amado, g. -subjectivitÉ limitÉe, travail et rÉsonance psychique

14
SUBJECTIVITÉ LIMITÉE, TRAVAIL ET RÉSONANCE PSYCHIQUE Gilles Amado in Yves Clot et Dominique Lhuilier , Travail et santé ERES | Clinique du travail 2010 pages 65 à 77 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/travail-et-sante---page-65.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Amado Gilles, « Subjectivité limitée, travail et résonance psychique », in Yves Clot et Dominique Lhuilier , Travail et santé ERES « Clinique du travail », 2010 p. 65-77. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. © ERES

Upload: miriam-wlosko

Post on 25-Nov-2015

10 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • SUBJECTIVIT LIMITE, TRAVAIL ET RSONANCE PSYCHIQUE

    Gilles Amado

    in Yves Clot et Dominique Lhuilier , Travail et sant

    ERES | Clinique du travail

    2010pages 65 77

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/travail-et-sante---page-65.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Amado Gilles, Subjectivit limite, travail et rsonance psychique , in Yves Clot et Dominique Lhuilier , Travail etsantERES Clinique du travail , 2010 p. 65-77. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour ERES. ERES. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    1 / 1

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • Subjectivit limite,travail et rsonance psychique

    Gilles Amado

    Rsonance psychique et travail

    Aborder les liens entre subjectivit et travail, cest pour moitre sensible avant tout un phnomne que jai nomm la rsonance psychosociale et que je dfinis ainsi : La rso-nance psychosociale est un processus diachronique et/ou syn-chronique, situ larticulation du psychique et du social,caractris par lintensit particulire avec laquelle vibrent lin-trieur dun mme psychisme ou de plusieurs psychismes eninteraction des lments spcifiques du contexte social (Amado, 1994). Pour faire simple, disons que ce qui distingue lesindividus, entre autres lments, cest le fait quils ne sont pastouchs de la mme faon par les mmes vnements, mme sicertaines circonstances peuvent produire des rsonances col-lectives, des ractions communes, certains moments, au seinde groupes, dinstitutions ou dune partie importante dune mmesocit. Cest une notion charnire qui me semble importante,non seulement pour penser larticulation social/psychique maisaussi pour rester au plus prs de la subjectivit au cours desinterventions.

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 65

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • Bien quemprunte aux physiciens et aux spcialistes de lamcanique quantique, la notion de rsonance est prsente etpeut tre retrouve au cur de la posie comme de la clinique. Il pleure dans mon cur comme il pleut sur la ville , murmu-rait Verlaine Londres, alors en plein dsarroi dans sa relationavec Rimbaud. Pour les cliniciens, la rsonance figure au curdes phnomnes transfro-contre-transfrentiels et se trouvedailleurs lorigine de la dcouverte de la psychanalyse. Sou-venons-nous du trouble qui avait saisi Freud lissue dunesance dhypnose avec lune de ses premires patientes, lors-quelle lui sauta subitement au cou : Javais lesprit assez froidpour ne pas mettre cet vnement au seul compte de mon irr-sistibilit personnelle , expliquera-t-il plus tard, insight qui luipermit, en dcouvrant le transfert, dabandonner lhypnose et dedonner corps la thorie et la pratique psychanalytiques. Onpeut mme avancer que la psychanalyse est ne dune rso-nance trs particulire : le bref conflit intrapsychique chez Freudentre le pulsionnel et les exigences surmoques du mtier a vitetourn au dgagement sublimatoire. Donc, merci Freud pource renoncement heuristique au laisser-aller.

    Au plan collectif, la rsonance est implicite dans les phno-mnes tels que la pense groupale (Janis, 1972), lillusion grou-pale (Anzieu, 1971), les alliances inconscientes et pactesdngatifs (Kas, 1989), ou dans les processus dinter-fantas-matisation surtout tudis par les thrapeutes familiaux. En cequi concerne le travail, Christophe Dejours (1987-1988) parle dersonance symbolique comme du verrou interne de la subli-mation, la dcouverte de la psychanalyse en offrant un bonexemple.

