les images de la guerre nrbc : la guerre d
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Une guerre d’anéantissement nucléaire, radiologique,
bactériologique ou chimique, au XXIe siècle, est-ce
d’actualité ? A l’heure où les formes et les échelles de
conflits se diversifient, les représentations issues de la
guerre froide croisent les menaces que nous
permettent d’imaginer les progrès scientifiques et
l’instabilité de certaines parties du globe. Comment,
face aux élèves, rendre lisible cet écart entre la réalité
d’une menace peut-être plausible et les mythes
engendrés par la 2e guerre mondiale ? Il s’agira de
retourner à ces images qui ont marqué la deuxième
moitié du XXe siècle, et d’ouvrir à celles qui nous
imprègnent aujourd’hui, et qui ne permettent pas
toujours, en classe, d’appréhender avec distance les
réels enjeux géopolitiques actuels.
LES IMAGES DE LA GUERRE NRBC : LA GUERRE D’ANEANTISSEMENT NUCLEAIRE
Comment, en termes pédagogiques,
permettre aux élèves de mieux
analyser la menace d’anéantissement
que font peser sur nous des armes
nucléaires, radiologiques, biologiques
et chimiques ? Pourrait-elle vraiment
provoquer une éventuelle troisième
guerre mondiale ?
Il y a nécessité, en classe, de faire la part entre les représentations des angoisses de
destruction véhiculées par les images tant d’Hiroshima que du 11 septembre, et la réalité
des tensions géopolitiques actuelles. Pour ce faire, il faudra préciser ce que l’on entend par
anéantissement (de quelle échelle parlons-nous ?), et expliquer un certain nombre de
notions tournant autour des armes NRBC (armes non conventionnelles ? armes de
destruction massive ?).
Il est toujours urgent, face à des élèves plus que jamais réceptacles de nombreuses images
de violences guerrières, de travailler sur la distorsion entre le possible (une arme irradiant
les populations, une épidémie provoquée) et le réel (qui a les moyens de posséder ce type
d’arme ? Peut-on imaginer que l’on fabrique une arme biologique dans n’importe quel
laboratoire ?), entre l’imaginaire (le Docteur Folamour de Kubrick et sa fin du monde
inéluctable, La Jetée de Chris Marker et la tentative désespérée de modifier le passé et
d’enrayer cet anéantissement) et le concret (quel rôle peut jouer la communauté
internationale pour contrôler l’usage de ces armes ?) alors même que, dans le domaine des
armes et de la guerre, nous savons bien que nous savons peu de choses. Il s’agit donc d’un
défi pédagogique global à relever : informer du mieux possible les futurs citoyens sur le
fonctionnement du monde qui les attend, et les rendre curieux de sa complexité.
Plan :
I. Anéantissement et armes dites « NRBC » : des notions qui évoluent
II. Une image psychologique de la guerre d’anéantissement largement forgée pendant la
guerre froide : autour de trois images fortes de la guerre NRBC (Hiroshima, Cuba, guerre
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chimique au Vietnam)
III. A l’aube du XXIe siècle, quelles réalités avons-nous à affronter ?
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LA QUESTION DANS LES PROGRAMMES
Avant d’entamer cette réflexion, il faut replacer ces thématiques dans nos programmes.
les nouveaux programmes de lycée en 1ère invitent en histoire comme en ECJS à proposer
aux élèves des réflexions élaborées sur ces sujets-là.
LYCEE
Histoire 1ère - Thème 2 – La guerre au XXe siècle. 2e séquence : De la guerre froide à de
nouvelles conflictualités.
On peut replacer cette idée au sein du chapitre « Guerre Froide » : représentations,
angoisses de l’anéantissement potentiel, crise de Cuba… et ensuite en abordant les
nouvelles conflictualités (le terrorisme peut-il mener à un anéantissement ? Comment
arrêter ce type de conflit asymétrique ? Comment contrôler la prolifération de certaines
armes ?...).
> Guerres mondiales et espoirs de paix : les notions de « guerre totale » puis de « guerre
d’anéantissement » sont à étudier (terme clairement utilisé dans les manuels : processus et
moyens de l’anéantissement).
Guerre « totale » : utilisé déjà pour 14-18, théorisé dans les années 1930, elle a pour but
l’anéantissement de l’adversaire. On étudie pour 39-45 la volonté d’anéantissement de
l’adversaire, dont la politique d’extermination de certaines populations est l’une des
composantes.
> Guerre froide et nouvelles conflictualités : on maintient la paix tout en s’affrontant par
divers moyens, et en envisageant le recours aux instruments de la guerre totale (destruction
massive). Il faut aborder l’aspect de conflit idéologique d’une part (les représentations et
leur manipulation) et le conflit de puissances d’autre part. Les modalités de cette guerre
sont spécifiques : pas d’affrontement militaire direct mais crainte inspirée par la possession
de l’arme nucléaire. Nous sommes amenés à étudier un lieu et/ou un moment précis de ce
conflit : la crise de Cuba donnera l’occasion de s’interroger sur la menace imminente ou pas
d’une guerre nucléaire (mythe, propagande ou réalité ?), le poids de la dissuasion lors de ce
moment clé et l’élaboration de cette doctrine.
Quant aux nouvelles conflictualités, on pourrait considérer la guerre du Golfe comme ayant
pour but l’anéantissement du Koweït par l’Irak, et les actes terroristes comme signifiant à la
1ère puissance nucléaire que sa capacité à vitrifier un pays ne compte guère dans ce type de
conflit : la dissuasion fonctionne-t-elle encore dans ce contexte de guerre asymétrique ?
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ECJS LYCEE / Thème 4 (obligatoire) - La nation, sa défense et la sécurité nationale
=> Principe de mise en œuvre : travail de recherche et d’exploration des élèves => Question centrale : quel choix de défense ? Pour faire face à quelles menaces ? Avec quels moyens ?
Des exemples de démarches sont proposés dans les fiches Eduscol : « les menaces potentielles et les missions de sécurité défense » Les menaces potentielles pesant sur la France peuvent être caractérisées par la coexistence de niveaux d’effectivité de menaces très divers : le terrorisme et la piraterie sont des menaces diffuses mais immédiates ; la prolifération des armes de destruction massive est une réalité qui ne nous menace qu’à terme et de façon conditionnelle ; l’apparition de nouveaux acteurs étatiques disposés à jouer pleinement le jeu de la puissance met en cause aujourd’hui notre capacité de négociation politique et économique et d’influence, et potentiellement notre sécurité ; les formes nouvelles de guerre économique menacent notre compétitivité et nos emplois.
Autour du thème : "les moyens de la défense : forces et alliances"
Une des caractéristiques de la France, État pacifique et moyenne puissance, est de disposer d’un panel complet de moyens de défense terrestres, maritimes et aériens, lui donnant la capacité de projeter, en quantité limitée, des forces dans le monde entier. Parallèlement, elle a fait le choix de la dissuasion nucléaire, qui implique que l’ultime responsabilité reste sous son entière souveraineté. Membre de l’Union européenne, elle appuie les efforts que fait celle-ci pour se doter d’une politique extérieure et de sécurité commune. Elle soutient la construction d’une Europe de la défense et milite pour la préservation d’une capacité technologique et industrielle européenne en matière de défense. Elle a récemment choisi de réintégrer l’organisation militaire de l’Alliance atlantique.
Exemples de pistes de travail : La dissuasion nucléaire
La conception française de la dissuasion nucléaire est née pendant la Guerre froide, dans une posture dite « du faible au fort ». L’agresseur potentiel, supposé capable de submerger les défenses classiques de l’Alliance, devait compter, s’il s’attaquait à nos intérêts vitaux (volontairement laissés dans un certain flou), sur une frappe « d’ultime avertissement » par l’ensemble de nos armes nucléaires « tactiques » ou « préstratégiques » suivie d’une frappe unique de l’ensemble de nos armes nucléaires stratégiques sur ses centres vitaux. Cette doctrine visait, et vise toujours, à rendre une agression impensable. Elle suppose l’indépendance de décision et de mise en oeuvre de la France et du responsable ultime, le Président de la République.
