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UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE
Compréhension de l’ironie
chez l’enfant : rôle des
théories de l’esprit
Mouzaoui Sabrina
2010-2011
Sous la direction de Mme Stéphanie Caillies, Maître de conférence
REMERCIEMENTS
Je tiens à adresser mes remerciements les plus sincères à toutes les personnes qui ont
contribué de près ou de loin à l'élaboration de ce mémoire.
Tout d’abord, je souhaiterais adresser toute ma gratitude à ma directrice de mémoire,
Mme Stéphanie Caillies, pour sa patience, sa disponibilité et surtout ses judicieux conseils,
qui ont contribué à alimenter ma réflexion.
Je remercie également Mme Isabelle de GOSTOWSKI (directrice de l’école Nicolas
Roland, Reims) ainsi que Mr Bertrand DUBOIS (directeur de l’école élémentaire Blanche
Cavarrot, Reims), sans qui nous n’aurions pas pu réaliser nos passations. Je les remercie de
leur accueil chaleureux ainsi que de leur bienveillance pour tout le temps que nous avons
passé dans leur établissement respectif.
Je tiens aussi à remercier tous les parents ayant autorisés leur(s) enfant(s) à participer à
l’élaboration de ce travail de recherche, ainsi que les enfants eux-mêmes.
Enfin, je voudrais exprimer ma reconnaissance envers les amis et collègues qui m’ont
apporté leur soutien moral et intellectuel tout au long de ma démarche.
RESUME
L’objectif de cette étude était de tester l’hypothèse selon laquelle les compétences en
théories de l’esprit sont des pré-requis à la compréhension de l’ironie verbale. Une distinction
a été incluse dans cette étude entre l’ironie sur soi et l’ironie sur autrui. Nous avons formulé
l’hypothèse que la théorie de l’esprit de premier ordre prédit la capacité à comprendre l’ironie
sur soi et que la théorie de l’esprit de second ordre prédit la capacité à comprendre l’ironie sur
autrui. Un échantillon d’enfants de 5, 6 et 7 ans a été recruté pour répondre à des tâches de
théories de l’esprit (trois tâches de théorie de l’esprit de premier ordre et deux tâches de
théorie de l’esprit de second ordre) et à une tâche de compréhension de l’ironie. Les résultats
montrent que la théorie de l’esprit de premier ordre prédit les compétences en compréhension
de l’ironie sur soi mais la compréhension de l’ironie sur autrui n’est pas reliée à l’acquisition
de la théorie de l’esprit de second ordre.
ABSTRACT
The aim of this study was to test the hypothesis according to which theories of the
mind competence are prerequisites to understanding verbal irony. A distinction has been
included in this study between self-irony and irony on others. We hypothesized that the first-
order’s theory of mind predicted the ability to understand self-irony and that second-order’s
theory of mind predicted the capacity to understand irony on others. A sample of children (5,
6 and 7 years-old) were recruited. Three tasks of first-order’s theory of mind, two tasks of
second-order’s theory of mind and a task of irony understanding were used. The results show
that first-order’s theory of mind predicted self-irony understanding and that irony on other’s
understanding is not related to the acquisition of second-order’s theory of mind.
SOMMAIRE
RESUME/ABSTRACT
1. Introduction ..................................................................................................................... 6
2. Cadre théorique .............................................................................................................. 7
2.1. L’ironie verbale ......................................................................................................... 7
2.2. Développement de la compréhension de l’ironie ...................................................... 9
2.3. Les déterminants de la compréhension de l’ironie .................................................. 12
2.3.1. La théorie de l’esprit ................................................................................. 12
2.3.2. Langage figuré et théorie de l’esprit ......................................................... 14
2.4. Problématique .......................................................................................................... 16
3. Méthodologie ................................................................................................................. 17
3.1. Participants .............................................................................................................. 17
3.2. Matériel .................................................................................................................... 18
3.3. Procédure ................................................................................................................. 20
3.4. Cotation ................................................................................................................... 21
4. Résultats ......................................................................................................................... 22
5. Discussion ....................................................................................................................... 31
6. Conclusion ..................................................................................................................... 35
Bibliographie ......................................................................................................................... 37
ANNEXES
1. Introduction
Le langage est un système structuré dont l’une des principales fonctions est de
communiquer. D’après le Dictionnaire fondamental de la psychologie (1997), le langage
constitue une « faculté humaine qui, au moyen d’un système conventionnel de signes et de
symboles reliés entre eux par des règles, exprimés dans un mode oral, écrit ou gestuel, sert
de principal moyen de communication des idées et des émotions entre les individus et
d’outil d’élaboration et d’expression de la pensée chez l’individu ». Dès sa naissance,
l’enfant se retrouve dans un bain de communication « naturel », auquel il va être exposé
régulièrement, faisant ainsi l’expérience de conduites conversationnelles adaptées. Une
diversité de mécanismes cognitifs ainsi que des outils linguistiques vont progressivement se
développer puis se complexifier pour permettre à l’enfant d’avoir accès à la dimension
pragmatique du langage, c’est-à-dire avoir accès à la capacité à prendre en compte le
contexte du discours (linguistique et situationnel) et aux compétences nécessaires à l’usage
du langage dans les situations de communication avec autrui. Ces capacités pragmatiques
sont principalement utilisées dans les situations de communication où l’interprétation des
énoncés dépend du contexte, c’est-à-dire à chaque fois que le langage n’est pas transparent.
Dès lors que les mécanismes cognitifs et les outils linguistiques le permettent, les énoncés
non littéraux ou langage figuré, pourront être traités au-delà de leur signification littérale. Au
fur et à mesure que l’enfant grandit, il va développer des compétences qui vont l’amener à
détecter le sens implicite de certains énoncés non transparents, couramment utilisés dans la
vie quotidienne. Dans cette étude, nous allons nous intéresser tout particulièrement à l’ironie
qui est un style langagier particulier compris dans ce que l’on appelle le langage figuré.
L’enfant y est confronté régulièrement, chez lui lorsqu’il écoute ses parents parler ou
lorsqu’il regarde la télévision, mais également à l’école, dans la rue, … Depuis plusieurs
décennies, le langage a été très largement étudié et il a été montré que le développement de
celui-ci est en étroite collaboration avec le développement de la théorie de l’esprit. Ces
observations nous ont conduits à nous poser quelques questions à propos de la
compréhension de l’ironie chez des enfants d’âges scolaires. En effet, il nous a paru
intéressant de déterminer comment se développe cette compréhension de l’ironie chez les
enfants, à quel moment dans le développement de l’enfant mais il nous a paru encore plus
intéressant de déterminer précisément quels liens il pouvait y avoir entre la compréhension
de l’ironie et les théories de l’esprit.
2. Cadre théorique
2.1. L’ironie verbale
L’encyclopédie Larousse en ligne définit l’ironie comme une « manière de railler, de
se moquer en ne donnant pas aux mots leur valeur réelle ou complète, ou en faisant entendre
le contraire de ce que l'on dit ». Autrement dit, l’ironie désigne un décalage entre le discours
et la réalité, entre deux réalités ou plus généralement entre deux perspectives, qui produit de
l'incongruité. L'ironie recouvre un ensemble de phénomènes distincts dont les principaux
sont l'ironie verbale et l'ironie situationnelle1. L’ironie situationnelle (ou ironie de fait)
renvoie aux situations, aux états du monde, qui sont perçus comme étant ironiques comme
pourrait l’être une caserne de pompiers qui brûle. L’ironie verbale, quant à elle, est celle qui
s’avère être la plus intéressante à étudier en psychologie. Il s’agit d’une forme de langage
non-littéral, c'est-à-dire un énoncé dans lequel ce qui est dit diffère de ce qui est signifié.
L’intérêt d’étudier l’ironie verbale indépendamment des autres styles figurés, tels que les
expressions idiomatiques et les métaphores, concerne le fait que le lien entre le dit et le
signifié n’est pas analogique comme c’est le cas pour les métaphores, ni conventionnel
comme c’est le cas pour les expressions idiomatiques.
Selon Colston et O’Brien (2000), l’ironie verbale aurait plusieurs fonctions,
essentiellement pragmatiques. D’autres auteurs ont, quant à eux, étudié particulièrement
deux fonctions : la fonction critique (critique ironique) et la fonction élogieuse (compliment
ironique) de l’ironie. Pexman et Glenwright (2007) ont effectivement réalisé une étude dans
laquelle elles postulaient qu’un jugement sur les croyances du locuteur était plus facile
lorsque celui-ci formulait une critique ironique plutôt qu’un compliment ironique. Pour
tester leur hypothèse, elles ont fait appel à une population d’enfants dont l’âge variait entre 6
et 10 ans. Elles ont utilisé 12 scènes de marionnettes qui se terminaient soit par une critique
ironique, soit par une critique littérale, soit par un compliment ironique, soit par un
compliment littéral. Une échelle en 5 points allant de « très gentil » (very nice) à « très
méchant » (very mean) a été utilisée pour évaluer les perceptions que les enfants pouvaient
avoir concernant l’attitude du locuteur vis-à-vis de la cible. Les résultats de cette étude ont
permis de montrer la difficulté de traitement des compliments ironiques comparés aux
critiques ironiques. Gibbs (2000) explique cela par le fait que les critiques sont plus
« conventionnelles » que les compliments, ce qui engendre une moindre expérience des
1 Pour plus d’informations voir les travaux de Ivanko et Pexman (2003) et de Gerrig et Goldvarg (2000).
enfants concernant les compliments comparés aux critiques, donc une plus grande difficulté
de traitement.
