1 - bresson - l Économie de la grèce des cités (vol i) - (cap i)
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8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
1/23
LAIN BR ESSON
· ·
L économie
de la
rèce
des cités
fin
Vl
e_ er siècle a.C.)
1
es structures
et
la
production
,
RM N
D COLIN
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
2/23
COLLECTION U • HISTOIRE
Ouvrage publié
sous la direction
de
Maurice Sartre
Illustration de couverwre Forgeron au travai l Staatliche
Museum
.
Alles Museum. Pergamon Museum. D ie Antikcnsammlung. Berlin
inv. F 154196 coupe atttque à figures rouges attribuée au groupe
du
pseudo-Panaitios c. 150 a.C. DR
0 Armand Colin Paris 2007
IS N
978-2-2002-6504-5
Tous
droits e traduction, d adaptation et
de
reproductionpar tous procédés, réservés
pou
r
tous
p a ~
• Toute repr oducuon
ou
rep
rc?sen:attOn
intégrole ou partielle, par quelque procédé que ce
s o i ~
des
pages publiées dans le présent ouvrage, faite s ns l au torisation e l éditeor, est illicite et consmuc une
con
trefaçon. Seul
e>
sont autorisées. d une
part le>
reproduolons strioement réservées
à
l'usage privé
du copiste et non destinées à une utiltsation co
llect•ve
et, d autœ part.
les
courtes i t ~ t i o n s justifiées
par le caraCtère scienlifique ou d information de l œuvre dans laquelle elles sont incorporées
(art. l t 22 4. l 122-5
et
l.
335
-2
du
Code
de
lo p
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
3/23
.
•
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••
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•
•
Lkonomie de fil Grèce des i és fin Vf-f siècle a.C.)
Pour résumer, pendant longte mps.
bi
en plus
que
ce lui de Rome, le
paysage
des travaux co n
sac
rés à l économie de la
Grèce
ancienne s apparentait à un
désert.
Aujourd hui,
le
désert
a lais é
place
à la forêt
dense, oo
il
est
diffi
cile
de
se
re
pérer
tant les
pu
blica ti
ons se sont multip
liées
sur
tous l
es
sujets.
On
risque
de
se perdre dans ce tte ju ngle, d autant que les guides pour trouver son
c
hemin
ne sont pas légion
2
• Cet ouvrage a pr
écisément pour but
de rem
édie
r à
ceue lacune. Il ne
pr
é
tend
null
emen
t
à
l
ex
haustivit
é,
que
son
format réduit lui
mt
crdirait de toute façon, et pas davantage
à être
la
somme
de ce
que
l
on
pourrait
êt
re e n mesu re
d éc
rire sur
l éco
nomie
antique dan
s
l
é
tat
actuel de
nos con
naissances
.
Au
contraire, on a eu le souci de présenter ici les bases sur
l
esq
uelles se construit actuell
ement
le savoir en m
atière
d éc o
nomie
de la
Grèce
ancienne, de faire le
point
s
ur quelques grands debats
historiograpbi
que
;
ct
d introduire à des
méthod
es
de travail
allia
nt les outils tr
adi
tionnels
d analyse des so
urces en histoire
ancienne
aux perspectives de la recherche
éco nomiq ue contempora ine . On ne trouvera donc pas ici une « histoire
éco
no
llll
>-
un
sujet qui
nécess ite r
ait
un ou plusieurs
autres
ouvrages à
lui
tout
seul -
ma
is
une ana
l
yse
thématique des stru
ctures
de
l
éco nomie de
la Gr
èce de
s cités.
Mèrne avec cette restriction, les su
je
ts traités auraient pu être plus nom
hrcux, les références plus denses (en règle gé n
éra
le nous ne donnons qu une
ou c leux r
éfére
nces pour une so urce). Sur
chaque questio
n ou presque, la
bibliographie aurait
pu être
beaucoup p
lu
s abondante.
On
a
essayé
de
donner
l esse nt iel,
en
accor
dant
u
ne at
tention particulière
aux
th
ématiques
l
es
plu s
r é ~ . : e n e > ,
e n renvoyant aussi déli
bérément
le l
ecteur à
des ouvrages
co
llectifs
ou a ~ . : t c s de co
ll
oq ues qui , so uvent, représe
ntent
le moyen le plus rapide de
fa. re le tour d une ques tion.
1 objectif
de
ce
livre est de permettre un pre
mi
er co ntact avec une
matière
réputée
difficil
e.
U
s agit
de baliser de
gran
ds itiné
raires, surtout
de sensibili
ser 1\ la nouvelle problématique de l économie de la Grèce anc ienne. De la
sorte, le lecteur devrait ensuite être à même de réagir de manière
autonome
et
de trùccr
son
propre che
min
face aux sources ou aux
thèmes
qui n
auront
été
1c1 4u ahordés rapideme
n t ou
pas
du
tou t Le
cad
re géographique de
réfé
renœ
se
limite
à
la Grèce
égéenne
et à la côte
ouest
l A
sie
Mineure
3
. Al
ors
4u dle jou ent un rôle s i important dans le développement économique du
mmM
ic
hellénique
dan
s
so
n
ensemble.
les r
égions périphériques
de
la
Méditer
muée
co l
onisées par
les Grecs ne sont pas abordées pour elles-mêmes mais
-.culcment,
éven
tuell
emen
t,
dan
s leurs relations avec
l espace
égéen. Il
en
va
de
m ~ m pour
l
es
roya
ume
s i
ss
us
de
la
co
nquête d
Alexandre
.
l.
c sty le d
écriture diftère
aussi
en
partie de ce lui
des
ouv
ra
ges classiques
c.l h1sllmc ancienne. Certes, on y a souvent recours aux sources (s
auf
notation
wntra1rc, toutes les traductions sont de
notre cru).
Mais ce livre réserve
auss
i
um
· place Importante a
ux
hypoth
èses
globalisantes. U
sera lu
de manière plus
prohtahle
si le l
ecteur
a au
moins une
sensibilité à l
approche économique en
lncroduceion
général,
mai
s il ne néces site pas un savo ir techniq ue pr
éalabl
e dans c e
domaine.
Pour
qui souhaiterait en savoir plus
en mat
ière de théorie
éco
nomi
que, il e x i s t ~ d_ excellents
manue
ls de base ou des dictionnaires qui permettent
de
trouver
a1
sement un
accès
aux
questions essentielles
4
•
En raison
des débat
s
qu a suscités l éco nomie du monde a ntique en général, et celle de la Grèce
an tique en particulier, l ouvrage
s o
uvre par un chapitre
d historiographie
. Le
lecte
ur
pressé pourra
sa
uter
dire
ctement au chapitre 2 ct revenir éventuelle
ment
ensuite au
chapitre t.
Ce premier volume, consacré aux struc tures
et
à la
production,
se
ra sui vi
d un
deuxiè
me
, qui trait
er
J u marché
et
du mon
de de
l échange. On trouve ra dans ce deuxième volume une liste d
a
bréviations et la
bibliographie générale.
. Nombre de d
éve
loppements publiés ici ont été présentés
dev
a nt nos étu
diant
s de
ma
s er et de
doctorat
de
1Unive
rsité de Bordeaux 3 et devant
no
s
étud
ian
ts
de l
U
nivers ité
de Chicago pendant
le « spring
quarter
» de
2005. Tl
s
nous ont posé les qu estions les plus pertinentes
et
nous on t aus si ob ligé à
r
eformu
le r ~ o m r e de
propo
sitions pour tenter de les re ndre plu s aisé
ment
comp
réhe
nstbles. Ce
manue
l aurait
rempli
son but si, au delà de co nna issan
ces
factuelles, les
ét
udiants
pouvaient
y trouver
des pistes
qui stimulent leur
réflexion et prendre c
onscience que
le c
hamp
i
mmense qui s offre
à la r
eche
r
che l
eu
r es t ouvert
Nos vifs remerciem
ents
vont à M. Sartre,
qui
nous a poussé à nous lancer
dan
s
cette aventure,
et
aux amis et
co
ll
èg
u
es
qui
no
us o
nt
foum i d
es
r
éféren
ces ou
fait d utiles su
ggestion
s,
en parti
c ulier P.
Arnaud,
J. -
P Bo
st, P.
Brun
,
Fr. de
Ca
llat
ay
, C
hr
. Flam
en
t,
1 France,
Fr. Kirbihler, Chr. Müller, Gr.
Oliv
er,
Chr. Pébarthe
et
R. Saller. Pour
l
étab lissement
des
ca rtes, nous avo ns bénéfi
cié de l aide deN. Pexoto (Auso nius) e t
nous
l en r
emerc
ions vivement.
Nous
voudrions également
remercier
le
personnel
des
bibliothèques qui
a mo
ntr
é
beaucoup de
c
ompréhension face
à nos demand
es
incessantes,
prin
c ip
ale
ment celles d A usoni us, du
camp
us Bordeaux-Pessac,
de
la Sorbo nne et de
l INHA . Non moins , nous voudrions remercie r notre é
dit
eur, qui a accepté un
manu
scnt pl
us
volumineux
que
celui imtialement prévu. Enfin, notre r a t i t u d
p a r t i e ~ li
ère
à
Mich
èle et à Frédéric (le «
clan
cestadais » de l été
2007) pour
l
eur
a1de
pr
é
cteuse et leur
so utien
sans
fai lle
pendant
la püiode
de
préparation
et d écriture de ce livre.