Cette doctrine a évolué pour devenir moins univoque, en raison du plus grand éloignement des dangers traditionnellement identifiés, et d’une plus grande solidarité européenne. On pourra à cet égard se reporter aux déclarations successives des Présidents de la République, pour constater que le concept de base reste le même, mais que l’incertitude sur la notion « d’intérêts vitaux » n’a fait que se développer et que l’hypothèse d’une frappe « du fort au fou » est venue nuancer, dans le cadre de la prolifération nucléaire, la doctrine initiale de frappe unique et massive. On pourra enfin réfléchir à l’articulation entre dissuasion nationale et dissuasion de l’Alliance.
L’étude de cette doctrine, qui permet par exemple à la France de riposter à une menace par
l’anéantissement de l’adversaire, rejoint aussi le programme d’ECJS.
ECJS 1ère - « La nation, sa défense et la sécurité » est le thème 4 obligatoire à traiter dans
ce nouveau programme de 1ère intitulé « Vivre dans une société démocratique : les
institutions, la vie politique et sociale, la nation et sa défense ».
COLLEGE
3E – Histoire et Education Civique.
> Guerres mondiales et régimes totalitaires (1914-1945) avec le thème 3 : la seconde guerre
mondiale, une guerre d’anéantissement (1939-1945)
> Une géopolitique mondiale (depuis 1945) avec le thème 1 : La guerre froide, et le thème
4 : Le monde depuis le début des années 1990. Dans le contexte de la « persistance des
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conflits au Moyen Orient », le cas du nucléaire iranien pourrait permettre d’évoquer les
traités de non-prolifération, les raisons pour lesquelles certaines puissances veulent
contrôler l’accès à l’arme nucléaire, le rôle de l’ONU, et les images d’éventuelle guerre
d’anéantissement utilisées par le pouvoir iranien face à Israël pour effrayer Etats et
populations et faire ressurgir un certain nombre de représentations. La détention de l’arme
atomique par l’Iran pourrait modifier toute la géopolitique du Moyen Orient et remettre en
cause les adhésions aux traités de non prolifération des voisins de ce pays. De même avec
« les menaces terroristes », on pourra utiliser le cas des armes NRBC pour faire la part entre
le mythe et la réalité de la maîtrise de ce type d’armement (en précisant que l’on peut
« anéantir » sans forcément utiliser ces armes là).
> En Education Civique, le chapitre sur la Défense et la Paix portant sur l’idée de sécurité
collective peut permettre l’analyse de l’idée d’équilibre des forces, des principes de la
dissuasion et de la non-prolifération. Concernant les missions de la Défense, les risques
NRBC doivent être pris en compte dans la mesure où ils nécessitent la mise en place de
dispositifs adaptés (confinement, etc.), évoqués par le livre blanc sur la défense.
ENJEUX PEDAGOGIQUES :
Faire la part entre la science fiction et l’anticipation, qui se nourrit de cette peur de
l’invisible et de l’inconnu (avec une forte charge émotionnelle également), et une
certaine réalité scientifique : où en est-on réellement dans l’élaboration de ces
armes, et des moyens de les contrer ? Qui est vraiment capable aujourd’hui de
développer de telles armes ? A quelle échelle peuvent-elles être utilisées et avec quel
degré réel d’efficacité ?
Les (futurs) citoyens sont sous-informés des moyens de défense dont nous disposons
afin de faire face à ce type de menace : quels acteurs ? quels dispositifs ? quel rôle
avons-nous tous à jouer ? Pourquoi la France a-t-elle opéré certains choix et pas
d’autres ? Ces questionnements, même s’ils sont soulevés en cours d’histoire, ne
peuvent laisser le débat dans l’ombre. En contextualisant ces questions, on permet
aux élèves de prendre le recul nécessaire à l’élaboration d’une opinion en Education
Civique.
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« (…) cette guerre, encore plus totale que la
Première, est une « guerre
d'anéantissement ». Ce terme pourtant, lui
non plus, ne va pas de soi. Et pour cause. Il
englobe toutes les victimes, les combattants
comme les civils. Stalingrad devient une
bataille d'anéantissement où la souffrance
du combattant allemand répond à celle du
combattant soviétique. Tous les
bombardements sont mis sur le même plan,
ceux du Blitz par la Luftwaffe comme celui
de Dresde par les Alliés, sans parler de la
bombe atomique, « une arme contre les
populations civiles ». »
Extrait de l’article « Aux larmes LYCÉENS !» de Annette Wievorka, L’Histoire n° 373, mars 2012
1 > PREALABLE : ANEANTISSEMENT ET ARMES NRBC, DES
NOTIONS QUI EVOLUENT
1. La guerre d’anéantissement : une notion ancienne qui prend un sens nouveau avec la 2e
guerre mondiale, mais qu’il faut aujourd’hui nuancer.
Carthago delenda est : L’idée de « guerre d’anéantissement » existe depuis longtemps. Peu à
peu théorisée par Clausewitz au moment des guerres de la Révolution et de l’Empire, déjà,
elle devient une menace beaucoup plus réaliste à partir de l’extermination des juifs et des
tziganes (le terme apparaît dans les programme scolaires avec le génocide), et des
bombardements tels que celui de Dresde, par exemple, et enfin surtout après Hiroshima.
Car alors l’idée de « guerre d’anéantissement » devient celle de la « vitrification » : vitrifier
un pays, c’est l’atomiser, le rayer de la carte, le rendre inapte à survivre. Et les armes
nucléaires rendent désormais cela plus probable que jamais. D’autant que l’usage d’une
arme nucléaire par un adversaire suppose une riposte et donc une destruction mutuelle
envisageable (selon la notion de « destruction mutuelle assurée »). En cela, l’arme nucléaire
permet bel et bien l’avènement d’une troisième guerre mondiale.
La notion d’ « anéantissement » invite aussi à se poser la question de l’échelle. Jusqu’à quel
point veut-on anéantir l’adversaire ? Car rayer Hiroshima et Nagasaki de la carte n’a pas
détruit le Japon à tout jamais. On peut menacer d’anéantissement de façon défensive et ne
pas souhaiter en arriver là : tel est le fondement de la doctrine de dissuasion nucléaire par
exemple.
Donc cette idée de « guerre d’anéantissement » pose problème. On sait l’humanité
aujourd’hui capable de s’anéantir elle-même. Mais on peut réduire un Etat au silence sans
pour autant le vitrifier : les frappes ciblées, sur les
principales métropoles d’un pays par exemple,
s’inscrivent dans la doctrine de la « riposte graduée » qui
veut qu’une escalade est possible (guerre mini-nucléaire,
nucléaire tactique, nucléaire de théâtre, nucléaire
stratégique enfin).
Et on peut anéantir un peuple sans utiliser d’arme NRBC
(le génocide au Rwanda n’a nécessité que l’usage de
machettes). Et le 11 septembre est une forme
d’anéantissement symbolique sans aucun usage d’arme
NRBC.
Ainsi, « la » guerre d’anéantissement n’existe pas d’une
certaine façon sauf quant à exterminer l’humanité (et on
peut légitimement critiquer son utilisation
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« banalisante » et décontextualisée dans les nouveaux programmes de 1ère comme le fait
Annette Wievorka). Ce qui existe, c’est la volonté d’anéantir l’autre (et pas soi-même). Et
cette volonté peut se concrétiser selon diverses modalités, l’usage des armes nucléaires,
radiologiques, biologiques et chimiques n’étant que l’une d’elles.
*********************
2. Définition des armes NRBC : des armes pas si nouvelles. Donc pourquoi devrait-on
penser que l’on inaugure, au tournant du XXIe s, une nouvelle forme de violence guerrière
pouvant mener à l’anéantissement ?
