ecologie et libéralisme - corine pelluchon
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CorinePelluChon
coLoGiE ETLibraLiSmE
At 2011
www.fondapol.org
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Cri PelluChon
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la Fdati pr ivati pitiq
st tik tak ibra, prgrssist t rp.
Prsidt : nicas Bazir
Vic-prsidt : Cars Bigbdr
Dirctr gra : Dmiiq Ryi
la Fdap pbi a prst t das cadr d ss travax srles valeurs.
Avrtissmt
Cette note de Corine Pelluchon a suscit un dbat substantiel au sein de la Fondationet de son Conseil scientique. La question de la prise en charge des enjeuxenvironnementaux contemporains par les ormes et les procdures classiques dela dmocratie reprsentative a t particulirement discute. An de prolongercette rexion, la Fondation reviendra sur les liens que lcologie peut entreteniravec la tradition librale dans ses prochaines publications.
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Aucun changement thique important ne sest jamais produit sans un
remaniement intime de nos loyauts, de nos affections, de nos centres
dintrt et de nos convictions intellectuelles. [] Dans nos efforts pour
rendre lcologie facile, nous lavons rendue drisoire.
Aldo Leopold, Almanach pour un comt des sables (1949), tr. r. A. Gibson,
Paris, Flammarion, 2000, p. 265.
Lorsque Serge Moscovici disait que le XVIIIe sicle avait t marqu
par la question politique , le XIXe par la question sociale et, qu
notre poque, la question naturelle passait au premier plan 1, il ne
pensait pas seulement ce quon appelle la crise environnementale. Le
rchauement climatique, laugmentation de la rquence des cyclones,
la onte des glaces de lHimalaya et des calottes polaires, lacidication
des mers et les dgts causs la chane alimentaire, la dgradation des
cosystmes, la disparition chaque jour de nombreuses espces et, de
manire gnrale, lrosion des ressources peuvent dicilement tre
nis 2. De mme, le caractre anthropognique de ces phnomnes est
reconnu, ce qui ne veut pas dire que lhomme, devenu un agent golo-
1. Srg Mscvici, Essai sur lhistoire humaine de la nature (1968), Paris, Fammari, 1977, p. 7 (cit parDmiiq Brg t Krry Witsid, Vers une dmocratie cologique. Le citoyen, le savant et le politique ,Paris, Si, 2010, p. 41).
2. I xist ajrdi parmi s scitiqs csss sr a rait d cagmt cimatiq idit parmm. ls divrgcs ccrt rytm t s mdaits d c cagmt, cmm xpiq namiorsks das T scitic csss cimat cag. hw d w kw wr t wrg? , i JspF. DiMt t Pama Dgma (dir.), Climate Change. What it Means or Us, Our Children, Our Grandchildren,Cambridg, Cambridg uivrsity Prss, 2007, p. 73-74.
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c PelluchonPisp, matr d crcs ivrsit d Pitirs, spciaist d pispi pitiq
t dtiq appiq (bitiq, tiq virmta t tiq aima)
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gique, capable de dterminer ltat de la plante et mme de troubler les
conditions dont dpend son existence, ait voulu cette crise environne-
mentale ni quelle soit cause par le seul capitalisme.
Linquitude suscite par lempreinte cologique dune population
qui pourrait atteindre neu milliards dhommes en 2050 est lgitime.
Cependant, la spcicit de lre anthropocne 3 est prcisment de nous
inviter penser notre responsabilit individuelle et collective en dpas-
sant les schmas binaires auxquels se raccrochent la plupart du temps les
partisans de laltermondialisme et ceux qui considrent la dcroissance
comme la solution tous nos maux. Les cologistes nont pourtant pas
tort dopposer la bonne conscience de leurs concitoyens la ncessit
dune interrogation radicale sur les styles de vie qui montre, en outre,que lespace public est satur dinjonctions contradictoires, comme
lorsquon encourage la consommation de produits polluants, et quau
lieu dtre traite comme un sujet transversal li des enjeux universaux
et visant le long terme, lcologie apparat comme une proccupation
priphrique en rivalit avec les autres intrts du moment.
Prendre au srieux la question naturelle , ce nest pas seulement se
proccuper de lenvironnement en le pensant comme un simple rservoir
de ressources. Une telle proccupation nest inspire que par la crainte
de voir son mode de vie et ses habitudes de consommation menacs par
la crise ptrolire et la pollution. Or, ce qui distingue lcologie proonde
de lcologie supercielle 4 tient au ait que la premire implique une
interrogation sur la manire dont lhomme habite la terre et partage ses
ressources avec les autres terriens 5. Cette enqute, qui suppose la remise
en question de limage dun homme spar des autres espces et seul
capable de leur conrer une valeur, comporte un volet ontologique etun volet politique troitement lis. Au lieu de se borner un rglement
strictement juridique et conomique de la crise environnementale, une
telle approche, qui est conciliable avec les outils que le droit de lenviron-
3. C gism, rg 2000 par prix nb d cimi Pa Crtz t rpris par Mic Srrs, dsig av r vrt par a rvti idstri, acti ggiq d mait impiq q cssd psr sparmt istir d mait t istir atr. Vir Pa Crtz, eg F. Strmr, T Atrpc , The Global Change Newsletter, 41, 2000, p. 17, t Pa Crtz, Ggy ma-kid , Nature, v. 415, 6867, 3 javir 2002, p. 23 (cits par Dips Cakrabarty, l cimat d istir :qatr tss , Revue internationale des ides et des livres, v. 15, javir-vrir 2010, p. 22-31).
4. Ar nss, T Saw ad t Dp, lg-Rag ecgy Mvmt. A Smmary , Inquiry, 16, 1973,p. 95-100 (trad. r. i thique de lenvironnement. Nature, valeur, respect, txts tradits par hicam-Stpahaissa, Paris, Vri, 2007, p. 51-60).
5. cgi driv d oikos, qi sigi mais, abitat. C trm a t cr 1866 par atraistamad est hack. lcgi dsig a scic qi sitrss ax rapprts ds trs vivats avc rmii virat.
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nement met notre disposition, passe par un examen des ondements et
des prsupposs de notre thique et de notre politique.
Quelles valeurs rendent possible la prise en compte de lcologie dans
notre vie ? On peut se demander si la rgle dor, qui commande de aire
pour les autres personnes ce que nous voudrions quils assent pour nous 6,
sut, ou bien sil ne aut pas parler, comme Aldo Leopold, dune thique
de la terre 7. Cette land ethic signie-t-elle que les entits non humaines
ont la mme importance morale que nos rres humains, ou bien les cat-
gories thiques indispensables une philosophie de lcologie exigent-elles
des distinctions rigoureuses qui interdisent dtendre le vocabulaire des
droits de lhomme aux autres vivants et aux vgtaux, et de conondre les
critres permettant davoir un statut moral avec ceux qui ont que lonest titulaire de droits ? En outre, la ondation du droit sur lagent moral
individuel qui peut user de tout ce qui est bon pour sa conservation 8
est-elle compatible avec le respect de la biodiversit ou bien aut-il penser
que les droits de lhomme reoivent une limite lorsque nous mettons en
pril la survie des autres espces 9 ? On peut mme questionner le droit
que lhomme soctroie dimposer aux animaux dlevage des conditions
de vie non conormes aux normes thologiques de leur espce.
Ainsi la justice ne concerne pas exclusivement nos rapports lautre
homme et aux autres cultures. Nos usages des vivants et de la terre rel-
vent galement de la justice, non seulement parce que ce sont dautres
hommes, prsents et venir, qui subissent les consquences irrversibles
de notre mode de vie et de nos dcisions, mais aussi parce que notre
manire dhabiter la terre, de lexploiter et de consommer rvle, par-
del nos dclarations dintentions et nos contradictions, les idaux ou
principes auxquels nous accordons la priorit.Cet examen dborde donc le cadre de lthique environnementale
et de lthique animale qui tudient le statut des direntes entits et
en dduisent des normes pouvant guider nos usages de la terre et des
vivants. En eet, nous ne pensons pas quil aille dduire une politique
de normes cologiques comme le respect de la biodiversit. Lcologie
ne onde pas une politique, mais, par les nouveaux ds quelle soulve,
elle conduit sinterroger sur le type de sujet et dorganisation sociale et
6. Mt, VII, 12, t lc, VI, 31.
7. Ad lpd,Almanach pour un comt des sables (1949), tr. r. A. Gibs, Paris, Fammari, 2000, p. 255-284.
8. Tmas hbbs, Lviathan (1651), trad. r. G.Mairt, Paris, Fi, 2000.
9. Cad lvi-Strass, Rxis sr a ibrt , i Le Regard loign, Paris, P, 1983, p. 376-377.
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politique qui rend possible la prise en compte de la question naturelle
ou, au contraire, qui la rend drisoire et la condamne ntre quun
vu pieu. Parce que lcologie nest pas un domaine spar des autres
et quelle requiert une rfexion la ois ontologique et politique, elle
suppose un certain tat de lorganisation sociale. Cette remarque donne
raison Flix Guattari qui soulignait le lien entre les trois cologies ou
cosophies, entre ltat de la plante, lcosophie sociale ou les moda-
lits de ltre en groupe, et lcosophie mentale qui concerne lessence
de la subjectivit 10. Ce lien, rarement apprhend par les ormations
et le pouvoir politiques, doit tre pens par la philosophie. Il est le l
directeur de notre approche de lcologie. Cependant, un pan important
de la rfexion concerne plus particulirement les modications que la question naturelle impose au politique et aux instances dlibratives.
