, en Inde et au SriLanka, notamment. Dans six cas seulement, la législation applicable dansles zones franches n’était pas la même que celle qui s’appliquait dans le restedu pays, ce qui témoigne bien de la volonté délibérée des autorités de rendreles normes fondamentales moins contraignantes dans ces zones. »

L’OCDE indique que quelques pays excluent les ZFE du champd’application de la législation du travail et des relations professionnelles,en citant les exemples du Bangladesh, du Pakistan et de Panama. Le BITsignale que des discordances ont été relevées entre les obligations prescritesdans les conventions ou la législation et la pratique des pays, notammenten ce qui concerne le droit de se syndiquer et d’adhérer à des organisations(Bangladesh, République dominicaine, Namibie, Nigeria, Pakistan, Togo),le droit de grève (Panama, Turquie) et le droit de négociation collective(Bangladesh, République dominicaine, Panama, Turquie), bien que lasituation se soit par la suite améliorée dans certains pays.

Enfin, dans certains pays, plus rares, la législation des ZFE est totalementdifférente du reste du pays comme dans les cas du Pakistan et de l’Iran.Au Pakistan, elles sont classées comme des secteurs d’activités de « servicesessentiels ». Cette appellation qui existe aussi en Inde désigne des zones dontl’activité est considérée comme « essentielle » (les définitions sont tout cequ’il y a de plus vague) par le gouvernement en charge de la province. La

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législation de ces zones interdit les grèves, les affiliations à des syndicatset les négociations collectives.

Un classement des usages et des détournements territorialisé

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(12) Concernant les casde la Namibie et duPakistan, le droit de grèveest strictement interdit.

Classement des pays selon le type « d'exceptions » en vigueur dans les ZFE

Lois…

... interdisant ou empêchant la formation de syndicats

... interdisant ou empêchant l'application du droit de grève

... donnant au « tribunaux d'arbitrage » le droit de gérerles conflits entre travailleurs et employeurs

... légiférant les heures supplémentaires différemment dureste du pays

... favorisant les investisseurs étrangers

... donnant des avantages à certains types d'entreprise(high tech)

Pays

Egypte, Nigeria, Togo, Inde, Sri Lanka (changements),Bangladesh (changements)

Égypte, Nigeria, Panama, Turquie, Namibie, Pakistan (12)

Nicaragua, Panama, Turquie, Madagascar

Maurice

Corée du Sud

Taïwan

Classement des législations ZFE selon le droit du travailen vigueur dans le reste du pays

Pays où la législation des ZFE en termes de droit du travailest la même que dans le reste du pays mais où desviolations du code du travail sont constatées

Pays où la législation des ZFE est soumise à des exceptionspar rapport au droit du travail en vigueur dans le restedu pays

Pays où la législation des ZFE est autonome du reste du pays

Afrique : Kenya, Madagascar, MarocAmérique : Costa Rica, Rép. dominicaine, Guatemala, Haïti,Mexique, SalvadorAsie : Chine, Sri Lanka

Afrique : Egypte, Maurice, Nigeria, NamibieAmérique : Nicaragua, PanamaAsie : Bangladesh, Corée du Sud, Taïwan

Asie/Moyen-Orient : Pakistan, Émirats-Arabes-Unis, Iran

Violations du droit du travail relevées

Type de violation du droit du travail

Travail des enfants

Harcèlement sexuel

Discriminations envers les femmes enceintes

Discriminations selon l'orientation sexuelle

Heures supplémentaires excessives

Heures supplémentaires non payées

Heures supplémentaires obligatoires

Salaire inférieur au salaire minimum

Violations du droit de grève

Violation du droit d'association et du droit de formationde syndicats

Pays

Bangladesh (Inde? Pakistan?)

Kenya, Mexique, Rép. dominicaine, Haïti, Bangladesh,Thaïlande, Philippines

Amérique centrale, Rép. dominicaine, Mexique, Philippines.

Mexique

Bangladesh, Inde, Chine, Madagascar, Maurice, Amériquecentrale, Rép. dominicaine.