Même si c’est probablement une légende, on a coutume de faire remonter la première
utilisation d’une arme biologique au Moyen Age (les cadavres de pestiférés lancés à
l’intérieur de la ville de Caffa pour décimer la population de la ville assiégée en 1346). Arme
biologique également, la variole que des officiers britanniques ont transmise sciemment à
des tribus indiennes en offrant des couvertures infectées dans l’objectif de les décimer. La
volonté d’anéantissement est avérée par les sources. Une arme biologique, c’est donc un
ensemble de maladies, bactériologiques (peste, charbon-anthrax), ou virales (grippes, fièvres
hémorragiques virales comme Ebola, variole) dont on peut décider de faire une arme. On
parle aussi d’arme « bactériologique » et/ou « virologique ».
C’est à la fin de la 1ère guerre mondiale que des théories apparaissent vraiment sur l’idée
d’arme biologique (testées sur du bétail par les Allemands), avec un objectif de militarisation
des agents pathogènes et des toxines.
Il faut la distinguer des armes chimiques (bombes, phosphore, gaz comme le sarin, à effet
immédiat sans délai d’incubation). Celles-ci ont été massivement utilisées en 1914-1918
comme on le sait. Mais parfois la limite entre les deux est floue (on peut synthétiser
chimiquement certaines toxines issues des végétaux ou des bactéries).
Toujours est-il que la SDN interdit dans le protocole de Genève en 1925 aussi bien les armes
chimiques que les armes biologiques, ce qui témoigne de la réalité du danger dès cette
époque là (la France ainsi que la Grande Bretagne entreprennent des recherches secrètes
sur la guerre biologique pour décimer le bétail – exemple du charbon intentionnellement
diffusé sur l’île écossaise de Guinard, encore contaminée il y a 20 ans).
Quant à la guerre « radiologiques », elle procède de la guerre nucléaire mais s’élargit au fait
que l’ont peut utiliser les radiations comme menace et provoquer une catastrophe sanitaire
sans pour autant larguer une bombe. L’après 11 septembre permet d’imaginer de
potentielles attaques terroristes sur des lieux sensibles pouvant provoquer des
bouleversements sanitaires. On parlera alors, plus que de « guerre radiologique », de
terrorisme nucléaire et radiologique (il en est de même pour distinguer la guerre biologique
du bioterrorisme).
Ces armes sont donc loin d’être nouvelles au début du XXIe siècle. Cependant, tout au long
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du XXe siècle, s’est développée la catégorie des armes dites non-conventionnelles
(interdites donc par les différentes conventions signées au cours du XXe s visant à un
contrôle des armements), le plus souvent synonyme de celle des armes de destructions
massives (au départ comprenant toutes les « armes géantes imprévisibles », et puis
catégorie qui s’est élargie aux Etats-Unis plus qu’ailleurs puisqu’ils ont ajouté certaines
armes conventionnelles à gros calibres).
Cette façon de les considérer comme armes d’exception, voire de non-emploi pour le
nucléaire, a conduit les puissances les détenant à vouloir limiter le nombre de pays pouvant
y accéder. De nombreux traités ont été adoptés dans ce domaine, des instruments de
contrôle mis en place.
- 1968 : Traité de non prolifération (après l’explosion chinoise de 1964) présenté à
l’ONU : signataires s’engagent s’ils possèdent l’arme nucléaire à ne pas la diffuser et
s’ils ne l’ont pas à ne pas s’en doter. 189 Etats signataires aujourd’hui. Non
signataires : Israël, Inde, Pakistan. Retirés : Corée du Nord. Application garantie par
l’Agence Internationale à l’Energie Atomique.
- Dans le courant des années 1990 apparaît la catégorie des Armes de Destruction
Massive (Weapon of Mass Destruction en anglais), qui regroupe des armes très
diverses : nucléaire, biologique, chimiques, parfois missiles balistiques (non pas arme
mais moyen de transport) voire d’autres engins dits « destructeurs » selon la
législation américaine (bombes, grenades... de gros calibres). On y ajoute aussi des
armes dites « sismiques » et « thermobariques » (bombes qui diffusent un nuage de
carburant qui explose).
Cette notion d’ADM peut par ailleurs être considérée comme ambiguë voire fausse
stratégiquement car même si il s’agit des armes les plus destructrices,
l’anéantissement demeure possible sans elles on l’a vu (génocide rwandais 1994, 11
septembre…). Elles désignent cependant des armes à action particulièrement
étendue.
- 1995 : conférence de prorogation du TNP. De nouveaux acteurs se retirent de la
scène nucléaire (Brésil, Kazakhstan, Ukraine, Biélorussie, Afrique du Sud, Argentine)
- Il existe aussi plusieurs traités visant à créer des « zones exemptes d’armes
nucléaires » : Bangkok pour l’Asie du SE, 1995 ; Pelindaba pour l’Afrique en 2009 ;
Rarotonga pour le Pacifique sud en 1985 ; Tlatelolco pour l’Amérique du sud et les
Caraïbes, en 1967.
- Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, ouvert à signature en 1996
mais toujours pas en vigueur (il faut 44 Etats le ratifient et le quota n’est pas atteint).
- SALT : Limitation des armes stratégiques 1972 et 1979 (I et II)
- traité de réduction des arsenaux nucléaires (SORT), de réduction des armes
stratégiques (START
- Convention sur l’interdiction des armes chimiques (1997)
- Interdiction des mines antipersonnel (différentes des mines antichar) en 1997
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CARTE P 12
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Image Guerres des mondes
Pour en revenir aux images de ces armes non-conventionnelles, pourquoi aujourd’hui
provoqueraient-elles une angoisse accrue quant à un risque de guerre d’anéantissement ?
Autour de la Guerre des Mondes mise en scène par Orson Welles (1938) : Avant la bombe
atomique, l’angoisse est déjà là
1938 : La Guerre des Mondes et la performance radiophonique d’Orson Welles terrifient les
auditeurs de CBS : l’anéantissement avant l’ère nucléaire… les esprits sont déjà préparés à
un anéantissement potentiel venu de nulle part… L’émission ne dure qu’une heure et se
termine par plusieurs secondes de silence absolu (avant le générique).
Au même moment c’est l’Anschluss en Europe, et les accords de Munich…
Représentations qui passent par la radio, média populaire et donc puissant au vaste pouvoir
de manipulation. Son émission : « Théâtre Mercury sur les ondes ». La plus célèbre des
émissions de radio. Avec quelques voix et des bruitages, il fit croire à des milliers de gens
que le pays avait été envahi par des extraterrestres. Certains sont sortis de chez eux affolés,
ont appelé la police, etc. La mise est scène était brillante (très réaliste, alternance
d’interviews de spécialistes en astronomie, de musique d’interlude bouche-trou qui tenaient
les auditeurs en haleine, et d’envoyés spéciaux qui succombaient aux rayons martiens le
micro à la main…).
« Ils ont mis en évidence l’incroyable stupidité, l’absence de sang-froid et l’ignorance de
milliers de gens. Ils ont prouvé combien il est aisé de manipuler les masses », dit une
éditorialiste du NY Herald Tribune au lendemain de l’émission. L’imagination des auditeurs a
marché à plein régime. frontières entre réalité et fiction remises en question. Œuvre
anticipatrice.
Le texte de l’émission évoque des observations « d’explosions de gaz incandescents sur
Mars », « comme un jet de flamme bleue provenant d’un canon » (un journaliste interviewe
un scientifique) et qui semble provoquer des secousses sismiques sur la terre. On fait
allusion à une météorite qui serait tombée, des envoyés spéciaux témoignent avec curiosité
puis avec horreur de l’extermination qui se met en place (« un jet de flamme jaillit de ce
miroir et happe les gens situés au premier rang. Il les touche à la tête ! Seigneur ils prennent
feu ! »). Des armes extra-terrestres sont décrites (« une sorte de rayon thermique »). La fin
marque quasiment l’extinction de la race humaine (« C’en est fait de l’humanité », « il y avait
de la poudre noire, des cadavres, et une puanteur funeste et de mauvais augure s’exhalait
des soupirails des caves…»), avant que l’on découvre que les Martiens ont été décimé par les
virus et bactéries terrestres.
