la variation terminologique : un modèle à trois composantes
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JULIE PELLETIER
LA VARIATION TERMINOLOGIQUE : UN MODÈLE À TROIS COMPOSANTES
Thèse présentée
à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval
dans le cadre du programme de doctorat en linguistique
pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)
DÉPARTEMENT DE LANGUES, LINGUISTIQUE ET TRADUCTION
FACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2012
© Julie Pelletier, 2012
ii
Résumé
Lorsque les monstres désignent les « électroménagers », la décharge sauvage un « lieu de
déchet illicite », quels sont les mécanismes mis en œuvre dans le processus de
métaphorisation terminologique? Le déchet peut désigner à l a fois la « matière
valorisable » et la « matière à éliminer ». Le déchet devient au fil du t emps, dans les
textes de loi au Québec, la matière résiduelle. Ce changement linguistique est-il
attribuable à un s ouhait de déconnotation, de rectitude politique? Les nanosondes et
nanomachines passent de la série Star Trek aux nanotechnologies. L’énergie solaire et la
voiture hybride sont des néologismes référentiels, l’« identité et la nation québécoises »
des néologismes conceptuels. Quelles sont les motivations linguistiques et
extralinguistiques derrière les variations dans les terminologies et les néoterminologies?
Dans cette thèse, nous examinons ces questions. À partir d’une approche
socioterminologique, communicationnelle et diachronique, nous avons développé un
modèle de la variation terminologique à trois composantes : la variation dénominative,
conceptuelle et polysémique. Nous avons également mis à jour la typologie et les notions
des néologismes en créant deux nouvelles catégories de néologismes : référentiels et
conceptuels. Puis, nous avons approfondi le critère de néologicité et créé quatre types de
domaines néologiques. Nous avons pu é tablir des liens importants entre la néologie, la
variation terminologique, la métaphorisation terminologique, la polysémisation et les
causes de la variation terminologique. Les matières résiduelles (1998-2011), le
développement durable (2010-2011), la question entourant le débat sur les
accommodements raisonnables au Canada (2007) ainsi que le 400e anniversaire de la
ville de Québec (2008) ont été autant de sujets et d’exemples permettant d’illustrer nos
idées théoriques. Nous souhaitons que ces modèles puissent servir dans diverses études
néologique, terminologique ou l inguistique mono- ou multilingues. Par ailleurs, la
description de ces modèles pourra également servir dans l’enseignement de la
terminologie.
iii
Remerciements
Une thèse de doctorat se fait sur une longue période. Il est donc important de souligner
l’accompagnement extraordinaire des gens qui nous entourent pendant ces années d’études.
Je commencerai donc par remercier mes collaborateurs professionnels. Je garderai les
amours de ma vie pour la fin!
Je tiens à remercier chaleureusement mon directeur de thèse, M. Pierre Auger, pour les
années d’accompagnement et d’amitié. Il a été mon premier grand modèle de la
socioterminologie québécoise. Je demeure admirative de ses réalisations. Il a toujours cru
en moi, su m’insuffler de l’espoir lorsque j’en avais besoin et surtout, m’a toujours permis
d’aller au bout de mes idées. Il m’a encouragée dans mes hypothèses théoriques, m’a aidée
à réaliser deux stages de doctorat, soutenue dans les conférences et les cours enseignés, etc.
Pendant toutes ces années, je sais qu’il a tout fait pour m’offrir une excellente formation en
tant que future professeure-chercheure. J’apprécie énormément son humanisme, sa
gentillesse, son sens de l’humour, ses bons conseils et sa confiance. M. Auger, vous êtes
comme un père pour moi! J’ai bon espoir de pouvoir poursuivre la tradition universitaire et
de partager, à mon tour, cette relation avec des étudiants et / ou collègues. Merci du fond du
cœur!
À l’Université Pompeu Fabra (Barcelone, Espagne), j’ai eu le plaisir d’être accueillie par
Mme Judit Freixa pour un stage de doctorat de deux mois. Ce séjour a été des plus
bénéfiques alors que j’étais à l’élaboration de mon projet de thèse. J’ai pu bénéficier de ses
conseils avisés, avoir des discussions éclairantes et stimulantes, partager de bons moments,
développer une belle amitié et un lien de confiance. Sans compter que la thèse de Mme
Freixa a été une grande source d’inspiration pour moi. Merci énormément Judit pour tout
cet héritage qui se répercute sans aucun doute, aujourd’hui, dans ma thèse!
iv
À l’Université de Brasília (Brésil), j’ai eu le plaisir d’être dirigée en stage de doctorat
pendant un an par Mme Enilde Faulstich. Cette année de réflexions, d’études, de cours, de
conférences fut extrêmement enrichissante pour la fin de ma thèse. La majorité de mes
idées théoriques ont été développées pendant ce séjour hautement stimulant, entourée de
plusieurs autres étudiants de lexicologie et de terminologie. Un merci tout spécial à Enilde
pour son amitié, ses conseils avisés, son aide en toutes circonstances et sa joie de vivre!
Une partie de mon expérience au Brésil se reflète également dans ma thèse!
Pendant ma formation, ici ou ailleurs, j’ai côtoyé des professeurs stimulants et intéressants
à qui je tiens à adresser mes sincères remerciements : Denise Deshaies, Jean-Claude
Boulanger, Jacques Ladouceur, Zélie Guével, Claude Verreault (Université Laval); Benoît
Leblanc (Université du Québec à Trois-Rivières); Maria T. Cabré Castellví, Mercé Lorente
Casafont, Rosa Estopà Bagot, Ona Doménech Bagaria, Carles Tebé Soriano (Université
Pompeu Fabra, Barcelone); Maria Teresa Lino (Universidade Nova de Lisboa); Orlene
Lúcia de Sabóia Carvalho, Marcos Bagno (Universidade de Brasília, Brésil) et Ieda Maria
Alves et feu Maria Tereza Camargo Biderman (Universidade de São Paulo, Brésil).
À l’Office québécois de la langue française (OQLF), j’ai eu le plaisir de faire un stage de
six mois sous la direction et supervision de Mme Tina Célestin. Merci Tina de m’avoir
offert un mandat à la hauteur de mes attentes! J’ai également eu le plaisir de rencontrer les
terminologues de l’Office, d’avoir des échanges intéressants, d’avoir pu élaborer un projet
captivant et d’avoir pu mettre à jour une typologie de la néologie, qui sans le savoir, à cette
époque, aurait des répercussions importantes dans ma thèse. Un merci chaleureux à Tina, à
tous les terminologues de l’OQLF et plus personnellement à Johanne Maltais, Clément
Croteau, Ariane Royer, Julie Charron, Xavier Darras, Annie Galarneau, Jacques Duplain,
Denise Létourneau, Kathleen Bourget, Yolande Perron, Denis Godbout et Cécile Comeau.
v
Pendant mes études, j’ai eu le bonheur de pouvoir travailler à deux projets de recherche
d’envergure :
Premièrement, j’ai participé aux premiers travaux de recherche du volet encyclopédique du
FRANQUS (groupe de recherche qui élabore le Dictionnaire de la langue française - Le
français vu du Québec) à l’Université de Sherbrooke. J’aimerais adresser mes
remerciements sincères à M. Pierre Martel et à Mme Hélène Cajolet-Laganière pour leur
confiance et leurs encouragements au cours de mes études.
Finalement, j’ai eu l’immense plaisir de pouvoir participer à la création et aux réalisations
de l’OBNEQ depuis 2004, entourée de plusieurs collaborateurs, appuyée par mon directeur
de thèse, M. Pierre Auger, responsable de l’OBNEQ, encouragée par les collègues de
l’OQLF (Tina Célestin, Johanne Maltais, Jacques Duplain, Clément Croteau, etc.) et de
NEOROM1 (Judit Freixa, Maria Teresa Cabré, etc.); plus que tout, je souhaitais que cet
observatoire s’inscrive dans une durée, qu’il fasse partie de la société québécoise française
et qu’il devienne un pilier dans ce secteur de recherches. Je souhaite, en définitive, que nos
recherches puissent vivre à travers ma thèse!
À tous les étudiants extraordinaires avec qui j’ai eu le plaisir de travailler à l’OBNEQ, un
merci profond! À Mihaela Dobrescu pour son excellence et son amitié, à la dernière équipe
que j’ai mise sur pied dans le cadre du projet de développement durable en collaboration
avec l’OQLF, j’adresse des sentiments de reconnaissance, de gratitude pour leur
dévouement, leur assiduité, leur amitié, leur efficacité et leur fidélité en toutes
circonstances. Merci à vous tous : Hugo Desrosiers (chef d’équipe), Geneviève Labrecque
(chef d’équipe), Mélina Gosselin, Andrée-Anne Bellemare, François Vachon Annie
Pelletier, Sabrina Poulin-Lafontaine, Marie-Christine Bouchard, Justine Lamoureux,
1
NEOROM est le Réseau panlatin des observatoires de néologie des langues romanes, dirigée par Teresa
Cabré et son équipe à l’Université Pompeu Fabra (Barcelone, Espagne). L’OBNEQ faisait partie du réseau.
vi
Stéphanie Paradis, Laurence Burque, Claire Vincent, Benoît Morin, Cindy Vaugeois et
Guillaume Desgagné-Lebeuf.
D’une façon plus générale, j’aimerais remercier tous les étudiants qui ont assisté à mes
cours de terminologie, de lexicologie (Université Laval, Universidade de Brasília) et
d’aménagement linguistique (Université de Sherbrooke). Enseigner est certes une vocation.
J’ai pu apprécier le dévouement lié à cette activité hautement formatrice et constructive.
Merci à vous tous et à vous toutes de m’avoir enseigné l’humilité, la compassion, la
patience, l’humanisme et le partage. J’ai vécu de réels bons moments intellectuels et
pédagogiques, mais aussi de bons moments de détente et d’amitiés, à l’occasion, en votre
compagnie.
Je tiens à remercier chaleureusement le Fonds de recherche sur la société et la culture
(FQRSC), le Fonds de soutien au doctorat (FSD), le Bureau international, le Fonds
d’enseignement et de recherche (FER) de l’Université Laval pour leur aide financière.
Maintenant, d’une façon plus personnelle, je veux remercier tous les amours de ma vie. À
vous qui m’avez permis de garder le sourire dans les épreuves, de me relever après la chute,
de foncer et de terminer cette thèse alors que tout ou presque dans la vie m’en
décourageait…
À mes parents que j’aime profondément, à toi papa, Donald, qui a lutté 11 ans contre le
cancer et qui a malheureusement perdu ce combat cette année. J’ai toujours senti ta fierté,
ton amour, tes encouragements, même au-delà de la mort. Si les anges ont des ailes, alors tu
en as certainement pour m’avoir aidée à finir la rédaction de cette thèse pendant mon deuil.
Oui, tu me manques cruellement, mais ce que tu m’as appris est éternel : combativité,
amour, respect, droiture, détermination, passion et franchise. Si ma thèse a dû être mise sur
la glace voire même remise en question à certains moments très difficiles que nous avons
vii
traversés ensemble, jamais je ne regretterai tous les moments partagés avec toi! Ils sont si
précieux. Tu es un modèle pour moi, papa! Je t’aime et te remercie pour tout. Où que tu
sois aujourd’hui, je ressens ton amour et je sais que tu es très fier de cet accomplissement.
À maman chérie, Pierrette, à toi qui as été mon premier modèle de femme libérée, moderne,
éduquée; une enseignante que j’adorais suivre à l’école! Tu m’as transmis ton amour de
l’enseignement et de l’éducation. Merci maman d’avoir toujours cru en moi, de m’avoir
toujours soutenue dans mes études, ici et ailleurs! De toi, je retiens la passion, la patience,
l’humanité, le dévouement, la compassion, la douceur, la compréhension et beaucoup
d’amour, car il en faut pour faire ce métier exigeant, pour accompagner un mari pendant
onze ans, sans relâche, envers et contre tout. Il t’en a fallu beaucoup aussi pour me laisser
partir étudier toutes ces longues années à l’étranger, merci maman. Sans toi, cette fin de
thèse n’aurait pas pu avoir lieu. Tu m’as permis d’y croire à nouveau, de raccrocher, de
remonter la pente, de sourire à nouveau à la vie et d’aller au bout de mon rêve! Ma
gratitude est infinie, maman!
À mes chers frères, Eric et Sylvain, à mes belles-sœurs, Karine et Marie, pour leur amour et
tous les bons moments partagés ensemble, à la maison, au chalet, à la cabane à sucre, à la
roulotte, au camp de chasse, dans la nature. Ces moments m’ont permis de me ressourcer et
de recharger mes batteries. Je vous aime mes frérots et petites sœurs d’alliance! Une séance
de rires et de niaiseries avec vous autour de la table n’a pas son pareil, et ce depuis la plus
tendre enfance! À ma belle petite Léa, dernière arrivée dans notre famille, ma petite filleule
adorée qui est venue illuminer nos vies après une longue période de douleurs et de
souffrances. À toi, beau petit rayon de soleil, merci d’être à mes côtés!
Dans ma famille élargie, je remercie chaleureusement tous mes oncles et tantes, cousins et
cousines qui m’ont soutenue ces dernières années. Plus particulièrement, j’adresse des
remerciements très chaleureux à ma tante Mona qui m’a soutenue depuis toujours dans mes
viii
études, qui a cru en moi, qui m’a aimée et accompagnée à travers les hauts et les bas, sans
jamais me laisser tomber. Merci beaucoup, ma tante! À mon parrain et à ma marraine,
Robert et Charlotte, qui n’ont cessé de m’encourager à aller décrocher la lune, pour leur
amour dans les moments heureux et difficiles, merci d’être là dans ma vie! À mon oncle
André et à ma tante Huguette, qui sont fiers de mon cheminement, qui m’ont souvent
accueillie chez eux, en transit de mes voyages et avec qui je partage toujours des moments
merveilleux, merci pour tout! À ma cousine Lyne, que je considère comme une amie, une
sœur, une confidente, merci d’avoir été très présente dans ma vie, de m’avoir redonné du
courage aux bons moments, de m’avoir félicitée à chaque occasion, et pour tous les
magnifiques moments partagés ensemble! Merci aussi à ta belle petite Amélie d’accrocher
un sourire de plus à mes jours! À ma filleule Patricia, ma belle grande fille, pour ton amour,
ton soutien et tous nos éclats de rire! À mes défunts grands-parents pour leur amour
inconditionnel! À vous tous et toutes, chers membres de ma famille Pelletier-Bouchard,
merci du fond du cœur!
À mes amis chéris, d’ici et d’ailleurs, j’adresse des remerciements profonds et sincères.
Qu’aurais-je fait sans vous? Vous avez été les garde-fous, les anges sur ma route, les piliers
en cas d’inondations, les premiers lecteurs malgré vous, les partenaires de danse, les
compagnons de voyage, les goûteurs à la table, les amours de mon quotidien! Je vous
remercie sincèrement d’être restés à mes côtés à travers vents et marées et d’avoir toujours
su m’aimer inconditionnellement : Andy, Sam, Mélanie, Patrick, André, Vicky, Olivier,
Sonya (et ses deux magnifiques enfants), Jacinthe, Michel, France, Gabriel, bébé Xavier,
David, Isabelle, Caroline et François (Québec), Valina et sa petite Lily-Charlotte
(Belgique), Veronika, Christian, Aline (Allemagne), Marjorie et Xavier (France), Carolina,
Erika, Jana, Simone, Jorge, Marcio, Valdo, Roberto, Déborah, Sonia et Belen (Brésil,
Colombie, Argentine).
À Suzanne Therrien pour son accompagnement exceptionnel dans la réalisation de cette
thèse de doctorat! Suzanne, tu as su m’insuffler de l’espoir à nouveau et su me guider sur la
ix
voie de la confiance, de la sérénité et du bonheur! Je t’exprime ma profonde et sincère
gratitude!
Finalement, un merci tout spécial à André pour sa lecture avisée de ma thèse; et à Andy
pour sa lecture, ses conseils, ses cafés réconfortants et son accompagnement en tant qu’ami
et linguiste à travers les méandres de la vie de doctorants!
x
Liste des abréviations
A
ACCV
ACFAS
ACV
ADEME
ADQ
ALV
BDI
BW
C
CCGI
CD
CILF
CILPR
co
CNRS
CSN
DD
DHLF
DTT
ENSAD
F
FAO
FER
FEW
adjectif
analyse des coûts du cycle de vie
Association francophone pour le savoir
analyse du cycle de vie
Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie
Action Démocratique du Québec
appareils de loterie vidéo
Base de données informatisées (OBNEQ)
Dictionnaire étymologique de la langue française
construit (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)
cycle combiné à gazéification intégrée
consommation durable
Conseil international de la langue française
Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes
concept
Centre national de recherche scientifique
Confédération des syndicats nationaux
Développement durable
Le Robert - Dictionnaire historique de la langue française
Direction des travaux terminologiques (OQLF)
École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs
formatif (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)
Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture
Fonds d’enseignement et de recherche (Université Laval)
Französisches Etymologisches Wörterbuch
xi
FQRSC
FRANQUS
FSD
FTQ
GES
GDT
HAVL
IPS
ISO
Fonds de recherche sur la société et la culture
Français Québécois : Usage Standard
Fonds de soutien au doctorat (Université Laval)
Fonds de solidarité du Québec
gaz à effet de serre
Grand Dictionnaire Terminologique (OQLF)
déchet radioactif de haute activité et à vie longue (dans déchet HAVL)
infirmières praticiennes spécialisées
Organisation internationale de normalisation
IULATERM Centre de recherche de l’Université Pompeu Fabra à Barcelone
JP
LEED
LG
LSP
LT
MDDEP
MT
N
NA
NC
NEOROM
NF
NR
NS
NS
NSI
OBNEQ
joncteur prépositionnel
Leadership in Energy and Environmental Design
Langue générale
Langues de spécialité
fond lexical terminologique (dans la Terminologie fonctionnelle d’E.
Faulstich)
Ministère du développement durable du Québec
métaphore terminologique
nom
néologisme d’actualité
néologisme conceptuel
Réseau panlatin des observatoires de néologie des langues romanes
néologisme formel
néologisme référentiel
néologisme sémantique (notre typologie de la néologie)
noyau sémique (notre proposition de la métaphorisation terminologique)
noyau sémantique invariable (dans la proposition d’A. Assal)
Observatoire de néologie du Québec
xii
OLF
OQCD
OQLF
PD
PLI
PLQ
PR
PRél
R
rã
REALITER
REFIOM
ROC
sã
sé
T
TALN
TCT
TERMCAT
TGT
TIC
TLFi
TSCT
VC
VD
VP
VT
Office de la langue française
Organisation de Coopération et de Développement Économiques
Office québécois de la langue française
prédéterminant
Nouveau Petit Larousse Illustré
Parti libéral du Québec
Nouveau Petit Robert
Le Nouveau Petit Robert électronique
règle (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)
référent
Réseau panlatin de terminologie
Résidus d’Épuration des Fumées d’Incinération d’Ordures Ménagères
Rest of Canada
signifiant
signifié
terminologie (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)
Traitement automatique des langues naturelles
Théorie communicationnelle de la terminologie (M. T. Cabré)
Centre de terminologie de la Generalitat de Catalunya
Théorie générale de la terminologie (E. Wüster)
Technologies de l’information et de la communication
Trésor de la langue française informatisé
Théorie sociocognitive de la terminologie (R. Temmermann)
variation conceptuelle
variation dénominative
variation polysémique
variation terminologique
xiii
Table des matières
La variation terminologique : un modèle à trois composantes
Résumé
Remerciements
Liste des abréviations
Table des matières
Liste des schémas et tableaux
Introduction
ii
iii
x
xiii
xvii
1
Chapitre 1
La variation en terminologie
6
1.1. Les angles d’approche de la variation terminologique : réflexions théoriques
1.1.1. Le bilan des approches de la terminologie
1.1.2. Les approches de la terminologie : comparaison des classements
1.2. La description des approches de la terminologie
1.2.1. La socioterminologie
1.2.2. La terminologie textuelle et les linguistiques de corpus (terminotique)
1.2.3. La terminologie communicationnelle
1.2.4. La terminologie sociocognitive
1.2.5. La terminologie culturelle
1.2.6. La terminologie fonctionnelle
1.2.7. Les approches sémantique et diachronique
1.3. La TCT et les fonctions de la langue : point de départ de notre modèle des
causes de la variation terminologique
1.4. Après la remise en question des postulats de la TGT : la structuration de la
socioterminologie
1.5. L’approche descriptive versus l’approche normative
1.6. La variation dénominative
1.6.1. La variation dénominative ou la synonymie
6
6
7
10
10
11
12
12
13
14
16
18
20
21
25
25
xiv
1.6.2. Le bilan des travaux
1.7. La typologie de la variation dénominative de Freixa
1.7.1. Variation géographique et orthographique
1.7.2. Variation morphosyntaxique
1.7.3. Variation par réduction
1.7.4. Variation lexicale
1.8. Les causes de la variation terminologique dénominative de Freixa
1.8.1. Causes dialectales
1.8.2. Causes fonctionnelles
1.8.3. Causes discursives
1.8.4. Causes interlinguistiques
1.8.5. Causes cognitives
28
31
32
33
33
34
34
34
35
37
37
38
1.8.5.1.
1.8.5.2.
Distanciation idéologique
Différences de conceptualisation
38
39
1.9. La variation conceptuelle et la variation polysémique : deux composantes
de la variation terminologique à découvrir
1.10. Notre conception de la variation conceptuelle et de la variation
polysémique : différenciation
1.10.1. Quelques conclusions préliminaires
40
43
45
Chapitre 2
Les métaphores terminologiques
47
2.1.
2.2.
2.3.
2.4.
2.5.
Le contexte de l’étude des métaphores terminologiques
La méthodologie
Le cadre théorique
La discussion des cinq métaphores
Conclusion
48
48
49
53
72
Chapitre 3
La variation polysémique
75
3.1. Polysémie, homonymie et monosémie
3.1.1. De la polysémie en langues de spécialité
3.1.2. Traitement homonymique ou polysémique?
3.1.3. Critères de distinction entre l’homonymie et la polysémie :
la disjonction homonymique
75
75
76
77
xv
3.1.4. Un lien sémique commun
3.1.5. Un critère relatif
3.1.6. Le motif
3.1.7. L’ambiguïté vue comme l’hyperonyme d’homonymie et de polysémie
3.1.8. La contextualisation en discours
3.1.9. La polysémie : situation de tous les termes de la langue?
3.2. La variation polysémique
3.2.1. Introduction
3.2.2. Le bilan des travaux sur les changements de sens
3.2.3. Le classement de Nyckees sur les causes des changements de sens
3.2.4. Vers une théorie de la polysémisation
3.2.4.1. D’autres critères à considérer dans l’étude de la polysémie
3.2.4.2. Notre proposition théorique s’articule autour de quatre critères
et de deux prémisses de départ
3.2.4.3. Conclusion
3.2.5. La chaîne de la polysémie
3.2.5.1. Les causes de la polysémie en regard de la communication spécialisée :
une cause parmi toutes les causes?
3.2.5.2. La chaîne de la polysémie : les premiers maillons
3.2.5.3. Théorie des points de vue de Condamines et Rebeyrolle (1997)
3.2.5.4. La chaîne de la polysémie : l’ouverture des frontières
3.2.5.5. La chaîne de la polysémie : conséquences et perspectives
3.2.5.6. Conclusion
78
79
80
82
84
86
98
98
99
102
116
117
118
129
131
131
132
133
134
137
139
Chapitre 4
Réflexions sur la néologie
142
Introduction
4.1. Contexte de l’étude néologique
4.2. Précisions méthodologiques
142
143
145
4.3. Réflexions théoriques 147
4.3.1. Typologie de la néologie
4.3.2. Définitions des notions de la néologie
4.4. Conclusion
148
151
180
xvi
Chapitre 5
Le modèle des causes de la variation terminologique
185
5.1. Le modèle des causes de la variation dénominative de Freixa : récapitulatif
5.2. Le modèle des causes des changements de sens de Nyckees : récapitulatif
5.3. Notre modèle de la variation terminologique
5.4. Liens entre la typologie de la néologie et le modèle de la
variation terminologique
5.5. Le modèle des causes de la variation terminologique
5.5.1. Les causes linguistiques de la variation terminologique
5.5.1.2. Typologie des causes linguistiques
5.5.2. Les causes extralinguistiques de la variation terminologique
5.6. Application du modèle avec l’exemple du développement durable
5.6.1. Les causes socioculturelles : le développement durable
5.6.2. Les causes cognitives : le développement durable
5.6.3. Les causes communicationnelles : le développement durable
5.6.4. Les causes linguistiques : le développement durable
5.7. Les définitions des notions des causes de la variation terminologique
5.8. Conclusion
186
187
189
191
194
194
195
196
197
200
201
202
203
208
209
Chapitre 6
Bibliographie
Glossaire
Conclusions
212
221
240
xvii
Liste des schémas et tableaux
Chapitre 1
La variation en terminologie
Tableau 1. Tableau comparatif des classements
Tableau 2. Les caractéristiques propres et communes
des nouvelles approches de la terminologie contemporaine
Schéma 1. La variation conceptuelle
Schéma 2. La variation polysémique
8
24
44
44
Chapitre 2
Les métaphores terminologiques
Schéma 1. Sphères métaphoriques : point de départ (Assal, 1995)
Sphère métaphorique 1 : « monstre »
Sphère métaphorique 2 : « gisement »
Sphère métaphorique 3 : « sauvage »
Sphère métaphorique 4 : « inerte »
Sphère métaphorique 5 : « cannibalisation »
Schéma 2. Illustration de la variation polysémique de « monstre »
à partir du triangle sémiotique
Schéma 3. Le concept de « monstre » dans notre corpus
Schéma 4. Le champ lexico-conceptuel de « monstre » dans notre corpus
Schéma 5. Polysémie de « monstre » en langue
Schéma 6. Le continuum de la socio-diffusion
Schéma 7. Notre proposition de la métaphorisation terminologique
conduisant à la variation polysémique
52
54
55
57
58
61
67
67
68
68
71
72
Chapitre 3
La variation polysémique
3.1. Polysémie, homonymie et monosémie
Schéma 1. L’étude du motif en terminologie par Kocourek
82
xviii
Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie
93
telles que présentées par les auteurs
Tableau 2. Évolutions parallèles de la pensée autour 91
de la variation terminologique, de la synonymie et de la polysémie
3.2. La variation polysémique
Schéma 1. La chaîne de la polysémie
141
Chapitre 4
La typologie de la néologie
Schéma 1.
Schéma 2.
Schéma 3.
Schéma 4.
Chapitre 5
Typologie de la néologie
Typologie de la néologie (avec exemples)
Typologie des domaines néologiques
Conceptions de la nation
Le modèle des causes de la variation terminologique
182
183
184
175
Schéma 1. Modèle de la variation terminologique : un modèle à trois
composantes
Schéma 2. Incidence entre la néologie et la variation terminologique
Schéma 3. Liens entre la néologie et la variation terminologique
(versus le signe linguistique)
Schéma 4. Schéma géonomique du développement durable
Schéma 5. Notre modèle des causes de la variation terminologique
189
192
193
200
211
1
Introduction
La gestion et le traitement des matières résiduelles
Le sujet de la gestion et du traitement des matières résiduelles est d'actualité mondiale et
constitue un enjeu pour toutes les nations soucieuses de préserver un environnement sain et
équilibré. Malgré les avertissements sérieux et les efforts soutenus par les groupes
environnementalistes pour réduire les tonnes de déchets produits chaque année, malgré une
meilleure sensibilisation au recyclage et au compostage, la quantité et la variété des
matières résiduelles ne cessent de croître parce que l’homme ne cesse de consommer. L'être
humain est donc arrivé à un point de non-retour. Il doit maintenant réfléchir à son avenir,
trouver des solutions afin de réduire les tonnes de déchets qu'il produit chaque année et plus
que tout, trouver les moyens de les gérer et de les traiter. Cette situation très actuelle a
généré une grande quantité de documents de toutes sortes sur le sujet (rapports
d’évaluation, plans d’aménagement, études thématiques, textes spécialisés et techniques,
textes de loi, etc.). Ces nombreux documents sur le sujet ont pour la plupart nécessité une
traduction soit pour répondre à un b esoin d’aménagement linguistique, plus
particulièrement dans les pays bilingues ou multilingues, soit pour assurer une plus grande
visibilité des différentes stratégies employées sur le marché par les organismes
internationaux. Or, il n’existe aucune étude terminologique de ce domaine. Ainsi, le
rédacteur ou le traducteur se heurte soit à un manque de ressources dictionnairiques ou
encore à une terminologie inexistante ou l acunaire. Il peut en résulter des problèmes de
langue tels des calques, des faux amis, des incohérences, des lacunes lexicales ou
conceptuelles. Par ailleurs, l’accroissement des échanges internationaux ainsi que la
pluridisciplinarité de ce domaine constituent une grande richesse en matière de phénomènes
de variation terminologique.
2
Le développement durable et les domaines d’actualité
Afin d’étudier les liens entre la néologie et la variation terminologique, aux chapitres 4 et 5,
nous avons utilisé des exemples provenant de corpus différents, assemblés dans le cadre de
nos activités de recherche personnelle et à l ’OBNEQ (Observatoire de néologie du
Québec). Nous utiliserons donc des exemples de néologismes du secteur du développement
durable, du 400 e anniversaire de la ville de Québec (2008) et du débat entourant les
accommodements raisonnables (2007).
La variation terminologique : phénomène à décrire et à comprendre
Dans cette thèse, les phénomènes de variation terminologique seront étudiés à partir d’une
approche entièrement descriptive, visant à mieux les comprendre d’une part et à mieux les
gérer d’autre part. Tout comme le mentionnait Gaudin, il est temps « que l’on réintègre la
variation, essentielle dans toutes les interactions, et nullement absente des vocabulaires
professionnels. Il convient donc, au lieu de la combattre en la minorant, de comprendre
cette variation et de l’étudier » (1993a : 296). Les phénomènes qui retiendront notre
attention dans cette thèse sont : la variation dénominative, la variation conceptuelle et la
variation polysémique.
Notre conception de la terminologie et de la variation terminologique
La terminologie, selon nous, ne peut être réduite à un voc abulaire particulier ou ê tre vue
seulement comme une sous-discipline d’une autre. Au cours des dernières années, elle a fait
l’objet de réflexions théoriques et appliquées de plus en plus approfondies (pensons aux
propositions de Temmerman (2002), Cabré (1998), Diki-Kidiri (2000), Faulstich (1998)) et
elle doit être envisagée comme un tout. Voici donc la définition que nous proposons de la
terminologie :
Iso (Organisation internationale de normalisation), Termcat (Centre de terminologie de la Generalitat de
Iulaterm (Centre de recherche de l’Université Pompeu Fabra à Barcelone. Les recherches portent sur le
3
Étude théorique, méthodique et appliquée des concepts et des
termes, de leur fonctionnement social et de leur valeur à l ’intérieur
d’un savoir spécialisé, et en relation avec d’autres disciplines du
savoir humain et de la linguistique.
Les objets de l’étude terminologique, les termes et les concepts, ne peuvent être dissociés
les uns des autres; ils doivent être étudiés conjointement. Dans cette perspective, la plupart
des études terminologiques requièrent donc une combinaison des approches
onomasiologique et sémasiologique. La terminologie, qu’elle réponde à besoin ponctuel, à
une recherche thématique ou s ystématique, ne peut plus être envisagée en dehors des
réflexions théoriques, et des applications de ses activités de recherche. Par ailleurs, les
méthodes établies selon les besoins de chaque étude découlent pour autant d’une forme de
pensée préalable, indissociable donc d’une école de pensée ou d’une base théorique (que
celle-ci soit normative ou descriptive) en fonction des besoins visés. Or, si la recherche
terminologique se fait dans un besoin d’harmonisation, les résultats seront complètement
différents de ceux qui seraient obtenus dans le cadre d’une recherche descriptive, où l es
objectifs sont la description d’une situation réelle afin de mieux l’expliquer. Il en va de
même si la recherche est menée par deux écoles de pensée différentes. Prenons l’exemple
de travaux qui seraient menés par Iso, Termcat ou la FAO 1 dont la vision de la
terminologie est essentiellement standardisatrice; les résultats obtenus ne pourraient pas
être les mêmes s’ils étaient réalisés par un groupe tel que IULATERM de l’Université
Pompeu Fabra à Barcelone, le groupe 2, qui travaille avec une approche
communicationnelle et variationniste de la terminologie. Par ailleurs, comment pourrait-on
négliger la valeur et les fonctions du terme en contexte de communication? Chaque terme
revêt autant de valeurs que le contexte le demande ou le commande. C’est donc le contexte
social et le cotexte linguistique qui donnent sa valeur au terme. Celui-ci est donc perméable
aux contextes et cotextes dans la mesure où il peut acquérir une gamme infinie de valeurs
en fonction des situations de communication, d’où l’incroyable capacité du terme-concept à
1
Catalunya), FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) 2
lexique, la terminologie, les langues de spécialité et l’ingénierie linguistique.
4
évoquer tout en nuance. Si nous récapitulons, la valeur est donc « le sens que peut revêtir
un concept et la dénomination que peut prendre un terme en fonction de son contexte social
et de son cotexte linguistique en vue de répondre à des besoins communicationnels précis ».
La réalité dans les usages le démontre : nous pourrons illustrer plusieurs de ces exemples
dans les chapitres à suivre. Puis, il ne faut pas oublier que la terminologie traite de tous les
domaines spécialisés du s avoir humain, lesquels sont tous interreliés. Le rapprochement
entre la terminologie et la linguistique constitue aussi un atout considérable et ne peut,
selon nous, être écarté puisqu’il aurait toujours dû en être ainsi.
La variation terminologique est un modèle à trois composantes :
VT
VD Deux ou plusieurs
dénominations (sã)
différentes correspondant à
un même sé et à un même rã
VC Un concept (co) pouvant
revêtir plusieurs valeurs
selon la conception, l’usage
qu’en font les locuteurs et
correspondant à un même rã
VP
Une dénomination (sã)
correspondant à plusieurs
sé et rã différents
Parmi les phénomènes de variation terminologique (VT), nous incluons la variation
dénominative (VD), la variation conceptuelle (VC) et la variation polysémique (VP). À
l’intérieur de la VP sont intégrées les métaphores terminologiques (MT). La VD ou la
synonymie, pour c eux qui préfèrent ce terme, correspond à l’existence de deux ou pl usieurs
dénominations différentes liées à un même signifié et à un même référent. La VC représente le
phénomène selon lequel un concept peut revêtir plusieurs valeurs selon la conception, selon la
5
perception ou l’usage qu’en font les locuteurs (destination, point de vue, objectif, etc.) et
correspondant à un même référent. C’est exactement là que réside la différence principale entre
la VC et la VP. Dans le cas de la VP, une dénomination a plusieurs signifiés différents et
correspond aussi à des référents différents. Nous donnerons des exemples détaillés de ces
phénomènes dans les chapitres concernés.
Le chapitre 1 : La variation en terminologie
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1.1. Les angles d’approche de la variation terminologique : réflexions théoriques
L'étude de la variation terminologique s'inscrit dans le cadre général de la
socioterminologie et dans la perspective d’une terminologie communicationnelle. Les
postulats de la socioterminologie offrent le meilleur point de départ pour observer les
phénomènes de variation terminologique 1. Par ailleurs, il est important de situer cette étude
dans un modèle de la communication spécialisée, dans lequel les termes possèdent
différentes valeurs selon les contextes, les récepteurs et les émetteurs.
La notion de « communication spécialisée » va donc de pair avec les situations de
communication, contextes et domaines de la connaissance. Cabré affirme que se sont les
domaines qui confèrent une valeur spécialisée aux unités de signification : « c’est donc le
domaine qui cristallise leur signifié et leurs conditions d’usage » (Cabré 2000b :15). Nous
ajouterions également l’influence des acteurs (émetteurs et récepteurs) de la communication
sur cette situation.
Afin de choisir le meilleur angle d’approche de la variation terminologique, nous avons
procédé à l’étude de chaque approche connue. Voici donc un bilan de ces approches avant
de présenter les cadres retenus : la socioterminologie et la théorie communicationnelle de la
terminologie.
1.1.1. Le bilan des approches de la terminologie
Depuis une quinzaine d’années, la terminologie est soumise à des pressions externes
comme en témoignent le mouvement des colloques et la formation d’associations autour de
la terminologie, signes évidents d’un renouveau et d’une revitalisation ouverte à de
substantielles réflexions théoriques et pratiques. Cette effervescence est due aux
changements sociopolitiques et technologiques des deux dernières décennies. Parmi ceux-
ci, citons la mondialisation, les avancées informatiques en Traitement automatique des
Les postulats de la socioterminologie seront exposés à la page suivante, après avoir expliqué l’approche
Paru intégralement en anglais comme suit : « Computational terminology which uses textual corpora and
7
langues naturelles (TALN), le questionnement nouveau sur le terme, la prise en compte de
la diversité langagière et culturelle en langues de spécialité, les linguistiques de corpus et
une description plus étendue des termes dans les banques de terminologie. C’est donc dans
ce contexte historique que se dessinent la socioterminologie et plus récemment d’autres
approches qui seront également présentées dans ce bilan. Qu’elles soient
socioterminologiques, culturelles, communicationnelles, sociocognitives, fonctionnelles ou
issues d’une école de pensée ou d’ un modèle d’aménagement linguistique en particulier,
elles participent toutes à la révision de la théorie et de la pratique de la terminologie
contemporaine. À l’heure des bilans, nous dresserons donc un por trait de chacune de ces
nouvelles approches et de leurs points communs afin de tracer les grandes lignes d’une
terminologie en devenir. Pour ce faire, nous procéderons d’abord à l ’analyse et à l a
comparaison des bilans effectués par Budin (2001) dans Cabré (2003) et L’Homme, Heid et
Sager (2003).
1.1.2. Les approches de la terminologie : comparaison des classements
Dans son article « Theories of terminology : their description, prescription and
explanation » (Terminology, 2003), Cabré présente la classification des théories émergentes
selon Budin (2001) : a) la socioterminologie (sous laquelle Budin regroupe l’École de
Rouen, la terminologie sociale de la Scandinavie, la terminologie sociocognitive de
Temmerman (2000) ainsi que quelques contributions individuelles telles que Boulanger
(1995), Cabré (1999) et Antia (2000)) ; b) la terminotique2 (regroupant les contributions de
Ahmad (1998), Heid (1999), Bourigault, Jacquemin et L’Homme (1998) et Pearson (1998))
et c) le paradigme indépendant de Riggs (1984), limité aux sciences sociales. Hormis cette
mention dans Budin (2001), nulle part ailleurs il n’a été question du paradigme de Riggs,
c’est pourquoi nous avons décidé de l’exclure de notre classement. Pour leur part,
1
communicationnelle de la terminologie. 2
incorporates the applied research in terminological engineering, modelling of data and metadata for
processing terminological information and terminology analysis and its relation from the position of formal
linguistics » (Budin 2001 dans Cabré 2003 : 181).
Budin (2001)
dans Cabré
(2003)
L’Homme, Heid et Sager
(2003)
Pelletier (2011)
Socioterminologie Socioterminologie Socioterminologie
Terminotique Terminologie textuelle Terminologie textuelle et linguistiques
de corpus (terminotique)
Paradigme de
Riggs
Terminologie
communicationnelle
Terminologie
sociocognitive
Terminologie communicationnelle
(Cabré)
Terminologie sociocognitive
(Temmerman)
Terminologie culturelle (Diki-Kidiri)
Terminologie fonctionnelle (Faulstich)
Terminologie sémantique
Terminologie diachronique
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L’Homme, Heid et Sager (2003) ont présenté dans leur article intitulé « Terminology
during the past decade (1994-2004) » quatre approches (toutes parues dans la revue
Terminology) : a) la socioterminologie (dont les contributions de Gambier (1993), de
Gaudin (1993) et (2003)), b) la terminologie textuelle de Bourigault et Slodzian (1999), c)
la terminologie communicationnelle de Cabré (2000) et d) la terminologie sociocognitive
de Temmerman (2000) cf. Tableau 1.
Tableau 1 :
Tableau comparatif des classements
D’emblée, il est possible de constater que le classement de Budin est plus large que celui de
L’Homme, Heid et Sager. Dans la socioterminologie, Budin inclut la terminologie
communicationnelle de Cabré et la terminologie sociocognitive de Temmerman alors
qu’elles sont présentées séparément dans L’Homme, Heid et Sager. Il est également
9
possible d’imaginer que la terminologie textuelle est sous-entendue dans la terminotique de
Budin.
Pour notre part, nous avons effectué un c lassement basé sur les deux classements
précédents auxquels nous avons ajouté quelques approches rencontrées au fil de nos
lectures, soit la terminologie culturelle de Diki-Kidiri, la terminologie fonctionnelle de
Faulstich ainsi que les approches sémantique et diachronique. En ce qui concerne la
terminologie textuelle, nous la présentons conjointement avec les linguistiques de corpus
(Paradis et Auger 1987, Pearson 1998, Habert, Nazarenko et Salem, 1997), toutes deux
faisant partie d’un courant plus large qui est celui de la terminotique ayant permis de
réviser la méthodologie et l’application de la terminologie à partir de nouveaux outils
informatiques ainsi qu’à partir d’études portant directement sur les Langues de spécialité
(LSP), citons Lerat, Kocourek, Drodz et Seibicke. Dans l’approche socioterminologique,
nous insistons sur l’importance des contributions du Q uébec en tant que modèle
socioterminologique d’aménagement linguistique; c’est pourquoi nous incluons l’École de
Québec dans cette catégorie; à côté de l’École de Rouen et de la terminologie sociale de la
Scandinavie pour l’ensemble de leurs contributions respectives à la socioterminologie. Par
ailleurs, il n ous semble particulièrement important de compléter le panorama de la
socioterminologie en mentionnant les contributions de ses courants précurseurs tels que la
lexicologie et la sociolinguistique française (notamment Guilbert et Rey-Debove). Les
analyses de discours spécialisés (citons Dubois, Candel, Mortureux, Capuscio) ont elles
aussi énormément contribué à la socioterminologie. Parce qu’elles sont, pour l’instant,
l’œuvre d’un seul auteur, la terminologie communicationnelle, la terminologie culturelle, la
terminologie sociocognitive et la terminologie fonctionnelle ont été présentées séparément
dans notre classement. Les approches sémantique et diachronique de la terminologie ne
sont pas attribuables à un seul auteur, mais ressortent dans de nombreux ouvrages récents
dont nous dresserons un portrait dans ce bilan.
10
1.2. La description des approches de la terminologie
1.2.1. La socioterminologie
Le terme socioterminologie apparaît sous la plume de Jean-Claude Boulanger au début des
années 1980, m ais ne sera défini que plus tard, au cours de la décennie suivante, avec le
sens qu’on lui connaît aujourd’hui. Grâce aux travaux respectifs de l’École de Québec
(Daoust, Auger, Boulanger, OLF, etc.), de l’École de Rouen (Guespin, Gambier, Gaudin,
etc.), de la terminologie sociale de la Scandinavie, et dans le sillage de l’analyse des
discours spéciaux et de l’approche lexicographique de la terminologie, se définit une
socioterminologie où la prise en compte des dimensions sociales sera désormais
fondamentale dans l’étude des phénomènes terminologiques, que ce soit pour mener des
études de terrain dans une perspective d’aménagement linguistique ou dans le cadre de
recherches strictement théoriques. Au cœur de cette approche sociologique ou
variationniste de la terminologie se situent : la description des usages réels, la
reconnaissance des phénomènes de variation linguistique, l’interdisciplinarité, la circulation
des termes et des concepts, puis le respect des diversités culturelles et langagières. Ces
postulats de base de la socioterminologie se construisent autour d’une remise en question
préalable de la Théorie générale de la terminologie (TGT) de Wüster et des approches
plutôt normatives de la terminologie qui avaient été privilégiées dans un c ontexte
d’aménagement linguistique et de définitions de normes. La socioterminologie remet en
question la biunivocité du terme, l’idéalisation lexicale, la « pratique dictionnairo-
normative » (Boulanger 1991 : 27), l’idéal réducteur de la normalisation, la circonscription
réductionniste des domaines, la monosémie, la monoréférentialité et la synchronie.
La socioterminologie a donc pu se préciser au fil des dernières décennies, mais il n’en reste
pas moins qu’elle continue de s’élargir. À ce jour, la socioterminologie est certes un
courant qui a s es ramifications aux quatre coins de la planète. Ses revendications sont si
bien honorées que le socio- de socioterminologie est maintenant remis en question, mais
pas son signifié (Gaudin 2003).
11
1.2.2. La terminologie textuelle et les linguistiques de corpus (terminotique)
Bourigault et Slodzian (1999) ont développé leur Terminologie textuelle autour d’un
constat : « l’activité de construction d’une terminologie est désormais essentiellement une
tâche d’analyse de corpus textuels » (1999 : 30). Cette affirmation s’appuie sur deux
raisons principales : les applications de la terminologie sont le plus souvent des applications
textuelles et les connaissances partagées par un groupe d’experts ont pour point de départ
les textes. Il faut donc asseoir l’analyse terminologique sur des corpus textuels; et cette
analyse doit être faite conjointement par les experts et les linguistes terminologues ou
cogniticiens. C’est ce que Bourigault et Slodzian appellent la médiation d’un analyste.
Dans le premier critère, l’accent est mis sur le besoin d’une terminologie « validée » par
l’expert. C’est à partir de cette contrainte que s’exprime la conception d’une normalisation
non plus comme un pr ocessus de planification terminologique, mais bien comme une
opération de validation. Dans la deuxième contrainte, les auteurs accordent une grande
importance à la validation faite, cette fois-ci, par les utilisateurs des applications. Il va sans
dire que leur approche textuelle de la terminologie doit se faire dans une étroite
collaboration entre experts, linguistes terminologues et utilisateurs.
Les propositions théoriques et méthodologiques de Bourigault et Slodzian reposent sur des
bases empiriques. Leur théorie s’appuie principalement sur deux propositions : le texte est
le point de départ (la théorie de la terminologie doit être ancrée dans une linguistique
textuelle) et le terme est un construit (comme nous l’avons mentionné précédemment, il
sera construit par l’analyste).
Leur approche, bien entendu, n’est pas sans rappeler les travaux de Pearson (1998), de
Habert, Nazarenko et Salem (1997), de Meyer (2001), de Jacquemin (2001), etc. dans
lesquels il est question des linguistiques de corpus, d’analyse des termes en contexte et du
potentiel d'utilisation des corpus semi-automatisés en terminographie et en lexicographie.
La démarche de Bourigault et de Slodzian semble donc s’inscrire directement dans ce
mouvement plus large qui est la terminotique.
12
1.2.3. La terminologie communicationnelle
Dans sa Théorie communicationnelle de la terminologie (TCT), Cabré propose un
traitement multidimensionnel (cognitif, linguistique, pragmatique) des termes; objets au
cœur de sa théorie. Selon Cabré, la terminologie est un domaine carrefour entre la théorie
du langage, la théorie de la communication et la théorie de la connaissance. Inspirée de ces
trois domaines, elle propose de voir les termes, à partir d’une théorie à base linguistique,
comme des objets polyédriques. « Les termes reflètent la structure conceptuelle d’une
discipline, et dans ce sens, ils constituent le fondement de la communication spécialisée »
(Cabré 1998 : 90). Ce qui ressort de la TCT, c’est qu’elle puise son inspiration dans le
modèle de la communication de Jakobson (1963); elle allie les fonctions du l angage à la
terminologie : apport important. Les deux autres grandes caractéristiques de la TCT sont,
d’une part, le traitement multidimensionnel des termes et d’autre part, l’importance
accordée aux objets (les termes), directement au centre de la théorie. Par ailleurs, la TCT
admet que la variation fait partie intrinsèquement du processus de communication, ce qui
permet un traitement descriptif et multidimensionnel des phénomènes de synonymie et de
polysémie. Par ailleurs, la terminologie est vue comme un type de communication entre des
acteurs donnés (émetteurs, récepteurs) ayant, selon le contexte et le but de l’échange,
différents degrés d’expérience et de spécialisation. Cette approche permet donc de
distinguer les causes et les acteurs d’une situation terminologique donnée avec plus de
nuance.
1.2.4. La terminologie sociocognitive
Temmerman a d éveloppé une Théorie sociocognitive de la terminologie (TSCT) à partir
des modèles de la sémantique cognitive et de la sociolinguistique. Elle a donc repris les
catégories prototypiques telles qu’on les retrouve, entre autres, chez Geeraerts (1994, 1997)
et les a adaptées à l’étude de la terminologie (plus particulièrement des sciences de la vie au
moment où elle menait cette étude). Au centre de sa TSCT se trouvent donc les unités de
compréhension (termes), vus comme des objets motivés, et dont les catégories
13
prototypiques permettent de rendre compte, entre autres, avec les schémas (définitions) de
leurs aspects flous et flexibles. Les catégories prototypiques sont définies comme ayant une
« structure d’air de famille (family resemblance); leur structure sémantique peut être décrite
sous la forme d’un ensemble de significations qui se recouvrent partiellement »
(Temmerman 2000 : 60). De plus, elles ont toutes un degré d’appartenance et comportent
des caractéristiques perceptuelles, interactionnelles et fonctionnelles. En ce q ui concerne
les définitions, elles sont remplacées par des schémas qui donnent la possibilité d’exprimer
les aspects flous et flexibles de l’unité de compréhension. Selon Temmerman, la
progression de la compréhension est directement liée aux phénomènes de synonymie et de
polysémie. Temmerman reconnaît aussi le besoin d’une étude diachronique de la
terminologie afin d’en comprendre la catégorisation et la dénomination.
Cette théorie semble donc offrir plus de souplesse à l ’analyse des termes et permet une
autre façon de penser la terminologie. De plus, elle semble laisser une grande place à
l’observation des phénomènes de synonymie et de polysémie, ce qui rejoint sur ce point la
TCT de Cabré.