Chine

Madagascar, Chine, Inde

Chine

Tous les pays cités ci-dessus

Pakistan, Namibie, Nigeria (10 ans), Turquie (10 ans)

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Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables

Quand la législation nationale en matière de travail s’appliqueaux ZFE, cela ne veut pas forcément dire qu’elle s’applique dansla pratique

On constate que dans une majorité de cas, violation du droit du travailne veut pas forcément dire lois d’exception dans les ZFE concernées. Eneffet, les zones qui ne pratiquent pas les lois d’exception ne sont pas exemptesd’infractions, bien au contraire. Une majorité de ces cas sont recensés dansce groupe de pays, les pays pratiquant les exemptions étant plus rares ennombre. Pour exemple, la majorité des pays d’Amérique centrale (à l’exceptionde Panama et du Nicaragua) et le Mexique ne font pas de distinctionlégalement entre législation nationale et législation des ZFE, et pourtantla zone est souvent citée pour les violations des droits du travail. Il en vade même pour le Sri Lanka ou les Philippines. Les principales différencesquant à l’application du droit du travail ne prennent pas leur source dansune législation différée, mais dans l’application et les violations de ces droits.La mesure du droit du travail dans ces ZFE ne se fonde au final pas sur laloi en vigueur, sinon sur la capacité (ou la volonté) ou non de l’Etat àpoursuivre les infractions à la loi.

La question des relations professionnelles

On pourrait citer deux raisons à cette non-application de la loi dansles ZFE :Dans un premier temps, le manque de moyens des Etats ne leur permet

pas de mettre en œuvre une solide inspection de ces zones : trop peu demoyens, trop peu de personnel et, qui plus est, souvent pas assez qualifié. Dans d’autres cas, on peut tout simplement supposer que certains Etats

ont pleinement conscience des violations des droits qui y ont lieu, mais ilspréfèrent fermer les yeux sur ces pratiques pour ne pas faire fuir les entrepriseset les investisseurs et leur donner envie de rester. C’est le cas de la Républiquedominicaine, par exemple : l’Etat est au courant des violations des droitsdu travail et du financement de bandes armées par les employeurs pourintimider les syndicats ; pourtant, le gouvernement n’a jamais entrepris depoursuites pour faire appliquer la loi. Dans d’autres cas, que l’on pourraitconsidérer comme plus graves, l’Etat (ou du moins certains de ses agents)sont complices de ces violations. L’implication de policiers au Guatemalaou au Bangladesh dans des intimidations et d’autres actions pouvant allerjusqu’au meurtre et la non-poursuite des auteurs concernés en sont unexemple.Il faut tout de même préciser que les entreprises des ZFE ne sont pas

toutes concernées par ces violations et qu’il n’y a pas que des entrepriseshors-la-loi. Il faut préciser aussi qu’à la lecture des différents documentset témoignages, les ZFE ne sont pas toujours les « pires » zones en matièrede droit du travail. Dans de nombreux cas, le non-respect des droits des

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travailleurs dans les ZFE est le reflet de la situation de ces mêmes droitsdans le reste du pays. Les enquêteurs admettent d’ailleurs que, dans certainscas, les conditions de travail y sont meilleures que dans le reste du pays (cequi n’est pas forcément un compliment...) comme dans l’étude de cas surle Bangladesh.Mais on pourrait tout aussi bien, au lieu de ne faire que recenser les

cas et les exemples multiples de violation, faire une hypothèse plussystémique. Celle qui consisterait à regarder la scène des relationsprofessionnelles comme un espace intermédiaire et un espace d’analyse. Par exemple dans la ville de Monterrey (Mexique), les procès aux

