etienne balibar - etat parti ideologie
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tienne Balibar
TAT, PARTI, IDOLOGIE
Esquisse dun problme
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Dans un essai rcemment paru 1, et qui a fait quelque bruit delautre ct des Alpe s non seulement dans la thorie ,
mais dans la politique , le Pr Norb erto Bob bio exp lique
en substance ceci : le marxisme na jamais pu laborer une
thorie de lEtat, pas plus une thorie de lEtat capitaliste
moderne ( libral ) qu une thorie de lEtat socia liste,
ce qui est beaucoup plus grave pour lui et pour nous. Il ne la pu pour une raison fondam entale : cest quil est o ccup avant
tout par la question du parti (rvolutionnaire), par sa thorie etsa construction. Or, ces deux proccupations sont, de fait,
incompatibles.
Essayons de jouer le jeu et dexaminer larticulation de ces
deux concepts, et des problmes quils posent, dans le travail thorique de Marx et dEngels.
Lapprciation des analyses consacres par Marx et Engels la question du parti rvolutionnaire dpend effectivement
dune question pralable quil faut poser au moins schmatique
men t. N y a-t-il pas ch ez eux, en fait, deu x discours concurrents,
diversem ent entrecroiss, sur la question du parti ? Le premier
1. N. B o b b i o , Quale socialismo ?, Einaudi, 1977.
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snoncerait sur le mode de lanalyse de ce qui est, historique
ment, et quil sagit dexpliquer. De ce point de vue, il ny a pas le parti, selon un concept pos en soi avant ses ralisations
plus ou moins imparfaites : il y a des form es d organisat ion ouvri res et prol ta rie nnes multiples, avec leur idologie contra
dictoire, surgies de conditions conomiques et politiques dter
mines, et qui jouent un rle plus ou moins durable dans les
luttes de classes ; tels le chartisme, les organisations secrtes de type blanquiste, la Ligue des Communistes, les trade-unions,
lAssociation internationale des travailleurs, lUnion gnrale desouvriers allemands (lassallienne), etc. Mais ct de ce discours
analytique, et gnralement critique, figure aussi, semble-t-il,
un discours normatif sur le mode du devoir -tr e nonant,sur la base dune thorie des tendances historiques long terme, ce que doit tre le parti proltarien pourtre conforme son concept, cest--dire sa destination historique : la conqute du pouvoir politique par le proltariat en vue delabolition de lexploitation capitaliste.
Ainsi le M anif este du parti com m unis te , texte qui occupe iciune position stratgique en ce que, labor par Marx et Engels
comme expression de leur premire intervention politico-tho-
rique rellement efficace, il devint un demi-sicle plus tard la base doctrinale du marxisme de la social-dmocratie,pourrait-il tre dcortiqu en fonction de ces deux discout'g. Par
quoi chappe-t-il au positivisme dune simple description etdune simple critique de lutopisme des organisations ouvrires
des annes 1840, sinon en les inscrivant dans un processus dhistoiro universelle ? et en allant jusqu en faire implicitement les germes prsents dun avenir inluctable, bref en dve
loppant une tlologie du parti : Les communistes ne
forment pas un parti distinct oppos aux autres partis
ouvriers. [...] Us ntablissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. [...] Dans
les diffrentes phases que traverse la lutte entre proltaires et bourgeois, ils reprsentent toujours les intrts du m ouvem entdans sa to ta li t . [...] Thoriquement, ils ont sur le reste duproltariat lavantage d une in telligence claire des conditio ns, dela marche et des fins gnrales du mouvement proltarien (Manifeste communiste, chap. 2).
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On n e saurait, aujourdhui, rexaminer ces textes sans, tenircom pte que la tendance tlologiqu e quils comportent etdont il faudra dcouvrir les causes dans les conditions initiales
de la fusion du mouvement ouvrier et de la thorie
marxiste a directement facilit la constitution dune concep
tion apolo gtique du parti, qui a rgn dans la IIe et la
III Internationale et qui na pas t en core ce jour radicale
ment critique. Cest prcisment pour avoir systmatiquement
expos et inculqu cette conception que Kautsky est apparu en
son temps, aux yeux mmes de ses critiques de gauche et
de droite , comme le marxiste orthodoxe par excellence.On se reportera ici notamment la brochure sur L es Trois
Sources du marxisme (190 8) ; lidalisme de cette conception volutionniste (quAlthusser a pu dsigner comme Ihglia-
nisme du pauvre ) y apparat clairement : le parti politique,dont la social-dmocratie allemande reprsentait le modle, se
prsente comme la forme suprieure dune ligne dvolution
qui conduit des organisations les plus spontanes (coopra
tives, associations de secours mutuel et dducation ouvrire)
la con science de classe s> organise (syndicats, parti). Or,cette forme suprieure est, comme telle, historiquement dfinit iv e (aussi longtemps que subsiste la lutte de classes) parceque, selon Kautsky, elle rsout to utes le s contr adic tions en sonsein. Elle est dfinie comme fusion (le terme apparat ici) ou synthse universelle : 1) synthse des sciences naturelles (Naturwissen sch aften) et morales (Geisteswissenschaften) danssa thorie ; 2) synthse des acquisitions d ivergentes de la
culture moderne (pense conomique anglaise, pense politique
rvolutionnaire franaise, pen se ph ilosoph ique allemande...) ;3) synthse du mouvement ouvrier (spontan) et du socialisme ;
4) synthse de la thorie et de la pratique en gnral. Cest donc
un succdan du savoir absolu . Et sil est vrai que les
partis communistes se fondrent, au lendemain de la faillitede la IIe Internationale et de la rvolution dOctobre, sur la
rupture avec la stratgie politique parlementariste de la social- dmocratie, ils nen conservrent pas moins au niveau thorique
lessentiel de ce modle tlologique du parti de la classe
ouvrire , quitte inverser certaines des pratiques quil impliquait (notamment dans le rapport des syndicats et du parti),
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mais en conservant, com m e l indique justement Tren tin2, la
division du travail quil reprsente et la hirarchie invariable des luttes de classes conomiques et politiques quil postule.
Or, ds avant octobre 1917, une telle tlologie (et la fonc
tion apologtique quelle acquiert en pratique) avait bien
entendu mnag une facile revanche son contraire apparent :
le positivism e dune analyse sociologique du fonctionnement
rel des partis ouvriers qui, substituant au passage lhis
toire des tendances de la lutte des classes la description descomportements individuels, mettait en vidence les mcanismes
charismatiques (au sens de Max Weber) de soumission des
masses leurs chefs et de contrle bureaucratique, exerc par lappareil politique sur les militants. Ouvrant ainsi
la voie, par la critique du socialisme, la dnonciation du
caractre prtendument oligarchique de toute dmocratie3.
Ltude historique des termes dans lesquels sest pos au
marxisme le problme du parti montre la fois une profonde transformation tendancielle et la persistance dun problmenon rsolu, sous ses formes successives. Elle peut nous permettre
de commencer rouvrir la problmatique marxiste, unmoment o, sous ses variantes successives, le modle social-
dmocrate est dfinitivement entr en crise et o la configuration
du mouvement ouvrier est en passe de se transformer profon
dment. La conception du parti rvolutionnaire chez Marx et En gels est en effet, demble, lie la conception de lEtat.
Or, le concept dEtat est, dans le marxisme, la marque dun
problme rest non rsolu. A-t-il mme t vritablement pos ?
Tout semble indiquer quil ny a pas, chez Marx et Engels, de
vritable thorie de lEtat .
2. Cf. Bruno Trent in ,D a sfruttati a pro duttori, De Donato, Bari,1977 ; < Partiti, sindacati e m ovimen ti di massa n ella crisi italiana ,dans P. C . L, classe ope raia e m ovim ento studentesco, ouvrage collectif,Guaraldi, Firenze, 1977 ; et son intervention au colloque Pouvoir et
opposi tion dans le s so ci t s pos trvolutionnaires, organis par < IlManifesto , Le Seuil, Paris, 1978.
3. Cf. Robert Michels , Zur Sozio lo gie des Parteiwesens, 1911 (trad.fr. : Les Partis poli tiques, Champs, Flammarion).
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1. Pas de thorie de l E tat ?
Cette constatation, qui a t souvent faite et qui se fait enten
dre avec insistance dans le cadre des polmiques actuelles sur la
crise du marxisme , peut toutefois sentendre en plusieurs sens. Comme toute apprciation ngative, elle prsuppose chez
ceux qui lnoncent une conception positive implicite. Si lon doit entendre par l que Marx et Engels nont pas, par
exemple, dvelopp un systme des institutions de la socit
socialiste ou communiste, cette constatation non seulement
nintroduit aucune faille dans la construction thorique marxiste, mais elle en fait ressortir la cohrence , puisque c est prcismentlune de ses thses fondamentales que de rcuser toutes les
utopies de la socit future, y compris lorsquelles prennent la forme prudente et positiviste de plans rformistes. En ce
sens, labsence dune thorie de lEtat chez Marx et Engelsexprime bien plutt la critique matrialiste de toute conception de lhistoire qui croit la possibilit d introduire le socia
lisme (ou un type dtermin de socialisme) daprs un plan
prconu, de substituer un ordre social un autre sur la
base dune comparaison idale entre ce gui est et ce qui devra it tre.
Cette position se rattache demble lun des aspects des
thses de Marx passablement contradictoires, nous leverrons , concernant 1 illusion de la politique et la fin
de lEtat .
Toute construction dun systme thorique de la socit
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future narticne. de ce que Marx et Engels appellent lillusion
dire lillusion de croire que les transformations
socit rsultent de dcis io ns prises, de choix :rits dans des actes constitutionnels. Illusion
e lidologie politique rationaliste des rvolu-
s (notamm ent de la Rv olution franaise : cf.
