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Séminaire international: Habiter en Algérie : expériences et comparaisons internationales
. Université Hadj Lakhdar – Batna – Algérie, 12/13 Avril 2015
LES NOUVEAUX KSOUR DE LA VALLEE DU M’ZAB : LE PRODUIT D’UNE
DYNAMIQUE SOCIALE.
Axe 2 : Dimension sociale et culturelle.
Nora GUELIANE.
Architecte, doctorante à l’EHESS.
Centre de Recherches Historiques (CRH/ CNRS), équipe LaDéHis.
Mob: 00213557339543. Email : nora.gueliane@ehess.fr
Résumé.
La présente proposition s’intéresse à la dimension sociale dans la production de l’habitat, à
travers une étude des nouveaux ksour de la vallée du M’Zab édifiés depuis les années 1992.
Ces ksour sont construits, essentiellement, afin de répondre à une crise quantitative et
qualitative en matière de logements. Ainsi d’assurer la permanence et la transmission des
valeurs sociales traditionnelles. La particularité de cette entreprise réside dans l’esprit
communautaire qui l’a motivé et qui continue de l’animer dans tous ses aspects pratiques. Ce
qu’il fait d’eux des exemples intéressants sur plusieurs plans et plus particulièrement le plan
social.
Mots-clés: M’Zab, nouveaux ksour, solidarité, participation.
Abstract :
This proposal looks to the social dimension in the production of housing, through a study of
new Ksour of the M'Zab Valley built since 1992. These ksour are built essentially to respond
to quantitative and qualitative crisis in housing. And to ensure continuity and transmission of
traditional social values. The particularity of this projects lies in the spirit of community which
motivated and continues to animate them in all its practical aspects. What makes them
interesting examples on several levels and specially socially one.
Keywords: M’Zab, new ksour, participation, solidarity.
Introduction :
Cette intervention a pour cadre géographique la vallée du M'Zab, située dans la wilaya de
Ghardaïa à 600km au sud de la capitale Alger. La vallée s'est développée dans des conditions
climatiques et historiques particulières. D'un côté un climat désertique peu favorable à
l'installation d'établissement humain. D'un autre côté, elle était le lieu de refuge d’un groupe
minoritaire: les Mozabites; des Berbères Zénètes adoptant le rite ibadite de l’islam.1 La vallée
1 L’ibadisme, une secte islamique faisant partie du kharidjisme /les sortants. Elle existe encore au M’Zab en Algérie, au
Sultanat Oman, à l'île de Djérba en Tunisie, au Djbal Nefousa en Libye et à Zanzibar.
2
est connue par ses cinq ksour historiques d'un caractère architectural et paysager exceptionnel
qui lui ont valu le classement, en 1982, comme patrimoine mondial.2
Mais également par la
cohésion de ces habitants, un communautarisme qui a joué un rôle primordial dans la survie
du groupe et de ses établissements humains ainsi que dans la création « des nouveaux ksour ».
Les nouveaux ksour sont des extensions initiées par et pour les Mozabites. Ils sont construits,
initialement, afin de résoudre des problèmes quantitatifs et qualitatifs en matière de
logements. La particularité de cette entreprise réside dans la démarche adoptée dans la gestion
et la réalisation des projets, ce qui fait d’eux des exemples intéressants sur plusieurs plans
surtout sur le plan social. Ces ksour sont, en effet, la concrétisation de la volonté de la
communauté Mozabite, englobant des objectifs ambitieux et reflétant une forte solidarité du
groupe. Il s’agit dans cette intervention d’élucider la particularité de ces projets et d’exposer
comment est-ce que les nouveaux ksour ont finalement réussi à reproduire les valeurs sociales
mozabite.
Il s’agit, dans une première étape, d’étudier ces nouveaux ksour ; leur contexte d’apparition ;
leurs acteurs ainsi que les particularités qu’ils présentent. Dans une deuxième étape, nous
nous focaliserons sur l’étude de la dimension sociale dans ces ksour.
