alcais. figures et récits de carthage chrétienne, études sur le christianisme africain aux iie et...
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8/7/2019 Alcais. Figures et rcits de Carthage chrtienne, tudes sur le christianisme africain aux IIe et IIIe sicles. 1908. N58
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Alcais, Abel. Abel Alcais. Figures et rcits de Carthage chrtienne, tudes sur le christianisme africain aux IIe et IIIe sicles.... 1908.
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THAGE CHRETIENNE
AUX
3UXIMBET TROISIMESICLES
ILLUSTRATION8 HORSTEXTE
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-FlGlmKS ET HKCITS
DK
CAItTHAGE CHRTIENNE
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.Imprim par les soins
de la Socit des Publications morales et relit/ieusesde Toulouse.
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AuuthT,phol.UPSANCIENSPOKTSDECARTHAOK.
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Afoel ALCAI8
FIGURES ET RCITSDE
CAMHAGE CHRTIENNE
TUDES^- - SURLE
CHRISTIANISME AFRICAIN AUX II* ET III* SICLES
ILLUSTRATIONSHORS TEXTE
PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHERtocttrt AXOSTXE
33, RVB DR SBIMB, 331908
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PRFACE
Sous Veffort de la France, la Tunisie, cetteancienne Afrique des Romains, se rveille
aujourd'hui d'un sommeil de quatorze sicles.
A qui parcourt dsormais ses vastes tendues,c'est plaisir de voir l'animation des labeurs
fconds et le bruit de la vie y succder la
lourde torpeur d*>ssicles couls.
Les espaces mornes s'gaient et l de
moissons opulentes et de pampres verts, et le
Franais qui les contemple se sent au coeur un
peu de fiert nationale en songeant que cette
trs vieilleterre,
une de cellesque
les hommes
ont le plus ardemment pilines, et que l'Islam
avait laiss tomber une dsolation de mort, le
clair gnie de notre pays s'emploie la vivifier,en enfonant dans ses sillons les racines d'une
conqute autrement sre et lgitime que celle des
armes.
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PHPACE. IX
confiants, de mener une tche de longue haleine,
trop tt interrompue par des devoirs imprieux,
et servir peut-tre au milieu de nous la causedu spiritualisme vanglique, par les penses que
suggre la vie si tourmente d'une des plus
grandes F g lises des temps anciens.
A vrai dire, s'il serait videmment impossible,dans l'tat prsent de nos connaissances, d'crire
une histoire complte des Eglises d'Afrique,celle de Carthagc chrtienne elle-mme, traverse
tour tour a"ombre et de lumire, se drobe
trop souvent au regard, aprs quelques vives
claircies, pour que, ds prsent, on puisse
prtendreen reconstituer rien de
plus qu'undessin fragmentaire, des lignes trop vite brises.
Du moins, la priode de moins de cent ans
o se renferment ces quelques tudes est-elle
plus qu'aucune autre, grce aux ouvrages quirestent de Terlullien et de Cyprien, suffisam-
ment claire, malgr tout, pour qu'ilsoit
pos-sible d'en dessiner les traits essentiels.
Esprons que, des travaux de l'pigraphie
africaine, que poursuivent sans relche, sur les
traces de leur vieux matre, cet pigraphiste de
gnie que fut fjon Renier, une pliade de
savants archologues, aids du bon vouloir de
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X PHPACE.
tous ceux que stimule en Afrique la hantise
d'un grand pass, et de l'appui de Cfilt, un
ensemble de 'donnes nouvelles se dgagera peu peu, qui permettra un jour, dans une certaine
mesure tout au moins, de combler des vides
bants et de fixer des points obscurs dans l'his-
toire sociale, conomique et religieuse de l'Afri-
queancienne. Nulle
part, plus que pourune
pareille tche, la science historique et le patrio-tisme ne sauraient se donner la main.
Au surplus, il est superflu de dire que si, dans
ces tudes, on a toujours pris soin de s'appuyerde l'autorit indiscute des savants qui, en ces
derniers temps, ont consacr tAfrique duNord des ouvrages de grande valeur, men-
tionnons ici tout spcialement le grand ouvragede M. Paul Monceaux, rcemment coure nn par
l'Institut, sur /'Histoire littraire de l'Afriqueancienne (Paris, Ernest Ijeroux, 190$), qui
nous fut, en maintes rencontres, nous tenons le dire ici, un guide singulirement prcieux nous n'avons point eu la prtention de faireune oeuvre de pure rudition, ni mme de tho-
logie (\).
(1) Parmi les publications rcentes sur l'ancienne Afrique
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XII * PRFACE.
transformations magnifiques et des dvouement'
hroques qu'il a produits, en Afrique commeailleurs, que par la comparaison suggestive, qui
toujours s'impose, du christianisme du Christ,
si admirablement simple dans son immuable
grandeur, parce que divin, avec les pdles copies
qu'en ont essayes successivement les diverses
glises qui se sont rclames de lui.Et notre souhait se trouverait exauc si quel-
ques-uns, en fermant ce livre, se sentaient
presss de redire, avec plus de conviction rfl-chie et plus de ferveur : A qui irions-nous
qu' toi ? Tu possdes seul les paroles de vie
ternelle ! //sera bitn permis l'auteur de ces rcits
d'Afrique d'en offrir ici la primeur quelqu'un
qui lui tient de fort prs : sa femme, en sou*
venir des six annes vcues l-bas ensemble, des
joies et des tristesses qu'elle y a tour tour
connues, des labeurs dont elle a pris toujourssilencieusement plus que sa part, jusqu'aumoment o, ses forces physiques ployant sous
l'preuve, la maladie vint arrter l'oeuvre com-
mence dans la joie.A. A.
Never*, 7 juin 1907.
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LA VIK A CAHTIIAGK
AUSKCO.NDM&CLK
ET LA PROPAGANDE CHRTIENNE
Les Romains recueillaient en Afrique le
fruit de leurs persvrants efforts. Une re
de prosprit admirable s'tait leve sur tout
le pays. Les fouilles rcentes et la pioche de
nos colons font surgir de toutes parts des
vestiges qui attestent une abondance inoue.
Ce magnifique essor de In colonisation avait
fait natre dans toute la province des gots et
des besoins nouveaux. Les mosaques du
Bardo nous laissent entrevoir un coin de cette
vie antique : scnes champtres, chasses,poches, riche maison de matre, corps de
ferme avec ses dpendances, curies pour les
chcvaux'dc course, de selle, de trait, de labour;
tabies bestiaux, celliers et pressoirs; popula-tion d'esclaves sous leurs gourbis de chaume,
bref, une existence d'abondance et de bonheur
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2 PIOURKSKT RCITS
tranquilles au sein d'une longue paix assure.
Les villes rivalisaient d'embellissements et
de jeux : le sentiment municipal n'a t nulle
part plus ardent qu'ici. Beaucoup possdaientdes coles o se donnait un bon enseignement
classique. On parlait couramment les dialectes
du pays dans l'intrieur, le latin et le grecdans les villes de la cote. De la fusion plus
ou moins complte des races en prsence,phnicienne, berbre, latine, tait sortie a
prsent une bourgeoisie riche, ordonne, fort
prise des biens de la civilisation, o l'on
tait fier de se dire citoyen romain, o Ton
prenait fort au srieux le moindre honneur
municipal, o l'on s'vertuait A donner tout,A son genre de vie, A sa demeure, mme au
nom indigne qu'on portait, un air et un ca-
chet romains (I).Ces bourgeois de province, d'ailleurs, taient
parfois des philanthropes clairs, comme celui
qui donna un jour A la ville de Sicca-Vcneria(Le Kef) \ 300 000 sesterces pour que, avec
1'inlrcl A 5 p. 100, elle nourrit chaque anne
300 garons et 200 filles pauvres de trois A
quinze ans (2).
(1)V.
Gaucklcr,Archol. de la
Tunisie, p.57 et
suiv.,cl G. Boissier, Afrique romaine, p. 330.(2) Gurin, Voy. en Tunisie, t. II, p. 59. Certaines
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< DE CARTHAGECHRTIENNE. 5
de Mgara (Marsa), de riches demeures au
milieu de jardins embaums, des villas enca-
dres de verdure, des asiles d'ombre et defracheur.
Mais c'tait de la colline de Byrsa, du hautde l'escalier monumental qui accdait au temple
d'Eschmoun-EscuIape, qu'on embrassait d'un
large coupd'oeil tout le panorama de Carthage.Ce
qui frappait d'abord,c'tait la
dispositionsymtrique et l'ordonnance d'un plan rgulierunie au pittoresque des dclivits du terrain.
De grandes avenues bordes de colonnades,ornes de statues, traversaient la ville en se
croisant A angle droit. Cette distribution rgu-lire, ces
aspects grandioses,ces
perspectivesouvertes tour A tour sur la nappe bleue du
golfe et sur l'intrieur des terres devaient
donner A Carthage un caractre unique, un
charme souverain. Si l'on se tournait vers le
golfe, l'oeil s'gayait du mouvement des voiles
qui le sillonnaient en tous sens : barques de
pche, galres armes, lourds transports chargsde Yannone. En avant du vieux port, grouillantde foules bigarres, matelots syriens, mar-
chands'grecs, courtiers juifs, portefaix ngres,esclaves de tous pays, rgnait une immense
ligne de quais o s'entassaient les bls de Nu-
midie, les huiles de toute la contre, les mar-2
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i DE CARTHAGECHRTIENNE. 7
ment de tant d'autres difices fameux alors :
Thermes, Places, Tribunal, Stade, Palestre et
coGymnase
oprofessaient
dovant l'ardente
jeunesse d'Afrique des matres comme Apolli-naire et Apule, plus tard Cyprien et Augus-tin, o djA Tertullien aiguisait le glaive tin-
celant de sa dialectique emporte. Du moins,on peut bien penser que ces monuments ne le
cdaient en rien aux autres et no faisaient pointtache dans la grande cit de lumire et de
marbre.