Constitution montagnarde de 1793 dont lappli-
j; t suspendue, et que Marx avait tudie deptue ultrieurement dans lidologie politique
^ >cits cap italiste s pour autant quelle se rfre
\ (volont gnrale, mais aussi volo nt des diri-
reils de pouvoir, des groupes sociaux concur-
difie pas substantiellement cet idalisme selon quon imagine une volont pure , absolument libre de ses
choix, ou quon cherche le corriger en posant que la volont politique sexerce dans des conditions et des limites dtermines par les structures matrielles antrieurement donnes de la
socit et par les ides que lhistoire a places dans la tte des homm es qui la font . A toute reprsentation delhistoire, et singulirement des rvolutions qui entranent le
bouleversement des institutions sociales, en termes de ralisationdun systme ou dune thorie , Marx et Engels opposent
lide que les formes sociales sont le produit de la lutte des
classes, cest--dire dun processus de dveloppement des contradictions sans sujet humain ou divin, individuel ou
collectif, qui puisse le totaliser et le reprsenter par avance defaon synoptique.
De mme, toute thorie de lEtat (en ce sens) contredirait la
thse marxiste de la fin de lEtat . Selon Marx et Engels,
lhistoire des luttes de classes lpoque moderne ne tend pas la constitution dun nouvel E ta t, qui dvelopp erait lEtat existant en le corrigeant , cest--dire en le dpouillant des
traits lis lexploitation et lantagonisme de classes qui
limitent son universalit , et en en faisant enfin lorganisationdes services publics et des fonctions collectives de la socit
quil prtend tre. Mais elle tend la disparit io n de lEtat, ausens que c e terme a reu dans lhistoire (quel est c e sens ? ilfaudra bien poser la question Marx). Ds lors, vouloir dve
lopper pour elle-mme une thorie de lEtat, cest continuer
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se placer dans lillusion idologique produite par lEtat actuel,cest se reprsenter les transformations venir de la socit
comme des variantes, si originales quelles se prtendent, de son
histoire passe. Ou encore cest se reprsenter la forme Etat ,qui est le produit historique de conditions dtermines, commeun invariant historique et finalement comme un absolu. Cest
par l mme faire de cette forme lexpression dune fin de lhistoire. Aussi Marx et Engels opposent-ils toute probl
matique de lEtat futur (Etat socialiste, Etat communiste) ce
quon pourrait appeler la position de la fin de lEtat ,comme une des expressions majeures du matrialisme et de la
position de classe inhrente leur thorie. Du mme coup, ils indiquent que toute analyse de lEtat existant (et des formes historiques successives de lEtat) ne peut avoir affaire immdia
tement et innocemment des ralits ou des faits . Ces
ralits historiques sont toujours dj investies dans un rseau
de reprsentations idologiques soit pratiques (quotidiennement
requises et reproduites par son propre fonctionnement), soit
thoriques (dveloppes par les sciences juridiques, socio-logiques, et par la philosophie). Avant de pouvoir tre trait
comme une ralit, lEtat doit tre trait comme un objet
ido logique . A lide de thorie de lEtat s op po se une
crit ique de lEtat, donc une critique de lidolo gie politique.
Il ny a pas non plus grande difficult comprendre pourquoi
on ne saurait trouver chez Marx et Engels de thorie analysant,
voire expliquant, les formes politiques prises par la socit
capitaliste en cours de transition rvolutionnaire vers lesocialisme. Cette question, qui peut tre lgitimement pose
aux marxistes de notre temps (depuis octobre 1917), ne concerne
pas Marx et Engels qui ont parfois cru un peu vite limmi
nence de la rvolution proltarienne, mais qui nont finalement
assist qu des tentatives avortes (1848, 1871) dont ils ontreconnu aprs coup 1 immaturit . Ce qui fait plutt pro
blme, cest la faon dont, par exemple, les analyses inspires
Marx par la Commune de Paris ont pu tre invoques ult
rieurement comme esquisse, voire comme nonc, des principes
de PEtat socialiste ou de lEtat proltarien (cf. Bemstein, Lnine,la rvolution culturelle chinoise).
Toutefois, cette circonstance de fait ne lve pas toutes les
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difficults, il sen faut. Si la problmatique de Marx et Engels exclut, en effet, par principe la constitution dune thorie
marxiste de lEtat au sens dun modle de rorganisation de la
socit (cette aberration que serait, quest un Etat marxiste ),
elle exige dautant plus videmment que lEtat existant (lEtat
bourgeois ou capitaliste ) et ses diffrentes formes, ainsi
que son histoire, fassent lobjet dune analyse th oriq ue, au sensmme o il est question dune thorie du mode de production
capitaliste. Or, c-jst prcisment sur ce point que la thoriemarxiste reste dficiente. On ne traitera pas ici de la faon
dont le marxisme ultrieur a cherch combler cette lacune en
prenant appui sur tel ou tel aspect du corpus des textes classi
ques . Il convient dabord, pour sen tenir Marx et Engels, de souligner quelle ne peut tre rduite une simple question de temps et de moyens. Certes, par dfinition, toute thorie
scientifique est inacheve, dans lincapacit dembrasser imm
diatement la totalit des problmes qui relvent, en droit, de
son investigation, ou mme de les poser tous. Mais labsence
de la thorie de lEtat dans luvre thorique de Marx et
Engels prsente une figure beaucoup plus paradoxale, elle faitlobjet en ralit dune srie de dngations contradictoires.
La formulation initiale du matrialisme historique tout ,
la fois mnage une place ncessaire la thorie de lEtat
au niveau de ce que Marx appelle la superstructure juridico-
politique de la socit (cf. la Prface la crit iq ue de lconom ie
poli tiq ue, 1859) et frappe lobjet ainsi dsign dune irralitessentielle, dans la mesure o la base du mode de production est non seulement dterminante en dernire instance des trans
formations historiques, mais seule vritablement mat rie lle,parce que seule elle est en rapport immdiat avec les forces
productives de la socit : lautonomie relative de la super
structure nes t que celle dun reflet direct ou invers (alin) ?
des contradictions de la base. Jy reviendrai plus loin.
Marx a inclus hypothtiquement dans le plan du Capital,cest--dire dans 1 ordre dexposition dialectique de sathorie, un traitement du rapport entre les diverses formes
dEta t et les diffrentes structures con om iques . V oir sur ce *
point l'Introduction de 1857 et la Prface la critiq ue de lconom ie politique de 1859, et surtout limportant passage du
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Capital, livre III, chap. 47 : Gense de la rente foncire
capitaliste : La form e conomique spcifique dans laquelledu surtravail non pay est extorqu aux producteurs directs
dtermine le rapport de domination et de sujtion, tel quil
dcoule directement de la production elle-mme et ragit
son tour de faon dterminante sur celle-ci. Cest la base
de toute forme de communaut conomique, issue directe
ment des rapports de production, et en mme temps la base de sa forme politique spcifique. Cest toujours dans le
rapport immdiat entre le propritaire des moyens de produc
tion et le producteur direct [...] quil faut chercher le secret le
plus profond, le fondement cah de tout ldifice social et par consquent de la forme politique que prend le rapport desouverainet et de dpendance, bref la base de la forme spci
fique que revt lEtat une poque donne. Cela nempche pasquune mme base conomique (la mme, quant ses conditions
fondamentales), sous linfluence dinnombrables conditions empi
riques diffrentes, de conditions naturelles, de rapports raciaux,
dinfluences historiques extrieures, etc., peut prsenter des
variations et des nuances infinies que seule une analyse de ces conditions empiriques pourra lucider.
Dans une lettre Kugelmann du 28 dcembre 1862, Marx affirmait que ce passage du mode de production lEtat reprsentait le seul dveloppement de la thorie du Capital quil taitpeut-tre le seul, lui Marx, pouvoir crire sur la base du livre I.
En labsence d e tout matriau dtaill sur ce point alorsque ls brouillons des parties inacheves du Capital publiespar Engels et Kautsky ou exhumes depuis par les Instituts de
M osco u et dAmsterdam reprsentent des milliers de pages ,on peut interprter cette dclaration de deux faons : soit
comme signifiant que, aux yeux de Marx, la thorie de lEtat
pourrait bien tre dduite du rapport de production, mais seulemen t au moy en dun recours explicite la dia le ctique matria liste
dans sa spcificit (dont prcisment Marx avait galement promis un expos, jamais ralis) ; so it au contraire commesignifiant limpossibilit de driver directement la thorie de
lEtat du rapport de production sans introduire dans la thorie
dautres lments fondamentaux, un autre point de dpart
que ne contient pas le livre I du Capital (cest--dire sans intro
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duire le concept dun rapport social dis tinct du rapport
de production capitaliste et de circulation marchande). Surtout,on est en droit de penser que M arx sillusionnait lui-mme,quil butait ici en ralit sur un obstacle interne sa probl
matique, laquelle constituait ainsi contradictoirement une condi
tion de possibilit pour noncer le problme de lEtat capitaliste et une condition dimpossibilit pour le poser et le rsoudreeffectivement.
Lorsque Engels son tour, excutant une volont testa
mentaire , se propose dans L Origine de la fam ille , de lap ropri t priv e et de lEta t (1884) de dvelopper la thorie
manquante de lEtat du point de vue du matrialisme historique, il le fait dune faon toute diffrente : en reconstituant une
gense de l Etat dans les socits prcapitaliste s, partir desindications fournies par la prhistoire et lethnologie volu
tionnistes de lpoque (notamm ent L . H . Morgan, Ancie nt
Society). Cette thorie gntique lui permet de penser la fois la corrlation ncessaire entre existence de lEtat et exis
tence dantagonismes de classes inconciliables et lirrductibilit des formes politiques (matrialises dans un appareil propre
de lEtat) au simple reflet de la structure conomique
actuelle. Mais elle ne permet aucunement danalyser la formespcifique, voire le s diffrentes formes, de lEtat dans la socit capitaliste. Elle conduit lide dun archasm e essentiel delEtat, dont lvolution serait acheve avec le rle quil a jou
dans 1 accumulation primitive des conditions de la production capitaliste. Entre l'origine de lEtat dans les luttes de
classes prcapitalistes et sa fin dans la socit communiste,lhistoire de lEtat reste don c un im pens, voire un im pensable.