L’analyse théorique de la compréhension de l’ironie s’est faite au travers de diverses
théories, notamment les théories échoïques comprenant la théorie du « rappel échoïque »
(Kreuz & Glucksberg, 1989) et la théorie de la « mention échoïque » (Sperber & Wilson,
1995). Selon ces théories, les auditeurs comprennent les énoncés ironiques en faisant appel à
des pensées, implicites ou explicites, aux comportements, aux énoncés eux-mêmes, ou aux
normes sociales (Kreuz et al., 1989 ; Sperber et al., 1995). Selon Sperber et al. (1995),
l’ironie serait une forme spéciale de la mention du langage par laquelle un locuteur répète
une proposition ou une pensée attribuée à quelqu’un d’autre et, de par cette répétition ou
écho, le locuteur fait connaître à l’interlocuteur son attitude vis-à-vis de son contenu. Dès
lors, l’ironie serait l’interprétation d’une interprétation d’un contenu répété. La
reconnaissance de l’intention du locuteur qui produit un énoncé ironique présuppose que
celui qui l’interprète reconnaît la répétition d’une pensée ou d’une proposition ainsi que
l’attitude du locuteur envers cette pensée ou cette proposition. L’ironie impliquerait donc
une double interprétation et donc une double reconnaissance de l’intention du locuteur. En
d’autres termes, pour comprendre qu’un énoncé est ironique, l’interlocuteur doit mettre en
œuvre des compétences pragmatiques qui lui permettront de reconnaître le caractère
échoïque de l’énoncé mais également de reconnaître l’attitude dégagée, c’est-à-dire sa
fonction. La théorie de la « double négation » a, quant à elle, été proposée par Giora (1995).
Cette théorie suggère que l’ironie est une forme de négation qui n’est pas explicitement
marquée dans un énoncé. Pour comprendre la remarque, celui qui la perçoit ne doit pas
supprimer le message littéral mais plutôt le comparer à sa signification implicite : le sens
non-littéral d’un énoncé ironique n’est pas la négation directe de sa forme littérale. Cette
théorie offre une nouvelle explication de la différence qu’il peut y avoir entre l’interprétation
d’une critique ironique et l’interprétation d’un compliment ironique. En effet, pour pouvoir
inférer que l’intention du locuteur, qui fait un compliment en utilisant une phrase ironique
avec une négation explicite, est de donner un commentaire positif, l’auditeur doit nier une
déclaration négative. Cette « double négation » serait donc plus difficile que la négation
simple nécessaire à la compréhension d’une critique ironique. Par exemple, si le locuteur
dit « Tu n’es pas un super joueur de foot » alors que l’interlocuteur a marqué de nombreux
buts, l’auditeur doit nier que la cible du commentaire n’est pas un super joueur de foot pour
pouvoir inférer le compliment (la négation est double : ce n’est pas vrai que ce n’est pas un
super joueur donc c’est un super joueur de foot) alors que si le locuteur dit « Tu es un super
joueur de foot » alors que la cible du commentaire a manqué de nombreuses occasions de
marquer, l’auditeur doit simplement nier que la cible est un super joueur de foot (la négation
est simple: ce n’est pas vrai que c’est un super joueur donc ce n’est pas un super joueur de
foot).
Toutes ces théories constituent une certaine base pouvant expliquer comment se
déroule le traitement des énoncés ironiques mais ceci spécifiquement chez les adultes. Or,
certains auteurs postulent que la compréhension de l’ironie chez les enfants serait facilitée
par la mention échoïque (Hancock, Dunham & Purdy, 2000 ; Keenan & Quigley, 1999)
alors que d’autres postulent qu’une explication développementale de la compréhension de
l’ironie requiert plus qu’une simple reformulation des théories adultes dans le sens où la
compréhension de l’ironie nécessite des habiletés cognitives particulières et une
connaissance sociale assez développée qui sont en place chez l’adulte mais qui sont en
développement chez l’enfant (Pexman et al., 2007).
2.2. Développement de la compréhension de l’ironie
Selon Ackerman (1983), la compréhension de l’ironie par les enfants nécessite
l’intervention de deux processus cognitifs : la détection et l’inférence. En premier lieu,
l’enfant va devoir détecter si la forme littérale de l’énoncé permet de déduire les croyances
du locuteur. Si ce n’est pas le cas, l’enfant va devoir inférer le message implicite véhiculé
par le locuteur grâce à son attitude. Autrement dit, l’enfant va inférer l’intention du locuteur.
La mise en œuvre de ces processus étant complexe pour les enfants, il est facile d’en déduire
que la capacité de traitement de l’ironie est une compétence qui va s’acquérir à un âge
relativement tardif. Cependant, si l’on se base sur la littérature traitant de la compréhension
de l’ironie, il semblerait qu’aucun consensus n’ait été trouvé quant à l’âge auquel cette
compétence serait réellement acquise. Le seul aspect sur lequel tous les auteurs s’accordent,
c’est que l’ironie est la forme de langage la plus difficile à acquérir pour les enfants.
Plusieurs auteurs se sont accordés à dire que la reconnaissance de l’ironie débute aux
alentours de 5-6 ans, c’est-à-dire que l’enfant va commencer à détecter que le locuteur qui
fait une remarque ironique ne croit pas ce qu’il dit littéralement (Ackerman, 1981 ; Andrews,
Rosenblatt, Malkus, Gardner, & Winner, 1986 ; Harris & Pexman, 2003 ; Pexman &
Glenwright, 2007). Cependant, d’autres auteurs s’accordent à dire que cette capacité est
encore en développement à l’âge de 13 ans (Demorest, Meyer, Phelps, Gardner, & Winner,
1984). Dans le tableau 1 ci-dessous, le développement de la compréhension de l’ironie est
décrit à la lumière des travaux de plusieurs autres auteurs.
Tableau 1 : Capacités et limites dans la compréhension de l’ironie en fonction de l’âge et de
différents auteurs.
Ages Auteurs Capacités Limites
4-5 Monbaron et
Berthoud
(2005)
Compréhension et explication littérales des
énoncés ironiques
Pas de
compréhension de
l’ironie
6 Monbaron et
Berthoud
(2005)
Début de compréhension de l’ironie
Utilisation du contexte
Compréhension
partielle de l’ironie
Compréhension
littérale toujours
présente
7-8 Monbaron et
Berthoud
(2005)
Compréhension de l’ironie
Mention de l’intention du locuteur pour
expliquer le décalage entre ce qui est dit et
ce qui est signifié
5-6 Pexman et
al. (2006)2
Utilisation compétente des traits de
personnalité pour déduire les désirs et
prédire les comportements
Incapacité
d’interpréter
correctement les
croyances et
intentions des
locuteurs
58 Pexman et
al. (2006)
Augmentation progressive mais
considérable de la capacité à reconnaître
les croyances et les intentions (pour les
critiques ironiques)
Traitement plus long
des compliments
ironiques et plus
d’erreurs comparés
aux critiques
ironiques
610 Pexman et
Glenwright
(2007)
Pour les critiques ironiques :
1.Compréhension des croyances (6 ans)
2.Compréhension des intentions (7-8 ans)
3.Compréhension des attitudes (9-10 ans)3
Pas de
compréhension des
attitudes du locuteur
pour les
compliments
ironiques
10
…
Pexman et
Glenwright
(2007)
Emergence de la compréhension des
attitudes du locuteur pour les compliments
ironiques
2 Pexman, Glenwright, Hala, Kowbel, & Jungen (2006).
3 Ordre d’acquisition de la compréhension des critiques ironiques.
7
Harris et
Pexman (2003)
Reconnaissance de l’intention du locuteur
d’être ironique
8
Harris et
Pexman (2003)
Emergence d’une compréhension des
compliments ironiques
58
Harris et
Pexman (2003)
Développement de la compréhension de
l’aspect humoristique de l’ironie
9-10 Pexman et
al. (2005) Reconnaissance de l’humour et de la
raillerie dans les critiques ironiques
D’après une étude de Gibbs (2000), il semblerait que l’ironie verbale soit utilisée
avec une certaine fréquence dans le langage de tous les jours. En effet, il rapporte que
l’ironie est utilisée dans 8% des tours de paroles lors d’une conversation entre amis. Dès lors,
plusieurs auteurs ont cherché à savoir si la relation qui existe entre le locuteur et
l’interlocuteur pouvait constituer un contexte favorable pour la compréhension de l’ironie
verbale. Pexman et Zwaigne (2004) ont alors voulu tester l’hypothèse selon laquelle une
relation solide telle que l’amitié induirait une production plus fréquente et une
compréhension plus facile de l’ironie et donc des intentions du locuteur. Cependant, leurs
résultats ainsi que ceux de Pexman, Glenwright, Krol et James (2005) montrent que ce n’est
pas le cas, que ce soit chez des enfants de 7 à 10 ans (Pexman et al., 2005) ou chez des
adultes (Pexman et al., 2004). Pexman et al. (2004) suggère que la relation privilégiée entre
le locuteur et sa cible est un support de développement des capacités pragmatiques
impliquées dans l’ironie mais qu’elle ne permet pas d’améliorer la compréhension de
l’ironie. La relation locuteur-interlocuteur semble néanmoins avoir une influence sur la
perception de l’humour et de la moquerie des énoncés ironiques. Il convient également de
préciser que plusieurs facteurs linguistiques sont susceptibles d’influencer la compréhension
de l’ironie chez les enfants : il s’agit notamment du contexte (Ackerman, 1986 ; Laval, 2003 ;
Pexman, Glenwright, Hala, Kowbel & Jungen, 2006) et de l’intonation/prosodie (Carol,
Capelli, Nakagawa & Madden, 1990 ; Filippova & Astington, 2008).
2.3. Les déterminants de la compréhension de l’ironie
Pour accéder au sens figuré d’un énoncé ironique, l’enfant va pouvoir faire appel à
deux types de processus. Le premier relève de l’analyse (contexte, intonation,…) et le
second repose sur les théories de l’esprit (détection de l’attitude du locuteur, inférence des
intentions sous-jacentes). Dans le traitement de l’ironie, l’enfant va combiner ces deux
types de processus qui, comme nous le verrons, sont en partie interdépendants, de la même
façon que langage et théories de l’esprit sont liés.