1.2.5. La terminologie culturelle
Diki-Kidiri place la culture, l’identité et l’appropriation des réalités nouvelles au centre de
son approche et conduit ses expériences sur le terrain fertile des langues africaines, où le
développement biculturel et la circulation des produits industrialisés ont engendré de
grands besoins en matière d’aménagement terminologique. Chez Diki-Kidiri, le terme est
un produit langagier culturellement intégré à partir des archétypes référentiels. Il propose
donc un t ravail pluridisciplinaire sur le terme en tenant compte de ses spécificités
anthropologiques culturelles et cognitives. Selon Diki-Kidiri, la culture est conçue comme
« l’ensemble des expériences vécues, des productions réalisées et des connaissances
générées par une communauté humaine vivant dans un même espace, à une même époque »
(2000 : 28). Diki-Kidiri propose donc une nouvelle façon d’ordonner le monde à travers sa
vision culturelle de la terminologie et revisite certains concepts tels que celui du signe et
14
des LSP. Le signe, selon lui, devrait comporter les trois composantes suivantes : a) le
signifiant, b) le signifié et c) le concept. Chacune de ses composantes permettraient des
analyses sur les aspects suivants : a) morphologie, règles de formation des mots,
synonymie, homonymie; b) polysémie, métaphore, métonymie, sens figurés, signification
et c) définition, typicalité, représentation, cognition, etc. En ce qui concerne le terme
langues de spécialité, Diki-Kidiri lui préférerait plutôt discours spécialisés sans toutefois le
définir.
1.2.6. La terminologie fonctionnelle
Le point de départ de la Terminologie fonctionnelle de Faulstich est le modèle développé
par Café (2003), lequel est basé sur la grammaire fonctionnelle de Dik (The Theory of
Functional Grammar, 1997). L’objet central de sa proposition est le terme étudié à partir
d’une approche grammaticale, donc proprement linguistique. Les postulats théoriques pour
un « construit » (le terme vu ici comme un construit) sont les suivants : dissociation entre
structure terminologique et homogénéité; favorisation d’une hétérogénéité ordonnée;
abandon de l’isomorphisme catégorique entre terme-concept-signifié; acceptation de la
variation en terminologie puisque cette dernière est un fait de langue soumis aux principes
de variation et aux règles de la grammaire; acceptation de la variation terminologique
comme signe d’évolution en cours; et analyse de la terminologie en cotextes linguistiques
et en contextes discursifs de la langue écrite et orale.
Le modèle fonctionnel de Faulstich se présente donc comme suit :
C = < T (F), LT, R > où :
T = terminologie
F = formatif
LT= fond lexical terminologique
R = règle
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Le C représente le construit qui, lui, est composé des éléments énumérés ci-haut qui
formeront une règle. Cette règle peut s’étendre à l’infini :
LT (A), F = {R} e R (F → A)
a
B
C
n
F → Aa
F → B
F → ABC
etc.
Faulstich présente dix cas de dérivations possibles des règles dont les exemples ont été
appliqués au domaine des sciences de la vie en portugais du Brésil, et validés ensuite dans
les langues et variétés de langues suivantes : anglais, allemand, portugais du P ortugal,
français, espagnol du M exique, espagnol de l’Argentine, espagnol de l’Espagne, catalan,
italien, roumain et galicien. Dans cette Terminologie fonctionnelle, le terme est analysé à
partir d’une approche grammaticale hautement conceptuelle, permettant de rendre compte
du concept associé au terme. Par exemple, les locutions prépositionnelles rendent compte
de la fonction grammaticale du formatif en fonction du c oncept lui-même. Les
déterminants, qui viennent se greffer autour de la base, rendent compte des traits qui
s’accumulent sémantiquement et qui viennent modifier le contenu du t erme. De par cette
accumulation de traits sémantiques, le construit est apte à former un concept et un référent
unique dans son contexte précis.
Ainsi, la Terminologie fonctionnelle offre un modèle concret d’analyse des termes. Par
ailleurs, Faulstich propose une étude à la fois diachronique et synchronique. Elle fait
mention de l’étude de la langue orale en terminologie et non seulement de la langue écrite,
ce que nous considérons comme un atout majeur. Son application du fonctionnalisme dans
l’étude des termes complexes constituent non seulement un plus pour la compréhension du
fonctionnement grammatical des termes, mais surtout une approche hautement
conceptuelle; ce qui rejoint les besoins manifestés dans les approches diachroniques et
sémantiques dont il sera question au prochain paragraphe.
16
1.2.7. Les approches sémantique et diachronique
Les approches sémantique et diachronique ne sont pas défendues par un seul auteur comme
en témoignent les récentes publications sur le sujet (cf. Béjoint et Thoiron (2000),
Delavigne et Bouveret (1999), Condamines et Rebeyrolles (1997); Assal, Gaudin et
Guespin (1992), Pavel (1991), Auger (2002), Faulstich (1998/1999), Stengers (1987), etc.).
En fait, ces approches ressortent, séparément ou conjointement, dans plusieurs articles et
ouvrages portant sur la terminologie, et même dans certaines des théories proposées ici
dont notamment celles de Cabré, Faulstich et Temmerman. Dans ce bilan, nous donnons un
aperçu de ces tendances. Pour ce faire, nous avons sélectionné un ouvrage collectif et plus
particulièrement, un de ses articles pour illustrer les questions soulevées par ces deux
approches.
Ainsi, neuf ans après la parution de Terminologie et sociolinguistique dans les Cahiers de
linguistique sociale, Delavigne et Bouveret (1999) proposent un r ecueil de réflexions
autour d’approches sémantiques de la terminologie. Leur recueil (composé de 10 articles)
s’articule autour des problématiques suivantes : les contextes, les conditions de production,
la circulation des termes et des concepts, l’étude diachronique et la description de la
polysémie.
Parmi tous ces articles, celui de Dury, intitulé « Les variations sémantiques en
terminologie : étude diachronique et comparative appliquée de l’écologie », permet de bien
illustrer les apports de la sémantique et de la diachronie à la terminologie. Ainsi, selon
l’auteure, les transferts sémantiques des termes vont de pair avec la contamination des
concepts d’une science à une autre. Ceux-ci viennent, par ailleurs, ébranler le principe des
frontières hermétiques entre les langues de spécialité :
La circulation de vocabulaire entre la biologie, la zoologie, la botanique et
l’écologie est telle qu’il est difficile de ne pas penser que ces disciplines
possèdent de solides passerelles d’accès entre elles […]. Ces derniers [les
17
termes] ne sont pas fractionnés strictement, ne sont pas hermétiques les uns par
rapport aux autres, mais tissent des liens sémantiques […] (Dury 1999: 25).
Par ailleurs, dans son étude, Dury évoque la possibilité qu’il puisse exister un « fonds
archaïque conceptuel » : « […] Pascaline Dury montre que cette nomadisation du terme de
domaines en domaines conserve un sens noyau « inaffecté par les transferts sémantiques du
terme » sur lequel viennent se greffer des sens périphériques « qui disparaissent ou
s’ajoutent au gré de la circulation langagière de ce dernier » » (Delavigne et Bouveret 1999:
11). Ce qui n’est pas sans rappeler l’accumulation de traits sémantiques évoquée par
Faulstich dans la Terminologie fonctionnelle.
En dernier lieu, Dury souhaite que les réflexions sur la terminologie se poursuivent et que
l’on prenne davantage en considération la terminologie diachronique :
[…] l’ensemble des publications qui se font en terminologie sont peu
empreintes de considérations diachroniques. Cette réalité est pour le moins
attristante, car la terminologie diachronique est riche d’enseignements et permet
de faire apparaître des phénomènes essentiels du langage (Dury 1999 : 17).
Ces dernières années, il semble donc y avoir un engouement pour ces approches comme en
témoignent les titres des publications les plus récentes (pour l’approche sémantique) : Le
sens en terminologie de Béjoint et Thoiron (2000), Sémantique des termes spécialisés de
Delavigne et Bouveret (1999), Sémantique et terminologie : Sens et contextes de Assal,
Gaudin et Guespin (1992) ou e ncore Changement sémantique et terminologie chez Pavel
(1991). Parmi les articles faisant mention d’un besoin d’études diachroniques en
terminologie, citons Auger (2002), Le phénomène de l’anglicisation de la langue forestière
au Québec : essai de socioterminologie diachronique et Faulstich (1998), Principes formels
et fonctionnels de la variation en terminologie dans lequel elle présente une étude
diachronique de la cuisine en portugais du B résil (fin 15e et début 16e s. versus époque
contemporaine). Toutes ces contributions témoignent bel et bien d’un retour des études sur
le sens et sur la diachronie en terminologie.
18
Finalement, le tableau 2 donne une vue d’ensemble des approches présentées jusqu’à présent
en décortiquant le point de départ de chacune d’elles, leur objet central, leurs caractéristiques
communes et propres. (cf. Tableau 2 : Les caractéristiques propres et communes des
nouvelles approches de la terminologie contemporaine en page 24).
1.3. La TCT et les fonctions de la langue: point de départ de notre modèle de la
communication spécialisée
À partir de certains principes de la TCT (Théorie communicationnelle de la terminologie)
(cf. Cabré) et des fonctions de la langue identifiées par Jakobson (1963), nous avons
développé un m odèle de la communication spécialisée (cf. chapitre 5) qui permet
d’expliquer et de mettre en relation les causes de la variation dénominative avec les causes
et les manifestations de la variation conceptuelle et de la variation polysémique.
L’approche communicationnelle, en plus de placer l’étude terminologique dans un cadre
linguistique, admet la variation et permet de prendre en compte la dimension textuelle et
discursive des termes :
En líneas generales, la teoría que proponemos pretende dar cuenta de los
términos como unidades singulares y a la vez similares a o tras unidades de
comunicación dentro de un e squema global de representación de la realidad,
admitiendo la variación conceptual y denominativa, y teniendo en cuenta la
dimensión textual y discursiva de los términos (Cabré 1999: 120).
Les termes […] reflètent la structure conceptuelle d’une discipline, et dans ce
sens, ils constituent le fondement de la communication spécialisée (Ibid 1998 :
90).
Elle [la communication spécialisée] admet alors différents niveaux de
spécialisation, plusieurs degrés d’opacité cognitive, qui indiquent différents
niveaux de densité terminologique et cognitive » (Ibid 2000b : 14).
19
En outre, la variation n'est nulle autre que le reflet d'une société aux multiples visages,
tantôt scientifique, tantôt générale. La langue s'adapte au gré des contextes, des besoins et
des cultures. Il apparaît donc évident que l'aspect sociologique soit pris en compte pour
dégager les grandes tendances variationnelles au sein d'une même langue :
Quiconque entreprend un travail terminographique fait face à la variation
(registres ou niveaux de langue, synonymes, ambiguïtés et glissements
sémantiques dans les définitions, polysémie, degrés d'équivalence entre les
langues, co-présence d'emprunts et de termes natifs, etc.). Et cela quel que soit
le «domaine», traditionnel (par exemple textile, brasserie) ou nova teur (par
exemple technologies de l'information), hyperspécialisé (par exemple imagerie
médicale) ou r elevant du patrimoine commun (par exemple ce qui touche
l'environnement : eau, air) (Gambier, 2001: 108).
Parallèlement à l ’arrivée de la sociolinguistique en France dans les années 70 s’est
manifestée une socioterminologie :
La socioterminologie s’appuie sur les concepts et démarches de la
sociolinguistique (…) (Guespin 1995 : 210).
Cette approche, esquissée par des auteurs isolés (principalement L. Guilbert et
A. Rey, durant les années 1970), s’est développée dans les années 1980
(Gaudin 2003 : 11).
Dans l’enceinte de l’École de Rouen (grâce aux travaux de son instigateur Guespin et de
ses successeurs Gaudin, puis Gambier), à la suite des analyses de discours de Marcellesi,
sous l’influence de l’École de Québec (travaux d’aménagement linguistique menés par
l’OLF) et d’une approche lexicographique de la terminologie (Rey, Guilbert, Dubois) s’est
peu à peu transformée l’étude de la terminologie en tenant compte de ses dimensions
sociales :
20
Plus largement, fille de la sociolinguistique, discipline si importante que ses
contours tendent à s’estomper, la socioterminologie procède de la même
volonté de prise en compte des réalités sociales (Gaudin 1993a : 297).
C’est là que se dessine la place d’une socioterminologie : la sociolinguistique
lui sert de lieu d’inscription et d’héritage, la glottopolitique lui dessine un
horizon, l’interaction lui offre des outils conceptuels que nous croyons
susceptibles de permettre aussi bien de rénover les pratiques et les théories que
de répondre plus justement aux demandes sociales (Ibid. : 300).
Depuis le début des années 1990, le mérite premier du groupe rouennais a été
de rappeler que la terminologie naît du s ocial et qu’elle doit y retourner
(Boulanger 1995 : 197).
1.4. Après les remises en question de la TGT (Théorie générale de la terminologie) : la
structuration de la socioterminologie
Si la socioterminologie remet en question la biunivocité du terme, l’idéalisation lexicale, la
« pratique dictionnairo-normative » (Boulanger 1991 : 27), l’idéal réducteur de la
normalisation, la circonscription réductionniste des domaines, la monosémie, la
monoréférentialité et la synchronie, elle préconise, en échange, une attitude descriptive plus
que prescriptive, un r etour à la linguistique, la considération de la synonymie et de la
polysémie, la reconnaissance de l’usage réel et de ses locuteurs, l’interdisciplinarité et la
circulation des termes, l’étude diachronique, l’observation sur le terrain, le respect des
diversités culturelles et langagières comme en témoignent Gambier et Gaudin :
La terminologie dominante, inspirée entre autres par Wüster, est fondée sur des
postulats de départ idéalistes, touchant le domaine, le terme et la notion dans
leur rapport de biunivocité, le signe linguistique. Ces principes de base résistent
mal aux réalités des terminologies et à la pratique terminographique (avec les
21
phénomènes de polysémie, de synonymie, de transfert métaphorique…). La
critique des présupposés de la théorie oblige à remettre la terminologie sur ses
pieds: c'est le projet d'une socio-terminologie (Gambier 1991: 5).
Pour la socioterminologie, il s ’agit notamment de « comprendre la circulation
des termes, les résistances devant les dites terminologies officielles, les
difficultés de mise en place de politiques terminologiques qui marchent »
(Gambier 1988 :75). […] Toutefois, il nous faut auparavant insister sur l’objet
principal que s’assigne la socioterminologie, à savoir le fonctionnement
linguistique des termes et ceci, tant sur le plan syntaxique que sémantique
(Gaudin 1993a : 297).
D’un point de vue méthodologique, la socioterminologie procède avant tout,
nous semble-t-il, d’une attitude descriptive. En rupture avec les usages
traditionnels : consultation d’experts, travaux sur des corpus limités, ignorance
de la dimension orale, une attitude plus linguistique – la linguistique étant
essentiellement une science descriptive – suppose que les termes soient étudiés
dans leur dimension interactive et discursive (Ibid : 295).
C’est précisément dans la reconnaissance des usages réels que peut être observée la
variation terminologique.
1.5. L’approche descriptive versus l’approche normative
Bien que les postulats de la TGT aient été mis à mal avec l’avènement de la
socioterminologie, l’on ne peut nier l’importance des travaux de Wüster et l’on doit
reconnaître que la révision de sa théorie s’inscrit plutôt dans le cours normal de l’évolution
des pensées et des recherches dans le monde scientifique. L’on pourrait plutôt s’inquiéter
du contraire. N’est-ce pas le propre de la recherche de tout remettre en question et de
22
s’adapter aux besoins nouveaux ou r éels? Tout comme Cabré, nous sommes d’avis qu’il
faut remettre la pratique de la TGT dans son contexte de normalisation :
En contextos prescriptivos, fuertemente estructurados y con la voluntad
prioritaria de garantizar una univocidad comunicativa (...) la TGT es
incuestionable. En situaciones de comunicación natural, de base social, con
pretensiones identitares, la TGT resulta insuficiente (Cabré 1999: 126).
Encore aujourd’hui, la socioterminologie se dessine et se réinvente sous divers angles
(terminologie sociocognitive, textuelle, communicationnelle, culturelle, sémantique,
diachronique, etc.). Diki-Kidiri va même jusqu’à affirmer que la socioterminologie n’a pas
encore révolutionné la terminologie classique :
Bien qu’elle représente déjà un pr ogrès important, la socioterminologie ne
remet pas directement en cause les fondements théoriques de la terminologie,
pas plus que la sociolinguistique ne se veut une rénovation théorique de la
linguistique (2000 : 6).
Gaudin, lui, nuance ses propos :
Il y aurait lieu, bien sûr, de nuancer. Il est évident qu’il existe tout un secteur de
dénominations réglementaires qui ne peuvent connaître de variations : en
matière de sécurité, de droit, de protection des consommateurs ou des citoyens,
etc. On doit savoir précisément ce que s’appelle pistolet d’alarme, gaz inerte,
colorant alimentaire ou agio. Mais le transfert des connaissances, la mise en
circulation du s avoir, la création de possibilités de débat sur des questions
techniques ou s cientifiques doivent au contraire accorder toute leur place aux
différences façons de dénommer des réalités difficiles à mettre en mots. Il est,
par exemple, positif que l’on ait disposé du t erme maladie de la vache folle à
23
côté d’encéphalopathie spongiforme bovine pour la communication vers le
grand public autour de cette maladie (2003 : 179-180).
Nous sommes d’avis que chaque perspective a sa raison d’être en fonction des besoins et
des objectifs de chaque situation de communication. La variation terminologique est un
phénomène naturel, elle s’observe dans les textes écrits et dans les discours oraux. En
adoptant une perspective descriptive, on s’applique à décrire, sans porter de jugement, tous
les usages en cours alors qu’en adoptant une perspective normative, en fonction d’objectifs
spécifiques et dans des situations précises (incidence sur la sécurité publique, sur la
protection du c onsommateur, sur les échanges commerciaux, etc.), on privilégie certains
usages. Notre étude porte sur la description de la variation terminologique, nous opterons
donc pour une description des usages; ce qui nous amènera d’ailleurs à présenter notre
modèle de la variation terminologique.
Tout en étudiant la variation terminologique, nous souhaitons contribuer ici à cette
redéfinition de la terminologie contemporaine. Nous défendons l’hypothèse de la variation
terminologique comme faisant partie intrinsèquement du processus de communication, et
ce, même à l’intérieur d’un savoir spécialisé. Chacune des nouvelles approches ou d es
théories citées précédemment participe à l’élaboration d’une terminologie mieux adaptée
aux besoins réels, dépassant largement les principes normatifs et laissant place à l a
réflexion. C’est donc dans le foisonnement des idées et dans la plus grande réceptivité que
se dessine une terminologie tournée vers l’avenir à laquelle nous prenons part en offrant
une synthèse et une analyse en profondeur des phénomènes de variation terminologique,
situés au cœur des préoccupations mêmes de la socioterminologie et de l’étude de la
terminologie moderne.
Nom des approches Point de départ Objet central Caractéristiques propres Caractéristiques communes
Socioterminologie Sociologie et
linguistique
variationniste ou
sociolinguistique
Description des usages
réels (synonymie, polysémie)
Description et reconnaissance des
usages réels et des locuteurs, diversité langagière et culturelle.
Interdisciplinarité, diachronie, variation.
Circulation des termes et des concepts. Fonctionnement linguistique des termes sur le plan syntaxique et sémantique.
Observation sur le terrain.
Terminologie textuelle et
linguistiques de corpus
(terminotique)
Analyse de corpus
textuels
Texte et informatique Terme = un construit
Outils TALN
Ouverture aux autres catégories du discours.
Description des usages en fonction des utilisateurs, des applications. Variabilité des terminologies et diversité des situations.
Terminologie communicationnelle
(Cabré)
Modèle de la
communication de Jakobson et les termes
Termes = objets
polyédriques
Traitement multidimensionnel :
cognitif, linguistique et pragmatique.
Circulation des termes (objets mobiles).
Interdisciplinarité Discipline carrefour : théories du langage, de la communication
et de la connaissance.
Terminologie sociocognitive
(Temmerman) Sémantique cognitive et
sociolinguistique
Termes = unités de
compréhension
Terme = motivé
Prototypicité
Analyse diachronique componentielle.
Diachronie
Description de la variation (synonymie et polysémie).
Terminologie culturelle (Diki-
Kidiri)
Culture et appropriation
des réalités nouvelles (Afrique)
Terme = produit
langagier culturel Archétypes culturels
Spécificité : langues africaines.
Signe = motivé (signifiant, signifié,
concept). LSP = discours spécialisés.
Diachronie, étymologie.
Pluridisciplinarité Cognition, anthropologie et diversité culturelles. Cadre social, utilisateurs.
Terminologie fonctionnelle
(Faulstich)
Grammaire fonctionnelle
de Dik et modèle de
Café
Terme = construit Approche grammaticale et
conceptuelle.
Règles
Approche diachronique et synchronique.
Variation comme signe d’évolution de la langue.
Terminologie en contextes et en cotextes.
Terminologie sémantique Sémantique
Notion de sens
Circulation et
contamination des termes et des concepts
« Fonds archaïque conceptuel » et
« sens noyau ». Liens sémantiques. (Dury)
Circulation des termes et des concepts.
Ouverture des frontières. Description de la polysémie. Respect des contextes.
Conditions de production.
Terminologie diachronique Diachronie Notion de temps Diachronie Diachronie (évolution des langues).
Variation et étymologie.
Tableau 2 : Les caractéristiques propres et communes des nouvelles approches de la terminologie contemporaine
Julie Pelletier 2012
24
25
1.6. La variation dénominative
La variation dénominative a déjà été traitée à quelques reprises par le passé, mais il a fallu
attendre la thèse de Judit Freixa en 2002 po ur qu’elle fasse l’objet d’une synthèse
exhaustive :
On parle ici et là d’une synonymie en rapport avec les « niveaux de langues »,
d’une autre synonymie qui émanerait de la concurrence économique entre
instituts de recherche et entreprises…, mais on est loin encore d’une typologie
systématique et exhaustive des facteurs producteurs de la synonymie
terminologique (Assal 1993 : 151).
Avant la thèse de Freixa, il y eut, entre autres, les travaux de De Bessé (1974) dans Freixa
(2002), de Duchacek (1977), de Auger (1974) dans Freixa (2002), de Duquet-Picard
(1986), de Auger et de Boulanger (1999) et de Faulstich (1996, 1998/1999). Ces auteurs
avaient proposé des typologies différentes de la variation dénominative. Freixa a r epris
l’ensemble des typologies existantes pour proposer sa propre typologie qui constitue un
exercice de synthèse fondamental. Par la suite, il restait à identifier de façon exhaustive les
causes de cette variation dénominative. C’est précisément ce à quoi s’est consacrée Judit
Freixa dans sa thèse. Sa typologie nous servira de point de départ dans cette étude.
1.6.1. La variation dénominative ou la synonymie
La terminologie employée pour décrire les phénomènes de synonymie varie énormément
selon les auteurs. Le terme synonymie provient de la théorie de la linguistique et le terme
variation est issu de la sociolinguistique. Selon les auteurs et selon leurs approches
respectives, certains vont privilégier la forme synonymie et d’autres, la forme variation.
Kocourek (1991), par exemple, utilisera le terme synonymie pour décrire ce phénomène
dans la langue technique et scientifique, mais avec une approche proprement linguistique.
26
Certains auteurs vont parler de synonymie absolue et de synonymie partielle ou
approximative.
La synonymie peut avoir deux acceptions différentes : ou bien deux termes sont
dits synonymes quand ils ont la possibilité de se substituer l’un à l’autre dans un
seul énoncé isolé (pour un m ot donné, la liste des synonymes est alors
importante); ou bi en deux termes sont dits synonymes (synonymie absolue)
quand ils sont interchangeables dans tous les contextes, et alors il n’y a
pratiquement plus de véritables synonymes sinon entre deux langues
fonctionnelles […]. De plus, deux unités peuvent avoir le même référent et ne
s’employer que dans des contextes différents […]. C’est plutôt en terme de
degrés qu’on peut parler de synonymie [….]. La synonymie peut donc être
complète ou non, totale ou non (Dubois et al. 1973 : 476).
Pour Kocourek, « les termes synonymes sont des termes interchangeables dans le
définiendum de la même définition » (2001 : 267). Selon le degré de parenté formelle, il
sera alors question de synonymie paronymique (termes formellement apparentés) ou de
synonymie hétéromorphe (termes sans parenté formelle). Dans le même ordre d’idées, c’est
ce que Natanson appelait synonymie homogène et synonymie hétérogène. Pour Kurysko,
l’étude de la synonymie s’orientait autour des doublets, c’est-à-dire autour d’une paire
formée à partir d’un terme russe et d’un terme équivalent ayant une base latine. Selon
Kurysko, les doublets étaient des synonymes absolus et parfaitement interchangeables
(d’après Freixa 2002 : 94).
En terminologie, la distinction entre synonymie et variation peut aussi s’exprimer à partir
d’un changement lexical, syntaxique, morphologique ou orthographique:
Normalement, sont considérées comme synonymes des unités qui se distinguent
par un changement lexical, c’est-à-dire par un changement de lexème (par la
base ou par l’extension). Les variantes, elles, se distinguent en trois classes :
variantes d’ordre syntaxique ou morphosyntaxique (préposition, genre, nombre,
27
présence ou absence d’article dans un syntagme), variantes d’ordre
morphologique (changement d’élément affixal) et variantes d’ordre graphique
(changement orthographique ou typographique) (Freixa 2002 : 95).
En vérité, le terme variante demeure polysémique et le débat autour de cette question se
poursuit. Où se situe la limite (basée sur différents critères dont la différence formelle, le
degré de motivation, l’interchangeabilité, l’équivalence sémantique, le cadre notionnel,
etc.) entre l’équivalence dite absolue et relative? Ce sont là des questions pour lesquelles
nous n’avons pas de réponses définitives. Nous sommes plutôt d’avis qu’il n’existe pas de
synonymie absolue, mais bien des variantes dénominatives qui rendent compte des nuances
propres aux situations de communication, qui, elles, sont multiples. C’est pourquoi nous
privilégions la forme variante dénominative à celle de synonyme pour une raison
idéologique, d’une part, puisque que cette expression est issue du courant variationniste et
de la socioterminologie à laquelle nous adhérons dans cette étude et pour une raison
historique, d’autre part, puisque la synonymie a été longtemps associée à une approche
prescriptive de la terminologie; ce qui a eu pour conséquence de la rejeter ou de la
minimiser, et ce, jusqu’au début des années 90. Pour des idéaux de monosémie, il existait
une certaine façon de faire de la terminologie qui consistait en un classement homonymique
et en un cloisonnement des domaines. Ce qui avait, bien sûr, pour conséquences, de réduire ou
d’éliminer la synonymie. Malgré la mise en place d’une socioterminologie en faveur d’une
approche descriptive des usages réels, il existe encore aujourd’hui de nombreuses banques
de terminologie qui affichent des modèles normatifs et qui utilisent encore cette façon de
faire. Pour toutes ces raisons et par souci de nous dissocier de cette contrainte normative,
nous privilégions la forme variante dénominative. Par ailleurs, les formes variation
dénominative et variante dénominative nous permettent de distinguer les trois phénomènes
de variation terminologique observés dans notre étude. Ces termes rendent compte des
différences notionnelles implicites entre la variation dénominative, la variation conceptuelle
et la variation polysémique. Ces termes sont plus transparents et correspondent mieux à
notre conception de la variation terminologique.
28
Nous concevons la variation dénominative dans le sens large défini dans Dubois et al. sous
synonymie:
Sont synonymes des mots de même sens ou approximativement de même sens,
et de formes différentes (1973 : 465).
La variation dénominative correspond donc à deux ou plusieurs dénominations différentes
liées à un même concept et à un même référent. Cependant, il faut insister sur le besoin de
considérer les facteurs sociaux qui causent cette variation en contextes et les relations que
ces termes entretiennent avec d’autres disciplines du savoir humain. Tout comme De Bessé,
nous concevons la variation dénominative dans toute sa gamme de nuances :
Il n’y pas de synonymie véritable, elle est toujours relative, il y a toujours une
série de nuances situationnelles qui font que la synonymie n’est jamais absolue
(1974: 47).
1.6.2. Le bilan des travaux
Dans leur classification, Auger et Boulanger (1999) dressent un portrait assez détaillé de la
synonymie. D’ailleurs, la typologie de Judit Freixa rejoint celle de Auger et Boulanger dans
l’ensemble. Là où Auger et Boulanger présentent des types de synonymie, Freixa
identifiera des causes. Voici les catégories de synonymie identifiées par Auger et
Boulanger: 1) synonymie géographique, 2) synonymie chronologique, 3) synonymie de
niveau de langue, 4) synonymie professionnelle (interprofessionnelle, socioprofessionnelle,
interthéorique), 5) synonymie fonctionnelle (d’emprunt, morphologique, lexématique,
orthographique, syntagmatique, syntaxique), 6) synonymie concurrentielle (publicitaire,
générique/spécifique (marque déposée)), 7) synonymie fréquentielle.
La classification de Duchacek (1977) repose essentiellement sur trois critères : le point de
vue sémantique (tant en relation avec la dénotation que la connotation), les causes de la
29
synonymie et les différences formelles qu’il nomme morphosyntaxiques. Il utilise un critère
qui lui permet de séparer les synonymes des variantes morphologiques. D’après sa
classification et selon Freixa, l’on peut déduire que seules les unités qui subissent un
changement lexical sont considérées comme des synonymes. De plus, la classification de
Duchacek est basée sur un critère d’alternance entre unités simples et syntagmes. À cette
époque, Duchacek était arrivé à la conclusion que « la synonymie est désavantageuse en
terminologie, car elle peut causer différents malentendus et confusions. […] Nous sommes
persuadé qu’il serait utile d’arriver à une normalisation des terminologies […] (1977 : 7 et
9).
Dans sa thèse de doctorat, Duquet-Picard (1986) se consacrait à l’étude de la synonymie en
langues de spécialité, et plus concrètement à la distinction entre variantes et synonymes.
Les synonymes et les variantes sont soit marqués, soit neutres 1. Les variantes sont de type
morphosyntaxique, affixale ou or thographique. Dans sa conclusion, Duquet-Picard
soulignait le besoin de poursuivre les recherches pour définir les formes qu’emprunte la
synonymie:
En somme, il reste encore beaucoup à faire pour établir un portrait fidèle de la
synonymie terminologique. Nous avons voulu jeter les bases d’une théorie
générale de la synonymie terminologique en langues de spécialité afin que
d’autres études plus spécifiques s’appuient, autant que possible, sur une même
théorie de référence et fassent les analyses et comparaisons nécessaires pour
confirmer ou infirmer nos observations générales (1986 : 290).
Quant à F aulstich (1996), elle présente un m odèle de variation terminologique articulé
autour de deux grands blocs : la variation terminologique linguistique (issue d’un processus
proprement linguistique) et la variation terminologique de registre (issue d’un milieu où il y
a concurrence). Ces deux blocs se divisent respectivement en trois catégories : variantes
morphosyntaxiques, variantes lexicales et variantes graphiques; puis variantes
géographiques, variantes de discours et variantes temporelles.
1
Pour plus de détails, voir Duquet-Picard 1986 : 183 et 194.
30
Entre 1997 et 1999, elle ajoute certains éléments à son modèle et ce dernier se divise donc
en trois groupes : 1) variantes concurrentes (variantes formelles linguistiques telles que
phonologiques, morphologiques, syntaxiques, lexicales, graphiques et variantes formelles
de registre telles que géographiques, de discours et temporelles); 2) variantes co-
occurrentes (synonymes) et 3) variantes compétitives (emprunts aux langues étrangères et
emprunts proprement dits, qu’ils soient de forme étrangère, hybride ou vernaculaire). Dans
ce modèle, Faulstich distingue les variantes concurrentes des variantes co-occurrentes.
Selon elle, les deuxièmes sont des synonymes terminologiques totalement équivalents au
niveau du contenu. Cette catégorie rejoindrait donc la synonymie dite absolue où les termes
sont interchangeables sans qu’il y ait changement de sens. De tels phénomènes sont plutôt
rares, mais existent. Selon nous, ces deux premières catégories devraient en former une
seule parce que leur formation linguistique et leur apparition en contexte peut répondre aux
mêmes critères et aux mêmes exigences. La nuance principale, apportée ici par Faulstich,
selon ce que nous pouvons en dégager, est que dans certains cas, certaines variantes vont se
fixer plus que d’autres dans l’usage, après leur phase de lancement, d’éclatement de la
notion tel que le mentionne Gaudin dans son continuum de la socio-diffusion, et pour ces
raisons, vont devenir des co-occurrents établis dans l’usage. Malgré cela, nous sommes
d’avis qu’il existe toujours des nuances de sens, même minimes, dans l’emploi d’une
variante au profit d’une autre, même si celles-ci semblent à priori occuper le même espace
sémantique contextuel. C’est pourquoi nous préférons les appeler variantes dénominatives.
Faulstich propose une étude à la fois diachronique et synchronique des variantes; ce qui est
un apport considérable à l’étude des phénomènes de variation terminologique. Par ailleurs,
son application du fonctionnalisme dans l’étude des termes complexes constitue non
seulement un atout pour la compréhension du fonctionnement grammatical des termes,
mais surtout une approche hautement conceptuelle. Les postulats théoriques pour un
« construit » (le terme vu ici comme un c onstruit) développés par Faulstich sont les
suivants :
a) dissociation entre structure terminologique et homogénéité; en faveur d’une
hétérogénéité ordonnée;
31
b) abandon de l’isomorphisme catégorique entre terme-concept-signifié;
c) acceptation de la variation en terminologie, puisque cette dernière est un fait de
langue, soumis aux principes de variation et aux règles de la grammaire;
d) acceptation de la variation terminologique comme signe d’évolution en cours;
e) analyse de la terminologie en cotextes linguistiques et en contextes discursifs de la
langue écrite et orale.
Cette mention de la langue orale chez Faulstich est aussi un apport considérable à l’étude
de la terminologie. Il existe peu d’études terminologiques portant sur la langue orale. C’est
un aspect qui mérite plus d’attention.
1.7. La typologie de la variation terminologique dénominative de Freixa
Notre analyse de la VD se fait à partir de la typologie développée par Judit Freixa dans sa
thèse de doctorat. Cette typologie a été préparée d’une part à p artir d’analyses qu’elle a
effectuées sur des textes du domaine de l’environnement en catalan et d’autre part à partir
de la synthèse des travaux réalisés sur le sujet auparavant. Freixa a aussi dressé une liste
des causes de la variation dénominative en terminologie à partir d’une analyse minutieuse
des travaux menés par ses prédécesseurs.
Freixa a développé une classification des types de la variation dénominative en quatre
grands groupes : la variation graphique et orthographique (incluant les symboles, les
formules chimiques, les sigles, les abréviations), la variation morphosyntaxique (absence et
présence de l’article, changement de préposition, de nombre ou de genre, changements
d’affixe, changement de structure), la variation par réduction (réduction de la base, de
l’extension et autres réductions) et la variation lexicale (changement de la base ou de
l’extension).
32
L’analyse de Freixa constitue donc notre référence la plus complète en cette matière. Les
causes sont divisées en cinq grands groupes : causes dialectales, causes fonctionnelles,
causes discursives, causes interlinguistiques et causes cognitives.
C’est donc à partir de sa thèse et de sa présentation faite à l’OQLF 2 que nous proposerons
ici sa typologie (d’un point de vue formel) de la variation dénominative. Afin d’illustrer les
types de variation dénominative, quelques exemples extraits de notre corpus accompagnent
les catégories pour lesquelles nous avons pu relever des exemples pertinents et dans le cas
contraire, nous conserverons les exemples en catalan fournis à l’origine par l’auteure.
Veuillez noter, en ce qui concerne le corps du texte, qu’il s’agit d’une traduction et d’une
adaptation (de notre part) des documents originaux en catalan.
La classification de Freixa est divisée en quatre grandes catégories :
1. Variation graphique et orthographique
2. Variation morphosyntaxique
3. Variation par réduction
4. Variation lexicale
1.7.1. Variation graphique et orthographique
Termes et formes artificielles (symboles, formules chimiques et
autres)
Ex. plomb / Pb, mercure / Hg, chrome / Cr
Unités terminologiques et abréviations (sigles et abréviations)
Ex. déchets industriels banals / DIB
2
En juin 2003, Freixa est venue présenter son modèle de la variation dénominative en terminologie à l’OQLF.
33
Changement orthographique
Ex. esprai / spray (catalan)
1.7.2. Variation morphosyntaxique
Maintien de la structure avec ou sans l’article
Ex. coût de collecte / coût de la collecte
Maintien de la structure avec changement de préposition, changement en nombre ou
en genre
Ex. production de déchets / production des déchets
Maintien de la structure avec changement d’affixe
Ex. rentatge de gasos / rentat de gasos (catalan)
Changement de structure (tel que dans cet ex. [N + A] / [N + JP +PD + N])
Ex. déchets ménagers / déchets des ménages
1.7.3. Variation par réduction
Réduction de l’extension
Ex. valorisation énergétique / valorisation
Réduction de la base
Ex. àcid sulfhídric / sulfhídric (catalan)
Autres réductions
Ex. captacions d’aigües subterrànies / captacions subterrànies (catalan)
34
1.7.4. Variation lexicale
Unités simples
Ex. résidus / déchets
Unités complexes : changement de la base
Ex. déchets ménagers / ordures ménagères
Unités complexes : changement d’extension
Ex. déchets ménagers / déchets collectés
Unités simples / unités syntagmatiques
Ex. abocador / dipòsit de residus (catalan)
1.8. Les causes de la variation terminologique dénominative de Freixa
Freixa a dressé une liste des causes de la variation dénominative en terminologie. Avant
d’entreprendre la description des causes identifiées par Freixa, il est important de souligner
que peu d’études avaient été menées directement sur les causes de la variation
terminologique dénominative avant Freixa. Cependant, il convient de mentionner que de
nombreux auteurs avaient identifié ces causes intuitivement ou implicitement en les
identifiant comme des types de variation dénominative. C’est aussi pour cette raison que
Freixa affirme que la plupart des auteurs ont confondu les causes avec les types. Les causes
sont divisées en cinq grands groupes :
1.8.1. Causes dialectales
Variation géographique
selon les langues
35
selon les secteurs de la connaissance
Variation chronologique
en relation avec le progrès des connaissances
est à la fois la cause et la conséquence de la variation conceptuelle 3
Variation sociale
La diversité de formes pour un m ême concept reflète les conditions de
production, les pratiques sociales, les restrictions d’énonciation parce que les
terminologies en discours sont liées à un objet, à une histoire, à un locuteur, à
une division du travail, à la compétence commerciale, etc. (Gambier, 1991).
Auger et Boulanger (1999) présentent deux de ces trois causes sous forme de types de
synonymie (synonymie géographique et synonymie chronologique). C’est aussi ce que
Faulstich (1999) appelle variation de registre (variation géographique, variation de
discours et variation temporelle).
1.8.2. Causes fonctionnelles
Les causes fonctionnelles de la variation sont reliées aux usages, aux utilisateurs de la
langue, aux situations de communication et à l’étude de la variation d’un point de vue
linguistique. Selon Freixa, un même locuteur pourrait dénommer une même notion de
façon différente selon la situation de communication ou s elon le récepteur auquel il
s’adresse.
Les différents paramètres de la variation fonctionnelle peuvent présenter quelques
écarts dans la langue spécialisée et peuvent avoir divers degrés d’incidence :
Champ ou thème : selon le système notionnel ou le système de connaissance
3
Nous expliquerons davantage la variation conceptuelle au point 1.9. et au chapitre 3 et 5.
36
Le champ ou le thème peut appartenir à l a langue générale ou à l a langue
spécialisée (technique, scientifique, didactique, journalistique, etc.).
Canal ou mode : peut avoir moins d’incidence
Le canal ou le mode représente le moyen de transmission du message (oral ou
écrit).
Teneur : incidence relative
La teneur représente l’intention de communication (informer, influencer,
argumenter ou autres).
Ton : c’est probablement le paramètre qui peut engendrer le plus de variation
dans le discours spécialisé
o selon le niveau de spécialisation
o selon le niveau de langue
Le ton de la communication peut être formel ou i nformel, il peut être de
différents degrés de spécialisation en fonction des émetteurs et des récepteurs
(vulgarisation, scientifique, technique, pédagogique, etc.).
Lorsqu’il est question du niveau de spécialisation, cela rappelle la synonymie
professionnelle de Auger et Boulanger (1999). Plus spécifiquement, dans cette section, l’on
sent l’influence du courant communicationnel de la terminologie (cf. Cabré).
Les paramètres identifiés ici ne sont pas sans rappeler le modèle de communication élaboré
par Sager : le choix de l’intention, la sélection de la connaissance, le choix du langage, etc.
(Sager 1991 : 99-104). À l’origine, on sent que ces influences remontent aux fonctions du
langage présentées par Jakobson (1963).
37
1.8.3. Causes discursives
Le style scientifique (concis et précis) assure l’efficacité de la communication.
Une des principales causes discursives, aussi la plus étudiée, est le désir
d’éviter les répétitions; ce qui amène une grande utilisation des variantes.
L’économie linguistique est aussi une cause importante de la variation. Par
souci d’économie ou pour varier, les locuteurs ont recours à des sigles et à des
abréviations leur permettant de s’exprimer plus facilement.
La créativité, l’emphase et l’expressivité.
La créativité, l’emphase et l’expressivité rejoignent ce q ue Auger et Boulanger (1999)
appellent synonymie concurrentielle (publicitaire). En effet, la publicité, pour se
démarquer, s’appuie sur la variation et exploite la forme idiolectale. Par ailleurs, toutes ces
causes discursives rappellent l’efficacité des termes, l’expression lexicale de l’économie, la
précision de l’expression et l’expression appropriée de Sager (1991 : 105-114). L’emploi,
par exemple, d’un terme simple pour désigner le terme complexe, par souci d’économie
linguistique ou d’efficacité de communication. Le passage du s pécifique au générique
correspond au même phénomène et engendre de la variation terminologique.
1.8.4. Causes interlinguistiques
La contiguïté (géographique ou culturelle) d’une langue avec les autres est une autre
cause de variation dénominative :
Coexistence d’un emprunt avec la forme vernaculaire
Prolifération de formes vernaculaires pour dénommer un emprunt
38
Existence des calques et des adaptations
Auger et Boulanger (1999) avaient classé cette catégorie dans la synonymie fonctionnelle.
C’est aussi ce que Faulstich appelle variantes compétitives. Dans les deux cas, Auger et
Boulanger ainsi que Faulstich les classent dans les types, alors que Freixa les identifie
comme des causes. Dans cette catégorie, nous ajouterions les calques et les adaptations
observés fréquemment en terminologie.
1.8.5. Causes cognitives
Les causes cognitives sont liées à l a perception et la compréhension de la réalité, ainsi
qu’aux différentes formes d’approches.
L’imprécision conceptuelle :
Les concepts peuvent présenter des contours peu définis, des frontières floues.
L’insécurité cognitive peut engendrer l’insécurité dénominative.
Bouveret et Gaudin avaient relevé ce phénomène d’insécurité : « Mais il a rrive aussi que
l’on rencontre des témoignages d’insécurité linguistique à l’intérieur même de la spécialité
et que cette insécurité linguistique soit liée à une insécurité cognitive » (1997 : 68 da ns
Freixa 2002 : 157).
1.8.5.1.
Distanciation idéologique
L’existence de différentes écoles de pensée peut amener des dénominations
différentes pour un même concept.
39
Les découvertes simultanées amènent les inventeurs à vouloir imposer leur
propre dénomination. Ce phénomène constitue une cause de la synonymie
qui se situe à mi-chemin entre le besoin conceptuel et le désir de se
distancier idéologiquement.
L’utilisation de nouvelles dénominations pour éviter les formes existantes,
pour des raisons de connotations péjoratives, constitue une forme
particulière de distanciation idéologique.
En ce q ui concerne les différentes écoles de pensée, c’est ce que Auger et
Boulanger (1999) appellent synonymie professionnelle interthéorique.
1.8.5.2.
Différences de conceptualisation
En terminologie, le fait que la compréhension de la réalité soit variée et unique
n’a pas toujours été bien accueilli.
La diversité s’explique par les diverses structures, les diverses expériences
ainsi que par les différents objectifs qu’un individu ou qu’une collectivité se
donne pour comprendre la réalité.
Une structuration et une segmentation différentes de la réalité comportent,
dans le processus d’acquisition de la connaissance, des catégories
différentes.
Ces différentes catégorisations peuvent amener différentes représentations
mentales qui peuvent dès lors conduire à des conceptualisations différentes.
Cela a donné lieu à des concepts différents ou, à tout le moins, à des
concepts issus de différents points de vue.
Pour Condamines et Rebeyrolle, la notion de polyacception signifie « les manifestations linguistiques diverses
40
1.9.
La variation conceptuelle et la variation polysémique :
deux composantes de la variation terminologique à découvrir
Comparativement à la variation dénominative ou à la synonymie qui ont fait l’objet de
quelques études depuis une quinzaine d’années, les phénomènes de variation conceptuelle
et de variation polysémique ont été moins approfondis :
[…] l’analyse sémantique constitue vraisemblablement une lacune majeure face
aux demandes existant en terminologie mais également dans des domaines
comme l’intelligence artificielle (Gaudin 1993a : 297).
C’est là évoquer les fonctions cognitives de la terminologie. Elles sont souvent
abordées sous le seul aspect classificateur des terminologies-nomenclatures : on
privilégie alors le terme, nom propre d’une notion, sur le signe. Mais il f aut
souligner que les aspects que nous venons d’évoquer : la fonction heuristique
des termes, le rôle fécondant que jouent leur circulation d’un champ à l’autre,
les emprunts entre disciplines (…) sollicitent encore peu l’attention des
chercheurs (Gaudin 1993b : 255).
Il existe quelques études de la polysémie en linguistique, plus particulièrement en
sémantique ou en linguistique informatique, mais qu’en est-il en terminologie? Nous avons
pu trouver quelques pistes de réflexions chez Assal (1995) et Oliveira (2005), lesquels
s’intéressent au fonctionnement de la métaphore terminologique, chez Condamines et
Rebeyrolles (1997) dans leur théorie des points de vue basée sur une analyse contextuelle et
sur la notion de polyacception1, chez Béjoint (1989) dans un article traitant de l’opposition
entre monosémie et polysémie, chez Candel (1984, 1993) ayant mené des enquêtes de
terrain qui lui ont permis d’observer des phénomènes de variation conceptuelle chez des
scientifiques d’une même spécialité, chez Dury (1999) dans une étude traitant des transferts
1
d’un terme polysémique » (Ibid. : 183).
41
sémantiques des termes et des concepts dans le domaine de l’écologie où elle évoque la
notion de « sens noyau » et de « fonds archaïque conceptuel », chez Temmerman (2000)
dans son modèle sociocognitif de la terminologie où elle procède à u ne analyse
prototypique et diachronique des polysèmes, chez Delavigne et Bouveret (2000) ainsi que
chez Béjoint et Thoiron (2000) qui proposent un r ecueil collectif de réflexions autour
d’approches sémantiques de la terminologie; mais encore faut-il procéder à une description
plus complète de la variation conceptuelle et de la variation polysémique en terminologie et
essayer d’en identifier les causes et les conséquences.
Lors de notre exploration préliminaire des travaux existants sur le sujet en linguistique
générale, plus particulièrement en sémantique, [Kleiber (1999), Remi-Giraud et Panier
(2003)] ainsi qu’en terminologie, nous avons pu c onstater que la polysémie est au cœur
d’un renouveau théorique. En terminologie, ce renouvellement passe, bien entendu, par la
remise en question des postulats de l’univocité du c ouple terme-concept et de la
circonscription réductionniste des domaines :
L’acceptation des synonymes remet en cause l’univocité du c ouple
dénomination –notion en terminologie-, alors que la polysémie vient-elle [sic]
ébranler la théorie de la monoréférentialité du terme (Auger 2001 : 201).
If one leaves the self-inflicted limitations of studying language as a system on
its own (traditional Terminology inspired by Saussurian structuralism), one
finds that there is very little arbitrariness in categorisation and lexicalisation.
Synonymy and polysemy appear to be functional in the process of progress of
understanding (Temmerman 2000: 227).
La polysémie est un ph énomène universel des langues, mais son bien-fondé
dans la langue scientifique fut longtemps contesté, par certains théoriciens de la
terminologie, au profit de l’idéal de monosémie (Pavel 1991 : 41).
42
Ainsi, la polysémie est de nos jours reconsidérée sous un angle positif, mais elle reste toute
entière à explorer. D’après les recherches qui ont été menées à ce jour, nous pouvons
identifier quelques manifestations de la variation polysémique et de la variation
conceptuelle en terminologie, soit les transferts sémantiques, les glissements de sens, les
métaphores, la néologie conceptuelle et la néologie sémantique 2. Nous procéderons à la
présentation de quelques exemples de ces phénomènes à partir des travaux menés par Assal
(1995), Condamines et Rebeyrolle (1997), etc. Au chapitre deux, nous présenterons
notamment l’étude des métaphores terminologiques avec pour point de départ la
proposition d’Assal. Nous exposerons par la suite notre modèle d’analyse « les sphères
métaphoriques » et nous conclurons avec une proposition théorique de la métaphorisation
terminologique conduisant à la variation polysémique. Au chapitre trois, nous effectuerons
un survol des questions reliées à la polysémie, l’homonymie et la monosémie. Nous
distinguerons la polysémie de l’homonymie à partir des critères utilisés en linguistique. Par
la suite, nous effectuerons le bilan des travaux sur les changements de sens. Nous
présenterons le classement de Nyckees (1998) et notre proposition théorique vers une
théorie de la polysémisation. En conclusion, nous analyserons les causes et les
conséquences de la polysémie avec la chaîne de la polysémie dans laquelle nous
présenterons notamment un extrait des travaux de Condamines et Rebeyrolle.
Les chapitres deux et trois nous permettront donc d’approfondir la variation conceptuelle et
la variation polysémique telles que nous les avons intégrées dans notre modèle de la
variation terminologique. Finalement, ces chapitres nous mèneront à développer notre
modèle d’analyse des causes linguistiques et extralinguistiques de la variation
terminologique.
2
Le chapitre 4 traitera en détail de la néologie.
