entre pittoresque et gardenesque - université laval › jspui › bitstream › 20.500.11794 ›...
Post on 24-Jun-2020
3 Views
Preview:
TRANSCRIPT
Entre pittoresque et gardenesque L’architecture et les jardins périurbains du XIXe siècle de
la ville de Québec
Mémoire
Véronique Fortier
Maîtrise en histoire de l’art
Maître ès arts ( M.A. )
Québec, Canada
© Véronique Fortier, 2017
Entre pittoresque et gardenesque L’architecture et les jardins périurbains du XIXe siècle de
la ville de Québec
Mémoire
Véronique Fortier
Sous la direction de :
Marc Grignon, directeur de recherche
iii
RÉSUMÉ
Ce mémoire a pour objet d’étude les théories esthétiques du paysage et les aménagements
paysagers des jardins périurbains du XIXe siècle de la ville de Québec. Afin de poser un
regard nouveau sur le sujet, nous examinerons les liens concrets entre l’aménagement des
jardins, les pratiques horticoles, l’architecture des serres et l’architecture des résidences,
en tenant en compte des influences anglaises et américaines. Notre but est de montrer que
le courant dit « pittoresque » est en fait très diversifié et contient des pratiques variées ;
on constate que le souci de l’environnement évolue considérablement à travers le
XIXe siècle. Nous analyserons d’abord les différentes théories esthétiques et nous
présenterons leurs théoriciens, puis de manière plus élaborée, nous étudierons l’esthétique
pittoresque et son influence sur la ville de Québec. Nous nous baserons sur quelques
représentations picturales ainsi que sur des ouvrages du XIXe au XXI
e siècle portant sur
l’architecture et les aménagements paysagers des domaines périurbains de la ville de
Québec. Enfin, nous proposerons une nouvelle vision de l’esthétique du paysage avec le
gardenesque en analysant l’architecture des résidences et leurs aménagements paysagers
ainsi que différents événements historiques de la deuxième moitié du XIXe siècle à
Québec.
iv
SOMMAIRE RÉSUMÉ ........................................................................................................................... iii
SOMMAIRE ...................................................................................................................... iv
LISTE DES FIGURES ...................................................................................................... vi
REMERCIEMENTS .......................................................................................................... xi
AVANT PROPOS ............................................................................................................ xii
INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
CHAPITRE 1 .................................................................................................................... 10
1.1 De l’Angleterre à l’Amérique ............................................................................... 11
1.1.1 Edmund Burke : le beau et le sublime ........................................................ 11
1.1.2 William Gilpin, Uvedale Price et Richard Payne Knight : le pittoresque .. 14
1.1.2.1 Humphrey Repton................................................................................ 20
1.1.3 John Claudius Loudon et Andrew Jackson Downing : le gardenesque...... 23
CONCLUSION ................................................................................................................. 29
CHAPITRE 2 .................................................................................................................... 31
2.1 Les jardins et paysages de la Nouvelle-France et du Bas-Canada ........................ 32
2.2 La vision anglaise du paysage étranger ................................................................ 38
2.2.1 Le pittoresque illustré : James Pattison Cockburn ...................................... 41
2.2.1.1 La nature .............................................................................................. 43
2.2.1.2 Le paysage colonial ............................................................................. 45
2.3 Le pittoresque en architecture ............................................................................... 48
2.3.1 La serre........................................................................................................ 53
CONCLUSION ................................................................................................................. 56
CHAPITRE 3 .................................................................................................................... 59
3.1 Andrew Jackson Downing : le gardenesque en Amérique du Nord ..................... 60
3.2 Les grands domaines et le style gardenesque ....................................................... 65
3.2.1 Woodfield ................................................................................................... 65
3.2.2 Spencer Wood et Spencer Grange .............................................................. 67
3.3 Le jardin canadien au XIXe siècle ......................................................................... 70
3.4 La serre à Québec.................................................................................................. 76
v
CONCLUSION ................................................................................................................. 86
CONCLUSION ................................................................................................................. 89
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................ 94
FIGURES ........................................................................................................................ 104
LISTE DES SERRES INVENTORIÉES........................................................................ 124
vi
LISTE DES FIGURES
Figure 1.1 : Loudon, John Claudius. Arbres arrangés dans le style gardenesque, 1838.
Dessin à l’encre noire. Londres. (Image tirée de John Claudius Loudon, The Suburban
Gardener and Villa Companion, Londres, Longman, Orme, Brown, Green, and
Longmans; and W. Black, 1838, p. 165.)
Figure 1.2 : Loudon, John Claudius. Arbres arrangés dans le style pittoresque, 1838.
Dessin à l’encre noire. Londres. (Image tirée de John Claudius Loudon, The Suburban
Gardener and Villa Companion, Londres, Longman, Orme, Brown, Green, and
Longmans; and W. Black, 1838, p. 165.)
Figure 2.1 : Villeneuve, Robert de. Plan de la ville et Chasteau de Quebec fait en 1685
mezuree exactement par sieur de Villeneuve, 1685. Encre noire. Québec. (image tirée de
Marie-Josée Fortier. Les jardins d’agrément en Nouvelle-France. Étude historique et
cartographique. Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 308.)
Figure 2.2 : Chaussegros de Léry, Gaspar-Joseph. Jardin de l’intendant, Québec, 1752.
Encre noire. Détail du plan de Chaussegros de Léry. Québec. (image tirée de Marie-Josée
Fortier. Les jardins d’agrément en Nouvelle-France. Étude historique et cartographique.
Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 308).
Figure 2.3: Cockburn, James Pattison. Mr. Sheppard’s Villa at Woodfield, 1830.
Aquarelle avec pinceau et encre brune sur crayon sur du papier vélin. 23.8 cm x 15.2 cm.
Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2836100.
Figure 2.4 : Cockburn, James Pattison. Quebec from Pointe à Piseau, 1831. Aquarelle
avec pinceau et encre brune sur crayon sur du papier vélin. 31.2 cm x 52,2 cm. Québec.
(image tirée de Christina Cameron & Jean Trudel. Québec au temps de James Patterson
Cockburn. Québec, Éditions Garneau, 1976, p.36).
Figure 2.5: Cockburn, James Pattison. Cape Diamond from Spencer-Wood, september
20th 1830, 1830. Sépia. 15.2 cm x 22,5 cm. Québec. (image tirée de Christina Cameron
& Jean Trudel. Québec au temps de James Patterson Cockburn. Québec, Éditions
Garneau, 1976, p. 35).
Figure 2.6: Cockburn, James Pattison. Spencer Wood [a residence in Sillery near
Quebec], 1829. Aquarelle et encre sur papier vélin. 45.5 cm x 28.30 cm. Canada,
Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2838622.
Figure 2.7 : Anonyme. Asile-Champêtre de Joseph F. Perrault, protonotaire à Québec,
1812. Peinture. Québec, Bibliothèque et Archives Nationale du Québec, Centre de
Québec, cote : P600, S5, PAQ83.
vii
Figure 2.8: Anonyme. Villa Marchmont, 1865. Photographie sépia. Québec. Galerie qui
fait trois côtés de la résidence. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la
nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires
culturelles, 1980, p. 273).
Figure 2.9: Forrest, Charles Ramus. Wolfesfield, a villa residence near Quebec city,
1821-1823. Aquarelle sur crayon sur papier vélin. 51,1 x 33,6cm. Canada, Peter
Winkwoth Collection of Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2838331.
Figure 2.10 : Anonyme. Le château Saint-Louis et une partie de la basse ville. Vers 1818.
Aquarelle sur mine de plomb sur papier vélin. 32.1 x 42.2 cm. Canada, Québec. Musée
des beaux-arts du Canada, Ottawa, nᵒ16686.
Figure 3.1: Anonyme. Aménagement des dépendances et des jardins autour d’une
résidence péri-urbaine, 1877. Dessin au crayon et à l’encre brune. Ontario. (image tirée
de Ron Williams, Landscape Architecture in Canada. Canada, McGill-Queen’s
University Press, 2014, p. 176).
Figure 3.2: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de
l’aménagement du domaine de Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives nationales
du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.3: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de
l’arrangement des arbres du domaine de Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives
nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.4: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail du jardin
géométrique à Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote:
G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.5: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de la résidence
et de la serre du domaine de Woodfield. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du
Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.6: Lemercier, Alfred Léon. Spencer Wood Near Quebec, 1860. Lithographie.
15.2 cm X 22.6 cm. Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, Alfred Léon Lemercier
collection, nᵒMikan 2934639.
viii
Figure 3.7: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Domaine de Spencer
Wood et Spencer Grange. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote:
G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.8: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail du jardin
géométrique du domaine de Spencer Wood. Canada, Bibliothèque et Archives nationales
du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.9: Livernois, Jules-Ernest. Spencer Wood, 1863. Photographie en noir et blanc.
Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, Collection de photographies par Jules-
Ernest Livernois, nᵒMikan 3329966.
Figure 3.10: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de
l’aménagement des arbres du domaine de Spencer Wood. Canada, Bibliothèque et
Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.11: Anonyme. Spencer Grange, 1865. Photographie en noir et blanc. Détail de la
villa et de la serre. Québec. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la
nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires
culturelles, 1980, p. 63).
Figure 3.12: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail de
l’aménagement paysager du domaine de Spencer Wood. Canada, Bibliothèque et
Archives nationales du Québec, cote: G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.13: Anonyme. Morton Lodge, XIXe siècle. Photographie en noir et blanc.
Québec. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au
dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 118).
Figure 3.14: Anonyme. Morton Lodge, XIXe siècle. Photographie en noir et blanc. Détail
de la serre. Québec. (image tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à
Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles,
1980, p. 118).
Figure 3.15: Anonyme. Serre viticole au domaine Cataraqui, vers 1880. Photographie en
noir et blanc. Québec. (image tirée de Nicole Dorio-Poussart. « Mémoire adressé au
Conseil du patrimoine culturel du Québec – Renaissance d’un patrimoine inconnu ou
oublié : un jardin potager et fruitier dans les grands domaines ». La Charcotte, 2014, vol.
28, nᵒ1, p. 10).
ix
Figure 3.16: Anonyme. Beauvoir, vers 1890. Photographie en noir et blanc. Québec.
(image tirée d’André Bernier. Le Vieux-Sillery. Québec, Direction des arrondissements:
Centre de documentation, Direction de l'inventaire des biens culturels, 1977, p. 100).
Figure 3.17: Anonyme. La serre à raisins de la famille Dobell à Beauvoir, vers la fin du
XIXe siècle. Photographie en noir et blanc. Québec. (image tirée de la Commission de la
Capitale Nationale de Québec lors de l’exposition sur Les Grands Domaines de Sillery,
Centre d’interprétation du domaine Cataraqui, Québec, photographie prise par Véronique
Fortier, le 10 octobre 2016).
Figure 3.18: Anonyme. Wolfefield, 1890. Photographie en noir et blanc. Québec. (image
tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième
siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 321).
Figure 3.19: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec,
Canada East, surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Dessin à l’encre. Détail du domaine de
Marchmont. Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote:
G/3452/Q4/1867/C65 CAR.
Figure 3.20: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house
until his death in 1888, 1896-1897. Photographie en noir et blanc. Canada, Bibliothèque
et Archives du Canada, nᵒMikan 3330742.
Figure 3.21: Grant, John. Holland House, St. Foye Road, Quebec, 1840. Aquarelle avec
pinceau et encre brune sur crayon sur du papier vélin. 26.6 cm X 18.2 cm. Canada,
Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 2889843.
Figure 3.22: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house
until his death in 1888, 1896-1897. Photographie en noir et blanc. Canada, Bibliothèque
et Archives du Canada, nᵒMikan 3330744.
Figure 3.23: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house
until his death in 1888, 1896-1897. Photographie en noir et blanc. Détail de la serre à
Holland House. Canada, Bibliothèque et Archives du Canada, nᵒMikan 3330744.
Figure 3.24: Staveley, Harry. Plan of proposes additions to Highland for John T. Ross,
1897. Dessin à l’encre. Canada, Bibliothèque et Archives du Québec, centre de Québec,
Fonds Famille Staveley, cote P541, microfilms 4M00-4637.
Figure 3.25: Anonyme. La villa Hamwood, 1865. Photographie en noir et blanc. (image
tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième
siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 247).
Figure 3.26: Anonyme. La villa Hamwood, 1921. Photographie en noir et blanc. (image
tirée de France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième
siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 247).
x
xi
REMERCIEMENTS Je tiens d’abord à remercier mon directeur de recherche, Marc Grignon, qui a grandement
contribué à la réalisation de ce mémoire. Ses nombreux commentaires ont guidé mes
réflexions tout au long de mon écriture, rendant cette expérience agréablement
enrichissante.
Ensuite, mes remerciements vont à mes parents, Jacquelin et Louise, qui m’ont toujours
encouragée dans mes études. Ils m’ont appris que le travail et la persévérance
garantissent la réussite et je ne les remercierai jamais assez.
Enfin, je tiens à remercier mon conjoint, Laurent, pour sa présence et son soutien moral
dans les moments les plus difficiles. Je le remercie de m’avoir épaulée dans la réalisation
de tous mes projets.
xii
AVANT PROPOS
Ce mémoire se penche sur le courant pittoresque à Québec et examine plusieurs
catégories esthétiques anglaises du XIXe siècle. Les sources primaires et secondaires sur
lesquelles nous nous appuyons sont souvent en anglais: par souci de précision et de
nuance, nous avons choisi de laisser les citations dans la langue originale. Notre propre
compréhension de ces textes est explicitée dans les commentaires qui précédent ou qui
suivent les citations. En effet, les traductions françaises de ces textes ne nous satisfont pas
toujours, et au lieu de mélanger les citations en langue originale, les traductions publiées,
et nos propres traductions, nous avons jugé plus utile de conserver l'anglais partout tout
en clarifiant notre lecture dans nos commentaires.
Il en va de même pour le terme de gardenesque, que nous conservons en anglais tout en
le mettant en italiques. Nous suivons ainsi l'usage favorisé par la majorité des auteurs
ayant abordé cette notion en français. Nous reconnaissons toutefois que certains auteurs
proposent le terme « jardinesque » (voir: Judith K. Major, « A. J. Downing (1815-1852).
Au-delà du traité sur le jardin paysager », Histoire des jardins. De la Renaissance à nos
jours, Paris, Flammarion, 2002, p. 426).
1
INTRODUCTION Dans ce mémoire, nous tenterons de vérifier l’importance accordée, dans les
aménagements paysagers à Québec, à l’esthétique pittoresque, considérée comme une clé
d’explication s’appliquant à tout le XIXe siècle. Par exemple, la Commission de la
capitale nationale du Québec, lors de l’inauguration du centre d’interprétation des grands
domaines de Sillery à l’automne 2016, soulignait que le centre a pour but « de mettre en
valeur la richesse historique et patrimoniale des grands domaines qui ont ponctué la
falaise de Sillery au XIXe siècle
1 ». L’installation du centre dans l’ancien poulailler de la
résidence Cataraqui rappelle « l’étroite relation qu’entretenaient leurs propriétaires avec
la nature, de même que l’influence du mouvement pittoresque sur l’aménagement de ces
lieux de villégiature2. » La renommée de ces domaines, notamment le domaine Cataraqui,
est connue grâce à la qualité des descriptions fournies par les rares documents existants
encore aujourd’hui. En exposant des éléments liés à l’environnement de l’époque, au
mode de vie de la bourgeoisie, aux activités quotidiennes de ces hommes et femmes qui
vivaient dans des résidences reflétant leur grande richesse, le centre d’interprétation
propose une certaine vision du XIXe siècle à Québec. En notant le niveau d’érudition des
propriétaires de ces domaines de Sillery, leur goût pour les sciences naturelles, qui sont
en plein essor à l’époque, ainsi que la place de la nature dans l’architecture, les auteurs
expliquent cette situation par l’influence notable du mouvement pittoresque tout au long
du XIXe siècle. Nous croyons que cette affirmation doit être nuancée, puis précisée.
Québec : ville pittoresque ?
La question du pittoresque à Québec et de son influence sur l’architecture et les
aménagements paysagers du XIXe siècle a largement été documentée depuis les
années 1980. Il est donc bien connu que la bourgeoisie de l’époque développe un goût
1 Anne-Marie Gauthier, « Nouveau Centre d’interprétation des grands domaines de Sillery », Commission
de la Capitale Nationale de Québec, [En ligne], http://www.capitale.gouv.qc.ca/commission/zone-
medias/nouveau-centre-d-interpretation-des-grands-domaines-de-sillery, (consultée le 5 décembre 2016). 2 Ibid.
2
prononcé pour les jardins et l’environnement naturel autour de ses résidences, et ce en
raison de l’influence du mouvement pittoresque. France Gagnon-Pratte et Philippe Dubé
le mentionnent en parlant des nombreuses villas construites à Québec à l’époque
victorienne : « Toutes ces villas sont blotties au sein d’une nature luxuriante. Leur
construction suscite la création de véritables parcs-jardins ; […]3 ». Luc Noppen abonde
dans le même sens et rapporte que « les notables de la ville chercheront [au XIXe siècle] à
renouer contact avec la nature4 » en achetant de grands domaines en dehors de la ville.
Par ailleurs, Janet Wright signale que la construction de ces villas, presque toutes édifiées
dans un jardin ou un parc paysager, est révélatrice des « préoccupations qui sont au cœur
de l’esthétique pittoresque soucieuse de créer autour du bâtiment et de son cadre une
atmosphère propre à frapper la vue et la sensibilité.5 » Ainsi, les nombreuses villas de la
bourgeoisie de Québec sont toutes caractérisées à l’époque par leurs « vastes parcs
pittoresques6 » ainsi que par leurs « jardins victoriens
7 ». Il en va de même pour
l’architecture, comme le démontre France Gagnon-Pratte dans un magnifique inventaire
des villas construites au XIXe siècle à Québec. Dans cet ouvrage, elle explique que
l’implantation d’une nouvelle classe sociale de grands bourgeois, composée de militaires,
de commerçants et de hauts dignitaires du régime colonial anglais provoque un
bouleversement dans les structures sociales. Cette situation engendre des changements
dans l’architecture et dans l’aménagement des domaines de la ville de Québec qui mènent
à l’implantation de l’esthétique pittoresque8. L’auteure consacre, en fait, tout un chapitre
au mouvement pittoresque, qui aurait participé à cette « révolution de la relation maison-
jardin », d’après les concepts romantiques véhiculés en Angleterre par l’architecte
paysagiste William Kent9. Cette cohésion entre la nature et la résidence est aussi
constatée par Danielle Dion-McKinnon ; cette dernière critique cependant le besoin
d’expression de la richesse des propriétaires des domaines par la construction de villas
3 France Gagnon-Pratte et Philippe Dubé, « La Villa », Magazine Continuité, nᵒ 40, 1988, p. 24.
4 Luc Noppen et al., Québec : trois siècles d’architecture, Québec, Libre expression, 1979, p. 60.
5Janet Wright, L’architecture pittoresque au Canada, Canada, Agence Parcs Canada et Lieux patrimoniaux
du Canada, 1984, p. 7. 6 Frédéric Smith, Parc du Bois-de-Coulonge, Québec, Fides, 2003, p. 21.
7 Ibid, p.53
8 France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec,
Ministère des Affaires culturelles, Musée du Québec, 1980, p. 5. 9 Ibid., p. 88.
3
« prétentieuses » où « on aménage des jardins avec fontaines et belvédères [et où] on
plante des arbres rares.10
» Ces villas, qui entourent Québec d’une véritable couronne de
jardins le long du chemin Saint-Louis et du chemin Sainte-Foy, de même que leurs
aménagements, jardins, serres, salles de dessins et de musique reflètent bien le
romantisme de l’époque11
.
En ce qui concerne Sillery, André Bernier explique que l’aspect « pittoresque du site, la
proximité de Québec, la proximité du fleuve et des chantiers de bois ainsi que le prestige
du site12
» influencent le choix des propriétaires. Bernier décrit lui aussi les domaines
comme des lieux marqués par le romantisme et le naturalisme, admettant qu’ils
représentent bien l’époque victorienne et l’influence du mouvement pittoresque13
.
L’attirance de la bourgeoisie anglaise pour les paysages pittoresques et les jardins est
aussi démontrée par les recherches de Frédéric Smith sur les deux domaines les plus
connus aujourd’hui à Québec, soit le domaine Cataraqui et le domaine de Spencer Wood
(Bois-de-Coulonge). Smith relate que dans la deuxième moitié du XIXe siècle les
domaines se transforment le plus souvent en raison du goût des propriétaires pour
l’horticulture et les jardins. À Cataraqui comme à Spencer Wood, le propriétaire
« s’emploie à faire de sa [nouvelle] demeure un lieu de retraite au goût du jour, empreint
d’un romantisme proprement victorien » par l’ajout de jardins potagers et de serres14
. Cet
apport scientifique aux aménagements paysagers dont parle Frédéric Smith dénote d’une
évolution dans les préoccupations des propriétaires et des jardiniers des grands domaines
de Québec. Les effets de la popularisation des sciences naturelles dans les jardins de
Québec amènent, selon nous, des transformations importantes. En nous appuyant sur les
sources de l’époque, nous proposerons que l’esthétique pittoresque évolue vers une autre
esthétique, le gardenesque.
10
Danielle Dion-Mc Kinnen, Sillery. Au Carrefour de l’histoire, Montréal, Boréal Express, 1987, p. 94. 11
John Hare, Histoire de la ville de Québec, Montréal, Musée canadien des civilisations, 1987, p. 223 12
André Bernier, Le Vieux-Sillery, Québec, Direction des arrondissements : Centre de documentation,
Direction de l’inventaire des biens culturels, 1977, p. 55. 13
Ibid. 14
Frédérick Smith, Cataraqui : histoire d’une villa anglaise à Sillery, Québec, Publications du Québec,
2011, p. 39. ; Parc du Bois-de-Coulonge, Québec, Fides, 2003, p. 21.
4
La science au cœur des aménagements paysagers
William Taylor se concentre sur ce phénomène dans son ouvrage The Vital Landscape où
il explique que, dans le cas de l’Angleterre, les sciences naturelles influencent la
population et l’amènent vers une meilleure compréhension de l’être vivant. Taylor parle
aussi d’« environmental awareness15
» en expliquant que la population bourgeoise du
XIXe siècle prend conscience de son environnement et de l’effet que celui-ci peut avoir
sur leur propre bien-être. L’intérêt pour la compréhension des êtres vivants, mais plus
particulièrement de l’homme et de son milieu de vie, permet au XIXe siècle un
croisement entre les domaines de l’architecture, de l’horticulture et de l’architecture
paysagère qui se manifeste notamment par l’importance accordée au type de bâtiment le
plus représentatif de la « culture of environmentality » : la serre. Pour Taylor, la serre
devient un élément majeur dans la représentation des nouvelles préoccupations de la
population de la seconde moitié du XIXe siècle.
La Grande-Bretagne est alors marquée par la présence d’importants théoriciens, comme
John Claudius Loudon qui développe de nouvelles approches autour de préoccupations
« environnementalistes ». Comme l’explique Taylor, Loudon crée non seulement un
nouveau prototype de serres en accord avec les avancés techniques et industrielles de
l’époque, mais il propose une nouvelle vision de l’aménagement paysager qui intègre
notamment les sciences naturelles (horticulture et botanique)16
. Loudon définit en 1832
un style d’aménagement paysager qu’il nomme le gardenesque17
, popularisé en
Angleterre ainsi que dans ses colonies tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Le gardenesque de Loudon incorpore certains principes du pittoresque, tels que la
variété, l’harmonie et le contraste, aux nouvelles préoccupations associées au
développement et à la popularisation de l’horticulture et de la botanique. Ces
préoccupations correspondent bien à ce que Taylor tente de démontrer : « Given the
popularization of science, particularly in the second half of the nineteenth century, the
15
William M. Taylor, The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in Nineteenth-Century
Britain, Angleterre, Ashgate Publishing Limited, 2004, p. 1. 16
Ibid., p. 10. 17
John Claudius Loudon, The Suburban Gardener and Villa Companion, Londres, Longman, Orme,
Brown, Green and Longmans; and W. Black, 1838, p. 160.
5
language of form, functions and appearances was means whereby knowledge of the
necessities of domestic life was acquired […]18
. » En effet, il explique que l’intérêt pour
l’horticulture et le design résulte du développement au milieu du XIXe siècle d’une
nouvelle conscience de l’environnement, l’« environmental awareness », qui correspond
à l’essor et à la popularisation de la serre19
.
Le pittoresque et le gardenesque pourraient s’être côtoyés dans plusieurs jardins
coloniaux, rendant difficile les catégorisations tranchées. Nous pensons que le Bas-
Canada, en tant que colonie anglaise, s’inscrit dans ce mélange de catégories esthétiques
et que les jardins des grands domaines périurbains de la ville de Québec reflètent
également l’évolution des styles esthétiques et témoignent de ces nouvelles
préoccupations qu’amènent la popularisation des sciences naturelles et les nouvelles
théories esthétiques.
Catégories esthétiques et jardins de Québec
À la lumière de ces informations, nous tenterons dans ce mémoire de déterminer quelle
catégorie esthétique peut être associée aux aménagements paysagers de la ville de
Québec du XIXe siècle. Nous avons choisi d’étudier deux grands domaines situés en
périphérie de la ville de Québec, soit Woodfield et Spencer Wood/Spencer Grange. Ce
choix est motivé par la quantité d’information et de descriptions qui existe et qui porte
sur les aménagements paysagers de ces domaines ainsi que sur l’organisation spatiale des
lieux.
Analysant d’abord ces deux domaines pendant la première moitié du XIXe siècle, en fait
jusqu’en 1840, nous déterminerons quelles sont les caractéristiques qui correspondent
précisément à l’esthétique pittoresque. Les images de ces domaines réalisées par James
Pattison Cockburn nous permettent de voir, à travers les yeux d’un Anglais de l’époque,
comment la ville de Québec était représentée et de comprendre les raisons qui ont amené
18
William Taylor, The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in Nineteenth-Century Britain,
Londres, Éditions Ashgate, 2004, p. 7. 19
Ibid, p. 70.
6
l’artiste à préférer l’esthétique pittoresque pour représenter certains paysages de Québec.
Afin de compléter les représentations de Cockburn, nous utiliserons les descriptions des
domaines de Woodfield et de Spencer Wood/Spencer Grange tirées de son ouvrage
Quebec and its environs ; being a picturesque guide to the stranger20
ainsi que celles21
que propose James MacPherson LeMoine, auteur et historien prolifique du XIXe siècle né
à Québec.
Ensuite, nous nous pencherons sur l’évolution de Woodfield et de Spencer Wood/Spencer
Grange après 1840 pour montrer comment se développe l’approche gardenesque. Pour ce
faire, nous nous appuierons sur quelques textes22
de John Claudius Loudon qui
définissent les principales caractéristiques associées aux aménagements paysagers de
style gardenesque. De manière plus élaborée, nous utiliserons le traité23
d’Andrew
Jackson Downing, qui présente une approche plus exhaustive de l’esthétique
gardenesque selon les théories de Loudon tout en adaptant ces caractéristiques au
contexte nord-américain.
Le traité de Downing est important dans notre recherche puisqu’il présente une certaine
évolution et une adaptation des styles esthétiques au contexte d’implantation et aux
préoccupations locales. Par ailleurs, les traités de Downing et de Loudon sont reconnus
comme importants par leur popularité qui les rend accessibles aux notables de la ville de
Québec. À cet effet, Loudon fait mention dans l’un de ses textes24
de la richesse de
l’aménagement paysager de Spencer Wood ainsi que du talent de son jardinier, et
20 James Pattison Cockburn, Quebec and its environs; being a picturesque guide to the stranger, Londres,
Thomas Cary & Co. 1831, 42 p. 21
James McPherson LeMoine, Maple Leaves. Canadian History and Quebec Scenery, Third Series,
Québec, Hunter, Rose & Company, 1865, 138 p. ; Picturesque Quebec, Montréal, Dawson, 1882, 535 p. ;
Monographie et Esquisses, Québec, J.G. Gingras, 1885, 478 p. 22 John Claudius Loudon, The Green-House Companion and Natural arrangement of Green-House Plants,
Londres, Harding, Triphook and Lepard, 1824, 473 p. ; Remarks on the construction of Hot-Houses,
Londres, Architectural Library, 1817, 133 p. 23 A.J. Downing, A Treatise on the Theory and Parctice of Landscape Gardening adapted to North
America with a view to The Improvement of Country Residences, New-York & Londres, Wiley and
Putnam, 1841, 452 p. 24 John Claudius Loudon, « Art. II Foreign Notices: North America », The Gardener’s Magazine, Octobre
1837, p. 467.
7
LeMoine fait des commentaires élogieux sur le traité de Downing dans deux importants
ouvrages25
.
Bien entendu, nous sommes conscients que l’influence de l’esthétique pittoresque peut
s’étendre au-delà du milieu du XIXe siècle ; le pittoresque englobe en fait des pratiques
très variées qui s’étendent tout au long de la période considérée. Selon France Gagnon-
Pratte, l’influence du mouvement pittoresque en architecture s’exerce entre 1830 et
187026
, tandis que Janet Wright date ce même mouvement entre 1780 et 186527
. Bien
qu’il soit difficile d’attribuer des dates précises à l’esthétique pittoresque, en prenant en
compte l’arrivée des notables anglais et le développement du style gardenesque, nous
pouvons situer le début de l’influence pittoresque entre 1800 et 1810 et son expansion
jusqu’en 1840. La catégorie esthétique du gardenesque, qui s’installe tranquillement en
Grande-Bretagne vers 1832, prendrait alors place à Québec entre 184128
et 1845, à la
même période que la publication du traité d’Andrew Jackson Downing aux États-Unis,
puis son influence s’intensifierait dans les années 1850 jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Ainsi, en examinant les liens concrets entre l’aménagement des jardins, les pratiques
horticoles, l’architecture des serres et l’architecture des résidences, puis en tenant compte
des influences anglaises et américaines, nous tenterons de poser un nouveau regard sur
les théories esthétiques du paysage et sur les aménagements paysagers des jardins
périurbains du XIXe siècle de la ville de Québec. Nous voulons démontrer que le courant
pittoresque est en fait très diversifié et contient des pratiques variées ; le souci de
25 Monographies et Esquisses (1885) et Picturesque Quebec (1882). 26
Pour France Gagnon-Pratte, l’architecture palladienne, qui est populaire à Québec entre 1780 et 1820 ne
fait pas partie du mouvement pittoresque. C’est plutôt à partir de 1830 que les résidences dans le style
palladien, transformées par l’ajout d’annexe, font partie, d’après l’auteure, du mouvement pittoresque.
Gagnon-Pratte, Ibid., p. 82. 27
Janet Wright, L’architecture pittoresque au Canada, Ottawa, Direction des lieux et parcs historiques
nationaux Parcs Canada, Environnement Canada, 1984, p. 102-127 28
L’année de 1841 marque également le Canada par l’Acte d’Union. Cet acte a pour effet de réunir les
deux provinces du Canada, le Haut-Canada et le Bas-Canada, et de passer ainsi d’une structure de
gouvernance colonialiste à une structure nationale canadienne en donnant plus de responsabilités au
gouvernement canadien. « L’Acte d’Union, loi du Parlement britannique, entériné en juillet 1840 et
promulgué le 10 février 1841, a réuni les colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada sous l’égide d’un seul
et unique gouvernement, donnant naissance à la Province du Canada. » Jacques Monet, mise à jour le 3
avril 2015, « L’Acte d’Union », Encyclopédie Canadienne, [En ligne], < http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/lacte-dunion/>, (consultée le 13 décembre 2016).