2.3.1. La théorie de l’esprit
Premack et Woodruff (1978) sont les premiers à avoir introduit le concept de théorie
de l’esprit qui, selon eux, fait référence à la capacité à attribuer un état mental (pensées,
sentiments, idées, intentions) à soi-même ou à autrui pour expliquer et prédire des
comportements. Il s’agit d’une habileté qui a fait l’objet de nombreuses études, surtout en
psychologie cognitive, et dont certains auteurs se sont attachés à étudier les précurseurs. Ces
précurseurs incluraient notamment l’attention conjointe (Tomasello, 1995), le jugement de
l’intentionnalité (Tomasello, 1995), la reconnaissance que des personnes différentes ont des
points de vues et des perspectives différentes (Flavell, Everett, Croft, & Flavell, 1981 ;
Flavell, Flavell, Green, & Moses, 1990 ; Repacholi & Gopnik, 1997), l’utilisation de mots
exprimant les états mentaux (Shatz, Wellman, & Silber, 1983 ; Bartsch & Wellman, 1995) et
le fait de jouer à faire semblant (Leslie, 1987, 1994 ; Astington & Jenkins, 2000).
En psychologie, les tâches portant sur la théorie de l’esprit sont communément
appelées des tâches de « fausses croyances » (Wimmer & Perner, 1983). Il s’agit de tâches
testant la compréhension qu’ont les enfants des croyances erronées d’autres personnes. Pour
citer un exemple, le test des Smarties, introduit par Hogrefe, Wimmer et Perner (1986) et
repris par Perner, Leekam et Wimmer (1987), permet de mieux comprendre de quoi il s’agit.
En effet, cette tâche consiste à présenter une boîte de Smarties à un enfant et à lui demander
ce qu’elle contient. Puis, on lui révèle visuellement que la boîte contient en réalité un crayon
avant de lui poser la question suivante : « Que penses-tu qu’un autre enfant dirait à propos
de ce qu’il y a dans la boîte ? ». Cette question va permettre de voir si un enfant est capable
de réaliser un jugement sur les attentes erronées d’une autre personne. Si l’enfant comprend
les fausses croyances de l’autre, alors il possède la théorie de l’esprit et répondra que l’autre
personne pense qu’il y a des Smarties dans la boîte. Au contraire, si l’enfant ne comprend
pas les fausses croyances de l’autre, alors il ne possède pas la théorie de l’esprit et répondra
que l’autre personne pense qu’il y a un crayon dans la boîte.
De nombreux auteurs ont postulé que la théorie de l’esprit constitue plus qu’une
simple compréhension des fausses croyances de l’autre. En effet, pour Perner et Wimmer
(1985), il existe deux types différents de croyances qui jouent un rôle fondamental dans la
compréhension d’un enfant des interactions sociales : des croyances de premier ordre et de
second ordre. Celles de premier ordre se réfèrent à ce qu’un enfant pense à propos
d’évènements réels, à propos des connaissances ou des croyances d’une autre personne
(« Thomas croit/pense que Marie est en colère ») alors que celles de second ordre se réfèrent
à ce qu’un enfant pense à propos des pensées qu’a une personne à propos des croyances ou
des connaissances d’une autre personne (« Marie croit/pense que Thomas croit/pense
qu’elle est en colère »). Des études utilisant une « tâche de fausse croyance de premier
ordre », telle que la tâche des Smarties, ont notamment montré que les enfants sont capables
de comprendre les états mentaux de premier ordre approximativement vers 4 ou 5 ans
(Wellman, Cross & Watson, 2001). Quant aux études qui ont utilisé une « tâche de fausse
croyance de second ordre », elles ont notamment mis en évidence que les enfants sont
capables de comprendre les états mentaux de second ordre approximativement vers 6 ou 7
ans (Hayashi, 2002, 2007 ; Perner & Wimmer, 1985 ; Sullivan, Zaitchik & Tager-Flusberg,
1994). Cette compréhension plus tardive serait due au traitement syntaxique supplémentaire
qui est requis (« Elise pense que Martin pense qu’elle est très jolie »).
Des auteurs tels que Flavell et Miller (1998), Harris (2006) ou encore Astington et
Hughes (in press) ont, quant à eux, étudier l’importance du développement de la théorie de
l’esprit dans le développement de la cognition sociale au cours de la prime enfance. La
cognition sociale se réfère à la capacité des enfants à s’entendre avec autrui et de voir les
choses de leur point de vue, de « se mettre à leur place ». Ces auteurs ont notamment insistés
sur le fait que la théorie de l’esprit se rapporte à la compréhension des gens comme étant des
êtres ayant un mental et des états mentaux qui leur sont propres (pensées, désirs, sentiments,
croyances, intentions …). Dans ce cadre, les enfants, tout comme les adultes, se serviraient
de leur théorie de l’esprit pour expliquer leur comportement face à autrui en exprimant ce
qu’ils pensent et ce qu’ils veulent et s’en serviraient également pour interpréter les paroles et
les comportements des autres en leur attribuant des pensées et des intentions.
2.3.2. Langage figuré et théorie de l’esprit
Le langage figuré ou non littéral est défini par un décalage entre ce que dit le locuteur et
ce qu’il veut signifier à l’auditeur (par exemple, dire « il fait froid » pour signifier « ferme la
porte »). Les études qui ont abordé ce sujet ont particulièrement cherchées à appréhender le
lien entre les théories de l’esprit et la compréhension de plusieurs figures de style du langage
figuré comme les expressions idiomatiques, les métaphores ou encore l’ironie verbale.
Les études relatives à la compréhension des expressions idiomatiques indiquent que les
enfants âgés de moins de 6 ans ont tendance à interpréter les expressions idiomatiques sur un
registre littéral (Abkarian, Jones & West 1992 ; Laval, 2001 ; 2003). Même avant 7 ans, les
enfants sont déjà capables de prendre en compte le contexte pour inférer la signification des
expressions idiomatiques (Iralde, Pulido & Lainé, 2004, pour une revue). En effet, selon une
étude de Caillies et Le Sourn-Bissaoui (2006), les enfants sont en mesure de saisir le sens
figuré des expressions idiomatiques décomposables présentées dans leur contexte dès la
troisième année de maternelle (vers 5 ans), alors qu'ils ne sont capables de comprendre les
expressions idiomatiques non-décomposables que vers 7 ou 8 ans. Une autre étude de
Caillies et Le Sourn-Bissaoui (2008) avait pour objectif de faire le lien entre la
compréhension des expressions idiomatiques ambigües (décomposables et non-
décomposables) et le développement de la théorie de l’esprit chez des enfants de 5, 6 et 7
ans. Ces auteures ont pu mettre en évidence que les scores en théorie de l’esprit prédisent
uniquement la compréhension des expressions idiomatiques non-décomposables et que les
compétences en théorie de l’esprit les plus particulièrement impliquées sont celles de second
ordre.
Quant à la compréhension des métaphores, elle se développe entre 5 et 10 ans (Gardner,
1974 ; Gardner, Kircher, Winner & Perkins, 1975). Entre 5 et 7 ans, les enfants vont se
référer principalement au sens littéral de l’énoncé pour en faire une paraphrase puis,
progressivement, ils vont se détacher du sens littéral pour comprendre le sens implicite des
énoncés, cette capacité n’étant mise en place que tardivement (vers 10 ans). Une étude de
Norbury (2005) avait pour objectif de prouver le lien entre le développement de la théorie de
l’esprit et la compréhension des métaphores mais également d’étudier le rôle particulier de
cette théorie de l’esprit et des habiletés langagières dans la compréhension des métaphores.
Les résultats de cette étude étaient en accord avec le postulat de Happé (1993) selon lequel
la théorie de l’esprit est nécessaire à la compréhension des expressions métaphoriques. En
effet, il semblerait que les deux soient intimement liés mais que les compétences de premier
ordre ne suffisent pas pour comprendre les métaphores : les compétences en théorie de
l’esprit de second ordre semblent les plus à mêmes de permettre la compréhension des
métaphores, d’où l’acquisition tardive de cette compréhension dans le développement de
l’enfant.
Dans un énoncé ironique, l’intention première du locuteur est informative. Elle
correspond à une analyse littérale de ses propos mais ne reflète pas son intention
communicative. Le locuteur possède en réalité une intention « cachée » ou implicite, dite de
second ordre (Dews & al., 1996). Le locuteur vise à rendre explicite la dissociation qui
existe entre l’intention informative et l’intention communicative grâce à des indices
linguistiques et extralinguistiques qu’il transmet intentionnellement dans son énoncé. Selon
Dews et al. (1996), la capacité à saisir l’intentionnalité d’autrui joue un rôle fondamental
dans la compréhension de l’ironie. Pexman et al. (2007) postulent que l’enfant doit posséder
la théorie de l’esprit de second ordre pour pouvoir comprendre l’ironie. Quant aux résultats
de Pexman et al. (2006), ils ont permis de confirmer que la capacité à reconnaître les
croyances et les intentions du locuteur formulant une critique ironique, augmente
considérablement entre 5 et 8 ans. Les auteures postulent que cette augmentation est due à
l’influence du développement cognitif et de l’expérience sociale. Elles confirment que la
compréhension de l’ironie verbale est étroitement liée à la capacité d’inférence des états
mentaux de second ordre, c’est-à-dire à la capacité de faire des inférences
métareprésentationnelles (avoir une représentation d’une représentation).
Filippova et Astington (2008) ont réalisé une étude dont l’objectif était de faire le
lien entre théorie de l’esprit et compréhension de l’ironie chez des enfants de 5 à 9 ans et des
adultes. Elles ont utilisé un ensemble de tâches dont huit histoires ironiques et trois tâches de
théorie de l’esprit de second ordre, sous forme de petites histoires également, évaluant la
perception des croyances de second ordre, des intentions de second ordre, des motivations et
des attitudes des locuteurs. Les résultats ont montré que l’interprétation de l’ironie des
enfants de 9 ans n’atteignait pas encore le niveau des adultes. De plus, les auteures ont
confirmé que la capacité à comprendre un énoncé littéral précède la capacité à interpréter les
états mentaux du locuteur dans un énoncé non littéral, sachant que les enfants seront d’abord
capables de se représenter les croyances avant de pouvoir discerner les intentions
communicatives. Elles postulent également que des capacités pragmatiques sont nécessaires
pour comprendre l’ironie et qu’elles continuent à se développer au-delà de 10-13 ans : même
les capacités pragmatiques des adultes continuent encore à se développer.