Cestas,
l l août 2007
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
4/23
Chapitre 1
L économie
de la
rèce des
cités :
un horizon théorique
P eut-on
écrire
un livre
sur
l écon
omie de la Grèce ancienne?
Voici trois
décennies, dans un ouvrage fameux au titre paradoxal, L économie antique,
Mo ses I. Finley donnait à cette question une réponse négative
1
• Po
ur lui, il
était illusoire de penser pouvoir mener à bien
un
tel projet, non pas en raison
de l'insuffisance de notre information, mais tout simplement parce
qu e
,
à
ses
yeux, Je projet
n a
vait pas de sens. Qu entendre par l
à?
Bien entendu. il ne
faisait aucun doute
pour M.
Finley
qu on
pouvait décrire des faits de produc
tion, d' échange ou
de
finance.
En
revanche. il était i
ll
usoire
de
chercher
un
e
logique de type économique pour organiser
ces
faits, parce qu il n' en existait
aucune. M. Finley visait avant tout \'existence d une« politique économique>>
de la
part
des
États.
Mais
la
crit
ique était encore plus radicale. Les détem1i
nants qui structuraie
nt
les faits de production ou d échange étaient
de
nature
soc
iale, politique ou religieuse, mais certainement pas
de
nature économique,
au sens où i ls auraient eu une logique d o rganisation qui leur ffit propre. Cer
tes, avant comme après la proclamation de cet interdit, de nombreux livres et
articles ont pourtant été publiés qui, chacun à leur manière, on t prétendu trai
ter d économie
antiqu
e.
Mais la question de fond demeure. JI convient de
prendre au sérieux Je défi méthodologique lancé
par
M. Fin ley et, tout
d abord, de définir sans équivoque cc qu on entend par «économie de
ln
Grèce ancienne ». Il est clair qu o n doit tenir le plu1.
prand
comptl' dl
don
nées
emp
iriques f o u r n i par
l e ~ c e ~
qui sont
u
l'l'c(lnornic
h i ~ t o i q u e l l
que l
es expériences
de lnh 1
atoire sont aux scacnl l's
l XaCtl S. M.u .
une
1111\l
111
f>Oinl
théonquc Cl lnClhodn lopaqm•
C >l
IIICIJI-opl ll\llhk JIOIII
11\SIIIl
l
k•,
h , t \ 1
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
5/23
1 lit"''""''"
J,.
Iii C •èce des cités (fin
vr r
•siècle a.C.)
d un
proJet
dont
la cohérence doit faire l o bjet d '
une
ju
stification
préalab
le
à
tuut dé \cl
oppem
e
t
De la
sor
te, on pourra du moi ns
se
prémun.i.r des
dan
gers
qu'une analyse«
nai:
ve »ne permettrait
pas
d éviter. Sur un sujet aussi périlleux
quo
l é l
·olll)mic de la Grèce ancienne, vouloir se passer d ' une réflexion th
éor
i
que rcv•cndrui L
s e
ngager, de nuit e t sans lampe, sur un sentier de montagne :
1
uuc ne \Crai t que trop prévis ib le. On
s e f
force ra ici
de
fa ire d abord un
bel•n
r;y
rllh6llque s ur le r
apport
compl
exe
que l é
tud
e des sociétés
antiqu
es a
•ntrctc
nu av
ec ce
qu i1
est co
nve
nu
d
ap peler
la sc i
ence
écono
mique
,
avant
de
faire
d e ~
propo
si
tions nou velles
en
se
pla
ça
nt dans
la
perspective
du
néo-ins
litutumu h mc .
'univers de la théorie économique
Primitivisme u modernisme
n app.uence, l' histoire est
connue,
o u du moins e lle a souvent été raco ntée_
lt &muve >a
source dans la
contr
ove rse qui naqu it
en
tre deux illustres maîtres
llllnua
nd
s de lu
fin du XIx"
sièc le e t du début du
xx•
si
ècle
et
qui
, depuis lo rs,
1 au
114 de rebondir. En l893, l
éc o
nomiste Karl Büch
er
(1847- 1930), profes
IIUr
l l'univers ité de Leipzig, pub lia sa « Genèse de
l éco
nomie politique »
2
.
, 11Apo 1ait la vision qu on a de puis lors définie com me « primüiviste de
m i e
antique.
Deux
ans
plus
tard, en 1
895
, le
spécia
liste d ' antiquité
:JIII0411UC Eduard M
eyer
(1855- 1930), prof
esseur
à
l univer
s ité
de
H
ambo
urg,
\jllll à Francfort devant le congrès des historiens allemands et en pré
de: Bûcher , une véhé mente réfutation, auss itô t publ iée, des pos itions de
dernaer : (' Le
développement économi
que de l'
Antiquit
é >>
3
• Meye r réaf-
l l m a ~ ~ e s o n s dans divers articles et ouvrages qu il
publia par
la suit
e.
Pour
Bucher, l'
économ
ie antique
en
était fondamentalement res tée
à un
&ade de dl:vcloppemeot peu avancé. EUe était c
ara
cté
ri
sée par la production
domc,.taqu•· ct de stinée à satisfair e les besoins immédiats de la fami lle, qu ' il
l l i le
lll
la production agricole ou de la production artisanale. L éc hange
man:hunllnc jouait qu' un rô le
limit
é et, au con traire, les pr
ocess
us de tran
sfert
b i e n ~ M'
ca
ract
érisaien
t plutôt
par
le don, les
rap
ines ou la guerre.
Le cap
i-
111, au
IC II \
d
é
lément
de
production, était à peu près inexistant et la monnaie,
ntu
t n ~
les maisons, n
av
ait
d'
autre
fonc t
io
n que
ce
ll
e
de
réserve, de
moyen d ' a
s:.
urance.
La
divi
si
on du travail pouvait apparemment être très
p o u t r ~ e mais elle restait
puremen
t
te
chnique e t n ava it
pas
de fo
nd
ement
dan IIP ~ l r u c t u r e
du
capital, puisqu e ce dernier n' avait
aucune
réalité.
Meye r voyait les choses de man.i.ère totalement opposée.
Tl
était d 'abord
lllftlllhle li l ev olution qu ' avaitconnue le mon de grec entre l époq ue homérique
•t
l'&
pcKJUC hcl lén.i.stique, au point qu ' il n' hésitai t pas à comparer l époque
d
Homère au premier Moyen Âge, l époque
archaïque
à la fin de l
é
po
qu
e
IMdlc vnle, l' t l époque classique
à l aube des te
mps modernes. Pour lui, il ne
L économie de la
Cr l
Ce des ot és
un
horizon lhéoriquP
faisait pas de dou
te
que l écono
mie
de la Grèce anc
ienne
avait toutes les carac
téristiques d une
éco
nom ie développée, car
ac
t
ér
isée
par
les échan
ges
mar
chands, par la monnaie,
par
la divi sion
du
travail ,
par une
produc
ti
on de type
n d u ~ et même pa r la volonté de conquérir des marchés d 'exportation par
des Eta ts e n concurrence: d où des conflits comm e la Guerre du Pélopo nnèse.
Bücher ou M
eye
r? On ne saurait départager les deux adversaires. Avec
le
ur
s
erreur
s qui peuvent aujourd hui trop fa cile
ment
prête r à
sou
ri re, chacun
d e ntre
eux
n ét ait pas sans arg
ument pou
r d
éfe
nd re s
on po
int de vue.
Ma i
s, au
p
lan
de la méthode, et p
ou
r
évite
r d e
se
re
tr
ouver dans l
es
imp
asses évoquées
précédemment, il convient de se deman
der
pourquoi les deux savants purent
se retrouver sur des positions aussi o
ppo
sées. Comment l
observatio
n
d une
même r
éa
li té
put
-
elle
pu
abo
ut
ir
à produire au final deux images aussi
oppo
sées
de l'
éco
no
mie
anti
que? Sans en
t
rer
dan s le détail de leurs th
éo
ties, on
peut observer que chacun des deux adversaires ne sé lec tionnait que les traits
d o bse rva tion q u il pouvai t enrôler au serv ice de son modèle, en laissant de
cô té les autres. De la so rte, ce n est effec
ti
vement
pa
s la même réali té que J un
el
l '
autre
d
éc
riva ient En revanch
e, ces
d
eux
savants part
ageaient
bien
une
même
attitude. Avec
des motif
s
diff
érents, tous de ux ch
erc
hai
en
t à
prono
ncer
sur la soc iété grecque un jugement de valeur en fonction d ' une soc i
été
qui leur
servait d
é
talon de référence: la société
eu r
opéen ne de leur temps.
C est
en
fon
ct
ion de la plus ou mo
in
s grande proxim ité avec ce
modèle achevé
et
en
fon
ct
ion des traits retenus
qu
e la
soc
iété gr
ec
que a n
cie
nne pouvait ê tre
jugée
soi t tout à fait «
prim
it ive», soi t au con
trair
e ple ine m
ent «é
vo luée».
