avertissement - le proscenium · avec un esclave noir. il dégaina son sabre et les décapita tous...
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Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.
Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.
1
Gérard HUBERT-RICHOU
gehubert@numericable.fr
2
LES MILLE ET UNE NUITS… OU PRESQUE
PRESQUE !
Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement
de l’auteur ou de ses ayant droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la
traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou
procédé quelconque.
CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Article L121 et suivants don art 122-4 :
Par ordre des tableaux
1- Le sacrifice de Shahrâzâd
2- Qamâr et Budûr
3- L’âne et le boeuf
4- Le pêcheur et le démon
5- L’honneur du voleur
6- Le fils d’Adam
7- La Persane et la Kurde
8- Les trois diamants
9- Hasan et la montagne maudite
10- Hisham
11- Un mort en balade
12- La belle esclave
13- Ma’rûf le savetier
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PIÈCE EN 13 TABLEAUXADAPTÉE DES CONTES DES MILLE ET UNE NUITS
PREMIER TABLEAU LE SACRIFICE DE SHAHRÂZÂD
Le conteur- (la voix de la fée)- la fée- le vizir- Shahrâzâd- Dunyâzâd- Shah
Zâman- Servantes
CONTEUR: Au nom de Dieu, le Miséricordieux, Maître des mondes. La conduite des
anciens doit servir de leçon à leurs descendants. Que l’on considère ce qui leur est
advenu pour s’en instruire. Que l’on prenne connaissance de l’histoire des peuples
anciens pour savoir distinguer le bien du mal. En cette mémoire, s’inscrivent les
contes appelés des Mille et Une Nuits.
(Lumière sur le grand livre ouvert à la page du titre.)
Ce que l’on y raconte forme l’esprit, ce que l’on y comprends le fortifie.
Ecoutez-les!
(La page se tourne d’elle-même. Apparaissent les portraits des deux rois.)
FÉE: On raconte qu’il y avait au temps jadis un souverain sassanide qui régnait sur
les îles de l’Inde et de la Chine. Il s’appelait le roi Shâhriyâr. Son jeune frère, le
Shah Zamân avait reçu en héritage le royaume d’Iran. Tout alla pour le mieux
pendant vingt ans. Mais un jour, il advint que le cadet souhaita revoir son frère.
Après dix jours de préparatifs, sa caravane se mit en route
(Double page sur la caravane au soleil couchant).
Vers le milieu de la nuit, il s’aperçut d’un oubli important qui le fit retourner sur
ses pas.
(Par le milieu du livre surgit la fée. Elle mime la suite de la scène.)
Il rentra dans son palais pour, hélas, trouver son épouse en fâcheuse posture
avec un esclave noir. Il dégaina son sabre et les décapita tous les deux.
Il fut terriblement affecté par cette trahison. Aussi, décida-t-il, pour ne plus
subir la perfidie féminine, d’épouser chaque soir une nouvelle jeune fille qu’il
exécutait au matin.
Cela dura trois ans. Le tumulte s’empara du pays. Les familles cachaient leurs
filles. Ce jour-là, le souverain venait d’ordonner à son vizir de lui fournir pour le soir
une nouvelle épouse. Celui-ci fit de vaines recherches et rentra chez lui fort abattu.
Le vizir avait deux filles ravissantes qui s’appelaient Shahrâzâd et Dunyâzâd. Le
voyant paraître dans cet état, l’aînée lui dit:
SHAHRÂZÂD: Père, je te vois le teint altéré et la mine triste comme si tu portais le
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fardeau de tous les soucis et chagrins du monde.
FÉE: Alors, le vizir se décida à lui conter tout ce qui était arrivé.
(Mime)
SHAHRÂZÂD: Par Dieu, mon père, laisse-moi épouser le roi: ou bien je triompherai
et délivrerai les autres jeunes filles de ses griffes, ou bien je suivrai le sort de celles
qui ont péri.
VIZIR: Shahrâzâd, je te supplie de ne pas exposer ta vie inutilement.
SHAHRÂZÂD: Père, il en sera comme je l’ai décidé car j’ai ma petite idée.
Dunyâzâd, j’ai besoin de ton aide. Me suivras-tu?
DUNYÂZÂD: Tu es mon aînée, j’ai confiance en toi et si tu péris, je te succéderai.
FÉE: Le vizir, la mort dans l’âme, accompagna ses filles qui se prosternèrent devant
leur souverain, avant de danser pour le charmer.
(Danse tandis que des servantes apportent des mets raffinés.)
Puis Dunyâzâd demanda avec le plus d’innocence possible:
DUNYÂZÂD: Par Dieu, ma soeur, peux-tu nous raconter une histoire pour égayer
cette veillée?
SHAHRÂZÂD: Bien volontiers et de tout coeur, si ce roi aux douces manières le veut
bien.
SHAH ZAMÂN: Je le veux bien si ton conte n’est point trop long car d’autres délices
nous attendent.
Shahrâzâd- Shahramân- Qamâr- (le conteur)- al-Ghayûr- Budûr- Danash-
Maymûna- le vizir- le conseil- les gardes- la cour- Qashqash- Sawâb- la
gouvernante- les servantes- la reine- le roi- le bourreau.
SHAHRÂZÂD: On raconte, Sire, O roi bienheureux qu’il y avait jadis un puissant roi
perse nommé Shâhramân qui n’avait qu’un héritier, âgé alors de quinze ans, beau
comme un soleil, auquel il dit un jour:
SHAHRAMÂN: Je crains que les vicissitudes du sort et les coups du destin ne me
frappent. Mon fils, je désire te marier, afin de bénir moi-même cette union.
QAMAR: Je n’ai pas le mariage en vue, mon père, et n’ai encore aucun penchant
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TABLEAU 2QAMAR ET BUDÛR
pour les femmes. On a écrit des livres entiers pour raconter leurs fourberies et leurs
perfidies. Je ne me marierai jamais, même si l’on me donnait la mort.
(NOIR.)
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit.
(Le plateau est partagé en deux car les scènes se déroulent
simultanément et de façon imbriquée. Lumières à la cour.)
Lorsque ce fut la deuxième nuit, Shahrâzâd dit:
SHAHRÂZÂD: On raconte encore; O sire bienheureux qu’il existait à cette époque
un monarque tout puissant du nom d’al-Ghayûr qui régnait sur des îles lointaines aux
confins de la Chine. Il éprouvait pour sa fille unique, belle comme le jour et nommée
Budûr, une véritable passion. Il lui fit construire sept palais, tous plus richement
ornés les uns que les autres. Elle était si belle que les rois de toutes les provinces
envoyaient des délégations pour obtenir sa main.
AL-GHAYÛR: Voici une nouvelle demande en mariage, ma fille. Ce roi est encore
plus riche et plus puissant que les précédents. Que dois-je lui répondre?
BUDÛR: Je ne désire point me marier. Je suis femme de haute noblesse et
deviendrai un jour reine. Comment pourrai-je supporter qu’un homme me gouverne?
Père, si tu me parles une autre fois de mariage, je me passerai une épée à travers le
corps.
AL-GHAYÛR: Si c’est ainsi, je te ferai enfermer dans ta chambre, sans aucune lame
de plus d’un pouce de long à portée de la main.
(Le djinn Dahnash apparaît et fige la scène.)
DAHNASH (au public): Et ainsi fut fait car les demandes affluaient. Budûr fut bouclée
à double tour et surveillée nuit et jour. Moi, chaque nuit, je m’introduis dans sa tour
pour l’admirer, contempler son visage et sa beauté sans égales. Nul ne peut la
regarder sans devenir jaloux de sa propre ombre. Hein? Qui suis-je?... Et comment
m’introduisai-je chez la princesse? Je m’appelle Dahnash. J’entre par la fenêtre car
j’ai le pouvoir de voler (il montre ses ailes). Je suis un petit démon!
(La lumière revient du côté jardin et s’éteint côté cour.)
MAYMÛNA (qui s’est placée dans l’obscurité): Moi, je m’appelle Maymûna, fille du
roi des démons. Ne trouvez-vous pas que mon prince est le plus beau du monde?
Quel gâchis qu’il refuse le mariage... Une année s’écoula. Le roi convoqua son fils
Qamâr devant son conseil et lui dit:
(Le conseil se place au centre, du côté jardin.)
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AL-GHAYÛR: Mon fils, m’écouteras-tu cette fois-ci?
QAMÂR (se jetant aux pieds de son père): Dieu m’ordonne de t’obéir et de me
soumettre à tes ordres.
AL-GHAYÛR: Sache que je voudrais te marier pour te léguer mon royaume avant
ma mort.
QAMÂR: Me marier, mon père, je ne le ferai jamais, même si je devais en périr. Je te
conjure de ne pas m’imposer cette épreuve. Je sais tous les malheurs et les
tourments que les hommes ont connu pour s’être laissés séduire par les femmes.
MAYMÛNA: Le pauvre roi ne répondit rien car il aimait trop son fils. Il demanda
conseil à son vizir.
VIZIR (à l’avant-scène, côté jardin): Sire, crois-m’en, il faut patienter encore une
année. Alors, tu rassembleras toute la cour, tu feras une grande fête et, en public, tu
imposeras ta volonté à ton fils Qamâr.
(Le roi acquiesce du chef.)
MAYMÛNA: Ainsi fut fait. Et le grand jour arriva.
(La fête bat son plein, chants et danses, puis le roi prend la parole:)
AL-GHAYÛR: Mon fils, je te fais cette fois comparaître devant mon conseil et la cour.
C’est pour t’intimer l’ordre de te marier. Tu épouseras la fille d’un roi.
(Exclamations de l’assistance)
QAMÂR: Père, je ne me marierai jamais, même si je devais en mourir. Tu n’es
vraiment qu’un vieillard de peu de raison.
AL-GHAYÛR: Fils de peu de bien à l’éducation de vaurien! Est-ce ainsi que tu oses
me répondre?
(Tous se figent).
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la troisième nuit, Shahrâzâd dit.
AL-GHAYÛR: Fils de peu de bien à l’éducation de vaurien. Est-ce ainsi que tu oses
me répondre? (Le vizir se penche à l’oreille du sultan, lui-même écouté par la
démone.) Gardes! Emparez-vous de lui et faites-le enfermer dans la vieille tour.
MAYMÛNA (s’installe auprès du prince qui ne la voit pas): Le vizir avait conseillé à
Shâhramâm de laisser son fils moisir dans cette prison une quinzaine de jours. Au
bout de ce délai, Qamâr ne refuserait plus le mariage. Le prince ne cessait de se
faire des reproches pour avoir manqué d’égards à son père. Il se disait (en duo:) “Ne
sais-tu pas que l’homme est otage de sa langue et qu’elle le précipite dans tous les
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dangers? Ecart de langage est plus mortel que faux pas. Chute laisse plaie
guérissable, mais parler conduit au trépas.” (Seule:) Il prit alors le Coran et lut les
sourates: la famille de Imrâm, le miséricordieux, le culte pur et la clarté du jour.
Ensuite, il se coucha.
(Elle fait des gestes cabalistiques pour l’endormir et le recouvre d’un manteau
de soie.)
Par ma foi, je ne laisserai personne lui causer tort; tant de mauvais esprits
sont à l’affût des faiblesses humaines.
(Elle s’envole, atterrit au centre de l’avant-scène pour monter la garde. Se
présente au même instant Dahnash.)
MAYMÛNA: Que fais-tu donc ici?
DAHNASH: Je t’en supplie par le Nom Suprême de Celui que j’adore
Et par le noble talisman gravé sur la bague de Salomon que j’honore
d’être bienveillante et de ne pas me faire de mal, toi que j’implore.
MAYMÛNA: J’accepte ton serment solennel. D’où viens-tu à cette heure?
DAHNASH: Maîtresse, je voudrais te parler d’une chose extraordinaire que j’ai vue
cette nuit.