8
l’environnement évolue considérablement à travers le XIXe siècle et plus précisément
pendant la deuxième moitié du XIXe siècle avec le gardenesque. En bousculant ainsi la
vision courante de l’architecture et du paysage de Québec, ce mémoire nous permettra
d’apporter de nouvelles perspectives d’interprétation sur l’environnement de la ville de
Québec.
Le premier chapitre de ce mémoire nous servira d’introduction aux différents concepts
sur les catégories esthétiques du XVIIIe siècle ainsi qu’à leurs théoriciens respectifs.
Nous examinerons d’abord les théories d’Edmund Burke portant sur le beau et le
sublime, puis nous aborderons les théories de William Gilpin, de Uvedale Price, de
Richard Payne Knight et de Humphrey Repton sur le pittoresque. Nous donnerons
beaucoup d’importance à la définition du pittoresque, qui évolue et se complexifie
pendant tout le XVIIIe siècle et jusqu’au XIX
e siècle. Finalement, nous aborderons les
concepts de l’anglais John Claudius Loudon et de son homologue américain Andrew
Jackson Downing sur le gardenesque. Nous nous intéressons plus particulièrement à ces
deux auteurs en raison de leur important rôle dans le développement de la compréhension
du paysage au XIXe siècle.
Dans le deuxième chapitre, nous aborderons plus précisément la présence du pittoresque
dans le Bas-Canada et son implantation dans les paysages de la ville de Québec. Nous
tenterons ainsi de comprendre pourquoi l’esthétique pittoresque est préférée aux autres
esthétiques, le beau et le sublime, pour représenter la ville de Québec au XIXe siècle.
Pour ce faire, nous parlerons brièvement des premiers jardins en Nouvelle-France, puis
nous aborderons le sujet de leur transformation vers le style préféré des colons anglais, le
pittoresque. Ensuite, nous traiterons des aspects qui lient les représentations pittoresques
de la ville à la vision anglaise de Québec au XIXe siècle en analysant trois représentations
des domaines périurbains de Québec, Woodfield, Spencer Wood/Spencer Grange, peintes
par James Pattison Cockburn entre 1830 et 1831. Finalement, nous nous intéresserons à
l’intégration de l’esthétique pittoresque dans l’architecture et dans l’aménagement
paysager de la ville de Québec. Nous donnerons des exemples de villas construites à
l’époque afin de comprendre comment l’architecture s’est adaptée à cette esthétique et
9
ultimement comment l’influence pittoresque a été accompagnée par l’introduction de la
serre autour des habitations.
Le troisième et dernier chapitre examinera comment l’esthétique du gardenesque s’est
implantée dans le paysage de la ville de Québec dès 1841. Nous aborderons d’abord les
caractéristiques du gardenesque que propose Andrew Jackson Downing dans son ouvrage
A Treatise on the Theory and Practice of Landscape Gardening, Adapted to North
America publié en 1841 aux États-Unis. Ensuite, en analysant les domaines de Woodfield
de Spencer Wood/Spencer Grange, nous parlerons du développement des aménagements
paysagers vers le style gardenesque en utilisant les caractéristiques énumérées par
Downing. Puis, nous étudierons la transformation du jardin canadien au cours du XIXe
siècle par l’introduction du style gardenesque en considérant son évolution dans la ville
de Québec ainsi que la popularisation des sciences naturelles. Enfin, nous parlerons du
déploiement des traités d’horticultures au Canada, de la création de sociétés
d’horticulture et enfin de la popularisation de la serre dans les domaines de Québec.
10
CHAPITRE 1
LES CATÉGORIES ESTHÉTIQUES ANGLAISES
Les historiens de l’art reconnaissent que les catégories esthétiques anglaises ont servi à
appréhender les paysages canadiens au tournant du XIXe siècle
1.
Avant d’examiner comment elles ont influencé l’architecture et l’aménagement paysager
à Québec, il nous semble utile de connaitre les principales catégories esthétiques en nous
appuyant sur les auteurs qui, à nos yeux, proposent les meilleures synthèses de leurs
idées; nous examinerons successivement les concepts concernant le paysage développées
par Edmund Burke, William Gilpin, Uvedale Price, Richard Payne Knight, Humphrey
Repton et John Claudius Loudon. Nous verrons comment la catégorie esthétique du beau
s’est fragmentée à partir du milieu du XVIIIe siècle, d’abord avec Edmund Burke et ses
idées sur le sublime, ensuite avec l’introduction du pittoresque, lui-même décliné en
plusieurs interprétations, de Gilpin à Loudon. À ceci s’ajoutera une autre catégorie,
moins connue, mais tout aussi fondamentale pour notre recherche, le gardenesque, que
nous continuerons à nommer en employant le terme anglais. Nous considérons ce style
comme l’indice d’un développement majeur dans la compréhension du paysage au XIXe
siècle, et il mérite par conséquent que nous nous intéressions à ses attributs et à son
rapport particulier au paysage au même titre que les autres catégories esthétiques.
1 Ian S. MacLaren, « The Limits of the Picturesque in British North America », Journal of Garden History,
Vol. 5, N° 1, 1985, p. 97-111 ; Marylin J. McKay, Picturing the Land. Narrating Territories in Canadian
Landscape Art, 1500-1950, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2011, 359 p. ; Alain Parent,
« Entre empire et nation. Gravures de la ville de Québec et des environs, 1760-1833 », Thèse de doctorat,
Québec, Université Laval, 2003, 299 p. ; Didier Prioul, « Les paysagistes britanniques au Québec : de la
vue documentaire à la vision poétique », dans Béland, Mario, dir., La Peinture au Québec, 1820-1850 :
nouveaux regards, nouvelles perspectives, Musée du Québec & Les Publications du Québec, 1991, p. 50-
59 ; Ron Williams, Landscape Architecture in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2014,
664 p.
11
1.1 De l’Angleterre à l’Amérique
Les nombreux essais sur l’esthétique du paysage s’additionnent aux débats suscités par la
découverte de nouvelles émotions lors des voyages des Britanniques sur le continent
européen, et en particulier du Grand Tour, qui est un moment fondamental dans la
formation de tout jeune aristocrate dès le XVIIe siècle
2. C’est à cette époque que s’éveille
en Angleterre une appréciation pour les paysages en peinture et notamment l’intérêt des
membres de l’aristocratie pour la collection de peintures de paysage. En voulant montrer
leur connaissance artistique, les membres de l’élite s’approprient les théories sur
l’esthétique pour caractériser les paysages représentés3.
Au XVIIIe siècle, les recherches théoriques d’Edmund Burke, de William Gilpin,
d’Uvedale Price, de Richard Payne Knight et de Humphrey Repton portent en majeure
partie sur la catégorisation de l’esthétique de la relation au paysage. C’est en revalorisant
les qualités visuelles, « susceptibles de produire et de créer chez le spectateur des
sensations et des états d’âme variés4 », que sont définies les nouvelles catégories
esthétiques. Ainsi, les notions de beau et de sublime prennent place aux côtés du
pittoresque et permettent de catégoriser les paysages en fonction des différentes émotions
qu’ils suscitent chez les spectateurs.
1.1.1 Edmund Burke : le beau et le sublime
Edmund Burke (1729-1797) est l’auteur d’un essai écrit au XVIIIe siècle qui distingue les
catégories esthétiques du beau et du sublime et établit, pour près d’un demi-siècle, « a
wholly objective conception of the effect of visible objects on the passions5. » Né à
2 Christopher Hussey, The Picturesque. Studies in a Point of View, 2
e éd., Archon Books, 1967, p. 12.
3 Ibid, p. 12.
4 France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec,
Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 89. 5 Hussey, op. cit., p. 12.
12
Dublin en 1729, Burke est reconnu comme un politicien engagé6 et un philosophe. Sur le
plan politique, il soutient, tout au long de sa carrière, les Américains dans leur quête de
l’indépendance et il s’oppose vivement à la Révolution française. Les premiers ouvrages
de sa longue carrière d’écriture sont : A Vindication of Natural Society : A View of the
Miseries and Evils Arising to Mankind (1756), A Philosophical Enquiry into the Origin of
our Ideas of the Sublime and Beautiful7(1757, révisé en 1765) et An Essay Towards an
Abridgement of English History (1757-1762). Entre 1758 et 1765, il participe comme
rédacteur en chef à l’Annual Registrer, une publication qui permet à plusieurs auteurs
d’analyser les événements politiques internationaux de l’année courante. En 1765, Burke
devient le secrétaire particulier du marquis de Rockingham, premier ministre de la
Grande-Bretagne. Au cours des années suivantes, il publie plusieurs versions de ses
discours parlementaires, dont American Taxation (1774), Conciliation with America
(1775) et Fox’s East India Bill (1783) ainsi que des commentaires sur la politique
domestique et les affaires internationales, comme An Appeal from the New to the Old
Whigs (1791), Letters on a Regicide Peace (1795-1797) et A Letter to a Noble Lord
(1796)8.
Dans son essai esthétique, A Philosophical Inquiry into the Origins of our Ideas of the
Sublime and Beautiful (1757), Edmund Burke définit les propriétés du beau comme
l’harmonie entre les parties. Dans les mots de Milani, il s’agit de: « smallness,
smoothness, variety, fragility, and colour in the appropriate doses » ainsi qu’harmonieux
et attirant9. Dans la nature, le beau peut être vu à travers des éléments spécifiques tels que
« un cygne, une rose, et un jardin [conçu] par Brown10
. » Dans le même sens, le
philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804), qui tient compte de l’essai de Burke
6 Il a longtemps été député à la Chambre des communes britannique, en tant que membre du parti Whig. Ian
Harris, « Edmund Burke », The Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2012, [En ligne],
<http://plato.stanford.edu/archives/spr2012/entries/burke/>, (consulté le 23 août 2016). 7 Ce texte attire l’attention de penseurs tels que Denis Diderot et Emmanuel Kant. James Prior, Life of the
Right Honourable Edmund Burke, 5e éd., Londres, Henry G. Bohn, 1854, p. 47.
8 Harris, op. cit.
9 Raffaele Milani, Art of the Landscape. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2009, p. 109.
10 Edmund Burke, A Philosophical Inquiry into the Origins of our Ideas of the Sublime and Beautiful,
Londres, R. and J. Dodsley, 1757, p. 94-95.
13
notamment sur les jardins de Lancelot « Capability » Brown11
, déduit dans Critique du
jugement (1790) que le beau peut être ultimement exprimé dans le paysage par l’ordre,
l’élégance et la symétrie. Raffaele Milanie propose que le beau permet un arrangement
parfait entre « the formal garden, where there is representation, the art of landscaping (the
imitation and control of nature), and the landscape garden, where we have the garden as
nature12
. » Cette beauté parfaite a inspiré selon Milanie les observateurs dans les anciens
jardins classiques. Enfin, les différentes théories sur le beau dans le paysage s’accordent
sur un point : « the idea of Beauty unifies all others in a fusion of the self and nature.
Being itself is Beauty and poetry is seen to spring from nature13
. »
À l’opposé du beau, le sublime est un concept esthétique qui renvoie aux émotions les
plus fortes. La définition du sublime de Burke implique l’idée de la douleur, du danger,
de la terreur, de la passion et de l’effroi mélangé avec l’admiration et le respect. Dans la
nature, « a storm at sea, a gloomy forest, a lion, a tiger, or a rhinoceros, are all
sublime14
. » Dans le même sens, Milani explique que « The sublime is that which is vast,
rough, dark, and massive; it is a kind of tranquility tinged with terror15
. » D’après lui, la
définition d’Emmanuel Kant dans Critique du jugement (1790) s’applique bien à ce que
l’on peut ressentir à la vue d’un paysage sublime. Kant utilise également des termes que
propose Burke dans son essai tels que « power » et « vastness » pour décrire sa vision de
l’immensité de la nature16
.
Le sublime est néanmoins perçu et théorisé différemment pendant tout le XVIIIe et le
XIXe siècle par d’autres penseurs. Ainsi, Kant voit l’expérience du sublime comme
l’ultime libération de l’homme par rapport à la nature, tandis que pour le poète
11
Au XVIIIe siècle, Lancelot Brown (1716-1783) est le concepteur de jardins le plus populaire en
Angleterre. Son surnom « Capability » provient de son habitude d’inviter les notables à améliorer les
capacités ou « capability » du paysage. Il exploite donc les possibilités des jardins en détruisant le jardin
français plus formel et géométrique, qui était alors populaire, pour le remplacer par des éléments plus
« naturels ». Stéphanie Ross, « The Picturesque : An Eighteenth-Century Debate », The Journal of
Aesthetics and Art Criticism, Vol. 46, N° 2, hiver 1987, p. 273. 12
Milani, op. cit., p. 111. 13
Ibid., p. 113. 14
Burke, op. cit., p. 60. 15
Milani, op. cit., p. 110. 16
Ibid., p. 101.
14
romantique William Wordsworth (1770-1850) il s’agit d’une expérience participative ou
immersive dans la nature17
. De manière générale, le sublime peut contenir toute réaction
intense engendrée par des paysages naturels éblouissants, majestueux ou extrêmement
accidentés, réels ou peints18
.
Pendant un certain moment, les concepts du beau et du sublime suffirent pour décrire
l’esthétique des paysages et pour définir tous les plaisirs esthétiques ressentis. Par contre,
de nouvelles qualités dans la peinture du paysage du XVIIIe siècle amènent une
complexité qui n’appartient plus aux catégories esthétiques « anciennement » définies.
Comme l’expose Christopher Hussey, « in the landscape painting of Gainsborough
appeared a great quality of rough, shaggy, and summarily delineated objects, derived
from Dutch landscape, that immediately pleased the connoisseurs but were obviously
neither sublime nor beautiful19
. »
1.1.2 William Gilpin, Uvedale Price et Richard Payne Knight : le pittoresque
La catégorie esthétique du pittoresque est au centre de nombreux débats de théoriciens
esthétiques du XVIIIe et du XIX
e siècle. Entre William Gilpin, Uvedale Price et Richard
Payne Knight, sa définition diffère un peu ; d’abord très ancrée dans l’aspect « pictural »,
la catégorie s’ouvre ensuite à d’autres préoccupations, comme la perception
multisensorielle et les associations20
.
La notion classique du pittoresque a d’abord été formulée par William Gilpin. D’origine
anglaise, William Gilpin (1724-1804) est connu pour avoir raffiné les concepts sur les
catégories esthétiques du paysage avec l’ajout du pittoresque et pour avoir élaboré des
théories sur l’esthétique de l’image. Dès 1748, il consacre un essai à sa visite du domaine
17
Milani, Ibid., p. 102. 18
Ian S. MacLaren, The Influence of Eighteenth-century British Landscape Aesthetics on Narrative and
Pictorial Responses to the British North American North and West, 1769-1872, Thèse de doctorat, London,
University of Western Ontario, 1983, p. 34. 19
Hussey, op. cit., p. 13. 20
Marc Grignon, « Architecture and "Environmentality" in the Nineteenth Century », Journal of the
Society for the Study of Architecture in Canada, Vol. 38, Nᵒ 2, 2014, p. 68-70.
15
de Stowe dans le Buckinghamshire, où il s’intéresse particulièrement à l’aménagement
des jardins et au paysage21
. En 1753, Gilpin devient le directeur de la Cheam School for
Boys dans le Surrey, puis il tente de produire un premier essai portant sur la théorisation
du paysage, mais celui-ci passe inaperçu en raison de la fameuse publication d’Edmund
Burke portant sur le sublime et le beau (A Philosophical Inquiry into the Origins of our
Ideas of the Sublime and Beautiful, 1757)22
. Il tourne alors son attention sur l’image et le
graphisme, puis publie anonymement en 1768 son Essay on Prints qui porte sur
l’esthétique de diverses images et sur leurs artistes. Au total, trois éditions de son essai
sont publiées entre 1768 et 1781 ; la dernière édition est pour la première fois signée par
Gilpin. Entre 1768 et 1776, William Gilpin passe ses étés à voyager à travers l’Angleterre
en prenant des notes dans le but d’écrire un prochain livre23
. Après avoir quitté sa
fonction de directeur d’école, Gilpin publie en 1786 un autre important essai,
Observations, relative chiefly to picturesque beauty, made in the year 1772 : on several
parts of England ; particularly the mountains, and lakes of Cumberland, and
Westmoreland24
, qui annonce le début du romantisme où on constate le grand intérêt de
Gilpin pour les ruines.
William Gilpin décrit en 1768, dans son Essay on Prints, la beauté du pittoresque comme
un concept différent de celui associé au sublime et au beau. En voulant englober son
appréciation de la peinture de paysage de Nicolas Poussin ou de Claude Lorrain et pour
encourager « a picture-imagination25
» lors de voyages, Gilpin définit le terme
pittoresque comme l’expression d’une sorte particulière de beauté qui est agréable dans
un tableau26
. Aussi, Gilpin explique que « l’imagination picturale » s’exerce par
l’orientation de l’attention sur l’analyse et l’évaluation de scènes naturelles rencontrées
21
Dictionary of Art Historians, «Gilpin, William». A Biographical Dictionary of Historic Scholars,
Museum Professionals and Academic Historians of Art. [En ligne], <
https://dictionaryofarthistorians.org/gilpinw.htm>, (consulté le 23 août 2016). 22
Ibid. 23
Ibid. 24
William Gilpin, Observations, relative chiefly to picturesque beauty, made in the year 1772 : on several
parts of England ; particularly the mountains, and lakes of Cumberland, and Westmoreland, Londres, T.
Cadell and W. Davies, Strand, 1786, 330 p. 25
Mavis Batey, « The Picturesque : An Overview », Garden History, Vol. 22, N° 2, The Picturesque, hiver
1994, p. 122. 26
Jean-Rémi Mantion, « William Gilpin et la beauté pittoresque », Critique, nᵒ 766, mars 2011, p. 233.
16
pendant les voyages pour trouver les paysages les plus réceptifs à la peinture27
. Dans le
même sens, selon Hussey, William Gilpin distingue à l’aide des termes « Picturesque
Beauty » et « Picturesque Sublimity »28
les objets qui sont beaux et sublimes et qui
seraient adéquats pour la peinture.
Dès 1794, les concepts de Gilpin sur la beauté pittoresque sont repris et transformés par
d’autres théoriciens : « […] Gilpin’s practical ideas for encouraging a picture-
imagination when travelling was developed into abstract picturesque theory by the two
Herefordshiresquires Richard Payne Knight and Uvedale Price29
. »
En contraste à Gilpin, Uvedale Price définit le pittoresque en 1794 comme un mouvement
qui met l’accent sur les qualités de l’irrégularité, la rudesse et la complexité des
mouvements30
. Sir Uvedale Price (1747-1829) est né en Angleterre dans le Herefordshire
et, tout comme son ami et voisin Richard Payne Knight (et comme William Gilpin), il est
l’un des protagonistes du mouvement esthétique du paysage, le pittoresque31
. Bien nanti,
Price est, tout comme Edmund Burke, membre du parti Whig de la Chambre des
communes britannique. Uvedale Price est reconnu pour son Essay on the Picturesque, As
Compared with the Sublime and The Beautiful, publié en 1794 (édition augmentée en
1796-1798 et en 1819), où il développe ses idées sur la théorie du pittoresque en tant que
catégorie esthétique32
. Il est aussi reconnu pour être un excellent musicien et un artiste
très doué. En 1767, il part étudier l’italien à Florence, puis il amorce son Grand Tour à
Rome, à Venise et à Turin avant de se rendre en Suisse33
. De retour en Angleterre, Price
s’active dans le jardin de la maison familiale et fait plusieurs changements esthétiques en
faveur de la beauté naturelle du paysage. Cette expérimentation met de l’avant le mépris
que voue Uvedale Price au style de jardin popularisé par Brown, qu’il considère comme
monotone et banal. L’approche de Brown consiste en une organisation équilibrée et
27
Batey, op. cit., p. 122. 28
Hussey explique que le terme Picturesque Beauty a déjà été utilisé par Gilpin contrairement à celui de
Picturesque Sublimity. Hussey, Ibid, p. 13. 29
Batey, op. cit., p. 121. 30
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 89. 31
William Prideaux Courtney, « Price, Uvedale », Dictionary of National Biography, 1885-1900, Vol. 46. 32
Ross, op. cit., p. 271. 33
Ibid, p. 272.
17
simple avec l’utilisation de quelques éléments naturels du paysage, tels que des bosquets,
un étang ou la courbe d’une colline. Price prône plutôt un amalgame d’éléments naturels
et fait « l’éloge des accidents de la nature : un arbre racorni [ou] une branche à demi
emprisonnée dans la surface gelée d’une mare34
». Pour Price, un jardin se doit d’être
sauvage, contrasté et d’aspect négligé. D’après lui, le concepteur de jardin doit alors
penser son aménagement de manière à ce que tous les sens soient en extase35
.
L’esthétique du beau, plutôt associée aux jardins de Brown, ne s’accorde pas avec les
caractéristiques que propose Price. Le pittoresque, en tant que catégorie esthétique,
permet d’améliorer la nature à la façon d’un peintre, pour apprécier son apport
multisensoriel et « multi-émotive ». Ainsi, Price « […] isolated a set of qualities which
allowed him to mark what was missing in the gardens of « Capability » Brown and to
establish criteria for successful improvements. These qualities comprise the
picturesque36
. » Price définit le pittoresque à partir de caractéristiques telles que la
rudesse, les variations soudaines et l’irrégularité. Ces qualités lui permettent de s’éloigner
de la peinture et de prendre une certaine distance face à la conception strictement
picturale de Gilpin pour éventuellement se tourner vers l’esthétique du paysage. Selon
Price, le pittoresque n’est pas moins indépendant de l’art pictural que le beau et le
sublime, mais « the qualities which make objects picturesque […] are equally extended to
all our sensations, by whatever organs they are received.37
» Ainsi, pour Price ce sont les
qualités immersives et l’expérience sensorielle qui distinguent l’esthétique pittoresque du
paysage peint38
.
En voulant imiter les concepts d’Edmund Burke pour le sublime et le beau, Uvedale Price
fait du pittoresque une catégorie abstraite qui permet de qualifier les paysages plus
irréguliers. Mavis Batey l’explique ainsi : « Price […] tried to make the Picturesque an
34
Encyclopédie Universalis, « Price Uvedale - (1747-1829) », Encyclopædia Universalis, [En ligne], <
http://www.universalis.fr/encyclopedie/uvedale-price)>, (consulté le 23 août 2016). 35
Ross, op. cit., p. 273. 36
Ibid., p. 273. 37
Uvedale Price, Essays on the Picturesque, as Compared with the Sublime and the Beautiful; and on the
Use of Studying Pictures, for the Purpose of Improving Real Landscape, Londres, J. Robson, 1796, p. 53. 38
Grignon, op. cit., p. 70.
18
objective, abstract category comprising all rough objects and abrupt deviations as Burke
had categorized the Beautiful as smoothness and gradual deviations39
. »
En 1801, Price publie un essai nommé A Dialogue on the Distinct Characters of the
Picturesque and Beautiful en réponse à la critique que porte Richard Payne Knight, dans
la seconde édition de The Landscape, sur la définition du pittoresque que Price présente
en 179540
. La relation entre Uvedale Price et Richard Payne Knight est difficile tout au
long de leur carrière et varie en fonction de leur accord sur les définitions et les concepts
de chacun sur le pittoresque. Au départ, leurs critiques sur le style de jardin de Brown
vont dans le même sens, et comme leur jugement sur le rapport entre l’art et le paysage
s’accorde, Payne Knight propose à Price de participer à une publication (The Landscape,
1795)41
. Price va cependant refuser en raison des théories de Payne Knight qui dépassent
le simple concept esthétique pour tendre vers une théorie du goût plus complexe reposant
sur le point de vue de l’observateur et non, comme chez Price, sur les objets eux-
mêmes42
.
Puis, Payne Knight développe son idée sur le pittoresque et critique vivement l’accent
que met Edmund Burke, de même qu’Uvedale Price, sur l’apport des sensations et des
émotions dans le paysage ou la peinture43
. Pour Payne Knight, l’appréciation d’un
paysage est directement influencée par le niveau de connaissance des paysages peints ;
les connaissances surpassent ainsi les émotions. Payne Knight développe cette idée qu’il
nomme la théorie de l’association et, comme l’explique Christopher Hussey :
« Knight’s contention was that the picturesque consisted only in a manner of
viewing things – with an eye and mind educated in the principles of painting;
and that picturesque beauty was simply the beauty of visible objects; called so
because painting, by imitating the visible qualities only, isolated beauty from
whatever irrelevant qualities or circumstances might tend to conceal it44
».
39
Batey, op. cit., p. 123. 40
Ross, op. cit., p. 272. 41
Ibid. 42
Richard Payne Knight, An Analytical Inquiry into the Principles of Taste, Londres, imprimé par Luke
Hansard, 1806, p. 196. 43
Batey, op. cit., p. 123. 44
Hussey, op. cit., p. 69.
19
Richard Payne Knight (1750-1824) est tout aussi important dans le développement des
concepts entourant l’esthétique du pittoresque. Né en Angleterre dans le Herefordshire,
Payne Knight reçoit une courte éducation à la maison familiale en raison de sa faible
santé et finalement il n’étudie pas à l’université. Il est connu comme collectionneur et
critique d’art, archéologue, philologue et politicien, membre du Parlement britannique45
.
Richard Payne Knight et son frère Thomas Andrew Knight, horticulteur, héritent en 1764
du domaine familial à Downton, Herefordshire46
. En 1767, Payne Knight part pour
l’Italie et commence son Grand Tour, qui dure plusieurs années. À son retour, il possède
une importante collection d’art qu’il installe dans sa demeure de style « Gothic Revival »
nouvellement construite47
. Il organise en 1778 l’aménagement paysager de son domaine
en suivant les concepts du pittoresque, qu’il préconise48
. Payne Knight rejoint en 1781 la
société des Dilettanti qui regroupe une communauté d’érudits d’Europe s’intéressant aux
antiquités, aux principes archéologiques, à l’art et à la littérature49
. Entre 1786 et 1806,
Payne Knight publie plusieurs essais, mais le plus populaire d’entre eux reste son
Analytical Inquiry into the Principles of Taste de 1805 (trois éditions, 1805-1806), qui
présente les associations comme un concept joint au pittoresque50
. Il est aussi l’auteur de
deux poèmes didactiques nommés The Landscape (1794-1795) où il critique les
méthodes d’aménagement paysager de Lancelot Brown ainsi que la définition du
pittoresque que propose son collègue Uvedale Price.
Dans son texte Analytical Inquiry into the Principles of Taste, Payne Knight offre une
définition du pittoresque très différente de ce qu’avait avancé Price dans son essai. Il
explique que l’erreur de Price est d’avoir cherché « distinctions in external objects which
only exist in the modes and habits of viewing and considering them51
. » Pour Payne
Knight, le pittoresque est constitué d’associations qui se révèlent dans l’esprit de
45
Warwick William Wroth, « Knight, Richard Payne », Dictionary of National Biography, 1885-1900, Vol.
31. 46
Ibid. 47
Ibid. 48
Ibid. 49
Lionel Cust, History of Society of Dilettanti, Londres, MacMillan, 1898, p.1-4. 50
Milani, op. cit., p. 97. 51
Payne Knight, op. cit., p. 197.
20
l’observateur et non, comme chez Price, dans l’environnement. Il explique ainsi comment
une association peut constituer le pittoresque :
« […] this very relation to painting, expressed by the word picturesque, is
that, which affords the whole pleasure derived from association; which can,
therefore, only be felt by persons, who have correspondent ideas to associate;
that is, by persons in a certain degree conversant in that art. Such persons
being in the habit of viewing, and receiving pleasure from fine pictures, will
naturally feel pleasure in viewing those objects in nature, which have called
forth those powers of imitation and embellishment […]. The objects recall to
the mind the imitations, which skill, taste, and genius have produced; and
these again recall to the mind the objects themselves, […]52
. »
Christopher Hussey propose un rapprochement des théories sur le pittoresque de Price et
de Payne Knight, qui partagent certaines préoccupations impressionnistes, soit la
recherche de qualités visuelles dans le paysage peint ou réel, notamment la lumière et les
couleurs des plantes53
. D’après Hussey, « The impressionist garden that they visualized
was a reaction from the garden of idea contemplated by Brown […]54
. » Ces deux
théories se distinguent cependant par la dimension subjective du pittoresque et l’idée
d’association chez Payne Knight, qui contraste avec la dimension objective de l’argument
de Price.
1.1.2.1 Humphrey Repton
Reconnu comme le successeur de Lancelot « Capability » Brown, Humphrey Repton
(1752-1818) s’inscrit dans le débat sur le pittoresque par ses aménagements paysagers
sobres et irréguliers, et se distingue, selon Mavis Batey, par une approche plus pratique
que ses prédécesseurs : « […] Repton’s system of landscape gardening embracing
flexibility and amenity as well as picturesque principles which flourished and was
practiced all over the country.55
» Né à Bury St Edmunds en Angleterre, Repton est
destiné à devenir marchand et à travailler pour son père à Norwich, mais sa passion pour
52
Ibid., p. 152-153. 53
Hussey, op. cit., p. 160. 54
Ibid. 55
Batey, op. cit., p. 126.
21
l’horticulture l’amène vers une profession très différente56
. En 1773, il démarre une petite
compagnie de textiles qui n’est pas très performante, puis, à la mort de ses parents, il
tente sa chance en tant que journaliste, acteur, artiste et poète57
. Il produit en tant
qu’aquarelliste amateur plusieurs représentations de paysages de l’Angleterre ainsi que
des plans d’aménagement paysager dans le style qu’il préconise, le pittoresque. Ces petits
emplois ne lui apportent pas la reconnaissance qu’il souhaite jusqu’à ce qu’il se présente
lui-même en 1788 comme un « landscape designer » auprès de la ville de Norwich : il
reçoit son premier contrat à Catton Park58
. À l’aide de ses Red Books59
(plus de 400),
Repton rassemble plusieurs croquis, aquarelles, plans d’aménagements et textes pour
présenter son travail à ses clients60
. Ses Red Books sont en fait organisés pour répondre
aux besoins individuels de chaque client61
: un ingénieux système de caches, des vues
avant/après leur permettent de visualiser les interventions paysagères projetées62
. En
1794, alors que Repton s’apprête à publier Sketches and Hints on Landscape Gardening,
écrit à partir des Red Books, son travail est attaqué par Richard Payne Knight dans The
Landscape, a Didactic Poem address to Uvedale Price, puis par Uvedale Price dans
Essay on the Picturesque63
. Les deux protagonistes des théories du pittoresque critiquent
fortement les aménagements paysagers de Repton en leur reprochant leur monotonie et
leur manque de complexité. Malgré cela Repton publie Sketches and Hints on Landscape
Gardening (1795), en prenant soin de souligner la diversité et la variété de ses
aménagements pour répondre à Price et Knight, ce qui lui apporte une grande popularité.