Aussi, quel amour les Carthaginois avaient
pour leur ville et quelle sduction elle exeraitsur tous les trangers! Un de ses visiteurs,bion plus tard, en faisait le tableau que voici,
vrai djA A l'poque des Antonins : Parmitant do cits de la contre, il en est une quitait la reine et comme la mre des autres...
je parle de Carthage... la Rome du monde
africain. Toutes les grandes institutions poli-
tiques, tout ce qui concerne l'administration
ou le gouvernement, elle renfermait tout. \A\se trouvaient tous les services publics, IAtaient
des coles pour tous les arts libraux, pourtoutes les sectes philosophiques, des gymnasesde tout genre pour l'lude des langues et des
moeurs ; IAaussi rsidaient des corps de troupes
et les grands chefs militaires. LA demeurait
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8 FIGURESET RCITS
le Proconsul, ce matre et ce juge souve-
rain... (1)
Maintenant, repeuplons ces rues, ces places,ces monuments; remplissons-les du bruit, dos
gestes, des voix, enfin de touto cette vie ar-dente des hommes qui les ont anims autrefois
do leurs passions, do leurs penses ot do leurs
rves : alors nous verrons so dossiner devant
nos yeux les traits ossentiols do la physionomiomoralo do Carthago vers le milieu du second
sicle.
C'est uux muses do Carthago et du Bardo
qu'il faut aller relire, pour en goter touto la
saveur, les descriptions des auteurs du temps
sur les moeurs de Carthago. Devant ces mosa-ques, ces bas-reliefs, cos inscriptions, la foule
do ces menus objets touchs par la main mme
de leurs contemporains, leurs peintures s'ani-
ment soudain d'une fracheur do coloris et d'un
air de vrit saisissants; le rapprochement
suggestif des donnes du livre avec celles dela pierre donno la sensation et comme la vision
do la vio A Carthago il y a dix-sept sicles.
G race aux fouilles rcentes, nous pouvons nous
reprsenter ces villas somptueuses des quar-tiers aristocratiques de Mgara. Voici, par
(1) Salvieu, De Gub. Dei, VII, 67, C8.
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DE CARTHAGECHRETIENNE. 0
exemple, cello d'une grande famille africaine,
les Laberii, d'Uthimi (Oudna). La ported'ontro, encadro par doux colonnes doriquos,donne accs dans une premire pice dallo do
grandes dimensions : c'est la salle do rcep-tion. Elle ne communique avec le reste du logis
que par une seconde porto intrieure. Les ap-
partements privs sont distribus autour d'uno
cour centrale rectangulaire, orne do fontaines,
d'arbustes, et ceinto d'un pristyle aux cou-
leurs peintes. La dcoration de ces appartc-monts do matre est des plus riches : pave-ments de mosaques prcieuses, souvent en ftdo verro maill; les murs revtus do marbres
multicolores encadrent des fresques et des
peintures ; les plafonds et les votes sont en
stucs ouvrags, cisels au fer... ; partout l'air,la lumire, tandis quo des eaux vives, jaillis-sant des fontaines dans des vasques en marbre,alimentent des bassins et assurent la fracheur
des appartements dans les ardeurs de Tt (1). La vie qu'on menait dans ces riches de-
meures, animes du va-et-vient d'uno popula-tion d'esclaves, tait certes une grande vie, o
tout parlait de jouissances et de /tes, o touttendait au raffinement des aises, aux molles
(1) Gauckler, Archol. de la Tunisie, p. 57.
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10 FIGURESET RCITS
dtentes de tout l'tre dans toutes les formes
de la volupt, aux enchantements d'uno exis-tenco aimable sous un ciel d'azur, o flans une
atmosphre sature do plaisir, les sens se gri-saient do parfums, de couleurs et de sons ; o
les Ames, enfin, s'imprgnnionl de ce sensua-lisme ardent qui restera la marque du temp-
rament africain.Dans ce cadre, il faut placer A prsent les
portraits d'Apulo : tout ce monde lgant de.
dsoeuvrs et do viveurs, ces amateurs debonne chre et do vins fins, ces enrichis auluxo tapageur, ces gros banquiers carthaginois,
ces hauts fonctionnaires de Rome et ces offi-ciers qui venaient apporter dans ces milieux
provinciaux, avec le prestige de leurs titres ou
de leur costume, les manires, le ton, la der-
nire mode de la capitale. Nous nous figuronsA merveille, nu milieu de c; luxe, cet enrichi
accapareur d'hritageset
usurier,tout alourdi
au sein do son bien-tre : L'heure du repasvenue, on sort les coupes de cristal ornes de
pierres prcieuses; on dresse les lits dors re-
couverts de tapis et d'oreillers de plumes o
s'enfonce de tout son poids l corps volup-tueux...
(I)
Un bas-relief deCarthage
nous
(1) Kp. ad Donal., 13.
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DE CARTHAGECHRTIENNE. 11
fait voir la toilette d'une grande dame, et, de-
vant une aussi laborieuso opration, nous sa-
vourons mieux ces traits d'un crivain du
temps : On met sur uno robe dix mille ses-
terces, on pose sur sa tte des Mes, des conti-
nents; de gros revenus pendent A une oreille;
chaque doigt de la main porte une fortune...
Le poids de tant do trsors sur un frle corps
do femme (1)! >N'allons pas croire toutefois qu'on no connt
point A Carthago des plaisirs plus relevs.
D'abord, cette socit mondaine elle-mme, si
jouisseuse qu'elle ft (2), avait le got, non
seulement des distractions du thAtre, mais
des plaisirs littraires, des questions d'art, tletoutes les discussions d'cole A l'ordre du jour,des concours de posie et d'loquence quiavaient lieu frquemment et quo prsidait par-
Ci) Tertullien, De citltti fem., I, 9.
(2i Faut-il dire plus? Avons-nous le droit de la direpourrie d'intemprance? Satvien l'a fait pour la Car-thage du Vesicle. Mais,outre ce qu'il y a toujours d'excessifdans ces sortes de gnralisations, le tmoignage de Ter-tullien lui-mme nous arrtera pour la Carthage de cetemps : Ne calomnions pas la chastet de la femmepaenne, il n'est pas rare qu'elle s'interdise le mal!...(De cultu fem., II, 1); mais, cela dit, nous n'oublions pastoutefois que le sicle des Antonins a t aussi celui d'Ha-
drien et de l'infme Antinous, auxquels tout l'empire levides statues I
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12 FIGURESET RCITS
fois le Proconsul en personne. Mais Catibagetait, en outre, une ville savante de premier
ordre, pourvue de riches bibliothques, dotede grands tablissements d'instruction o s'en-
seignaient tous les ordres do connaissances,
grammaire, droit, mdecine, peinture, surtout
la rhtoriquo et la posie (I). Toute la jeunesse
d'Afrique venait tudier A Cartilage, qui pos-
sdait, seule dans la province, avec tous lesinstruments de l'instruction suprieure, des
matres renomms, et dispensait seule aussi la
gloire et les honneurs, surtout si l'on avait,
comme Apule, les qualits et les dfauts in-
dispensables pour tre un rhteur applaudi.
Les relations do Carthage taient constantes,non seulement avec Rome, mais avec la Grce
et tout l'Orient. Le grec tait alors, au moins
autant que le latin, la langue des gens cultivs
de l'Afrique. Aussi, toutes les sectes philoso-
phiques, toutes les coles o s'agitaient alors
les problmes sur la nature divine cl ses rap-ports avec l'humanit, avaient-elles ici leurs
reprsentants rivaux, parmi lesquels les im-
portateurs des thories mananistes du no-
(1) Sur l'intensit d* cette vie intellectuelle, v. Us Afri-cains, par Paul Momenux, Paris, 1891, pp. 58-77, et
L'Afrique romaine, pp. 207 et suiv., par G. Boissier,Paris, 1901.
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DE CARTHAORCHRTIENNE. 13
platonisme et des thosophies orientales obte-
naient une vogue chaque jour grandissante
auprs do ce monde africain, qui trouvait IA Asatisfaire tout A la fois ses ardeurs d'imagina-tion, ses curiosits du mystro et ses instincts
do mysticisme sensuel. Certes, lorsqu'on se
figure cette Carthage si pleine de vie, o af-
fluait de tous les points de l'Afrique une ar-
dente jeunesse prise do savoir, veille Atoutes les curiosits de l'esprit, assise tour A
tour au pied des chaires des matres les plusdiffrents, on est mieux prpar A comprendrela personne ot l'oeuvro d'hommes tels quoTer-tullicn, Cyprien, Augustin.
