la perception de la peste à byzance
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7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
1/31
Revue des tudes byzantines
La perception de la peste en pays chrtien byzantin et musulmanMarie-Hlne Congourdeau, Mohammed Melhaoui
Rsum
REB 59 2001 Fiance p. 95.
Marie-Hlne Congourdeau - Mohammed Melhaoui, La perception de la peste en pays chrtien byzantin et musulman. Lepremier contact des Arabes avec la peste bubonique eut lieu lors de l'entre du calife Omar en Palestine byzantine, en 639-640.
Connue par les sources arabes sous le nom de peste d'Emmas, cette pidmie tait une rsurgence de la pandmie
autrement connue sous le nom byzantin de peste de Justinien. La peste est donc ds l'abord un malheur que les musulmans
partagent avec les Byzantins. Ces demiers ont historiquement de l'avance, puisqu'ils sont affronts au flau depuis un sicle
(ses premires manifestations remontent 540). Cependant, chacune de ces deux aires culturelles possde un certain bagage
conceptuel avec lequel elle peut aborder la peste.
Abstract
The Arabs' first contact with the bubonic plague was when the caliph Omar entered Palestine in 639-640. Known to Arabic
sources as the Emma us plague, the epidemic was a resurgence of the pandemia otherwise known under the Byzantine name
of Justinian's plague. Thus from the very beginning the plague was a calamity the Moslems shared with the Byzantines. Even
though the latter were historically in advance, since they had already been confronted to the plague for a century (its outbreak
goes back to 540), each of the two cultural areas had a group of concepts which helped it deal with the plague.
Citer ce document Cite this document :
Congourdeau Marie-Hlne, Melhaoui Mohammed. La perception de la peste en pays chrtien byzantin et musulman. In:
Revue des tudes byzantines, tome 59, 2001. pp. 95-124.
doi : 10.3406/rebyz.2001.2238
http://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_2001_num_59_1_2238
Document gnr le 23/01/2016
http://www.persee.fr/collection/rebyzhttp://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_2001_num_59_1_2238http://www.persee.fr/author/auteur_rebyz_55http://www.persee.fr/author/auteur_rebyz_368http://dx.doi.org/10.3406/rebyz.2001.2238http://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_2001_num_59_1_2238http://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_2001_num_59_1_2238http://dx.doi.org/10.3406/rebyz.2001.2238http://www.persee.fr/author/auteur_rebyz_368http://www.persee.fr/author/auteur_rebyz_55http://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_2001_num_59_1_2238http://www.persee.fr/collection/rebyzhttp://www.persee.fr/ -
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
2/31
LA PERCEPTION DE LA PESTE EN PAYS
CHRTIEN BYZANTIN ET MUSULMAN
Marie-Hlne CONGOURDEAU
Mohammed
MELHAOUI
la
mmoire de M.D. Grmek
(f 2000)
Summary
:
The Arabs' first contact
with
the bubonic plague was when the caliph Omar
entered Palestine in
639-640.
Known to Arabic
sources
as
the
Emma
us plague,
the
epidemic was a
resurgence
of
the pandemia
otherwise known under
the Byzantine name
of
Justinian's
plague. Thus
from the very beginning
the plague was a
calamity the
Moslems
shared
with the
Byzantines.
Even
though
the
latter
were historically
in
advance,
since they
had already been confronted
to
the
plague for a century (its
outbreak
goes back
to
540),
each
of
the
two cultural
areas
had
a
group of
concepts which
helped it deal
with the
plague.
Pour les Byzantins
la
peste
bubonique,
dont
la
peste de Justinien
est la
premire manifestation historique, n'est pas perue comme diffrente par
nature des
autres
pidmies qui
ont pu
frapper
le
monde
grec.
Celle-ci
est
simplement
plus universelle et plus mortifre. Les Byzantins utilisent
donc, pour penser
l'pidmie
qui les
frappe,
les mortalits antrieures,
principalement les exemples
classiques de
la peste
de
Thbes2 et
de
la
peste d'Athnes3.
Outre les historiens
et
les
potes,
les
philosophes grecs
ont amorc,
partir
de
ces pidmies, une
rflexion
sur la fatalit, la
Providence
et
le
destin,
pour
tenter
de
rendre
compte
de^
l'injustice
qui
frappe
les populations aux prises avec ces
mortalits4.
l'inverse, les
1.
Les paragraphes sur Byzance
sont
de Marie-Hlne Congourdeau, les paragraphes
sur l'Islam de Mohammed Melhaoui. La problmatique et la rdaction finale
ont
t
labores
en commun.
2. SOPHOCLE,
dipe-Roi,
v. 97. Cf. aussi la
peste qui
dcima le camp des
Achens
assigeant Troie dans
Homre,
Iliade, 1,61.
3.
Cf.
THUCYDIDE, La guerre du
Ploponnse II, 47-54.
Dcrivant la
peste qui ravagea
Constantinople
en 542, Procope emprunte largement au
rcit
de Thucydide.
4.
Cf.
PSEUDO-ARISTOTE, Problemata, I, 7
;
Ps ALEXANDRE D'APHRODISIAS, Proble-
mata, c.
88.
Revue des tudes Byzantines 59,
2001, p. 95-124.
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MARIE-HELENE CONGOURDEAU MOHAMMED MELHAOUI
Arabes,
de par le climat de
leur pays d'origine,
ont
connu
peu de
grandes
pidmies
ils
sont
donc conceptuellement plus
dsarms.
Cependant, ils
ont
l'exprience d'pizooties, notamment parmi les chameaux, ce qui
leur permet de concevoir une maladie qui se propage.
Au-del
de
ce
bagage
spcifique,
les
deux
peuples
possdent
une
source commune pour leur rflexion religieuse
:
la Bible, qui comporte
au moins une
grande peste,
celle qui
dcima
le camp
de
David aprs le
recensement (2 Sm 24, 14-15)5. Musulmans et chrtiens byzantins
entretiennent avec la Bible des rapports complexes qui
prsentent
des
analogies
malgr
des
diffrences flagrantes.
Les Byzantins, en tant
que
chrtiens, comptent les livres
du
Premier
Testament parmi
leurs
critures
canoniques
(statut
qui
n'est plus
remis
en cause
depuis
la condamnation
de
Marcion au 2e s.). Mais
en
mme
temps,
ces livres sacrs
sont
les
garants d'une
alliance
ancienne (Ancien Testament), relgue au
second
rang
par
une
nouvelle alliance
(Nouveau
Testament),
et
dont
la
valeur
est
surtout
typologique ou symbolique6.
De leur ct,
les
musulmans ont accs
aux donnes
bibliques
travers
le
Coran
qui
en reprend
de nombreux
traits,
mais expurgs car le
texte reu
par les juifs
et les
chrtiens est considr par Mahomet comme
falsifi
et donc non fiable.
C'est cependant
la
peste de David qui servira de premire rfrence.
Enfin, la conception
que les chrtiens byzantins
et
les musulmans ont
de
Dieu
(qui
pour
les
deux traditions est
le
Dieu d'Abraham,
c'est--dire
un Dieu unique,
transcendant mais personnel,
et qui
se rvle aux
hommes
travers une histoire et une Ecriture) est
suffisamment
proche
pour
que les dbats
sur
les
rapports
entre
Dieu
et
la
peste, et
donc la
perception
religieuse
de
la
peste, prsentent
de
grandes
convergences.
Ce
sont ces convergences qu'il nous
a paru
intressant
de mettre
en
perspective, tout en
tchant de
discerner les divergences ventuelles. Nous avons
(provisoirement ?) cart de
la
comptition deux autres partenaires
:
l'Occident mdival et les communauts juives, qui nous semblent
poser
d'autres
problmes7
.
D'O VIENT
LA
PESTE ?
La premire
question
qui se pose, ou
s'impose, est celle
du
pourquoi.
Le
malheur
fait
partie
de
la
condition
humaine, mais
lorsque
le
malheur collectif atteint des proportions extraordinaires, l'interrogation
5. Dj dans le
Pentateuque,
\ peste
fait
partie des maldictions qui s'attachent
ceux
qui ne
gardent
pas l'Alliance
:
cf.
Dt 28,
21
;
Lv
26,
25. ,
6.
Voir
la
gne et l'ambigut des relations des Byzantins
avec
le
Lvitique, dont les
prescriptions,
considres comme
primes,
sont
cependant
partiellement
intgres dans
le
droit
canon.
7.
En particulier, le rapport conflictuel entre les chrtiens d'Occident et les juifs, les
premiers
dsignant
les
seconds comme
responsables de la peste, selon le rflexe
du
bouc
missaire, phnomne que nous n'avons rencontr ni Byzance ni dans les pays
musulmans.
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LA
PESTE EN PAYS
CHRETIEN
BYZANTIN ET
MUSULMAN
97
devient lancinante. Or on peut ce niveau discerner deux grandes
orientations de pense
: la
premire
enjambe,
pourrait-on
dire,
les causalits
naturelles pour
recourir
directement une causalit transcendante. La
seconde,
sans
nier
cette causalit transcendante,
s'efforce de
sauvegarder
des
causalits mdianes,
dans
un
double
souci
de
rationalit
et
de
disculpation de
la divinit8.
Confusion des
plans du
profane et
du sacr
La
premire
attitude, qui ne
distingue
pas
les
plans
de
la nature et
de
la transcendance, peut prendre deux formes. Populaire, elle habille
de
vtements chrtiens ou musulmans des rflexes archaques
correspondant
la
fois
la conception
magique du
monde
dcrite par
M. D. Grmek9 et
la
peur
atavique
de
tout ce que
l'on
ne matrise pas.