prud’hommes concernent exclusivement les entreprises dont le capital estd’origine nord-américain. Au moment de l’installation de l’entreprise, cen’est pas seulement le process de production qui est délocalisé maiségalement la pratique en termes de relations professionnelles au sein del’entreprise. Tant que les maquiladoras négociaient leur installation sur leterritoire en maintenant un gérant mexicain issu de la ville réceptrice etau fait des pratiques locales en termes de droit du travail dans ses pratiqueslégales mais également dans ses pratiques légitimes, on pouvait observerune relative amélioration des conditions d’emploi et des espaces denégociation possibles. La « gringosation » de la classe entrepreneuriale desmaquiladoras a modifié énormément les conditions d’installation de cesentreprises, y compris leur insertion et les conditions d’intégration dansun tissu local. Aujourd’hui, les maquiladoras s’installent toutes dans desparcs industriels réservés aux entreprises exportatrices, presque exclusivementen rupture avec le tissu local industriel, ce dernier étant plutôt situé dansles anciens espaces industriels de la ville. Ces parcs industriels (ou zones)sont complètement équipés en infrastructure, y compris hôtels et petitsvillages « gringo » pour assurer la sociabilité des cadres entre eux et de leurfamille, qui en général ne les accompagne pas. Mais il y a la possibilité descolariser les enfants dans ces villages gringos et de rester entre soi. En dehorsdes infrastructures, un bureau assure toutes les questions administrativeset fiscales d’installation, y compris et de plus en plus la fonction de gestiondes ressources humaines, le recrutement et même parfois la paye. Cetteexternalisation à outrance a permis de faire sortir de l’usine lespréoccupations des salariés, car l’absence d’un interlocuteur interne a permisde déléguer y compris la responsabilité sociale de l’entreprise en termesde formation, de salaires et de conditions de travail. De plus, et ceci esttrès inquiétant, cela a permis de mutualiser la connaissance des salariéssusceptibles de travailler dans ces entreprises, leurs trajectoires, les entreprisesdans lesquelles ils ont travaillé, leur parcours de travail, les licenciements,les conflits et leur appartenance syndicale. Cette externalisation a nui defaçon très brutale au modèle de relations professionnelles précédent, le sous-traitant et le réduisant uniquement à des conditions de recrutement et depaye.

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Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables

Un autre élément essentiel, peu étudié et pas assez souvent mis enrelation, est relatif au lien très prégnant entre conditions de productionet système de relations professionnelles. Dans les années 90, dans le tempsfort du développement de ces zones franches d’exportation, la « mode »était aux normes de qualité (ISO 9002 à 9004). Toutes ces entreprises quiavaient pour vocation l’exportation devaient passer sous les fourches caudinesde la certification, notamment pour assurer l’acheminement des produitssur le marché international. Cette vague de certifications a considérablementtransformé les conditions de production dans les usines, et notammentles conditions de travail. Cette certification a été mise en œuvre de façontrès assidue dans ces entreprises et notamment par les gérants locaux quiy voyaient l’opportunité d’asseoir le process de production, d’améliorerles conditions de production, de justifier de l’utilisation de fournisseurslocaux, d’organiser la formation des superviseurs, des techniciens, y comprisdes opérateurs… Cette certification avait permis de fait une consolidationdes départements de ressources humaines et d’ingénierie dans lesentreprises. C’est dans ce contexte-là que les syndicats se sont affaiblis,souvent car ils n’ont pas su relayer les revendications et sont devenuspratiquement absents des entreprises. Cette négation des syndicats a étéportée aussi bien par les gérants et les ingénieurs que par les opérateursqui ont trouvé au travers des normes de qualité des possibilités de négocierleurs conditions d’emploi beaucoup plus efficaces, prescrites immédiatementdans les différents manuels et évaluées. Cette vague de la certificationterminée à la fin des années 90 n’a pas été relayée par d’autres dispositifsfinalement aussi complets que ceux concernant la qualité. Les outils degestion qui sont entrés dans l’entreprise ont plutôt consisté en des outilsfinanciers et de contrôle et ont pénétré les entreprises sans le regard dessyndicats qui en étaient déjà sortis en quelque sorte.

Conclusion : affranchissement et exception au cœur desfrontières profitables

Quelles sont les conséquences d’un régime d’exception dans larecomposition des relations professionnelles ? Les ZFE, dispositif du travailmondialisé, ont finalement connu une diffusion exponentielle dans les paysen voie de développement. Ce dispositif se développe en utilisant lesfrontières profitables, car le régime d’exception fiscale associé à la fragilisationdes frontières permet son extension très rapide. Ces espaces économiquess’insèrent tout de même dans des processus historiques et géographiquesexistants, impliquant un développement hétérogène de ces zones selon lecontexte du pays d’accueil. Il n’en demeure pas moins que ces zones sontsoumises à des processus mondiaux observables ailleurs (que dans les ZFE) :l’externalisation de la gestion des ressources humaines et « l’illégitimité »des syndicats dans l’entreprise. Par contre, les scènes de la négociation