43
1.10. Notre conception de la variation conceptuelle et de la variation polysémique :
différenciation
Avant de passer aux prochains chapitres, nous exposerons notre conception de la VC et de
la VP : deux composantes originales de notre modèle de la VT. Ces phénomènes de
variation sont très présents dans les textes spécialisés, mais ils sont peu étudiés et c’est
précisément ce que nous nous proposons de faire dans cette thèse.
La variation polysémique renvoie à « la propriété qu’a un m ême signifiant de présenter
plusieurs signifiés » (Mounin 1993: 264), tandis que dans la variation conceptuelle, la
modification de sens s’effectue à partir de la perception, de la conception en fonction des
objectifs des sujets ciblés contextuellement.
À partir d’un exemple de notre corpus 3, nous illustrons ici nos propos. Ainsi, le déchet,
selon la perception du l ocuteur, peut être vu c omme un « résidu » pour celui qui s’en
débarrasse ou comme une « matière valorisable » pour celui qui le collecte ou le marchande
après sa valorisation. Dans ce cas, bien entendu, seul le contexte peut nous éclairer, mais il
s’agit d’un cas typique de variation conceptuelle. Nous définirions donc la variation
conceptuelle comme étant la possibilité donnée à une même dénomination de revêtir des
« sens différents », c’est-à-dire que les énoncés rendent compte du s ignifié qui varie en
fonction de la perception du locuteur, sans qu’il y ait un changement de référent. Alors que
les variantes polysémiques renvoient, elles, à d es référents différents. Dans le cas de la
variante polysémique, prenons l’exemple de monstre4 dans notre corpus; ce dernier signifie
les « encombrants » et « électroménagers » et non l ’« être difforme » ou l’« animal
mythologique ». Dans le cas du déchet, qu’il signifie en contexte la « matière à éliminer »
ou la « matière à valoriser », il a le même référent, il s’agit toujours du même objet dans la
réalité mais visiblement perçu ou conçu différemment selon l’usage que l’on veut en faire.
Alors que le monstre, lui, a d es référents bien distincts. Les schémas 1 et 2 illustrent
clairement les différences entre les deux types de variation.
3
4
Exemples provenant du texte intitulé Recyclage et valorisation des déchets ménagers du Sénat français (cf. Miquel dans
la bibliographie).
Cet exemple sera détaillé au chapitre deux sur les métaphores terminologiques.
44
1. Schéma de la variation conceptuelle
2. Schéma de la variation polysémique
Dans le premier schéma, l’exemple de déchet permet d’illustrer la variation conceptuelle,
qui, selon les contextes, sera mise en lumière. Dans le deuxième schéma, l’exemple de
monstre permet d’illustrer la variation polysémique. En comparant les schémas, la
45
distinction qui se fait au niveau du référent entre les deux phénomènes de variation est
claire.
1.10.1. Quelques conclusions préliminaires
Dans le cadre de la thèse, nous avons donc pu identifier et décrire les phénomènes de
variation terminologique et y inclure la variation conceptuelle et la variation polysémique.
De plus, nous avons pu é tablir une distinction claire entre la variation conceptuelle et la
variation polysémique à l ’aide d’exemples concrets, reflétant des situations de
communication spécialisée et répondant à des besoins précis (dans ce cas-ci, le domaine de
la gestion et du traitement des matières résiduelles). Nos réflexions sur le signe linguistique
nous ont permis d’illustrer ces phénomènes et de bien les distinguer.
À partir donc d’une étude à la fois synchronique et diachronique de la terminologie,
jumelée à une révision importante du c oncept et du t erme, en tenant compte de
l’importance de la situation de communication et de la recherche contextuelle, la variation
terminologique se voit décrite de plus en plus; et cela ouvre sur une perspective plus près
de la sociolinguistique que de la normalisation. À la lumière de nos études, les phénomènes
de variation terminologique ne sont plus perçus comme des sources d’ambiguïté mais bien
plutôt comme des sources d’enrichissement lexical. Les termes signifient et dénomment, ils
prennent autant de valeurs que le contexte et la situation de communication l’exigent. Forts
de leur potentiel conceptuel, et en cela ils se distinguent des figures de style de la rhétorique
classique, ils sont aptes à évoquer tout en nuance. Les « termes-concept » vus comme un
ensemble inséparable sont circulaires, pluridisciplinaires tels des éléments modernes et
flexibles; ils s’ajustent en fonction des besoins des langagiers. La variation polysémique
existe bien en terminologie telle qu’elle se présente aussi dans la langue générale; elle se
manifeste souvent sous la forme de métaphores terminologiques, de transferts et de
glissements sémantiques tout comme elle peut parfois trouver son origine dans la néologie
sémantique. Finalement, nous avons pu établir un lien entre la variation conceptuelle et la
46
variation dénominative 5. Nous croyons en outre que la prolifération des variantes
dénominatives dénote un flou conceptuel, lequel peut conduire à de la variation
conceptuelle. Plus un concept est flou ou nouveau, plus il engendre une infinité de variantes
dénominatives pour en exprimer toutes les subtilités en fonction des situations de
communication, des auteurs, des spécialistes, des écoles de pensée, etc. Il s’agit donc
d’observer ces phénomènes (variations dénominative, conceptuelle et polysémique) comme
un tout tel qu’il convient d’étudier conjointement le terme et le concept comme deux faces
d’une même entité, d’où l’immense pouvoir évocateur de la terminologie.
Maintenant que nous avons exposé notre modèle de la variation terminologique en trois
composantes, nous pourrons poursuivre avec les métaphores terminologiques qui nous
amèneront encore plus loin dans notre compréhension du phénomène de la métaphorisation
et de la variation polysémique. Dans le prochain chapitre, nous expliquerons donc le
processus de transfert sémantique à l’œuvre dans cinq métaphores de notre corpus
(« monstre », « gisement », « sauvage », « inerte » et « cannibalisation »).
Ce processus sera notamment expliqué à l’aide du modèle des sphères métaphoriques que
nous avons développé en étudiant la proposition d’Assal (1995), basée sur une approche
diachronique et sémantique de la terminologie. Nous pourrons constater que la perspective
diachronique offre un éclairage nouveau sur les MT, sans lequel nous n’aurions pu
identifier les sèmes en cause dans le processus de transfert. Par ailleurs, il sera intéressant
de distinguer la métaphore terminologique de la métaphore classique. En ce sens, la MT est
un processus spécifiquement cognitif et non stylistique. Puis, finalement, nous exposerons
en quoi la MT conduit à la VP.
5
Nous reviendrons sur le lien entre la VD et la VC dans les parties concernées.
Le chapitre 2 : Les métaphores terminologiques
47
2. Les métaphores terminologiques
Lorsque les « monstres » désignent les électroménagers et les « gisements », toute source
d’énergie à exploiter des matières résiduelles, quels sont les mécanismes mis en œuvre dans
le processus de la métaphorisation terminologique? À partir d’une adaptation visuelle en
sphères métaphoriques de la théorie d’Assal (1995), selon laquelle tout trait sémantique
essentiel ou i nvariable peut faire l’objet d’un transfert, nous présenterons cinq exemples
provenant d’un texte de notre corpus (G. Miquel (98-99), Recyclage et valorisation des
déchets ménagers, Rapport 415. Sénat français.).
La métaphore terminologique détient le pouvoir de dénommer et de conceptualiser des
réalités nouvelles. En cela, elle se distingue de la rhétorique puisqu’elle « […] détient ce
pouvoir manifeste de modifier la manière de penser les choses, là où la métaphore
rhétorique ne fait que modifier la façon de dire les choses. » (Assal 1995 : 22). Une analyse
à la fois diachronique et synchronique a permis d’identifier les processus impliqués dans le
transfert des sèmes. À cette fin, nous avons eu recours aux dictionnaires généraux et aux
dictionnaires étymologiques de la langue française (Le Robert - Dictionnaire historique de
la langue française (DHLF), Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW),
Dictionnaire étymologique de la langue française (BW), Trésor de la langue française
informatisée (TLFi), Le Nouveau Petit Robert électronique (PRél)).
L’étude des métaphores s’est s’insérée tout naturellement dans le cadre de notre thèse, et
plus particulièrement à l’intérieur de la partie traitant de la variation polysémique. Tout
d’abord, nous expliquerons le contexte de l’étude, la méthodologie, notre point de départ
théorique (Assal 1995), le cadre conceptuel, la discussion des cinq métaphores, notre point
de discordance avec Assal, et enfin nos conclusions.
Réf. G. Miquel (98-99),
PELLETIER, Julie (8 décembre 2006), « Metáforas terminológicas no campo dos resíduos domésticos:
Les années indiquent les éditions consultées malgré les versions antérieures.
48
2.1. Le contexte de l’étude des métaphores terminologiques
Lors d’un échantillonnage du corpus, nous avons découvert, par le biais d’un dépouillement
manuel, cinq métaphores dans un texte émanant du Sénat français 1. Nous avons décidé de
les explorer lors d’un colloque à une table ronde sur les différentes perspectives des
relations sémanticolexicales à l ’Université de São Paulo en décembre 20062. Lors de la
préparation de notre exposé, nous avons vite compris qu’une partie de la théorie d’Assal
n’était pas conforme à nos observations. Cela a eu pour conséquence de contribuer au
développement du t roisième volet de notre modèle de la variation terminologique, soit la
variation polysémique. Nous pouvons donc affirmer que l’étude des métaphores
terminologiques de notre corpus a permis de développer un aspect théorique fondamental
de notre thèse de doctorat.
Les métaphores terminologiques font partie du phénomène de variation terminologique
observé et conduisent à la variation polysémique.
2.2. La méthodologie
Afin d’étudier le processus de la métaphorisation terminologique et de vérifier la théorie
d’Assal, nous avons eu recours à une recherche étymologique avec une approche
diachronique de la terminologie. Nous avons retenu les dictionnaires historiques et
étymologiques du français suivants : DHLF (2006), FEW (1922-), BW (2002), TLFi (2004)
et le PRél (2002) 3.
Les cinq métaphores proviennent d’un texte intitulé Recyclage et valorisation des déchets
ménagers. C’est un rapport du Sénat français de 312 pages sur lequel nous avons effectué
1
2
aplicação da teoria de Assal (1995) », Table-ronde As diferentes perspectivas das relações semântico-lexicais,
Colóquio Os estudos lexicais em diferentes perspectivas, Grupo TermNeo, Université de São Paulo, 7-8
décembre 2006. 3
Grâce à l ’excellent encadrement que nous avons reçu de la part d’Enilde Faulstich de l’Université de
49
un test lors d’un dépouillement automatique, suivi d’une vérification manuelle, qui a
permis de repérer les cinq métaphores (monstre, gisement, sauvage, inerte et
cannibalisation). Par ailleurs, afin de faciliter la compréhension du processus de
métaphorisation, nous avons développé une adaptation visuelle en sphères métaphoriques.
Par ailleurs, nous avons dû également prendre des décisions concernant le noyau sémique
et les traits secondaires tels que nous les expliciterons dans le cadre théorique. Voyons
maintenant le point de départ théorique de notre étude, l’article d’Assal intitulé « La
métaphorisation terminologique » paru dans L’Actualité terminologique en 1995.
2.3. Le cadre théorique
Notre intérêt pour les métaphores terminologiques est né de la lecture de l’article d’Assal,
lequel a suscité à la fois beaucoup de curiosité et une réflexion approfondie, car bien avant
de découvrir des métaphores dans notre corpus, nous avions un doute sur la distinction que
fait Assal entre la métaphorisation terminologique et la polysémie. Nos métaphores nous
ont donc permis de vérifier ce doute et d’infirmer une partie des affirmations d’Assal, à tout
le moins dans le cadre de notre thèse, en respectant les limites de notre étude. Tout d’abord,
il convient de mentionner qu’Assal avait mené son étude sur les métaphores du domaine de
la génétique à partir du Dictionnaire de génétique (1991) du Conseil international de la
langue française (CILF) et du Vocabulaire des biotechnologies (1987) de M. Chopplet. Son
corpus reposait donc sur deux ouvrages qui avaient la particularité d’être des ouvrages de
lexicographie et terminographie spécialisées.
Ses a priori théoriques sont basés sur les travaux de J. Schlanger (1971, 1988), J. Schlanger
et I. Stengers (1988), M. Le Guern (1972), J. Molino et al. (1979) et de B. Pottier (1987).
Assal utilise l’analyse componentielle de Pottier dans son étude. Dans notre cas, nous avons
plutôt développé une analyse diachronique, basée sur l’étymologie des métaphores. Nous
nous sommes donc posé les questions suivantes 4 :
4
Brasilia (Brésil) pendant notre stage doctoral (2006-2007), nous avons pu élucider ces questions.
50
1. Où naît la métaphore?
2. Où naît la polysémie?
3. Comment s’opère la métaphorisation terminologique versus la polysémisation?
À partir de l’article d’Assal, nous avons construit des sphères métaphoriques qui
permettent :
1. d’expliquer le processus métaphorique;
2. de vérifier la théorie d’Assal;
3. de proposer notre approche et notre propre modèle d’analyse.
De notre côté, nous avons appuyé nos recherches sur les diverses lectures que nous avons
menées en cours de route pour développer notre troisième volet : la variation polysémique.
De nombreux auteurs s’entendent pour dire que la métaphore terminologique est une des
manifestations de la polysémie à côté de la néologie sémantique, des transferts sémantiques
et des glissements de sens. Nous y reviendrons après avoir exposé la proposition d’Assal.
Selon Assal, « [la métaphore] est essentiellement une manière de penser, de concevoir. Le
mécanisme de la métaphorisation, à savoir l’établissement d’un rapport analogique
symbolique entre deux analogues et la transposition métaphorique même, n’est qu’une
modalité sémantico-linguistique dont la finalité est fondamentalement conceptuelle. »
(1995 : 24).
Sa proposition suppose la distinction entre la métaphorisation terminologique et la
polysémie, point sur lequel nous ne sommes pas d’accord comme nous l’expliquerons
ultérieurement. Assal affirme donc que dans la polysémie, seul le noyau sémantique
invariable peut faire l’objet d’un transfert sémantique, alors que dans la métaphore
terminologique, tout trait essentiel ou secondaire peut faire l’objet de ce transfert.
Si dans la polysémie on a affaire à un noyau sémantique invariable, et qui se manifeste
dans les différents usages qu’on fait du lexème polysémique, dans la métaphore, tout
51
trait du lexème métaphorique, qu’il soit essentiel ou secondaire, peut faire l’objet d’un
transfert chaque fois qu’il manifeste une convenance : chaque fois qu’il se révèle apte à
évoquer convenablement l’analogie pour laquelle il est transféré (Assal 1995. : 23).
À cet effet, Assal présente quelques exemples « pour illustrer cette propriété sémantique
qui caractérise la polysémie par rapport à la métaphore » (Ibid. : 23). Les deux exemples
suivants lui permettent de rendre compte d’abord « des différentes significations » du terme
polysémique intégration génétique, et ensuite d’un cas de métaphore terminologique à
partir de l’exemple épingle à cheveux :
Intégration génétique
En génie génétique, ce terme désigne le phénomène de recombinaison (c’est-à-dire de
réarrangement génétique) permettant d’insérer une séquence d’ADN dans une autre.
En génétique bactérienne, il désigne le phénomène selon lequel une bactérie acquiert
un élément génétique étranger qui fera ensuite partie intégrante de son matériel
génétique (cf. M. Chopplet, 1987 dans Assal 1995 : 23).
Comme on peut le constater, ces d ifférentes significations du terme intégration
génétique ont en commun le même noyau sémantique « faire entrer un élément dans
un autre ».
Épingle à cheveux
[…Structure en boucle à l’intérieur d’un seul brin d’ADN ou d’ ARN formée par
l’appariement de séquences complémentaires appartenant toutes deux à ce même brin.
Elle résulte habituellement de la présence de séquences palindromiques] (M.
Chopplet, 1987 : 87).
Avant son transfert, le lexème épingle à cheveux a été débarrassé des sèmes évoquant
la fonction et le matériau de fabrication pour devenir, de la sorte, l’expression du seul
sème relatif à la forme. C’est ce dernier sème qui fond [sic] l’analogie symbolique qui
existe entre une épingle à cheveux et la structure en boucle que contient le brin d’ADN
ou d’ARN (Assal 1995: 23).
52
En ce qui concerne la distinction que fait Assal entre la polysémie et la métaphorisation
terminologique, il nous reste à interroger certaines notions avancées : Qu’est-ce que le
« noyau sémantique invariable »? Qu’est-ce qu’un « trait essentiel » et un « trait
secondaire »? La métaphorisation relève-t-elle de la polysémie? Ces notions n’ont pas été
définies dans l’article d’Assal. Cependant, nos propres analyses nous ont conduite à une
autre conclusion, comme quoi la métaphorisation terminologique procède autant d’un
transfert de trait essentiel que secondaire, mais conduit directement à l a polysémie; ce
pourquoi nous sommes en désaccord avec cette distinction que fait Assal. Nous utiliserons
maintenant les sphères métaphoriques pour illustrer nos exemples et notre point de départ
théorique (Assal). Ainsi, si comme l’affirme Assal, dans le cas de la polysémie, seul le
noyau sémantique invariable est transféré, dans la métaphore terminologique, tout trait
essentiel ou secondaire peut faire l’objet d’un transfert.
Schéma 1. Sphères métaphoriques : point de départ (Assal, 1995)
Sphères métaphoriques
Proposition d’Assal (1995)
NSI
POLYSÉMIE
Noyau sémantique
invariable
NSI MÉTAPHORISATION TERMINOLOGIQUE
Tout trait essentiel ou
secondaire
Sur le plan méthodologique, nous avons donc décidé de définir les notions que nous
emploierons dans notre étude, soit « noyau sémique » et « trait secondaire » à partir de la
démarche étymologique adoptée. Ainsi, le « noyau sémique » devra être compris comme le
Nous savons que le trait réfère normalement à un élément de sens, au caractère en terminologie. Pour les
53
premier sens et la première attestation du terme étudié dans les dictionnaires utilisés. Les
« traits secondaires 5 » devront être compris pour désigner tous les sens qui se sont greffés
au premier sens attesté au fil du temps.
Afin de vérifier ce qu’affirmait Assal dans les exemples de notre corpus et à la suite d’une
réflexion et d’une discussion avec Enilde Faulstich, nous avons opté pour une recherche
étymologique et une perspective diachronique. À la base, si rien ne nous laissait présager
en quoi le monstre (« encombrant ») de notre corpus était lié de près ou de loin avec le
monstre (« animal mythologique », etc.), nous avons décidé de remonter le fil du temps du
mot monstre à partir des dictionnaires susmentionnés.
Afin d’illustrer la méthodologie employée et le processus métaphorique, nous présenterons
les sphères métaphoriques de nos cinq métaphores suivies de la discussion de chacun des
exemples pour revenir ensuite aux considérations théoriques.
2.4. La discussion des cinq métaphores
Dans chacun des exemples que nous présenterons dans la discussion, nous pourrons
apercevoir dans le titre la métaphore étudiée ainsi que le sens attesté dans notre corpus. À
gauche, sous la sphère métaphorique, le premier sens attesté, donc le noyau sémique, puis
sous ce d ernier, les traits secondaires (sens cumulés au fil du t emps). À droite, on pourra
voir la date de l’attestation et le dictionnaire qui nous ont permis de retracer le sens
transféré dans le processus de la métaphorisation. Sous cette explication, deux contextes
illustrent le sens de nos exemples en corpus. Nous commencerons donc la discussion avec
l’exemple de « monstre ».
5
besoins de notre approche, nous le définissons spécifiquement ici au terme de « sens ». Nous avons décidé de
garder le terme trait pour effectuer un parallèle avec la proposition d’Assal.
54
Sphère métaphorique 1 : « monstre »
monstre « encombrants, appareils électroménagers »
Métaphorisation terminologique Sens récent qui est transféré:
«énorme, immense, grande taille»
(1841, DHLF) .
NS
« énorme » Contextes
Il s'agit d'une part des inertes
(résidus de travaux et bricolage) et
des encombrants ou « monstres »
NS: « prodige, miracle » (afr., FEW) (cuisinières, réfrigérateurs hors
d'usage, sommiers...).
-énorme
-action monstrueuse, criminelle
-défaut, vice
-animal mythologique
-féroce
-singulier
Ces personnels sont chargés de
réparer les « monstres »
(équipements électroménagers)
arrivés en déchetterie.
-laid
-hors norme, difforme
Dans cet exemple, nous avons pu découvrir que le trait sémantique qui a fait l’objet d’un
transfert est un trait secondaire, attesté au DHLF en 1841 avec le sens de « grande taille,
énorme, immense ». C’est bien ce q ui caractérise les monstres dans notre corpus; ils se
distinguent de par leur grande taille des autres types de déchets. Les encombrants et /ou les
appareils électroménagers englobent donc les déchets suivants : réfrigérateur, machine à
laver, cuisinière, sommier, etc. Évidemment, aucun lien n’a pu être effectué entre le noyau
sémique « prodige, miracle » de l’ancien français (FEW). Cette recherche nous permet
donc de confirmer dans un pr emier temps que la métaphore terminologique se fait par le
transfert d’un trait secondaire, tout comme l’affirmait aussi Assal. Regardons maintenant
notre deuxième métaphore : gisement.
Dans ce deuxième exemple, le trait secondaire qui fait l’objet d’un transfert sémantique est
celui de « masse de matière à ex ploiter » qui provient à l’origine du do maine des mines.
Cette fois-ci, la métaphore s’opère par analogie. Tout comme le minerai est une masse à
exploiter, le déchet devient une masse à exploiter en termes de matière réutilisable ou
valorisable (énergétiquement). C’est donc un pr ocessus conceptuel qui s’opère ici par le
biais de la métaphore terminologique. Encore une fois, aucun lien direct avec le noyau
55
sémique ni avec les autres traits secondaires, si ce n ’est de comprendre par exemple qu’il
existe un lien entre le domaine des mines et le domaine maritime dans les sens transférés
auparavant dans l’histoire. Ainsi, cette métaphore permet de voir le domaine des déchets
lui-même sous une toute autre nouvelle perspective que celle qui lui était consacrée
autrefois. La matière résiduelle n’est plus matière à éliminer, mais bien matière à exploiter,
donc une source d’énergie renouvelable. Cette conceptualisation du déchet donne naissance
à d’autres notions, lesquelles sont représentées par les termes complexes suivants :
gisement d’énergie, gisement récupérable, gisement de biogaz, gisement d’économies,
gisement valorisable, gisement professionnel, gisement industriel, gisement ménager,
gisement d’ordures ménagères, etc.).
Sphère métaphorique 2 : « gisement »
gisement « ce qui contient des richesses à exploiter »
Métaphorisation
terminologique
« masse de
matière à
« ce qui contient des richesses à exploiter » (XIXe s., DHLF).
Contextes
NS exploiter »
La valorisation énergétique consiste
à utiliser les calories contenues dans
les déchets, en les brûlant et en
récupérant l'énergie ainsi produite
pour, par exemple, chauffer des
NS: « action de se coucher » (afr., FEW)
- masse de matière à exploiter
immeubles ou produire de l'électricité.
C'est l'exploitation du gisement
d'énergie que contiennent les déchets.
- MAR. Situation d’une côte de terre, de
terres par rapport aux points cardinaux Certaines ont engagé des réflexions
(1690, FEW)
- direction nautique (vx, TLFi)
- MINES. Position des masses de
minéraux dans la terre (1721, FEW)
afin de valoriser ces " nouveaux " gisements (bois déchiqueté, utilisé
comme support pour amendement
organique, plâtre utilisé en substitution
de gypse en cimenteries...).
Dans les contextes cités ci-dessus, nous pouvons constater que le gisement désigne dans le
premier cas, les déchets en général dont on peut extraire une source d’énergie. Dans le
deuxième contexte, on pe ut voir que les « nouveaux » gisements réfèrent : 1. au bois
déchiqueté employé en l’occurrence comme support pour l’amendement organique; 2. à
l’utilisation du plâtre pour remplacer le gypse dans les cimenteries. L’amendement
56
organique est une substance utilisée en épandage pour améliorer les propriétés des sols.
(Réf. Glossaire de l’Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME).
Dans notre troisième exemple, la (décharge) sauvage, il est intéressant de mentionner qu’il
s’agit ici d’un adjectif terminologique et non d’un substantif. Il est important d’étudier
différentes parties du di scours, notamment les adjectifs, qui expriment des valeurs, des
qualités, et les verbes terminologiques qui véhiculent des actions, des états obtenus ou en
devenir, souvent à la suite d’un processus ou d’ une transformation. C’est pourquoi nous
présentons ici la métaphore adjectivale « sauvage » afin d’illustrer d’une part le rôle des
adjectifs terminologiques dans le fonctionnement de la métaphorisation, et d’autre part, à
l’intérieur des discours terminologiques stricto sensu.
Dans le texte du corpus, la décharge sauvage est ici opposée en contexte à la déchetterie
organisée, ce qui nous a permis d’en détecter le sens et de comprendre que le trait
sémantique transféré était celui « qui échappe aux règles » datant de 1960 au TLFi, donc un
sens récent. Encore une fois, aucun lien ici avec le noyau sémique. Cependant, les contextes
tirés du corpus ont permis de comprendre rapidement de quoi il était question et de repérer
à l’aide de la recherche diachronique le trait qui avait pu faire l’objet d’un transfert. Alors,
les décharges sauvages sont en quelque sorte les endroits illégaux ou les gens laissent leurs
déchets, sans aucune autorisation. L’adjectif sauvage qui permet d’opérer la métaphore a
donné naissance à plusieurs autres concepts sur la même base que le syntagme décharge
sauvage, comme dans épandage sauvage, épandage et combustion sauvages.
57
Sphère métaphorique 3 : « sauvage »
sauvage « qui échappe aux règles »
Métaphorisation
terminologique
« qui échappe aux règles »
« qui échappe aux règles » (ca.1960, TLFi )
Contextes
NS Cette partie est difficile à évaluer, car une fraction non négligeable reste encore
abandonnée " dans des décharges
sauvages ", tandis qu'une petite partie
NS: « lieux incultes », « à l’état de
nature » (1150, DHLF)
- qui échappe aux règles - fait pour la forêt (BW, DHLF)
- exclu
- étranger
- anormal, extraordinaire
- rude, grossier
prend aujourd'hui la direction des
déchetteries organisées à cet effet.
La déchetterie permet un tri, et évite surtout, -hélas en partie seulement- les
décharges sauvages aussi nocives
qu'affligeantes. A la condition qu'elle soit
accessible.
- non domestiqué
Notre prochain cas nous a permis de constater que le noyau sémique ainsi qu’un trait
secondaire avaient fait l’objet d’un transfert. Cet exemple vient donc démontrer qu’Assal
avait raison sur cet aspect; les traits essentiels ou secondaires peuvent être transférés dans la
métaphore terminologique. Nous validons donc cette partie de sa proposition avec cet
exemple. Regardons de plus près cette métaphore inerte.
58
Sphère métaphorique 4 : « inerte » forme adjectivale et substantif
inerte « inactif; sans réaction »
Métaphorisation
terminologique
« sans réaction »
1) NS « inactif » (1505, DHLF, TLFi );
2) « sans réaction » (1759, TLFi)
Contextes
Le vitrificat ainsi réalisé est inerte . Il peut
NS « inactif » alors être soit stocké en décharge de
classe III, - variante dite de banalisation-,
soit valorisé en technique routière -
variante dite de valorisation-. Les REFIOM
NS: inactif (1505, DHLF, TLFi);
qui n’a plus d’activité (1509, BW, FEW)
inertes peuvent en effet servir comme
matériaux de soubassement routier, ballast
de voies ferrées, granulats pour parking,
bordures de trottoir... - sans réaction - inactif
- ignorant (BW, DHLF)
- maladroit
- PHYS. ni activité, ni mouvement
- personne sans mouvement
- membre, esprit inactif
- fade, insipide
Le coke de carbone (ou semi-coke),
léger, reste en suspension dans l'eau,
tandis que les inertes (graviers, verre,
céramique) et les métaux sont récupérés
par gravité. Un deuxième tri peut être
retenu pour améliorer la valorisation
matière. - improductif
Il est à noter, avant de commenter le sens de la métaphore, que la métaphore « inerte » est
employée dans deux catégories grammaticales dans les exemples de notre texte, soit
l’adjectif terminologique, soit le substantif terminologique (très souvent un pl uriel
lexicalisé). Nous y reviendrons après avoir expliqué le processus de la métaphorisation.
Dans l’exemple « inerte », le noyau sémique qui a fait l’objet d’un transfert est celui
d’« inactif » au sens d’« qui n’a plus d’activité ». En fait, le contexte nous apprend que les
inertes sont des gravats, résidus de travaux, du verre et de la céramique. De par leur
caractéristique, ces inertes sont donc inactifs au sol, mais en plus d’être inactifs, ils
n’entraînent aucune réaction chimique ou t oxique sur les sols ou dans les airs. C’est
pourquoi le trait secondaire a aussi été transféré dans ce processus métaphorique. L’un étant
l’état (« inactif »), l’autre le résultat (« sans réaction »). Par ailleurs, ce qui est intéressant
dans le cas d’inerte, c’est que le terme est à la fois employé comme substantif (le plus
souvent en tant que masculin pluriel lexicalisé « les inertes ») mais aussi comme adjectif
59
dans les termes complexes suivants : REFIOM 6 inertes, lourds inertes, déchets inertes et
matériaux inertes. Par ailleurs, dans le même paradigme lexical, nous avons retrouvé une
occurrence du ve rbe inerter, créé sans aucun doute sur le modèle du substantif, qui lui-
même est né de l’adjectif (par substantivation). Nous pouvons présumer que la forme
déchets inertes a donné naissance aux inertes par un processus d’abréviation, de réduction
lexicale (elliptique) qui répond à un b esoin communicationnel permettant une économie
linguistique et une plus grande efficacité. Par un processus donc de changement de
catégorie grammaticale, le néologisme sémantique est créé à partir du mode de conversion
syntaxique (de l’adjectif au substantif); entraînant ainsi la création d’un nouveau terme et
d’un nouveau verbe terminologique. À l’origine, on peut présumer que le substantif inerte
est issu de l’ellipse de la base hypothétique déchet dans l’expression déchets inertes. Ce
processus est très courant en terminologie. Tout comme le mentionne Kocourek :
[…] l’ellipse lexicale, qui crée de nouvelles unités lexicales; on s upprime un ou
plusieurs mots constitutifs du syntagme et l’on obtient une nouvelle unité lexicale
abrégée, au nombre réduit de mots. […] Il est aisé de comprendre que, dans le système
lexical de la langue technoscientifique, qui n’admet pas volontiers la réduction de
précision, on préfère l’ellipse du régissant, qui est sous-entendu, à l’ellipse du
modificateur, qu’il serait impossible de deviner. […] Dans ce cas, il s’agit
d’expressions dites exocentriques, auxquelles il manque le régissant sous-entendu : un
(moteur à) quatre-temps, une (voiture à) huit-cylindres, un (magasin à) grande surface,
un (bateau à) vapeur, une (ligne) diagonale. Les exemples où on recourt à l’ellipse du
modificateur sont rares et dépendent toujours du contexte qui les précise, ex. :
Chambre (des députés), pneu sans chambre (à air), pilule (anticonceptionnelle) (1982 :
141).
6
REFIOM est le sigle désignant les Résidus d’Épuration des Fumées d’Incinération d’Ordures Ménagères.
60
Le verbe inerter se présente dans le contexte suivant :
D'autres procédés visant à inerter les déchets toxiques sont possibles ou en cours
d'expérimentation. La vitrification par arc électrique (sans projection d'air) ; le
traitement dit " à froid " (par opposition au traitement thermique haute température
comme la torche à p lasma), utilisant des liants hydrauliques qui permettent de
solidifier les REFIOM (Miquel 98-99 : 150).
Le verbe inerter permet ici de reprendre le sens du trait secondaire, soit celui de « sans
réaction » avec l’intention ici de rendre les déchets toxiques inertes, donc de leur apporter
cette caractéristique propre aux inertes. Ce processus de création lexicale, opéré d’abord par
la métaphorisation, permet de créer deux nouveaux termes (les inertes, et le verbe inerter)
par le biais de la néologie sémantique et de la conversion syntaxique. Puis, le transfert de
noyau sémique et d’un trait secondaire permet de valider jusqu’ici les affirmations d’Assal
en ce qui concerne la métaphorisation terminologique.
Poursuivons avec notre dernier exemple, celui de cannibalisation, pas moins intéressant
puisque ce dernier a permis de révéler que trois traits secondaires ont fait l’objet d’un
transfert dans la métaphore.
« élimination involontaire » Voc.
61
Sphère métaphorique 5 : « cannibalisation »
cannibalisation « élimination involontaire, concurrencer, absorber et détruire »
Métaphorisation terminologique
Anglicisme « cannibalization »
aviation de la fin de la
Deuxième Guerre mondiale (1969).
NS
« concurrencer »
« absorber et détruire »
Contextes
Il convient de mesurer les
inconvénients qu'il y a, à juxtaposer
NS: « qui se nourrit d’individus de la
même espèce » (Métap. alimentation de
l’espère animale; DHLF)
- élimination involontaire d’un objet
- concurrencer
- absorber et détruire
- ARMÉE. Réparation d’objets usagés
- cannibale « hardi » (lg. Caraïbes)
- grand mangeur de viande
- brave et fort
ces deux types de valorisation qui si
elles sont complémentaires, peuvent
aussi devenir contradictoires, car il
peut y avoir en réalité
" cannibalisation " d'une technique par
une autre. Le développement d'une
technique -l'incinération- empêche,
par un mouvement en spirale, tout
développement de l'autre -la
valorisation matière-.
- féroce, cruel, sauvage
Dans le cas de cannibalisation, il a ét é intéressant de constater que le noyau sémique ou
premier sens attesté venait lui-même d’une métaphore du dom aine de l’alimentation de
l’espèce animale transférée aux espèces humaines avec le sens de « qui se nourrit
d’individus de la même espèce » (DHLF). À l’origine du t erme cannibalisation se trouve
l’adjectif cannibal provenant d’une langue des Caraïbes et ayant dans cette langue la
signification de « hardi », dont le sens est en fait très éloigné du sens commun qui lui a été
attribué en français « homme mangeur d’homme ». Le terme cannibalisation aurait été
emprunté à l’anglais cannibalization datant de 1969 et relevant du vocabulaire de l’aviation
de la Deuxième Guerre mondiale où il signifiait « la réparation d’objets avec des pièces en
bon état d’un objet de même type hors d’usage (DHLF). Ainsi, dans les traits secondaires,
trois de ces traits ont pu faire l’objet d’un transfert dans le processus métaphorique pour
retenir les sens attestés dans notre corpus « absorption d’une technique par une autre,
concurrencer et élimination involontaire ». Ainsi, comme nous pouvons le lire dans
l’exemple contextuel, les deux techniques de valorisation, soit l’incinération ou l a
valorisation matière, sans que ce soit voulu (d’où le premier trait « involontaire »), se
62
concurrencent (deuxième trait), ce qui a pour conséquence que le choix d’une technique au
profit de l’autre empêche la deuxième d’être employée (d’où « l’absorption d’une technique
par une autre »).
Alors, si nous récapitulons, parmi nos cinq métaphores, toutes ont permis de confirmer que
les traits secondaires ou le noyau sémique pouvaient faire l’objet d’un transfert :
monstre, gisement, sauvage : transfert d’un trait secondaire;
inerte : transfert du noyau sémique et d’un trait secondaire;
cannibalisation : transfert de trois traits secondaires.
Nous pouvons affirmer que la métaphore est un véritable moyen de dénomination et de
conceptualisation des réalités nouvelles. Elle s’opère là où l’analogie est apte à évoquer tout
changement. De ce fait, elle permet d’utiliser les ressources internes de la langue afin de
créer de nouvelles dénominations et de nouveaux concepts, et ce, aussi bien en langue
générale qu’en langue de spécialité. Tout comme le mentionnait Assal :
La métaphore terminologique est une nécessité inhérente à la pensée
scientifique, elle est sa dynamique interne. Lorsqu’un savant, un chercheur,
emprunte des termes en raison de leur commodité allusive, de leur pouvoir
évocateur, ce n’est pas seulement par souci de se faire comprendre, ce n’est pas
seulement une question de terminologie, c’est fondamentalement une affaire de
conceptualisation (1995 : 22).
Ainsi, le procédé mis en cause dans la métaphorisation terminologique est conceptuel et
permet, par le jeu des associations de l’esprit et du pouvoir imaginaire des êtres humains,
de sans cesse se renouveler.
S’il est vrai que les restrictions et les extensions de sens semblent pouvoir
s’expliquer presque mécaniquement en termes de contacts entres groupes
linguistiques ou d’ « emprunts sociaux », bien des évolutions en revanche, et
notamment celles qui paraissent fondées sur des métaphores, ne semblent
63
pouvoir s’expliquer autrement que par les ressources de l’esprit humain et de
l’imagination, obligeant apparemment les chercheurs à recourir à une
explication en termes d’associations d’idées (Nyckees 1998 : 135).
Bréal soutenait ce processus de création néologique engendré par la métaphorisation : « À
la différence des causes précédentes, qui sont des causes lentes et insensibles, la métaphore
change instantanément le sens des mots, crée des expressions nouvelles d’une façon subite.
La vue d’une similitude entre deux objets, deux actes, la fait naître. » (Dans Nyckees 1998 :
136).
Une fois que nous avons démontré que la métaphorisation terminologique est un procédé
hautement conceptuel, cela nous amène à r éaffirmer que de ce fait elle se distingue de la
rhétorique classique. Ainsi, la métaphore n’est plus seulement une façon de dire autrement,
mais bien de penser autrement :
C’est justement parce qu’elle est foncièrement un concept que la métaphore
terminologique détient ce pouvoir manifeste de modifier la manière de penser
les choses, là où la métaphore rhétorique ne fait que modifier la façon de dire
les choses (Assal 1995 : 22).
Da sa dimension épistémologique, la métaphore terminologique tire sa valeur
heuristique. Une métaphore terminologique n’est jamais superflue, ce n’est pas
une manière de dire autrement les mêmes choses; un terme métaphorique bien
choisi « abrège, déplace d’un coup, et rend tout un long pan de raisonnement
inutile » (J. Schlanger 1988 : 62 dans Assal : 22).
Or, il convient dans l’étude des métaphores terminologiques de se détacher de la rhétorique
et de ses explications classiques sur les tropes (synecdoque, métaphore et métonymie). À ce
sujet, Nyckees explique :
Parmi les différentes catégories de figures, il en est une qui, de l’avis de
beaucoup de théoriciens, trouve une application immédiate dans le domaine des
changements de sens. C’est la classe de ce que l’on appelle les figures de mots
64
ou tropes, constituées par les métaphores, les métonymies et les synecdoques.
La figure étudiée par la rhétorique est donc une figure vive, relevant d’un art du
discours et permettant d’identifier une forme d’écart intentionnel et délibéré. Le
changement sémantique est en revanche un phénomène massif, collectif, et
proprement « historique », puisqu’il débouche sur une modification de la
langue. Dès lors qu’il est couronné de succès et s’impose dans l’usage, on ne
saurait plus parler d’écart, puisque le dit changement n’enfreint plus aucune
norme. Son succès dépend précisément en effet de l’oubli de la norme
ancienne. Le changement sémantique correspond donc à une figure morte
(Nyckees 1998 : 95).
La distinction entre figure vive et figure morte est intéressante puisqu’elle souligne le
caractère propre de la rhétorique, relevant du di scours, de l’art de la parole, de la verve,
alors que la métaphore terminologique, relève bien du cognitif. Puisant de façon consciente
ou inconsciente dans les ressources de son imaginaire, l’être humain, par un j eu
d’associations, crée par le biais de son esprit de nouveaux concepts servant à dénommer de
nouvelles réalités. Ici, il vient donc penser les choses, et non di re les choses. Une fois la
métaphore créée, apte à évoquer un nouve au concept, elle pourra, le cas échéant, être
adoptée par la communauté et ses usagers et se diffuser en tant que nouvelle étiquette d’un
concept. Ce processus cognitif nous amène maintenant à introduire notre propre proposition
théorique, laquelle nous pourrons appuyer sur nos analyses ainsi que sur les études de
Lakoff et Johnson, de Basilio et de Da Costa, etc.
Ainsi, si pour Assal, il subsiste une distinction entre le processus de métaphorisation
terminologique et la polysémie, il n’en est rien selon nous. Tout d’abord, nos exemples
démontrent effectivement que le processus de métaphorisation se fait autant à partir du
noyau sémique que du trait secondaire. Or, la polysémie n’est pas un processus en tant que
tel; c’est plutôt un résultat, un fait, une réalité. La polysémie résulte directement de la
métaphorisation. Parmi les manifestations de la polysémie sont répertoriés la néologie
sémantique, les transferts de sens, les glissements sémantiques et les métaphores. Si, dans
les exemples étudiés par Assal, certains cas relevaient plutôt de la polysémie dont le
transfert se faisait uniquement par le noyau sémantique invariable (terminologie employée
65
par Assal), c’est selon nous, davantage le résultat d’une action qu’une distinction à
effectuer entre la polysémie et la métaphorisation terminologique. Tout d’abord, parce que
ces deux éléments (la polysémie en tant qu’état de chose, réalité linguistique et la
métaphorisation en tant que processus cognitif conduisant à la polysémie) ne sont pas sur le
même pied et ne se comparent pas. En effet, rappelons-nous qu’Assal travaillait à partir
d’un corpus fermé dans un dictionnaire et dans un vocabulaire spécialisés de la génétique.
Or, qu’en est-il des terminologies recensées dans les ouvrages dictionnairiques? La plupart
des dictionnaires spécialisés optent soit pour le dégroupement des entrées (phénomène plus
courant dans les banques de terminologie multidomaines) ou pour le regroupement des
entrées (dans un ouvrage unidomaine comme c’est le cas dans le corpus étudié par Assal);
il est donc plus facile, dans certains cas, d’observer ces polysèmes, bien répertoriés. Par
ailleurs, avec une approche componentielle qui consiste à t rier dans la densité des traits
sémantiques le sème commun aux deux termes, la recherche de l’intersection sémique
conduit inévitablement au noyau sémantique invariable. Alors qu’en procédant à une
recherche basée sur les attestations historiques des sens dans les dictionnaires du français,
et ce, à partir d’analyses qui portent sur un corpus terminologique authentique (non pas à
l’intérieur d’ouvrages dictionnairiques), ce tri est moins arbitraire. Enfin, nous avons
découvert que peu importe d’où se faisait le transfert sémantique, du no yau ou d ’un trait
secondaire, il en résultait de la variation polysémique. Nous commencerons notre
démonstration en répondant aux trois questions posées précédemment :
1. Où naît la métaphore?
2. Où naît la polysémie?
3. Comment s’opère la métaphorisation terminologique versus la polysémisation?
Premièrement, il nous apparaît évident, à la lumière de notre discussion, que la métaphore
naît du plan cognitif. Elle s’opère à l’intérieur d’un processus cognitif, conscient ou
inconscient, et puise à travers les ressources disponibles (ressources linguistiques – noyau
sémique ou trait secondaire - et extralinguistiques - l’ensemble des connaissances). La
polysémie peut être élucidée à partir de recherches sémantiques diachroniques. Ce sont
donc les dictionnaires historiques et étymologiques qui peuvent nous fournir des réponses à
66
cette question. Le critère utilisé afin de distinguer la polysémie de l’homonymie est
l’étymon commun ou le lien sémantique. Bien que ce critère soit relatif, c’est en parcourant
l’histoire que nous pouvons tenter de trouver des réponses. Ainsi, nous avons décidé
d’opter pour cette approche diachronique. À notre grande surprise, les associations parfois
prévisibles (nous pensons, par exemple, aux cas de sauvage et gisement), parfois
surprenantes (monstre, cannibalisation, inerte), pouvaient être révélées. Puisque ces
métaphores ont toutes un lien sémantique avec un trait ou un a utre du passé (en étudiant
l’histoire du mot), il a pparaît alors évident qu’elles conduisent toutes à la polysémie et
engendrent de la variation polysémique. C’est exactement ce que nous développerons en
détails dans le chapitre 3. Les métaphores terminologiques font partie des processus qui
créent de la variation terminologique et ces liens seront clairement expliqués dans le
chapitre 5 de notre thèse.
Ainsi, le monstre « encombrants ou appareils électroménagers » vient se greffer aux sens
précédents de monstre, créant ainsi un nouve au polysème. Bien entendu, en discours,
monstre est bien circonscrit et monosémique, mais en langue, il est polysémique à côté des
sens suivants : « animal mythologique », « laid », « difforme », « action criminelle », etc.
(Voir les schémas 2. 3. 4. 5.).
67
Schéma 2.
Illustration de la variation polysémique de « monstre » à partir du
triangle sémiotique
Exemple de variation polysémique de «monstre»
VP1 monstre comme sé
de « encombrants »
VP2 monstre comme sé
de « animal mythologique »
sã1
rã1
rã2
Schéma 3. Le concept de « monstre » dans notre corpus
Le concept de «monstre» dans notre corpus
« encombrants, appareils électroménagers
(réfrigérateur, cuisinière, machine à laver), sommier »
co
sã1
rã1
68
Schéma 4. Le champ lexico-conceptuel de « monstre » dans notre corpus
Le champ lexico-conceptuel de «monstre» dans notre corpus
réfrigérateur
machine à laver
«monstre»
cuisinière
sommier
etc.
Schéma 5. Polysémie de « monstre » en langue
La polysémie de «monstre»
réfrigérateur
cuisinière
sommier
«monstre»
animal mythologique laid
action criminelle difforme
etc.
69
Lakoff et Johnson ont été les premiers à aborder l’aspect cognitif du processus de la
métaphorisation :
L’hypothèse la plus importante que nous avons émise jusqu’ici est donc que la
métaphore n’est pas seulement affaire de langage ou question de mots. Ce sont
au contraire les processus de pensée humains qui sont en grande partie
métaphoriques. C’est ce que nous voulons dire quand nous disons que le
système conceptuel humain est structuré et défini métaphoriquement. Les
métaphores dans le langage sont possibles précisément parce qu’il y a des
métaphores dans le système conceptuel de chacun (1985 : 16).
D’autres auteurs ont par la suite adopté l’approche de Lakoff et Johnson et ont poursuivi les
recherches sur les métaphores. Parmi ceux-ci, citons Da Costa, Basilio :
A metàfora é a t ransposiçao do nome de uma coisa para outra, transposiçao do
gênero para espécie, ou da espécie para o gênero, ou de uma espécia para outra,
por via de analogia. (Aristote 1985: 274 dans Damiani Costa 2005: 14).
La métaphore est le transfert du nom d’une chose à u ne autre, le transfert du
genre à l’espèce, ou d’une espèce à une autre, par analogie (Notre traduction).
Entretando, como o m ecanismo da analogia é um mecanismo lógico, e não
especificamente linguístico, teríamos o pr incípio fundamental da expansão e
conhecimento lexical como um mecanismo geral cognitivo, e, portanto, não
especificamente linguístico, o que poderia parecer contrariar as proposiçoes da
Teoria Gerativa (Basilio 1997: 19).
Ainsi, comme le mécanisme de l’analogie est un m écanisme logique, non
spécifiquement linguistique, nous partirions du principe fondamental de
l’expansion et de la connaissance lexicale en tant que mécanisme généralement
70
cognitif, et pourtant, non spécifiquement linguistique, ce qui pourrait à première
vue contredire les propositions d’une Théorie générativiste (Notre traduction).
Il est intéressant de constater qu’il y a de cela bien longtemps, Aristote avait découvert de
nombreuses propriétés des métaphores. Cependant, comme nous l’avons expliqué
précédemment, dans le cas de la métaphore terminologique plus particulièrement, ce
concept de transposition de nom d’une chose à une autre n’est pas qu’une simple manière
de dire autrement, mais bien de concevoir différemment. C’est une image mentale qui est à
la source du pr ocessus de transfert dans la métaphorisation terminologique. Comme le
précise Basilio, si le mécanisme permettant d’effectuer l’analogie est un mécanisme
logique, et non l inguistique, cela suppose que le principe de métaphorisation sur lequel
repose cette analogie serait avant tout conceptuel, avant même d’être linguistique. La
matérialisation de ce procédé cognitif en est le signe, lorsque ce dernier s’implante dans les
usages. C’est pour cette raison que nous soutenons que la métaphorisation terminologique
est un pr ocessus conceptuel qui conduit à la polysémie : le résultat, la matérialisation
linguistique.
Ainsi, notre proposition abonde dans le même sens que Gambier (1991 : 13) lorsque ce
dernier explique le principe de sociodiffusion des néologismes sémantiques pour lequel
nous avons fait une adaptation visuelle (cf. Schéma 6). Gambier identifie bien la phase de
lancement du néologisme suivie de l’éclatement de la notion, donc de la polysémisation. À
ce processus, nous avons ajouté dans notre schéma la phase préalable soit la création du
néologisme, ce qui nous permet de compléter ce cycle de vie du néologisme sémantique.
C’est pourquoi nous croyons que la métaphorisation terminologique est bien un processus
qui permet le transfert à la fois du noyau sémique ou des traits secondaires et qui aboutit
généralement à la polysémie. Dans notre cas, nous retiendrons donc plutôt la
métaphorisation terminologique en tant que processus cognitif (représenté au schéma 7 par
la sphère métaphorique) conduisant à la variation polysémique (représentée au schéma 7
par le triangle sémiotique de notre modèle de la variation polysémique). Par ailleurs, nous
71
attirons l’attention sur la ligne continue dans notre triangle sémiotique indiquant ici, après
analyses, la motivation des termes propre à ce processus conceptuel.
Schéma 6. Le continuum de la socio-diffusion
Un continuum de socio-diffusion
Continuum de la socio-diffusion: ainsi, un terme
connaîtrait une période de lancement, puis une phase
d’extension de son usage, et finalement un temps
d’éclatement de la notion (polysémisation)
Création (néologisme sémantique)
Phase d’extension (usage du néologisme)
Polysémie
En conclusion, nous sommes d’accord avec Assal sur le fond, sur le processus de transfert
de la métaphore terminologique mais non s ur la comparaison qu’il en fait avec la
polysémie. Tout comme il affirmait :
Le mécanisme de la métaphorisation, à savoir l’établissement d’un rapport
analogique symbolique entre deux analogues et la transposition métaphorique
même, n’est qu’une modalité sémantico-linguistique dont la finalité est
fondamentalement conceptuelle (1995 : 24).