Tout cela nempche pas que la thorie absente ne soit invo
que lhorizon dune srie de problmes fondamentaux poss
par Marx et Engels :
a) D une part, en tant que rfrence pour d es analyses histriques qui portent sur les luttes de classes europennes des
annes 1840 1890, cest--dire des rapports de forces poli
tiques dans une conjoncture dtermine : par exemple, linca
pacit de la bourgeoisie allemande raliser une rvolution
bourgeoise de type anglais ou franais (cf. articles de La
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N ouvelle G azette rhnane, R volu tion et contre-rvolu tion enA llem agne) ; plus tard, le rle de lEtat prussien doriginefodale dans la cration des conditions du dveloppement du
capitalisme en Allemagne (bismarckisme). Autre exemple : la spcificit de la classe des paysans parcellaires cre par la Rvolution franaise, cette troisime force entre la bour
geoisie et le proltariat dont la prsence explique la foislchec des rvolutions de 1848 et de 1871 et les perfectionne
ments de lappareil dEtat auxquels elles aboutissent (bona
partisme : cf. L es Luttes de cla sses en France, L e 18 Brumairede Louis Bonaparte ). Ces exemples montrent que la thorie de lEtat renvoie aux problmes du dveloppement ingal du
mode de production capitaliste et de la singula ritdes formationssociales nationales dans le cadre mme dun mode de production qui a tendanciellement pour espace dexpansion le march
mondial ( noter que le plan de Marx plaait paradoxale
ment lEtat, comme forme de concentration de la socit bourgeoise , avant ltude des rapports internationaux de
production, du march mondial et des crises).b) Ensuite, la thorie est implique dans l analyse des formes
de la lutte de classes proltarienne et dans la critique des ido
logies du socialisme utopique, du trade-unionisme, de lanar-
chisme, du socialisme rformiste dEtat (cf. Lassalle). Deux
points importants peuvent dj tre mentionns ici :
la dmonstration par Marx que la lutte de classes pure
ment conomique (syndicale), consquence ncessaire de
la rvolution industrielle, peu t contrecarrer la tendance labaisse des salaires, mais non aboutir la transformation rvolutionnaire des rapports de production (cf. Salaire, prix et
profit , 1865) ; do la tendance du proltariat, en tant queclasse rvolutionnaire, la conqute du pouvoir politique,laquelle suppose son tour des formes dorganisation spci
fiques qui se distinguent tendanciellement des formes syndicales ;
la dmonstration par Marx et surtout Engels q u e ia lutte
de classes poli tique suppose elle-mme une lutte de classesth oriq ue, destine constituer et propager dans le proltariat
une conception du monde scientifique et rvolutionnaire ( socialisme scientifique ). En effet, la domination de classe
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nest pas seulement domination conomique du capital sur la force de travail quelle exploite et sur sa reproduction, ni main
tien de lordre existant par lintermdiaire dun appareil coercitif,
mais aussi dom in ation id olo giq ue sexerant sur le proltariat
lui-mme, malgr lantagonisme de leurs intrts : Lidologie
dominante dans la socit est lidologie de la classe dominante
(L Idolo gie allem ande, M anifeste com m uniste ). Contre cette
domination indissociable de lexistence de lEtat ( LEtat est
la premire puissance idologique , Engels, L udw ig Feuerb ach
et la fin de la philosophie classique allemande, 1888), doit tremise en uvre une forme spcifique de la lutte de classes
(cf. Socialisme utopique et socialisme scientifique ; prface la2 dition de L a Guerre des Paysans, 1874 ; Critique des program m es d e G oth a et d Erfu rt) . La forme fondamentale que
prend cette domination idologique lpoque bourgeoise est
en effet la pntration universelle de lidologie juridique.
On peut avancer que lanalyse concrte du rapport histo
rique entre les trois formes de la lutte de classes tendancielle-
ment distingues par Marx et Engels dpend prcisment dunethorie matrialiste de lEtat ( constituer).
c) Enfin, une telle thorie est implique dans les thses
concernant le passage du capitalisme au communisme. On adj relev les difficults de principe qui surgissent ici. En deux occasions importantes au moins, qui ont dtermin lessentiel
des discussions nr existes ultrieures, Marx et Engels n ont pas
hsit (ou se sont vus contraints ?) poser des formulations
thoriques sur le rle de lEtat dans la phase de transition. Cesformulations sont presque exactem ent contemporaines, puisquon
les trouve dans la Crit ique du programme de Gotha (1874) etdans le chapitre 2 de la IIIe partie du YAnti-D hring (1878),
mais elles sont loin de ne comporter aucune contradiction entre
elles.
Dans la Crit ique du programme de Gotha, texte tout entierdirig contre ltatisme lassallien ( abandonner tout ce bavar
dage sur lEtat, surtout aprs la Commune, qui ntait plus un
Etat au sens propre >), Marx distingue deux phases de la
socit communiste. La premire phase, intrinsquement contra
dictoire, reprsente une socit communiste, non pas telle
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quelle sest dveloppe sur les bases qui lui sont propres, mais
au contraire telle quelle vient de sortir de la socit capitaliste et, par consquent, sous tous les rapports en porte
encore les stigmates . Cest sur la base de cette contradiction que Marx pose, dune part, la ncessit de la dic ta tu re du prol
ta riat comme moyen politique de la transformation rvolutionnaire de la socit et prvoit, dautre part, la survivance du
droit bourgeois (formellement galitaire) comme rgulateurde la rmunration du travail aussi longtemps que nauront pas
t transformes les forces productives et la division du travail.
Dans l'Anti-Dtihring, Engels fait de la prise de possession des moyens de production par lEtat la forme premire de leur socialisation ; manifestement, cest parce quil dfinit simul
tanment la contradiction fondamentale du mode de production
capitaliste comme contradiction entre l 'organisation de laproduction dans les entreprises (dans le procs de travail) et
lanarchie de la circulation entre elles (cest--dire de la division sociale du travail, du march de libre concurrence et de ses
crises). Mais cette forme tatique est intrinsquement contra
dictoire, parce que lEtat nest pas la socit elle-mme mais
une organisation de classe : lEtat des capitalistes, le capitaliste collectif en ide . L e Capital avait montr, propos dela lgislation de fabrique , que lEtat peut agir indpendam
ment des capitalistes individuels et mme contr e leurs intrtsimmdiats, mais toujours dans le sens des intrts gnraux
de leur classe, cest--dire de la reproduction des conditions
gnrales de lexploitation (cf. L e Capital, livre I, chap. 15 :
Machinism e et grande ind usti ). D o une dialectique de la ngation d e la ngation (au sens hglien) : L e premier actedans lequel lEtat apparat rellement comme reprsentant de
toute la socit [...] est en mme temps son dernier acte en tant quEtat. [...] Le gouvernement des personnes fait place
ladministration des choses. Il ny a donc pas, comme le veulent
les anarchistes, aboli tion volontaire de lEtat, mais dpris sem ent(Absterben) par la contradiction interne de sa fonction, danslaquelle se concentre h processus de transition (la socit
devie nt comme telle Etat, et lEtat devient lui-mme non-Etat : administration des choses ). Alors que, dans la Critique du
progra m m e de Goth a, on peut comprendre que certains aspects
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de lEtat survivent jusquau communisme, non titre de forme
gnrale des rapports sociaux, mais titre dinstitutions parti
culires requises par le dveloppement ingal de la socit
communiste. Cette diffrence entre les deux textes, quon pour
rait pousser jusqu la contradiction, montre que la thse
constante identifiant le communisme la fin de lEtat contient
une aporie intrinsque. Mais il est clair aussi que cette diffrenceet cette aporie sont, pour Marx et Engels, strictement invisib le s 4.
O n voit maintenant ce quil en est sans doute de la thorie marxiste de lEtat ; cest une conception idologique, au sensmme que le matrialisme historique a tendanciellement confr
ce concept : reprsentation universelle (en loccurrence, reprsentation du rle historique du proltariat comme fossoyeur de tous les antagonismes de classes) investie dans lorganisation
de luttes pratiques. Cette conception idologique joue un rle
rvolutionnaire dans la lutte contre les idologies politiques
bourgeoises (libralisme, nationalisme, etc.), mais elle est elle-mme traverse de profondes contradictions induites par cettelutte : elle nest pas extrieure au champ de l idologie dominante
dont elle reconn at elle-m m e l existen ce ; elle ralise bien
plutt la combinaison instable de points de vue de classe oppos s, dont les effets dpendent d e la conjoncture historique (ce qui
explique pour une part le paradoxe , auquel nous sommes aujourdhui confronts chaque jour, des utilisations co ntre-
r volu tion naires du marxisme). Tout cela, nous allons y revenir,retentit directement sur la conception marxiste du parti et surles analyses de ses fonctions politiques.
Pour tudier ces contradictions, il faut dabord examiner de
plus prs les usages du concept dEtat et ses transformationstendancielles dans luvre de Marx et dEngels ; il faut ensuite
essayer de dfinir la fonction que ce concept remplit dans
4. Sans doute ne ltaient-ellcs pas tout fait pour le Par teivor stan d(le groupe dirigeant) de la social-dmocratie allemande, puisquil a censur lun de ces textes (la Critique du programme de Gotha) et faitde lautre son brviaire (cest en lisant X'A nti-Diihring que Kautsky estdevenu marxiste, len croire).
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larticulation de la thorie marxiste et de la pratique du mouvement ouvrier ( la fois moyen de leur fusion et symptme
de leur inadquation relative).