Les
deux adversai res partageaie nt en effet la même co nce ption évo lutionniste,
so us sa vers ion de« s tades nécessaires» de l évolu tio n hi storique,
ca
racté
ris tique
de
la
science allemande
de
l
époque. avec cependant en outre pour
Meyer la
concep
tion d'
un temps cycl
iqu
e.
De la
que
re lle « Bücher
-Meyer »,on
tir
era
la leç on qu
o
n
ne
saur
ait
pré
tendre à « classifier » les soc iétés, à porter de
jugeme
nt de valeur
sur
le carac
tère plus ou mo ins
«primi
tif» ou «évolué>> de J éco nomie an tique par
rapport à la nôtre. Mais on devra aussi poser la question fondamentale de cette
appa
rente ambivale nce de l éco
nomi
e de la Gr
èce
anc ien ne, qu i, paradoxale
ment
,
po
uvait
supponer
tout à la fo is le ju
gement«
primitivis
te
» de Büc her
et la visio n « moderniste »de Meyer. Or, po u
na n
t, si le commerce, la monnaie
et même
la
production
artisanale y
ét a
ie
nt bien présen
ts,
l éco
n
omie
de
la
Grèce ancienne n
é
tait ce rtes
pas une
économie « industri
elle».
Bien que
1'
agr
iculture ait été le principal
secteur
productif, qu- à la ca mpagne l' autocon
somma
ti
on
de
la production ait encore é té
de
règle, e lle n ét
ait pas
n
on
plus
une économie « primitive »
.11
y a là une ambivalence dont aujourd' hu i encore
on a du mal à rendre com pte. Ce
ca r
actère (( double >> de la soc iété grecque,
jugée (( p
rimit
ive» ou > selon le secteur
d activité,
la région ou
l époque, passe
encore souv
ent pour être J'é trange et inexp lic
abl
e caractéristi
que
de
l écon
omie
de la
Grèce
ancienne. Ainsi, l
agriculture serait
l
exemple
9
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
6/23
L économie
de la
Grèce des
cirés (fl n V,.- l
siècle a.C.)
de la routine archaïque, tandis que la banque et« l'affairisme » sèraient à ran
ger dans les aspects novateurs.
La fin
du v• siècle marquerait
le
début
d un
développement
«moderne»
, quand auparavant
La
Grèce serait restée
«
primitive
»-
Certes, avec des jugemen
ts de ce
type, on ne choisit pas entre
Bücher ou Meyer. Mais
on
se contente alors
de
faire cohabiter une vision
«
primitiviste
»et
une vision « mode
rniste»,
d'ordinaire
en
accordant toute
fois une
place
plus large au premier volet et en ne reconnaissant aux
s p e c ~ s
jugés«
modernes » que
Je
statut d'îlot d'exception au milieu d' un océan
pn-
mitif. L'économie de
la
Grèce des cités ressemblerait donc à une sorte
de
pat
chwork. C es t
ce
modèle dichotomique,
juxt
aposant deux types d' économie
n'ayant presque aucune communication entre eux , qui doit révisé.
L école historique
e
l économie nationale
Les nouve
ll
es analyses historiographiques re
la
tives au débat Bücher-Meyer,
et plus généralement aux sciences sociales dans l'Allemagne i ~ e l m i n i e n n e
ont souligné combien les positions des deux écoles rivales éta1ent surdéter
minées
par
les positions idéologiques opposées
qu ils
défendaient. Meyer
croyait retrouver dans le monde grec classique les antagonismesentre grandes
puissances qui étaient la caractéristique
de
l'Europe de son temps. Bücher
s inscrivait dans le courant dit de« J'école historique allemande
de
l'écono
mi e nationale », illustré par les grands noms
de la
science économique de
l
époque, Friedrich List (1789-1846), L K . Rodbertus (1805-1875), puis sur
tout Gustav von Schmoller ( 1838-191 7)
4
•
L'Allemagne connaissait
à
la fin du
>.. lx•
sièc
le
une mutation décisive. Elle sortait d'un modèle
de
société de type
Ancien Régime, s'unifiait politiquement et économiquement, s'in dustria
li
sait
à marche forcée .
En
même temps, elle cherchait
à
rattraper et si possible
à
dépasser l
éco
nomie britannique, dont le libre-échange avait été le credo,
J idéologie qui paraissait lui avoir ouvert les portes du succès et de la domina
tion en
Eu
rope. L'école
de
J'économie nationale, sans contradiction avec la
conception bismarckienne, prônait au contraire l intervention de l'État pour
assurer le développement économique de la nation allemande et pour é s o u d ~ e
la
«q
uestion sociale». Dans
ce
·
co
mbat, Bücher fournissait des arguments
à
ceux qui voulaient montrer l'historicité des catégories économiques. En
fai
t,
on touche là un problème méthodologique qui va bien au delà de la querelle
Bücher-Meye
r.
Pour Schmoller et les adeptes
de
l' école historique, l'économie n'avait en
effet aucune existen
ce en
soi.
La
méthode des tenants de cette doctrine était
fondée sur l interprétation de l'obser
va
tion (et donc
su
r la constitution
de
séries statistiques), et non pas sur des modèles hypotbético-déductifs. Pour
eux, J'économie n'était que
Je
produit d un arrangement institutionnel, lui
même résultat
d un
rapport de force entre groupes sociaux. L'offre et la
demande, que certains prétendaient conceptualiser comme des réalités suscep
tibles d
u
ne modélisation autonome, n'étaient que des illusi
ons,«
des expres-
1
L économie
de
la Grèce
des dlés
un horizon théorique
sions sommaires d'ordre
de
grandeur dans lesquelles des groupes de volonté
humaine s'opposent; les causes qui déterminent ces ordres
de
grandeur sont en_
partie naturelles, mais, pour l'essentiel, elles sont des relations et des rapports
de force entre les hommes
»
•
«L école hi
storique de J économie nationale »
ne
ni
ait donc pas la « lutte des classes
» :
elle en reconnaissait pleinement
l'existence. Cependant, à la différence de Marx, elle ne prophétisait pas que
cette lutte devaü trouver une issue
par
la révolution. Au contraire, elle consi
dérait que l'Ét at devait faire en sorte que cette lutte ne tourne pas
à
J'affron
tement ouvert, entre autres grâce
à
ses interventions en matière sociale. Pour
c h m o l l e r
~ e s disciples, les institutions économiques
é ~ i e n t
donc
de
s
arrangements
d origine
purement sociale, trouvant l
eur
racine dans l'affir
mation des « valeurs >> propres
à
chaque société. TI en allait ainsi en particu
lier du marché, qui n'était donc nullement l
exp
ression
d une
fom1e naturelle
de l'échange. Selon Schm.oller,
le«
véritable principe »
de
l'économie poli
tique serait« le
fa
çonnage des processus économiques par la société »
6
.
La
croyance en la stabili té des institutions économiques ne serait
qu une
autre
illusion, fondée sur la croyance abusive en un « homme abstrait», intempo
rel, qui aurait en tout temps
et en
tout
li
eu été
ca
pable
de
faire des choix éco
nomiques. En dressant le portrait d
une société«
primitive» et sans marché,
radicalement autre que ce
ll
e du monde européen, Bücher apportait ainsi une
contribution importante
à«
J'écol e historique de l'économie nationale»
da
ns
son combat pour démontrer la nature historique des catégories
de
J écono
mie. Le monde antique, qui
à
l é poque était si familier
à
toute personne cul
tivée, fournissait ainsi un anti-modèle de société dominée
par
l
éco
nomie du
libre-échange.
es
écono
mi
stes classiques
et
néoclassiques
Les tenants
de
« J
école
historique » s opposaient aux théoriciens de
l'économie libérale, qu on désigne aujourd hui sous le nom d ' «école classi
que»,
dont les fondateurs et plus célèbres représentants avaient été les Britan
niqués Adam· Smith (1723-1790), auteur du célèbre essai intitulé
Recherche
sur la nature et les causes de la richesse des nations
(
1776),
et
David Ricardo
1
772-1823)'. Face à l'encadrement réglementaire des processus économi
ques par les sociétés d Ancien Régime, ils avaient prôné la liberté individuelle
et
le
libre jeu du marché, qui, à leurs yeux, était susceptible de résoudre la
question de la satisfac
ti
on des besoins bien mieux que n
i
mporte quelle
réglementation. On résume souvent la pensée
d A.
Smith par sa fameuse for
mule sur «
la
main invisible du marché », qui devait servir l intérêt général
de
manière naturelle. Ricardo élabora un e théorie de la valeur, doot il considé
rait qu elle était fondée sur le travail et non
sur
l' utilité, dont Marx s'i nspira
directement.
Tl
fut aussi un théoricien fameux des échanges internationaux,
en défendant
le
libre-échange.
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
7/23
Hl /ni l c r• 11 f . l l (l des cités (fin Vf' -r siècle a.C.)