    Pour ma part, comprendre les liens entre subjectivit et tra-vail, cest apprhender dun ct ce qui rsonne du travail et deson contexte dans la psych, ainsi que ses effets sur lindividu,son environnement, lorganisation ; et de lautre, ce qui est

    66 Travail et sant

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 66

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • 1. A. Ferrant : La psychanalyse et les risques du mtier , communicationau colloque Les ambiguts de la relation daide , organis par la Nou-velle Revue de psychosociologie et le CIRFIP, AgroParisTech, 13 dcembre2008.

    investi psychiquement, ponctuellement ou plus constamment parles individus dans leur travail et son contexte, avec quels effets,non seulement sur leur rapport au travail mais aussi sur le dve-loppement de leur personne, sur leur environnement profes-sionnel et personnel.

    Ainsi, laccs la subjectivit passant par la parole, laquestion : Parlez-moi de votre travail ou Parlez-moi devous et de votre travail , les ractions peuvent porter la foissur le contenu du travail, sur les relations avec les collgues, surles dgts produits sur la vie familiale, sur la jouissanceprouve, labsurdit du cadre, que sais-je encore. Les rso-nances imprvisibles peuvent tre considres comme ayanttoutes affaire dune faon ou dune autre avec le travail, si lonaccepte que les associations libres ne sont pas le fruit du purhasard. Il me semble que cest bien, en effet, lassociativit ,comme le dit Alain Ferrant 1, cette mthode-cl daccs aux pro-cessus inconscients, individuels et collectifs (cf. les chanesassociatives groupales, Kaes, 1991), qui permet de pntrer aucur de la subjectivit. Mais reconnaissons que son accs poseun rel problme tant aux chercheurs quaux consultants dans lamesure o les moyens de sa protection (contre une ventuelleexploitation) sont loin dtre garantis.

    Toutefois, ce nest pas exactement cette subjectivit-l quesemblent sintresser la plupart des cliniciens du travail. En pro-posant la notion de subjectivit limite , je voudrais voquerrapidement comment plusieurs des courants dominants de la cli-nique du travail sadressent, chacun avec ses prsupposs etses objectifs propres, une partie choisie de la subjectivit.

    Subjectivit limite, travail et rsonance psychique 67

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 67

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • Les diverses formes de subjectivit recherches

    UNE SUBJECTIVIT COLLECTIVE HORS TRAVAILSignalons en premier lieu ltrange absence du travail, jus-

    qu ces dernires annes, dans la plupart des travaux despsychosociologues cliniciens, plus sensibles la trilogiegroupes, organisations et institutions depuis toujours. La mise lcart du travail est dailleurs corrlative de la naissance desgroupes de diagnostic qui, ds 1947 Bethel, figurrent ctdes groupes avec tches (les task-groups) avant de les rem-placer de faon aussi rapide que surprenante. Cest que lin-trt, voire la fascination, pour les relations interpersonnelles etles dynamiques inconscientes collectives allait alors prendre lepas sur ltude du faire en groupe et donner corps au mouve-ment de la dynamique de groupe qui se trouve au cur de lhis-toire de la psychosociologie. Elliott Jaques (1995), plus tard, eutdonc beau jeu de qualifier ces trainings-groups de free-wheelinggroups, cest--dire de groupes en roue libre, coups de la ra-lit du fonctionnement organisationnel tandis que Lapassade(1967) et les analystes institutionnels franais en dmasquaientles effets doccultation du pouvoir. Mais aucun psychosocio-logue clinicien dclar, notre connaissance, ne fit du travaillobjet central de ses recherches avant les annes 1980. Peunombreux sont encore aujourdhui les psychosociologues quiassocient subjectivit et travail dans leurs recherches, mme siun engouement rcent et quelque peu dbrid ce sujetsemble se manifester, sorte dcho tardif aux maltraitancesenfin reconnues (et parfois trangement fantasmes et/ouexploites, Hirigoyen, 1998, 2001) ainsi quaux suicides dsor-mais largement mdiatiss. Exception notoire, Dominique Lhui-lier tente de rparer cette carence grce ses nombreuxtravaux psychosociologiques qui dpassent les diverses colesde pense (Lhuilier, 2002, 2006).