Il ne sagit pas seulement de dire quelles conditions lcologie, loin
dtre un coascisme 11, est compatible avec la dmocratie. Tout en ren-
dant compte des tensions existant entre les droits subjectis et les normes
cologiques, entre la libert de choisir son mode de vie et le respect de
lenvironnement, entre les traditions culturelles et la prservation de cer-
taines espces menaces, il importe dtre attenti au ait que lcologie,comme la biothique, suppose un changement de culture politique qui
passe par plus de dmocratie.
Lcologie est une science dicile, qui se trouve au carreour de plu-
sieurs disciplines lconomie, la biologie, la gographie, les mathma-
tiques. Elle est concerne par des phnomnes invisibles qui ont une porte
globale et stendent sur plusieurs sicles. Cela ne signie pas que la dmo-
cratie dexperts soit la panace. Que les dcisions politiques ne puissent
peut-tre plus tre prises sans que lon mesure leur compatibilit ou leur
incompatibilit avec la protection de la biosphre et sans que lon tienne
10. Fix Gattari, Les Trois cologies, Paris, Gai, 1989.
11. lc Frry, Le Nouvel Ordre cologique. Larbre, lanimal et lhomme , Paris, Grasst, 1992. la mtivati datr st i a atis q s rms cgiqs abtisst va dgmatism mttat pri s dmts d ibraism pitiq. C dagr xist rsq ds idivids ds grps crct sbstitr ax visis mtapysiqs d md, qi st vaabs sr pa prs, ivrsaismpitiq qi sappart ax mirags d a grad pitiq q lc Frry dc jst titr das svrag. Cpdat, i st pas sr q s atrs cits das ct vrag tmbt das ct ci, srtt si
ait rrc Ar nss qi isist, das s cspi, sr s pricips ivitat cac sitrrgrsr s sty d vi t rvar s rapprt i-mm t a atr sas tmbr das patraismpitiq, i mm das srt d prctiism mra (A. nss, cologie, communaut et style de vie,tr. r. C. R, Paris, ditis MF, c. Drs , 2008). D mm, s it pits d a pat-rm c-giq st ds rms cgiqs qi sppst a pris csidrati ds impratis cgiqs. nsssggr q cs rms divt tr discts. ltiq d a discssi d habrmas, a tri ds par tisprats cr pragmatism pvt srvir cmptr apprc d nss qi, d pit d v d apispi pitiq, st mis dagrs qimprcis.
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compte des donnes internationales relatives au rchauement clima-
tique ne signie pas que la science onde la politique ni que cette dernire
dcoule des recommandations des experts. Une telle interprtation serait
un contresens sur le rapport entre sciences, socit et pouvoir que cette
note a pour objecti de mettre au jour. En eet, les ds que soulve laprise en compte de lcologie dans la politique obligent recongurer le
rapport entre sciences et socit, et rednir le rle des reprsentants.
Quelles instances peuvent introduire le principe du respect de lenviron-
nement au cur du politique et temprer les eets dun systme lectoral
uniquement ddi aux intrts prsents et au court terme ? La dmocratie
reprsentative est ne dans un contexte social, politique et conomique o
les reprsentants servaient dendre les intrts des individus, encourags senrichir, produire et consommer, et o le risque majeur demeurait
celui de la tyrannie dun homme ou dun groupe. Il ne sagit pas de remettre
en question la lgitimit du systme reprsentati, mais de se demander sil
est adapt une gestion approprie de la question naturelle 12. Lide
selon laquelle la prise au srieux de lcologie, loin daboutir au rejet du
libralisme et de lhumanisme, implique de complter les instances repr-
sentatives et denrichir la philosophie du sujet est lhorizon des proposi-
tions et pistes de rfexion prsentes dans cette note.
cologie et PhilosoPhie
Quelle thique pour lcologie ?
Lthique environnementale sest constitue comme une branche de
lthique applique dans les annes 1970, aux tats-Unis. Elle est ne
dune rupture, orchestre de manire souvent polmique, avec lanthro-
pocentrisme, voire avec le chauvinisme de lthique traditionnelle 13.
Celle-ci regroupe sous une mme tiquette des thories direntes qui
ont cependant en commun de borner la morale aux rapports entre les
hommes et de aire du sujet humain un empire dans un empire, un tre
spar des autres espces et seul mme de conrer de la valeur la cra-tion. La notion cardinale de cette thique environnementale, qui pourra,
12. Dmiiq Brg t Krry Witsid, op. cit., p. 43-55.
13. Ricard Syva Rty, A-t- bsi d v tiq ? (1973), i thique de lenvironne-ment, op. cit., p. 39.
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en outre, relever de lcocentrisme ou du biocentrisme 14, est la notion de
valeur intrinsque. Elle signie que les vivants et les cosystmes nont
pas seulement une valeur instrumentale dcoulant des usages quen ait
lhomme, mais quils reprsentent des ormes de vie ayant leurs normes
spciques et une valeur propre qui nest pas relative au point de vue
conomique ou au prot que nous retirons de leur exploitation.
Quoi que lon puisse dire de lancrage de cette thique de la terre
dans une tradition clbrant, la suite de Thoreau, la vie sauvage ou
wilderness et trahissant une manire culturellement dtermine de se
reprsenter la nature 15, il convient de souligner lapport de ce qui allait
devenir lcologie proonde. On peut critiquer les raccourcis qui ont
remonter la Gense lorigine de la crise environnementale. Quand onrelit les deux rcits de la Cration, on constate, en eet, lcart existant
entre la position dun homme jardinier et intendant de Dieu, cultivant
la terre dont il na que lusuruit sous le regard du Crateur auquel il
rend des comptes, et lexploitation dmesure des ressources caractris-
tique de notre poque. Le second rcit de la Cration, o Dieu insufe
la vie lhomme, orm de la boue de la terre 16, peut mme tre consi-
dr comme allant plus loin et comme anticipant sur le modle dune
citoyennet cologique 17, lhomme tant partie prenante, avec les autres
espces, de la Cration et membre de la communaut biotique 18.
De mme, le gaspillage de la nourriture et la dorestation seraient
incompatibles avec le libralisme de John Locke qui ondait la proprit
sur le travail, mais limitait ce droit par une loi naturelle enjoignant de
ne pas menacer lespce humaine et de ne pas sapproprier les ressources
au point daamer les autres hommes 19. Pourtant, les consquences en
chane de lexploitation des ressources naturelles depuis la rvolutionindustrielle et les volutions de lagriculture et de llevage intensis,
qui ont nourri toujours plus dtres humains mais dont nous savons
aujourdhui quils conduisent lempoisonnement des sols et imposent
14. l bictrism accrd ga var tt vivat. I s distig d cctrism, qi st tiq d rspct d a atr ps pasib c q privigi spc ps q idivid t rapprtds idivids r mii t a cmmat bitiq .
15. Piipp Dsca, Par-del nature et culture, Paris, Gaimard, 2005.
16. J Baird Caictt, Gense. La Bible et lcologie (1991), trad. r. D. Bc, Paris, Widprjct, 2009, p.48-49.
17. Ibid., p. 26-29, 61-62 t 76-86.
18. Ctt xprssi st d lpd qi, prtat, dc atrpctrism d a traditi jd-cr-ti, c qi st xcssi si s rprt a ctr atttiv d a Gs.
19 . J lck, Second trait du gouvernement civil (1690), trad. r. J.-F. Spitz, Paris, PuF, 1994 (vir tam-mt V, 31, 36 t 46).
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des sourances intolrables aux animaux, prouvent que notre modle de
dveloppement est problmatique. Ce modle est essouf et repose sur
une conception du rapport de lhomme lautre que lui qui est errone.