Alors
qll
l les thèses de« l
éco
nomie historique» exe rça ient une domina-
1111
11
)Mrtage dans l horizon intellectuel allemand, e lles fure nt l obj et
1
uue
rc
nu 'c:
en
ca
use fondamentale de la part de« l école aut
ri
ehienne >>.Le
loud rieur
cl
l un d
es
repr
ésent
ants l
es
plus typiques
de
ce courant fu t Carl
1cu
gc
r ( 1H
40
192 1 , fondateur d une éco le dont les représentants l
es
plus
n tu rent Ludwig
vo
n Mises (1 88 1-1973) et Friedrich Hayek ( 1899-
1 I P) apport fondame ntal de Menger fut l introduction de la no tion de
•· rn.rrg
111ali
sme ». Quand les économistes classiques définissaient la valeur
par
Il
tra
vm
l ct, dans la
fil
ia
ti
on
d Ari
stote, essayaient de fo n
de
r la distin
ct
ion
nln
valeur d usage et valeur d
éc
hange, Men
ge
r défi ni
ssait
la valeur par
l ulllllè de la dernière unité dé tenue
8
. On assi te alors à une coupure ép isté
urologiquc radicale, qui es t à l origine de toute la sc ience économique con
tt•rnpmainc. Pour l école
a u t r .
noe, qui est au point de départ de J' école
drtc nèoc lass ique, l économie est une
sc
ience. Ses modèles d analyse n ont
I l l l
à
vo1r avec des catégories histori
qu
e s d où une
co
ntr
ove
r
se
directe avec
1 ·l·olc hi storique allemande conn ue sous le nom de « Methodens
tr
eich » ,
ro nl11 t de mé thode». Elle est la sc ience des conséquences des choix exer
n par des individus l ibres sur un marché où ils peuvent exer
cer
leur juge
llll
Ot 1.
mdiv idu ne manquera pas d a Uer dans le
se
ns
de
son intérêt.
L
homo
,,.
nrwnuru.\ de la th
éo
rie classi
qu
e ou néoclassique
es
t un acteur rationnel.
1
1.1
'>nrtc, choix est prévisihle. Si te l
est
le cas, l éco nomie répond donc
au p
ri
nc1
pc
de pr
év
isibilité d
es
résultats,
co
nsidéré alors
comme
le
cr
itère d u
scientifique
d
une discipline. Dans le cadre de l éco le autrichienne,
k u P ; économique
do
it
êtr
e fo
ndam
entaleme nt
de
nature déductive :
d ou, sinon avec l
es
fonda teu rs, du
mo
ins très rap ide ment avec J essor d e
l"l' lll d1-;cipline, le recours à des modèles mathématiques. En para llèle avec
1 l·oll: autrichienn e, ou dans sa lignée, plus ieurs écoles éco nomi ques ont vu
I
l
Jour, rn uis q
ui
toutes parten t des mêmes prémisses, celles de« l individua
méthodologiqu
e»,
soit d
un
e th
éo
ri e qui trouve
sa
référence dan. > les
d11 nx de l individu.
{\• sont ces écoles qui ont produit le co rpus de savoir qu on enseigne
• llJIIUnl hui dans les universités comme « sc ience économique
»
et qu on dési
J.
IIC comme th
éorie«
mainstream
»(«co
urant principal »).
La
microéco
nomtc ~ · e s constituée
comme
science
de
la gestion d
es
entreprises. Elle
ll llon
cl
au
r;o
uhait de rent
ab
il
ité maximale d u ch
ef
d
e
ntreprise. Quel
vo
lu
me
clt• l" ,lj)ttal do it-il investir pour pouvoir l attei ndre? Quel es t le niveau de
thl l" ttnn op ti mal pour son entrep rise? Comment doit- il gérer ses stocks? A
lJIId tuvcau doit- il fi xer le prix d un bien ou
d
un service? La microéconomie
rt·,nul ces ques
ti
ons (qui en fa it se ramène
nt
à une
seule:
co mment maximiser
1111
profit?)
à
l aide du calcul différentiel et du ca lcul intégra l. Quant à la
rt
lil
l'
Hléconomie, e lle élabore des modè les qui doivent permettre d at teindre
lllll c lficac ité maximale dans le jeu d es facteurs de production à l échelle de
l c n il mble d une so
ci
été. L un des modè les l
es
plus élabo rés est ce lui de
1 1
L'économie de Grèce des cités un horizon rhéorique
l équilibre génér al proposé par Léon Walras (1834-19 10), professeur à l uni
versité de Lausanne, et son successeur
V.
Pareto (1848-1923). Pour Walras,
une
économie de mar
ché
tend vers une position d équilibre entre l offre et la
demande, médiatisée par des
pr
ix
9
.
Le
modèle walrassien a donné lieu à
d infinis débats et controverses. Il repose en tout cas sur un modèle de
« co ncu rr
ence
pure et parfaite>>. L agent-décideur de l économie néoc lassi
que évolue sur un marché où
il
a accès
à
une information
com
plète sur les prix
et les produits, et les choix
qu il
peut faire ne sont obérés par nul obstacle de
quelque nature que
ce
soi
t.
On voit q u
à
sa manière, même s il peut avoir une
va
leur heuristique, le
modè le de la «c oncurrence
pu
re et parfaite», qui
co
rrespond à la plénitude
d homo œconomicus
est un type abstrait : on ne le ren
co
ntre nulle part, m
ême
pas dans le monde contemporain. Dans .la réalité, l inform a tion s
ur
les prix et
les produi ts est loin d être toujours transpa rente e t l on sait bien en outre que
toutes sortes d obs tacles légaux, cul turels ou matériels vienn ent peu ou p rou
défor
mer
le modèle de la
co
ncurrence pure
et
parfaite.
Les
éco nomist
es
ne se
sont pas contentés de cene constatation
d évide
nce. Ds ont aussi élaboré toute
une série d approches mathéma tiques qui modélisent des situations plus com
plexes de co ncurrence imparfaite, ainsi
ce
lles où il y a monopole du côté du
vendeur
(c est
le monopole proprement dit) ou du côté de
l ac
heteur (on parle
alors de monopsone). L ap plication à l économie des modèles de la théorie des
jeux en est une bonne illustrati on. On s intéresse cette fois aux interactions des
déc isions des agent
s:
quel va être le c hoix
de
X en
fo
nc
ti
on
de
ce
qu
il pense
devoir être le choix de Y (e t réciproquement pour
Y,
avec un effet de miroir qui
comp
lexi fie les choix)? On do it aussi
me
ntionner la théorie des« anticipa tions
rationnelles», qui analyse les comportements économiques à l égard des
opt ions de politique éco nomique générale e t montre comment ces dernières
sont détournées par les agents, ou l
a
nalyse de
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
8/23
L économie de la Grèce des
cirés
(fin
V,.-f
siècle a.C.)
éco nomistes« mainstream » (ceux qui sont directement dans la ügne des fon
dateurs du courant néoclassique
et de 1École
autriclrienne),
toute
intervention
d
É
tat nuisant aux forces du marché est à terme contre-productive car e lle
conduit à des équilibres beaucoup plus bas que ceux que la libre concurrence
aurait permis d
a
tteindre. Pour d·autres, par exemple les disciples de Keynes,
qui ne remettent pas
en
cause
Je
mar
c
hé
comme
système permettant
d
attein
dre les niveaux
de
productjon les plus élevés
pour
la
sa ti
sfaction des besoins,
l in tervention de la puissance publique peut être temporairement utile pour
faire face aux
«
pannes » du marché.
La tradition de l école historique, qui n assu maü un aspect scientifique que
dans la
pur
e
co
nstitution
de
J information doctUnentaire
et pour
le reste consi
dérait que« l économie » n éta it
que
la résultant e
de
luttes soc ial
es et
politi
ques, assumait plus facilement un rôle de« discours en
gagé».
Dans la même
veine, mai s avec une orientation différente, les économistes altcrmondia
li
stes »,qui
se
placent
dans
la
pe
rspective marxiste
et se
proposent quant à eux
d abattre le système capitaliste,
se
refusent aussi à accorder quelque caractère
sc
ientifique
que
ce soit à la tradition
des
économistes classiques, néoclassi
ques ou néo-institutionnalistes. Ils la rédui. ent à n être qu
un
simple discours
d
a
utor
it
é au profit« des puis
sa
nts de
ce
monde»,
selon
la
formule
co
nsacrée.
Sous une forme extrême,
ce t
te vision des choses imprégnait la tradition léni
niste,
se
lon laquelle les catégories de l éco nomie ne devaient
plus
être un objet
d ét ude, mais
de
vaient être« transformées».
On voit à quel point l économie, qui affirme une vocation scienüfique,
se
trouve néanmo ins au cœu r de débats qui relève nt du domaine de l ac tion. T
serait donc na:if
de
croire q
ue
les enjeux
de
l é tude
d
une économie,
fa
t
-e
lle
celle
de
la Grèce ancienne, soient«
neutres».
Est-ce à dire
que cela
condamne
par avance tout discours scientifique? Il faudrait alors rejeter toutes les scien
ces social
e s-
études de sociologie politique ou religieuse par exemple - qw
ont tout autant, et souvent bien davantage, de possibles implications dans le
domaine
de l a
ction. On ne suivra pas cette voie.