    68 Travail et sant

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 68

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • Notons par ailleurs que le dveloppement des groupesdanalyse de pratiques semble remplacer peu peu les forma-tions la dynamique de groupe et sancrer davantage sur lex-prience du travail et son partage, mais les dispositifs propossncartent pas toujours les risques de psychologisation.

    UNE SUBJECTIVIT COLLECTIVE DFENSIVECertains cliniciens anglais du Tavistock Institute of Human

    Relations qui ont particip au dveloppement du courant socio-technique ont bien tent dclairer les liens entre processus psy-chiques et travail. Pour ce faire, ils ont eu surtout recours auxthories psychanalytiques groupales (dans la ligne de Bion,1961) qui les conduisent articuler ce quils nomment le systme sensible (sentient system) avec la tche, galement appeletche primaire qui, si lon y regarde de prs, nest pas diff-rente de la simple prescription organisationnelle. Cette fonctionsensible est celle qui a trait la vie sociale et motionnelle desemploys et qui serait responsable de la motivation au travail, letravail lui-mme tant alors secondaire (Czander, 1993). Dautresauteurs et spcialistes de la recherche-action sont plus prudents,tels Eric Miller et Ken Rice (1990), qui insistent sur le lien troitentre systme sensible et tche primaire.

    Donc rien ou peu de chose sur le travail lui-mme, sur lacti-vit et ses effets symbolignes ou dsubjectivants, lexceptionpeut-tre des travaux de Gordon Lawrence (1977) qui distinguetrois types de tches primaires : la tche primaire normative , cest--dire la tche officielledfinie par la hirarchie ; la tche primaire existentielle , celle que les personnescroient accomplir, le sens ou linterprtation quelles confrent leurs rles et activits ; la tche primaire phnomnale , qui peut tre dfinie partir du comportement des personnes et dont elles pourraientne pas tre conscientes.

    Subjectivit limite, travail et rsonance psychique 69

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 69

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • Orienter la subjectivit des acteurs sociaux vers la prise encompte de ces trois tches devient alors la mission des inter-venants.

    Mais, plus que toute autre considration, ce sont les anxitsau travail qui demeurent la marque essentielle des chercheursdu Tavistock, anxits produisant des mcanismes de dfensecollectifs inconscients, ncessairement anti-tche , comme lamontr Isabel Menzies Lyth (1960) dans son travail pionnier surles dfenses sociales des infirmires. Il y aurait l comme unparfum de pathologie dans cette subjectivit inconsciente.

    UNE SUBJECTIVIT SOCIALEMENT POSITIVELapproche sociologique de la subjectivit au travail, telle

    que lexpose Danile Linhart (2008), vise explorer essentielle-ment lempreinte laisse par la socit sur cette subjectivit. Ce qui intresse le sociologue dans la subjectivit au travail,prcise-t-elle, est le dpt, la trace quy laisse la socit [] entant que sociologue, nous avons nous fixer sur cette partie oudimension de la subjectivit qui inscrit une histoire communeentre lindividu et sa socit et nous en tenir l (p. 14). Etcest bien, pour elle, cette subjectivit-l qui serait attaque parle management moderniste , avide de la formater pour lhar-moniser avec la culture gestionnaire de lentreprise. Prudentetoutefois, peut-tre face aux dnonciateurs de lemprise sociale,Danile Linhart reconnat que la subjectivit au travail se nourritaussi de la prsence rassurante quoique dominatrice de lasocit , mais elle lui confre, selon moi, une dimension tlo-logique aux accents rousseauistes, voire rogeriens (quid de lapulsion de mort ? a-t-on envie de demander), en voquant sonaspiration luniversalit et son ouverture fondamentale surla socit (p. 18), sans doute inspire par lune des deuxconsciences chres Durkheim (celle dont les tats sont com-muns la socit tout entire).