MAYMÛNA: Surtout n’espère pas m’échapper par des mensonges. Je jure par
l’Ecriture gravée sur le chaton de la bague de Salomon, fils de David, que si tu me
racontes des sornettes, je lacèrerai ta peau et te casserai les os.
DAHNASH: J’accepte tes conditions. Si je mens, fais de moi ce que tu voudras.
Je reviens à l’instant des îles intérieures de l’empire de Chine, royaume d’al-Ghayûr,
maître des sept palais aux mille tours. Ce roi a une fille qu’il tente en vain de marier
car celle-ci refuse depuis des mois tous les partis les plus avantageux. Si bien qu’il
l’a faite enfermer à double tour pour qu’elle n’attente pas à ses jours.
J’ai vu cette princesse et j’affirme que Dieu n’a pas créé d’êtres plus beaux
qu’elle. Ses cheveux ont la couleur de ces nuits sombres où l’on prend la route et
que l’on se quitte.
Son visage à l’éclat des jours où l’on se retrouve et s’unit. Elle a déployé trois
tresses de ses cheveux, la lune reflète son visage, ainsi deux astres l’un l’autre se
mirent. Son nez est aussi fin que le tranchant d’un sabre poli. Ses joues sont des
anémones, ses lèvres de corail soulignent la coraline de ses dents. Son langage est
animé par la raison. Gloire à celui qui la engendra et la modela. Sa taille fine semble
être une ombre qui danse au-dessus de ses hanches, et ses hanches arrondies sont
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des dunes de sable. Quant au reste des splendeurs, je n’en dirai rien.
MAYMÛNA(d’évidence jalouse): Mais qu’est-ce donc que cette fille dont tu me
rebats les oreilles? Elle n’est rien d’autre qu’une pisseuse! Pouah! Et moi qui
m’attendais à ce que tu me racontes des merveilles. Maudit sois-tu! Par Dieu, si tu
avais vu la mâle créature humaine que j’ai découverte cette nuit, si tu l’avais
admirée, même en songe, ta bave en aurait coulé.
DAHNASH: Quel est ce jeune homme?
MAYMÛNA: Hé bien, imagine-toi qu’il lui est arrivé exactement ce qui est arrivé à la
jeune fille dont tu viens de me parler. Son père l’a fait emprisonner.
DAHNASH: Maîtresse, montre-moi ce jeune homme et je te dirai s’il est plus beau
que mon aimée la princesse Budûr.
MAYMÛNA: Viens, tu constateras qu’il n’existe pas d’égal à mon aimé dans le
monde.
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit.. Lorsque
ce fut la quatrième nuit, elle poursuivit:
MAYMÛNA(tous deux penchés au dessus du lit. La démone soulève le manteau de
soie.) Regarde, maudit démon.
DAHNASH: Par Dieu, ma maîtresse, tu as toutes les excuses, mais le charme d’une
femme est tout de même autre chose que celui d’un homme. Sinon, je jure que ton
amoureux est la réplique exacte de mon aimée par la beauté et par la grâce,
l’élégance et la perfection. On dirait qu’ils sont coulés dans le même moule.
MAYMÛNA (assénant un terrible coup sur la tête du démon): Je jure par la lumière
de Dieu, espèce de damné que tu vas aller chercher sur-le-champ la jeune fille pour
l’amener ici sans tarder. Nous allons les mettre côte à côte et les comparer pendant
qu’ils dorment. On verra alors quel est le plus beau. Si tu n’obéis pas illico, je te
brûlerai de mon feu, t’enserrerai de ses étincelles, te taillerai en lambeaux.
DAHNASH: Maîtresse, tout cela est en ton pouvoir, mais je sais que mon aimée est
la plus plaisante.
(Il s’envole pour échapper au châtiment.)
MAYMÛNA: Je ne te laisserai pas seul, perfide!
(Elle le rejoint. IIs volent de conserve, ramènent la jeune fille auprès du
prince. Chacun se penche sur son aimé.)
DANASH: Budûr est plus belle que Qamâr.
MAYMÛNA: Le mien est le plus beau.
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DANASH: Tu n’es pas impartial, maîtresse des démons.
MAYMÛNA: L’es-tu toi-même?
DANASH: Cessons de nous disputer, car chacun de nous ne saura choisir que son
favori. Soumettons l’affaire à un arbitre qui tranchera en toute justice.
MAYMÛNA: Entendu!
(Elle frappe dans ses mains. Surgit un démon bossu.)
QASHQUASH: Que veux-tu, maîtresse, fille de notre roi?
MAYMÛNA: Je voudrais Qashqash que tu nous départages. Dis-nous quel est le
plus beau des deux.
QASHQASH (examine attentivement les deux humains): Si vous voulez entendre la
vérité, sachez que je jure par Dieu... (Reste bouche bée, ses yeux vont de l’un à
l’autre) qu’aucun des deux ne surpasse l’autre... J’ai une proposition à vous faire:
réveillez-les à tour de rôle. Celui dont le coeur s‘enflammera le plus d’amour aura
perdu, reconnaissant par là qu’il a moins de beauté et de grâce.
MAYMÛNA et DAHNASH: D’accord!
(Le démon se transforme en moustique et pique Qamâr.)
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la cinquième nuit, Shahrâzâd poursuivit son histoire:
(S’éveillant, le prince porte la main à l’endroit de la piqûre. Il découvre Budûr à
son côté, s’en étonne, la caresse du regard, redessine ses courbes dans l’espace,
déboutonne sa chemise légère, l’admire encore.)
QAMAR: Eveille-toi amie, regarde-moi, je suis le prince Qamâr.
O toi qui veut fendre mon coeur, attends
un peu, retiens ta flèche!
O toi qui commets tant de crimes,
tu me prives même de salut!
Qui t’a rendu licite ma mort?
lève pour moi un peu de ton voile,
Souris, je revivrai peut-être
de l’un de tes sourires.
Et si tu veux me laisser vivre,
tu viendras me prendre en ton rêve.
(Il se penche à nouveau sur Budûr pour l’embrasser, mais Maymûna l’arrête
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d’un geste. En état second, il ôte la bague de la fille, se la passe au doigt et se
rendort.)
MAYMÛNA: Vous avez vu comme il est amoureux?
DANASH & QASHQASH: C’est exact, nous l’avons constaté. Il a été parfait.
(Maymûna pique à son tour Budûr au nombril. La princesse se redresse,
découvre Qamâr, ne s’en étonne pas.)
BUDÛR: Par Dieu, il est beau comme un astre, je sens mon coeur se rompre
d’amour pour lui! Mon seigneur...
(Elle lui saisit la main, réalise qu’il porte son anneau. Elle fait glisser celui qu’il
porte à l’autre main et le met à la place du sien.)
Eveille-toi amie, regarde-moi, je suis la princesse Budûr.
O toi qui veut fendre mon coeur, attends
un peu, retiens ta flèche!
O toi qui commets tant de crimes,
tu me prives même de salut!
Qui t’a rendu licite ma mort?
lève pour moi un peu de ton voile,
Souris, je revivrai peut-être
de l’un de tes sourires.
Et si tu veux me laisser vivre,
tu viendras me prendre en ton rêve.
(Elle se penche sur lui... et s’affaisse endormie avec l’aide du démon.)
MAYMÛNA: Voilà qu’ils sont tombés amoureux l’un de l’autre. Ramenez la fille chez
elle. (Les deux démons s’emparent de Budûr et la transportent jusqu’à sa chambre.
Puis tous trois s’esquivent.Les deux scènes, côté jardin et côté cour, sont
imbriquées.)
QAMAR (s’éveillant): Sawâb!
BUDÛR (s’éveille en même temps et pousse un cri. Servantes et
gouvernante se précipitent): Grand Dieu!
SAWÂB: Maître, tu m’as appelé?
GOUVERNANTE: Princesse que t’arrive-t-il?
QAMAR: Malheur à toi, Sawâb qui es venu cette nuit enlever la jeune fille qui
dormait à mes côtés!
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BUDÛR: Misérable! Où est mon aimé, ce beau jeune homme qui a
passé cette nuit contre moi?
SAWÂB: Seigneur, quelle jeune fille? Et comment serait-elle entrée dans cette
geôle, alors que la porte était fermée à clef et que je dormais devant?
GOUVERNANTE: Princesse Budûr, je te jure par Dieu que je
n’ai vu personne. Si ce méchant propos parvient aux oreilles de ton père, c’en est
fait de nous.
(…)
Shahrâzâd- L’âne, le boeuf, le laboureur.
SHAHRÂZÂD: un boeuf de labour se trouvait mécontent de son sort. Il s’en plaignit
ainsi à son ami l’âne:
BOEUF: Tu as bien de la chance, l’âne. Je m’épuise alors que tu t’épanouis et
engraisses à manger de l’orge et du trèfle. Moi, je passe ma vie à labourer et à faire
tourner la meule à grain.
ANE: Tu es au grand air, tandis que je vois rarement le soleil, notre maître n’ayant
pas le temps d’aller à la ville, il ne me monte plus guère./ J’ai une idée. La prochaine
fois qu’il voudra te passer le joug pour te conduire aux champs, fléchis le jarret, et ne
te relève pas, même s’il te frappe. Il te ramènera à l’étable et te donnera à manger
des fèves. Surtout n’y touche pas! Refuse de boire et de manger.
(Ce qui se produisit mot pour mot —mime….)
LABOUREUR: Bah! Il me reste à atteler l’âne pour labourer.
(Celui-ci dresse l’oreille et fait grise mine tandis que le laboureur le harnache.
L’âne s’éreinte toute la journée à un travail trop dur pour lui tandis que le boeuf se
prélasse. Le soir, le baudet rentre fourbu.)
BOEUF: Merci à mon frère de m’avoir permis de me reposer.
(L’âne hoche la tête sans répondre et s’écroule. Le lendemain, même
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TABLEAU 3
L’ÂNE ET LE BOEUF
POUR OBTENIR L’INTÉGRALITÉ DE LA PIÈCE, VEUILLEZ VOUS ADRESSER À L’AUTEUR : gehubert@numericable.fr
scénario.)
ANE (au public entre deux transports): J’étais bien ici à me prélasser. Quelle mouche
m’a donc piqué de me mêler de ce qui ne me regarde pas? Hi-han (hurle-t-il sous les
coups de fouet. Le soir, il rentre encore plus fourbu à l’étable.)
ANE (tirant une longue langue): Je... dois... t’avertir... J’ai entendu notre maître dire
à son fils: “si demain le boeuf ne se relève pas, conduis-le au boucher. Qu’il l’égorge
et tanne sa peau pour en faire des tabliers de cuir.” J’ai bien peur pour toi, mon ami.
BOEUF (inquiet): Je te remercie de m’avertir... Demain, je me rendrai au labour.
( Le lendemain, le boeuf se tient tout piaffant derrière la porte
de l’étable, tandis que l’âne tente en vain de se lever. Le boeuf est attelé et abat son
travail avec joie et zèle sur le pas d’un patineur.)
ANE: 1ère conclusion: on n’est jamais content de son sort, sauf à constater que ça
pourrait être bien pire. 2ème conclusion: il faut tourner sa langue sept fois dans sa
bouche avant de vouloir rendre service à son prochain. Hihan!
Shahrâzâd- Le pécheur - le démon- les danseuses
SHAHRÂZÂD: On raconte encore, Sire, O roi bienheureux, qu’il y avait un pécheur
qui avait l’habitude de jeter son filet quatre fois dans la journée, pas une de plus.
(Le pécheur se rend sur le rivage, pose son panier, retrousse son vêtement,
s’avance dans la mer et lance son filet, puis, le remontant, le trouve fort lourd, mais il
est vide.)
PECHEUR: Toi qui t’enfonces dans la mer et t’exposes à ses dangers, cesse de te
lamenter, la fortune ne se force pas. (Il lance une deuxième fois son filet: même
résultat.)
PECHEUR: O brûlure des temps, de moi prends pitié.