Comme le mentionnait Diki-Kidiri, la métaphorisation terminologique est aussi une source
culturelle de conceptualisation :
Même la polysémie qui est tant pourchassée comme source d’ambigüité est
sournoisement omniprésente, car des domaines entiers comme l’informatique,
72
la biochimie, l’aéronautique etc., exploitent à fond la métaphore comme mode
de dénomination et source culturelle de conceptualisation (Diki-Kidiri
2000 : 6).
Schéma 7.
Notre proposition de la métaphorisation terminologique conduisant à la
variation polysémique
Notre proposition: La métaphorisation terminologique
produit de la variation polysémique
NS
VP1
VP2
Métaphorisation terminologique
sã1
rã1
Variation polysémique
Matérialisation linguistique du
rã2
Noyau sémique et / ou trait
secondaire pouvant être transféré processus de la métaphorisation
terminologique
2.5.
Conclusion
Finalement, il est important de souligner qu’il nous aurait été impossible de résoudre ces
questions théoriques en synchronie. C’est la perspective diachronique qui nous a permis
d’ouvrir tout un pan de l’histoire des mots et de leurs sens et de constater qu’il existe un
lien entre le nouveau concept évoqué par la métaphore et l’un ou l’autre des sens
précédents de la dénomination. En effectuant le survol des mots, nous constatons que la
langue évolue sur le principe du cumul des sens et que ces liens sont forcément reliés les
uns aux autres, d’une façon ou d’une autre. Par ailleurs, ces liens confirment la motivation
73
des termes créés par la métaphorisation terminologique; c’est pourquoi la ligne discontinue
dans le triangle sémiotique (représentant l’arbitraire du s igne de Saussure) n’a ici plus sa
place. Cette ligne est continue et symbolise ce lien entre les nouveaux polysèmes (résultant
du processus de métaphorisation).
Le processus de métaphorisation est très courant en terminologie et très utile puisqu’il
permet de créer de nouvelles dénominations, palliant ainsi les lacunes conceptuelles, et
donnant naissance à de nouveaux concepts. Dans l’univers cognitif, il n’existe pas de
frontières hermétiques, les mots et les sens voyagent en toute liberté là où l’image permet
d’évoquer, de signifier, de conceptualiser et finalement de dénommer.
La dénomination est en quelque sorte la matérialisation, l’étiquette (le signifiant) de ce
processus mental qui se produit dans la métaphorisation et qui conduit, en langue, à la
variation polysémique (représentée par différents signifiés, associés à un même signifiant,
mais aussi bien à des référents différents). Bien entendu, en discours, le contexte et le
cotexte révèlent tout le contenu du terme et empêchent toute ambiguïté de subsister. Mais
en langue, afin de prévenir cette ambiguïté possible hors contexte, il convient d’expliquer,
et pour tout linguiste, de comprendre ce processus de métaphorisation aboutissant à la
polysémisation. Pour ce faire, il convient d’étudier les sens du terme en diachronie et
d’observer par la suite l’éventuelle autorégulation de ses usages. Seul le temps permet de
déterminer si un terme s’implantera dans l’usage avec ce nouveau concept, mais il y a fort à
parier, étant donné l’efficacité de la motivation du pr ocessus de métaphorisation
terminologique, qu’il conservera sa place dans l’histoire du terme et de ses sens peu
importe l’étendue de son usage (cette période pouvant être plus ou m oins longue en
fonction de l’évolution des concepts et des nouvelles réalités technologiques et
scientifiques). La langue s’adapte aux évolutions sémantiques (reflets des évolutions
culturelles et techniques) et de ce fait, la métaphorisation terminologique est un processus
extrêmement riche. Finalement, la métaphore terminologique est un pr ocessus cognitif,
hautement conceptuel, permettant de dénommer des notions diverses et dont le résultat est
par conséquent, la polysémie. Avec ce détachement de la rhétorique, la métaphore
74
terminologique détient le pouvoir de conceptualiser à partir des connaissances générales et
cumulatives du monde entier.
Le chapitre 3 : La variation polysémique
75
3.1.
Polysémie, homonymie et monosémie
3.1.1. De la polysémie en langues de spécialité
Nous avons vu au chapitre précédent que les métaphores terminologiques engendrent de la
variation polysémique. Nous souhaitons donc maintenant examiner la polysémie en détails et
soumettre notre théorie vers une polysémisation des termes.
Si le principe de la monosémie est surtout attribué aux langues de spécialité dans les
ouvrages de linguistique générale, il a déjà été démontré que ce principe est contestable au
sein même des langues de spécialité. En fait, la synonymie tout comme la polysémie font
partie intégrante du pr ocessus de communication, et ce, même à l’intérieur d’un savoir
spécialisé. La langue de spécialité est donc soumise aux variations au même titre que la
langue générale.
Force est de constater, cependant, que les « langues scientifiques » elles-mêmes
ne sont pas exemptes de polysémie, d’homonymie ou de synonymie et que,
dans bien des cas, seule la connaissance de l’histoire de la science considérée
permet d’interpréter correctement un signe (Nyckees 1998 : 199).
[…] toute langue de spécialité, dans la mesure où il s’agit d’un sous-ensemble
de la langue générale, partage les mêmes caractéristiques que celle-ci; il s ’agit
alors d’un code unitaire qui permet des variations (Cabré 1998 : 140).
Variação e terminologia não se confrontam na abordagem atual. Pelo contrário,
defendemos que a terminologie é passível de variação porque faz parte da
língua, porque é heterogênea por natureza, e porque é de uso social (cf.
Faulstich, 1995 dans Faulstich 2001: 20).
Variation et terminologie ne s’opposent pas dans l’approche actuelle. Au
contraire, nous soutenons que la terminologie est soumise à la variation parce
76
qu’elle fait partie de la langue, parce qu’elle est hétérogène de nature, et
d’usage social (Notre traduction).
3.1.2. Traitement homonymique ou polysémique?
Dans un c ontexte normatif, les polysèmes ont parfois été traités comme s’il s’agissait
d’homonymes, c’est-à-dire, en les classant séparément par des entrées disjointes. Les
principes du classement par domaines et de la monosémie extraits de la TGT de Wüster ont
favorisé ce traitement homonymique dont témoignent très souvent les banques de
terminologie, par ailleurs.
On croit que ce qui est polysémie en lexicographie est homonymie en
terminologie parce qu’on a, pour cette dernière, pris l’habitude de fragmenter le
domaine des connaissances et de présenter ces sous-ensembles dans des
dictionnaires spécifiques (Cabré 2000a : 32).
En lexicographie, il existe également deux traitements possibles : la tendance polysémiste
(qui regroupe les différents sens sous une même entrée) ou homonymiste (qui dégroupe les
sens en proposant plusieurs entrées séparées). Lorsque vient le temps de distinguer
l’homonymie de la polysémie, il est difficile d’établir des critères clairs. Nous avons tenté
de dégager les critères évoqués par les auteurs au sujet de la distinction entre l’homonymie
et la polysémie et nous en présenterons la synthèse dans la section suivante.
77
3.1.3. Critères de distinction entre l’homonymie et la polysémie : la disjonction
homonymique
La plupart des auteurs
1
s’entendent sur un critère pour distinguer l’homonymie de la
polysémie, soit la disjonction homonymique. Selon certains, s’il est impossible d’établir un
lien sémantique entre les éléments, c’est-à-dire s’il n’existe pas de lien sémique commun, il
s’agira d’homonymie.
Il peut être difficile de distinguer entre homonymie et polysémie dans un grand
nombre de situations intermédiaires où les significations comparées ne sont ni
franchement éloignées ni franchement proches (Nyckees 1998 : 195).
Pour qu’un terme soit polysémique, il faut généralement que ses sens remontent
à un étymon commun. […] Pourtant, ce critère de relation étymologique n’est
pas aussi évident qu’on pourrait le penser à première vue. […] Il faut également
remarquer qu’il y a des mots dont la provenance historique est incertaine. […]
On peut constater que la distinction entre homonymie et polysémie est arbitraire
et indéterminée (Nyklas-Salminen 1997 : 125-126).
Pour qu’un terme soit polysémique, il faut généralement que ses sens remontent
à un étymon commun, encore qu’au cours de l’histoire une collusion ait pu se
produire entre des homonymes peu à peu confondus. Mais cette condition ne
suffit pas. Avec un même étymon, des termes peuvent avoir des sens si éloignés
qu’on ne peut pas en synchronie poser une seule unité polysémique, comme
pour grève, plage et grève, arrêt de travail. Alors même que tous les deux sont
issus d’une forme commune, grava, ou pour altérer, dénaturer, et altérer,
donner soif, qui remontent à alter (Gardes-Tamine 2002 : 109-110).
Si la plupart des auteurs évoquent ce critère, la quasi-totalité d’entre eux admet également
que ce critère est relatif et qu’il n’est pas toujours décisif. Il devient donc difficile de faire
Le lecteur voudra bien consulter le tableau 1 à l a suite de la section 3.1.9. afin de voir l’ensemble des
78
la distinction entre l’homonymie et la polysémie; c’est pourquoi il existe cette double
approche : homonymiste ou pol ysémiste. Traditionnellement, les traducteurs et les
terminologues se retrouvaient dans le clan des homonymistes, et les sémanticiens dans celui
des polysémistes. Les lexicographes, eux, étaient partagés. En fait, à ce jour, ni l’un ni
l’autre n’est cantonné dans une approche plus que dans une autre, mais ils se retrouvent
plutôt face à une décision à prendre en raison d’un manque de critères clairs et décisifs.
Dans cette thèse, il ne s’agit pas de dire qui a tort ou qui a raison, mais plutôt d’établir des
critères qui permettraient de faire une meilleure distinction entre l’homonymie et la
polysémie en terminologie. Nous développerons donc cet aspect dans le chapitre 3.2. Entre
temps, nous examinerons le point de vue des auteurs.
3.1.4. Un lien sémique commun
La plupart des auteurs reconnaissent le besoin d’un lien sémique commun entre les
éléments pour parler de polysémie et non d’homonymie :
La polysémie se distingue également de l’homonymie : un m ot polysémique
(un polysème) est un mot qui rassemble plusieurs sens entre lesquels les
usagers peuvent reconnaître un lien. […]. L’homonymie se distinguera donc de
la polysémie en ce que, dans le cas de l’homonymie, il ne paraît pas possible de
rétablir une relation sémantique vraisemblable. Les deux mots ne présentent pas
plus d’affinité sémantique entre eux que n’importe quels mots du di ctionnaire
pris au hasard. C’est pourquoi on pe ut dire que l’homonymie est une relation
entre deux ou plusieurs mots tandis que la polysémie est une propriété d’un seul
et même mot doté de plusieurs significations (Nyckees 1998 : 194).
Il est intéressant de noter cette relation entre deux ou pl usieurs mots et cette notion de
propriété d’un seul mot établies par Nyckees. Cette manière de définir l’homonymie et la
1
conceptions des différents auteurs consultés au sujet de la monosémie, de la polysémie et de l’homonymie.
79
polysémie est plus nuancée. Ainsi, un pol ysème possèderait la propriété de recouvrir
plusieurs sens alors que l’homonyme serait mis en relation avec un autre mot.
Dans le Dictionnaire de linguistique de Dubois et al., l’opposition entre les deux réside
plutôt dans le traitement lexicographique qui en est fait :
Dans le dictionnaire, la véritable opposition est entre le traitement
homonymique ou pol ysémique de telle unité ou de tel groupe d’unités. On
pourrait alors être tenté de chercher des critères de la polysémie ou de
l’homonymie. Si, par exemple, le critère étymologique fonctionnait, on pourrait
distinguer un mot polysémique et des mots homonymes par le recours à la
diachronie. Il n’en est rien en pratique : par exemple, dessin et dessein, traités
comme homonymes dans les dictionnaires actuels, ont une étymologie
commune; si l’on prenait l’étymologie comme pierre de touche, ils devraient en
bonne logique, être traités comme deux sous-sens d’une unité commune (1999 :
370).
Cette observation nous amène donc à confirmer que l’homonymie relève plutôt d’un choix
de perspective. Ainsi, si on enlève la perspective diachronique, en théorie, plusieurs termes
seraient homonymes, mais ce serait là se priver d’une vision importante et très instructive
sur l’évolution du terme et de ses sens. Nous reviendrons sur cet aspect au point 3.1.9.
3.1.5. Un critère relatif
Tout comme nous l’avons vu précédemment, la plupart des auteurs cités dans notre tableau
récapitulatif s’entendent sur la relativité du critère étymologique et du lien sémantique.
Kocourek, lui, préfère parler d’ambiguïté au lieu de parler d’homonymie et de polysémie. Il
reconnaît qu’il est parfois difficile d’établir une distinction claire entre les deux :
80
L’homonymie est en rapport étroit avec la polysémie […]. Il n’est pas toujours
possible de décider s’il s’agit de deux mots différents ayant la même forme,
c. – à – d. s’il s’agit de deux homonymes, ou s’il est question de deux ou
plusieurs acceptions différentes d’un seul mot polysémique […] (1982 : 160).
3.1.6. Le motif
Pour Kocourek, « la majorité des unités lexicales de la langue sont motivées. En
terminologie, la prédominance est si prononcée qu’elle est un caractère essentiel de la
formation terminologique (cf. Guiraud 78 :97 dans Kocourek 1982 : 151) ». Afin d’illustrer
sa conception du signe linguistique, Kocourek a développé une grille d’évaluation basée sur
les éléments suivants : la forme, le sens et le motif. Kocourek propose donc d’ajouter
l’étude de la motivation des termes à la terminologie :
Nous sommes fondé à croire (Kocourek 1979 :154 et 1963 : 94) que l’étude
linguistique de la terminologie doit posséder une structure qui s’accommode de
l’étude de la motivation. La plupart des termes ne sont-ils pas motivés? […]
L’étude linguistique de la terminologie peut inclure – d’une manière
systématique et en plus de l’étude de la signification forme/sens – l’étude de la
motivation forme/motif et du rapport sens/motif. (Idem : 156).
Nous pouvons reproduire le schéma qu’il utilise dans son livre afin d’expliquer ces
relations entre la forme, le sens et le motif (voir schéma 1). Les relations que ces éléments
entretiennent entre eux peuvent être de divers ordres : accord, divergence ou conflit. C’est
en ces termes qu’étudiera Kocourek les situations présentant des ambiguïtés. Voici un
exemple qu’il donne afin d’expliquer le motif :
Les éléments de contenu, suggérés par les morphèmes et qui indiquent pourquoi
la forme est utilisée, constituent le contenu motivationnel du t erme, que nous
appellerons tout simplement motif du terme. Comme le sens, le motif peut être
81
exprimé au moyen d’un syntagme. La motivation est alors le rapport entre la
forme et le motif; la motivation du terme bifurcation serait donc le rapport entre
sa forme et son motif. Ce dernier peut être exprimé linguistiquement comme
suit : ‹emploi métaphorique de la racine FURC (fourche, lat. furca) + préfixe
BI-(deux) + dérivation verbale (-ER) + suffixe nominal –ATION (acte ou, par
épaississement métonymique éventuel, le résultat de l’acte) ›, ou – plus
simplement – par un syntagme motivationnel tel que ‹ acte de bifurquer, ou
son résultat, c’est-à-dire division en deux branches, en forme de fourche›. […]
Comparons maintenant le motif du t erme bifurcation ci-dessus avec son sens
‹point où une voie de communication se divise en deux directions divergentes,
mais non oppos ées› (ce définissant a été recommandé par la Commission de
terminologie des transports, Gazette officielle du Québec, 22 m ars 1981, p.
5040. On constate que le rapport sens/motif de bifurcation est normal, sans
conflit ni divergence (Idem : 156-157).
Ainsi, le recours à l’étude étymologique semble donc favorable dans certains cas afin de
mieux comprendre les possibles motivations des termes tout comme nous l’avions fait au
chapitre 2 dans l’étude des métaphores terminologiques. L’étude de la motivation va donc
de pair avec l’étude de l’étymologie, et qui dit étymologie pense à l a formation lexicale.
Les motivations sont donc multiples (cf. Kocourek 1982 : 152-155) :
1. Motivation morphologique (dérivation, confixation, composition);
2. Motivation syntagmatique (lexicalisation);
3. Motivation par emprunt, par abréviation (direct, intégré, calques);
4. Motivation sémantique (étude des traits intrinsèques et extrinsèques, métaphore,
métonymie, synecdoque);
5. Motivation phonique ou graphique (imitation directe, symbolisme).
82
Schéma 1.
L’étude du motif en terminologie par Kocourek
Forme
Sens
Référent
Motif
3.1.7. L’ambiguïté vue comme l’hyperonyme d’homonymie et de polysémie
Par ailleurs, Kocourek reconnaît que la question n’est pas si simple à résoudre; même en
cherchant au cœur de la sémantique, il a fait le choix de parler d’ambiguïté pour désigner
ensemble la polysémie et l’homonymie. :
Ce problème est sémantique et, parfois, étymologique, et il est fréquemment
tranché d’une manière arbitraire. C’est pour cela que nous employons, le cas
échéant, le terme ambiguïté comme hyperonyme de polysémie et homonymie
(Idem : 160).
Chez les générativistes, ce terme est également privilégié :
2. En grammaire générative, les homonymes syntaxiques sont des phrases de
surface qui peuvent correspondre à deux structures profondes différentes.
Dans le dictionnaire de linguistique, l’astérisque renvoie à la définition suivante de l’ambiguïté : « propriété
Par ailleurs, en traitement de la langue naturelle, l’ambiguïté a a ussi ce s ens. On utilise également son
Veuillez consulter le schéma sur le motif de Kocourek dans notre tableau 1.
83
L’homonymie syntaxique correspond à l’ambiguïté*2 (Dubois et al. 1999 : 234
sous homonyme).
Finalement, Kocourek conclura sur le sujet en proposant la voie modérée entre les deux
approches :
L’homonymie et la polysémie, ne l’oublions pas, sont des phénomènes
universels des langues, et elles ne vont pas disparaître parce que l’on les
interdit ou s upprime. Tout en essayant de réduire le nombre d’expressions
homonymes et la polysémie des termes, on ne va prétendre que ces phénomènes
n’existent pas (Idem : 162).
Ce qui nous semble intéressant dans la proposition de Kocourek, c’est l’emploi du t erme
ambiguïté pour dénommer les cas justement « ambigus » entre la polysémie et
l’homonymie, ce qui évite de devoir faire un choix dans certaines situations où le rapport
entre le motif et le sens est en divergence et non en accord.3 Cette décision de Kocourek de
privilégier le terme ambiguïté pour regrouper sous un m ême chapeau la polysémie et
l’homonymie n’est pas arbitraire, et montre à quel point ces phénomènes sont complexes à
étudier et surtout, à classer dans l’une ou l ’autre de ces deux catégories. Cependant, cette
prudence ou ce classement ne permet pas, entre temps, de les élucider.
Par ailleurs, Kocourek souligne l’apport de la motivation du terme dans l’étude linguistique
de la terminologie. Bien que l’étude de la motivation du t erme se fasse souvent de façon
intuitive chez les linguistes-terminologues, il semble très approprié de le mentionner et de
poursuivre les études sur le motif4 du terme. Comme le mentionne Kocourek :
Supposons que le terme est motivé si la forme de ses morphèmes constitutifs,
en plus de la signification globale du terme, signale des éléments de contenu
2
de plusieurs phrases qui présentent plusieurs sens » (Dubois et a.l 1999 : 30). 3
contraire désambiguisation pour traiter les homonymes et les polysèmes. 4
84
qui indiquent pourquoi cette forme particulière est employée pour désigner le
sens donné (3.8.1.) (1982 : 156).
C’est un aspect à co nsidérer fortement dans la distinction à ét ablir notamment entre
l’homonymie et la polysémie puisque la motivation (la transparence du terme) est en lien
direct avec son étymologie, donc à étudier de pair avec le lien sémique recherché. Ce
critère sera donc considéré dans notre proposition ultérieurement. Par ailleurs, il convient
de mentionner qu’en terminologie les termes complexes ainsi que les syntagmes formés à
partir du calque morphologique de l’anglais sont motivés de cette même manière.
3.1.8. La contextualisation en discours
Si les critères étymologique et sémantique ne permettent pas toujours de distinguer
l’homonymie de la polysémie, il va de soi que pour la majorité des auteurs, la question ne
se pose même pas en contexte. Les co-occurrents ainsi que la situation de communication
éliminent les ambiguïtés. Ainsi, la prise en compte du cotexte (linguistique) et du contexte
(social) est un critère important dans l’étude des phénomènes de variation polysémique. Ce
qui est polysémique en langue devient monosémique en discours selon Mortureux :
Les dictionnaires s’efforcent de représenter à l a fois l’unité sémantique du
signifié d’un mot et la variété de ses emplois, liée notamment à la diversité des
référents auxquels s’applique le concept; c’est la polysémie lexicale. Dans les
discours, la règle est qu’une seule acception soit actualisée dans chaque cas, le
mot polysémique en langue est monoréférentiel en discours (1997 : 93).
Lehmann et Martin-Berthet vont aussi mentionner l’apport des circonstances énonciatives
et de la situation référentielle, claires en contexte :
85
Les risques d’ambiguité lexicales […] sont levés grâce au cotexte (entourage du
mot) et au contexte (circonstances énonciatives et situation référentielle)
(2000 : 66).
Si le contexte révèle le sens du terme, il n’en demeure pas moins qu’il est essentiel de le
consulter pour le désambiguïser :
Ici, le signifié n’est révélé que par la distribution et le contexte de situation et la
désambiguïsation de mot doit tout au contexte (Picoche 1977 : 70).
On comprend donc que les praticiens de l’analyse sémique aient généralement
délaissé le domaine propre du lexique auquel ils s’étaient d’abord attachés pour
s’intéresser de façon privilégiée à l ’étude de la signification en contexte
(phrase, texte, discours). (Nyckees 1998 : 237).
Si le contexte permet en discours de désambiguïser, il convient aussi de revenir sur une
distinction que font certains linguistes entre sens et signification. Ce serait donc
précisément en contexte que le « sens » serait révélé alors que la « signification » se situe
au niveau de la langue :
La signification ainsi définie se distingue du sens, lequel, dans l’acception
technique que lui donnent les linguistes, n’apparaît qu’avec l’énoncé, c’est-à-
dire dans le cadre du discours, texte ou pa role, tenu dans une situation
particulière. Plus précisément, le sens d’une phrase est la valeur spécifique prise
par cette phrase dans les circonstances particulières de l’échange, c’est-à-dire
lorsqu’elle devient un énoncé (Nyckees 1998 : 249).
Ainsi, il serait juste de parler de sens dans le cas de la variation polysémique telle que
rencontrée dans notre corpus. Cependant, tout comme le mentionne d’ailleurs Nyckees un
peu plus loin dans son livre:
86
Ajoutons que les linguistes continuent en bien des circonstances d’utiliser
indifféremment les deux termes, comme n’importe quel locuteur du français
(Idem : 249).
Or, il ne sera pas faux de parler de sens en discours (dans les exemples provenant de notre
corpus) au même titre qu’en langue, c’est-à-dire dans le cadre élargi de notre étude, en
tenant compte de l’ensemble des situations langagières étudiées dans le contexte de cette
thèse.
3.1.9. La polysémie : situation de tous les termes de la langue?
Si la distinction entre l’homonymie et la polysémie est parfois si difficile à établir
clairement, trois questions nous viennent à l’esprit :
1. L’homonymie et la monosémie existeraient-elles pour répondre à des
idéologies (choix éditorial, approche) ou à des besoins normatifs?
2. Existerait-il un manque de critères clairs qui permettrait de mieux les
distinguer? Au fait, cette distinction est-elle nécessaire?
3. La polysémie et la synonymie seraient-elles donc la situation de tous les
termes de la langue (et non du discours)?
Pour Gardes-Tamine, la polysémie est la situation de presque tous les termes de langue :
Il reste à souligner que la polysémie est la situation de presque tous les termes
de la langue, qu’ils soient ou non hom onymes d’autres termes. La monosémie
représente évidemment la situation idéale, mais elle n’est représentée que pour
un petit nombre de mots, définis généralement dans les vocabulaires techniques
(Gardes-Tamine 2002 : 110).
87
Si nous partons du pr incipe que la polysémie et la synonymie sont en langue des
mécanismes naturels à son développement, il en est tout autrement dans le cas de la
monosémie et de l’homonymie :
La polysémie est un trait consécutif de toute langue naturelle. Elle répond au
principe d’économie linguistique, au même signe servant à plusieurs usages.
Grâce aux ressources de la polysémie, la langue est apte à ex primer, avec un
nombre limité d’éléments, une infinité de contenus inédits et peut faire face aux
besoins de nouvelles dénominations; ainsi la polysémie de souris s’est enrichie
par le biais du calque anglais (cf. chap. 1, II, B)5 pour désigner le boîtier
connecté à un m icro-ordinateur. L’homonymie en revanche, n’est pas
essentielle au fonctionnement des langues (Lehmann et Martin-Berthet 2000 :
65).
C’est donc ce qui nous amène à croire que ces deux phénomènes, la monosémie et
l’homonymie, bien que présentes, et ce, même en langues de spécialité, peuvent exister en
quelque sorte pour répondre surtout à un idéal normatif ou a fin de servir un obj ectif
spécifique. En lexicographie, par exemple, la tendance homonymiste ou polysémiste relève
bien d’un choix éditorial. Le dégroupement des entrées ayant été instauré par l’équipe du
Dictionnaire du français contemporain en 1966 :
Le dégroupement des sens et des emplois a été notamment inauguré dans le
Dictionnaire du f rançais contemporain (Larousse, 1966,1re éd.), ouvrage
pionnier en ce domaine. La dette de la lexicologie envers la lexicographie est, à
cet égard, très importante (Lehmann et Martin-Berthet 2000 : 69).
Il convient de se rapporter au contexte dans lequel ce dictionnaire a été conçu. À l’époque,
le choix éditorial reposait sur les objectifs spécifiques à atteindre, ainsi que sur la clientèle
visée. Le Dictionnaire du français contemporain visait un public hétéroclite, et favorisait
Dans le chapitre 1, II, B, les auteures expliquent la notion d’emprunt, où elles reprennent l’exemple de
Veuillez consulter le tableau 2 qui suit.
88
une approche synchronique, tout en poursuivant comme objectif une meilleure
compréhension du français contemporain; ce qui explique donc son choix pour le
dégroupement des entrées. Or, même si plusieurs ont par la suite privilégié cette méthode, il
reste que le dégroupement des entrées dans les dictionnaires ou da ns les banques de
terminologie demeure un choix éditorial, un choix de perspective.
Nous conclurons donc cette partie en répondant aux trois questions posées précédemment
et en comparant l’évolution de la pensée autour des phénomènes de variation. Ainsi, à partir
de l’avènement de la sociolinguistique dans les années 1970, nous avons pu observer une
évolution parallèle de la pensée autour des phénomènes de variation tant en terminologie
qu’en linguistique générale. À la lecture des divers auteurs, terminologues, linguistes,
sémanticiens, nous avons pu t isser des liens entre la perception de la variation
dénominative et polysémique avant et après l’arrivée de la sociolinguistique. Cette
dichotomie s’exprime par un p assage du normatif au descriptif6. Ce qui nous amène à
croire que l’homonymie et la monosémie répondraient plutôt à des besoins normatifs ou
relèveraient plus particulièrement de l’idéologie, et non du processus naturel d’évolution de
la langue. Nyckees avait d’ailleurs relevé cette recherche d’un idéal logique :
Cette relative innocuité de la polysémie et de l’homonymie n’a pas empêché
certains penseurs de les considérer comme des défauts des langues
« naturelles » au nom de l’idéal logique d’une langue bien faite, qui ferait
correspondre une signification unique à une forme unique (1998 : 198).
Tout comme nous l’avions déjà mentionné au chapitre 1 (cf. 1.3.3.), il ne faut pas confondre
les deux perspectives : prescriptives versus descriptives. À ce propos, Guespin écrivait:
À cette évocation, qui n’est guère caricaturale, on comprend comment l’image
d’un discours scientifique fonctionnant sans défaillance a pu naître : le projet de
5
souris. 6
Dans un objectif de structuration par domaines ou afin de préserver une certaine harmonisation, la
89
standardisation a été confondu avec la tâche de description, l’objet idéal visé a
amené à sublimer le réel observé (1995 : 211).
Nous sommes d’avis que la normalisation a ses raisons d’être dans un contexte donné7,
mais dans le cadre d’une étude linguistique visant à comprendre les phénomènes de
variation terminologique, cherchant à en expliquer les mécanismes, les causes et les
conséquences, il convient de rester neutre en tentant justement, pour ce faire, d’établir des
critères précis.
Tout comme le mentionnait Sager, la normalisation ne résout pas tous les problèmes de
variation :
The hope that standardisation will solve the problems caused by alternate
designations is therefore not likely to be fulfilled very frequently. In many cases
alternate names continue to exist indefinitely and it is such extraneous
influences as market dominance of one product or the disappearance of older
technologies which decide on the life or death of terms (1990: 115).
Il convient donc de tenir compte des usages réels en discours et en langue et de les étudier.
Ces phénomènes participent à l’évolution naturelle de la langue courante et spécialisée.
Plus encore que l’ambiguïté, la synonymie est un principe universel des
langues : elle peut être analysée, aménagée, réduite, mais non éliminée. »
(Kocourek 1991 : 192).
Dans son article, Béjoint trace l’évolution de la pensée des linguistes au sujet de la
polysémie :
Mais on peut, je crois, déceler une évolution de la pensée des linguistes sur ce
point : aux linguistes du début du siècle (entre autres, mais pas uniquement, les
7
normalisation a lieu d’être.
Catherine Fuchs est linguiste et Bernard Victorri est mathématicien et informaticien. Ils poursuivent depuis
90
dialectologues avec Gilliéron), pour qui la polysémie était une « imperfection »
du lexique, ont succédé d’autres linguistes pour qui la polysémie est
fondamentale et indispensable […] (1989 : 405-406).
En sémantique, Remi-Giraud et Panier diront que de « parente pauvre de la sémantique
lexicale au temps où dominaient les paradigmes structuraux, la polysémie a aujourd’hui le
vent en poupe, renouvelant en profondeur le débat sur le sens » (2003 : 7). De leur côté,
Victorri et Fuchs8 affirment que « la polysémie est un mécanisme puissant d’évolution des
langues », qu’elle « assure la cohésion, la puissance expressive, l’originalité et
l’adaptabilité de la langue. Une langue sans polysémie serait une langue rigide, incapable
d’évoluer » (1996 : 16-17).
Puis, du côté de la terminologie, Gambier présente la polysémie comme une « dimension
de la terminologisation » et l’inscrit dans un « continuum de la socio-diffusion : ainsi un
terme connaîtrait une période de lancement puis une phase d’extension de son emploi, enfin
un temps d’éclatement de la notion (polysémisation) » (1991 : 9 et 13). Finalement, Auger
revendique la description des usages polysémiques : « l’inventaire de la variation
terminologique dans une langue de spécialité doit se fonder sur une observation
systématique des synonymes et des polysèmes effectivement utilisés dans les textes »
(2001 : 23).
8
une dizaine d’années des travaux sur la modélisation en sémantique linguistique.
Variation
terminologique Synonymie Polysémie
Avant la
sociolinguistique
D’un idéal réducteur et
normalisateur
D’abord réduite,
éliminée pour un idéal
de monosémie
D’une imperfection
Après la
sociolinguistique
À une approche
sociologique,
descriptive et
variationniste des
usages réels.
Puis, décrite et étudiée.
Maintenant, observée
dans les banques de
terminologies et les
dictionnaires.
À un enrichissement
lexical, à un phénomène
incontournable et
omniprésent (qu’il reste
à décrire).
91
Tableau 2.
Évolutions parallèles de la pensée autour de la variation terminologique, de
la synonymie et de la polysémie
Tout comme Dury, nous sommes d’avis que les réflexions sur la terminologie doivent se
poursuivre et que l’on doit prendre davantage en considération la terminologie
diachronique dans l’étude des variantes polysémiques:
[…] l’ensemble des publications qui se font en terminologie sont peu
empreintes de considérations diachroniques. Cette réalité est pour le moins
attristante, car la terminologie diachronique est riche d’enseignements et permet
de faire apparaître des phénomènes essentiels du langage (Dury 1999 : 17).
Si nous soutenons l’idée que l’homonymie et la monosémie ne sont pas des phénomènes
essentiels à l’évolution des langues naturelles, nous pouvons néanmoins reconnaître
qu’elles ont d’abord pour fonction de servir l’être humain dans sa gestion de la langue, dans
certaines situations données, et en fonction de ses idéaux et de ses objectifs. À la question :
sont-elles donc nécessaires? Nous répondons donc qu’elles ne sont pas essentielles au
fonctionnement de la langue, mais qu’elles peuvent en d’autres occasions s’avérer utiles
pour la gestion de ces phénomènes et l’intercommunication langagière. Finalement, la
92
synonymie et la polysémie représentent certainement la situation de tous les termes de la
langue. En revanche, les cas de monosémie pure sont plutôt des cas isolés. Nous conclurons
cette partie avec une citation de Victorri et Fuchs qui décrit bien, en quelque sorte, ce
besoin de continuum entre l’homonymie et la polysémie :
En fait, on doit se résoudre à considérer qu’il n’y a pas de coupure nette entre
ces deux phénomènes [homonymie et polysémie], et que l’important pour une
théorie linguistique n’est pas tant de savoir où l ’on place la frontière que de
rendre compte de l’existence de ce continuum (Victorri et Fuchs 2002 : 13).
Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie
Dubois et al.
Un mot un sens. Propriété d’un signe linguistique qui
a plusieurs sens.
Identité phonique (homophonie) ou identité
graphique (homographie) de deux morphèmes
qui par ailleurs n’ont pas le même sens.
Niklas-Salminen,
A.
Rapport unique
Un signifiant un
signifié.
Un terme (unité lexicale) qui a deux
ou plusieurs significations.
Deux ou plusieurs termes ayant un même
signifiant et des signifiés différents.
i Critère arbitraire et indéterminé
Gardes-Tamine, J.
Un même signifiant (terme) qui a
plusieurs sens, des sens différents.
Polysémie : situation de presque
tous les termes de la langue.
Deux ou plusieurs termes (signifiants
identiques) ayant des sens différents.
Absence de relation sémantique.
Gaudin, F. et
Guespin, L.
Un mot qui a plusieurs sens.
Concerne la langue plus que la
parole.
Contextes
Deux mots de signifiants identiques ayant des
signifiés distincts.
Équivoque.
De même classe grammaticale.
Contexte d’apparition
Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs
93
Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie
Nyckees, V.
Un terme un sens.
-Sens = valeur prise par la
phrase (= sens littéral).
-Signification= valeur prise
par l’énoncé (=sens figuré).
Un mot polysémique rassemble
plusieurs sens (ayant un lien entre
eux). Un mot qui a plusieurs
significations.
Contextes lèvent l’ambiguïté.
Deux ou plusieurs mots qui ont plusieurs
significations.
Aucun lien sémantique vraisemblable.
Disjonction homonymique.
Contextes lèvent l’ambiguïté.
Kocourek, R.
Absence d’ambiguïté.
Une forme un concept.
forme sens référent
motif
Un mot (unité lexicale) qui a
plusieurs acceptions.
Motivation des termes.
Ambiguïté est hyperonyme de
polysémie et d’homonymie.
Deux ou plusieurs unités lexicales de
même forme ayant des sens différents.
Critère : motif.
Ambiguïté est hyperonyme
de polysémie et d’homonymie.
Picoche, J.
Rapport univoque entre un
signifiant et un signifié.
Sème nucléaire.
Un signifiant plusieurs emplois.
Sèmes communs selon le jeu des
contextes, ils peuvent avoir plusieurs
acceptions.
Contextes.
Un signifiant unique qui a plusieurs
signifiés.
Sème contextuel.
Aucun élément sémantique commun, il y
a donc disjonction.
Contextes.
Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs
94
Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie
Mortureux, A-F.
Un lexème qui a plusieurs
acceptions.
Différence entre polysémie et
homonymie : question de degré,
distance sémantique plus grande
entre deux homonymes.
Contextes.
Connotation / Dénotation.
Deux lexèmes de formes identiques
ayant des significations différentes.
Différence entre polysémie et
homonymie : question de degré, distance
sémantique plus grande entre deux
homonymes.
Contextes.
Connotation / Dénotation.
Polguère, A.
Un vocable ayant plusieurs lexies
(acceptions).
Deux lexies distinctes ayant un même
signifiant et aucune relation de sens.
Disjonction de sens.
Identité de forme.
Lyons, J.
Contextes.
Des mots (des lexèmes) de même forme
qui ont des sens différents.
Contextes.
Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs
95
Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie
Lehmann, A. et F.
Martin-Berthet
Un mot pour une acception
(un signifié pour un
signifiant).
Un mot qui a plusieurs acceptions
(sémèmes) qui ont des emplois
différents (un même signe pour
plusieurs signifiés).
Un mot qui présente une pluralité de
références associées à un même sens.
Polyréférence.
Un seul étymon.
Contextes.
Signes distincts de forme identique avec
des signifiés différents.
Le critère étymologique n’est pas
toujours décisif.
Étymons distincts.
Contextes.
Kleiber, G.
Une forme qui présente une pluralité
de sens.
Des sens qui ne paraissent pas
totalement disjoints, mais se
trouvent unis par tel rapport ou tel
rapport.
Pottier, B. Continuum à considérer autant en
synchronie qu’en diachronie.
L’homonymie est un cas de polysémie
dont on ne voit pas la motivation.
Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs
96
Les informations présentées en caractères gras représentent les particularités évoquées par chaque auteur. Les définitions sont présentées en caractères normaux.
Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs
i
Lorsque rien n’est écrit, c’est que l’auteur n’a pas abordé ce sujet dans les ouvrages consultés lors de nos recherches, par exemple, dans le cas de la monosémie
chez Gardes-Tamine. Cela étant dit, il se peut que ces auteurs l’aient fait dans d’autres ouvrages qui n’ont pas l’objet de consultation de notre part ou qui nous
sont inconnus.
97
98
3.2.
La variation polysémique
3.2.1. Introduction
Si l’on part du principe que les termes accumulent des sens au fil de leur évolution, il y a
forcément un l ien entre chacun d’eux. À chaque fois que s’ajoute un n ouveau sens, ce
dernier est lié au précédent, et ainsi de suite. Ils seraient donc tous reliés les uns aux autres,
à différents degrés, du premier recensé au dernier apparu.
Cette accumulation de sens reflète l’évolution culturelle et historique des termes; elle
témoigne de leur capacité à s’adapter, à évoquer, à signifier et à conceptualiser.
Ce qui rejoint la plupart des auteurs dans leur critique de l’homonymisation :
O conceito de uma UTC não resulta pari pasu da soma dos formativos, mas da
cumulaçao de caracteristicas por calvagamento de traços, que produzem
mudanças de conteúdo [...] (Faulstich 2003: 19).
Le concept d’une unité terminologique complexe ne résulte pas peu à peu de la
somme de ses formatifs, mais de l’accumulation de caractéristiques par cumul
de traits, qui produisent un c hangement de contenu [...] (Faulstich 2003: 19,
notre traduction).
Ce qui rejoint aussi l’idée de sociodiffusion de Gambier (1991: 13):
Continuum de la sociodiffusion : ainsi, un terme connaîtrait une période
lancement, puis une phase d’extension de son usage, et finalement un temps
d’éclatement de la notion (polysémisation).
99
ou encore ce que Nyckees (1998 : 199-200) appelle la sédimentation :
Elle [la polysémie] nous rappelle avec force que les langues fonctionnent sur le
mode du cumul et de la sédimentation et qu’elles se constituent au travers d’une
expérience historique.
Dans ce chapitre, nous défendrons donc la variation polysémique au profit de la variation
homonymique. Pour ce faire, nous ferons d’abord la revue des travaux de certains auteurs
(sémanticiens pour la plupart) ayant travaillé avec les associations d’idées, les changements
de sens et les causes de ces derniers. Par la suite, nous présenterons les prémisses d’une
théorie de la polysémisation. Finalement, nous présenterons la chaîne de la polysémie.
3.2.2. Le bilan des travaux sur les changements de sens
Dans sa théorie sur les associations d’idées, Darmesteter proposait trois types
d’associations :
1) la variation d’extension ou synecdoque (élargissement ou restriction de sens),
2) la relation de ressemblance ou la métaphore,
3) la métonymie.
Ullmann a r epris les champs associatifs de Saussure en combinant les observations de
linguistes et psychologues du dé but du siècle tels que Wundt, Schuchardt et Roudet (cf.
Nyckees 1998 :101). Il propose donc un pr incipe de transfert de nom ou de sens par
contiguïté ou par similarité :
1) Transfert de sens par similarité entre les noms (attraction paronymique),
2) Transfert de sens par contiguïté entre les noms (phénomènes de contagion),
3) Transfert du nom par similarité entre les sens (métaphore),
4) Transfert du nom par contiguïté entre les sens (métonymie).
100
Ullmann assimile la synecdoque à la métonymie (cf. point 4).
Dans sa proposition, Ullmann affirme qu’il y a forcément un lien entre le sens ancien et le
sens nouveau :
Quelles que soient les causes qui provoquent le changement, il y a
nécessairement un lien, une association, entre le sens ancien et le sens nouveau
(Ullmann 211 dans Nyckees 1998 : 137).
Bien entendu, les changements de sens existent parce que la société elle-même est
constamment en transformation. Les innovations technologiques et scientifiques
influencent chacune de ses transformations, tout comme l’industrialisation à une certaine
époque (ou actuellement dans certains pays tels que la Chine par exemple). Ces
changements, donc, s’expliqueraient par des causes et se manifesteraient dans la langue,
langue vivante, tout en reflétant les mouvements de ses sujets parlants.
Meillet et Nyckees se sont intéressés aux causes engendrant tous ces changements de sens.
Dans un pr emier temps, nous présenterons les causes identifiées par Meillet et dans un
deuxième temps, la typologie développée par Nyckees.
Dans son célèbre article « Comment les mots changent de sens » paru en 1948 d ans
Linguistique historique et linguistique générale, Meillet identifie trois types de causes :
1) L’influence de la forme linguistique,
2) Le changement de choses ou de concepts désignés,
3) L’hétérogénéité sociale (les emprunts sociaux).
La plupart des historiens de la signification ont retenu le modèle de Meillet, mais certains le
trouvant un peu étroit lui ont ajouté des causes dites « psychologiques » tel que Nyrop par
exemple.
101
Nyckees, dans son livre intitulé La sémantique, préfèrera parler de « causes socio-
discursives liées aux conditions sociales de l’exercice de la parole » (1998 :106). Il critique
le qualificatif psychologique :
Les changements de sens peuvent difficilement en effet être considérés comme
des phénomènes d’origine psychologique, puisque, comme nous l’avons dit, un
changement ne saurait s’imposer que s’il finit par recevoir l’aval de l’ensemble
du groupe linguistique considéré. Les changements de sens sont donc
nécessairement des phénomènes de dimension collective et sociale (Idem :
106).
Nous sommes d’accord avec Nyckees sur un point : lorsqu’il est question d’attestation d’un
sens, c’est véritablement l’usage qu’en font les locuteurs qui déterminera la durée de vie
d’un nouveau sens. Cependant, nous croyons que ce nouveau sens naît dans le cognitif et
que l’aspect psychologique serait donc à considérer à la base de ce phénomène de création
sémantique, qu’il soit conscient ou inconscient. Nous reviendrons sur cet aspect dans notre
proposition ultérieure.
Nous terminerons le bilan des travaux sur les changements de sens avec le classement de
Nyckees. Son classement est en quelque sorte l’aboutissement de tous les classements
précédents. Nous l’utiliserons à t itre de classement de référence dans notre prochaine
proposition théorique notamment dans le développement de notre théorie vers la
polysémisation en 3.2.4. Il est aussi à mettre en relation avec notre modèle d’analyse des
causes linguistiques et extralinguistiques de la variation terminologique au chapitre 5. Dans
son classement, Nyckees s’inspire de celui de Meillet, mais le divise en deux catégories de
causes : les changements dus à des causes socioculturelles, puis les changements dus à des
causes formelles.
102
3.2.3. Le classement de Nyckees sur les causes des changements de sens
Présentons d’abord le classement de Nyckees que nous expliciterons par la suite à l’aide
d’exemples. Son classement se divise en deux grandes causes : les causes socioculturelles
et les causes formelles.
1. Les changements liés aux causes socioculturelles;
a. les
changements
liés
aux
circonstances
culturelles,
c’est-à-dire
aux
transformations affectant les conditions de vie de la communauté ou du groupe;
i)
ii)
iii)
iv)
les techniques
les coutumes
les institutions
la vie intellectuelle (concepts de la philosophie et des sciences)
b. les emprunts entre groupes sociaux (les migrations de mots et de sens entre LG-
LSP-LG) ;
i)
ii)
iii)
iv)
les extensions de sens
les restrictions de sens
les mouvements alternés d’extension et de restriction de sens
les ellipses
c. les changements dus aux « valeurs sociales »;
i)
ii)
iii)
iv)
les tabous et euphémismes
la prétendue « tendance péjorative »
le devoir d’expressivité (affaiblissement ou embellissement du
sens)
les changements dus aux « thèmes obsessionnels » (ou thèmes de
prédilection).
103
2. Les changements dus à des causes formelles, autrement dit les changements tirant leur
origine des formes même de la langue.
a. La contiguïté formelle et la « contagion »
b. Les attractions paronymiques
c. Les conflits homonymiques et leur réduction
d. L’anticipation des « pannes » linguistiques.
Parmi les causes socioculturelles, Nyckees identifie les innovations techniques, les
coutumes, les institutions et la vie intellectuelle :
Les innovations culturelles qui influent sur le sens des mots appartiennent
souvent au domaine technique, mais on en trouve aussi qui affectent les
habitudes culturelles ou les institutions et jusqu’au langage de la philosophie et
des sciences. […] Ainsi, quand il s’agit de baptiser des réalités ou des concepts
nouveaux, la science est sans cesse confrontée à une alternative : fabriquer des
mots inédits ou donne r un nouveau sens à des mots déjà implantés dans la
langue (Idem : 108-109).
Ce phénomène, bien décrit par Nyckees, est très fréquent en LSP. Lorsque vient le temps
de dénommer une nouvelle réalité technique ou scientifique, il est commun d’avoir recours
à la néologie lexicale, conceptuelle ou sémantique par divers processus notamment la
métaphorisation, la métonymie (les deux formes de néologie sémantique les plus fréquentes
en terminologie), puis par la néologie formelle (dérivation, lexicalisation, conversion
syntaxique, syntagmation, siglaison, acronymie, abréviation, variation orthographique).
Parfois, il arrive également de recourir aux emprunts aux autres langues, assez fréquents
dans certains domaines où domine, par exemple dans le cas des emprunts à l ’anglais, un
phénomène d’américanophilie, ou de mode, où dans la gastronomie par exemple, où s ont
nombreux à entrer dans nos restaurants de nouveaux plats venus de l’étranger, ce qui crée
de nouvelles habitudes alimentaires qui amènent de nouveaux usages dans la langue tels
que sushis, tacos, etc.
104
Au-delà des emprunts aux autres langues, il y a aussi tous les emprunts internes, faits au
sein même des ressources de la langue française. Ainsi, en passant d’un domaine à un autre,
de la langue spécialisée à la langue générale ou vice-versa, sont créés de nouveaux sens à
partir de formes déjà existantes. Ces phénomènes de circularité sont très présents en
terminologie. Ainsi, Nyckees a abordé ces aspects dans la section intitulée Les emprunts
entre groupes sociaux. À ce sujet, il spécifiait :
Or, il arrive très fréquemment que les mots propres à certains groupes sociaux
passent dans l’usage général ou, à l’inverse, que les mots de la langue commune
se fixent dans une signification particulière en entrant dans une langue de
spécialité. Rien de plus naturel que ces migrations de mots et de sens puisque
les différents groupes sociaux constitutifs de la communauté linguistique sont
évidemment en contact les uns avec les autres (1998 : 110).
Toujours dans la catégorie des changements dus aux valeurs sociales, au sein même de ce
processus d’interdisciplinarité, de circularité ou de « contamination des termes et des
concepts » (expression employée par Dury), il arrive souvent qu’un terme spécialisé,
lorsqu’il passe à l a langue générale, se généralise et subisse une restriction ou un
élargissement de sens, puisque seuls les initiés peuvent accéder au sens strictement
spécialisé à l’origine du terme. Ces phénomènes s’observent fréquemment; plus près de
nous au Québec, prenons l’exemple des accommodements raisonnables qui ont fait l’objet
de débats sur la scène publique canadienne en 2007. A insi, le terme accommodement
raisonnable relevant du droit du travail, en tant que notion juridique bien circonscrite, créé
en 1985, avait le sens spécialisé suivant :
Obligation de la part de l’employeur ou d’une institution, quand des normes ou
pratiques ont sur un i ndividu un i mpact discriminatoire fondé sur la race,
l’origine nationale ou e thnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les
définitions mentales ou physiques (Geadah 2007).
105
Or, dans ce tourbillon médiatique, et en lien avec la politique d’immigration, la notion a
quelque peu été modifiée et interprétée par plusieurs usagers et acteurs de la
communication médiatique, entre autres, dans son acception commune qui est « compromis
à l’amiable ». Il s’agit ici d’une restriction de sens. Par contre, à la suite de la Commission
Bouchard-Taylor, commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées
aux différences culturelles, la notion semble cette fois-ci s’être élargie :
Arrangement qui relève de la sphère juridique, plus précisément de la
jurisprudence; il vise à assouplir l'application d'une norme en faveur d'une
personne menacée de discrimination en raison de particularités individuelles
protégées par la loi (Glossaire, site des Accommodements raisonnables 2008).