    70 Travail et sant

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 70

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • UNE SUBJECTIVIT POLITIQUE CIVILEMENT RECHERCHELes sociopsychanalystes, ds le dbut des annes 1970,

    la suite de Grard Mendel, par leur dispositif groupal groupeshomognes construits partir de la division technique et hirar-chique du travail, communication indirecte uniquement par critentre groupes de mtiers favorisent lamlioration des condi-tions de travail et aident au dveloppement de la personnalit psychosociale ( laquelle la psychanalyse a peu accs).Pour cela, ils excluent des discours acceptables les revendica-tions de type syndical, labord des tensions strictement interper-sonnelles, la diffusion dtats dhumeur trop violents et, pluslargement, lexploration des rsonances avec les lments psy-chiques lis la personnalit psychofamiliale (Mendel,1998). Cette subjectivit matrise est bien souligne parClaire Rueff-Escoubs (2008, p. 104), lune des pionnires de lasociopsychanalyse : Les attaques personnelles nont pasplace dans ce dispositif : expression et destinataires sont collec-tifs. Les dsaccords, critiques et reproches sadressent, aumme titre que les satisfactions et les propositions, la cat-gorie concerne et non des personnes. Les formulations doi-vent tre recevables de part et dautre. Cest cette forme decivilit exige qui faciliterait la focalisation concerte sur le tra-vail, condition de la dcouverte dune partie de soi-mme, car ceserait en modifiant les conditions de travail que se modifiera lapsychologie des personnes et non linverse (Rueff-Escoubs,2008, p. 188). Il sagit donc bien de dmasquer une subjectivit politique touffe par une hirarchie qui tente de faire vivreles conflits sur un mode essentiellement interpersonnel, voireintrapsychique (la rgression du politique au psychique ).Seul laccs cette subjectivit politique autoriserait un vri-table pouvoir sur lacte.

    Subjectivit limite, travail et rsonance psychique 71

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 71

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • UNE SUBJECTIVIT HORS DE SOI ET INSUELa clinique de lactivit (Clot, 1999), travers les mthodes

    de lautoconfrontation croise et du sosie, stimule une subjecti-vit disponible mais latente, autour des alternatives du faire. Lacentration sur le travail concret travers lchange aide ici lindi-vidu sortir de lui-mme car le travail permet de saventurer horsde soi et, dans cette sortie, se construit la subjectivit. Les dia-logues professionnels promus par la clinique de lactivit per-mettent de mettre en vidence le fait que lactivit ralise nereprsente quune partie de lactivit (Vygotski, 1934/1997).Existent ct delle des formes dactivits au sein desquelles lasubjectivit, le plus souvent non consciente, se trouve comme enarrire-plan : lactivit rve, lactivit empche, lactivitimpossible, par exemple.

    Cette dmarche met galement en vidence llaboration debuts lacunaires , de buts qui dchargent la personne dun fardeau subjectif (Clot, 1997) bridant laction signifiante. Ici,la centration sur lactivit laisse volontairement de ct le poidsdu contexte organisationnel et interpersonnel sur les situationsde travail et la vie psychique, les processus subjectifs et inter-subjectifs lis lactivit tant explors dans une sorte de paren-thse scientifique .

    UNE SUBJECTIVIT COLLECTIVE TOUFFEMAIS POTENTIELLEMENT RUSE

    La psychodynamique du travail sintresse, quant elle, lorganisation du travail rel quelle tudie de prs travers sonactualit comme son histoire pour en comprendre les effets, engnral pathognes, sur les individus et explorer les stratgiesde dfense mises en uvre collectivement pour se confronter aurel. Pour Dejours (1980/1993), la cible de lenqute (cur delintervention), en psychodynamique du travail, cest le rapportdu collectif au travail et les effets doccultation des systmes

    72 Travail et sant

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 72

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • collectifs dfensifs sur la souffrance et, au-del, sur le mode dac-tion de lorganisation du travail et ses effets pervers au regard dela sant psychique , pour sacheminer vers une coordination desintelligences. Cest dans la souffrance que se concentrerait lasubjectivit car elle contiendrait, en quelque sorte, la potentialitdune rsistance au dsir dautrui et dune conqute et transfor-mation du monde et de soi-mme. Pour la psychodynamique dutravail, le dveloppement de la subjectivit passe donc par le rap-port entre la souffrance et le rel. Les rsonances avec le thtrepriv (et les problmatiques psychopathologiques ventuelles)ny sont pas explicitement explores, la rsonance symbolique(Dejours, 1987-1988) voisine de la sublimation tant ici privil-gie, les rsonances moins nobles laisses de ct.