I. Les nouveaux ksour, de quoi parlons-nous ?
Après l’indépendance, la vallée a connu un développement urbain et démographique
remarquable. Ce boom est lié, entre autres, aux options politiques des années 1960 et 1970 en
faveur de l’industrialisation et à la promotion administrative de la région3. Cette dynamique
économique, administrative et démographique ne sera pas sans conséquences. Elle va
engendrer des besoins énormes en foncier, en équipements et en logements. Suite à ces
mutations, la vallée a subit une urbanisation accélérée, déstructurée, et décousue avec un
espace extra-muros tentaculaire, dense et anarchique.4 Sans oublier la prolifération des
constructions illicites et précaires, la négligence du caractère bâti et des conditions naturelles
de la région.5 Ainsi, le stress foncier a conduit à l’utilisation de toutes parcelles constructibles,
en négligeant les mesures de sécurité et les règles d’urbanisme. Finalement, ce mode
d’urbanisation a entrainé une dégradation de la qualité de vie, de l’environnement naturel et
paysager et risque ainsi de mettre en péril le patrimoine bâti de la région. Nous pouvons donc
2 Ksar (Ksour), un village saharien souvent fortifié et/ou aggloméré à fonction caravanière (Maria Gravari Barbas, Habiter le
patrimoine, enjeux - approche -vécu, Éd. Presse Universitaire de Rennes, 2005, p. 415. Les cinq ksour de la vallée du
M’Zab sont : Al Atteuf bâti en 1012, suivie de Bounoura en 1046 puis Ghardaïa en 1053, Melika en 1124 et enfin Beni
Isguen en 1347. 3 En 1984, Ghardaïa est promue chef-lieu wilaya. 4 URBAT Ghardaïa, Rapport du plan permanant de sauvegarde et de la mise en valeur du secteur sauvegardé de la vallée du
M’Zab, décembre 2011, p.6. 5 Ibid., p.20.
Figure01 : Les ksour de la vallée du M’Zab, Source : OPVM de Ghardaïa.
3
conclure que durant cette période, la vallée est passée d’un espace adapté aux conditions
locales à un espace géré dans la hâte sans prise en considération des spécificités de la région.
C’est dans ce contexte qu’une nouvelle approche s’est développée, il s'agit de la construction
d'un ensemble d’extensions nommées « les nouveaux ksour ».
Les nouveaux ksour sont une option adoptée depuis 1992, date de l’initiation du premier
projet. La fonction principale de ces extensions est l’habitat avec les équipements de première
nécessité qui l’accompagnent. Ces ensembles sont apparus comme une tentative de répondre à
une crise quantitative et qualitative de logements. Ainsi, en réduire le coût de façon à
permettre aux populations à faibles revenus d’accéder à la propriété. Leurs acteurs expriment
aussi la volonté de combler le vide causé par la mauvaise gestion de la crise par les autorités.
Sur le plan urbain et architectural, ces ensembles sont une réaction contre l’urbanisation
anarchique que connait la vallée. Ils ont pour objectif la préservation de l’écosystème
ksourien ; une volonté qui s’est traduite par le choix du site, du style architectural, des
matériaux de construction ainsi que par l’organisation spatiale du ksar et des maisons.
Sur le plan social, ces ksour ont pour objectifs la relance des activités qui contribuent à la
cohésion sociale du groupe, affaiblie par la montée de l’individualisme. Ils visent également
l’implication de la population dans la production et la gestion de son espace bâti. Sur le plan
patrimonial, ces nouvelles extensions ont été pensées avec un souhait d’intégration culturelle
et paysagère, de prolonger la donnée millénaire de l’habitat local et de mettre en valeur le
patrimoine matériel et immatériel de la région. Enfin, sur le plan environnemental, l’évolution
anarchique du cadre bâti a engendré la dégradation du cadre paysager et environnemental de
la vallée et a causé le déséquilibre du système ksourien. Cela a amené les mozabites à penser
à une manière de bâtir respectueuse de l’environnement, issu de la culture locale et dans la
continuité du patrimoine matériel et immatériel de la région.