2.4. Problématique
Dans le concept d’ironie, il semblerait qu’une autre distinction puisse être faite mais
celle-ci n’a pas encore été réellement étudiée, d’où l’intérêt de notre recherche qui va
notamment consister à différencier la compréhension de l’ironie sur soi (Jean dit : « Je
ferais bientôt parti de l’équipe de France de football ! » alors que Jean a manqué toutes ses
occasions de marquer des buts lors d’un match à l’école) de la compréhension de l’ironie
sur autrui (Aurélien dit à Marc : « Tu es vraiment la personne la plus ponctuelle que je
connaisse ! » alors que Marc est arrivé très en retard). Il convient de préciser que la plupart
des études ont porté sur la compréhension de l’ironie sur autrui (l’énoncé ironique porte sur
l’autre et pas sur soi), également dans des populations pathologiques telles que la population
autiste (Martin &Mc Donald, 2004) et la population schizophrène (Mo, Su, Chan & Liu,
2008).
Comme nous venons de le dire, le cas précis de la distinction entre compréhension de
l’ironie sur soi et compréhension de l’ironie sur autrui en lien avec la théorie de l’esprit n’a
encore jamais été étudié. En toute logique, la compréhension de l’ironie sur soi devrait être
acquise en premier lieu car elle implique que l’enfant ne prenne en compte que les états
mentaux de la personne qui se moque d’elle-même alors que la compréhension de l’ironie
sur autrui implique la prise en compte à la fois des états mentaux du locuteur et de
l’interlocuteur à qui s’adresse la remarque ironique.
Cette étude repose sur le postulat qu’il existe un lien entre la théorie de l’esprit de
premier ordre et l’ironie sur soi ainsi qu’un lien entre la théorie de l’esprit de second ordre et
l’ironie sur autrui. Pour tester cette hypothèse, une expérience a été menée auprès d’enfants
de 5, 6 et 7 ans dans laquelle ces enfants devaient répondre à un ensemble de questions
portant sur des histoires, évaluant les compétences en théories de l’esprit et la
compréhension de l’ironie verbale (sur soi et sur autrui). Trois types de compréhension sont
évalués dans la tâche d’ironie : la compréhension de la signification ironique, la
compréhension de la croyance du locuteur et la compréhension de l’attitude du locuteur. Un
autre de nos objectifs sera d’essayer de confirmer que, chez les enfants, les énoncés littéraux
sont plus faciles à traiter que les énoncés ironiques.
Les hypothèses opérationnelles sont les suivantes :
(1) Les performances aux histoires littérales seront significativement meilleures que les
performances aux histoires ironiques, indépendamment de l’âge des enfants.
(2) Aux tâches de théorie de l’esprit de premier ordre, les enfants de 5 ans auront des
performances significativement inférieures à celles des enfants de 6 et 7 ans. Aux
tâches de théorie de l’esprit de second ordre, les performances augmenteront
significativement avec l’âge, les scores des enfants de 5 ans devant être nuls.
(3) Les scores en ironie sur soi diffèreront significativement des scores en ironie sur
autrui. Les scores aux tâches d’ironie sur soi (signification, croyance et attitude)
seront équivalents pour les enfants de 6 et 7 ans et supérieurs à ceux des enfants de 5
ans. Les scores aux tâches d’ironie sur autrui (signification, croyance et attitude)
seront significativement supérieurs pour les enfants de 7 ans comparés aux enfants de
6 ans alors que les scores des enfants de 5 ans seront nuls.
(4) Les performances aux tâches d’ironie sur soi (signification, croyance et attitude)
seront d’autant plus élevées que les scores aux tâches de théorie de l’esprit de
premier ordre seront importants. Les performances aux tâches d’ironie sur autrui
(signification, croyance et attitude) seront d’autant plus élevées que les scores aux
tâches de théorie de l’esprit de second ordre seront importants.
3. Méthodologie
3.1. Participants
Cinquante huit participants ont été recrutés dans deux écoles de Reims 4 dans une
classe de troisième année de maternelle, des classes de CP et des classes de CE1. Après
avoir obtenu l’accord de la direction, il a été possible de demander les autorisations
parentales pour chacun des enfants. L’échantillon était alors constitué de dix-huit enfants
constituant le groupe des 5 ans, vingt enfants constituant le groupe des 6 ans et vingt enfants
4 Ecole élémentaire Blanche Cavarrot et Ecole privée Nicolas Roland
constituant le groupe des 7 ans. Les moyennes et écart-types sont présentés dans le tableau 2
ci-dessous. Il s’agissait d’enfants tout-venants provenant de diverses classes socio-
économiques dont la langue maternelle est le français. Les compétences verbales des enfants
ont été évaluées préalablement grâce à la WPPSI-R (Wechsler Preschool and Primary Scale
of Intelligence-Revised).
Tableau 2 : Nombre d’enfants, âges moyen en mois et écart-types en fonction des trois
groupes d’âges (5 ans, 6 ans et 7 ans).
Groupes Nombre
d’enfants
Age moyen
(en mois)
Tranche d’âge
(en mois) Ecart-type
5 ans 18 61,94 52-65 2,92
6 ans 20 74,15 70-77 1,81
7 ans 20 85,75 81-89 1,97
3.2. Matériel
WPPSI-R. Il s’agit de l’Échelle d’intelligence de Wechsler pour la période
préscolaire et primaire – forme révisée (1995). Elle s’adresse aux enfants de 3 ans à 7 ans et
3 mois. Seuls les subtests verbaux ont été administré afin d’obtenir un QI verbal pour
chaque enfant. Il s’agissait des subtests Information, Compréhension, Arithmétique,
Vocabulaire et Similitudes.
Tâches de théorie de l’esprit de premier ordre. Trois tâches ont été administrées à
chaque enfant : la tâche des Smarties, la tâche des céréales et la tâche du changement de
localisation. L’ordre d’administration de ces trois tâches a été contrebalancé.
La tâche des Smarties (Annexe N°1) consistait à présenter à l’enfant un tube de
Smarties dont le contenu a été préalablement remplacé par un crayon. La question suivante
était posée à l’enfant en premier lieu : « Regarde cela, qu’est-ce qu’il y a dedans ? ». Dès
que l’enfant a donné sa réponse, on lui propose d’ouvrir le tube et de regarder ce qu’il y a à
l’intérieur : « On va l’ouvrir et on va voir… C’est quoi ? ». Une série de quatre questions va
ensuite être posée à l’enfant afin d’évaluer sa propre fausse croyance (« Avant que tu
l’ouvres, que pensais-tu qu’il y avait dedans ? »), sa prédiction de la fausse croyance
d’autrui (« Ton ami n’a pas regardé dans le tube, que va-t-il penser qu’il y a dans le tube
avant de l’ouvrir ? »), son explication de cette fausse croyance (« Pourquoi il ou elle va
penser qu’il y a des smarties/un crayon dedans ? ») et enfin une question contrôle permettra
de voir si l’enfant est conscient de la réalité (« Qu’est-ce qu’il y a dans le tube ? »).
Quant à la tâche des Céréales, elle consistait à montrer à l’enfant deux boîtes de
céréales fermées dont l’une a été préalablement recouverte de scotch de couleur.
L’expérimentateur demande ensuite à l’enfant : « Dans quelle boîte sont rangées les
céréales ? ». Après que l’enfant ait donné sa réponse, il lui est demandé d’ouvrir les deux
boîtes afin de constater que la boîte familière (sur laquelle on peut voir que le contenu
devrait être des céréales) est vide alors que la boîte sans indication de contenu est pleine de
céréales. L’expérimentateur ferme ensuite les deux boîtes avant de poser deux questions de
prédiction, trois questions d’explication et une question contrôle à l’enfant (Annexe N° 2).
Enfin, la tâche du changement de localisation (Annexe N°3) consistait à raconter une
petite histoire à l’enfant dans laquelle Pierre possède un petit pingouin en plastique. Il le
cache dans une boîte grise puis s’en va jouer dehors. Sa sœur arrive et sort le pingouin de la
boîte grise pour le mettre dans la boîte rouge. La sœur de Pierre s’en va et Pierre rentre car il
veut jouer avec son pingouin. Une fois l’histoire racontée, l’expérimentateur va poser une
question de prédiction de fausse croyance (« Où Pierre va-t-il chercher son pingouin ? »),
une question d’explication de cette fausse croyance (« Pourquoi Pierre va chercher son
pingouin dans la boîte grise/rouge ? »), une question contrôle de mémoire (« Où Pierre a
rangé son pingouin avant d’aller jouer dehors ? ») et une question contrôle sur la réalité
(« Où est le pingouin en vrai ? »).
Tâches de théorie de l’esprit de second ordre. Deux tâches ont été administrées :
l’histoire « Anniversaire » (Annexe N° 4) et l’histoire « Marchand de glace » (Annexe N° 5).
L’ordre d’administration de ces deux tâches a été contrebalancé. Il s’agissait, dans ces deux
tâches, de raconter une histoire à l’enfant (celle du marchand de glace étant accompagnée
d’une bande dessinée) puis de lui poser toute une série de questions. Dans l’histoire
« Anniversaire », on posait une question contrôle, une question d’ignorance de premier ordre,
une question d’ignorance de deuxième ordre, une question de fausse croyance de second
ordre et une question de justification. Dans l’histoire « Marchand de glace », on posait une
question de prédiction, une question d’explication et deux questions contrôle (une de
mémoire et une de la réalité).
Tâche d’ironie verbale. Cette tâche unique se présentait sous la forme de deux listes de
16 histoires. Chaque enfant ne passait l’épreuve que pour une seule liste et l’ordre
d’administration était contrebalancé de telle sorte que la moitié des participants a été
confronté à la liste 1 (Annexe N°6) et que l’autre moitié a été confrontée à la liste 2 (Annexe
N°7). L’ordre des histoires dans chaque liste était également contrebalancé et la moitié des
histoires impliquait la condition littérale (8 histoires) de telle sorte qu’une même histoire ne
pouvait pas être en condition contrôle et ironique dans la même liste, alors que l’autre moitié
impliquait la condition ironique (8 histoires). De plus, la moitié des histoires ironiques
impliquait de l’ironie sur soi (4 histoires) alors que l’autre moitié impliquait de l’ironie sur
autrui (4 histoires). Il en était de même pour la condition contrôle (histoires littérales).