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collective n’étant pas un préalable à la question de l’installation desentreprises, on observe une cascade de violations. Malgré les prescriptionsde l’OIT, une gestion internationale des relations professionnelles n’est passuffisante, car cette gestion consiste seulement à enregistrer les plaintes. On peut lister rapidement, à partir des différentes études de cas, les formes

d’affranchissement en cours dans le cadre des maquiladoras. Si le principegénéral est de jouer sur les différentiels économiques, alors l’installationdes maquiladoras permet, premièrement, un affranchissement en termesde salaires (c’est le premier et il est à l’origine de l’installation des usinesà la frontière en 1965), deuxièmement, un affranchissement dans les tempsde production (notamment en termes de gestion des stocks), troisièmement,un affranchissement d’une partie du risque en faisant assumer aux entreprisessous-traitantes le risque économique et les fluctuations du marché. Et,quatrièmement, un affranchissement sur les formes d’emploi notammentles contrats de travail et les formes de salariat en subordonnant les régulationsdu marché du travail à « l’autre » (cas du Mexique).Ce qui est dominant dans ce jeu incessant sur les frontières et la

complémentarité ou les différentiels frontaliers, c’est la réinvention duconcept de division internationale du travail au travers non pas d’une logiquede subordination mais bien au contraire sous les fourches caudines d’unesoit-disant logique de projet qui est le référentiel en vogue dans les entrepriseset qui présente la question des différentiels non pas comme des formesd’exploitation mais comme des justificatifs organisationnels. Pour servirle projet en cours, on mobilise la question des temps, des lieux, destechnologies, de la main-d’œuvre pour aboutir à un produit ou un serviceefficace et efficient. La question latente des formes d’exploitation est doncgommée au profit d’une logique de complémentarités, avec toute unerhétorique de projet qui a le souci d’intégrer ces différents lieux, cesdifférentes temporalités, ces différentes technologies et personnels dans unseul et même processus. Ce gommage des différences valorisant de fait parle référentiel l’appartenance à un projet commun est basé dans ses fondementssur la question des différentiels. Dans ce cadre précis sont également privilégiées des installations dans

les zones franches standards qui peuvent accueillir différentes chaînes deproduction et d’assemblage. Livrés pratiquement clef en main, ces « hangars »de la production fournissent les lignes d’assemblage, les lieux de stockage,les installations de base permettant de fait un turn over des entreprises defaçon très fluide. Ce qui est promu, c’est le modèle de l’assembleur moderne,ce qui permet notamment d’intervenir sur un marché économique enréduisant la question épineuse des coûts de transport. Le modèle de zone franche ou maquiladoras permet donc notamment

de jouer sur plusieurs ressources : le territoire, la règle, le salaire et la capacitédu lieu à fournir une main-d’œuvre qualifiée. Pour conclure, nous pourrionsdonner la définition suivante des zones franches d’exportation industrielle

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Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables

frontalières : réaliser, sur un territoire défini par un cadre d’exceptiontemporaire, y compris au sein d’une même unité, des activités dont leslogiques financières, juridiques et économiques ne répondent pas aux mêmesrégulations. L’entreprise de ces zones est une entreprise recomposée, soitune unité composée et recomposée sans cesse au fil des contraintes, desopportunités, des marchés et profitant de l’exception et des formesd’affranchissement possibles.

Critique économique n° 25 • Automne 2009 127

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Références bibliographiques

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Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables

Annexe

(13) Comité de ZonasFrancas de Americas condatos de la OrganizaciónInternacional del Trabajo(2003).Comisión de laComunidad EconómicaEuropea (2002) yFederación Mundial deZonas Francas (2003).

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Quand on parle de ZFE cela concerne :

Désignation

Maquiladoras/maquiladora

Free Zones

Special Economic Zones

Industrial Parks/Free Zones

Industrial Free Zones

Free Trade Zones

Export Free Zones

Free Trade and Industrial Zones

Special Export Processing Zones

Export Processing Free Zones

Tax Free Factory

Bonded Zones

Free Zones and Special Processing Zones

Free Economic Zones

Industrial Estates

Points Francs

Pays

Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Mexique, Panama

Costa Rica, Émirats Arabes Unis, Honduras, Irlande, Trinidad etTobago, Turquie, Uruguay, Venezuela

Chine

Cameroun, Colombie, Ghana, Madagascar, Syrie, Jordanie

Colombie

Bulgarie, Chili

Jamaïque

Iran

Philippines

Togo

Fidji

Indonésie

Pérou

Russie

Thaïlande

Cameroun

Source : Legislation and Publications of Governments and EPZ authorities.