La définition donnée dans le GDT de l’OQLF en donne une définition plus large encore :
Conciliation jugée acceptable par un groupe, une communauté, afin de
permettre à un individu ou à un groupe minoritaire de conserver ou d 'obtenir
des droits, de maintenir une coutume, une tradition religieuse ou c ulturelle,
dans le respect mutuel et avec un minimum de compromis.
Si au départ, cette notion servait davantage aux femmes et aux handicapés, elle s’est
aujourd’hui étendue à plusieurs autres personnes, elle ne prévaut plus uniquement dans le
contexte du dr oit du t ravail et s’utilise dans plusieurs situations données. À lui seul, cet
exemple nous permet de bien illustrer ces phénomènes de circularité des termes et des sens
qui sont très communs en terminologie. Il peut, dans certains cas, y avoir une alternance de
restriction et d’élargissement de sens tel que le mentionne Nyckees (1998 : 111) : « Un
même mot peut avoir été successivement soumis à des mouvements de spécialisation et de
généralisation. Ce phénomène explique dans une large mesure la "polysémie" de
nombreux mots français ».
D’ailleurs, à cet effet, Dury dans son article intitulé « Les variations sémantiques en
terminologie : étude diachronique et comparative appliquée de l’écologie », permet de bien
illustrer les apports de la sémantique et de la diachronie en terminologie. Ainsi, selon
106
l’auteure, les transferts sémantiques des termes vont de pair avec la contamination des
concepts d’une science à une autre. Ceux-ci viennent, par ailleurs, ébranler le principe des
frontières hermétiques entre les langues de spécialité :
La circulation de vocabulaire entre la biologie, la zoologie, la botanique et
l’écologie est telle qu’il est difficile de ne pas penser que ces disciplines
possèdent de solides passerelles d’accès entre elles. En d’autres mots, les
transferts de termes et de concepts qui se font régulièrement entre ces sciences
montrent qu’il faut décloisonner l’approche des vocabulaires spécialisés. Ces
derniers ne sont pas fractionnés strictement, ne sont pas hermétiques les uns par
rapport aux autres, mais tissent des liens sémantiques […] (1999: 25).
Nous avons pu obs erver des liens entre ce que Dury affirme dans le cadre de ses études
terminologiques avec ce que Nyckees résume au sujet des emprunts sociaux :
Un mot appartenant à u n langage particulier peut se transmettre à l a langue
commune en gardant son sens initial s’il est compris par le profane. Cependant,
le mot de spécialité correspond le plus souvent à une expérience spécifique du
groupe qui l’utilise, en sorte qu’il est souvent exposé à être interprété par le
non-spécialiste avec un sens plus vague que celui qu’il avait pour le spécialiste.
C’est pourquoi la diffusion du m ot technique dans la langue commune
s’accompagne généralement d’un élargissement de sa signification, les profanes
ne retenant dans la signification du mot que ce qui correspond à leur expérience
familière et par conséquent à l ’expérience de tous. Après une période
intermédiaire où l’emploi du mot peut encore faire image aux yeux de certains
usagers, la spécificité du sens initial finit par s’effacer – à moins d’un
engouement particulier pour la spécialité à laquelle est empruntée le mot ou
l’emploi nouveau (Nyckees 1998 : 110).
Concernant cette « particularité de l’effacement de la spécificité du sens initial », nous
pourrons faire un lien entre ce principe et celui de l’effacement de la motivation du terme
107
dans la métaphorisation terminologique; un d es critères de notre proposition pour une
théorie de la polysémisation que nous exposerons au point 3.2.4.
Avant de regarder les changements imputés aux valeurs sociales, nous souhaitons préciser
que nous n’avons pas été en mesure de développer davantage la métonymie puisque très
peu d’exemples ont été repérés dans notre corpus. Les métonymes rencontrés relèvent du
développement durable (voir la p. 204 pour tous les exemples cités). Nous aurions donc
tendance à croire Kocourek à ce sujet :
Par comparaison à l a métaphore, la métonymie est de beaucoup moins
fréquente. Goosse (’75 :65, 67) a constaté que la métaphore prédomine (dans la
proportion de 11 c ontre 1). Il a trouvé, dans Gilbert (’71), 482 u nités
métaphoriques et 43 uni tés métonymiques, les synecdoques comprises (1982 :
149-150).
Cependant, ce phénomène nous intéresse et nous souhaiterions l’étudier lors de nos
prochaines recherches.
Parmi les changements dus aux valeurs sociales, Nyckees réfère aux figures classiques de la
rhétorique (litote, hyperbole), aux tabous, à l’euphémisme, à l a tendance péjorative, au
besoin d’expressivité (qui rejoint les besoins communicationnels dans notre modèle de la
variation terminologique au chapitre concerné) et finalement aux thèmes obsessionnels.
À l’intérieur des besoins d’expressivité que nous relions directement aux besoins de
communication se manifestent des changements sémantiques par embellissement ou
affaiblissement de sens. Comme le mentionne Nyckees :
Les « améliorations de sens » ont souvent pour origine des modifications
historiques. Bien des termes désignant aujourd’hui des titres et des fonctions
108
honorifiques ont ainsi connu des promotions spectaculaires : un ministre est
étymologiquement un s erviteur; le maréchal, un va let chargé de soigner les
chevaux sous les Mérovingiens, comme le rappelle dans une certaine mesure
l’expression de maréchal-ferrant; le connétable, un comes stabuli, « officier
chargé des écuries »; un comte n’était d’abord qu’un compagnon; le chancelier,
un huissier placé près d’une barrière et l’huissier lui-même un por tier (1998 :
120).
Dans notre corpus, nous pouvons donner un exemple très représentatif de ce phénomène,
notamment à l’aide du terme-concept même de « déchet » et de « matière résiduelle ». En
effet, au fil de nos analyses, nous avons découvert que le terme déchet présentait de la
variation conceptuelle : la première étant le concept de « matière à éliminer » et la
deuxième celle de « matière valorisable ». Cette variation conceptuelle, bien présente dans
nos textes, reflète les changements sociétaux qui en sont à l’origine. Dans un besoin
d’expressivité, qui se présente ici par un embellissement de sens, le gouvernement
québécois a émis une politique qui préconise l’utilisation du terme matière résiduelle au
détriment du terme déchet sans toutefois modifier la définition qui l’accompagne. De la
sorte, il règne un flou conceptuel dans les textes entourant ce changement, et ce, jusqu’à ce
que ce changement de dénomination dans les textes de loi, puis dans les textes spécialisés,
soit adopté et compris par la majorité de la société. C’est uniquement à ce moment que la
dénomination-notion pourra alors se fixer et que la variation conceptuelle pourra par
conséquent s’autoéliminer.
Dans les exemples a) à d), nous avons souligné les éléments que nous souhaitons mettre en
évidence et commenter par la suite. Dans les textes de notre corpus, nous avons observé un
changement à la fois dans la dénomination et dans la définition entre 1998 et 2002 :
109
a) Définition de « matière résiduelle » ou de « résidu » en 1998 : Matière ou
objet périmé, rebuté ou autrement rejeté, qui est mis en valeur ou éliminé .
[Glossaire du site du Ministère de l’environnement du Québec et Glossaire du
site Recyc-Québec, sous matière résiduelle ou résidu 1998].
b) Changement dans la définition entre 1998 et 2002 : Le présent bilan porte
sur les matières résiduelles telles que définies dans la Loi modifiant la Loi sur
la qualité de l’environnement (LRQ.,c.Q-2). La définition se lit comme suit :«
Tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’ utilisation ,
toute substance, matériau ou pr oduit ou plus généralement tout bien meuble
abandonné ou que le détenteur destine à l’abandon. » [Bilan 2002 p. 8]
c) Changement de l’intitulé et de la dénomination : En 1988, à la veille de la
première politique au Québec sur les matières résiduelles intitulée Politique de
gestion intégrée des déchets (1989), on estimait la récupération à 1 258 000
tonnes de matières. Le tableau 1 pr ésente les données de la gestion des
matières résiduelles au Québec de 1988 à 2002. [Bilan 2002 p. 11]
d) Dénomination déchet bannie du vocabulaire dans les textes de lois : Il est
à noter que le terme « d échet » est à banni r du vocabulaire puisque partout,
dans les lois et règlements du gouv ernement, l’expression « déchet » a été
remplacée par « matières résiduelles ». [Lexique sur les matières résiduelles
sous déchet dans Bilan 2002 p. 37]
Dans l’exemple a), nous pouvons constater que la définition de matière résiduelle recouvre
bien les deux variantes conceptuelles que nous avons identifiées précédemment : « matière
à éliminer » ou « matière à valoriser ». Par ailleurs, il c onvient de mentionner que cette
définition date de 1998. Quatre ans plus tard, la définition indique « tout résidu issu d’un
processus d’utilisation ou de transformation ou a bandonné »; ce qui sous-entend encore
cette dualité entre la possibilité de transformer le déchet ou de l’éliminer, donc l’exemple b)
confirme encore l’existence de la variation conceptuelle. Les exemples c) et d) permettent
d’illustrer le changement politique impliqué derrière ce changement terminologique. Ainsi,
Nous employons prudemment le conditionnel ici parce que cette remarque constitue une hypothèse, une
110
en c), nous pouvons constater l’usage du terme déchet dans l’intitulé même de la politique
de 1989 a lors qu’en d), nous voyons que le terme déchet devrait être « banni » de ce
vocabulaire et remplacé par celui de matière résiduelle, sans que soit précisé ou m odifié
son sens. Auparavant, le terme déchet était employé pour signifier la même réalité tout
comme le confirme la définition de déchet dans notre corpus : « Résidus, matériaux,
substances ou dé bris rejetés à la suite d'un processus de production, de fabrication,
d'utilisation ou de consommation » (Glossaire, Recyc-Québec). Ainsi, dans les textes de
notre corpus, il règne une sorte de flou conceptuel et de décalage sémantique entre les
usages précédents de déchet et de matière résiduelle. Ces deux termes sont employés
simultanément pour dénommer les mêmes réalités, puis subitement, l’un d’eux (matière
résiduelle) est désigné pour remplacer voire éliminer le second (en l’occurrence déchet).
Or, avant que ces changements politiques ne soient bien intégrés dans les mœurs puis dans
les usages terminologiques, une variation conceptuelle s’installe jusqu’à ce que la notion se
précise.
Ainsi, le terme déchet est tantôt employé pour désigner les « objets à éliminer » ou les
« objets à valoriser » pendant que son concurrent matière résiduelle tente de gagner du
terrain avec la même définition. En étudiant la définition du t erme déchet dans le Petit
Robert électronique 2002, nous constatons qu’il existe deux sèmes dont pourrait 1 vouloir se
débarrasser le gouvernement québécois dans son changement politique. Le premier sème
est celui de « sale », comme dans une volonté politique ou un désir de « déconnoter » le
terme de son sème péjoratif comme on pe ut le voir ici dans la définition : « Résidu
impropre à la consommation, inutilisable (et en général sale ou encombrant) » (PLI 2002).
Le deuxième sème en question pourrait être « inutilisable » puisque le terme veut justement
véhiculer l’idée de « matière à v aloriser » en plus de celle de « matière à éliminer » en
fonction des diverses situations. Il va de soi que ces changements terminologiques sont
tributaires des changements sociétaux entourant la gestion et le traitement des déchets,
basés sur une nouvelle conception des matières en fonction des énergies renouvelables.
1
explication parmi tant d’autres à laquelle nous avons pensé sans pour autant en avoir la certitude puisque ce
Dan Sperber est chercheur en sciences sociales et cognitives, actuellement directeur de recherche au CNRS à
111
Puis, nous expliquerons maintenant en quoi les thèmes obsessionnels sont des phénomènes
de variation terminologique rencontrés fréquemment. Ainsi, dans une « sphère de pensée »,
le chercheur Sperber 2 a contribué à l ’étude des changements de sens en traitant de
l’« inconscient social » opposé à l’« inconscient individuel » de Freud, que Nyckees
reprendra dans ces explications sur les thèmes obsessionnels :
Ainsi les thèmes de prédilection, qu’ils naissent des circonstances ordinaires de
la vie ou de circonstances exceptionnelles, ne cessent de prêter leur vocabulaire
et leurs images à quantité d’autres thèmes que rien ne prédestinait apparemment
à leur emprunter ces couleurs. Inversement, la « sphère de pensée » exerce
immanquablement une force d’attraction sur d’autres thèmes qui se trouvent
aussitôt mobilisés pour l’exprimer. Ainsi, la mitrailleuse est-elle rebaptisée
machine à coudre ou moulin à café dans l’argot des Poilus, tandis que le tank se
transforme en cuisine roulante (Nyckees 1998 : 122).
Les exemples donnés par Nyckees provenant de L'argot des poilus : Dictionnaire
humoristique et philologique du langage des soldats de la Grande Guerre de 1914 sont tout
à fait éloquents. Pour ainsi dire, les thèmes qui occupent une place prépondérante dans les
préoccupations ou les priorités des individus d’une société pour un temps indéterminé vont
par la suite engendrer à leur tour des changements sémantiques de par leur influence sociale
(en l’occurrence « inconsciente »). Ainsi, si nous reprenons l’exemple des
accommodements raisonnables, à l ui seul ce sujet d’actualité devenu prioritaire dans
l’ensemble de la communauté québécoise en 2007 a engendré des changements sociétaux
qui se manifestent aussi dans la langue. Ainsi, les accommodements raisonnables ont donné
lieu à différents jeux de mots ou à diverses allusions linguistiques ou sociales (par ex.
accommodements linguistiques, chronologie accommodante, accommodements
déraisonnables, médiateurs interculturels, accommodeur, etc.). Les thèmes principalement
véhiculés dans la question des accommodements raisonnables tels que le multiculturalisme
changement demeure ni expliqué ni justifié dans les textes de notre corpus. Or, il est certain qu’il y a une
raison consciente ou inconsciente derrière ce changement politique et terminologique. 2
Paris.
112
(politique officielle du Canada) versus le pluralisme (politique officielle du Québec), les
questions d’identité, de nation et d’ethnicité sont aussi devenus une grande source de
créativité lexicale. Ils ont donné naissance à d es termes simples et complexes évocateurs
tels que pratique d’harmonisation interculturelle, pluriconfessionnalité, ajustement
concerté, dynamique transculturelle, etc. Ces termes-concepts sont donc le reflet direct de
ce grand thème obsessionnel propre à la société québécoise, et sont représentatifs du débat
sur la construction identitaire dans lequel la société est plongée depuis 2007. Ce débat est
donc soutenu par une terminologie juridique porteuse, laquelle engendre d’autres
terminologies au cœur d’un sujet hautement conceptuel, culturel et historique. Par ailleurs,
nous serions portée à croire que ce phénomène est directement lié à la rectitude politique,
d’où le besoin de déconnoter certains termes. Enfin, nous avons évoqué un exemple près de
chez-nous pour expliquer les thèmes obsessionnels; mais il en va de même pour tout autre
thème important propre à une époque, propre à un événement ou à un groupe donné et
découlant directement d’un changement sociétal. Pensons par exemple aux deux grandes
guerres mondiales; elles ont, elles aussi, apporté leur lot de termes. Il en va de même de
notre exemple précédent au sujet de matière résiduelle et de déchet. Mis à part le
changement mélioratif, il y derrière ce changement de politique gouvernementale une
préoccupation sociale, un t hème obsessionnel qui pourrait bien s’exprimer par les grands
bouleversements de conscience collective à l ’égard de l’environnement, dans lesquels
s’insèrent les préoccupations de gestion et de traitement des matières résiduelles.
Cependant, qu’en est-il du caractère dit inconscient de ce phénomène social?
On notera cependant que les phénomènes mis en évidence par Sperber relèvent
d’une sorte d’inconscient social plutôt que de l’inconscient individuel cher à
Freud. Les mouvements sémantiques attribués à cette force émotive ont-ils bien
d’ailleurs un caractère vraiment « inconscient » au sens freudien du terme? On
a tout lieu de penser que les paysans ou les marins-pêcheurs sont bien
conscients de la relation évidente entre leurs images de prédilection et leur
expérience quotidienne. Il en allait de même pour les Poilus dans les tranchées
ou pour les Français au temps des guerres de religion (Nyckees 1998 : 123).
113
Nous serions également plutôt portée à croire que ces phénomènes relèvent souvent du
« conscient », notamment dans nos exemples d’allusions linguistiques et de jeux de mots
entourant les accommodements raisonnables ainsi que dans la volonté politique de bannir
déchet du vocabulaire; c’est bien là un geste conscient et assumé même si les raisons
motivant ces changements ne sont pas toujours explicitées comme nous l’avons commenté
avec l’exemple de déchet. Cependant, il peut, selon nous, exister une part d’inconscient
dans les phénomènes propres aux emprunts interdisciplinaires (LG-LSP-LG ou LSP1-
LSP2), notamment dans l’usage ou la compréhension (parfois limitée) qu’en ont les
utilisateurs; ce qui engendre des variations sémantiques intéressantes comme nous l’avions
vu avec les élargissements et les restrictions de sens liés aux emprunts entre les groupes
sociaux.
En terminologie, l’étude des thèmes obsessionnels est donc fondamentale à une meilleure
compréhension des phénomènes de variation terminologique, mais elle est également à
relier aux aspects cognitifs du l angage. Dans notre modèle d’analyse des causes
linguistiques et extralinguistiques de la variation terminologique (voir chapitre 5), nous
aborderons ces aspects en nous basant aussi sur les différentes représentations du monde et
de la réalité (qui rejoignent également la vie intellectuelle mentionnée par Nyckees dans les
changements liés aux circonstances culturelles). Bref, le classement de Nyckees sur les
changements de sens apporte un éclairage intéressant à l’explication et à la compréhension
des causes sociales et culturelles des variations terminologiques.
Voyons maintenant les causes formelles derrière ces changements : la contiguïté formelle,
les attractions paronymiques, les conflits homonymiques et l’anticipation des « pannes »
linguistiques.
La contagion correspond à un or dre de phénomènes étudié depuis Michel
Bréal : certains mots régulièrement associés à d’autres mots dans un grand
114
nombre de contextes peuvent acquérir de nouveaux sens en rapport avec celui
de leurs voisins (dans Nyckees 1998 : 124).
Si dans le cas de la contiguïté formelle, la ressemblance entre les mots repose sur la
graphie, dans l’attraction paronymique, elle repose sur la ressemblance phonétique.
Nyckees cite en exemple subjectif et suggestif, extorquer et escroquer, infester et infecter,
etc. Cependant, afin que ce changement soit accepté, il faut que la confusion se lexicalise
dans la langue générale. Ce phénomène était autrefois appelé l’étymologie populaire.
Les explications par l’attraction paronymique sont séduisantes. Elles semblent
manifester une sorte de force naturelle du langage qui l’apparenterait à un être
biologique, opposant sa vitalité aux plans de l’intelligence humaine. Ce type
d’analyse doit toutefois être manié avec précaution. On fera bien en particulier
de réserver cette appellation aux cas où la « confusion » a débouché sur une
différence de sens indubitable et lorsque la ressemblance phonétique paraît
seule en mesure d’expliquer l’évolution sémantique (Nyckees 1998 : 126).
À cet égard, selon l’étymologie du terme déchet au PLI 2002, le terme aurait été confondu
avec le verbe déchoir au 14e siècle. Il s’agirait donc ici d’une attraction paronymique :
déchet : déchié 1283; déchiet XIVe, par confus. avec il dechiet « il déchoit » de déchoir.
Dans le cas des conflits homonymiques, résultant souvent de l’érosion phonétique, il peut y
avoir certains problèmes comme le mentionne Nyckees :
Certaines homonymies font cependant exception et représentent un véritable
obstacle à l a communication. On parle alors de collision (ou de conflit)
homonymique. […] De même, en ancien français, aimer (du latin amare) et
e(s)mer (« estimer », du latin estimare) se sont trouvés confondus du f ait de
l’évolution phonétique. La forme estimer n’est apparue qu’ensuite. Ce
« doublet » savant de esmer, calqué par les clercs sur le latin estimare, s’est
progressivement imposé au détriment d’esmer (Nyckees 1998 : 127).
115
Ces conflits homonymiques peuvent expliquer l’anticipation des pannes linguistiques.
Ainsi, lorsqu’il fait face à un vé ritable obstacle, à un pr oblème réel d’ambiguïté, le sujet
parlant, dans un souci de clarté, anticipe la panne linguistique en cherchant une solution.
Mais venons-en au cœur du problème : si la collision homonymique débouche
sur un c hangement de forme ou un c hangement de sens, c’est d’abord parce
qu’elle représente un obstacle pour tous. […] Les vraies causes des
changements imputés au « souci de clarté » doivent donc être recherchées dans
les formes elles-mêmes en tant qu’elles réservent des possibilités d’ambiguïté.
Il ne faut pas se représenter toutefois des causes formelles comme agissant
indépendamment de la compréhension humaine. Il n’y a de risque de confusion
ou de contagion entre des formes linguistiques que pour des esprits humains
aux prises avec le langage dans des situations données. Les mots ne
fonctionnent pas à distance de l’homme et ne signifient pas tout seul (Nyckees
1998 : 128).
Nous terminons ici la présentation du classement de Nyckees. À travers les changements de
sens, surtout grâce à l’explication des causes socio-culturelles et formelles de ces
changements, nous pouvons maintenant explorer une théorie vers la polysémisation que
nous développerons en 3.2.4. Plusieurs éléments de la typologie de Freixa que nous avons
présentés au chapitre 1.1. seront mis en relation avec des éléments du classement de
Nyckees. Nous pensons par exemple aux causes discursives évoquées par Freixa
(expressivité, style scientifique, économie linguistique) qui rejoignent les causes dues aux
changements de valeurs sociales de Nyckees. Il en va de même avec les causes cognitives
identifiées par Freixa (frontières floues, insécurité cognitive, distanciation idéologique,
différence de conceptualisation) que nous pouvons relier aux causes socioculturelles d’une
part avec les techniques, les institutions et la vie intellectuelle, et d’autre part avec les
causes dues aux valeurs sociales comme les thèmes obsessionnels. Ces parallèles nous
permettront de développer une proposition théorique englobante où le socio- de
socioterminologie vient plus que jamais jouer un r ôle prédominant dans l’étude des
phénomènes de variation terminologique. Plus qu’une prise en compte des facteurs sociaux
116
dans l’étude des phénomènes de variation terminologique, mais une application directe
permettant d’en expliquer le fonctionnement et les causes tant sur le plan pragmatique que
théorique. Encore une fois ici, le mariage de la sémantique à la terminologie réussit et
apporte une toute nouvelle dimension à la compréhension de la variation polysémique : ce
troisième volet de notre modèle de la variation terminologique.
3.2.4. Vers une théorie de la polysémisation
Dans cette partie de notre thèse, nous souhaitons proposer des critères supplémentaires dans
l’étude de la polysémie contre l’homonymie. Bien entendu, nous avons déjà fait la
démonstration que l’homonymie serait davantage un choix éditorial (dans le cas de
certaines maisons d’édition de dictionnaires par exemple) ou un c hoix idéologique (dans
certains cas où l’idéal visé est la monoréférentialité ou le classement par domaines,
notamment dans certaines banques de terminologie), ou alors en raison d’un manque de
critères clairs permettant de distinguer l’un ou l’autre des phénomènes ou encore un
manque d’information. Par ailleurs, est-il nécessaire de distinguer l’homonymie de la
polysémie? Nous avons déjà évoqué ce sujet en 3.1.9. N ous sommes plutôt d’avis, tout
comme Victorri et Fuchs, qu’il faut assurer un continuum entre les deux phénomènes.
Cependant, une chose est claire, l’homonymie n’est pas un phé nomène essentiel de
l’évolution des langues naturelles alors que la polysémie l’est. C’est pourquoi nous
proposons l’ajout de certains critères menant vers une théorie de la polysémisation.
Si nous partons donc des critères évoqués par les divers linguistes pour distinguer
l’homonymie de la polysémie (revoir 3.1.3. e t le tableau 1), nous avons pu c onstater que
ces deux critères (le lien sémantique et l’étymon commun) étaient aussi des critères jugés
relatifs et arbitraires par bon nombre de ces spécialistes. En effet, si l’absence d’un de ces
critères justifie de classer le terme en homonymie et non en polysémie, il existe quelques
exceptions dans le traitement de certains mots ou que lques contradictions comme nous
l’avons déjà démontré dans les exemples donnés précédemment. Ainsi, grève (arrêt de
travail) et grève (plage) remontent au même étymon grava mais sont tout de même classés
Comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, nous ne croyons pas à l ’homonymie en tant que
117
comme des homonymes en raison de l’absence de lien sémantique entre les deux sens du
terme. Par contre, altérer (dénaturer) et altérer (donner soif) proviennent aussi du m ême
étymon alter et sont classés eux comme des polysèmes bien que leurs sens à première vue
semblent éloignés. Cela démontre encore une fois en quoi ces critères peuvent être relatifs
ou arbitraires. C’est pourquoi nous proposons l’ajout d’autres critères dans l’étude des
phénomènes de polysémie.
3.2.4.1.
D’autres critères à considérer dans l’étude de la polysémie
Si jusqu’à maintenant, les critères de l’étymon commun et du lien sémantique suffisaient à
distinguer l’homonymie de la polysémie, malgré leur caractère arbitraire, nous jugeons
pertinent de proposer quelques critères supplémentaires à considérer dans l’étude de la
polysémie 3. Toutes nos analyses précédentes, notamment sur le processus de
métaphorisation terminologique, qui comme nous l’avons vu, conduit à la polysémie, nous
amènent à considérer d’autres facteurs dans l’étude de la polysémie, et à remettre en doute
les questions d’homonymie telles que présentées parfois.
Ainsi, il s erait intéressant d’intégrer dans l’étude de la polysémie une perspective
diachronique qui permettrait d’élargir les horizons et d’objectiver le lien sémique
recherché, sur la base du cumul des sens, ajouté à l’étude de la motivation des termes, le
tout fondé sur la base cognitive de ces derniers, tout en prenant soin de bien se distancier de
la rhétorique et tout en considérant le rôle important du contexte et du cotexte.
3
phénomène naturel de la langue, mais plutôt en tant que choix idéologique ou aménagiste de la part de l’être
humain. C’est pourquoi notre proposition sera strictement en faveur de la polysémie.
118
3.2.4.2.
Notre proposition théorique s’articule autour de quatre critères et de
deux prémisses de départ :
Les quatre critères :
1. L’analyse diachronique et étymologique
2. La sédimentation et le cumul des sens
3. La motivation des termes
4. La base cognitive des termes
Les deux prémisses de départ :
1. Le détachement de la rhétorique classique
2. La prise en compte du contexte et du cotexte
Avant d’étudier les critères, nous exposerons les deux prémisses de départ.
Les prémisses de départ ont déjà été expliquées dans les chapitres précédents, mais nous
tenons à l es mentionner puisqu’elles sont très importantes. Ainsi, comprendre le rôle du
contexte social et du cotexte linguistique dans l’analyse des polysèmes est fondamental.
C’est une condition sine qua non pour une analyse objective du sens (revoir 3.1.8). Le
détachement de la rhétorique classique dans l’étude du sens est tout aussi important (revoir
le chapitre 2) puisque nous ne concevons pas le sens comme une façon de dire autrement,
mais comme une façon de penser et de concevoir autrement.
Si les analyses d’inspiration rhétorique ne représentent pas une solution
satisfaisante et risquent de nous conduire à une impasse, il nous reste à indiquer
des voies plus profitables (Nyckees 1998 : 139).
119
Nous sommes d’accord avec cette affirmation de Nyckees, et c’est justement pourquoi la
théorie d’association d’idées nous a largement inspirée à proposer ces critères d’analyse de
la polysémie.
Le sens est davantage à relier aux fonctions cognitives. C’est là la clé de toutes les
hypothèses que nous avons présentées dans cette thèse : la variation conceptuelle et la
variation polysémique, le néologisme conceptuel et le néologisme sémantique, la
métaphore terminologique. Ces prémisses sont donc inhérentes à l’analyse des prochains
critères dont nous ferons maintenant la présentation. Nous montrerons comment ils peuvent
aider à développer une théorie de la polysémisation en terminologie et en linguistique.
Critère 1.
L’analyse diachronique et étymologique
Si tout est question de perspective, il en va de même en linguistique. Or, si l’un des critères
établis permettant de distinguer l’homonymie de la polysémie est le lien sémantique et
l’étymon commun, comment pourrait-on considérer cet étymon commun en dehors d’une
perspective diachronique? Les liens sémantiques non vi sibles en synchronie peuvent être
révélés par l’étude diachronique. Tel fut le cas notamment dans certains exemples de
métaphores terminologiques présentées au chapitre 2. S’il était possible en synchronie et en
contexte de déduire le lien sémantique unissant le sens commun de sauvage à celui de
décharge sauvage ou de gisement dans nouveaux gisements ou gisement d’énergie, il
n’était pas évident à p remière vue de déceler ce lien sémantique dans les trois autres
métaphores (monstre, cannibalisation, (déchets) inertes). C’est grâce à l a diachronie que
nous avons pu établir ce lien sémantique entre les anciens sens des mots et les nouveaux
sens de ces derniers.
Par ailleurs, nous sommes également d’avis qu’une perspective diachronique favoriserait
aussi le décloisonnement des domaines proposé par Dury (revoir 3.2.3.). Parcourir l’étude
des sens au fil de l’histoire, et ce dans des domaines connexes ou d ifférents, permet
d’établir des liens entre eux, de constater que malgré la spécificité du domaine, malgré la
120
valeur que lui confère ce contexte spécialisé, un lien sémantique entre eux subsiste. Si nous
reprenons l’exemple de grève, nous pouvons avec la perspective diachronique découvrir un
lien entre les deux sens de ce mot « plage » et « arrêt de travail » :
grève n.f. « bord de l’eau »
Probablement du GAULOIS, par le LATIN POPULAIRE * grava, « sable »
puis « plage de sable ». Le sens moderne de grève vient de ce que les ouvriers
sans travail se réunissaient à P aris sur la grève de la Seine, devant l’Hôtel de
ville; XIIe s. (Walter, H. et G. 1998 : 105, sous grève).
Sans cette perspective diachronique, ce lien sémantique n’aurait pas pu être mis en lumière.
Dans le cas de grève, il s’agit certes d’une extension de sens précédée d’une
métaphorisation. Si l’on suppose que les gens disaient de ces ouvriers sans travail « ils font
la grève » au sens de « ils marchent sur la grève », c’est ainsi que serait née la métaphore
par association, par transposition du lieu à leur état de « sans emploi » qui par la suite aurait
subi une extension de sens désignant aujourd’hui une « cessation volontaire et collective du
travail, décidée par les salariés dans un but revendicatif (augmentation de salaire,
amélioration des conditions de travail, protestation contre les licenciements, etc.) et
entraînant la suppression du s alaire pendant cette période. » (PR 2002). Si le lien
sémantique s’efface ou s’estompe avec le temps, c’est un indice de lexicalisation du
nouveau sens acquis qui passe par l’oubli de l’« ancienne norme » comme le mentionnait
Nyckees :
Le changement de sens est en revanche un phénomène massif, collectif, et
proprement « historique », puisqu’il débouche sur une modification de la
langue. Dès lors qu’il est couronné de succès et s’impose dans l’usage, on ne
saurait plus parler d’écart, puisque le dit changement n’enfreint plus aucune
norme. Son succès dépend précisément en effet de l’oubli de la norme
ancienne. Le changement de sens correspond donc à u ne figure morte (1998 :
95).
121
Sans cette perspective diachronique et étymologique, une multitude de liens et
d’informations peuvent se perdre.
Critère 2.
La sédimentation et le cumul des sens
Nous croyons également à la sédimentation et au cumul des sens. Dans le chapitre 2 sur les
métaphores terminologiques, nous avons pu démontrer que les sens s’accumulent au fil du
temps et qu’il existe toujours un lien entre les sens anciens et récents. Ainsi, les termes se
sédimentent, et des couches de sens se superposent au noyau sémique (premier sens
attesté). C’est un principe logique, qui conduit aussi à une théorie de la polysémisation. Au
chapitre 4, pl usieurs exemples de cumul des sens seront visibles dans les cas de
néologismes sémantiques (cf. actif naturel, éco-indicateur, efficience dynamique,
croisiériste, fusillade, etc.).
Citons cette fois-ci l’exemple de réingénierie. Ce terme est d’abord apparu dans le domaine
de l’informatique. Son usage avec cette valeur est attesté dans les journaux québécois
autour des années 1992. Il avait été calqué de l’anglais reengineering. Ensuite, il est passé
au domaine de l’administration du t ravail dans le secteur privé (usage attesté autour de
1992-1993). Puis, à partir de 1995, il passe au secteur public avec un élargissement de sens.
Cette circulation interdomaines représente bien la capacité du terme à accumuler autant de
sens que possible pour désigner de nouvelles réalités ou de nouveaux concepts.
L’élargissement sémantique du terme a engendré une profusion de variantes
dénominatives : réarchitecture, reconfiguration étatique, renouvellement des
infrastructures publiques, réévaluation des programmes, régime minceur, réinvention de
l’État, etc. Toutes ces variantes dénominatives naissent en quelque sorte aussi de cette
accumulation de sens. Elles découlent de ce processus. Étant donné que ce t erme a été
critiqué par l’OQLF (puisqu’il était calqué de l’anglais), de nombreux termes ont été
proposés pour le remplacer; ce qui explique le foisonnement de variantes dénominatives.
Cependant, le terme réingénierie demeure celui qui est le plus utilisé. Le contexte social
122
nous éclaire d’ailleurs sur l’emploi de nombreux calques anglais dans ce secteur d’activité
sociopolotique :
Un premier retour sur la description linguistique nous permet ici de mieux comprendre
la ténacité du calque de l’anglais, malgré l’existence de (quasi ) synonymes français ;
la NGP, introduite au Canada par le gouvernement Mulroney, s’inspire des réformes
dites « de Westminster », rendues célèbres par le gouvernement Thatcher au Royaume-
Uni. Il ne faut alors pas se surprendre que le vocabulaire lié à ce p aradigme s’inspire
fortement de l’anglais.
Une ouverture vers le contexte social proprement dit nous fournit ensuite des indices
polyphoniques clairs pourquoi ce terme critiqué du domaine informatique a continué à
circuler afin de s’implanter dans l’administration.[…] Si le terme « réingénierie » est
polyphonique, c’est donc en raison de cette circulation stratégique (dans le sens de
Krzyzanowski et Wodak, 2008 : 23) qui a mené à une accumulation de sens non
accidentelle, mais bel et bien motivée par un contexte sociopolitique dont le terme
devient, finalement, le reflet linguistique (Pelletier et Van Drom 2009 : 157).
Ainsi, le terme est apte au cumul des sens. Le cumul se fait en synchronie, il
représente un processus en cours alors que la sédimentation indique la lexicalisation
des sens. Elle s’observe donc davantage en diachronie, d’où l’importance du premier
critère dans notre proposition théorique. Par ailleurs, le cumul et la sédimentation des
sens offrent une vision exceptionnelle sur l’évolution non s eulement de la langue
mais de la société.
Critère 3.
La motivation des termes
Nous proposons également de considérer le critère de la motivation des termes pour une
théorie de la polysémisation. En effet, selon nous, les termes sont tous motivés, même
lorsqu’il nous est difficile, dans certains cas, de retracer cette motivation. Notre a priori est
basé sur les analyses que nous avons faites, tant sur les polysèmes résultant de la
123
métaphorisation terminologique que sur les néologismes sémantiques ou l es variantes
polysémiques. Dans le cas de la métaphore terminologique, le processus de l’analogie
indique cette motivation directement, qu’elle soit consciente ou i nconsciente, elle se fait
logiquement et procède d’une certaine motivation. Dans la création des néologismes
sémantiques, nous avons pu illustrer, à l’aide de nombreux exemples aux chapitres 4 et 5,
que la motivation est tangible. On cumule un nouveau sens à une dénomination déjà
existante par le biais d’une association quelconque (métonymie, métaphore, élargissement
et restriction de sens, transfert interdisciplinaire, etc.). Ces procédés aboutissant à l a
polysémie sont autant de manières de motiver les nouveaux sens et leurs étiquettes.
Lorsqu’il est question de création lexicale, de nouvelles formes sont aussi créées et
motivées. Il suffit d’observer les néologismes récents pour constater à quel point la trace de
motivation est tangible dans leur création, par exemple, considérons les néologismes
suivants : agrinergie, écoguide, décédo-dollars, croissance verte, approche zéro carbone.
Sans même consulter leurs contextes et cotextes, à leur simple vue, nous avons déjà une
petite idée de leur sens; une image mentale se forge. D’ailleurs, il est important de préciser
que les mots sont créés pour répondre à un besoin de communication. Force est de croire,
que de tous les temps, aux origines du l angage, l’homme a aussi procéder de cette
motivation pour créer le langage. `
À propos des origines du langage, Derek Bickerton vient de publier un livre qui avance une
hypothèse solide. Il dira au début de son livre :
Le langage est l’outil qui permet de déterminer le sens des mots et des signes, et de les
combiner en une entité porteuse de sens, qui peut s’insérer dans une conversation, un
discours, un essai, un poème. Le langage va bien au-delà. Il vous permet de donner du
sens à vos pensées, de structurer vos idées en un tout. […] À la fin, vous en arrivez au
constat suivant : tous ces actes qui vous rendent humain, toutes ces petites choses sans
importance que d’autres espèces ne peuvent faire, dépendent entièrement du langage.
Le langage est le propre de l’homme. C’est peut-être même la seule chose qui lui soit
propre (2010 : 3-4).
124
Sa théorie est appuyée par le chercheur en sciences cognitives, Jean-Louis Dessalles, qui
signe la préface en disant :
En rupture avec Chomsky, Bickerton nous a proposé une évolution du langage en deux
étapes. La première conduit d’une communication animale classique au protolangage,
qui a pu être le mode de communication d’Homo erectus. La seconde transition a
produit le langage tel qu’il est universellement utilisé dans notre espèce, homo sapiens.
Bon nombre d’arguments me semblent plaider en faveur de ce scénario en deux étapes.
J’ai essayé dans mes propres travaux d’en souligner la plausibilité en regard des
données cognitives. En cela, je veux bien me voir comme un disciple de Bickerton
(2010 : VII).
Nous sommes également d’avis que la cognition éclaire ce raisonnement. C’est pourquoi
notre prochain critère repose sur cet aspect. Avant de le présenter, nous souhaitons revenir
sur deux liens importants :
1. L’effacement de la spécificité du sens initial
2. L’effacement de la motivation du terme dans le processus métaphorique
Au point 3.2.3. da ns le classement de Nyckees, nous avons expliqué le principe de
l’effacement de la spécificité du s ens initial lorsqu’un sens circule d’une LSP à une LG,
notamment par le biais d’un élargissement sémantique. En effet, suite à l’élargissement de
sens, la spécificité du terme au sens initial dans le domaine spécialisé se perd, ce q ui
entraîne une perte de motivation à m oins d’effectuer une recherche interdomaine ou
diachronique. Ce phénomène courant appuie la théorie de la motivation des termes. Cela
revient aussi à l a figure morte, expliquée par Nyckees. Un effacement du sens initial
indique une lexicalisation du sens élargi.
Au même titre, lors de la métaphorisation terminologique, la trace de la motivation ayant
servi à opérer l’analogie peut se perdre en synchronie, comme nous l’avons déjà mentionné.
Mais grâce aux critères de l’étude en diachronie, ces traces demeurent visibles. Dans les
125
deux cas, l’effacement est un indice de lexicalisation et d’attestation des nouveaux sens. Ils
deviennent dès lors socialement reconnus comme l’indiquait Nyckees :
Selon cette nouvelle théorie [association d’idées], le passage d’une signification
à une autre résulte d’associations d’idées qui ont pour théâtre l’esprit humain et
procèdent des expériences vécues par les sujets. Ces associations d’idées à l a
source des changements de sens assureraient également leur diffusion, dans la
mesure bien sûr où e lles se trouvent partagées par un nombre significatifs
d’usagers (1998 : 96).
Perdre la trace de la motivation du signe est donc parfois un signe de succès de
l’implantation du t erme et du s ens. C’est donc un phé nomène naturel, constructif dans
l’évolution de la langue. Cependant, en jumelant plusieurs critères dans l’étude de la
polysémisation, ces phénomènes seraient rapidement mis en lumière. Citons l’exemple des
termes lunette et lune. Avec le temps, le lien entre ces deux mots semble non vi sible.
Cependant, en consultant les dictionnaires étymologiques et diachroniques, on pe ut
facilement voir que lunette est né par analogie à partir de lune. Nyckees donnait de bons
exemples avec les évolutions sémantiques (mélioratifs) de ministre qui étymologiquement
désignait un serviteur, comte qui était un compagnon, etc. Kocourek parlait, lui, de l’étude
du signe et du motif (revoir le point 3.1.6 et l’exemple de bifurcation). Cet aspect est donc
à considérer.
Jumeler les quatre critères permet de retracer un lien sémique en faveur d’une théorie des
polysèmes, et cela peu importe leur situation particulière. C’est pourquoi notre proposition
s’articule autour de ces quatre critères.
Critère 4.
La base cognitive des termes
Les termes étant le reflet de la pensée de l’homme, ils représentent donc cette pensée
cognitive. Selon cette logique, les termes inventés par l’homme sont les produits de sa
126
pensée et sont automatiquement cognitifs. Ainsi, ils permettent une multitude
d’associations d’idées, d’où d’ailleurs le principe de la métaphorisation, reposant sur
l’analogie. Comme le mentionnait Nyckees :
S’il est vrai que les restrictions et les extensions de sens semblent pouvoir
s’expliquer presque mécaniquement en termes de contacts entres groupes
linguistiques ou d’ « emprunts sociaux », bien des évolutions en revanche, et
notamment celles qui paraissent fondées sur des métaphores, ne semblent
pouvoir s’expliquer autrement que par les ressources de l’esprit humain et de
l’imagination, obligeant apparemment les chercheurs à recourir à une
explication en termes d’associations d’idées (1998 : 135).
Les théories d’associations d’idées en sémantique ont déjà fait leurs preuves. D’ailleurs, les
propos de Lakoff au sujet de la base cognitive des termes rejoignent largement les
associations d’idées qui avaient été présentées par Ullmann en 3.2.2 :
Quand des catégories se trouvent étendues au cours de l’Histoire [c’est-à-
dire quand se produisent des changements de sens] il y a nécessairement
une certaine base cognitive à cette extension (Lakoff dans Nyckees 1998 :
137).
Bien entendu, lorsque nous appuyons la base cognitive des termes, nous employons
cognition au sens psychologique du terme, et non linguistique. Dans le dictionnaire de
linguistique de Dubois et al, on peut lire :
On appelle fonction cognitive, ou fonction référentielle, du langage la fonction
de la communication, traduite dans la langue par la phrase assertive servant à
informer, à faire connaître une pensée à un interlocuteur (1999, sous cognitif,
sens 1).
127
Cette définition correspond plutôt à ce que nous désignons, dans notre thèse, par l’adjectif
communicationnel. À ce sujet, voir les causes communicationnelles au chapitre 5. A fin
d’assurer la transparence du terme et de garder un lien avec la perspective
communicationnelle adoptée dans cette thèse, nous préférons désigner tout ce qui touche la
fonction de communication par les termes communication et communicationnel. Cela évite
toute ambiguïté lorsque nous parlons véritablement de cognition. Cette parenthèse étant
faite, regardons le sens de « cognition » tel que nous l’employons dans cette proposition
théorique :
Fonction complexe multiple regroupant l'ensemble des activités mentales
(pensée, perception, action, volonté, mémorisation, rappel, apprentissage)
impliquées dans la relation de l'être humain avec son environnement et qui lui
permettent d'acquérir et de manipuler des connaissances (associations,
rétroaction, traitement de l'information, résolution de problèmes, prise de
décision etc.) - (GDT, sous cognition, au sens psychologique).
Ici, nous pouvons souligner deux aspects intéressants dans cette définition. D’abord, le lien
entre la pensée et la perception que nous avons constamment mis en parallèle avec le
concept et qui nous ont permis de développer la variante conceptuelle et le néologisme
conceptuel. Les associations sont aussi bien visibles dans cette définition. Par ailleurs, la
mémorisation qui est davantage reliée à l ’aspect du signifié qui se voit lors de sa
lexicalisation, en diachronie. Autre aspect que nous mettons constamment de l’avant dans
cette thèse.
En examinant la définition de cognitif dans Wikipédia, nous avons retracé un l ien
historique très intéressant:
La cognition est le terme scientifique pour désigner les mécanismes de la
pensée. Historiquement, la cognition désignait la capacité de l'esprit humain à
manipuler des concepts.
128
Ainsi, ce sens historique à l’origine du c oncept-même de cognition lié à « la capacité à
manipuler des concepts » coïncide parfaitement avec la théorie que nous avançons ici. C’est
là le pouvoir de la métaphore également, le pouvoir de conceptualiser, et cela grâce à cette
base cognitive des termes, extension même de la façon de concevoir inhérente au mode de
pensée de l’être humain.
Comme le mentionnait Ullmann, l’association est une condition nécessaire au changement
sémantique :
Dans certains cas l’association sera suffisamment forte pour modifier par elle-
même la signification; dans d’autres elle fournira seulement le support d’un
changement déterminé par d’autres causes; mais sous une forme ou une autre
certain type d’association sous-tendra toujours le processus. En ce sens,
l’association peut être considérée comme une condition nécessaire, une
condition sine qua non du changement sémantique (Ullmann dans Nyckees
1998 : 137).
Les termes possèdent définitivement une base cognitive puisque, logiquement, ils sont les
outils développés par l’homme dans son objectif de communication. Les deux sont donc
interdépendants l’un de l’autre en permanence, peu importe le moment de son évolution.
Cette façon de concevoir, de penser, propre à l’homme, demeure une constante. Comme le
mentionnait Nyckess :
Toutefois avec un pe u de recul, on s ’apercevra que les différentes causes de
changements se rapportent toutes en dernières analyses à l’interaction entre les
deux acteurs fondamentaux de l’histoire linguistique : l’expérience humaine
d’une part, organisée en expérience sociale et affectée par les circonstances
historiques, la structure linguistique héritée d’autre part (1998 : 131).
129
Puis, ce besoin d’association d’idées, de corrélations se manifeste lors de la
métaphorisation, qui est un des processus, par excellence, de la création de nouveaux
concepts et sens :
Or du fait de son aspect symbolique, la ressemblance qui fonde le rapport
d’analogie ne se perçoit que quand des besoins cognitifs la dégagent. C’est
parce qu’elle repose sur une ressemblance symbolique que l’analogie est en
mesure d’être un support pour la pensée et de lui fournir ce dont elle a besoin
comme arguments, comme représentations et comme modèles qui lui
permettent de construire ses concepts (Assal 1995 : 22).
Nous adoptons donc l’idée que la cognition est à l’origine directement liée à ce pouvoir de
manipuler les concepts au besoin; besoin lié constamment au besoin d’expression et de
communication de l’être humain. Par ailleurs, aux chapitres 4 e t 5, no us donnerons de
nombreux exemples de néologismes qui illustrent justement ce principe. Nous terminons la
démonstration de la pertinence de ce critère avec une citation de Bréal :
À la différence des causes précédentes, qui sont des causes lentes et
insensibles, la métaphore change instantanément le sens des mots, créé
des expressions nouvelles d’une façon subite. La vue d’une similitude
entre deux objets, deux actes, la fait naître (dans Nyckees 1998 : 136).
3.2.4.3. Conclusion
Nous sommes persuadée de la pertinence de ces critères dans l’étude des polysèmes. En
considérant chacun de ces critères, il est possible de tracer le lien sémique entre les sens
anciens et les sens récents. Cette théorie appuie la thèse de la polysémie en tant que
phénomène naturel et nécessaire à l’évolution du langage.
130
De plus, cette théorie est en accord avec la logique du mode de pensée de l’homme. Nous
sommes persuadée qu’il en fut toujours ainsi, dès les premiers balbutiements du l angage.
Bien sûr, cela s’avère presque impossible à démontrer hors de tout doute puisque nous ne
disposons pas de traces écrites de ces premiers mots. C’est d’ailleurs pour cette raison que
très peu de paléolinguistes se sont avancés sur une théorie des origines du langage. La
majorité d’entre eux se sont souvent ralliés derrière la théorie darwinienne :
À l’époque de ses travaux sur les pidgins hawaïens, quasiment aucun
scientifique ne publiait sur la question de l’origine du langage. Il s’agissait de
ces questions taboues, fruit de l’autocensure d’une communauté scientifique par
ailleurs si prompte au bavardage. […] Selon Chomsky, rien ne peut être dit sur
l’évolution de la faculté de langage. Dans un écrit de 1975, il expliqua que la
faculté était apparue brusquement, dans son entièreté, et pour aucune raison. Le
débat était clos (Dessalles dans Bickerton 2010 : VI-VII).
Or, à défaut de savoir hors de tout doute, nous souhaitons proposer des critères logiques,
appuyés par la théorie d’association des idées et les avancées cognitives dans le domaine
pour tenter, au moins, de faire avancer notre discipline.
Par ailleurs, nous revenons constamment à la perspective communicationnelle. Si l’homme
a inventé la langue, c’est certes parce qu’il a ressenti le besoin, la nécessité de
communiquer. Tout est donc à analyser en fonction de cette perspective. Bien entendu, la
langue sert l’être humain dans ses besoins de communication et elle nous révèle dès lors
son mode de pensée, son intelligence et son évolution. Nous terminerons avec cette citation
de Bickerton :
En fait, l’idée est que si les premiers mots n’étaient pas porteurs d’avantages tangibles
et immédiats, qui ne pouvaient être obtenus par d’autres moyens, le langage n’aurait
jamais excédé dix mots, et encore. L’évolution ne fait pas de prospective, elle ne pense
pas. En réalité, je me suis montré généreux en avançant le nombre de dix. Dès son
premier mot, le langage a dû faire la preuve de son intérêt, sinon, personne ne se serait
ingénié à en inventer d’autres (2010 : 26).
Nous faisons ici référence au principe d’univocité du terme-concept (la monoréférentialité) qui avait écarté
Cette expression nous la devons à Judit Freixa lors d’une discussion très enrichissante survenue à Barcelone
131
3.2.5. Chaîne de la polysémie
3.2.5.1.