En 1795, il réalise plus d’une cinquantaine de contrats lui donnant de la notoriété chez les
architectes et les notables et favorisant la renommée de ses techniques d’aménagement,
reconnues partout en Grande-Bretagne64
. Enfin, les nombreux volumes écrits par Repton
56
André Rogger, Landscapes of Taste. The Art of Humphrey Repton’s Red Books, Londres, New York,
Routledge, 2007, p. 8. 57
Ibid. 58
Hussey, op. cit., p. 162. 59
Les livres sont publiés par Repton dès 1795, puis ils sont republiés par John Claudius Loudon en 1840.
Rogger, op. cit., p. 38. 60
Rogger, Ibid., p. 65. 61
Hazel Fryer, « Humphry Repton’s Commissions in Herefordshire : Picturesque Landscape
Aesthetics », Garden History, Vol. 22, N° 2, The Picturesque, Hiver 1994, p. 163. 62
Rogger, op. cit., p. 45, 54-57. 63
Fryer, op. cit., p. 163. 64
Rogger, op. cit., p. 15-18.
22
entre 1794 et 1818 lui permettent de synthétiser et de populariser les idées des grands
théoriciens et designers du jardin anglais — naturel et pittoresque — du XVIIIe siècle
65.
Les aménagements de Repton sont caractérisés par l’installation de plates-bandes florales
géométriques aux abords des résidences et par une organisation irrégulière, avec des
sentiers sinueux s’éloignant de la résidence66
. Il construit l’aménagement en fonction du
style de la résidence pour une parfaite harmonisation avec l’environnement, puis il ajoute
des éléments architecturaux créateurs d’émotions dans le même style que le bâtiment
principal, comme un pavillon, un petit pont, un temple, des bancs et des vases ou des
urnes remplies de fleurs67
.
Pour Humphrey Repton, le pittoresque fait partie d’un ensemble de stratégies, dont
l’ordre, la symétrie, l’utilité et la conformité, qui permettent de construire une situation
propre à la création du jardin d’émotion. L’effet pittoresque est ainsi décrit par Repton :
« […] furnishes the gardener with breadth of light and shades, forms and groups, outline
and colouring, balance of composition and occasional advantage from roughness and
decay, the effect of time and age68
. » Ainsi, pour Repton, les jardins ne sont pas construits
simplement en fonction de leur capacité à avoir l’air d’une peinture, mais pour leur
utilisation au quotidien et le plaisir qui en résulte ; il mise sur le confort, l’intimité et
l’apport social du jardin.
Le pittoresque est ainsi associé aux émotions de mystère que l’on ressent lors d’une
promenade dans un boisé aux sentiers sinueux, percé par la lumière et offrant des vues
particulières69
. Enfin, cette catégorie esthétique s’annonce comme un retour vers la nature
romantique en créant une communion entre la résidence et la nature qui l’entoure. Repton
pouvait proposer dans ses aménagements paysagers l’installation de sentiers, de chutes,
65
Williams, op.cit., p. 179. 66
Rogger, op. cit., p. 134. 67
Ibid., p. 133-134 68
Fryer, op. cit., p. 168-169. 69
Hussey, op. cit., p. 130-137.
23
de grottes, de terrasses, de serres, etc. pour agrémenter les promenades et prolonger la
demeure dans la nature70
.
1.1.3 John Claudius Loudon et Andrew Jackson Downing : le gardenesque
Au cours de l’année 1832, un nouveau type d’aménagement paysager est proposé en
Angleterre, dans la continuité de l’esthétique pittoresque. Il s’agit du gardenesque style,
ainsi désigné par l’important théoricien John Claudius Loudon71
.
John Claudius Loudon, né en 1783 en Écosse, travaille pendant toute sa vie au
développement du goût pour l’horticulture et pour le jardinage. L’entrepreneur, auteur et
jardinier-paysagiste s’adonne à l’avancement des sciences naturelles ainsi qu’à la
diffusion des théories et des techniques d’horticulture à une population mixte et de
différentes classes sociales. En 1822, il publie sa considérable Encyclopedia of
Gardening. Rééditée huit fois et réimprimée une fois jusqu’en 1870, soit vingt-sept ans
après la mort de Loudon, elle est considérée comme l’ultime ouvrage de référence en
horticulture pendant tout le XIXe siècle
72. Loudon publie, dès 1826, un journal nommé
Gardener’s Magazine qui permet, entre autres, aux jardiniers de discuter de leur travail
dans une perspective artistique et technique. Au début du XIXe siècle, il visite de
nombreux jardins en Angleterre, mais aussi au Canada73
, pour ensuite les critiquer et les
décrire dans le Gardener’s Magazine. De manière substantielle, Loudon contribue aux
écrits théoriques sur l’horticulture de même que sur l’architecture, la décoration intérieure
et le design des jardins74
. Dès le début de sa carrière, son intérêt pour la culture des
plantes en serre se remarque dans ses nombreuses publications. En tant que membre de la
Horticultural Society of London dès 1815, Loudon rend accessibles les résultats de ses
70
Rogger, op. cit., p. 134. 71
Colleen Morris, « The Diffusion of Useful Knowledge: John Claudius Loudon and His Influence in the
Australian Colonies ». Garden History, Vol. 32, Nᵒ 1, printemps 2004, p. 101. 72
Brent Elliot, Victorian Gardens, Londres, B.T. Batsford, 1986, p. 12. 73
John Claudius Loudon visite Spencer Wood en 1837. John Claudius Loudon, « Art. II. Foreign Notices :
North America », The Gardener’s Magazine and register of rural & domestic improvement, Octobre 1837,
p. 467. 74
Stephan Koppelkamm, Glasshouses and Wintergardens of Nineteenth Century, New York, Rizzoli
International Publication, Inc. 1981, p. 19.
24
nombreuses expérimentations75
sur la forme la plus efficace de la serre, basée sur le bien-
être des plantes dans un environnement artificiel. Nous reviendrons sur les différents
éléments techniques relevés par Loudon sur la serre, mais pour l’instant concentrons-nous
sur le gardenesque style développé au cours de sa longue carrière.
Les théories de John Claudius Loudon sur l’aménagement paysager émergent au début de
ses travaux au sein de l’école pittoresque, associée à Price et Payne-Knight, où il
développe parallèlement le gardenesque style76
. En s’inspirant des grandes théories sur le
pittoresque et le jardin moderne du XVIIIe siècle, Loudon met l’accent sur une meilleure
compréhension de l’aspect plus pratique et philosophique de la profession d’architecte
paysagiste. Le jardinier-paysagiste devient ainsi un artiste et son œuvre devient le jardin.
Loudon ne va pas seulement s’inspirer des principes esthétiques du jardin anglais,
notamment l’aspect social du jardin développé par Repton, il va aussi intégrer quelques
concepts de théoriciens français, notamment les formes géométriques, pour la création du
style gardenesque. De cette manière, « Throughout his career, he viewed landscapes with
an undeniably British eye. But his mind, which craved order, system, and unity, was
attracted to French modes of thought77
. » Ainsi, le style gardenesque, conçu par Loudon
en 1832 et présenté dans sa critique de l’essai Pratical Hints on Landscape-Gardening de
William Gilpin, permet de tirer le meilleur du pittoresque par l’emploi de formes
géométriques et de plantes exotiques organisées de manière indépendante ainsi que par
l’utilisation de regroupements pittoresques de végétaux78
. Par l’organisation de
« overgrown masses of trees and shrubs, and by loosely grouping the natural features a
lawn, Loudon hoped to reconcile two conflicting desires79
» : l’étude de spécimens, qui
poussent sous des conditions à peu près idéales, de manière individuelle et l’appréciation
d’un paysage composé de manière pittoresque. En 1838, Loudon décrit ainsi le
gardenesque style dans son ouvrage The Surburban Gardener and Villa Companion :
75
Titre de la lecture lors de l’événement: « On the Form which the Glass of a Forcing house ought to have
in order to receive the greatest possible Quantity of Rays from the Sun », Koppelkamm, Ibid, p. 19. 76
Morris, op. cit., p. 101. 77
Melanie Simo, « John Claudius Loudon : On the planning and design for the Garden Metropolis »,
Garden History, Vol. 9, Nᵒ 2, 1981, p. 194. 78
Morris, op. cit., p. 116. 79
Simo, op. cit., p. 194.
25
« […] the production of that kind of scenery which is best calculated to
display the individual beauty of trees, shrubs and plants in a state of nature;
the smoothness and greenness of lawns; and the smooth surfaces, curved
directions, a dryness and firmness of gravel walks; in short, it is calculated for
displaying the art of the gardener80
».
Dans la conception du style gardenesque de John Claudius Loudon, l’art des jardins est
vu comme un travail artistique où la science et l’art s’entremêlent pour donner un
caractère au domaine. Loudon illustre le principe de l’imitation de la nature par une
organisation artificielle des jardins. Ceux-ci sont alors transformés par l’artiste-jardinier,
qui notamment supprime la végétation indigène, puis la remplace par des plantes
exotiques81
.
En incorporant les principes du pittoresque tels que la variété, l’harmonie et le contraste,
le style gardenesque révèle « the beauty not only of the trees and shrubs in garden, but
also of the art of the gardener82
». Bref, le design et les sciences, telles que la botanique et
l’horticulture, prennent une place substantielle dans le travail du concepteur de jardins,
qui devient un artiste et un architecte du paysage. William Taylor expose également cette
influence des sciences et la relation de l’homme avec l’environnement. Il explique que
« Given the popularization of science, particularly in the second half of the nineteenth
century, the language of form, functions and appearances was means whereby knowledge
of the necessities of domestic life was acquired […]83
. » Selon lui, l’intérêt pour
l’horticulture et le design résulte d’une nouvelle conscience de l’environnement,
l’« environmental awareness », qui s’est développée au XIXe siècle avec la popularisation
de la serre84
.
Comme plusieurs théoriciens avant lui, Loudon démontre la spécificité du gardenesque
style par sa comparaison avec une autre catégorie esthétique. Il présente la différence
80
John Claudius Loudon, The Suburban Gardener and Villa Companion, Londres, Longman,
Orme, Brown, Green and Longmans; and W. Black, 1838, p. 160. 81
Loudon, Ibid., 1838, p. 140-141. 82
Morris, op. cit., p. 116. 83
William Taylor, The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in Nineteeth-Century Britain,
Londres, Éditions Ashgate, 2004, p. 7. 84
Ibid, p. 70.
26
entre l’organisation du paysage dans l’esthétique du pittoresque et l’organisation du
paysage dans l’esthétique du gardenesque85
. Il explique d’abord que lors de la
construction d’un paysage dans le style gardenesque, les arbres, les buissons et les
végétaux doivent être séparés et regroupés par type. Il poursuit en disant que « every
gardenesque group must consist of trees which do not touch each other, and which only
become groups by being as near together as is practicable without touching, and being
apart from larger masses, or from single trees or rows of trees86
. » La figure 1.1 illustre le
concept de proximité de Loudon où les arbres conservent des distances variées tout en
étant relativement isolés. La figure 1.2, en comparaison, représente un regroupement dans
le style pittoresque où les végétaux forment des amalgames concentrés. Contrairement au
style pittoresque, il n’y a pas de boisé dans le gardenesque style. C’est d’ailleurs ce
qu’explique Loudon dans sa comparaison des deux styles esthétiques :
« […] they [les boisés] are to be scattered in the gardenesque manner, every
tree and shrub should stand singly, as in the geometrical manner they should
stand in regular lines or in some geometrical figure. In the gardenesque there
may be single trees and single shrubs; but there can be no such thing as a
single tree in the picturesque. […]In the gardenesque, the beauty of the
isolated tree consists in the manner in which it is grown; in the picturesque
the beauty of a tree or shrub, as of every other objects in the landscape,
consists in its fitness to group with other objects. Now the fitness of one
object to group with another evidently does not consist in the perfection of
the form of that object, but rather in that imperfection which requires another
object to render it complete87
».
Bien que le style gardenesque ait été développé en Angleterre, divers théoriciens ont
contribué à sa popularisation en diffusant les travaux de Loudon à travers le monde ou en
élaborant leurs propres préceptes sur le sujet. La distinction entre le pittoresque et le
gardenesque repose toujours sur la dimension plus « environnementale » du second.
L’auteur Andrew Jackson Downing, admirateur et continuateur reconnu de Loudon88
,
évoque le gardenesque style dans son traité89
, écrit en 1841 aux États-Unis, qui porte sur
85
Ceci nous permet de confirmer que le gardenesque n’est pas pensé par Loudon dans la continuation du
pittoresque, mais bien comme une catégorie esthétique à part entière. 86
Loudon, op. cit., 1838, p. 164. 87
Ibid., p. 166. 88
Chris Brooks, The Gothic Revival, Londres, Phaidon, 1999, p. 197. 89
A treatise on the theory and practice of landscape gardening adapted to North America (1841).
27
les théories et les pratiques de l’aménagement paysager en Amérique du Nord. Downing
emprunte librement les théories de Loudon pour composer son très influent ouvrage90
.
Andrew Jackson Downing (1815-1852) est né dans la ville de Newburgh à New York.
Malgré sa mort précoce, Downing est reconnu dans toute l’Amérique pour sa carrière de
jardinier-paysagiste et pour ses écrits dans le domaine de l’horticulture. Ayant vécu toute
sa jeunesse dans un village parmi des fermiers autosuffisants qui faisaient pousser leurs
fruits et légumes afin de les vendre au marché de la ville, Downing développe
naturellement une passion pour l’horticulture et l’agriculture. Sa carrière débute en fait à
l’âge de seize ans, lorsque Downing joint son frère Charles Downing dans l’entreprise
familiale spécialisée en horticulture nommée Botanical Garden and Nurseries of
Newburgh91
. Les dix années suivantes, Downing écrit une douzaine d’articles pour des
revues sur l’horticulture et s’informe en lisant de nombreux ouvrages sur l’histoire de
l’aménagement paysager et sur les théories esthétiques du paysage. En 1841, Andrew
Jackson Downing publie son célèbre ouvrage, A Treatise on the Theory and Practice of
Landscape Gardening (4 éditions en douze ans), où il introduit ses propres pensées sur
les catégories esthétiques du beau et du pittoresque ainsi que sur le gardenesque. Le traité
s’inspire largement des travaux de ses prédécesseurs anglais, Humphrey Repton et John
Claudius Loudon, mais Downing adapte les idées en fonction du climat et des conditions
sociales de l’Amérique du Nord. Une grande partie du livre est consacrée à la description
d’arbres, à des conseils sur l’organisation du terrain en fonction du style architectural de
la résidence et à l’utilisation ornementale de l’eau et des petits édifices. Downing inclut
aussi dans son traité une brève description historique de l’évolution des catégories
esthétiques et des styles d’aménagement paysager. Un an après la publication de ce traité,
Downing publie Cottage Residences, qui propose une série de dessins pour des maisons
de petite taille accompagnée de plans et de descriptions de l’aménagement paysager, de
l’architecture et des détails ornementaux. Les projets de Downing s’appliquent à
l’ensemble des classes sociales ; riches ou pauvres, les personnes peuvent construire eux-
90
Williams, op. cit., p. 179. 91
Therese O’Malley, « From practice to theory: The emerging profession of landscape gardening in early
Nineteenth-Century America », Botanical progess, horticultural innovations and cultural changes, 2007,
p. 223.
28
mêmes une maison et organiser l’aménagement paysager avec l’ouvrage Cottage
Residences. Republiés dans des revues d’horticulture et d’agriculture, les projets de
Downing ont pour effet d’augmenter grandement sa renommée. En 1845, Downing
publie The Fruits and Fruit Trees of America, qui réunit des informations techniques sur
la nomenclature des fruits et donne des conseils sur l’entretien des arbres fruitiers ;
l’ouvrage devient rapidement très populaire auprès de la population américaine92
.
L’année suivante, il édite l’ouvrage Gardening For Ladies de John Claudius Loudon et
celui de George Wightwick, nommé Hints to Young Architects. La même année (1846),
Downing contribue à plusieurs reprises à la revue mensuelle Magazine of Horticulture,
puis publie sa propre revue, Horticulturist, où il parle du monde rural93
: architecture,
animaux, structure des dépendances, etc. Le dernier livre que publie Downing est The
Architecture of Country Houses (1850) qui propose un aperçu sur l’architecture
domestique et un catalogue sur le travail des architectes de l’époque. À la fin de 1850,
Downing travaille comme jardinier-paysagiste pour des jardins publics et privés aux
États-Unis (Le Capitole, la Maison-Blanche et le Smithsonian)94
.
Voici un extrait du texte où Downing décrit le gardenesque style : « The style is evidently
founded rather upon a cultivated taste for Botany and Horticulture, and a desire to exhibit
every variety of rare ornamental tree and plant, than upon any new element of design95
. »
Le développement des sciences s’intensifie au cours du XIXe siècle et l’esthétique du
gardenesque permet l’intégration des sciences naturelles aux aménagements paysagers,
ce qui a pour effet de complexifier et de diversifier l’organisation des jardins ainsi que le
choix des végétaux.
92
O’Malley, Ibid., p. 232. 93
Ibid., p. 231-232 94
Encyclopaedia Britannica, 2016, « Andrew Jackson Downing », Encyclopaedia Britannica, [En ligne],
https://www.britannica.com/biography/Andrew-Jackson-Downing, (consultée le 1er
septembre 2016). 95
Andrew Jackson Downing, A Treatise of the Theory and Practice of Landscape Gardening, adapted to
North America; with a view to the Improvement of Country Residences with Remarks on Rural
Architecture, New-York & Londres, Wiley and Putnam, 1841, p. 35-36.
29
CONCLUSION
La présentation de ces différentes formes d’esthétique du paysage nous amène à constater
que le concept de pittoresque a été défini de différentes manières. S’il y a une certaine
perméabilité entre les théories des différents auteurs, leurs différences restent malgré tout
assez marquées.
Les théories sur le pittoresque de Gilpin, Price et Payne-Knight diffèrent au sujet de
l’importance accordée à l’aspect « pictural » du paysage. Price insiste sur l’effet
multisensoriel des aménagements, alors que Payne Knight s’intéresse davantage à
l’aspect psychologique de l’association, mais tous s’entendent pour dire que le
pittoresque est une catégorie esthétique différente du beau et du sublime. Bien que ces
trois penseurs aient passé une certaine partie de leur carrière à dénigrer les jardins de
Brown, son successeur Humphrey Repton a su faire connaître les aspects esthétiques du
pittoresque par leur intégration dans les aménagements paysagers d’une bonne partie des
riches propriétés en Grande-Bretagne. Se basant sur l’effet de surprise, le sentiment de
mystère et l’irrégularité des parcours, Repton popularise à grande échelle l’effet
pittoresque dans les jardins anglais. Il n’est ainsi pas rare que de nombreux notables
anglais voyageant et habitant dans les colonies anglaises intègrent à leurs jardins
l’esthétique pittoresque.
S’inspirant de l’école de Price et Payne-Knight, et d’une certaine manière des
aménagements paysagers de Humphrey Repton, John Claudius Loudon s’inscrit dans la
lignée des théoriciens de l’esthétique du paysage au XIXe siècle. À partir des notions du
pittoresque, de certains aspects des jardins géométriques français et de sa passion pour
l’horticulture scientifique, Loudon instaure une nouvelle catégorie esthétique qu’il
nomme le gardenesque. S’appropriant ce nouveau style, les nombreux amateurs
d’horticulture qu’amène l’époque victorienne trouvent un équilibre entre l’aspect plus
irrégulier du jardin anglais et celui plus symétrique du jardin français, et peuvent mieux
mettre à profit leurs intérêts scientifiques. En popularisant le style en Grande-Bretagne,
30
Loudon provoque une dispersion du gardenesque dans les jardins des riches voyageurs
vivant dans plusieurs colonies anglaises situées partout dans le monde. Ainsi, le
pittoresque et le gardenesque se côtoient dans plusieurs jardins coloniaux rendant
difficile l’interprétation du style utilisé. Nous pensons que le Bas-Canada, en tant que
colonie anglaise, s’inscrit dans ce mélange de catégories esthétiques et nous tenterons
dans les prochains chapitres de déterminer quelle catégorie peut le mieux être associée à
la ville de Québec.
31
CHAPITRE 2
LE PITTORESQUE À QUÉBEC
Selon plusieurs auteurs, notamment France Gagnon-Pratte et Janet Wright, le pittoresque
constitue le principal courant esthétique ayant favorisé le développement de villas et de
grands domaines paysagers dans la partie suburbaine de la ville de Québec1.
Parallèlement, les représentations traditionnelles de la ville sont, vers 1830, celles de
paysages magnifiquement pittoresques. Nous tenterons de voir dans quelle mesure
l’étiquette de ville pittoresque fut préférée aux autres catégories esthétiques, le beau et le
sublime, pour représenter la ville de Québec au XIXe siècle.
Nous aborderons, d’abord, dans ce deuxième chapitre, des premiers jardins conçus en
Nouvelle-France, de leur adaptation au territoire du Bas-Canada et de leur développement
esthétique, au cours du siècle suivant, vers le pittoresque. Les changements effectués
dans les jardins fournissent, en fait, les premiers témoignages de l’apport du pittoresque
au paysage du Bas-Canada. Aussi, nous considérerons les effets sur le paysage que
provoque l’arrivée des Anglais au Bas-Canada et nous nous intéresserons à leur
conception du paysage après leur appropriation du territoire de la ville de Québec.
Nous poursuivrons avec les aspects qui lient les représentations pittoresques de la ville et
la vision anglaise de Québec au XIXe siècle. De manière générale, plusieurs auteurs
affirment que le regard anglais sur le Bas-Canada s’organise autour d’une approche
colonialiste de l’esthétique et qu’il est essentiellement concentré sur les rapprochements
visuels entre le paysage d’origine et le paysage étranger2. Au tournant du XVIII
e siècle, il
1 France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec,
Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 88. ; Janet Wright, L’architecture pittoresque au Canada,
Ottawa, Direction des lieux et parcs historiques nationaux Parcs Canada, Environnement Canada, 1984, p.
102. 2 Marylin J. McKay (2011), Ian MacLaren (1983, 1985), Alain Parent (2003), Didier Prioul (1991), Janet
Wright (1984).
32
est intéressant de noter que c’est le pittoresque qui l’emporte sur les autres catégories
esthétiques, soit le beau et le sublime. Ceci nous amènera à considérer l’apport de James
Pattison Cockburn dans la représentation du paysage pittoresque du Bas-Canada au
XIXe siècle. Les images de Cockburn produites entre 1830 et 1831 sont des sources
solides du XIXe siècle qui nous permettront de mieux comprendre la place que prend
l’esthétique pittoresque à l’époque et la relation qu’entretient l’homme anglais de Québec
avec la nature et le paysage dit « sauvage ».
La dernière partie de ce chapitre, nommée Le pittoresque en architecture, nous permettra
de parler de l’intégration de l’esthétique pittoresque dans l’architecture et dans
l’aménagement paysager de la ville de Québec. À l’aide d’exemples de villas construites
à Québec au début du XIXe siècle, nous pourrons voir comment l’architecture (du
bâtiment et du paysage) s’est adaptée à l’esthétique pittoresque. Il sera aussi question des
premières serres construites dans la ville de Québec et de leur rôle au cours de
l’intégration du pittoresque à l’architecture dans la première moitié du XIXe siècle.
2.1 Les jardins et paysages de la Nouvelle-France et du Bas-Canada
De la Nouvelle-France jusqu’à la période victorienne, l’organisation des jardins a évolué
en s’adaptant aux différents goûts des propriétaires et, du même coup, aux différentes
catégories esthétiques. Cet aperçu de l’évolution des paysages et des jardins, de l’époque
de la colonisation jusqu’au XIXe siècle, permettra d’en comprendre toute la complexité
dans la parfaite application des concepts des catégories esthétiques.
À l’époque de la Nouvelle-France, les jardins sont caractérisés par la géométrie et la
régularité, à la mode française. Les connaissances théoriques et pratiques sur l’art de
concevoir des jardins dans le style français « sont connues et répandues en Nouvelle-
France grâce aux nombreuses publications que les spécialistes de la France font parvenir
dans la colonie3. » Les jardins classiques à la française se caractérisent par la présence
3 Denis Messier, « Les jardins anciens : témoins d’une diversité culturelle ». Québec, Cap-aux-Diamants :
la revue historique du Québec, N° 46, 1996, p. 38.
33
d’eau, de formes géométriques, de parterres et de longues allées plantées d’arbres4. Nous
pouvons voir sur un plan de la ville de Québec de 1685 (Figure 2.1) les jardins très
géométriques des domaines de différentes institutions religieuses et du domaine du
château Saint-Louis. En majorité, les jardins sont organisés de façon rigoureuse, selon un
plan aux formes carrées ou rectangulaires, et sont séparés par des sentiers réguliers qui se
coupent à angles droits. D’ailleurs, ce plan « permet, d’une part, d’identifier la présence
des jardins institutionnels de la Haute-Ville et, d’autre part […] l’identification d’un
certain nombre d’éléments constituants de ces premiers jardins coloniaux : berceaux,
cabines de verdure, portes d’accès, degrés, vergers, allées, mares, puits, bois naturel.5 »
Par ailleurs, puisque l’espace urbain restreint ne permet pas d’aménager des jardins de
grandes dimensions, Marie-Josée Fortier explique que, dans la Haute-Ville de Québec,
nous ne trouvons pas de « prototype du jardin formel à la française6 ». En tenant compte
de la persistance de la symétrique et de la rigidité des plans, Fortier nomme les jardins
conçus dans la période de la Nouvelle-France des jardins d’agrément. Elle explique, dans
son ouvrage Les jardins d’agrément en Nouvelle-France, que ce concept précis de jardin
renvoie à la notion de plaisir « ressenti à différents niveaux par la conception, la
réalisation et l’utilisation d’un espace extérieur aménagé à l’aide de matériaux
naturels7. » Aussi, le jardin d’agrément se caractérise par « un aménagement qui
comporte sciemment, dans des dimensions modestes ou élaborées, par sa composition et
ses ornements, des éléments physiques, des arrangements qui s’insèrent dans
l’environnement et qui lui confèrent des valeurs artistiques, esthétiques ou une
signification qui va au-delà de la fonction nourricière8. » Il s’agit de jardins de plaisance
dont l’aménagement est produit à partir de règles appropriées générant une certaine
rigidité dans la composition.
À l’époque de la Nouvelle-France, nous pouvons nommer trois types de jardins qui
permettent la catégorisation du jardin d’agrément. La variation du type de jardins n’a pas
4 Marie-Josée Fortier, Les jardins d’agrément en Nouvelle-France. Étude historique et cartographique,
Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 471. 5 Ibid, p. 317.
6 Ibid., p. 259.
7 Ibid, p. 32.
8 Ibid, p. 34.
34
d’impact sur la structure et sur l’organisation, qui demeurent les mêmes, toutefois un
bouleversement se produit dans l’ambiance et les détails. Ainsi, le jardin de type
fonctionnel, le jardin de type officiel et le jardin de type institutionnel (religieux) se
différencient par les végétaux produits et les éléments d’ambiance tels que les fontaines,
les promenades, les statues, la sensation de tranquillité, etc9. Ces éléments d’ambiance
permettent de remplir l’un des rôles principaux des jardins de l’époque en ce qui a trait à
l’effet de contemplation et le pouvoir de réflexion sur l’esthétique de la nature et sur sa
beauté10
. Aussi, comme l’explique Ron Williams dans son livre sur les aménagements
paysagers du Canada, les jardins ont pour rôle « to provide food, but the gardens of the
governor and the intendant also served as symbols of power and prestige, while the
gardens of the bishop and the religious orders had to respond to the spiritual needs of
their communities as well as to the recreational needs of students and patients, among
others11
. »
Bien que la notion de jardin d’agrément permette de caractériser plusieurs jardins de la
Nouvelle-France, Fortier mentionne que celui de l’intendant de 1752 annonce un nouveau
type de jardin. À partir d’un détail du plan de Chaussegros de Léry de 1752 (Figure 2.2),
l’auteure explique que le jardin du Palais de l’Intendant de l’époque, où se déploient des
espaces répondant à la fois aux besoins privés et institutionnels, serait en fait un
prototype de jardin canadien12
. Comme l’explique Fortier :
« Ce n’est plus un jardin de la Renaissance où l’on cherchait peu à créer des
liens avec l’habitation, mais ce n’est pas un jardin classique, même si on y
retrouve des attributs propres au style : présence d’eau, parterre, formes
géométriques, longues allées plantées […]. De dimensions plus modestes
qu’un jardin formel, il doit malgré tout partager le domaine royal avec
d’autres usages — bâtiments administratifs et commerciaux et espaces voués
à des fonctions industrielles —, même s’il tire le meilleur parti de la
situation13
. »
9 Ron Williams, Landscape Architecture in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2014, p.
61-64. 10
Ibid, p. 64. 11
Ibid, p. 61. 12
Fortier, op. cit., p. 471. 13
Ibid.
35
Le jardin canadien s’éloigne de ce que Fortier nomme le jardin d’agrément par la volonté
des propriétaires d’adapter les formes du jardin « aux circonstances locales14
» et par leur
choix « de recourir à la flore locale pour créer leurs aménagements15
».
Dès la conquête britannique, une transformation s’effectue dans le paysage et les jardins
au Canada, sans toutefois écarter complètement les concepts des jardins d’esprit français.
En effet, le jardin anglais, qui permet une plus grande liberté dans l’aménagement,
accueille la nature pour créer différentes ambiances et offrir une expérience
multisensorielle16
, comme pour les jardins d’agrément. Le jardin de style anglais est
généralement ponctué d’éléments architecturaux ou de curiosités pour rendre les
promenades sur les domaines intrigantes et divertissantes, puis pour rythmer les sentiers
sinueux. Lors de la création d’un jardin à l’anglaise, l’utilisation de la végétation déjà
présente sur le site est très courante et l’organisation des sentiers se fait en harmonie avec
la nature, ce qui donne un aspect irrégulier aux passages. La peinture, la littérature et la
poésie font souvent référence à l’atmosphère romantique et pittoresque qui anime les
jardins de style anglais.
Afin de caractériser les jardins aménagés autour de la ville de Québec, nous pouvons
suivre les descriptions de James MacPherson LeMoine, avocat de profession, reconnu en
tant qu’auteur et historien de la ville de Québec. Né à Québec en 1825 d’une famille
écossaise auparavant établie aux États-Unis, LeMoine épouse la nièce du riche marchand
Henry Atkinson, Harriet Mary Atkinson, et s’installe dès 1860 à Spencer Grange sur le
domaine de Spencer Wood17
. LeMoine consacre ses moments libres à des activités
« classiques » chez la bourgeoisie anglaise, notamment l’ornithologie, l’horticulture,
l’organisation d’événements festifs à la villa et surtout l’écriture. Amateur d’histoire,
LeMoine raconte « les belles légendes du fleuve, de la faune, des pêcheries, des chasses
14
Fortier, Ibid., p. 581. 15
Ibid., p. 582. 16
Marc Grignon, « Architecture and "Environmentality" in the Nineteenth Century », Journal of the
Society for the Study of Architecture in Canada, Vol. 38, Nᵒ 2, 2014, p. 73. 17
Roger LeMoine, « LeMoine, sir James MacPherson », Dictionnaire Biographique du Canada, Vol. 14,
Université Laval/University of Toronto, 2003, [En ligne] <
http://www.biographi.ca/fr/bio/le_moine_james_macpherson_14F.html> (consulté le 11 février 2016).