(Troisième tentative soldée par un nouvel échec.)
PECHEUR: La vertu crie misère. La vie à son aube est limpide, au soir, son fiel est
douleur... Mon Dieu, tu sais que je ne lance mon filet que quatre fois et j’en arrive à
la dernière. J’ai une femme et deux enfants à nourrir. Rends-moi la mer favorable
comme tu l’as rendue à Moïse.
(Il lance son filet, le remonte et y trouve un flacon de cuivre scellé de plomb
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TABLEAU 4
Le pécheur et le démon
qui lui paraît bien plein.)
PECHEUR: Je vais vendre ce flacon au marché du cuivre, il doit bien valoir dix
dinars, et je pourrai acheter du blé. Il faut que je l’ouvre pour voir ce qu’il contient
(Il le décachette avec son couteau. Il en sort une fumée qui se concentre pour
se transformer en un démon monstrueux.)
PECHEUR (saisi de terreur): O Grand Dieu tout puissant!
DÉMON: Il n’y a de Dieu que Dieu et Salomon est son prophète. Réjouis-toi, O
pécheur, je vais te donner sur l’heure la plus horrible des morts.
PECHEUR: Que voilà une belle nouvelle, O démon. Pourquoi me tuer? Je t’ai tiré du
fond de la mer, t’ai délivré de ce flacon et tu veux me tuer?
DÉMON: Dis seulement quel genre de mort tu préfères.
PECHEUR: Quel drôle de remerciement!
DÉMON: Hâte-toi, je m’impatiente: le sabre, la hache, le pal, la peur, la pique, la
lance, le poison, le bûcher, le couteau, les fourmis, les mygales, la noyade, la
pendaison, l’insolation, la lapidation, la strangulation, l’étouffement, l’éventrement,
l’étripement, le dépècement, le crucifiement, l’écartèlement, l’écrabouillement,
l’enterrement tout vif! Choisis, fissa!
PECHEUR: Tu vas trop vite, je n’ai pas le temps de choisir. Avant tout, peux-tu me
dire comment tu es entré dans ce flacon?
DÉMON: Tu cherches à retarder l’échéance. Soit. Sache que je suis un démon
hérétique. J’ai refusé d’obéir à Salomon et d’embrasser sa foi. Alors, il m’a
emprisonné dans ce vase, l’a fait sceller et jeté dans la mer par les djinns.
Cent années ont passé. “Si quelqu’un me délivre, me disai-je, je ferai sa
fortune”. Mais un siècle s’écoula. Alors, je pensai: ”Si quelqu’un me délivre, je lui
découvrirai les trésors de la terre”. Mais personne ne me libéra.
Cent ans plus tard, je me promettais d’exaucer trois voeux de quiconque
ouvrirait ma prison. Personne ne vint. Alors, je me mis dans une grande colère: “Si
quelqu’un me délivre maintenant, je le tuerai en lui faisant choisir sa mort.”
Et voilà que tu es arrivé au bon moment.
PECHEUR: C’est une façon de voir les choses. Epargne-moi, car c’est moi qui t’ai
délivré.
DÉMON: Je vais te tuer pour respecter mon serment.
PECHEUR: Tu veux vraiment me tuer?
DÉMON: Ouiii!
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PECHEUR: Puisque je ne peux pas te détourner de ton funeste projet, répondras-tu
auparavant en toute franchise à la question que je t’ai déjà posée?
DÉMON: Repose, mais fais vite!
PECHEUR: Explique-moi comment tu as pu tenir tout entier dans ce flacon.
DÉMON: Tu ne crois pas que j’y tenais tout entier?
PECHEUR: Difficile à admettre.
DÉMON: Tu ne crois pas que j’y tenais tout entier?
PECHEUR: A vrai dire et pour être franc: non.
DÉMON: Tu ne crois pas...
PECHEUR: Je ne le croirai que lorsque je t’y verrai de mes propres yeux.
DÉMON: Hé bien, ouvre grand tes pupilles incrédules, toi qui ne crois à rien.
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la trente quatrième nuit, elle dit:
SHAHRÂZAD: Hé bien, ouvre grand tes yeux incrédules, toi qui ne crois à rien.
(Un mouchoir de vapeurs dépasse juste du vase et s’agite.)
DÉMON: Tu vois, je suis tout entier dans le flacon.
PECHEUR (se précipite sur le bouchon de plomb et obture l’orifice): Tu vas retourner
à la mer et y rester jusqu’au Jugement Dernier!
(Entrent les sirènes qui s’emparent du flacon, dansent et l’emportent, semant
derrière elles des poissons à profusion pour le pêcheur.)
Shahrâzâd- Khâlid- la foule- le voleur- la jeune fille
SHAHRÂZÂD: Khâlid Abd Allâh al Qushayrî, gouverneur de Bassora, vit venir à lui
une troupe de gens qui tenaient fermement un garçon visiblement de bonne mine et
fort intelligent, calme et digne.
KHÂLID: Qu’a-t-il fait pour que vous vous empariez ainsi de lui?
TOUS: C’est un voleur!
KHÂLID: Bien fait et bien mis comme tu es, qu’est-ce qui t’a donc poussé à agir de
la sorte?
VOLEUR: La faute en est au désir des biens de ce monde. Dieu en a décidé ainsi.
15
TABLEAU 5 L’HONNEUR DU VOLEUR
Qu’il soit loué et exalté.
KHÂLID: La peste soit de toi! De si bonnes manières n’abritaient donc rien qui pût te
détourner de voler?
VOLEUR: Ne te mets pas en peine pour moi, Prince et fais ce que le Très Haut
ordonne dans ce cas (il tend son poing): coupe-moi la main.
TOUS: Coupez-lui la main!
KHÂLID: Voleur?... Peut-être, mais il y a autre chose, non?... Dis-moi.
VOLEUR: Je me suis introduit dans la maison de ces gens-là. J’y ai volé, ils m’ont
surpris, m’ont amené jusqu’à toi.
KHÂLID: Je sais qu’il y a là derrière une histoire qui n’a rien à voir avec le vol. Dites-
moi, que vous a-t-il volé?
TOUS: Un tapis, des coussins
un plateau en cuivre fin
une théière, un couffin.
KHÂLID: N’est-ce pas trop peu pour encourir le châtiment prévu?
VOLEUR: Tout ce qu’il fallait, au contraire.
KHÂLID: Soit! Faites venir le bourreau!
(Le bourreau se présente, place la main du jeune homme sur une table, pose
la lame de son long couteau —ou de sa hache— sur le poignet. Une jeune fille fend
le groupe, se jette au pied du monarque.)
JEUNE FILLE : Je t’en conjure, prince, au nom de Dieu, ne te hâte pas de couper
cette main! Lis d’abord ce billet.
(Elle lui tend un papier.)
KHÂLID (lit à haute voix):
“O Khalid, cet homme-là est fou
et esclave d’amour,
mes yeux furent les arcs,
et mes regards les flèches qui l’ont frappé.
Il est la proie d’un amour dont il ne peut se remettre.
Il a fait un aveu, là où n’est point la faute,
jugeant que tout vaut mieux que le déshonneur de l’aimée.
Suspends ce coup funeste
car cet homme est le plus généreux de tous,
et certes pas un voleur.”
16
(à la jeune fille:) Je t’écoute, raconte ton histoire.
JEUNE FILLE: Je l’aime et il m’aime. Il a simplement voulu me voir. Parvenu devant
ma maison, il a jeté un petit caillou pour me prévenir. Je l’ai fait entrer en cachette.
Ayant entendu ce bruit, mon père et mes frères sont montés. Alors, il a saisi
tout ce qui était à sa portée: une théière sur un plateau, un tapis de prière, des
coussins qu’il a jeté dans un couffin pour se montrer comme un voleur. Ils l’ont
surpris dans cette position et se sont emparés de lui. il a reconnu le vol pour m’éviter
le déshonneur. Il l’a fait par générosité parce que c’est un homme pur.
KHÂLID: Il a pris de bien grands risques. (Au voleur) Approche (Il se lève). J’ai
réfléchi et je vais te dire quel sera ton châtiment... Je te condamne à prendre la main
de cette fille et donne à chacun dix mille dirhams pour avoir été sincères et
honnêtes. (Aux autres:) Qu’en dites-vous?
TOUS: Gloire au gouverneur! Vive les mariés!
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la soixante douzième nuit, elle dit:
Shahrâzâd- Paon- paonne- oie- lionceau- âne- cheval- chameau- vieillard
SHAHRÂZÂD: Il y avait jadis un paon et une paonne qui vivaient dans une île. Un
jour d’entre les jours, ils virent arriver une oie qui montrait les signes d’une vive
frayeur.
PAON: Il lui est sûrement advenu quelque chose d’étrange.
PAONNE: Tu as raison, (elle crie, car tel est son cri:) Léon!
PAON (cria aussi): Léon! Qu’as-tu l’oie à tourner en rond?
OIE: Je m’appelle Léa, pas Léon. Je suis affligée au point d’en être malade, car j’ai
peur des hommes. Prenez garde au fils d’Adam.
PAON (paonnant): Près de moi, l’oie, tu n’as rien à craindre, ma foi.
OIE: Dieu soit loué.
PAONNE: Comment le fils d’Adam pourrait-il venir sur cette île au milieu de la mer?
OIE: Une nuit parmi les nuits, j’ai vu en rêve un homme tandis qu’une voix me disait:
“Méfie-toi du fils d’Adam! Il est fourbe et rusé.” Ce songe d’une nuit d’été me hante.
17
TABLEAU 6
LE FILS D’ADAM
Je serais restée cachée si la faim ne m’avait tenaillée. C’est là que j’ai rencontré un
lionceau. Séduit par mon plumage et ma gracieuse tournure, il fut bien aise de
m’aborder.
(Elle rejoue la scène en s’écartant des autres.)
LIONCEAU(apparaissant): Roar! Qui es-tu et à quelle race appartiens-tu?
OIE (tortillant du croupion): Je suis un oiseau, une oie, et toi?
LIONCEAU: Le fils du roi lion.
PAON & PAONNE: Et nous des paons. Léon!
LIONCEAU: Non. C’est du fils d’Adam que mon père m’a recommandé de me défier.
Or, cette nuit, quel effroi, j’ai vu en rêve l’image de celui-là.
OIE: C’est alors que, dans un nuage de poussière, nous vîmes un âne débâté qui
galopait, qui sautait, se roulait par terre.
ANE (jouant tel que décrit): Hihan! Hihan! (même jeu plusieurs fois.)
LIONCEAU: Qui es-tu fol animal? Et que fais-tu dans les parages?
ANE: Je suis un âne, O fils de roi, et je fuis le fils d’Adam.
OIE: Tu n’as pas peur qu’il prenne ta vie, toi, pas comme moi, l’oie.
ANE: Non, mais je crains qu’il invente une ruse pour me mettre une selle sur le dos,
avec une courroie serrée sous le ventre (mime), et un mors (idem) en travers de la
mâchoire. Dès lors, il me montera, m’imposera des charges énormes et des courses
infinies. Malheur de malheur! Hihan!
LIONCEAU: L’as-tu vu, cet homme qui, dit-on, se tient droit comme un piquet?
ANE: Au lever du soleil, je l’ai aperçu au loin, alors j’ai pris mes jambes à mon cou.
OIE (perchée, elle s’adresse aux paons): Un nouveau nuage de poussière apparut
alors à l’horizon.
(Hennissant, un cheval déboule à son tour. Il pile des quatre sabots devant les
autres):
LIONCEAU: De quelle espèce es-tu, noble animal? Et qui te fais fuir ventre à terre?
CHEVAL: Seigneur des animaux, je suis un cheval, et je fuis le fils d’Adam.
TOUS: Pas toi?!
PAON & PAONNE: Toi qui poudroie.
TOUS: toi, un palefroi
OIE: Si puissant, de surcroît
ANE: Si rapide, ma foi.
LIONCEAU: J’en reste tout pantois.