Les causes de la polysémie en regard de la communication spécialisée :
une cause parmi toutes les causes?
Si la polysémie est au cœur d’un débat théorique ces dernières années, c’est qu’il existe
certainement une raison ou un f acteur qui explique tout ce remue-méninges. Avant
d’identifier les causes de la polysémie, nous nous sommes donc interrogée sur l’évolution
de ce phénomène. Qu’est-ce qui favoriserait le retour des études sur le sens et le retour
d’une approche descriptive et diachronique de la polysémie en terminologie? Qu’est-ce qui
a le plus changé ou révolutionné les méthodes de travail au point de se répercuter sur une
question théorique4, qui jusque là, semblait inébranlable? Quelle est donc la cause première
ou l’origine de tous ces changements? Nous en sommes venue à la conclusion que la
polysémie trouve son origine première dans l’avancement des technologies et surtout, dans
l’évolution fulgurante de l’informatique avec l’avènement d’Internet et le développement
d’outils de plus en plus performants qui ont provoqué en quelque sorte une « explosion des
scénarios de communication »5. À la suite de cette réflexion, nous avons pu imaginer une
chaîne de la polysémie : une succession d’éléments liés les uns aux autres. C’est ainsi que
nous proposons de suivre le parcours de cette chaîne. Dans l’ordre, nous verrons donc les
causes de la polysémie, la manifestation de la polysémie dans la communication
spécialisée, les conséquences de cette dernière, les problèmes à résoudre ou l es défis à
relever ainsi que quelques perspectives d’avenir. Ces éléments que nous présenterons sont à
la fois le produit de nos lectures et de nos réflexions personnelles.
4
toute polysémie possible. 5
en 2004 pendant notre stage doctoral.
Ces remarques de Candel s’appliquent à une enquête de terrain (avec une approche sémasiologique) sur les
132
3.2.5.2.
La chaîne de la polysémie : les premiers maillons
Cette chaîne commence avec l’avènement d’Internet et des avancées informatiques qui ont
révolutionné les méthodes de travail et qui ont permis de mettre en lumière des
phénomènes (tels que la synonymie et la polysémie), qui jusque là, étaient contrôlés par
l’homme et les limites de son travail manuel. Il nous suffit de penser aux logiciels
d’extraction automatique, aux corpus électroniques, aux aligneurs bitextuels, à la quantité
considérable de documents qui sont rendus accessibles via le Web pour comprendre à quel
point le travail quotidien du t erminologue, du sémanticien ou du linguiste s’en trouve
transformé. Ces derniers [terminologues, sémanticiens et linguistes] deviennent donc en
mesure d’observer, à l’aide de ces outils de plus en plus performants, des phénomènes de
synonymie et de polysémie qui auraient pu l eur échapper auparavant pour plusieurs
raisons : l’accès à des données restreintes, le manque de ressources et le manque de temps
(faute de technologies). L’avènement d’Internet est également accompagné du progrès de la
connaissance et du développement des nouvelles technologies. Grâce à ces moyens, les
connaissances font l’objet d’un transfert et d’une large diffusion. Dans un c ontexte
sociopolitique où l es échanges internationaux s’intensifient, il y a parallèlement un flot
continu d’informations qui circulent.
À un autre niveau de cet échange, il existe des acteurs de la communication spécialisée que
nous appellerons des locuteurs (qui peuvent tour à tour jouer le rôle d’émetteurs ou de
récepteurs). Ces locuteurs ont des degrés différents de spécialisation (ouvrier, technicien,
spécialiste, chercheur, professeur, étudiant, etc.). Ils peuvent éprouver une insécurité
cognitive, ils sont parfois affiliés à des écoles de pensée différentes et peuvent aussi avoir
des compétences socioprofessionnelles variées. « Des scientifiques d’une même spécialité
définissent certains concepts différemment. En outre, ils adaptent leur expression à la
personne à laquelle ils s’adressent et à la matière et au domaine dont relève leur propos »
(Candel 1984 : 22) 6.
6
discours oraux et écrits de l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs). Dans cette enquête,
Candel visait à étudier les registres et les niveaux de langue employés lors des situations de communication
entre les professeurs et les élèves.
133
Mais ces acteurs de la communication spécialisée, malgré leurs différences ou leurs
spécificités, sont aussi soumis à des contextes, à des situations de communication qui
peuvent, elles aussi, être de différents degrés de spécialisation, formelles ou informelles,
écrites ou orales. Tous ces facteurs représentent donc autant de causes de la polysémie (cf.
Schéma 1.Chaîne de la polysémie). Si l’on réunit sous un même chapeau les locuteurs et les
situations de communication, ce chapeau pourrait recevoir le nom de points de vue. Nous
faisons ici référence à la théorie avancée par Condamines et Rebeyrolle (1997).
Interrompons donc brièvement notre chaîne de la polysémie pour présenter leur théorie des
points de vue.
3.2.5.3.
Théorie des points de vue de Condamines et Rebeyrolle (1997)
Dans leur article intitulé « Point de vue en langue spécialisée », Condamines et Rebeyrolle
(1997) exposent une théorie basée sur l’étude des points de vue (où les contextes jouent un
rôle majeur). Elles abordent la question de la polysémie dans les langues spécialisées à
partir d’une synthèse des travaux sur la polysémie dans la langue générale. Du point de vue
linguistique, en sémantique, il existe deux approches théoriques et descriptives :
l’homonymie et la polysémie. Du point de vue de la terminologie, les auteurs font ressortir
l’importance de la spécificité du contexte d’utilisation des LSP. Par ailleurs, les auteurs font
remarquer qu’il existe peu de travaux sur la polysémie en LSP. Elles ont donc mené une
étude au Centre National d’Études Spatiales à partir d’un corpus de l’observation de la
Terre et des mathématiques spatiales avec pour objectif de classer les contextes et
d’expliquer leur notion de « polyacception ». Voici la position qu’elles défendent :
[…] étudier le fonctionnement des termes dans des corpus revient, pour
l’essentiel, à étudier les contextes dans lesquels ils apparaissent et à les classer.
Ce à quoi peut conduire une étude, c’est à identifier qu’il peut exister une
polyacception 7 pour certains termes. Cette polyacception est la manifestation de
points de vue différents, qui peuvent être associés soit à un choix individuel soit
Les auteurs nomment polyacception « les manifestations linguistiques diverses d’un terme polysémique »
Ce terme était en caractères gras dans le texte original.
134
à un choix collectif à relier à des compétences socioprofessionnelles communes
à un groupe identifiable de locuteurs (1997 : 178).
Les auteures associent donc la polysémie à la notion de points de vue variables selon les
locuteurs, les contextes, les situations de communication, les compétences professionnelles
de l’émetteur, etc. La polysémie est donc la manifestation de diverses acceptions selon les
facteurs énumérés plus haut. Cette façon de voir la polysémie rejoint un pe u celle de
Kocourek :
[…] il n’est pas toujours possible de décider s’il s’agit de deux mots différents
ayant la même forme, c.-à-d. s’il s’agit de deux homonymes, ou s’il est question
de deux ou p lusieurs acceptions différentes d’un seul mot polysémique
[…]. C’est pour cela que nous employons, le cas échéant, le terme ambiguïté8
comme hyperonyme de polysémie et de homonymie (1991 : 186).
Sur cette exemplification de la théorie des points de vue, nous reprendrons notre chaîne de
la polysémie.
3.2.5.4.
La chaîne de la polysémie : l’ouverture des frontières
Au premier rang de la chaîne, nous avions identifié l’avènement d’Internet et l’avancement
des technologies. Ce premier maillon de la chaîne a entraîné un échange d’informations qui
se fait par l’intermédiaire de différents locuteurs, et ce, dans toutes sortes de situations de
communication spécialisée. Ces échanges d’informations, combinés avec les progrès
technologiques, ont en quelque sorte favorisé l’ouverture des frontières entre la langue
générale et la langue spécialisée, et entre les langues spécialisées. En effet, à p artir des
nouvelles technologies sont nés de nouveaux concepts à d énommer. La création lexicale
ayant, comme moyens à sa portée, de puiser dans ses ressources internes, elle procède soit à
7
(Ibid. : 183). 8
Ces remarques de Candel s’appliquent à une enquête de terrain qu’elle a menée dans un laboratoire de
Nous tenons à préciser que l’auteur distingue dans son article les termes polysémiques des termes
135
des transferts sémantiques (souvent par « métaphorisation terminologique » de la LG à l a
LSP ou d’une LSP à une autre LSP), soit à de la néologie sémantique qui donnent parfois
lieu à des glissements de sens :
Les variantes ou incohérences dans le vocabulaire sont étroitement liées à l a
situation de production langagière et au niveau de langue ainsi qu’au registre de
spécialité de chaque catégorie de locuteurs. […] Cependant, on not e chez eux
[les chercheurs opposés ici aux ouvriers techniciens] des glissements de sens,
des variantes, même dans leur discours de chercheurs. S’il arrive à u n même
locuteur d’employer les mêmes mots avec des nuances sémantiques distinctes,
il arrive que les locuteurs emploient plusieurs vocables ou termes pour désigner
le même référent, même lorsqu’il s’agit d’objets techniques concrets (Candel
1993 : 291)9.
Ainsi, Candel a pu c onstater que les glissements de sens peuvent parfois être déroutants
pour le profane. En ce qui concerne la métaphorisation terminologique, elle constitue, à
côté de la métonymie, l’un des moyens les plus utilisés pour créer des dénominations en
terminologie. Ces moyens engendrent souvent de la polysémie. « La métaphorisation
terminologique est une nécessité inhérente à l a pensée scientifique, elle est sa dynamique
interne. Lorsqu’un savant, un chercheur, emprunte des termes en raison de leur commodité
allusive, de leur pouvoir évocateur, ce n’est pas seulement par souci de se faire
comprendre, ce n’est pas seulement une question de terminologie, c’est fondamentalement
une affaire de conceptualisation » (Assal 1995 : 22) 10.
C’est donc à ce stade-ci de la chaîne que se manifeste la polysémie. À l’inverse de la TGT
qui prônait la monoréférentialité, le cloisonnement des domaines et la monosémie des
9
recherche en sciences exactes (plus particulièrement sur des expériences de physique du solide et sur la
mécanique des sols). Cette enquête a été menée avec une approche socioterminologique auprès de trois types
de locuteurs (ouvriers, techniciens, chercheurs) et dans des situations de communication orales (interviews à
l’atelier, en salle de presses, en salle de manipulations ou en salle de conférence). 10
métaphoriques : « Sélectionner, dans la pluralité des traits que renferme un lexème, le ou les traits évocateurs
est bien la principale caractéristique qui distingue la métaphorisation de la polysémie » (Ibid : 23).
136
termes, les dernières études terminologiques mettent en lumière la circularité des termes et
des concepts, l’ouverture des frontières ainsi que l’interpénétration des domaines. C’est ce
dont témoignent les travaux de Meyer et Mackintosh :
[…] la déterminologisation rend la frontière traditionnelle entre le lexique
général et le lexique terminologique plus mobile. […] Ce phénomène entraîne
une polysémie intra-domaine, lorsqu’un mot réinfiltre son domaine d’origine
(par exemple, les sens plus larges de virtual reality) ainsi qu’une polysémie
inter-domaines, lorsque les experts d’autres domaines de spécialité adoptent ce
mot (par exemple, virtual currency en économie) (2000 : 212-213).
Cabré abonde dans le même sens: « Hence it is accepted that all lexical units are potentially
polysemic in nature and that, as part of this postulate, a single unit consist of a diversity of
bundles of specialised features. [...] This assumption leaves scope for the generalization of
specialised units and [...] the transfer of specialised units from one domain to another
(pluriterminologisation) by means of amplification, restriction or change of meaning. »
(1998/1999: 12).
Par ailleurs, Freixa (2002) affirmait dans sa thèse de doctorat que les concepts ne sont pas
universaux, isolés et parfaitement délimités; ils sont sujets à la variation parce qu’ils
s’assimilent à la signification. De plus, les termes [véhiculant ces concepts] sont des unités
lexicales qui dénomment et signifient; ils ne revêtent pas la simple étiquette de concepts
purs (cf. Freixa 2002). De son côté, De Bessé illustre l’aspect pluridisciplinaire des
domaines et le problème que pose leur classification: « De nombreux domaines se
recoupent. […] Un certain nombre de domaines sont interdisciplinaires ou
multidisciplinaires. Ainsi, la métallurgie fait appel à la physique, à la chimie, à la
mécanique. Le caractère transversal d’un domaine comme l’environnement ne facilite pas
sa délimitation (De Bessé 2000 : 186).
Tous ces éléments constituent donc des causes de la polysémie et entretiennent des liens les
uns avec les autres. Ainsi, tout comme la circularité des termes entraîne la circularité des
137
concepts, la circularité des causes énumérées dans la chaîne entraîne celle des
conséquences.
3.2.5.5.
La chaîne de la polysémie : conséquences et perspectives
L’une des premières conséquences de la recherche descriptive sur la polysémie consiste,
selon nous, à revisiter les notions théoriques héritées de Wüster et de la terminologie
normalisée telles que la monosémie des termes, l’univocité du t erme-concept et la
délimitation des domaines. Bien entendu, il s erait intéressant de revoir le traitement des
entrées polysémiques dans les banques de terminologie et dans les dictionnaires spécialisés.
Un classement multidomaines serait favorable et plus respectueux des multitudes de points
de vue (selon les situations de communication et les degrés de connaissances des
utilisateurs). Ce traitement descriptif serait donc plus nuancé et permettrait de rendre
compte d’une variété de situations de communication spécialisées. À cette fin, il faudrait
aussi revoir les notions de domaines, de définitions et de notes. En ce sens, il faut
poursuivre les recherches méthodologiques et améliorer les outils informatiques qui
permettent d’analyser les phénomènes de variation.
Si les outils automatiques ont permis de mettre en lumière une plus grande quantité et
variété de phénomènes de variation terminologique, ils ont aussi engendré une certaine
ambiguïté, causée et limitée par les incapacités d’analyse du « sens » des machines. Ainsi,
si l’accès à Internet et aux outils informatiques a permis au terminologue de pouvoir étudier
une plus grande quantité de phénomènes de variation polysémique, il s’est vu é galement
confronté aux limites de la machine. Les recherches occurrences-termes sont faciles, mais
qu’en est-il des recherches occurrences-sens? Ces limites de la désambiguïsation
automatique constituent en quelque sorte une deuxième conséquence importante de la
polysémisation puisque les avancées technologiques ont permis d’éclairer et de décrire ces
phénomènes, mais ils ont aussi mis en lumière les limites des recherches sur le sens via la
machine-outil. Ainsi, la polysémie exige une désambiguïsation automatique afin de pouvoir
parfaire les études terminologiques automatisées. Pour le moment, l’analyse de la
138
polysémie à l’aide des outils de dépouillement automatique doivent être validées par un
dépouillement manuel, sans lequel toutes ces variations sémantiques ne seraient pas
repérées. Si le terminologue accède facilement aux variations sémantiques en cotexte et en
contextes, cela ne va pas de soi avec les recherches automatiques. La désambiguïsation
informatique, lorsque possible, permet donc de clarifier la polysémie existante. À cet effet,
de nombreuses recherches en traitement automatique des langues naturelles visent la
désambiguïsation automatique notamment par le biais des récentes recherches sur le Web
sémantique. Effectivement, « si la polysémie doit être considérée comme une qualité
essentielle des langues, elle n’en pose pas moins un problème redoutable pour qui s’occupe
de traitement automatique » (Victorri et Fuchs 1996 : 17). Ce problème se heurte
actuellement aux limites de la machine : la signification. De plus, selon Ravin et Leacock,
deux pistes de solutions sont explorées actuellement :
The study of polysemy in computational linguistics addresses the problem of
how to map expressions to their intended meanings automatically. Computers
have the same resources for sense identification as we do, t he context.
However, computers are handicapped because they can only interpret the
context as strings of letters, words or sounds, and not meanings. One direction
taken by researchers is to try to harvest machine readable dictionaries for
lexicographic knowledge of different senses of polysemous words. Another
approach is to try to solve the mapping problem by simulating human
understanding using statistical procedures to capture patterns of co-occurences
of words in context (2002: 23).
C’est pourquoi nous affirmons que la désambiguïsation automatique est donc la deuxième
conséquence de la polysémie en TALN. À ces deux conséquences majeures (la révision
théorique et méthodologique de la polysémie ainsi que la désambiguïsation), nous
pourrions ajouter quelques pistes à explorer pour améliorer la description et la
compréhension de la polysémie dans la communication spécialisée. Peut-être serait-il
pertinent d’accorder un peu plus d’importance à l’étude diachronique en terminologie. Elle
pourrait se révéler riche « d’enseignements et permettre de faire apparaître des phénomènes
Dans son article, Dury présente les résultats d’une étude diachronique comparative (anglais-français) du
139
essentiels du l angage » dont la « variation sémantique des termes » et « le transfert et la
contamination des concepts » (Dury 1999 : 18) 11. Par ailleurs, les transferts sémantiques
sont très utiles pour dénommer de nouveaux concepts. Cependant, ils peuvent aussi
représenter un grand défi pour les apprenants d’une science ou d’ un domaine spécialisé.
C’est exactement ce à quoi faisait référence Candel en évoquant « des sens métaphoriques
déroutants pour le profane » (1984 : 29). En effet, il faut peut-être sensibiliser les locuteurs
émetteurs (professeurs, chercheurs conférenciers, etc.) à cette difficulté. De plus, avec le
contexte d’échanges internationaux et la montée de la pluridisciplinarité, il devient parfois
difficile de classer les termes dans des domaines bien délimités. Peut-être faudrait-il revoir
ces principes afin de faciliter la description des usages réels et des faits polysémiques. Cela
permettrait d’accroître la compréhension globale d’un domaine spécialisé et de voir les
liens qu’il entretient avec les autres domaines dans une perspective synchronique et
diachronique. Il serait également intéressant d’accentuer les échanges internationaux entre
les grandes banques de terminologie, lesquelles pourraient revoir leur classification et axer
leurs recherches sur le plurilinguisme et le multidomaine (notamment dans les sciences de
la vie où l es frontières sont floues). À cet égard, Van Campenhoudt laisse entrevoir de
belles perspectives : « […] correctement balisées, les acceptions pourront toujours être
réagencées de manière à adopter une présentation monolingue et polysémique […] »
(2000 : 144).
3.2.5.6.
Conclusion
La perspective n’a jamais été aussi stimulante. D’un côté, les outils
d’analyse ne cessent de progresser, ouvrant un espace considérable pour
des recherches renouvelées… (Slodzian 2000 : 80)
11
domaine de l’écologie. Elle a observé de nombreux transferts sémantiques opérés à partir d’autres disciplines
spécialisées dont la biologie, la botanique et la zoologie. Elle démontre également que les frontières ne sont
pas hermétiques et qu’il puisse exister un « fond archaïque conceptuel ». Pour plus de détails, consulter son
article.
140
Après avoir atteint les derniers maillons de la chaîne de la polysémie, nous serons d’accord
avec Slodzian pour conclure sur une note optimiste. Ainsi, il reste beaucoup de chemins à
explorer puisque la polysémie n’a pas fait l’objet d’études exhaustives dans le passé. Il faut
donc se mettre au travail et tenter de mieux comprendre ce phénomène. Pour y parvenir, il
faut exploiter toutes les ressources déjà disponibles (même si elles ne sont pas parfaites) :
utiliser les outils informatiques, resserrer les liens entre les linguistes terminologues et les
spécialistes, mais aussi ne pas hésiter à avoir recours aux sémanticiens, porter une attention
spéciale à la diachronie, développer de nouvelles marques d’usage pour guider les usagers.
Nous pourrions également relancer le débat en ces termes : la polysémie : nuisible ou
favorable? En fait, nous croyons qu’il faut d’abord s’attarder à l a décrire et à la
comprendre. De toute façon, ce débat pourrait ne jamais se terminer. Pour les uns, elle sera
toujours une source de problèmes (traducteurs, lexicographes, linguistes informaticiens,
etc.). Pour les autres, elle offre une plus grande liberté d’expression (chercheurs,
professeurs, néologues, publicitaires, etc.) et la possibilité de « signifier » et de véhiculer,
selon les différentes perceptions du monde, des connaissances spécialisées.
À l’instar d’Internet, la polysémie est à la fois source de « bruit » et de « silence ». Dans le
premier cas, elle engendre une certaine ambiguïté et dans le second cas, elle fait l’objet
d’un manque important d’études théoriques et appliquées. Tout comme le mentionnaient
Remi-Giraud et Panier (2003), nous souhaitons donc poursuivre notre exploration de cet
immense empire des sens qu’est la polysémie, et c’est pourquoi nous avons proposé une
théorie de la variation polysémique ainsi que cette chaîne polysémique, qui met en lumière
les circonstances extralinguistiques dans lesquelles se profile la polysémie linguistique.
Tous ces phénomènes de variation terminologique (variation dénominative, conceptuelle et
polysémique) nous ont permis de développer un m odèle d’analyse linguistique et
extralinguistique des causes et des conséquences de la variation terminologique que nous
présenterons dans le chapitre 5.
Schéma 1. La chaîne de la polysémie
141
Le chapitre 4 : Réflexions sur la néologie
142
4.
Réflexions sur la néologie
Introduction
Les phénomènes de néologie sont étroitement reliés aux phénomènes de variation
terminologique. C’est pourquoi nous présenterons dans ce chapitre une typologie de la
néologie que nous avons mise à jour ainsi que des définitions entourant les notions de la
néologie.
En effet, nous serons en mesure d’effectuer des parallèles intéressants entre le modèle de la
néologie et le modèle de la variation terminologique. Dans ces deux derniers chapitres
donc, nous consacrerons le chapitre 4 aux réflexions théoriques sur la néologie, puis le
chapitre 5 au modèle d’analyse des causes de la variation terminologique.
La création néologique entraîne de la variation terminologique; il est donc intéressant de
comprendre comment ces phénomènes sont étroitement reliés (création néologique,
métaphorisation, variation terminologique). Parmi les arguments évoqués au chapitre 2 au
sujet du processus de la métaphorisation terminologique (cf. schéma 6), nous avions
mentionné que la métaphorisation terminologique engendre de la variation polysémique. En
reprenant une citation de Gambier, nous avions ajouté une phase importante au processus
qu’il décrivait (continuum de la sociodiffusion), soit la création néologique elle-même.
Ainsi, la néologie est à la source même des phénomènes de variation terminologique.
Gambier affirmait « ainsi, un terme connaîtrait une période de lancement, puis une phase
d’extension de son usage, et finalement un temps d’éclatement de la notion
(polysémisation) » (1991 : 13). Nous ajoutons donc la phase primaire qui est la création
néologique, ce qui est directement lié à nos types de variation terminologique.
L’OBNEQ a été créé à la suite d’une initiative conjointe entre l’Université Laval et l’OQLF en mai 2005.
143
Tout d’abord, présentons le cadre1 dans lequel nous avons effectué ces réflexions, quelques
précisions sur la méthodologie employée et finalement, l’explication de la typologie suivie
des définitions sur les notions entourant la néologie.
4.1.
Contexte de l’étude néologique
Nos réflexions devaient conduire à :
1. Mettre sur pied un projet entre l’OQLF (Office québécois de la langue française) et
l’Université Laval dans le cadre des activités de l’OBNEQ (Observatoire de
néologie du Québec)2.
2. Circonscrire et définir les notions entourant l’activité néologique.
Dans la première phase des travaux, nous avons rencontré des terminologues de l’OQLF
afin de cibler avec eux les domaines potentiellement néologiques et de tester certains points
théoriques que nous voulions explorer en vue de définir les notions de la néologie.
Dans une deuxième phase, après avoir pris connaissance des travaux réalisés dans le
domaine de la néologie, nous avons procédé à l’élaboration de la typologie de la néologie
ainsi qu’à la définition des notions entourant les activités néologiques. Nos réflexions ont
permis de dresser un portrait global de la néologie en langue générale (néologie étant ici
1
Ces réflexions ont été amorcées lors d’un stage doctoral à l’Office québécois de la langue française de
juillet à décembre 2009. 2
Nous avons été chercheure à l’OBNEQ de mai 2005 à septembre 2010 sous la direction de Pierre Auger de
l’UL. Les travaux de l’OBNEQ visaient,
(http://www.ciral.ulaval.ca/obneq/index.html).
entre autres, la veille et l’analyse néologique
144
notre générique) ainsi qu’un portrait détaillé de la néoterminologie des langues de
spécialités (néoterminologie étant notre spécifique). En observant des cas de néologismes
provenant du GDT (Grand Dictionnaire Terminologique), des travaux réalisés par les
terminologues de l’OQLF et en nous basant également sur les travaux antérieurs réalisés à
l’OBNEQ, nous avons pu présenter deux nouvelles catégories distinctes de néologismes qui
permettent de mieux expliquer certains phénomènes courants : les néologismes conceptuels
et les néologismes référentiels. Par ailleurs, nous avons créé quatre catégories de domaines
reliés aux types de néologismes soit le domaine néologique, le domaine résistant, le
domaine renouveleur et le domaine d’actualité (voir nos définitions un peu plus loin).
Finalement, nous avons approfondi la notion du degré de néologicité et l’avons scindée en
quatre catégories. La première catégorie est implicite et commune aux trois autres, c’est la
néologicité basée sur le sentiment de nouveauté, donc basée sur la perception des locuteurs
et sur l’intuition du linguiste (c’est ce que Guilbert appelait le jugement de la néologie).
Ensuite, le critère de néologicité qui permet de repérer les néologismes formels et
sémantiques, selon les études traditionnelles, est basé sur une période synchronique (la
majorité des linguistes travaillent sur une période de 5 à 10 ans) et vérifient si le
néologisme formel ou sémantique rencontré figure dans les dictionnaires à partir d’une
certaine date. C’est donc sur la base d’une datation et d’une lexicalisation dictionnairique
que le caractère néologique est attribué. De notre côté, nous avons ajouté deux critères de
néologicité qui permettent de recueillir les néologismes conceptuels et référentiels. Ils sont
basés, respectivement, sur la nouveauté conceptuelle et référentielle, et ils sont validés en
synchronie et en diachronie à partir d’une analyse cotextuelle et contextuelle, non pas dans
les dictionnaires, mais dans les textes et discours en circulation. L’ajout de ces critères
permet de mieux décrire les phénomènes entourant les néologismes qui n’appartiennent pas
uniquement aux catégories classiques (néologismes formels et néologismes sémantiques),
mais qui relèvent plutôt de d’autres phénomènes observés que nous avons décrits et
145
catégorisés en tant que néologismes conceptuels et référentiels3 (voir les définitions et
explications des notions un peu plus loin).
Nos réflexions sur la néologie nous portent à croire que de nombreuses recherches pourront
en découler et surtout, que nos notions pourront se raffiner au fur et à mesure que nous
travaillerons avec la matière première : la langue en usage.
4.2.
Précisions méthodologiques
Dans le cadre de nos réflexions théoriques sur la néologie, nos sources d’inspiration ont été
multiples. Les différents travaux sur le sujet ainsi que nos recherches à l’OBNEQ et à
l’OQLF ont nourri nos réflexions et permis de mettre au point cette typologie.
Les définitions des notions entourant la néologie ont été élaborées en tenant compte des
travaux antérieurs, des consultations auprès des terminologues et des étudiants, et
surtout de nos observations des néologismes lors des analyses à l’OBNEQ. Notre principale
source d’inspiration a été la matière première : les néologismes rencontrés.
Les exemples nous permettant d’illustrer notre typologie (schéma 2) proviennent soit de la
BDI (Base de données informatisée) de l’OBNEQ ou du GDT (Grand Dictionnaire
Terminologique) de l’OQLF. Dans le contexte du projet entre l’OQLF et l’Université
Laval, dont la réalisation a été confiée à l’OBNEQ, les exemples proviennent du domaine
du développement durable (DD). Notre objectif de recherche était de recueillir 500
3
À partir d’ici, partout dans le texte, lorsque nous désignerons le néologisme référentiel, nous utiliserons le
terme néologisme d’actualité puisque nous souhaitons le relier sémantiquement au domaine d’actualité.
146
néologismes de ce secteur ne figurant pas au GDT et d’en faire des fiches contextuelles
pour l’OQLF.
Pour les besoins spécifiques de ce projet, le corpus d’exclusion était constitué uniquement
du GDT. Le corpus de dépouillement était élargi aux sites Internet dont les sources étaient
fiables. Tous les néologismes rencontrés ne figurant pas dans le GDT étaient retenus dans
un premier temps. Une recherche de contextes les accompagnait pour valider leur valeur
dans le secteur du développement durable. Une fois cette étape franchie, les néologismes
ont fait l’objet d’une fiche descriptive. Le modèle de fiche que nous avions développé pour
ce projet comprenait les champs suivants : entrée, variantes, catégorie grammaticale, type
de néologisme, marque typographique, note, contexte, source, date de consultation, initiale
chercheur, initiale analyste, initiale vérificateur.
Avant de procéder à la validation finale des données, nous avons dû vérifier certains cas de
néologismes contestables. Nous avons donc analysé ces néologismes en fonction de trois
critères : leur appartenance réelle au secteur du développement durable, leur documentation
suffisante (bons contextes, sources fiables) et leur pertinence en tant que hapax ou en tant
que néologisme de faible occurrence (recherches supplémentaires le cas échéant). L’équipe
de recherche était composée de 15 étudiants divisés en deux groupes : chercheurs et
analystes.
147
4.3.
Réflexions théoriques
Lorsque nous avons réfléchi aux notions entourant la néologie, nous avons d’abord étudié
les définitions existantes, puis nous avons observé les néologismes. Les mots parlent d’eux-
mêmes. Comprendre la création du néologisme et son aptitude à évoquer est révélateur du
fonctionnement même de la néologie. En observant des exemples concrets de néologismes,
nous avons pu développer un schéma représentant notre typologie, et à partir de cette
typologie, nous avons pu élaborer des définitions pour chaque notion. Pendant nos
réflexions, des cas de néologismes qui ne correspondaient ni à la catégorie du néologisme
formel ni à la catégorie du néologisme sémantique nous sont apparus. C’est dans cet ordre
d’idées que nous avons entamé nos réflexions :
1. Existe-t-il d’autres types de néologismes?
2. Afin de les relever, doit-on créer un nouveau critère de néologicité?
3. Sur quoi serait basé ce critère (datation, lexicalisation, fréquence, autre facteur)?
4. Quelle est la particularité de ces néologismes et en quoi viennent-ils enrichir l’étude
de la néologie?
Ce furent donc nos prémisses de départ. Nous répondrons à toutes ces questions dans ce
chapitre.
Afin d’expliquer notre typologie, nous nous référerons maintenant aux schémas 1. 2. et 3.
(présentés à la fin du chapitre). Ces schémas nous permettent d’illustrer clairement la
classification que nous faisons des notions entourant l’activité néologique. Nous
procéderons donc de façon hiérarchique dans nos prochaines explications.
148
4.3.1. Typologie de la néologie
Nous avons développé une typologie incluant la langue générale et la langue de spécialité
afin de représenter toute l’activité néologique. Cependant, dans le but de les distinguer de
façon plus spécifique, nous avons employé le terme néologie et néologisme en tant que
génériques, puis néoterminologie et néoterme4 en tant que spécifiques propres aux langues
de spécialité.
Par la suite, les néologismes sont catégorisés en fonction du critère de néologicité. Le
critère le plus souvent cité dans les travaux de néologie est celui qui se définit en termes
d’années d’existence du néologisme ou de datation. Normalement, les auteurs réfèrent à
une période de cinq à dix ans; c’est donc dire qu’après cinq ou dix ans d’attestation, le
néologisme n’est plus considéré comme étant néologique. Ce critère, selon nous, ne
suffisait pas à expliquer tous les types de néologismes. Nous avons ajouté d’autres critères
de néologicité, mais cette fois-ci basés sur le degré de nouveauté conceptuelle et de
nouveauté référentielle comme nous l’avions mentionné précédemment. L’ajout de ces
critères permet de clarifier deux grandes catégories de néologismes et de mieux les
comprendre. Par ailleurs, ces critères permettent de voir le fonctionnement de la néologie
en circulation dans les discours écrits et oraux, non seulement avec une perspective
synchronique, et dictionnairique, mais aussi diachronique.
Les néologismes analysés en fonction des deux critères de néologicité évoqués ci-dessus se
divisent par la suite en quatre types, dont deux grandes catégories. Les néologismes
catégorisés en fonction de leur degré de nouveauté (en fonction du « facteur temps » et du
facteur lexicographique) se divisent en néologismes formels et sémantiques. Ce sont les
4
Nous n’avons pas retenu les termes proposés par Rondeau en 1981 pour la sim ple raison que nous ne les
trouvions pas suffisamment transparents. En effet, néonyme et néonymie sont formés à partir du suffixe –
onyme qui signifie « nom ». Or, « étude des noms nouveaux » ou « nouveau nom » renvoient aux termes de
langue générale alors que nous souhaitons justement distinguer la langue générale de la langue de
spécialité.
149
catégories de néologismes traditionnellement représentés dans les travaux de linguistique5.
Sous les néologismes recueillis en fonction des deux autres critères, nous avons créé deux
nouvelles catégories de néologismes pour expliquer plus clairement et spécifiquement
certains types d’entre eux, qui étaient difficilement catégorisables dans les types classiques
(formels et sémantiques); il s’agit des néologismes conceptuels et d’actualité. Nous nous
expliquons : le néologisme conceptuel se situe donc véritablement au niveau du concept et
de la conceptualisation du locuteur et non au niveau de la forme (dénomination) ni au
niveau du sens (signifié). Dans ce cas, il s’agit du concept qui est néologique en
synchronie, et cela même si son signifiant et son (ou ses) signifié(s) existent depuis un
moment déjà puisque ce concept fait l’objet de discussions, de redéfinition, de
redélimitation à un moment donné de son usage. En raison d’un flou conceptuel pendant un
moment déterminé, le néologisme est en attente de fixation de son concept. C’est pourquoi
il est impossible de les décrire avec un critère basé uniquement soit sur la datation, soit sur
la lexicalisation ou sur la fréquence. Ces néologismes sont difficiles à définir pour ces
raisons, mais ils sont très présents dans la réalité. Les terminologues sont souvent
confrontés à ce genre de défis. Il faut donc trouver une façon de les expliquer, de les
intégrer et de les définir et surtout de les traiter en tant que néologismes.
Puis, le néologisme d’actualité, lui, correspond à une réalité, à un référent qui est
néologique en raison de l’usage qu’en font les locuteurs en synchronie ou de par sa
réalisation effective à un moment particulier. Ces néologismes se voient donc souvent dans
les thèmes d’actualité. Ce que nous appelons les thèmes d’actualité font penser aux thèmes
obsessionnels ou aux thèmes de prédilection utilisés par Nyckees tels que présentés au
chapitre 3.
Le thème d’actualité renvoie donc aux préoccupations fortes d’une société à un moment
donné de son histoire. Il ne faut pas confondre le domaine d’actualité au sujet d’actualité,
au sujet à la mode, aux nouvelles ou à l’information journalistique. Le domaine d’actualité
5
Voir, entre autres, les principaux auteurs suivants : Pruvost, Boulanger, Sablayrolles, Depecker, Guilbert.
150
est spécifique. Il ne fait pas que faire la manchette, mais il représente un moment fort d’une
société qui engendre une activité néologique importante. Comme ces deux types de
néologismes se trouvent à un niveau abstrait, il fallait utiliser un critère de néologicité basé
sur l’aspect cognitif, conceptuel (dans le cas du néologisme conceptuel) et puis basé sur
l’évolution du référent en diachronie (dans le cas du néologisme d’actualité). Un
dépouillement manuel, en contexte et cotexte, permet de relever les néologismes
conceptuels et les néologismes d’actualité, exactement de la même façon qu’il est possible
de détecter les néologismes sémantiques, mais ceux-ci ne sont pas retenus ni analysés en
fonction d’une datation lexicographique.
En résumé, nous venons d’expliquer sommairement la typologie de la néologie que nous
avons développée. Maintenant, nous aimerions présenter les quatre notions de domaines
que nous avons créés au cours des dernières années pour aider à la compréhension des
activités néologiques. Ces domaines s’appliquent autant à la langue générale qu’à la langue
de spécialité. Après avoir présenté sommairement nos réflexions théoriques, nous
souhaiterions en présenter les définitions que nous illustrerons à l’aide d’exemples de
néologismes.
Les quatre catégories de domaines néologiques que nous avons créés sont les suivants : le
domaine néologique, le domaine renouveleur, le domaine résistant et le domaine d’actualité
(voir le schéma 3). Le domaine néologique étant notre terme générique correspondant aussi
au domaine néoterminologique dans le cas des LSP. Cette catégorie englobe tous les types
de domaines néologiques. Elle représente tous les phénomènes observables dans cette
sphère d’activité. Le domaine renouveleur représente un secteur d’activité où le
renouvellement lexical se fait naturellement par les locuteurs, sans nécessiter l’aide d’une
instance externe (officielle ou non). Ce domaine se renouvelle, s’autorégule donc
facilement dans la langue maternelle donnée (on y trouve peu d’emprunts aux langues
étrangères). Les domaines renouveleurs au Québec sont, par exemple, la santé,
l’informatique, l’environnement, l’agriculture, etc. Le domaine résistant est un domaine
Il ne faut surtout pas confondre les domaines d’actualité avec les sujets d’actualité. Les sujets d’actualité
151
dans lequel les emprunts aux langues étrangères sont importants et où une stimulation
lexicale6 serait nécessaire pour favoriser le renouvellement lexical dans la langue
maternelle donnée. À titre d’exemples, nous pouvons citer la mode, la musique, les jeux
vidéo, etc. Finalement, le domaine d’actualité (lié aux thèmes d’actualité que nous avions
abordés précédemment) représente une sphère d’activité dans laquelle les préoccupations
fortes de la société sont présentes à un moment particulier de son évolution, et engendre
une activité néologique importante7. Dans ce chapitre, nous présenterons, entres autres,
comme domaines d’actualité le développement durable, le débat entourant les
accommodements raisonnables et le 400e anniversaire de la ville de Québec (voir nos
explications sous chaque notion concernée).
Nous poursuivrons maintenant avec les définitions et les explications détaillées des notions
de la néologie.
4.3.2. Définitions des notions de la néologie
Dans cette partie, nous présentons les définitions que nous avons élaborées pour chaque
notion développée dans la typologie. Sous chaque notion et définition, nous expliciterons
notre pensée à l’aide d’exemples de néologismes provenant des recherches que nous avons
effectuées au cours de ces réflexions.
6
Par stimulation lexicale, ici, nous voulons dire une intervention humaine venant d’un organisme externe
officiel ou non, afin de participer au renouvellement lexical dans la langue d’usage. 7
font la manchette dans les médias écrits ou oraux, mais sans nécessairement être des domaines d’actualité
forts qui représentent des préoccupations de société à un moment précis et qui engendrent dans le débat et
l’effervescence du moment de la néologie. Nous préciserons ces propos un peu plus loin dans la définition
du domaine d’actualité.
152
Il est important de mentionner que nous avons décidé d’aligner partout dans les définitions
les notions génériques-spécifiques, c’est-à-dire associées à la langue générale dans un
premier temps, et associées aux domaines spécialisés dans un deuxième temps. Ainsi, les
incluants employés dans les définitions pourront parfois varier entre mot (langue générale)
et terme (langue de spécialité). Il ne serait pas faux d’employer les génériques pour
désigner l’ensemble des phénomènes, y compris ceux couverts par les langues de spécialité.
Cependant, afin de préciser et de distinguer les deux sphères d’activités de la néologie,
nous avons élaboré des termes appropriés pour chaque catégorie.
Néologie8
Étude théorique, méthodique et appliquée des mots nouveaux dans la langue et
en lien avec leur contexte sociolinguistique.
La néologie couvre donc l’étude, l’analyse et la création de mots nouveaux, de
leurs modes de formation ainsi que l’élaboration de critères permettant de les
recenser, de les inclure ou de les exclure à titre de néologismes.
Dans notre définition, nous avons cru bon d’identifier les trois aspects suivants : théorique,
méthodique et appliqué. En effet, l’étude de la néologie ne se fait pas sans appuis
théoriques, ni une certaine méthode (critères d’analyse, corpus d’inclusion et d’exclusion,
etc.) et une application concrète (description, catégorisation, création, etc.).
Selon les objectifs des projets de recherche, l’étude peut porter sur un aspect en particulier,
sur deux de ces aspects ou sur les trois. Par exemple, à l’OQLF, l’étude couvre tous ces
aspects. Dans un cours de lexique de premier cycle, l’étude serait plutôt théorique
8
Dans notre esprit, la néologie ne se limite pas à la néologie lexicale, mais notre étude, ici, porte sur cet
aspect.
153
(apprentissage des modes de formation) et appliquée (chercher des néologismes et en
créer). À l’OBNEQ, nous avons étudié tous ces aspects, et ce, tant en langue générale qu’en
langue de spécialité.
Néoterminologie
Étude théorique, méthodique et appliquée des termes nouveaux dans les
domaines spécialisés du savoir humain et en lien avec leur contexte
d’utilisation.
Dans cette définition de la notion spécifique, en langues de spécialité, il convient d’insister
sur le contexte d’utilisation puisque celui-ci va conférer une valeur spécifique au
néologisme.
Ainsi, le néoterme (sémantique dans ce cas) actif naturel dans le domaine du
développement durable a pris un sens particulier dans ce contexte. Ce néoterme provient à
l’origine du domaine économique; il a ensuite été utilisé en environnement, plus
spécifiquement dans le secteur du DD. Le contexte d’utilisation permettra donc ici
d’identifier le sens spécifique qu’il revêt.
L’actif naturel avait le sens suivant en économie : « Bien à l'état brut, n'ayant subi aucune
transformation. » (GDT, OQLF sous « bien naturel »). Il a ensuite pris la valeur suivante
dans le domaine du DD :
Terme d’origine économique qui désigne un patrimoine exploité pour la production de
richesses. Un actif naturel peut être aussi bien un écosystème (forêt, etc.) qu’un élément de
154
l’écosystème (faune, etc.) ou un espace géographique plus lar ge (océan, etc.). Le
renouvellement d’un actif naturel peut être bouleversé, dégradé, mis en danger, ou maîtrisé par
l’homme. C’est le cas également des forêts européennes (BDI OBNEQ).
Dans le secteur du DD, le néoterme actif naturel est parfois employé comme variante
dénominative du terme écosystème.
Néologisme
Mot créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien ou
actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans le
but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à un
besoin de communication précis.
Le néologisme peut être de type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel9
(voir les définitions plus loin).
Dans la définition du néologisme, nous nous appuyons bien entendu sur le français en
usage au Québec. Lorsque nous mentionnons le fonds ancien ou actuel ou la variété de la
même langue, nous désignons le fonds commun ancien ou actuel et toutes les variétés de
français. Par la suite, nous mentionnons les emprunts aux langues étrangères. Ces
néologismes sont créés pour répondre à des besoins de communication précis puisqu’ils
s’insèrent toujours dans une situation de communication particulière où les locuteurs ont
besoin d’un nouveau mot, d’un nouveau concept ou d’un nouveau sens pour s’exprimer
face à une réalité à un moment donné. Cette précision permet de replacer la néologie dans
une perspective communicationnelle et de comprendre que la création lexicale répond
surtout à un besoin de communication avant toute chose.
9
Dans le cas du néologisme référentiel, voir la définition du néologisme d’actualité.
155
Voici quelques exemples de néologismes de langue générale provenant de la BDI de
l’OBNEQ : plateauïsation (faisant référence ici au lieu : Le Plateau à Montréal),
montréalisation (de Montréal), ROC (sigle désignant « Rest of Canada », locution excluant
le Québec du reste du Canada), bunkérisation (en parlant du pouvoir politique faisait
référence ici au bunker sur la colline parlementaire qui dénomme l’immeuble logeant le
bureau du Premier ministre et l’Exécutif), tintinophile, réunionner, décédo-dollars (en
faisant référence ici à l’industrie des pré-arrangements funéraires), biodollars (industrie
biologique), bien-écrivant, cyberculturel, etc.
Néoterme
Terme créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien
ou actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans
le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à
un besoin de communication précis.
Le néoterme est réservé aux langues de spécialité. Il peut également être de
type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel.
Voici quelques exemples de néotermes sociopolitiques québécois10 : adéquiste (partisan de
l’Action Démocratique du Québec - ADQ), bloquiste (partisan du Bloc Québécois), néo-
conservateur, plquiste (partisan du Parti libéral du Québec - PLQ), syndicalo-séparatiste,
crypto-séparatiste (en parlant d’un politicien qui serait un séparatiste non avoué), libéro-
conservateur, renationalisation, post-pétrole, post-libéralisme, etc.
1 0
Réf. PELLETIER, Julie et Andy VAN DROM (5 septembre 2007), « La néoterminologie et la circulation du
discours sociopolitique : reflets de la société québécoise », Congrès International de Linguistique et de
Philologie Romanes (CILPR), Université d’Innsbruck, 3-8 septembre 2007.
156
Néologisme formel
Mot dont la forme est créée à partir des ressources internes de la langue
française (fonds ancien ou actuel ou variété de la même langue) ou empruntée à
une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux
concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.
Les procédés internes de formation employés dans la création du néologisme formel sont la
dérivation, la composition, l’acronymie et le mot-valise, la siglaison, l’abréviation (apocope
ou aphérèse), la lexicalisation de noms propres, la conversion syntaxique, la syntagmation,
et la variation orthographique, morphologique et syntaxique.
Dans le cas de l’emprunt intégral d’une forme à une autre langue, aucun procédé ne
s’applique sauf s’il y a effort d’adaptation (calque) ou si l’emprunt est hybride ou un faux-
emprunt.
Les typologies de la néologie formelle se recoupent toutes. Notre typologie est donc basée
sur ces modèles classiques et nous pouvons la présenter à l’aide des exemples suivants11 :
Dérivation (savante ou française, préfixale, suffixale ou mixte)
bioalimentaire, bioterrorisme, biosécurité, écohabitat, chronophage, etc.
Composition
savoir-être, tue-l’amour, souper-rencontre, mot-boulet, travail-famille, etc.
11
Exemples provenant de la BDI de l’OBNEQ.
157
Mot-valise
clavardage (clavier + bavardage), docufiction (documentaire + fiction), rockumentaire
(rock + documentaire), aérotourisme (aéronautique + tourisme), anarchitecte (anarchie +
architecte), webémission, webographie (web + émisssion; + bibliographie), luminothérapie
(lumière + thérapie), etc.
Siglaison et acronymie
GES (Gaz à effet de serre), IPS (Infirmières praticiennes spécialisées), ALV (Appareils de
loterie vidéo), etc.
Abréviation (apocope, aphérèse)
biotech (biotechnologie), alterno (alternatif), électro (électronique), végé (végétarien), plex
(duplex, triplex), poche (livre de poche), etc.
Syntagmation
cuisine moléculaire, centre antistress, clonage thérapeutique, haute efficacité énergétique,
installation éco-énergétique, maison intergénérationnelle, noyautage ethnique, tourisme
spatial, etc.
Lexicalisation de noms propres
Le seul exemple rencontré était : bétacam (de Betacam, format d’enregistrement vidéo
développé par Sony en 1982).
158
Conversions syntaxiques
arbuste (n.m. à adj.), cabaret (n.m. à adj.), embraye-débraye (verbes à n.m.), prêt-à-
habiter, prêt à consommer (phrases verbales à n.m. (locutions verbales) calquées sur le
modèle anglais ready-to-wear: prêt-à-porter), etc.
Variantes (orthographiques, syntaxiques, morphologiques)
beau-parleur (beau parleur), fibro-ciment (fibrociment), caplan (capelan), bostonnais
(bostonien), etc.
Emprunts, calques et adaptations
blogue (calque morphologique de l’emprunt anglais blog), électro-rock, électro-pop
(calques morphologiques des emprunts anglais electrorock et electropop), blockbuster, buzz
(emprunts intégraux à l’anglais), airag (emprunt intégral au mongol qui signifie « lait de
jument fermenté »), chicoutai (emprunt intégral au montagnais qui signifie « feu » et qui
désigne le fruit orange acidulé qui se trouve dans les régions subarctiques), inuksuk
(emprunt intégral à l’inuktitut qui signifie « à l’image d’un homme », constructions de
pierres anthropomorphes servant de repères lors de la pêche ou de la chasse, elles sont
aujourd’hui utilisées comme thèmes dans l’art inuit), maki (emprunt intégral au japonais, de
la spécialité culinaire des sushis), etc.
Néologisme sémantique
Mot dont le sens est emprunté à un mot ancien ou actuel de la langue d’usage
ou à un mot d’une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de
nouveaux concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.
159
Les néologismes sémantiques naissent souvent par les procédés de métonymie,
métaphore, glissements, extensions ou restrictions de sens.
Les néologismes sémantiques sont donc souvent engendrés par le principe du cumul des
sens que nous avons expliqué dans notre théorie de la polysémisation au chapitre 3, puis
par les procédés susmentionnés. Ils conduisent donc à de la variation polysémique. Nous
développerons cet aspect au chapitre 5.
Voici quelques exemples de néologismes sémantiques recueillis à l’OBNEQ : croisiériste
(agence de voyage spécialisée dans la vente de croisières alors que le sens premier était le
tourisme faisant la croisière), oiselet, aigle (néologismes du domaine du golf), couperet,
fusillade, sauvetage (néologismes employés dans les sports), sauvé (adjectif employé dans
l’expression peau sauvée, sauvée au sens de « métisse »).
Dans le projet en collaboration avec l’OQLF, dans le secteur du développement durable,
nous pouvons citer le néoterme sémantique éco-indicateur12, attesté au GDT sans le trait
d’union en 1976 d’abord dans le sens économique suivant : « Indice économique donnant, à
dates fixes, la représentation quantitative des phénomènes significatifs de l'économie
canadienne (comme le nombre de permis de construction domiciliaire délivrés, le passif des
entreprises en faillites, etc.) ». Il a été recensé dans le domaine du développement durable
avec ce sens : « ils [les éco-indicateurs] consistent à résumer en un chiffre la performance
globale de l'impact sur l'environnement » (OBNEQ).