Mais sous ce inonde de riches oisifs ou dolettrs curieux, il y avait A Carthage, comme
en tout pays, la multitude obscure des petitesgens, la masse des travailleurs peinant tout le
long du jour sur leur gagne-pain. Descendons
vers ces bas quartiers de la ville o grouille
une populace trangement bigarre, o so par-lent tous les patois drivs de toutes les lan-
gues, o s'exercent tous les mtiers : savetiers,
fondeurs, tisserands, corroycurs, menuisiers,
potiers, d'autres aussi moins avouables ; places
publiques o prorent des sauteurs de corde
et des saltimbanques; tavernes ploincs de ma-telots; choppes bruissantes de labeur; carre-
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H FIGURESET RCITS
fours encombrs de dsieuvivs, o les voix
railies do vieux Juifs vendent leur friperie,leurs camelotes, leurs onguents; o des devins
d'Egypte interprtent les songes, voquent les
dmons, tendent au plus ofirant d'infaillibles
recettes, des malfices redouts (I). Sur la vio
do tous ces pauvres gens, de cette plbo pro-vinciale dont les maigres paules supportaient
l'empire, les auteurs de l'antiquit sont en g-nral d'un mutisme absolu ou d'un laconisme
fort sec. Apule lui-mme, ce grand bavard,ne nous montre que des mendiants fripons,des esclaves hAtonns, I\V.A voleurs tle grandchemin; son IhAlro populaire n'est qu'un
thAtre forain. Pourtant, on entrevoit dans laphysionomie complexe de ce peuple de Car-
thage un trait caractristique do son tempra-ment. Ce got si vifdes plaisirs dans la riche
socit se traduisait dans le peuple par un
amour maladif de l'amphithAtrc. Nulle part
peut-tre dans les autres grandes cits de l'em-pire, si prises pourtant de ces divertissements,les arnes n'ont retenti autant qu'ici des accla-
(1) On voit au muse de C'aithapcdt* lamelles d*plombtrouves dans les tombes : ce sont des formules d'impr-cation contre un rival, un ennemi i on priait le mort de lesremettre aux diei\ infernaux
pourleur ralisation.
Saint Augustin lui-mme, bien plus tard, croyait cesmalfices(De Civil. Dei, c. 18).
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DE CARTHAGECHRTIENNE. 15
mations frntique* des foules devant les com-
bats dit gladiateurs. Jamais sans doute des
yeux humains ne se sont repus avec autant dedlices que ceux de ces Africains de ces spec-tacles effroyables, de ce sang coulant, de ces
visages convulss, de ces os craquants, de ces
corps pantelants, abattus sur le sable dans un
dernier spasme nerveux. Quelqu'un qui, dans
cet amphithAtro mme de Carthago, en res-sentira plus lard l'atroce jouissance, en a d-
crit l'enivrement dans une pago inoubliable,
o passe la vision de celte fureur hystrique
qui s'emparait do ces roules penches avide-
ment sur ces scnes d'horreur : Aussitt
qu'il eut vu ce sang, il but A longs traits* lafrocit de ce spectacle, il y plongea ses yeux,il en savoura inconsciemment la fureur, et,enchant de ce criminel combat, il s'enivra
d'une sanglante volupt... Il regarda, il cria,il s'enflamma, il sortit de l avec un dsir fou
d'y revenir! (I) Cette fureur de l'amphithtre, entre comme
un virus dans la vie de ce peuplo et mle peuA peu A son sang, s'tait rpandue dans toute
l'Afrique, o bientt les moindres bourgadeseurent leurs jeux publics, comme chacun de
(I) Saint Augustin, Confess., VI, 7.
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10 FIGURESET RCITS
nos villages du Midi a actuellement ses courses
tlo taureaux. Ecolo terrible pour ces popula-tions africaines, qui venaient nourrir IA et
exasprer leurs instincts violents de sensualit
et de passion, et dont la physionomie y con-
tracta un pli amer do duret qui ne s'eflaa
plus.
Il
Les religions Carthage. I
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' DE CARTHAGECIIRTIENNB. 17
dressaient cto A cote les (rois grands templosnationaux du Panthon romain : Jupiter,Junon, Mercure. C'ost dans ces sanctuaires quese clbraient priodiquement, avec toute la
pompe impriale, les grandes crmonies d'un
caractre officiel, les ftes en l'honneur de
Rome, les sacrifices sur l'autel dos emporoursdiviniss, le culto municipal, le culte provin-
cial, ou mme dos cultes spciaux en l'honneurdo tel ou tel ompereur particulirement popu-laire dans le pays. Cetto religion tout olficiello
tait d'ailleurs afiairo surtout de pratiquo et
revtait simplement l'importance d'un acte ci-
vique, d'une manifestation do loyalisme envers
lo pouvoir. Aussi avait-elle le sort de toutes lesreligions d'Etat (I) : la froideur solennelle do
ses pompes n'avait aucune prise sur lo coeur
et l'Ame des fonles, qui, une fois en rgle avec
elle et avec l'autorit, retournaient avec amour
A leurs vieilles divinits indignes, Eschmoun,
Haal-Hamon, Tanit, A qui il avait suffi deprendre des noms latins : Esculape, Saturne,Junon Cleste. Ces cultos d'ailleurs vivaient
fort A l'aise A l'ombre du Panthon romain,
toujours tolrant envers les religions qui con-
(1) V. le beau livre de M.Jean Rville : La lieliyion sousles Svres.
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, DE CARTHAGECHRTIENNE. 19
des taureaux et faisant monter la fume de
leurs sacrifices dans l'azur du ciel.
Ce dieu farouche, Imveur de sang humain,dont Tibre avait dj fait pendre les priresaux arbres de sou sanctuaire, continuait pour-tant, au tmoignage de Tertiillieu (I), de re-
cevoir en secret des sacrifices d'enfants. Ces
vieux cultes puniques taient alors plus floris-
sants que jamais en Afrique (2); toutefois, los
religions orientales, alors A la mode dans tout
l'empire, y avaient aussi beaucoup le dvots.
Srapis et Gyblo avaient dos temples A Sicca
Veneria (Le Kef), A .Macla ri s et ailleurs. Les
esprits dlicats, les Ames tendres (pie dgo-
taient los boucheries du Inurohole, allaient de
prfrence aux mystres d'Isis et cherchaient
un rconfort dans ses liislralions rgnra-trices. D'autres s'adressaient au culte de Mi-
thra, dont la voguo fut telle en Occident qu'il
parut, a dit M. Renan, balancer un moment
la fortuno du christianisme dans l'humanit (3).Gardons-nous d'ailleurs de chercher dans ^os
cultes si varis des sentiments qui n'y taient
(!) /I)K>/.,o.(2) Dans ses savantes Iteeherches des antiquits dans le
Nord de l'Afrique, 1890, SI. Philippe Berger a montr quela conqute romaine les propagea plus avant dans le pays.(3) MarC'Aurle, p. 579. V. aussi J. Uville, ouvr. cit.
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20 FIGURESET RCITS
point : les cris de l'Ame, les angoisses de la
conscience devant un Dieu saint n'ont ici que
faire ; il s'agit seulement d'arriver A agir surle dieu par l'accomplissement exact des pres-
criptions du rituel qui le forcent rpondreau fidle en rgle ds lors avec lui. C'taient
des cultes purement matrialistes.
Telle tait alors l'bullition des esprits, la
fermentation des Ames, que toutes ces reli-gions ne suffisaient point aux ardeurs de la
dvotion. Chacun courait aux devins, aux ma-
giciens, aux vendeurs de recettes mystrieuses.Les ttes les plus solides croyaient aux sorti-
lges et avaient la passion de l'occulte, comme
Apule. Surtout, elles ne suffisaient pas auxaspirations intimes des souffrants, aux besoins
des simples, de tous ces pauvres gens dont
elles se tenaient d'ailleurs A l'cart. Aussi, IA
fleurissaient les superstitions les plus basses,les contes de sorciers, les histoires de maie-
main et de mauvais sort. Tandis que, dansles carrefours de Carthage, le peuple, en
dehors de ses dvotions A Tanit-Cleste et
A Baal-Saturnc, allait A tous ces prtres vaga-bonds, galles et yoguis, qui lui dbitaient leurs
talismans et leurs prires, au fond des cam-
pagnes le paysan berbre allait marmoter aupied des autels rustiques de ses vieilles divini-
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22 FIGURESET RCITS
et soyons srs que le cas de conversions sem-
blables ne fut point trs rare A Carthage. Ces
hommes, sortis du paganisme pour aller, endpit des prjugs anti-juifs, au Dieu de Mose
et des Prophtes, devaient reprsenter ce qu'il
y avait de meilleur moralement dans ce monde
africain. Mais, dans ces sombres ghettos de
petits boutiquiers pleins de leur Thorah, tou-
joursen discussion de
textes,en chicane de
mots, dans ces communauts remuantes et
ergoteuses, quelle effervescence, quels terri-
bles clats de voix devait provoquer tous les
jours la grande question du moment, qui est
reste ds lors celle de tous les temps : Jsus
de Nazareth,qui
est-il? Est-il celuiqui
devait
venir, ou faut-il en attendre un autre?
Une obscurit impntrable enveloppe les
origines et les progrs du christianisme en
Afrique jusqu' la fin du second sicle. Ph-
nomne trange ! Ailleurs, on peut voir de
bonne heure le christianisme aux prises avec
le paganisme, poursuivant ses progrs aumilieu des hostilits du dehors, des conflits
du dedans, A la clart rapide des bchers
ou au bruit des clameurs du cirque. Rien
de pareil en Afrique. Durant tout le second
sicle, on y voit passer tour A tour tous les
aspects du gnie paen, on y assiste A lou-
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ALMftT,phul.VCKt'.ENRALKDKCARTHAOB.