Une telle assertion ne donne pas orcment raison aux cologistes
proonds ni ceux qui cherchent dans lhistoire de la philosophie les
origines de nos problmes, comme si la civilisation occidentale tait
par nature vicie et que Descartes et les Lumires taient responsables
de la crise environnementale. Touteois, si les philosophies ne sont pas
relatives leur poque, il est vrai que les thories morales et politiques
du pass ne permettent pas de rsoudre les problmes cologiques aux-
quels notre modle de dveloppement nous conronte et qui menacent
dune certaine aon les valeurs de libert, de paix et de dmocratie queles hommes des Lumires nous ont lgues. Bien plus, il se pourrait
que, pour honorer cet hritage lre anthropocne, il aille la ois
tenir compte de la manire dont les cologistes proonds renouvellent
lthique et contester leurs prmisses, notamment lide selon laquelle
cest en partant de la nature que lon peut procurer lcologie la philo-
sophie dont elle a besoin. Cest en partant de lhomme et en proposant
une philosophie rnove du sujet quil est possible de tenir la promesse
dun rglement dmocratique de la question naturelle .
Statut moral, thorie de la valeur et
Lapport majeur des hritiers dAldo Leopold rside dans un petit nombre
de catgories qui constituent la mta-thique indispensable lcologie.
ct de la notion de valeur intrinsque, on trouve une dnition de
la considrabilit morale qui nest subordonne ni la possession de la
raison ni identie la sensibilit 20. Celle-ci, entendue comme la sus-
ceptibilit la douleur et au plaisir, sut conrer un statut moral aux
btes, mais elle nest pas la condition sine qua non de la considrabilit
morale. Tous les tres et les entits qui ont un intrt prserver et peu-
vent subir un dommage la suite dun traitement ont un statut moral. Il
sagit des animaux qui ressentent de la douleur et du plaisir, et prouvent
du stress, mais aussi des plantes qui peuvent aner et des cosystmes
qui ne sont pas irritables, mais dont lquilibre subtil dpend de linte-raction entre plusieurs organismes. Ainsi, nous ne pouvons pas interagir
nimporte comment avec eux, ce qui ne veut pas dire pour autant quils
20. Kt e. Gdpastr, D a csidrabiit mra (1978), i thique de lenvironnement, p. cit.,p. 76.
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aient des droits 21. Lintrt de cette notion de considrabilit morale, qui
nexclut pas que nous tablissions une hirarchie entre les tres qui nont
pas nos yeux la mme importance morale, est quelle suggre quil y a
des limites laction de lhomme imposes par les entits non humaines.
Dans lthique et la politique classiques, la seule limite mon actionqui rend lgitime lintervention de ltat 22 est lautre homme, dont je
dois prserver la vie et dont la libert doit tre compatible avec la mienne.
Avec les notions de valeur intrinsque et de considrabilit morale, on ne
sort pas orcment de lhumanisme, puisque cest lhomme qui reconnat
ou non la valeur des tres, mme si cette valeur nest pas orcment
relative son utilit. Comme lcrit Rolston, lhomme nest pas toujours
la source de la valeur, mais elle a besoin de lui pour coaguler dans lemonde 23. Aussi, lintrt des concepts mis en place par les thoriciens
de lthique environnementale est quils conduisent penser autrement
le sujet. Cet aspect na pas t peru par les partisans de lcologie pro-
onde qui se sont ocaliss sur lopposition entre lanthropocentrisme et
lcocentrisme ou le biocentrisme 24. Pourtant, les limites quimposent
notre action les normes propres des animaux qui ne sont pas des per-
sonnes parce quils ne sont pas imputables 25, mais qui sourent quand
nous les contraignons vivre dans des conditions contraires leursbesoins thologiques, posent un problme qui ne relve pas seulement
de la morale ou de la compassion, mais de la justice.
21. Ctt qsti ds drits difrcis qi prrait tr accrds crtais vivats, tammt ax ai-max, qi pvt tr ds sjts sas tr ds prss, mritrait xam part. lssti ici stsimpmt d distigr statt mra t statt jridiq t didiqr q, si s aimax dvait avir dsdrits, cs drits srait ac cas psr sr md ds drits d mm. e ft, a ibrtd ct a pas d ss pr s bts. l vcabair ds drits sbjctis st iapprpri pr x, cmm tmig a Dcarati ivrs ds drits d aima, prcam 15 ctbr 1978 usc, qi
cmprt ds ctradictis. D ps, t srtt, s drits ds aimax divt tr dis partir d rsrms prprs.
22. J Start Mi, De la libert (1859), trad. l. lgt t D. Wit, Paris, Gaimard, c. Fi essais ,1990, p. 74.
23. hms Rst III, la var das a atr t a atr d a var (1994), i thique de lenvironne-ment, p. cit., p. 156.
24. Cst--dir tr tiq rcaissat d digit q mm t dtrmiat a var dsatrs trs t ds css q cti d s sag t tiq d rspct d a atr qi st dsr a rcaissac d a var itrisq ds csystms t ds atrs spcs, t qi privigi idi-vid (bictrism) s itracti avc s mii (cctrism).
25. emma Kat, Mtaphysique des murs, AK, IV, 223, uvres philosophiques, t. III, Paris, Gaimard,
Bibitq d a Piad , 1986, p. 470. Ctt rmarq d rais lc Frry qi sigait iaitds prcs daimax itts a My g (vir Le Nouvel Ordre cologique, op. cit., p. 18). Ca sigipas q s ays vrs s bts q ds dvirs idircts, cmm pst Kat t lc Frry, tcmm vit avc a i Grammt d 1860 qi rprimait s mavais traitmts ctr s aimaxdmstiqs rsqis tait prptrs pbic, rprat argmt s q a vic vrs sbts cmprt s xtsi mm. I st, ft, pas iss d csidrr s aimax cmm dssjts qi t pas smt drit tr prtgs ctr s mavais traitmts, mais qi imitt assisag q s aiss dx t t drit c q rs bsis tgiqs sit rspcts.
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Llevage en batterie des poules qui ne peuvent tendre leurs ailes et
gratter le sol, le connement des truies gestantes dans des stalles o il
leur est impossible de se mouvoir et o leur dtresse est telle quelles
dveloppent des strotypies, ne sont pas seulement cruels, mais ils sont
illgitimes. Le ait de orcer les btes sadapter aux conditions de lle-vage industriel an de produire une quantit maximale dus, de lait,
de viande, en un minimum de temps et pour un cot rduit, est injuste.
Lhomme nie les normes thologiques des btes et les orce sadapter
des conditions de vie contraires leurs besoins an datteindre un
objecti de rentabilit qui, en outre, nest pas dni en onction de la
ralit du travail et qui est dtermin davance. Le travail est ond sur le
dni du rel et il ait aussi sourir les hommes26
. Llevage est assimil la production en srie dobjets manuacturs et les conditions de dten-
tion et dexploitation des btes sont dnies partir du bnce que
lon peut retirer dune production massive. On en arrive mme piger
le droit, comme on le voit avec la directive CE 1999/74 27 qui prvoit
lagrandissement des cages des poules qui passeront, partir de 2012, de
550 950 centimtres carrs, ce qui quivaut une augmentation de la
surace dune carte postale ! Or ce dni du rel, cette manire de penser
le rendement sans sappuyer sur le sens dune activit se retrouvent aussidans lorganisation du travail des hommes 28.
Sagissant de la terre et des cosystmes, il est possible de tracer une
rontire entre une intervention humaine, qui maintient leur quilibre,
et une exploitation, qui conduit lrosion des sols et ne respecte pas la
capacit dune ort se restaurer. Lhomme doit connatre les cosys-
tmes pour les respecter. Nombreux sont les dgts causs par lhomme
qui rsultent de son ignorance. Lintroduction dans le marais poitevindu ragondin venu dAmrique du Sud, o sa population reste stable en
raison de la prsence des alligators, en est un exemple : les terriers de
cet animal que lon destinait au commerce de la ourrure ragilisent les
berges et les digues, tandis que la terre, vacue des galeries et repousse,
gne le onctionnement hydraulique du marais. Cette mprise est lie
au ait que lintervention de lhomme a t dicte uniquement par la
recherche du prot immdiat et quil ne sest pas demand si lintroduc-
26. Cristp Djrs, Lvaluation du travail lpreuve du rel. Critique des ondements de lvaluation ,Paris, Ira ditis, 2003.
27. Dirctiv 1999/74/Ce d Csi, d 19 jit 1999, tabissat s rms miimas rativs a pr-tcti ds ps pdss .
28. Cristp Djrs, Soufrance en France. La banalisation de linjustice sociale (1998), Paris, Si, c. Pit essais , 2009.
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aux autres hommes, aux autres cultures, aux autres ormes de vie, le
pouvoir que nous nous octroyons sur ces dernires et les raisons pour
lesquelles nous les exploitons ainsi.