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2. Les deux ruptures
Il semble bien quon puisse identifier chez Marx et Engels unemutation dans le concept dEtat quils utilisent. Au cours dun
procs rest inachev, ils sont partis dun concept de lEtat et
de sa fonction historique qui rsultait dune critique interne de la politique et de la philosophie politique du temps (notamment
de Hegel), opposant E ta t et soci t (plus prcisment, Etat politique et socit civile ). Ils ont inscrit ce concept dans
des problmatiques successives. Ils en ont fait, du mme coup,
une pice essentielle de la problmatique gnrale ( matria
lisme historique ) dans la quelle sest effectu le travail de
critique de lconomie politique qui a abouti finalement lathorie du mode de production capitaliste. Ds lors, llaboration
de cette thorie centre sur lanalyse de lexploitation de la force de travail, lextraction de survaleur et laccumulation de capital lchelle sociale leur est apparue comm e la confir
mation de la problmatique gnrale du rapport Etat-socit sous
la forme matrialiste quelle avait acquise au terme de la critique initiale.
Cependant, bien que Marx et Engels naient jamais cess
de se rfrer ce concept initial et de penser leurs dcouvertes
dans la problmatique qui le commande, ils en ont en fait ten-
danciellement introduit (ou rintroduit) un second, qui estcelui de lEtat comme appareilou comme machin e coercit iv e.
Ce concept se rfre lui aussi la lutte de classes dans la socit, mais selon une m odalit diffrente : non pas en tant quexpres
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sion de la lutte de classes, ou de la division de la socit en classes (une expression qui peut tre dforme, mystifie et
mystificatrice, et dont il faut alors rtablir le sens), mais en
tant qu'instrument dans la lutte de classes, au service de la classe dominante, au sens technique du terme. La difficult
vient ici de ce que non seulement Marx et Engels nont employ
ce second concept qu de faon descriptive et intermittente dans
des analyses qui tendent plutt au diagnostic politique qu la
thorie gnrale, mais de ce quils nont jamais pu identifierco m m e te lle la diffrence essentielle qui sparait de telles analyses concrtes de leur problmatique gnrale et mme
ly opposait. Bien au contraire, ils ont constamment cherch
lannuler et rattacher leurs analyses de lappareil dEtat au
concept de lopposition socit civile/Etat politique , ce qui ne pouvait rester sans effets sur le contenu de ces analyses et les conclusions politiques quils en tiraient.
Il est pourtant impossible de nier cette transformation et cette
divergence tendancielles, car elles permettent seules de com
prendre les ruptures manifestes qui sont observables dans les
positions successives de Marx et Engels sur lEtat et la poli
tique, et qui ont t reconnues de longue date par de trsnombreux marxistes alors mme quils en tirent des conclusions
opposes. Rappelons o elles se situent de faon trs schma
tique.
A. Une premire rupture concide avec la constitution du
matrialisme historique dans les annes 1845-1847.
Dans sa Critique de la philosophie de lEtat d e Heg el (manus
crit de 1843, non publi par Marx) et dans les textes contem
porains des Annale s franco-a llem andes (dont L a Quest io n ju ive), Marx reprend son compte les concepts de socit civile et d Etat politique labors par la tradition philosophique
de Locke Rousseau, Adam Smith et Hegel. Il explique que
la dmocratie nest quen apparence une forme institutionnelle ou une forme dEtat particulire parmi dautres ; en ralit, elle
est la vrit de toutes les formes dEtat, qui sont en soi dmocratiques, mais dont la forme extrieure peut contredire cette
esse nce : La dmocra tie est lnigme rsolue de toute s les
constitutions. Il en est ainsi parce que la dmocratie part
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de lhomme et fait de lEtat lhomme objectiv . Plus prcis
ment parce que notamm ent en instituant le suffrage universel
sans lim ita tions, c est--dire en faisant de chaque hom me lereprsentant de lautre la dm ocratie vritable (distincteen cela du simple libralisme constitutionnel) runifie la sphre
politique abstraite avec la vie concrte du peuple toutentier et fait prvaloir celle-ci en mettant fin aux oppositions
dintrts qui divisent la socit civile contre elle-mme et les individus entre eux. Ds lors, il ny a plus de plac pour un
droit des citoyens qui soit diffrent des droits de
1-homme ; ces derniers peuvent enfin exprimer une commu
naut et une universalit relles, au lieu de servir de masques l intrt go ste des propritaires privs, comm e c est le cas
dans la socit bourgeoise actuelle.Mais tout change avec le M anifeste communiste : lhistoire de
toute socit devient lhistoire des luttes de classes , et non celle de lalination de lessence communautaire de lhomme,
et la dmocratie ou plutt la rpublique dmocratique, car
il nest plus question de dmocratie en soi, qui ne saurait
tre quune reprsentation idologiqu e est dfinie com me laforme de la suprmatie conomique et politique de la classe bourgeoise . Elle correspond en ce sens au plein dveloppement
des rapports de libre concurrence, du travail salari et de la
nation moderne centralise occupant une place en face desautres sur le march mondial. Davantage : le d ro it lui-mme,comme forme gnrale de rglementation des rapports sociaux
qui se cristallise au niveau de lEtat (et quest-ce que la dmo
cratie sinon prcis ment lEtat juridique, 1 Et at de droit ,
cest--dire lEtat dont le fonctionnement peut napparatre que
com m e la ralisation de la libert et de lgalit juridiques ?),
est identifi la volont de la classe bourgeoise rige en loi,volont dont le contenu est dtermin par les conditions mat
rielles dexistence de cette classe . Pour autant, cette rduction brutale ne signifie nullement que la dmocratie se voit prive
de toute valeur historique. Au contraire, elle rsume dans son volution un parcours ou un processu squi entranera finalement,selon Marx, linversion du rapport de classes et de domination.
Elle merge comme la forme qui permet la bourgeoisie de concentrer entre ses mains tout le mouvement historique ,
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cest--dire concrtement de mettre en branle le proltariatpour atteindre ses fins politiques elle , de lutiliser contre la
fodalit et laristocratie. Elle devient ensuite inluctablementlinstrument dont le proltariat, constitu en classe autonome par
la rvolution industrielle et par la lutte qui loppose au capital, peut se servir afin daccomplir sa propre rvolution: Celle-ci
commence par la conqute de la dmocratie . Mais il nesagit l que dun m oyen transitoire, premire tape destine
permettre la violation despotique du droit de proprit et du rgime bourgeois de production , avant de disparatre unefois la transformation sociale accomplie.
A coup sr, entre les deux positions que nous venons dvo
quer, la diffrence nest pas mince. Elle est avant tout politique et se rsume dans le passage dune position humaniste, dmo
cratique radicale, universaliste, une position communiste, qui
est pour la premire fois une position de classe proltarienne
explicite et consquente. Engels marquera nettement la diff
rence lorsquil rditera en 1892 la Situation de la classe labo
rieuse en Angle terre, en montrant pourquoi dans la pratique de
la lutte des classes il est absolument inutile et parfois pire de se rfrer une thorie dont le but final est de librer lensemble de la socit, y compris les capitalistes eux-mmes,
des conditions sociales actuelles qui ltouffent .
La diffrence est aussi th oriq ue, mais ici les choses sont pluscomplexes. Le M anifeste com m unis te introduit bien ce quon
peut appeler une conception instrumentale de lEtat, et mme il la pousse lextrme dans des thses telles que : La bourgeoisie, depuis ltablissement de la grande industrie et du
march mondial, sest finalement empare de la souverainet politique exclusive dans lEtat reprsentatif moderne. Le gou
vernement moderne nest quun comit qui gre les affaires
communes de la classe bourgeoise tout entire5. Qui plus
5. Cf. dj L Idologie al lemande : Cest cette proprit privemoderne que correspond lEtat moderne dont les propritaires privsont fait peu peu lacquisition. [...] Du fait que la proprit prive sest mancipe de la communaut, lEtat a acquis une existence particulire ct de la socit civile et en dehors delle ; mais cet Etatnest pas autre chose que la forme dorganisation que les bourgeois se donnent par ncessit pour garantir rciproquement leur proprit et
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est, cette conception instrumentale est directement investie dans le schma du processus rvolutionnaire esquiss par le
M anifeste com m unis te : il sagit d utiliser lEtat, les moyens delEtat, com m e un levier pour atteindre un but qu i en lui-mme
n'est ni tatique ni mme politique , savoir labolition de la proprit bourgeoise , la destruction des conditions de
lantagonisme de classes et des classes elles-mmes, la formation dune socit de travailleurs librement et immdiatement asso
cis.
Cependant, si loigne que paraisse dabord cette thmatiquede luniversalisme dmocratique de 1843 (et lon na pas manqu
depuis de les opposer entre elles), elle lest beaucoup moinsquon pourrait limaginer. En premier lieu, parce que, dans les
deux cas, le rsultat auquel tend largumentation de Marx est le mm e : c es t la fin de l Eta t politique , la fin du ddou
blement de la socit en sphre des intrts matriels et sphre
publique idale, faussement universelle, et la fin de la division interne de la socit civile. Seul est renvers (renverse
ment matrialiste ) lordre des causes et des effets. Et cest prcisment en raison de ce renversement que Marx doit
alors accentuer le caractre dinstrument de 1 Etat politique
entre les mains de la classe dominante qui semble lutiliser
sa volont . Car il sagit finalement pour lui de comprendre pourquoi, bien que lEtat soit entirement du ct des effetset non des causes, une rvolution politique (constitution de la
classe ouvrire en parti politique, prise de pouvoir, conqute de la dmocratie ) reste la condit ion prala ble , in contourn able ,
de lm ancip ation sociale qui est le vritable but tandisque, dans la problmatique humaniste-dmocratique, cettemancipation allait de soi comme consquence de la fin desabstractions politiques de lEtat actuel.