La se
ule validité qu un dis
co
urs scientifique puisse revendiquer est ce
ll
e
de sa co
hérence interne et celle
de sa capacité à décrire la réalité. Les utilisations idéologiques qui peuvent
être faites du résultat de ces recherches sont d un autre ordre et ne nous con
cernent pas ici.
Moses
1
inley
et Max
eber
La
prétention
à
la sc ienüfi.cité du di scours
éc o
no
mi
que re latif aux sociét
és
contemporaines n es t donc
pa
s sans contestation. On peut comprendre que son
application à l éco nomie des sociétés d avant Je capital
isme
ait pu a fortiori
être débattue. Pources soc iétés, en effet, on se trouve devant une difficulté sup
plémentaire. Est-il légitime
pour
les décrire d utiliser des catégories dévelop
pées pour rendre compte
de
la soci
été
du marché capitaliste contemporain ? Si,
dans ces sociétés, Je marché n
était
pas la forme économique dominante, ou si
14
L économ1e
de
la Grèce des
cirés:
un horizon
r éo
r
ique
même l n y avait
pas
de marché du tout, comment la théorie économique pour
rait-eUe trouver
une
appücation ? Ainsi,
pour
prendre
le
seul exemple
de
la _
croissance, véritable obsession du système capitaliste, comment l économie
« mainstream » pourrait-elle être d une quelconque utilité si les sociétés du
passé ne la posaient pas comme idéal ? Telle est l origine de la bipartition,
implicite
ou
explicite, que
l on
retrouve fréquemment dès qu il est question
d économie antique (ou
de
toute autre
soc
iété anc ienne): élaborée
«p
ar
et
pour» les sociétés capitaüstes contemporains, la théorie néoclassique n aurait
au rrueux d application que limitée au monde qui 1a vu na1tre. Ainsi, même
ceux qui lui concèdent une validité pour l analyse de l économie contempo
raine considèrent cependant qu il
es
t hors de propos
d y
recourir
pour
l
es soc
ié
tés du passé. Telle était manjfestement la position de M.
I
Finley. A fortiori
ceux qui dénient toute pertinence au discours économique de la tradition néo
classique p ur l analyse de la société contemporaine refusent-ils de lui recon
naî tre le moindre intérêt pour l analyse des sociétés d avant le capitaüsme.
Au reste, Finley n é tait
pas
un théoricien. Pour J essentiel,
l
reprenait à
so
n
com
pte les positions
de
Max Weber (1864-1920), ainsi que, partiellement,
ce
lles
de Karl Polanyi (1886-1964). Pour en rendre raison, il fa ut fairê un
nouveau
retour en
arrière et revenir aux débats évoqués précédemment au
sein de J université allemande au tournant du Xtx• et du xx• siècle. On a vu que
« l éco le historique de
l économie
nationale » y avait longtemps exercé
une
domination écrasante. L émergence de l école autrichienne, puis les remises
en question provoquées
par
la première Guerre
Mo
ndiale, avec
l échec
du
modèle impérial a.llemand, eurent pour conséquence qu en quelques années
l école historique fut balayée par la révolution d un discours éc onomique
désormais essentiell
ement
mathématique.
Le
derruer repr
és e
ntant du courant
ancien, mais qui, paradoxale ment, sut
en
dépasser les bases, fut
Max
Webe r,
professeur
d économie
nationale successivement aux universités de Fribourg
en-Brisgau et de Heidelberg
1
• Les travaux de Weber le conduisirent à ê
tr
e, en
Allemagne, le fondateur
d une
nouvelle discipline, la sociologie, au même
mo
ment où, en France, Émile Durkheim accomplissait une tâche analogue,
mais sur d autres bases.
Si l inspiration initiale de Weber ne différait pas de celle de
l éco
le histori
que, sa méthode était différente. À l évolutionnisme cherchant à expliquer telle
forme sociale comme une « survivan
ce»
de formes antérieures et à la théorie
des
«s
tades successifs »
de
l histoire
de
J humanité qui avait cours
ju
sque l
à
Weber substituait
une
analyse par « type idéal ».
Le
« type idéal »
de
Weber
vise à reconstruire, à partir de ses traits jugés les plus significatifs, Je portrait
stylisé d une société donnée. Ces traits sont cohérents les uns avec les autres.
Ds constituent
ce qu on
appellerait aujourd hui des invariants,
des
caractéristi
ques qui en sont la signature spécifique.
En
outre, Weber accordait une atten
tion primordiale aux motivations des conduit
es
des acteurs et à la conscience
qu
ils en avaient.
C était
même là Je fondement de
sa
sociologie.
15
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
9/23
1
'111 '
th•
1 1 C.n
1
w
des cicés (fin vr-r siècle
a.C.J
l'our d.1sscr les soc iétés,
Max Weber
ten:tit leur
degré
de rationalité pour
clciJsJI
Son
analyse
se
développait su r la base de l'analyse de la rationalité
IIIIIJvuluc·llc,
ce ll
e d'une logique de l' action,
carac
téristique la
méthode
de
«
l'11llhv1dualisme méthodologique».
Tl définissait ainsi
ce q u'il e ntendait
11.11
ratumulité :
«A g
it de façon ratio
nnell
e
en
finalité
ce
lui
qui oriente
son
·•l tl\ Ill d'après les fins, moyen > d conséquences subsidiaires
et
qui confronte
en •m·mc temps rationnellement les moyens et la fin, la fin et les
co
n
séq
uences
\llh\ldJUJres
et
enfin les diverses fins possibles
entre
elle
s»
• Weber précisait
~ o : c t t c
déh111uon
générale
en
l'appliqua nt
aux
buts divers
de
l
'a c
tion. De la
\t>r tl',
Il
distinguait
deux ra
tionalités
de l'action,
la rationalité par rapport
à un
h r c ~ o : t f (ou ra tionalité ins trumentale, qui rend coh
érents
le but et les
moye
ns)
t't la rationalité par
rapport aux
valeurs (q ui rend cohé rents l 'o bjectif et le
sen
\). S'agissant
de ce tte dernière,
il
affirmait
qu'«
ag it d'une mani
ère pure
ment rationnelle en
valeur celui
qui
agit sans
tenir
comp
te d
es conséquence
s
Jlii'VJ,iblcs de ses actes, au service q u' il
est
de sa conviction portant sur
ce
qui
hu apparuit comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté, les directi
vc·s rl•hgicuses, la piété ou la
grandeur
d'une cause
quelle
qu'en soit la
Jl.ltur
c. .'act
ivité rationn
elle en
valeur
consi
ste toujours (au sens de
notre
ter
IIIJilologic) en une activité
conforme à des
" impératifs"
ou à
des
ex
igences"
dont l'agent croit qu ' ils lui son t imposé e; ••
12
• Webe r établissait donc une dis
tim.:tmn entre une r
atio
nalité qu'on pou t H qualifier d'ordre l, la rationalité
lllllllt diatc
de l 'actio
n
(pour
atteindre
un
but,
qu e
l
qu'il so
it, il faut
passer par
une
séne d'étapes
déterminées),
et une
rat ion ali
té
d
'o
rdre 2, qui
sélectionne
un hut
en
fonction d'un sys
tème
de va leurs.
Quant à
la rationalité
économique,
Weber
établissait une
différence
entre
dt•ux types : une rationalité matérielle, visant à satisfaire l'approvisionn
em e
nt
d'un
groupe en
fonction de critères éthiques, religieux, politiques ou sociaux ;
lllll' rationalité formell
e,
fondée sur le calcul,
permettant
de me s
urer
l'usage
t.ut
dlS
re
ssources
disponibles. Tandis que la
société
capitaliste
co
nt
empo
r.unc a u ~ u t é té la seu le à co nnaître une rationalité formelle, les sociétés du
)1.1\\l'
auraient toutes
conn
u seu lement des formes diverses de rationalité
m.atc•1
il•
lie . De la sorte , on tiendrait là
un critère
décis if de différenciation
l'Jllll' la
\OCJé
té capitali
ste développée
et les sociétés du
pas
é .
Pour cette rai
.,on,
Il
\Crait vain de vouloir
chercher dan
s
ces soc
iétés
autre
chose qu'un
pro
l t ' u ' d'approvisionnement immédiat. L
'éco
nomie n 'y
ét a
it donc qu ' un
non l
4
trc,
gouvernée
qu'elle était par
d' a
utres principes que ceux d'une ges
t r.ltmnnclle.
On
vera
surto
ut peut-être
l'insi
stance de
Weber
sur le caractère
provi
.,curt•
tlt• cette distinction, tant elle lui paraissa it difficile à établir
3
• La réflexion
ur 1.1 rauonalHé
économiq
ue
s'inscrivait elle-même dans
le
ca d
re d ' une
1é lll
X
HIJ\ plus vaste sur la rationalité de l 'activ ité soc iale.