Répartition des zones franches dans le monde (13)

Pays Nombre de Nombre Entrepriseszones franches d’emplois installées

Afrique du Nord 16 440 465 3 395

Afrique sub-saharienne 49 431 348 477

Océan indien 2 127 509 693

Moyen-Orient 38 691 397 7 429

Asie 153 40 738 884 475 176

Amérique du Nord 479 2 539 535 8 462et Amérique centrale

Amérique du Sud 68 205 225 7 465

Caraïbes 93 220 803 1 000

Pays en transition d’Europe 93 245 619 5 622centrale et de l’Est

Pacifique 14 13 590 96

Europe 67 50 830 5 363

Total 1 072 45 705 205 515 178

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Delphine Mercier

Lois des ZFE qui diffèrent de la législation nationale en Amériquecentrale

Nicaragua : « La loi sur la promotion des investissements étrangers, quirégit les zones franches, réaffirme le respect de la constitution et de lalégislation nationale, mais ouvre néanmoins une manière de les contourneren autorisant que les différends, controverses ou plaintes soient élevés devantun tribunal d’arbitrage. » Panama : «Dans les maquiladoras, tous les conflits du travail sont soumis

à l’arbitrage obligatoire. Une grève n’est considérée légale que si l’on a observéune période de 36 jours ouvrables de recherche de conciliation. Si cettecondition n’est pas remplie, les travailleurs en grève peuvent êtresanctionnés ou licenciés. La loi qui régit les zones franches d’exportations’applique également aux centrales d’appel. »

Violations du droit du travail

République dominicaine : « Si le code du travail est d’application dansles zones franches d’exportation (ZFE), le gouvernement n’a fait aucun effortvéritable pour veiller à ce que la législation du travail y soit appliquée. Lesemployeurs ne respectent que rarement les décisions du tribunal du travaillorsque celles-ci leur sont défavorables. Les employeurs refusent de reconnaître les syndicats et ont recours à

toutes sortes de stratagèmes pour en empêcher l’organisation ou dissoudreles organisations existantes. Ils distribuent par exemple des listes noires demilitants syndicaux pour les empêcher de trouver un emploi. Certainesentreprises, lorsqu’elles recrutent du personnel, ont recours à des agencesspécialisées chargées de rejeter tous les militants syndicaux ou défenseursdes droits de l’homme, etc. Là où des syndicats sont en place, leslicenciements de dirigeants et militants syndicaux ne sont pas rares.Autrement, les employeurs se livrent à des campagnes de discrimination,de menaces et d’intimidation permanentes. » Guatemala : « Dans les ZFE, l’application de la législation du travail est

particulièrement faible, et jusqu’ici une seule convention collective a étésignée dans les maquilas guatémaltèques. L’absence de volonté politiqueest mise en exergue par l’incapacité du ministère du Travail à contrôler lesabus commis par les employeurs de ces secteurs. La mobilité quicaractérise ces investissements est un des facteurs qui rendent difficile lacréation de syndicats dans ces zones franches. À titre d’exemple, rien qu’aucours des cinq premiers mois de 2006, 20 usines avaient fermé leurs portes,laissant environ 5 000 personnes sans emploi. » Haïti : « La zone franche de la CODEVI (Compagnie de développement

industriel) a été établie en août 2003 dans la ville d’Ouanaminthe, à lafrontière avec la République dominicaine. Elle est administrée par l’entreprisevestimentaire, Grupo M. L’entreprise, dont le siège se situe en République

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Affranchissement et exception au cœur des frontières profitables

dominicaine, a construit l’usine grâce à un prêt de 20 millions de dollarsde la Société financière internationale (SFI), la branche de la Banquemondiale qui octroie des prêts au secteur privé. Ce prêt était conditionnéau respect par l’entreprise de la liberté syndicale et du droit de négociationcollective. Cependant, les droits des travailleurs sont régulièrement enfreintset des tentatives pour former un syndicat ont entraîné des licenciements,et notamment un licenciement massif de 350 travailleurs en juin 2004. Cettesituation semble aujourd’hui avoir changé. À la suite d’une campagnenationale et internationale, les travailleurs ont été réintégrés, le syndicat aété reconnu, et une convention collective a été signée à la fin de 2005. Les cinq parcs industriels qui se trouvent dans la capitale haïtienne ou