Chaque nouveau ksar est lié à l’ancien par la proximité géographique, la population et la
typologie architecturale adoptée. Les premiers projets sont ceux de Tinemmirine (1992) puis
Tafilelt(1997), ils sont les seuls à être totalement achevés et occupés. Ces derniers et le
nouveau ksar de Thaounza (2004) sont un prolongement de l’ancien ksar de Béni Isguen. On
trouve, également, le ksar d’Ioumed (1995) appartenant à Melika, celui de Tineaâm (2008)
annexé à Bounoura. Enfin ksar de Hamrayat (1996), Agherm an Ouazem (2007) et Ayrem
An Babaousmail (2008) situés en dehors de la vallée, à la commune d’Al Attef. Chacun de
ces projets est un cas particulier, ayant une genèse propre; liées à ses moyens financiers, ses
contraintes, ses principes et objectifs, ce qui fait d’eux, des exemples riches et variés en
expériences.
II. Description urbaine et architecturale des nouveaux ksour.
Les nouveaux ksour sont organisés en un tracé orthogonal régulier, sans centralité, ni
palmeraie. De ce fait, ils ne présentent pas la même morphologie urbaine que celle des
anciennes cités mozabites.6 On constate également un changement au niveau du parcellaire, -
6 Le ksar historique est une sorte de « module reproductible à plusieurs exemplaires sur courte distance » (Marc Côte, « une
ville remplit sa vallée: Ghardaïa », Méditerranée, Tome 99, 3-4-2002. Le Sahara, cette « autre Méditerranée », pp.107-110,
p.107.). Chaque module est autonome, limité, organisé en trilogie; ksar (bâti), palmeraie (verdure) et l’oued (l’eau) (Côte,
op.cit.). Le ksar est situé sur un piton ou une croupe dominant la vallée, répondant ainsi à un intérêt défensif mais qui permet
également la préservation des ressources hydriques, des sols fertiles et protège la cité du risque d’inondation. La surface du
Ksar est délimitée par un rempart pourvu de portes et de tours de guet, un dispositif défensif et « symbole de fermeture
idéologique de la cité » (Catherine et Pierre Donnadieu, Henriette et Jean Marc Didillon, Habiter le désert, p.44.). Le ksar est
un groupement radioconcentrique, ayant une morphologie compacte conçue dans un esprit d'économie de foncier et
d’intégration climatique et sociale. Il est doté d’une centralité mythique concrétisée par la mosquée, qui structure et oriente le
bâti mais également la communauté. La mosquée est construite sur le point le plus haut du piton, dont la domination est
4
- les voies sont plus larges-, et l’apparition de nouveaux espaces de façon à répondre aux
besoins de la population: salles de sports, espaces de loisirs, centres culturelles, parc
écologique…etc.
Néanmoins, la ressemblance avec l’ancien ksar se constate dans le développement en
« multiplication des noyaux »7et le choix du site d’implantation; des monticules rocheux
d’aucune valeur agricole, exprimant un souci de préservation des palmeraies. Ces ksour
reprennent également le principe de limitation du développement du ksar, afin d’avoir un
milieu gérable; de préserver l’écosystème ksourien et s’assurer de la bonne cohabitation entre
les habitants. La rationalité dans l’utilisation de l’espace reste, un des principes fondamentaux
de ces projets. Les maisons sont accolées l’une à l’autre en occupant la totalité de la parcelle,
ce qui donne un tissu compact. Ils reprennent également les éléments de base de la typologie
traditionnelle : les gabarits, le prospect, la hiérarchie des espaces, l’intégration visuelle du
projet dans son site naturel. Les éléments symboliques de l’ancien ksar ont été utilisés mais en
leur affectant un nouvel usage, à l’image des tours de guet, les puits …etc.