Nous continuons dhonorer les valeurs dgalit et de justice sociale,
nous parlons de dveloppement durable, nous reconnaissons que
lanimal est un tre sensible 32, mais, dans nos pratiques, dans llevage
industriel, dans la manire dont nous exploitons la terre et dont le travail
des hommes tend aujourdhui tre organis, nous ne reconnaissons pas
de valeur suprieure la rentabilit. Mme la scurit sanitaire des pro-
duits et lide dun juste prix que les agriculteurs recevraient en change
de leur production ne sont rien ct du diktat de la rentabilit. Celle-ci,
comme on la suggr plus haut, nest mme pas value partir du sensdune activit. Elle ne sidentie pas lecacit, mais elle est calcule
de manire abstraite et homogne, partir des chires dune production
optimale qui nest pas adapte la ralit du travail.
Ainsi, la crise environnementale nest que lexpression dune crise plus
gnrale, ou plutt dune organisation sociale et politique elle-mme
onde sur le dni du rel et sur une inversion des valeurs que sert une
stratgie de distorsion communicationnelle 33 o largument cono-
miste permet de justier des dcisions brutales et injustes. Les violences
aites aux btes, la dvastation des paysages, les crises sanitaires sont un
appel lanc au quis du qui suis-je ? . Qui sommes-nous pour aire ce
que nous aisons et accepter de contester dans nos pratiques ce que nous
pensons encore chrir sur le plan des ides et dans la sphre de la vie
prive que la plupart des hommes, nayant plus le sentiment dappartenir
un monde commun 34, investissent comme une valeur reuge, comme
le seul espace o ils pensent exprimer leur subjectivit et o la solidaritsemble possible ?
Ces remarques ne servent pas dresser un tableau pessimiste de notre
poque, mais signier que cette organisation sociale nest pas une ata-
lit. Bien plus, elles invitent complter la philosophie du sujet. Celle-ci
nest pas responsable de la crise actuelle, et nous ne dirons jamais assez
tout ce que nous lui devons en termes de liberts. Sans elle, nous serions
32. Vir a li 76-629 d 10 jit 1976 rativ a prtcti d a atr, tammt artic 9 : Ttaima tat tr ssib dit tr pac par s prpritair das ds cditis cmpatibs avc simpratis d s spc. . Vir Ja-Pirr Margad, laima das va Cd pa , RecueilDalloz, Siry, 1995, 25 cair, p. 187-191.
33. Cristp Djrs, Soufrance en France, op. cit., p. 82.
34. C q haa Ardt app a dsati (loneliness). Vir Les Origines du totalitarisme. Le systmetotalitaire (1951), trad. J.-l Brgt, R. Davr t P. lvy, Paris, Si, 2002, p. 305-306.
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encore sous le joug des tyrans. Cependant, la conception du sujet et le
ondement du droit sur lesquels repose le libralisme politique ne su-
sent pas nous aire concevoir nos devoirs envers les autres vivants et les
entits non humaines. La construction dun concept de responsabilit qui
nous prserve de nous transormer en innocents coupables 35 et dtre
les complices dun modle de dveloppement qui menace aujourdhui les
valeurs de libert et de justice que les philosophes des Lumires nous ont
transmises est prcisment lambition de lthique de la vulnrabilit.
Lthique de la vulnrabilit
La responsabilit est la catgorie phare de lthique de la vulnrabilit qui
est, sa manire, une philosophie du sujet et un humanisme. Lhomme,
la dirence du pigeon, est capable de pleurer la disparition dune autre
espce et de la protger. Plus encore que son pouvoir technique et que
sa capacit dtruire la plante, sa responsabilit distingue lhomme des
autres vivants. Elle est, en ce sens, un privilge. La spcicit de lthique
de la vulnrabilit, qui ne se conond ni avec lthique du care ni avec
les philosophies de la libert, quil sagisse des penses que lon regroupe
dordinaire sous lhumanisme et qui vont du contractualisme Kant et Rawls ou que lon asse rrence lontologie du souci de Heidegger,
est darticuler trois expriences de laltrit 36.
La premire exprience de laltrit renvoie laltration du corps
propre et la ragilit, cest--dire ce que lon appelle communment
la vulnrabilit, qui est le ait dtre acilement bless physiquement, psy-
chiquement, socialement ou culturellement. Cependant, cette ragilit du
vivant susceptible la douleur, au plaisir, au vieillissement, donc des
phnomnes qui soulignent sa passivit, ainsi que lincompltude du psy-
chisme qui manieste notre besoin des autres et limportance de la recon-
naissance dans le dveloppement de soi et lidentit, nest quun aspect
de la vulnrabilit. Celle-ci dsigne aussi louverture lautre, le ait que
je suis concerne par ce qui lui arrive et que ma responsabilit pour lui
nest pas penser comme une obligation, conscutive un engagement.
35. Gtr Adrs, hrs imit pr a cscic , i Hiroshima est partout (1995), Paris, Si, 2008,p. 312.
36. Ctt tiq st dvpp das Cri Pc, LAutonomie brise. Biothique et philosophie, Paris,PuF, 2009. Das La Raison du sensible. Entretiens autour de la biothique , Prpiga, Artg, 2009, s rapps s pricipax caractrs t a gs, i a rxi sr s pratiqs mdicas t accmpa-gmt ds maads d vi t ds prss sfrat d adicaps svrs. Das lments pour unethique de la vulnrabilit. Les hommes, les animaux, la nature, Paris, Cr, 2011, s apprdisss ctttiq d a vrabiit t tirs s impicatis pitiqs t cgiqs.
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Ma responsabilit est lexprience dune altrit en moi au sens o je
suis atteinte par lautre et ne reviens pas seulement moi-mme, ce que
Levinas exprime dans Autrement qutre en parlant d une passivit
plus passive que toute passivit 37. Je ne suis pas seulement proccupe
par ma propre conservation, par ma mort ou par le besoin que jprouve
de marmer, de conqurir mon authenticit 38. Cette responsabilit
originaire dsigne une manire de nommer le sujet : Je signie me
voici 39. Lipsit 40 nest pas dnie par la libert ngative ou lind-
pendance, ni mme par la capacit aire des choix et en changer, mais
je suis ce quoi je rponds et la manire dont je rponds.
Bien plus, lauteur dAutrement qutre souligne la solidarit entre
ces deux expriences de laltrit, la ragilit du vivant et la sensibilitlie au corps rendant possible ma responsabilit pour lautre 41. Seul un
moi vulnrable peut tre responsable 42. Cet autrui, qui ne saurait tre
enerm dans un concept ou un genre et qui de mon pouvoir de
pouvoir , aisant du meurtre la ois une interdiction et une impossibi-
lit 43, nest encore pour le philosophe que lautre homme, seul avoir un
visage. Pourtant, la pense de Levinas contient la promesse dune consi-
dration de lanimal et mme des direntes entits qui va bien au-del
de ce qui existe dans lthique classique et dans les thories du contrat
social. Il na pas tenu explicitement cette promesse, puisque les btes ne
renvoient, pour lui, qu une dirence sans altrit et quil ne sest pas
intress explicitement lcologie. Cependant, il ne serait pas possible
de construire un concept de responsabilit procurant lcologie la phi-
losophie dont elle pourrait avoir besoin si Levinas navait dj modi
le climat de la philosophie.
Le changement radical quil opre ne tient pas essentiellement larhabilitation de la sensibilit, que lon trouve galement chez Bentham,
ni la place conre la compassion. Cette dernire ne doit dailleurs
37. emma lvias, Autrement qutre ou au-del de lessence (1974), Paris, l livr d pc, c. Bibi-essais , 1996, p. 31.
38. Marti hidggr, tre et Temps (1927), Tbig, Max nimyr Vrag, 1993, trad. e.Martia, Attica1985.
39. emma lvias, op.cit., p. 180.
40. lipsit, d ati ipse, si-mm, dsig idtit prs, c q j sis d mair sigir, mi,t mi. Ctt ti s distig d c d mmt, qi rvi a ati idem.
41. emma lvias, op.cit., p. 86-87.
42. S mi vrab pt aimr s prcai. . Vir emma lvias, De Dieu qui vient lide(1982), Paris, Vri, 2004, p. 14.
43. emma lvias, Totalit et Inni. Essai sur lextriorit (1961), Paris, l livr d pc, 1994, p. 215-218.
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pas tre conondue avec la responsabilit, dont il aut armer la dme-
sure essentielle et la rationalit, les transormations de notre agir dues
la science et la technique ayant des consquences invisibles et irr-
versibles sur des tres que nous ne connaissons pas et auxquels nous ne
pouvons pas nous identier 44. La rvolution initie par Levinas rside
dans larmation dun primat de la responsabilit sur la libert qui a des
consquences sur lorganisation sociale et politique dont le philosophe
na pas orcment pris toute la mesure.