Après le vent de panique, les auteurs ont été inquiétés par la police car ayant causé de
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graves troubles à l’ordre public. Irresponsables… CBS dut faire des excuses publiques. Mais
tant de gens ont-ils cru le canular ?...
Orson Welles, comme l’auteur H.G.Wells en 1898, fait de l’anticipation : Wells en 1898 pour
la « grande guerre », Welles en 1938 pour l’anéantissement nucléaire et bactériologique.
Mais le Wells de 1898 semble aussi faire allusion aux ravages du colonialisme, tant
politiquement que sanitairement (les colonisés victimes des maladies des colons …). Un
anéantissement fait écho à un autre, dans l’imaginaire et les œuvre littéraires.
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Ainsi Ces armes véhiculent aujourd’hui comme hier un certain nombre de peurs : la peur de
la contamination invisible faisant ressurgir des angoisses collectives ancestrales – la peste -,
les accidents gravissimes de Tchernobyl et de Fukushima réactivant ces craintes.
Ce n’est pas l’image de la brutalité de la bombe nucléaire que les populations ont en tête :
elle est peut être d’un autre temps. Mais les menaces invisibles, quant à elles, sont
universelles et de toutes les époques, et sont de celles auxquelles on ne se sent pas capable
d’échapper : radiations, épidémie, air, sol et air contaminés… Et ce ne sont pas les garde-
fous diplomatiques constitués par la masse des traités limitant l’usage des armes NRBC qui
pourraient apporter un peu de raison à cela. Le progrès scientifique lui-même, qui pourrait
laisser entrevoir un moyen de lutter efficacement contre ce type d’arme, est, on le sait,
étroitement lié à leur conception, et ne constitue donc pas un refuge.
Avec Hiroshima et la guerre froide, se sont donc élaborées, se rajoutant aux angoisses déjà
très anciennes que l’on vient d’évoquer, des images de ces guerres NRBC qu’il convient, à
l’aide de quelques exemples, d’analyser avec les élèves pour mieux en mesurer la portée
historique.
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1. L’image du deuil après Hiroshima à travers le monument du dôme de la bombe A : quelles
réalités historiques se cachent derrière la mémoire japonaise de la catastrophe atomique ?
2. Mythes et représentations autour de la crise des missiles de Cuba
3. La guerre du Vietnam, une guerre chimique aux dégâts largement sous-estimés
2 > UNE IMAGE PSYCHOLOGIQUE DE LA GUERRE
D’ANEANTISSEMENT LARGEMENT FORGEE PENDANT LA GUERRE
FROIDE
1. L’image du deuil après Hiroshima à travers le monument du dôme de la bombe
A : quelles réalités historiques se cachent derrière la mémoire japonaise de la
catastrophe atomique ?
recit p. 78 du Numéro spécial L’Histoire
Un bâtiment fantôme témoignant du souvenir de la catastrophe
Ce bâtiment en forme de dôme servait, avant la Seconde Guerre mondiale, de hall
d'exposition. Il se trouve le 6 août 1945 à cent cinquante mètres seulement du point
d'impact de la bombe atomique. Le toit, les planchers sont démolis, les murs intérieurs
s'effondrent, demeurent les fondations et l'armature, qui ont résisté à la déflagration.
Pendant 20 ans, on en sait que faire de ces ruines. On ne prend la décision de les préserver
définitivement qu’en 1966 (par la municipalité et le gouvernement japonais). Deux
campagnes ont permis la levée de fonds nécessaires aux travaux, achevés depuis seulement
1990.
Aujourd’hui, l’existence d’un monument mémoriel à Hiroshima paraît évidente. Premier lieu
de mémoire du pays, il accueille 1,5 million de touristes (dont 230 000 Américains). Il existe
59 autres sites du même type dans Hiroshima (le monument de la Paix des enfants, la tour
de l’Horloge bloquée sur l’heure fatidique de 8h15, inaugurée dans les mêmes années, etc.).
On se souvient que 6 août 1995, à l'occasion du cinquantenaire de l'explosion, des milliers de
personnes se laissèrent tomber à ses pieds, au bruit sourd d'une lourde cloche en bronze. Le
parc du Mémorial créé autour du dôme comprend un cénotaphe (une tombe vide) abritant
les noms de toutes les victimes en 59 volumes, il comprend aussi un musée du Souvenir
destinés aux nombreux élèves qui y viennent chaque année. Hiroshima est jumelée avec
l’ancienne Stalingrad et Pearl Harbor, et s'est constituée en centre international de la paix,
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accueillant conférences et rassemblements pacifistes, ainsi que de nombreuses
personnalités politiques et spirituelles (Jean-Paul II, mère Teresa ou Mikhaïl Gorbatchev).
L’élaboration de ces lieux de mémoire fut-elle si naturelle ?
Absolument pas. Dès le 7 août 1945, le sort des victimes fait l’objet d’une censure sévère à
la fois de la part de la presse japonaise (qui n’évoque qu’ « un nombre relativement
important de victimes dues à l’utilisation d’une bombe d’un type nouveau ») et du pouvoir
américain (en septembre, Mac Arthur commandant les troupes d’occupation, fait par le biais
d’un code de presse interdire toute mention de ces bombardements). Les premiers
observateurs étrangers n’ont accès au site que fin septembre. Le reste du monde s’est
surtout réjoui de la fin de la guerre et de la capitulation du Japon. En France on se préoccupe
avant tout du procès Pétain (condamné à mort le 15 août 1945), de la fin de l’épuration, et
les images de destruction ne semblent pas tellement différentes de celles des autres villes
bombardées comme Dresde… Le Monde titre sur « Une révolution scientifique », mettant en
avant la prouesse technique plutôt que les ravages et les implications politiques de l’arme
nucléaire.
Au Japon même, ceux que l’on appelle les hibakusha, les survivants irradiés, officiellement
répertoriés comme tels (y compris les bébés in utero, et les secouristes venus dans les deux
semaines après l’explosion), ont fait l’objet d’un dur rejet et de discriminations variées (état
de santé anormal, atteintes chromosomiques engendrant des malformations génétiques sur
plusieurs générations – on les appelle aussi les « non-stop » people et sont suspectés de
transmettre encore 50 ans après les conséquences de l’irradiation). S’ils sont la mémoire
vivante de la catastrophe, l’attitude envers eux reste ambiguë.
Toujours est-il que jusqu’en 1952, les allusions aux souffrances des victimes et aux maladies
liées aux radiations ont été volontairement limitées par les forces américaines, alors que des
célébrations pacifiques ont commencé à apparaître dès le 6 août 1946.
Faire le deuil et construire une mémoire autour des ravages de la bombe A était donc rendu
particulièrement difficile, tout d’abord du côté japonais : ceux-ci ont peu à peu élaboré une
mémoire, certes, mais qui n’était pas universellement partagée, et demeurait
essentiellement victimaire autour du désastre, laissant dans l’ombre les atrocités commises
par l’armée impériale durant le conflit, considérant que la guerre du Pacifique se résumait au
mois d’août 1945. Ce n’est que depuis 1994 qu’une section du musée du Souvenir est
consacrée à l'« avant bombe atomique ».
Du côté américain, les choses n’ont pas été simples non plus, comme en témoigne
l’opposition des Etats-Unis à la proposition de classement du dôme par l’antenne japonaise
de l’Unesco comme patrimoine mondial en 1994 également. Les Américains, comme les
Chinois d’ailleurs, argumentaient que ce classement n’aideraient en rien à comprendre
l’enchaînement des événements ayant conduit au largage de la bombe (il s’agissait de
précipiter la capitulation du Japon et d’éviter un plan d’invasion particulièrement coûteux en
hommes ; cela n’explique cependant pas Nagasaki… notons également que l’ONU a
condamné ces bombardements comme « crimes contre l’humanité en 1961) et occulteraient
l’attitude japonaise lors du conflit (notamment envers les Chinois). Finalement, l’Unesco a
12
tout de même classé le dôme d'Hiroshima sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité
en 1996.