Weber
appliqua sa
mtthodc à
des
o;ociétés diverses, entre au
tres
au
monde ant
ique, mais c'est
lert,uncmcnt à la soc iété
capitaliste
et à
sa
ge nèse
qu'il
accorda
le
plus
l
L économie
e la
Grèce des
c i t é ~
: un horizon théorique
d'attention, celle qui en tout état de cause lui se rvit comme banc où
étalo
nner
les autres soc i
étés.
La
thèse
de L éthique protestante et l esprit du capita
lisme ( 1904-1 905) était que
la so
urce
du développement du capitalisme
dev:tit
être cherchée dans
une
morale
particulière: le propriét:tire calvi
niste
ne cherche nullement à
jouir de
ses profits,
car
sa morale le lui interdit. Ma,<
Weber
insistait sur l'éthique s i particulière de l 'homme capitaliste, d' un
genre nouveau,
réservé, ordonné, o b
sédé par
l' idée de mesure, de comptabi
lité,
par la recherche
d
'u
n profit qui ne lui
procure
e n r
éa
li
té
au
cu
n
avantage
immédia
t. Il
accumule pour
accumuler.
en
un processus
qui
ne tr
ouve
pas
en
lu i-mê me de raison, puisque
la
motivation
est
entièrement extérieure à l'acte.
Pour Weber, l'incarnation de cet homme nouveau était
le
bourgeois
protes
tant de l'Europe
du
No rd. Le fond de la thèse est en
lui-même contestable,
ne
se
rait-ce que
parce
qu'il fait
bon marché
des
antécédents
italie n, fl
amand,
puis holl
andais du développem
ent
que connut l'Angleterre des xvu•
e t xvw•
siècles, puis 1 Allemagne du Nord au x tx• siècle. E n outre, Webern
a
ura it pas
dû chercher à en rendre compte
expérimenta
le ment en
observant
les compor
t
ements économiques
des diverses composantes religieuses
des
populations
de l'
Allemagne
de
son temps,
car
ses ana
l
yses
ne
sont pas convain
canLes. 11
est
clair que ses
derniers travaux
présentaie
nt
des
pi
stes
d'analyse
sensible
ment plus élaborées.
Mais, quoi qu'il en
so
it, la thèse reste fort significa tive de la méthode
weberienne.
En
outre,
c'est
par un
e
dé
mar
che
ana l
ogue que
Weber lui-même,
pui s les aut
eurs se
r
éclamant
de lui, traitèrent du
développement
(ou
plutôt
à
leurs yeux
de
l
'absence de développement
)
du monde antique
. S
'agissant du
monde antique justement, c'est
dans le texte
con
nu
en abrégé sous
le titre
de
Agraverhi iltnisse, avec ses trois éditions successives de 1897, 1898. et 1909,
et rendu en français sous le titre Économie et société dans l Antiquité,
que
Weber
s'est
exprimé
de la
manièr
e la plus nette
• C'est ce texte
qui
a
eu
jusqu'à nos jours la plus
grande
influ
ence
théorique.
Selon
Weber, c'est faute
d'avoir disposé d'une idéologie appropriée que la Grèce et Rome n'auraient
pas connu le « passage au capitalisme indu triel». L'idéologie des propriétai
res fonciers antiques,
abse
ntéistes, ne prenant
aucun
intérêt au développeme nt
de leur ferme, aurait maintenu
l'agri
c ulture à un niveau
technique
déplorabl
e
ment
bas
15
•
A cet
égard,
la tonalité
des
descriptions de Weber rejoignait
celle
de Bücher. Tout en ayant parfaite ment pris conn:tissance des théories de
Meyer,
Weber
ne pouvait reconnaître a ux techniques
de
maniement du capital
du monde
antique
qu'un rôle subalterne, très
primitif par rapport
à celui
du
monde moderne
et m
ême
du monde médiéval. Pour
Weber
, le citoyen de la
cité
antique
ne cherchait nullement à
développer une « e
ntrepri
se »
.
Le
sys
tème
de
comptabilité qu'il uti.lisait était primitif
16
•
Lui -même n'était pas un
homo œconomicus mais un homo politicus. n avait pour vocation de jouir
des
rentes des terres
que
sa
cité
avait
conquises
par la guerre. On ne constaterait
donc
presque aucun progrè
s
technique
17
.
De la
sorte, l'économie du
monde
17
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
10/23
Léconomie
de
l Grèce des cités (fm
vr-f
siècle a.C.)
antique, au sens d une activité consciemment orientée vers le ptofit, ne saurait
être qu un non-être. Quant aux antagonis
me
s sociaux, dans l Antiquité ils por
taie
nr
sur des
que
stions de s
tatut:
le petit paysan refusait
d être
a
sse
rvi
par
le
rentier, l esclave vo
ulait
redevenir libre. Tout
cela
n avait rien
à
voir avec les
revendications des compagnons contre l
es
maîtres ou des artis
an
s contre l
es
capitalist
es
à
l époque médiévale, annonciatrices des antagonis
me
s modernes
entre patrons et ouvriers
•
Pour qui
s i
nscrit
da n
s la tradition
de
Max Weber,
l éco
nomie antique n a
donc pas
d existe
nce pr
op
re. On d
oi
t noter que , paradoxa lement, la définition
de
l éco
nomie de Max Weber ne diffère
pa
s
de
celle des économistes classi
ques ou néoclassiques. Elle consiste à admettre que J économie
est
la gestion
rationnelle. rareté d
es
biens .Cette définilion peut-e
lle s a
ppliqu
er
au
monde antique La répon se de Weber
était
que s
eu
le l
é
conomie du monde
capitaliste occidental contemporain pouvait être considérée
comme
ration
nelle. Dans toutes les autres sociétés, l économie aura
it
été r
ég
ie par des
règles institutionn elles étrangères
à
la rationalité économique. Pour Weber, Je
car
actère non économiqu
ement
ra
ti
onnel d
es
institutions antérieur
es à
celles
du capitalisme cont
emporai
n rendait illusoire toute étude proprement
«
éco
nomique »
(a
u sens de «gestion rati
onne
lle >> de l
éco
nomie d
es
s
ociét
és
« précapita listes ». Selon lui. on devait s
ub
stitu
er
à une impossible « écono
mie des soc iétés précapitalistes » une soc iologie qui seule serai t susceptible
de rend
re comp
te des
com
portements
relatif
s à la gestion des biens. Weber
avait su reconnaître Je
carac
tère excessif d
es
affirmations de Bücher,
pour
qui
l économie antique n av
ait
pas dépassé le stade de la gestion de l o ikos et de
l autoconsommation. Il admettait sans difficulté J ex istence d ensembles plus
vastes,
de productions dépassant le cadre de la satisfaction de l oikos, de
l autoconsommation. Mais, pour lui, J ab
se
nce de gestion
ra
tionnelle
co
nfé
r
ait
néanmoins un caractère irréductiblement primitif
à
l éco nomie antique_
La tâche qu il
co
nfiait implicitement
à
l historien des mondes anciens étai t
donc de prouver le caractère irrationnel, non-économique
»
(i.e. sans ratio
nalité interne
de na
ture économique),
de
« l
éc
onomie antique » (e
nt
endue
comme
production et administration d
es
biens matériels).
D une
certaine
manière, J
es
travaux
de
J_
Ha
seb
roek
sur
le cornn1erce
et
l
es co
mmer
ça
nts
dans le monde grec s inscrivaient dans le droit fil de cene tradition
19
.
L héritage institutionnaliste
t
Karl Polanyi
Un dernier
courant
mérite
un
e attention particulière pour l
é
tude
de
l éco
nomie antique : celui des pen
se
urs institution
naü
stes, auquel on peut adjoindre
Karl Polanyi
20
. Au
moment même
où, avec la première puis la deuxième
Guerre Mondiale, le courant de J école his torique disparaissait corps et biens
de l horizon in tellectuel allemand mais où, avec Max Weber, la sociologie
nouvellement fondée était appelée
à
un si brillant avenir, de nouveaux théori
c iens, américains u x 1 ~ prenaient le relais de la réflexion théorique.
On
d
oit
18
L économie de la Grèce des cités :un horizon théorique
souligner que les premiers d entre eux se situ,aient. une filiation dire;:te et
explicite avec l
éco
le historique alleman?e. C es t
run
s1
que
,
à
la
fin
du XlX
et
début du siècle,
se
développa aux Etats-Unis Je courant des
pe
nseurs
dn
s
« institutionnalistes », comme Thorstein Veblen (1857-.1929) et John Corn
mons (1862-1945), qui accordaient aux
t i t u
soctales (au sens le plus
large du
terme) un rôle essentiel
dan
s
Je
u: réflex•o.n. V
eb
len,
a n d
pourfendeur
de
la vision utilitaristeet calculatricede 1
éco
nom1e néoclassJque,
a v ~ t t o ~ t
connu pour
sa
Théorie de la classe des loisirs, v : a . g e ~ a n s
l e q ~
JI
1 appropriation du surplus social
par
un e classe d OISifs . Son analyse d:v;
loppement institutionnel par un processus d adaptation pa. s ~ n s mteret,
mais
sa
sociologie sombrant dans le racis
me m o n t r ~
v1
tc
s ~ s llmJ
te
s. Corn
mons, quant à lui, centra son attention sur les t r a n tl e n a ~ t pour d
.es
affrontements pacifiés
et
ins
ti
tutionnalisés (on vort la fihauon avec 1 ~ o l e ht
s
torique allemande).
il
la m a ~ i dont la
droit structuraient Je capJtalJsrne am éncam . Du frut de. eur o m m u msprra
tion,
il
n
es
t pas rare
de
voir Weber et, surtout, Polan
y•
rangés parm1 les pen-
seurs institulionnalistes.