36
d’oiseaux et l’histoire des villas, des manoirs […]18
» de la ville de Québec. Certains de
ses textes sont traduits de l’anglais au français et du français à l’anglais par LeMoine lui-
même, illustrant sa double appartenance culturelle. « De souches françaises et écossaises
par sa naissance, allié au milieu bourgeois anglophone de la région de Québec par son
mariage et sa résidence, lié aux écrivains anglophones et francophones par sa plume, tel
était James MacPherson LeMoine.19
»
Dans son ouvrage, Picturesque Quebec, James McPherson LeMoine décrit plusieurs
domaines et jardins établis à proximité de Québec, et il souligne toujours l’effet de la
végétation et du paysage. Par exemple, il dit à propos du domaine de Thornhill que :
« […] Thornhill, across the road, one of the most picturesque country seats in
the neighbourhood. […] An extensive fruit and vegetable garden lies to the
east of the house; a hawthorn hedge dotted here and there with some graceful
young maple and birch trees, fringes the roadside; a thorn shrubbery of
luxuriant growth encircles the plantation of evergreens along the side of the
mound which slopes down to the road, furnishing a splendid croquet lawn20
. »
Dans cette description, l’accent est mis sur la végétation luxuriante ainsi que sur la
qualité et la diversité des plantations du paysage pittoresque, démontrant l’intérêt
grandissant de l’homme anglais du XIXe siècle pour ce type d’esthétique du paysage.
Nous y retrouvons certaines caractéristiques des jardins de Lancelot « Capability »
Brown, décrits au chapitre précédent, dont de grandes étendues de gazon, utilisées dans
ce cas-ci comme terrain de croquet, et des collines ornées de nombreux arbres cachant la
route qui se rend à la résidence.
Il nous est possible d’associer la transformation des jardins avec le changement de vision
dans l’esthétique du paysage, notamment par le choix d’éléments précis. Les nombreux
attraits visuels de certains emplacements à Québec attirent la bourgeoisie anglaise à la
recherche de domaines pittoresques. On assiste alors à une explosion dans la construction
de résidences en périphérie de la ville. La liberté que permet l’esthétique pittoresque rend
18
Jean-Marie Lebel, « Le chevalier de Spencer Grange: l’écrivain et historien James Macpherson LeMoine
(1825-1912) », Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, Vol. 1, Nᵒ 3, 1985, p. 15. 19
Ibid. 20
James Macpherson LeMoine, Picturesque Quebec, Montréal, Dawson, 1882, p. 331.
37
plus simple la modification du paysage des domaines, notamment par la conservation
d’arbres déjà présents sur le terrain21
.
Cette bourgeoisie, composée de militaires, de commerçants et de hauts dignitaires du
régime colonial anglais, consacre une bonne partie de son temps à créer un
environnement naturel favorable aux nombreux loisirs de l’époque, comme l’horticulture,
l’ornithologie, les promenades dans des sentiers boisés et la collection de curiosités
naturelles.
Le domaine de Bardfield, appartenant en 1838 à George-Josaphat Mountain, possède un
aménagement paysager classique répondant au goût pittoresque de l’époque. LeMoine
explique, dans Monographies et Esquisses, que Bardfield « occupe un plateau élevé. Une
jolie avenue qui serpente sous de verts sapins y conduit par une douce montée.22
. »
LeMoine poursuit en disant que le propriétaire veille à l’exploitation efficace de sa ferme
et occupe son temps dans les jardins du domaine. La présence de nombreux parterres de
fleurs, mais aussi l’existence « de vastes plantations de fraises, de rhubarbes, des couches
de champignons, etc. 23
[…] » dans l’aménagement paysager du domaine, témoignent des
talents de jardinier de Mountain.
Cette description que fait LeMoine est représentative du goût britannique pour les
paysages abondamment décorés de fleurs, d’arbres et de jardins potagers. Les alentours
des habitations sont présentés comme des paysages verdoyants où on peut apprécier la
nature et la tranquillité de la campagne. L’accent est mis sur les jardins et les éléments
ludiques et artificiels du paysage qui, dans plusieurs cas, sont conçus par le propriétaire
possédant certaines connaissances en horticulture et en aménagement paysager. Les
jardins peuvent être adaptés en fonction des végétaux qui parfois proviennent des
21
Ces terrains étaient déjà défrichés en majeure partie parce qu’ils appartenaient à des communautés
religieuses déjà présentes depuis la création de la Nouvelle-France. Louisa Blair, Les Anglos : la face
cachée de Québec, tome 1, 1608-1850, Québec, Éditions S. Harvey, 2005, p. 47. Les domaines ne sont
donc pas totalement sauvages, mais conservent assez de boisés et d’arbres pour recréer des paysages au
style pittoresque. 22
LeMoine, Monographie et Esquisses. Québec, J.G. Gingras, 1885, p. 73. 23
Ibid.
38
environs de la résidence, mais qui sont en majorité organisés à la manière anglaise ou
européenne.
La citation suivante de LeMoine démontre parfaitement la présence d’éléments ludiques
naturels et de décorations dans l’un des nombreux domaines pittoresques aménagés au
cours du XIXe siècle à Québec : « Parterres à fleurs, verger, boulingrin pour un Archery
Club, jardin potager, pâturages, fontaine jaillissante, sentiers perdus dans la forêt
aboutissant à un ruisseau ou à un siège rustique, haies vives pour masquer les fossés ou
les clôtures […]24
. »
D’après France Gagnon-Pratte, il est clair que l’esthétique pittoresque et le romantisme
prennent une place considérable dans l’environnement du Bas-Canada et certainement
dans la capitale où de nombreux Anglais immigrent après la conquête de 1759 et après le
blocus napoléonien en 180625
.
2.2 La vision anglaise du paysage étranger
Pendant le XVIIIe et le XIX
e siècle, le Bas-Canada traverse des bouleversements
politiques, économiques et sociaux qui résultent notamment de l’arrivée massive de
migrants d’origine anglaise et écossaise. Il est alors possible de voir une transformation
dans l’architecture des bâtiments ainsi que dans l’architecture du paysage résultant de
l’importation de certaines idéologies basées sur des conceptions anglaises du paysage.
Cette manière de voir le paysage s’inscrit dans la catégorie esthétique du pittoresque, qui
devient alors primordiale chez la population coloniale anglaise. Le dépaysement que
rencontrent les voyageurs et les nouveaux arrivants au Bas-Canada provoque toutefois un
mélange dans les catégories esthétiques.
24
LeMoine, Ibid., p. 234. 25
En 1806, Napoléon Bonaparte organise un blocus continental sur le bois et interdit l’accès à l’Angleterre
aux grands ports de la Baltique. L’Angleterre, qui dépend de ce marché, demande à ses nouvelles colonies,
dont le Québec, de lui fournir le bois. Plusieurs commerçants en provenance de l’Angleterre arrivent à
Québec au XIXe siècle, mais surtout entre 1820 et 1830, pour tirer profit de ce commerce du bois en plein
essor. Frédéric Smith, Cataraqui : histoire d’une villa à Sillery, Sainte-Foy, Québec, Publications du
Québec, 2001, p. 3-5.
39
Certaines caractéristiques de l’environnement maritime et anglais (pluie, brouillard ou
brume légère) encouragent la spécificité nationale et font du pittoresque la manière ultime
de regarder les paysages en Grande-Bretagne entre 1770 et 183026
. Les nouveaux
arrivants tentent alors de retrouver ces caractéristiques dans les paysages du Canada, mais
une certaine tension se crée entre les catégories esthétiques du pittoresque et du sublime.
Comme l’explique Marylin M. McKay, à la fin du XVIIIe siècle et au début du
XIXe siècle « English landscape artists in Canada were working within the same aesthetic
modes as those in England, albeit with a different emphasis27
. » Même si les artistes
retrouvaient parfois en Angleterre des scènes de sublime, généralement l’esthétique des
paysages s’apparentait mieux au beau et au pittoresque. Par contre, au Canada les
voyageurs découvraient une abondance de paysages sublimes28
tout autant que des
paysages pittoresques et beaux, ce qui avait pour effet la création de paysages différents
de ceux de l’Angleterre29
.
Il est possible de percevoir une certaine tension entre les styles esthétiques appliqués aux
paysages canadiens. Ainsi, comme l’explique McKay, cette tension entre les différentes
catégories esthétiques rend plus complexe la construction d’un tableau de paysage qui
suit parfaitement les règles de l’art. En fait, selon McKay, les hommes et les femmes qui
tentaient de reproduire les paysages canadiens pouvaient parfois représenter plus d’une
catégorie esthétique dans une illustration et pouvaient aussi être en désaccord avec
l’association d’une catégorie avec un type de paysage30
.
26
Ian MacLaren, « The Limits of the Picturesque in British North America », Journal of Garden History,
Vol. 5, N° 1, 1985, p. 97-98. 27
Marylin J. McKay, Picturing the Land. Narrating Territories in Canadian Landscape Art, 1500-1950,
Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2011, p. 51. 28
Tel que présenté par McKay, le sublime peut prendre plusieurs aspects dans les paysages, notamment une
forêt envahissant des chemins, un paysage sans aucune trace de civilisation et des vallées si creuses que le
fond semble imperceptible. McKay, Ibid., p. 52-58. Au Bas-Canada, le sublime peut alors se distinguer par
une impression de vertige, comme ce que l’on ressent au-dessus de chutes Montmorency à Québec,
explique James MacPherson LeMoine en 1885 :
« Dans un évasement ou bassin creusé dans la rive nord du St-Laurent, la fameuse cascade tombe avec
fracas, d’une hauteur qui vous donne le vertige. Sa blanche écume irisée des rayons solaires, vue du fleuve,
vous fait l’effet d’un colossal rideau de satin blanc ou bien encore, d’un fleuve de lait en ébullition, […]. »
LeMoine, Ibid., 1885, p. 288. 29
McKay, op. cit., p. 51. 30
Ibid.
40
Dans le même sens, à l’époque des conquêtes anglaises, il arrivait que les voyageurs
contemplent des paysages esthétiquement inconnus créant un trouble chez l’observateur.
Les nombreuses émotions ressenties devant la grandeur d’un paysage non conquis et
sauvage les amènent à vouloir transformer ce paysage en quelque chose de reconnu. Ian
MacLaren, dans son article « The Limits of the Picturesque in Brithish North America »,
illustre ces réflexes par l’analyse des transformations qu’effectuent les voyageurs anglais
coloniaux sur les illustrations des paysages nord-américains31
. Ainsi, se trouvant face à
l’inconnu, le voyageur anglais transforme le paysage en l’adaptant à ce qu’il reconnaît
comme une esthétique intéressante à ses yeux ; dans ce cas-ci, le pittoresque est préféré
au sublime et au beau. Comme l’explique MacLaren, « these picturesque renderings of
foreign, apparently uninhabitable terrain as winding estate roads, criquet pitches, and
waterfalls, helped to sustain the explorers’ dwindling sense of identity in the face of a
nature which resisted identification32
. » Quant à Paul Louis Martin et Pierre Morisset, ils
expliquent que marquer le Canada de « l’empreinte de sa culture et de sa civilisation,
nommer, classifier et prendre possession des ressources et des richesses naturelles qu’il
offrait, imposer à cette étendue perçue comme sauvage et désordonnée les catégories et
les formes de sa propre raison et de la compréhension qu’on a de l’univers33
» font partie
des réflexes qui animent la bourgeoisie immigrante de Québec.
Sans l’ajout d’éléments artificiels, comme les serres, les kiosques, les plates-bandes de
fleurs, et sans la transformation générale de l’environnement autour de leurs habitations,
les immigrants anglais semblent avoir de la difficulté à associer l’environnement du Bas-
Canada avec celui de l’Angleterre. Comme l’explique MacLaren, l’environnement du
Bas-Canada peut donner un sentiment d’insécurité aux immigrants anglais, puisque le
paysage colonial n’entre pas naturellement dans la catégorie esthétique du pittoresque34
.
En voulant retrouver le sentiment familier que suscitent les paysages anglais, les
nouveaux propriétaires de domaines effectuent des transformations dans leur
31
MacLaren, op. cit., p. 100. 32
Ibid., p. 106-109. 33
Paul-Louis Martin et Pierre Morisset, Promenades dans les jardins anciens du Québec, Montréal, Boréal,
1996, p. 21. 34
MacLaren, op. cit., p. 97.
41
environnement pour l’adapter à ce qui s’apparente le plus à l’Angleterre. Les adaptations
effectuées dans les domaines de la ville de Québec sont produites en fonction de
l’esthétique pittoresque, qui est reconnue par l’homme anglais comme l’expression de la
beauté digne du pays natal. J. M. LeMoine confirme en quelque sorte la recherche d’une
esthétique précise en affirmant que certains domaines présents à Québec peuvent rappeler
ceux de l’Angleterre. C’est ce que nous comprenons lorsqu’il décrit la propriété Beauvoir
de Richard Dobell, un marchand fortuné d’origine anglaise : « The chief charm of
Beauvoir is in its beautiful level lawn and deep overhanging woods, recalling vividly to
mind the many beautiful homes of merry England35
. » Il démontre aussi que certaines
vues peuvent mieux simuler l’apparence des paysages de l’Angleterre que d’autres ; c’est
le cas de la vue de Spencer Grange par rapport à celle de Spencer Wood : « The grand
river views of Spencer Wood, are replaced by a woodland scenery [Spencer Grange],
sure to please the eye of any man of cultivated taste, accustomed to the park-like
appearance of the south of England36
. »
Ce besoin de retrouver visuellement le paysage d’origine s’explique par la recherche d’un
confort qui ne peut être atteint que par l’emprise de l’homme sur le paysage sauvage avec
l’implantation de l’esthétique reconnue en Angleterre à l’époque du pittoresque. Au XIXe
siècle, l’esthétique du pittoresque est aussi préférée par les artistes pour représenter la
ville de Québec.
2.2.1 Le pittoresque illustré : James Pattison Cockburn
James Pattison Cockburn (1779-1847), né à New York de parents britanniques, est le fils
d’un officier d’artillerie. Il reçoit son éducation en Angleterre et fréquente la Royal
Military Academy à Woolwich de 1793 à 1795. Il y étudie l’art du dessin sous la direction
de Paul Sandby. Le lieutenant-colonel James Pattison Cockburn reçoit le commandement
35
LeMoine, op. cit., 1882, p. 374. 36
Ibid, p. 345-346.
42
du Royal Regiment of Artillery au Canada en 1826 à l’âge de 47 ans37
. Jusqu’en 1836, il
vit à Québec où il a le loisir de produire une œuvre immense sur Québec et ses environs,
pendant les années de calme au Bas-Canada. Ainsi, « La situation de prospérité
économique et la paix lui garantissent de nombreuses heures de loisir dans les environs,
lui permettant de partir en quête de sites pittoresques. Il développe de cette manière une
grande familiarité avec les lieux38
. » Ses dessins nous permettent aujourd’hui de mieux
comprendre la vision de la bourgeoisie anglaise de l’environnement de Québec au
XIXe siècle. L’artiste connaît l’esthétique pittoresque et adhère à tous les critères de
beauté du paysage39
. Les œuvres de Cockburn témoignent de cette recherche de la beauté
pittoresque à Québec, particulièrement celles qui montrent des vues panoramiques de
paysage dramatique40
. Notons que ces nombreuses œuvres sont destinées au public de
Londres, mais qu’elles sont aussi publiées à Québec plus tard pendant le siècle.
À la même époque, l’artiste écrit un guide de la ville de Québec, Quebec and Its
Environs ; being a Picturesque Guide to the Stranger, qui nous permet d’associer les
représentations du paysage du XIXe siècle avec les quelques commentaires de Cockburn.
Laurier Lacroix décrit bien la teneur d’un guide comme Quebec and Its Environs : « Les
guides de voyage feront état de l’emplacement stratégique de la ville de Québec, de la
proximité des rivières et des chutes qui l’entourent, de la beauté du fleuve et de ses côtes
[…]. Les points de vue qui transforment la nature en tableaux sont recherchés, les
émotions sont liées à cette expérience de l’espace naturel41
. »
37
Didier Prioul, « Cockburn, James Pattison », Dictionnaire biographique du Canada, Vol. 7, Université
Laval/University of Toronto, 2003-, [En ligne], <
http://www.biographi.ca/fr/bio/cockburn_james_pattison_7F.html>, (consulté le 10 septembre 2016). 38
Ibid., « Les paysagistes britanniques au Québec : de la vue documentaire à la vision poétique », dans
Béland, Mario, dir., La Peinture au Québec, 1820-1850 : nouveaux regards, nouvelles perspectives, Musée
du Québec et Les Publications du Québec, 1991, p. 54. 39
Christina Cameron et Jean Trudel, Québec au temps de James Patterson Cockburn, Québec, Éditions
Garneau, 1976, p. 17. 40
Ibid, p. 16. 41
Laurier Lacroix, « Entre la norme et le fragment : éléments pour une esthétique de la période 1820-1850
au Québec », dans Béland, Mario, dir., La Peinture au Québec, 1820-1850 : nouveaux regards, nouvelles
perspectives, Musée du Québec et Les Publications du Québec, 1991, p. 68.
43
Dès les premiers paragraphes du guide apparaissent les aspects communs du vocabulaire
pittoresque de l’époque : « most romantic and charming views », « splendid panorama »,
« delightful promenade », « beautiful scenery », etc42
.
Afin de comprendre comment le pittoresque est exprimé dans les œuvres de Cockburn, et
pourquoi celui-ci choisi ce style en particulier pour représenter des vues de Québec, nous
étudierons trois représentations de Québec réalisées entre 1829 et 1831 par l’aquarelliste.
Nous aborderons respectivement les images de Woodfield, de Quebec from Pointe à
Piseau et de Cap-Diamant à partir de Spencer Wood, de concert avec quelques
commentaires du guide pittoresque et des textes descriptifs de J. M. LeMoine.
2.2.1.1 La nature
Le dessin de Woodfield (Figure 2.3), réalisé par Cockburn en 1830, est représentatif de la
nouvelle relation entre l’homme et la nature qu’amène l’esthétique pittoresque. À cette
époque, Woodfield appartient à William Sheppard, un riche marchand de bois d’origine
anglaise, qui fait l’acquisition en 1816 d’une magnifique villa située sur le chemin Saint-
Louis, entourée de jardins et d’arbres fruitiers. Son intérêt pour l’art, l’horticulture et les
curiosités de la nature l’amène à créer dans sa résidence un petit musée d’histoire
naturelle et à améliorer le domaine avec l’installation de serres et de volières ainsi
qu’avec la plantation de plusieurs vignes à raisins43
.
Dans l’illustration de Cockburn, le premier plan est occupé par un homme et une femme
de classe sociale élevée qui se dirigent vers l’impressionnante résidence située en arrière-
plan. Les deux autres personnages sont possiblement les enfants du couple qui jouent
dans le boisé. L’environnement naturel représenté s’insère visiblement dans l’esthétique
pittoresque avec ses grands arbres centenaires, ses parcours sinueux et ses bosquets de
végétaux bien touffus assemblés de manière irrégulière. Cette vue éloignée de la
42
Lacroix, Ibid. 43
Pierre Savard, « Sheppard, William », Dictionnaire biographique du Canada, Vol. 9, Université
Laval/University of Toronto, 2003-, [En ligne],
<http://www.biographi.ca/fr/bio/sheppard_william_9F.html>, ( consulté le 8 avril 2016).
44
résidence montre que la nature, laissée à elle-même, est appréciée des résidents du
domaine. Dans son guide de 1831, Cockburn décrit le domaine de Woodfield comme un
environnement pittoresque à souhait avec sa grande résidence de style classique,
transformée au fil du temps par les nombreux propriétaires :
« The approach to this pleasant villa is through long and shaded avenues of
red oaks […] The villa of Woodfield was originally built by the Catholic
Bishop of Samoa, and has been added to by the several subsequent
proprietors, which makes it more picturesque than regular, and assimilating in
character with the sombre pines and spreading oaks which surround it. The
gardens contain the most extensive collection of rare and native plants about
Quebec44
. »
Notons la présence du chêne, dans la description de Cockburn, qui est considéré par
McKay comme un symbole patriotique de la Grande-Bretagne. Cockburn mentionne, en
fait, à plusieurs reprises la présence de chênes sur le domaine de Woodfield tout en
valorisant le caractère pittoresque du paysage, et donc la présence de nombreuses
possibilités de sujets pour le peintre45
.
Aussi, Cockburn décrit la résidence comme ayant une architecture classique régulière,
mais il précise que les nombreux propriétaires ont transformé son apparence en quelque
chose de plus pittoresque. Nous savons que les différents propriétaires ont effectué
diverses additions au cours des années, ajoutant des annexes qui donnent un aspect plus
irrégulier à la résidence46
. LeMoine, qui décrit Woodfield avant l’incendie de 1842,
confirme cette affirmation en mentionnant l’ajout d’une serre par M. Sheppard,
transformant ainsi l’apparence classique de la résidence :
« Mr. Sheppard improved the house and grounds greatly, erecting vineries
and a large conservatory; changing the front of the house so as to look upon a
rising lawn of good extend, interspersed with venerable oaks and pine, giving
the whole a striking and pleasing aspect. The altercation in the house gave it a
44
James Pattison Cockburn, Quebec and its environs; being a picturesque guide to the stranger, Londres,
Thomas Cary & Co. 1831, p. 11-12. 45
Ibid. 46
Gagnon-Pratte, op. cit. p. 324-325.
45
very picturesque appearance, as viewed from the foot of the old avenue,
backed by sombre pines47
. »
Bref, ces deux citations, accompagnées de la représentation de Woodfield par Cockburn,
nous permettent d’affirmer que le propriétaire prodigue une apparence naturelle à ses
jardins tout en ajoutant certains éléments architecturaux dans le but d’intégrer la
résidence à la nature et de créer une relation avec celle-ci. France Gagnon-Pratte
démontre parfaitement la place que prend la nature dans les domaines du XIXe siècle :
« Cette façon romantique de recréer la villa dans son environnement suppose une
communion entre les occupants de la demeure et la nature qui les entoure, communion
rendue possible par les prolongements des lieux de séjour dans des serres et de vastes
galeries, qui sont de véritables salons dans la nature48
. » Elle explique aussi que cette
manière de faire est tout à fait dans l’esprit pittoresque, alors très populaire.
Cette représentation du domaine de Woodfield à l’époque de Cockburn adhère
parfaitement au mouvement pittoresque par l’organisation irrégulière du paysage et par
l’omniprésence de la nature.
2.2.1.2 Le paysage colonial
Tout en essayant de mettre en évidence l’ambiance pittoresque des différents domaines
qu’il visite, Cockburn en profite pour représenter, comme l’explique Alain Parent, « des
images d’un lieu paisible et prospère […] qui peuvent promouvoir les investissements et
l’émigration britanniques vers une colonie dorénavant bien établie, pourvue d’une élite
qui sait goûter les plaisirs de la nature et qui ne manque pas d’occasions pour se
divertir49
». Cette élite dont parle Parent est bien illustrée par Cockburn, notamment par
la présence de grandes villas, par la représentation de personnages richement vêtus et des
activités auxquelles ils participent.
47
LeMoine, op. cit., 1882, p. 351-352. 48
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 91. 49
Alain Parent, « Entre empire et nation. Gravures de la ville de Québec et des environs, 1760-1833 »,
Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2003, p. 195.
46
Le dessin nommé Quebec from Pointe à Piseau, datant de 1831, offre une vue du Cap-
Diamant et du fleuve Saint-Laurent, puis sur les bateaux et les anses où on entreposait le
bois qui était destiné à l’Angleterre (Figure 2.4). Le premier quart du XIXe siècle marque
la ville de Québec par sa grande prospérité économique50
, élément crucial pour une
capitale coloniale. Cockburn le montre de façon claire d’ailleurs par la présence de
plusieurs bateaux sur le fleuve qui font le transport du bois vers la mère patrie. À la
recherche d’une vue parfaitement pittoresque, Cockburn écrit : « At Point à Piseau, above
Sillery cove, from a spot on the left partially cleared, the view of Cape Diamond, with the
St. Lawrence, and shipping, is as perfect a composition as any landscape painter could
desire51
. »
Afin de rendre encore plus romantique et pittoresque le paysage, l’artiste fait l’ajout d’un
homme accompagné par un chien comme élément central de l’image, et d’un second
groupe comprenant deux autres personnages d’un rang moins élevé ; les classes sociales
ne se mélangent pas même lorsqu’elles sont illustrées52
. L’ensemble de l’image présente
une activité de plein air où le propriétaire de l’endroit profite des nombreux sentiers pour
se promener et admirer la vue sur les nombreuses anses à bois. La falaise, où se situe
l’observateur, regroupe les sites des grandes résidences et domaines des riches
marchands. La représentation pittoresque des grands domaines de la ville s’accorde bien
avec le fait que les Britanniques sont à l’époque propriétaires des meilleurs sites, avec les
meilleures vues. En tenant compte de la classe sociale élevée de Cockburn, nous pouvons
comprendre le choix de montrer certaines vues ou activités auxquelles seulement la
bourgeoisie a accès.
La vue sur le fleuve et sur les anses à bois à partir de la falaise est relativement classique
chez Cockburn, qui l’utilise notamment pour représenter le Cap-Diamant à partir de
Spencer Wood (Figure 2.5). En 1830, le grand domaine de Spencer Wood appartient à la
riche famille anglaise des Perceval, qui impose sa présence sur les hauteurs de Sillery.
50
Parent, Ibid. 51
Cockburn, op. cit., p. 12. 52
Parent, op. cit., p.196.
47
C’est une famille distinguée qui organise des réceptions, des bals dansants et des concerts
dans leur grande propriété. Comme de nombreux propriétaires des grands domaines de
Québec, la famille profite aussi de cette retraite sylvestre pour tenir des expéditions
botaniques et étudier les nombreux spécimens que recèle leur vaste parc-jardin53
.
Cockburn mentionne dans son guide la présence de Spencer Wood parmi les nombreux
domaines placés sur la falaise le long du chemin Saint-Louis et du chemin Sainte-Foy :
« These park-like grounds, with a noble avenue leading to the house, remind one of
England54
. » Le lien visuel entre le pays colonisé et la mère patrie est de nouveau rappelé
par l’entremise de l’architecture de la résidence de Spencer Wood. Le dessin de
Cockburn, datant de 1829 (Figure 2.6), représente la somptueuse résidence des Perceval55
et illustre le couple se baladant sur le domaine. Ces villas représentées par Cockburn,
notamment dans les dessins de Woodfield et de Spencer Wood, sont représentatives, en
grande partie, d’une architecture classique relativement conforme. Notons qu’au
XIXe siècle, l’architecture palladienne coloniale évoque le classicisme officiel
britannique à Québec56
. Le pouvoir de l’Empire britannique sur le Bas-Canada peut être
exprimé de façon symbolique par ce type d’architecture.
Finalement, l’expression du pittoresque semble être un moyen explicite d’illustrer la ville
de Québec, tout en contribuant à présenter une image plaisante et rassurante d’une ville
sécuritaire et belle. Ainsi,
« Le pittoresque est une sorte d’idiome pictural dont l’enjeu demeure avant
tout identitaire et national. Si le pittoresque permet à l’observateur
métropolitain de se familiariser avec l’image du lieu étranger, c’est pour qu’il
puisse se l’approprier intellectuellement, et éventuellement plus efficacement
lorsqu’il s’agit de l’empire… De cette manière, chez Cockburn : […] la vue
urbaine est un véhicule singulièrement apte à exemplifier l’assujettissement
53
Smith, op. cit., p. 18-19. 54
Cockburn, op. cit., p. 11. 55
Michael Henry Perceval décède en fonction le 12 octobre 1829, mais la famille Perceval reste
propriétaire de la résidence jusqu’en 1833. Henry Atkinson, riche marchand de Québec, achète la propriété;
il la transforme considérablement et y fait l’ajout de nombreuses serres. LeMoine, op. cit., 1882, p. 333. 56
Parent, op. cit., p. 153.
48
d’un pays sauvage aux principes du gouvernement, des lois, de la religion, de
l’ordre, du commerce et des mœurs britanniques57
. »
Une concordance se forme dans les illustrations de la ville de Québec entre la
représentation du paysage transformé par l’esthétique pittoresque et la représentation de
la ville, qui se veut ordonnée et sécuritaire. Ayant été conçues pour un public londonien,
les vues du paysage canadien réalisées par Cokburn dénotent une certaine préférence
pour l’esthétique pittoresque. Le fait d’utiliser cette esthétique permet une plus grande
appréciation chez le public anglais qui retrouve, comme l’explique MacLaren, « English
landscape qualities in lands that had fallen under British control58
. »
Ainsi, le pittoresque est une caractéristique typique du paysage britannique à l’époque et
il semble devenir un choix essentiel pour les bourgeois anglais de Québec dans
l’appropriation physique et visuelle du territoire ainsi que de leur environnement
d’habitation au XIXe siècle.
2.3 Le pittoresque en architecture
France Gagnon-Pratte et Janet Wright s’entendent pour dire que le mouvement
pittoresque teinte et influence l’architecture des résidences de Québec par une
transformation des styles et une ouverture des demeures vers la nature59
. L’intégration du
pittoresque dans l’architecture à Québec est difficile à dater de manière exacte pour
Gagnon-Pratte, qui situe son influence entre 1830 et 1870, de même que pour Wright, qui
situe ce même mouvement entre 1780 et 186560
.
Comme le montre bien Gagnon-Pratte, le pittoresque caractérise d’abord les
aménagements paysagers autour des villas classiques, puis influence l’architecture elle-
même : « Dans un premier temps, la villa commande un environnement pittoresque. Dans
57
Dans cette citation, Parent parle des vues urbaines réalisées par Cockburn, mais l’observation qu’il
propose est parfaitement adaptée pour les vues périurbaines. Parent, Ibid., p. 199. 58
MacLaren, op. cit., p. 98. 59
Gagnon-Pratte, Ibid., p. 82-116; Wright, op.cit., p. 102-127. 60
Wright, Ibid.
49
un deuxième temps, cet environnement pittoresque va remodeler l’architecture de la villa
et susciter l’implantation d’une série de petites constructions ornementales au bord des
plans d’eau, dans les bocages et sur les promontoires61
. » En nous intéressant aux
différents styles architecturaux des villas, nous pourrons comprendre l’influence du
courant pittoresque au Bas-Canada tout en évaluant l’intégration de cette catégorie
esthétique dans le milieu suburbain de ville de Québec.
L’application des principes pittoresques dans l’architecture résidentielle amène au
XIXe siècle une popularisation du cottage et de la villa. À Québec, les résidences
secondaires (qui deviennent souvent des résidences principales, par la suite) permettent
aux propriétaires de sortir de la ville et de s’éloigner de la pollution environnante et des
maladies. Or, la recherche de la nature et l’engouement pour l’aménagement paysager
sont des éléments de seconde priorité pour les propriétaires, qui s’attardent plutôt à
choisir un site et à faire construire leur villa62
. Tout le sens de l’esthétique pittoresque est
alors basé sur l’achat d’un site impressionnant situé au sommet du cap ainsi que sur la
construction d’une majestueuse résidence63
. Frédéric Smith explique que la communauté
des grands marchands anglais de l’époque préfère les sites qui se trouvent dans le Haut
Sillery, sur le cap, à la proximité des chantiers de bois et des anses situées le long des
berges de Sillery64
. Le paysage a passablement été transformé depuis la création de ces
domaines jusqu’en 1830, mais nous pouvons reconnaître que, dès le départ, le choix du
site s’intègre bien dans le besoin d’un retour vers la nature, qui caractérise le mouvement
pittoresque.