L’image que nous avons du premier désastre nucléaire aujourd’hui est en décalage
avec celle qu’on eu les contemporains
La perception du risque nucléaire n’a pas été immédiate, tout comme la perception de la
souffrance japonaise qui ne pouvait s’exprimer. C’est aujourd’hui pour nous une date clé, un
seuil capital dans l’histoire mondiale, mais l’ampleur de l’événement n’a pas partout été
compris ainsi, comme en témoigne l’histoire du dôme. Il y a donc distorsion entre l’image
que l’on a globalement eue de cette première et avant-dernière attaque nucléaire, et ce que
l’on en perçoit aujourd’hui. Ce n’est qu’au cours des années 1950 que se posera la question
de l’arme nucléaire comme arme d’emploi (pour certains il s’agit seulement d’un saut dans
l’échelle de rendement des explosifs) ou de non-emploi (pour d’autres, cette arme doit
rester l’exception, voire une « arme interdite », et la base d’une doctrine de dissuasion).
Il n’en demeure pas moins que dès le 8 août 1945, Albert Camus considérait « qu’il y a
quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus
formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles » (éditorial
de Combat). Jean-Paul Sartre quant à lui, voyait désormais « l’humanité en possession de sa
propre mort » (Temps Modernes, octobre 1945). Les enjeux d’Hiroshima n’échappaient
finalement pas à tout le monde.
2. L’image de la crise atomique type : Cuba 1962, mythe ou réelle menace ?
Cuba L’Histoire p. 10
Une crise à replacer parmi d’autres « crises atomiques »
L’affaire des missiles de Cuba n’est pas la première crise atomique entre les deux blocs. Au
cours des années 1950, pendant la seule guerre de Corée, deux crises ont déjà eu lieu. La
première, en 1950, mettait les Américains en situation de viser les Chinois en Mandchourie
pour les empêcher de venir soutenir les Coréens (c’est le général Mac Arthur qui propose
cette solution à Truman, qui s’y oppose et demande au général de partir). Puis en 1953, c’est
le président Eisenhower qui évoque la menace nucléaire contre la Chine à nouveau, propos
qui auront peut-être permis une signature plus rapide de l’armistice.
Ce sont ensuite les Soviétiques qui ont menacé d’utiliser l’arme nucléaire en 1956 lors de la
crise de Suez, pour obliger Français et Britanniques à ne pas entrer en conflit ouvert contre
l’Egypte et son président Nasser. Ces crises des années 1950 se caractérisent leur gravité,
leur intensité, mais aussi leur fulgurance : elles s’arrêtent très rapidement une fois la
menace brandie (à l’inverse des crises actuelles concernant la Corée du Nord depuis 1992-
1993 ou la crise iranienne depuis 2002).
13
A Cuba, la crise est rapide également : elle s’étend du 14 octobre 1962 (identification des
installations cubaines) au 9 novembre (démantèlement des bases soviétiques). Le 22
octobre, Kennedy s’adresse aux Américains, et le 28, Kennedy et Khrouchtchev dénouent la
crise ensemble.
Une crise nucléaire qui s’inscrit dans l’histoire de la doctrine de dissuasion
Où en sont à l’époque les doctrines sur l’usage de l’arme nucléaire ? La crise est à replacer
dans ce processus. Il se trouve que cette crise apparaît au moment même où cette doctrine
de dissuasion se nuance, passant de l’idée de « riposte massive » à celle de « riposte
graduée » (flexible response) : c’est justement Kennedy qui adopte cette nouvelle forme de
stratégie.
Nous avons pu voir avec l’après Hiroshima qu’au sein du gouvernement américain, le débat
avait été ouvert entre ceux qui considéraient que l’arme atomique s’inscrivait dans la
continuité des autres types d’armement de destruction de masse et était donc une arme
d’emploi éventuel (que l’on pouvait chercher à miniaturiser pour en faire finalement une
arme comme les autres), et ceux qui voyaient déjà en elle une arme de non-emploi
exclusivement dissuasive. Après la guerre de Corée s’installe la doctrine de dissuasion. Celle-
ci repose désormais sur l’idée des représailles massives. La crise de Suez confirme cela en
mettant en lumière le refus, implicite, des 2 grandes puissances de s’affronter sur le plan
nucléaire. Les représailles massives s’avèrent cependant de plus en plus inenvisageables et
affaiblissent la doctrine de dissuasion. On adopte donc la riposte graduée : il s’agit de
dissuader l’adversaire, à chaque niveau d’agression, de passer au niveau supérieur.
La tentation nucléaire fut grande, en 1962, mais elle permit de voir fonctionner la théorie de
la dissuasion avec escalade nucléaire. Cette crise constitue donc un tournant, déjà entamé
un peu plus tôt, entérinant une détente et une rationalisation des rapports entre les
puissances (en découlent : le téléphone rouge direct entre les dirigeants des deux blocs, la
non-prolifération, l’interdiction des armes bactériologiques, la limitation des essais
nucléaires…).
Des dirigeants finalement plus raisonnables que « fous » ?
Doit-on considérer que la menace nucléaire était avérée ? A-t-on exagéré la gravité de la
situation ? L’image du « monde au bord du gouffre » tient-elle un demi-siècle après ?
L’opération « Anadyr », consistant pour les Soviétiques, a menacer très directement les
Etats-Unis avec des missiles nucléaires à Cuba , apparaît aujourd’hui bien légère de la part de
Khrouchtchev, qui semble avoir été motivé en cela par les pressions chinoises
(Khrouchtchev désigné comme « valet des Etats-Unis »), les critiques intérieures de bon
nombre de chefs militaires ne croyant pas à la stratégie nucléaire, et le prétexte de la
présence de missiles américains de moyenne portée entreposés en Turquie : on parle de
« coup de poker délirant » (A. Adler).
Non moins « délirante » semble avoir été l’attitude de Fidel Castro, le leader cubain depuis la
14
révolution de 1958, qui, on le sait depuis 1989 et 1992, a exhorté le dirigeant soviétique à
accepter une guerre nucléaire et aurait été presque prêt à sacrifier son pays.
La dissuasion dite « du fort au fort » l’a finalement emportée, coûtant son poste à
Khrouchtchev deux ans plus tard, et peut être sa vie à Kennedy, qui a respecté, ainsi que
tous ses successeurs jusqu’à nos jours, l’intégrité de Cuba. L’équilibre de la terreur aurait-il
pu être rompu ? La réaction impulsive de Castro permet d’entrevoir les limites de la
doctrine de dissuasion quand le rapport de force s’effectue du « fort » au « fou », qui en
l’occurrence n’avait pas de moyens nucléaires directement à sa portée (le « fou » peut
préférer un anéantissement collectif à la défaite…).
« Chaque homme, chaque femme et chaque enfant vit sous le coup d’une épée de Damoclès
atomique suspendue par le plus fin des fils, susceptible d’être coupé à n’importe quel
moment par accident, erreur ou folie », J. Kennedy, le 25 septembre 1961
Dans Docteur Folamour, Stanley Kubrick, deux après la crise de Cuba, livre une vision cynique
qui renvoie dos à dos les « fous » miliaires, scientifiques et politiques. Or c’est par
l’intelligence d’un Kennedy et d’un Khrouchtchev que la crise de 1962 est évitée : les grands
dirigeants furent plus prudents qu’on imagine. « La puissance des armes nucléaires alors à
disposition a ancré dans la tête des dirigeants une prudence salutaire que des armes
conventionnelles n’auraient peut-être pas pu produire » (T. Delpech dans L’Histoire 321 de
juin 2007). Quant à la stratégie des dirigeants actuels de l’Iran ou de Corée du Nord, elle
s’apparente plus à la stratégie « au bord du gouffre » de Castro, auquel cas la dissuasion ne
risque d’avoir aucun poids sur eux.