Thologique,
elle
recourt un schma d'origine vtro-testamentaire
pour
expliquer
l'incomprhensible
et
donner
une
orientation
une
situation qui semble sans issue : c'est le schma pch
punition
repentir
restauration10
1.
Permanence de mentalits paennes pr-chrtienne ou pr-islamique
* Domaine byzantin
Lors de
la
peste de Justinien
comme
lors de
la
peste noire, le flau
apparat certains comme une irruption
de
l irrationnel. Pour
Procope,
qui dcrit
la
peste Constantinople en
542, la
raison humaine
est
dsarme
car
l'universalit
de
la pandmie
dfie
toute
explication
particulire.
Autant
que
sa cause, le sort
imprvisible
de chaque
malade chappe
toute rationalit11. Agathias,
dcrivant
le retour
de
la peste
Constantinople en 558, numre les
explications
donnes par les
hommes du temps
:
certains, invoquant d'anciens oracles gyptiens et les
spculations d'astrologues perses, voient dans les malheurs prsents un
cycle
particulirement funeste de
la course
du
temps ; d'autres
croient
que c'est la colre divine qui se dchane contre les pchs des
8.
Sur ces
deux grandes orientations de
pense, nous
renvoyons
M.
-H. CONGOUR-
DEAU, La socit
byzantine
face
aux grandes
pandmies,
dans Maladie
et
socit
Byzance,
a
cura
di
Evelyne
PATLAGEAN,
Spolte
1993,
p.
21-41
;
La
maladie, la
peur
et
la
raison, thique. La vie en question 10, 1993/4, p. 10-27.
9.
M. D.
GRMEK, Les
vicissitudes des notions d'infection,
de
contagion et
de
germe
dans la mdecine antique, dans Mmoires
V:
Textes mdicaux latins antiques,
Centre
Jean Palerne,
Saint-tienne
1984, p. 53-70. Cf. aussi O. TEMKIN, An historical
analysis
of
the
concept of infection, Studies in Intellectual History, Baltimore 1953.
10 . Cf. D. ULSTER,
Roman
Defeat, Christian
Response,
and the Literary Construction
of the Jew, Philadelphie 1994. Soulignons que,
pour
D. Olster, ce
schma
a
t
adopt au
7e sicle, au
moment o les
dsastres de
l'Empire
(invasion
perse
avec la prise de
Jrusalem,
puis conqute arabe) ont
conduit les
Byzantins douter de la protection
divine.
son
analyse,
nous ajouterons
que la peste
de Justinien tait encore
prsente en toile de
fond, dans le dsastre gnral.
11 . PROCOPE, De bello persico,
II,
22.
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MARIE-HLNE CONGOURDEAU
MOHAMMED
MELHAOUI
hommes12.
Neuf sicles plus tard,
les
tmoins
de
la
grande
peste
de
1466
observent les mmes rflexes chez leurs contemporains. Les gens
croient que tout advient par hasard,
qu'il
n'y a personne pour gouverner
les
vnements, dclare
Kritoboulos13, tandis
que
l'interlocuteur
de
Thodore Agallianos tmoigne : Certains
disent que
c'est le
hasard qui
dtermine que les uns meurent et les autres
non14.
Mais l'esprit grec aspire
la
rationalit
: mme
l'irrationnel doit obir
une logique. Procope proclame ainsi que le flau
vient soit
de
la
Destine
(non plus
hasard,
mais logique
inaccessible
la raison
humaine)
soit de
la Providence
(logique
divine)15. Et l'hagiographe
de
Symon Sty ite le Jeune nous montre des habitants
d'Antioche,
qualifis
d'impies,
attribuer les
pestes
au mouvement des astres16.
Le reflux
de
la raison fait resurgir des
peurs
archaques.
Alors
que
Procope
voque les hallucinations qui font voir aux
pestifrs
des
dmons sous
forme
humaine17,
Michel
le
Syrien,
pour
l'anne
543,
prsente ces apparitions comme des ralits
:
On voyait des spectres
terrifiants
dans la mer.
Quand
la peste passait d'un
lieu
l'autre, on
voyait
comme une barque d'airain dans
laquelle
sigeaient des hommes noirs et
sans tte
qui parcouraient prcipitamment la mer. Ils
couraient
en
face
d'Ascalon
et
de
Gaza, et c'est par leur apparition
que
le flau commena
en ces
lieux18.
Le dsarroi des esprits s'exprime par des blasphmes. Le
rdacteur
des
Miracles de
saint Dmtrios en signale un grand nombre lorsque la
maladie s'abat sur Thessalonique
en
586
:
blasphmes contre Dieu19 ou
contre le
saint
qui
gurit
certains
et pas
d'autres20. vagre le
Scholastique
se
scandalise
de
voir
que
les
enfants
d'un
paen
sont
pargns
alors
que sa
propre fille
a succomb21. Lors d'une pousse de
la
peste
noire
Constantinople, le patriarche Kallistos s'inquite de
la
recrudescence des
blasphmes
contre
la
Providence22.
L'antique notion de
chtiment divin resurgit
du fond de l'inconscient
collectif grec.
Chtiment
collectif
selon Agathias, certains
voient
dans
la
corruption des airs, qui provoque
la
peste,
la
manifestation de
la colre
de
la
divinit,
en
rtribution
des
transgressions humaines23
;
ou
chti-
12 . AGATHIAS
LE SCHOLASTIQUE,
Histoires,
V,
10.
13 .
Kritoboulos d'Imbros, Histoires, V,
17-18.
14 .
THODORE
AGALLIANOS
(Thophane
de
Mdeia),
Sur
la
Providence,
contre
ceux
qui pensent que s'ils fuient les lieux o soufflent les airs pestilentiels, ils seront sauvs, d.
S. EUSTRATIADS, Catalogue des
manuscrits
de
Lavra,
I,
Paris 1925, p. 427-433.
15 .
Procope,
II,
23.
16 .
Vie
de saint Symon Sty ite le Jeune, c. 157.
17 . Procope,
II,
22.
18 .
Michelle
Syrien,
Chronique, IX, 28.
19 . Mir.
III, 31
20. Mir. 111,41.
21. D'aprs la Vie de Symon
Stylite
le Jeune, ch.
233.
22. KALLISTOS,
Homlies, analyse
par D. B.
GONS,
, Athnes 1980,
.
226
s.
23. Agathias,
V,
10.
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LA PESTE EN PAYS CHRETIEN BYZANTIN ET MUSULMAN 99
ment
individuel
: d'aprs le
mdecin
Stephanos, au 7e s., les simples (
), voyant les malades,
disent
qu'ils sont chtis par une
puissance
contraire
(dmoniaque) cause
d'une
colre
divine24.
Cette divinit
irascible
peut
tre
habille
de
vtements
chrtiens,
comme
dans
le texte
de
Jean
d'phse, rapport par Michel
le
Syrien,
qui
attribue la
perscution des Jacobites par
l'vque
chalcdonien Domitien, en 601, la
succession de flaux qui touchent le pays
:
clipse de soleil, sisme,
et
enfin
la
peste.
Par
suite de
tels
chtiments, les
Romains
(Byzantins chalcdo-
niens) mirent fin
la
perscution
des
orthodoxes
(jacobites)25.
* Domaine
islamique
Les Arabes
d'avant l'Islam, contrairement aux Grecs, n'avaient
aucune exprience des pestilences
humaines,
du
fait
du climat
chaud et
sec
de
l'Arabie qui ne favorise pas
la
propagation
d'une
telle
maladie26.
Ils
ne
possdaient pas
non plus, du
moins dans
les
premiers
temps,
de
savoir
mdical propre pour faire face une pidmie. En revanche, les
pizooties,
qui atteignent le btail le plus souvent, taient bien
connues
en Arabie.
Le Prophte se rfre d'ailleurs l'pizootie pour dfinir
la
peste,
dans un
ensemble
de hadiths sur
la
maladie.
Rpondant
aux questions de
ses
compagnons, il
compare
l'abcs
ou le bubon
la
gale qui attaque un
chameau
et se propage ensuite
parmi le troupeau.
La comparaison est
importante dans la mesure o elle pose ds l'abord le problme
de
la
propagation27.
D'autres hadiths traitent d'aspects
religieux propres
la
maladie, de ses causes et des moyens de s'en prserver par l'vitement
de
tout
contact.
Ces
hadiths
qui
ont
donn
naissance
une matire
religieuse abondante,
pouvant
servir
une jurisprudence sur la peste,
fournissent aussi des
renseignements
sur les
mentalits
pr-islamiques.
Dirigs
contre
la
persistance
de comportements
paens, ils
sont
les
sources
crites
les plus compltes sur ce
sujet.
C'est en
particulier
le
cas
d'un hadith qui a
suscit
la
polmique
chaque
apparition de
la peste. Des thologiens intransigeants l'ont lu
24. STEPHANOS
D'ALEXANDRIE,
Commentaire
du Pronostic
d'Hippocrate, I
17,
d.
J. DUFFY, Corpus Medicorum Graecorum XI, 1. 2, p. 54-55.
25.
MICHEL
LE SYRIEN,
Chronique, X, 23.
26.
L'Arabie
ne
constitue
pas
un foyer
classique
de
la
peste
comme
l'Ethiopie
qui
est
l'origine de la
peste
de Justinien, premire pandmie du Moyen
ge.