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rcils qui font pleurer les Ames tendres et illu-
minent ces intrieurs de misre : la-bas, vers
l'Orient, tait apparu, sous l'image d'un pau-vre, un tre divin, d'un amour sans borne pourles souffrants, d'une infinie douceur devant les
outrages et les avanies dont il fut abreuv, tel-
lement que, du haut de la croix des esclaves
o les grands de la terre l'avaient fait clouer,
il laissait tomber encore des paroles de pardonpour tous ces mchants, lin dieu crucifi! Un
supplici de la croix ressuscit ! Quelle rhabi-
litation de l'ignoble potence o tels de ces es-
claves avaient vu nagure, peut-tre, gmir et
prir un des leurs, innocent aussi!
Puis,aux rendez-vous
accoutums,o il
n'tait question que de lui, o se redisaient
les divines batitudes, la parabole du Bon Pas-
teur, les promesses du Consolateur, les parolesdu lis des champs et des oiseaux du ciel, celles
de sa rsurrection et de sa venue prochaine sur
les nues,quel
rconfortpour
tous ces haras-
ss! Les violents mme, les piliers de taverne,rsistaient mal parfois A cet ami des pagers
qui n'apprhendait pas de descendre jusqu'Aleur fange pour les en arracher; et leurs Ames,
qu'on e dit de pierre, clataient de honte et
d'amour! Maisqui
saura les ravissements
ineffables o le Bon Pasteur jetait son mysti-
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DE CARTHAGECHRTIENNE. 29
que troupeau Al'instant solennel de la commu-
nion? Il se baissait, il murmurait A chacun : Prenez, ceci est mon corps donn pour vous !
Eailes ceci en mmoire de moi. Celte coupeest la nouvelle alliance en mon sang : faites
ceci, toutes les fois que vous en boirez on m-
moire de moi !
On sortait de ces runions de frres et
de soeurs pour revenir se courber au dur
labeur de l'choppe, avec un rayon du cieldans le coeur, prts A vivre, s'il fallait, pourservir, s'entr'aimer, annoncer la bonne nou-
velle , plus prts A mourir pour aller recevoir
de la main du Seigneur la palme d'or des ra-
chets.
Ah ! plaisirs, fles, palais, pompes de Car-thage paenne, vous ne valez plus un regardd'envie!
Mais aussi, on peut penser si tant de ferveur
brlait de se rpandre! Ces artisans, dans les
coudoiements de l'atelier, du chantier; ces pe-
tits boutiquiers, dans les contacts journaliersavec leur clientle modeste ; ces esclaves, dansla maison de leurs matres; tous ces humbles,
dsormais, parla joie de leurs yeux, la paix deleur visage, le rayonnement de leurs vies ler-
nes, transfigures A prsent el comme rajeu-
nies, aussi par leur art de tirer occasion de
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tout pour leurs besoins de propagande, racon-
taient autour d'eux les grandes choses que
le Seigneur avait faites , et chaque jour ve-nait ajouter A la communaut quelques mem-
bres de plus, comme la grange, dit Eusbc,
s'emplit de bon grain au temps de la mois-
son (!).C'est ainsi que, ds avant la fin du second
sicle, dans la vieille cil de Tanit. florissaitune des grandes Eglises chrtiennes de ce temps,la mtropole du christianisme africain.
Car, A coup sr, de ce foyer ardent, l'Evan-
gile n'a pas tard A rayonner dans le reste de
l'Afrique romaine. Sa propagation a d suivre
ici la mme marche qu'ailleurs : de la capitalede la province il s'est progressivement insinu
dans les autres villes, principalement le longde la cte; puis A l'intrieur du pays, jusque
parmi les lments les plus rfractaires A son
action, les paysans.Nous allons
voir,en
efTet,dans un coin obs-
cur de la Proconsulaire, ds 180, puis vingtans plus tard, encore dans l'intrieur du pays,la religion nouvelle saisir d'une treinte si
forte l'Ame de quelques paysans, qu'elle en fit
des hros, dont le martyre, sur celte vieille
(1) Histoire de l'Kylise, II, 3.
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FIGURESET RCITSDE CARTHAGECHRTIENNE.33
Mais, par une trange exception A la rgle,il se trouve qu'A l'gard du christianisme il
n'en est plus ainsi ; on prend vile feu contrelui, il devient la cible de tous les coups, l'objetdes haines violentes, fanatiques, o viennent
se fondre les clameurs de la populace, les atta-
ques des rhteurs, les mpris des gens cultivs.
Qu'avait donc en elle de si particulier la
religion du Christ, pour rebuter ainsi et indis-poser contre elle A ce point un monde volon-
tiers tolrant en fait de religion? En abordantce douloureux sujet des perscutions, celte
question se pose invitablement. Aussi bien,la rponse qu'y feront les faits nous enseigne-
ra-t-clle tout A la fois A vnrer les martyrschrtiens pour leur admirable hrosme, et A
juger moins svrement, plus quitablement,
beaucoup de leurs perscuteurs, dont quelques-uns d'ailleurs sont rests dans l'histoire, indis-
cutablement, de hautes figures, de grands ca-
ractres.1
Possibilit et conditions d'une entente entre le mondeancienet le christianisme. La>tolrance paenne. Lescauses de son opposition au christianisme. ' Les mar-tyrs ont sauv la conscience dans le inonde ancien.
Disons-nous bien d'abord qu'A la racine de
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SI FIGURESET RCITS
ces hostilits, les croyances proprement ditesont t pour bien moins qu'on ne pourrait
croire Dans ce vieux monde paen, la questiondes croyances tait fort secondaire. No nousen laissons pas trop imposer l-dessus parles polmiques de Celso. Les hommes deco temps avaient l'esprit ouvort A tant d'ides
nouvelles venues de partout, et les yeux
amuss de l'incessant dfil do tant de cultesexotiques o l'Orient en loques prdominait!Mme, sans air do paradoxe, pourrait-on,peut-tre, avancer qu'uno moiti de l'Evan-
gile, devenue plutt, pour beaucoup de nos
contemporains, la pierre d'achoppement, tait
propre, au contraire, A piquer la curiosit bien-veillante des personnes instruites de cette po-que : sa cosmogonie n'avait certainement pourelles rien de choquant, sa dmonologie cadraitassez bien avec la croyance aux gnies si
rpandue partout ; son horizon peupl de mer-
veilleux devait attirer spontanment beaucoupd'imaginations, qui en raffolaient, veiller tou-tes les curiosits d'un monde tendu passionn*ment vers le mystre dont s'enchantaient et se
grisaient toutes les ttes, mme les plus fortes.Mieux encore : si l'on songe que jamais,
peut-tre, autant qu'A cette poque, n'ont tagites les questions de morale et de l'au-delA,
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Quant aux masses, il est plus vident encore
quede tout autres motifs
quedes
antipathiesde croyances sont venues les armer contre leschrtiens de cotte haine tenace, cruelle, allant
parfois jusqu'A la frocit et qui, bien des fois,
impatiente de devancer les dits impriaux, oude les provoquer, s'est manifeste contre eux
par quelques-unes
de cesexplosions
localestoutes spontanes o retentissait le refrain ter-rible : Les chrtiens aux lions !
Haines de dvots, a-t-on dit ! Mais ces d-vots do divinits diffrentes, do sanctuaires
concurrents, russissaient tout de mmo A se
tolrer mutuellement dans les murs de la cit
antique. Pourquoi donc n'ont-ils pu tolreraussi le nouveau venu? Pourquoi, tout de suite,ce concert dans les haines ?
On a coutume d'expliquer cet antagonisme
dont pouvait se rgaler ainsi, loisir, notre paen amateur
de nobles penses! Pour ne citer ni Snque, ni Kpictte,ni Marc-Aurle, en voici de moins frquemment repro-duites : Libres, affranchis, esclaves, nous avons tous lemme Pre : le Ciel (Dion Chrysost., De benef, 3j.c L'homme de bien ne regarde pas les maux d'autrui commelui tant trangers (Juvnal, Sat., 15) La pit consiste,non immoler Dieu des victimes, mais reconnatre sasagesse et sa bont (Gallien, De usu, part. 111,10).Aulu-Gelle qualifie le moraliste qui ne sait que charmer l'oreille
de joueur de fl'Me. Mais il fallait plus que de beauxlivres, mme d?s Evangiles crits, il fallait des Evangilescirants pour tout changer...
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irrductible du monde paen A l'gard du chris-tianisme par son caraotre exclusif de religion
monothiste, Nous ne nions pas la part de v-rit qui, en effet, se trouve dans cette expli-cation. Mais reconnaissons pourtant qu'elle estloin de tout expliquer, puisqu'enfin leur mono-thisme farouche, non seulement ne fut jamais,contre les Juifs rpandus de bonne heure dans
toutos les parties de l'empire, une cause doperscutions proprement dites, mais n'emp-cha point les empereurs d'tablir A leur inten-tion des statuts adapts A leur loi religieuse (I).Que si, A la vrit, le proslytisme ardent deschrtiens les dsignait autrement que les
Juifs A l'attention inquite du pouvoir et auxrancunes des autres religions, encore reste-t-il
que, pour qu'un monde &i incontestablement*tolrant pour tous les cultes, toutes les
ides, toutes les thories qui tour A tour pas-saient devant ses yeux, ainsi qu'en un mouvant
cinmatographe, en soit venu contre les chr-tiens A ces haines inexpiables d'o sortit la
perscution, il a fallu apparemment une causeautrement profonde.