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PAON: Moi, je suis décidé à l’affronter, à fondre sur lui, à le dévorer, à le dépecer,
à...
PAONNE: Vantard.
LIONCEAU: Cheval, tu pourrais le tuer d’une seule ruade et le piétiner à mort.
CHEVAL: Comment pourrais-je le vaincre, O fils de roi. Il est tellement rusé et retors
qu’il fabrique des entraves pour lier mes quatre membres et m’attache la tête à un
pieu grâce à un licol. Il me serre une selle autour du ventre, fixe de chaque côté des
étriers de fer, me fourre dans la bouche un frein de métal, tendu par deux rênes de
cuir. De ses éperons, il me pique les flancs au sang.
ANE: Qu’est-ce que je vous disais! J’en perds mon sang-froid.
CHEVAL (encore plus mélo): Vieux et épuisé, il me vendra à un meunier qui
m’attellera à la meule que je ferai tourner nuit et jour (mime avec grincements)
jusqu’à la décrépitude totale. Alors, je serai vendu au boucher qui m’égorgera,
m’arrachera les crins, un à un, et me découpera en pièces de viande saignante.
TOUS : Quelle horreur!
LIONCEAU: Quand as-tu vu ce monstre sanguinaire pour la dernière fois?
CHEVAL: A midi, il était à mes trousses.
OIE: J’ai de nouveau la frousse!
PAON & PAONNE: Encore un nuage de poussière!
(Apparaît le chameau, blatérant et à bout de souffle. Le lionceau s’apprête à
lui sauter dessus.)
OIE: Fils de roi, ce n’est pas le fils d’Adam, mais un chameau à quatre pattes et deux
bosses qui fuit celui-là même, semble-t-il.
LIONCEAU: Lui aussi, malgré sa monstrueuse carcasse?
CHAMEAU: Mer... ci pour le... compliment, prince. Sache que le fils d’Adam a des
ruses contre lesquelles on ne peut rien. Il passe à mes naseaux un anneau avec un
bridon. Le plus petit enfant peut alors me mener par le bout du nez. (Tous: bout du
nez) Que dire des lourds fardeaux (fardeaux, en écho) dont il me charge pour des
voyages interminables (minables) dans les déserts brûlants (écho). (même jeu que
le cheval) Devenu vieux, il me cèdera à un boucher qui m’égorgera, vendra ma peau
aux tanneurs et ma viande aux cuisiniers.
PAON: Quand l’as-tu vu ce foutu barbu?
CHAMEAU: A la tombée du jour. Fils de roi, laisse-moi fuir dans la solitude du
désert.
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LIONCEAU: Chameau, attends de voir comment je vais le déchirer, me repaître de
sa chair, sucer la moelle de ses os, m’abreuver de son sang.
OIE: Je vois s’élever un tout petit nuage de poussière.
VIEILLARD (arrivant si courbé sur une cane qu’il semble marcher à trois pattes, un
tas de planches sur le dos. Au lionceau): O roi illustre! Toi qui détiens la puissance.
Je viens chercher refuge auprès de toi.
LIONCEAU (lui posant la patte sur la tête): Je te protégerai, mais qui te fait misère?
Et de quelle espèce es-tu?
VIEILLARD (déposant son fardeau, il reste tout voûté): Roi des animaux, je suis un
menuisier et celui qui m’opprime est le fils d’Adam.
CHEVAL, ANE, CHAMEAU: Toi, un vieillard humain?
VIEILLARD: Lorsque cette nuit s’achèvera, il arrivera en ce lieu.
LIONCEAU: Par Dieu! Je ne fermerai pas l’oeil jusqu’à l’aube. Dis-moi vieillard, où
vas-tu?
VIEILLARD: Chez le vizir de ton père, le guépard. Quand il a su que le fils d’Adam
foulait ce sol, il m’a dépêché un messager pour que je lui construise un abri à toute
épreuve.
LIONCEAU: Par ma vie, quelle bonne idée. Commence par m’en faire un avec ces
planches, puis pour mes amis. Le guépard attendra.
VIEILLARD: Si tel est ton désir... (Il se met au travail) Obladi-Oblada. Et voilà... (il
couche une caisse) Entre dedans que j’ajuste la porte à tes mesures.
(Le lionceau naïf rampe dans la caisse. Le vieil homme rabat la grille qu’il
cloue en un tournemain devant les autres animaux éberlués.)
LIONCEAU: Menuisier, cet abri est trop étroit, laisse-moi en sortir.
VIEILLARD (se redressant): Hélas, le plus ignoble des fauves, tu n’as aucune
chance de quitter cette cage: (il se redresse) je suis UN fils d’Adam.
TOUS: Lui, si vieux! Quel âge a donc son père?
VIEILLARD: Aux autres, à présent.
(Les autres animaux réalisent leur méprise et tentent de fuir.)
TOUS: Au secours! (Chacun crie dans son langage.)
(Ils sont figés dans leur élan par la fin de la scène.)
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TABLEAU 7
LA PERSANE ET LA KURDE
Shahrâzâd- calife- Ja’far- (le conteur)- Ali- La foule- le juge- la
Kurde- la Persane
SHAHRÂZÂD: Une nuit, le calife Hârûn al-Rashîd fut pris d’une agitation extrême. Il
appela son vizir et lui dit:
CALIFE: Ja’far, mon coeur est angoissé. J’attends de toi quelque chose qui me
réjouisse l’esprit et apaise l’âme.
JA’FAR: Commandeur des croyants, j’ai un ami, Alî le Persan qui connaît des
histoires, des contes plaisants qui ôtent tout chagrin du corps.
CALIFE: Je veux le voir ici.
JA’FAR: A tes ordres.
( Ils se figent.)
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la cent vingt troisième nuit, elle dit:
SHAHRÂZÂD: On raconte encore, Sire, O roi bienheureux que le Persan répondit au
désir du calife.
(Ja’far frappe dans ses mains, apparaît Ali. Il salue le calife.)
ALI: Sache, Commandeur des croyants qu’il y a quelques années, je croisais à
Bagdad une caravane en queue de laquelle une voyageuse portait une fort belle
besace, lorsqu’une pendarde de Kurde se précipita sur elle avec les plus mauvaises
intentions du monde. Celle-ci se saisit du sac en prétendant qu’il était à elle, que tout
ce qu’elle contenait était sa propriété. Moi, j’appelais à l’aide: Musulmans, vous tous
qui êtes ici, débarrassez-nous de la pendarde la plus éhontée que l’on n’ait jamais
vu. Nous traînons les protagonistes devant le juge.
(La foule amène les deux femmes devant le juge avec la besace du litige.)
JUGE: Quel motif vous amène toutes deux? Quelle est votre affaire?
KURDE: Dieu assiste notre maître le juge. Cette besace est à moi, tout ce qu’elle
contient est ma propriété. Je l’ai égarée et la retrouve entre les mains de cette
femme.
JUGE: Quand l’as-tu perdue?
KURDE: Hier et cette perte m’a laissée sans sommeil.
JUGE: Si tu la connais, tu peux me décrire ce qu’il y a dedans?
KURDE(après un tour d’horizon): Dans cette besace, tu trouveras ceci: deux
baguettes d’argent pour appliquer du fard, du fard pour les yeux, un mouchoir pour
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les mains, deux fioles dorées, deux chandeliers; et encore: deux petites bourses,
deux couvercles, deux cuillers, un oreiller, deux tapis, deux aiguières, un plat de
porcelaine, deux écuelles, une marmite, deux cruches, une louche, une aiguille, deux
sacs à provision, une chatte, deux chiennes, un grand plat, deux sacoches, une
outre, deux pelisses, une vache, deux veaux, une chèvre, deux moutons, une brebis,
deux agneaux, deux tentes vertes, un chameau, deux chamelles, une buflesse, deux
taureaux, une lionne, deux loups, une ourse, deux renards, deux coussins, deux lits,
un palais, deux salles, un pavillon, deux fauteuils, une cuisine avec deux portes et
une assemblée de Kurdes qui témoigne que la besace est à moi.
JUGE (aussi ahuri que toute l’assistance): Qu’est-ce que tu nous débites là?
PERSANE( s’avance à son tour.): Dieu donne gloire à notre maître le juge! Ce qu’il y
a dans cette besace, c’est une maisonnette en ruines et une autre sans porte, plus:
une niche à chien, un livre pour enfants, des jeunes qui jouent aux osselets, des
tentes avec leurs cordes, la ville de Bassora, celle de Bagdad, le château de
Shaddâd, un soufflet de forgeron, un filet de pêcheur, des bâtons, des pieux, des
filles, des garçons qui témoignent que la besace est à moi.
KURDE (reprend la scène): Notre maître le juge, cette besace est connue de moi et
je peux dire ce qu’il y a dedans: des forteresses, des citadelles, des grues, des
fauves, des hommes qui jouent aux échecs et aux fléchettes; et encore: un trou de
mulot, deux poulains, un cheval étalon, deux chevaux de race, deux lances longues;
et encore: une hyène, deux lièvres, une ville, deux villages, un couard, deux
vauriens, un aveugle, deux hommes qui voient bien, un boiteux, deux paralytiques,
un prêtre, deux diacres, un patriarche, deux moines, un juge et deux témoins, qui
tous confirmeront que la besace est à moi.
PERSANE: Il y a dans ma besace, une cote de maille, des épées, des étuis d’armes,
mille béliers bien encornés, un enclos à moutons, mille chiens aboyeurs, des jardins,
des vignes, des pommes, des statues, des figures, des bouteilles, des verres, de
jolies brebis, des salons, des fêtes, de l’agitation, des cris, de vastes espaces, des
amis fortunés, de bons compagnons avec sabres, lances, arcs et flèches, des
fidèles, des proches, des familiers, des camarades, des prisons pour le châtiment et
des convives avec qui boire, des tambours, des flûtes, des drapeaux et des
étendards, des garçons et des filles, de jeunes épouses toutes parées, des
chanteuses, cinq femmes d’Abyssinie, trois de l’Inde, quatre de Médine, vingt de
Byzance, cinquante Turques, soixante-dix de Perse, quatre-vingts Kurdes et quatre-
22
vingt-dix de Géorgie, le Tigre et l’Euphrate, un filet de pêcheur, un briquet, une pierre
à feu, Iram aux colonnes, mille vauriens, des hippodromes, des écuries, des
mosquées, des bains, un maçon, un menuisier, une planche, un clou, un esclave noir
avec sa flûte, un capitaine, un écuyer, de grosses villes et de moins grosses, cent
mille dinars, vingt coffres emplis d’étoffe, cinquante garde-manger, Gaza et Ascalon,
Damiette, Assouan et le royaume de Salomon, Bactres et Ispahan, entre l’Inde et le
Soudan, et encore des tuniques, des tissus pour turbans et mille rasoirs qui
couperont la gorge du juge si, faisant fi de ma vengeance, il allait refuser de
dire que cette besace est à moi!
JUGE (épouvanté, il se dresse): Tout ce que je vois, c’est que vous êtes deux
sinistres sujets, deux impies, deux folles qui se moquent des juges et des lois. Par
Dieu! De la Chine jusqu’au pays de Perse, à ceux du Soudan, on n’aura pas assez
de place pour loger tout ce que vous avez prétendu. Cette besace est-elle une mer
sans fond. Ouvrez-la!
(Ali s’avance et ouvre le sac. Il en sort un pain, un citron, un fromage, des
olives. Les deux femmes se croisent, se toisent —entre haine et complicité— et
s’éloignent chacune de leur côté.)