Tableau 3 : Exemples d’histoires pour chaque modalité de chaque condition expérimentale.
Modalités Condition « Ironique » Condition « Littérale »
Sur soi
Maxime attend son copain Nicolas
qui va dormir chez lui ce soir. La
chambre de Maxime est jolie mais
tout est en désordre. On ne peut pas
accéder au lit. Quand Nicolas entre
dans la chambre, Maxime dit :
« J’adore ranger ! ».
Laurie est très heureuse car elle va à une fête
d’anniversaire. A la fête, Laurie danse et
s’amuse beaucoup. Lorsque son père revient
la chercher, Laurie est un peu triste. Et
lorsque son papa lui demande « comment
était la fête ? », Laurie répond : « Je suis
triste de partir ! ».
Sur
autrui
Théo rencontre Caroline qui attend
devant le cinéma. « Quel film vas-tu
voir ? demande Théo à Caroline.
Caroline répond : « J’attends ma
copine, elle n’arrive pas et le film a
commencé ». Théo lui dit : « çà,
c’est une bonne copine ! ».
Léo emménage dans sa nouvelle maison.
Son copain Thomas a dit qu’il viendrait
l’aider. Le jour du déménagement, Thomas
arrive chez Léo lorsque tous les meubles
sont déjà dans le camion de déménagement.
Léo dit à Thomas : « Tu es en retard ! ».
Chaque liste se composait donc de 16 histoires courtes concernant des situations de la
vie courante auxquelles les enfants peuvent être confrontés. Les mots utilisés étaient simples
et fréquents dans le vocabulaire des enfants de 5 à 7 ans. Cinq questions étaient posées à
l’enfant pour chacune des histoires. La première évaluait la compréhension de la
signification ironique (Pourquoi … dit cela à … ?), la deuxième et la troisième évaluaient la
compréhension de la croyance du locuteur (Est-ce que … pense ce qu’il/elle dit ? ; Est-ce
que … pense qu’il(elle)/que … est … ?) et les deux dernières évaluaient la compréhension de
l’attitude du locuteur (Selon toi, ce que dit … est rigolo ? ; Est-ce que tu penses que … se
moque de lui(elle)-même/se moque de … ?).
3.3. Procédure
Tous les enfants ont été vus individuellement sur une unique session d’une heure environ,
les temps de passation variant considérablement selon les enfants. Ces séances se
déroulaient dans une salle de classe isolée dans l’école respective de chaque enfant, afin de
réunir de bonnes conditions favorisant la concentration des enfants. Chaque début de séance
était consacré à un recueil de données concernant le nom, l’âge, la date de naissance et la
classe de chaque enfant. Ce recueil nous permettait d’avoir accès à l’âge précis des enfants
et permettait également de les mettre en confiance.
En premier lieu, la WPPSI-R a été administré afin de vérifier si les compétences
langagières de ces enfants étaient suffisantes pour pouvoir traiter les tâches de théories de
l’esprit et d’ironie verbale. La procédure suivie correspondait à celle proposée dans le cahier
de passation pour chacune des épreuves verbales.
Si le QI verbal brut obtenu à la WPPSI-R était suffisant, les enfants étaient soumis aux
tâches de théorie de l’esprit de premier ordre puis de second ordre, les tâches de premier
ordre étant contrebalancées de même que les tâches de second ordre. Pour chaque tâche,
l’expérimentateur désignait les personnages et les objets impliqués afin que les enfants
puissent bien les identifier. Les énoncés, les consignes et les questions pouvaient être répétés
si l’enfant en manifestait le besoin.
Enfin, la tâche d’ironie verbale était administrée en dernier lieu, l’ordre d’administration
des listes ayant été contrebalancé également. Pour chaque histoire, la prosodie utilisée était
explicitement ironique. Les histoires et les questions pouvaient être répétées si l’enfant en
manifestait le besoin.
Chaque tâche était introduite de la manière suivante : « Je vais te raconter quelques
histoires. Ecoute bien parce qu’après chaque histoire tu vas devoir répondre à quelques
questions. Arrête-moi s’il y a un mot que tu ne comprends pas et je te l’expliquerai ».
L’expérimentateur ne donnait aucun commentaire à l’enfant concernant ses réponses ou ses
performances. Toutes les réponses de chaque enfant ont été recueillies sur papier puis les
scores ont été retranscrits sur une base de données.
3.4. Cotation
Concernant les épreuves verbales de la WPPSI-R, la cotation s’est faite en référence au
cahier de passation. Les scores des enfants ont été retranscrit en note brute afin d’éviter des
biais statistiques concernant l’effet de l’âge.
Aux tâches de théorie de l’esprit, on attribuait 1 point à chaque réponse correcte, c’est-à-
dire lorsque la réponse donnée faisait référence aux états mentaux. On attribuait 0 point
lorsque la réponse donnée ne portait pas sur les croyances ou si l’enfant donnait une simple
description des évènements des histoires. De plus, si l’enfant ne répondait pas correctement
aux questions contrôles, on considérait toutes les réponses précédentes comme incorrectes (0
point) alors que s’il répondait correctement aux questions contrôles, on attribuait un point à
toutes les réponses précédentes qui étaient correctes. Enfin, concernant les tâches d’ironie,
les réponses attendues étaient soit « oui », soit « non ». Nous avons donc décidé de coté les
réponses de telle sorte que l’on attribuait 1 point par bonne réponse, 0 point dans le cas
contraire.
4. Résultats
Les moyennes et écart-types pour chaque tâche sont présentés dans le tableau ci-dessous.
Tableau 4 : Nombre moyen de réponses correctes aux différentes tâches de théorie de
l’esprit et d’ironie en fonction de l’âge des enfants et du type d’ironie.
Théorie de
l’esprit Ironie verbale
FC 1 FC 2 Q1 IS Q1 IA Q2-
Q3 IS
Q2-
Q3 IA
Q4-
Q5 IS
Q4-
Q5 IA
IS
Total
IA
Total
5ans 3,67
(2,19)
0,67
(0,59)
1,05
(1,05)
1,05
(0,87)
1,78
(1,31)
1,89
(1,23)
1,44
(1,58)
1,44
(1,25)
4,28
(2,47)
4,39
(2,83)
6ans 7,05
(1,47)
2,80
(1,00)
2,15
(0,81)
1,40
(1,14)
4,20
(1,64)
2,95
(2,11)
3,05
(1,70)
2,35
(1,75)
9,40
(2,94)
6,70
(4,24)
7ans 8,60
(0,68)
5,55
(0,82)
2,55
(0,94)
2,60
(0,99)
5,10
(1,68)
5,20
(1,82)
3,30
(2,32)
3,55
(1,98)
10,95
(3,50)
11,25
(3,49)
Légende :
FC 1 : tâches de « fausse croyance de premier ordre » (Smarties, Céréales, Changement de localisation).
FC 2 : tâches de « fausse croyance de second ordre » (Histoire « Anniversaire », Histoire « Marchand de glaces »).
Q1 : question portant sur la signification.
Q2-Q3 : questions portant sur la croyance.
Q4-Q5 : questions portant sur l’attitude du locuteur.
IS : ironie sur soi.
IA : ironie sur autrui.
Théories de l’esprit
Nous avons réalisé deux ANOVA (Annexe N°8) sur les performances aux tâches de
théorie de l’esprit afin de tester les effets développementaux : une relative à la
compréhension de la fausse croyance de premier ordre et une relative à la compréhension de
la fausse croyance de second ordre. Le plan d’analyse est, pour chaque variable dépendante,
S <A3>, le facteur A correspondant à l’âge, variable indépendante à trois modalités (5 ans, 6
ans et 7 ans).
L’analyse de variance sur les scores de compréhension de la fausse croyance de premier
ordre a permis d’observer un effet significatif de l’âge (F (2, 55) = 49,82 , p < .001). Il existe
une augmentation croissante des performances entre 5 et 7 ans (voir tableau 4, page 17). Le
score moyen des enfants de 5 ans (M = 3,67) diffère significativement du score moyen des
enfants de 6 ans et 7 ans (M = 7,82 ; F (1, 55) = 89,61 , p < .001 ) et celui des enfants de 6
ans (M = 7,05) diffère significativement de celui des enfants de 7 ans (M = 8,60 ; F (1, 55) =
10,03 , p < .01), confirmant le sens croissant des performances en théorie de l’esprit de
premier ordre. La différence de performances entre les 5 ans et les 6 ans est beaucoup plus
importante que celle entre les 6 ans et les 7 ans malgré la significativité des deux contrastes.
L’analyse de variance sur les scores de compréhension de la fausse croyance de second
ordre a permis d’observer un effet significatif de l’âge (F (2, 55) = 164,65 , p < .001). Il
existe une augmentation croissante des performances entre 5 et 7 ans (voir tableau 4 ,
page 17). Le score moyen des enfants de 5 ans (M = 0,67) diffère significativement du score
moyen des enfants de 6 ans et 7 ans (M = 4,17 ; F (1, 55) = 220,28 , p < .001) et celui des
enfants de 6 ans (M = 2,80) diffère significativement de celui des enfants de 7 ans (M =
5,55 ; F (1, 55) = 109,03 , p < .001), confirmant le sens croissant des performances en
théorie de l’esprit de second ordre. La différence de performances entre les 6 ans et les 7 ans
est plus importante que celle entre les 5 ans et les 6-7 ans malgré la significativité des deux
contrastes.
Ironie
Tableau 5 : Moyennes des scores aux versions ironique et contrôle des histoires en fonction
des trois groupes d’âge (5 ans, 6 ans et 7 ans).