Nous pouvons également signaler le néoterme sémantique efficience dynamique, emprunté
lui aussi au domaine économique puis appliqué aujourd’hui au DD avec le sens suivant :
12
À l’origine du terme, la particule éco- dans éco-indicateur provenait de l’abréviation du terme économie.
Celui-ci se transfère bien dans le domaine du développement durable puisqu’il pourrait faire penser au
préfixe éco- plutôt employé dans le sens « écologique ».
Un merci chaleureux à Ariane Royer et Clément Croteau pour leurs consultations au sujet du
Réf. Site du Ministère du développement durable du Québec (2009), « Une première liste des indicateurs
160
« La mise au point de nouvelles technologies ou de nouveaux procédés pour accroître la
productivité, réduire l'intensité de ressources ou les produits, etc. » (Définition du Site
d’Environnement Canada, OBNEQ). En économie, le néoterme signifie plutôt :
De façon générale, les gains d’efficience sont des synergies qui permettent aux entreprises
d’améliorer leurs performances, que ce soit en termes de coûts, de qualité, de service ou de
diversité des produits ou services qu’elles proposent. […]. La caractéristique distinctive des
gains d’efficience dynamique réside dans le caractère récurrent de leurs effets, ce qui renforce
considérablement leur impact potentiel sur les performances. En général, les gains d’efficience
dynamique sont des synergies qui permettent aux entreprises d’améliorer leurs performances de
façon potentiellement continue (OCDE 200813).
Parmi les nombreux néotermes sémantiques empruntés au domaine économique et
appliqués au DD, nous pouvons citer le stock du capital qui s’insère dans l’« approche par
capitaux », féconde en néotermes: approche par capitaux, capital humain, capital naturel,
capital produit, capital social, capital financier, indicateurs, flux, etc. Par ailleurs, dans ce
cas, il est intéressant de noter que ces néotermes sont non seulement sémantiques mais
aussi conceptuels. Certains de ces néotermes ont été définis au GDT à l’OQLF. Nous
avions eu l’occasion de les étudier et de les analyser avec deux terminologues14 de l’OQLF.
Ce sont des exemples éloquents de néologismes sémantiques et conceptuels. Ils sont
sémantiques puisqu’ils ont acquis un nouveau sens en DD, mais aussi conceptuels puisque
leurs concepts ne semblent pas encore complètement bien délimités, et ce, à l’échelle
internationale comme en témoigne l’extrait suivant15 :
13
Réf. Site de l’OCDE, « Fusions et gains d’efficience dynamique », Revue Synthèses, Octobre 2008, [En
ligne], http://www.OECD.org/dataOECD/4/17/41390269.pdf. 14
développement durable pendant mon stage à l’OQLF. 15
de développement durable pour surveiller et mesurer les progrès réalisés au Québec en matière de
développement durable », [En ligne],
http://www.mddep.gouv.qc.ca/developpement/indicateurs/Indicateurs_DD_Doc%20consultation_12%20jui n%202009.pdf , p. 26.
161
Toutes ces formes de capitaux ne sont pas également interprétées. Par exemple, le capital social,
le moins bien étudié des cinq dans le monde, demeure un concept dont la définition et
l’amplitude restent à préciser, même à l’échelle internationale.
Idéalement, les capitaux se mesurent sous forme de « stocks », c’est-à-dire l’ensemble des
éléments qui les composent, ce concept étant inspiré et adapté de l’approche économique qui
mesure les quantités qu’on peut inventorier ou conserver pour utilisation future de matières, de
marchandises, de produits ou d’éléments propres à chaque capital (MDDEP 2009 : 26).
Néologique
Relatif à l’étude des mots nouveaux.
Par ext. de sens. Relatif à ce qui est nouveau, récent, créatif ou perçu comme
tel.
L’adjectif néologique sert essentiellement à qualifier les différents aspects de la néologie,
donc toutes les notions décrites dans ce chapitre, mais il pourrait servir de façon plus large,
dans son élargissement de sens, à désigner également « tout ce qui est nouveau, récent,
créatif » ou « tout ce qui est perçu comme nouveau ».
Néologicité
Degré de nouveauté d’un néologisme, basé sur l’étude d’une période
déterminée, et le sentiment de nouveauté ressenti par un locuteur, et permettant
d’identifier un mot comme étant un néologisme en fonction de critères précis
(datation, lexicalisation, analyse conceptuelle et référentielle).
Les objectifs de la recherche néologique vont influencer grandement les critères
de néologicité qui seront employés en vue d’atteindre les objectifs précis visés.
162
Par exemple, si l’un des objectifs de la recherche néologique est l’actualisation
des dictionnaires de la langue française québécoise, le critère de néologicité ne
sera pas basé sur une période de temps mais plutôt sur un corpus d’exclusion
dictionnairique.
Si l’objectif est de recenser tous les nouveaux mots au sens de « récents » dans
la langue, ainsi le critère de néologicité sera basé sur une courte période de
temps.
En effet, nous avons eu l’occasion d’appliquer le critère de néologicité dans toutes ses
acceptions. Ainsi, à l’OBNEQ, lorsque nous avions recensé des néologismes en langue
générale dans la presse écrite, nos objectifs étaient non seulement de recueillir de nouvelles
dénominations ou de nouveaux sens, mais aussi d’actualiser les dictionnaires québécois, en
retenant donc, à partir d’un corpus dictionnairique d’exclusion, des formes québécoises,
présentes dans la langue depuis plusieurs années, mais encore non recensées dans les
dictionnaires québécois et français. Dans l’optique de cette recherche, notre définition du
néologisme était :
Terme créé, à partir des ressources de la langue ou par emprunt ou par ajout de sens à
un terme existant, dans le but de décrire de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou
de répondre à un besoin de communication précis.
Le néologisme peut être récent, non répertorié dans les dictionnaires, et enfin, le
néologisme peut être en usage depuis plusieurs années sans avoir fait l’objet d’une
entrée dans les dictionnaires (Pelletier et Van Drom 2007).
Puis, dans le cadre de notre projet de collaboration avec l’OQLF, notre corpus d’exclusion
était exclusivement le GDT; donc notre critère de néologicité s’appliquait tant en termes de
degré de nouveauté synchronique que diachronique, conceptuelle et référentielle.
163
Ainsi, la création de deux nouvelles catégories de néologismes (conceptuels et d’actualité)
vient grandement accroître l’analyse de ces phénomènes. Évidemment, dans la cueillette ou
la veille néologique, lorsque les néologismes sont recueillis manuellement, le sentiment
intuitif du linguiste qui repère les mots qu’il croit nouveaux a toujours été implicite, mais il
était validé constamment par l’unique critère de datation et de lexicalisation
dictionnairique. Là, où l’ajout d’autres critères de néologicité vient améliorer l’étude et la
description des néologismes, est qu’il permet au linguiste de dépasser les critères
classiques, de vérifier, de valider ce « sentiment de nouveauté » au-delà de la datation, de la
lexicalisation dictionnairique, tout en parcourant les textes et discours réels pour en extraire
le contenu néologique.
De plus, ces néologismes sont riches d’enseignements sur l’évolution des concepts, des
choses et de la société donnée. Les relever, les étudier permettent de décrire des
phénomènes langagiers courants, qui en plus, ont une portée sociale et historique qui va
bien au-delà de l’attestation factuelle d’une forme ou d’un sens. Ces néologismes
permettent d’expliquer tout un processus en cours, d’observer un changement de société
important. C’est une toute autre perspective qui s’ouvre dans l’étude néologique.
Domaine néologique
Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont les mots, sens ou concepts,
dans une proportion significative, sont perçus comme nouveaux ou récents par
le locuteur.
Le « domaine néologique » est le concept générique recouvrant tous les types de domaines
que nous avons créés pour distinguer précisément les phénomènes de la néologie : domaine
renouveleur, domaine résistant et domaine d’actualité. Ainsi, un domaine néologique
164
pourrait servir à désigner l’un et / ou l’autre des trois types de domaines ou permettre de
désigner l’ensemble de cette activité dans un secteur en particulier.
Voici quelques exemples de domaines néologiques que nous avions pu identifier lors de
nos consultations avec les terminologues de l’OQLF : le développement durable, les
nanotechnologies, l’astronautique et l’aéronautique, la création d’entreprise par essaimage,
l’innovation, les thérapies géniques, les technologies de l’information, l’informatique
vestimentaire, etc.
Domaine renouveleur
Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont le renouvellement lexical
s’effectue de façon naturelle, sans nécessiter l’intervention d’un organisme
externe, face aux nouvelles réalités à dénommer.
Parmi les recherches que nous avons effectuées ces dernières années à l’OBNEQ, nous
avons pu identifier certains domaines renouveleurs en français québécois à partir de
néologismes recensés dans la presse, notamment les technologies du bâtiment, la protection
de l’environnement, l’alimentation et l’agriculture, la santé, le tourisme, l’informatique et
les technologies de l’information.
Les domaines où le français québécois semble le plus se renouveler sont en fait, des domaines
assez techniques et scientifiques, même si les journaux dépouillés sont de langue générale, ce
qui nous amène à confirmer que les journaux sont une excellente porte d’entrée des
néologismes techniques et scientifiques (Auger et Pelletier 2010 : 779).
165
Ces domaines se renouvellent bien en français, ils s’autorégulent, et les néologismes
suivants en témoignent16 :
Santé:
clonage thérapeutique, nutraceutique, chocothérapie,
pressothérapie,
biopharmaceutique, perte d’autonomie cognitive, infectobésité.
Informatique / TIC: vidéoludique, hyperlien (sponsorised link), virtuel, télétravailleur, téléphonie IP (VoIP), baladodiffusion (podcasting), baladeur mp3 et baladeur
numérique, webographie.
Tourisme / Loisirs: récréonordique, musée-boutique, hôtel-boutique, véloroute, cycloparc, récréologue.
Environnement: bâtiment résidentiel vert, condo-vert, écoénergétique, empreinte environnementale, certification LEED (Leadership in Energy and Env. Design),
efficacité énergétique, oxodégradable.
Alimentation / agriculture: cidriculteur, biodynamie, zymotechnologie, pilote- vigneron, ovo-lacto, phytochimique.
Bâtiment: coffrage isolant, batiplume, galvalume, minéralite, éco-ingénierie, prêt-à- habiter.
Ainsi, les domaines renouveleurs sont très créatifs et démontrent que la langue française
dispose de toutes les ressources nécessaires à la dénomination-désignation de ces nouvelles
réalités socioculturelles, techniques ou scientifiques.
Domaine résistant
Sphère spécialisée de l’expérience humaine où les emprunts aux langues
étrangères sont très nombreux et où le recours à la néologie peut favoriser et
stimuler le renouvellement lexical dans la langue d’usage.
Une intervention humaine, provenant d’un organisme externe, officiel ou non,
peut s’avérer favorable au renouvellement du lexique dans la langue d’usage
16
Réf. Auger et Pelletier (2010).
166
dans ces cas. Cela fait partie du processus d’aménagement linguistique adopté
au Québec.
Les domaines résistants s’opposent aux domaines renouveleurs en ce sens qu’ils sont plutôt
la proie de nombreux anglicismes. Ces tendances, dans certains domaines comme la
musique, la mode, les arts et les sports, s’expliquent par un phénomène socioculturel :
Ces domaines constituent souvent des poches de résistance, possiblement à cause de
l’hégémonie de l’anglais dans leur diffusion internationale, et aussi à cause de leur public cible
qui est souvent une clientèle adolescente, pour qui parler anglais est « cool » (pour reprendre
leur expression), voire privilégié par le groupe social auquel ils adhèrent (Ibid 2010 : 780).
La proposition de néologismes pourrait donc aider au renouvellement lexical de ces
domaines en français. Bien entendu, une certaine part d’emprunts aux langues étrangères
fait partie du processus d’évolution naturelle des langues, et ce, peu importe la langue
prêteuse ou emprunteuse, mais il convient dans certaines situations plus formelles
(communications officielles, cours universitaires, colloques, etc.) de doter ces nouvelles
réalités d’un équivalent français « acceptable ». C’est pourquoi les organismes linguistiques
jouent un rôle fondamental dans la veille néologique et participent étroitement au
renouvellement lexical de la langue d’une société donnée. Au Québec, l’OQLF en est un
bon exemple. C’est également pourquoi la collaboration entre un observatoire de néologie
et un organisme officiel devient des plus intéressantes.
Dans le cas des domaines résistants mentionnés ci-dessus, voici des exemples
d’anglicismes recensés, présentés directement après le nom du domaine résistant, suivis des
néologismes français, présentés en dessous dans la catégorie résistance :
167
Sports: hurling (jeu de crosse), dunks, kickflips, padocks, small ball, skater.
Résistance: ailier espacé, botteur de précision, pliométrique.
Musique: heavy metal, baile funk, brit-pop, power pop, fashion rock, grindcore, rock- roots, trip-hop.
Résistance:
électro-sensuel,
groupe-culte,
groupe-phare,
rock
atmosphérique,
métalleux.
Mode / art: lifestyle, streetware, glam, hot seat, flashy, girlies.
Résistance: préfripé (vêtement).
Cinéma: biopic (de l’anglais biographic picture), batnotes (de Batman), success story, lipser, tripper, rockyesque (emprunts adaptés)
Résistance: personnage-culte, série-culte, paparazziaque, mégacineplex.
Domaine d’actualité
Sphère spécialisée de l’expérience humaine qui reflète les préoccupations fortes
du moment au sein d’une société donnée et qui engendre, dans le débat, de la
néologie.
Les domaines d’actualité sont des domaines populaires en raison de l’importance qu’ils
revêtent pour une société à un moment précis de son histoire. Ainsi, comme nous l’avions
vu au chapitre 3, la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements
reliées aux différences culturelles au Canada en 2007 a suscité de vives discussions et fait
couler beaucoup d’encre dans les journaux. En effet, ce débat découle directement de
l’application de la politique du multiculturalisme adoptée par le gouvernement canadien.
Dans de telles conjonctures, les mots peuvent alors faire l’objet d’une réactualisation et être
néologiques en fonction du critère de néologicité basé sur le sentiment de nouveauté, en
l’occurrence soit sur le sentiment de nouveauté conceptuelle ou référentielle. Ces mots sont
168
donc perçus comme « nouveaux » par les locuteurs et remis en circulation pendant cette
période de fébrilité. De nouveaux concepts peuvent également surgir de ces discussions et
amener de nouveaux mots ou des formes existantes peuvent voir leur concept remis en
question ou réévalué.
Ainsi, des réalités comme l’énergie solaire, la voiture hybride, la nanosonde (de l’anglais
nanoprobe), la nanomachine (de l’anglais nanite) ou la téléportation quantique peuvent être
considérées néologiques (comme néologismes d’actualité) à un certain moment donné, et
ce, bien que leurs dénominations existent depuis plus d’une dizaine d’années, puisque leur
utilisation réelle ou leur importance se fait sentir à un moment précis, souvent bien des
années après la création même du concept, du mot, de l’idée ou de l’objet. En effet, comme
nous le faisait remarquer Denis Godbout, terminologue, lors de nos échanges à l’OQLF, les
termes nanoprobe et nanite en anglais ont été d’abord inventés pour la série télévisée Star
Trek, puis prêtés ensuite aux nanotechnologies. Or, en raison de l’importance que
revêtaient ces notions à l’apogée des nanotechnologies, les termes, bien qu’existant dans la
langue depuis plusieurs décennies, sont devenus néologiques en vertu de leur caractère
réactualisé. Il en va de même pour l’énergie solaire, conçue en tant que source énergétique
depuis plus de cinq à dix ans, mais totalement réactualisée dans les débats sur les énergies
renouvelables. En effet, l’énergie solaire a été découverte en 1839 par Antoine Becquerel.
Elle connut un second élan dans les années 70 lors du premier choc pétrolier. Depuis
quelques années, elle fait l’objet de nombreuses recherches et avancées partout dans le
monde, notamment avec les programmes de toits solaires qui se multiplient. Depuis 2007, il
y aurait eu une augmentation de 66% du parc photovoltaïque mondial17. Entre l’invention
de Becquerel, la seconde vague des années 70 et les percées actuelles, l’énergie solaire ne
cesse de se renouveler afin de répondre aux besoins socioéconomiques de la société :
« Après plusieurs années de sommeil, la filière solaire haute température repart de plus
17
Cf.
D’après le Site
Wikipédia, « Énergie solaire »,
[En
ligne],
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_solaire , (Page consultée en février 2011).
Lapierre, Virginie, « Voiture hybride : Mythes et réalité », Site de Tv5.ca, [En ligne],
169
belle notamment dans les pays du “Sun belt”18. En ce sens, l’énergie solaire est réactualisée
avec le débat sur les énergies renouvelables et constitue un néologisme d’actualité
intéressant à étudier afin d’en suivre l’évolution. Selon notre définition, l’énergie solaire
correspond au cas de figure du néologisme d’actualité ayant plusieurs cycles de vie. En ce
qui concerne la voiture hybride, c’est à peu près le même principe. Le premier octroi de
brevet d’un moteur gasoil et électrique aurait été déposé en 1905 par un dénommé H.
Piper19. Elle a donc été développée il y a longtemps; son nom, son sens et son référent sont
bien connus, mais son utilisation effective et populaire, en raison également des
préoccupations environnementales, la réactualise et fait d’elle une réalité (en l’occurrence
un objet produit et acheté de plus en plus), un mot et un concept d’actualité. La voiture
hybride correspond donc au cas de figure du néologisme d’actualité revenant sur la sellette
après une période de latence entre le moment de son invention (premier brevet) et de son
utilisation effective dans la réalité.
Cependant, il ne faut pas confondre un sujet d’actualité avec un domaine d’actualité. Citons
l’exemple des gaz de schiste, bien que ce sujet soit largement débattu sur la scène publique
et politique en ce moment, il n’engendre à proprement dit aucune néologie. Le gaz de
schiste ne fait pas l’objet d’une réactualisation ni en tant qu’objet ni en tant que concept.
C’est là une différence fondamentale dans la compréhension de notre domaine d’actualité et
du néologisme d’actualité, qui lui est réévalué, redéfini ou réutilisé avec changements
perceptibles à cause notamment de l’évolution des technologies ou des cultures depuis la
création de l’objet ou de l’idée. Ainsi, le gaz de schiste, est plutôt une ressource naturelle
existante que le gouvernement québécois veut exploiter, mais qui soulève la controverse au
sein de la population parce que certains craignent les effets que cela pourrait avoir sur
l’environnement. Cette controverse n’engendre aucune néologie. Un autre exemple afin de
ne pas confondre le domaine d’actualité avec un objet à la mode, citons les leggings. Ce
18
Site de l’Observatoire des énergies renouvelables, « Énergie solaire haute température», dans le dossier
Énergie solaire, [En ligne], http://www.energies-renouvelables.org/solaire_thermique_ht.asp , (Page
consultée en février 2011. 19
http://bloguestv5.ca/2010/07/26/voiture-hybride-mythes-et-realite/ , (Page consultée en février 2011).
170
type de bas existe depuis des décennies, il revient à la mode par période, mais sans changer
en termes d’objet, de forme ou de concept. Tout comme le gaz de schiste, sujet d’actualité,
les leggings, sujet à la mode, n’engendrent aucune néologie d’actualité.
De façon plus théorique maintenant, nous souhaitons illustrer le domaine d’actualité avec
un autre exemple de la tribune québécoise, soit les célébrations du 400e anniversaire de la
fondation de la ville de Québec. À l’occasion de cet événement, une Société du 400e a été
mise sur pied afin de préparer les festivités pour l’année 2008. Lors d’une conférence à
Québec20, nous avons décrit l’événement à partir d’une analyse linguistique. Ce thème
d’actualité a également fait l’objet d’une visibilité sur la scène internationale. Lors de
l’analyse de discours, nous avions étudié les sites de la Société du 400e ainsi que le site du
400e du gouvernement fédéral. Les thèmes véhiculés de part et d’autre étaient, pour la
Société du 400e, la rencontre et le partage, les nations autochtones, l’ouverture sur le
monde, la vie culturelle et intellectuelle, et, pour le gouvernement fédéral, la colonisation,
les personnages historiques, le multiculturalisme et le territoire. À la lumière des termes
utilisés pour présenter les festivités dans chacun des sites, nous pouvions facilement repérer
les points de convergence et de divergence. Puisqu’il s’agit d’une commémoration d’un
événement historique, en apparence, il serait improbable d’y trouver des néologismes, mais
en vertu de notre définition du domaine d’actualité et du néologisme d’actualité, nous
pouvons en identifier quelques-uns. Ainsi, dans l’effervescence du moment, les termes-
concepts de « nation » et d’« identité » ont été largement débattus, notamment dans la
presse et dans les travaux parlementaires. Ce thème d’actualité nous permet donc d’illustrer
à la fois les concepts de « néologismes conceptuels » et de « néologismes d’actualité ».
Regardons d’abord les définitions de ces concepts :
20
Communication présentée dans le cadre de l’ACFAS 2008. Pour plus de détails, voir Van Drom et Pelletier
(2008).
171
Néologisme conceptuel
Mot présent dans la langue depuis un certain temps mais dont le concept est
néologique en synchronie et représente une réalité existante en redéfinition en
raison de son évolution technologique ou culturelle.
Mot récent représentant une réalité nouvelle en voie de se délimiter.
Les néologismes conceptuels se rencontrent souvent dans les domaines
scientifiques novateurs.
Néologisme d’actualité
Mot existant dans la langue depuis plusieurs années mais dont la réalisation
effective du référent qu’il désigne est réactualisé et répond à un besoin
socioéconomique ou socioculturel important au sein d’une société à un moment
donné de son développement.
Ce mot peut donc être ressenti comme néologique par les locuteurs en raison de
la popularité et de l’importance dont il jouit sur la scène publique à un moment
donné, et surtout parce qu’il représente un moment fort de changement au sein
de cette société.
Le néologisme d’actualité peut correspondre à plusieurs situations. Il peut
résulter d’une période de latence où le concept était à l’état d’idée ou
hypothétique (pensons aux inventions ou aux idées non commercialisés). Il peut
s’agir d’un néologisme ayant plusieurs cycles de vie ou encore d’un néologisme
étant tombé dans l’oubli mais revenant sur la sellette après un certain temps,
avec un changement perceptible, reflétant le changement sociétal à travers la
réactualisation du néologisme, de l’objet ou de l’idée.
172
En tenant compte des définitions de ces deux concepts, nous allons maintenant démontrer
en quoi ces termes appartiennent, dans ce cas-ci, aux deux catégories. Il existe des cas de
néologismes conceptuels qui ne sont pas des néologismes d’actualité et vice-versa, nous en
donnerons des exemples par la suite. Mais avant, nous poursuivons la démonstration avec
les concepts de « nation » et d’« identité », lesquels ont effectivement fait l’objet d’un
questionnement dans l’engouement des fêtes du 400e de la ville. Au moment où la ville de
Québec et le gouvernement fédéral tentent de s’approprier les faits historiques pour servir
leurs idéologies politiques, chacun utilisera donc des éléments identitaires forts afin de
véhiculer ses propres conceptions. Puis, de par la tenue hautement médiatisée de ces débats,
ces termes sont également des néologismes d’actualité au sens où ils sont remis sur la
sellette et débattus largement. Cette conjoncture spéciale n’est pas sans rappeler la motion
qui avait été adoptée par le gouvernement canadien en 2006; motion qui décrétait et
reconnaissait la nation québécoise au sein d’un Canada uni. À cet effet, le Bloc Québécois
affichait :
Parce que les Québécoises et les Québécois forment une nation composée de gens d’origines et
de langues diverses, dont la langue publique commune est le français.
Parce que la nation québécoise est différente de la nation canadienne et des autres nations du
monde, ni meilleure, ni pire, et parce que la nation québécoise reconnaît et établit des
partenariats d’égal à égal avec les peuples autochtones.
Parce que l’économie québécoise est différente, avec des institutions particulières comme la
Caisse de dépôt et placements, Investissements Québec, la Société générale de financement, le
Fonds de solidarité de la FTQ, Fondactions de la CSN, le Mouvement Desjardins, la Banque
nationale, ses coopératives agricoles, son économie sociale, ses secteurs de pointe comme
l’aéronautique, la biotechnologie, le multimédia et ses façons de faire telles que les sommets
économiques, la concertation et les partenariats. (Bloc Québécois, 200621,).
Ainsi, la nation québécoise est revue en fonction de l’adoption de cette motion et redéfinie
également lors des questions d’accommodements raisonnables et du 400e de la ville de
21
Réf.
Site du Bloc Québécois, « Parce
qu’on
est
différents »,
[En
ligne],
http://www.blocquebecois.org/fichiers_public/10raisons.pdf.
173
Québec. Les néologismes d’actualité répondent hors de tout doute ici à un besoin d’ordre
socioculturel, voire identitaire; c’est pourquoi ils sont débattus avec autant de vigueur sur la
scène politique. Puis, comme nous l’avions abordé au chapitre 3, la Commission de
consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles a
également eu lieu en 2006-2007 alors que ces questions battaient leur plein sur la scène
politique québécoise et canadienne. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir les deux paliers de
gouvernement poursuivre le débat à l’occasion du 400e anniversaire de la ville de Québec.
Ces discussions, dans le cadre de la Commission, avaient suscité une créativité lexicale,
engendré des néologismes formels, conceptuels et sémantiques : pratique d’harmonisation
interculturelle, pluriconfessionnalité, ajustement concerté, dynamique transculturelle, etc.
Au cœur de ce débat de société, les concepts de « nation québécoise » et d’« identité
québécoise » ont été largement débattus. Nous expliquerons maintenant à l’aide de citations
des événements (Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées
aux différences culturelles, débats politiques, 400e de la ville de Québec, travaux
sociologiques) en quoi ils sont des néologismes conceptuels et d’actualité dans ce contexte
précis.
Nous commencerons par définir nation et identité à partir de leur sens lexicalisé au PR
2001 :
nation (sens 2) : « Groupe humain, généralement assez vaste, qui se caractérise par la
conscience de son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre en commun ».
nation (sens 3) : « Groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un
territoire défini ou un ensemble de territoires définis, et personnifiée par une autorité
souveraine ».
174
identité culturelle (sous identité, sens 3 Psychol.) : « Ensemble de traits culturels propres à
un groupe ethnique (langue, religion, art, etc.) qui lui confèrent son individualité; sentiment
d'appartenance d'un individu à ce groupe ».
Ces attestations de sens, largement reconnues, sont celles qui correspondent le plus aux
concepts que nous voulons présenter par rapport à la nation québécoise et à l’identité
québécoise; mais nous verrons, avec les éléments suivants, en quoi, même des termes aussi
fixés, en apparence, que nation et identité, peuvent revêtir des concepts infinis en fonction
d’une situation de communication précise. C’est exactement dans ce sens qu’ils sont
conceptuels et d’actualité dans le cas présent.
Par ailleurs, il suffit de consulter les nombreuses conceptions de « nation » des sociologues
et philosophes les plus répandues au cours de l’histoire pour comprendre que la nation est
bien conceptuelle en fonction d’un moment donné de l’histoire pour un groupe donné. À
cet effet, nous allons présenter les principales conceptions de la nation (regroupées sous
trois catégories : nation ethnique, nation civique et nation postmoderne) dans le schéma
4.22 :
Ainsi, il est possible de constater ici qu’il existe autant de conceptions de la nation qu’il
existe de nations. Dans le cadre des événements qui nous concernent au Québec, la
conception sociologique de la nation qui rejoint le plus celle qui a été redéfinie et débattue
au cœur de l’actualité entre 2006 et 2008 est celle de A. D. Smith, la nation ethno-
symbolique :
[La nation est] a named human population sharing an historic territory, common myths and
historical memories, a mass, public culture, a common economy and common legal rights and
duties for all members (2004 : 24).
22
Réf. Van Drom et Pelletier (2008).
175
Schéma 4.
Conceptions de la nation
Les conceptions de la nation
· Renan (1874):
« Une nation est un
principe spirituel,
résultant des
· Herder (1774):
« la politique crée les États, la nature
crée les Nations. *…+ La Nation ne
résulte pas d’une volonté politique
complication
profondes de
l’histoire, une
famille spirituelle, non un groupe
Conception
ethnique
(romantique)
ancestrale mais d’un déterminisme
culturel. Ce n’est pas un individu
abstrait forgé par des hommes mais un
collectif individué… ».
déterminé par la
configuration du
sol ».
Conception
civique
(rationnelle)
Conception
· Anderson (1983): « La nation a été inventée où elle
n’existait pas avant »
synthétique
(postmoderne)
· Hall (1996): L’homme est non seulement un
citoyen, il participe également à l’idée de la nation
comme elle est représentée dans sa culture. Une
nation est une communauté symbolique... ».
Selon Smith (1986 : 216), « les nations modernes "civiques" n’ont pas, en pratique,
réellement transcendé l’ethnicité et les sentiments ethniques », c’est donc exactement en
ces termes qu’est débattue à l’assemblée nationale canadienne, au parlement québécois et
sur toutes les tribunes de l’actualité la « nation québécoise ».
Ainsi, devant la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées
aux différences culturelles, le 8 février 2007, le premier ministre du Québec, M. Jean
Charest, affirmait :
Premièrement, le Québec est une nation. Notamment par son histoire, sa langue, sa culture et
ses institutions. La nation du Québec a des valeurs, des valeurs solides, dont entre autres :
L’égalité entre les femmes et les hommes.
La primauté du français.
176
La séparation entre l’État et la religion.
Ces valeurs sont fondamentales. Elles sont à prendre avec le Québec.
Devant la même commission, le Parti Québécois déposait un Mémoire sur les pratiques
d’accommodements reliées aux différences culturelles, le 17 octobre 2007, dans lequel il
présentait l’« identité québécoise » en ces termes :
L’identité québécoise est fondée sur une longue histoire, sur une langue et une culture
communes bien vivantes, sur une fierté légitime et une farouche volonté collective de survivre
et de s’épanouir comme nation libre.
Ces conceptions de la nation et de l’identité dans la société québécoise sont également bien
décrites par Dorais dans son approche de l’État-nation :
Dans un État-nation multiculturel et (ou) plurilinguistique, il arrive souvent que la population
majoritaire possède une identité nationale (Canadien au Canada, par exemple), alors que les
minorités sont définies et se définissent généralement elles-mêmes selon leur ethnicité
(Autochtone, Québécois, Italo-Canadien, Sino-Canadien, etc.). De nos jours cependant, on
s’attend normalement à ce que les minorités partagent elles aussi l’identité nationale commune
(même lorsqu’elles gardent leur ethnicité) et, jusqu’aux années 1990, on croyait généralement
que les identités ethniques étaient destinées à disparaître. C’est toutefois loin d’être le cas et les
groupes ethniques qui considèrent avoir le droit de se gouverner eux-mêmes sur un territoire
donné (les Premières Nations ou les Québécois par exemple) se réclament maintenant souvent
d’une identité nationale qui leur est propre (Dorais 1995).
Ainsi, poussés par le flot des événements rassembleurs (400e de la ville de Québec, la
Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences
culturelles, la motion adoptée au gouvernement fédéral), les Québécois redéfinissent leur
identité et leur nation et réclament, en effet, comme le mentionnait si justement Dorais, une
177
conception de nation et d’identité qui leur est propre et actuelle. C’est pourquoi nous
affirmons que ces termes sont à la fois des néologismes conceptuels et d’actualité dans ce
contexte hautement stimulant et néologique à différents niveaux comme nous avons pu
l’illustrer.
Ainsi, la nation et l’identité québécoises, sont passées d’une conception ethnique
(« Québécois de souche ») à une conception civique (« citoyens de la société québécoise
depuis la naissance ou suite à une immigration »), mais avec une touche encore tangible
d’ethno-symbolisme. Ces concepts sont redéfinis et réactualisés à un moment fort
important du développement socioculturel du Québec.
Ce domaine d’actualité, les accommodements raisonnables, engendre donc à la fois de la
néologie formelle (nouvelles formes facilement repérables à l’aide des critères de
néologicité factuelle classique) : pratique d’harmonisation interculturelle,
pluriconfessionnalité, ajustement concerté, dynamique transculturelle; de la néologie
sémantique puisque certaines de ces formes ont été définies pour l’occasion dans le
glossaire de la commission. Leur sens est donc attesté dans un ouvrage officiel et public.
Cependant, ces nouvelles formes et ces nouveaux sens sont parfois hautement conceptuels
et demeurent difficiles à saisir au-delà de la définition, au-delà du débat puisqu’ils se
situent justement à ce niveau abstrait, cognitif, là où les concepts sont en éternelle mutation,
là où un changement majeur de conception d’une société est en train de s’opérer. Puisque
ce changement se fait sur une période donnée, pendant ce temps, les concepts continuent
d’évoluer, de se préciser. C’est pourquoi dans les textes, lorsqu’on analyse les usages qui
sont faits de ces néologismes, ils ne sont pas purement formels et/ ou sémantiques, ni
unanimement employés. Ces usages existent, pourtant, ils sont partout, dans les discours
oraux et écrits. Ils sont difficiles à saisir, à tout le moins pour les experts du domaine et les
linguistes, puisqu’ils sont en train de se définir; ils sont en plein milieu d’un processus.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on peut lire dans le rapport de la Commission que « la
construction d’une identité commune est déjà engagée » (Bouchard, G. et C. Taylor 2008 :
178
94). Ces néologismes sont nécessaires à la création d’un débat, à la participation de la
communauté, il est donc impossible d’attendre que leurs sens se fixent ou disparaissent
après x nombre d’années pour les considérer, les définir. C’est pourquoi nous nous sommes
particulièrement intéressée à ces phénomènes, auxquels les linguistes sont souvent
confrontés. Pouvoir, à tout le moins, les saisir, les définir et les identifier à l’aide d’une
étiquette en tant que phénomène langagier peut aider à l’avancement des recherches. Bien
entendu, pour le linguiste qui doit créer une définition du néologisme conceptuel ou du
néologisme d’actualité, il n’existe pas de recette magique, nous sommes bien consciente de
ce problème dans la pratique, mais de pouvoir signaler en note qu’il est en voie de
redéfinition ou de réactualisation aiderait à la compréhension du phénomène.
Ainsi, un néologisme peut être à la fois formel, sémantique, conceptuel et d’actualité. Un
néologisme peut aussi être conceptuel et d’actualité sans être formel ou sémantique tels que
les concepts de nation et d’identité québécoises. Un néologisme peut aussi être uniquement
d’actualité tel que la voiture hybride, réactualisée par les nouveaux modèles améliorés et
vendus sur le marché à l’époque où la consommation d’énergie renouvelable est un débat
de société fort important. La réactualisation de cet objet peut l’amener à être perçu comme
néologique dans ce contexte, mais évidemment pas sur le plan formel, sémantique ou
conceptuel. Tout comme un néologisme peut être strictement formel, par exemple, dans le
cas d’un signifié décrit dans une autre langue, nous pouvons créer une nouvelle forme dans
la langue d’usage pour importer ce sens. Dans le cas des néologismes sémantiques, ils sont
souvent strictement sémantiques puisqu’ils cumulent des sens sur des formes déjà
existantes. Par contre, si une invention apparaît, la forme et le sens seront tous deux créés
en même temps; ce néologisme serait alors formel et sémantique. Toutes les combinaisons
sont possibles. Ce qu’il importe de retenir, c’est qu’il y a d’autres manifestations
néologiques que celles décrites et étudiées traditionnellement (formelles et sémantiques).
Nous avons décrit théoriquement ces phénomènes avec le néologisme conceptuel et le
néologisme d’actualité, dans l’espoir que la description théorique puisse inspirer d’autres
chercheurs à trouver des solutions dans la gestion de ces néologismes. Ce serait là un
souhait très certainement pour l’avancement des recherches en néologie.
179
Cet exemple de domaine d’actualité à lui seul a permis d’illustrer non seulement nos
notions de la néologie mais aussi de représenter le caractère symbolique et identitaire de la
néologie :
« […] le néologisme prend la force d’un symbole: tout en faisant souche dans la forme, il sert
indéniablement de point d’ancrage à la réflexion philosophique » (Pruvost et Sablayrolles
2003 : 30-31).
Finalement, lorsqu’il est question de politique, les néotermes peuvent aussi être utilisés
comme des instruments de pouvoir :
Les néotermes en circulation ainsi que leurs sens véhiculés entraînent dans leur sillage la
circulation des discours, des mots comme instruments de pouvoir, mis en scène dans les
discours afin de représenter ces réalités sociales en perpétuel changement (Van Drom et
Pelletier 2009 : 163).
180
4.4.
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons pu illustrer la typologie et les définitions de la néologie à
l’aide d’exemples actuels, évocateurs et révélateurs des moments forts que vit la société
québécoise ces dernières années. Nous sommes persuadée que ce modèle pourra aider
grandement à la compréhension, à la catégorisation et à l’analyse des activités néologiques.
L’ajout du critère de néologicité basé sur le degré de nouveauté conceptuelle et
référentielle, tant synchronique que diachronique, ouvre une nouvelle perspective
d’analyse, et permet de recenser les néologismes conceptuels et d’actualité. Par ailleurs, les
quatre domaines permettent aussi de nommer et d’expliquer des phénomènes langagiers
courants. Nous avons pu identifier à l’aide de nos observations tous les phénomènes
néologiques qui nous entourent. Nous souhaitons donc que ce modèle puisse servir dans
différentes recherches, tant en langue générale qu’en langue spécialisée, autant dans les
recherches universitaires que publiques ou privées. De plus, nous sommes convaincue que
ce modèle est facilement applicable et adaptable dans les autres langues que le français. Il
serait intéressant de l’appliquer dans un projet multilingue. Voilà un souhait que nous
émettons ici.
La néologie est directement liée aux phénomènes de variation terminologique que nous
avons analysés. Ce chapitre permet donc d’effectuer une transition vers le dernier chapitre
de notre thèse qui expliquera toutes ces relations directes entre la néologie, la variation
terminologique, la métaphorisation et les causes linguistiques et extralinguistiques de la
variation terminologique.
En conclusion, la néologie est une sphère d’activités linguistiques passionnante puisqu’elle
nous révèle, tant en synchronie qu’en diachronie, comment a vécu une société, et par
quelles transformations culturelles, sociologiques, économiques, politiques, technologiques,
scientifiques elle est passée dans son histoire. Étudier les mots nouveaux, c’est donc
181
observer l’évolution d’un peuple, c’est comprendre les débats au cœur de son histoire, c’est
voir à travers la loupe de la linguistique des tas de phénomènes extralinguistiques. En
somme, les mots sont le reflet par excellence de la pensée et de l’activité humaines, de
l’univers entier dans lequel elles gravitent, et constituent autant de symboles forts et
identitaires que la langue puisse offrir.
Schéma 1. Typologie de la néologie
NÉOLOGISME
(néologisme créé ou
répertorié)
NÉOTERME
(néoterme créé ou répertorié)
CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ
IMPLICITE
(sentiment de nouveauté)
CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ
(degré de nouveauté
en synchronie: datation et
lexicalisation dict.)
CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ
(degré de nouveauté
conceptuelle: analyse
cotextuelle et contextuelle)
CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ
(degré de nouveauté
référentielle en diachronie:
analyse cotextuelle et
contextuelle)
NÉOLOGISME FORMEL
(signifiant)
NÉOLOGISME SÉMANTIQUE
(signifié)
NÉOLOGISME CONCEPTUEL
(concept)
NÉOLOGISME RÉFÉRENTIEL
(référent )
182
Schéma 2. Typologie de la néologie (avec exemples)
NÉOLOGISME
ex. montréalisation, biodollars, décédo-
dollars, cyberculturel, bien-écrivant
NÉOTERME
ex. haute efficacité énergétique, habitat
vert, biochar, agrinergie
NF
ex. écoactivité, luminothérapie, IPS,
consommation
durable
NS
ex. croisiériste, fusillade, éco-
indicateur, efficience dynamique
NC
ex. accommodement raisonnable, stock du
capital, nation québécoise
NF
ex. énergie solaire, voiture hybride,
nanomachine, nation québécoise
183
Schéma 3. Typologie des domaines néologiques
DOMAINE NÉOLOGIQUE
DOMAINE RENOUVELEUR
DOMAINE RÉSISTANT
DOMAINE D'ACTUALITÉ
184
Le chapitre 5 : Le modèle des causes de la variation terminologique
185
5.
Modèle des causes de la variation terminologique
En nous inspirant des études antérieures, plus spécifiquement des modèles développés par
Freixa et Nyckees, et des hypothèses et analyses présentées dans cette thèse, nous
souhaitons terminer par la présentation du modèle d’analyse des causes de la variation
terminologique.
Ce modèle permet en quelque sorte de reprendre toutes les idées développées dans la thèse
et d’expliquer les liens que les différents types de néologismes ou de variantes entretiennent
entre eux dans la réalité sociolinguistique. La langue est ainsi vue comme l’instrument et
l’outil de communication par excellence des êtres humains (acteurs de la communication),
lesquels subissent des influences internes (les causes proprement linguistiques) et externes
(les causes extralinguistiques, soit les causes socioculturelles, cognitives et
communicationnelles). La langue, dans ce contexte, ne peut être écartée de l’ensemble,
représenté par la réalité dans laquelle les acteurs de la communication vivent et l’utilisent.
Nous nous situons donc toujours dans cette perspective communicationnelle et
socioterminologique.
Avant d’expliquer le modèle, nous souhaitons récapituler les modèles de causes présentés
par Freixa et Nyckees. Ensuite, nous exposerons le modèle et nous effectuerons des liens
entre les hypothèses théoriques développées dans cette thèse (le modèle de la variation
terminologique, le processus de la métaphorisation terminologique, la chaîne de la
polysémie, la théorie de la polysémisation, la typologie de la néologie et notre modèle). Ce
modèle d’analyse des causes linguistiques et extralinguistiques de la variation
terminologique se veut donc la synthèse de tous les travaux publiés sur le domaine avec nos
réflexions et la mise en schémas de tous ces phénomènes de langues et de société.
186
5.1.
Modèle des causes de la variation dénominative de Freixa : récapitulatif
Au chapitre 1, nous avons exposé en détail les causes de la variation dénominative
identifiées par Freixa, cette fois-ci, nous nous permettrons un r egard plus critique et
quelques prises de position qui justifieront par la suite le choix des causes et le
regroupement que nous avons effectués dans notre modèle.
1. Causes dialectales
2. Causes fonctionnelles
3. Causes discursives
4. Causes interlinguistiques
5. Causes cognitives
Dans les causes dialectales, Freixa aborde la variation géographique (selon les langues,
selon les secteurs de la connaissance). En ce qui nous concerne, les causes dialectales
rejoignent plutôt les causes formelles, proprement linguistiques. Les dialectes seraient à
aligner à côté des langues, comme outils de communication (voir le schéma 5 à la fin de ce
chapitre). Les secteurs des connaissances ont plutôt un lien, selon nous, avec la vie
socioculturelle et l’évolution des technologies. En ce qui concerne la variation
chronologique et la variation sociale identifiées par Freixa, nous les situons plutôt du côté
des causes socioculturelles.
Les causes fonctionnelles et discursives 1 mises de l’avant par Freixa (champ, canal, teneur,
ton / créativité, emphase, expressivité) sont à relier directement à ce que nous regroupons
sous les causes communicationnelles, suivant toujours la perspective communicationnelle
de la terminologie développée par Cabré. En effet, le ton ou le médium employé font partie
1
Revoir le chap. 1.8.1 et 1.8.2 pour plus de détails à ce sujet.
187
de la situation de communication. Ainsi, l’emphase, l’expressivité et la créativité
employées par un a cteur de la communication, consciemment ou i nconsciemment, se
situent dans cette même perspective. C’est pourquoi nous préférons les inclure dans la
catégorie des causes communicationnelles. Les situations et les acteurs de la
communication se situent donc de chaque côté de la langue : leur outil de communication
privilégié.
Les causes interlinguistiques, quant à elles, sont directement incluses dans les causes
proprement linguistiques. Ainsi, les phénomènes de variation provenant des langues en
contact, des dialectes, des formes en concurrence (qu’il soit question d’emprunts, de
calques ou d’adaptations) sont à étudier dans les causes linguistiques.
Les causes cognitives identifiées par Freixa nous interpellent plus spécifiquement et nous
avons décidé de les conserver en tant que catégorie de causes importantes, notamment dans
le rôle qu’elles jouent dans la production de métaphores, de changements de sens qui
engendrent directement tant la variation conceptuelle que la variation polysémique. On peut
ainsi considérer la néologie conceptuelle, sémantique et d’actualité comme étant autant de
manifestations. Nous y reviendrons donc un peu plus loin.
5.2.
Modèle des causes des changements de sens de Nyckees : récapitulatif
Le modèle développé par Nyckees quant à lui se divise en deux grandes catégories de
causes que nous allons également mettre en rapport avec notre modèle et avec celui de
Freixa.
1. Causes socioculturelles
2. Causes formelles
188
Dans les causes socioculturelles identifiées par Nyckees, il y a trois grandes sous-
catégories, les circonstances culturelles, c’est-à-dire les conditions de vie (techniques,
coutumes, institutions, vie intellectuelle). Dans cet ordre d’idées, nous avons retenu cette
sous-catégorie et nous la regroupons également sous les causes socioculturelles dans notre
modèle.
La deuxième sous-catégorie de Nyckees touche les emprunts entre groupes sociaux, tout
ce qui concerne les migrations de mots et de sens entre LG-LSP incluant les extensions et
restrictions de sens et les ellipses. Ici, nous sommes plutôt d’avis que ces phénomènes
entrent directement dans la catégorie des causes linguistiques. Bien entendu, ces
changements sont tributaires des autres causes socioculturelles, mais ils se manifestent
plutôt au niveau même du signe linguistique, du processus évolutif de la langue.
La troisième sous-catégorie représente les changements dus aux valeurs sociales incluant
les tabous et euphémismes, la tendance péjorative, le devoir d’expressivité et les thèmes
obsessionnels. Dans cette catégorie, nous sommes plutôt d’avis que l’expressivité et la
tendance péjorative entrent dans notre catégorie appelée causes communicationnelles. Les
tabous, euphémismes et thèmes obsessionnels entrent très certainement dans notre catégorie
des causes socioculturelles.
La seconde grande catégorie de Nyckees qui regroupe les causes formelles (contiguïté
formelle, attractions paronymiques, conflits homonymiques, anticipation des pannes
linguistiques) identifiées par l’auteur sont pour la plupart acceptées dans notre catégorie des
causes linguistiques à l’exclusion des figures classiques de la rhétorique desquelles nous
nous sommes déjà dégagées au chapitre 2 2. Nous excluons également les conflits
homonymiques de cette catégorie puisque nous sommes d’avis qu’il s’agit plutôt de types
2
Revoir chap. 2 pp. 47, 63-64, 73.
189
de polysèmes tels que démontré au chapitre 3. Pour ce qui est de l’anticipation des pannes
linguistiques, nous croyons que la résolution se fait naturellement en contexte, ce qui
explique que nous ne l’aborderons pas spécifiquement.
5.3.
Notre modèle de la variation terminologique
Dans notre introduction, nous avons présenté notre conception de la variation
terminologique comme un modèle à trois composantes. Nous revenons donc sur ce modèle
avant de présenter les causes de cette VT.
Schéma 1.
La variation terminologique : un modèle à trois composantes
Notre schéma se divise donc en trois composantes : la variation dénominative, la variation
conceptuelle et la variation polysémique.
190
Dans la première composante, l’accent est mis bien entendu sur le signifiant revêtant
plusieurs formes différentes pour exprimer un m ême signifié (avec différents degrés de
nuances selon les situations de communication). Ainsi, une forme (une dénomination) porte
en elle une valeur qui lui est conférée par le contexte et le cotexte. La variation
dénominative est le phénomène de la variation terminologique le plus visible, le plus facile
à observer dans la réalité. Les textes foisonnent de variantes dénominatives, les
dictionnaires les recensent, il est donc facile de décrire ce phénomène. Là où la difficulté
est plus élevée, c’est lorsqu’il s’agit d’observer et d’identifier les phénomènes de variation
conceptuelle et de variation polysémique. Ces deux phénomènes ne peuvent pas être
relevés par les outils linguistiques 3, dans un premier temps, ce qui rend plus difficile leur
analyse, mais peuvent l’être par une observation directe minutieuse. Ainsi, grâce à n os
recherches manuelles et à nos lectures de ces phénomènes (différents des phénomènes de
variation dénominative et davantage à relier au niveau du c oncept et du s ignifié), nous
avons pu dégager ces deux catégories de variantes terminologiques.
Nous souhaitons maintenant expliquer nos choix terminologiques des adjectifs conceptuel
et polysémique dans notre modèle. Nous aurions pu les dénommer variante perceptuelle et
variante sémantique. Mais selon nous, les termes variante conceptuelle et variante
polysémique permettent de représenter la distinction qui se fait au niveau du s igne et du
référent plus facilement au premier coup d’œil. Par ailleurs, ces termes sont plus précis.
Une variante sémantique pourrait englober tous les phénomènes impliqués (glissements de
sens, extension et restriction de sens, métaphorisation, métonymie) alors que le terme
variante polysémique rend bien compte d’un résultat et non d’ un processus. En effet, la
variante polysémique est le résultat d’un processus de polysémisation. Par ailleurs, il nous
permet d’effectuer une distinction claire entre le concept et le signifié. Le concept étant
situé au niveau cognitif, au niveau de la représentation de la pensée, sous la forme d’une
image mentale alors que le signifié se situe au niveau du s ens, donc du signifié reconnu
socialement comme résultante d’un processus d’évolution sémantique et sociale, recensé
3
Nous nous référons ici aux outils de dépouillement tels que les extracteurs terminologiques.
191
dans les textes, les banques de terminologie ou dans les dictionnaires après une période de
flou conceptuel ou de lancement, c’est-à-dire après la création d’un mot nouveau.
D’autre part, l’utilisation du t erme variante polysémique nous a permis de garder un l ien
tangible entre le processus de métaphorisation terminologique et notre théorie de la
polysémisation. Ainsi, nous sommes en mesure de présenter ces liens dans un tout cohérent
et transparent, donc totalement motivé de notre part.