Ce nest pas seulement au phantasme dun individu indpendant et
servant de ondement au contrat social que cette philosophie met n. Plus
radicalement que lthique de la sollicitude qui a point les insusances
des thories de la justice et dnonc leurs prsupposs atomistes, voireleurs prjugs sexistes, la pense de Levinas interroge le droit de notre
droit. La substitution la peur pour ma mort de la crainte pour autrui
est une manire de poser la question du droit tre et de se demander
si ma place au soleil nest pas usurpation de la place dautrui par moi
opprim ou aam 45. Cette question, qui creuse la bonne conscience,
nquivaut pas une pense de la culpabilit, ce qui serait une interpr-
tation psychologique et moralisatrice de Levinas, mais il sagit de sin-quiter de ce que mon exister , cest--dire mon tre au monde et mon
vouloir vivre, malgr son innocence intentionnelle et consciente, peut
comporter de violence et de meurtre 46. Placer la question, sans rponse,
du droit tre au cur de notre droit, cest modier radicalement la
philosophie du sujet. Nous ne sommes pas obligs de cautionner lco-
centrisme, mais en rnovant ainsi la philosophie du sujet, une entre est
ouverte vers un usage moins goste de la terre et une exploitation moins
violente des autres, y compris des animaux.Enn, la troisime exprience de laltrit qui constitue lthique de
la vulnrabilit renvoie ma non-indirence pour les institutions de
ma communaut politique dans laquelle je ne suis non pas un moi, mais
moi. Cette notion de communaut politique est loigne de la manire
dont Levinas pense le politique qui est, pour lui, suspect de ramener
lAutre au Mme et de broyer lindividualit sous une totalit. Elle est
galement distincte de ce quil appelle le tiers, qui dsigne les autres quime lancent un appel la justice. Le rapport de lindividu au politique
44. Gtr Adrs, lmm sr pt , i Hiroshima est partout, op. cit., p. 81.
45. emma lvias, De Dieu qui vient lide, op. cit., p. 262.
46. Ibid.
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est un rapport dappartenance, mais il ne relve pas de la usion. Il sou-
ligne le lien entre les valeurs qui sous-tendent les traditions et les insti-
tutions dans lesquelles je suis duque et ce quoi je tiens. Ce lien, que
lexpression didentit narrative chre Ricur exprime bien, nest pas
exempt de tensions, les pratiques et les valeurs qui apparaissent comme
prioritaires dans une socit pouvant heurter proondment mes valeurs
et me renvoyer une image de lhumanit qui mest intolrable. La notion
dattestation dveloppe par lauteur de Soi-mme comme un autre47
traduit cette dimension politique de notre responsabilit qui empche de
penser lespace public comme le simple lieu de la drliction.
Ainsi, le sujet de lthique de la vulnrabilit ne se dnit pas seu-lement par la conservation et ldication de soi, mais il sinquite du
devoir tre de son droit et intgre, dans son vouloir vivre, le souci de
prserver la sant de la terre, de ne pas imposer aux autres espces une
vie diminue et de ne pas usurper la place des autres hommes. Ces imp-
ratis sont autant dappels lancs au quis du qui suis-je ? .
Un tel ondement du droit implique une relecture des droits de
lhomme et une modication de limage de lhomme et de la socialit
qui est au cur du contractualisme sous sa orme actuelle. Ce travail
en cours de ralisation est une partie du vaste chantier qui consiste se
demander comment le libralisme peut rpondre aux ds poss par les
nouvelles techniques mdicales et biomdicales et par lcologie. En aval,
la rfexion consiste se demander quelles institutions peuvent com-
plter la dmocratie reprsentative. Parce que lcologie est aussi une
thique du quotidien et des petites choses, et quelle implique que nous
consentions changer nos styles de vie, il est impossible de sparer levolet ontologique du volet politique de la rfexion. Cependant, compte
tenu de la complexit des problmes environnementaux et des tensions
existant entre des principes galement importants, comme le respect des
liberts individuelles et la protection de la biodiversit, il importe de
sparer ces questions et de se concentrer ici sur quelques propositions
visant aire entrer lcologie dans la dmocratie 48 .
47. Pa Ricr, Soi-mme comme un autre, Paris, Si, 1990, p. 335 t 406.
48. Pr rprdr a rm d Br latr, Politiques de la nature, Paris, la Dcvrt, 1999. latr s-ait q td a dmcrati ax -mais (p. 294) t i prps Parmt ds css (p. 299) cmps d scitiqs aisat tdr a vix ds tits mais t prpsat r ca-didatr a dxim cambr qi a pvir drdacmt. Cs prpsitis sppst vditi d pitiq qi st a cmpsiti prgrssiv d md cmm . Vir assi p. 61-69 d svrag.
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La dmocratie reprsentative en question
Les problmes environnementaux heurtent les prmisses du gouverne-ment reprsentati49 . Ils impliquent que lon corrige un peu les onde-
ments philosophiques sur lesquels la dmocratie reprsentative repose et
que lon ajoute des instances dlibratives permettant de aire gurer la
protection de la biosphre et le respect des autres espces parmi les obli-
gations de ltat. Il sagit aussi de prendre en compte les inormations
scientiques relatives ltat de la plante 50. Ce systme mta-repr-
sentati, qui vise produire un autre rapport entre valeurs, consciences
et institutions, est galement associ des procdures participativesgarantissant une valuation dmocratique des choix environnementaux
et vitant quon en arrive un gouvernement dexperts.
Ces deux solutions au problme de linadquation entre le systme
politique actuel et lcologie supposent aussi un changement de culture
politique, cest--dire une autre manire de concevoir le rle de ltat
et de dnir la mission des hommes politiques. Un tel changement na-
ecte pas seulement les passions politiques et le contenu des programmeslectoraux, mais il concerne aussi la manire dont les reprsentants, les
intellectuels et les mdias sadressent aux citoyens. De mme, la question
de savoir quel est le rle des scientiques, des philosophes et des organi-
sations non gouvernementales dans la Cit et mme au sein des dbats
lgislatis est dterminante. Avant de dvelopper ces points, qui sugg-
rent que les dicults des gouvernements et des organisations interna-
tionales rsoudre la crise environnementale sont dues des habitudes
de pense et dagir qui trahissent un dcit dmocratique, il importe derevenir brivement sur les raisons qui expliquent les insusances du
systme reprsentati actuel.
Nous avons dj oppos le souci du long terme que requiert une
gestion adapte des problmes environnementaux la myopie ou au
court terme auquel conduit la course aux lections. Le contraste entre
les raccourcis idologiques, encourags par les luttes partisanes et par
la mdiatisation des situations individuelles, et la complexit des argu-ments scientiques et philosophiques servant penser lcologie sut
galement comprendre pourquoi la question naturelle se rsume
49. Dmiiq Brg t Krry Witsid, op. cit., p 24.
50. Vir assi s prpsitis d Br latr, op. cit., p. 101-102 t 158-159.
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bien souvent des dclarations dintentions qui ne sont suivies daucun
changement rel. Cela ne veut pas dire que les ministres de lEnviron-
nement qui se sont succd naient rien ait ni que le Grenelle de lenvi-
ronnement ait t vain. Cependant, si la biosphre est le lieu o sexerce
notre libert et si la politique nest pas seulement un jeu deux, mais unjeu trois, alors labsence de reprsentation des entits non humaines
est problmatique. De mme, le ait de coner lcologie un minis-
tre 51, voire den aire un parti qui, en outre, doit se dclarer plus
gauche ou plus droite, nous condamne des actions ponctuelles et
des politiques atomistes qui vont lencontre du caractre transversal
des questions environnementales et de leurs enjeux gnraux.
Enn, la dmocratie reprsentative et le systme lectoral que nousconnaissons sont ns dans un monde o les hommes avaient le senti-
ment que la terre tait une plante gante 52 quils pouvaient cultiver
sans relche pour en tirer des ressources inpuisables. Cette ide dune
nature innie et rebelle que lhomme doit soumettre grce la technique
a install le schma dune dualit entre la libert et la nature qui na plus
le mme sens aujourdhui. Non seulement la biosphre est nie et les
rserves naturelles sont limites mais, de plus, notre pouvoir technolo-
gique, notre dmographie et nos habitudes de consommation ont quenous imposons la terre des contraintes qui nont rien voir avec ce que
aisaient les hommes des sicles prcdents.
Nous continuons de raisonner comme si nous tions dans le monde
de Hobbes, o lhomme est le proltaire de la Cration et o la guerre et
la tyrannie de lglise sont les menaces contre lesquelles ltat doit nous
prserver. Pour les contractualistes, qui sont lorigine de la dmocratie
librale, le rle de ltat est, en eet, de maintenir lordre public, deprotger la nation, de rgler les confits sociaux et de concilier les intrts
concurrents. Quand la menace de la guerre disparat et que les hommes
coulent des jours tranquilles, savourant une libert dnie davantage
par la satisaction de leurs intrts privs et la jouissance de leurs droits
que par lidal antique de la citoyennet 53, alors ltat est pens comme
ce qui doit maximiser le bonheur individuel. Cela ne signie pas que
la rduction de notre empreinte cologique passe aujourdhui par une
51. Dmiiq Brg t Krry Witsid, op. cit., p. 98. ls atrs sggrt q s srvics d tat carg ds qstis gvrmtas sit rattacs a Prmir miistr t ax ps ats istacsxctivs.