Les cellules reproduisent l’organisation spatiale traditionnelle.8 Les maisons sont organisées
en R+1 ou en RDC, avec une terrasse accessible. L’entrée est marquée par une skifa qui
renforcée par un minaret de forme pyramidale. Les circulations se font par un réseau de rues, ruelles et impasses, régies par
une hiérarchisation spatiale. Ces ruelles sont étroites, généralement couvertes afin de se protéger du soleil. La hiérarchie
spatiale est doublée par une hiérarchie fonctionnelle : les fonctions publiques sont rejetées dans l’espace profane situé à la
périphérie comme c’est le cas du souk (place du marché). Quant au centre ; l’espace noble, il est réservé à la mosquée et à
l’activité résidentielle. 7 Nassima Dris, Patrimoine et développement durable ressources-enjeux-lien social, Rennes, Éd. PUR, 2012, p.163. 8 L’architecture de l’ancien ksar est caractérisée par la simplicité, la sobriété et l’intégration au contexte culturel, économique
et naturel de la région. Ainsi que par une unité architecturale, marquée par des formes organiques aux lignes pures et une
harmonie de couleurs et de textures. Deux facteurs ont influencé l'organisation spatiale de la maison traditionnelle, le
premier, étant socioreligieux, dicte les pratiques menées et les espaces qui leurs sont appropriés. Le deuxième est d'ordre
technique, il s'agit des matériaux et des techniques employés dans la construction. C. Bousquet définit deux variables
Souk
B abEl- gharbi
B oulila
M osquée
B abEcharki
Figure02 : A gauche, le nouveau ksar Ayrem Babaousmaïl. Source : Med. Babaousmaïl.
Figure03 : Au milieu en haut, le nouveau ksar de Tinémmirine. Source : URBAT de Ghardaïa.
Figure04 : Au milieu en bas, le ksar de Beni Isguen. Source : OPVM de Ghardaïa.
Figure05 : A droite, le nouveau ksar de Tinaâme. Source : L’association Tinaâme.
5
donne un accès direct au salon d’homme, elle renvoie également au patio, Tisefri a été
également reproduite, elle est ouverte sur le patio et la cuisine. En cas d’existence d’un étage
superieur, ikoumar et tigherghert sont remplacés par des chambres. La cour a été introduite
dans les maisons des nouveaux ksour afin d’assurer éclairage et aération. En revanche, si on
admet l’hypothèse que la maison traditionnelle mozabite est issue du modèle méditerranéen
occidental. Celle-ci avait un patio qui fut couvert au M’Zab afin de diminuer l'intensité des
rayons solaires9. Donc une cour à ciel ouvert était jugée par les anciens mozabites comme
inadaptée aux conditions climatiques de la région. Ce constat, nous pousse à nous interroger
sur l’efficacité de ces cours et leurs effets sur le confort thermique. Les façades sont
harmonieuses, unies, caractérisées par des textures et des couleurs intégrées au site. La
maison au nouveau ksar reste introvertie de forme régulière, avec un haut niveau de finition et
de détail, contrairement aux formes organiques sans un vrai souci de finition des maisons
traditionnelles.
III. Le ksar comme œuvre collective, les éléments clés d’une dynamique participative.
Avant de passer à une illustration de la dynamique participative qui a marqué les nouveaux
ksour. Il est important de noter que le travail collectif, l’entraide et la participation sont des
éléments enracinés dans la tradition mozabite. Les conditions naturelles et historiques du
M’zab « imposaient aux hommes l’observation de la solidarité pour la survie »10
. Nous
avons, pour le moment, identifié trois facteurs définissant la pratique de la solidarité au
M’zab. Le premier étant l’appartenance à l’ibadisme « comprise comme un sentiment de
dépendance mutuelle inéluctable qui implique des obligations de solidarité est d’entraide, et
une commune responsabilité morale quant à la sauvegarde de la collectivité et au maintien de
l’éthique coranique »11
. Cette forme de solidarité est matérialisée par la halaqa des azzabas
(le conseil des dignitaires religieux). 12
Le deuxième facteur est l’appartenance à une
influentes quant à la pratique de l’espace du domicile mozabite, le sexe et la saison (Christian Bousquet, « l'habitat mozabite
au m'zab », Editions du CNRS, Annuaire de l'Afrique du Nord, Tome XYV.1986. p.263.).