Double page bordas dr folamour p 140
3. La guerre du Vietnam : une guerre chimique aux dégâts largement sous-estimés
« La plus grande guerre chimique de tous les temps » (amiral E. Zumwalt, alors chef
des opérations navales) ?
Aucun manuel ne fait apparaître les armes chimiques utilisées lors de la guerre du Vietnam.
Il s’agit pourtant d’un dangereux précédent créé par les Etats-Unis, que l’on oublie souvent
entre le gaz moutarde des tranchées et les armes chimiques de la guerre Iran-Irak en 1980-
1988 (même si l’image des enfants brûlés au napalm est récurrente, et qu’il s’agit d’une
arme incendiaire chimiquement modifiée).
L’agent orange, un herbicide défoliant a été massivement répandu entre 1962 et 1971 par
l’armée américaine sur l’ancien Sud-Vietnam (environ 65 % des 77 millions de litres de
différents herbicides). Il s’agissait alors de dégarnir le couvert végétal camouflant les bases
de l’adversaire et les routes qu’il empruntait. La guerre chimique est interdite par le
protocole de Genève de 1925, le président Kennedy autorise pourtant la destruction des
récoltes alimentant les forces ennemies. C’est son successeur Johnson qui engage après
15
1963 de nouvelles forces au Vietnam et permet l’utilisation de l’agent orange, le plus
redoutable des herbicides. Il contient, à la différence des autres produits jusque là utilisés
(agent rose, vert…) un sous-produit, la dioxine, très toxique et résistant dans les sols.
Aux Etats-Unis, la contestation gronde contre la guerre et des scientifiques s’insurgent
contre ces épandages (5000 scientifiques signent une pétition en 1967). Dès 1969 des études
prouvent la très haute toxicité de l’agent orange sur le long terme. Son emploi est
officiellement stoppé en 1970-71 (les derniers stocks ne sont détruits qu’en 1977). Cela dit
les Etats-Unis ne reconnaissent aucunement de lien entre ce produit et les malformations
congénitales apparues au Vietnam après son emploi.
L’agent Orange, meurtrier méconnu 40 ans plus tard
Ce n’est que depuis 2002 que chercheurs américains et vietnamiens travaillent de concert
pour en évaluer les méfaits, presque 50 ans après. C’est ainsi que l’on a découvert, après
étude des carnets de bord des pilotes américains et des études épidémiologiques, que l’on
avait largement sous-estimés les effets contaminants de l’agent orange. On sait que les voies
respiratoires et la peau ont été touchés, mais que l’alimentation a également été un vecteur
important de contamination (poisson, viandes, lait, crevettes). Les sols ont été durement
touchés et l’agriculture en est encore aujourd’hui très perturbée. Quant au bilan humain, on
craint le pire, avec 2 à 5 millions de civils probablement contaminés, sans compter les
soldats américains eux-mêmes. Le gouvernement vietnamien actuel est gêné par la
polémique qui enfle : il y a risque de brouille avec les Etats-Unis. Malformations, retards
mentaux, trisomie, troubles moteurs et cancers divers l’ont obligé depuis 2000 à consentir le
versement de petites allocations aux victimes. Ce sont les vétérans américains qui
médiatisent l’affaire : les cancers liés à la dioxine sont avérés, et des enfants de vétérans
sont touchés aussi. Les fabriquants, Dow Chemical et Monsanto, ont été condamnés à verser
des indemnités dès 1984.
Même si ces drames ont peu à peu permis en 1972, la création d'un Comité spécial de l'ONU
chargé du désarmement chimique, et la naissance, en 1997, de l'Organisation pour
l'interdiction des armes chimiques, la « sale guerre » a encore des choses à révéler et n’a pas
fini de rouvrir la plaie qu’elle laisse parmi les Américains.
Les recherches actuelles permettent ainsi de modifier la perception que l’on se fait d’un
conflit passé : la guerre froide ne fut pas seulement la guerre de l’atome.
Les recherches actuelles ont tendance à éclairer d’un jour nouveau le passé des armes
NRBC : des victimes d’Hiroshima méprisées en 1945, une crise de Cuba dont on perçoit
mieux les acteurs et le degré de gravité, des armes chimiques dont on ne perçoit le réel
impact qu’aujourd’hui…
Quant au spectre nucléaire, semble-t-il s’estomper à échelle du globe avec la fin de la
guerre froide ? Certaine zones du monde ne sont peut-être par épargnées par cette menace
de conflit nucléaire (Inde-Pakistan, Iran-Israël). Le risque de prolifération de certaines armes
non nucléaires et non conventionnelles hors de tout contrôle reste important.
16
1. L’Iran, et les Armes de Destruction Massive en question : Une réel point chaud d’où
pourrait surgir une guerre d’anéantissement ? Aucun contre pouvoir international ne peut-il
limiter cette menace ?
2. La France et Le Terrible, son dernier Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engin : quelle est
l’histoire des choix nucléaires français et en quoi consiste l’actuelle doctrine de dissuasion
française ?
3 > A L’AUBE DU XXIE SIECLE, QUELLES REALITES AVONS-NOUS
A AFFRONTER ?
BORDAS P 164 : GEOGRAPHIE DU CHAOS L’image du « chaos » dans L’Atlas 2010, du Monde
diplomatique.
N’est-ce pas sujet à caution que d’utiliser dans un manuel ce vocabulaire là ?
Car n’est-ce pas entériner l’idée reçue que le monde actuel est un monde de désordre, où
règnerait la simple loi du plus fort, amenant les élèves à intégrer l’idée qu’ils n’y peuvent
rien, et que quoiqu’ils fassent, ils seront impuissants ? Cela va bien à l’encontre de nos
objectifs : comment dans ces conditions en faire des citoyens curieux et apte à décider si ce
message-là leur est transmis ?
Nous avons donc la délicate mission de déconstruire ces clichés : « nous sommes
désinformés, on cherche à nous faire peur, les Armes de Destruction Massives n’existent
plus », ou à l’inverse, « elles sont partout… »...
D’un côté on peut s’intéresser au cas de l’Iran : tout un processus de sanctions
internationales est mis en place pour éviter que son programme nucléaire militaire ne voit le
jour. Question difficile pour être traitée en classe s’il en est…
D’un autre côté, on peut interroger les élèves sur ce qu’ils savent des capacités françaises à
résister à la menace NRBC – voire à utiliser ces armes nous-mêmes, par exemple.
1. Le Proche Orient ou l’image d’une géographie du « chaos » : comment la rendre
lisible ?
Peut-être en se posant la question de « l’ordre » : qui a le pouvoir de le faire régner ici ? Par
quels leviers ? La détention d’armes NRBC, et en particulier l’arme nucléaire, pourrait être ce
levier. Ces armes faisant l’objet de toute une réglementation internationale, on peut se
poser la question de l’efficacité des différentes sanctions internationales qui frappent les
17
pays rebelles à cet ordre-là, et en particulier l’Iran. L’Iran est-il une réelle menace ? Au vu
des débats virulents que l’on trouve en particulier sur internet, la question ne sera pas
tranchée ici. On peut tout du moins s’intéresser aux réactions internationales autour du
projet supposé d’acquisition du nucléaire militaire en Iran.
L’Iran et le nucléaire
L’Iran développe un programme depuis les années 1960. Il est stoppé après la révolution
islamique de 1979, Khomeiny y étant hostile.
Au cours de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988, le pays a subi des attaques chimiques de
la part de l’Irak. La réaction iranienne a ainsi été de vouloir se doter également de ce type
d’arme (ainsi que d’armes biologiques) et les travaux nucléaires ont repris au cœur de la
guerre, probablement pas pour élaborer un programme civil. L’Agence Internationale à
l’Energie Atomique a demandé des explications qu’elle n’a jamais obtenues. Rappelons que
l’Iran est signataire du TNP.
Une menace de déstabilisation du Proche Orient voire du reste du monde ?