Comme l’explique Gagnon-Pratte, l’architecture palladienne est très présente au début du
siècle, aussi bien dans le milieu urbain que périurbain. Bien qu’au départ la villa
palladienne ne soit pas particulièrement conçue pour s’intégrer à la nature, le choix du
terrain, beaucoup plus vaste, et l’ajout de dépendances, d’annexes et de serres nous
rappellent l’intérêt grandissant des propriétaires à créer une demeure dans l’esprit
61
Gagnon-Pratte, op.cit., p. 91. 62
Ibid, p. 19. 63
Ibid. 64
Smith, op. cit., p. 5.
50
pittoresque. C’est le cas de François-Joseph Perreault, qui ajoute à sa résidence de style
classique de l’Asile-Champêtre une serre de chaque côté du corps principal (Figure 2.7),
ce qui permet la mise en relation du jardin et de la demeure. Cette villa palladienne,
construite sur le côté nord de Grande Allée en 1795, s’inscrit dans la nouvelle pensée
romantique du paysage où la nature et les jardins prennent une place considérable dans
l’environnement d’habitation65
. LeMoine donne un aperçu de cette vision romantique de
l’environnement d’habitation :
« Through an avenue with flowery borders, between lines of lofty vases,
filled with blooming plants, the visitor reached the house, which occupied the
center of a garden of four acres. Above the door, at the summit of a flight of
steps, was inscribed in gilt letters, Asyle Champêtre. The house was a double
one with a conservatory at each end, the first erected in Canada, filled with
exotic and native plants; […]66
. »
La résidence Marchmont, appartenant à Henry Caldwell et construite entre 1810 et 1819
sur le côté sud du chemin Saint-Louis67
, présente aussi un style palladien, transformé par
l’ajout d’une galerie entourant trois côtés de la demeure (Figure 2.8). D’après Wright,
pour les Britanniques, une large véranda ou une galerie était essentielle à une résidence
afin de « jouir de l’air frais et d’accentuer l’aspect pittoresque de leurs bucoliques
retraites d’inspiration canadienne68
».
Le concept de villa, découlant du romantisme, permet l’implication de différents styles
architecturaux dans l’esthétique pittoresque. « Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que
les villas néo-classiques de la région de Québec se ressentent, par les annexes qui y sont
ajoutées et par l’aménagement de leur environnement, du goût pour le pittoresque69
. »
Dans les années 1820-1830, l’esthétique pittoresque influence l’architecture et « les
normes abstraites rigoureusement géométriques de l’architecture classique font place au
65
Martin et Morisset, op. cit., p. 25. 66
P. Bender, Old and New Canada 1753-1844, Montréal, Dawson Bros., 1882, p. 185-188. 67
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 273. 68
Wright, op.cit., p. 105. 69
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 89.
51
respect de la nature et à la création d’effets visuels intéressants70
. » Dans le paysage
pittoresque, les éléments architecturaux sont considérés comme des éléments importants,
mais plutôt secondaires à la composition. C’est en se fondant harmonieusement et
discrètement dans l’ensemble que l’architecture permet à la nature de devenir l’élément
central du domaine.
Pendant cette période, les villas néoclassiques sont populaires à Québec et leur
architecture s’ajuste au mouvement pittoresque par l’ajout d’effets visuels. Ces villas
possèdent souvent les mêmes caractéristiques architecturales de base et ne sont
différentes que par l’ajout de détails en façade. Au-delà de cette ornementation, les villas
deviennent de plus en plus originales avec l’ajout d’éléments qui établissent la relation
avec les alentours. « Dès lors, la rigueur et la symétrie néo-classique cèdent le pas aux
concepts romantiques par l’adjonction d’annexes de divers types71
. » Les grands blocs
réguliers disparaissent pour être remplacés par des bâtiments irréguliers, transformés par
des annexes, à la manière de tentacules qui s’étendent vers la nature et s’intègrent aux
environs.
Les villas néoclassiques de Québec représentent architecturalement le luxe et le confort,
mais les propriétaires prennent aussi soin d’appliquer ces caractéristiques aux alentours
de l’habitation, comme l’exprime J. M. LeMoine en parlant du domaine Cataraqui, sur le
chemin Saint-Louis : « Charming was the contrast, furnishing a fresh proof of the confort
and luxury with which the European merchant, once settled in Canada, surrounds his
home. […] Cataracoui has been recently decorated, we may say, with regal magnificence,
and Sillery is justly proud of this fairy abode […]72
. » L’idée de « luxe », pour les riches
propriétaires de l’époque, peut être associée aux meubles confortables de provenance
exotique (Italie, France, Espagne, etc.), à l’abondance de sculptures et d’œuvres
picturales dans la demeure, mais elle peut aussi faire partie de l’aménagement paysager.
En effet, un domaine luxueux est aussi caractérisé à l’époque par la somptuosité de
l’aménagement de la propriété qui offre une grande quantité de végétaux ainsi que par la
70
Wright, op. cit., p. 6. 71
Gagnon-Pratte, op. cit., p.75. 72
LeMoine, op. cit., 1882, p.380-381.
52
présence de nombreuses serres regorgeant de fleurs exotiques, odorantes et colorées qui
habituellement deviennent l’attrait principal du domaine.
Les villas Beauvoir, de Spencer Grange, Thornhill et Wolfefield présentent toutes les
quatre une architecture néoclassique avec quelques ajouts qui contribuent à individualiser
chacune des structures. D’ailleurs, Wolfefield (Figure 2.9), propriété de David Munro
vers 1823, puis de William Price en 1828, rompt avec la sobriété des villas néoclassiques
avec l’ajout d’une grande galerie couverte sur l’un des côtés de la demeure, témoignant
ainsi de la recherche pour une plus grande ouverture de la résidence vers la nature. La
complexification du plan de la résidence par l’ajout d’ailes et d’annexes exprime cette
nouvelle originalité pittoresque de la première moitié du XIXe siècle.
Après 1830, le style néoclassique tend à céder le pas devant des styles plus profondément
pittoresques. C’est à cette époque aussi que la stabilité économique et la forte
implantation de la bourgeoisie anglaise à Québec permettent la construction d’une grande
quantité de nouvelles villas d’après l’esthétique pittoresque73
. Ainsi, cet environnement
pittoresque « va par la suite remodeler l’architecture des maisons de campagne. Après les
villas palladiennes et néoclassiques empreintes de rigidité et de symétrie, on voit donc
apparaître des formes plus irrégulières où l’accent est mis sur le caractère pittoresque :
villas de style Italienne, néo-gothique, […], et des résidences plus modestes appelées
cottages74
. »
« Les valeurs et la conception de l’architecture du mouvement pittoresque — le plaisir de
jouir des paysages de la Nature […] et le goût pour l’asymétrie et la diversité —
exercèrent une grande influence sur l’architecture pendant tout le XIXe siècle
75. » Dans la
première moitié du XIXe siècle, il est indéniable qu’une nouvelle relation au paysage
s’implante à Québec par l’entremise du courant pittoresque. Afin de recréer un paysage
ressemblant à celui de l’Angleterre, le bourgeois anglais transforme son milieu de vie par
la construction d’un aménagement naturel, l’implantation d’éléments créateurs
73
Wright, op. cit., p. 110. 74
France Gagnon-Pratte et Philippe Dubé, « La Villa ». Magazine Continuité. N°40, été 1988, p. 24. 75
Wright, op. cit., p. 7.
53
d’émotions, tels que des kiosques, des jardins, des serres ainsi que par l’implantation de
villas aux multiples styles.
2.3.1 La serre
Bien que plusieurs historiens de 1830 à aujourd’hui s’entendent pour dire que la ville de
Québec a été influencée, autant dans l’architecture que dans les représentations
figuratives, par le mouvement pittoresque76
, ils accordent peu d’importance, en général,
aux serres, pourtant présentes pendant tout le XIXe siècle. Leur apport sur les domaines
n’est donc pas réellement étudié par ces auteurs. Ceux-ci mentionneront que des serres
sont construites sur les domaines, qu’elles sont utilisées par le propriétaire ou le jardinier
et surtout qu’elles s’inscrivent dans le mouvement pittoresque. Par exemple, Louisa Blair
mentionne la présence de serres sur les domaines à Sillery, mais ne parle pas de leur
architecture et ne se questionne pas sur leur utilisation et leur fonctionnement : « […] les
marchands britanniques prospères les achètent [terres surplombant les anses de Sillery] et
y construisent des villas dans la plus pure tradition de la campagne anglaise77
, avec des
bijoux de plates-bandes, de pelouses et de serres soigneusement entretenues par leurs
jardiniers anglais et écossais78
. » De même, André Bernier et Danielle Dion-McKinnon
mentionnent la présence de serres sur les domaines des marchands anglais, sans toutefois
parler particulièrement de celles-ci79
.
La serre fait son apparition à Québec dès le XVIIIe
siècle au Château Saint-Louis, à
l’Asile-Champêtre en 1795 et, à la même époque, à la résidence d’Henry Atkinson à Cap-
76
Alain Parent (2003), André Bernier (1977), Christina Cameron (1976), Danielle Dion-McKinnon (1987),
Didier Prioul (1991), France Gagnon-Pratte (1980), Frédéric Smith (2001 et 2003), James MacPherson
LeMoine (1865, 1882 et 1885), James Pattison Cockburn (1831), Janet Wright (1984), Laurier Lacroix
(1991), Louisa Blair (2005), Marc Grignon (2014), Marylin J. McKay (2011), Nicole Dorion-Poussard
(2007) , Paul Trépanier (1989), Ron Williams (2014). 77
Cette tradition dont parle Blair est clairement associée par l’auteur à l’esprit pittoresque. 78
Louisa Blair, Les Anglos: la face cachée de Québec, tome 1, 1608-1850, Québec, Éditions S. Harvey,
2005, p. 48. 79
André Bernier, Le Vieux-Sillery, Québec, Direction des arrondissements: Centre de documentation,
Direction de l’inventaire des biens culturels, 1977, p. 55. Danielle Dion-McKinnon, Sillery : Au carrefour
de l’histoire, Québec, Éditions Boréal, 1987, p. 94.
54
Rouge80
. LeMoine décrit, dans ses nombreux textes, les serres que nous retrouvons dans
l’environnement de Sillery, notamment celle qu’installe Henry Atkinston sur son
domaine.
« Vers le même temps [1795], un riche négociant de Québec, feu M. Henry
Atkinson, l’ancien président de la Société d’Horticulture de Québec, et je
crois pouvoir nommer à bon droit le père de l’horticulture artistique, parmi
nous, avait ajouté à son pittoresque manoir au haut de la falaise du Cap-
Rouge, un petit réduit en verre, chauffé à l’eau chaude, où il cultivait ses
chères fleurs en hiver […]81
. »
Déjà, vers 1795, Henry Atkinson fait preuve d’innovation et montre sa grande richesse
avec l’installation d’un chauffage à l’eau chaude dans sa serre ; en effet, cet élément
technique n’est popularisé en Angleterre qu’en 1830 et vers 1850 aux États-Unis. Ainsi,
comme l’exprime Huxley : « The first British green-house installations were made in the
early 1820s, and by the late 1830s a number of boiler systems were available
commercially […] until about 1850 hot-water heating in the United States was very much
a luxury used in the hothouses and vineries of the rich82
. » Bien que la serre d’Atkinson
soit pourvue d’un chauffage innovateur, celle-ci demeure modeste s’accordant avec la
tradition pittoresque voulant que la serre permette l’ouverture vers l’extérieur et la
complexification du plan de la résidence sans toutefois devenir un élément architectural
majeur sur le domaine.
La résidence palladienne de François-Joseph Perreault possède, en 1795, « Le premier
conservatoire de fleurs, autour de Québec […], [la serre] vit le jour au commencement du
siècle, à l’Asile-Champêtre, sur les buttes-à-Nepveu, Grande-Allée, où résidait Joseph
Perrault […]83
». LeMoine décrit « ce champêtre réduit84
» comme une pièce accueillant
des fleurs exotiques : « cette pièce était située dans un des pavillons; à une extrémité,
dans un pavillon semblable et surmonté, comme l’autre, d’une petite tourelle Normande,
80
Pierre Beaudet, Les dessous de la terrasse à Québec : archéologie dans la cour et les jardins du Château
Saint-Louis, Québec, Éditions Septentrion, 1990, p. 83 et LeMoine, op. cit., 1885, p. 339. 81
LeMoine, op. cit., 1885, p. 339-340. 82
Anthony Julian Huxley, An Illustrated History of Gardening, Londres, Paddington Benne Ltd., 1978, p.
154 p. 154. 83
LeMoine, op. cit., 1885, p.339 84
Ibid., p. 169.
55
se trouvait un mignon réduit, […]; c’était un conservatoire pour héberger pendant l’hiver
les fleurs exotiques […]85
. » Le plan symétrique de la villa palladienne est par ailleurs
conservé à l’époque avec l’installation d’une serre de chaque côté du corps central. La
construction de ces serres expose non seulement un certain goût pour l’horticulture, mais
elle démontre en outre que la création d’une ambiance pittoresque commence à s’insinuer
dans l’architecture elle-même.
Le château Saint-Louis possède dès 1781 une serre située à l’extrémité de la cour du
château « au sud de la face gauche du bastion sud-est du fort Saint-Louis86
». La serre
plutôt modeste est chauffée par des tuyaux de fumée circulant dans le plancher et est
utilisée pour la culture de fruits et de plantes étrangères pendant l’hiver afin d’accélérer
leur maturité et favoriser la cueillette à l’été87
. En 1815, le château Saint-Louis est équipé
d’une nouvelle serre mesurant 19,75 mètres de longueur par 7,95 mètres de largueur
(Figure 2.10). Cette imposante architecture de verre est utilisée pour la croissance des
végétaux exotiques ainsi qu’un lieu d’agrément pour le gouverneur, sa femme et leurs
invités88
.
Les serres du Château Saint-Louis diffèrent largement de celles d’Henry Atkinson et de
Joseph Perreault par leur situation spatiale sur le domaine. Dans le premier cas, elles sont
éloignées de la résidence et dans le second cas, elles y sont annexées. Les serres sont
érigées sur le domaine du Château Saint-Louis entre 1781 et 1815, sont des exceptions,
puisqu’à l’époque, il est plutôt rare de voir un bâtiment de verre de grandes dimensions
en raison du coût des matériaux et de l’absence de techniques de construction
spécialisées.
Finalement, dans la première moitié du XIXe siècle, un petit nombre de serres sont
construites, et elles forment habituellement des bâtiments assez modestes, qui viennent
parfois développer les plans des résidences bourgeoises. Leur fonction est plutôt
85
LeMoine, Ibid., p. 170. 86
Pierre R. Beaudet, op. cit., p. 95, 96. 87
Ibid. 88
Ibid., p. 97-103.
56
utilitaire, consacrée à la culture des fruits et des légumes. Mais elles contribuent aussi à
renforcer l’ambiance pittoresque en permettant d’ouvrir les résidences vers l’extérieur,
appuyant de cette manière la perception des alentours qui caractérise les jardins.
CONCLUSION
En prenant en compte les illustrations de Cockburn, nous pouvons confirmer que
l’esthétique pittoresque est préférée par l’artiste de la période de 1820-1830 pour
représenter la ville de Québec. Les nombreux commentaires de LeMoine et de Cockburn
démontrent que le style pittoresque est une catégorie esthétique essentielle à la première
moitié du XIXe siècle à Québec dans l’organisation visuelle du paysage. L’esthétique du
pittoresque permet à Cockburn d’inscrire les vues de Québec dans un cadre artistique
bien ancré, selon l’idéologie du dessin paysager de la tradition anglaise.
Le mouvement pittoresque devient ainsi populaire au cours de la première moitié du
XIXe siècle dans divers domaines artistiques, notamment l’architecture. L’introduction du
pittoresque amène alors la rencontre de différents styles et la popularisation, à Québec, de
nouveaux types de résidence, tels que la villa et le cottage. Sans perdre l’influence du
néoclassicisme et du palladianisme, le style varié des villas de Québec témoigne d’un
besoin d’aller vers la nature. Ainsi l’architecture néoclassique évolue vers le pittoresque
par l’ajout d’éléments architecturaux et décoratifs, tels que les annexes, les grandes
galeries ainsi que les serres.
Les grands domaines présents à l’extérieur de la ville accueillent de majestueux parcs-
jardins conçus dans le style pittoresque, au goût des riches propriétaires d’origine
britannique. Avec ces immenses aménagements paysagers vient la popularisation de la
serre dès le début du siècle. Par contre, bien que la serre soit un élément connu dans la
première moitié du XIXe siècle, elle n’est pas beaucoup décrite dans le contexte de
l’esthétique pittoresque où elle prend essentiellement la forme d’un bâtiment modeste qui
57
permet une continuation de la résidence vers la nature et la complexification des plans
des résidences.
Comme nous avons pu le voir dans ce chapitre, James MacPherson LeMoine participe à
l’engouement pour le pittoresque en décrivant selon la vision anglaise la magnificence
des domaines de Sillery. À cet effet, LeMoine présente l’aspect du domaine de Spencer
Wood à l’époque de Michael-Henry Perceval entre 1811 et 1834 :
« On the South side of the St. Louis road, past Wolfe and Montcalm’s famed
battle-field, two miles from the city walls, lies, embowered in verdure, the
most picturesque domain of Sillery – one might say of Canada – Spencer
Wood. […] Like several villas of England […], Spencer Wood was [then] a
splendid old seat of more than one hundred acres, a fit residence for the
proudest nobleman England might send us as Viceroy – enclosed east and
west between thow steamlets, hidden from the highway by a dense growth of
oak, maple, dark pines and firs – the forest primeval – letting in here and
there the light of heaven on its labyrinthine avenues; a most striking
landscape, blending the somber verdure of its hoary trees with the soft tints of
its velvety sloping lawn […]. It had also an extensive and well-kept fruit and
vegetable garden, enlivened with flower beds […]; conservatories, […]
pavilions picturesquely hung over the yawning precipice on two headlands,
one looking towards Sillery, the other towards the Island of Orleans, the
scene of many a cosy tea-party; boyers, rustic chairs perdues among the
groves, a superb bowling green and archery ground.89
»
Cette description présente les caractéristiques du paysage qui sont privilégiées par les
Anglais, tels que de grands arbres rappelant les forêts primitives d’origine, de vastes
étendues de verdure, des jardins potagers et de fleurs ainsi que la présence de quelques
kiosques et de serres pour agrémenter la vue sur le jardin et sur le paysage environnant.
Cette vision pittoresque marque les paysages de la ville de Québec au début du XIXe
siècle et expose cette appropriation du territoire entreprise par la bourgeoisie anglaise.
89
LeMoine, op.cit. 1882, p. 332 et 336.
58
59
CHAPITRE 3
LE GARDENESQUE À QUÉBEC
Dans le chapitre précédent, nous avons, à plusieurs reprises, parlé des descriptions que
fait James MacPherson LeMoine, entre 1865 et 1882, des grands domaines périurbains de
la ville de Québec. Ces descriptions mettent l’accent sur la végétation luxuriante des
domaines, le choix des fleurs et l’organisation paysagère sur le terrain tout en utilisant un
vocabulaire spécifique pour définir les végétaux. Bien que LeMoine les présente comme
caractéristiques du paysage éminemment pittoresque de Québec, nous pensons que ces
descriptions précises et détaillées montrent que d’autres préoccupations, de nature plus
scientifique, font leur apparition chez une certaine partie de la population surtout après
1840. Dans ce chapitre, nous tenterons donc de démontrer que le style gardenesque tend
à se substituer au pittoresque, ou plutôt à l’englober dans une pratique plus éclectique, qui
s’amorce dans les années 1840.
En premier lieu, nous reviendrons sur Andrew Jackson Downing, homologue américain
de l’écossais John Claudius Loudon, qui a permis, dès 1841, la popularisation du style
gardenesque et le déploiement de la profession de jardinier paysagiste en Amérique du
Nord. Afin de déterminer les éléments associés au gardenesque qu’emploient les
propriétaires des domaines de la ville de Québec, nous utiliserons l’important traité de
Downing, A Treatise on the Theory and Practice of Landscape Gardening, Adapted to
North America (1841).
En second lieu, la description de deux domaines nous permettra d’illustrer les principes
de Downing. Après 1840, de nouvelles préoccupations s’expriment quant à l’organisation
des domaines et leurs aménagements paysagers. Afin de comprendre cette nouvelle
situation, nous présenterons les domaines de Woodfield et de Spencer Wood/Spencer
60
Grange1, qui ont évolué en suivant les nouvelles tendances dans la deuxième moitié du
XIXe siècle. Nous présenterons donc les aménagements paysagers des domaines tout en
évaluant leur rapport au style gardenesque.
Enfin, nous parlerons du développement du jardin canadien au XIXe siècle en considérant
son évolution dans la ville de Québec et la popularisation des sciences naturelles, puis en
notant l’utilisation de végétaux spécifiques. Nous examinerons l’intégration du style
gardenesque dans le jardin canadien, qui domine à partir de la deuxième moitié du XIXe
siècle dans les aménagements paysagers des grands domaines de la ville de Québec.
Ce point nous amènera à parler du large déploiement de traités d’horticulture, puis de la
création de la Société d’horticulture de Québec. Aussi, ce dernier point nous permettra de
souligner l’importance nouvelle accordée aux serres, qui ont grandement marqué le
paysage de la ville de Québec au XIXe siècle et qui s’insèrent dans le contexte spécifique
du gardenesque avec l’intérêt pour les fleurs exotiques et les sciences naturelles.
3.1 Andrew Jackson Downing : le gardenesque en Amérique du Nord
L’ouvrage de Downing qui nous intéresse le plus est son traité de 1841, A Treatise on the
Theory and Practice of Landscape Gardening, adapted to North America ; with a view to
The Improvement of Country Residences with Remarks on Rural Architecture, qui porte
sur la pratique du jardinier et dans lequel il définit le style gardenesque en donnant des
exemples d’aménagements paysagers propices au développement harmonieux des
végétaux. En prenant en considération ce traité, nous pouvons déterminer les
caractéristiques d’un jardin organisé de manière gardenesque. À l’aide de ces
caractéristiques, nous évaluerons dans quelle mesure ce style influence les aménagements
paysagers des domaines périurbains de la ville de Québec.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, Downing s’inspire largement des idées
de Loudon pour conceptualiser ses idées. D’abord, il prend en compte notamment
1 Ayant été conçus par la même personne, Spencer Wood et Spencer Grange seront considérés comme
faisant partie du même domaine.
61
l’intérêt de Loudon pour la ruralité, le retour vers la nature, et « l’autosuffisance » des
domaines2. En encourageant un retour à la campagne et une autarcie totale des domaines,
Downing propose la mise en place de plusieurs dépendances autour de la résidence
principale. La figure 3.1 présente le modèle d’organisation d’un domaine périurbain
énonçant un retour vers la campagne et la nature, favorisé par Loudon et ultérieurement
par Downing. Les bienfaits d’un retour à la terre, chez la population vivant sur un
nouveau territoire et pour celle vivant sur un ancien territoire, sont clairement exprimés
dans le traité de Downing :
« As a people descended from the English stock, we inherit much of the
ardent love of rural life and its pursuit which belong to that nation; but our
peculiar position, in a new world that required a population full of enterprise
and energy to subdue and improve its vast territory, has, until lately, left but
little time to cultivate a taste for Rural Embellishment. But in the older states,
as wealth has accumulated, the country become populous, and society more
fixed in its character, a return to, and fondness for, those simple and
fascinating enjoyments to be found in country life and rural pursuits, is
witnessed on every side3. »
L’organisation spatiale que propose Downing implique l’implantation de nombreuses
dépendances sur les domaines, tels que : « ice-house, hot-beds, gardener’s house, […]
stables, carriage-house, etc4. » ainsi qu’une spécialisation de certains bâtiments, dont la
serre, qui peut avoir différentes fonctions selon les besoins du propriétaire.
Dans son traité, A. J. Downing envisage quelques possibilités pour rendre l’atmosphère
des domaines périurbains la plus agréable possible. Ces propositions, qui proviennent
nettement de l’influence de Loudon, présentent quelques caractéristiques du style
gardenesque :
« which can render a country seat delightful : beautiful pleasure-grounds,
large enough to admit of a park-like character, varied with trees in irregular
groups, smooth lawns, and firm gravel roads, and walks ; flower and kitchen
2 Ces idées sont présentes dans l’ouvrage de John Claudius Loudon, The Suburban Gardener and Villa
Companion, de 1838. 3 Andrew Jackson Downing, A Treatise of the Theory and Practice of Landscape Gardening, adapted to
North America; with a view to The Improvement of Country Residences with Remarks on Rural
Architecture, New-York & Londres, Wiley and Putnam, 1841, p. II. 4 Ibid., p. 72.
62
gardens, well stocked with floral beauties, and the most excellent culinary
productions ; and hot-houses and forcing-houses, filled with all that can
minister to the eye or the palate5. »
Bien que l’attrait pour la ruralité ne soit pas précisément énoncé dans cette citation, il est
question de grands terrains, de « pleasure-grounds » et de leur « parc-like character », que
nous retrouvons seulement en périphérie de la ville ou à la campagne. Ces grands terrains
permettent un aménagement paysager plus complexe, dans le style gardenesque avec une
organisation spécifique de végétaux. Downing reprend l’idée de Loudon sur l’importance
de la variété des arrangements par la combinaison de différentes formes et de couleurs de
végétaux, l’espacement de ces végétaux pour exposer leur attrait individuel,
l’organisation géométrique de végétaux spécifiques dans les jardins et la création de
certains types de jardins aux fonctions bien définies autour de la résidence. Downing
reprend aussi les idées de Loudon quant à l’intégration des sciences naturelles
(horticulture, botanique) dans les jardins. Prenons le temps de bien définir ces
caractéristiques associées au style gardenesque.
Dans son traité, Downing explique l’importance d’intégrer de la variété dans les
aménagements paysagers. Il explique que « Variety must be considered as belonging
more to the details, than to the production of a whole. […] Variety in plantations may be
attained by a combination of qualities opposite in some respects, as the colour of the
foliage, and similar in others, as the form […]6 ». D’après Downing, la variété dans les
arrangements paysagers permet de rendre les promenades plus distrayantes :
« there is no more delightful variety in a walk of half a mile in length, […]
over a diversified surface, bordered occasionally with luxuriant groups of
trees, open spaces of fine lawn, and dense thickets of shrubbery, or
underwood, than in a straight level avenue over the same distance, whose
sides present but one continuous line of trees seen at the same moment, and
presenting but one single and monotonous view7. »
5 Ibid., p. 25.
6 Downing, Ibid., p. 42.
7 Ibid., p. 14.
63
Lors de la caractérisation du style gardenesque, Downing met l’accent sur l’importance
d’un certain espacement des végétaux. Il explique qu’une distance variable entre les
végétaux permet de mieux apprécier la spécificité de ceux-ci tout en leur laissant assez
d’espace pour pousser librement. Ainsi, Downing explique que
« planting, thinning, and pruning, in order to produce the latter effect, the
beauty of every individual tree and shrub, as a single object is to be taken into
consideration, as well as the beauty of the mass […]. […] all the trees in a
gardenesque group ought to be so far separated from each other as not to
touch, yet the degrees of separation may be as different as the designer
chooses, provided the idea of a group is never lost sight of. […] In the
gardenesque, the beauty of the isolated tree consists in the manner in which it
is grown […]8. »
Dans son traité, Downing mentionne que le style gardenesque permet d’organiser
géométriquement et linéairement quelques arbres et buissons ; il dit : « Where they are to
be scattered in the gardenesque manner, every tree and shrub should stand singly, as in
the geometrical manner they should stand in regular lines or in some geometrical
figure9. » Dans ce cas-ci, Downing s’éloigne quelque peu des propos de Loudon, qui
propose une organisation géométrique pour les arbres et buissons indigènes (natifs)
seulement pour démontrer l’artificialité de l’arrangement. Loudon explique que
[…] if the common trees of the locality are employed, must be either planted
in lines, or massed in geometrical figures; or, if foreign trees and shrubs only
are used, they may be planted in irregular masses or groups, and as single
trees. […] care must be taken not to crowd, or ever group, them (indigenous
trees) together in such a manner as that a stranger might conclude they had
grown up there naturally10
. »
Pour Downing, tous les arbres et buissons doivent être placés de manière ordonnée et
individuelle dans un jardin de style gardenesque. La différenciation entre l’organisation
des végétaux exotiques et indigènes n’est pas nécessaire, malgré le fait qu’il confirme
l’importance de l’intégration de végétaux exotiques. En effet, il mentionne que « One of
the chief elements of artistically imitation in Landscape Gardening, […] the necessity of
8 Downing, Ibid., p. 36-37.
9 Ibid., p. 37.
10 John Claudius Loudon, The Suburban Gardener and Villa Companion, Londres, Longman, Orme,
Brown, Green and Longmans; W. Black, 1838, p. 140.
64
introducing largely, exotic ornamental trees, shrubs and plants, instead of those of
indigenous growth11
. »
L’organisation géométrique de Downing s’observe dans les différents types de jardins sur
le domaine. Il est possible de voir des jardins séparés par des chemins et arrangés de
manière symétrique, dépendamment de leur fonction. Dans son traité, Downing présente
quelques exemples d’aménagement paysager sur un domaine et, outre les nombreuses
dépendances, il montre différents types de jardins, tels que le potager, le jardin de fleur et
le verger12
.
Le style gardenesque peut être caractérisé par le fait qu’il épouse les concepts développés
par les sciences naturelles. En effet, comme nous avons pu le voir dans le premier
chapitre, ce style est popularisé, selon Downing, par les propriétaires de grands domaines
qui ont développé un goût pour l’horticulture et la botanique et qui ont le désir de
posséder une grande variété de végétaux exotiques et rares. Ainsi, les propriétaires et
jardiniers qui conçoivent un aménagement gardenesque ont généralement des
connaissances dans ces domaines et portent une attention particulière au bien-être des
végétaux13
.
L’implantation d’une serre, qui est essentielle à la croissance de végétaux exotiques,
s’associe au développement des connaissances et du goût pour les sciences naturelles. À
l’époque, les nombreuses expérimentations dans le domaine des sciences naturelles ont
permis d’affirmer que l’homme était un être capable de réflexion, d’imagination et
d’invention comparativement aux autres créatures vivantes qui peuplent la planète14
.
Cette compréhension de l’être vivant, mais plus particulièrement de l’homme et de son
milieu de vie, ainsi que de l’apport des sciences naturelles pour contrôler la croissance et
le bien-être des végétaux permet l’éveil d’une certaine conscience du pouvoir de
l’homme sur la nature. Le gardenesque, dans son aspect plus scientifique, témoigne
11
Downing, op. cit., p. 35. 12
Ibid., p. 418. 13
Par exemple avec la distanciation des végétaux pour une croissance plus libre. 14
William M. Taylor, The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in Nineteenth-Century
Britain, Angleterre, Ashgate Publishing Ltd, 2004, p. 1.
65
d’une meilleure compréhension de l’aspect « environnemental15
» et se distingue de fait
du pittoresque.