27. Ce hadith reconnat
tacitement
la transmission de certaines maladies pidmiques :
Abu Horayra Que Dieu l'agre a rapport
qu'un
bdouin
demanda l'Envoy de
Dieu
Que
Dieu lui accorde
Sa
grce
et Sa
paix :
" Envoy
de Dieu
Comment
se
fait-
il que
mes chameaux soient comme des
gazelles dans
le sable
?
Peuvent-ils
tre
ainsi
infects
quand
des chameaux galeux viennent
se
mler eux ?". Il
lui rpondit : "Qui
a
contamin le premier?" (AL-BUKHAR, Sommaire
du
Sahh d'al-Bukhr, Beyrouth
1987, p.
524).
Al-Bukhr (194/810 - 256/870)
fut
l'un des traditionnistes et
compilateurs
des
hadiths dans un
musannaf (classement)
qui
compte
7397
hadiths
avec
leurs isnd
(chanes de garants compltes). Le hadith ou tradition
du
Prophte devient aprs le Coran
la deuxime
source crite du
droit musulman
sunnite.
Cf. Encyclopdie de l'Islam, t. III,
p. 24.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
7/31
100
MARIE-HELENE CONGOURDEAU MOHAMMED MELHAOUI
comme une ngation par
le
Prophte
de
la contagion. Le
texte
mrite une
analyse approfondie,
car
il traite en fait
de
plusieurs
thmes
dont le
facteur
commun est
le rejet des
croyances
de
l're
de l'Ignorance
(Al-
Ghiliyya).
Le
voici,
tel
que
rapport
par
le
compilateur
al
Bukhr
:
Abu Horayra
Que Dieu
l'agre a rapport que l'Envoy de
Dieu
Que
Dieu lui accorde Sa grce et Sa
paix
a
dit : nulle
transmission ('adw), ni mauvais prsage,
ni
spectre,
ni
'safar', et fuyez le
lpreux comme
si vous fuyiez le
lion 28.
Ce qui est vis, ce sont
les vieux rflexes du paganisme
qui avaient
tendance
persister. L'Arabie
d'avant
l'Islam connaissait
certaines
pratiques issues
du
paganisme
('dt
al-ghiliyya)29 et
non
conformes au
message de l'unicit de Dieu, telles que
l'idoltrie,
le culte des astres,
la
magie, des
superstitions diverses. Le
hadith
en question ne fait
que
prohiber ces
pratiques.
Le
dbut
du
hadith,
sujet
de
dsaccord
permanent,
ne
peut
tre
interprt
que si l'on tient
compte
de l'ensemble des paroles prophtiques,
ainsi que du contexte
et
des subtilits linguistiques.
C'est ce
que fait le
grammairien ibn Qotayba (213/829 276/889). Voici comment il
interprte
les principaux termes numrs par le hadith
:
le mot 'adw
(transmission) dsigne avant tout
la
tendance des hommes d'avant l'Islam, ds
qu'il leur
arrivait
malheur,
en rejeter la
cause sur leurs femmes, leurs
habitations ou leurs montures, toutes porteuses de malheurs. Il n'y a
donc pas
ici
un refus
de
la contagion au sens mdical, mais un jugement
rationnel, commun aux
mdecins
et au
Prophte.
Ce que
rejette
le hadith,
c'est
la
croyance qu'un
regard
de soupon malveillant puisse provoquer
(transmettre)
une
maladie.
Les
ngations
accumules
visent
des
lments
irrationnels de
la
mentalit pr-islamique.
Malgr la condamnation
du Prophte,
la conscience collective
conserva
cette croyance au mal provoqu par le
regard
fixe
d'une
personne ou
d'un
groupe, le
regard
qui
tue.
Ce n'est pas
la
maladie qui
cause
la
mort, pense-t-on,
c'est
un soupon malveillant. Cette croyance
est connue en langage populaire arabe par l'expression
al-mawt
bi-1
'ayn
(la mort par le
regard),
cause par une
influence
psychique
mystrieuse30.
Les
autres
termes
nis par le hadith dsignent aussi
des croyances
superstitieuses antrieures
l'Islam
:
le mauvais
prsage
(at-tiyra)
sym-
28.
Ibid.
29.
Cf. -A.
Al-Fassi,
Al-hayt
al-igtim'iyya
f saml garb
al-gazra al-'arabiyya (La
vie sociale
au nord-ouest
de
la
pninsule arabique), Riyad 1993,
p. 248-289.
30. Cet aspect peut tre
mis
en parallle avec une conception occidentale
ancienne.
Un cas particulier de la contagion indirecte
est le
regard
:
le Tractants de
epidemia
de
Montpellier affirme
que
la maladie
se manifeste
avec toute sa force et tue subitement
lorsque le
souffle
(spiritus) sort des
yeux
des malades et se transmet aux
yeux
de
ceux
qui
les entourent. (J.-N. Biraben, Les hommes et la peste en
France
et dans les pays
europens et
mditerranens,
Paris,
Mouton-la Haye
1975, I,
p.
22). Les mmes cas sont
observs Avignon en 1348. Il
s'agit
en ralit de contagion dans le cas d'pidmie de
peste pneumonique
(ibid.,
p. 22-23).
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
8/31
LA
PESTE EN PAYS
CHRETIEN
BYZANTIN
ET MUSULMAN
101
bolis
par un
oiseau,
d'o
le terme
atattayyur (oiseau
de mauvaise
augure) ; le spectre (al-Hma) dont une lgende
arabe
disait qu'un
homme assassin l'envoyait pour
rclamer
vengeance. Le quatrime
terme
(safar) dsigne
en ralit
le
deuxime
mois
du
calendrier
lunaire
arabe
:
les
Arabes
de cette poque redoutaient
particulirement ce
mois
considr
comme portant malheur31.
Transmission
par
le mauvais
il, vengeance
posthume
d'un
assassin, mauvais prsages, maldiction
d'un temps
de
l'anne:
toutes ces
croyances
pr-islamiques, que veut draciner le hadith
en
question,
res-
surgissent
la
faveur de
la pandmie.
2. La
colre
de
Dieu
* Domaine byzantin
Aprs
l'explication
par
le
hasard
et
la Destine,
une
seconde
interprtation byzantine de
la
peste
est
explicitement fonde sur
la Bible,
et plus
prcisment sur une
interprtation littrale
des
textes
sacrs. La peste
dans le
camp
de
David
(2
Sm 24,
14-15), mais
aussi
le
dluge
(Gn 6-7),
le chtiment
de
Sodome (Gn
19)
ou les plaies
d'Egypte
(Ex 7-11)
offraient des pisodes
bien
connus pour expliquer les
catastrophes
par le
chtiment de fautes dtermines.
Michel
le
Syrien adopte cette interprtation, que Dieu agisse
directement (plaies d'Egypte)32, ou que, comme dans
le
livre
de
Job, il donne
Satan la permission
de
frapper les hommes jusqu' ce qu'ils mprisent
toutes les choses de
ce
monde33.
L'hagiographie
fait
de mme.
Pour
l'auteur
de
la
Vie
de
Thodore
de
Sykon,
une peste est envoye par Dieu
aprs que les
Avars
ont dtruit
le
tombeau
du
martyr Alexandre Drizipera34. Celui de
la
Vie de Symon
Stylite le Jeune
fait
rpondre par
Dieu
au
saint en prire
lors d'une peste
:
Nombreuses sont les fautes
de
ce peuple, pourquoi
t'
affliges-tu
de leurs
maux ?35.
Et
pour celui des Miracles de saint Dmtrios,
la peste
qui
frappe
Thessalonique en 586 a dpass
tous
les
chtiments
jamais
envoys
par
Dieu36.
31. Soulignons enfin que la fuite devant le lpreux, dernier terme
du hadith, n'exprime
pas une
quelconque
forme
de
rejet
social
(et
ne
fut
pas
inteiprte
comme
telle
par
les
thologiens), mais une
forte
probabilit de la
transmission
de la maladie
:
ainsi le
seul
terme
du
hadith qui
concerne
une
maladie
affirme bien la contagion. Ce que
confirme
l interprtation d'ibn
Qotayba
les personnes saines
ne
doivent
pas
frquenter les lpreux, car
si un lpreux est trop affect par la maladie, son haleine
forte
et rpugnante peut nuire
la personne et la contaminer si
elle
le ctoie trop longtemps ou si
elle partage
son repas.
Une femme partageant le
lit
conjugal peut aussi contracter le
mal,
ainsi que
sa
descendance.
Cet exemple concerne aussi les phtisiques {ibid., p. 97).
32.
Michel le Syrien, Chronique, X,
8.
33. MICHELLE SYRIEN,
Chronique,
IX, 28 : texte de Zacharie le rhteur. Cf.
Jb
1, 12.
34.
Vie
de Thodore de Sykon, VII, 15.
35. Ch. 69.
36. Mir.
Ill, 29.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
9/31
102
MARIE-HELENE
CONGOURDEAU
MOHAMMED MELHAOUI
Au 15e s., Thodore Agallianos dveloppe une thologie de
la
peste-
chtiment divin37. La plupart des exemples bibliques
qu'il
invoque pour
expliquer l'pidmie qui dvaste
Constantinople
et sa rgion
sont
tirs
du
Premier
Testament
:
le
dluge (Gn
6-7),
les
plaies d'Egypte
(Ex
7-11),
les
peuples barbares
des visions de
Daniel (Dn 11), et
a contrario
le
repentir des
habitants de
Ninive qui fait renoncer Dieu
l anantissement
de
la ville
(Jon
3-4).