Pourquoi l’Iran voudrait se doter de l’arme nucléaire ? L’enjeu est de devenir la puissance
dominante de la région au XXIe siècle : puissance chiite, elle veut garder le nouvel Irak dans
son aire d’influence, continuer à contrôler les milices libanaises du Hezbollah, à garder des
liens avec le Hamas implanté à Gaza, avec la Syrie. Son influence s’étend déjà dans toute
l’Asie centrale. D’origine perse, elle a besoin de s’imposer face aux pays arabes d’une part et
face à Israël. Les liens avec la Russie et la Chine existent mais aucun de ces deux derniers
pays n’a intérêt à voir l’Iran devenir une puissance nucléaire.
Quels indices attestent de cela ? L’AIEA a accumulé de nombreuses informations dans ce
domaine, comme quoi le Pakistan a fait des offres secrètes à l’Iran dans ce domaine (comme
à la Libye d’ailleurs). Or de ce fait, l’Iran, en n’informant pas l’AIEA de ses nouvelles
installations, viole les accords passés avec cette agence (l’Iran ne s’est jamais retiré du TNP
et ne déclare pas ouvertement vouloir se doter de l’arme…). Le pays a obtenu deux
centrifugeuses et pratique certaines techniques de moulage et d’usinage de l’uranium qui
n’a rien à voir avec un programme civil. Et puis ce sont les pasdarans, les Gardiens de la
révolution, qui sont impliqués à tous les stades du programme nucléaire… L’Iran n’a
cependant pas encore réussi à fabriquer une bombe, mais au vu de l’uranium enrichi qu’il
semble posséder, il n’en est plus très loin.
En quoi cela menacerait-il l’équilibre proche-oriental ? Cela pourrait provoquer un effet en
cascade sur les pays alentours : Egypte, Arabie Saoudite, Syrie, Turquie… et voir se tendre
encore un peu plus les relations avec Israël détenteur de la bombe.
L’Iran et les sanctions internationales
Après un certain nombre de négociations menées par l’AIEA (qui exerce une mission de
contrôle et dont l’action est de ce fait limitée) au nom du TNP, a été déclenchée, en prenant
18
en considération le manque de coopération et de réaction de l’Iran (et le risque grandissant
de voir ce pays détourner des matière fissiles à des fins militaires), l’intervention du Conseil
de Sécurité de l’ONU. Il s’est exprimé ainsi avant les sanctions, en 2005 :
« la dissimulation passée des activités nucléaires de l'Iran, la nature de ces activités, les
problèmes mis au jour au cours de la vérification par l'Agence des déclarations faites par
l'Iran depuis septembre 2002 et l'absence de confiance dans le caractère exclusivement
pacifique du programme nucléaire iranien ont soulevé des questions qui sont de la
compétence du Conseil de sécurité en tant qu'organe auquel incombe la responsabilité
principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales »
Les sanctions ont commencé, se faisant de manière graduée, et ayant d’abord pour but de
faire peur aux investisseurs. La résolution de décembre 2006 demande l’arrêt de toute
activité d’enrichissement, contrôle plus sévèrement les exportations vers l’Iran. Puis celle de
mars 2007 interdit les ventes d’armes en provenance de l’Iran (et limite les ventes à l’Iran).
Celles de mars puis de septembre 2008 isolent encore un peu plus le pays (limitant les
échanges commerciaux). En parallèle de ces résolutions, d’autres acteurs ont pu intervenir
pour tenter de faire céder l’Iran, comme l’Union Européenne (Allemagne, France, Royaume-
Uni, en échange par exemple d’une coopération économique). Les résolutions se sont
cependant poursuivies jusqu’en 2010. L’activité des banques iraniennes devient très
strictement limitée. L’objectif est aussi de provoquer un débat en Iran-même : ce
programme militaire en vaut-il la peine ?
Les partisans d’une intervention militaire sur certains sites, aux Etats-Unis comme en Israël,
se font entendre peu à peu. L’Iran ne répond à aucune démarche de négociation et cherche
à gagner du temps, ce qu’elle réussit pour l’instant.
Pour certains la guerre a déjà commencé dans l’ombre (assassinats récurrents de spécialistes
du nucléaire sur le sol même de l’Iran, virus informatiques, explosions suspectes dans les
installations iraniennes…).
Il est bien difficile de dire aujourd’hui quel scénario se prépare au Proche-Orient. Il est bien
entendu inquiétant de constater que l’Iran ne réagit que peu aux sanctions, tout en
prétendant vouloir rayer de la carte l’un de ses voisins. Cela dit, les sanctions internationales
se sont faites au grand jour. La non-prolifération semble être à un tournant : si l’Iran accède
à l’arme atomique, nous risquons fort d’entrer dans un ère de prolifération, alors que
jusqu’à maintenant celle-ci a été relativement lente (deux Etats nucléaires dans les années
1940, un de plus dans les années 1950 – Royaume-Uni -, deux dans les années 1960 – France
et Chine -, puis trois – Israël, Pakistan, Inde -, et enfin la Corée du Nord). Se replacer dans ce
processus relativise la notion de « prolifération », même au Proche-Orient.
Il est bien plus difficile encore d’évoquer les armes biologiques et chimiques en circulation
aujourd’hui. Toujours développées dans le plus grand secret, on les découvre parfois mais
accidentellement (mise au jour de l’arsenal irakien après la guerre du Golfe). Les
démocraties sont concernées également (sous l’administration Clinton, les Etats-Unis ont
19
conçu une bombe biologique). On ne peut donc par parler pour ces armes de « nucléaire du
pauvre » car elles sont très probablement plus à craindre que la bombe nucléaire. Mais
peuvent-elles aboutir à un « anéantissement » ? Il s’agirait plutôt de facteurs de
désorganisation d’une société plutôt que de facteurs de destruction véritable.
2. Les sous marins : l’image de l’arme invisible…
L’étude d’un SNLE français peut permettre aux élèves d’aborder de façon distancée un
certain nombre de notions : en tant que composante navale de notre capacité nucléaire, que
pouvons nous dire de la stratégie française aujourd’hui ?
Le Terrible (2008)
Chaque sous-marin (la France en compte 4 : le Triomphant, le Téméraire, le Vigilant et le
Terrible) transporte 16 missiles comportant chacun jusqu’à 6 têtes nucléaires. Chacune des
têtes nucléaires est l’équivalent de 11 Hiroshima (équivalent de 150 000 t de TNT). A quoi
nous sert aujourd’hui une telle capacité de destruction ?
Il s’agit de rappeler l’histoire de notre choix nucléaire
Reggane, 1961, Gerboise Bleue : premier tir expérimental en Algérie. Dès 1939, de brevets
avaient été déposés oncernant les principes de production d’énergie à partir de la fission des
noyaux de l’atome d’uranium. S’agit-il uniquement de maîtriser une énergie nouvelle pour
un usage civil ? Non, car si les deux premiers brevets sont relatifs au réacteur et à son
contrôle, le troisième concerne l’idée de « charge explosive » et inaugure donc le principe de
l’arme atomique. En octobre 1945, le général de Gaulle, qui a été mis au courant de ces
recherches secrètes au cours de la guerre, crée le Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
Dès le départ les objectifs vont être à la fois civils et militaires, touchant les domaines
scientifiques, industriels et de la défense nationale. C’est en 1952 qu’est voté un plan
quinquennal visant la construction de deux piles atomiques : l’usage civil est prioritaire
mais la voie militaire est ouverte. la même année la Grande Bretagne annonce son premier
essai expérimental, et les Etats-Unis et l’URSS parviennent au stade de la bombe
thermonucléaire (bombe H, à hydrogène, bombe dite « à fusion » encore plus puissante que
la bombe A, « à fission »). La classe politique commence à s’intéresser de plus près à ces
questions en réalisant le retard français. Les premiers vecteurs, des avions, sont construits
après 1957 (Mirage IV). La composante navale apparaît ensuite.
20
Site de l’Elysée.