    En guise de dispute

    En voquant brivement ces dmarches diverses, jai tentde montrer que chacune sadresse invitablement une partieseulement de la subjectivit, celle qui correspond avant tout auprojet scientifique, pragmatique, politique du chercheur ou/et delintervenant. On peut donc parler de subjectivit limite danstous les travaux de clinique du travail. Question : cela pose-t-ilproblme ? Non, si lon admet limpossibilit de laccs unesorte de subjectivit totale. Mme la psychanalyse ne peut pr-tendre cette utopie, elle qui favorise lexploration des pro-cessus inconscients plus que tous les autres. Chacun descourants ci-dessus permet dapprhender une partie ou uneforme de subjectivit, le courant franais de la clinique du travailoffrant de ce point de vue, dans ses diffrentes dclinaisons, unecontribution tout fait originale.

    Toutefois, deux risques existent : le premier est celui de lafermeture dogmatique sur sa propre conception de la relationsubjectivit/travail, le second a trait ce qui me semble laiss de

    Subjectivit limite, travail et rsonance psychique 73

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 73

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • ct par les postures pistmologiques et mthodologiques desdiffrents courants, ou valoris de faon systmatique. Je nereviens pas sur le risque premier. Ce risque est en effet inhrent toute production intellectuelle qui veut faire cole et, aprs tout,peut-tre indispensable un tel projet, condition toutefois quelinvitable narcissisme des petites diffrences (Freud, 1929)conduise une intolrance bien tempre (Amado, 1999).En ce qui concerne le second, il correspond des champs, selonmoi, insuffisamment explors ou volontairement ngligs pourune srie de raisons plus ou moins discutables.

    1. Le privilge accord au collectif (son idalisation ?) entrane leplus souvent la mise de ct de la subjectivit singulire. Dansla plupart des travaux en clinique du travail, la subjectivit estavant tout sociale. Quen est-il de la conflictualit intrapsy-chique ? Serait-elle essentiellement dorigine sociale ? Com-ment nier que la bagarre entre les diverses instances delappareil psychique et le conflit entre ros et Thanatos sorga-nise partir de et autour dune dynamique singulire ? Cestdailleurs la perception de cette singularit qui oriente parfoisvers des demandes daccompagnement individuel, voire decoaching, demandes largement mprises par les psycho-logues, psychosociologues et sociologues du travail, dnonanten chur les risques de psychologisation. Or, mme si je par-tage beaucoup de ces rserves (Amado, 2004), laccompagne-ment individuel nautorise-t-il pas parfois laccs un moipolitique plus efficacement qu lintrieur du collectif ? Laquestion mrite, mon sens, dtre pose et le recours syst-matique au collectif questionn. Lhistoire comme les travauxdes cliniciens du social sont l pour montrer aussi les impasseset les dgts produits par les collectifs sur lesquels psent tou-jours les dangers de la normalisation, de la dpendance, voirede la soumission, plus ou moins librement consentie.

