au coeu du soin… - infirmiers.com · 2016. 2. 18. · voir les nourrissons depuis une galerie...
Post on 04-Feb-2021
1 Views
Preview:
TRANSCRIPT
-
Au Coeur du Soin…
…une Famille
L’IDE NIDCAP dans la prise en soin des naissances prématurées
T. MONTAGNON IFSI d’Annecy Promo 2007-2010 11 juin 2010
-
En fin de compte, mais avant tout :
A Celui qui inventa le Regard Positif Inconditionnel, et qui m’a portée
A ceux qui ont bien voulu l’appliquer à mon égard, et qui m’ont parfois supportée
Et enfin, à ceux qui ont compris et qui font vivre le jumelage
entre « former » et « le prendre soin »
Merci
--T. Montagnon
11 juin 2010
-
Sommaire
Introduction……………………………………………………………………………………………………………………….1
Cadre Conceptuel……………………………………………………………………………………………………………..4
I/ La prématurité……………………………………………………………………………........................................4
Définitions et chiffres…………………………………………………………………………………………………….4
Les complications de la prématurité……………………………………………………………………………..5
Le vécu de l’enfant………………………………………………………………………………………………………..5
Prématurité et parentalité…………………………………………………………………………………………….6
L’attachement……………………………………………………………………………………………………………….6
Décrets et plans périnatalité………………………………………………………………………………………….7 II/ Des soins de développement au NIDCAP…………………………………………………………………….…….8 Le concept de soins de développement…………………………………………………………………………9
Le NIDCAP……………………………………………………………………………………………………………………..9
Les observations NIDCAP et le projet de soins de développement individualisé….........10
Le rôle de l’IDE…………………………………………………………………………………………………………….11 III/ L’accompagnement et le NIDCAP………………………………………………………………………………….12 Carl Rogers: l’approche humaniste.................................................................................12 Walter Hesbeen: le prendre soin………………………………………………………………………………..13
IV/ L’implication professionnelle et le NIDCAP……………………………………………………………………15
Le modèle de l’implication selon Christine Mias....…………………………………………………….15 V/ La qualité des soins et le NIDCAP…………………………………………………………………………………..17 Définir la qualité des soins………………………………………………………………………………………….17 Dimensions principales de la qualité des soins……………………………………………………………17 VI/ L’émergence d’une hypothèse de recherche…………………………………………………………………19
Méthodologie……………………………………………………………………………………………………...............20
-
I/ Présentation du terrain d’étude……………………………………………………………………………………….20 II/ Présentation de la population interrogée……………………………………………………………………....20 III/ Présentation de l’outil de l’enquête : l’entretien……………………………………………………………21 IV/ Déroulement de l’enquête………………………………………………………………………………………….…22 V/ Difficultés rencontrées…………………………………………………………………………………………………...22 VI/ Limites de l’enquête………………………………………………………………………………………………..…….23
Analyse……………………………………………………………………………………………………………24 I/ Expression des IDE : générale et autour de la certification NIDCAP…………………………………24 II/ Expression des IDE autour de la naissance prématurée………………………………………………….25
Connaissances théoriques des infirmières interrogées……………………………………….………25
Besoins parentaux et la prise en soin : réanimation……………………………………………………25
Besoins parentaux et la prise en soin : néonatologie…………………………………………….……27
III/ Expression des IDE autour du NIDCAP…………………………………………………………..……30 Une perception philosophique………………………..…………………………………………………………30 La modification des pratiques……………………..................................................................30 Difficultés dans l’application..........................................................................................33 IV/ Le NIDCAP et la construction de l’unité familiale..............................................................34 L’intérêt des observations programmées…………………………………………………………………..34 Le vécu parental de l’accompagnement NIDCAP …………………………………......................36
V/ L’accompagnement NIDCAP : le vécu infirmier………………………………………………………………37
Synthèse……………………………………………………………………………………………………………………….….39
Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………..……41
Bibliographie……………………………………………………………………………………………………………………43
Annexes…………………………………………………………………………………………………………………………….45
-
1
Introduction : l’acheminement vers une question de départ
Il y a quelques années, j’ai assisté à la naissance de triplés : les enfants d’un couple d’amis,
nés à sept mois de grossesse suite à des années d’infertilité, une grossesse multiple
compliquée, et une hospitalisation maternelle éprouvante. Famille et visiteurs pouvaient
voir les nourrissons depuis une galerie externe qui contournait le service de réanimation
néonatale.
J’ai encore le souvenir de ma première vision plutôt choquante de la plus petite des filles,
qui pesait 900 grammes à la naissance: entourée de machines et positionnée quasiment nue
sur le dos, les quatre membres attachés, elle sursautait à chaque alarme de scope et
tremblait en permanence. Je me souviens également de la frustration et de la tristesse des
parents, qui--en plus de l’angoisse qu’ils éprouvaient face à un avenir incertain--devaient
attendre des jours avant de pouvoir prendre leurs enfants dans les bras, et des semaines
avant d’assumer leurs soins. Même s’ils pouvaient entrer dans les chambres, parents et
enfants étaient séparés par des coques de plexiglas, et seulement leurs doigts avaient le
droit de temps à autre de tenter de se frayer un chemin parmi les fils et tubulures pour
caresser une joue minuscule par ici, une petite main par-là.
Aujourd’hui ces triplés sont des adolescents, et ils vont bien. Mais à l’époque, au café près
de l’hôpital, nous aurions donné cher pour lire dans le marc de café au fond de nos tasses.
J’attendais mon deuxième enfant et Laure, la maman, m’avait exprimé sa souffrance d’une
manière à me faire instinctivement entourer mon gros ventre de mes mains et
silencieusement prier ma fille de rester bien au chaud encore quelques semaines : elle
pleurait de la douleur et de l’injustice de sa séparation de ses enfants, et avouait une colère
malgré elle contre l’équipe soignante par rapport aux dispositifs médicaux et le
positionnement vulnérable et exposé de Sofia, la plus petite des nourrissons.
Elle se disait aussi jalouse des infirmières qui pouvaient approcher et soigner les bébés alors
qu’elle, en tant que mère, devait attendre la permission de l’équipe avant de pouvoir enfin
serrer ses propres enfants contre elle. Paradoxalement, de cette impuissance découlait un
-
2
réel désarroi face à l’idée de prendre en charge ses enfants : Laure doutait de ses capacités à
tout assumer quand elle « pourrait enfin être mère ».
J’avais été autant frappée par le sentiment de solitude et de « non-maternité » de Laure que
par la prise en charge de Sofia qui, même si j’en comprenais la nécessité absolue, pouvait
sembler froide et même inhumaine. Je pouvais aussi comprendre la colère involontaire de
mon amie contre l’équipe soignante : les méthodes de médicalisation nécessitées par ces
naissances avant terme avaient été vécues comme une épreuve de plus à endurer, associant
angoisse et solitude parentale au retard dans l’établissement des liens familiaux. Mais
comment soigner ces petits bouts si fragiles sans les isoler dans un environnement
hautement protégé, régulé, et restreint qui forcément lésait aussi les parents ? Les
impératifs de survie étaient prioritaires ; l’affect devait alors attendre la stabilisation
médicale.
Quelques années plus tard au même CHU, une modification radicale dans la prise en charge
des enfants prématurés et de leurs familles a débuté, avec la décision d’implanter un
programme de soins de développement (SDD) individualisés, connu sous l’acronyme
NIDCAP. J’avais été engagée par le CHU à l’époque, avec pour mission de faire le lien entre
l’équipe française et l’équipe américaine formatrice: j’interprétais les conférences, assistais
aux réunions de travail, et traduisais les écrits. De ce fait, j’ai suivi les différentes facettes de
la mise en place progressive de ce programme, y compris l’habilitation NIDCAP des IDE
françaises en formation sur le terrain.
J’avais été vite frappée par la théorie médicale, comportementale, mais surtout relationnelle
de ce programme. La relation particulière « parents-équipe soignante » ainsi que
l’implication des familles dans le soin m’avait interpellé, car elles me paraissaient en net
contraste avec le vécu de mes amis. Des éléments pourtant observés pour la plupart « sur
papier » et de loin, car à l’époque j’étais limitée par mon rôle ponctuel et purement
communicatif, extérieur aux soins. Le regard soignant et ses possibles implications
personnelles et professionnelles demandaient un tout autre angle d’approche et étaient
hors de ma portée.
-
3
Ceci n’est plus le cas. Dix ans plus tard, ce CHU est devenu le premier Centre de Formation
Francophone Européen NIDCAP de France, et je suis en fin de formation IDE avec bientôt
une identité professionnelle à définir et à vivre au quotidien. Le retentissement de ce
programme, toujours bien présent chez moi, indiquait un questionnement particulier
concernant le rôle infirmier dans le contexte de l’évolution de la prise en charge des
naissances prématurées et méritait d’être exploré.
Cinq années s’étaient écoulées depuis ma dernière intervention au CHU par rapport au
NIDCAP ; j’avais bien conscience que ma représentation était forcément figée, telle une
image captée à un moment précis, encadrée par la position d’interprète qui était la mienne à
l’époque. L’ensemble pouvait paraître beau de mémoire, mais qu’en serait-il aujourd’hui sur
le terrain et en temps réel, avec un tout autre cadre : celui du soignant IDE?