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la cent quatre vingt quatrième nuit, elle dit:
Shahrâzâd- Umar an-Nu’Mân- Sharr Kân- 2 émissaires- des serviteurs- la
garde de Sharr Kân- les jeunes filles- Abrîza- la femme- Les soldats et leur chef
SHAHRÂZÂD: Il y avait à Bagdad un roi du nom de ‘Umar an-Nu Mân, (Il s’assoit
sur son trône) pliant sous son joug les contrées les plus reculées de l’Orient et de
l’Occident: l’Inde, la Chine, le Yémen, l’Ethiopie, le Soudan et les territoires de
Byzance. Il avait un fils du nom de Sharr-Kân (entre à son tour, se place à la droite
de son père) qui était le général en chef de ses armées. Un jour, il reçut la visite des
émissaires du Basileus, maître de Constantinople, l’un de ses fidèles vassaux.
EMISSAIRES 1 & 2: Majesté, monarque au bras redoutable, notre seigneur le
Basileus te salue et t’honore. Il nous envoie te dire qu’il mène une guerre impitoyable
au roi de Byzance qui s’est rebellé contre ton autorité et qui nous a attaqués par
23
TABLEAU 8
LES TROIS DIAMANTS
traîtrise. (1E) Nos vaillants marins ont pu intercepter l’un de ses navires pirates (2E)
qui transportait trois diamants merveilleux d’une valeur inestimable. (1 & 2) Nous
sommes venus te les remettre en hommage.
(Des serviteurs apportent le coffret les contenant.)
UMAR: Ils sont en effet magnifiques et vous en remercierez le Grand Basileus.
Qu’en est-il de la guerre?
EMISSAIRE 1: A ce sujet, nous sommes porteur d’un message de notre maître.
(Un serviteur remet un rouleau au roi . Celui-ci le déroule, le lit, relève la tête.)
UMAR: Si je comprends bien, votre maître aurait besoin de quelques troupes
fraîches.
EMISSAIRE 2: Pour venir à bout au plus tôt de la rébellion.
UMAR: Comment refuser de l’aide à un si fidèle serviteur. Dès demain, mon fils
Sharr Kân partira avec dix mille hommes pour châtier ce traître.
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la trois cent cinquante cinquième nuit, elle dit:
SHAHRÂZÂD: Dès demain, mon fils Sharr Kân partira avec dix mille hommes pour
châtier ce traître. En moins d’une semaine, ils arrivèrent à proximité des territoires du
roi de Césarée. Ils plantèrent le camp. (Ce qu’ils font.) Vers le milieu de la nuit, un
cheval se mit à piaffer. Réveillé en sursaut, le prince qui reposait à l’écart, se dressa
sous un clair de lune éblouissant.
SHARR KÂN: Il n’y a de puissance et de force qu’en Dieu (Des propos entrecoupés
de rires cristallins lui parvinrent. Une voix de femme apostrophait d’autres femmes
en langue arabe. Il se dresse, tourne sur lui-même). Par le Christ, ce que vous faites
là n’est pas convenable: montrez-vous!
LES JEUNES FEMMES: La prairie resplendit
de blanches et délicates beautés
dont les vertus incomparables
ajoutent au charme des lieux.
Vierges atttirantes, mutines et coquettes,
nos cheveux dénoués traînent
tels des pampres de grappes lourdes.
Nos oeillades enjôleuses,
décochées comme des flèches
obliques et assassines, viennent à bout des plus braves.
24
(Apparaît Abrizâ, leur chef.)
Hautaine elle nous toise d’un regard magnifique,
sa taille est plus fine qu’une lance de Samhar.
Les joues teintées de rose, elle parait
parée de mille grâces,
comme la nuit mêlée à l’aube annonce la volupté.
(Sharr Kân reste en admiration.)
ABRÎZA: Allons, mes filles, venez lutter tant que la lune brille et avant que le jour
nous surprenne.
(Une à une, elles se présentent pour aussitôt mordre la poussière, et se
trouver attachées par leur propre cordelière, sous les yeux d’une femme plus âgée.)
DAME DHAT: Tu m’as l’air bien fière et impudente, d’être venue à bout de cette
jeunesse! Telle que tu me vois, j’en ai terrassé plus de quarante d’affilée. Si tu te
sens de taille, approche donc que je te plie en deux et te mette la tête au niveau des
pieds.
ABRÎZA: Par le seigneur Christ, dame Dhât ad-Dawâhi, est-ce une simple
plaisanterie ou songes-tu réellement à te mesurer à moi?
DAME DHAT: Rien de plus sérieux.
ABRÎZA: Puisqu’il en est ainsi, apprête-toi à m’affronter si tu t’en sens capable.
DAME DHAT: Par ce que nous devons au Christ, vaurienne, je ne te combattrai que
nue (elle se déshabille). Fais-en autant!
(Sans se presser, Abrîza se ceint d’une fûta yéménite en guise de pagne. Les
deux antagonistes s’empoignent sous les yeux du prince fasciné. Abrîza maîtrise et
garrotte son adversaire.)
ABRÎZA: Maîtresse, je ne voulais pas cela! Mon intention était seulement de lutter,
non point de t’humilier. C’est en cherchant à échapper à ma prise que tu t’es mise
dans cette position.
(Sharr kân dégaine son cimeterre et bondit face à Abrîza.)
ABRÎZA: Qui es-tu pour nous charger comme si nous étions des soldats? (Les
jeunes guerrières se dressent peu à peu, menaçantes malgré leurs liens et
enchaînent le texte:)
JEUNES FILLES: D’où viens-tu? Tu t’es sans doute égaré cette nuit quand tu es
parvenu en ces lieux que seul un miracle pourrait te faire quitter sain et sauf. (Elles
tournent en rond autour de lui) Au moindre appel, surgiraient quatre mille guerrières
25
aguerries. Dis-nous ce que tu désires: retrouver ton chemin? Nous t’y aiderons.
Recevoir assistance? Nous te la prêterons.
SHARR KÂN: Je suis un étranger, un musulman, et me suis mis seul en quète de
butin. Je ne vois rien de plus précieux que toutes ces jeunes filles admirables
offertes à mes yeux par un beau clair de lune. ( Flattées par le compliment sincère,
elles le saluent) ne vous en déplaise, je vais m’emparer de vous et rejoindre mes
compagnons.
JEUNES FILLES: Il y a loin de la coupe aux lèvres.
ABRÎZA: Ces jeunes filles, par Dieu, ne sont pas à toi. Ne t’a-t-on jamais dit qu’il
était laid de se vanter?
SHARR KÂN: Le véritable croyant est celui qui s’en remet totalement à Dieu.
ABRÎZA: Par le messie! Si je ne craignais pas d’avoir ta mort sur la conscience, je
n’aurais qu’un cri à pousser pour rameuter une multitude de cavaliers. Mais je
respecte trop les étrangers de passage chez nous. Pose ton arme, nous lutterons
tous deux à mains nues. Vainqueur, tu nous emmèneras toutes. Vaincu, tu seras à
ma merci. Mais prête d’abord serment, car je me méfie de ta félonie.
SHARR KÂN: Dicte-moi le serment qui t’inspirera le plus confiance.
ABRÎZA: Répète après nous:
TOUTES (et SHARR KÂN répète chaque portion de phrase): Par celui qui a insufflé
les âmes dans les corps/ et donné aux hommes des lois/ Je n’ai d’autre intention/
que de lutter à la loyale/ Que je meure en apostat/ si je venais à trahir la loi jurée.
SHARR KÂN: Je suis prêt.
ABRÎZA: Allons, musulman, viens au combat avant que l’aube ne pointe.
(Ils luttent. Elle finit par le renverser, s’assoit sur sa poitrine.)
Vous les musulmans, vous estimez licite de verser le sang des chrétiens. Et si
j’en faisais autant du tien?
SHARR KÂN: Ma dame, cela est prohibé par notre religion car notre prophète nous
a interdit de mettre à mort les vôtres quand il s’agit de femmes, d’enfants, de
vieillards ou de moines.
ABRÎZA: Si votre Envoyé a été ainsi inspiré, nous nous devons de lui en savoir gré.
Je te fais grâce car tout bienfait mérite récompense. (Elle se lève, libère Sharr kân.)
N’aie point honte. Qui vient chercher du butin dans le pays des Byzantins ne peut
être qu’un être sans force qui ne saurait se défendre même contre une femme.
SHARR KÂN: Surtout contre une femme. Ce n’est point une question de faiblesse.
26
C’est ta beauté qui m’a vaincu. Il faut que tu m’accordes une revanche.
ABRÎZA: D’accord. (Elle l’empoigne et en deux prises, elle le jette à terre.) Relève-
toi, je te fais grâce une deuxième fois. Si l’armée musulmane comporte un champion
plus fort que toi, je te conseille de me l’envoyer.
SHARR KÂN: Ce n’est pas ta force qui m’a vaincu, mais tes formes divines. Nous
autres, gens de l’Irak, nous aimons les fortes cuisses et j’ai perdu toute ma
clairvoyance. Accorde-moi encore un assaut selon les règles de cet art.
ABRÎZA: Viens donc, mais sache que c’est ta dernière chance.
(Elle tombe en garde. La lutte se prolonge un moment.)
Tu ouvres l’oeil, cette fois, musulman!
(Elle le saisit aux cuisses et le jette à terre encore plus violemment.)
Tu vois bien, tu n’es qu’un mangeur de son, aussi léger que le bonnet d’un
bédouin qu’une simple pichenette renverse. Retourne t’en chez les tiens et envoie-
moi quelqu’un d’autre.
TOUTES: Porte notre défi aux Arabes, aux Persans, aux Turcs et aux gens de
Daylam. Que quiconque se croit fort, vienne nous voir!
(Elles se retirent.)
SHARR KÂN: Ma dame, vas-tu partir et abandonner un malheureux étranger dont le
coeur brisé est en proie aux affres de l’amour?
ABRÎZA: Que désires-tu?
SHARR KÂN: Est-il convenable que je sois ici à fouler le sol de ton pays, sans que
tu me convies à partager ta table, moi que tu comptes au nombre de tes serviteurs?
TOUTES: Seuls des gens vils manquent aux lois de l’hospitalité. Sois le bienvenu.
(Elles déposent à boire et à manger et s’esquivent à nouveau en dansant.)
SHARR KÂN: Admirable beauté, pourquoi ne me ferais-tu pas l’honneur de venir
avec moi en terre d’Islam?
(Il s’allonge sur un coude, prêt à dormir.)
ABRÎZA: Par le Christ, tu es pétri de perversité! Si j’étais sûre qu’on ne découvrît pas
mon identité de jeune Byzantine, je prendrais le risque d’affronter vos dix mille
cavaliers pour tuer leur chef Sharr Kân. Ah! Veuille le Christ le faire tomber entre
mes mains. Déguisée en homme, je le vaincrais.
(La lumière baisse, Sharr Kân s’endort.)
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la trois cent vingt sixième, elle dit:
27
(…)
Shahrâzâd- Hasan- le Persan- les filles-oiseaux- le jeune homme
SHAHRÂZÂD (entrant à reculons comme si elle s’adressait au sultan en coulisse):
On raconte, Sire, O roi bienheureux, qu’à Bassora vivait un jeune apprenti orfèvre qui
s’appelait Hasan. Il était orphelin. Un jour, un Persan vint à passer devant son
échoppe.
(Elle reste en fond de scène.)
PERSAN (regardant le travail du garçon): Par Dieu, tu es un orfèvre habile, mais je
doute que même en travaillant du lever au coucher du soleil, tu fasses un jour
fortune.
HASAN: C’est la vérité, mais Dieu en a décidé ainsi et je ne suis pas malheureux.
PERSAN: Le destin peut parfois nous sourire...
HASAN: Que veux-tu dire, étranger?
PERSAN: Dieu m’a enseigné un art que personne au monde ne connaît.
HASAN (amusé): Quelle chance tu as.
PERSAN: Hélas, je n’ai pas d’héritier et tu n’as plus de père. Je t’ai observé. Tu
sembles franc et honnête. J’aimerais te transmettre mon savoir.
HASAN: Voilà une nouvelle étonnante. Quel est cet art mystérieux?
PERSAN (après avoir regardé autour de lui): Je transforme le cuivre en or.
HASAN: Cela est-il possible!