Les
quelques exemples
qu'il trouve
dans le
Nouveau Testament
vont
dans le
mme
sens
:
le figuier
frapp
de
strilit
par Jsus parce
qu'il
n'y avait
pas
trouv de fruits (Me
11,
12-1438), le
chtiment d'Ananie et
de
Saphire qui tombent morts pour avoir tromp
l'Esprit saint
(Ac 5, 1-11). Ces exemples bibliques le conduisent dire
:
La peste qui a fondu sur nous manifeste
la
colre de Dieu contre nous
cause de
nos pchs.
Il nous faut agir selon
ces modles
anciens
et Dieu
aura piti
de
nous. Dieu donne le
bonheur
aux bons et le malheur aux
mchants.
Puisque
tout
est
prdtermin
par
lui,
fuir
est non
seulement
inefficace mais blasphmatoire
:
on n'chappe pas
la
main de Dieu.
Srs d'tre
dans
le vrai, et persuads que toute
tentative
de
trouver
une
autre explication accrotrait
la colre
divine, les tenants de
cette
lecture
fondamentaliste
de
l'criture ne cachent pas leur propre colre contre
ceux qui invoquent des etiologies
naturelles.
Cette irritation contre les
naturalistes ()
est
constante,
de
la
peste de Justinien
la
peste
noire, de
l'auteur des
Miracles de saint
Dmtrios
pour
qui nul ne
doit avoir l'audace
de
dire
que l'pidmie
est un phnomne naturel
d
la
corruption des airs et
non
un chtiment divin39 Thodore
Agallianos qui dnie
Anastase
le
Sinate
le
titre
de didascale car il
accorde
de
l'importance
la
nature,
au
mouvement
de
l'univers
et
au
libre-arbitre, mconnaissant ainsi la souverainet immdiate
de
Dieu sur
toute chose.
Qu'ils relvent
d'une mentalit
archaque ou biblique, ces
auteurs
ne
tolrent
nulle
distance entre les plans
profane
(la nature et
ses
lois) et
sacr (les
desseins
de
Dieu).
* Domaine islamique
Si
la Bible est la source
premire des images de pestilence, le
Coran
en
fournit aussi des images frappantes40. Mais le terme peste
(T'n)
dont l'quivalent
hbreu
figure dans
le Premier Livre des
Chroniques
37.
Sur
la Providence...
38. L'vangliste
prcise
que
ce n'tait
pas la saison des figues, montrant par l que
l'pisode rclame une
lecture
spirituelle
et non
littrale,
car
l'innocence du
figuier rend
incomprhensible
l'inhabituelle svrit de Jsus.
39. Mir. Ill, 33.
40.
Cf. par exemple la sourate
88
al- Gsiya (L'Enveloppante) ou la sourate
101
al-
Qri'a (Le Flau) : ce
sont
des appellations mtaphoriques
du
jugement
dernier
et de la
rsurrection.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
10/31
LA
PESTE EN
PAYSCHRETIEN BYZANTIN
ET
MUSULMAN 103
(1 Ch
21,
7-15
;
cf. 2
Sm 24,
14-15), n'est jamais cit dans le Coran, ni
sous forme
de
racine
ni
sous aucune autre forme41.
C'est partir
de
la
lecture de
la
peste biblique, connue travers le
filtre
de
la
tradition
du
Prophte,
que
certains
thologiens
de
l'Islam
en
vinrent
lire la peste comme un chtiment.
Le verset coranique
243 de
la sourate al-Baqara (La Vache
de
Mose)
voque en effet des calamits qui
auraient frapp
un peuple
du
pass
:
N'as-tu pas
vu
ceux qui sortirent
de
leurs demeures il y en
avait
des
milliers
par crainte de
la mort
?
Puis Allah
leur
dit : Mourez . Aprs
quoi II
les
rendit
la vie.
Certes, Allah
est dtenteur
de
la
faveur
envers
les gens ; mais la plupart des gens ne sont pas reconnaissants.
(sourate II, verset
243).
A
la
suite
du
rapporteur
de
hadiths ibn 'Abbs,
ibn
Hagla
et ibn Khtima au
14e
s., et ibn Hagar au 15e s., virent dans ce
verset une allusion
une peste qui aurait
frapp
le peuple d'Isral42.
Selon
l'auteur
andalou
ibn
Khtima,
tmoin
de
la
peste
noire,
les
milliers
furent
au nombre
de quatre mille,
ils ont
t
rattraps
par la
mort, mais
ressuscites
par
la suite, grce
leur
Prophte qui a implor
Dieu afin
d arrter
les ravages
de cette
peste43.
D'autre part, un
hadith mentionne
une peste qui aurait
frapp par le
pass une
tribu
d'Isral44
:
On
demanda
'Usma ibn
Zayd
que
Dieu
l'agre
: qu'as-tu
entendu l'Envoy de
Dieu
que
Dieu lui
accorde
Sa
grce
et Sa paix dire au
sujet de
la peste
? .
Il rpondit : La peste est
une 'salet' ou une 'infamie'
(rigs) que
Dieu
avait
envoye
une
catgorie
du
peuple
d'Isral ou ceux qui vous ont prcds.
Lorsque
vous
41.
Dans
le Dictionnaire
lexique
des termes
du
Coran (Le Caire
1991,
p.
541),
M. F. ABD
AL-BKI ne mentionne
que deux mots
composs
de la racine de ta'ana, dont le
sens propre
est frapper
ou poignarder. Le premier cas
est directement driv
du verbe
simple
ta'ana
(frapper) conjugu la forme de l'accompli, la troisime personne
du
mascu lin
pluriel : ta'an,
figurant
au
verset 12
de la
sourate
At-tawba (Le
Dsaveu
ou
Le
Repentir). Le deuxime
cas
est le
nom
d'action admis par le mme verbe
ta'ana.
Il est
indiqu
sous
la forme
indtermine
un substantif ta'nan figurant au
verset
46 de la
sourate al-nis' (Les femmes). Les deux versets ne parlent que des
attaques
portes
contre
la religion, des incriminations et des blasphmes.
42. Cf. IBN HAAR, Badl al-m 'un
f fadl al-t'n, ms.
des
Archives
de la Bibliothque
gnrale (Rabat),
312Q,
f. 6. (et
l'analyse
de
J. SUBLET,
La
peste prise aux rets de
la
jurisprudence.
Le
trait
d'ibn Hagar
al-'Asqaln
sur
la
peste,
Studia
Islamica
33, 1971,
p.
141-149)
;
Ibn 'ab
HAGLA, Daf
an-niqma
f
as-salt
'al nab ar-rahma (Rejet
du
malheur
dans la prire
sur
le Prophte de la misricorde), Escorial 1772,
f.
1 15-122.
43.
IBN
KHTlMA.Tahsl
garad al-qsid f tafsl al-marad
al-wfid
(Sommaire
l attention du messager
au
sujet
de la maladie pidmique), Escorial 1785, f.
87b.
Pour la
biographie
de
l'auteur, ci
Encyclopdie de
l'Islam, t. III.,
p. 861,
s.v. Ibn Khtima. Nous
ne
savons pas
quelle
calamit
le
texte coranique fait
allusion.
Dans un jugement absolu,
puisque les images
sont
multiples,
nous
pouvons dire uniquement qu'il
s'agit
de la mort
comme destin final de chacun et de la rsurrection. C'est une leon morale et religieuse
pour les fidles
et
les
croyants
qui doivent tre
persuads
de la
vrit du
message rvl.
44.
D'aprs ibn
'ab Hagla,
qui
composa son
trait
sur
la peste en
1364
au
Caire,
le
peuple
d'Isral
fut
touch par la
peste
en Egypte : Dieu avait dit : nous leur avons envoy
la peste (IBN
HALA,
Daf
an-niqma ...,
f. 59b).
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
11/31
1
04 MARIE-HELENE CONGOURDEAU MOHAMMED MELHAOUI
entendez parler
de son
existence dans un pays,
n'approchez
pas
de
ce
pays, mais si vous vous y trouvez, ne le quittez pas en
la fuyant"45.
Les thologiens interprtrent le flau
du
verset
coranique
cit
plus
haut
(sourate
II,
243)
comme
tant
la
peste,
pour
tablir
un
rapport
direct
entre ce verset et le hadith qui
voque
la peste
d'Isral,
et poser
l quation
:
peste =
colre
de
Dieu
= chtiment. Ibn Khtima s inscrit contre
cette
interprtation.
L'explication de
la
peste
comme chtiment
(rigs),
selon lui,
ne
s'impose pas,
mme
si
l'on
se rapporte
au
verset 134 de
la
sourate
Al-a'rf
wa-lamm
waqa'a
'alay-hum
ar-rigs
(et quand
le
chtiment
les
frappa)46. La
traduction
exacte du
terme rigs
voque la
souffrance, sans aucune allusion un chtiment d'origine divine, comme
l'attestent
bon
nombre de thologiens musulmans. Elle
est cause
par
une
maladie,
et
si le terme
est
associ
l'histoire
du
peuple d'Isral,
c'est
que les
enfants d'Isral, peuple
ancien, furent les
premiers
frapps
par
une
pestilence.
La
raison
est
donc
d'ordre
chronologique.
Dans
cette
mme
argumentation, plus proche de
la
logique historique et
philologique que de
la thologie
conservatrice,
l'imam
d'Almeria
ajoute : Les
Arabes
nomment chaque maladie
une
douleur,
ce
qui
nous renvoie
au
sens propre
de
wagaf :
le
mal, la
douleur
et la
souffrance.
Un autre hadith
introduit
une subtilit
nouvelle.