J’avais l’opportunité d’effectuer mon stage de Pédiatrie dans ce Centre de Formation
Européen NIDCAP en février 2010 et ainsi de faire à la fois ma propre expérience, et de
mener une enquête sur le vécu des IDE qui ont maintenant jusqu’à 10 ans de recul sur cette
prise en charge particulière. Enrichie de deux années de formation infirmière, mon objectif
a été d’appréhender la place de l’infirmière dans les soins de développement individualisés.
Par conséquent, j’ai démarré l’exploration de mon sujet par la question suivante :
« Dans une optique qui tend sans cesse vers l’amélioration de la qualité des soins, quelle
serait l’implication du professionnel infirmier NIDCAP dans l’accompagnement des
naissances prématurées ? »
En confrontant les expériences vécues et les témoignages recueillis sur le terrain à la
recherche théorique, j’espère aboutir à une réflexion de soignante enfin placée au cœur de
la prise en charge des patients et de leurs familles.
-
4
Cadre Conceptuel
I/ La Prématurité
« La naissance d’un enfant né prématurément, va interrompre la maturation biologique et
psychique de la grossesse…le transfert du bébé dans un service spécialisé va mettre à nu
l’incapacité, l’impuissance de ses parents en renforçant leur culpabilité de ne pas avoir pu
mener à terme cette grossesse…la distance physique va s’ajouter à la distance psychique, ce
qui ne favorise pas la création d’interactions et la naissance du lien d’attachement » --D.
BOHU, communication à la journée de périnatalogie du CHU d’Antoine, Paris, 21 mars 1996
Définitions et chiffres
En France, quand l’âge gestationnel est connu, l’enfant prématuré est un enfant né avant le
terme de 37 semaines d’aménorrhée mais âgé au moins de 22 SA et pesant au moins 500g.1
Sont définis comme :
Prématurés : les enfants nés avant 37 SA.
Grands Prématurés : les enfants nés avant 33 SA.
Très Grands Prématurés : les enfants nés avant 28 SA.
Le taux de prématurité en France est aujourd’hui évalué entre 5,5% et 7,5% des naissances
selon la région, ce qui représente entre 55 000 et 65 000 naissances prématurées par an.
1 Réseau sentinelle de l’AUDIPOG. Lexique et règles de codage du dossier obstétrical 2008, Faculté de
Médecine, RTH Laënnec, Lyon, page 2
-
5
Ceci traduit une augmentation de 35% depuis 1995. En Auvergne-Rhône-Alpes, ce taux se
situe à 6,4%, mais suit globalement la tendance à la hausse.2
D’étiologies multiples, la prématurité représente une préoccupation de santé publique en
France comme dans les autres pays développés, ceci en partie en raison de l’augmentation
des grossesses multiples favorisées par la procréation médicalement assistée, ainsi que
l’accroissement des déclenchements d’accouchement pour des motifs médicaux légitimes.
Les complications de la prématurité
Les pathologies touchant l’enfant prématuré sont essentiellement liées à son statut même
d’enfant né prématurément. La prématurité se caractérise par une immaturité fonctionnelle
des organes et des systèmes, compromettant l’adaptation du nourrisson à la vie extra-
utérine et étant à l’origine de divers troubles à la fois adaptatifs et relationnels3: l’enfant
prématuré lutte en permanence contre la déstabilisation de tous ses systèmes fonctionnels
et régulateurs, ce qui a un impact sur sa capacité à supporter les soins ainsi que sur
l’interaction avec ses parents.
Le vécu de l’enfant
« L’enfant qui naît trop tôt est plongé brutalement dans l’univers d’une unité néonatale de
soins intensifs. Il se retrouve hors de l’utérus dans un environnement fort différent de ce que
la nature avait envisagé pour lui. Il quitte un milieu « douillet », adapté à ses besoins et ses
compétences, avec lumière tamisée et bruit atténué. Il devrait être en position fléchie, avec
des périodes de sommeil et de réveil selon son humeur et celle de sa mère.
Tous les mécanismes d’adaptation physiologique qui, chez le bébé à terme se mettent en
place de façon progressive et automatique, vont représenter pour lui des efforts constants à
chaque seconde de sa vie. De surcroît, il fait face à un environnement hyperstimulant où
2 PINQUIER D. Impact des décrets en périnatalité, pour le réseau AUDIPOG, décembre 2008, page 10
3 Des précisions se trouvent en Annexe I
-
6
bruit, lumière, odeur, froid et sécheresse s’associent aux stimulations répétées et souvent
douloureuses en lien avec la prise en charge médicale et paramédicale. Enfin, les entraves
aux mouvements et les postures imposées sont éminemment antiphysiologiques. »4
Prématurité et parentalité
Mettre au monde un enfant avant l’âge gestationnel de 37 semaines est un évènement
dramatique pour les parents. Ce bébé, tout juste viable est inattendu à ce moment. A peine
les parents ont-ils eu le temps de se projeter dans l’avenir, dans leur rôle de parents, que
leur enfant apparaît. Le plus souvent, les préparatifs sont eux-mêmes au stade
embryonnaire : la layette, la chambre, l’équipement de la voiture sont au mieux en phase de
planification, les cours de préparation à l’accouchement n’ont pas encore eu lieu. Dans la
tête des parents, l’arrivée de l’enfant commence tout juste à se profiler à l’horizon.
Il en résulte un double traumatisme, pour l’enfant mais également pour ses parents :
l’arrivée d’un enfant implique toujours des remaniements psychologiques qui vont moduler
le fonctionnement de ces derniers. Ce processus de maturation de la personnalité est
désigné par le terme de « parentalité », qui peut se définir comme « l’ensemble des
réaménagements psychiques et affectifs permettant à des adultes de devenir parents, c’est-
à-dire de répondre aux besoins de leur(s) enfant(s) sur le plan corporel, affectif et
psychique »5. Une naissance prématurée bouleverse ce processus et fragilise chaque
membre de la triade père-mère-enfant.
L’attachement
John Bowlby décrit l’attachement comme un besoin primaire instinctif, qui se développe par
des apprentissages précoces tels que la reconnaissance de la voix ou de l’odeur de la mère.
L’expérience sensorielle in utero du bébé le prépare à la communication tout comme le fait
de porter un enfant forme la mère à connaître son enfant et à répondre à ses besoins.
4 MAMBRINI C. Naître trop tôt, les carnets de parentel, juin 2009, page 6
5 LAMOUR M, BARRACO M. Souffrances autour du berceau, éditions Morin, 1998, page 28
-
7
Dès sa naissance, le bébé montre des compétences relationnelles : il émet des messages qui
signalent sa faim, sa souffrance, son besoin de sécurité et de réconfort. Les réponses
apportées par les parents créent les sentiments de bien-être, de satisfaction et de
compétence chez chaque membre de la triade : cette interaction réciproque est le
fondement de la dynamique familiale.6
Plus significatif encore : les capacités relationnelles qui permettent à l’enfant de rentrer en
interaction avec son environnement dès sa naissance vont également susciter le processus
d’attachement de ses parents à son égard.7 Naitre trop tôt implique une « fracture » dans ce
processus en raison des difficultés d’adaptation à la vie extra-utérine chez l’enfant, en lien
avec le choc psychique d’une grossesse inachevée chez les parents. Les notions de deuil, de
culpabilité, de difficulté d’appropriation de l’enfant reviennent de façon quasi-systématique
dans les témoignages des parents, et sont source d’autant de freins à la construction des
liens d’attachement, avec un risque plus élevé de négligence voire de maltraitance : il est
estimé que 20% des enfants maltraités sont des enfants nés prématurément.8
Décrets et Plans Périnatalité
« Les établissements assurant la prise en charge des femmes enceintes et des nouveau-nés
comprennent, sur le même site, soit une unité d'obstétrique, soit une unité d'obstétrique et
une unité de néonatologie, soit une unité d'obstétrique, une unité de néonatologie et une
unité de réanimation néonatale. » -- Article R6123-39 du Code de la Santé Publique
Selon le décret de périnatalité du 9 octobre 1998, les maternités sont classés en niveau I, II,
ou III selon leurs capacités de prise en charge périnatale, à savoir : l’obstétrique et soins
néonataux simples (I) ; l’obstétrique à risque + soins néonataux intensifs (II a et b) ;
l’obstétrique à très haute risque + soins néonataux intensifs + réanimation néonatale (III).