Avec Weber, c est en effet incontestabl
ement
Karl Polanyi .qui a
e x e r
la
plus grande influence sur la
c ~ p t a l i s a t i o
de J écon?mte des soc1étés
d avant
Je capitalisme, et p
lu
s du n:o nde
a o u q u ~ .
comme
M
ax
Weber, Polanyi s
e
st
int
errogé sur la smgu.larJté
de
la
« vo1e o c c t d ~ »
qui a mené
à
Ja Révolution indutrielle et au
tnomp
he du sys tè
me
cap1ahste:
Pour Polanyi
comme pour
Weber, Je capitalisme n est qu un.e c u l t u r ~ panru
d autres _ sauf
que
J
a
ppréciation
qu i
ls en o ~ t est aux. anttpodes 1 une . de
J autre. Pour J universitaire d origine bourge01se qu étmt ~ e ~ r captta
lis
me
était
inco
ntestabl
ement
la fom1e la plus achevée
de
la clvthsauon.
P ~ u r
le pen
se
ur
soc
ialiste
qu
était Polanyi, Je
p i t a l i
n
étai
t qu une forme hiS
tori
que
transit
oi
re, dont on pouvait décnre la na1
ssa
nce, le développement,
avant, pensait-il, la mort toute prochaine et le ~ c e m e n t p a r un
soc ial iste : te l était Je sens de sa Grande transformatwn, pubhée en 1944 .
Tr
ois idées majeures o
nt
structuré la dém:rrche
de P o l ~ n y
premtère
était que,
se
lon lui,
da
ns toutes l
es
sociét
és
(a une excep
tiOn
: celle
capitalisme)
l
économie n
a
normalement
pour
but que
de
sa
u
sf
rure
ce
qu
l
appelait « besoins de l homme»:
se
nou.rrir,
se
vêtir,
se
loger, u r e r un
environnement permettant de vivre de mamère e n des no:
m
es
de vie du t
em
ps.
En
ce sens, pour lu
i,
ce_qu
Il
appela
t,((
1 écon?rrue
substantive
»
doit être radicalement o pposé au role que prend 1 ~ o n o r r u e au
sein d une socié
té
de marché
commc.
le c a p i ~ La . second
e,
é e . c o r o i -
Jai re de la première, était que la c J é t é . s t e étru t l ~ r e des
sociétés humaines la seule où 1 économ1e eXJstat comme mstance
avec des
ins
titution
s
propres,
autonomes. Auparavant,
éta
1
«encastrée» (« embedded » dans
Je
social, le politique ou le rel1g1.eUx. et
c étaient ces institutions qui , en quelque son
e«
au passage», accomplissaient
19
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
11/23
1 1
't'l '>,
esse
n
tie lleme nt o
ri
e ntée vers la
sa
tisfaction de la s
ub
s istance des pop
ul
atio
ns, mais
pas une
économie
« pour
so
i », c es t
-à-dir
e un sys tème de r
èg
les manipulé
co n
sc
iemment et
doté
d une logique
propre, ce ll
e de la cro i
ssa
nce. C est ce
qua ju
s li11
era
it l' absence d' une
«s
ci
ence
éco no
miqu »
dans
des
univers qui
ne pouvaient
co
n
cep
tualis
er
une réali té qui l
eu
r é
tait étra
n
gè
re.
Par
essence,
les te ntatives visant à re
co
nst ituer un sys tème logique qui n ex istait pas
se raient
donc
vaines. La r
ef
ormulation
ac
tuelle
du débat
e ntr
«
formal istes >>
censés
admett
re l exi ste
nc
e d'u
ne
autono
mie
de l
économie
co
mme sp
hère
sépar
ée m
ais
moins
sop
hi s tiquée qu a ujourd ' hu
i,
e t «
substant
ivi
stes
>>, po
ur
qui l
éco
n
omie
n'a
d autre
réalité
que
le
so
uci
de
l
a
pprovis ionnement et po
ur
le res te se r
ait
to talement sous le contrôle d a utres instances, politiques, re li
g
ieu
ses, ou autres, recoupe en fait , sinon to talemen t,
du moin
s très largement,
les anc ie ns
cli
vages
entr
e modernistes et prirnitivis tes
24
•
Ce sont
les thèses de
Max
We
ber
,
et en
partie
se
u
lement
et de
ma
nière plus
critique, ce lle de Karl Polany i, que Finl
ey
a popularisées e t mises à jour dans
son Economie antique, au titre si
n i q u
au reste
en
reco nnaiss
ant exp
lici te
ment
sa de tte
à
l'
égard
de Weber
25
. A la
recher
che illus
oir
e d ' un systè
me
or
ga
-
20
Léconomie e
la
C>. Il n est
que le
contre
point. en négatif, du monde
ca
pitaliste.
À
la
m a n i è . r ~
des co
nf
essio? s négati
ves des défunt
s arrivant au r
oyaume
d
es
morts de 1
Egypte pharaomque
(« Je
n' ai pas commis d ' injustice, je n a i pas volé .. »),
Weber
ou Finl
ey co
nvient
le
ur
s l
ecte
urs
à
identifier tous les «
manque
s ».de 1écon
omi
e antique
par
rap
port
à l
éco
no
mie
conte
mpo
raine. Certes, la liste es t l
ongue
.
cet
t
«
~ s e
par d
éfau
t »
qui
n
es
t que la projec
tion
s
ur
le
mo nde an
t1que de
la
gnl le
d a
na
lyse du monde cap
i
ta
l iste
est au s
si le plus sûr
moye
n
de
pas
compren
dre de maniè re
positive
l éco nomie
antique
et de ne pas
reco
nnaître so n
éventuelle cohérence
intern
e. Plus
grave encore
, elle
in
cite à lire
le
s
source
s
rchéol
og
iques ou
textuelle
s
sys
té matiquement
dan
s un se ns pr im itiviste.
La
tradition
de Weber
et Finl
ey se di
stingue ce rt
es du pr
imitivis
me
à la
Büch
er. M
ais,
p
our
les rai
so
ns de
méthode évo
q
uées,
elle a inévitable me
nt
été conduite à d
es
prises de pos ition se
mblable
s à
celles
des
primiti
vistes.
E lle
s e s
t caractérisée naturell emem
par
le r
efus
de
décrir
e l
éc
onomi
e anti
que comme un
sy
s tè
me
in
tégré,
et,
accesso
irem ent, par la
minimi
sa tion d
es
quantit
és
ou
le r
efus systématiqu
e
de
quantifier, m
ême
dans l
es tr
op rares
occasions où
la
documentation antique
l
a
utorise.
Cependant, la
not
ion < d' e ncastrement>}, avec so n coro lla ire, l l e de
« d
ése
n
castreme
nt >} ,
amena
Polan yi à faire une étr
ange
découverte.
St
toutes
les s
ociétés du passé
avaient
en
co
mmun
d être des
socié
tés d éco
nomie
ta
ntive oroani
sées
soit sur la base de la
réc
ipr
oc
ité, soit sur ce lle de la r
ed
J
S
t r i u t i ~ ii sera
it donc logiquef lent
impo
ssible
de
trouver
avant
l épo
qu
e
co
ntemporaine un
marché
créateur
de p
ri
x déter
minant
la nature et le volume
des
produ
ctions. Or, r .1mi les
soc
iétés très
diver
ses_ ~ e s
c ~ n s a -
cra
ses
efforts. il en est
une
à la
quelle
, vu sa formau
on classaque,
tl s mter
essa
particuliè rement: celle
de
la
Grèce
ancienne. Polanyi eut ai nsi la surpri
se
d y
o b
server
des phéno
mène
s
qui,
d:
Ul
s son
sys
t
ème
, étaient inattendus : la
co
ns
titution d '
un
système de marché
co
nnai
ssa
nt
des fluctuations de prix, portant
sur des produits de con
somma
tion de ma
ss
e e t embrassant de v?Stes zo nes
géographiques
26
• Certe
s, Polanyi ava
it
certainement tort de voulOir
place
r au
début de
l épo
qu
e hellénistique, vers
33 0
-
300
a .