52. Brtrad d Jv,Arcadie. Essais sur le mieux-vivre (1968), Gaimard, c. T , 2002, p. 76.
53. Bjami Cstat, D a ibrt ds Acis cmpar c ds Mdrs (1819), i crits poli-tiques, Paris, Gaimard, c. Fi essais , 1997, p. 589-619.
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politique contraignant les citoyens consommer moins ou prnant le
malthusianisme. Il importe cependant de reconnatre que le rle de ltat
change ds lors que le bien commun ne peut tre driv des seuls int-
rts des personnes actuelles et que la nature est reconnue comme tant
vulnrable.
Comment aire pour que la dmocratie passe dun systme li au
jeu des gosmes un gouvernement encourageant les responsabilits
des individus envers une nature nie ? Quels contrepoids apporter la
reprsentation des intrts immdiats et quelles conditions la recherche
de rgles adaptes aux obligations nouvelles que nous avons vis--vis
des gnrations utures et de la plante prserve-t-elle les valeurs du lib-
ralisme politique, cest--dire la tolrance, lide dune galit moraledes individus, la libert de penser et dexpression, la paix ? Telles sont
les questions auxquelles il convient de se conronter si lon veut que les
changements que lcologie ait subir la politique signient plus, et non
pas moins, de dmocratie. Car le spectre dun Lviathan imposant ses
normes environnementales une partie du monde et la solution dune
tyrannie bienveillante 54 ou mme dun gouvernement dexperts sont
les risques auxquels peut conduire notre manque de crativit sur le plan
de la thorie politique.
Des contre-pouvoirs au sein du pouvoir
Lintrt des propositions de Dominique Bourg et de Kerry Whiteside
est de souligner la ncessit dintroduire les organisations non gouverne-
mentales environnementales (ONGE) dans les institutions publiques ou
gouvernementales 55. Il ne sagit pas seulement de aire en sorte que les
politiques auditionnent des scientiques ou des membres dassociations
ddies la dense de lenvironnement, comme cela est dj arriv avant
la rvision de loi de biothique ou lorsquil a t question de lgirer
propos des OGM. Lide est que des ONGE comme la World Fund for
Nature, le World Ressource Institute ou la Fondation Nicolas Hulot
sigent dans des instances dlibratives. Dans le systme reprsentati
actuel, ces organisations ont un poids dans la mesure o elles ont une
certaine autorit morale, mais leur infuence reste limite. Elles convain-quent les hommes et les partis politiques de tenir compte de certaines
54. Ctt sti st ds cis d grad ivr d has Jas, Le Principe responsabilit (1979), trad. J.Grisc, Paris, Cr, 1990, p. 271-272 t 279-283 (tammt p. 280).
55. Dmiiq Brg t Krry Witsid, op. cit., p. 76-80.
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questions environnementales, mais tant quelles ne prendront pas part
aux processus dlaboration des politiques publiques, elles resteront des
outsiders56.
Certes, cette indpendance des ONGE, qui se sont dveloppes dans
la socit civile, en dehors des partis politiques et des syndicats, est aussi
leur orce. Elle leur permet de conserver le sens du long terme et de
penser au bien commun. Leur dimension internationale les prserve ga-
lement des contraintes territoriales et de la pression lectorale propres
lorganisation politique actuelle. En outre, elles sont en contact avec les
populations, ce qui veut dire quelles ont entendre la voix des citoyens.
Cet aspect renorce lide selon laquelle leur prsence dans les organes
dlibratis est un gain dmocratique. Cela ne signie pas que ces ONGEprennent la place des reprsentants et des lus, mais leur rle est de rap-
peler limportance de la question naturelle alors que les politiques,
naturellement, sont enclins reprsenter surtout les intrts des hommes
actuels. De plus, il aut veiller ce que la participation des ONGE aux
organes du pouvoir ne leur asse pas perdre les qualits qui ont delles
des alternatives et des contrepoids au prsentisme. Pour ce aire, Bourg
et Whiteside suggrent de slectionner les ONGE partir de critres
disqualiant les associations cres ad hoc ou par simple opportunisme.
Ils souhaitent aussi que des jurys populaires valuent la comptence des
direntes ONGE et que celles qui sigent dans les instances dlibra-
tives soient slectionnes de manire alatoire et tournante. De telles
procdures permettraient de garantir plus de justice, de transparence
et de publicit dans le choix des organisations, et elles serviraient
lutter contre la corruption lie la pression des lobbies ou lusure
du pouvoir. Ainsi, ces ONGE, loin de sriger en matres penser ouddicter des normes sur lesquelles onder la politique, seraient comme
des contre-pouvoirs au sein du pouvoir, exerant une vigilance dans les
commissions rgulant lnergie, lagriculture, le transport, le logement,
la recherche et lducation. Leur rle serait de mettre en lumire, avec
preuves et justications lappui, les composantes environnementales
des politiques publiques dans tous les secteurs dactivit. Ces sous-
systmes dmocratiques orms par des conseils et instances de veille etde rglementation nont de sens que si des considrations dordre co-
logique acquirent une valeur constitutionnelle 57. Ce rle de gardien
56. Ibid., p. 75.
57. Ibid., p. 88.
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dune Constitution intgrant les nouvelles obligations de ltat incombe-
rait lAcadmie du utur et au Nouveau Snat que Bourg et Whiteside
appellent de leurs vux 58. Il ne sagit pas, encore une ois, dinstances
dictant le beau, le bien, le vrai en politique. Lide est de se donner les
moyens de prendre en compte les donnes de la science dont on ne peutpas aire lconomie quand on veut aire entrer lcologie dans la poli-
tique et mme rpondre aux ds soulevs par les techniques actuelles.
Les hommes politiques ne peuvent pas tout savoir et les scientiques ne
sont pas des politiques. Comment, pour viter une crise de lgitimit,
penser un nouveau rapport sciences/socit/pouvoir ? Cette question
que la plupart des philosophes et politistes sintressant la biothique
et lcologie se posent na rien voir avec la ondation de la politiquesur la science. Lexigence consistant concilier les anciennes onctions
de ltat avec la prservation de biens environnementaux communs
qui conditionnent lexistence de lhumanit conre une place nouvelle
aux scientiques sans les conondre avec des politiques. Tandis quune
Acadmie du utur, regroupant des scientiques et quelques philosophes,
galement slectionns puis nomms par tirage au sort, inormerait les
autorits publiques des connaissances relatives ltat de la plante et
des ressources, un Nouveau Snat erait le lien entre la science clai-rante et les politiques. Il traduirait et interprterait les connaissances
internationalement acquises 59, laborerait des grands projets de loi
en pensant raliser les nouveaux objectis constitutionnels et pourrait
mettre son veto tout projet contredisant les nouvelles obligations de
ltat 60. Charg de veiller aux interactions entre la nation et la bios-
phre, il constituerait ainsi une sorte de laboratoire lgislati en amont
et en aval de lAssemble nationale .La manire dont nous traitons les btes tant lpreuve de notre jus-
tice, ce Nouveau Snat pourrait aussi sopposer aux pratiques qui ne res-
pectent pas les normes thologiques des animaux. De mme, lenviron-
nement touche tous les secteurs dactivit, notamment lducation,
qui avorise la prise de conscience par les individus de leur responsabilit
dans la vie quotidienne comme dans la dimension politique de leur vie.
Si les politiques denseignement et de recherche reftaient cette ide que
mes habitudes de consommation et la manire dont je considre ce quiest dans mon assiette attestent de mes valeurs et rvlent mon identit,
58. Ibid., p. 91-94.
59. Ibid., p. 92.
60. Ibid., p. 93.
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elles seraient plus dles lidal de civilit et mme de civilisation qui
est lhritage des Lumires, un hritage dont les discours moralisateurs et
autres cours de citoyennet ne sont que le ple refet, voire la caricature.
Enn, loin dexclure les citoyens des dcisions politiques, ces propo-
sitions qui visent changer la dmocratie vont de pair avec un renor-
cement de la participation. Les conrences de citoyens 61, quand elles
sont organises de manire rigoureuse et que les participants dsigns
par hasard ne sont pas simplement invits pour recevoir la bonne parole
de grands tmoins ou dexperts jouant le rle de gourous, permettent
dvaluer les projets et de mieux connatre la pense et la volont des
individus que des sondages qui ournissent des rponses sommaires
des problmes complexes. Une inormation et une ormation de qualitsont non seulement ncessaires, mais, de plus, elles sont souhaites par
les citoyens qui, au XXIe sicle, apprcient que lon sadresse leur intel-
ligence, comme en tmoignent le succs que connaissent les conrences
sur les sujets de biothique et dcologie et le discrdit accompagnant
ceux qui utilisent des arguments ad hominem et croient encore qu lge
des ds biotechnologiques et cologiques on peut aire lconomie de
toute rfexion. Autrement dit, la culture politique, cest--dire les pas-
sions politiques et la manire dont on sadresse aux citoyens, devrait elle
aussi voluer.