6 BINEL G. Prématurité et rupture du lien mère-enfant, éditions Morin, 2000, page 54
7 Ibid.
8 MALKA J, DUVERGER P. Maltraitance et enfants en danger, cours pédopsychiatrie, CHU Angers, mai 2007.
-
8
Depuis l’émergence dans les années 70 de la médecine néonatale, la politique de
périnatalité française a été marquée par trois « plans périnatalité » successifs visant la
réduction de la morbidité et la mortalité de la mère et de l’enfant par une meilleure
organisation des soins et de la prise en charge de la grossesse. L’avant-dernier plan en date
(plan 1994-2000) mettait l’accent sur les transferts in utero et sur la sécurité physique. Le
dernier, présenté en novembre 2004 (plan 2005-2007), sous-titré «humanité, proximité,
qualité, sécurité » ré introduit la notion de sécurité psychique en faveur d’une qualité
globale du suivi de la grossesse, de la naissance, et de la prévention du handicap. Les
résultats du Plan Périnatalité 2005-2007 ont démontré la nécessité de mieux prendre en
compte la dimension psychologique et personnelle de la grossesse et de l'accouchement
tout en ne négligeant ni la qualité, ni la sécurité.9 Des moyens budgétaires ont été accordés
aux établissements publics et privés afin de recruter du personnel supplémentaire et
notamment des psychologues; ces crédits sont alloués en mission d’intérêt général (MIG)
aux établissements disposant d’une maternité.10
II /Des soins de développement au NIDCAP
L’approche de l’enfant et de sa famille dans le cadre de la prématurité s’est modifiée dans
les années 70 avec l’accès parental limité dans les unités de soins à « haut risque », mais
c’est surtout dans les années 80 que la place des parents auprès de leurs enfants a été
reconnue comme positive et conseillée.
En 1982 à Boston (USA), le docteur Heidelise Als dans la continuité des travaux de TB
Brazelton s’est penchée plus particulièrement sur le comportement de l’enfant prématuré.
Elle a crée un outil d’évaluation du comportement, la grille APIB,11 en s’inspirant de l’échelle
de Brazelton12 qui permet de reconnaître et d’évaluer les compétences du nouveau-né.
9 Cairn Info. Revue de la santé publique, 2007, vol. 19, n° 3, page 177
10 Ibid., page 182 11
APIB: Assessment of preterm infant behavior. Cette grille se trouve en Annexe II 12
BNBAS: Brazelton neonatal behavior assessment scale
-
9
Le concept de soins de développement
Les soins de développement (SDD) peuvent se définir comme « des soins regroupant
l’ensemble des stratégies visant à favoriser chez le prématuré un développement
harmonieux dans ses composantes physiques, psychologiques, comportementales et
relationnelles. »13 Ces soins ont pour objectif :
« de modifier les évènements environnementaux générateurs de stress
de soutenir l’organisation neurocomportementale de l’enfant en favorisant les
comportements de bien-être au détriment des comportements de stress
de soutenir les parents dans la compréhension du comportement de leur enfant, leur
permettant d’acquérir progressivement une autonomisation. »14
Les formations proposées sur les SDD visent à développer les connaissances sur :
le comportement du nouveau-né ;
le développement neurocomportemental ;
les concepts des SDD et les stratégies d’implantation hospitalière.
C’est la base de la démarche que propose le NIDCAP, ce qui signifie Neonatal Individualized
Developmental Care and Assessment Program ou programme néonatal d’évaluation et de
soins de développement individualisés.
Le NIDCAP
H. Als décrit un ensemble de sous systèmes caractérisant l’enfant : le système végétatif, le
système moteur, le système veille-sommeil, le système relationnel (« attention-
interaction ») et le système d’autorégulation. Leur évaluation permet une analyse
13 VANDENBERG KA. Behaviorally supportive care for the extremely premature infant. NICU Ink Petaluma, 145-
170, (1995).
14 JACQUEMOT L. Expérience du NIDCAP en médecine néonatale au CHU de Brest, Colloque : Parents d’enfants
hospitalisés : Visiteurs ou partenaires? Association Sparadrap, 5 oct 2004, page 67
-
10
pertinente des capacités de l’enfant. Ces sous-systèmes sont indépendants mais
interagissent entre eux. Cette interaction appelée « synaction » est combinée avec les
interactions continuelles de l’enfant avec son environnement.15
A partir de ses observations, Als explique que l’enfant prématuré n’a pas la capacité à
maintenir, de lui-même, un équilibre entre les différents sous-systèmes. Ses comportements
sont une réponse à la justesse d’une stimulation : quand la stimulation entre dans les
capacités d’organisation de l’enfant, l’enfant reste stable ou retrouve rapidement une
stabilité en agissant ses capacités d’autorégulation, et des comportements appropriés
d’approche sont observés. Lorsque la stimulation dépasse le niveau d’organisation, l’enfant
se déstabilise et à du mal à récupérer, se rétracte et montre des mouvements d’évitement.
Ces signes sont nombreux mais à titre d’exemple je cite le regard de l’enfant qui fuit
(système relationnel) ; l’hyper/hypotonie (système moteur) ; bradycardies, apnées,
polypnées et désaturations (système végétatif) ; ou un changement rapide de l’état de veille
(système veille-sommeil).
Les observations NIDCAP et le projet de soins de développement individualisé
La grille d’observation du prématuré permet d’évaluer les capacités motrices,
neurovégétatives et comportementales de l’enfant. Un soignant certifié NIDCAP, donc formé
à l’utilisation de cette grille, utilisera cet outil comme base lors des observations
programmées avant, pendant, et après un soin afin de déterminer les réactions au stress de
l’enfant, son seuil de désorganisation et ses stratégies d’autorégulation. L’observation sert
alors à décoder le comportement de l’enfant et à évaluer ses compétences et ses difficultés.
Ceci permet la détermination et l’hiérarchisation des objectifs apparents ainsi que les
moyens individualisés visant le soutien optimal de l’enfant dans son développement.
L’enfant est considéré comme le principal acteur de son développement, et ses parents
comme ses principaux « corégulateurs ».
15
ALS H. Towards a synactive theory of development: promise for the assessment of infant individuality. Infant
Mental Health Journal, Winter 1982; 3(4):229-243.
-
11
Un programme de soins est ensuite établi en collaboration avec les parents, et une liste de
recommandations est affichée dans la chambre de l’enfant. Un compte-rendu de
l’observation est rédigé et placé dans le dossier de l’enfant.16 L’équipe soignante applique
les recommandations et fait une évaluation quotidienne de l’évolution de l’enfant en
collaboration avec ses parents. Les observations programmées ont lieu tous les 15 jours
environ, et le projet de soins et les recommandations sont réajustés en fonction des
objectifs et des besoins évolutifs de l’enfant et de sa famille.
Pour résumer, le NIDCAP se sert
d’une théorie : la théorie synactive de développement
d’un outil : l’observation comportementale
d’une méthode : les soins de développement
afin de favoriser et de soutenir le développement harmonieux de l’enfant prématuré.
Le rôle de l’IDE
Ces recommandations individualisées vont obliger le professionnel IDE:
« à agir sur l’environnement ce qui signifie : silence ou diminution du bruit des
équipements et bruits humains, baisse de l’intensité lumineuse pendant et en
dehors des soins, limitation des mouvements intempestifs dans la chambre de
l’enfant ;
à organiser des séquences de soins en fonction des phases de sommeil et de la
tolérance de l’enfant en utilisant des pratiques de soutien du développement17 : la
modification des postures et manipulations avec soutien des postures en flexion, le
grasping, la succion non nutritive, l’enveloppement ;
16
Un exemple d’observation se trouve en Annexe III
17 Des images se trouvent en Annexe IV
-
12
à modifier ses pratiques professionnelles pour favoriser les comportements de bien
être de l’enfant : travailler à deux, apprendre à étaler ou regrouper les soins en
fonction de l’urgence et des capacités de l’enfant, accepter que les parents puissent
être partenaires actifs lors des soins ; à ne pas travailler devant les parents mais avec
eux ;
à soutenir la relation parents/ enfants en accompagnant les parents dans la
compréhension des comportements de leur enfant et en reconnaissant leurs
compétences et leurs capacités décisionnelles. »18
Le rôle de l’IDE, qu’elle soit certifiée NIDCAP ou non, est primordial : le projet s’étendant à
tout un service, l’IDE qui a obligatoirement reçu au minimum une formation sur les soins de
développement, applique le projet de soins individualisé, transmet ses propres observations
et recommandations en matière de soins et gestion de l’environnement, planifie et prodigue
les soins, et joue un rôle clef dans la prise en soin de la famille : en effet, l’IDE « forme » la
famille à l’observation et aux soins et elle la soutient en tant que «référent» pendant toute
la durée de l’hospitalisation de l’enfant.
III/ L’accompagnement et le NIDCAP
"L'accompagnement…est une relation avec l'autre qu'on rencontre et avec qui on fait un bout
de chemin. C'est l'autre qui décide du but de la promenade. Accompagner, c'est être
personne ressource pour que l'autre trace son chemin. C'est l'aider à vivre son trajet et non
pas lui donner une trajectoire à réaliser." -Michel Vial, Université de Provence
Carl Rogers : l’approche humaniste
Outre l’aspect « soins de développement », le programme NIDCAP repose sur une
philosophie de soins appelée « soins centrés sur la famille» (« family-centered care »). De ce
18
MAMBRINI C. Op. Cit., page 10
-
13
fait, la notion de l’accompagnement de l’enfant considéré comme acteur de sa vie, et de sa
famille en tant qu’aidant naturel prend une dimension importante dans la démarche à suivre
ainsi que dans l’atteinte des objectifs : elle implique en effet une vision indissociable des
concepts humanistes de la relation d’aide et de l’approche centrée sur la personne (ACP)
décrite par Carl Rogers comme « une relation permissive, structurée de manière précise qui
permet à la personne d'acquérir une compréhension d'elle-même, à un degré qui la rend
capable de progresser à la lumière de sa nouvelle orientation ».19
Pour ce faire, « l’accompagnant -soignant» NIDCAP s’éloigne d’une philosophie de soins
plutôt centrée sur le soignant, pour placer l’enfant et sa famille réellement au cœur de ses
préoccupations. Les soins ne sont plus centrés sur la tâche à accomplir, mais sur la relation,
et ne sont plus basés sur un protocole, mais individualisés selon la situation de chaque
enfant et de chaque famille.