Finalement, Andrew Jackson Downing présente dans son traité ses propres
caractéristiques du gardenesque en s’inspirant directement des concepts de John Claudius
Loudon. Le style gardenesque est défini par cinq éléments distincts : la variété dans
l’aménagement et dans les végétaux, l’espacement des végétaux, l’arrangement
géométrique, avec la séparation des différents types de jardins, et l’importance des
sciences naturelles dans le travail du jardinier paysagiste.
3.2 Les grands domaines et le style gardenesque Cette section a pour objectif de démontrer, par l’étude de deux domaines de Sillery, la
présence du style gardenesque dans les aménagements paysagers que conçoivent les
propriétaires et jardiniers à partir de 1841. Nous tenterons donc, à l’aide des cartes
topographiques de l’époque et de documents textuels, de constater l’intégration du style
gardenesque sur les domaines en considérant les caractéristiques que propose Downing.
3.2.1 Woodfield
Comme mentionné dans le deuxième chapitre, le grand domaine de Woodfield est acquis
en 1816 par William Sheppard, qui en profite pour transformer la villa et l’environnement
naturel du domaine16
. Après l’incendie qui détruit la villa en 1842, Sheppard fait
construire une nouvelle résidence, située plus au centre du domaine17
. En 1847, William
Sheppard vend le domaine de Woodfield à Thomas Gibb, qui l’échange à son frère James
Gibb contre un autre domaine à Sainte-Foy18
. La carte de Sillery de 1865 (Figure 3.2),
produite peu avant l’incendie de 1867 qui détruit la nouvelle résidence, illustre la
demeure de James Gibb et sommairement l’aménagement paysager du domaine. Il est
possible de voir sur le domaine quelques sentiers traversant le terrain ainsi que de grandes
15
Taylor, Ibid., p. 5. 16
France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec,
Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 324. 17
Ibid. 18
James McPherson LeMoine, Monographie et Esquisses. Québec, J.G. Gingras, 1885, p. 190.
66
étendues de gazon, que les Anglais appellent « lawn » et qui sont parfois ponctuées
d’arbres. Dans ce cas-ci, les arbres semblent être regroupés en épaisse forêt ou séparés
individuellement (Figure 3.3). Si l’auteur de la carte a respecté la distribution des
végétaux sur le domaine, nous pouvons associer l’organisation individuelle des arbres à
l’une des caractéristiques du gardenesque, c’est-à-dire l’espacement des végétaux, pour
mieux apprécier leur caractéristique individuelle. Par ailleurs, la carte nous permet de
constater la présence de jardins de forme géométrique (Figure 3.4). Nous reconnaissons
de ce fait le mélange entre le jardin anglais (sentiers sinueux, petites forêts) et le jardin de
type français (géométrique) correspondant à l’esprit gardenesque dans l’aménagement
paysager.
En prenant en compte l’importance accrue donnée à la serre annexée à leurs demeures
(Figure 3.5), nous pouvons assumer que William Sheppard et James Gibb sont des
amateurs d’horticulture et qu’ils possèdent quelques connaissances dans la culture de
végétaux. LeMoine confirme cela dans une description qu’il fait du domaine et de
l’environnement d’habitation au temps de Sheppard, puis de Gibb :
« […] a new house was built on a more desirable and commanding site, in the
midst of splendid old oaks and pines, looking down upon an extensive lawn,
[…]. He also built a large conservatory in connection with the house. […]
James Gibb, at Woodfield, possesses one of the most charming places on the
American continent. […] Here is everything in the way of well-kept lawns,
graperies and greenhouses, outhouses for every possible contingency of
weather, gardens, redolent of the finest flowers, […], and every species of
fruit that can be grown19
. »
Sheppard et Gibb proposent des aménagements où, comme nous le voyons dans les
descriptions de LeMoine, les fleurs et les végétaux sont très présents. D’après la
description du journal Morning Chronicle, publié en 1869 (deux ans après la destruction
de la villa), la serre chaude abrite de nombreux végétaux exotiques, tels que des acacias
et des azalées20
. L’intérêt pour les végétaux exotiques, la présence de jardins
géométriques et de végétaux individualisés ainsi que l’intérêt pour l’horticulture nous
19
Id., Picturesque Quebec. Montréal, Dawson, 1882, p. 352-353. 20
LeMoine, Ibid., 1882, p. 353-354.
67
portent à penser que Sheppard et Gibb ont conçu l’aménagement paysager du domaine
dans l’esprit du gardenesque.
3.2.2 Spencer Wood et Spencer Grange
En 1834, Henry Atkinson achète à bas prix le domaine de Spencer Wood de Michael-
Henry Percival21
. Pendant l’année qui suit, Atkinson voyage partout en Europe, à la
recherche d’antiquités, d’œuvres d’art ainsi que de plantes et de semences rares22
. Dès
son retour à Québec, il conçoit de magnifiques jardins autour de sa résidence et expose
ainsi sa passion pour l’horticulture scientifique23
. Il organise son domaine en une
propriété agricole rentable entourée de plusieurs champs, animaux, dépendances et arbres
fruitiers ; « il élève vaches, moutons, volailles et chevaux, puis couvre ses champs de blé
et de pommes de terre24
. » (Figure 3.6)
Grâce à la collaboration de Peter Lowe, jardinier écossais engagé par Atkinson en 1846,
les jardins de Spencer Wood (Figure 3.7) prennent forme et se distinguent par leurs
nombreux végétaux exotiques25
. LeMoine décrit ainsi l’aménagement paysager : « Un
jardin féérique de fleurs était situé en arrière du château nord […]. Il y avait aussi un
grand jardin fruitier et potager bien entretenu ; il était émaillé de plates-bandes de fleurs ;
le centre était orné de la plus charmante fontaine circulaire en marbre blanc […]26
. » Un
jardin floral géométrique, composé de plusieurs plates-bandes florales et agrémenté d’une
fontaine au centre, est ainsi aménagé près de la résidence27
(Figure 3.8). Après sa
reconstruction en 1863, à la suite d’un incendie, la résidence principale possède aussi une
grande serre chaude, annexée à la maison (Figure 3.9), pour y faire pousser des plantes
tropicales de même que plusieurs serres chauffées et des serres à forcer qui sont destinées
à la culture d’abricots, de pêches, de bananes, d’oranges, d’ananas et de raisins et même
21
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 208. 22
Frédéric Smith, Cataraqui : histoire d’une villa à Sillery. Sainte-Foy, Québec, Publications du Québec.
2001, p. 21. 23
Benoît Bégin, « Bois-de-Coulonge », Magazine Continuité, Hors-série, nᵒ 1, automne 1990, p. 18. 24
Renée Gagnon-Guimond, « Henry Atkinson : gentilhomme et baron du bois », Cap-aux-Diamants : la
revue d’histoire du Québec, Vol. 4, Nᵒ 3, 1988, p. 20. 25
Ibid. 26
LeMoine, op. cit., 1885, p. 183. 27
Bégin, op. cit., p. 18.
68
des fleurs tropicales, telles que des orchidées28
. D’après les notes de Peter Lowe, qui
s’occupe des nombreuses serres de Spencer Wood, Henry Atkinson possède trois types
de serres : une serre à orchidées, une serre chaude et une serre à ananas, la « pinery ». Il
donne aussi une description détaillée des végétaux qu’il produit dans ces serres ; il
exprime de ce fait son intérêt pour une horticulture scientifique et sa grande connaissance
de la rentabilisation et de l’utilisation de tous les types de serres :
« In the pinery were grown specimens of the Providence, Enville, Montserrat
and Queenpines – a plant of the latter variety, in fruit, being exhibited at the
Horticultural Exhibition, Montreal, in September, 1852, the fruit of which
weighed between five and six pounds, being the first pine-apple exhibited of
Canadian growth, but not the first grown at Spencer Wood; […].The
following are the names of a few of the plants grown in the stove-house:-
[…]; Amaryllis, […] ; Begonia, Crinums, Centradinias; Calumnias,
Drymonias; Euphorbias, Franciscias; Goldfussïa;[…]; Hibiscus ; Ipomoea ;
[…]; Musa-Cavendishii, which we fruited – the only one fruited in the
province to this day, to my knowledge – the bunch of fruit weighed ninety
pounds; […]; Passiflora; […];etc. In the orchid house, the following are a
portion of the names of plants grown be me: - Bletia ; Bolbophyllum;
Cyppripedium; Cymbedium; Catasetum ; […]. The houses containing the
above were heated by hot-water pipes for atmospheric heat and open tanks
forbottom heat; they were most complete of the kind I have seen either in
Canada or Great Britain – so much so, that, during my stay with Mr.
Atkinson, we used to produce for Christmas and New Year’s Day pine-
apples, cucumbers, rhubarb, asparagus and mushrooms, all in the same
house29
. »
L’aménagement des arbres et des arbustes sur le domaine est caractérisé par la mise en
place de massifs organisés en unités qui se détachent sur un boisé laissé au naturel30
(Figure 3.10). Cette organisation dénote d’un intérêt pour l’expression des
caractéristiques individuelles des végétaux et donc de l’intégration du style gardenesque
dans les aménagements paysagers.
28
Bégin, Ibid. 29
Ce que Peter Lowe nomme « Musa-Cavendishii » est une variété de banane. LeMoine, op. cit., 1882, p.
335. 30
Ibid.
69
En 1849, Atkinson vend une grande partie de la propriété au gouvernement fédéral qui
veut y loger le troisième comte d’Elgin, James Bruce31
. Atkinson s’installe alors dans sa
seconde résidence, qui est située sur le domaine de Spencer Wood et qu’il nomme
Spencer Grange. C’est en 1844 qu’Atkinson fait construire Spencer Grange ; il y fait
notamment ériger une serre de cent pieds (Figure 3.11) où il cultive plusieurs végétaux
exotiques, dont l’orange, la pêche, l’amande et la figue32
. Par ailleurs, nous notons la
présence de jardins géométriques dans l’aménagement et nous y observons la même
organisation individuelle des arbres et des bosquets (Figure 3.12) qu’à Spencer Wood.
Atkinson emploie le style gardenesque en combinant des jardins de type français par la
symétrie des formes, et des jardins de type anglais avec une végétation laissée au naturel.
LeMoine décrit cet arrangement du domaine ainsi :
« Un coquet castel au milieu d’un bois, des massifs de chênes, d’érables, etc.,
groupés symétriquement au sein d’une verte prairie ; une longue avenue,
frangée d’un côté d’arbres forestiers ; de l’autre, d’une haie vive, mène à la
demeure. En face un orme séculaire, des sentiers dérobés dans la forêt
primitive à l’ouest […] deux jardins, l’un pour les fruits l’autre pour les
fleurs, disposés en terrasses et ceints de haies de lilas et d’arbustes […]33
. »
Cette description montre bien comment cet intérêt pour l’horticulture s’éloigne du
pittoresque au sens strict par la présence du jardin géométrique, la séparation des jardins
par type et l’apport spécifique qu’amène chaque végétal.
Nous pouvons dire que la conception des jardins de Spencer Wood et de Spencer Grange
s’inspire du style gardenesque par l’implantation de jardins géométriques, l’utilisation de
végétaux exotiques et de serres ainsi que par la composition visant l’unité d’une partie de
l’aménagement paysager. Le style gardenesque témoigne par ailleurs d’une plus grande
conscience de l’idée d’environnement, s’éloignant du même fait de l’aspect pictural que
propose le pittoresque. Ainsi, à partir des années 1845, les domaines de Woodfield et de
Spencer Wood/Spencer Grange sont transformés par les propriétaires d’une manière qui
s’accorde avec le style gardenesque, que cela soit fait consciemment ou non. En reliant
31
Smith, op. cit., 2001, p. 24. 32
Ibid., p. 21. 33
LeMoine, op. cit., 1885, p. 187-188.
70
certaines caractéristiques spécifiques (géométrie, variation dans l’espacement des
végétaux) du paysage à une sensibilité par rapport au bien-être des végétaux et à une
nouvelle compréhension de l’environnement, qui a été développée par la popularisation et
l’utilisation des sciences naturelles dans les aménagements, le gardenesque s’éloigne des
concepts esthétiques rattachés au style pittoresque.
3.3 Le jardin canadien au XIXe siècle
L’époque victorienne se caractérise par l’intérêt pour les végétaux, renforcé par une
multitude d’éléments et notamment par la mise en place de grands jardins botaniques34
,
comme celui du Queen’s College à Kingston en Ontario (1861), la fondation de sociétés
d’horticulture et les expéditions dans le monde entier pour la recherche de semences et de
plantes exotiques35
. Cet enthousiasme pour les plantes engendre ainsi une redéfinition du
jardin, qui s’éloigne du besoin de créer un aménagement ressemblant à une peinture et où
chaque élément est regroupé pour créer une simple vision esthétique d’ensemble, et qui
favorise désormais l’épanouissement des qualités esthétiques de chaque végétal (couleur,
forme et texture). Cette nouvelle tendance confirme l’approche éclectique du jardin où
chaque secteur du jardin est autonome et présente des végétaux différents, suivant le goût
des propriétaires, par exemple un potager, un verger, un jardin aromatique, un jardin de
fleur, un jardin exotique, etc.36
Il est évident que les progrès techniques ont grandement
aidé à renforcer cette approche du jardin37
. Ils ont aussi favorisé la création de nouveaux
outils, de nouvelles méthodes de travail et de culture ainsi que la construction de serres
34
«Un jardin botanique diffère d’un parc public ou d’un parc d’exposition en ce qu’il inclut une collection
documentée de plantes herbacées ou ligneuses servant à la recherche scientifique ou à l’enseignement. La
disposition des plantes dans un jardin botanique se fait souvent selon une séquence d’évolution botanique,
ou par origine géographique, par l’utilisation particulière ou par fonction. […] Le premier Jardin botanique
au Canada a été créé en 1861 par George Lawson au Queen’ s College à Kingston, en Ontario, mais il a
existé seulement jusque dans les années 1870. » Ce n’est qu’en 1931 que Québec connaît son premier
jardin botanique avec le Jardin botanique de Montréal créé par le frère Marie-Victorin. Roy L. Taylor, 3
avril 2015, «Jardin botanique», Historica Canada, [En ligne],
http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/jardin-botanique-1/, (consulté le 11 septembre 2016)) 35
Stefan Koppelkamm, Glasshouses and Wintergardens of Nineteenth Century, États-Unis, Rizzoli
International Publication, Inc. 1981, p. 15. 36
Downing, op. cit., p. 25, 70, 72-75, 443. 37
Koppelkamm, op. cit., p. 14-15.
71
plus efficaces, équipées de systèmes de chauffage et d’aération pour chaque type de
végétaux38
.
Le XIXe
siècle voit se développer une importante évolution des styles de jardins, qui se
réinventent en fonction de la mode et du goût des propriétaires. Comme l’explique Ron
Williams, chaque décennie possède son style de jardin et voit passer divers styles
anciens : « The Italian Renaissance, walled gardens of the Tudor Era, Dutch topiaries, the
parterres of the French Renaissance, and the herbaceous borders of English tradition
[…]39
. » Divers aménagements et organisations de jardins sont conçus à l’époque,
notamment la rocaille et le paysage sauvage. À une autre période, l’accent est mis sur une
plante ou sur un arbre en particulier ; parfois il s’agit de conifères, de fleurs tropicales, de
fougères ou de plantes en provenance d’Asie, comme le rhododendron40
(Rhododendron
arboreum41
). Williams explique que la période victorienne connaît une diversité
d’esthétiques et que, pour pouvoir créer et recréer ces différents prototypes de jardin, les
jardiniers ont accès à un savoir horticole, à des outils et des méthodes et à des végétaux
adaptés au climat du Canada42
. Williams démontre qu’au XIXe siècle, les jardiniers
peuvent avoir accès à ces éléments de trois différentes manières : « first, by the
identification of appropriate native plants and their introduction to the garden; second, by
the importation and integration of foreign plants; and finally, by the development of new
cultivated varieties, or cultivars, capable of living under Canadian conditions43
. » Fortier
nous explique, dans son ouvrage, que pendant le Régime français les autorités, les
communautés religieuses et quelques propriétaires de terrains à Québec (jardins privés)
organisent leurs jardins pour faire des expérimentations sur des semences et des plantes
du Canada et de la France, puis les intègrent dans des prototypes de jardins canadiens44
.
Au XIXe siècle, les pionniers en botanique et en horticulture scientifique poursuivent ces
38
Taylor, Ibid., p. 7. 39
Ron Williams, Landscape Architecture in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2014, p.
171. 40
Ibid. 41
John Claudius Loudon, Encyclopaedia of Plants, Londres, Longmans, Green and Co., 1880, p. 358. 42
Williams, op. cit. 43
Ibid., p. 171-172. 44
Marie-Josée Fortier, Les jardins d’agrément en Nouvelle-France. Étude historique et cartographique,
Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 248-259 et 366-369.
72
travaux sur les plantes locales et font de grandes contributions dans le domaine des
sciences naturelles au Bas-Canada. C’est le cas de l’abbé Léon Provencher, qui voit à la
création d’une nomenclature et à l’enseignement de l’horticulture et des sciences
naturelles chez la population canadienne (surtout française) par la publication d’ouvrages,
tels que le Traité élémentaire de botanique (1858) et la Flore canadienne (1862)45
.
Ce type d’ouvrages est également populaire chez la population anglophone de Québec.
En effet, dès 1811, Québec est témoin d’un enthousiasme pour l’horticulture et la
botanique chez quelques résidents des grands domaines de Sillery. C’est le cas
notamment de Michael-Henry Perceval, propriétaire de Powell Place en 1811, qu’il
renomme Spencer Wood par la suite, et de son épouse Anne Mary Flower Perceval.
Passionnée de botanique, Mme Perceval parcourt à l’époque son nouveau domaine, à la
recherche des végétaux qui lui rappellent son enfance en Angleterre ainsi que des fleurs
qui caractérisent son nouveau pays d’accueil. Elle n’est pas la seule à s’adonner à ces
recherches ; Henriette Campbell, épouse de William Sheppard, parcourt le grand domaine
de Woodfield, que son époux acquiert en 1816, à la recherche d’espèces qu’elle découvre
dans ses livres de référence en botanique46
. Mme Perceval et Mme Sheppard font des
séances d’herborisation en étudiant le territoire des grands domaines de Sillery et en
recensant les plantes indigènes, dont plusieurs espèces de fougères47
. Ces végétaux sont
très appréciés des botanistes de terrain qui habitent Québec ; c’est le cas notamment de la
comtesse Dalhousie, qui arrive en 1816 à Québec et qui habite avec son époux, le
gouverneur en chef de l’Amérique du Nord britannique, au château Saint-Louis dès
182048
. Ayant développé, tout comme les autres bourgeois de l’époque, un goût pour la
botanique, la comtesse entreprend ses investigations botaniques et identifie de
nombreuses plantes indigènes au Québec ainsi que d’autres, introduites par les colons
français et anglais49
. En 1827, la comtesse expose même ses trouvailles lors d’une séance
45
Jean-Marie Perron « Provancher, Léon », Dictionnaire biographique du Canada, Vol. 12, Université
Laval/University of Toronto, 2003–, http://www.biographi.ca/fr/bio/provancher_leon_12F.html, (consulté
le 2 septembre 2016) 46
Suzanne Hardy, « Les ladies de Sillery », Quatre-Temps, vol.32, nᵒ2, 2008, p. 22. 47
Ibid. 48
Ibid., p. 23. 49
Ibid.
73
de la Literary and Historical Society of Quebec50
, qui publie son catalogue de plantes
dans un rapport en 182951
.
Dans son catalogue, la comtesse privilégie quelques lieux de Québec pour recueillir ses
espèces de végétaux ; c’est le cas de plusieurs domaines de Sillery, dont Thornhill52
, qui
possède d’épais bouquets de sapins et d’aubépines sur tout le domaine53
. Comme
l’explique Hardy, les botanistes apprécient les boisés de conifères de Sillery et y font de
nombreuses découvertes54
en empruntant les sentiers sinueux qui parcourent les domaines
et en recueillant de précieux spécimens, qu’ils conservent ou qu’ils envoient en
Angleterre et en Écosse. Hardy mentionne que Mme Perceval et Mme Sheppard sont
même en rapport avec le professeur de botanique de l’Université de Glasgow en Écosse,
William Jackson Hooker55
, qui s’intéresse à la flore du Québec56
. Un grand nombre de
végétaux, indigènes ou introduits, et de spécimens de fleurs, minutieusement collectés par
ces femmes, lui ont été expédiés.
Les jardins canadiens prennent forme en s’appuyant d’abord sur ce type d’ouvrages, puis
s’implantent grâce à l’intérêt toujours grandissant pour l’horticulture de la bourgeoisie
émergente de Québec. Résidant dans les domaines en périphérie de la ville de Québec,
50
La Literary and Historical Society of Quebec fut fondée le 6 janvier 1824. « Le comte de Dalhousie,
gouverneur général du Canada de 1820 à 1828, est un des principaux instigateurs de cette société bilingue
qui reçoit sa charte royale en 1831 »; le mandat de la société est de conserver, de mettre en valeur et de
diffuser les documents historiques de la colonie. C’est à l’aide de nombreuses publications qu’elle expose à
la communauté que la société partage ses découvertes. Plusieurs hommes influents ont été président de la
société, dont William Sheppard, qui a aussi participé à la fondation de la société, en 1833-1834, 1841, 1843
et 1847 ainsi que James MacPherson LeMoine en 1871, 1879-1882, 1902-1903. Carman V Carroll, Mise à
jour 3 avril 2015, « Literary and Historical Society of Quebec », Historica Canada, [En ligne], <
http://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/literary-and-historical-society-of-quebec/>, (consulté le
15 septembre 2016). 51
Literary and Historical Society Of Quebec, Transactions of the Literary and Historical Society of
Quebec, Québec, imprimé par Middleton & Dawson à la Gazette General, 1829, p. 255-262. 52
Hardy, op. cit., p. 23-24. 53
LeMoine, op. cit., 1885, p. 180. 54
Hardy, op. cit., p. 23-24. 55
Sir William Jackson Hooker (1785-1865) est un botaniste anglais reconnu pour avoir été le premier
directeur du Royal Botanic Garden de Kew, près de Londres. Pendant sa carrière de professeur de
botanique à l’Université de Glasgow, il a notamment étudié plusieurs végétaux tels que la fougère, le
lichen, les algues et les champignons, ce qui a grandement enrichi les connaissances dans le domaine.
Encyclopaedia Britannica, mise à jour 2016, « Sir William Jackson Hooker », Encyclopaedia Britannica
Inc., [En ligne], < https://www.britannica.com/biography/William-Jackson-Hooker>, (16 septembre 2016). 56
Hardy, op. cit.
74
ces bourgeois voyagent en Europe et rapportent des semences, des plantes et des
ouvrages de référence pour faire leur propre aménagement paysager57
. Cette population
prône une esthétique et un certain style qui revient souvent dans leurs jardins. Au début
du XIXe siècle, leur intérêt reste ancré dans le pittoresque et la recherche des
caractéristiques esthétiques rappelant l’Angleterre. Cependant, la curiosité scientifique
passe au premier plan vers 1840 et transforme les jardins en quelque chose de différent,
où le pittoresque existe toujours, mais où il est comme encadré par de nouvelles
préoccupations. L’accent est mis sur chaque élément végétal ; non seulement sur la
couleur de la plante, mais aussi sur sa forme et sa composition. Cette attention aux
propriétés spécifiques de chaque végétal valorise l’implantation de végétaux exotiques
dans l’aménagement.
L’intérêt pour la botanique et l’horticulture de même que la recherche de nouveaux
végétaux, le besoin d’acquérir des semences de fleurs exotiques et le désir d’exposer ses
accomplissements provoquent le regroupement de plusieurs hommes influents de la ville
de Québec. Ainsi, dès 1851, Québec possède sa propre société d’horticulture, tout comme
Montréal qui inaugure sa société dès 184658
. Fondée le 29 août 1851 par plusieurs
notables anglais de la ville de Québec59
, dont James Gibb et Edward Burstall, la Quebec
Horticultural Society se donne comme mandat « to improve the Art, Science and
Products of Horticulture, by means of Public Exhibitions, to be held periodically,
[…]60
. » En 1867, la Société organise un concours d’exposition de végétaux pour ses
membres et pour les amateurs d’horticulture. Les organisateurs divisent le concours en
deux classes, pour les membres de la Société et pour les amateurs, puis proposent la
présentation d’une soixantaine de catégories de végétaux. Les amateurs peuvent ainsi
57
Frédéric Smith, Parc du Bois-de-Coulonge, Québec, Fides, 2003, p. 21 et Hardy, op. cit., p. 22.
Soulignons aussi que LeMoine mentionne l’ouvrage de Downing et que le Gardener’s Magazine de Loudon
parle souvent du Canada. John Claudius Loudon, The Gardener’s magazine and register of rural &
domestic improvement, Londres, volume 1-10, 1826-1834 58
Gaétan Deschênes, Histoire de l’horticulture au Québec, Québec, Éditions du Trécarré, 1996, p. 50. 59
Plusieurs des membres de la société sont (ou seront) propriétaire de grands domaines à Sillery, dont
Edward Burstall (Kirk Ella), James MacPherson LeMoine (Spencer Grange), Charles Ernest Levey
(Cataraqui), James Gibb (Woodfield), John Gilmour (Marchmont). Quebec Horticultural Society, List of
officers, and schedule of prizes offered for the year 1867, also rules and regulations, Québec, imprimé par
A. Coté & Co., 1867. 60
Quebec Horticultural Society, Proceedings connected with the formation of the Quebec Horticultural
Society and its constitution, Québec, imprimé par T. Cary au 2 rue Buade, 1851, p. 1.
75
exposer leurs plus belles variétés de plantes en pot ou leurs plus belles fleurs coupées.
Plusieurs types de végétaux peuvent être admirés : des végétaux qui ont poussé en serre,
des plants de pétunias, de fuchsias, de roses, de dahlias, de phlox et de zinnias ainsi que
des raisins, des nectarines, des prunes, des melons, des tomates, du maïs, des
concombres, etc.61
Ces expositions sont très populaires auprès de la population
bourgeoise de Québec et attirent même, en 1888, le lieutenant-gouverneur du Québec62
,
Auguste-Réal Angers. En 1888, James Macpherson LeMoine est président de la Société
d’horticulture de Québec et à ses côtés nous retrouvons notamment Richard Reed Dobell,
propriétaire de la villa de Beauvoir à Sillery. Lors de l’événement de 1888, les gagnants
(1er
prix et 2e prix) de l’exposition des plus beaux végétaux reçoivent un montant variant
entre 1,50 $ et 6 $, selon la catégorie de végétaux, le plus gros montant étant décerné à
celui qui présente la plus belle collection de dix variétés de pommes (cinq pommes par
variétés, avec leurs noms)63
. La création de nouvelles variétés de pommes, qui fait partie
des expérimentations de l’époque, démontre que les amateurs d’horticulture ont assimilé
des techniques assez complexes, telles que la pollinisation croisée et la greffe.
Les différents types de jardins (potager, jardin de fleurs, verger, jardin exotique, etc.)
proposés par Downing dans son traité, sont intégrés au jardin canadien. Il est difficile de
déterminer exactement les végétaux qui poussaient dans les jardins de la ville de Québec
à cette époque, mais d’après un rapport de l’Association canadienne des cultivateurs de
fruits, de fleurs et de légumes, daté de 1872, il était possible de trouver dans les potagers
du Canada des asperges, des haricots, des betteraves, du brocoli, des carottes, des
concombres, du maïs, de la salade, des pommes de terre, des pois, etc64
. En ce qui
concerne les vergers, il était possible d’y retrouver plusieurs variétés d’arbres fruitiers,
tels que les pommiers, les pruniers, les pêchers et les poiriers ainsi que des petits arbustes
61
Id., List of officers, and schedule of prizes offered for the year 1867, also rules and regulations, Québec,
imprimé par A. Coté & Co., 1867. 62
Id., List of Officers, Schedules of Premiums, and Rules and Regulations of the Exhibition to be held at
Quebec, On Wednesday and Thrusday, the 5th and 6th September, 1888, under the patronage of His Honor
the Lieutenant-Governor, Québec, imprimé à la Morning Chronicle’s Office, 1888. 63
Ibid. 64
D. W. Beadle, Canadian Fruit, Flower and Kitchen Gardener. Toronto, James Campbell & Son, 1872,
pp. 194-265.
76
de fruits sauvages comme des framboisiers et des mûriers65
. Le jardin canadien est
évidemment constitué de jardins de fleurs contenant différentes variétés de végétaux
indigènes et exotiques aux fleurs éclatantes. Nous pouvons admirer dans des jardins des
géraniums, des roses, des dahlias, du pourpier, de la lavande, etc66
. À Québec, les
végétaux indigènes se mélangent avec des végétaux introduits par les propriétaires et les
jardiniers connaisseurs. La serre devient alors un outil indispensable pour la production
de fruits exotiques67
, comme l’ananas, l’abricot, la banane, le raisin et la figue, qui font
fureur à l’époque dans certains des riches domaines de Québec.
3.4 La serre à Québec La serre n’est pas un objet associé directement au style gardenesque, puisqu’elle est
présente aussi dans l’esthétique du pittoresque. Par contre, dans le discours d’Andrew
Jackson Downing, de John Claudius Loudon et même de James Macpherson LeMoine, la
serre est perçue comme un objet scientifique utilisé par les amateurs d’horticulture et de
botanique pour cultiver des végétaux rares et exotiques. Cet attrait pour les sciences
naturelles, démontré par la présence de la serre, participe dans le même esprit que le style
gardenesque, en lui accordant une importance nouvelle.
Les nombreuses expérimentations sur les végétaux ont souvent été réalisées dans des
serres. Objet le plus représentatif de la popularisation des sciences naturelles à Québec et
de l’influence anglaise de Loudon et de Downing, la grande popularité des serres dans la
deuxième moitié du XIXe siècle à Québec résulte de la révolution industrielle et
conséquemment de l’évolution des méthodes de construction qui permet l’introduction du
« confort moderne » dans les résidences68
. L’exploitation de l’acier et du verre en
Angleterre soulève l’enthousiasme des constructeurs pour ces matériaux et pour de
nouvelles structures, synonyme de la modernité à l’époque. Le phénomène s’inscrit
tranquillement à Québec et c’est en « profitant de la nouvelle technologie de verre et
65
Ibid, pp. 61-119. 66
LeMoine, op. cit., 1882, p. 295. 67
Ibid., p. 341 68
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 129.
77
d’acier [que] quelques propriétaires rivalisent d’opulence dans la construction de vastes
serres et de jardins d’hiver69
. »
L’aspect luxueux de la serre est évoqué par James MacPherson LeMoine, qui souvent
nous présente la magnificence de la serre dans l’environnement enneigé des paysages
hivernaux de la ville de Québec. L’aspect morne des végétaux de la saison froide du nord
de l’Europe et du Canada peut être agrémenté par la présence d’une serre et donner au
propriétaire « […] a delightful contrast between a barren outdoor landscape and an indoor
illusion of springtime […]70
. » Ce contraste entre l’hiver frigorifiant et la végétation
luxuriante est donc très apprécié par la population bourgeoise de l’époque, qui remplit ses
serres de fleurs et de fruits exotiques. LeMoine présente la serre, située sur le domaine de
Kirk Ella dès 1860, qui regroupe notamment plus d’une cinquantaine de camélias
(originaires d’Asie) fleurissant en plein hiver :
« The next objet which catches the eye is the conservatory in which is
displayed the most extensive collection of exotics in Sillery. In the centre of
some fifty large camellia shrubs there is a magnificent specimen of the
fimbriata variety – white leaves with a fringed border; it stands twelve feet
high with corresponding breadth. When it is loaded with blossoms in the
winter the spectacle is exquisitely beautiful71
. »
LeMoine fait une observation relativement semblable en parlant de la serre annexée à la
résidence du domaine Cataraqui :
« What, indeed, can be more gratifying, during the artic, though healty,
temperature of our winter, than to step from a cosy drawing-room, with its
cheerful grate-fire, into a green, floral bower, and inhale the aroma of the
orange and the rose, whilst the eye is charmed by the blossoming camellia of
virgin whiteness; the wisteria, spirea, azalea, rhododendron, and odorous
daphne, all bleeding their perfume or exquisite tints72
. »
Dans ses descriptions, LeMoine manifeste son attachement pour les fleurs colorées et
parfumées que présentent souvent les végétaux exotiques.