5.4.
Liens entre la typologie de la néologie et le modèle de la variation
terminologique
Au chapitre 4, nous avons expliqué la typologie de la néologie et les réflexions entourant
cette sphère d’activité. Il nous est maintenant possible d’établir des liens directs entre la
typologie de la néologie et le modèle de la variation terminologique à trois composantes.
Si nous reprenons l’idée du continuum de la socio-diffusion (Gambier 1991 : 13), que nous
avons nommé à quelques reprises dans cette thèse, il va de soi que la phase préalable à
l’éclatement de la notion est la création du terme-concept. Toute la typologie de la néologie
que nous avons mis au point (présentée au chapitre 4) est donc directement associée aux
types de variation terminologique que nous avons identifiés. Voici un schéma qui exprime
ces relations :
192
Schéma 2.
Incidence entre la néologie et la variation terminologique
NF
NS
NC
NR
VD
VP
VC
VT
Nous allons maintenant décortiquer ce schéma. Tous les types de néologie, qu’ils soient
formel, sémantique, conceptuel ou référentiel correspondent à un t ype de variante
terminologique. Une nouvelle forme, une nouvelle dénomination créée par un néologisme
formel engendrera directement une nouvelle variante dénominative 4. Un néologisme
sémantique créera à son tour une variante polysémique, un né ologisme conceptuel une
variante conceptuelle et un néologisme d’actualité une variante terminologique (les trois
types seraient envisagés).
Ces liens entre les deux pourraient aussi être représentés de la façon suivante (voir schéma
3 à la page suivante).
Il est intéressant de représenter les liens unissant la néologie et la variation terminologique
en gardant toujours un p arallèle avec le signe linguistique. Ainsi, la néologie formelle se
situe au niveau du s ignifiant, la néologie conceptuelle au niveau du concept, la néologie
sémantique au niveau du signifié et la néologie d’actualité au niveau du référent.
4
Bien entendu, en autant que cette forme ait déjà une concurrente formelle en circulation.
(sã) (co) (sé) (rã)
(sã) (co) (sé)
193
Du côté des types de variation terminologique, nous pouvons aussi effectuer ce parallèle.
La variation dénominative se situe au niveau du signifiant, la variation conceptuelle au
niveau du concept, et la variation polysémique au niveau du signifié. Dans notre
conclusion, nous présenterons notre idée du signe linguistique à la lumière de nos présentes
recherches.
Schéma 3.
Liens entre la néologie et la variation terminologique (versus le signe
linguistique)
NEO
NF
NC
NS
NR
VT
VD
VC
VP
194
5.5.
Le modèle des causes de la variation terminologique
Nous avons élaboré un modèle qui rend compte à la fois des causes linguistiques et
extralinguistiques de la variation terminologique. Nous souhaitions intégrer toutes ces
causes dans un e nsemble puisque nous sommes persuadée que chaque élément est
interrelié. Par ailleurs, nous souhaitions que ce modèle explique tant les phénomènes
formels, sémantiques que conceptuels. Il devait pouvoir être utilisé également dans l’étude
de la néologie ou da ns d’autres secteurs linguistiques, tant en langue générale qu’en
langues de spécialité.
Notre modèle est divisé en deux grandes catégories de causes : les causes linguistiques et
les causes extralinguistiques : socioculturelles, cognitives et communicationnelles. Avant
de présenter chacune des causes en détail, nous souhaitons préciser que leurs définitions se
trouvent au point 5.8. Le schéma 5, présenté à la fin du chapitre, permet également de bien
suivre les explications à partir d’ici. Examinons d’abord les causes linguistiques.
5.5.1. Les causes linguistiques de la variation terminologique
Dans cette catégorie, nous recensons tous les procédés de création lexicale, conceptuelle et
sémantique, puisque comme nous l’avons démontré précédemment, la néologie précède
généralement la variation. Elle en est donc, bien souvent, une des causes principales. Dans
la catégorie des causes linguistiques, nous incluons donc les causes proprement formelles,
conceptuelles et sémantiques.
La typologie employée à l’OBNEQ est celle du groupe NEOROM, développée par l’équipe de Maria Teresa
195
Parmi les procédés linguistiques de création lexicale, nous reprendrons ici la typologie
utilisée dans le cadre de nos activités à l’OBNEQ 5, à laquelle nous ajouterons certains
éléments (NC, NS, NR, etc.):
5.5.1.2. Typologie des causes linguistiques
La néologie formelle
dérivation
composition
lexicalisation
conversion syntaxique
syntagmation
siglaison
acronymie
abréviation
variation orthographique
emprunts, calques, adaptations
La néologie conceptuelle et la néologie sémantique
glissements de sens
restrictions et extensions de sens
métaphorisation terminologique
métonymie
circulation des concepts et des sens 6 (LG-LSP; LSP-LG; LSP1-LSP2, etc.)
5
Cabré, directrice de NEOROM (Université Pompeu Fabra, Barcelone).
C’est également l’idée des « concepts nomades » développée par la philosophe belge Isabelle Stengers
196
La contiguïté formelle et les attractions paronymiques
5.5.2. Les causes extralinguistiques de la variation terminologique
Parmi les causes extralinguistiques, nous avons sélectionné trois grandes catégories de
causes : les causes socioculturelles, les causes cognitives et les causes
communicationnelles. Nous les situons dans un ensemble qui est la réalité, le monde dans
lequel on vit, sur des axes différents. Les causes socioculturelles font partie de la réalité qui
nous entoure, laquelle influence à la fois les causes linguistiques et les deux autres types de
causes extralinguistiques : cognitives et communicationnelles (voir schéma 5).
Si nous représentons l’ensemble comme un rectangle bien délimité, la réalité est ce grand
ensemble dans lequel nous situons les causes socioculturelles englobant tout ce qui touche
la réalité en général, toutes les sphères de la vie telles que la vie économique et politique,
les innovations techniques et scientifiques, l’industrialisation, les thèmes d’actualité (un
peu dans le même ordre d’idées que les thèmes de prédilection ou obs essionnels de
Nyckees), c’est-à-dire tout ce qui préoccupe une société à un m oment donné de son
histoire. Dans cette catégorie entre tout ce q ui concerne la vie donc également les
phénomènes de mode, comme l’américanophilie à notre ère, ou les grands bouleversements
de l’environnement, la musique, l’histoire, la culture, etc.
Sur un a xe horizontal, nous situons les causes communicationnelles représentant donc
l’utilisation de la langue comme outil privilégié de communication entre les être humains,
6
(1987) lorsqu’elle parle du transfert des concepts d’une science à l’autre.
197
les influences que les acteurs de la communication peuvent avoir sur la langue dans leur
usage de cette dernière.
À un ni veau abstrait, sur un a xe vertical, nous identifions les causes cognitives. Elles
représentent tout ce qui se fait à un niveau conscient ou inconscient de la pensée humaine
où l’aspect psychologique a un r ôle important à jouer. Ces phénomènes peuvent être
d’ordre individuel et collectif. C’est également à ce niveau que se situe tout ce qui touche le
concept, la matérialisation de la pensée humaine et la représentation de la réalité, qui
peuvent être différente d’une personne à l’autre, d’un groupe à l’autre; ce qui explique donc
l’influence que ces phénomènes cognitifs peuvent avoir sur l’être humain, sur les acteurs de
la communication et donc sur leur langage. Les aspects cognitifs sont également fortement
influencés par les aspects socioculturels et par les aspects communicationnels. Ces causes
sont toutes interreliées et ont chacune leur rôle à jouer dans l’explication des phénomènes
de variation terminologique.
Bien entendu, les causes linguistiques présentées précédemment sont aussi influencées par
ces causes extralinguistiques et vice-versa. La langue n’existe pas en dehors de la réalité ni
des êtres humains et de leur manière de concevoir le monde.
5.6.
Application du modèle avec l’exemple du développement durable
Nous souhaitons donner des exemples concrets de notre modèle afin d’illustrer chaque
catégorie de causes à p artir d’une même thématique. À cette fin, nous avons choisi le
domaine du développement durable. Les néotermes utilisés dans cet exercice d’illustration
Voir les explications au sujet de ce projet dans le chapitre 4.
Nous donnons les définitions adoptées par le gouvernement provincial et fédéral; lesquels s’appuient sur les
Commission mondiale sur l’environnement et le développement, ce rapport intitulé Notre avenir à tous est
Nous sommes consciente que cette définition n’est pas parfaite sur le plan terminologique, mais c’est
Site de Santé Canada, Développement durable, Définition sur le développement durable, [En ligne],
198
proviennent de la BDI de l’OBNEQ, projet que nous avons réalisé en collaboration avec
l’OQLF au printemps 20107.
Qu’en est-il donc du développement durable? Avant de reprendre chaque section de notre
modèle des causes linguistiques et extralinguistiques de la variation terminologique, nous
souhaitons offrir les définitions les plus répandues8 relatives à cette thématique :
Selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le
développement dans le rapport Brundtland 9, le développement durable est :
« un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la
capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Deux concepts sont inhérents à cette
notion :
le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui
il convient d’accorder la plus grande priorité.
l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la
capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » (Rapport Brundtland
sur le Site du ministère du Développement durable, Québec) 10.
Le gouvernement fédéral canadien a adopté en 2008 la définition suivante dans sa loi sur le
développement durable 11 : « répondre aux besoins actuels sans compromettre la capacité
7
8
instances internationales.
9
soumis à l’Assemblée nationale des Nations unies en 1987 et repris sur le Site du ministère du développement
durable, de l’environnement et des parcs, Développement durable, Définition du développement durable, [En
ligne], http://www.mddep.gouv.qc.ca/developpement/inter.htm , (Page consultée le 18 novembre 2010).
10
celle qui est citée dans les ouvrages de références internationaux. 11
http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/activit/sus-dur/index-fra.php , (Page consultée le 18 novembre 2010).
Relatif à la « science des rapports entre les sociétés humaines et leur environnement naturel » (Réf.
Site Wikipedia, Schéma du développement durable,[En ligne],
199
des générations futures de répondre aux leurs » (Commission mondiale sur l'environnement
et le développement, 1983).
Dans la définition du premier site, deux concepts sont explicités. Ces concepts reflètent les
besoins essentiels d’une part et la façon nouvelle de concevoir notre consommation en tant
qu’être humain sur la planète afin de répondre aux objectifs de la définition globale, soit de
préserver les ressources pour les générations futures d’autre part, donc de s’inscrire dans
une perspective à long terme (d’où l’adjectif durable dans le terme complexe).
Par ailleurs, avant de reprendre les causes, nous souhaitons préciser que le schéma
géonomique 12 expliquant le domaine du développement durable est divisé en trois grandes
sphères : écologique, économique et social. À l’intersection des trois sphères sont identifiés
les qualificatifs suivants : vivable, durable, viable, équitable (voir schéma 4 13).
12
géonomie, Wikipédia).
13
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Sch%C3%A9ma_du_d%C3%A9veloppement_durable.svg , (Site
consulté le 25 novembre 2010).
Explication provenant du site : « Ce schéma a été présenté et diffusé par A. Villain (Géologue), en
1993, lors d'une réunion sur le développement durable à la communauté urbaine de Lille, l'idée
originale semble venir d'un bureau d'étude nommé Re-source. Il reprend les grands thèmes développés
lors de la préparation de la conférence mondiale de Rio (juin 1992). D'autres y ajoutent deux axes:
temps, et espace pour introduire la notion d'effets différés dans l'espace-temps. source : Site UVED
(Université virtuelle environnement et Développement durable).
200
Schéma 4.
Schéma géonomique du développement durable
À partir d’ici, nous présenterons chacune des causes de notre modèle en nous appuyant sur
des exemples concrets et récents du développement durable. Nous commencerons notre
démonstration par les causes socioculturelles, poursuivrons avec les causes cognitives et
communicationnelles pour ensuite présenter les causes linguistiques.
5.6.1. Les causes socioculturelles : le développement durable
Dans notre modèle, les causes socioculturelles englobent tout ce q ue concerne la réalité
dans laquelle l’être humain vit, soit les thèmes d’actualité, la vie politique, économique,
sociale, culturelle, l’avancement des technologies, l’environnement, etc. À ce titre, la
thématique du développement durable entre dans plusieurs de ces sous-catégories. Elle se
situe en effet au cœur des préoccupations liées à l’environnement, mais elle est aussi à
201
relier directement aux sphères écologique, économique et sociale comme nous l’avons vu
précédemment dans le schéma géonomique. Puis, de par son importance, le développement
durable constitue un thème d’actualité pour l’ensemble des êtres humains sur la planète.
À la lumière de ces informations, il n ous est facile de concevoir combien ce s ujet et ces
causes socioculturelles jouent un r ôle important dans notre modèle; lesquelles ont une
incidence sur toutes les autres causes. Commençons par voir en quoi elles se répercutent
notamment sur les causes cognitives.
5.6.2. Les causes cognitives : le développement durable
Parmi les causes cognitives de la VT, nous avons énuméré l’aspect psychologique
conscient ou i nconscient (individuel ou c ollectif), la représentation de la réalité qui peut
être différente selon chaque individu ou groupe (écoles de pensée, flou conceptuel, etc.).
À ce niveau, l’explication des deux concepts que nous avons présentés un peu plus haut
revêt toute son importance, car dans la conceptualisation même du développement durable
se recoupent ces deux concepts, ces deux préoccupations. Ces derniers sont ceux qui sont
présentés officiellement sur papier, mais dans la réalité, lorsqu’on s’intéresse au
développement durable, qu’on lit un peu sur le sujet et qu’on observe ce qui se passe autour
de nous, le thème du d éveloppement durable regorge de concepts plus ou m oins bien
définis ou délimités. Ce flou conceptuel s’explique notamment par la relative nouveauté de
cette conception différente de la planète, de cette représentation nouvelle qui exige de
nouvelles façons de consommer, de récupérer, de planifier et de traiter notre
environnement. Toute cette nouvelle conceptualisation amène de nouveaux comportements,
de nouvelles techniques, de nouveaux procédés et de nouveaux coûts; lesquels se voient
202
ensuite dans les néotermes apparaissant pour les désigner, les dénommer. C’est pourquoi il
existe, entre autres, beaucoup de néologismes conceptuels et d’actualité dans ce s ecteur.
Ceux-ci engendrent donc beaucoup de variation terminologique. Nous le verrons très
concrètement à l ’aide d’exemples dans les causes linguistiques. Bref, toute l’activité du
développement durable exige énormément de l’être humain, sur le plan cognitif, pour
s’adapter à représenter ces nouvelles façons de concevoir l’avenir de sa planète. C’est donc
là une cause très importante de la VT. Regardons maintenant comment les causes
communicationnelles peuvent à leur tour prendre part à ce cycle de causes.
5.6.3. Les causes communicationnelles : le développement durable
Si nous reprenons l’ensemble, rappelons-nous que notre modèle entre dans une perspective
de la réalité où sont situées au premier plan les causes socioculturelles. Ensuite, sur l’axe
vertical se situent les causes cognitives et sur l’axe horizontal les causes
communicationnelles. Ainsi, la communication, au cœur de l’activité humaine, est
essentielle aux échanges entre les humains et leurs organisations. Dans une perspective du
développement durable, cette activité prend tout son sens. De nombreux rapports ont été
rédigés sur le sujet, glossaires, sites web de toutes sortes, etc. C’est donc dans cet échange,
à l’intérieur de ces communications qu’il nous est possible d’observer toute l’activité
linguistique qu’a générée le développement durable, mais avant même d’observer les
causes linguistiques, nous souhaitons mentionner que l’être humain, en tant qu’acteur de la
communication, crée lui-même toute cette activité linguistique. C’est pourquoi les causes
communicationnelles sont centrales. Ainsi, il faudra bien décrire ces nouveaux procédés,
ces nouveaux produits, ces nouvelles techniques engendrés par la nouvelle façon de gérer
l’environnement dans la perspective du développement durable.
203
Certains organismes présentent donc leur propre conception du développement durable, il
en va de même pour les ministères ou c ertains groupes; ce qui augmente les
conceptualisations différentes, lesquelles présentent souvent des dénominations différentes.
Ainsi, de nouveaux termes sont crées, de nouvelles variantes voient le jour. Ces
phénomènes de variation terminologique sont donc hautement attribuables aux échanges
entre les acteurs du développement durable rencontrés dans ce secteur. Nous pourrons donc
désormais représenter la majorité des types de néologismes ou de termes identifiés dans les
causes linguistiques.
5.6.4. Les causes linguistiques : le développement durable
Avant de regarder attentivement les exemples linguistiques, il est important de rappeler que
la langue a été créée par l’homme afin de pouvoir communiquer, il serait donc impossible
d’imaginer les causes linguistiques en dehors de l’être humain et de la réalité qui l’entoure.
Si les formes, concepts ou sens linguistiques s’influencent, c’est aussi parce que dans sa
manière de penser, l’être humain peut faire des liens, des associations cognitives, donc il est
primordial aussi de les relier directement aux causes cognitives, qu’elles soient conscientes
ou inconscientes. Une fois cette précision faite, commençons par regarder la néologie
formelle.
Dans le domaine du dé veloppement durable, les néologismes formés par dérivation sont
très nombreux. Les préfixes les plus utilisés sont bio-, éco-, agri-, agro-, hydro-, etc.
Nous pouvons donc citer en exemples les néotermes suivants : écocentré (adj.),
agrocombustible, bioamplifier (dérivé et calqué d’un nom propre anglais), décarbonisation,
etc.
204
Dans le cas des compositions, la majorité des néotermes rencontrés ont comme concurrents
des dérivations, ce qui engendre beaucoup de variantes dénominatives. Voici des
exemples : éco-activité et écoactivité, éco-certification et écocertification, éco-
consommateur et écoconsommateur, éco-cité et écocité, etc.
Ces phénomènes sont très présents et engendrent directement de la variation
terminologique, dès leur création.
Certains néotermes composés n’ont pas encore de concurrents formés par dérivation, mais
rien n’empêche l’apparition de variante dénominative de tout type, par exemple, condo-vert
et habitat vert ou bonus-malus écologique versus bonus/malus écologique.
Du côté de la siglaison, il en va de même, si un terme complexe est créé, ce dernier étant
souvent trop long, l’être humain va avoir tendance à le doter d’un sigle pour favoriser la
communication (principe d’économie linguistique), ce qui engendre aussi automatiquement
de nouvelles formes de variantes dénominatives : ACCV / analyse des coûts du cycle de vie,
ACV / analyse du cycle de vie, CCGI / cycle combiné à gazéification intégrée,
développement durable / DD, consommation durable / CD, etc.
Les mots-valises présents sont par exemple : agrinergie (formé à partir d’agriculture et
d’énergie; désigne un type d’énergie solaire exploité dans la culture des sols agricoles),
écolomie (de économie et écologie; désigne l’économie d’énergies), biochar (adapté en fait
du néologisme anglais bio- + charcoal (charbon de bois) pour lequel on r etrouve les
variantes dénominatives charbon vert et agrichar (appliqué plus spécifiquement aux sols
agricoles) et consom’action (dont la variante dénominative est consommation responsable
et dont le terme consom’acteur a été dérivé).
205
Pour les abréviations, nous pouvons donner quelques exemples intéressants : déclaration
environnementale de produit / déclaration environnementale, déchet radioactif de haute
activité et à vie longue / déchet HAVL, plan climat territorial / plan climat.
Les variantes orthographiques ont déjà été illustrées avec les variantes de trait d’union
entre les néotermes formés par dérivation ou par composition tels qu’écoguide / éco-guide,
éco-ingénierie / écoingénierie, etc.
Les cas de syntagmes sont également très nombreux dans le secteur du dé veloppement
durable et ils ont souvent des variantes dénominatives (sigles ou a utres syntagmes) :
bâtiment résidentiel vert, approche zéro carbone, approche zéro déchet, aménagement
durable, énergie solaire photovoltaïque, etc.
Voici quelques exemples de variantes dénominatives avec des syntagmes : bâtiment passif /
habitat passif, taxe carbone / contribution climat-énergie, énergie thermique océanique /
énergie thermique des mers / énergie thermique des océans, etc.
En ce qui concerne la conversion syntaxique, nous n’avons pas d’exemples du
développement durable, mais nous pouvons en citer quelques-uns provenant de la BDI de
l’OBNEQ tels que éolien (n.m. conversion de l’adjectif), retombante (n.f. conversion de
l’adjectif; désigne une plante), virtuel (n.m. conversion de l’adjectif; en parlant du monde
des jeux vidéos), etc.
Puis, nous avons deux exemples de lexicalisation de noms propres. Le premier est un
véritable cas de lexicalisation, il s’agit du néoterme fordiste (d’après Henry Ford et son
modèle de relation au travail dans la création d’entreprise). Le deuxième exemple est en
Réf. Par méton., sous « vert» au TLFi.
206
réalité une composition et une variante dénominative basées sur une lexicalisation au
préalable de la base du néoterme : post-kyoto qui a la variante dénominative après-kyoto.
Regardons maintenant les néologismes conceptuels et sémantiques rencontrés dans ce
secteur. Du côté de la métonymie, nous pouvons accorder une mention spéciale à tous les
néotermes qui ont été créés avec l’ajout de l’adjectif vert à une base. En transposant un
qualificatif de lieu (sous-entendu « couvert de végétaux, de verdure »14) à un état de fait
écologique, ce processus métonymique permet de créer une grande série de termes du
domaine du développement durable : croissance verte, investissement vert, dépense verte,
logement vert, cadastre vert, certificat vert, électricité verte, consumérisme vert, etc.
Ces créations métonymiques sont prolifiques dans le domaine du DD et de l’environnement
en général.
Du côté des glissements de sens et de la circulation des concepts et des sens, nous
pouvons citer l’exemple du néoterme actif naturel. Il s’agit d’un bon exemple de
glissement de sens et de circulation entre langues de spécialité. Son sens provient d’abord
de l’écologie, ensuite il est passé à l ’environnement et finalement au développement
durable. Son sens s’est adapté et modulé aux besoins et nécessités de description de ces
secteurs. Il est notamment employé comme variante dénominative du terme éco-système.
Les emprunts à l’anglais ne sont pas nombreux, ce qui signifie que le secteur du
développement durable se renouvelle bien en français (il serait donc un dom aine
renouveleur tel que nous l’avions expliqué au chapitre 4). Les quelques emprunts à
l’anglais rencontrés sont air sparging (dont l’équivalent et la variante dénominative est
barrière de barbotage à l ’air), carbon free (qui signifie « sans émissions de gaz
14
Pelletier, J., OBNEQ (9 juin 2010), Rapport remis à Mme Danielle Turcotte, Projet de néologie.
207
carbonique », l’OBNEQ 15 avait proposé l’équivalent et la variante dénominative carbone
zéro) et nimby (acronyme anglais à l a base qui veut dire « Not In My Back Yard ») dont
l’équivalent semble être la locution « pas dans ma cour ».
Le calque éco-sympathique (de éco-friendly) est plutôt efficace et les adaptations suivantes
sont bien implantées également : aire biologique productive, classement écologique des
terres, zone de transition.
15
Développement durable, Québec, OQLF, 22 p.
Cf. Définitions de cause provenant du TLFi et GR 2005, autres définitions adaptées de ces deux ouvrages
208
5.7.
Les définitions des notions des causes de la variation terminologique
Causes
« Ce qui produit un effet 16 » L’effet étant ici la variation terminologique.
Causes communicationnelles
Causes liées à la situation de communication entre les acteurs (émetteurs-récepteurs).
Causes socioculturelles
Causes liées à un groupe humain, à ses structures sociales et à sa culture.
Causes cognitives
Causes liées aux mécanismes d’acquisition des connaissances.
Causes linguistiques
Causes liées au langage et à l’interaction des langues.
16
de référence.
209
5.8.
Conclusion
Nous avons pu dé montrer dans ce ch apitre, à l’aide d’exemples concrets et actuels,
comment le modèle des causes pouvait s’appliquer à l ’analyse des phénomènes
socioterminologiques. Nous sommes également d’avis que ce modèle peut s’adapter et
s’appliquer facilement à tout phénomène linguistique. En effet, nous croyons que les
phénomènes de variation en langue générale ne sont pas différents des phénomènes
observés en LSP.
Ainsi, nous avons pu établir des liens importants entre les types de néologismes et les types
de variantes terminologiques. Le modèle des causes permet de comprendre les mécanismes
en cours dans l’apparition de nouvelles variantes terminologiques. Comme la création de
nouveaux mots, concepts et sens précède généralement la variation terminologique, les
causes sont imbriquées dans un ensemble qui forme un tout cohérent. Étudier les causes des
variantes terminologiques permet de mieux décrire ces variantes, d’en comprendre
l’origine, le processus, le résultat et surtout, d’avoir une vision plus complète de chacune
d’elle. Situer la variation terminologique dans une perspective linguistique, mais aussi
extralinguistique est très avantageuse puisque, sans cet apport, certains phénomènes
n’auraient pu ê tre observés. Les variantes conceptuelles et sémantiques se détectent
uniquement à l a lecture manuelle des textes, en décodant l’information qui y circule. Or,
afin de bien décoder cette information, il faut obtenir une vision contextuelle qui va au-delà
du cotexte. C’est exactement ce que les causes extralinguistiques peuvent offrir dans
l’analyse de ces variantes.
Tout comme les types de domaines néologiques proposés peuvent servir à la description
des variantes terminologiques impliquées dans un domaine en particulier. Par exemple, les
néotermes du développement durable ont permis de comprendre qu’il s’agissait d’un
210
domaine renouveleur. Ces informations permettent aussi une meilleure description des
phénomènes.
Le fait que le développement durable soit un secteur au cœur de trois disciplines carrefour
(écologie, économie, sociologie) permet d’expliquer une grande partie des phénomènes
rencontrés. En effet, dans cet exemple, les causes socioculturelles ont permis de mettre en
lumière : 1. la circulation de nombreux termes-concepts, empruntés souvent à l’une des
trois disciplines carrefour, puis adaptés ensuite au DD; 2. la provenance de la majorité des
préfixes utilisés dans les néotermes formés par dérivation; 3. les particules de mots ayant
servi à la création des mots valises sont aussi majoritairement à cheval sur ses trois
disciplines. Les causes cognitives permettent de comprendre les néologismes conceptuels et
d’actualité, lesquels conduisent souvent à la variation conceptuelle. Les conceptions
différentes du secteur, lesquelles sont encore en train de se définir, ont expliqué la présence
d’une bonne quantité de variantes dénominatives. Puis, les besoins communicationnels,
dans tous les échanges engendrés, ont permis de comprendre la forte proportion de sigles,
créés pour abréger les longs termes complexes du domaine. Les causes linguistiques ont
permis de décortiquer le processus interne impliqué dans la création des néologismes et des
variantes. L’ajout de l’adjectif vert par métonymie à de nombreuses bases dans le DD est
un processus linguistique intéressant dans la création de nombreux termes complexes.
Ceux-ci sont détectés comme néologismes formels et sémantiques, lesquels conduisent
souvent à de la variation dénominative et polysémique.
Nous sommes donc convaincue que ce modèle pourra mettre en lumière de nombreux
phénomènes linguistiques (non seulement les variantes dénominatives, mais aussi les deux
autres composantes de notre modèle). Un jumelage des causes linguistiques et
extralinguistiques dans l’analyse des variantes terminologiques permet une analyse plus
profonde et plus complète de leur existence. Bien entendu, nous ne prétendons pas
réinventer la roue, mais nous souhaitons apporter une pierre à l’édifice de l’étude de la
variation terminologique. Nous croyons que ce modèle y contribue.
211
Schéma 5.
Modèle des causes de la variation terminologique
Causes de la variation terminologique
Réalité (rã)
Causes socioculturelles
Émetteurs
Causes linguistiques
Récepteurs
Langue
(LSP, dialectes) Outil de
communication
Signe (sã-sé)
Axe horizontal : causes communicationnelles
Outils et acteurs de la communication
Axe vertical : causes cognitives
Matérialisation de la pensée – concept (co)
Le chapitre 6 : Conclusions
212
6.
Conclusions
Cette thèse de doctorat nous a permis de pousser la description théorique de la variation
terminologique un pe u plus loin. Les points majeurs que nous avons développés sont : le
modèle de la VT avec l’ajout de deux composantes (la variante conceptuelle et la variante
polysémique), le modèle d’analyses des causes de la VT, les sphères métaphoriques, la
typologie de la néologie, la fragmentation des domaines néologiques, la catégorisation de
nouveaux types de néologismes (conceptuels et référentiels), la description des critères de
la néologicité, la théorie de la polysémisation.
Nous reviendrons, maintenant, chapitre par chapitre, sur les éléments essentiels de notre
apport.
Chapitre 1
Au chapitre 1, nous avons pu dr esser un bi lan des travaux portant sur la première
composante de notre modèle, soit la variante dénominative. Nous avons fait le point sur les
différentes approches de la variation terminologique. En effet, le tableau récapitulatif a
permis de comprendre ce qui était au cœur de chacune de ces approches, ce qui les unissait
ou les distinguait. Nous avons pu compléter les classements précédents en ajoutant les
approches culturelle, fonctionnelle, sémantique et diachronique de la terminologie. Nous
croyons que ce tableau pourra être très utile dans l’enseignement de la terminologie et qu’il
pourra servir de point de départ à de nouvelles recherches aux cycles supérieurs, puis que
d’autres pourront le compléter, à leur tour, au fur et à m esure que les recherches
avanceront. Aussi, nous avons remis en perspective l’approche descriptive versus
l’approche normative et replacé chacune d’elles dans leur contexte. En définitive, chacune a
sa raison d’être, il suffit de ne pas confondre les objectifs à atteindre. Cependant, afin de
contribuer à l ’avancement des recherches en terminologie, il faut absolument adopter
d’abord une approche descriptive des phénomènes afin de bien les recenser, comprendre et
213
définir. En principe, l’intervention humaine d’un organisme externe devrait se faire après
cette étude objective et descriptive, ce qui favoriserait une meilleure prise de décision, une
meilleure orientation de l’usage.
Puis, en présentant la typologie et les causes de la variation dénominative de Freixa, nous
avons établi un portrait plutôt complet de la variation dénominative et plus que tout, nous
avons jeté les bases de nos réflexions qui allaient se conclure au chapitre 5 avec le modèle
des causes de la VT. Les travaux de Freixa sur la variation dénominative en terminologie,
jumelés à ceux de Nyckees sur la sémantique, ont été une grande source d’inspiration pour
le modèle des causes de la VT. En effet, l’apport de la sémantique a été considérable dans
l’analyse des deux autres composantes de notre modèle : la variation conceptuelle et la
variation polysémique. Ces apports dans la description des phénomènes de variation
terminologique sont importants et ont permis de développer un tout cohérent avec les types
de néologismes, la fragmentation des domaines néologiques et le modèle des causes de la
VT.
Chapitre 2
Au chapitre 2, nous avons décrit le processus de la métaphorisation terminologique comme
étant un pr ocessus hautement cognitif et conceptuel aboutissant directement à de la
variation polysémique. Afin de décrire les mécanismes mis en œuvre dans le processus de
la métaphorisation, nous avons opté pour une approche diachronique et étymologique.
Notre point de départ a été l’article d’Assal. Nous avons fait une adaptation visuelle en
sphère métaphorique de sa théorie pour ensuite nous en dégager et présenter notre propre
modèle d’analyse. Les sphères métaphoriques ont permis d’expliquer que tant le premier
sens attesté dans les ouvrages dictionnairiques que les sens subséquents pouvaient faire
l’objet d’un transfert pour construire l’analogie de la métaphore. Il est intéressant de se
détacher aussi de la rhétorique classique, de préciser que la métaphore terminologique ne
fait pas que dire autrement les choses, mais qu’elle détient le pouvoir de les penser et de les
concevoir autrement. Tout comme Lakoff et Johnson, Basilio, etc. l’avaient démontré
214
antérieurement, la métaphore relève du plan cognitif. En effet, nos exemples ont pu
démontrer que la métaphore opère là où l’analogie est apte à évoquer tout changement.
Le processus même de la métaphorisation terminologique est très intéressant puisqu’il
permet de voir à quel point l’aspect cognitif et conceptuel est au cœur des phénomènes de
variation terminologique, ce qui nous permet d’établir une corrélation avec les deux
composantes de notre modèle : la variation conceptuelle et la variation polysémique. Par
ailleurs, une combinaison des approches étymologique et diachronique a permis d’établir
un lien important avec la distinction que nous avons faite entre l’homonymie et la
polysémie au chapitre 3. Cette perspective a permis de mettre en lumière le cumul des sens,
qui est un point central de notre proposition d’une théorie de la polysémisation et de notre
argumentation en faveur de la motivation du signe linguistique. En définitive, la
métaphorisation terminologique conduit à d e la polysémie, laquelle engendre directement
notre troisième composante : la variante polysémique. La métaphorisation est le processus
actif, cognitif; la variante polysémique, la manifestation linguistique de ce processus, le
résultat.
Chapitre 3
Au chapitre 3, les questions de polysémie ont été traitées en détail. D’abord, nous tenions à
préciser qu’il est faux de croire que les langues de spécialité sont monosémiques. Elles sont
tout autant polysémiques que la langue générale. Cette mise au point s’imposait. Par
ailleurs, nous avons comparé la polysémie à l’homonymie pour les décrire complètement
avant de se prononcer en faveur d’une théorie de la polysémisation. Nous avons démontré
que les critères classiques employés généralement pour distinguer l’homonymie de la
polysémie sont relatifs et arbitraires. Ainsi, la tendance homonymiste versus polysémiste
relève davantage d’un choix idéologique ou é ditorial selon nous. L’homonymie tout
comme la monosémie n’est certes pas un processus naturel de l’évolution de la langue,
mais plutôt un choix en vertu d’objectifs à atteindre qui peut permettre, dans certaines
situations, une gestion de ces phénomènes de langue. En revanche, la synonymie et la
215
polysémie sont des phénomènes naturels de l’évolution de la langue. En effet, elles
représentent la situation de tous les termes de la langue. Toutes ces considérations nous ont
amenée par la suite à proposer une théorie en faveur de la polysémisation.
Avant d’exposer notre théorie, nous avons fait la revue des travaux sur les changements de
sens. La sémantique apporte une dimension intéressante à la description de notre troisième
composante : la variante polysémique. À partir des travaux de Bréal, Ullmann, Darmesteter
et Nyckees, nous avons pu poser les bases de notre théorie de la polysémisation ainsi que
comprendre la logique de notre variante polysémique.
Nous avons également fait la démonstration de notre deuxième composante, la variante
conceptuelle, à l’aide de l’exemple de matière résiduelle. Elle peut être perçue tant comme
une matière à éliminer qu’une matière à valoriser selon l’usage qu’en font les locuteurs. Le
phénomène de la variation conceptuelle s’explique notamment par les nouvelles
conceptions des matières en fonction des énergies renouvelables. Cette hypothèse a
d’ailleurs été validée par la suite aux chapitres 4 e t 5 l orsque nous avons utilisé des
exemples du développement durable. Cette exemplification nous a conduite, par la suite, à
présenter le classement de Nyckees sur les changements de sens. Parmi eux, nous avons
pu présenter les « thèmes obsessionnels » qui se sont traduits, dans notre proposition, par
les « domaines d’actualité », lesquels permettent d’expliquer, entre autres, les causes des
phénomènes de création lexicale et de variation terminologique. Par ailleurs, la présentation
du classement de Nyckees nous a permis, au chapitre 5, de faire des liens entre les causes
identifiées par Freixa et notre modèle des causes de la variation terminologique.
Ce chapitre nous permet de replacer l’étude des phénomènes de variation terminologique
dans une perspective socioterminologique et communicationnelle. Le socio- de
socioterminologie prend tout son sens à travers la description de la variation conceptuelle et
polysémique. Nous sommes allée à l’essence même de l’approche socioterminologique en
216
étudiant les causes mises en œuvre dans la description de chacune des composantes. Puis,
finalement, nous avons pu présenter notre proposition d’une théorie de la polysémisation.
Les prémisses de départ sont même inhérentes à toute observation terminologique qui soit,
pas seulement à la polysémie : le détachement de la rhétorique classique et la prise en
compte du contexte et du cotexte. L’ajout des quatre critères (l’analyse diachronique et
étymologique, la sédimentation et le cumul des sens, la motivation et la base cognitive des
termes) offre une analyse plus complète des phénomènes de polysémie. Cette proposition
s’harmonise parfaitement avec les idées que nous avons avancées tant dans les chapitres
précédents que dans les chapitres suivants : les causes de la variation dénominative, le
pouvoir cognitif de la métaphore, les critères de néologicité (en diachronie) pour
l’observation des néologismes conceptuels et référentiels, le domaine d’actualité, le modèle
des causes de la VT.
Finalement, nous avons présenté la chaîne de la polysémie, un cycle suivant son cours, dans
lequel les acteurs de la communication et la situation de communication jouent un rôle
central. C’est là que la perspective communicationnelle de la terminologie peut s’avérer
extrêmement révélatrice des phénomènes de VT.
Chapitre 4
Au chapitre 4, nous avons présenté nos réflexions sur la néologie puisque celle-ci est une
des causes importantes des phénomènes de variation terminologique. Nous avons privilégié
les termes néoterminologie et néoterme pour les LSP afin de les distinguer de néologie et
néologisme en langue générale. Nous avons rejeté les termes proposés par Rondeau
(néonymie et néonyme) puisque nous ne les trouvions pas assez motivés et transparents.
Nos observations en néologie nous ont poussée à créer deux nouvelles catégories de
néologismes : le néologisme conceptuel et le néologisme référentiel. Ces types de
néologismes sont riches d’enseignement sur l’évolution des concepts et des choses. Ils
offrent une toute nouvelle perspective sur l’étude néologique et dévoilent un pan d’histoire
de la société. Par ailleurs, le néologisme conceptuel est intimement lié à la variante
217
conceptuelle. Le néologisme référentiel (d’actualité) peut conduire à plusieurs types de
variantes terminologiques également, en plus d’être lié au domaine d’actualité qui explique
un grand nombre de phénomènes néologiques et variationnels.
Par la suite, nous avons précisé le concept de néologicité et nous l’avons scindé en quatre
catégories. La première est implicite à tous les types de néologismes : le sentiment de
nouveauté. Ce critère fait appel à l’intuition du l inguiste pour relever les néologismes et
réfère au sentiment de nouveauté que peut ressentir le locuteur en voyant un mot. Le second
critère existait déjà, il était basé sur la datation et la lexicalisation dictionnairique, sur une
tranche synchronique de 5 à 10 ans. Celui-ci permet de déceler les néologismes formels et
sémantiques. Dans le cas des néologismes conceptuels et référentiels, les deux critères de
néologicité que nous avons créés sont en fait basés sur l’analyse cotextuelle et contextuelle
en diachronie. C’est là un apport considérable.
Aussi, nous avons fragmenté les domaines néologiques en quatre types. Tout d’abord, le
domaine néologique étant le domaine générique des trois autres. Ensuite, nous avons créé le
domaine renouveleur, celui-ci permet de cibler des domaines où l e principe
d’autorégulation dans la langue d’usage s’observe facilement, puis le domaine résistant, qui
à l’opposé nécessite une intervention d’un organisme externe pour stimuler la langue
d’usage et tenter de remplacer une grande quantité d’emprunts. Finalement, nous avons
créé le domaine d’actualité qui peut engendrer tous les types de néologismes et qui permet
de comprendre les moments forts de la société au moment de la création lexicale. Ce
domaine est particulièrement instructif et révélateur de l’histoire des mots et des objets.
Nous avons également remis à jour les définitions des concepts entourant toute l’activité
néologique. Au total, quatorze termes-concepts ont fait l’objet d’une définition minutieuse
et précise. Chaque type de néologismes a p u être illustré largement grâce aux exemples
actuels et évocateurs des domaines d’actualité sélectionnés soient le développement
218
durable, le 400e anniversaire de la ville de Québec et le débat entourant la question des
accommodements raisonnables. Par ailleurs, dans le cas de la néologie formelle, de
nombreux exemples de langue générale ont peu être cités à partir de la base de données de
l’OBNEQ. Nous croyons que cette exemplification riche témoigne d’une application
concrète de ces réflexions théoriques.
Finalement, nous avons pu voir à quel point la néologie recèle un caractère symbolique et
identitaire. Dans certains contextes, notamment en politique, les néotermes peuvent être
utilisés comme des instruments de pouvoir. Les mots créés reflètent la pensée humaine et
offrent une trace indélébile de l’évolution de la société.
Chapitre 5
Au chapitre 5, nous avons démontré les liens qui unissaient la néologie aux causes de la
variation terminologique ainsi qu’aux types de variantes terminologiques. Le tout dans un
ensemble cohérent et complet, avec une vision à la fois linguistique et extralinguistique.
Avant de présenter notre modèle d’analyse des causes linguistiques et extralinguistiques de
la variation terminologique, nous avons présenté un récapitulatif des causes identifiées par
Freixa et Nyckees. Nous avons pris soin de commenter chacune de ces causes, de faire des
liens entre ces deux classements avant de retenir les causes qui allaient servir notre modèle.
Encore une fois, l’approche communicationnelle se veut très présente dans la description de
ce modèle.
Ainsi, notre modèle d’analyse des causes se divise en deux grandes catégories : les causes
internes, c’est-à-dire les influences de la langue que nous avons appelées les causes
linguistiques. Ensuite, nous avons retenu trois causes extralinguistiques : les causes
socioculturelles, qui sont liées au monde qui nous entoure et à la réalité en général; les
causes cognitives qui représentent la façon de penser de l’être humain, laquelle influence
l’outil de communication par excellence de ce dernier : la langue; et en dernier lieu, les
219
causes communicationnelles, qui sont très importantes dans l’échange d’information qui
circule entre les acteurs de la communication. Par ailleurs, nous avons défini ces causes et
surtout, nous les avons explicitées à l’aide d’exemples concrets provenant du s ecteur du
développement durable. Démontrer l’application du m odèle théorique en utilisant des
exemples actuels nous semblait fondamental pour la suite des recherches puisque nous
souhaitons que ce modèle puisse servir notamment dans diverses recherches linguistiques,
terminologiques et néologiques.
Dans ce chapitre, nous avons précisé notre choix terminologique pour les termes variante
conceptuelle et variante polysémique. Les deux termes permettent de faire des liens
évidents avec le signe linguistique. De plus, la variante conceptuelle est liée au néologisme
conceptuel au même titre que la variante polysémique est liée à la métaphore
terminologique (elle en résulte) et à notre théorie de la polysémisation. Nous avons
constamment distingué concept et signifié. Pour nous, ces deux concepts font partie
intégrante du signe linguistique. Le signe est pour nous totalement motivé, tant en néologie
qu’en terminologie ou en linguistique générale.
L’amalgame des causes linguistiques et extralinguistiques offrent une analyse plus
complète et profonde des phénomènes de variation terminologique. De plus, les causes
extralinguistiques justifient la pertinence de l’approche communicationnelle et
socioterminologique.
220
Perspectives
Nous souhaitons que ces modèles puissent servir dans l’application de recherches futures et
dans la poursuite de la description des phénomènes de la variation terminologique. Si notre
apport peut servir de point de départ à de futurs chercheurs, ce sera là déjà un grand pas.
Nous souhaitons également que notre description des approches de la terminologie et des
composantes puisse servir dans le cadre de la formation de la terminologie. L’enseignement
de la terminologie se fait souvent dans l’ombre des profils traductionnels, rédactionnels,
mais à quand un programme de terminologie complet dans les universités? Ce serait là un
autre de nos souhaits. Sans prétention, nous avons soutenu nos hypothèses et notre vision
de la terminologie dans l’espoir de mettre le doigt sur des phénomènes très intéressants, qui
pourront en inspirer d’autres.
Pour notre part, nous souhaiterions poursuivre les recherches dans la description du signe
linguistique. Nous aimerions étudier davantage le rôle du c oncept et du référent dans le
signe, puis nous intéresser particulièrement à la motivation des termes. Nous avons pu faire
la démonstration dans cette thèse que le signe est totalement motivé, tant lors de la création
lexicale que dans le cadre d’un processus de métaphorisation; ce qui nous amène à croire
qu’il l’est fondamentalement. En définitive, nous pourrions soulever cette question : « Est-
ce que parce que nous n’avons pas toutes les réponses que tout est défini ou immuable? ».
Comme le disait Pottier : « L’homonymie est un cas de polysémie dont on ne voit pas la
motivation » (1992 : 43). Nous partageons cet avis. Dans cet ordre d’idées, nous
ajouterions : L’arbitraire du signe est un cas de motivation dont ne voit pas encore la trace.
221
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Glossaire
Terminologie
Étude théorique, méthodique et appliquée des notions et des termes, de leur
fonctionnement social et de leur valeur à l’intérieur d’un savoir spécialisé, et en
relation avec d’autres disciplines du savoir humain et de la linguistique.
Néologie
Étude théorique, méthodique et appliquée des mots nouveaux dans la langue et
en lien avec leur contexte sociolinguistique.
La néologie couvre donc l’étude, l’analyse et la création de mots nouveaux, de
leurs modes de formation ainsi que l’élaboration de critères permettant de les
recenser, de les inclure ou de les exclure à titre de néologismes.
Néoterminologie
Étude théorique, méthodique et appliquée des termes nouveaux dans les
domaines spécialisés du savoir humain et en lien avec leur contexte
d’utilisation.
Néologisme
Mot créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien ou
actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans le
but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à un
besoin de communication précis.
Le néologisme peut être de type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel.
241
Néoterme
Terme créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien
ou actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans
le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à
un besoin de communication précis.
Le néoterme est réservé aux langues de spécialité. Il peut également être de
type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel.
Néologisme formel
Mot dont la forme est créée à partir des ressources internes de la langue
française (fonds ancien ou actuel ou variété de la même langue) ou empruntée à
une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux
concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.
Néologisme sémantique
Mot dont le sens est emprunté à un mot ancien ou actuel de la langue d’usage
ou à un mot d’une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de
nouveaux concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.
Les néologismes sémantiques naissent souvent par les procédés de métonymie,
métaphore, glissements, extensions ou restrictions de sens.
Néologique
Relatif à l’étude des mots nouveaux.
Par ext. de sens. Relatif à ce qui est nouveau, récent, créatif ou perçu comme
tel.
242
Néologicité
Degré de nouveauté d’un néologisme, basé sur l’étude d’une période
déterminée, et le sentiment de nouveauté ressenti par un locuteur, et permettant
d’identifier un mot comme étant un néologisme en fonction de critères précis
(datation, lexicalisation, analyse conceptuelle et référentielle).
Les objectifs de la recherche néologique vont influencer grandement les critères
de néologicité qui seront employés en vue d’atteindre les objectifs précis visés.
Par exemple, si l’un des objectifs de la recherche néologique est l’actualisation
des dictionnaires de la langue française québécoise, le critère de néologicité ne
sera pas basé sur une période de temps mais plutôt sur un corpus d’exclusion
dictionnairique.
Si l’objectif est de recenser tous les nouveaux mots au sens de « récents » dans
la langue, ainsi le critère de néologicité sera basé sur une courte période de
temps.
Domaine néologique
Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont les mots, sens ou concepts,
dans une proportion significative, sont perçus comme nouveaux ou récents par
le locuteur.
Domaine renouveleur
Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont le renouvellement lexical
s’effectue de façon naturelle, sans nécessiter l’intervention d’un organisme
externe, face aux nouvelles réalités à dénommer.
243
Domaine résistant
Sphère spécialisée de l’expérience humaine où les emprunts aux langues
étrangères sont très nombreux et où l e recours à la néologie peut favoriser et
stimuler le renouvellement lexical dans la langue d’usage.
Une intervention humaine, provenant d’un organisme externe, officiel ou non,
peut s’avérer favorable au renouvellement du lexique dans la langue d’usage
dans ces cas. Cela fait partie du processus d’aménagement linguistique adopté
au Québec.
Domaine d’actualité
Sphère spécialisée de l’expérience humaine qui reflète les préoccupations fortes
du moment au sein d’une société donnée et qui engendre, dans le débat, de la
néologie.
Néologisme conceptuel
Mot présent dans la langue depuis un certain temps mais dont le concept est
néologique en synchronie et représente une réalité existante en redéfinition en
raison de son évolution technologique ou culturelle.
Mot récent représentant une réalité nouvelle en voie de se délimiter.
Les néologismes conceptuels se rencontrent souvent dans les domaines
scientifiques novateurs.
Néologisme d’actualité
Mot existant dans la langue depuis plusieurs années mais dont la réalisation
effective du référent qu’il désigne est réactualisé et répond à un besoin
Cf. Définition de cause provenant du TLFi et GR 2005, autres définitions des causes adaptées de ces deux
244
socioéconomique ou socioculturel important au sein d’une société à un moment
donné de son développement.
Ce mot peut donc être ressenti comme néologique par les locuteurs en raison de
la popularité et de l’importance dont il jouit sur la scène publique à un moment
donné, et surtout parce qu’il représente un moment fort de changement au sein
de cette société.
Le néologisme d’actualité peut correspondre à plusieurs situations. Il peut
résulter d’une période de latence où le concept était à l’état d’idée ou
hypothétique (pensons aux inventions ou aux idées non commercialisés). Il peut
s’agir d’un néologisme ayant plusieurs cycles de vie ou encore d’un néologisme
étant tombé dans l’oubli mais revenant sur la sellette après un certain temps,
avec un changement perceptible, reflétant le changement sociétal à travers la
réactualisation du néologisme, de l’objet ou de l’idée.
Causes
« Ce qui produit un effet 1 » L’effet étant ici la variation terminologique.
Causes communicationnelles
Causes liées à la situation de communication entre les acteurs (émetteurs-
récepteurs).
Causes socioculturelles
Causes liées à un groupe humain, à ses structures sociales et à sa culture.
1
ouvrages de référence.
245
Causes cognitives
Causes liées aux mécanismes d’acquisition des connaissances.
Causes linguistiques
Causes liées au langage et à l’interaction des langues.
Valeur
Sens que peut revêtir un concept et la dénomination que peut prendre un terme
en fonction de son contexte social et de son cotexte linguistique en vue de
répondre à des besoins communicationnels précis.
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