Rogers avance que le soutien qu’apporte le soignant-accompagnant, dans la non-directivité
et dans le respect de la liberté de chacun, crée des liens de confiance qui renforcent la
relation et favorisent l’atteinte des objectifs. Il soutient que « le climat relationnel créé
entre l'aidant et l'aidé est un outil nécessaire et suffisant ; il se construit dans la sécurité et la
liberté relationnelle pour que la vie émerge, se développe et s'épanouisse pour aboutir à la
personne fonctionnant pleinement »20
Walter Hesbeen : « le prendre soin »
W. Hesbeen évoque l’accompagnement comme faisant partie de la notion de « prendre
soin », qu’il décrit comme une philosophie :
« Le « prendre soin » n’est ni une théorie ni une science. C’est une conception pluriprofessionnelle de
la pratique soignante issue de l’expérience et du questionnement. À ce titre, il relève de la
19
BIOY A, MAQUET A. Se former à la relation d’aide, éditions Dunod, Paris, 2003, page 22 20
Ibid., page 24
-
14
philosophie. Il représente pour moi une « valeur » et n’a pas le statut de « vérité ». Cette valeur est
associée à un état d’esprit, à une façon de se comporter — ou de tenter de se comporter — dans la
vie. C’est une allure de vie qui se veut propice à la rencontre et à l’accompagnement d’autrui en son
existence en vue de participer au déploiement de la santé, (…) il est tourné vers l’action en faisant
appel à des moyens divers, tantôt sophistiqués, tantôt simples, parfois d’une grande simplicité. Il
s’inspire de références dont certaines sont théoriques, d’autres philosophiques, d’autres scientifiques,
d’autres encore techniques et d’autres, enfin, issues de l’intuition »21
Pour Hesbeen, il ne convient pas de soigner de façon disjonctive (basée sur un organe ou
une pathologie, donc réductrice) ni même de façon globale, car cette dernière notion ne
permet pas l’identification du contenu d’une situation donnée. L’accompagnement sera basé
sur le respect et la compréhension du patient plutôt dans sa complexité ou «ce qui est tissé
ensemble »22:
« Aider quelqu’un dans la situation de vie qui est la sienne s’inscrit dans une démarche
complexe. On retrouve là toute la différence entre l’action compliquée sur le corps que le
patient a ou corps objet et la démarche d’aide complexe qui s’adresse au corps que le patient
est ou corps sujet »23
Le NIDCAP vise à intégrer cette complexité en tenant compte des interactions et de
l’importance du vécu de chaque membre impliqué dans le projet de soins. Sa démarche
obéit aux principes suivants :
« Il met en valeur la collaboration plutôt que le contrôle ;
Il se focalise sur les points forts et les ressources potentielles de la famille plutôt que
sur ses déficiences ;
Il développe l’information partagée entre les patients, les familles et les soignants
plutôt que l’information sélectionnée par les professionnels ;
21
HESBEEN W. Le caring est-il prendre soin, perspective soignante, éditions Seli Arslan, 1999, n°4, page 14 22
HESBEEN W. Prendre soin à l’hôpital, inter éditions Masson, 2004, page 29 23 Ibid., page 35
-
15
Il place les parents partenaires actifs et compétents dans la prise en charge de
l’enfant »24
Ainsi nous pouvons observer la mise en œuvre d’une vision de l’accompagnement décrite
comme « une interaction entre deux personnes où l'une s'appuyant sur sa formation et ses
compétences, va chercher à offrir à l'autre (avec son adhésion) les conditions lui permettant
de trouver ses propres solutions face au problème qu'elle rencontre. C'est un comportement
professionnel qui va au-delà de la volonté d'être à l'écoute. »25
IV/ L’implication professionnelle et le NIDCAP
Selon le modèle proposé par C. Mias, l'implication professionnelle se définit comme « la
manière d'être, de s'exprimer et d'agir dans le champ professionnel »26 Bien au-delà des
notions de motivation ou d’investissement simples, c’est un modèle structural qui tient
compte du professionnel dans son environnement d’exercice. L’implication est constituée de
trois dimensions : le Sens, les Repères et le sentiment de Contrôle.
« Le Sens se détermine à partir de l’interaction entre plusieurs éléments dont les
principaux seraient « la signification » attribuée à ses actions, « la direction » en
terme d’objectifs et « le lien » effectué par les individus entre les éléments
professionnels marquants dans un contexte donné ;
Les Repères renvoient aux notions d’identité mais aussi de contexte relationnel et
peuvent être apparentés au système de représentations professionnelles
opérantes dans un groupe professionnel particulier ;
24
SIZUN J, RATYNSKI N, GREMMO-FEGER G. Soins de développement, soins centrés sur la famille : nouveaux
concepts, nouvelles pratiques en médecine néonatale, le Pédiatre, 2001, tome XXXVI, n°179, page 2
25 Collection SFAP. Relation d’aide en soins infirmiers, inter éditions Masson, 2007, page 35
26 LABBE S, RATINAUD L, LAC P. Dynamique de l’implication et des représentations professionnelles : le cas
d’une recherche-action dans le milieu industriel, Congres National AREF 2007, page 2
-
16
Le sentiment de Contrôle relève tout à la fois de la liberté d’action et du contrôle
effectif mais aussi de la capacité perçue d’action et des postures et attitudes ;
c’est à dire de la place effective et vécue dans l’organisation et la profession en
générale. »27
Mias soutient que la forme et la qualité de l’implication diffèrent selon le contenu et la force
de chacune de ces dimensions, mais s’expriment conformément à la représentation
construite par la personne de sa réalité professionnelle. Elle aurait son origine dans l’idéal
professionnel, puis chacune de ces dimensions évoluerait en fonction :
de la réalité du terrain
des valeurs personnelles et professionnelles
du statut professionnel
du contexte des exercices professionnels
du rapport qu’établit le professionnel avec le contexte, allant du plus proximal au
plus global
C’est en effet une dynamique psychosociale qui se crée et qui s’opère entre le sujet et son
environnement : il sous-entend à la fois l’introspection et l’évolution du professionnel, ainsi
qu’un œil critique vers le milieu d’exercice permettant aussi l’évaluation et l’évolution
potentielle de celui-ci.
Dans le cadre du NIDCAP, l’implication du professionnel est liée à l’adhésion à une
philosophie de soins « nouvelle ». De ce fait, elle va solliciter une remise en question du
soignant, inévitablement influençant les dimensions de Sens, de Repères, et de Contrôle qui
lui sont propres. Cette remise en question, ce « réajustement » de la triade va engendrer
(ou non selon le degré de l’adhésion) une modification des pratiques qui s’étendront au
milieu professionnel et qui reflèteront à leur tour une évolution des savoirs communs-
autrement dit les représentations professionnelles-chez le groupe professionnel concerné.
27
LABBE, RATINAUD, LAC. Op. Cit., page 3
-
17
V/ La qualité des soins et le NIDCAP
« Ainsi, ils disent que je suis excentrique puisque je réclame en public que les hôpitaux, s'ils
souhaitent s’améliorer, doivent mesurer ce que sont leurs résultats, doivent analyser leurs
résultats pour identifier leurs points forts et leurs points faibles, doivent comparer leurs
résultats à ceux d'autres hôpitaux et doivent faire bon accueil à la publicité, non seulement
de leurs succès, mais aussi de leurs erreurs. De tels avis ne seront pas excentriques d’ici
quelques années. -- Ernest Amory Codeman, chirurgien à Boston (USA), 1917
Définir la qualité des soins
Indispensable afin de mesurer les forces et les faiblesses d’un système, la capacité à définir
la qualité des soins s’est beaucoup améliorée grâce aux travaux internationaux. La définition
la plus largement employée vient de l’Institut de médecine des Etats-Unis (IOM) qui précise
que la qualité est « la capacité des services de santé (…) d’augmenter la probabilité
d’atteindre les résultats de santé souhaités, en conformité avec les connaissances
professionnelles du moment »28. Cette définition est largement acceptée par la
communauté internationale grâce à sa flexibilité et à son adaptabilité aux contextes
différents.
Dimensions principales de la qualité des soins
Les principales dimensions élaborées peuvent être regroupées dans cinq catégories :
efficacité, sécurité, réactivité, accès et efficience29. Ces dimensions englobent souvent
28 Institute of Medicine (2001). Crossing the quality chasm: a new health system for 21st century. Washington
DC, National Academy Press.