Acha
la
femme du
Prophte
que
Dieu lui
accorde
Sa
grce
et Sa paix a rapport :
J'interrogeai l'Envoy de
Dieu que Dieu lui accorde Sa
grce
et Sa
paix
au sujet de
la
peste . Il me rpondit
qu'elle est
une
agonie
Cadb) que
Dieu envoie
qui II veut.
Dieu en
a
fait
une misricorde pour
les croyants. Celui qui se rsigne face
la
peste, sachant que rien
ne
l atteint
hormis
ce
que
Dieu
lui
accorde,
ne peut obtenir
que
la
rcompense
d'un
martyr47.
la notion
de
chtiment (pour les pcheurs), se superpose celle
de
misricorde (pour le croyant musulman qui meurt
de
la
peste) par
l'accs
au rang de
martyr.
quelles conditions ce dernier point est-il recevable ?
Ibn
Khtima
rappelle
qu'il faut considrer
l'intgralit
des paroles du
Prophte qui prsentent la peste comme un martyre. Le martyre au sens
large
est une misricorde pour
tous
les croyants48, ce que confirme cet
autre hadith,
rapport
par le compilateur
'Anas ibn
mlik
: La peste est
un
martyre pour chaque
musulman. L'accs au rang
de
martyr
rcompense l'humble rsignation
face
au destin
tragique qui frappe
le
pestifr,
puisqu'il
ne peut
intervenir
par
sa
faible
volont dans
le
destin divin
qui le frappe
et qu'il accepte en tant que
tel,
en
tmoin (shid)49 de sa
propre souffrance.
45.
AL-BUKHR, Sommaire
du sahh
al-Bukhr, p. 360. Nous avons expos les
hadiths comme il est d'usage avec al-isnd des
garants,
c'est dire les rapporteurs dignes
de confiance assurant leur authenticit
.
46. Sourate
VII,
verset
134.
Il s'agit
de la peste
envoye par
Dieu au
peuple
d'Isral.
Cf. dans la mme sourate le verset 71. IBN KHTIMA, Tahsl ..., f.
87b.
47.
Ibid.
48.
Ibid.
49.
Ibid. f. 89a. partir des termes shid
et
shd (tmoin et martyr), ibn
Khtima
donne
trois
sens
au
terme
martyr: premirement,
l'homme
qui
meurt
de
la
peste
est
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
12/31
LA PESTE EN PAYS
CHRETIEN
BYZANTIN ET
MUSULMAN
105
Ce
thme,
dvelopp
au 15e sicle par ibn Hagar
(qui
prcise
que
l'attribution
du
martyre ne peut
tre
destine qu' celui qui ne quitte
pas le
pays
ravag par
la
peste50), nous renvoie au
statut du
martyr
en
Islam.
Les
personnes
concernes,
d'aprs
le
hadith
d'Ab
Horayra,
sont
:
le mort par la
peste, le
mort-n,
le mort
par
noyade,
le
mort victime
d'un
boulement et le mort au combat51.
Le
dsir de
mourir
de
la peste pour devenir martyr se
manifesta
au
cours de l'pidmie
d'Emmas,
qui
posa
d'une manire trs aigu
la
question
du comportement adopter face
ses ravages, et qui fut
l origine des
premires
discussions juridiques sur la calamit. cette poque
de grande
pit religieuse, le compagnon
du
Prophte Mu'd ibn Gabal
mourut de
la
peste d'Emmas
: il
avait
souhait cette
faon de mourir
et
Dieu
exaua ses vux, commente
l'auteur
du
Tahsl.
Mais
en ralit,
les
premiers
croyants musulmans,
compagnons
du
Prophte, qui
souhaitaient
mourir
de
la
peste
(misricorde)
Emmaiis,
se
mettaient
en
contradiction avec les paroles
du
Prophte qui privilgiait
la
prvention et
l'vitement.
Distinction des
plans du
profane
et du sacr
*
Domaine byzantin
Une autre
cole
d'interprtation, qui
spare
les
plans du
profane
et du
sacr, coexiste avec
la
premire.
Les
Byzantins, sauf exception,
ne
renient pas
l'hritage
rationnel
qu'ils tiennent
de
la Grce
antique,
mme
s'ils
le
rinterprtent
la
lumire
des
critures.
1.
La causalit naturelle
Paralllement
aux
explications
thico-spirituelles, les
explications
rationnelles classiques subsistent.
Les mdecins
byzantins,
confronts
la
peste
bubonique,
font appel aux
schmas hrits
du corpus hippocra-
tique. Trois
sries
de
causes expliquent la
survenue d'une
pidmie : la
corruption des airs
(qui
affecte
les organismes
vivants
par l'intermdiaire
appel
ainsi
parce que les
anges
de la misricorde tmoignent par leur
prsence de sa
souffrance et de la prise de son
me.
Ensuite,
sa prsence
devant Dieu, aprs l'preuve
douloureuse,
lui
vaut
le
titre de
martyr au
mme titre que
celui qui
perd sa vie
au
combat
au nom de Dieu. Troisimement, le pestifr est tmoin de
sa
propre mort parce
qu'il
est
conscient de
sa
souffrance physique et
morale.
C'est en fait la force morale
qui
surmonte
la douleur et la souffrance physique, ainsi que les vertus de patience et de rsignation
qui
font
des martyrs des privilgis.
50. Ibn Hagar, Badl al-m'un ....
ff.
47-55.
51. La liste,
qui
mrite des explications, est largie d'autres personnes,
notamment
la
femme
qui
perd
la vie en accomplissant
son devoir
conjugal, ou en
accouchant.
Des cas
particuliers
sont
aussi dsigns comme des martyrs, comme le mort loin de
son
pays, et le
mort
brl.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
13/31
1
06 MARIE-HELENE CONGOURDEAU MOHAMMED MELHAOUI
des miasmes corrompus), le
dsordre
des humeurs internes qui en
rsulte, et la diffrence des tempraments qui prdisposent tel ou tel
tre touch ou
non
par
la
maladie, survivre ou succomber52.
Dans
son
commentaire
du
Pronostic
d'Hippocrate,
le
mdecin
Stephanos, contemporain
de
la peste
de Justinien, s'interroge
sur
l existence de maladies
infliges par les dieux et il s'appuie sur Hippocrate et
Galien pour rfuter cette causalit
extra-naturelle.
Selon lui,
la
cause des
pestes
(les maladies le plus
souvent
invoques
en
faveur de
la
causalit
divine) rside dans la constitution putrfie
de
l'air qui
corrompt les
humeurs
du corps53.
Anastase
le Sinate, moine
du
7e sicle
qui
fut peut-tre aussi
mdecin54, adopte la mme tiologie
naturelle
dans
ses
Questions et
Rponses
:
les pestes surviennent cause des exhalaisons putrides,
de
la
corruption
des
airs,
de
la
prsence
de
cadavres
non
inhums,
surtout
dans
les rgions insalubres55. Il
n'carte
pas pour autant
la
causalit divine,
car
il arrive
que
Dieu
utilise
les causes
naturelles
pour corriger
() les hommes et les pousser au
repentir.
2. Fondement thologique des causes
secondes
Pour lire la distinction et l'articulation entre causalit naturelle et
causalit
divine, les Byzantins disposaient d'une rflexion
thologique
mene
ds
l'poque
des
Pres56. Basile
de
Csare en
avait
affirm
les
principes dans
son
trait
Dieu
n'est pas
l'auteur
des maux51
:
les
maladies
surviennent
la
suite
de drglements de
la nature
(ainsi
les pestes
sont
attribues
la
corruption de l'air, selon
la
thorie
hippocratique),
mais
en
dernire
analyse
c'est
Dieu
qui
envoie ces maladies,
par
l intermdiaire
des
causes
naturelles,
non
pour punir les
hommes
mais pour
prvenir
des maux plus grands (maux spirituels, plus graves que les
maux
physiques). Les flaux ont ainsi une fonction thrapeutique, et
la
mtaphore mdicale (en particulier l'amputation)
est
mise contribution.
Anastase
le Sinate intgre
son
analyse
de
l'tiologie des pestes dans
ce schma: Dieu certes est le crateur et le matre
de
tout, mais s'il a
donn aux mes le libre arbitre, il a confi aux
lments
(et ce
que
nous
appellerions
les
causes
secondes)
le
gouvernement
quotidien
des corps58.
52. Cf. HIPPOCRATE, De la nature de
l'homme,
IX
;
Pri phusn, VI.
53.
Stephanos, Commentaire du
Pronostic...
54.
Sur
Anastase le Sinate,
voir
un
tat rcent
de la
question par J. HALDON, The
works
of
Anastasius
of Sinai : a Key
source for
the History of 7th century
East-mediterranean
Society and Belief, dans A. CAMERON and L. CONRAD eds, The byzantine
and
Early
Islam
Near-East,l :
Problems in the literary
source
Material, Princeton
1992, 107-147.
55.
Q. 92
(PG
89,
732-3) ;
Q. 96
(PG
89,
736-49) ;
Q. 1 14
(PG
89,
766-68).
56. Pour une tude
dtaille
de cette rflexion, cf. notre tude : La socit byzantine...
57. PG 31,
329-353. Traduction franaise dans
Dieu et le mal, Migne, Pres
dans
la
foi
69, Paris
1997.
58. Q.
96,
PG
89,
736-749.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
14/31
LA
PESTE
EN PAYS
CHRETIEN
BYZANTIN
ET MUSULMAN 107
Cette
synthse des deux etiologies subira une
clipse du
fait
d'une
offensive
de
la causalit transcendante durant la priode mdio-byzantine (du
fait
surtout de
l'hagiographie), mais elle resurgira avec la
grande
crise
spirituelle
de
la
fin
de
l'Empire.
