alexandra david-n eel - editions paulsen
TRANSCRIPT
FEMME ACTUELLE JEUX EXTRADate : Septembre -octobre 2019
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.68,69,70,...,74
Page 1/6
PAULSEN 1236327500506Tous droits réservés à l'éditeur
K
AlexandraDavid-N eel
Il y a 50ans s'éteignait cette femme
hors norme. Son souvenir rayonneaujourd'hui dans sa maison de
Digne-les-Bains, en Haute Provence.
Sa demeure-musée à visiter
Par testament, celle qui a toujours mené sa vie commeelle l'avait choisie, désigne la ville de Digne-les-Bains
comme héritière principale de ses biens, manuscritset droits d'auteure. Attentive à ce patrimoine, la communes'est attachée à restaurer la maison d'Alexandra David-
Neel, que l'exploratrice avait baptisée Samten Dzong (soit
résidence de la réflexion, en tibétain). Depuis le 25 juin,la demeure et le jardin sont désormais accessibles au
public. Un musée a aussi été créé afin de mieux compren
dre cette féministe et voyageuse éprise de spiritualité.
Maison Alexandra David-Neel, 27, avenue du Maréchal-
Juin, à Digne-les-Bains (04). alexandra-david-neel.fr
cous le soleil de l’Inde, une femme
se tient nue, immobile au milieu
de cinq bûchers en feu. Parfois,
B une flamme la frôle. Ses mains
se contractent. Elle ferme les
yeux, terrorisée. La chaleur est
insoutenable. Elle ne fléchit pas et mur
mure : « Tiens bon, Alexandra, détache-toi de
la douleur, concentre-toi sur la force de ton
esprit. » Elle médite, comme le lui a apprisson maître bouddhiste tantrique et voici
qu elle sent déjà moins la chaleur...
Alexandra David-Neel, écrivain et orien
taliste renommée, exploratrice solitaire et
voyageuse infatigable, viendra à bout de
l’épreuve des cinq bûchers, comme de tous les
défis quelle se lancera. Des années durant, ellebravera interdits et difficultés pour explorer
toutes les contrées de l’Asie.
Elle voit le jour le 24 octobre 1868 à Saint-
Mandé, en région parisienne. Sa mère, Alexan
drine, est une femme stricte, préoccupée de ALEXANDRA DAVID-NEEL © VILLE DE DIGNE-LES-BAINS
FEMME ACTUELLE JEUX EXTRADate : Septembre -octobre 2019
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.68,69,70,...,74
Page 2/6
PAULSEN 1236327500506Tous droits réservés à l'éditeur
FEMME ACTUELLE JEUX EXTRADate : Septembre -octobre 2019
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.68,69,70,...,74
Page 3/6
PAULSEN 1236327500506Tous droits réservés à l'éditeur
Elle aime feuilleter l'atlas
de sa grand-mère.Rêve-t-elle déjà des voyages
qui l'attendent?
vertu, de tenue et d’économie. C’est àses côtés que la fillette entame ses pre
miers voyages. Alexandra a, semble-
t-il, des rapports plus tendres avec
Louis, son père, qui la surnomme Nini,
référence à son autre prénom, Eugénie.
Et pourtant, il passe peu de temps avec
elle, juste pour quelques promenades,
de temps à autre. Instituteur et profes
seur de français, il a un caractère entier,
comme sa fille.
Dans cette famille où rien ne semble
prédisposer à l’aventure, Alexandra
manifeste une soif d’évasion. Cet été
1871, elle le passe en Touraine, chez sa
grand-mère paternelle. Elle rêve de
s’échapper du jardin et un jour, s’enfuit.
Elle n’a pas encore 3 ans. On la rattrape.
C’est sa première fugue... Décidément,la fillette ne pense pas comme les
enfants de son âge. A 5 ans, elle repart
à l’aventure. Elle marche, droit devant
elle, jusqu’au bois de Vincennes. Elle se
confie aux arbres. La police la retrouve.
Pour adoucir sa tristesse, la fillette se
réfugie dans la solitude et la rêverie. Elle
se demande si « on fait mal aux brins
d’herbe en marchant sur la pelouse » et
s’interroge sur la petite porcelaine
chinoise qu’Alexandrine lui a offerte.Elle consulte l’atlas familial pendant des
heures. C’est ainsi quelle découvre le
pays d’origine du bibelot. Sa soif d’Asie,
elle, viendra plus tard.