29 Des précisions se trouvent en Annexe V
-
18
d’autres dimensions telles que la pertinence, la ponctualité (« timeliness »), l’aptitude
(« patient centeredness »), la continuité, la satisfaction, ou la compétence technique.30
Nous retrouvons notamment le critère de la qualité « patient centeredness » au cœur de la
philosophie NIDCAP :
« … Elle se rapporte à la façon dont le système prend en charge les patients pour répondre à
leurs attentes légitimes non liées à la santé (…) il s’agit de mettre le patient au centre des
soins en intégrant différents éléments comme l’écoute, l’empathie, la confidentialité, mais
aussi l’information dont le patient dispose sur sa maladie et la possibilité d’un choix éclairé
de sa part. Ainsi, on met l’accent sur l’expérience du patient concernant les aspects
spécifiques des soins, ceci au-delà de sa satisfaction individuelle ». 31
Le NIDCAP a fait l’objet de nombreuses études internationales permettant de constater une
diminution du nombre de jours de ventilation assistée, une alimentation plus précoce, une
diminution des jours d’hospitalisation, et une amélioration du développement
neurocomportemental à 9 mois.32 33 A court terme on peut observer une réduction
significative des scores de douleur aiguë34 ou chronique.
Si d’autres études à long terme seront nécessaires afin de mesurer la qualité et donc l’intérêt
global de ce programme, le NIDCAP semble faire école : on compte à l’heure actuelle dix
centres de formation aux USA et cinq en Europe, ainsi qu’un centre de formation en
Amérique du Sud.
30
OR, CO-RUELLE. La qualité des soins en France : comment la mesurer pour l’améliorer ? IRDES, décembre
2008, page 3
31 Ibid., page 4
32 ACHENBACH, TM. 9 year outcome of the Vermont Intervention Program for low birth weight infants.
Pediatrics, 91(1): 45-55, (1993).
33 KLEBERG, A. Development outcome, child behaviour and mother-child interaction at 3 years of age following
NIDCAP intervention. Early Hum Dev. 2000 Dec; 60(2):123-35 34
SIZUN J, ANSQUER H, BROWNE J, TORDJMAN S, MORIN JF. Developmental care decreases physiologic and
behavioral pain expression in preterm neonates. J Pain. 2002; 3: 446-50.
javascript:AL_get(this,%20'jour',%20'Early%20Hum%20Dev.');
-
19
La France a d’ores et déjà vu certifier quatre établissements NIDCAP, dont un centre de
formation francophone. Onze établissements supplémentaires à travers l’Hexagone sont
également en cours de formation en soins de développement ou d’implantation NIDCAP.
En 2008, l’Agence Régionale de l’Hospitalisation35 a financé l’implantation du programme
NIDCAP dans tous les hôpitaux de niveau III de Bretagne, ainsi que la formation "soins de
développement" dans tous les hôpitaux de niveau II.
VI/ L’émergence d’une hypothèse de recherche
L’élaboration de mes recherches conceptuelles m’a permis dans un premier temps de faire
une étude généralisée autour des concepts pertinents et ainsi d’apprécier le fait que de
nombreux axes de recherche apparaissaient en lien avec mon sujet. Après réflexion, j’ai
décidé de m’orienter vers une hypothèse axée sur l’implication infirmière au regard de la
formation des liens familiaux. Gardant en mémoire l’expérience de mes amis, j’étais
motivée par la recherche à mener dans un domaine encore peu exploré : mon expérience
professionnelle autour du NIDCAP ainsi que la plupart des études se penchaient
principalement sur les effets du NIDCAP sur le développement de l’enfant lui-même, alors
même que le vécu de l’IDE par rapport à ce questionnement était quasi-introuvable dans la
littérature. Mes interrogations auprès des formateurs NIDCAP en France et aux USA m’ont
confirmées qu’en effet, mon hypothèse pourrait être intéressante pour une future IDE en
raison de sa spécificité. Sujet de mon enquête, elle sera exposée et analysée dans la
deuxième partie de ce travail :
« L’application de la philosophie NIDCAP à travers l’accompagnement infirmier, soutient la
parentalité et favorise la construction de l’unité familial »
35
L’ancienne ARH est devenue L’ARS ou « L’Agence Régionale de Santé » depuis le 1èr
avril 2010
-
20
METHODOLOGIE
I/ Présentation du terrain d’étude
Le Centre de Formation NIDCAP situé dans le Finistère fait partie d’un établissement de
niveau III ; il accueille régulièrement en formation SDD du personnel médical et paramédical
de la France entière et depuis l’étranger. Mes recherches étaient orientées vers les deux
services impliqués dans l’accompagnement de l’enfant prématuré et de sa famille,
notamment :
Le service de réanimation pédiatrique et néonatale
Le service de néonatologie
L’organisation des équipes comporte 5 IDE en permanence pour 10 enfants, soit 1 IDE pour
2 enfants selon le décret de périnatalité du 9 octobre 1998. Le principe des « référents »
signifie que les IDE prennent en charge les mêmes enfants à chaque fois qu’ils prennent leur
service. Il n y a pas d’aides soignants dans ces unités ; les soins de nursing sont réalisés par
les IDE et les parents sont intégrés dans le soin en conformité avec les principes du NIDCAP.
L’adhésion au projet de service est soulignée comme une contrainte du poste dans le livret
d’accueil présenté aux nouveaux arrivants.
II/ Présentation de la population interrogée
J’ai conduit 5 entretiens auprès des infirmières dont l’expérience professionnelle allait de 2
ans à 17 ans, avec une expérience dans leurs services respectives allant de 2 ans à 10 ans :
3 IDE en réanimation : une puéricultrice certifiée NIDCAP (IDE 1) ; une infirmière
certifiée NIDCAP (IDE 2) ; une infirmière non certifiée NIDCAP (IDE 3)
-
21
2 IDE en néonatologie : une puéricultrice non-certifiée NIDCAP (IDE 4) ; une
infirmière non certifiée NIDCAP (IDE 5)
Les âges des infirmières allaient de 24 à 43 ans.
Deux des infirmières interrogées étaient présentes dans le service lors du processus de
l’implantation du programme (IDE 1 et IDE 4), les trois autres ont intégré leurs unités une
fois le NIDCAP établi. De ces trois derniers, deux d’entre elles sont arrivées directement
après leur D.E. (IDE 2 et IDE 3). Toutes les infirmières ont pris connaissance du NIDCAP en
travaillant dans les services concernés, seule l’IDE 2 disait avoir eu un cours à L’IFSI
auparavant, mais elle a précisé que ce cours ne lui permettait pas de vraiment cerner le
programme.
Enfin, quatre infirmières sur cinq disent ne pas avoir choisi leur affectation dans l’unité, mais
toutes ont précisé leur choix d’y rester. Deux infirmières ont choisi par la suite de suivre une
formation sur deux ans menant à la certification NIDCAP, et de ce fait elles pratiquent et
rédigent les observations NIDCAP dans les deux services. Les trois IDE non-certifiées, comme
tout le personnel avaient suivi à leur arrivée une formation théorique au NIDCAP et aux soins
de développement leur permettant de comprendre les observations et de mettre en œuvre
le projet de soins basé sur la théorie NIDCAP.
III/ Présentation de l’outil de l’enquête : l’entretien
« Bien mené (l’entretien) apporte toujours abondance et qualité de matériaux,
indépendamment du nombre (…) un très petit échantillon d’entretiens explorera avec
pertinence et en profondeur la question qui préoccupe le chercheur »36
Le thème que j’ai choisi se prête davantage aux entretiens semi-directifs, visant un recueil
qualitatif des témoignages. L’enregistrement des entretiens par dictaphone m’a permis une
36
JOVIC, L. Methodologie de la recherche: l'entretien de recherche. Recherche en soins infirmiers, n° 9, juin
1987, p.80
-
22
disponibilité d’écoute et favorisait l’implication des participants dans un échange le plus
naturel possible: des questions ouvertes permettaient l’expression libre sur les thèmes
abordés, ainsi que l’évolution de l’entretien en fonction des réponses données.
J’avais formulé et regroupé mes questions sous plusieurs objectifs afin de pouvoir analyser
les réponses par rapport aux données théoriques issues de mes recherches conceptuelles.
En utilisant une technique « d’entonnoir », j’ai commencé par des généralités pour
progressivement mener mes sujets vers mon hypothèse centrale.
IV/ Déroulement de l’enquête
Après avoir élaboré et fait valider mon guide d’entretien37, j’ai pris contact avec des IDE
volontaires dans les services de réanimation pédiatrique et de néonatologie, et nous avons
convenu de la date et de l’heure de chaque entretien. Se déroulant au cours de la dernière
quinzaine du mois de février, tous les entretiens ont eu lieu dans la salle de réunion de
l’unité de réanimation, en fin de journée de travail.
La durée moyenne des entretiens à été de 25 minutes. Tous les entretiens se sont déroulés
dans un climat détendu et sans interruption, ce qui a été un facteur facilitant.
V/ Difficultés rencontrées
Conduire les entretiens en fin de service-- et de surcroît pendant une période
particulièrement chargée en travail--fait que le facteur fatigue ne peut être ignoré. Il a
parfois été à l’origine des difficultés de concentration qui apparaissent sous forme de
phrases fragmentées et/ou incomplètes dans la retranscription des entretiens. Il a fallu
parfois répéter ou reformuler les questions, ou réorienter les sujets vers l’intérêt central lors
des réponses parfois longues et/ou complexes.