On
la retrouve
chez
Alexios
Makrembolits
au
14e
s.59,
et
chez Marc
Eugenikos
au
15e
s.60.
* Domaine
islamique
Ibn ab
Usaybi'a
crit dans l introduction de son
ouvrage
intitul Les
classes
de
mdecins : La science
des corps se
trouve
attache
la
science des
religions61.
La dimension religieuse n'est jamais absente
chez les auteurs musulmans, et ce malgr l'mergence
du
savoir mdical
d'ibn Sn (Avicenne), et de
l'cole
andalouse incame par ibn Zuhr
(Avenzoar),
ibn al-Khatb
et
ibn Khtima tous admettent l intervention
de
la volont
de
Dieu dans la sant, la
maladie
et la mort. Mais, par
ailleurs,
la
mdecine
arabe
reste
fidle
la
thorie
humorale
d'Hippocrate et de Galien pour expliquer les causes des maladies et des
pestilences,
une diffrence (de taille)
prs
: la contagiosit
de
la
peste,
qui sera dveloppe par les mdecins andalous au cours
de
la peste
noire.
Ibn ab Hagla, recherchant les causes
de
la peste, fait
ainsi
voisiner
explications
rationnelles
et explications religieuses. L'apparition
de
la
maladie
a pour lui une cause
d'essence lgale :
La cause lgitime
de
la peste est l'impudeur qui mne
la destruction
de
l'ge et le fait
disparatre, ou de
tout
ce qui
en
soit
comme
la
consommation des boissons
enivrantes, ou
la
pratique de
tout ce
qui
est
illicite62. Mais lorsqu'il
s'agit
d'expliquer
d'o vient la
peste ou comment elle se propage, ses
propos
sont
parfois
radicalement
opposs,
et
bien
loin
de
la
cause
divine.
C'est ainsi que pour lui
la
cause mdicale de
la
peste rside dans
la
corruption de
l'air
qui
est la
matire de l'esprit63. Cette dernire
affirmation reprend fidlement
les
notions d'Avicenne sur
les
pestilences, qui
elles-mmes dpendent troitement d'Hippocrate.
Avicenne
et
les
mdecins
andalous ont bien
dfini
les causes
naturelles
de
la
peste.
S'ils fondent
leurs
descriptions
sur
l'observation
des
signes cliniques apparents chez
les
pestifrs,
leurs
analyses restent
fidles
la
thorie
humorale
d'Hippocrate
ou
de
Galien.
59.
ALEXIOS
MakrembOLITS,
D'o
viennent
la
sant
et
la
maladie
?,
Sabbaticus 417,
ff.
105v-106: La causalit
naturelle
existe,
mais
elle est soumise la
volont de Dieu.
60.
MARC
EUGENIKOS, Lettre
au moine
Isidore
sur les
bornes de la
vie,
PG 160,
1194-1200. Cf.
notre analyse
dans La peste
noire
Constantinople
de 1348 1466,
Medicina
nei secoli 11/2, 1999, p. 377-389: il faut
penser
ensemble les
deux
types de
causalit, comme il faut tenir ensemble les vrits particulires et les vrits gnrales.
61.
L'auteur,
ophtalmologue
et fils d'ophtalmologue,
(n
Damas
en
1270),
dit
qu'il
trouvait
sa
source dans tous les
Livres
sacrs. Les plus
grands
mdecins musulmans
du
Moyen ge se sont aussi inspirs de la loi religieuse
pour
leurs ides et en faveur de l'art
de
gurir.
62. IBN
'Ab HAGLA,
Daf
an-niqma...,
f.
42a.
63.
Ibid.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
15/31
1
08 MARIE-HELENE
CONGOURDEAU
MOHAMMED
MELHAOUI
Ibn
KMtima dfinit la peste en ces termes : C'est une fivre maligne.
Elle
tient
sa
cause
de
la
corruption du
temprament
du
cur et
de
l'air
de
sa propre nature vers la chaleur et l'humidit.
Cette
fivre est souvent
mortelle,
et
s'accompagne d'une
sensation de
lassitude
suivie
de sueurs
excessives
et
d'angoisse... L'puisement apparat le deuxime jour,
la
fivre
monte et
les
bubons sont souvent
accompagns de crachements de
sang...64. Le trait final annonce
l'issue
fatale de
la
peste
pneumonique.
Ces
observations personnelles faites
Almeria
au cours de
la
peste noire
sont identiques
celles d'ibn al-Khatb
Grenade.
D'autres causes,
dites lointaines dans les chroniques
arabes,
sont
prsentes sommairement par les auteurs andalous. Ibn al-Khatb voque,
pour la
refuser, une causalit qui rside
dans
le ciel, selon les
astrologues
qui prtendent que des conjonctions astrales
influent sur
le monde. Le
mdecin
de
Grenade ne donne aucune foi cette causalit, comme il
ressort
de
son ptre
sur
la maladie
effrayante65.
Contrairement son collgue et ami, ibn Khtima prend acte de ce
que le rayonnement cleste hte
la
corruption de l air.
Il
refuse
en
revanche des causalits plus extrmes et anecdotiques
rapportes
par ses
informateurs. Ainsi, des commerants chrtiens d'
Almeria
prtendaient-
ils que
la pandmie tait la
consquence d'une
infection provoque
par
la
mort des poissons flottant sur
la
surface des
eaux
des
ctes turques en
Orient. Foudre
et tonnerre
se
seraient alors
abattus
sur la
rgion,
puis les
poissons
auraient
t
incinrs
et la
fume
aurait pollu
l'air, emport
en
d'autres
endroits par le vent. Le jugement d'ibn Khtima
est
sans
quivoque
:
Cette suspicion
n'est
que mensonge
et parole
absurde66.
Le
seul
facteur extrieur
qu'il
accepte
est
le drglement saisonnier
qui peut engendrer
calamits
et
famines,
parce
qu'il
contrarie
la
chaleur
et le temprament de l homme67. Le mdecin andalou
cite
Hippocrate
qui
tmoigne
qu'en un
seul
lieu prcis,
la
suite
d'une pluie
estivale
diluvienne,
accompagne
d'une chaleur
intense,
survint
une corruption
64.
La grande peste de 1348-1349
tait
la fois bubonique et pneumonique : peste
de
couleur noire,
telle
tait la description d'Avicenne de cette forme de
peste
au 1 Ie
sicle
dans
le livre IV
du
Canon de la
mdecine,
ce qui peut
expliquer
l'appellation peste noire.
La nature de la
pandmie du 14e
sicle
fait
d'elle une
peste
ravageuse. Voici le
tmoignage d'ibn
Khtima
: C'est une maladie
commune
toute
une
population
humaine et
qui
est
souvent
mortelle
cause
d'un
facteur
rpandu...
Elle
est
diffrente
de
l'pizootie,
qui est (une
pidmie) gnrale propre
aux
bestiaux et autres animaux...
Mais
l'usage de
l'appellation (pizootie)
appliqua le
mme
terme aux
hommes
(Tahsl..., f. 50b-51a-b).
65.
IBN AL-KHATB,
Muqni
'at as-s'il 'an al-marad al-h'il {Convaincre
l interrogateur
au
sujet de la maladie effrayante), Escorial 1785,
f. 39b. Ce manuscrit
fait
l'objet
d'une tude et d'une traduction en
cours
de
notre part.
66. IBN
KHTIMA,Tahsl,
f.
53a.
67. La pollution d'origine
terrestre,
selon lui, peut infecter un
espace
dtermin. Les
lments de cette
pollution peuvent
tre
varis :
la boue infecte des marcages, de l'eau
stagnante et pollue de vapeur souterraines, de broussailles ou de vgtation pourrie, les
excrments humains ainsi que les cadavres abandonns sur les champs de bataille, les
animaux
et
le
btail
morts d'pidmie
et
se
trouvant
en
tat
de
dcomposition. Tous ces
facteurs,
d'aprs lui,
peuvent
putrfier
l'air,
l'lment
simple
et
pur. Ibid., f.
54a.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
16/31
LA
PESTE EN
PAYS CHRETIEN BYZANTIN
ET
MUSULMAN 109
de
l'air suivie
de
fivres pidmiques trs
mauvaises
et d'autres maladies
infectieuses.
Tous
les lments invoqus comme causalit externe ne
sont
en ralit
que
des
facteurs
qui
favorisent
la
propagation
des
pidmies
:
tel
est
aussi le
facteur
dmographique avanc par ibn Khaldn dans
les
Prolgomnes, pour expliquer les dsastres qui frappent les
dynasties
sur
leur
dclin,
en
les rendant plus
sensibles
aux
pidmies.
Tmoin de
la
peste
noire
qu'il
qualifia de dluge,
et
des mutations
politiques
du
14e
sicle en Occident musulman, il donne sa propre
version
des causes
de
la maladie:
elle est, dit-il,
la
consquence
d'un
tat dclinant trs
peupl :
Les pidmies clatent. La raison principale
est la
corruption
de
l'atmosphre
provenant d'une
population
surabondante...
Dans
les cas
graves, les poumons sont atteints. On a alors des pidmies pulmonaires,
ce
sont
les pestes, des
maladies
qui touchent les poumons68.
Que faire
?
Doit-on
fuir ?
L' interrogation sur les causes
du
flau dbouche sur une interrogation
plus pressante que faire pour lui chapper ? Premier
rflexe
:
fuir.