(1) Kn dehors, en effet, de quelques cas tout fait excep-tionnels qui furent essentiellement de grands coups de
filets de la police romaine dans les ghettos, la suite d'in-cidents locaux, le pouvoir imprial a toujours laiss lesJuifs en repos..
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Jsus avait voulu crer dans le monde anti-
que co qu'il appolait : l'homme nouveau .
Deux mots suffisent A caractriser ce pie, danssa pense, doit tro ici-bas un tel homme :
l'homme par excellence de la vrit et do la
saintet. Sur ce haut modle, dont sa personneelle-mme ralisait djA les traits jusqu' la
perfection, il entreprit, sur l'Ame de quelques
paysans palestiniens, ce travail do dgrossisse-ment qu'on voit dans les rcits vnngliques.
Dans un tte-A-tte de tous les jours, par la
parole vivifie de l'exemple, lentement, patiem-ment, comme le laboureur enfonant dans un
sol durci le soc do sa charrue, il enfona dans
leurs consciences le tranchant de ses exigencesmorales. Il s'appliqua A dbarrasser leurs vies
de toutes les scories qui les recouvraient pour,avant tout, leur inculquer profondment et
comme insuffler aux sources mmes de leur
tre moral le culte de la vrit, de la sincrit
absolue, qui suppose essentiellement une repu*gnance instinctive de tout ce qui, en religion,
dgnre si aisment en geste mcaniquo, for-
mule vide, masque d'hypocrisie, spulcreblanchi , ainsi qu'il disait volontiers, o dans
l'ombre propice se tasse, comme on sait, la
pire des corruptions : celle de ce qu'il y a demeilleur. Car, pour devenir dans le monde les
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DE CARTHAGECHRTIENNE. 39
porteurs de la parole do Vrit , ne fallait-
il pas tout d'abord dovenir, au sens absolu du
mot, des hommes vrais ?Alors, par tout son enseignement, son con-
tact, son exemple, il leur montra que les droitsde la vrit doivent primer A ce point tous les
autres qu'il faut savoir lui sacrifier tout, quo
prtendre faire A la vrit sa part, vouloir la
resserrer dans des accommodements, des re-tranchements, c'est la mutiler, dono l'anantir,
puisque IA o il lui est interdit d'tre tout, elle
n'est, du fait de son essence, plus rien. Et sa
mort sur la croix, au nom des droits de la v-
rit, vint sceller terriblement A leurs yeux,
d'une empreinte de sang, .son enseignementsur les droits de la vrit. Puis, sa rsurrec-
tion leur fut comme un clatant tmoignage de
Dieu lui-mme en faveur de la forto paroledont ils mesuraient mieux dsormais la hau-teur divine : Je suis la Vrit.
Voila comment, sous la main de leur divinducateur, par des expriences successives,dans la douleur, les chutes, le remords, les lar-
mes, du vulgaire limon humain qu'ils taient,se dgagea finalement, ralisation d'une longue
pense divine, une race d'hommes nouvelle :
Yhomme vrai, tmoin dans le monde de la vrit.Mais, ducateur de vrit, le Christ tait
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40 FIGURESET RCITS
aussi, par IA mme, ducateur do saintet, Ason colo, l'homme pris de vrit apprenaitaussi l'horreur du mal, sous toutes ses formes,dont la Croix rdemptrice devait lui montrer
tragiquement le pouvoir nfaste, et du piedde laquelle il devait partir rsolu A le traquersans merci, en lui, hors de lui, A mener con-tre lui un train de guerre incessant, cote que
cote, au prix de son repos, de ses affections,de sa vie mme. Car A prsent ses yeux ravis
ne savaient plus se dtacher de l'idal de per-fection morale qu'ils avaient contempl troisans dans le monde, sur lequel dsormais il
s'efforait de mesurer toutes ses penses, tous
ses actes, comprenant, devant un tel chef-d'oeuvre de vie, quo rien, dans l'univers des
corps, ne saurait approcher en beaut, en va-
leur, un mouvement d'amour, de puret, de
saintet, que tout au monde pAlissait, s'effa-
ait devant l'clat sublime d'une saintet rali-
se dans une vie d'homme : celle de Jsus,Sauveur du monde.
Et aprs que les langues de feu de la Pen-
tecte eurent illumin la Chambre haute des
clarts radieuses de l'Esprit, l'oeuvre du divin
ducateur allait se continuer ailleurs dans le
monde ;
quelqu'untait n dans
l'empireromain : l'homme nouveau !
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DR CARTHAGECHRTIBNNE. 41
Nous demandions : sous celte explosiond'hostilits dont le monde paen, par uno
trange drogation A tous ses usages, accueillitla nouvelle religion, qu'y avait-il dono en
ralit? N'y cherchons pas surtout une oppo-sition de principe A des ides nouvelles, A des
croyances, A un culte ; cherchons-y bien plu-tt une opposition profonde de la conception
de la vie, uno rpugnance spontane, unehaine tenace, irrductible, do tous ses vieux
instincts ramasss en faisceau, devant l'appa-rition en chair et en os d'un homme, l'homme nouveau , n de l'Esprit. Car un
tel homme, qu'tait-il essentiellement? Un
intransigeant. Or, le monde ancien, par prin-cipe, par tradition, par temprament, tait, en
tout, en religion, en morale, en politique,dans la vie prive et dans la vie publique, tout
au contraire, essentiellement accommodant.
Si l'on songe que ce monde no vivait et ne
pouvaitcontinuer de vivre
qu'au prixde ses
accommodements ternels, on comprendra
que l'homme nouveau sorti des entrailles
de l'Evangile, tout passionn de vrit et de
sainlet, s'avanant, uniquement arm de
l'Esprit, parmi toutes les fictions, les compro-mis, les artifices dont cetto socit
paenneavait fait comme l'atmosphre hors do laquelle
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42 FIGURESET RCITS
la vie qu'elle vivait n'tait plus.possible, devait
invitablement lui apparatre, en dpit de
l'humilit do son aspect, de la douceur de saparole, do la candeur de son visage, de l'h-
rosme tranquille do son martyre, sous les
traits dtostablcs, intolrables, d'un ennemi
publio qu'il fallait abattre A tout prix ! Et voila
pourquoi l'Empire s'est fuit le perscuteur des
chrtiens.Rendons un peu plus sensible, par un
exemple prcis, cette opposition de nature quidevait tout do suite heurter l'un contre l'au-
tre les deux principes en prsence.Tous, alors, s'accordaient dans un respect
do commande pour deux fictions considrescomme sacres : le culte des dieux du Capilolcel celui des empereurs. Assurment, dans la
participation de rigueur A ces crmonies
figes ol froidement officielles, aucun des
assistants n'tait dupe des sentiments que
recouvraient en gnral la gravit des altitu-des cl la solennit des gestes (I). Mais ces
formes majestueusement vides se droulaient
tout de mme au milieu des respects appa-rents de tous ; et rien ne fait mieux toucher
(1)On sait la boutade de Caracalla au
sujetde
Cela,qu'il avait fait tuer, puis diviniser : Sit tlivus, dum nonsit viens! (Qu'il soit dieu, pourvu qu'il soit mort!)
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DE CARTIIAGECHRTIENNE. 43
du doigl les dformations d'Ames d'un tel
rgime do fictions rputes sacres, autour
desquelles voluait toute la vie publique, quel'exemple do Marc-Aurlc, la plus belle Ame
sans doute du monde romain, impuissant
cependant A comprendre le non possumus tle
la conscience chrtienne devant ces pratiquesmenteuses, et, de In mme plume qui avait
crit les Penses, signant un rescrit de pers-cution, pour aller ensuite, sercinement, sur
les degrs du Capitolc, sacrifier A des dieux
auxquels, comme philosophe, il ne croyait
pas!Comme la conscience humaine atteste autre-
ment sit noblesse dans cette exclamation deTcrtullicn disant pourquoi le chrtien refuse,au pril de su vie, de participer au culte do
l'Empereur : Je ne l'appelle pas un dieu,
parce que je ne sais pas mentir, et que je ne
veux pas me moquer de lui! (I). Dcid-
ment, du contact de l'Evangile, essentielle-ment intransigeant, avec ce vieux monde essen-
tiellement accommodant, la perscution devait
jairlir fatalement.
Il est temps de voir comment, en Afrique,cette intransigeance de l'Evangile, en appre-
(I) Apoloyct., 33.
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44 FIGURESEf RCITS
nanl A de pauvres gens, balayures du
monde antique, A mourir pour les droits de la
sincrit, do la vrit, a finalement sauv dudsastre un bien qui vaut mieux que l'empiredu monde : la Conscience. Quo servirait-il A
un homme do possder lo monde entier, s'il
venait A perdre son Ame (1).
Il
Les rescriU de perscution sous Marc-Aurle. Les mar-tyrs de Scilliutn Autres martyrs inconnus. Rescritde Septime-Svre en 209. Nombreux martyrs. Lesmartyrs de Thuburbo d'aprs ta Passiu Perpetuae et lesActa abrgs.
Que de fois , a ditTertullien, une foule
haineuse nous a, de son propre mouvement,
lapids ou incendis ! On n'pargne pas mme
nos morts. On arrache leurs cadavres des tom-
beaux o ils reposaient! DjA mconnaissables,
djA corrompus, il n'importe, on les met enpices! (2).