37
Ce guide d’entretien se trouve en Annexe VI
-
23
Une deuxième difficulté s’est révélée lors de l’écoute des entretiens. Je me suis aperçue
qu’il y avait des différences sensibles entre les deux services concernés par l’étude, ce qui
rendaient l’analyse des résultats difficiles à aborder succinctement. Paradoxalement, j’ai
découvert que cette difficulté pouvait aussi servir comme une balise d’orientation: je devais
rester concentrée sur les détails différentiels ayant une pertinence par rapport à mon
hypothèse centrale, pour ne pas m’égarer.
VI/ Limites de l’enquête
Bien que cinq entretiens puissent être tout à fait pertinents par rapport à une situation se
déroulant sur un lieu et un temps précis, je suis consciente qu’ils ne représentent qu’un
début de recherche. Comme toute étude, il faudrait ensuite comparer et analyser les
résultats au regard d’autres études portant sur le même sujet. Ce n’est qu’en rajoutant ce
« cliché » à ceux des autres que nous arriverons à discerner une image plus grande et plus
représentative d’une situation donnée.
Au niveau nous concernant, et en tant que future professionnelle IDE, j’espère à la fin de ce
travail dégager des axes de recherches ultérieures éventuelles.
-
24
Analyse
I/ Expression des IDE : générale et autour de la certification NIDCAP
La première et surtout la deuxième infirmière que j’ai interviewée se sont beaucoup
impliquées dans l’entretien de manière générale, donnant des réponses très élaborées et
anticipant souvent mes questions. Certifiées NIDCAP, leurs motivations à suivre le
programme de certification étaient axées autour d’une meilleure compréhension de l’enfant
au travers des observations programmées et régulières.
La troisième infirmière, qui était la plus jeune et la moins expérimentée avec un peu moins
de deux ans sur le terrain, montrait parfois ce que je qualifierais d’une forme d’incertitude,
voire d’ambigüité dans ses propos au regard du NIDCAP. Ses réponses étaient souvent
fragmentées et parfois difficiles à suivre. Elle n’avait pas l’intention de devenir certifiée,
citant la durée du programme comme facteur dissuasif.
L’IDE 4 donnait des réponses succinctes sans trop se dévoiler, tandis que l’IDE 5 était plus
dans l’introspection par rapport aux questions posées. Elles n’avaient pas l’intention
d’entamer le processus de certification dans l’immédiat ; l’une étant déjà en formation
universitaire, et l’autre citant encore une fois la durée du programme. Bien que traitant les
mêmes questions que leurs collègues en réanimation, elles m’ont exposé un angle différent
par rapport à la prise en soin surtout des parents, que je présenterai au fil de l’analyse.
-
25
II/ Expression des IDE autour de la naissance prématurée
Connaissances théoriques des infirmières interrogées
Toutes les IDE interrogées ont avancé que la naissance prématurée présente des obstacles
réels et potentiels multiples à la formation des liens familiaux. Trois notions en cascade
ressortent au travers de l'analyse des propos: d’abord le choc psychique suivi de deuils
parentaux successifs, et enfin les difficultés d'attachement qui en découlent:
«...parce que ce ne sera jamais une grossesse entière, le deuil du bébé qu'ils auraient voulu voir à la
maternité qui est encore plus important, il y a toujours un deuil entre le bébé qu'on avait imaginé et le
bébé qu'on verra mais ici ce n'est pas un bébé à terme qu'on voit, puis le deuil de ne pas rentrer à la
maison au bout de quelques jours...»38
« Je pense qu'il doit y avoir une difficulté à reconnaître qu'on n'est plus enceinte, que c'est arrivé vite
et que c'est son enfant qui est là un peu fripé (…) il peut y avoir du dégoût, de la culpabilité et de
l'amour en même temps »39
Trois IDE utilisent le terme « appropriation de l'enfant » pour décrire cette difficulté
d'attachement, et la notion de l'établissement du rôle propre parental ressort spontanément
dans tous les témoignages. Il est à noter cependant que les obstacles à l'attachement ainsi
que les besoins parentaux sont nuancés selon le service concerné. Par conséquent je vais
présenter la suite de l’analyse de cette première partie d'abord au regard des IDE en
réanimation, et ensuite par rapport aux IDE en néonatologie.
38
Propos recueillis auprès de l’IDE 2
39 Propos recueillis auprès de l’IDE 4
-
26
Besoins parentaux et la prise en soin : réanimation
Les IDE travaillant en réanimation parlent toutes de la fragilité de l’enfant et de la technicité
du service comme facteurs importants d’angoisse parentale, en faisant référence surtout au
risque vital mis en avant de façon constante par un matériel et des soins médicaux lourds. Le
choc psychique, la peur et parfois la culpabilité doivent être surmontés afin de voir au-delà
de la technicité et d’établir une reconnaissance et un lien de communication avec l’enfant :
« Leur premier besoin je pense c’est de se rendre compte que ce qu’il y a là dans la couveuse, sous
tous les fils, c’est leur enfant, c’est leur bébé et c’est vraiment un bébé malgré son arrivée précoce,
qu’il est vivant et qu’il a moyen d’interagir avec eux…que leur bébé est déjà conscient de leur présence
et qu’il y a déjà un lien. »40
L’IDE 2 évoque aussi une présence invasive du personnel soignant, ce qui accaparerait la
place normalement réservée aux parents:
« Alors qu'à la maternité on fait tout pour laisser maman-papa-bébé tranquilles ensemble…il y a
nous qui sommes intrusifs...nous qui paraissons comme compétents avec les parents qui sont exclus à
côté, et donc justement tout le travail qu'on va avoir à faire, c'est de leur montrer que certes, on a des
connaissances, mais c'est eux qui connaîtront le mieux leur bébé. Comment justement leur donner
leur rôle de parent alors que nous on a cette intrusion obligée qui est si violente dans leur relation? »
D’après les témoignages, les moyens employés en réanimation visent clairement à la
formation du lien parents-bébé. Elle passe par les soins de développement et exigent avant
tout une présence et une participation parentale. Ceci déclenche une reconnaissance
mutuelle et comprend le contact physique malgré les dispositifs de soins et de surveillance
lourds. Dès que l’état de l’enfant le permet, les parents sont invités à le sortir de la couveuse
pour une mise en « peau-à-peau »41 ; la première séance est souvent vécue par les parents
comme « une deuxième naissance », où la famille se trouve ensemble et soutenue par une
présence soignante rassurante et contenante, décrite comme « un cocon » par l’IDE 2.
40
Propos recueillis auprès de l’IDE 2
41 L’enfant habillé seulement d’une couche et éventuellement un bonnet est placé contre le torse nu d’un de
ses parents
-
27
Selon ces réponses, la prise en soin des parents en réanimation est centrée autour du mot
« accompagner », d’abord dans la première rencontre et les premiers gestes envers l’enfant,
pour rapidement s’étendre aux soins réalisés par les parents. Elle comporte des notions
d’écoute, d’observation, de découverte, et de compréhension:
« …L’écoute en premier parce que souvent (les parents) ont beaucoup de choses à nous dire avant
même qu’on leur parle de quoi que ce soit…et découverte pour les aider à décrypter… vraiment
décrypter leur bébé, leur montrer que ben là il réagit ; les interpeller sur déjà quelques capacités de
leur bébé et toutes les interactions déjà qu’il y a entre eux. »42
Si l’IDE 3 rejoint ses collègues par rapport à l’accompagnement, elle semble cependant
reprocher un manque de naturel dans les soins de développement :
« …ici c’est un peu trop (dessine un carré avec ses mains), les parents sont obligés de faire comme on
dit en fait. C’est débile ce que je vais dire, mais tu vois, le nid qu’on met autour de l’enfant, les parents
te disent « c’est bien comme ça ? » alors qu’on s’en fout, enfin à la maison ils ne seraient jamais posés
la question…Tout est calculé, ça devient moins naturel, mais bon c’est comme ça. »
J’ai trouvé cette remarque interpellante, car elle semblait suggérer soit un manque de
compréhension, soit un défaut d’adhésion au NIDCAP sur plusieurs lignes : les besoins
parentaux, les besoins de l’enfant, ou encore les soins de développement. Pourtant, elle avait
suivi une formation sur ces derniers et prétendait une réelle satisfaction professionnelle. Je
me suis alors demandée si son jeune âge et son manque d’expérience relatif sur le terrain ne
lui permettaient pas le recul suffisant pour analyser ce qu’elle avait l’air parfois d’appliquer
malgré elle.
Besoins parentaux et la prise en soin : néonatologie
Ayant fait mon stage en réanimation pédiatrique, il a fallu que je me renseigne quant aux
similitudes et différences entre les deux services. En ce qui concerne les enfants prématurés,
deux types de cas d'hospitalisation existent en néonatologie :
42
Propos recueillis après de l’IDE 1
-
28
le service accueille dès la naissance les enfants dont le terme de naissance nécessite
une prise en soin spécifique et parfois intensive, mais celle-ci exclue les soins de
réanimation ;
il assure le suivi des soins en accueillant les enfants transférés depuis la réanimation
au bout d’un temps très variable de soins et de surveillance intensifs.