Mais cela renvoie finalement un deuxime aspect, plus
profond, de largument de Marx : la dsignation de lEtat
leurs intrts, tant lintrieur qu lextrieur. Et encore Les Luttesde clas ses en Fra nce : La monarchie de Juillet ntait quune socit par actions fonde pour lexploitation de la richesse nationale franaise,dont les dividendes taient partags entre les ministres, les Chambres,24 0 000 lecteurs et leur squelle. Louis-Philippe tait le directeur dec a .z socit...
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comme instrument dune volont de classt
rompre avec la problmatique initiale, en esttation c ontinue ; elle co ntinue d exploiter le s(tion (hrit de la philosophie bourgeoise classique) et sa logique
trs particulire. L Etat politique , cest lalination de lasoci t r elle, son produit et son image retourns contre elle et lopprimant en raison de sa division interne (en classes ).
Cest donc, sous une forme ou sous une autre, lorganisation
dune classe aux intrts privs qui se fait valoir abusive
ment comme reprsentation des intrts communs ,
publics , universels. Telle est aussi, plus que jamais, la
fonction du comit grant les affaires communes de la classe bourgeoise tout entire . Son aspect d 'instrument passifreprsente alors la quintessence de lalination ; non seulement
il ne sagit plus de la volont du peuple rel, mais il ne sagit
plus dune volont autonome du tout : celle-ci est tout entire accapare par la classe des bourgeois. La propritprive (mtaphorique?) des capitalistes sur lEtat nest que
lexpression ultime dune volution de la socit civile comman
de par la gnralisation de la p roprit priv e des conditionsdexisten ce de lhom me (ses mo yens de production et dchange).
Si la rupture de 1845-1847 est donc bien la marque dune instabilit essentielle de la problmatique initiale au regard de
la pratique politique, ainsi que de sa contradiction profondeavec la position de classe progressivement adopte par Marx
et Engels et investie dans leurs analyses historiques et leur pra
tique rvolutionnaire, il nempche que cette problmatique fait
montre dune rsistance extraordinaire, et peut ainsi au prix
de remaniem ents et de renversements successifs accueillirdeux positions politiques de classe tout fait opposes. Il faudradonc sinterroger sur les raisons, tant internes que conjonctu
relles, de la rsistance et de la capacit dadaptation dune telle
problmatique de lEtat par-del une rupture politique et thorique aussi nette.
B. Mais une seconde rupture est non moins immdiatementreprable. Cest celle quenregistre la fameuse rectification
du M anifeste opre par Marx et Engels partir des leons de la Commune de Paris de 1871, rectification contenue en
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acte dans les analyses de L a Guerre civ ile en Fra nce et dsigne comme telle par Marx et Engels dans la prface la r
dition du M anifes te com m unis te
de 1872, puis prolonge et
applique dans la double polmique avec les anarchistes et la social-dmocratie allemande des annes 1870-1880.
Deux thoriciens au moins, dans la priode suivante, ont fait
de la reconnaissance de cette rectification la pierre de touche
dune intelligence correcte de la thorie politique marxiste, contre lorthodoxie de la IIe Internationale (Kautsky, mais aussi
R. Luxemburg) : ce sont Bernstein, puis Lnine. U n mme adversaire, quon peut caractriser thoriquement par sa concep
tion volutionniste (Kautsky), voire catastrophiste (R. Luxem
burg) de lhistoire. Mais deux critiques opposes : lune, celle
de Bernstein, exemple classique du rformisme, qui introduit le terme de rvisionnisme , qui entend purger le marxisme,avec la dialectique, de ses aspects utopiques et terroris
tes , rhabiliter Proudhon, et se dclare ouvertement contre
un socialisme proltarien, pour un socialisme qui serait la
gnralisation tous les hommes de la condition civile-bour-
geoise (Verbrgerlichung). Lautre, celle de Lnine, qui
dnonce chez les marxistes officiels une double opration
de refoulement de la vraie position de Marx, sous couvert de rfutation de lanarchisme : un refoulement de la rvolutionviolente, qui doit dtruire la machine dEtat bourgeoise ,
et un refoulement de la thse sur lextinction de lEtat prolta
rien, qui ne doit plus tre quun dem i-Etat 6. D o, tendan- ciellement, lidentification pure et simple du socialisme et de la
dictature du proltariat chez Lnine. Or ces deux critiques, quisont lies aux deux grandes cr ises de la IIe Internationale, se
rclament des mmes textes de Marx ceux de la seconde
rupture ou de la rectification , que nous venons de
citer et en exigent lune et lautre la recon naissance. Cest
dire que si cette rupture est indniable sa signification est loin
dtre parfaitement claire.
6. Autrem ent dit, contre le ch oix opr par lorthodoxie entre laCritique du programme de Gotha et YAnti-Diihring, Lnine tente la
co mbina ison des deux et aboutit ainsi une thse nouvelle. Cf. mon tude Sur la dictature du proltariat, Maspero, Paris, 1976.
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Cest que la rectification de Marx porte uniquement, premire vue, sur la question du processus rvolutionnaire, de la forme et du rle quy revt lEtat une fois acquise la victoire
polit ique du proltariat, cest--dire sur 1 Etat de lavenir .Si cependant la remise en cause, et en chantier, du concept
dEtat est invitable, c est que depuis longtem ps dj, et comme
le notera justement Lnine contre Bemstein dans son commen
taire des textes de L a Guerre civile en France qui reprennent
le concept de la machine dEtat (Staatsmaschinerie) et tentent de larracher la simple ide dune victoire du pouvoir excutif sur le pouvoir lgislatif (dveloppe avec insistancedans L e 18 Brumaire de Louis Bonaparte ), Marx a rompu avec
lutopisme qui tendrait construire idalement des modles dinstitutions pour les prsenter comme solution mettre
en uvre la place de lEtat actuel. Le communisme, selon la
formule de L Idologie alle m ande dont il ne scartera jamais, nest pour nous ni un tat (Zustand) qui doit tre cr ni un idal sur lequel la ralit devra se rgler. Nous appelons communisme le mouvement rel qui abolit (aufhebt) ltat actuel.Les conditions de ce mouvement rsultent des prmisses actuel
lement existantes . Ds lors que se concrtise, avec la Com
mune, la tendance la transformation rvolutionnaire de lEtat (et cette destruction de la machine dEtat est une transfor
mation relle, pas une abolition au sens anarchiste), il faut
bien en reprer les prmisses actuellement existantes , cest--
dire reprer dans lEtat bourgeois, dans sa structure et dansses fonctions, ce qui est ob je t de transformation, ce qui ne peu t
pas subsister comme tel au cours de la lutte des classes.On assiste alors, propos de la machine dEtat , une
tentative danalyse qui nest quesquisse, mais qui rompt ten-
danciellement avec les conceptions antrieures sur un double point.
D une part, elle sloigne de plus en plus de la conception
expressive de lEtat, cest--dire du couple socit civile/Etat politique dans lequel lEtat nest que lexpression (aline) de
la soc it civile, ou le langage dans lequel sexpriment ses
cpntradictions. Elle tend reconnatre la ralit et lefficacehistorique propres de linstance tatique, dont il sagit de rendre
compte en dcrivant sa division du travail (lEtat est un
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corps spcialis ). A quel po int cette m utation thoriqueest difficile, il suffit pour sen rendre compte de noter la juxta
position permanente dans les textes de Marx et dEngels de deux srie s de form ula tions qui se concurrencent et jurent violemment entre elles :
dun ct, la dfinition de lappareil dEtat com m e corps
parasite , excroissance monstrueuse greffe sur la socit, cancer qui la ronge et qui dtourne son profit non seulement
ses ressources (impQt, dette publique) mais ses capacits dor
ganisation 0a cen lalisation administrative, le bureaucratisme) ;
de lautre ct, la tentative pour identifier au sein d e lEtat
];' contradiction entre des fonctions gnrales , lgitimes , peu nombreuses mais importantes , et des organes pure
ment rpressifs (cf. L a Guerre civile en France).Il agit l videmment dclairer la question qui sera pose
par la Crit ique du programme de Gotha : Quelle transforma
tion subira lEtat dans une socit communiste? Autrementdit : que lles fonctions so ciales s y m aintiendront analogues aux
fonctions actuelles de lEtat? Seule la science peut rpondre cette question, et ce nest pas en accouplant de mille manires
le mot peuple avec le mot Etat quon fera avancer le problme
dun saut de puce... . Ici, ce qui se cherche, c est pour
employer la terminologie du Capital, labor prcisment danslintervalle des analyses de 1847-1852 et des nouvelles rflexions
de 1871-1874, mais tonnamment absent de la lettre de celles-ci la position du problme de lEtat par rapport lareproduction des conditions de lexploitation capitaliste, au
double sens o cette reproduction est la fois reproduction de
conditions matrielles de la production et reproduction dun
rapport social entre classes (capitalistes et proltaires) qui est aussi un rapport de forces. Or, dans cette reproduction, si lEtatintervient, ce ne peut tre qu la condition dtre lui-mme une
force.