PERSAN: Je te le prouve sur-le-champ.
28
TABLEAU 9
HASAN ET LA MONTAGNE MAUDITE
POUR OBTENIR L’INTÉGRALITÉ DE LA PIÈCE, VEUILLEZ VOUS ADRESSER À L’AUTEUR : gehubert@numericable.fr
(Dans un creuset, il place des morceaux de métal empruntés à Hasan qu’il
mélange avec une poudre tirée d’un sachet caché dans son turban. En un rien de
temps, il en sort un lingot.)
HASAN (soupesant le lingot): C’est bien de l’or. Que me demandes-tu en échange
de ce secret?
PERSAN: Rien. Je veux que ce secret ne disparaisse pas avec moi. Le destin m’a
guidé vers toi. Acceptes-tu ma proposition?
HASAN: Il faudrait être fou pour refuser la richesse. Mais cette poudre magique, d’où
la tiens-tu?
PERSAN: Je t’apprendrai à la fabriquer... Mais je suis à court d’une certaine plante
indispensable qui ne se trouve qu’au sommet d’une montagne. Si tu y consens,
rendons-nous sur les lieux au plus tôt, ainsi tout sera réglé.
HASAN: Si ce n’est que cela, je suis agile, j’escaladerai cette montagne pour toi.
SHAHRÂZÂD: Ils marchèrent pendant trois jours avant d’atteindre le pied d’un pic
escarpé.
PERSAN: Voilà. Sois prudent, la montée est dangereuse. De là-haut, tu me lanceras
la plante afin d’avoir les mains libres.
SHAHRÂZÂD: Hasan escalade prudemment, trouve la plante, la jette au Persan.
(Le Persan le salue et se détourne.)
HASAN: Hé l’ami, attends-moi! N’oublie pas ta promesse!
PERSAN: Quelle promesse? Je n’ai pas l’éternité devant moi pour fabriquer de l’or
car il n’y a aucun moyen de redescendre de ce piton, sinon en volant. Adieu, benêt!
HASAN: Infâme menteur, reviens m’aider!
PERSAN: Je repasse le mois prochain, avec le naïf qui te succédera!
(Il s’en va.)
SHAHRÂZÂD (s’avance): Le pauvre Hasan tenta plusieurs fois de redescendre au
risque de se rompre les os. Ce qui avait été possible à la montée au prix de gros
risques, s’averrait impossible dans l’autre sens. Les jours passèrent. Il appela, se
lamenta, désespéra. N’ayant aucune nourriture, il dépérissait. Les nuits étaient
glacées. Il se prépara à attendre la mort.
HASAN (à genoux): Ma patience est à bout et mon trouble s’accroît.
Je supporte, seigneur, ta sentence, ton décret.
Et me montre serein pour obtenir ta grâce
Et que ta bonté pardonne ma cupidité.
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FILLES-OISEAUX (entrant en volant):
Hasan, (compter jusqu’à cinq) Hasan, Hasan...
Suspends un instant ton destin
Ta prière a touché notre coeur,
Nous, les filles des Djinns
Volons à tire d’aile
Au secours d’un coeur pur.
(Elles le soutiennent, guident ses prises, l’emportent, le déposent à terre. Puis
elles le cajolent, mais soudain disparaissent. Hasan va pour les rappeler quand
survient le Persan, accompagné d’un jeune homme.)
PERSAN: Hasan? Comment es-tu descendu de la montagne? Serais-tu un elfe, un
djinn, un démon?
HASAN: Infâme, tu ne nuiras plus! Tu n’enverras plus de jeunes incrédules chercher
ta plante maudite au sommet de ce pic mortel. Ta dernière heure a sonné!
(Il dégaine son couteau et va pour frapper le Persan au coeur. Les filles-
oiseaux surgissent pour l’en empêcher.)
PERSAN: Par Dieu, les filles des Djinns, vous arrivez à temps pour éviter à ce jeune
idiot de faire une bêtise.
FILLES-OISEAUX: Pour te servir, abominable suborneur. Hasan, nous connaissons
un meilleur châtiment. la mort serait trop douce et trop rapide. Il n’aurait pas le temps
de se repentir et d’implorer grâce jusqu’au jugement dernier.
(Elles l’envoûtent par leur danse et leurs passes magiques tandis que
Shahrâzâd s’éclipse. Le Persan est pris de frénésie et commence
une gigue endiablée. Puis, contre sa volonté, il grimpe au sommet de la
montagne, où il se dresse, mains tendues, suppliant le ciel.)
NOIR
Shahrâzâd- Hishâm- bédouin- soldats- chambellan- bourreau
SHAHRÂZÂD: Le calife Hishâm étant un jour allé chasser, aperçut une gazelle qu’il
se mit aussitôt à poursuivre avec ses chiens. Pendant qu’il courait ainsi après
l’animal, il vit un jeune Bédouin qui faisait paître ses moutons. Il lui cria:
30
TABLEAU 10 HISHÂM
HISHÂM (hautain): La gazelle m’a échappé, je te la laisse!
BEDOUIN: Dis donc, toi, qu’as-tu à me regarder de toute ta hauteur, à me parler
comme à un moins que rien? Tu lâches des mots comme un despote, tu te
comportes comme un muletier.
HISHÂM: La peste soit de toi! Sais-tu seulement qui je suis?
BEDOUIN: Je sais seulement que tu es mal élevé, puisque tu m’as adressé la parole
sans me saluer.
HISHÂM: Peste! Je suis Hishâm, fils d’Abd al-Malik.
BEDOIN: Que Dieu te tienne à distance respectable de tous, qu’il te fasse pauvre en
paroles et en honneurs! (La troupe de Hishâm encercle les deux hommes.)
SOLDATS: Salut, Commandeur des croyants!
HISHÂM: Emparez-vous de ce garçon!
(Ils l’empoignent, l’apportent sans ménagement au pied du calife.)
SOLDAT: Chien d’Arabe, qu’est-ce qu t’empêche de saluer le Commandeur des
croyants.
BÉDOUIN: Espèce d’âne, ce qui m’en empêche, ce sont vos manières.
HISHÂM: Jeune impertinent, ton existence touche à son terme.
BEDOUIN: Hishâm, si mon temps de vie doit être raccourci, alors tout ce que tu peux
dire ne me fait ni chaud ni froid.
CHAMBELLAN: Immonde Arabe, le plus immonde de tous! Qui te crois-tu pour
répliquer ainsi au Commandeur des croyants?
BEDOUIN: Puisses-tu perdre l’esprit, ton bonheur et tes fils! N’as-tu pas entendu ce
qu’a dit le Très Haut: “En ce jour, toute âme viendra plaider pour elle-même”.
XVIème sourate du Coran.
HISHÂM: Bourreau, je veux la tête de cet homme!
(Le bourreau fait agenouiller le bédouin et tire son sabre, le brandit au-dessus
de sa tête.)
BOURREAU: Commandeur des croyants, dois-je frapper ton insolent sujet, et serai-
je innocent du sang que je vais verser?
HISHÂM: Oui. (Le Bédouin se met à rire à gorge déployée.) Pauvre fou! Ne vois-tu
pas que tu vas quitter ce monde? Comment peux-tu rire quand ton âme va
s’envoler?
BEDOUIN: Commandeur des croyants, si ma vie ne peut être prolongée, alors, un
peu plus, un peu moins... Mais il me vient en tête des vers que je te prie d’écouter.
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Tu n’en seras pas pour autant privé de me tuer.
HISHÂM: Fais vite.
(Il fait signe que l’on relâche le prisonnier sans le quitter cependant des yeux.)
BEDOUIN: Un jour, m’a-t-on appris,
l’aigle enserra, au désert,
un moineau que le sort avait jeté vers lui.
Alors, pris dans les serres, le moineau lui dit
tandis que l’aigle tout à son affaire
l’emportait dans les airs:
“Je ne suis pas de taille à rassasier
quelqu’un d’aussi redoutable,
si tu me manges, tu verras que je n’étais
qu’une proie bien misérable.”
Alors cet aigle plein d’orgueil, tout étonné,
se prit à sourire et laissa le moineau s’esquiver.
HISHÂM (rit à son tour): Aussi vrai que j’appartiens à la parenté de l’Envoyé de Dieu,
si cet homme avait parlé ainsi au début et m’avait demandé n’importe quoi, sauf
d’être calife à la place du calife, je le lui aurais donné. Chambellan! Bourre-lui la
bouche de pierres précieuses et ne lésine pas sur la récompense.
(Le chambellan s’acquitte de sa tâche et le bédouin salue le vizir.)
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la sept cent trente huitième nuit, elle dit:
Shahrâzâd- le tailleur Byzantin- sa femme- le bossu- le médecin juif,
l’intendant musulman- le chrétien- quatre gardes- le gouverneur- le bourreau-
la foule.
SHAHRÂZÂD: Ce conte met en scène un tailleur Byzantin
(il entre, se place en fond de scène.), sa femme (idem), un bossu, (même jeu
à chaque personnage), un médecin juif, un intendant musulman et un chrétien.
Le tailleur et sa femme revenaient du marché où ils avaient acheté un poisson
frit pour le dîner.
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TABLEAU 11UN MORT EN BALADE
(La suite est mimé sur une musique. Le bossu, assis sur le pas de la porte du
tailleur, tend la main aux passants. La femme, au lieu de lui donner de l’argent,
arrache un morceau de poisson et le lui fourre dans la bouche. Le mendiant avale,
s’étrangle avec une arête et meurt. Le tailleur et sa femme sont bien embarrassés. )
TAILLEUR: Que faire, mon Dieu?
FEMME: Prenons-le sous les bras, comme si c’était notre ami un peu éméché et
conduisons-le chez le médecin juif voisin.
(Ils frappent à la porte. Une servante leur ouvre. Ils expliquent par gestes que
leur ami est malade. La servante s’éclipse faisant comprendre qu’elle va prévenir le
médecin. Le tailleur et sa femme se sauvent. Le médecin arrive, veut examiner le
malade qui s’écroule. Il croit l’avoir tué, implore le ciel. La servante lui signifie qu’il
faut s’en débarrasser, mais comment? Ils vont le jeter par-dessus le mur du voisin,
un intendant aux cuisines musulman et ils rentrent chez eux.
L’intendant découvrant l’homme assis au pied du mur, croit que c’est celui qui
lui vole ses marchandises, lui qui pensait être victime des chats et des chiens du
quartier. C’était donc lui le voleur! Il s’empare d’un marteau et assomme le bossu.
Puis la peur l’envahit. Il prend le ciel à témoin. Saisi d’une idée subite, il charge
l’homme sur son épaule et le dépose devant la porte de son voisin chrétien.
Celui-ci rentre bientôt, chancelant. Il s’apprête à uriner le long du mur quand il
découvre le bossu. Il en perd l’équilibre, s’affale sur celui-ci, appelant la garde.
Quatre soldats surviennent, découvrent le meurtre et emportent les deux hommes
chez le gouverneur. Celui-ci ordonne —mime— que le chrétien ait la tête tranchée.
Le bourreau se précipite, se prépare pour décapiter le meurtrier devant la foule
réunie. C’est alors que s’avance l’intendant.)
INTENDANT: Halte! Ne tuez pas un innocent. Le meurtrier, c’est moi.
GOUVERNEUR: Pourquoi as-tu tué cet homme?
INTENDANT: Je l’ai frappé avec un marteau parce qu’il m’a volé mon bien. S’il y a
quelqu’un à punir, c’est moi et personne d’autre.
GOUVERNEUR: Relâchez le chrétien et décollez le musulman.
MEDECIN: Halte! Le meurtrier, c’est moi et moi seul! Cette nuit, un homme et une
femme ont amené chez moi ce bossu malade. Je l’ai malencontreusement heurté en
voulant l’examiner, je l’aurai tué par inadvertance.
GOUVERNEUR: Relâchez le musulman, décapitez le juif.