Dans les deux cas, le risque vital est à priori écarté bien que sous réserve de l’évolution de
l’enfant, qui reste toutefois fragile par rapport à un enfant né à terme. Il présente des
difficultés et des besoins spécifiques, notamment en matière d’alimentation et
d’autorégulation.
Par rapport à cette première question, les deux infirmières travaillant en néonatologie se
sont exprimées en se basant surtout sur le premier scénario. Elles évoquent avant tout la
séparation physique parents- enfant pendant les premières heures ou jours qui suivent
l'accouchement, ce qui prolongerait l’idée de l’enfant imaginaire et qui majorerait la
difficulté à s’approprier l'enfant réel dans ce cas:
« Les parents sont sépares de leur enfant, surtout la maman, il y a certaines qui ne voient pas leur
enfant qu'au bout de deux jours donc c'est plus dur de faire le lien...de sentir que c'est vraiment son
enfant. Elles restent plus longtemps avec une image (de l’enfant) qui ne peut pas coller à la réalité »43
Le vécu des papas a été également mis en avant : « C'est dur pour les papas aussi parce qu'ils ne sont pas prépares non plus à ça… ils montent et hop,
ils redescendent, puis ils remontent…on les voit stressés par l’accouchement, stressés des fois par leur
femme qui est endormie ou qui ne va pas bien, stressés parce qu’il (l’enfant) est tout petit et ils ne
savent pas comment s’y prendre»44.
43
Propos recueillis auprès de l’IDE 4
44 Propos recueillis auprès de l’IDE 5
-
29
Les deux IDE travaillant en néonatologie voient en conséquence le raccourcissement voire
l'évitement de cette séparation initiale comme principal besoin des parents d'un enfant né
prématurément. Elles préconisent un maximum de chambres kangourous45, ce qui d’une
part favoriserait d’après elles les liens d'attachement précoces, et éviterait par ailleurs aux
pères la tâche éprouvante de se dédoubler entre la maman et l’enfant hospitalisés dans des
services différents.
Pour les deux IDE, la prise en soin vise d’abord à l’appropriation de l’enfant par ses parents et
assez rapidement, à l’autonomie parentale totale pour l’alimentation et les soins d’hygiène.
Elle nécessite un accompagnement basé sur l’observation de l’enfant, tout comme dans le
service de réanimation, mais cet accompagnement est moins contenant qu’en réanimation,
car la notion de sortie de l’enfant est bien plus présente en néonatologie.
Ceci nécessite d’ailleurs une transition chez les familles étant passées par la réanimation
d’après L’IDE 4 : « …en réa, ils ont toujours une personne disponible rapidement et à la
demande, ici l’enfant va mieux et on essaie de faire en sorte qu’ils apprennent et qu’ils se
lancent un peu tout seuls dans les soins, au début c’est un peu chaotique… »
J’ai noté que les IDE en néonatologie se sont exprimées en proposant des moyens très
concrets afin de réduire la séparation et de répondre aux besoins de la triade : prendre une
photo de l’enfant à offrir à la mère en maternité ; placer un vêtement appartenant à la mère
dans la couveuse afin d’apporter l’odeur maternelle à l’enfant ; proposer dès que possible un
rapprochement physique, même si la visite ne dure que quelques minutes et incorporer le
peau-à-peau, le « holding »46 ou au moins le toucher.
Tous des moyens également employés en réanimation, mais à l’exception du contact
physique ils n’apparaissent pas dans les propos des IDE en réanimation. J’avance comme
hypothèse que l’omniprésence du risque vital en réanimation pourrait inciter en premier lieu
une réflexion plus générale autour de l’accompagnement des parents.
45
Chambres pouvant loger les parents et les enfants 24h/24 afin de favoriser une peau-à-peau quasi-constante
46 Tenir l’enfant dans les bras
-
30
III/L’expression des IDE autour du NIDCAP
Une perception philosophique
D’après Le Grand Robert, le mot philosophie désigne « une activité et une discipline (…) se
présentant comme un questionnement, une interprétation et une réflexion sur le monde et
l'existence humaine, ou encore comme un savoir systématique ». Pour les IDE interrogées, le
NIDCAP correspond à une philosophie car il représente pour elles une manière
d’appréhender les soins qui est différente de ce qu’elles avaient connu avant. La notion
d’adaptation, non seulement dans les gestes mais aussi dans la manière de réfléchir les soins,
revient dans tous les témoignages. Le fait d’individualiser et d’organiser celles-ci autour des
capacités et des disponibilités de l’enfant et de ses parents définit un accompagnement qui
«ne fait pas partie d’une approche traditionnelle, il faut l’intégrer, se l’approprier, se
l’acquérir » d’après l’IDE 4.
La modification des pratiques
Mias sous-entend que toute modification durable des pratiques nécessite au préalable une
modification des représentations professionnelles, c’est-à-dire une modification de la
pensée. D’après l’IDE 2 :
«On pourrait penser que le NIDCAP n’est réservé qu’aux infirmières (certifiées) NIDCAP, qu’elles
détiennent le savoir (…), alors qu’il est très très intégré dans l’esprit même de l’équipe. C’est
devenu une ligne directrice appliquée à un tel point qu’il est de plus en plus difficile de distinguer le
NIDCAP des soins qu’on fait (…) c’est imbriqué ».
C’est effectivement l’impression que j’ai eu lors de l’analyse de mes entretiens, car déjà en
posant des questions plutôt générales sur le contexte de la prématurité, je trouvais que les
réponses tournaient de manière assez précise autour du NIDCAP, et ce quelque soit le statut
de certification de mon interlocuteur. Preuve d’une théorie pertinente et facilement
appropriée, ou fruit d’un apprentissage scolaire quelque peu « imposé » ? Les témoignages
penchent plutôt en faveur de la première hypothèse :
-
31
Pour l’IDE 2, la modification de pratiques soignantes trouve son catalyseur dans la
philosophie même : elle privilégie une meilleure compréhension de l’enfant dans un contexte
à la fois individuel et familial, ce qui permet un soutien personnalisé optimal ainsi que la
valorisation de l’aidant naturel, c'est-à-dire les parents. De ce fait, elle le considère comme
« l’ultime prendre soin », cultivant une écoute mutuelle trop rarement retrouvée dans les
services adultes. Cet échange autour de l’enfant permet l’accompagnement efficace de la
triade indépendamment de l’évolution médicale de l’enfant.
L’IDE 1 soulève que l’application du NIDCAP nécessite également l’éloignement d’un
« formatage » acquis par rapport à la planification horaire. Si elle admet que certains soins
restent obligatoirement programmés, elle se dit être « moins dans le faire » et d’avoir plus de
recul sur son travail : « Est-ce vraiment utile ? Est-ce que je peux éviter de faire ce soin ? Est-
ce que les parents peuvent le faire seuls, peut-on les attendre ? »
De même que l’IDE 2, elle met en avant l’importance du ressenti parental, ce qui
impliquerait d’après elle un vrai partenariat jusqu’ici inhabituel entre la famille et l’équipe
soignante. L’IDE 3 va encore plus loin sur cette dernière notion, affirmant « même si je
retournais chez les adultes, ce serait complètement différent (…) je trouve que c’est quelque
chose d’essentiel, mais pas forcément évident (…) avant je n’aurais peut-être pas vu ce côté
essentiel là, des familles. »
Autant de réflexions intéressantes portant sur la famille « sujet » et « objet » de
soin…cependant, l’IDE 3 souligne que l’adaptation préconisée par le NIDCAP n’inspire pas
que de l’enthousiasme immédiat chez les professionnels d’après son expérience. Elle évoque
sa propre formation aux soins de développement lors de son arrivée dans le service : « il y
avait des anciennes…elles avaient vachement du mal à comprendre comment on procédait et
pourquoi, c’est qu’elles ne comprenaient pas la philosophie. »
Si aujourd’hui elle dit avoir trouvé sa place dans l’équipe et avoir acquis une aisance avec le
NIDCAP, elle avoue ses propres difficultés au départ : décaler ses soins en fonction des
besoins de la triade familiale est un principe qui pour elle était stressant en sortant toute
juste de l’école, et qui de surcroît rentrait en conflit avec les notions de bonnes pratiques
-
32
enseignées et appliquées ailleurs :
«… parce que tu es formée aux gestes et quand tu commences, tu as besoin de suivre un papier qui
dit ce qu’il faut faire et quand...en fait si tu ne fais pas ton soin tu vas-- comment je vais expliquer
ça ?—tu te dis tu vas le faire quand même parce que peut-être ton collègue va penser que tu es
fainéante un peu, tu vois ? »
L’IDE 5 évoque aussi ce changement de mentalité, précisant que si l’ajustement a été difficile
au départ, le fait de travailler « pour les enfants » et non selon des horaires lui permet
aujourd’hui d’être d’avantage « dans la réflexion » ; puisque cet état d’esprit est aussi
partagé par ses collègues, elle n’avait plus de gène à laisser du travail pour l’équipe suivante.
Le fait de privilégier l’autonomie parentale se traduit selon elle par une diminution de travail
pour les infirmières, avec plus de disponibilité pour l’accompagnement relationnel.