La maison mozabite est réservée sur elle-même, close par des façades aveugles « c'est au ciel que la ville s'ouvre, et à
l'intérieur que les façades s'exposent » (Brahim Benyoucef, le M'Zab espace et société, Alger, Éd. IBD, 1992.p.128.). Elle est
également marquée par la sobriété et la limitation au strict minimum soit en espace ou en façades. Le principe d’organisation
est le même pour toutes les maisons du ksar, avec des variations de plans suivant les besoins du ménage et le site
d’implantation. L'entrée est marquée par une porte massive en bois de palmier, un seuil et une skifa (entrée en chicane)
garantissant ainsi l'intimité des occupants, même quand la porte est ouverte (Catherine et Pierre Donnadieu, Henriette et Jean
Marc Didillon, Habiter le désert, op.cit., p.75.). L’entrée, donne accès à un espace central polyvalent amas n’teddart (patio)
dans lequel se déroule une grande partie de la vie quotidienne. Une ouverture dans le plafond couverte par un chebeq (grille)
assure aération et éclairage de cet espace. Le patio est entouré de pièces servant d'espace de travail pour les femmes; coin de
cuisson, écurie et le tisefri (salon de femmes). Le rez-de-chaussée devient en cas d'absence de cave l'espace de séjour le plus
frais durant l'été. Au premier étage sont aménagés chambres et réserve, ces pièces sont opaques vers l'extérieur et s'ouvrent sur une galerie
appelée ikomar et une partie découverte tigharghart (cour du haut). L’étage dispose d’escaliers menant vers la terrasse, celle-
ci est réservée uniquement aux femmes, elle est utilisée pour dormir durant l’été, pour cela elle est entourée d’un haut
acrotère. Enfin, une pièce bien meublée d’un accès indépendant est réservée aux hommes, elle leur est aménagée soit au rez-
de-chaussée duaira ou à l’étage laali. Une maison ne doit jamais surplomber une autre ou l'ombrer, de ce fait la hauteur ne
dépasse guère 8m. Il est proscrit d'afficher sa richesse à travers les matériaux ou le traitement de la façade de sa maison. En
revanche, la richesse se déploie à l'intérieur des demeures. Les matériaux de construction utilisés sont issus du site, ce qui
leur confère deux caractéristiques. D'un côté « ils assurent l'intégration de la forme bâtie à son site par le biais de l'harmonie
chromique » (Marc Côte, la ville et le désert le bas-Sahara algérien, Paris, Éd. Karthala, 2005, p.193.). Ce qui implique une
concordance générale entre le bâtiment et le paysage général. D’un autre côté, cela garanti une concordance entre le climat du
lieu et « les propriétés thermo-physique » (Marc Côte, la ville et le désert le bas-Sahara algérien, op.cit.) du matériau. Les
mozabites utilisent principalement la pierre, la timchent, la chaux et le bois. 9 André Ravereau, le M'Zab une leçon d'architecture, Arles, Éd. Actes Sud-Sindbad, 2003, p.97. 10 Baelhadj Merghoub, Le développement politique en Algérie, Paris, Éd. A. Colin, 1972, p.36. 11 Nadir Marouf, identité-communauté, Paris, Ed. Le Harmattan, 1995, p. 156. 12 Les azzabas et la Djmaa « conseil des notables » sont les institutions traditionnelles du M’Zab. "Les azzebas" représentent
l'autorité religieuse de la cité, composée des cheikhs et présidée par le "cheikh Baba", cette assemblée est nommée "halaqah".
6
communauté ethnique, cette solidarité est mise en œuvre par le conseil des notables et les
achairs. 13
Dans les conditions ordinaires les gens sont animés d’une loyauté plus locale de
nature communautaire. Mais lors des circonstances particulières d’intérêts communs ou de
conflit, cette solidarité devient plus globale.
Le dernier facteur est celui d’une solidarité liée au droit à la ville; « si la nécessité d’intégrer
un groupe ou une famille hôte se justifie, par rapport aux besoins de la cité et à ses capacités
d’accueil, le groupe est d’abord intégré aux familles pour pouvoir jouir de la propriété
familiale et du droit de cité »14
. Ce processus de naturalisation a permis l’intégration à la ville
d’une main d’œuvre spécialisée et la création d’une solidarité économique. Ce qui nous
conduit à envisager que la solidarité mozabite est plus qu’un sentiment religieux ou clanique
mais qu’elle s’élève au rang d’une solidarité sociale encadrée et sanctionnée par des
institutions.