Cet acharnement inou dans la haine, o se
retrouve tout l'emportement passionn du tem-
prament africain, a d faire de bonne heure
bien des victimes qui ont disparu dans la nuit
(1) Matth., XVI, 26.(2> Apoloyet., 39.
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DE CARTHAGECHRTIENNE. 45
des temps. Il allait pouvoir so dchaner tout
A l'aise, une fois de plus, aprs un temps de
relAche.En 177, deux rescrits de Marc-Aurlo taient
promulgus dans l'empire : l'un interdisait
l'introduction de nouveaux cultes, sous peined'exil, visant ainsi de biais ceux auxquels il
tait en ralit destin, les chrtiens; l'autre
condamnait A mort les chrtiens professants.Nous avons justement un document de la
perscution qui suivit en Afrique la promul-gation de cet dit. C'est un procs-verbal de
l'interrogatoire do quelques paysans d'un vil-
lage de la Proconsulaire, Scillium. Arrts
comme chrtiens, ils furent traduits A Carthagedevant lo Proconsul de l'Afrique, Vigellius Sa-
turninus. Cela se passait la premire anne du
rgne de Commode, le 17 juillet 180 (1). Le
groupe comprenait sept hommes et cinq fem-
mes dont quelques-uns paraissent, d'aprs la
physionomie de leurs noms, d'origine punique.Le procs-verbal mentionne seulement le nom
de trois hommes : Cittinus, Narlzalus, Spe-
(1) Depuis la dcouverte d'un texte grec et d'un nouveautexte latin, l'authenticit de ce document, ainsi que la datedu martyre des Scillitaios, a t mise hors de doute. On
trouvera chez M. P Monceaux, ouv. cit., t. I. pp. 62 et s.,une tude critique des divers manuscrits et de uombreusesrfrences des savants qui s'en sont occups avant lui.
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rat us, et de trois femmes : Donata, Vestia,Secunda.
Speratussemble avoir t l'orateur
de la troupe.Voici quelques extraits de ce document, qui
a bien tout le laconisme d'un procs-verbal.Les douze prvenus sont introduits dans la
salle du tribunal de Carthago. Lo Proconsul
Saturninus est sur son sige. Aprs les forma-
lits d'usage, le haut magistrat romain, en
quelques paroles empreintes A la fois de mo-
dration et de fermet, prcise les termes de
l'accusation, dit l'effet lgal pour chacun des
prvenus de leur obstination dans la professiondu christianisme et les exhorte, non sans quel-
que bienveillance, au nom du respect d A laloi, de l'obissance due A l'empereur, A renier
leur foi : tout cela en quelques mots nets et
brefs, A la romaine. Speratus dit : Nous n'avons jamais rien
dit de mal; mais quand on nous maltraitait,
nous avons rendu grAces, car nous honoronsnotre empereur .
Le Proconsul Saturninus dit : Nous aussi
nous sommes religieux, et notre religion est
simple : nous jurons par le gnie du Seigneurnotre Empereur, nous prions pour son salut ;
vous aussi vous devez le faire .a Speratus dit : Si tu veux m'couler Iran-
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DE CARTHAGECHRTIENNE. 47
quillement, je vais l'expliquer le mystre de la
simplicit.
Saturninus dit : Tu vas attaquer notro
religion ! Jo no t'couterai pas ; jure plutt parlo gnie du Seigneur notro Empereur .
Speratus dit : Moi, jo no connais pas
l'empire de co inonde ; mais plutt je sers co
Dieuqu'aucun
homme n'a vu ni nepeut
voir
avec ses yeux. Jo n'ai point commis de vol ; si
j'achte quoique chose, je paie l'impt ; car joconnais mon Seigneur, le Roi des rois, l'em-
pereur de toutes les nations .
Au cours de l'interrogatoire, apercevant un
objet plac auprsdes
prvenus,le Proconsul
demande : Qu'avez-von s IAdans votre boite?
Speratus dit : Les livres des Evangiles en
usage chez, nous et les lettres de Paul, homme
juste .
Lo Proconsul se tourne vers les autres rests
silencieux : Abandonnez cetto croyance!
Speratus dit: La croyance mauvaise, c'est
de commettre un meurtre, de rendre un faux
tmoignage . Le Proconsul Saturninus dit : Ne vous
associez pas A celte folie !
Ciltinusdit: Nous ne craignons personne,si ce n'est le Seigneur Dieu qui est au ciel .
Puis, trois des femmes disent A leur tour
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quelques mots, et tout A fait tels qu'il les fal-
lait A prsent. Donala dit : Nous honoronsCsar en tant que Csar, mais nous ne crai-
gnons que Dieu . Vestia dit : Je suis chr-
tienne . Secunda dit : Je le suis, je veux
l'tre .
De guerre lasse, mais sans pourtant se d-
partir de son calme, le Proconsul les met endemeure de se rtracter : il consentira mme
A leur accorder un sursis de trente jours. Ils
refusent sur-le-champ.Alors il se rsigne A rdiger sa sentence :
Speratus, Nartzalus, Cittinus, Vestia, Donata,Secunda et les
autres,ont confess
qu'ilstaient chrtiens. Attendu qu'on leur a offert
de revenir A la religion des Romains et qu'ilsont refus avec obstination, nous les condam-
nons A prir par le glaive .
Le hraut ayant proclam la sentence :
Speratusdit : Nous rendons
grcesA Dieu !
Nartzalus dit : Aujourd'hui nous sommes des
martyrs au ciel. Grces A Dieu ! Tous disent : Grces A Dieu! Et ainsi tous ensemble
reurent la couronne du martyre. Et ils r-
gnent avec le Pre et le Fils et le Saint-Esprit
pendant tous les sicles. Amen !
M. Monceaux, A qui nous empruntons ces
extraits, a justement soulign l'air de vrit
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frappant qui se dgage des paroles de ce pro-cs-verbal : C'est, dit-il, un petit drame
poignant et trs humain o l'motion nat,sans phrases, de l'expos des faits. Chaque
personnage y dit juste ce qu'il doit dire, ce
qu'il a dit rellement... On comprend, A les
couler, ce qu'il y a de faux dans tant de rcits
apocryphes o les furieuses invectives des
magistrats ont pour cho les rodomontadesdes martyrs : ce n'est pas ainsi que parlaientdes proconsuls ni les aptres d'une religion de
paix (I).De ces pauvres gens de Scillium, emmens
du fond de leurs gourbis, un jour de juillet
180, pour tomber tour A tour sous le glaivedfun licteur romain, que savons-nous? Pres-
que rien. Pourtant, sous l'criture A moiti
efface de ce vieux manuscrit, n'esl-il pas vrai
que, en dpil des sicles qui nous en sparent,leur figure revit pour nous inoubliablement,
claire d'un rayon de beaut morale que lemonde ancien n'avait pas connue !
Les martyrs de Scillium ne furent pas alors,en Afrique, les seules victimes de la perscu-tion. Mais il n'est rest aucun autre document
faisant mention A ce moment d'autres noms
(1) Ouv. cit, I, p. 68.
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de martyrs africains, A l'exception d'un esclave
de Madaure, Namphano, et d'un autre chr-
tien, Miggin, au sujet desquels d'ailleurs onne sait rien de prcis.
Il semble que, durant quelque temps, une
accalmie succda, pour les chrtiens d'Afrique,A ces mesures de rigueur. Du moins fut-elle
de peu de dure, puisque, ds 197, Terlullien
montre les prisons de Carthage pleines dechrtiens (i).
Mais, en 202, un dit du nouvel empereur,Septime-Svre, allait donner une impulsionterrible A la perscution, en ordonnant la miseen jugement, d'office, des nouveaux convertis
et des auteurs de leur conversion.A cette priode se rattachent les martyres
de Jucundus, Artaxius, Saturninus, brlsvifs , Quintus mort en prison , /Emiliuset Castus, celui d'une jeune fille, Guddne, et
Mavilus, d'Hadrumle (Sousse). On voit par
les crits de Terlullien, que beaucoup, dslors, essayaient d'chapper au martyre par lafuite ou A prix d'argent.
Ce fut, entre autres, le cas d'un chrtien
que cite Terlullien, du nom de Rutilius, quiavait eu beau fuir, dit-il, de pays en pays et
(1) Ad. Martyr., I.
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DE CARTHAGECHRTIENNE. 51
donner de l'argent : Au milieu de cette belle
scurit qu'il avait cru se mnager, il fut arrt
A ('improviste, traduit devant le proconsul,cartel par les tortures, sans doute comme
chtiment de sa fuite, puis brl vif. Ainsi ce
martyre qu'il avait voulu viter, il l'a enfin
obtenu par la misricorde de Dieu (1).Le feu sacr d l'hrosme vanglique
brlait pourtant toujours au coeur de beau-coup de chrtiens d'Afrique, comme en tmoi-
gne admirablement le long document connu
sous le nom de Passion de Perptua, dont
nous allons rsumer les pages les plus saisis-
santes (2).
Vers la fin de l'an 202, cinq personnes, dontdeux hommes libres, Saturninus et Secundu-
lus, une jeune femme de vingt-deux ans, Vi-
bia Perptua, et deux jeunes esclaves, Revo-
(1) De fuga in persec., 5.(2) Pour la partie critique de ce document, comme pour
celui des martyrs de Scillium, nous renvoyons IUXtravauxspciaux de l'rudition moderne, qui ont lucid bien despoints rests jusqu' ce jour obscurs : P. Monceaux,ouvr.'cit., que nous avons encore ici beaucoup utilis ; Aube,Les Chrtiens dans t empire romain ; Harris and Gifford,The acls ofthe martyrodom of Perptua and Flicitas,1890; Robinson, The Passion of Perptua (Texts andstudies, 1891). Dans son trait De anima, crit vers 208,Terlullien parle incidemment du martyre de Perptua en
termes qui montrent qu'il avait ds lors sous les yeux unerdaction de cette Passion.