Arguments
mdicaux et thologiques
s'affrontent
pour ou contre cette
raction naturelle.
1.
Arguments
mdicaux : la contagion
*
Domaine byzantin
La notion de contagion (transmission d'une maladie
d'un
individu
un autre) s'est longtemps heurte au monde
scientifique.
Si la mdecine
populaire rapproche la
maladie
pestilentielle
de
la souillure qui se
propage par contact, les
mdecins
de
la
tradition
hippocratique en attribuent
la cause
un
contexte
gnral pathogne (air corrompu)
qui
touche en
mme
temps toute une
population69.
Mais cette conception
scientifique
semble
limite
la mdecine
savante.
Le modle archaque
de
la
souillure
vient
spontanment l'esprit de nombreux auteurs.
Basile et
Jean
Chrysostome
renversent
les
termes
de
la comparaison
:
c'est
la
peste qui devient la mtaphore
du
pch qui
se
propage par
transmission,
si bien que les
hommes
se contaminent mutuellement70.
Les
lgislateurs
du
Code Thodosien, voulant
interdire
aux chrtiens de
fr-
68. V. MONTEIL (Trad.), Ibn Khaldwi, Discours
sur
l'histoire
universelle,
(al-
Muqaddima), Beyrouth
1968, t. 2,
p. 612-613.
69. Cf.
HlPPOCRATE,
De la nature de l'homme, IX, d. J. JOUANNA, Berlin 1975
(Corpus Medicorum Graecorum I, 1, 3); Pri phusn, VI, d.
JONES,
II, (Loeb)
Cambridge MA. - Londres 1923, 19672 .
70.
BASILE, Sur
le
Psaume 1
(PG 31,
209)
; cf. JEAN CHRYSOSTOME, Homlie 57 sur
Jean,
PG
59,
col.
314.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
17/31
1
10 MARIE-HELENE CONGOURDEAU MOHAMMED MELHAOUI
quenter
les synagogues, les
mettent
en garde contre la
contagion de
l impuret
juive71.
la fin
de
l'empire, Scholarios compare la peste une
maldiction qui se transmet par
contact72.
Outre
la
permanence
de
l'image
de
la
souillure,
l'vidence
de
la
contagion
s'impose
aux observateurs,
malgr
les
rticences des
auteurs
mdicaux. Historiens et simples tmoins
font
le
mme
constat. Durant
la
peste noire,
en
1348,
Dmtrios Kydons
crit un de ses
correspondants que
nul n'ose
inhumer
mme
son
proche parent, par
crainte de
la
communication
de
la
maladie ( )73
;
Kritoboulos fait la
mme observation
en
146674.
Terrorises par
la
perspective de contracter
la
maladie, les
populations
fuient les
lieux infects.
Mais cette attitude, qui se
concevait aussi
lorsque la cause
de
la maladie tait attribue la corruption
de
l'air, a
pour effet
de
dissminer l'pidmie,
puisque
les fuyards
emmnent
avec
eux les
germes
de l infection.
* Domaine islamique
Doit-on fuir
?
la question se posa ds la peste d'Emmaiis. Fallait-il
s'isoler, pour pargner
la
vie des
conqurants
musulmans
(ce que
laisse
entendre le sens
rel des
hadiths),
ou conqurir la
rgion
en
plein
ravage
pidmique
et
mourir de
la peste
pour
acqurir la
distinction du
martyr ?
Le dbat,
bien que religieux,
occultait la question
principale
et pineuse,
celle de
la
contagion, nie par les savants
antiques
mais
affirme
par les
hadiths du Prophte.
partir d'une
bonne dfinition
des symptmes de
la
peste, particulirement
au
14e
sicle, les
mdecins
musulmans n eurent
pas
de
difficults
dmontrer
l'vidence
de
la
transmission de
la
maladie
: la
mdecine savante rencontrait sur
ce
terrain l'enseignement
religieux.
Mais, redoublant la question
de
la contagion,
une autre
fut pose par
les
mdecins
andalous
:
s'il
est
tabli
que la
maladie
se transmet,
pourquoi telle personne y est-elle plus vulnrable ?
La
rponse la
plus savante
fut
celle d'ibn
al-Khatb.
Pour lui,
l explication
rside dans une interaction entre la contagiosit et la
prdisposition
des personnes et des lieux75. D'une part, l'humeur personnelle
s'apparente
la
matire
toxique, en tant prdispose
l'admettre sans
la
moindre
rsistance...
Ignorer de
telles
choses induit les gens
en erreur
71.
CODE
ThODOSIEN
XVI, 7,
3 (n
16
dans A.
LINDER,
The
Jews in Roman
Imperial
Legislation,
Wayne State
University Press,
1987) :
Eorum quoque flagitia
puniantur, qui
christianae religionis et
nominis
dignitate
neglecta
Iudaicis semet polluere
contagiis.
72. G.
SCHOLARIOS,
Lettre de consolation, d.
Petit-SidridS,
IV, p.
298.
73. Dmtrios Kydons, Lettre 21 de la classification de F. TlNNEFELD {Dmtrios
Kydones. Briefe I,
I,
I,
2 et
II, Stuttgart
1981,
1982, 1991, Bibliothek
der
griechischen
Literatur 12, 16 et 33).
74. KRITOBOULOS, Historiae, V, 17-19, p. 204-207, d. D. REINSCH, CFHB
22,
Berlin
1983
:
les gens craignent
que
les malades
ne
leur communiquent leur corruption (
).
75. Ibn Khtima, Tahsl, f. 59b-60a.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
18/31
LA PESTE EN PAYS
CHRETIEN
BYZANTIN ET
MUSULMAN
1 1 1
et multiplie
leur sacrifice76.
Et d'autre part, l'existence de
la
contagion
a t prouve par l'exprience,
la
dduction,
la
sensation,
la
constatation
et
les
frquents
tmoignages77. Ce
sont l
les arguments
scientifiques
d'une
mdecine savante.
Les
mises
en
garde des
mdecins
se
heurtent
la
rsistance
de
ceux
qui refusent
l'ide
de
la
contagion,
soit
par ignorance,
soit
par fatalisme
religieux. La
grande
masse,
explique ibn
al-Khatb,
n'admettant que
la
volont
de
Dieu comme cause
de
la
sant
ou
de
la maladie,
ignore que
celle-ci rside dans la prdisposition ou la
non-prdisposition78.
Conscient
de
l'ignorance quasi gnrale
de
la
socit, il dtaille
ses
arguments en
faveur de
la
contagion
: La propagation
se
fait
parmi ceux qui
s'occupent
des
malades.
Certains
chappent
ces nuisances
malgr le
contact
permanent qu'ils
ont
avec eux, d'autres y succombent bien qu'ils
n'aient pas eu de contact, ou
qu'ils
aient eu des contacts limits
dans
le
temps79.
C'est
bien
le
signe
que
prdisposition
et
contagion
jouent
de
concert. Par voie de consquence, ceux qui croient
la
contagion
chappent
la mort.
Parmi
eux, ceux, fort nombreux, qui
ont
dcid
d'adopter un mode de vie asctique, comme le mystique ibn ab Madyan dans
la
ville
de Sal, un de ceux qui croyaient l'existence de
la
contagion. Il
s'est
approvisionn
pour une longue priode,
et il s'est
emmur avec sa
famille,
fort nombreuse.
Sa
ville fut dcime, et nul
n'en
rchappa
tout
au
long de cette priode80.
Cet exemple concerne des personnes. Le suivant, qui concerne des
lieux
lointains ou
isols,
rappelle
la
thorie d'ibn
Khaldn,
selon qui
il
est prfrable d'habiter un territoire
moins
peupl et spacieux,
qui
ne
favorise
pas la
circulation de
l'air pidmique
:
D'autres
nouvelles
sont
relatives aux rgions
non
touches par
la
maladie, rgions situes loin
des
routes,
l'cart
des gens. Quoi de si tonnant que le cas des
prisonniers
musulmans sauvs
par Dieu dans la maison des mtiers
de
Seville
?
Ils taient des milliers que la peste n'a pas atteints, alors
qu'elle
a failli
dcimer toute
la
ville. Autre exemple
:
Le
salut
des nomades arabes,
en
Ifriqiya (Tunisie) et ailleurs, a t assur par
l'air
pur, non corrompu par
la
maladie81.
Il en conclut : Parmi
les
fondements qu'on ne
peut
ignorer,
il faut rappeler
que
la preuve
d'autorit
magistrale,
si
elle est
contredite par le sens
de
l'observation, doit tre interprte. Dans ce
cas prcis,
l'interprtation
est
celle adopte par ceux qui ont confirm l'existence
de
la
contagion82.
Imprgn
par les
ides d'Avicenne, ibn
ab
Hagla est plus prcis
quant
la transmission
de
la
maladie II
se peut
que
la peste se
transmette d'un malade un
bien
portant par le biais
de
l'exhalaison d'une
76. IBN
AL-KHATB, Muqni'at ...,
f. 41b-42a.
77. Ibid., f. 42a.
78. Ibid.
79. Ibid., f. 41b.
80. Ibid.,
f. 42b.
Sl.Ibid.
82. Ibid., f.
43a.
-
7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
19/31
1
12
MARIE-HELENE
CONGOURDEAU
MOHAMMED
MELHAOUI
personne contaminant une autre personne, sachant que
cet
lment
est
l'un des
facteurs
de
la
contagion83. Et pourtant, lui aussi
juge que
l organisme
doit
tre
prdispos
contracter la
maladie.