En mme temps, on voit pourquoi le couple socit civile/
Etat politique devient inoprant : cest quil implique dans le
rapport de ses deux termes une situation de to ut ou rien.V Etat politique dont il nous parle nest pas autre chose
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que la socit elle-mme, pour autant quelle est aline ; cepen
dant, il lui est totalement extrieur. Or, la question qui se pose
maintenant provient justement de ce que lEtat bourgeois (ou capitaliste) nest ni purement intrieur ni purement ext
rieur au processus de dveloppement de la production capita
liste, qui soumet progressivement toute la vie sociale sesncessits. Ce que Marx et Engels tentent de penser dans une
srie de textes o nous les voyons aux prises non seulement avec
lidologie officielle du libralisme mais avec leur proprematrialisme historique, cest la liaison entre le dveloppement des fonctions tatiques et un stade nouveau de lexpansion
du capital, caractris par la concentration de la production,
lautonomisation du capital financier et des formes nouvelles deconcurren ce in tern ation ale7. ;
Le p roblm e est don c celu i-ci : lEtat vit et prolifre en conso m m ant du su rtravail, quil pompe * selon des modalits spcifiques (impt, organisation de la spculation financire) ;
mais que devie nt ce surtravail (cristallis en argent) ? Est-il consomm en pure perte ( parasitisme pur) ? Est-il r in tro
d u it dans le procs densemble de la production, de faon enonpnter le dveloppement capitaliste, au prix dune accentua
tion de ses contradictions ? Pour le dire en d es termes qui ne
pouvaient tre tout fait ceux de Marx : comment penser le caractre str uctu re l de lintervention tatique sans lui confrer
pour autant, de faon apologtique, un caractre fo nctionnel?Ou encore, cette fois selon une alternative trs insistante dans
7. Tm oin, parmi dautres, ce passage dune lettre de Marx Danielson du 10 avril 1879 : Lapparition du systme des chemins de fer dans les principaux Etats capitalistes a permis et mme impos desEtats o le capitalisme tait limit quelques points de la socit de crer et dagrandir brusquement leur supers tructure (berbau) capitalistedans une mesure absolument disproportionne la masse du corpssocial qui poursuit la production pour lessentiel selon des modes traditionnels. Il ny a donc pas le moindre doute que, dans ces Etats,la cration des chemins de fer a acclr la dsintgration sociale etpolitique, tout comme, dans les Etats avancs, elle a ht le dvelopi- pement final de la production capitaliste et, par suite, sa transformation ultime. Dans tous les Etats lexception de lAngleterre, les gouvernements ont enrichi et patronn les compagnies de chemins de fer aux dpens du trsor public...
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le discours de Marx et Engels (cf. L a Guerre civ ile en France : Cette unit des grandes nations, bien quengendre lorigine
par la violence, est maintenant devenue un puissant facteur de
la production sociale ), comment analyser les effets histori
quement progre ssi fs dune mcanique sociale essentiellement rpressive ? On volt que ce qui est en cause, terme cest la vieille problmatique socialiste (Saint-Simon) et, par-del,conomiste des fo nctions so cia le s productives e t im productives,
par consquent la faon dont s est trouv dfini, au mom ent de
la constitution du matrialisme historique, le mouvement des
forces productives de la socit.
Nous disions que la conception de Marx rompt tendanciel-
lement avec la conception expressive de lEtat. En voici un second indice : partir de L a Guerr e civ ile en Fra nce, laccent est mis plus que jamais sur le caractre coercit if de lEtat moyen dasservir le travail au capital , vieille machine
doppression , rien dautre quune machine pour loppression dune classe par une autre, et cela tout autant dans la rpublique dmocratique que dans la monarchie , etc. Mais, de faon
significative, cette insistance, destine lutter contre la vn
ration superstitieuse de lEtat rpandue dans la classe ouvrire
et dans les partis ouvriers eux-mmes, et qui semble tout droit
venue des thses du M anifeste com m unis te que nous avons cites
plus haut, ne conduit pas du tout en confirmer Iinstrumenta- lisme extrme. Car elle se complique dun effet en retour >
qui, cet gard, change tout. LEtat est un instrument (dop
pression, de domination de classe), avec ses organes et ses
techniques , mais il nest pas le simple vhicule dune volont de classe. Corrlativement, la classe dominante, dans son rapport lEtat, peut de moins en moins tre pensecomme un sujet . LEtat est plutt, dans sa structure, analyser comme Etat de classe , Etat correspondant lexistence
dantagonismes de classes et destin les reproduire . Ce
qui veut dire que le perfe ctionnem ent de la machin e d E ta t ,dont Marx cherche retracer les tapes travers la succession
des rvolutions politiques qui vont de la monarchie absolue lEmp ire bonapartiste de Lo uis-N apolo n et la III0 Rp u
blique (noter le privilge du modle franais, rig en dvelop
pement typique), nest aucunement rductible la fabrication
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dlibre par la bourgeoisie dun outil pour les besoins de sa cause.
On peut avancer lide que, sous le vocabulaire de lautono-
m isation de l Etat qui appartient intgralement la probl
matique de lalination , Marx cherche plutt se reprsen
ter le rle jou par lEtat dans la constitution de la bourgeoisie en classe, par la solution (le plus souvent rien moins que pacifique) quil apporte aux oppositions dintrts entre diffren
tes fractions, disons mieux, entre diffrents types de bourgeoisie qui sont issus de fonctions diffrentes dans lexploitation
capitaliste et de moments diffrents de son dveloppement. En
sorte que si la constitution de la bourgeoisie en classe (relative
ment) unifie ne saurait tre pense comme venant d e lEtat,il faut pourtant admettre quelle ne seffectue que dans la form e d e lE ta t (cf. aussi nouveau le chapitre du Capital surla lgislation de fabrique , prsente comme premire
raction organise de la socit au gaspillage et la destruction de ses forces productives humaines, mais aussi comme int
rt bien compris du capital... face aux capitalistes individuels).
Alors sclairent mieux les raisons pour lesquelles il apparat
si essentiel Marx et Engels que la Commune de Paris se soit
employe la fois liminer la vieille machine doppression et prendre des assurances contre ses propres mandataireset fonctionnaires... pour viter cette transformation, invitable
dans tous les rgimes antrieurs, de lEtat et des organes de lEtat, lorigine serviteurs de la socit, en matres de celle-ci ,
comme laffirme Engels dans son introduction de 1891 La Guerre civile en France. La machine a sa logique propre, elleest un instrument certes, mais plutt au sens de lautomate qucelui de loutil. Une tdje machine ne peut tre utilise telle
quelle par la classe ouvrire afin de la faire fonctionner
pour son propre compte . Cette conclusion de Marx, on le sait,
est le point de dpart des interprtations opposes de Bernstein
et de Lnine. Et on comprend pourquoi : cest que, dans le
moment mme o elle assigne comme tche pratique au proltariat la destruction (Zerbrechen ) sans concession de lEtatbourgeois, elle rend dfinitivement caduc dans la thorie leschma philosophique abstrait du tout ou rien (Etat ou socit) pour lui substituer le problme dune transform ation.
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Ou pour le dire dune autre faon : tout en maintenant, en accord
avec le M anif este com m uniste , que la rvolution est conqute du pouvoir dEtat donc que le pouvoir dEtat est objet de
conqute , elle pose d sormais que ce pouvoir est fo nction, dans ses effets, sa porte historique, de la structure delappareil ( machine ) dEtat. Cest donc cette structure qui,
terme, est dcisive.
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3- Du parti-conscience au parti-organisation
Nous pouvons maintenant nous tourner nouveau vers la
question du parti rvolutionnaire.
Si le premier concept de lEtat lidentifie la sphre politi
que , reprsentation aline et inverse des conflits dintrtsde la socit civile (lessentiel de lEtat bourgeois tant
leffet dinversion qui constitue en une communaut illusoire de citoyens formellement gaux des hommes rels qui sont,
eux, partags en riches et pauvres, propritaires et non-propri-taires, bourgeois et proltaires), on comprendra pourquoi touteune partie des analyses marxistes du parti est domine par
la question de la conscience de classe. Elles aboutissent ce
quon peut appeler schmatiquement la thse du parti-cons
cience . Par contraste, le deuxime concept de lEtat identifie
celui-ci avant tout lexistence matrielle dune machine
ou dun appareil , dont les organes issus dune division
du travail spcifique assurent une fonction bien relle (et non
pas illusoire ) dans la lutte des classes. Ce qui entrane ten-
danciellement un dplacement correspondant propos du parti :ce quon peut appeler schmatiquement la thse du parti-
organisation , domine par la question de la direction tactique et stratgique de la lutte rvolutionnaire. Essayons de mesurer, nouveau, ce dplacement.
Si lEtat bourgeois es t avant tout une reprsentation mystifie
de la socit, destine en masquer lantagonisme interne (et
ralise dans les formes du droit public ), le problme du parti
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rvolutionnaire est celui dune dm ystification qui doit soprerdans la conscience de soi de la classe rvolutionnaire. La cons
cience de classe qui se ralise dans le parti soppose lalina
tion politique , elle fait surgir en face de celle-ci la ralit nue de lexploitation et les intrts communs du proltariat, qui
sont en mme temps les intrts gnraux de la tendance, his
torique au communisme inscrite dans lantagonisme de la
socit civile. Cest donc la classe exploite elle-mme qui se transforme en parti autonome , au sein de lordre existant.Puis, travers sa propre dissolution (dans la rvolution), en ralisant sa propre suppre ss io n en tant que parti , elle aboutit
par l mme la su ppre ss ion des classes , donc la suppression
de toute distinction entre socit et Etat . En langage
philosophique : le parti est la mdiation ncessaire entre lmergence de la classe et son abolition.
Il faut bien voir les contradictions de cette problmatique,qui domine pourtant la plupart des formulations du M anifes te
communiste , et dont les variantes successives stendent de laSituation de la classe laborieuse en Angleterre (1844) L Idologie allemande (1845), puis M is re de la philosophie (1846)et au 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852).