Une autre culture politique
Des champs aussi complexes que la biothique et lcologie nous ensei-
gnent que les anciens clivages, telle lopposition entre progressisme et
conservatisme, ne permettent pas de mesurer les enjeux lis aux pro-
blmes que nous rencontrons ni de comprendre les confits qui surgissent
quand il sagit, par exemple, de lgirer sur la gestation pour autrui,
leuthanasie ou les OGM. Des personnes que lon pensait de gauche se
dclarent arouchement hostiles aux mres porteuses 62. Dautres pensent
quon peut encadrer cette pratique, dans la mesure o elle nimplique
pas une rmunration et quelle rpond des situations exceptionnelles,
comme celles des emmes qui, nayant plus dutrus, peuvent concevoir
mais non porter un enant 63. Une telle position nimplique pas que lon
61. Mic Ca, Pirr lascms t Yaick Bart, Agir dans un monde incertain. Essai sur la dmocratietechnique, Paris, Si, 2001.
62. Syvia Agaciski, Le Corps en miettes, Paris, Fammari, 2009.
63. Cri Pc, La Raison du sensible, op. cit., p. 108-113. Vir assi la gstati pr atri : xcpti, pas a rg ! , Le Monde, 22 mai 2009.
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soit pour la dpnalisation de leuthanasie, comme si ladministration du
don de la mort par ltat et linstitution mdicale quivalait promou-
voir la justice sociale et lautonomie des personnes 64.
Ainsi, il nexiste pas de manuel nonant les solutions progressistes
aux questions dites de biothique. Sans doute y a-t-il des positionsconservatrices qui conduisent reuser presque tout, mlant avortement,
contraception, procrations mdicales assistes, recherche sur les cellules
souches embryonnaires. On peut galement rencontrer, lautre extrme,
des hrauts du progrs qui conondent euthanasie et avortement, et ont
de la satisaction des dsirs individuels la mesure des lois. Cependant,
ces coupures idologiques rsistent mal lexamen des problmes spci-
ques lis chaque question de biothique. De plus, les vritables argu-ments servant cautionner ou interdire une pratique ne sont pas ceux
qui sont avancs lors des conrontations polmiques. Il sagit, en eet,
de conceptions du monde et de la vie, et de positions ontologiques plus
proondes qui expliquent quune personne est prte ou non intervenir
sur le vivant de telle ou telle aon. Or, au lieu de ne voir que lcume des
choses, de rechercher des solutions toutes prtes et de sen tenir aux rac-
tions pidermiques, chacun est invit, par les problmes que soulvent
les champs de lthique applique, prendre la mesure des conceptionssubstantielles du bien et des valeurs qui orientent ses dcisions.
Ce travail dexplicitation des positions ontologiques qui sous-tendent,
pour chacun, ses manires dtre et ses choix, et mme ses gots ou ses
dgots, produit une connaissance de soi qui est en mme temps une mise
distance de soi. Cet examen vite dhabiller du beau nom de dignit
ses valeurs esthtiques, comme cest souvent le cas dans les discussions
thiques et politiques, o lattitude consistant rationaliser ses impres-sions et prononcer des jugements moralisateurs et paternalistes cde
rarement la place lvaluation de limpact moral et socital des tech-
niques. De plus, cette analyse o les intrts, les visions du monde et les
motions sont soumis la raison publique permet chacun dadopter un
point de vue aillibiliste et critique 65. Tout individu peut ainsi aire le
tri entre ses opinions et croyances, et comprendre mieux le point de vue
des autres, en particulier des personnes ayant des positions ontologiques
opposes aux siennes et adoptant un comportement quil rprouve.Cest par lmotion que nous savons que nous admirons ou rejetons
64. Cri Pc, LAutonomie brise, op. cit., p. 53-82. Vir assi Tts s vis vat dtr vcs ,Le Monde, 29 javir 2011. Crtais prss dist vir mrir parc qatr ds, tt r sigiqs st d trp. lr atmi st aisi cmb d trmi.
65. Jrg habrmas, Lthique de la discussion et la question de la vrit, trad. P. Savida, Paris, Grasst, 2003.
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tel ou tel comportement. Elle est, dans les dbats politiques, sur des
sujets sensibles comme ceux qui touchent la biothique et lcologie,
ce que la douleur est au corps, savoir un signal dalarme qui invite
aire attention lorgane douloureux et lui prodiguer des soins. Le
ait de parler de ses motions et de voir ce dont elles sont lexpressionpermet aussi dexaminer ce qui peut entrer dans llaboration de normes
universalisables et valables pour la communaut. Ces normes nexistent
pas dans le ciel des ides, comme sil y avait une vrit absolue que
nous naurions qu dcouvrir et appliquer. Elles mergent au cours
de la discussion comme des normes qui peuvent tre reconnues comme
valides par tous.
Cette lucidation est particulirement importante en cologie, parceque les motions et les ractions esthtiques traduisent une manire de
penser la nature et de se penser en elle. Encore une ois, cela ne signie
pas que les motions aient valeur dargumentation, mais les ractions
spontanes, quelles soient ngatives ou positives, ont plus quexprimer
ce quune personne aime ou naime pas. Les prises de position thiques
sont des rfexions par rapport de telles ractions : est-ce que jaime ce
que jaime ? 66. Aussi la clarication des dirences ontologiques est-
elle un pas vers la clarication des dirences politiques et de leurs basesthiques. Ces dirences politiques, qui ne sont plus orcment celles
auxquelles les anciennes oppositions idologiques nous ont habitus,
sont le systme de valeurs dune personne. Elles expliquent les confits
environnementaux. Les motions, quand chacun des participants leur
ait subir cet examen qui consiste les traduire an quelles rvlent la
position ontologique qui leur est sous-jacente, peuvent donc servir de
point de dpart la discussion.Ces remarques suggrent que les problmes environnementaux qui
crent des situations de confits entre des individus ayant des intrts et
des points de vue divergents ne peuvent pas tre rsolus de manire tech-
nocratique par des mesures abstraites venues den haut, ni dbattues au
sein de ormations politiques qui cherchent avant tout dnir une ligne
de conduite par opposition celle du camp adverse et usent ou abusent
de slogans prims. Il nous aut aussi nous appuyer sur lexprience qui
dcoule, par exemple, de la gestion de leau 67, laquelle runit, en plus
66. Ar nss, cologie, communaut et style de vie, op. cit. p. 108.
67. Dpis a i sr a d 1992, s cmmissis cas d a (Cle) cmpss pr miti ds, pr qart d rprstats d tat t pr qart d tts s catgris dsagrs (agrictrs, ids-tris, csmmatrs, tc.) disst Frac scma drgaisati t d gsti d a. lrs prs-criptis simpst ax admiistratis t cctivits pbiqs.
cologieetlibralisme
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des lus, les direntes parties prenantes, les usagers, les agriculteurs, les
industriels, etc. Cela ne signie pas que la gouvernance requise par la
gestion locale de biens communs suse lchelle nationale, mais lide
est de rendre possible lautonomie politique.
La capacit des direntes parties prenantes aire surgir des normesqui puissent tre acceptes par tous et ainsi dterminer le partage dun
bien commun suppose une implication des individus qui va plus loin que
lidal participati auquel on rduit parois les progrs dmocratiques.
Au lieu de se borner des changes interactis entre les reprsentants
et les lecteurs lors de spectacles ou dans les mdias, lautonomie poli-
tique des citoyens suppose que ces derniers aient un vritable intrt
pour la Cit et quils acquirent et dveloppent les vertus de tolranceet dcoute, et les qualits dialogiques indispensables lthique de la
discussion. Elle implique aussi quils aient susamment conance en
eux pour sorganiser an de aire remonter les rsultats auxquels les ont
amens leur travail et leur rfexion. Enn, elle suppose que les gouver-
nants ne considrent pas les citoyens comme des mineurs auxquels il
sut de sadresser avec habilet et quils ne considrent pas la dcision
politique comme si elle tait uniquement la marque de la volont dun
homme mettant son empreinte sur le rel.Plus que les leons en communication auxquelles les politiques et les
ches dentreprise consacrent de nos jours une part importante de leur
budget, la connaissance du rel, comme la connaissance des traditions
dun pays, de sa culture et des habitudes et dispositions qui soutien-
nent ses institutions, est indispensable celles et ceux qui veulent aire
quelque chose dutile et de juste pour la collectivit. Le blu, lauto-
ritarisme, le paternalisme, lextrmisme, les simplications et mmelidologie sont des postures dpasses et compltement inadaptes aux
enjeux dune civilisation technologique, o chaque jour qui passe nous
conronte nos responsabilits, grandes et petites, envers les autres
hommes, les autres cultures, les autres espces et la plante. Lcologie
peut tre la chance dun autre gouvernement des hommes, o lEurope
nest pas lennemie de la nation, o les cultures ne disparaissent pas dans
la globalisation, o la France, pays du got et de la philosophie, clbre
pour son amour de luniversel et aime pour sa singularit, a sa placedans le monde.