TAILLEUR: Halte! C’est moi le meurtrier. Avec ma femme, nous avons trouvé ce
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mendiant devant notre porte. Ma femme a voulu lui donner à manger du poisson frit
que nous venions d’acheter. Une arête s’est piquée dans son gosier, il en est mort.
Alors, nous l’avons conduit chez le médecin. Voilà toute l’histoire.
GOUVERNEUR: Relâchez le juif et raccourcissez le tailleur Byzantin.
(A ce moment, le bossu qu’on avait un peu oublié tombe en avant, ce qui a
pour effet de déloger l’arête de son gosier. Il tousse, crache, se redresse, aussi ahuri
que l’assistance.)
TOUS: Il n’est pas mort!
BOSSU: Qui? Moi?
TOUS: Oui, toi!
BOURREAU: Dois-je lui couper la tête?
GOUVERNEUR: Range ton cimeterre, bourreau. Tout est bien qui finit bien. Il n’y a
plus de meurtre, donc plus de coupable.
TOUS: Vive le gouverneur!
BOURREAU (au public): Tout cela me fatigue inutilement. On prépare celui-ci, on
retire celui-là et finalement personne n’est décapité.
(Tous sortent en discutant joyeusement.)
Le maître des enchères- les esclaves- la foule- Anîs la belle esclave- Nûr
ad-Dîn ‘Ali- Shahrâzâd- six courtisans- l’intendant- les marchands- le vizir- le
garde.
MAÎTRE DES ENCHÈRES: Approchez! Approchez! Admirez mes belles esclaves,
venues des quatre coins de l’empire de notre sultan bien aimé Haroun al-Râchid.
(s’avance Nûr ad-Dîn ‘Ali. Les esclaves se trémoussent et dansent.)
Admire cette beauté enchanteresse, seigneur Nûr ad-Dîn ‘Ali, c’est une affaire
unique: taille mince, yeux ambrés de fard, ovale parfait de la joue, hanche fine et
croupe généreuse, un corps plus harmonieux qu’un rameau ployé.
NUR: Combien la vends-tu?
M.ENCHÈRES: 10.000 dinars. C’est peu au vu des mets raffinés qu’elle mange, des
nectars divins qu’elle boit. Elle sait la (prononcer al) calligraphie, la grammaire, le (el)
vocabulaire, le droit, la religion, la médecine, l’astronomie et elle joue
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TABLEAU 12 LA BELLE ESCLAVE
merveilleusement de la musique.
NUR: Je voudrais entendre cela.
(l’esclave chante en s’accompagnant.)
M.E.: Je la destinais à notre sultan, mais si elle te plait, je te la cède car tu m’es fort
sympathique.
NUR: Affaire conclue, voici tes 10.000 dinars.
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la huit cent neuvième nuit, elle dit:
SHAHRÂZÂD: Nûr ad-Dîn ‘Ali était tombé amoureux de la belle esclave. Il l’emmena
chez lui et ce qui devait arriver arriva (pudiquement des voiles sont tendus pour
cacher la scène). Hélas, son père qui était très âgé s’en vint à mourir. Nûr ad-Dîn ‘Ali
en fut très affecté, mais l’héritage considérable qu’il reçut, cautérisa les plaies de son
coeur. Alors, il se mit à donner plus que de raison à tous ceux qui venaient le
solliciter. Tous le flattaient:
COURTISAN 1: Seigneur, il n’est pas mort vraiment celui qui se survit en un homme
tel que toi.
(Nur lui lance une bourse bien pleine.)
COURTISAN 2: Tu es grand et généreux, Nûr ad-Dîn ‘Ali. (même jeu.)
COURTISAN 3: Ta bonté n’a d’égal que ta beauté. Ton coeur n’a d’égal que ton
âme.
SHAHRÂZÂD: Générosité que lui reprocha habilement son intendant:
INTENDANT: Monseigneur, les richesses ne sont pas comme le fleuve nourricier du
sultan, mais susurre plutôt telle une mince source cristalline.
NUR (tout en distribuant encore et encore): Je veille sur mes deniers.
Si, tenant en main la fortune,
Je me montre peu généreux,
alors, mort à ma main,
inertie de ma jambe
paralysie de ma langue!
Montrez-moi un avare qui a gagné la gloire
grâce à son avarice,
Montrez-moi un prodigue
mort de sa générosité!
(Refrain: Nûr ad dîn ‘Ali sur la musique.)
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Sache bien ceci, intendant: libre à toi de trouver le déjeuner exagéré, tu ne
m’en feras pas davantage de souci pour le dîner.
(L’intendant dépité retourne à ses affaires tandis que Nûr ad-Dîn ‘Ali continue
à dilapider.)
NUR (au courtisan 4): Prends, c’est à toi.
COURTISAN 5: Seigneur, cette maison-là est superbe.
NUR: Prends donc! Elle est à toi.
COURTISAN 6: Seigneur, cette jument est fringante.
NUR: Prends-la! Elle est à toi.
(Revient l’intendant soucieux, deux rouleaux à la main.)
NUR: Hé Bien, que se passe-t-il encore?
INTENDANT: Seigneur, ce que je craignais pour toi est arrivé.
NUR: Que veux-tu dire?
INTENDANT (déroulant le premier rouleau): Voici la liste des dépenses; (Il déroule le
second qui est vierge) et celle des acquis. Il ne reste plus un seul dirham en caisse.
(Pendant ce temps, les invités, sentant le vent tourner, se sont éclipsés. Nûr
ad-Dîn ‘Ali s’en rend compte, s’en étonne. Ses épaules retombent. Il se tourne vers
son esclave favorite.)
NUR: Anîs al-Jalîs, que penses-tu de tout ceci?
ANIS: Seigneur, voilà des nuits que je me proposais de te parler de la situation, mais
je ne suis que ton esclave et ne puis, à ce titre, te donner de conseils.
NUR: Je n’ai donné ma fortune qu’à des amis. Ils ne vont pas, à présent, me refuser
la charité?
ANIS: Je parierai le contraire.
NUR: Je vais dès maintenant frapper à leur porte et voir si j’obtiens retour à ma
générosité. Alors, je m’engagerai dans le négoce. Finis les plaisirs et les
amusements!
(Mime: il va d’une porte à l’autre sur une musique triste. A chaque fois, on lui
fait comprendre qu’il ne doit pas insister. La dernière reste close.)
L’homme, au temps du bonheur, est pareil à un arbre
dont tous les fruits tant qu’ils durent
attirent les gens tout autour.
Mais quand la saison des fruits se termine
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les gens s’en vont, les gens s’enfuient,
le laissant seul supporter la poussière
affronter la chaleur.
La peste soit de ce siècle
puisqu’il n’en reste aucun au coeur pur.
(…)
Shahrârâd- Fatima- Ma’rûf- le marchand- les soldats- le cadi- le génie du
mur- la foule- Ali- foule 2- 4 marchands- les mendiants- Le calife- le vizir- Aziza-
les servantes- paysan- génie- autres marchands- les acrobates- Farj-
SHAHRÂZÂD: On raconte encore, O sire, roi bienheureux, que vivait dans la ville du
Caire la bien gardée, un brave savetier dont le métier était de rapetasser de vieilles
chaussures. Il se nommait Ma’rûf. Il était affligé d’une épouse terrible appelée
Fâtima, mais que l’on surnommait la mégère inapprivoisée. A tout propos, elle lui
cherchait querelle.
FÂTIMA: Ma’rûf! Ma’rûf!
MA’RÛF: Ouiiii?...
FATIMA: Va donc m’acheter du pain de froment et du fromage.
MA’RUF: J’irai, ma princesse, dès que j’aurai gagné quelques dirhams.
FATIMA: Non, vas-y tout de suite!
MA’RUF: J’y vais, ma tendresse.
(Il s’éloigne, jette un coup d’oeil en arrière:)
Tigresse.
(Il file chez le marchand.)
MARCHAND: Du pain et du fromage, comme d’habitude, Ma’rûf.
MA’RUF: Seulement, je n’ai pas encore eu le temps de gagner le moindre sou.
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TABLEAU 13 MA’RÛF LE SAVETIER
POUR OBTENIR L’INTÉGRALITÉ DE LA PIÈCE, VEUILLEZ VOUS ADRESSER À L’AUTEUR : gehubert@numericable.fr
MARCHAND: Bah! Tu me paieras plus tard.
MA’RUF: Merci. Que Dieu récompense ton amabilité. (Il rentre chez lui.)
FATIMA: Va me chercher de la Kanâfa.
MA’RUF: J’irai, reine de sagesse, dès que...
FATIMA: Tout de suite! Et au miel!
MA’RUF: Très bien, délicatesse... (Il s’éloigne, tête basse.) Diablesse. (Au
marchand:) Cette fois, c’est de la kanâfa, et au miel qu’elle demande.
MARCHAND: J’ai de la kanâfa, mais elle est au beurre fondue. Tu me rembourseras
dans deux ou trois jours quand Dieu y pourvoira.
MA’RUF: Tu es bien brave et généreux.
(Il rentre chez lui.)
FATIMA: Mais, elle est au beurre rance, cette kanâfa! (Hurlant:) J’avais dit au miel!
(Elle lui jette à la figure.) Va m’en chercher une autre.
MA’RUF (goûtant les dégoulinures): Ogresse.
FATIMA (de loin): Que marmonnes-tu?
MA’RUF: Rien, ma déesse.
(Il s’esquive. Elle disparaît en coulisse après un haussement d’épaules. Enfin
seul:)
Anesse!
(Trouvant que cela défoule et dansant sur place, en frappant dans ses mains:)
Anesse... drôlesse... Bougresse…Ogresse... Diablesse... Tigresse...
Traîtresse... Peau d’fesse! (bis)...
SOLDATS: Tu es bien Ma’rûf, le savetier?
MA’RUF: On le dit.
SOLDATS: Suis-nous chez le cadi. Ta femme a porté plainte contre toi.
MA’RUF: Et pourquoi cela?
(Pour toute réponse, ils l’emmènent auprès du chef de la police.)
CADI: Homme, ne crains-tu pas Dieu pour avoir battu ta femme?
MA’RUF: Hein? C’est plutôt elle qui me tyrannise. Interrogez tous les voisins, ils
vous diront la vérité.
CADI: C’est bon pour cette fois, mais qu’on ne te revoit plus en ville. Pour mes
honoraires, je confisque tous tes outils.
MA’RUF: Mais, comment pourrais-je travailler pour rembourser mes dettes?
CADI: Hors de ma vue!
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(Les deux soldats éjectent le pauvre Ma’ruf.)
MA’RÛF: Que vais-je devenir? Mon Dieu, je te supplie de me transporter en une
terre lointaine où ma femme ne saura me retrouver.
(L’un des murs se fend. En sort un être de haute taille, assez hideux.)
GÉNIE DU MUR: Qu’as-tu à m’importuner de la sorte?
Homme! Qui t’a donc mis à la porte?
Il y a deux cent ans, c’est sûr,
que je suis le génie de ce mur,
où personne, mille damnations!
ne m’a dérangé par ses lamentations.
Ainsi, tu voudrais que je te conduise
Loin de l’épouse qui te tyranise.
MA’RUF: Oh! Oui.
GÉNIE: Alors, saute sur mon dos! Embarqu’ment immédiat
Arrimez vos turbans, quittons le califat!
(Ils s’envolent, la nuit tombe.)
CONTEUR: Et l’aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son récit. Lorsque
ce fut la 997ème nuit, elle dit:
SHAHRÂZÂD: On raconte encore, sire, O roi bienheureux que le génie du mur avait
transporté Ma’rûf sur son dos toute la nuit et le déposa au matin à l’entrée d’une ville
inconnue.
(Mime: Ma’rûf fait signe au revoir au génie qui reprend son envol. Puis il
descend vers les souks où les gens le regardent avec curiosité. Ils s’assemblent
autour de lui, s’étonnent de le voir habillé ainsi. La foule lui demande:)
FOULE: D’où viens-tu, étranger?