    74 Travail et sant

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 74

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • 2. La centration quasi exclusive sur le travail na-t-elle pascomme effet possible de minimiser le poids des liens complexeset conflictuels qui larticulent lenvironnement humain, aux pro-cessus de pouvoir, au contexte organisationnel au sein duquel ilprend place ? Certes, les dmarches systmiques sappuientsouvent sur une interdisciplinarit superficielle et des formesdintervention manipulatoires, mais le relatif isolement de lavariable travail nest pas non plus sans danger ds lors quonvise une action de transformation.3. Labord de la relation subjectivit/travail partir des discoursne se heurte-t-il pas plus souvent quil ny parat, en raison desrisques perus de son dvoilement, des sortes de tmoi-gnages et rcits-crans (Declerck, 2001), cest--dire desrcits plus ou moins banaliss, destins masquer la vrit desaffects et des actes ? La caution accorde trop souvent au dis-cours manifeste ne nous conduit-elle pas surestimer ce quenos interlocuteurs nous disent et sous-estimer ce quils nenous disent pas afin quon ne sache pas ? Ladresse ntantjamais neutre, quelle distance prendre par rapport ce qui nousest dit ?4. Naccorde-t-on pas un crdit excessif au discours de la plainteau dtriment de certains bnfices ventuels quelle recouvre ?En y prtant une oreille plus quattentive, ne renforce-t-on pas lesentiment dimpuissance, le poids des contraintes ? Cette collu-sion ventuelle entre le chercheur ou lintervenant et les indi-vidus ou les groupes naide-t-elle pas aussi justifier le statut deprofessionnel extrieur ?5. linverse, en sefforant de favoriser une organisation de tra-vail plus dmocratique, plus subjectivante, plus conviviale aussi,ne contribue-t-on pas, la limite, la cration dun monde anti-1984, anti-Huxley, o les travailleurs prendraient tellement deplaisir, participeraient avec une telle joie llaboration collec-

    Subjectivit limite, travail et rsonance psychique 75

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 75

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • 2. They intoxicate themselves with work so they wont see how they reallyare. 3. Work is the refuge of people who have nothing better to do.

    tive, la confrontation crative au rel, quils pourraient produireavec bonheur et insouciance les lments de la destructionhumaine et environnementale ?6. Si le travail idal reprsente une condition du bien-tre, dudveloppement de la personnalit et du lien social, lintoxicationau travail (workaholism, Robinson, 2008 ; Burke, 2005) neconstitue-t-elle pas une fuite de soi-mme, comme lvoquaitjustement Aldous Huxley 2, ou un refuge pour ceux qui nont riende mieux faire, comme laffirmait premptoirement OscarWilde 3 ?7. un degr moindre, peut-on nier quune forme de plaisir relau travail soit galement la source de ngligences dans sa viefamiliale, par exemple, ou de la limitation de sa vie hors travail ?

    De telles questions sont en grande partie, bien entendu,celles de lavocat du diable et chacun des courants de la cli-nique du travail ci-dessus interpells y apporte ses propresrponses. Le trait commun qui unit ces dernires, me semble-t-il, est celui dune posture fondamentalement politique . Cequi est recherch, travers les thories et les mthodes qui lesaccompagnent et leur donnent corps, cest le dbusquage et lamise en valeur dune subjectivit consciente des forces socialesqui tentent de larraisonner, mais entreprenante, ouverte sur lesautres et sur le monde. Il est intressant de noter, de ce pointde vue, que les cliniciens du travail, pour atteindre cette subjec-tivit-l, laissent volontairement de ct le recours lhistoireindividuelle, comme sils devinaient et/ou redoutaient ses effetssocialement dmobilisants ds lors quon sy rfre dans les

    76 Travail et sant

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 76

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES

  • situations de travail. Mais il y a davantage : tous les clinicienssont sensibles au cadre, au dispositif, ce quil vise comme cequil laisse de ct. Et, de ce point de vue, un ventuel cadre per-mettant darticuler lhistoire individuelle et le pouvoir dagir nestpas encore stabilis.

    Bien que se nichant secrtement au cur des crises commede la cration, la rsonance psychosociale, si fondamentale pourcomprendre les processus subjectifs et intersubjectifs, cherche elle-mme les dispositifs transitionnels (Amado etAmbrose, 2001 ; Amado et Vansina, 2005) au sein desquels sonexploration pourrait contribuer non seulement lengagementsocial de la science sociale , comme le prnent les chercheursdu Tavistock (Trist et Murray, 1990, 1993), mais plus largementau dveloppement dune citoyennet claire.

    Subjectivit limite, travail et rsonance psychique 77

    01 Int. CLOT-Travail... T1:01 Int. CLOT/Travail... T1 11/01/10 18:11 Page 77

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    univ_

    nacio

    nalla

    nus

    - -

    190.

    220.

    150.

    130

    - 28/

    06/2

    012

    22h1

    3.

    ERE

    S D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - univ_nacionallanus - - 190.220.150.130 - 28/06/2012 22h13. ERES