E lle provient directement ft-ce au prix dun e critiqueinterne de la problmatique juridique bourgeoise du droit
naturel , dans laquelle les concepts de classe et de parti ? dsignen t la div is ion de la soci t contre elle-m m e (cf. Rous
seau, L e Contrat so cial, II, 2-3, et IV, 1-2). A ceci prs que,tandis que le droit naturel du mo ins dans sa version rous-
seauiste voit dans la ngation du parti (et de la diffrence
des partis) la condition qui garantit linexistence des classeset donc la possibilit de lEtat dmocratique (ou de lidentit
du peuple et de lEtat), Marx dsigne dans la constitution de la classe en parti le processus historique qui conduit la nga
tion de lEtat et seulement ainsi la ralisation de la dmocratie
effective. Mais cette diffrence nabolit pas pour autant la dia
lectique caractristique de lidologie juridique entre l'universa lit , la vrit(ou lauthenticit) et la consc ience : lintrt apparemment particulier du proltariat recouvre en fait une
universalit essentielle, puisque, soumis une exploitation radi
cale, il tend non pas une nouvelle domination mais laboli-
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tion d e toute diffrence de classe. Cest cette universalit qui, en -
profondeur, anime la constitution de la classe (proltarienne)
en parti (communiste) et garantit par consquent lauthenticit de sa conscience de soi par opp osition linauthenticit dela conscience idologique incarne dans lEtat politique, qui
prsente comme universelle la perptuation dun intrt parti
culier : la proprit bourgeoise.
On trouvera dans la Situation de la classe laborieuse en
Anglete rreet dans le M anifeste com m unis te la traduction matrialiste de cette thse : elle sy prsente sous la forme de la
description des conditions de vie matrielles du proltariat quifont de lui, dores et dj, la dissolution de la socit bour
geoise , classe universelle parce que p r ive de to ute proprit,
et en ce sens de tout intrt acquis faire valoir nayant
perdre que ses chanes , arrache par la rvolution indus
trielle capitaliste tous les liens sociaux traditionnels (famille,
patrie, religion), et donc radicalement dnue d illu sio ns surla nature des rapports sociaux actuels.
Cependant, sous cette forme, la thse du parti-conscience
est intenable pour Marx, car la limite cela voudrait dire que la politique rvolutionnaire sidentifie la prise de conscienceet ses effets ce quont bien entendu t conduits admettre
tous ceux qui ultrieurement, et notamment contre le mca
nisme de la IIe puis de la IIIe Internationale, ont cherch
dans une philosophie de la classe comme sujet historique les voies de la rectification du marxisme et du lninisme offi
ciels (tel Lukcs). Or, cette position purement et simplement
idaliste a t demble critique par Marx ; on peut mme direque cest la critique de toute possibilit d'identifier la politique
aux effets et aux figures de la conscience qui reprsente ds le dbut llment de matrialisme irrductible, moteur de rvo
lution thorique de Marx et de sa rupture progressive avec toute
lidologie bourgeoise. Cette impossibilit, Marx la lit dabord dans lcart entr lidologie des Lumires et lhistoire relle dela Rvolution franaise quelle inspire, ensuite dans lcart entre
le socialisme utopique et la lutte de la classe ouvrire. Ds 1843,
il lavait crit : la politique nest ni ducation ni propagande no us ne nous prsentons pas au monde en doctrinaires avec
un principe nouveau : vo ici la vrit, genoux devant elle ! ,
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mais elle est lutte matrielle : remplacer les armes de la criti
que par la critique des armes . (lettre Ruge). Ds lors, dans
le moment mme o Marx passe de lhumanisme rvolution
naire au communisme rvolutionnaire, il lui faut oprer un renversem ent m at rialis te lintrieur de la thse du parti- conscience : la constitution de la conscience de classe ou
encore, selon la terminologie de M is re de la ph ilosophie et du18 Brumaire de Louis Bonaparte, le passage de la classe en
soi la classe pour soi n est pas u ne op ration intel
lectuelle, cest avant tout un processus pratique. Cest la somme,
lintgration progressive de toutes les pratiques dunification et
dorganisation des travailleurs au cours de leurs luttes contre
lexploitation. Ce qui suppose sinon que ces pratiques tendent
se fond re dans un cadre institutionnel, unique, du m oins quellesconvergent spontanment. On verra quune importante difficult
surgit ici pour autant que cette convergence est internationale dans son contenu et nationale dans sa forme , cest--
dire contradictoirement opp ose lEtat et dpendan te de lui,
centre et dcentre par rapport lEtat dont le centre
est, lui, toujours national.
Le proltariat nexiste pas comme classe du seul fait queles travailleurs subissent tous des conditions dexploitation ana
logues ; au contraire, le rapport capitaliste repose lui-mme sur
la concurrence entre les travailleurs (cf. M anifeste com m unis te ,
M is re de la philosophie). Le seul effet immdiat, spontan,
du rapport de production capitaliste, puisque sa base est la
force de travail comme marchandise , cest de dtru ire en
latomisant la classe de travailleurs salaris quil produit ten- danciellement. Cest donc la lutte de classes et elle seule qui,
leur imposant progressivement de faire prvaloir leur antago
nisme commun envers le capital sur la concurrence, les constitue
en classe. Au sens fort, on peut donc dire que le parti est tendanciellement identique la classe elle-mme parce quil dfinit le devenir rvolutionnaire de la classe, qui la constitue
pratiquement en force autonom e et lui donne seul une existence
historique.Cette thse signifie en particulier que la constitution des
organisations syndicales, dont le prototype est le trade-union
britannique, ne reprsente pas un phnomne d is tin ctde la cons
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titution du parti ; pas davantage une tape destine se cristal
liser dans une organisation spciale qui trouverait sa fin en elle-mme (dans lautonomisation dune certaine forme, reven
dicative , de la lutte de classes). Toute lutte de classe est politique , dit le M anifeste com m unis te . La formation des syndicats est, comme telle, un m om ent dcisif de la constitution de la classe, donc du parti rvolutionnaire, dans lequel sopre
prcisment la reconnaissance consciente de lunit de classe.
Deux points appellent ici le commentaire.
En premier lieu, cette conception thorique serait inintelli
gible si on ne la rapportait non seulement la problmatique
philosophique dont elle tire sa logique, mais la conjoncturehistorique dans laquelle Marx et Engels dcouvrent sa vrifi
cation. On peut dire schmatiquement que la thse du M anifeste
com m unis te repose sur une synthse thorique des tendances observes, dune part, dans lhistoire du chartisme anglais et,dautre part, dans lhistoire des tentatives rvolutionnaires du
proltariat franais, dont le bla nquisme est la forme par excellence et dont la Ligue des communistes na dabord t quun
prolongement. On peut mme dire que cette synthse reflte
le rle personnel jou par Marx et surtout Engels pour mettre
en rapport, travers quelques-uns de leurs reprsentants, cesdeux mouvements qui jusque-l signoraient totalement (cf.
Engels, Contribution lhistoire de la Ligue des communistes,
1885). Le chartisme tait le premier exemple dun parti de
masse base ouvrire, combinant les objectifs conomiques
(coopratives, journe de dix heures) et politiques (suffrage uni
versel) et pratiquant laction de masse (grves, manifestations,
ptitions). Le blanquisme tait une avant-garde idologique (passage de lgalitarisme au communisme) qui sassignait pour
objectif la conqute du pouvoir dEtat par les travailleurs. Marx et Engels, dans leur conception du parti, anticip ent donc undveloppement des luttes de classes qui combinerait ces deux expriences et corrigerait lune par lautre leurs limitations. Car,
dans le chartisme, le mouvement de masse stend aux dpens
de r autonom ie proltarienne, il tend subordonner la position
de classe aux objectifs du dm ocratisme petit-bourgeois ; tan
dis que, dans le blanquisme, la puret proltarienne tend
bien dpasser ce dmocratisme, mais senferme dans lisole
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ment des sectes et de la tactique insurrectionnelle, ce que Marx et Engels expliquent par linsuffisance de sa base ouvrire.
Cest pour tudier les formes de cette combinaison que Marxet Engels dfinissent les conditions de la gense pratique de la
cons cience de classe. D une part, conditions cres par le dve
loppem ent de la rvolution industrielle capitaliste pour la conver
gence des luttes (concentration de la production, de lhabitat, ouvrier urbain, effets des crises conomiques qui menacent col
lectivem ent la subsistance d es ou vriers) ; dautre part, cond i
tions cres par lhistoire politique : cest la bourgeoisie elle- mme qui est lorigine de la constitution du proltariat enparti politique, dans la mesure o elle ne peut accomplir sa pro
pre rvolution antifodale, ou anti-aristocratique, sans mobi
liser et enrler la masse des travailleurs ses cts comme force de rupture, et la prcipiter ainsi dans une lutte na tionale o elle finira par faire valoir ses propres objectifs (cest leconcept de rvolution en permanence ).
En second lieu, si la conception du parti rvolutionnaire est directement lie celle de lEtat ( politique ), leur corres
pondance prsente une remarquable dissymtrie, quon peut
rsumer en indiquant que le rapport des deux classes leur expression politique propre est de nature totalement diffrente.
Les termes qui doivent tre compars sont dune par la classebourgeoise et lEtat, dautre part le proltariat et le parti rvolutionnaire (communiste) et non pas, remarquons-le, chaqueclasse, son parti, et dautre part, comme un terme de rf
rence comm un, lEtat ou le pouvo ir dEtat . D e m m e quil
y a un rapport historique interne entre proltariat et parti com
muniste, il y a un rapport interne entre bourgeoisie et Etat.
Mais, on la vu, dans cette premire conception le rapport entre bourgeoisie et Etat est essentiellement reprsenta tif, aux deux
sens du terme : reprsentation de la socit sous une formealine (y compris par le mcanisme parlementaire), et repr
sentation de la classe bourgeoise par lEtat qui elle dlgue
lexpression de ses intrts communs. Au contraire, le rapport du proltariat au parti est non re prsenta tif ; cest un rapportorganique du proltariat lui-mme, ou du moins sa propreconstitution tendancielle en classe rvolutionnaire et cest
dans ce sens seulement quon peut parler d avant-garde :
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le proltariat est la seule classe de la socit qui soit elle-mme sa propre avant-garde. Il est totalement exclu de consi
drer le parti comme un organisme dlgu par la classe pour
diriger sa lutte politique, voire pour la reprsenter dans lEtat.