C.,
le
«
dé
se
n
cas
trement >
(
pour
r
eprendre
provisoire
me
nt
ce
vocabulaire)
de
la
soc
i
été
gr
ecque
27
• En
réa lité les ~ r r a
mut
ations de la société et de l éco nomie de la Grèce
ancienne éutient en marche au mo i
ns
depuis la fin de l'
archa
ïsme et s inscri -
21
-
---
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
12/23
L économie de la Crè
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
13/23
>11(1111/C
do•/J
Gri ~ h , l l o l i : l l < l n
es
t la condi
ti
on
de
tout raisonneme
nt sc
ientifique. Cependant,
1 1
clhlollll.
l entre le modèle et la réali té
se
mble parf
ois
si forte qu
'elle peu
t
p.u.lllll 1nvalid
er
le modèle lui-même ou, à tout le moins, inviter à en lim
it
er
h-
omh
li
ons d'application. En
fa
it, aucune soc iété de marché contempo-
1olllll' Ill' répo nd à la définition du marché pur et parfait ». A fortiori, n 'est
Il Il'
dangereux
d'appliqu
er le modèle
d homo œconomicus,
élaboré po
ur
l
ln
.il yscr l
es
situations
de
marché, aux sociétés «sa ns
mar
ché »,
et
même à
oi l le
ma
rché ne jouait pas le
même
rôle
qu'aujourd'hu
i ? L histoire
montre une multitude de sociétés qui présentent des formes d'organisa tion
politiqu
es
ct
religieus
es
qui
sem
blent irr
éduc
tibl
es
au mudèle
d h
omo œcono-
mtctts .
Structures
de
parenté,
sa
nctuaire, empire, État-cité ou
se
igneurie, ces
lt1rn1
es
d'organisation,
qu
'o n désignera d
éso
rmais
co
m
me
«
inst
itu
tions»,
revele nt une telle importance pour les soc iétés concernées qu'on ne voit pas
comment on pourrait en faire abstraction dans l analyse de l
eur éco
nomie. En
outre, ces institu
ti
ons ne demeurent jamais stables. Selon des rythmes diffé
rents, l
ents
ou rap ides, elles ne cessent de
se
transformer,
dans
ce qui paraît
Cire un étrange d
ésor
dre.
es t de
cet
apparent chaos dont le marxisme a tenté de rendre raison.
Pour
Marx, les institutions ne sont que Je produit de la lutte des classes, elle-même
déterminée par le «niveau des forces productives».
Le
moulin à eau aurait
gén
éré
la féodalité
et
la machine à vapeur
Je
capitalis
me
moderne.
On
est là
dans
la
logique d'un « moteur à deux te
mp
s>>, d'un sys tème causal où l évo
lution
in
stitutionnelle trouve directement
sa
source dans la logique des forces
productives, entendues au sens matériel du terme. Pour Marx, c était le pro
grès technique qui était
«
n dernière instan
ce»
le moteur de l histoire. Le
schéma reposait sur
une
logique évolutionni ste accordant au progrès techni
que, aux forces productives et à la maîtri
se
sans cesse plus grande de la nature
le rôle de vecteur déterminant
in
éluctablement l évolution sociale. La
co
rr
es
pondance éventuelle entre un certain niveau de force productive et d organisa
tion i nstitutionnelle est une chose (pour le moulin à eau, la règle posée éta it
cependant bien malheureuse). Mais,
comme on
l 'a
reco
nnu depuis longtemps,
autre c ho
se
est d' établir un
li
en
de
causalité univ
oque
entre les deux niveaux.
En effet, on peut aussi bien soutenir que le
cap
italisme es t nécessaire à
l invention de la machine à vapeur que la thèse opposée, de sorte qu une expli
ca
ti
on annule l autre.
Weber a inversé le paradig
me (d'
o
ù,
pendant
lon
gtemps, la volonté de faire
de son enseignement
un
antidote
à
Marx). Pour lui,
c'éta
it
l'in
stitution qui
donnait vie au sys t
ème
économique, et non l inverse. Pas de machine à vapeur
sans bourgeois puritain, pourrait-on
di r
e. Certes, la log ique un peu simpliste
présentée dans L éthique protestante fit place par la suite à des analyses plus
nuancées
3 1
. Mais
l'insp
iration fondamentale resta tou
jo
urs la même
et
ce n'est
nullement un hasard si Weber prit un intérêt particulier à décrire les formes
religieuses et politiques du judaïsme antique ou des mondes indi
en
et chinois.
24
C
es
analyses
cu
lturelles lui paraissaient susceptibles
de
définir les formes
soc iales (et économiques)
de
ces sociétés. L'o
bj
ec
tivati
on
de
s relations écono
miqu
es
dans une s
ph
ère séparée, caractéristique de la
soc
iété occidentale c?n
temporaine, apparaît bien dès lors seuleme nt comme une construction
culturelle spécifique , parmi d'autres, même i, en homme de son époque, Max
Weber ne pouvait s' empêch
er
de juger les autres constructions
cu
lturelles à
aune
de celles de
l'Oc
cident. Au reste, à la
fin
de l avant- prop
os
de L Éthique
protestante, texte si intéressant
par
le
cô
té d'éba uche qui est le sien par rapport
aux travaux plus élaborés des années 19 10, Weber lui-même ne put s'empê
cher de po
se
r la
que
stion
de
l origine
de
la forme spécifique d
es
institutions.
Avec la plus grande pruden
ce il
est vrai,
et
comme à regret,
il
avançait l idée
qu 'o n
«é
tait naturellement
co
nduit à
y
voir le résultat décisif
de
9ualités
hérédi taires>> (entend re : de qual it
és
propr
es
à la race aryenne)
32
.
Peu 1mporte
ici Je co ntenu de la réponse, surdéterminé par l'idéologie qui était celle d 'une
époque et d' un milieu social . Weber précisait du reste que, dans l immédiat, la
recherc he
des
facteurs
li
és «au destin
et
au m ilieu l
ui
paraissait
se
ule pos
sib le.
Mai
s ce qui compte
es
t que Weber ai t é té
sens
ible au prob lème
posé
par
les déterminants d
es
institutions.
l es t donc piquant que l'analyse de Weber ait e
ll
e aussi abo uti à cette
apo rie: comment« fonder la fondation », qu
'i
l s'agisse de« l
'inf
rastructure»
ou de la « uperstru
ct
ur
e»
? M.
Sah
lins a proposé une solution radicale. Pour
lui, toute forme d
'i nt
erac
ti
on entre l
es
homm
es
et leur milieu relève de l
'ordre
du«
symboliqu
»
, dont l
'a s
pe
ct
arbitraire ti
ent
au fait qu il
es
t le produit, par
définition changean . de la volonté humaine.
Il
n' y a pas de« pure contrainte»
de la nature: «Les forces matérie lles considérées é m e n ~ n 'o nt pas de vie
propre »
33
•
Le
filtre du rend vaine to
ut
e
t e n t ~ t i v ~
vouloir
rechercher quelque logique
que
ce so1tdans l
es
arrangements wstttuuonnels et
en tout
cas ob
lige à dénier t
out
ca ractère détermina
nt
aux facteurs matériels :
«N o
us avons vu que rien, dans leu r capacité de sa tisfaire un besoin matériel
(biologique), ne peul exp liquer pourquoi on produit des pantalons pour des
homm
es
et
des jupes
pour les femmes, ou pourquoi les chie
nS
s
ont jugés
non
co
mestibles, tandis
qu'un
quarti
er de bœuf
satisfait merveilleu
se
ment le
besoin de mange r. Les rapports de production - la division du travail opérée
par des catégories et d es capacités cultureUement déterminées - ne peuvent
pas non plus être déduits des catégories et des ca pacités matériellement déter
minées de la population
»
34
•
La dialectique infrastructure - superstru
ct
ure
chère
à
Marx
et
la vision d'une histoire orientée s effacent donc au profit du
paradigme d'une histoire vouée à l
'arb
itraire d
es co
n
st
ructions cul
tur
elles. Si
J'o n pousse ce tte logique
jusqu'au
bout, non seulemen t l histoire n'a plus de
sens (proposition à laquelle on serait certes prêt à sousc rire), mais elle n
'a
de
logiqu
e :
elle
n'est
que
déso
rdre
et
chaos, faisant songer à la sombre medi
tation de Macbeth sur la vie (M.5.5)
:
« A tale told by an idiot, full of sound
a
nd
fury, signifying nothing ».
25
-
8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)
14/23
L économie de a Grèce des cirés (fin Vl -f siècle a.C )
•
. L 'intérêt de
ce
tte analyse est certes d 'obliger à revenir sur la différenciation
f ~ t e par Max Weber
entre
deux niveaux de rationalité, la rationalité maté
celle ? e
a ~ t i o imméd
ate,
et
la rationalité en valeur, co
rre
s
pondant
à
des unpérattfs
élh1
ques, esthé11ques, moraux ou rel
ig
ieux. En réalité
comme
le montre M . Sahlins. il n y a pas d'action qui soit « immédiate » hors co
n
texte institutionnel : s
ur ce po
in
t,
ses analyses
so
nt rigoureuses et
c ~ n v a i n c a n
tes. revanche. le a c t è r e
a _ r b i t r a i r
des traits culturels ne doit pas masq uer
la
réahté
de
cesJeux
d opposl .J.ons. Les ma
rqueur
s de différenciation entre
le
s
e n r e varient d'une soc iété à
un
e autre,
mai
s ce
qu
i demeure est la dis tin
c
tiOn
, par exemple entre les genres ou entre les niveaux sociaux. �
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