Version ironique Version contrôle Moyenne
générale
5 ans 1,44 4,57 3,00
6 ans 2,68 4,94 3,81
7 ans 3,72 5,92 4,82
Moyenne
générale 2,65 5,15
Tableau 6 : Nombre moyen de réponses correctes aux questions de signification, de
croyance et d’attitude dans leur version ironique et contrôle, en fonction de l’âge.
Age Vi
Signification
Vc
Signification
Vi
Croyance
Vc
Croyance
Vi
Attitude
Vc
Attitude
Total
Vi
Total
Vc
5 ans 1,05 2,92 1,83 5,97 1,44 4,83 1,44 4,57
6 ans 1,77 2,7 3,57 6,15 2,7 5,97 2,68 4,94
7 ans 2,57 3,6 5,15 6,95 3,42 7,22 3,71 5,92
Total 1,80 3,07 3,52 6,36 2,52 6,01
Légende :
Vi : Version ironique
Vc : Version contrôle
Nous avons réalisé des ANOVA sur les performances aux questions de la tâche
d’ironie par participant5 (F1) et par items
6(F2). Les analyses par items ont été réalisées dans
le but de confirmer la qualité et l’homogénéité des résultats. Les analyses par participants
ont été réalisées suivant le plan S <A3> * I2 * V2 (I = type d’ironie : sur soi ou sur autrui ; V
= version : ironique ou contrôle). Les variables dépendantes concernaient les scores aux
questions (VD1 = question 1 sur la compréhension de la signification ironique ; VD2 =
questions 2 et 3 sur la compréhension de la croyance du locuteur ; VD3 = questions 4 et 5
sur la compréhension de l’attitude du locuteur). Pour chacune des trois variables
dépendantes, nous avons donc réalisé deux ANOVA (une par participant et une par items).
5 Voir Annexe N°9
6 Voir Annexe N°10
Compréhension de la signification ironique (VD 1)
Les résultats de l’ANOVA concernant la compréhension de la signification ironique ont
montré qu’il existait un effet significatif de la version (F1 (1, 55) = 135,939 , p < .001 ; F2 (1,
14) = 100,909 , p < .001). Le nombre moyen de réponse correcte est significativement plus
important dans la condition littérale (M = 3,07) comparativement à la condition ironique (M
= 1,80).
Nous allons maintenant nous attacher à décrire trois interactions : version*âge,
type*version et type*version*âge. Considérons tout d’abord l’interaction version*âge7.
Cette interaction s’avère significative (F1 (2, 55) = 7,168 , p < .01 ; F2 (2, 28) = 4,176 , p
< .05). Autrement dit, il existe une différence significative entre les scores obtenus aux
histoires ironiques et les scores obtenus aux histoires littérales et ce à travers les différents
groupes d’âges. Quant à l’interaction type*version, celle-ci nous donne des indications sur
l’éventuelle différence qu’il pourrait exister entre les performances en ironie sur soi et les
performances en ironie sur autrui. D’après l’analyse de variance portant sur la VD1, celle-ci
n’est pas significative de même que l’interaction type*version*âge8. En d’autres termes, il
n’existe pas de différence significative si l’on compare les scores en ironie sur soi et les
scores en ironie sur autrui et ce même à travers les différents groupes d’âges. Concernant
l’interaction version*âge, le contraste comparant le groupe des 5 ans aux deux autres
groupes est significatif (F1 (1, 55) = 14,191 , p = .001 ; F2 (1, 14) = 83,27 , p < .001) mais pas
le contraste comparant le groupe des 6 ans au groupe des 7 ans. Cela signifie que les
performances aux histoires ironiques et aux histoires littérales diffèrent significativement les
unes des autres entre 5 ans et 6 ans alors qu’elles sont plus ou moins équivalentes entre 6 ans
et 7 ans.
Compréhension de la croyance du locuteur (VD 2)
L’ANOVA portant sur les performances aux questions de croyance a dégagé un effet
significatif de la version (F1 (1, 55) = 144,194 , p < .001 ; F2 (1, 14) = 278,382 , p < .001). Le
nombre moyen de réponse correcte est significativement plus important dans la condition
littérale (M = 6,36) comparativement à la condition ironique (M = 3,52).
7 Voir graphique Annexe N°11
8 Voir Annexe N°12 pour les moyennes de l’interaction
Considérons maintenant l’interaction version*âge9. Celle-ci se trouve être significative
(F1 (2, 55) = 8,243 , p < .001 ; F2 (2, 28) = 6,924 , p < .01) de même que l’interaction
type*version*âge10
(F1 (2 ,55) = 3,155 , p = .05 ; F2 (2, 28) = 3,125 , p = .059). L’interaction
type*version, quant à elle, n’est pas significative. Pour l’interaction version*âge, seul le
contraste comparant le groupe des 5 ans aux autres groupes est significatif (F1 (1, 55) =
14,627 , p < .001 ; F2 (1, 14) = 131,65 , p < .001). Quant aux contrastes de l’interaction
type*version*âge, ils sont tous les deux non significatifs bien que le contraste comparant le
groupe des 6 ans au groupe des 7 ans ait un seuil de significativité proche de .05 (F1 (1, 55) =
3,804 , p = .056). En d’autres termes, la compréhension de la croyance du locuteur est
influencée par la version des énoncés et ce plus particulièrement entre 5 et 6 ans. De plus,
cette compréhension de la croyance semble être influencée par le type d’ironie à travers
l’âge.
Graphique 1 : Interactions entre le type d’ironie (sur soi ou sur autrui), la version (ironique
ou contrôle) et l’âge (5, 6 ou 7 ans).
On observe un effet développemental plus important entre 5 et 6 ans pour l’ironie sur
soi en version ironique alors que l’effet développemental pour l’ironie sur autrui en version
ironique est plus important entre 6 et 7 ans. Les performances augmentent de façon
9 Voir graphique Annexe N°13
10 Voir Annexe N°14 pour les moyennes de l’interaction
croissante avec l’âge pour les versions contrôles de l’ironie sur soi et de l’ironie sur autrui.
De plus, selon les âges, les performances en ironie sur soi et ironie sur autrui sont très
proches (comparaison type 1/type 2).
Compréhension de l’attitude du locuteur (VD 3)
Les résultats concernant les performances aux questions portant sur l’attitude du locuteur
ont aussi dévoilé un effet significatif de la version (F1 (1, 55) = 178,227 , p < .001 ; F2 (1, 14)
= 178,243 , p < .001). Le nombre moyen de réponse correcte est significativement plus
important dans la condition littérale (M = 6,01) comparativement à la condition ironique (M
= 2,52). Nous pouvons voir que, de façon générale (en signification, en croyance et en
attitude), les énoncés littéraux (Mg11
= 5,15) sont compris quasiment deux fois plus que les
énoncés ironiques (Mg = 2,65).
Considérons maintenant l’interaction version*âge. Celle-ci ressort comme étant non
significative tout comme les deux autres interactions (type*version et type*version*âge12
).
Ceci revient à dire que la compréhension de l’attitude du locuteur n’est pas influencée par le
type d’ironie, ni par la version, même pas à travers les différents groupes d’âge.
Relation entre théories de l’esprit et ironie
Enfin, nous nous sommes basés sur trois matrices de corrélations et des régressions pour
pouvoir vérifier notre quatrième et dernière hypothèse portant sur le lien entre la
compréhension de l’ironie et les théories de l’esprit. Les corrélations en rouge sont
significatives et celles en noir ne le sont pas. Nous allons nous attacher tout particulièrement
aux descriptions des corrélations entre « fausse croyance de premier ordre » et « ironie sur
soi » et entre « fausse croyance de second ordre » et « ironie sur autrui » pour les trois
variables dépendantes « compréhension de la signification ironique», « compréhension de la
croyance du locuteur » et « compréhension de l’attitude du locuteur ». Puis, nous parlerons
des observations contenues dans les régressions réalisées pour chacune des variables
dépendantes.
11
Mg : moyenne générale (voir tableau 5) 12
Voir Annexe N°15 pour les moyennes de l’interaction
Tableau 6 : Matrice de corrélations portant sur la variable dépendante « compréhension de
la signification ironique » (VD1).
Age13
QIV FC 1 FC 2 VD1 IS VD1 IA VD1 IT
Age 1 0,56 0,75 0,90 0,53 0,45 0,64
QIV - 1 0,48 0,56 0,40 0,32 0,47
FC 1 - - 1 0,72 0,30 0,38 0,44
FC 2 - - - 1 0,48 0,44 0,60
VD1 IS - - - - 1 0,20 0,80
VD1 IA - - - - - 1 0,75
VD1 IT - - - - - - 1
Légende :
FC 1 : tâches de « fausse croyance de premier ordre » (Smarties, Céréales, Changement de localisation).
FC 2 : tâches de « fausse croyance de second ordre » (Histoire « Anniversaire », Histoire « Marchand de glaces »).
QIV : QI Verbal.
IS : ironie sur soi.
IA : ironie sur autrui.
IT : ironie totale.
Cette matrice montre une corrélation positive et significative entre les performances aux
tâches de « fausse croyance de premier ordre » et les performances aux énoncés ironiques
portant sur soi (r = .30) ainsi qu’une corrélation positive et significative entre les
performances aux tâches de « fausse croyance de second ordre » et les performances aux
énoncés ironiques portant sur autrui (r = .44). Autrement dit, il existe un lien entre ces
différents types de performances induisant une augmentation des unes lorsque les autres
augmentent. Cependant, ces corrélations sont à prendre avec précaution dans le sens où elles
sont significatives mais pas très fortes. Il convient également de remarquer que les
performances aux tâches de « fausse croyance de second ordre » sont positivement et
significativement corrélées aux performances en « ironie totale » (IS + IA) et ce de façon
très forte (r = .60). De plus, dans le cadre de la « compréhension de la signification
ironique », les performances en « ironie sur soi » semblent être indépendantes des
performances en « ironie sur autrui », la corrélation entre les deux n’étant pas significative (r
= .20). Afin de déterminer quel(s) facteur(s) prédit(-sent) les performances en « ironie sur
13
Age en mois.
soi », en « ironie sur autrui » et en « ironie totale » dans le cadre de la « compréhension de la
signification ironique », nous avons réalisé trois régressions14
sur Statistica. Celles-ci
montrent que seul l’âge prédit les performances en « ironie sur soi » (F (4, 53) = 6,194 ; p
< .001) et en « ironie totale » (F (4, 53) = 10,057 ; p < .001) concernant la « compréhension
de la signification ironique ». Dans le premier cas, l’âge explique environ 31,8 % de la
variance et dans le second cas, l’âge explique environ 43,1 % de la variance. Dans le cas de
l’ « ironie sur autrui », aucun des facteurs considérés ne prédit significativement les
performances en « ironie sur autrui ».