A propos du rapport entre la solidarité et l’acte de bâtir, le ksar est dans sa totalité un produit
collectif. C’est ainsi qu’il est difficile de savoir le prix d’une maison « car tout le ksar est bâti
sur la base des actes de bienfaisance »15
. La propriété foncière est d’un caractère familial et
social16
, les matériaux de construction sont extraits du site et les travailleurs sont les habitants,
eux-mêmes, organisés dans le cadre de touiza; improprement traduit en français par le mot
corvée, elle est « une forme de coopération où un groupe social se charge à construire une
habitation pour une personne dans une situation de nécessité. Ce groupe se crée et se
structure chaque fois que le besoin se fait sentir »17
. Ainsi, l’idée des nouveaux ksour, renvoie
en elle-même à un profond sentiment de solidarité. D’un côté envers les classes moyennes en
mettant à leur disposition des logements adaptés à leurs situations financières, de l’autre, à
une solidarité entre les générations exprimée par la volonté de transmettre, de partager et
d’assurer la continuité de l’héritage mozabite.
L’idée des nouveaux ksour est apparue pour la première fois par une initiative individuelle du
promoteur Ahmed Baba Ami18
; concrétisée par la création du nouveau ksar de Tinémmirine.
Suivi par Tafilelt initié par un des notables de la ville de Beni Isguen, Dr. Ahmed Nouh.
Ainsi, la réussite de ces projets a motivé d’autres ksour à entreprendre l’aventure. Amara
Moussa, vice-président de la fondation Amidoul, confirme que l’idée des nouveaux ksour est
à la base le résultat d’un besoin en logement exprimés par les achairs. La situation a amené
certains notables à penser à une solution. D’autant que le M’Zab, selon notre interlocuteur,
n’a bénéficié d’aucun programme étatique de logements. Donc c’était à la population et aux
notables Mozabites de trouver une solution à la crise du logement.
Ses membres sont chargés de diriger la vie spirituelle de la cité, la justice, l'aide aux veuves et aux orphelins et participent à
l'élaboration de discisions importantes en joignent leur avis à celui de Djmaa.
La Djmaa est une sorte de conseil municipal, ses membres sont les "Mokkadems" de chaque fraction. La Djmaa exerce "le
pouvoir temporel laïc" dans la cité et s'occupe des constructions et reconstructions, des pénalités... Elle possède "des gardes"
pour maintenir l'ordre dans le Ksar. Ces deux institutions (djmaa et azzabas) ont été affaiblies durant la colonisation, puis
dans les années d’oppression du parti unique après l'indépendance du pays. Voir : Catherine et Pierre Donnadieu, Henriette et
Jean Marc Didillon, Habiter le désert, op.cit., p. 37. 13 Taachirt/ achira / fraction, est l'unité administrative de base. Elle regroupe les familles d'un ancêtre commun. Elle est
dirigée par un conseil ayant une autorité et des biens, il se réunit pour discuter des problèmes du clan, il élit un porte-parole
de la fraction pour la représenter dans la djmaâ de la cité. Voir : Catherine et Pierre Donnadieu, Henriette et Jean Marc
Didillon, Habiter le désert, op.cit., p. 37. 14 Voir : Brahim Benyouce : http://brbenyoucef.blogspot.com. 15 Mohamed Addad, Toufik Mazouz, « Les anciens et nouveaux ksour: étude comparative. Cas du M’zab », Courrier du
Savoir –N°16, octobre 2013, pp.77-87, p.81. 16 Ibid.
17Addad Mohamed, entraide et participation dans l'habitat cas de Biskra et du M'Zab, Algérie, Éd. Bahaeddine. 2012,
p.109. 18 Promoteur, ingénieur en génie civil et initiateur du projet de Tinémmirine.
7
Après l’apparition de l’idée, celle-ci est exposée aux notables du ksar. Après validation des
institutions traditionnelles, les responsables du projet lancent un avis d’information aux
habitants. Néanmoins, le fait de discuter l’idée avec les notables et les représentants des
fractions est déjà un des canaux d’informations. Les responsables effectuent un appel auprès
des achairs afin d’organiser des réunions ; aux maisons communautaires19
ou à la mosquée.