69
Ibid. 70
Andreas Stynen, « Une mode charmante: nineteenth-century indoor gardening between nature and
artifice », Studies in the history of gardens & designed landscapes, Vol. 29, N° 3, 2009, p. 221. 71
LeMoine, op. cit., 1882, p. 379. 72
Ibid., p. 381.
78
Dans le même esprit que LeMoine, Downing porte une attention particulière à la beauté
des fleurs exotiques et à leur contraste avec l’hiver lorsqu’elles sont placées dans une
serre annexée à la résidence. Il explique qu’il est préférable d’attacher la serre à la
demeure, car : « Nothing can be more gratifying than a vista in winter through a glass
door down the walk of a conservatory, bordered and overhung with the fine forms of
tropical vegetation, - golden oranges glowing through the dark green foliage, and gay
carrollas lighting up the branches of Camellias, and other floral favourites73
. »
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la serre est également perçue comme une sorte de
théâtre permettant de constituer des environnements ludiques et de générer des scènes
exotiques74
. L’utilisation de techniques de régularisation de la température et de
l’humidité permet ainsi de générer de véritables jungles artificielles où se côtoyaient
végétaux et parfois des animaux. Certains auteurs de l’époque tel que Henry Noel
Humphreys, proposent des articles complets sur la culture en serre en présentant les
diverses possibilités d’arrangements décoratifs de végétaux dans le but précis de « relieve
the spectator from the impression that he is walking under glass75
» et de créer de
véritables spectacles exotiques. Humphreys mentionne notamment que les barres d’acier
soutenant la structure peuvent être arrangées de manière irrégulière pour leur donner
l’aspect de branches d’arbres76
et pour créer une atmosphère digne d’une forêt exotique.
Les nombreux végétaux, placés précisément dans la serre pour cacher les matériaux qui la
composent, ainsi que les insectes et les poissons souvent ajoutés à ce microécosystème
sont ainsi exposés, telle une collection d’œuvres exotiques. La serre accorde à l’homme
un certain pouvoir de contrôle sur son milieu de vie par la création d’un environnement
artificiel à l’intérieur de la serre.
73
Downing, op. cit., p. 379. 74
Howard Leathlean, « Gardenesque to Home Landscape: The Garden Journalism of Henry Noel
Humphreys », Garden History, Vol. 23, Nᵒ 2, hiver 1995, p. 180-182. Andreas Stynen, « Une mode
charmante: nineteenth-century indoor gardening between nature and artifice », Studies in the history of
gardens & designed landscapes, Vol. 29, N° 3, 2009, p. 217-221. 75
Henry Noel Humphreys, « On the Picturesque in Hothouses », Gardener’s Magazine of botany,
horticulture, floriculture, and natural science, Vol. 3, janvier- décembre 1851, p. 2. 76
Leathlean, op. cit., p. 181.
79
Pour réussir à faire croître des fleurs exotiques à Québec, et ce même en plein hiver, les
propriétaires et jardiniers de serres doivent connaître certaines notions techniques quant à
l’humidité, la température et l’aération des serres, qui sont accessibles à l’époque dans
notamment les traités de Downing et de Loudon.
La lumière est pour Downing l’un des aspects les plus importants à considérer dans
l’élévation d’une serre. Il explique qu’il est essentiel (et évident) pour le bien-être des
végétaux que le toit soit totalement en verre pour faire entrer directement la lumière ; si
possible la structure doit, de plus, être située au sud, au sud-est ou au sud-ouest du
domaine77
. Tout en donnant des astuces pour l’inclinaison du toit, Downing mentionne
que de petites plaques de verre sont à privilégier pour le toit ; d’une plus grande solidité,
les petites plaques de verre sont utiles pour soutenir la lourde neige du nord de
l’Amérique78
.
La chaleur est très importante dans une serre puisqu’elle permet de maintenir la
croissance des végétaux lors de temps plus froid et de veiller à leur survie pendant
l’hiver. Downing explique que lorsque la serre est reliée à la résidence, il est préférable
d’utiliser un chauffage indépendant pour diminuer le risque de variation de la
température79
. C’est le cas notamment de la serre de Morton Lodge, qui possède une
cheminée indépendante de la résidence (Figure 3.13). D’un autre côté, il ajoute que si la
serre est petite, celle-ci peut profiter du chauffage de la pièce adjacente. Quant au
système de chauffage, Downing écrit en 1841 que le système le plus économique reste le
chauffage à air chaud, qui est possible grâce à une chaudière située près de la serre. Par
contre, il souligne qu’un nouveau système de chauffage à eau chaude est disponible80
et
qu’il est beaucoup plus efficace :
« Latterly, its [chauffage à air chaud] place has been supplied by hot water
circulated in large tubes of three or four inches in diameter from an open
77
Downing, op. cit., p. 380. 78
Ibid. 79
Ibid., p. 381. 80
Le chauffage à eau chaude, bien que disponible vers 1841, ne sera popularisé que vers 1850 aux États-
Unis et certainement un peu plus tard au Canada.
80
boiler […] which employs small pipes of an inch in diameter hermetrically
sealed. Economy of fluel and in the time requisite in attendance, are the chief
merits of the hot water systems, which however have the great advantage of
affording a more moist and genial temperature81
. »
L’aération et l’humidité dans une serre sont difficiles à contrôler l’été et particulièrement
l’hiver. Downing ne porte pas d’attention particulière à ces questions dans son traité bien
qu’il mentionne que l’un des avantages d’un système de chauffage à eau chaude est que
l’air réchauffé est également humidifié. Loudon quant à lui répertorie les diverses options
pour bien ventiler une serre, options qui ont été découvertes à partir de nombreuses
expérimentations scientifiques de chercheurs européens. Pour les serres qui ne sont pas
reliées à une résidence, il propose, par exemple, l’installation d’antichambres aux deux
extrémités de celle-ci qui, lorsqu’une personne entre, se remplit d’air, puis se mêle avec
l’air de la serre lorsque la personne passe de l’antichambre à la serre82
. L’air frais de
l’extérieur est réchauffé par sa séance dans l’antichambre, puis il est dispersé dans la
serre, sans que les végétaux subissent l’effet néfaste du froid extérieur. Pour la période
estivale, il est certain que l’ouverture des fenêtres est préconisée pour une bonne aération
de la serre83
. La serre de Morton Lodge (Figure 3.14) présente également de nombreuses
fenêtres à auvent situées sur presque toute la longueur du bâtiment, favorisant
certainement une bonne aération à l’intérieur. Quant au taux d’humidité dans la serre,
Loudon, comme Downing, estime que le chauffage à l’eau chaude est la méthode la plus
appropriée pour le contrôler84
.
Il existe différents types de serres qui permettent la culture de tous les végétaux
exotiques ; il suffit de varier le taux d’humidité et la température. Ainsi, il est possible à
l’aide de toiles couvrant les fenêtres de protéger les végétaux des rayons du soleil, qui
peuvent être trop chauds pour certaines espèces. Plusieurs jardiniers préfèrent cultiver
une seule variété de plantes dans leur serre ; c’est le cas d’Henry Atkinson, qui possède,
en 1849, une serre à orchidées et une serre à raisins sur son domaine de Spencer
81
Downing, op. cit., p. 381-382. 82
John Claudius Loudon, Remarks on the construction of Hot-Houses, Londres, Architectural Library,
1817, p. 65. 83
Ibid., p. 70. 84
Ibid., p. 53, 55-67.
81
Grange85
, ainsi que de Charles Elzear Levey, qui fait construire une serre horticole et une
serre viticole (Figure 3.15) près de sa résidence à Cataraqui en 186386
. Richard Reid
Dobell, en 1871, possède sur son domaine de Beauvoir une serre en berceau (Figure 3.16)
pour ses arbres à fruits tropicaux et une serre à un versant pour ses vignes (Figure 3.17)87
.
D’après Pierre Vachon, le propriétaire de la villa possède, en fait, deux types de serres :
« l’un [e], contigu [e] à la maison, était un quadrilatère de vingt-cinq pieds sur vingt-cinq
surmonté d’une voûte vitrée atteignant quinze pieds de hauteur, un petit couloir reliait
cette section à une deuxième [serre] longue de cent pieds sur vingt de largeur et dix-huit
de hauteur maximale, recouvertes d’une toiture à un seul versant88
. »
La première serre en berceau dont parle Vachon et qui est contigüe à la résidence, semble
être une serre chaude pour la culture de fleurs et de fruits exotiques. La seconde serre, à
un seul versant, située à la suite de la première, semble être une serre à forcer pour la
culture du raisin. Il est aussi possible de voir ce type de serre à un seul versant annexée à
la résidence des Price89
(Figure 3.18), à Wolfefield, où les propriétaires peuvent y faire
pousser leurs végétaux90
. Le propriétaire du domaine de Hamwood, Robert Hamilton,
possède lui aussi en 1865 une grande serre annexée à sa résidence. La serre à deux
versants peut être utilisée pour la culture de fruits ou de fleurs exotiques, très présents sur
le domaine, comme l’explique LeMoine : « See yonder mansion, its verdant leaves, with
the leafy honours of nascent spring encircling it like a garlant, exhaling the aroma of
countless bufs and blossoms, embellished by […], grapery, avenues of fruit and floral
trees91
. » Dans le même style, la villa Marchmont, propriété de John Gilmour dès 1848,
possède aussi une serre attachée à la résidence, comme nous pouvons le voir sur une carte
85
LeMoine, op. cit., 1882, p. 346. 86
Smith, op. cit., p. 40. 87
Paul-Émile Vachon, Beauvoir, le domaine, la villa. Fascicule II : 1850-1929, Document S.M. Canada,
8, Cap-Rouge, Pierre Allard, s.m., éditeur, 1977, s.p. 88
Ibid. 89
William Price réside à Wolfefield de 1827 à 1867, puis le domaine passe aux mains de John Evan Price
de 1867 à 1960. 90
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 321-323. 91
LeMoine, op. cit., 1882, p. 417.
82
(Figure 3.19) datée de 186792
. LeMoine explique que la serre annexée à la résidence est
utilisée pour la culture d’une riche collection de fleurs et que les autres « serres chaudes »
servent à « la culture de la vigne93
».
Comme pour les résidences, la serre peut avoir plusieurs styles, en fonction du goût du
propriétaire et de son désir de l’harmoniser avec la demeure. À Sillery, les serres
construites en annexe de la résidence s’accordent, de manière générale, avec le style de
celle-ci. C’est le cas de Holland House où une magnifique serre en berceau (Figure 3.20)
s’accorde avec le style néogothique de la résidence construite en 184894
. La villa fut
d’abord construite en 1767 dans un style classique (Figure 3.21), pour être démolie en
1843 par George O’Kill Stuart, puis reconstruite en 1848 avec l’ajout d’une serre
majestueuse. Située sur un domaine de dimensions imposantes (Figure 3.22), la villa
s’élève dans un vaste parc boisé agrémenté de jardins. Des plantes grimpantes animent le
bâtiment de verre utilisé pour la culture de végétaux exotiques (figure 3.23), et illustrent
bien les connaissances du propriétaire en matière d’aménagement paysager ainsi que
l’importance que prend la serre à partir de 1840.
Le style néogothique est également présent à la villa Highlands de John Theodore Ross,
située sur le côté nord du chemin Saint-Louis, qui en 1897 est améliorée et agrandie par
Harry Staveley95
. Celui-ci fait l’ajout notamment d’une serre de cinquante pieds à l’ouest
92
Courtney C. J. Bond, « Gilmour, John », Dictionnaire biographique du Canada, Vol. 10, Université
Laval/University of Toronto, 2003-, [En ligne], < http://www.biographi.ca/fr/bio/gilmour_john_10F.html>,
(consulté le 25 septembre 2016). 93
LeMoine, op. cit., 1882, p. 324 et Id., op. cit., 1885, p. 175. 94
Gagnon-Pratte, op. cit., p. 256-258. 95
Harry Staveley (1848-1925) est le second membre d’une dynastie familiale active en architecture à
Québec de 1845 à 1960. Il est le fils de l’architecte Edward Staveley et le petit fils de Christopher Staveley,
architecte, ingénieur et arpenteur, de Leicester en Angleterre. Edward Staveley s’installe à Québec en 1844,
puis s’associe de 1845 à 1846 à Frederick Hacker, influent architecte britannique formé dans l’atelier
londonien de John Nash. Il choisit ensuite de « s’imposer à Québec, auprès de la bourgeoisie anglophone
qui lui a commandé maisons, villas, magasins, écoles et églises […]. » Harry s’associe à son père en 1863
et amorce une riche carrière auprès de la firme familiale Edward Staveley and Son, puis devient
« l’architecte victorien par excellence de Québec. » Pendant sa carrière, Harry touche à plusieurs styles
architecturaux, passant par le néoclassicisme puis par le pittoresque américain. Il « emprunte aussi au
répertoire Second Empire, en se cantonnant toutefois […] dans une interprétation fantaisiste, inspirée par
les livres de modèle de la côte-est des États-Unis […]. » En 1900, Edward Black, fils de Harry Staveley,
embrasse aussi la carrière d’architecte et se joint à la firme Staveley and Staveley. Très au fait des
tendances de l’architecture britannique, Edward met son talent de création au profit de la firme dont la
renommée s’étend au-delà de la ville de Québec (Jonquière, Breakeyville, Roberval). Luc Noppen,
83
de la résidence de style néogothique. À partir du plan de la villa (Figure 3.24), nous
pouvons voir la serre proposée par Staveley, qui s’harmonise avec l’apparence de la
demeure.
Quelques années avant Highlands, les architectes Staveley travaillent à l’amélioration de
la résidence de Robert Hamilton, nommée Hamwood, située sur le chemin Sainte-Foy.
L’illustration de la résidence en 1865 (Figure 3.25), puis en 1921 (Figure 3.26) montre en
partie la serre qui est annexée à l’ouest de la demeure de style Regency. Reliée à la
résidence par un petit passage de verre, la serre présente un toit de verre en pente à
deux versants. D’une longueur remarquable, elle semble avoir été surélevée sur un
monticule de terre pour qu’elle soit au même niveau que la galerie de la résidence, ce qui
donne un aspect majestueux à l’ensemble.
La typologie des serres situées sur les domaines de Sillery est déterminée par la catégorie
de végétaux qui sont entreposés à l’intérieur. Nous parlerons ici de trois types de serres
qui semblent être les plus populaires dans la ville de Québec en nous appuyant sur un
traité de l’auteur français Louis Neumann nommé L’art de construire et de gouverner les
serres96
. Dans ce traité l’auteur décrit chaque type de serres en précisant certaines
spécifications que nous ne retrouvons pas dans les textes de Loudon ou de Downing,
notamment l’aération, le niveau d’humidité et de chaleur, la température et le type de
végétaux qui peut y être accueilli.
Le premier type de serres est la serre à forcer, qui est utilisée pour amener des arbres
fruitiers à donner leurs fruits en dehors de la période de mûrissement habituelle. Les
serres à forcer sont très populaires dans les régions nordiques, puisqu’elles permettent
d’avoir des fruits pendant la longue saison d’hiver. Il est possible d’accorder une serre à
chaque espèce d’arbres fruitiers ; il y a, par exemple, la serre aux pêchers (Peach-house),
la serre aux raisins (Vinery), la serre aux cerises (Cherry house), la serre aux figues (Figs
« Staveley, Harry », Dictionnaire biographique du Canada, Vol. 15, Université Laval/Université de
Toronto, 2003-, [En ligne] <http://www.biographi.ca/fr/bio/staveley_harry_15E.html>, (consulté le
19 septembre 2016). 96
Louis Neumann, L’art de construire et de gouverner les serres, Paris, Audot, Libraire-Éditeur, 1846, 176
p.
84
house), etc.97
Toutefois, selon Neumann, les arbres fruitiers peuvent facilement être
cultivés dans la même serre, si celle-ci est assez grande et si les variétés de fruits
demandent la même température de croissance. La serre à forcer est toujours située en
plein sud et elle est construite à un seul versant ; le mur du côté nord doit être très épais et
recouvert d’un crépi pour contrer les vents froids98
. Pour éviter une trop grande humidité,
le plancher de la serre doit être au niveau du sol et peut même être surélevé. Ce type de
serre doit être totalement hermétique, puisque le succès de la récolte de fruits hors saison
dépend de la stabilité de la température interne en hiver. Le système de chauffage (eau
chaude ou air chaud) est d’ailleurs essentiel au bon fonctionnement de la serre à forcer99
.
Le procédé de chauffage à eau chaude est recommandé ainsi que le système de
thermosiphon100
pour garantir un meilleur taux d’humidité et une bonne aération de la
serre à forcer. Il est possible de faire pousser dans les serres à forcer plusieurs types de
fruits, comme des raisins, des pêches, des abricots, des prunes, des figues, des cerises, des
fraises, des amandes, des oranges et des ananas ainsi que des légumes pendant toute
l’année101
. La température interne de la serre doit se situer entre huit et dix degrés lorsque
les fruits sont petits et entre douze à quinze degrés lorsque les fruits sont matures102
. Par
contre, certains fruits exotiques, notamment l’ananas et l’orange, nécessitent une
température plus élevée (entre vingt et vingt-cinq degrés) lors de la croissance et lors du
mûrissement des fruits103
.
Le deuxième type de serre est la serre tempérée, qui est l’une des plus communes, et qui
peut être construite à un ou deux versants ; généralement elle n’a qu’un versant. Elle fait
face au sud-est ou au sud-ouest et la température interne doit être environ de vingt-cinq
97
Neumann, Ibid., p. 86. 98
Ibid. 99
Ibid., p. 87. 100
Le thermosiphon est un système de chauffage inventé par l’anglais Thomas Fowler en 1828. En 1829, le
système est approuvé par le Gardener’s Magazine de Loudon, qui décrit le système d’aération de la serre
comme étant un procédé consistant à l’installation de petits tubes à air dont une extrémité est placée vers
l’extérieur de la serre et l’autre est soudée aux tubes de chauffage à eau chaude. L’air de l’extérieur entre
dans le petit tube et se réchauffe pendant son trajet à travers le tube d’eau chaude. Il en résulte une
circulation d’air chaud, continuellement renouvelé, dans la serre. John Claudius Loudon, « Fowler’s Patent
Thermosiphon », The Gardener’s Magazine and register of rural & domestic improvement, Août 1829, p.
453-454. 101
Neumann, op. cit., p. 92. 102
Ibid. 103
Ibid., p. 94.
85
degrés en été et de huit degrés en hiver104
. Nécessitant une bonne aération en été, la serre
tempérée possède plusieurs petits châssis ouvrants à bascules. Dans une serre tempérée,
les végétaux se cultivent dans des pots et préfèrent une terre riche, mais sablonneuse pour
permettre un bon drainage105
. Plusieurs types de végétaux peuvent croître dans ces serres,
notamment de nombreuses variétés de bégonias, d’acacias, de magnolias, de géraniums,
et différentes espèces de la famille des protéacées et des cactées.
Le troisième type de serre, la serre chaude, possède deux variantes. Dans les deux cas, la
serre doit être chauffée l’hiver pour conserver une certaine température, qui peut être
variable en fonction des végétaux. Généralement, la serre chaude n’a qu’un seul versant
face au sud-est ou au sud-ouest ; le vent froid du nord est bloqué par un mur de brique ou
de pierre soutenu par une masse de terre106
. La première variation de la serre chaude est
conçue pour les végétaux exotiques qui ne peuvent pas endurer une forte humidité. La
serre chaude sèche possède souvent des tablettes pour les végétaux en pots et fragiles au
froid, mais les autres végétaux peuvent être plantés directement dans la terre de la
serre107
. Il est possible de voir, dans une serre chaude sèche, plusieurs variétés de fleurs
qui poussent dans des pots, par exemple des amaryllis, des hibiscus ainsi que plusieurs
variétés de lobélies. Les végétaux qui sont les mieux adaptés pour croître dans la terre
sous une serre chaude sèche sont nombreux ; il est possible d’y faire pousser des
bégonias, des bougainvilliers, des plants de cafés et de cacao, de figuiers, de fruits de la
passion, de jasmin et d’hibiscus108
. La température de ces serres doit rester au-dessus de
huit degrés l’hiver, quinze degrés pour certains végétaux, et ne doit pas dépasser trente-
cinq degrés l’été. Pour gérer l’humidité, la serre chaude sèche possède un système de
chauffage à air chaud, qui assèche légèrement l’air, et elle est construite au niveau de la
terre, réduisant ainsi la propagation de l’humidité du sol dans la serre.
La deuxième variation de la serre chaude est conçue pour recevoir des végétaux
exotiques aimant l’humidité. Cette serre, généralement à un seul versant, doit recevoir
104
Neumann, Ibid., p. 51. 105
Ibid. 106
Ibid., p. 55-56, 61. 107
Ibid., p. 56. 108
Ibid., p. 59.
86
une grande quantité de lumière et de chaleur, ce qui explique la forte inclinaison de son
toit de verre (plus de 50 degrés)109
. À l’intérieur, les petits végétaux en pot sont posés sur
des tablettes et les plus gros végétaux sont plantés en pleine terre. Pour augmenter
l’humidité interne, la serre peut être construite de cinquante centimètres à un mètre sous
la surface du sol et les fenêtres doivent rester fermées pendant l’été. Il est aussi conseillé
de donner beaucoup d’ombre aux plantes en été et de répandre de l’eau dans les passages
aménagés à l’intérieur de la serre110
. La température de la serre chaude humide ne doit
pas descendre au-dessous de dix degrés l’hiver ni dépasser trente degrés l’été111
. La serre
chaude humide convient également à plusieurs végétaux exotiques dont le Cryptanthus
acaulis du Brésil, à plusieurs variétés d’Anthurium, à des fleurs de la famille des ananas,
comme le Tillandsia, à de nombreuses variétés de fougères, à de petits arbustes
originaires d’Afrique et d’Asie, dont les clérodendrons et à de nombreuses variétés
d’orchidées112
. Notons que la serre chaude humide peut facilement être convertie en serre
chaude sèche et vice-versa.
Dans le contexte du gardenesque, la serre se développe et se diversifie tout en prenant de
plus en plus d’importance dans les domaines pour finalement être intégrée complètement
à la résidence. Le gardenesque, dans son aspect plus scientifique, génère à l’aide de la
serre une nouvelle compréhension du vivant et une nouvelle sensibilité à la relation entre
l’homme et son environnement d’habitation113
.
CONCLUSION Comme nous avons pu le voir dans ce chapitre, le jardin canadien évolue et s’adapte au
territoire ainsi qu’au goût de leurs jardiniers concepteurs et de leurs propriétaires. Bien
que les jardins du XIXe siècle soient reconnus comme très éclectiques stylistiquement,
109
Ibid., p. 61. 110
Neumann, Ibid., p. 61-62 111
Ibid. 112
Ibid., p. 63-66. 113
Taylor, op.cit. p. 9.
87
nous avons déterminé que le style gardenesque représentait le mieux les aménagements
paysagers de la deuxième moitié du XIXe siècle des grands domaines périurbains de la
ville de Québec.
En prenant en compte certaines caractéristiques du style gardenesque exposées par
Andrew Jackson Downing, nous avons pu élaborer une analyse des aménagements
paysagers de certains domaines de Sillery. Downing nous explique que les aménagements
de style gardenesque possèdent plusieurs variétés de végétaux, qui sont distanciés pour
permettre d’apprécier leurs qualités individuelles ainsi que leur rareté et leur exotisme.
Mélangeant le style géométrique du jardin français et l’aspect irrégulier du style
pittoresque, le gardenesque s’adapte à l’intérêt grandissant chez les propriétaires pour des
aménagements plus complexes composés de plusieurs types de végétaux. Nous
constatons dans ces jardins une composition plus rationnelle ; le propriétaire peut y faire
des expériences et affiner ses connaissances sur la nomenclature des végétaux exotiques
et indigènes et leur classification. D’autre part, son caractère plus ludique permet des
explorations botaniques à travers les sentiers sinueux et les forêts laissées au naturel,
témoignant d’une meilleure conscience de la notion d’environnement.
En analysant les aménagements paysagers des domaines de Woodfield et de Spencer
Wood/Spencer Grange, nous avons démontré que le style gardenesque se développe dans
les jardins canadiens après 1840. Nous avons aussi vu que certains propriétaires de
domaines de Québec, notamment Mme Sheppard, qui peut facilement représenter la
classe bourgeoise anglaise de Québec ayant un intérêt pour l’horticulture, s’intéressent
davantage à la végétation indigène de Québec qu’aux plantes exotiques importées. Il est
possible que certains propriétaires anglais voient la végétation indigène canadienne
comme exotique par rapport à celle de l’Angleterre. Tout en conservant un intérêt marqué
pour les végétaux exotiques (orchidées, orangers, etc.), les propriétaires vont apprécier
les spécificités des plantes (rhododendrons canadiens, par exemple) et des arbres (chênes,
érables, etc.) d’origine en les conservant dans l’aménagement paysager. Ce mélange de
végétaux indique une adaptation des caractéristiques de l’esthétique gardenesque au
88
jardin canadien, à l’instar de l’esthétique pittoresque qui s’est accordée aux paysages
périurbains du Bas-Canada.
L’attrait pour l’horticulture et la botanique explique en quelque sorte l’important
engouement pour la serre à Québec. Dès 1841, la serre est intégrée à plusieurs domaines
de la bourgeoisie, qui est tentée par la ruralité et vers un retour à la nature ; elle symbolise
alors la maîtrise et le contrôle de l’environnement. Ainsi, de nombreux propriétaires de
grands domaines entourent leurs résidences de dépendances spécialisées, de vergers, de
potagers et de jardins fleuris afin de concevoir un aménagement au goût du jour et un
domaine parfaitement indépendant.
À partir de 1841, la conception picturale du paysage, typique du courant pittoresque,
évolue vers une pratique plus complexe et des aménagements plus éclectiques, de sorte
que l’esprit du gardenesque se retrouve de plus en plus fréquemment dans les grands
domaines de Québec. Au-delà de son utilisation pour l’aménagement paysager et la
culture de plantes exotiques, la serre devient un outil scientifique qui répond au défi du
contrôle de l’environnement dans le but de mieux comprendre et d’améliorer
l’environnement de vie de l’homme114
.
114
Taylor, Ibid., p. 67.
89
CONCLUSION
Tout au long de ce mémoire, nous avons tenté de poser un nouveau regard sur les théories
esthétiques du paysage dans le but d’interroger et de nuancer les idées établies concernant
l’environnement périurbain de la ville de Québec. Nous avons montré que les théories
esthétiques, telles que le beau et le sublime, sont liées à des perceptions émotives et
servent au XVIIIe siècle à définir l’ensemble des plaisirs ressentis et à décrire l’esthétique
des paysages et des représentations picturales. Par ailleurs, la complexification des
définitions esthétiques et le développement de nouveaux types de paysage en peinture et
en aménagement paysager placent l’esthétique pittoresque au centre de nombreux débats
au tournant du XIXe siècle. Bien qu’il s’agisse d’un même mouvement esthétique, les
approches de William Gilpin, Uvedale Price et Richard Payne-Knight diffèrent de façon
remarquable avec une transformation des perceptions esthétiques du paysage, notamment
par l’éloignement des tendances picturales vers une adaptation et une meilleure
intégration des nouvelles approches esthétiques aux aménagements paysagers. La
popularisation de l’esthétique pittoresque appliquée aux domaines des notables de
l’Angleterre résulte des efforts fournis par des concepteurs de jardins, comme Humphrey
Repton et John Claudius Loudon, qui intègrent le pittoresque à leurs théories
aménagistes. En voulant associer les concepts du jardin français à ceux du jardin anglais,
qui sont basés sur les principes du pittoresque, John Claudius Loudon fait évoluer
l’esthétique des jardins par une approche inédite qui favorise manifestement les nouvelles
tendances du XIXe siècle quant aux découvertes apportées par les sciences naturelles. Son
intérêt pour l’horticulture et la botanique l’amène donc à théoriser le style gardenesque,
qui ne s’implante pas seulement en Angleterre, mais qui est aussi devenu populaire dans
les colonies britanniques et aux États-Unis. Nous avons vu qu’aux États-Unis, Andrew
Jackson Downing s’approprie la théorie du gardenesque et en recommande l’application
dès 1841 pour l’aménagement des jardins nord-américains.
90
Appliquées dans le Bas-Canada après la conquête de 1769 par l’intermédiaire des
militaires et notables anglais ainsi que des représentants du Régime britannique, les
théories esthétiques du beau, du sublime et du pittoresque sont discernables dans
plusieurs illustrations des paysages du Canada. Nous savons toutefois que les nombreux
voyageurs britanniques ne représentent pas parfaitement les paysages du Canada, qui sont
différents de ceux de l’Angleterre, créant ainsi une tension entre les théories esthétiques.
Nous avons vu que l’esthétique pittoresque est privilégiée par rapport aux autres
catégories esthétiques pour la représentation de la ville de Québec par les peintres, James
Pattison Cockburn, par exemple. En effet, l’artiste, en voulant présenter quelques vues de
la ville de Québec, propose sa propre vision anglaise du paysage ; il crée des œuvres
ancrées dans les principes pittoresques des dessins paysagers de la tradition anglaise. Par
ailleurs, nous avons vu que le mouvement pittoresque s’étend au-delà des représentations
et il a, à partir des années 1810-1820, une influence majeure dans l’architecture des
grands domaines situés en périphérie de la ville de Québec. Ces propriétés, habitées par
des immigrants britanniques de la classe bourgeoise, sont construites dès le début du
XIXe siècle à Sillery ; elles offrent aux propriétaires un environnement d’habitation plus
ouvert vers la nature. Cette ouverture est possible grâce à différents ajouts proposés par
l’architecture pittoresque, tels que des annexes, des galeries ainsi que des serres. Nous
avons vu que la serre, dans le mouvement pittoresque, est un élément architectural qui
complexifie le plan des résidences tout en participant à l’ambiance du pittoresque. Enfin,
concernant l’approche de Marie-Josée Fortier sur les jardins d’agrément, nous avons
proposé l’idée que l’esthétique pittoresque, bien qu’intégrée dans l’organisation
esthétique des jardins anglais au XIXe siècle, a subi des transformations pour s’adapter
aux conditions climatiques et spatiales du Bas-Canada. À cet effet, nous pouvons dire que
l’esthétique pittoresque a évolué vers une combinaison d’approches qui s’accordent
mieux à l’environnement périurbain de la ville de Québec ainsi qu’aux goûts et aux
conceptions de l’environnement des propriétaires des jardins.