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calus et Flicitas, taient arrts A Thuburbo (1)sous l'inculpation de propagande chrtienne.
Vibia Perptua appartenait A la meilleure
bourgeoisie de Thuburbo, elle tait marie,avait son pre et sa mre, deux jeunes frres
et un enfant qu'elle nourrissait A ce moment.
Ces cinq personnes, qui n'taient jusque-l quecathcumnes, venaient de recevoir le bap-tme, en dpit du nouvel dit, et tombaientdonc sous le coup de la loi. Immdiatement,les autorits de Thuburbo les firent conduiredevant le proconsul de Carthage. Celui-ci,
qui tait cette annc-lA Minucius Timinianus,mourut prcisment au moment d'instruire le
procs : le gouverneur par intrim, Hilarianus.eut donc la charge de continuer les pour-suites.
L'affaire en tait l, lorsqu'un certain Sa-
turus, de Thuburbo, vint A Carthage se pr-senter de lui-mme au magistrat en se dcla-
rant chrtien comme eux : peut-tre tait-ill'auteur de leur conversion? Ils taient donc
en tout A prsent six personnes. Tant que dura
l'instruction, les prvenus furent enferms
dans la prison du palais du Proconsul, situ,comme on sait, tout au haut de la ville, A
(1) Tebourba, 58 kil. de Carthage,par la voie ferre.
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au magistrat, d'une vision qu'il a eue en prisonet qu'il a, dit encore ici le rdacteur anonyme,
crite lui-mme .Enfin la troisime pice est le rcit, par le
rdacteur, des scnes de l'amphithtre, qu'ila voulu faire, dit-il, pour excuter les vo-
lonts de la trs sainte Perptua .
Parcourons d'abord le Journal de Per-
ptua. Le naturel de cette jeune femme s'ypeint A merveille. J'tais gaie dans ma vie
charnelle , crit-elle, en se rappelant, du fond
de son cachot, la vie insouciante et facile
qu'elle menait A Thuburbo entre son pre et
sa mre, ses frres, son mari... Puis elle se
remmore les scnes si pnibles dont sa con-version fut la cause au sein de sa famille, o
pourtant on l'adorait : Exaspr par mes paroles, mon pre se
jeta sur moi, voulait m'arracher les yeux, maisil me rudoya seulement et partit vaincu avec
les arguments du diable. Pendant quelquesjours je ne vis plus mon pre, et j'en rendis
grces au Seigneur . Et pourtant, on verra
tout A l'heure ce qu'au fond de son coeur elle
avait d'affection pour ce pre, paen endurci!
Ses grands jours de joie dans la prison sont
ceux de la visite de sa mre et de ses frres :ah! si seulement tous pouvaient se convertir!
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RUINESDUL'AMPHITHTREDECARTHAGE.ALBEAT,phot.
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Celte prison lui sembla tout d'abord un lieu
atroce, tant elle tait obscure, puante, insup-portable A ses sens dlicats : L'obscurit me
remplissait d'pouvante ; par suite de l'entas-
sement des prisonniers, on y touffait de cha-
leur ; des soldats nous poussaient aussi bruta-
lement . Mais, plus que tout, une pense la
hante,l'obsde
chaqueminute du
jour: son
enfant que son pre lui a pris! Je me consu-
mais d'inquitude! Rientt, deux diacres (de
Cartilage) ayant t autoriss A venir nous
voir, obtinrent A prix d'argent qu'on nous fit
passer dans un local plus commode de la
prison.
Elle put enfin revoir son enfant : Je pusenfin donner A tter A mon enfant : il mourait
de faim ! C'est en le lui rapportant appa-remment que son pre tait venu la visiter : Mon pre est venu me voir et m'a dit en me
suppliant : Ma fille, aie piti de mes che-
veux blancs! Aie piti de ton pre qui t'aleve jusqu' la fleur de l'Age, toi, son enfant
prfre! Tu veux donc me rendre l'opprobredes hommes? Songe A ta mre et A les frres !
Songe A ton enfant qui mourra sans toi!
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disant : Mon pre, il n'en sera que ce queDieu voudra . Mais enfin, joie suprme au
milieu de tant de tristesses, elle avait A prsentson enfant, et le directeur de la prison l'auto-
risait A le garder avec elle ! La prison devint
tout A coup pour moi comme un palais, et je
m'y trouvai mieux que partout ailleurs!
Puis, c'est la scne de l'interrogatoire au
tribunal : Quand mon tour fut venu de melever pour tre interroge, voil que mon pre
surgit de la foule tenant mon enfant dans ses
bras et me criant d'une voix suppliante : Piti pour ton enfant! Alors le magistratme dit : Allons, pargne une telle douleur A
ton vieux pre! Aie piti de l'Age de ton en-fant l Mais devant ma rponse : Je suis chr-
tienne! mon pauvre pre se trana sur le sol,s'arracha la barbe, articula des paroles A mou-
voir n'importe quelle crature. El moi, hlas! que
pouvais-je, sinon pleurer sur sa vieillesse mal-
heureuse? . Pour mettre fin A ces scnes p-nibles, le magistrat ordonna aux huissiers
d'carter le vieillard qui, en se dballant, recul
un coup de bton de l'un d'eux : Je souf-
frais, dit Perptua, comme si j'eusse t frappemoi-mme, je souffrais pour sa vieillesse in-
fortune! De retour au cachot, elle pria un diacre
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d'aller chercher son enfant, parce qu'il de-
vait avoir faim , mais son pre, cette fois,
refusa de le donner. Par la grce de Dieu,note Perptua, mon fils n'a plus demand le
sein, et mon lait A disparu, en sorte que jen'ai t tourmente ni par des inquitudes sur
son sort, ni par des douleurs de sein.
Un autre signe des bonts de Dieu vint
combler de gratitude les prisonniers. L'esclaveFlicitas, l'autre jeune femme du groupe,tait enceinte de huit mois. Aux termes de la
loi romaine, son excution devait ds lors tre
diffre jusqu'A la dlivrance. Flicitas s'affli-
geait fort de ce dlai qui l'obligeait A paratre
seule dans l'arne. Son dsir ardent de soute-nir le combat au milieu de ses compa-
gnons devint un sujet de prires dans le ca-
chot; il fut merveilleusement exauc : sa
dlivrance eut lieu trois jours avant la date du
supplice.
Comme les douleurs arrachaient A Flicitasdes gmissements, un gelier lui dit : Mais
que sera-ce donc, quand tu te verras sous la
dent des fauves? L'esclave trouva dans son
Ame de chrtienne cette rponse : Ici je suis
seule A sou firi r, mais A l'amphithtre quel-
qu'un sera A mes cts pour souffrir avec moi,puisque c'est pour lui que je souffrirai.
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DE CARTHAGECHRTIENNE. Gl
lui paissaient des milliers d'agneaux toutblancs. Le berger leva la llc et, me regardant,me dit : Salut! mon enfant. Puis, m'invi-tant A m'npprocher, il me donna une bouchede fromage, epic je reus les mains jointes, cl
je la mangeai, tandis que tous les assistantsdisaient : Amenl (1).
Ce bruit de voix me rveilla, et je me re-
trouvai mangeant encore je ne sais quoi dedoux. Je compris qu'il fallait nous prparer Ala mort, et ds lors nous laissmes de cttout souci terrestre.
Peu de jours aprs, Perptua eut encoreune extase. Elle tait en prires, lorsque tout
A coup elle vil un de ses frres, Dinocrates,mort A sept ans d'un cancer au visage. L'en-fant apparut A sa soeur dans un endroit obs-
cur o taient enferms toutes sortes de gens;i? tait morne, dfigur par une plaie, et
s'efforait de venir jusqu' elle, mais ne le
pouvait. Il avait une soifdvorante et cher-chait A atteindre un rservoir plein d'eau
frache ; mais la margelle se trouvait trop
(1) C'est sous cette forme que se clbrait la communiondans les sectes rigides du montanisme : il est donc vrai*
semblable que les martyrs de Thuburbo appartenaient cette secte, qui en a d'ailleurs beaucoup fourni au marty-rologe africain.
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haute pour lai. Perptua, A cette vue, fut si
afflige, qu'elle s'veilla. Elle ne cessa lesjours suivants de prier le Seigneur pour son
petit frre.
Enfin, dans une nouvelle extase, Dinocrateslui apparut encore, mais combien transform!Il tait A prsent vtu de lumire, rayonnait
de joie et buvait A longs traits de l'eau du r-servoir dans un vase d'or qui ne s'puisait pas,puis se livrait A ses bats d'enfant. Je com-
pris, dit Perptua, qu'on lui avait fait grcede sa peine (1).
La veille du supplice, autre extase : Per-
ptua voyait le diacre de Carthage qui venaitordinairement les visiter, Pomponius, revtud'une robe blanche, frapper A la porte du ca-chot en lui disant : Nous t'attendons,viens ! Ensuite, il la conduisait par la mainau milieu de l'amphithtre, et l'y laissait en
lui disant : N'aie pas peur : je suis ici avectoi, je combats avec toi. Les gradins taientcouverts de spectateurs; tout d'un coup, unhomme horrible se dressait devant elle et la
glaait de terreur; mais de beaux jeunes gens
(1)Un voit
dj poindrel la foi la vertu des
prirespour les morts. Terlullien. bientt, crira aussi : Il y aun jour mis part dans l'anne o nous prions pour lesmorts (De Corona, 3).