Ibn
ab
Hagla
avait
perdu son fils,
mort
de
la peste
du
Caire en 1364.
Affect
par
cette
preuve comme le
reste
de
la
population,
croyant
et
rsign, il composa ce vers
:
S'il n'y avait pas eu autant de larmoyants
qui
m'entouraient
pleurant leurs frres, je
me
serais alors tu84.
Ce vers
exprime l'tat
d'esprit, fait
de douleur
et
de rsignation, d'une
socit
face
aux ravages
de
l'pidmie.
On
ne
peut que s'interroger
sur l'cho rel
des ides de
bon
sens
d'ibn al-Khatb sur le terrain des comportements. Mais
il
fallait
aussi
convaincre
par
des
preuves
religieuses qu'une socit
conservatrice
pourrait
facilement
comprendre.
2.
Arguments
thologiques
:
La
Providence
La question Doit-on fuir les lieux infects par
la
peste
?
n'est pas un
simple problme de sant publique. Si
l'on
pense que
la
peste
est
envoye, ou permise, par Dieu, c'est aussi une question spirituelle. Fuir
les lieux o Dieu a envoy la peste ne revient-il pas fuir la volont
de
Dieu
? Une telle attitude serait au mieux
inefficace
;
au
pire
il
s'agit d'un
pch
qui peut attirer une sanction plus grave (la
damnation
ternelle,
par exemple).
*
Domaine byzantin
Dans
le
Pr
de
Jean
Moschos, Procope
le
Scholastique
se
dsole
d apprendre que
la
peste
s'est
dclare Csare o
ses
deux fils sont
tudiants.
Il les rappellerait
bien
Porphyreon, mais il
craint de les
exposer
la colre
divine
s'il cherche
les soustraire
au flau. Il
consulte
alors
abba Zacchios au monastre
de
Sainte-Sion, et le saint homme l'assure
que ses fils
ne
mourront
pas car
l'pidmie
va
cesser85.
Les
scrupules de
Procope nous
montrent
dans
quel dilemme se trouvaient les Byzantins
pieux
confronts
aux
pestes. La
rponse du
saint
homme lude,
malheureusement (pour nous),
la
question.
Vers
la mme poque,
Anastase le
Sinate est
moins catgorique.
qui lui demande si
la
fuite
est
efficace dans le cas d'une pidmie, il
rpond
que cela
dpend
:
s'il s'agit d'un
chtiment divin
(cas
rare
mais
possible), inutile
de
fuir. Si les causes
sont
naturelles, fuir vers des lieux
plus salubres peut
tre
une solution86. Cette rponse provoquera
l indignation de
Thodore Agallianos, au
15e sicle, pour
qui
fuir
la colre
83. IBN ABI HaLA,
Daf
an-niqma...,
f. 115.
84. Ibid.
85. JEAN
MOSCHOS, Le Pr
spirituel, c. 131,
PG 87, 2996.
86. Anastase le Sinate, Question 96, PG
89, 744.
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7/26/2019 La Perception de La Peste Byzance
20/31
LA PESTE EN PAYS
CHRETIEN
BYZANTIN ET
MUSULMAN
1 1
3
divine
est
non
seulement inutile
mais
sacrilge87 ; l'vque
de Mdeia se
rachte
cependant
aux yeux du lecteur
moderne
lorsqu'il
offre comme
alternative
la fuite le dvouement au service des malades
infects.
*
Domaine
islamique
Les
jugements
des auteurs musulmans andalous
sont svres
envers
ceux
qui propagent
de fausses
ides niant la
contagion
: des
religieux
assimils aux prophtes de malheur qui, selon ibn al-Khatb,
ont
oppos
aux gens leurs pes, dcid leur destruction,
mme
s'ils n'en avaient
pas
l'intention,
en
se limitant
la littralit
du
hadith88.
Il
s'agit
naturellement du hadith qui
est suppos nier la
contagion des pidmies89.
Mais c'est dans
la
matire
religieuse que le mdecin
de
Grenade
puise
ses
arguments
en
faveur de
la
contagion
: Dans la
juridiction se trouvent
plusieurs appuis comme le hadith qu'aucun malade ne
se
dsaltre
avant
un
bien
portant",
et
comme
le
dire
du
Compagnon
(le
Calife Omar
au cours
de
la
crise d'Emmaiis)
:
"fuir le
destin de
Dieu vers un autre
destin .
Ibn
al Khatb va plus loin :
II n'y a
pas
lieu de multiplier les
commentaires
ce sujet,
puisque
la discussion
de
l'existence
de
la
contagion
d'aprs
la
juridiction
ne
relve pas des fonctions de cet
art90.
Autrement
dit, ce n'est pas
la
religion de
dire
si
la
peste
est
contagieuse ou
pas.
Par
ce
jugement aussi rare que radical, le mdecin
voulait dlimiter
le
cadre fonctionnel de chaque
discipline
sans les opposer,
et
sans aller
jusqu
la rupture.
Il reste convaincu par sa
foi
de musulman et prcise
:
L'ignorance de tels arguments n'est
qu'irrespect
pour Dieu, et ddain
pour
la
vie
des musulmans.
Certains
hommes
pieux
ont
incit
les gens
publiquement
revenir
sur
la
fatw pour
la
rejeter,
cherchant ainsi
viter
le pril.
Que Dieu
nous
prserve
dans le dire et le faire91. Ce texte
tmoigne qu'il y eut bel et bien un dbat
thologique
intense autour
d'un
problme mdical,
celui de
la
contagion et
du
comportement
qu'il
fallait
adopter en ces temps
de malheurs.
Dans le cadre
de
cette polmique, ceux qui nient la contagion et les
religieux
intransigeants
sont
svrement jugs par les deux
tmoins
oculaires
de
la pandmie
Grenade et
Almeria,
qui
expriment
leur colre
en des termes
sans quivoque.
Selon ibn al-Khatb, ne nie la
contagion
87. Agallianos rpond en ce
sens l'interrogateur fictif
qui lui
pose
les
questions qui,
semble-t-il,
taient dans l'air : Peut-on dire que ceux qui
chappent
la mort en fuyant
les lieux pestifrs ne
sont
sauvs que par la Providence ? ...
Est-ce
un pch de fuir en
temps de
peste ? : THODORE
AGALLIANOS, Sur la Providence...
88. IBN AL-KHATIB, Muqni'at
...,
f.
42b.
89.
Rappelons
la teneur de
ce
hadith
:
Abu Horayra
que Dieu l'agre
a rapport
que l'Envoy de
Dieu
Que
Dieu lui accorde
Sa Grce et sa
Paix
a
dit :
"nulle
contagion, ni mauvais prsage, ni spectre, ni 'safar', et fuyez
le
lpreux comme si vous fuyiez
le
lion".
90. Ibid., f. 43a.
Autrement
dit : ce n'est
pas
la juridiction de dcider de l'existence
de la contagion.
9\.lbid.
-
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1
14
MARIE-HLNE
CONGOURDEAU
MOHAMMED MELHAOUI
que
l'hypocrite
qui
dit
le contraire de
ce qu'il
pense, ou l'ignorant qui
n'a jamais connu d'pidmie92. Quant
ibn Khtima,
sa
qualification
se
rsume
en deux mots : Gahalat Guhhl (des
ignorants
ignares). Ce
qui
est une manire lgante pour ne pas les
qualifier
autrement.
Prvention
et
traitement
1. Permanence
de
conduites archaques
* Domaine byzantin
La fuite,
supposer qu'elle soit efficace,
n'est
pas
toujours possible.
Il
faut donc affronter le flau. causalit irrationnelle,
remdes
irrationnels. Michel le Syrien nous a conserv le tmoignage
de Jean
d'phse
sur
la
peste de Justinien.
Celui-ci
nous rapporte un certain nombre de
conduites
o
s'exprime
le dsespoir des
populations touches. Ainsi,
lorsqu'un
homme
affirme
que la
peste
s'arrtera
si
l'on
jette
par
les
fentres
tous les rcipients, aussitt chacun s'affaire
fracasser les
vases
dans
les ruelles, avec un rsultat
nul
comme on peut s'en
douter.
Dans
une
ville
de
Palestine,
certains se persuadent que l'pidmie
est cause
par
la colre
d'une
idole dont
le culte a t dlaiss au profit
du
christianisme
:
ils
retournent
l'idoltrie
premire93.
Au
10e
s., les habitants
de
Sparte, avertis par Nikn
Mtanoit que
l'pidmie qui
frappe
leur ville
est
cause par
la
prsence des juifs, expulsent
la communaut
juive de
la
ville94. Plus pacifique, la frontire entre
superstition
et spiritualit, saint
Pierre
d'Atroa, au 9e s., fait cesser une pestilence par un
simple
signe
de
croix
trac
aux
quatre
points cardinaux95. Signe
de
la
croix, expulsion
des
Juifs,
affrontement
de l'idoltrie
sont
autant
de signes de
la
simple
christianisation de
conduites archaques.
*
Domaine islamique
La
lutte
contre
la peste est
bien relle, mme si les indications
restent
rares
et
leurs significations incompltes96. Cette
lutte revt des aspects
multiples. Malgr l'arsenal
religieux
caractre
prventif
ou
mdical, la
socit dans
son
ensemble, partage entre fatalisme, pessimisme et
92.
Ibid.
93.
Michel Le
Syrien,
Chronique,
IX, 28.
94.
Vie
de Nikn
le Mtanoit, d. S.
LAMPROS, NE
3, 1906,
p. 163.
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