S//e movc/ie
dwit devant,à /'aventure
En 1874, les David quittent Saint-
Mandé pour Bruxelles, ville natale
d’Alexandrine. Les saisons passent. Nini
grandit. Intelligente, curieuse de tout,
c’est une bonne élève, une bonne musi
cienne, douée au piano, cultivant une
voix de soprano. Adolescente, elle rêve
toujours d’ailleurs.
Alexandra n’est pas heureuse. Sa vie
lui paraît vide de sens. L’été 1883 lui
redonne le goût de vivre... et de fuir.
En vacances au bord de la mer du Nord,
elle prépare son sac et rassemble ses
économies. Et hop, l’oiseau s’envole.
Euphorique, elle promène ses 15 ans
sur la côte belge. Elle passe à pied en
Elollande, puis gagne l’Angleterre
quelle quitte quelques semaines plus
tard, faute d’argent. Louis et Alexan
drine retrouvent leur fille avec joie. Il
faudrait la punir, mais c’est peine per
due. L’adolescente est insensible aux
privations. Une maîtrise qu’elle aacquise grâce aux mortifications inspi
rées de la vie d’ascète qu’elle s’imposait
- jeûnes, nuits à même le sol. Ses parents
craignent un nouveau départ. Ils n’ont
pas tort. A 17 ans, elle s’enfuit à nou
veau, en Italie, cette fois. Elle y reste
jusqu’à épuisement de ses économies,
avant finalement d’écrire à ses parents
afin qu’ils viennent la chercher.Une amitié providentielle vient dis
traire la jeune fille. Elle sympathise avec
Elisée Reclus, avec lequel elle restera en
contact toute sa vie. Ce géographe réputéla comprend et la pousse à réaliser ses
rêves. Sa maison et sa fabuleuse biblio
thèque lui sont toujours ouvertes. Plus
tard, grâce à une amie protestante suisse,
la jeune femme rencontre Miss Morgan,
une Anglaise cultivée, membre de La
Gnose Suprême et de la Société théoso-
phique, des associations encourageantl’étude des religions et des philosophies
sanskrite et zen. Grâce à elle, Alexandray a ses entrées et peut ainsi se plonger
ALEXANDRA DAVID-NEEL © VILLE DE DIGNE-LES-BAINS (2)
FEMME ACTUELLE JEUX EXTRADate : Septembre -octobre 2019
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.68,69,70,...,74
Page 4/6
PAULSEN 1236327500506Tous droits réservés à l'éditeur
Alexandra débarque à Ceylon, avide de visiter ce paradis.
Elle a 25 ans et va enfin pouvoir nourrir sa quête mystique.
le musée Guimet, consacré à l’Extrême-
Orient. Une révélation ! Elle y admire
bouddhas et estampes. Au hasard d’une
visite, elle fait la connaissance de
madame Bréant. Cette femme connaît
l’Inde et raconte à la jeune fille la vie
menée là-bas, les monastères, les moyens
de transport, le budget nécessaire...
Quand Alexandra quitte le musée, elle
possède les clés de son premier périple,
celui qui la mènera à Ceylan et en Inde.
Reste à trouver le financement... Sa
marraine meurt et l’héritage tombe à
point. En 1894, un bateau emporte
Alexandra vers l’Asie de tous ses fan
tasmes. Elle a 25 ans et va enfin pouvoir
nourrir sa quête mystique.
em
Elle débarque à Ceylan, avide de
visiter ce paradis et, surtout, d’en com
prendre la spiritualité. Puis gagne l’Inde
« le pays des prodiges ». Elle s’initie aux
croyances locales, multipliant les ren
contres de sages, d’ascètes et de boudd
histes, en même temps qu’elle étudie
leur philosophie. Mais sa bourse se
vide ! Mademoiselle David quitte à
regret l’Orient, à tout jamais conquise.
Un jour, elle reviendra... Pour l’heure,
écrire lui paraît essentiel. Publier est
désormais son but.
Elle retrouve la France au bout de
quelques mois et parvient à faire éditer
ses articles dans des revues. Pour gagner
sa vie, elle décide de chanter... Sous le
nom de scène d’Alexandra Myrial, elle
enchaîne les engagements dans les
théâtres de province. Elle signe de plus
en plus de contrats, mais les cachets ne
suffisent pas. Elle se rapproche de Jean
Hautstont, un jeune contrebassiste, chef
d’orchestre suppléant, rencontré avant
son départ chez Elisée Reclus. Ils s’en
tendent à merveille. Amis, ils deviennent
amants, tout le monde les considère
comme un couple. Ils louent un appar
tement à Passy et, sur la boîte aux lettres,
féministe convaincue, elle proclame
aussi que l’homme asservit la femme.