Tableau 7 : Matrice de corrélations portant sur la variable dépendante « compréhension de
la croyance du locuteur » (VD2).
Age QIV FC 1 FC 2 VD2 IS VD2 IA VD2 IT
Age 1 0,56 0,75 0,90 0,61 0,60 0,72
QIV - 1 0,48 0,56 0,24 0,24 0,28
FC 1 - - 1 0,72 0,59 0,41 0,59
FC 2 - - - 1 0,54 0,56 0,65
VD2 IS - - - - 1 0,43 0,83
VD2 IA - - - - - 1 0,86
VD2 IT - - - - - - 1
Dans le cadre de la « compréhension de la croyance du locuteur », les corrélations qui
nous intéressent sont toujours positives et significatives mais, ici, elles sont plus fortes que
dans le cadre de la « compréhension de la signification ironique » (FC 1/IS : r = .59 ; FC
2/IA : r = .56). Les performances aux tâches de « fausse croyance de second ordre » sont,
quant à elle, encore plus fortement corrélées avec les performances en « ironie totale » (r
= .65) bien que la corrélation entre les performances aux tâches de « fausse croyance de
premier ordre » et les performances en « ironie totale » soit beaucoup plus forte dans le
cadre de la « compréhension de la croyance du locuteur » comparée à la « compréhension de
la signification ironique » (r = .59). De plus, la corrélation entre les performances en
14
Voir Annexe N°16
« ironie sur soi » et en « ironie sur autrui » est devenue significative (r = .43), instaurant un
lien entre ces deux types de performances. Concernant cette « compréhension de la croyance
du locuteur », nous avons également réalisé trois régressions15
sous Statistica dans l’espoir
de dégager le ou les facteurs susceptibles de prédire les performances en « ironie sur soi »,
« ironie sur autrui » et « ironie totale ». Il en est ressorti que les performances en « ironie sur
soi » sont prédit significativement par l’âge et les compétences en « fausse croyance de
premier ordre » (F (4, 53) = 10,306 ; p < .001). Dans ce cas, ces deux facteurs expliquent
environ 43,7 % de la variance. On observe également que l’âge est le seul à prédire les
performances en « ironie sur autrui » (F (4, 53) = 8,18 ; p < .001) et en « ironie totale » (F (4,
53) = 15,848 ; p < .001), toujours en considérant la « compréhension de la croyance du
locuteur ». Dans le premier cas, l’âge explique environ 38,2 % de la variance et dans le
second cas, l’âge explique environ 54,5 % de la variance.
Tableau 8 : Matrice de corrélations portant sur la variable dépendante « compréhension
de l’attitude du locuteur » (VD3).
Age QIV FC 1 FC 2 VD3 IS VD3 IA VD3 IT
Age 1 0,56 0,75 0,90 0,35 0,44 0,45
QIV - 1 0,48 0,56 0,07 0,34 0,23
FC 1 - - 1 0,72 0,42 0,32 0,43
FC 2 - - - 1 0,25 0,42 0,39
VD3 IS - - - - 1 0,47 0,87
VD3 IA - - - - - 1 0,85
VD3 IT - - - - - - 1
Dans le cadre de la « compréhension de l’attitude du locuteur », les corrélations qui nous
intéressent sont toujours positives et significatives mais, ici, elles sont plus faibles que dans
le cadre de la « compréhension de la croyance du locuteur » (FC 1/IS : r = .42 ; FC 2/IA : r
= .42). On remarque également que les performances aux tâches de « fausse croyance de
second ordre » sont beaucoup moins fortement corrélées aux performances en « ironie
15
Voir Annexe N°17
totale » (r = .39) que dans le cadre de la « compréhension de la signification ironique » (r
= .60) et de la « compréhension de la croyance du locuteur » (r = .65). La corrélation entre
les performances aux tâches de « fausse croyance de premier ordre » et les performances en
« ironie totale » est également plus faible (r = .43) mais reste significative. Concernant la
corrélation entre les performances en « ironie sur soi » et celles en « ironie sur autrui »,
celle-ci est positive et significative mais elle est également un peu plus forte que dans le
cadre de la « compréhension de la croyance du locuteur » (r = .47). Tout comme
précédemment, nous avons de nouveau réalisé trois régressions16
dans l’espoir de dégager le
ou les facteurs susceptibles de prédire les performances en « ironie sur soi », « ironie sur
autrui » et « ironie totale », cette fois dans le cadre de la « compréhension de l’attitude du
locuteur ». Il en est ressorti que seul les compétences en « fausse croyance de premier
ordre » prédisent les performances en « ironie sur soi » (F (4, 53) = 4,107 ; p < .01). Ce
facteur explique environ 23,7 % de la variance. Aucun facteur ne s’est révélé significatif
dans le cas de l’ « ironie sur autrui » et de l’ « ironie totale » dans le cadre de la
« compréhension de l’attitude du locuteur ».
5. Discussion
L’objectif principal de cette étude était d’approfondir les recherches sur le lien entre
théories de l’esprit et développement de la compréhension de l’ironie verbale. Nous
cherchions notamment à faire une distinction entre l’ironie sur soi et l’ironie sur autrui afin
de découvrir s’il existait une relation entre la théorie de l’esprit de premier ordre et la
compréhension de l’ironie sur soi ainsi qu’une relation entre la théorie de l’esprit de second
ordre et la compréhension de l’ironie sur autrui. Quant à l’objectif secondaire de notre étude,
il consistait à confirmer la facilité de traitement des énoncés littéraux par rapport aux
énoncés figurés, particulièrement les énoncés ironiques.
Afin d’atteindre nos objectifs, nous avons réalisé une expérience basée sur un
ensemble de tâches qui évaluaient les compétences en théorie de l’esprit de premier et de
second ordre ainsi que la compréhension de l’ironie verbale portant sur soi et sur autrui chez
des enfants de 5, 6 et 7 ans. Trois tâches évaluaient les compétences des enfants en théorie
de l’esprit de premier ordre (Smarties, Céréales, Changement de localisation) et deux tâches
évaluaient les compétences en théorie de l’esprit de second ordre (Histoire « Anniversaire »
16
Voir Annexe N°18
et Histoire « Marchand de glace »). Une tâche unique, sous forme d’histoires courtes,
évaluait, quant à elle, la compréhension des enfants de l’ironie verbale (sur soi et sur autrui).
Dans cette tâche, les questions portaient sur trois types de compréhension : la
compréhension de la signification ironique, la compréhension de la croyance du locuteur et
la compréhension de l’attitude du locuteur. Pour vérifier nos hypothèses, nous avons donc
mis en place ce protocole puis nous avons recueillis les données avant de les analyser.
Les résultats de notre étude confirment, d’une part que les énoncés littéraux sont plus
faciles à traiter et à comprendre que les énoncés ironiques tout comme l’ont postulé
Monbaron et Berthoud (2005). Notre première hypothèse a donc été validée. D’autre part,
les résultats montrent des effets développementaux concernant les compétences en théorie
de l’esprit de premier et de second ordre mais également concernant la compréhension de la
signification ironique des énoncés, la compréhension de la croyance ainsi que de l’attitude
du locuteur faisant une remarque ironique. Cependant, il ne semble pas y avoir de différence
dans le traitement de l’ironie verbale portant sur soi et le traitement de l’ironie verbale
portant sur autrui. Quant au lien qui unit les théories de l’esprit à la compréhension de ces
deux types d’ironie verbale, celui-ci ne semble pas être totalement en accord avec nos
prédictions. En effet, seul la théorie de l’esprit de premier ordre semble influencer et prédire
les compétences en compréhension de la croyance et de l’attitude du locuteur lorsque celui-
ci émet une remarque ironique portant sur lui-même.
Théories de l’esprit
Nous postulions que les compétences en théorie de l’esprit de premier ordre soient les
plus développées pour les enfants de 6 et 7 ans et que les compétences en théorie de l’esprit
de second ordre se développent de façon croissante avec l’âge, les compétences des enfants
de 5 ans devant être nulles. Les résultats de notre étude valide cette deuxième hypothèse. En
effet, les performances des enfants de 5 ans sont inférieures à celles des enfants de 6 ans qui,
elles-mêmes, sont inférieures à celles des enfants de 7 ans. Cette observation est valable
autant en ce qui concerne les compétences en théorie de l’esprit de premier ordre qu’en ce
qui concerne les compétences en théorie de l’esprit de second ordre. Ce développement des
compétences en théories de l’esprit est à la fois logique et a été de nombreuses fois prouvé
(Wellman, Cross & Watson, 2001 ; Hayashi, 2002, 2007 ; Perner & Wimmer, 1985 ;
Sullivan, Zaitchik & Tager-Flusberg, 1994). Comme l’ont montré ces auteurs et comme le
montre également notre étude, le raisonnement sur les états mentaux de second ordre est le
plus difficile d’où son apparition tardive dans l’enfance (vers 6-7 ans). Cependant, les
performances des enfants de 5 ans en théorie de l’esprit de second ordre ne sont pas
totalement nulles comme elles devraient l’être puisque cette capacité à traiter les états
mentaux de second ordre n’apparaît normalement pas avant 6 ans au minimum. Ceci peut
s’expliquer par le fait que les compétences verbales soient intimement et très fortement liées
aux théories de l’esprit (Cutting & Dunn, 1999; Hughes & Dunn, 1997; Jenkins & Astington,
1996). En effet, certains enfants de 5 ans avaient un QI verbal au-dessus de la moyenne de
leur âge, induisant surement des performances en théories de l’esprit plus développées,
même lorsqu’il s’agissait de traiter les états mentaux de second ordre.