L’entrepreneur peut alors s’engager dans des procédures administratives, l’acquisition de
l’assiette et l’obtention du permis de construire.
Afin de garantir la bonne gestion du projet dans toutes ses dimensions : technique, sociale et
financière. Les notables créent une association qui regroupe l’ensemble des propriétaires, à
l’exemple de la fondation Amidol de Tafilelt, l’association Tineâam du ksar Tineâam,
l’association Touiza des nouveaux ksour Tinémmirine et Thaounza…etc. L’association a
deux objectifs principaux : le premier est la gestion du projet ; depuis la sélection de la
population, la constitution des dossiers, la conception, la gestion du chantier, la distribution du
logement, jusqu’à la gestion du ksar après occupation. Le deuxième est le rôle d’intermédiaire
entre les habitants et les autorités administratives locales. La sélection des bénéficiaires20
se
fait par les achairs en accord avec le comité social de l’association du ksar. Le comité a pour
rôle, entre autre, encourager les jeunes à honorer leurs engagements financiers. Il est un garant
auprès des préteurs et favorise l’échange social entre les concernés et leurs proches plus aisés.
Après la sélection des habitants, l’association effectue des réunions régulières afin de
recueillir les avis, informer les futurs occupants des décisions prises mais aussi afin d’avoir de
nouvelles idées et un soutien de leur part.
Une esquisse du projet est proposée aux bénéficières, puis elle est discutée avec le promoteur
et son équipe de travail. Dans le cas du nouveau ksar de Tinémmirine, la participation à la
conception a conduit à la production d’une architecture sans architecte où chaque plan,
chaque maison est différente des autres. Quant au nouveau ksar de Tinâam, une dizaine de
variantes de cellules ont été affichées dans les locaux de la fondation Tinaâm. L’habitant
choisit celle qui lui convient le plus, puis il consulte la conception avec les architectes. Ceux-
ci modifient la variante suivant les exigences du client et calculent une estimation du prix du
logement. Une fois la conception et le prix validés, les architectes passent au travail sur le
terrain; aménagent le site et recalculent le prix de la cellule. Si, pour une raison ou une autre,
la somme augmente21
, le client est informé, et le bureau négocie avec lui une solution. Cette
opération s’est déroulée avec tous les habitants de Tinaâm, ce qui a donné un nombre de
variantes avoisinant les 600.
Dans le cas d’Ayrem Baba Oussmaïl, quatre propositions de cellules étaient présentées et des
échantillons réels étaient construits pour permettre aux gens d’émettre leurs avis. Durant les
travaux de réalisation, les gens avaient également la possibilité de faire des modifications.
Concernant le nombre de variantes, l’entrepreneur a signalé que celles-ci étaient limitées à
cause de la contrainte administrative et afin de remettre le projet dans les délais. Pour Tafilelt,
uniquement deux variantes ont été proposées mais des changements ont été effectués sur le
terrain lors de la réalisation des travaux. Apres la réalisation d’une première tranche de 50
19 Chaque famille (achira) a une maison nommée : la maison communautaire ou maison d’Al achira, dans laquelle elle
effectue des réunions de façon régulière afin de régler les problèmes des membres de la famille. 20 Le bénéficiaire doit répondre à une liste de conditions: être marié, ne pas avoir de propriétés en son nom et n’avoir reçu
aucune aide financière pour le logement. 21 Dans certain cas, l’emplacement de la cellule exige la construction d’une cave qui au départ n’était pas prévue. Celle-ci
peut engendrer une augmentation remarquable du prix du logement.
8
logements, le promoteur de Tafilelt a lancé une compagne d’évaluation, d’avis et de critiques.
Les résultats ont permis d’effectuer des améliorations sur le projet. 22
Pour des considérations financières mais également de cohésion sociale, les bénéficiaires
participent à la construction de leur demeure par la Touiza. Cela a permis selon Ahmed Baba
Ami - du ksar de Tinémmirine -, aux futurs voisins de se familiariser et de bien se connaitre.
Pour la touiza on constate deux cas, le cas de Tinémmirine, qui a effectué une Touiza de
grande envergure où chaque foyer était dans l’obligation d’effectuer 150 heures de Touiza.