Alors, si elle doit aimer, ce ne sera pas
un homme, mais une philosophie ou
un lieu. C’est à cette époque, qu’ intéres
sée par la religion et la spiritualité, elle
obtient de se convertir au protestan
tisme, et quitte le catholicisme. Elle
devient aussi théosophe, contre l’avis de
ses parents qui lui coupent les vivres.
Qu’importe. Le soir venu, après ses
cours, elle chante pour gagner un peu
d’argent. Elle fréquente aussi assidûment
dans les écrits consacrés à l’Asie. Elle
peine sur les textes rédigés en sanskrit.
Qu’à cela ne tienne, elle va le maîtriser !
Elle quitte Bruxelles pour Paris.
Dans la Ville lumière, elle étudie la
langue indienne au siège de la Société
théosophique, et s’inscrit à La Sorbonne.
Isolée, fatiguée, se posant trop de ques
tions, elle plonge dans une terrible
dépression. Elle pense à la mort. Mais
elle choisit de prendre la plume et rédige
un essai. Cela la soulage un peu. Elle a
21 ans et peine à trouver l’amour. En
FEMME ACTUELLE JEUX EXTRADate : Septembre -octobre 2019
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.68,69,70,...,74
Page 5/6
PAULSEN 1236327500506Tous droits réservés à l'éditeur
L Asie I attire toujours, tel un
aimant. Elle quitte son maripour l'Inde, le Tibet, la Chine
la Corée... Elle ne le reverra
pas avant quatorze ans.
les chemins d’Asie pour rencontrer des
sages et visiter des monastères. Un cha
peau ou un turban sur la tête, les pieds
dans de vieilles chaussures qu’il faut
graisser pour quelles résistent à l’hu
midité et àla chaleur, elle fait son « grand
voyage». Celui qui la rendra célèbre
dans le monde entier. Elle parcourt des
milliers de kilomètres à travers l’Inde,
le Tibet, la Chine, la Corée, le Japon...
Elle perfectionne sa connaissance du
sanskrit et rencontre les plus grands
religieux, les plus illustres penseurs :
brahmanes, lamas, gelons (mendiants
vertueux), docteurs en théologie,
moines, ascètes... et même le mahara
djah Kumar, chef religieux du Sikkim
(Etat indien entre le Népal et le Bhoutan)
qui la prend en affection. En avril 1912,
à Kalimpong, dans l’Himalaya, elle ren
contre le dalaï-lama. Elle ne se pros
terne pas devant lui comme le veut
l’usage, ce qui rend l’entrevue légen
daire. Acte délibéré ou simple omis
sion ? Nul ne le sait. L’homme regarde
avec étonnement cette bouddhiste sin
cère, cette Occidentale si cultivée. Elle
lui demande les éclaircissements qui
permettront à ses lecteurs européens
de mieux comprendre le bouddhisme.
Le dalaï-lama, stupéfait par son savoir,
lui propose une réponse écrite. Le docu
ment, exceptionnel, sera publié par Le
Mercure de France.
<Ja/aï-/ama
/id écrit
Philippe est subjugué par les audaces
de sa femme. Elle lui écrit plusieurs fois
par semaine et il conserve chaque lettre.
Il contemple souvent sa photographie et
rêve à chacun de ses exploits. En octobre
1914, Alexandra a rejoint un sage tibé
tain dans un ermitage, à 3 900 mètres
d’altitude. L’homme vit dans une
caverne, elle dans une autre. Son lit se
compose de maigres coussins. Quand il
fait froid, elle fait du feu et se couvre la
tête d’un turban en peau d’agneau.
inscrivent « M. et Mme Myrial ».
Solution idéale pour faire taire les ques
tions sur leur célibat tardif - Alexan
dra a plus de 30 ans. Ils resteront
ensemble au moins sept ans. Les mois
passent et sa voix s’exporte jusque dans
les colonies, en Indochine ou en Tuni
sie. Jean est toujours là pour la soute
nir. Elle n’est pas amoureuse. Au
contraire, elle est fière de n’appartenir
à aucun homme et d’être libre.
C’est sans compter sur le destin. Un
soir de septembre 1900, Alexandra
amant, la priant de revenir. Ce grand
séducteur tient donc à elle ! Indépen
dants tous les deux, ils refusent le mariage.
Ils veulent une relation libre et fidèle.
S//e cltt
Mais quand Philippe fait sa demande,
elle dit oui, pour le plaisir de le faire
mentir. Le 4 août 1904, à Tunis, ils
chante à l’opéra de Tunis qui l’a enga
gée pour plusieurs mois. Dans le public,
Philippe Néel, un ingénieur français des
chemins de fer. Son regard la bouleverse.