Ce qui signifie que Marx et Engels ont demble rcus le
modle politico-sociologique qui deviendra par la suite un
lieu commun du marxisme des IIe et IIIe Internationales :le modle de correspondance bi-univoque entre une topogra
phie des classes sociales et une topographie des partis
politiques , attribuant chaque classe une reprsentation (ou expression) politique, dans la sphre de la politique, sous formede parti**! Pas davantage ils n ont admis la variante d e c e m odle
qui fait de lEtat (ou de 1 appareil dEtat ) un parti uniquede la bourgeois ie ventuellement scind en tendances secon
daires , bien que dans lanalyse des rvolutions d e 1 848 ilsaient repris leur compte lexpression partout rpandue alors
qui opposait au parti de lanarchie le parti de lordre ,
cest--dire lalliance de toutes les classes possdantes dont lEtatexprime prcisment lunit. Et cela non pas parce que Marx
et Engels sen seraient tenus une thse plus faible (la diversitempirique, arbitraire, des expressions politiques de chaque
classe), mais parce quils soutiennent une thse plus forte, fon
de sur le primat de la lutte des classes par rapport lexistence mme des classes : la diff rence de natu re entre lEtat et leparti rvolutionnaire comme formes dorganisation des classes
antagonistes. Premire form e, abstraite, sous laquelle snonce la thse fondamentale dune diffrence de nature entre la poli
tique bourgeoise et la politique proltarienne .
La thse du parti-conscience na jamais t abandonne par Marx et Engels, car elle correspond la fois une exigence
fondamentale de la position communiste (lantithse de la tendance rvolutionnaire et de lEtat) et certaines des formesidologiques dans lesquelles Marx et Engels ont d penser la
fusion de la thorie et du mouvement ouvrier (la sortie
de l ido logie dominante). A preuve ltonnante formulation
dEngels en conclusion de sa Contribution lhistoire de la
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L ig ue des com m unis te s, texte rtrospectif mais dat de 1885 : Aujourdhui, le proltariat allemand na pas besoin dorgani
sation constitue, ni publique ni secrte : la simple association,
qui va de soi, de membres de la mme classe professant les mmes ides suffit branler tout lEmpire allemand, mme sans statuts ni comit directeur, ni rsolutions, ni autres for
malits. [...] Qui plus est, le mouvement international du prol
tariat europen et amricain est devenu maintenant si puissantque non seulement sa forme premire, forme trique la
Ligue secrte , mais enco re sa forme second e, infiniment
plus large l Association internationale des travailleurs, de
caractre public , lui seraient une entrave. D e fait, le simple
sentiment de solidarit, fond sur la reconnaissance de lidentit
de la condition de classe parmi les ouvriers de tous les pays
et de toutes les langues, suffit crer et souder un seul et
mme grand parti du proltariat. Ce qui nempcha pas Marx
et Engels de prendre une part active dans la constitution et
lorientation des partis socialistes et de la II' Internationale.Si la thse du parti-conscience na jamais disparu, elle
a d pourtant, sous leffet do ses propres difficults et de 1 ex
primentation historique, se subordonner tendanciellement
la thse du parti-organisation qui la contredit sur des points
essentiels.
Le renversement matrialiste qui affecte, nous lavons vu,lide de prise de conscience rvolutionnaire place dj au
premier plan lide dorganisation. La ralit pratique de la conscience de classe, cest lorganisation de classe. Aussi long
temps, toutefois, que celle -ci ne fait quexprimer la manifesta
tion de ce que la classe est dj en soi , lidalisme reste
dominant. Ce qui reste impensable (sinon en termes de retard
et d avance de la conscien ce de classe), c est le jeu com plexedes contradictions idologiques internes dont lorganisation de
classe est le lieu et lenjeu, et qui affectent la politique suivie
par lorganisation dans des conjonctures dtermines : sa consti
tution, ses crises , sa ligne t>.LAssociation internationale des travailleurs, fonde en 1864
avec la participation de Marx qui y joua rapidement un rle
dirigeant, ralisait formellement le modle propos par le M anifeste com m unis te :
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par ses principes : L mancipation de la classe ouvrire
doit tre luvre de la classe ouvrire elle-mme , principe
fondamental de l autonomie ; lmancipation conomique dela classe ouvrire est le grand but auquel tout mouvement poli
tique doit tre subordonn comme moyen , le grand devoirde la classe ouvrire, cest de conqurir le pouvoir politique ,
principe fondamental de la poli tiq ue pro l ta rienne ; enfin, principe de Yinternationalisme de la lutte de classes ;
par sa composition : unit de toutes les formes dorgani
sation et tendances du proltariat europen, soit quelles adhrent
en bloc, soit quelles rejoignent individuellement les sections locales ;
par sa base ouvrire principale : les trade-unions britan
niques, qui fournissent linfrastructure matrielle et la presse.
Mais lhistoire effective de lA . I. T., en m me temps quelle
fait progresser la solidarit (grves, opposition aux guerres de
conqute), dveloppe des contradictions internes qui nont rien voir avec laction destructrice de la concurrence que se font les ouvriers entre eux (M anifeste co m m unis te ) et qui culminent,
au lendemain de la Commune, dans la double scission de lanar-
chisme et du trade-unionisme. LInternationale est une organi
sation dans laquelle se droule la lutte pour le communisme, elle nest pas le parti communiste .
Lidentification du parti au dveloppement de la conscience de classe laisse insolubles deux problmes majeurs.
D abord celui des effets de l histoire du capitalism e sur lor
gan isation syn dicale : que devient celle -ci lorsque les rsultatsde la solidarit ouvrire et des luttes revendicatives (limitation
de la journe de travail, de lexploitation des femmes et desenfants) sont insrs dans le mouvement mme de la rvolutionindustrielle capitaliste, provoquant notamment le passage de la
survaleur absolue la survaleur relative (selon laterminologie du Capital), cest--dire dune forme de surtravail une autre ? Autremen t dit, lorsque le rapport de production
noppose plus le capital des individus diviss, mme sembla
bles, mais une classe ou des fractions de clas se organ ises ?Lorsque cette organisation est prise en compte par la stratgie daccum ulation du capital qui sefforce de la contr ler ?
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Au tre prob lme ins olu ble : celui du rle du parti dans latransition rvolutionnaire. La premire tche du parti est de
conqurir le pouvoir politique : quel sera alors le rapport
entre classe, parti, Etat ? E st-c e le p arti qui se fa it Eta t, devenant son tour un comit charg de grer les intrts
communs du prol ta ria t, cest--dire instituant avec lui (provisoirement) un rapport reprsen tatif ? Ou b ien est-ce une
nouvelle forme de rapport antagoniste entre la fo rm e E ta t etla fo rm e parti sur une mme base de classe (proltarienne) ? Leproblme est en fait insoluble parce que, dans la problmatique
du parti-conscience , on la vu, Etat et parti nontpas d lm ent co mm un, m ais, tomb ent de part et dautre dune
coupure entre illusion (politique) et ralit (sociale).
On peut rattacher cette aporie au fait que, dans lesquisse
thorique du M anifes te co m m unis te comme dans celle de la Pr fa ce la cr itiq ue de lconom ie poli tique (1859), la rvolu
tion communiste reste inanalysable en tant que processus his
torique, ayant une d ure et des con tradictions propres ; elle
nest que le point limite du passage de la socit de classes
la socit sans classes, bien que dans le mme temps elle soit
pose comme procs poli tique, o la transformation du rapportde production (cest--dire de travail) passe par son contraireapparent, la lutte de classe dans la superstructure 8.
A ces deux types de problm es, Marx et En gels ont tent
dapporter une rponse en inflchissant leur conception du parti
dans le mme temps o ils la rattachaient un second conceptd e lEta t. De ce point de vue, on le sait, lEtat est avant tout un appareil ou une machine matrielle, permanente,dans laquelle se concentrent les moyens de domination de la
classe bourgeoise. Sil en est ainsi, la classe ouvrire ne peut
parvenir son mancipation quen opposant cette machine,
sur son propre terrain, une autre machine, un autre appareil.
8. Cest prcisment cette difficult que Lnine tente de rsoudre parl'innovation thorique laquelle nous avons fait allusion.
Jai tent de prolonger cette discussion, en rponse une intervention de L. Althusser, dans ma contribution au recueil Discu tere lo Stato, Bari, De Donato, 1978 (trad. fse paratre dans Dialect iques , n 26,sous le titre Parti, Etat, Transition ).
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4. De l organisation lidologie
La thse du parti-organisation sest exprime notam
ment dans ladjonction de larticle 7a aux statuts de lInternationale, qui a cristallis les scissions en cours (confrence de
Londres, 1871, et congrs de La Haye, 18 72) : Da ns sa lutte
contre le pouvoir collectif des classes possdantes, le proltariat
ne peut agir comme classe quen se constituant lui-mme en parti
politique distinct et oppos tous les anciens partis forms par
les classes possdantes. Cette constitution du proltariat enparti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la rvolution sociale et de son but suprme : labolition des classes.
La coalition des forces ouvrires, dj obtenue par la lutte conomique, doit aussi servir de levier aux mains de cette classe, dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs.
Les seigneurs de la terre et du capital se servant toujours de
leurs privilges politiques pour dfendre et perptuer leursmonopoles conomiques et asservir le travail, la conqute du
pouvoir politique devient le grand devoir du proltariat. >
Cette formulation, si lon fait abstraction des conditions dans
lesquelles elle est avance, semble trs proche du Manifeste com munis te . En fait, elle marque une rupture sur des points
essentiels. Les statuts originels ne parlaient que d tablirun point central de communication et de coopration entre
les socits ouvrires des diffrents pays aspirant au mme but
et dfinissaient les fonctions du Conseil gnral comme ceux
dune agence internationale entre les diverses socits qui col-
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laborent . Ce quil sagit maintenant dassurer, cest la centralisation effective, systmatique (planmassig) du
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