à sa périphérie ressemblent fortement, en termes de droits syndicaux, à lamajorité des ZFE implantées dans la région des Amériques ; la seule véritabledifférence étant leur nom et le fait qu’ils offrent aux investisseurs peud’incitants fiscaux. Les syndicats n’y sont pas les bienvenus et les organisateursse trouvent confrontés à des mesures d’intimidation. Les travailleurs del’industrie vestimentaire, qui sont principalement des femmes âgées de 25à 35 ans, sont poussés en raison de leur pauvreté à accepter des salaires allantde deux à trois dollars cinquante par jour, soit trois fois moins que dansla République dominicaine voisine. »Mexique : «Maquiladoras: opposition à l’établissement de syndicats

démocratiques. Les maquiladoras continuent d’exploiter la main-d’œuvrelocale, et de plus en plus de travailleurs indigènes viennent grossir les rangsde cette main-d’œuvre précaire. Les maquiladoras – présentées comme « unmal nécessaire » pour abaisser le chômage – sont synonymes d’heuressupplémentaires non rémunérées, de harcèlement sexuel, de discriminationà l’embauche, d’absence complète d’hygiène et de sécurité et delicenciements arbitraires. En outre, la syndicalisation y est impossible. Lamajorité des maquiladoras changent de lieu sans verser à leurs employésles indemnités qui leur sont dues. Un autre problème systématique est lelicenciement des femmes enceintes. Les maquiladoras sous-traitent leurstravailleuses afin d’échapper à toute responsabilité. Des listes noires circulentrégulièrement entre les usines, avec les noms de syndicalistes qui ne doiventpas être recrutés. Ce secteur connaît aujourd’hui la pire crise de son histoire,des centaines de maquiladoras ayant quitté le Mexique pour s’installer enChine ou en Amérique centrale. » Nicaragua : « Les pires violations se produisent, comme c’est souvent le

cas, dans les zones franches d’exportation (ZFE). Six pour cent à peine dela main-d’œuvre est syndiquée, en grande partie en raison de l’hostilité dupatronat à l’égard des syndicats. Très peu de syndicats dans ces zonesdétiennent un réel pouvoir de négocier collectivement. Les travailleurs nesont pas représentés à la Commission nationale des ZFE. La structure juridico-économique qui est le fondement de ces

entreprises est en grande mesure au cœur des difficultés de croissance et

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Delphine Mercier

de renforcement des rares syndicats qui y existent ou de la constitution denouvelles organisations syndicales. La volatilité du capital investi se traduitpar une durée de vie très courte des entreprises, qui très vite fermentdéfinitivement. Ce phénomène implique une situation chroniqued’instabilité professionnelle. La simple éventualité de perdre son emploisi l’entreprise est amenée à disparaître est en soi la menace parfaite pourmuseler les travailleurs et empêcher leur syndicalisation. Chaque fermetureannule dans les faits tout effort de syndicalisation qui aurait été réalisé dansl’entreprise. En novembre 2006, la fermeture de 20 maquilas avait étéenregistrée depuis le début de l’année, correspondant à 5 000 emplois. » Salvador : « Zones franches d’exportation : facilités pour mettre en œuvre

une politique antisyndicale. Bien que le droit de négociation collective soitreconnu par la loi, il ne s’applique pas dans les zones franches d’exportationen raison d’une très importante discrimination antisyndicale exercée parles employeurs et de l’abandon de la part du gouvernement de saresponsabilité de défendre le droit de négociation collective des travailleuseset travailleurs des zones franches. Toute tentative de syndicalisation estréprimée et les travailleurs sont menacés de licenciement s’ils essaient deformer un syndicat ou d’y adhérer. Les employeurs aiment également recourirà la menace de fermeture et de licenciement collectif. Les « stimulants » ou régimes préférentiels dont profitent ces entreprises

contribuent à susciter et à protéger de telles politiques antisyndicales. Les« maquiladoras » peuvent cesser leurs opérations au moindre risque de voirleur marge bénéficiaire affectée par des revendications syndicales. Ellesn’hésiteront pas, dans de tels cas, à faire porter le fardeau de leurs dettesaux travailleurs et à l’Etat. Lorsqu’une telle situation survient, il est impossibled’intenter une action en justice en l’absence de la partie défenderesse. Iln’existe pas, non plus, de fonds permettant à l’Etat d’assumer l’octroid’indemnisations aux travailleuses et travailleurs lésés. Avec l’entrée envigueur de l’ALE, des dispositions en ce sens semblent exclues à l’avenirdès lors que cela fait partie des garanties concédées aux investisseurs. »

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