Ironie verbale
Nous postulions que la compréhension de la signification ironique, de la croyance et de
l’attitude du locuteur faisant une remarque ironique portant sur lui-même soit plus facile que
la compréhension de la signification, de la croyance et de l’attitude du locuteur faisant une
remarque ironique portant sur autrui. Nous postulions également une compréhension plus
développée de l’ironie sur soi pour les enfants de 6 et 7 ans et une compréhension beaucoup
plus développée de l’ironie sur autrui pour les enfants de 7 ans, cette compréhension
augmentant avec l’âge. Les résultats de notre étude ne confirme que partiellement cette
troisième hypothèse. D’une part, que cela concerne la compréhension de la signification
ironique, la compréhension de la croyance du locuteur ou la compréhension de l’attitude du
locuteur, il n’existe pas de distinction notable dans les compétences à traiter et comprendre
l’ironie sur soi et les compétences à traiter et comprendre l’ironie sur autrui. Il semblerait
que cette distinction ne soit valable que dans certaines populations pathologiques comme
l’autisme (dont le syndrome d’Asperger) ou encore la schizophrénie. En effet, dans certaines
études portant sur ces pathologies, les compétences à traiter l’ironie sur autrui est quelque
peu déficitaire (Martin & McDonald, 2004, pour l’autisme ; Mo, Su, Chan & Liu, 2008,
pour la schizophrénie). D’après notre étude, dans le développement normal de l’enfant, les
habiletés à comprendre l’ironie sur soi et l’ironie sur autrui ne sont pas distinctes, elles sont
même corrélées dans le cadre de la compréhension de la croyance et de l’attitude du locuteur.
D’autre part, l’effet développemental est conforme à notre hypothèse. En effet, les
compétences à comprendre l’ironie sur soi se développent avec l’âge de même que les
compétences à comprendre l’ironie sur autrui. Les capacités des enfants de 5 ans à
comprendre l’ironie (sur soi et sur autrui) sont beaucoup plus faibles que celles des enfants
de 6 et 7 ans qui ont des capacités presque similaires (les enfants de 6 ans ayant tout de
même des compétences un peu plus faibles que les enfants de 7 ans). Ces observations sont
en accord avec celles de plusieurs auteurs qui postulent que la reconnaissance de l’ironie
débute aux alentours de 5-6 ans (Ackerman, 1981 ; Andrews et al., 1986 ; Harris & Pexman,
2003 ; Pexman & Glenwright, 2007). Nos données laissent penser que cette reconnaissance
débute davantage vers l’âge de 5 ans et que celle-ci connaît une croissance considérable
entre 5 et 6-7 ans pour l’ironie sur soi, et une croissance plus importante entre 6 et 7 ans
pour l’ironie sur autrui.
Relation entre théories de l’esprit et ironie verbale
Nous postulions que la compréhension de la signification, de la croyance et de l’attitude
du locuteur faisant une remarque ironique portant sur lui-même soit prédite par les
compétences des enfants en théorie de l’esprit de premier ordre et que la compréhension de
la signification ironique, de la croyance et de l’attitude du locuteur faisant une remarque
ironique portant sur autrui soit prédite par les compétences des enfants en théorie de l’esprit
de second ordre. Les résultats de notre étude ne confirment que partiellement notre
quatrième et dernière hypothèse. En effet, il semblerait que notre hypothèse ne soit validée
que pour le lien entre les compétences en théorie de l’esprit de premier ordre et la
compréhension de l’ironie verbale portant sur soi mais uniquement en ce qui concerne la
compréhension de la croyance et de l’attitude du locuteur (ce n’est pas le cas pour la
compréhension de la signification ironique). Cette observation semble cependant
contradictoire. En effet, comment une personne possédant la théorie de l’esprit de premier
ordre pourrait comprendre que la croyance du locuteur faisant une remarque ironique portant
sur lui-même correspond au contraire de ce qu’il dit littéralement et comment cette personne
pourrait-elle comprendre que l’attitude du locuteur correspond à une intention humoristique,
une intention de se moquer « pour rire », si celle-ci ne comprend pas que l’énoncé du
locuteur est ironique. Cette contradiction peut nous laisser penser qu’il existe un biais
méthodologique portant sur la question de la signification ironique des énoncés. En effet, les
enfants se contentaient en général de reprendre la phrase ironique et de la répéter telle
qu’elle était (pas de détection du décalage entre ce qui est dit et ce qui est signifié) ou à
formuler l’inverse (détection du décalage entre ce qui est dit et ce qui est signifié) sans pour
autant expliquer pourquoi X dit cela à Y (ils n’utilisaient pas les informations fournies dans
l’histoire pour expliquer la phrase ironique du locuteur). Cette explication se trouve être
proche de celle de Monbaron et Berthoud (2005) qui postulent que les enfants sont capables
de comprendre avant d’être capables d’expliquer.
Le lien que nous avons découvert entre les compétences en théorie de l’esprit de premier
ordre et la compréhension de l’ironie sur soi est novateur puisque qu’aucune étude ne s’est
encore intéressée à l’ironie sur soi. Cependant, concernant le lien entre l’acquisition de la
théorie de l’esprit de second ordre et la compréhension de l’ironie sur autrui, celui-ci ne
semble pas exister contrairement à notre postulat et contrairement au postulat de plusieurs
auteurs (Hancock & al., 2000 ; Filippova & Astington, 2008 ; Pexman & al., 2006 ; Pexman
& al., 2007) selon lequel la capacité à produire des inférences de second ordre est nécessaire
pour avoir accès au sens ironique. Selon nos résultats, la compétence à traiter des énoncés
ironiques portant sur autrui dépend uniquement de l’âge, dans le cadre de la compréhension
de la croyance du locuteur (pas dans le cas de la compréhension de la signification ironique
ni dans le cas de la compréhension de l’attitude du locuteur). Ces résultats peuvent peut-être
s’expliquer par le faible nombre de sujets par groupe d’âge. Les corrélations entre la théorie
de l’esprit de second ordre et la compréhension de l’ironie sur autrui sont significatives mais
peut-être pas suffisamment fortes pour prétendre à ce que les performances dans l’une
(théorie de l’esprit de second ordre) prédisent les performances dans l’autre (compréhension
de l’ironie sur autrui).
6. Conclusion
L’objectif de cette étude était de dégager un lien entre les théories de l’esprit (de
premier et de second ordre) et la compréhension de l’ironie verbale. Pour cela, nous avons
mis en place un protocole basé sur l’évaluation des compétences en théories de l’esprit et en
compréhension de l’ironie verbale, grâce à des histoires racontées, dans une population
d’enfants de 5 à 7 ans. Dans notre étude, une distinction entre ironie sur soi et ironie sur
autrui, encore jamais étudiée, a été introduite.
Cette étude a permis de mieux appréhender la façon dont la compréhension de
l’ironie verbale se développe, à quel moment et quel est le rôle des théories de l’esprit dans
son développement. Premièrement, nos résultats suggèrent que dans le développement
normal de l’enfant, la compréhension de l’ironie sur soi ne se développe pas
indépendamment de la compréhension de l’ironie sur autrui. Deuxièmement, les résultats
montrent que les enfants, dès 5 ans, sont en mesure de comprendre les énoncés ironiques
mais de façon moindre comparés aux enfants de 6 et 7 ans, le changement développemental
étant très important durant la cinquième année de vie. Troisièmement, nos résultats
suggèrent que la compétence à traiter des énoncés ironiques dépend de la théorie de l’esprit
de premier ordre et de l’âge selon le type d’énoncés ironiques et le type de compréhension.
La compétence à traiter les énoncés ironiques portant sur soi dépend de l’âge dans le cadre
de la compréhension de la signification ironique, de la théorie de l’esprit de premier ordre et
de l'âge dans le cadre de la compréhension de la croyance du locuteur, et uniquement de la
théorie de l’esprit de premier ordre dans le cadre de la compréhension de l’attitude du
locuteur. La compétence à traiter les énoncés ironiques portant sur autrui dépend
uniquement de l’âge dans le cas de la compréhension de la croyance du locuteur.
Le point crucial est maintenant de dégager clairement quelles compétences sont
nécessaires à la compréhension de l’ironie verbale. Notre interprétation est que les
compétences linguistiques acquises au cours de la période préscolaire aident les enfants à
développer leur théorie de l’esprit de premier ordre, permettant un début de reconnaissance
de l’ironie verbale. Cette proposition est cohérente avec les études portant sur le lien entre
théorie de l’esprit et langage figuré (Caillies & Le Sourn-Bissaoui, 2006). Dans cette étude,
il a été démontré que l'apprentissage scolaire favorise la compréhension des expressions
idiomatiques. En outre, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour définir
clairement les déterminants de la compréhension de l’ironie verbale, particulièrement les
compétences linguistiques, et à partir de quel âge ils jouent un rôle dans cette
compréhension. Selon notre étude, le rôle de la théorie de l’esprit de second ordre n’est pas
explicite et la tranche d’âge utilisée n’est pas assez large pour pouvoir définir chaque étape
d’acquisition, c’est pourquoi de futures études devraient se centrer sur le rôle des théories
de l’esprit et des compétences linguistiques sur la compréhension de l’ironie verbale mais
cela sur une population d’enfants dont l’âge varie entre la fin de la quatrième année (âge
auquel débute le développement de la théorie de l’esprit de premier ordre) et 13 ans (âge
jusqu’auquel certains auteurs postulent un développement progressif de la compréhension de
l’ironie verbale). Ce large panel d’âge pourrait ainsi permettre de dégager les pics de
croissance ou la croissance progressive de la compréhension de l’ironie verbale à travers les
différents groupes d’âge en fonction des différents déterminants hypothétiquement associés
(théories de l’esprit, compétences linguistiques, …).
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Sources en ligne
Ironie. « Ironie ». In Encyclopédie Larousse [En ligne]. (Page consultée le 13 Avril 2011)
http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/ironie/62591#909736
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