Corine PELLUCHON,Philosophe
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Valoriser les monuments historiques : de nouvelles stratgiesWladimir Mitroano et Christiane Schmuckle-Mollard, juillet 2011, 28 pages
Contester les technosciences : leurs raisonsEddy Fougier, juillet 2011, 40 pages
Contester les technosciences : leurs rseauxSylvain Boulouque, juillet 2011, 36 pages
La raternitPaul Thibaud, juin 2011, 36 pages
La transormation numrique au service de la croissanceJean-Pierre Corniou, juin 2011, 52 pages
LengagementDominique Schnapper, juin 2011, 32 pages
Libert, galit, FraternitAndr Glucksmann, mai 2011, 36 pages
Quelle industrie pour la dense ranaise ?Guillaume Lagane, mai 2011, 26 pages
La religion dans les aaires : la responsabilit sociale de l'entrepriseAurlien Acquier, Jean-Pascal Gond, Jacques Igalens, mai 2011, 44 pages
La religion dans les aaires : la fnance islamiqueLila Guermas-Sayegh, mai 2011, 36 pages
O en est la droite ? LAllemagnePatrick Moreau, avril 2011, 56 pages
O en est la droite ? La Slovaquietienne Boisserie, avril 2011, 40 pages
Qui dtient la dette publique ?
Guillaume Leroy, avril 2011, 36 pages
Le principe de prcaution dans le mondeNicolas de Sadeleer, mars 2011, 36 pages
Comprendre le Tea PartyHenri Hude, mars 2011, 40 pages
nos dernires Publications
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O en est la droite ? Les Pays-BasNiek Pas, mars 2011, 36 pages
Productivit agricole et qualit des eauxGrard Morice, mars 2011, 44 pages
LEau : du volume la valeurJean-Louis Chaussade, mars 2011, 32 pages
Eau : comment traiter les micropolluants ?Philippe Hartemann, mars 2011, 38 pages
Eau : dfs mondiaux, perspectives ranaisesGrard Payen, mars 2011, 62 pages
Lirrigation pour une agriculture durable
Jean-Paul Renoux, mars 2011, 42 pagesGestion de leau : vers de nouveaux modlesAntoine Frrot, mars 2011, 32 pages
O en est la droite ? LAutrichePatrick Moreau, vrier 2011, 42 pages
Le participation au service de lemploi et du pouvoir dachatJacques Perche et Antoine Pertinax, vrier 2011, 32 pages
Le tandem ranco-allemand ace la crise de leuroWolgang Glomb, vrier 2011, 38 pages
2011, la jeunesse du mondeDominique Reyni (dir.), janvier 2011, 88 pages
Administration 2.0Thierry Weibel, janvier 2011, 48 pages
O en est la droite ? La BulgarieAntony Todorov, dcembre 2010, 32 pages
Le retour du tirage au sort en politiqueGil Delannoi, dcembre 2010, 38 pages
La comptence morale du peupleRaymond Boudon, novembre 2010, 30 pages
L'Acadmie au pays du capitalBernard Belloc et Pierre-Franois Mourier, novembre 2010, 222 pages
Pour une nouvelle politique agricole commune
Bernard Bachelier, novembre 2010, 30 pages
Scurit alimentaire : un enjeu globalBernard Bachelier, novembre 2010, 30 pages
Les vertus caches du low cost arienEmmanuel Combe, novembre 2010, 40 pages
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Innovation politique 2011Dominique Reyni (dir.), novembre 2010, 676 pages
Dense : surmonter limpasse budgtaireGuillaume Lagane, octobre 2010, 34 pages
O en est la droite ? LEspagneJoan Marcet, octobre 2010, 34 pages
Les vertus de la concurrenceDavid Sraer, septembre 2010, 44 pages
Internet, politique et coproduction citoyenneRobin Berjon, septembre 2010, 32 pages
O en est la droite ? La Pologne
Dominika Tomaszewska-Mortimer, aot 2010, 42 pagesO en est la droite ? La Sude et le Danemark
Jacob Christensen, juillet 2010, 44 pages
Quel policier dans notre socit ?Mathieu Zagrodzki, juillet 2010, 28 pages
O en est la droite ? LItalieSoa Ventura, juillet 2010, 36 pages
Crise bancaire, dette publique : une vue allemandeWolgang Glomb, juillet 2010, 28 pages
Dette publique, inquitude publiqueJrme Fourquet, juin 2010, 32 pages
Une rgulation bancaire pour une croissance durableNathalie Janson, juin 2010, 36 pages
Quatre propositions pour rnover notre modle agricolePascal Perri, mai 2010, 32 pages
Rgionales 2010 : que sont les lecteurs devenus ?Pascal Perrineau, mai 2010, 56 pages
LOpinion europenne en 2010Dominique Reyni (dir.), ditions Lignes de repres, mai 2010, 245 pages
Pays-Bas : la tentation populisteChristophe de Voogd, mai 2010, 43 pages
Quatre ides pour renorcer le pouvoir dachat
Pascal Perri, avril 2010, 30 pages
O en est la droite ? La Grande-BretagneDavid Hanley, avril 2010, 34 pages
Renorcer le rle conomique des rgionsNicolas Bouzou, mars 2010, 30 pages
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Rduire la dette grce la ConstitutionJacques Delpla, vrier 2010, 54 pages
Stratgie pour une rduction de la dette publique ranaiseNicolas Bouzou, vrier 2010, 30 pages
O va lglise catholique ? Dune querelle du libralisme lautremile Perreau-Saussine, octobre 2009, 26 pages
lections europennes 2009 : analyse des rsultats en Europe et en FranceCorinne Deloy, Dominique Reyni et Pascal Perrineau, septembre 2009,32 pages
Retour sur lalliance sovito-nazie, 70 ans aprsStphane Courtois, juillet 2009, 16 pages
Ltat administrati et le libralisme. Une histoire ranaiseLucien Jaume, juin 2009, 12 pages
La politique europenne de dveloppement :une rponse la crise de la mondialisation ?
Jean-Michel Debrat, juin 2009, 12 pages
La protestation contre la rorme du statut des enseignants-chercheurs :dense du statut, illustration du statu quo.
Suivi dune discussion entre lauteur et Bruno Bensasson
David Bonneau, mai 2009, 20 pagesLa Lutte contre les discriminations lies lge en matire demploilise Muir (dir.), mai 2009, 64 pages
Quatre propositions pour que lEurope ne tombe pas dans le protectionnismeNicolas Bouzou, mars 2009, 12 pages
Aprs le 29 janvier : la onction publique contre la socit civile ?Une question de justice sociale et un problme dmocratiqueDominique Reyni, mars 2009, 22 pages
LOpinion europenne en 2009Dominique Reyni (dir.), ditions Lignes de repres, mars 2009, 237 pages
Travailler le dimanche : quen pensent ceux qui travaillent le dimanche ?Sondage, analyse, lments pour le dbat
(coll.), janvier 2009, 18 pages
rvz p www.p.
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Pour renorcer son indpendance et conduire sa mission dutilitpublique, la Fondation pour linnovation politique, institution de la
socit civile, a besoin du soutien des entreprises et des particuliers. Ilssont invits participer chaque anne la convention gnrale qui dnitses orientations. La Fondapol les convie rgulirement rencontrer sesquipes et ses conseillers, discuter en avant premire de ses travaux, participer ses maniestations.
Reconnue dutilit publique par dcret en date du 14 avril 2004, la Fondapol
peut recevoir des dons et des legs des particuliers et des entreprises.
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Avantage scal : votre entreprise bncie dune rduction dimpt de60 % imputer directement sur lIS (ou le cas chant sur lIR), dansla limite de 5 du chire daaires HT (report possible durant 5 ans).
Dans le cas dun don de 20 000 , vous pourrez dduire 12 000 dimpt,votre contribution aura rellement cot 8 000 votre entreprise.
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Dans le cas dun don de 1 000 , vous pourrez dduire 660 de votreIR ou 750 de votre ISF. Pour un don de 5 000 , vous pourrez dduire3 300 de votre IR ou 3 750 de votre ISF.
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