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accouraient A son secours. Mais voil qu'on lui
enlevait ses vtements et qu'elle tait cbangeen homme 1 On la frottait d'huile pour le com-
bat. Alors un gant, donl la tte dpassait les
plus hauts gradins de l'amphithtre, apparais-sait vtu d'une belle tunique A bandes de pour-
pre et tenant dans la main un rameau vert A
pommes d'or. 11disait A haute voix qu'il dcer-nerait ce rameau au vainqueur du combat.
L'homme horrible se jetait alors sur Perptua,elle le griffait au visage, puis voilA qu'une force
invincible la soulevait en l'air, hors des prisesdu monstre qu'elle pouvait ds lors pitiner A
loisir,lui tordant les
doigts,lui crasant la
tte. Enfin elle recevait de la main du beau
gant le rameau vert A pommes d'or : Alors
je me rveillai, et je compris que je combat-
trais, non contre les fauves,.mais contre le
diable. Mais je savais que je le vaincrais.
Saturus a aussi sa vision. Il racontequ'aprsle martyre il se vit transport, avec ses com-
pagnons, vers l'Orient, port par les mains
des anges. On arrive A un grand jardin pleinde lumire, de verdure, de (leurs. On suit une
large avenue o se trouvent des chrtiens
d'Afriquemorts
prcdemment pourla foi. Un
grand palais, comme construit de lumire,leur ouvre ses portes. Les anges qui les gui-
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DE CARTHAGECHRTIENNE. G5
genre de spectacle. Saturus, devant celle cu-
riosit malsaine, voulut profiter de l'occasion
pour frapper la conscience des spectateurs : Le spectacle de demain ne vous suffit donc
pas?... Examinez bien nos visages afin de
nous reconnatre au jour du jugement !
Le narrateur anonyme prend A prsent la
plume pour le rcit du martyre : Enfin, dit-
il, brilla le jour de la victoire ! Ils sortirent dela prison et s'avancrent dans l'amphithtrecomme s'ils montaient au ciel, beaux, rayon-nants. S'ils (remblaient, c'tait de joie, non de
peur. En arrire, venait Perptua, le visagecalme, pareille dans sa dmarche A une ma-
trone chrie du Dieu Christ. Par l'clat de sonregard, elle forait tous les spectateurs A bais-
ser les yeux . De mme, Flicitas, ravie de
son heureuse dlivrance qui allait lui permettrede combattre les btes. Quant A Saturus, son
ardeur de proslytisme se poursuit jusque dans
l'arne, mais avec la douceur et le naturel dontaucun ne se dpart un seul instant. Il exhorte
une dernire fois le gelier Ptidcns qui avait
paru, dans la prison, tout particulirement
sympathique A leur sort, et les accompagnaitau supplice. Attaqu par un lopard qui, aprsun
terrible coup de dent, se reculaet
laissa savictime couverte de sang, Saturus ramassa ses
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DE CARTHAGECHRTIENNE. G7
le narrateur, A la pudeur qu'A la douleur , et
essaya encore de rassembler ses cheveux en
lesfixant
avec une pingle. Puis, apercevantprs d'elle Flicitas tendue sur l'arne, elle
alla vivement A elle, lui tendit les mains et
l'aida A se relever. Alors on les ramena hors
de l'arne, la porte Sanavivaria. LA, Perp-tua, les yeux au ciel, dans un ravissement quilui rendait sa blessure insensible : Quand
donc, dit-elle, va-l-on enfin nous exposer A
celle vache? On avait beau lui dire que c'tait
dj fait, elle ne put le croire qu'en voyantenfin son sang couler. Elle reconnut A quelquespas, dans un groupe de chrliens, son frre : Soyez fermes dans la foi, dit-elle, aimez-
vous les uns les autres, n'ayez pas honte denotre martyre .
Mais l'insatiable cruaut de cette populaceafricaine, si capricieuse et avide de sang, r-
clamait A prsent A grands cris la reprise du
spcclable. On ramena donc les condamns au
milieu de l'arne, groups pour recevoir lamort. Ils se donnrent tour A tour le baiser de
paix ; puis, sans un mot, reurent A tour de
rle le dernier coup d'pe cl tombrent sur
le sable en une masse sanglante. Seule, Per-
ptua, frappe d'un coup maladroit, poussa un
cri de douleur sous la pointe de l'acier pn-
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trant entre ses ctes. Etendue sur l'arne, elleeut encore l'nergie de saisir la pointe de l'pc
qui tremblait dans la main du gladiateur et dela diriger elle-mme contre sa gorge.
NOTE
Ces lignes taient rdiges lorsque M. Hron deVillcfossc a rendu compte l'Acadmie des Inscrip-tions et Bcllcs-Lcltrcs, Asa sance du 27 mars 1907,d'une communication du Pre Delattre, le savantdirecteur du Muse de Carthage, qui l'pigraphicafricaine doit dj de si heureuses dcouvertes,faisant connatre celle Compagnie qu'il venaitde dcouvrir la pierre tombale, en morceaux, desmartyrs de Thuburbo, Mcidfa. Ce point est situ
enlrcSainle-Moniqueet la Marsa
; le Pre Delaltrca eu la bonne fortune de trouver cet endroit unvaste cimetire chrtien o il a dj recueilli prsd'un millier d'inscriptions. M. Hron de Villcfossc,avec une obligeance donl je le remercie encore ici,a bien voulu me transmettre le texte de l'inscrip-tion grave sur celle pierre, que voici textuellementreproduite et qui, d'ailleurs, parait tre, plutt que
la pierre tombale elle-mme, une memoria marty-rum de date extrmement ancienne :
......NT MARTY..I-fSATVRVS SATVllniiJM5fREBOCATVS SecumtulusfFELICIT Pmpelua
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CARTHAGE CHRETIENNE
AU TEMPS DE TERTULLIEN
(190 h 220)
Le rle de l'Eglise de Carthage dans l'his-
toire du christianisme en Occident est si con-
sidrable, qu'il serait difficile, peut-tre, de
l'exagrer. En Afrique, d'abord, cette Eglisea marqu d'une empreinte si vive le christia-
nisme de ce pays qu'il s'est toujours born, Ace qu'il semble, A reproduire les traits essen-
tiels de sa physionomie ; elle l'a li A ses desti-
nes d'un noeud indissoluble, A travers tout le
cours agit de son existence, jusqu'A l'effondre-ment dfinitif sous les coups de l'invasion mu-
sulmane. Pour l'Occident, elle apparat long-
temps, bien plus que l'Eglise de Rome, comme
la mtropole intellectuelle de la chrtient. C'est
chez elle surtout que l'Orient chrtien a nou
ses attaches avec les Eglises d'Occident. Par\c nombre de ses fidles, l'activit de sapropa-
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gande, l'hrosme de ses martyrs, l'ardeur etla tnacit de ses sectes, l'loquence et la vi-
gueur d'un apologiste tel que Terlullien, l'au-
torit si grande de ses voques, comme Cyprien,enfin par son action dcisive dans l'volution
du christianisme ancien, elle mrite, plus qu'au-cune, peut-tre, des grandes Eglises de ce
temps, d'attirer les regards, non seulement des
archologues et des historiens, mais de quicon-
que a le souci de chercher au fond du passles racines profondes du christianisme occi-
dental.
Essayons donc de nous reprsenter cette
Eglise, au moment o le plus fameux de ses
fils la remplit des rudes clats de sa voix, dansle cadre de sa vie, de ses usages, de ses moeurs,dans la ferveur premire de sa foi, le zle de
son apostolat, la fermentation de ses sectes, au
milieu des cris de haine qui l'assaillent du de-
hors.
I
L'Eglise de Carthage revt l'apparence d'une associationfunraire. Le cimetire chrtien de Carthage. Lac maison de l'Eglise . L'organisation ecclsiastique :l'vque, les prtres, les diacres, les lecteurs. L'Assem-ble gnrale. Les fidles, les catchumnes, lespnitents. Le baptme. Laltgle de foi.
Nous formons une association, nous avons
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pour lien la religion, l'unit de la disciplineet une commune
esprance ;nous nous assem-
blons pour invoquer Dieu (1). Ces quelquesmots de Terlullien marquent d'un trait net le
contour extrieur, en pleine Carthage paenne,de la communaut chrtienne A la fin du second
sicle.
Ici comme ailleurs,depuis qu'un
rescrit de
Scptime-Svre avait autoris dans toutes les
provinces de l'Empire, parmi la classe ouvrire,la formation de socits de secours mutuels
pour les crmonies funbres, les chrtiens
s'taient hAts d'adapter l'organisation de leur
communaut auxdispositions
d'une loiqui
vi-
sait, A la vrit, des intrts d'un ordre tout
diffrent et d'un objet beaucoup plus limit.
C'est sous le couvert de cette loi qu'ils s'taient
constitus en Association, tenaient leur Assem-
ble, avaient une caisse commune alimente
par les cotisations des membres (2) dont le
produit servait, pour une part, A l'entretiendes ministres du culte, pour le reste aux oeu-
vres de charit, et possdaient un cimetire
distinct. Et auss