Cependant, un autre aspect pertinent de ces modifications se situerait d’après elle dans le
fait qu’elles s’étendent bien au-delà des actes infirmiers pour englober la relation
pluriprofessionnelle :
« (…) Tout est plus détendu au niveau ambiance de travail. Il y a une écoute médicale aussi qui est
différente depuis qu’on est au NIDCAP. On est beaucoup moins dans le clinique (…) enfin le clinique
n’est plus le résumé de l’enfant, c’est ça. Et les médecins le savent et de ce fait notre rôle infirmier est
différent aussi (…) je dirais c’est plus pertinent car nous passons beaucoup plus de temps avec les
enfants et les familles, et donc nos observations et même nos recommandations sont bien plus
souvent prises en compte. Et c’est vraiment super. »
Un témoignage fort, faisant contempler à la fois mon hypothèse, et les implications
multidimensionnelles de ce programme. Ceci confirme mon propre ressenti en tant que
stagiaire sur le terrain : en effet, il semblait y opérer une collaboration étroite entre
professionnels ayant des fonctions et des niveaux hiérarchiques différents. J’avais noté une
attitude très ouverte du corps médical par rapport aux ressenti infirmier, ainsi qu’une
sollicitation particulière des observations sur la dynamique familiale. Au milieu des
transmissions souvent sombres, c’était motivant de voir à l’œuvre cette cohésion
pluridisciplinaire autour d’un programme de soins à visage éminemment humain, et ce qui
-
33
était manifestement le fil conducteur de la prise en charge non d’un enfant, mais d’une
famille entière.
Difficultés dans l’application
Cette question a sollicité des réponses mixtes, le « oui et non » étant présents dans tous les
témoignages. Les difficultés citées étaient essentiellement liées à deux choses :
La difficulté à respecter les phases d’éveil et de sommeil d’un enfant très fragile
nécessitant une sédation ou des soins réguliers et programmés ; et
Les difficultés liées à la charge de travail qui ne permettent pas toujours un
accompagnement optimal de l’enfant et sa famille.
Cependant, toutes les IDE m’ont fait comprendre que si parfois le NIDCAP n’était pas
strictement observable sur un plan, il était forcément applicable sur un autre. Soutenir,
contenir l’enfant est toujours possible même en disposant de peu de temps ; ralentir, voire
fractionner un soin obligatoire est souvent réalisable aussi. D’après l’IDE 2, le soutien des
parents passe d’abord par la qualité de la relation entretenue avec le soignant:
« Maintenant on a en général établi une telle relation avec les parents qu’il devient plus facile de leur
dire : aujourd’hui il y a beaucoup de travail, aujourd’hui nos allons prioriser telle ou telle chose et on
fera ce qu’on a prévu demain. On s’est vraiment introduit dans une telle relation avec les parents
autour de leur bébé qu’ils comprennent tout à fait qu’on ne puisse pas précipiter une peau-à-peau ou
une toilette…parce qu’ils sont complètement intégrés dans les soins, ils comprennent bien que leur
enfant n’en tirerait pas le bénéfice qui est escompté…on s’est inclu dans une relation parents-enfant-
soignant qui est saine je trouve et qui permet de dire ces choses-là »
-
34
IV/ Le NIDCAP et la construction de l’unité familiale
L’intérêt des observations programmées
Les témoignages unanimement positifs me permettent d’avancer que l’intérêt des
observations est multiple, bénéfique à la fois pour l’enfant, ses parents, et les soignants.
Premièrement, pour le soignant réalisant l’observation, celle-ci est un moyen de se poser
complètement en dehors du soin pour se concentrer uniquement sur les réactions du bébé :
« Ce n’est pas qu’on ne voit pas quand on fait des soins, mais forcément on rate des choses car on est
quand même concentré sur le soin. Avoir les observations permet de voir plus de choses dans plus de
détails et de mettre tout le monde sur la même page, de guetter certaines réactions aussi »47
Ensuite, la trace écrite des observations est un outil d’évaluation et un témoin de l’évolution
servant aux parents aussi bien qu’à l’équipe soignante, permettant parfois de réajuster soins
et objectifs :
« …ça nous apporte à savoir si parfois on ne va pas un peu trop vite, on fatigue l’enfant et il faut
faire marche arrière, ou si les parents ont des attentes un peu trop en avance par rapport aux
compétences de l’enfant… je pense qu’à ce niveau c’est très intéressant » 48
Enfin, réalisée en présence des parents, l’observation est un moment relationnel fort qui
soutient les compétences parentales : à travers le décodage du comportement, elle permet
une compréhension de l’enfant qui à son tour conditionne les réponses parentales adaptées:
« Au début, les observations sont très importantes pour les parents : ils assistent, écoutent,
contribuent…puis ils lisent tout, suivent tout à la lettre ( …) puis après c’est eux qui connaissent le
mieux (l’enfant) car c’est eux le plus souvent dans la chambre . Du coup les rôles sont inversés, c’est
eux qu’on écoute le plus »49
47
Propos recueillis auprès de l’IDE 5 48
Propos recueillis auprès de l’IDE 4 49
Propos recueillis auprès de l’IDE 3
-
35
J’avais été présente lors de la deuxième observation chez un enfant né à 28 semaines, et
j’avais été frappée par la finesse de l’observation parentale et surtout de l’interprétation des
manifestations de l’enfant. Bien au-delà de noter les signes évidents d’inconfort lors d’un
soin, les parents étaient aussi attentifs aux désaturations et aux bradycardies. Ils n’ont pas
hésité à appliquer eux-mêmes des mesures de soutien, et ont suggéré un ralentissement
dans le soin, sous l’approbation des IDE présents. La discussion qui a suivi l’observation était
dominée par les perceptions parentales ; l’IDE référent commentait leurs observations et les
encourageait à formuler les objectifs apparents de l’enfant et à proposer les moyens adaptés
pour les atteindre. Si la préoccupation du devenir médical de l’enfant était aussi présente, je
voyais les parents plutôt optimistes et en confiance par rapport à leurs observations.
Malheureusement, même les soins les plus performants et les mieux adaptés parfois ne
peuvent sauver des enfants trop malades pour survivre. Cependant, d’après les infirmières
en réanimation, les observations font tout de même partie d’un accompagnement de
qualité, et sont bénéfiques pour la famille. L’IDE 1 en témoigne :
« Je pense que le fait d’avoir cet accompagnement (…) de voir que l’enfant a des compétences même
s’il est très malade et même si l’issue est fatale est bénéfique. Pour les parents d’A (NDLR : une petite
fille décédée dans le service au bout de 3 semaines en réanimation dont cette IDE était référent), ils
ont dit que c’était super-important pour eux d’avoir pu (…) voir des choses avec leur enfant qu’ils
n’auraient peut-être pas vu autrement. C’était leur premier enfant et c’était une famille dans
l’accompagnement et dans le lien, il s’est passé des choses entre eux. A les connaissait et vice-versa.
C’est sûr. »
Pendant mon stage, le service de réanimation a connu le décès de trois enfants. Dans
chaque cas, les parents avaient sollicité la présence de l’IDE référent à l’approche du décès.
Celle-ci les accompagnait selon leur souhait, le plus souvent installant l’enfant en peau-à-
peau. J’ai été témoin par la suite des remerciements écrits à l’intention de toute l’équipe,
soulignant particulièrement la qualité du soutien et de l’accompagnement, et exprimant une
reconnaissance pour avoir pu connaître leur enfant avant qu’il ne parte.
-
36
Le vécu parental de l’accompagnement NIDCAP
Que ce soit en réanimation ou en néonatologie, les IDE remarquent un investissement
important des parents auprès de l’enfant et dans le NIDCAP, ainsi qu’une évolution en
matière d’appropriation de leur rôle parental. Si l’autonomisation des parents se fait plus en
néonatologie en raison de l’état plus stable de l’enfant, les IDE dans les deux services citent
une baisse d’anxiété progressive vis-à vis des soins à réaliser, en lien avec une affirmation
parentale croissante :
« C’est vrai qu’ils aiment (cet accompagnement) parce qu’ils sont acteurs complètement de tout ce
qui se passent autour de leur enfant…dans l’attitude ils sont beaucoup moins stressés, beaucoup plus
à l’aise, ils peuvent s’affirmer un peu plus et sont capables de nous dire oui, ou non, je pense que
pour mon enfant, ça va trop vite… »50.
L’IDE 4 confirme que les parents sont de manière générale « largement satisfaits » de
l’accompagnement. Elle rajoute que la relation de confiance établie avec les soignants leur
permet de se sentir «pas soulagés mais au moins rassurés quand ils rentrent chez eux le soir.
Ils n’ont pas du mal au ventre de laisser leur enfant ».
L’IDE 2 met en avant les moments d’entretien comme étant particulièrement aidants pour
les parents :
« …c’est vraiment un moment d’échange très très fort et le retour est positif dans le sens où ils
trouvent souvent que ça leur permet de mieux appréhender leur bébé, je dirais premièrement à être
les parents de leur enfant et d’assumer leur rôle parental auprès de lui ».
Ce sont ces derniers propos qui corroborent de la façon la plus explicite mon hypothèse de
recherche.
50
Propos recueillis auprès de l’IDE 5
-
37
V/: L’accompagnement NIDCAP et le vécu infirmier
Au bout d’une série
top related