À partir de 1841-1845, l’ouvrage théorique d’Andrew Jackson Downing portant sur les
théories esthétiques, dont le gardenesque, est popularisé dans la ville de Québec.
L’influence de cet ouvrage sur l’architecture à Québec est reconnue par plusieurs auteurs,
91
et nous croyons qu’il est aussi possible d’en constater les répercussions dans les
aménagements paysagers1. En évaluant l’aspect physique des jardins des domaines de
Sillery à l’aide des principes de Downing sur le gardenesque, nous avons confirmé que le
jardin canadien de la deuxième moitié du XIXe siècle a subi certaines transformations et
qu’il a évolué vers une conception plus éclectique. La complexification des
aménagements paysagers qu’amène le gardenesque, par le choix de végétaux précis en
fonction de certaines propriétés visuelles tout comme par la rareté et l’exotisme des
végétaux utilisés, fait état d’une meilleure compréhension de l’environnement. Bien que
l’intérêt pour la botanique soit présent depuis le Régime français au Bas-Canada, nous
avons vu qu’à partir des années 1840, le souci du bien-être des plantes et la
compréhension de leur fonctionnement qu’amène la popularisation des sciences
naturelles (horticulture) chez la bourgeoisie transparaissent dans les aménagements
paysagers des grands domaines de Sillery. Nous avons par ailleurs expliqué que la serre
devient un élément essentiel dans les aménagements paysagers gardenesque pour son
apport scientifique. La serre, d’abord pratique et esthétique avec le mouvement
pittoresque, évolue avec le mouvement gardenesque vers un bâtiment plus complexe
technologiquement, mais aussi symboliquement. En effet, la serre témoigne de cette
nouvelle compréhension de l’environnement ; elle peut être rattachée au confort moderne
associé à l’époque victorienne et essentiellement au besoin de contrôle de l’homme sur
l’environnement.
Le gardenesque en architecture
Contrairement au pittoresque, il est difficile de lier le gardenesque à un style précis
d’architecture. Notre étude laisse voir que le gardenesque est associé à un certain
1Denis Messier, «Les jardins anciens: témoins d'une diversité culturelle», Cap-aux-Diamants: la revue
historique du Québec, Québec, n°46, 1996, pp. 37-41, France Gagnon-Pratte, L’architecture et la nature à
Québec au dix-neuvième siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, 334 p.,
Frédéric Smith, Cataraqui : histoire d’une villa à Sillery. Sainte-Foy, Québec, Publications du Québec.
2001, 130 p., Janet Wright, L’architecture pittoresque au Canada. Ottawa, Direction des lieux et parcs
historiques nationaux Parcs Canada, Environnement Canada, 1984, 184 p., Nicole Dorion-
Poussard« Mémoire adressé au Conseil du patrimoine culturel du Québec – Renaissance d’un patrimoine
inconnu ou oublié : un jardin potager et fruitier dans les grands domaines. » La Charcotte, 2014, vol.28,
nᵒ1.
92
éclectisme dans les aménagements paysagers. Cette esthétique propose, en effet, un
amalgame de caractéristiques qui sont aussi présentes dans d’autres styles de jardins,
comme la géométrie du jardin français et les regroupements irréguliers de végétaux du
jardin anglais (pittoresque). Ce mélange de styles est associé en architecture au
mouvement pittoresque par Janet Wright et France Gagnon-Pratte. Par la déformation des
formes régulières des résidences à la suite de l’ajout d’annexes et de serres, le pittoresque
témoigne en fait d’un changement d’idéologie au XIXe siècle quant à la manière de vivre.
Par ailleurs, Gagnon-Pratte explique que la serre est indissociable de l’évolution des
méthodes de construction qui permettent dans la deuxième moitié du XIXe siècle
l’introduction du « confort moderne » dans les résidences2. Nous pensons que ce confort
moderne est une manifestation typique de l’intégration du mouvement gardenesque dans
l’architecture et non du mouvement pittoresque. En effet, nous croyons qu’une nouvelle
conception de la nature apparaît dans la deuxième moitié du XIXe siècle grâce au
développement des sciences naturelles et à une meilleure compréhension de l’être vivant
et de son bien-être. D’ailleurs, William Taylor explique que « New ideas about nature
and an expanding array of representational, design and horticultural practices aimed at
making Victorians feel comfortable and "at home" whether they occupied metropolitan
centers, the countryside or the margins of empire3. »
Cet intérêt pour le confort de même que l’apport des sciences dans l’architecture
influencent les architectes résidentiels de Québec. L’organisation interne des résidences
est revue : l’installation de l’eau courante et du chauffage à eau chaude ou électrique dans
chaque pièce révèle le souci de confort du propriétaire. D’autre part, certaines
préoccupations des architectes révèlent qu’ils vont au-delà de l’esthétisme par le
développement d’une conscience environnementale4. Les architectes de la deuxième
moitié du XIXe siècle, dont certains membres de la famille Staveley, reconnue pour de
nombreux projets résidentiels, améliorent leurs plans de construction en fonction de cette
conscience environnementale et transforment leur architecture par l’apport des nouvelles
2 Gagnon-Pratte, op.cit., p. 129.
3 William Taylor, The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in Nineteenth Century Britain.
Londres, Éditions Ashgate, 2004, p. 260. 4 William Taylor parle d’un « sense of environmentality », différent de l’environnementalisme du XX
e
siècle, qui est surtout caractérisé par la conscience d’un lien entre organisme et environnement.
93
techniques de construction et des avancées technologiques. L’élément le plus révélateur à
ce sujet est l’évolution de la serre dans la seconde moitié du XIXe siècle.
En effet, comme nous l’avons expliqué dans le dernier chapitre, la serre se développe et
se diversifie dans le contexte gardenesque en prenant de plus en plus d’importance dans
les domaines pour finalement être intégrée complètement à la résidence. L’effet de cette
intégration se voit dans le souci de contrôle de l’environnement d’habitation et la
recherche d’un certain confort, qui se manifeste notamment par l’amélioration du
chauffage de la résidence, l’installation de plomberie, l’ajout de nombreuses fenêtres
pour un ensoleillement plus efficace des pièces de séjour, etc. Comme l’explique William
Taylor, l’exploration du mode artificiel de la serre favorise l’essor de l’intérêt chez
l’homme pour son environnement et le développement d’un goût pour une architecture
qui s’adapte au milieu naturel. Ainsi, « While these concerns [environment, the inhabitant
and idea of design] were prefigured by studies of plant life in the closed world of the
conservatory, they encouraged new modes of environmental awareness in other spheres
of human interest such as the Victorian house and garden. »5
5 Taylor, op. cit., p. XVI.
94
BIBLIOGRAPHIE Sources primaires
Concernant le Canada
BEADLE, D.W. Canadian Fruit, Flower and Kitchen Gardener. Toronto, James
Campbell & Son, 1872, 440 p.
BENDER, P. Old and New Canada 1753-1844. Montréal, Dawson Bros., 1882, 292 p.
Concernant la ville de Québec
COCKBURN, James Pattison. Quebec and its environs; being a picturesque guide to the
stranger. Londres, Thomas Cary & Co. 1831, 42 p.
LEMOINE, James McPherson. Maple Leaves. Canadian History and Quebec Scenery.
Third Series, Québec, Hunter, Rose & Company, 1865, 138 p.
------------------ Picturesque Quebec. Montréal, Dawson, 1882, 535 p.
------------------ Monographie et Esquisses. Québec, J.G. Gingras, 1885, 478 p.
LITERARY AND HISTORICAL SOCIETY OF QUEBEC. Transactions of the Literary
and Historical Society of Quebec. Québec, imprimé par Middleton & Dawson à la
Gazette Générale, 1829, 411 p.
QUEBEC HORTICULTURAL SOCIETY. Proceedings connected with the formation of
the Quebec Horticultural Society and its constitution, Québec, imprimé par T. Cary
au 2 rue Buade, 1851, 14 p.
------------------- List of officers, and schedule of prizes offered for the year 1867,
also rules and regulations. Québec, imprimé par A. Coté & Co., 1867, 16 p.
------------------- List of Officers, Schedules of Premiums, and Rules and Regulations
of the Exhibition to be held at Quebec, On Wednesday and Thursday, the 5th and
6th September, 1888, under the patronage of His Honor the Lieutenant-Governor,
Québec, imprimé à la Morning Chronicle’s Office, 1888, 21 p.
Concernant les États-Unis
DOWNING, Andrew Jackson. A Treatise of the Theory and Practice of Landscape
Gardening, adapted to North America; with a view to The Improvement of Country
Residences with Remarks on Rural Architecture. New-York & Londres, Wiley and
Putnam, 1841, 452 p.
95
Concernant la Grande-Bretagne et autres pays
BURKE, Edmund. A Philosophical Inquiry into the Origins of our Ideas of the Sublime
and Beautiful. Londres, R. and J. Dodsley, 1757, 210 p.
CUST, Lionel. History of Society of Dilettanti. Londres, MacMillan, 1898, 336 p.
GILPIN, William. Observations, relative chiefly to picturesque beauty, made in the year
1772: on several parts of England; particularly the mountains, and lakes of
Cumberland, and Westmoreland. Londres, T. Cadell and W. Davies, Strand, 1786,
330 p.
HUMPHREYS, Henry Noel. « On the Picturesque in Hothouses ». Gardener’s Magazine
of botany, horticulture, floriculture, and natural science, volume 3, janvier-
décembre 1851, pp. 1-3.
KNIGHT, Richard Payne. An Analytical Inquiry into the Principles of Taste. Londres,
1806, imprimé par Luke Hansard, 473 p.
LOUDON, John Claudius. Remarks on the construction of Hot-Houses. Londres,
Architectural Library, 1817, 133 p.
------------------ The Green-House Companion and Natural arrangement of Green-
House Plants. Londres, Harding, Triphook and Lepard, 1824, 473 p.
------------------ « Fowler’s Patent Thermosiphon ». The Gardener’s Magazine and
register of rural & domestic improvement, août 1829, pp. 453-454.
------------------ The Gardener’s magazine and register of rural & domestic
improvement, Londres, volume 1-10, 1826-1834.
------------------ « Art. II. Foreign Notices: North America ». The Gardener’s
Magazine and register of rural & domestic improvement, octobre 1837, pp. 467-
468.
------------------ The Suburban Gardener and Villa Companion. Londres, Longman,
Orme, Brown, Green and Longmans; and W. Black, 1838, 808 p.
------------------ «Art. I. A summary View of the Progress of Gardening, and of
Rural Improvement generally, in Britain, during the Year 1841». The Gardener’s
Magazine, décembre 1841, p. 581.
------------------ Encyclopedia of Plants. Londres, Longmans, Green, and Co. 1880,
1626 p.
96
MACKENZIE, George. « Description of an Economical Hot-house ». The Repertory of
Arts, Manufactures, and Agriculture. Londres, Repertory Office, 1817, pp. 233-
236.
NEUMANN, Louis. L’art de Construire et de Gouverner les Serres. Paris, Audot,
Libraire-Éditeur, 1846, 176 p.
PAYNE KNIGHT, Richard. An Analytical Inquiry into the Principles of Taste. Londres,
Imprimé par Luke Hansard, 1806, 473 p.
PRICE, Uvedale. Essays on the Picturesque, as Compared with the Sublime and the
Beautiful; and on the Use of Studying Pictures, for the Purpose of Improving Real
Landscape. Londres, J. Robson, 1796, 445 p.
PRIOR, James. Life of the Right Honorable Edmund Burke. Cinquième édition, Londres,
Henry G. Bohn, 1854, 815 p.
WARD, Nathanial. On the Growth of plants in Closely Glazed. Londres, John Van
Voorst, 1842, 95 p.
Sources secondaires
Concernant la ville de Québec
BASTIEN, Geneviève G. Inventaire des marchés de construction des archives civiles de
Québec, 1800-1870. Ottawa, Direction des parcs et des lieux historiques nationaux,
Parcs Canada, Direction des affaires indiennes et du Nord, 1975, 3 volumes de
1340 p.
BEAUDET, Pierre. Les Dessous de la Terrasse à Québec : archéologie dans la cour et
les jardins du Château Saint-Louis. Québec, Sillery, Éditions Septentrion, 1990,
199 p.
BÉGIN, Benoît. « Bois-de-Coulonge ». Magazine Continuité, Hors-série, nᵒ1, automne
1990, pp. 18-19.
BERNIER, André. Le Vieux-Sillery. Québec, Direction des arrondissements: Centre de
documentation, Direction de l'inventaire des biens culturels, 1977, 167 p.
BLAIR, Louisa. Les Anglos: la face cachée de Québec, tome 1, 1608-1850. Québec,
Éditions S. Harvey, 2005, 144 p.
CAMERON, Christina & Jean TRUDEL. Québec au temps de James Patterson
Cockburn. Québec, Éditions Garneau, 1976, 176 p.
97
DESCHÊNES, Gaétan. Histoire de l’Horticulture au Québec. Québec, Éditions du
Trécarré, 1996, 190 p.
DION-MCKINNON, Danielle. Sillery : Au carrefour de l’histoire. Québec, Éditions
Boréal, 1987, 200 p.
DORION-POUSSART, Nicole. Voyage aux sources d’un pays-Sillery, Québec. Québec,
Les Éditions GID et Nicole Dorion-Poussart, 2007, 351 p.
------------------ « Mémoire adressé au Conseil du patrimoine culturel du Québec –
Renaissance d’un patrimoine inconnu ou oublié : un jardin potager et fruitier dans
les grands domaines. » La Charcotte, 2014, vol.28, nᵒ1
FORTIER, Marie-Josée. Les Jardins D’Agrément en Nouvelle-France. Étude historique
et cartographique. Québec, Les Éditions GID, 2012, 671 p.
GAGNON-GUIMOND, Renée. « Henry Atkinson : gentilhomme et baron du bois ».
Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, vol. 4, nᵒ3, 1988, pp. 19-22.
GAGNON-PRATTE, France. L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième
siècle : les villas. Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, 334 p.
------------------- et Philippe DUBÉ. «La Villa». Magazine Continuité, n°40, été
1988, p.22-25.
GAUTHIER, Anne-Marie. « Nouveau Centre d’interprétation des grands domaines de
Sillery ». Commission de la Capitale Nationale de Québec, [En ligne],
http://www.capitale.gouv.qc.ca/commission/zone-medias/nouveau-centre-d-
interpretation-des-grands-domaines-de-sillery, (consultée le 5 décembre 2016).
GRIGNON, Marc. «Architecture and "Environmentality" in the Nineteenth Century».
Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada, vol.38, nᵒ2, 2014,
pp.65-77.
HARDY, Suzanne. « Les Ladies de Sillery ». Quatre-Temps, vol.32, n°2, 2008, pp. 22-
24.
HARE, John. Histoire de la ville de Québec. Montréal, Musée canadien des civilisations,
1987, 399 p.
LACROIX, Laurier. « Entre la norme et le fragment : éléments pour une esthétique de la
période 1820-1850 au Québec ». Dans Béland, Mario, dir., La Peinture au Québec,
1820-1850 : nouveaux regards, nouvelles perspectives, Musée du Québec & Les
Publications du Québec, 1991, pp. 60-75.
98
LEBEL, Jean-Marie. « Le chevalier de Spencer Grange: l’écrivain et historien James
Macpherson LeMoine (1825-1912) ». Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du
Québec, vol.1, nᵒ3, 1985, pp. 13-17.
MARTIN, Paul-Louis & Pierre MORISSET. Promenades dans les Jardins Anciens du
Québec. Montréal, Boréal, 1996, 177 p.
MESSIER, Denis. «Les jardins anciens: témoins d'une diversité culturelle». Cap-aux-
Diamants: la revue historique du Québec, Québec, n°46, 1996, pp. 37-41.
NOPPEN, Luc et al. Québec. Trois siècles d’architecture. Québec, Éditions Libre
Expression, 1979, 447 p.
NOPPEN, Luc. Québec de rocs et de pierres : la capitale en architecture. Québec,
Éditions Multimondes, 1998, 150 p.
PARENT, Alain. «Entre Empire et Nation. Gravures de la ville de Québec et des
environs, 1760-1833». Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2003, 299 p.
POULIN, Suzie F. « L’architecture résidentielle des Staveley 1846-1954 ». Mémoire de
maîtrise, Québec, Université Laval, 1995, p. 43.
PRIOUL, Didier. «Les paysagistes britanniques au Québec: de la vue documentaire à la
vision poétique». Dans Béland, Mario, dir., La Peinture au Québec, 1820-1850 :
nouveaux regards, nouvelles perspectives, Musée du Québec & Les Publications du
Québec, 1991, pp.50-59.
SMITH, Frédéric. Cataraqui : histoire d’une villa à Sillery. Sainte-Foy, Québec,
Publications du Québec. 2001, 130 p.
--------------------- Parc du Bois-de-Coulonge. Québec, Éditions Fides, 2003, 95 p.
TRÉPANIER, Paul. «Sillery». Magazine Continuité, n°42, 1989, pp.44-52.
VACHON, Paul-Émile. Beauvoir, le domaine, la villa. Fascicule II : 1850-1929.
Document S.M. Canada, 8. Cap-Rouge, Pierre Allard, s.m., éditeur, 1977, s.p.
VALLIÈRE, Marc. Histoire en Bref : Québec. Québec, Presse de l’Université Laval,
2010, p.65-68.
Concernant le Canada
MACLAREN, Ian S. The Influence of Eighteenth-century British Landscape Aesthetics
on Narrative and Pictorial Responses to the British North American North and
West, 1769-1872. Thèse de doctorat, London, The University of Western Ontario,
1983, 938 p.
99
-------------------- « The Limits of the Picturesque in British North America». Journal
of Garden History, vol. 5, n°1, 1985, pp. 97-111.
MCKAY, Marylin J. Picturing the Land. Narrating Territories in Canadian Landscape
Art, 1500-1950. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2011, 359 p.
WILLIAMS, Ron. Landscape Architecture in Canada. Canada, McGill-Queen’s
University Press, 2014, 664 p.
WRIGHT, Janet. L’architecture pittoresque au Canada. Ottawa, Direction des lieux et
parcs historiques nationaux Parcs Canada, Environnement Canada, 1984, 184 p.
Concernant les États-Unis
MAJOR, Judith K. « A. J. Downing (1815-1852). Au-delà du traité sur le jardin
paysager ». Histoire des jardins. De la Renaissance à nos jours, Paris, Flammarion,
2002, pp. 426-430.
O’MALLEY, Therese. « From practice to theory: The emerging profession of landscape
gardening in early Nineteenth-Century America ». Botanical progess, horticultural
innovations and cultural changes, 2007, pp. 223-238.
Concernant la Grande-Bretagne et autres pays
BATEY, Mavis. «The Picturesque: An Overview». Garden History, vol. 22, n°2, The
Picturesque, hiver 1994, pp. 121-132.
BEWLEY, W.F. «The British Glasshouse Industry». Journal of the Royal Society of Arts,
vol. 104, n°4978, mai 1956, pp. 515-526.
BROOKS, Chris. The Gothic Revival. Londres, Phaidon, 1999, 447 p.
CHEZAUD, Patrick. « Culture de la nature au XVIIIe siècle : le sens dans le jardin ».
Bulletin de la société d’étude anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, vol.
51, nᵒ1, 2000, pp. 129-140.
ELLIOT, Brent. Victorian Gardens. Londres, B.T. Batsford, 1986, 285 p.
------------------ «Flower Shows in XIX Century England». Garden History, vol.
29, n°2, hiver 2001, pp.171-184.
FRYER, Hazel. « Humphry Repton’s Commissions in Herefordshire: Picturesque
Landscape Aesthetics ». Garden History, Vol.22, N°2, The Picturesque, hiver
1994, pp. 162-174.
HIX, John. The Glasshouse. Londres ; New York, NY : Phaidon, 2005, 239 p.
100
HUSSEY, Christopher. The Picturesque. Studies in a Point of View. Seconde Édition,
États-Unis, Archon Books, 1967, 308 p.
HUXLEY, Anthony Julian. An Illustrated History of Gardening. Londres, Paddington
Benne Ltd., 1978, 352 p.
ILLINGWORTH, John. «Ruskin and Gardening». Garden History, vol. 22, n°2, hiver
1994, pp.218-233.
KOHLMAIER, Georg. Houses of glass: a nineteenth-century building type. Cambridge
MIT Press, 1986, 641 p.
KOPPELKAMM, Stefan. Glasshouses and Wintergardens of Nineteenth Century. États-
Unis, Rizzoli International Publication, Inc. 1981, 111 p.
LEATHLEAN, Howard. «Gardenesque to Home Landscape: The Garden Journalism of
Henry Noel Humphreys». Garden History, vol.23, nᵒ2, hiver 1995, pp. 175-191.
MACARTHUR, John. The Picturesque: architecture, disgust and other irregularities.
New York, Éditions Routledge, 2007, 295 p.
MANTION, Jean-Rémi. « William Gilpin et la beauté pittoresque ». Critique, nᵒ766,
mars 2011, pp. 231-238.
MILANI, Raffaele. Art of the Landscape. Canada, McGill-Queen’s University Press,
2009, 221 p.
MORRIS, Colleen. «The Diffusion of Useful Knowledge: John Claudius Loudon and His
Influence in the Australian Colonies». Garden History, vol.32, nᵒ1, printemps 2004,
pp.101-123.
MYLECHREEST, Murray. «Thomas Andrew Knight and the Founding of the Royal
Horticultural Society». Garden History, vol. 12, n°2, automne 1984, pp.132-137.
PAUTZ, Frédéric. Serres des Jardins botaniques d’Europe. Genève, Aubanel, 2007, 239
p.
ROBIN, Nicolas. «The influence of scientific theories on the design of botanical gardens
around 1800». Studies in the history of gardens & designed landscapes: An
international Quarterly, Vol. 28, N°3-4, 2008, pp. 382-399.
ROGGER, André. Landscapes of Taste. The Art of Humphrey Repton’s Red Books.
Londres et New York, Routledge, 2007, 294 p.
101
ROSS, Stephanie. «The Picturesque: An Eighteenth-Century Debate». The Journal of
Aesthetics and Art Criticism, vol. 46, n°2, hiver 1987, pp. 271-279.
SIMO, Melanie. « John Claudius Loudon: On the planning and design for the Garden
Metropolis ». Garden History, vol. 9, nᵒ 2, 1981, pp. 184-201.
STYNEN, Andreas. «Une mode charmante: nineteenth-century indoor gardening
between nature and artifice». Studies in the history of gardens & designed
landscapes, vol. 29, n°3, 2009, pp. 217-234.
TAYLOR, William. «The cultivation of reason: functionalism and the management of
nature». Studies in the history of gardens & designed landscapes, vol. 18, n°2,
1998, pp. 130-144.
---------------------- The Vital Landscape. Nature and the Built Environment in
Nineteenth Century Britain. Londres, Éditions Ashgate, 2004, 252 p.
---------------------- «The Culture of "Environmentality" and the exceptionality of the
Countryside». Victorian World, éd. par Martin Hewitt, Londres et New York,
Routledge : Taylor & Francis Group, 2012, pp. 259-272.
TOWNSEND, Dabney. «The Picturesque». The Journal of Aesthetics and Art Criticism,
vol. 55, n°4, automne 1997, pp.365-376.
Encyclopédies et dictionnaires
BOND, Courtney C. J. « Gilmour, John ». Dictionnaire biographique du Canada, vol.
10, Université Laval/University of Toronto, 2003-, [En ligne], < http://www.biographi.ca/fr/bio/gilmour_john_10F.html>, (consulté le 25 septembre
2016).
CARROLL, Carman V. Mise à jour 3 avril 2015. « Literary and Historical Society of
Quebec ». Historica Canada, [En ligne], <
http://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/literary-and-historical-society-
of-quebec/>, (consulté le 15 septembre 2016).
COURTNEY, William Prideaux. «Price, Uvedale». Dictionary of National Biography,
1885-1900, volume 46.
DICTIONARY OF ART HISTORIANS. «Gilpin, William». A Biographical Dictionary
of Historic Scholars, Museum Professionals and Academic Historians of Art. [En
ligne], < https://dictionaryofarthistorians.org/gilpinw.htm>, (consulté le 23 août
2016).
ENCYCLOPAEDIA BRITANNICA. Mise à jour 2016. «Andrew Jackson Downing».
Encyclopaedia Britannica Inc., [En ligne],
102
https://www.britannica.com/biography/Andrew-Jackson-Downing, (consulté le 1er
septembre 2016).
------------------ Mise à jour 2016. « Sir William Jackson Hooker ». Encyclopaedia
Britannica Inc., [En ligne], < https://www.britannica.com/biography/William-
Jackson-Hooker>, (consulté le 16 septembre 2016).
HARRIS, Ian. «Edmund Burke». The Stanford Encyclopedia of Philosophy (édition
printemps 2012), Edward N. Zalta (ed.), [En ligne],
<http://plato.stanford.edu/archives/spr2012/entries/burke/>, (consulté le 23 août
2016).
LEMOINE, Roger. «Le Moine, sir. James MacPherson». Dictionnaire biographique du
Canada, vol.14, Université Laval/University of Toronto, 2003, [En ligne] <
http://www.biographi.ca/fr/bio/le_moine_james_macpherson_14F.html> (consulté
le 11 février 2016).
MONET, Jacques. Mise à jour le 3 avril 2015. « L’Acte d’Union ». Encyclopédie
Canadienne, [En ligne], < http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/lacte-
dunion/>, (consultée le 13 décembre 2016).
NOPPEN, Luc. « Staveley, Harry ». Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15,
Université Laval/Université de Toronto, 2003-, [En ligne] < http://www.biographi.ca/fr/bio/staveley_harry_15E.html>, (consulté le 19
septembre 2016).
PERRON, Jean-Marie. « Provancher, Léon ». Dictionnaire biographique du Canada,
vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , [En ligne],
<http://www.biographi.ca/fr/bio/provancher_leon_12F.html>, (consulté le 2
septembre 2016).
PRIOUL, Didier. « Cockburn, James Pattison ». Dictionnaire biographique du Canada,
vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003-, [En ligne], <
http://www.biographi.ca/fr/bio/cockburn_james_pattison_7F.html>, (consulté le 10
septembre 2016).
ROY L. Taylor. Mise à jour 3 avril 2015. «Jardin botanique». Historica Canada, [En
ligne], http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/jardin-botanique-1/,
(consulté le 11 septembre 2016).
SAVARD, Pierre. « Sheppard, William ». Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9,
Université Laval/University of Toronto, 2003-, [En ligne],
<http://www.biographi.ca/fr/bio/sheppard_william_9F.html>, (consulté le 8 avril
2016).
103
ENCYCLOPÉDIE UNIVERSALIS. «Price, Uvedale – (1747-1829)». Encyclopedia
Universalis, [En ligne], <http://www.universalis.fr/encyclopedie/uvedale-price>,
(consulté le 23 août 2016).
WROTH, Warwick William. «Knight, Richard Payne». Dictionary of National
Biography, 1885-1900, volume 31.
104
FIGURES
Figure 1.1 : Loudon, John Claudius. Arbres arrangés dans le style gardenesque, 1838.
Figure 1.2 : Loudon, John Claudius. Arbres arrangés dans le style pittoresque, 1838.
105
Figure 2.1 : Villeneuve, Robert de. Plan de la ville et Chasteau de Quebec fait en 1685 mezuree exactement
par sieur de Villeneuve, 1685. Encre noir. Québec.
106
Figure 2.2: Chaussegros de Léry, Gaspar-Joseph. Jardin de l’intendant, Québec, 1752. Détail du plan de
Chaussegros de Léry.
Figure 2.3: Cockburn, James Pattison. Mr. Sheppard’s Villa at Woodfield, 1830.
107
Figure 2.4: Cockburn, James Pattison. Quebec from Pointe à Piseau, 1831.
Figure 2.5: Cockburn, James Pattison. Cape Diamond from Spencer-Wood, september 20th 1830, 1830.
108
Figure 2.6: Cockburn, James Pattison. Spencer Wood [a residence in Sillery near Quebec], 1829.
Figure 2.7: Anonyme. Asile-Champêtre de Joseph F. Perrault, protonotaire à Québec, 1812.
109
Figure 2.8: Anonyme. Villa Marchmont, 1865. Galerie qui fait trois côtés de la résidence.
Figure 2.9: Forrest, Charles Ramus. Wolfesfield, a villa residence near Quebec city, 1821-1823.
110
Figure 2.10: Anonyme, Le château Saint-Louis et une partie de la basse ville, vers 1818.
Figure 3.1: Anonyme. Aménagement des dépendances et des jardins autour d’une résidence péri-urbaine,
1877.
111
Figure 3.2: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail de l’aménagement du domaine de Woodfield.
Figure 3.3: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail de l’arrangement des arbres du domaine de Woodfield.
112
Figure 3.4: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail du jardin géométrique à Woodfield.
Figure 3.5: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail de la résidence et de la serre du domaine de Woodfield.
113
Figure 3.6: Lemercier, Alfred Léon. Spencer Wood Near Quebec, 1860.
Figure 3.7: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Domaine de Spencer Wood et Spencer Grange.
114
Figure 3.8: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail du jardin géométrique du domaine de Spencer Wood.
Figure 3.9: Livernois, Jules-Ernest. Spencer Wood, 1863.
115
Figure 3.10: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail de l’aménagement des arbres du domaine de Spencer Wood.
Figure 3.11: Anonyme. Spencer Grange, 1865.
116
Figure 3.12: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail de l’aménagement paysager du domaine de Spencer Wood.
Figure 3.13: Anonyme. Morton Lodge, XIX
e siècle.
117
Figure 3.14: Anonyme. Morton Lodge, XIX
e siècle. Détail de la serre.
.
Figure 3.15: Anonyme. Serre viticole au domaine Cataraqui, vers 1880.
.
118
Figure 3.16: Anonyme. Beauvoir, vers 1890.
Figure 3.17: Anonyme. La serre à raisins de la famille Dobell à Beauvoir, vers la fin du XIX
e siècle
119
Figure 3.18: Anonyme. La villa à Wolfefield, 1890.
Figure 3.19: Drummond, William Francis. Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East,
surveyed in 1865-1866, 1865-1866. Détail du domaine de Marchmont.
120
Figure 3.20: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house until his death in
1888, 1896-1897.
Figure 3.21: Grant, John. Holland House, St. Foye Road, Quebec, 1840.
121
Figure 3.22: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house until his death in
1888, 1896-1897.
Figure 3.23: Muerrie, C.A. Holland House, Senator James Gibb Ross lived in this house until his death in
1888, 1896-1897. Détail de la serre à Holland House.
122
Figure 3.24: Staveley, Harry. Plan of proposes additions to Highland for John T. Ross, 1897.
Figure 3.25: Anonyme. La villa Hamwood, 1865.
123
Figure 3.26: Anonyme. La villa Hamwood, 1921.
124
LISTE DES SERRES INVENTORIÉES
1781-1815 Château Saint-Louis
1795 Asile-Champêtre
1795 Résidence d’Henry Atkinston à Cap-Rouge
1816 Woodfield
1821 Morton Lodge
1827 Wolfefield
1834 Spencer Wood
1848 Marchmont
1848 Holland House
1849 Spencer Grange
1860 Kirk Ella
1863 Cataraqui
1865 Hamwood
1871 Beauvoir
1897 Highlands
top related