Qu’en est-il de la
doctrine de
dissuasion
française ?
La dissuasion est un
mécanisme psychologique
qui repose sur la menace de
représailles
disproportionnées en cas
d’attaque. Deux notions
doivent ici se compléter : la
gravité de la sanction, et la
certitude de la sanction. Or
plus la sanction va être
grave, plus il va être difficile
de décider de l’imposer.
C’est un concept ancien qui
veut que « Si vis pacem,
para bellum ». Associé au
nucléaire, son application nécessite l’usage de vecteurs de plus en plus élaborés (lances
missiles, aviation, SNLE, qui permet ce qu’on appelle la « riposte du mort » possible : même
détruit, un pays peut riposter avec l’arme invisible et non localisable qu’est le SNLE).
Cette doctrine est enfin liée à la personnalité du chef de l’Etat (décret 12 juin 1996 : il
représente l’autorité d’engagement du feu nucléaire), chef des armées, président du Conseil
de Défense (réunissant le 1er ministre et les ministres concernés par la Défense) mais
homme seul au moment du choix, qui doit montrer sa volonté sans faille d’agir si cela est
nécessaire.
Si la réalité d’une attaque nucléaire n’est pas crédible, alors la dissuasion ne fonctionne pas.
Elle repose donc sur la possibilité incontestable de l’usage de l’arme nucléaire si nécessaire.
Pour un pays, demeurer dans le flou quant à son potentiel nucléaire, c’est ne pas être
crédible.
La France entre dans le processus de dissuasion qu’on appelle du « faible » au « fort » :
puissance moyenne n’ayant pas de vocation agressive à l’heure actuelle, sa dissuasion sert à
interdire qu’on lui impose une guerre en attaquant ses intérêts vitaux. Elle affiche donc sa
capacité à infliger à l’adversaire des dommages intolérables.
Or la France n’a pas tout à fait les moyens de développer un arsenal permettant une réponse
graduée, et ne souhaite pas utiliser le parapluie de l’Otan : on y développe surtout l’idée des
représailles massives contre les métropoles de l’agresseur (prix de la soumission de la
France, qui devient exorbitant du coup). La riposte n’a ainsi pas pour but de faire la guerre ni
21
de la gagner (pas vraiment donc une riposte graduée à l’américaine). Il s’agit surtout de
tester les intentions de l’agresseur le plus tôt possible, si les moyens classiques pour obliger
l’adversaire à renoncer ont échoué. On passe directement d’un 1er avertissement à un ultime
avertissement, nucléaire (armes dites préstratégiques). Si cela n’est pas compris, on passe
alors aux représailles massives, seule issue.
Récemment a émergé l’idée d’une dissuasion « concertée » avec les alliés européens (Juppé,
1996) : la France ne partage pas sa dissuasion, mais peut la faire jouer si un allié demande de
l’aide. En cours.
« La puissance militaire n’est plus utile » ?
Le risque de guerre s’estompe-t-il ? A la fin de la guerre froide on a pensé récupérer les
« dividendes de la paix », réduire les dépenses militaires car la course aux armements
prenait fin, pensait-on, et il était dépasser d’investir dedans. Pourtant on sait aujourd’hui
que le rapport entre part des dépenses militaires dans le PIB et bonne santé économique
n’est pas si évident. La fin de la guerre froide ne débouche pas sur un régime de sécurité
collective, comme on pouvait l’espérer. L’indépendance et l’autonomie ne peuvent donc se
faire sans capacités de défense. Pour autant, ne compter que sur cela ne règle rien (EU/Irak
2003) et peut même développer l’insécurité mondiale.
Il s’agit ici de tenter de déconstruire l’image du « chaos » censé régner de par le monde en
matière d’armement de toute nature. Laisser croire aux élèves que le plus grand désordre
est la règle, les empêche d’une certaine façon de s’autoriser à acquérir les outils de
l’analyse.
Le biais de l’image pas toujours très connue du sous-marin nucléaire, permet par ailleurs
leur faire découvrir les tenants et aboutissants de notre choix nucléaire militaire, à
replacer dans le contexte historique de la guerre froide. Les choix de l’avenir leur
appartiennent et ils doivent les faire en toute connaissance de cause.
22
CONCLUSION
LES IMAGES DE LA GUERRE NRBC : LA GUERRE D’ANEANTISSEMENT
NUCLEAIRE
Voilà un sujet qui oblige, tout d’abord, à interroger notre relation à l’idée d’anéantissement :
notre relation au temps, notre obsession de fin du monde, notre relation à la tentation de la
destruction… Il est bien vertigineux d’imaginer que l’humanité tient dans ses mains les outils
de sa propre disparition. Il ne s’agit donc pas d’un simple questionnement sur les différents
types de violence guerrière induits par de nouvelles armes plus perfectionnées
qu’auparavant.
Qui craint véritablement qu’éclate aujourd’hui une guerre nucléaire ou même un conflit
catastrophique non nucléaire ? Les principaux pays d'Europe et d'Amérique du Nord ont
noué des relations, conclu des accords et établi des institutions qui écartent réellement le
risque de recours à la guerre comme instrument de politique nationale. Même si les
problèmes entre États ou à l'intérieur des pays ne sont pas tous résolus, le risque de
violences à grande échelle a été repoussé, grâce à de nombreux accords de maîtrise des
armements, négociés pendant et après la guerre froide, qui garantissent une sécurité
fondamentale dans la plupart des régions du monde. Cependant, Les accords conclus à la fin
de la guerre froide étaient des accords de « maîtrise des armements » et non de «
désarmement ». Il reste donc d'énormes stocks nucléaires, surtout aux États-Unis
d'Amérique et en Fédération de Russie, extrêmement dangereux pour les pays qui les
possèdent comme pour les autres. Si les armes chimiques et biologiques sont largement
interdites, elles n'ont pas été éradiquées et un certain nombre de pays dispose encore
d'importantes capacités militaires classiques, en particulier les États-Unis.
La maîtrise des armements, et surtout les armes NRBC, demeure donc d’une immense
importance, au vu de ces circonstances, et il serait dangereux de ne pas en avoir conscience.
Il est bien évident qu’aucun choix n’est vraiment le bon : comment peut-on raisonnablement
soutenir qu’il est essentiel de détenir des armes pour éviter d’avoir à s’en servir ? La
dissuasion nucléaire nous met dans une situation paradoxale : elle implique que les
décideurs doivent être fermement déterminés à passer à l’acte en cas d’agression. Elle sera
peut-être, et même sûrement, à repenser dans l’avenir pour s’adapter aux menaces
nouvelles.
Mais c’est le « cadeau » encombrant et brûlant que nous a légué le XXe siècle et même si
nous payons fort cher notre autonomie et notre indépendance internationale, il nous faut
transmettre aux élèves les outils pour l’assumer.
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BIBLIOGRAPHIE
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Défense et sécurité de la France au XXIe s., dirigé par E. FARCY-MAGDENEL et C. TISSIER-DAUPHIN,
collection Questions Ouvertes, 2011
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« Les hommes et la guerre », L’Histoire numéro spécial n°267, juillet et août 2002
« Les Etats-Unis et la terreur nucléaire », article de T. DELPECH, L’Histoire n°321, juin 2007
« Les ravages de l'agent orange », article de P. JOURNOUD, Les Collections de L'Histoire n°23, 2004
« Guerre biologique : l'ancien et le nouveau », article d’O. POSTEL-VINAY, L'Histoire n°261
La Recherche, décembre 2001, dossier sur le bioterrorisme
FILMOGRAPHIE
Docteur Folamour, Stanley KUBRICK, 1964
La Jetée, Chris MARKER, 1962, 29’
L’Armée des douze singes, Terry GILLIAM, 1995
« Histoire de comprendre » n° 35 par Alexandre ADLER
DISCOGRAPHIE
La Guerre des mondes, 1938, Orson WELLES, Collection les grandes Heures de la Radio, Phonurgia
nova editions, Arles
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