MA’RUF: De la ville du Caire.
FOULE: Depuis quand l’as-tu quittée?
MA’RUF: Hier dans l’après-midi.
(Oh! de surprise de la foule.)
FOULE: Es-tu fous pour tenir de pareils propos? Il y a entre notre ville et le Caire la
distance d’une année de marche.
MA’RUF: C’est vous qui êtes fous! Je ne dis que la stricte vérité. A preuve, il me
reste de la kanâfa, une spécialité égyptienne.
(Tous goûtent les restes de kanâfa sur son vêtement, chacun répétant le nom
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du gâteau en hochant la tête.)
ALI (survenant): Mon frère, quel est ton nom?
(La foule répétera en sourdine.)
MA’RUF: Ma’rûf, savetier de mon métier.
ALI: D’où es-tu? (idem.)
MA’RUF: Du Caire.
ALI: De quel quartier?
MA’RUF: J’habite la Ruelle Rouge.
ALI: Qui connais-tu dans cette rue?
MA’RUF: Yazid, le marchand et le Cheikh Ahmad, le vendeur de parfums, c’est mon
cousin.
ALI: Comment se porte-t-il?
MA’RUF: Bien, très bien.
ALI: Combien a-t-il d’enfants?
MA’RUF: Trois: Mustapha, Muhammad et Alî.
ALI: Que font-ils?
MA’RUF: Mustapha est savant, il enseigne. Muhammad est parfumeur comme son
père. Quant à Ali, mon ami d’enfance, on ne sait, hélas, ce qu’il est devenu.
ALI: Cet Alî-là, le fils du Cheikh Ahmad, ton ami d’enfance, c’est moi!
FOULE: C’est lui!...
(Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre. Tout le monde danse.)
SHAHRÂZÂD: Ils se racontèrent mutuellement leur odyssée, comment l’un subissait
la loi de sa mégère, comment l’autre s’était enfui après quelques grosses bêtises de
jeunesse et comment il avait amassé une petite fortune dans le commerce.
(La farandole sort.)
MA’RUF: Et moi, que dois-je faire?
ALI: Je vais te le dire, si Dieu le veut bien. Je te donne mille dinars et de beaux
vêtements. Demain matin, tu te rends au bazar où je serai déjà parmi les marchands.
Je viendrai te saluer et te témoigner les plus grandes marques de respect. Nous
parlerons tissu. A chaque fois que je t’en citerai une variété, je te demanderai si tu en
disposes. Tu me répondras bien fort: “oui, et en quantité”. Les autres commerçants
ne manqueront pas de tendre l’oreille. Avec l’argent, tu feras l’aumône aux pauvres.
Ainsi tout le monde sera convaincu que tu es un riche négociant étranger.
SHAHRÂZÂD: Et l’aube chassant la nuit, je dus interrompre mon récit. Lorsque ce
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fut la 998ème nuit, je poursuivis ainsi mon récit:
(Mime et musique: Ma’rûf arrive au souk où la vie suit son cours. Ils e pavane
assez maladroitement. Ali vient vers lui, le salue, ils parlent. Les marchands vaquent
à leurs affaires.)
ALI (à la cantonade): Mes amis, maître Ma’rûf nous fait l’honneur d’être parmi nous,
saluez-le! (Ce qu’ils font) On ne trouve personne dont la fortune ne puisse égaler la
sienne. Il a des associés dans le monde entier, en Inde, dans le Sind, au Yémen.
Maître, peut-être as-tu dans tes bagages des cotonnades de blanc laitance?
MA’RUF (en jetant des pièces aux mendiants): Oui, et en abondance.
ALI: Des soieries aux mille nuances?
MA’RUF: Oui, et en abondance.
MARCHAND 1: Du drap dit djûkh, de préférence?
MA’RUF: Oui, et en abondance.
MARCHAND 2: Des voiles transparents, excellence?
MA’RUF: Oui, et en abondance.
MARCHAND 3: Du lainage de Byzance?
MA’RUF: Oui, et en abondance.
ALI: Que vous disais-je! Commandez, maître Ma’rûf livre avec diligence.
MARCHAND 4: Mille coupons de toiles couleur garance!
TOUS: Oui, et en abondance.
MARCHAND 1: Des charges de tissu blanc laitance!
TOUS: Oui, et en abondance.
MARCHAND 2: Des tulles couleur faïence!
TOUS: Oui, et en abondance.
MARCHAND 3: Des étoffes et de la ganse!
TOUS: Oui, et en abondance.
MARCHAND 4: Des mousselines avec brillances!
TOUS: Oui, et en abondance.
SHAHRÂZÂD: Ma’rûf dilapida les mille dinars. Il en emprunta autant à chaque
marchand, trop heureux de lui rendre service, leur disant: “rubis sur l’ongle, Ma’rûf au
double vous le rendra, quand son chargement de tissus arrivera.” Ali s’en inquiéta.
ALI: O Ma’rûf, à quoi joues-tu? Comment feras-tu pour les rembourser, alors que tu
ne vends ni n’achète rien?
MA’RUF: En voilà une affaire. Rubis sur l’ongle, Ma’rûf au double vous le rendra,
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quand son chargement de tissus arrivera.
ALI: Tu as un chargement en instance?
MA’RUF: Oui, et en abondance.
ALI: Que Dieu ait pitié de ton imprudence. Veux-tu me leurrer, moi, Ali, qui t’ai
indiqué la combine.
MA’RÛF: Suis-je, le Ma’rûf dans la débine? Ou riche de tissus, de rubis? de
diamants, d’esclaves maghrébines? d’émeraudes d’Ethiopie? de perles rares et
fines? Et tutti quanti! (Il s’éloigne pour recevoir d’une main et distribuer de l’autre.) Je
reçois... (jongle d’une main à l’autre) je donne... Je reçois... (idem).
ALI (au public): Je l’ai porté aux nues. Si je le dénigre maintenant, je passerai pour
un menteur.
(Les marchands l’entourent tandis que Ma’rûf s’éloigne entouré d’une meute
de mendiants.)
TOUS: Ali, ton ami donne notre or à ces miséreux sans compter. Quand sa caravane
arrivera-t-elle pour nous rembourser?
ALI: M’avez-vous consulté pour lui donner votre argent? Alors, adressez-vous au
calife!
MARCHAND 1: Allons-y de ce pas, mes amis!
(Ali se détourne et s’esquive. Les marchands excédés se rendent aussitôt
chez le sultan.)
CALIFE: Vous m’avez demandé audience. Quels sont vos griefs?
MARCHANDS: Roi de ce temps, nous ne savons que penser de ce marchand à la
générosité excessive. Tout l’or qu’il nous emprunte, il le distribue par poignées aux
pauvres. Or, nous ne voyons pas venir les marchandises en abondance qu’il nous
promet pour nos dédommager.
CALIFE: Comment dites-vous qu’il s’appelle?
MARCHANDS: Ma’rûf.
CALIFE: Ma’rûf...Ne vous inquiétez plus de rien, je m’occupe de tout.
MARCHANDS: Merci, roi de ce temps. Nous nous retirons en attendant de tes
nouvelles.
CALIFE (à son vizir quand les marchands sont sortis, à reculons): Si ce commerçant
ne possédait pas une fortune considérable, crois-tu qu’il se montrerait aussi
généreux Ja’far?
VIZIR: A moins qu’il soit fou.
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CALIFE: Ses marchandises finiront bien par arriver. Ce que veulent lui prendre ces
marchands, c’est moi qui le lui prendrai.
VIZIR: Sire, roi de ce temps, pour moi, c’est un escroc.
CALIFE: Et je lui donnerai volontiers ma fille en mariage, ainsi, nous joindrons nos
deux fortunes. (Le vizir fait grise mine). Oui, tu es jaloux parce que je t’ai refusé la
main de la princesse Aziza. Je vais le mettre à l’épreuve. Fais-le chercher tout de
suite.
(Le vizir a à peine le temps d’aller jusqu’à la coulisse que se présente Ma’rûf.)
CALIFE: Est-ce bien toi, Ma’rûf le marchand auquel les négociants de la place
prétendent avoir avancé soixante mille dinars? Pourquoi ne les rembourses-tu pas?
MA’RÛF: Ils attendront jusqu’à ce qu’arrivent mes marchandises et je leur rendrai le
double.
CALIFE: Marchand, regarde cette perle, une pièce unique, et dis-m’en la valeur.
(Ma’rûf, sûr de lui, y jette un regard dédaigneux et l’écrase entre deux doigts)
Pourquoi l’as-tu écrasée?
MA’RÛF: Calife Haroun al-Rachid, commandeur des croyants, ce n’est pas une
perle, mais un corail qui vaut tout juste mille dinars. Moi, je possède des vraies
perles, et en abondance.
CALIFE: M’en donnerais-tu?
MA’RÛF: A l’arrivée de mon chargement, de quoi faire un triple collier à la reine et un
quadruple à la princesse Aziza.
VIZIR (en aparté): Roi de ce temps, cet homme hâbleur et fanfaron me déplait. C’est
un aigrefin et un menteur.
(Le calife le rejette d’un geste.)
CALIFE: A ce propos, connais-tu ma fille.
MA’RÛF: J’en ai entendu parler comme une des merveilles de ce monde.
(Haroun al-Rachid, d’un geste, signifie à son vizir de faire la démarche
souhaitée. Celui-ci s’exécute de mauvaise grâce.)
VIZIR: Le commandeur des croyants se demande s’il ne te la proposerait pas en
mariage.
MA’RÛF: A la bonne heure! Seulement, il doit attendre qu’arrive mon chargement.
La dot d’une fille de roi est chose trop importante et doit être à la mesure, à la
mesure de son rang. Qu’il patiente jusqu’à l’arrivée de mes marchandises, je dispose
d’une fortune considérable et j’estime que cette dot doit s’élever à cinq mille kîs. (se
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parlant à lui-même et tournant en rond: L’assistance: refrain kîs... kîs-kis.) Il me
faudra mille autres kîs pour les indigents, cent kîs pour les servantes, mille kîs pour
le cortège, cent kîs pour les esclaves, mille kîs pour la nuit nuptiale, cent kîs pour les
parfums, mille kîss pour les costumes, cent kîs pour toutes les fleurs, mille kîs pour
les bijoux, cent kîs pour les flambeaux, mille kîss pour les colliers...
(fin mimée muettement, le rythme continuant sur la réplique suivante.)
CALIFE( à son vizir): Un homme qui manifeste de pareilles intentions ne peut être un
escroc ou un menteur. Arrête tes calomnies ou je te ferai mettre à mort. (A ma’rûf:)
Ne parlons plus de tes marchandises, mon fils. Mon trésor regorge de richesses, en
voici la clef. Prends-la, dépense autant que tu as besoin. Lorsque tes marchandises
seront arrivées, sois aussi généreux avec ton épouse. Pour la dot, nous
patienterons. Désormais, nous ne ferons plus qu’un toi et moi. Que le Cheikh al-
Islam rédige l’acte de mariage et qu’on organise sur-le-champ les festivités!
VIZIR: Avant l’arrivée de ses marchandises?
CALIFE: Oui car tel est mon bon vouloir et mon gendre me remboursera au
centuple.
(La fête grandiose du mariage s’organise: tablées garnies, guirlandes,
jongleurs... tandis que le grand vizir se renfrogne. La princesse se présente au milieu
de sa cour. Mariage. La noce se fige quand Shahrâzâd parle.)
SHAHRÂZÂD: Et l’aube chassant la nuit de noce, je préfère laisser tomber un voile
pudique sur mon récit. Lorsque ce fut la 999ème nuit, je repris mon histoire. Le calife
Haroun al-Rachid eut un réveil douloureux.
(…)
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POUR OBTENIR L’INTÉGRALITÉ DE LA PIÈCE, VEUILLEZ VOUS ADRESSER À L’AUTEUR : gehubert@numericable.fr
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