Elle ne résiste pas quand il l’emmène
dans sa garçonnière, un voilier baptisé
Hirondelle. Elle a 32 ans et s’apprête à
vivre une nuit de rêve. Quelques jours
plus tard, elle reçoit un poème de son
deviennent mari et femme. Après
quelques nécessaires mises au point
dans les premières années de leur
mariage, le couple fonctionne. Mais
l’Asie l’attire toujours, comme un
aimant ; elle repart. Philippe ne la
reverra pas avant... quatorze ans!
A dos de mule, de yack, de cheval, à
pied ou sur un siège, elle emprunte tous ALEXANDRA DAVID-NEEL © VILLE DE DIGNE-LES-BAINS (2)
FEMME ACTUELLE JEUX EXTRADate : Septembre -octobre 2019
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.68,69,70,...,74
Page 6/6
PAULSEN 1236327500506Tous droits réservés à l'éditeur
Le sage a accepté de faire d’elle sa disciple.
Il lui enseigne la philosophie et la langue
tibétaines, elle lui apprend l’anglais.
La vie quotidienne n’est pas toujours
facile malgré les soins de Yongden, son
serviteur. Elle a rencontré en chemin ce
Tibétain de 14 ans. Les premiers flocons
tombent. Alexandra suit l’ermite dans sa
retraite, en contrebas, près d’un monas
tère. Yongden l’accompagne. Ils vont res
ter là pendant six mois pendant lesquels
elle médite. L’ermite n’en finit pas de faire
l’éloge de l’endurance de la Parisienne.
ÇDeû wwib duwawt
mi Mwdifa/icms
Deux années passent ainsi. Puis
Alexandra décide de reprendre la route
avec son «fils». Elle veut voir Lhassa,
capitale secrète du Tibet. Jusqu’à présent,
aucune femme européenne n’y a eu
accès. La cité est interdite aux étrangers.
Un long voyage de trois années com
mence. Ils se déplacent la nuit pour ne
pas être repérés. La neige leur brûle les
pieds et la nourriture manque. Finale
ment, un jour de janvier 1924, épuisés,
ils pénètrent dans Lhassa. Alexandra dis
simule son visage sous une couche de
suie. Elle se fait passer pour la vieille mère
de Yongden. Un matin, elle se lave dans
la rivière, exposant ainsi son corps de
femme blanche et se fait repérer. Mais
l’étrange duo a déjà fui. Alexandra a
atteint son but. Son exploit fait sensation
dans le monde. Lhassa était son grand
rêve, sa « dernière aventure ».
Epuisée par quatorze années de
pérégrinations, l’exploratrice fait un
retour triomphal. Philippe a informé la
presse de ses prouesses. Elle reçoit
toutes sortes de distinctions dont la
Légion d’honneur. En 1925, Alexandra
David-Neel (elle a souhaité retirer l’ac
cent de son pseudonyme afin, certai
nement, d’américaniser son nom) est
le sujet à la mode. Elle publie de nom
breux articles et donne des conférences
au Collège de France. Elle commence
la rédaction de son livre majeur, Voyage
d’une Parisienne à Lhassa. Ce sera un
succès retentissant, qui lui permet
d’acheter une maison à Digne-les-
Bains. Elle l’appelle Samten Dzong, la
« forteresse de la méditation » en tibé
tain, que la voyageuse traduira à la fin
de sa vie par « résidence de la réflexion ».
A 69 ans, elle décide de retourner en
Asie. Ce sera d’abord la Chine. Alexan
dra et Yongden y rencontrent les pires
difficultés. Ils atteignent l’Inde après
trois années de voyage. Affaiblie, la
vieille dame doit se l’avouer, « le voyage
est terminé ». Elle passera le reste de son
existence à rêver d’Asie, à caresser tous
ses souvenirs dont elle a décoré sa mai
son. Elle prend conscience de sa vieillesse
et écrit beaucoup.
A100 ans, elle parle de repartir et fait
renouveler son passeport. Le 8 septem
bre 1969, Alexandra s’en va rejoindre les
étoiles. En février 1973, après une céré
monie bouddhique, sa secrétaire et dame
de compagnie, Marie-Madeleine Pey
ronnet, immerge les cendres d’Alexan
dra et de Yongden (mort en 1955) dans
le Gange. La dernière fugue de la
fille de Louis et Alexandrine. *
in mmAlexandra
David-Neel,cent ans
d'aventure,
J. Mascolo
de Filippis,
éd. Paulsen,
39,50€.
ALEXANDRA
DAVID-NEEL
D'AVENTURE