Dans un deuxième cas, Cette dernière ne concerne que la construction des parties communes ;
la mosquée, l’aménagement des espaces extérieurs, le boisement et les activités de nettoyage
des quartiers. C’est le cas du reste des projets ; Tafilelt, Tinâm, Baousmail….etc.23
Concernant le financement des projets, certains ont eu recours à des prêts ; de la part de
bienfaiteurs, le temps de recevoir l’aide étatique et une partie de la contribution de la
population, comme ce fut le cas à Tafilelt. Sinon, les acteurs principaux étaient les
bénéficiaires et l’Etat24
, les achairs et des bienfaiteurs anonymes ont également pris en charge
quelques bénéficiaires peu solvables. La touiza a également participé à la réduction du coût.
Avec l’achèvement de la construction d’une tranche, une opération de distribution est
programmée. Le rendez-vous est fixé dans une maison d’achira en présence des habitants, des
représentants des institutions traditionnelles ainsi que ceux des autorités locales. La cérémonie
commence par une lecture de versets de Coran, des interventions de la part des responsables
puis un tirage au sort. Ainsi les échanges des maisons entre bénéficiaires restent possibles à
condition que cela se fasse de façon réglementaire. Dans le cas du nouveau ksar Tinémmirine,
les habitants avaient le droit de choisir leurs voisins en amont. Ce qui fait que maintenant,
confirme Ahmed Baba Ami, il n’y a, quasiment pas de conflit entre les habitant du ksar
depuis son occupation en 2003.
Pour le moment uniquement deux ksour sont totalement occupés, celui de Tafilelt et
Tinémmirine. Dans le cas de Tafilelt, une fois le ksar occupé, une charte est mise en
application. Elle est un contrat établit entre l’habitant et l’association, inspirée du code
d’urbanisme traditionnel (Fikh Al Omran فقه العمران). Elle contient des recommandations
concernant les règles du vivre ensemble, le respect du voisinage et des indications à propos de
la maison occupée25
. La charte signale également, dans le cas du nouveau ksar de Tafilelt,
que chaque personne est dans l’obligation de planter au moins un palmier, un arabe
d’ornementation et un arbre fruitier. Ainsi, dans chaque ilot du ksar et à tour de rôle, une
famille prend en charge la propreté du quartier.
IV. Un problème de mixité sociale.
Nous constatons que ces projets sont le produit d’une dynamique participative et d’une forte
solidarité du groupe. En revanche, celle-ci n’inclut pas la totalité de la population de la vallée.
Ces projets ne sont habités et construit que par des Mozabites. Ce qui nous conduit à nous
22 Durant le chantier la fondation a mis en place une école pour l’enseignement des techniques de constructions car la plupart
des ouvriers ne maitrisaient pas les anciennes techniques. Une expérience très intéressante puisqu’elle permet d’assurer la
transmission et la valorisation du savoir-faire Mozabite. 23 Quand le besoin se fait sentir, l’association suggère l’organisation d’une touiza. Elle fixe les modalités des travaux et
prépare le matériel, elle contacte ensuite les bénéficiaires. Ce type d’opération se déroule généralement en fin de semaine. La
touiza ne s’est pas arrêter avec la réalisation du projet mais elle continue avec la gestion du ksar. 24 Un quart du budget était attribué par la Caisse Nationale du Logement. 25Dans le cas de Tafilelt, le bénéficiaire est autorisé d’intervenir sur l’espace intérieur de sa maison, en revanche, toutes les
modifications pouvant altérer à l’aspect architectural de la maison sont interdites. (L’ajout des ouvertures, les extensions
verticales, changement de peinture, installation de grillages, une climatisation apparente, parabole…etc.).
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interroger sur les ressorts d’une forme de communautarisme. D’après nos interlocuteurs, qui
ont insisté pour conserver leur anonymat, les nouveaux ksour, malgré l’homogénéité de leur
population, ne résulte pas d’un problème de cohabitation ethnique. Ils confirment que le
problème n’est pas celui d’ethnies mais plutôt celui de mentalités et d’enjeux spécifiques à
chaque groupe ; enjeux liés aux différences culturelles, doctrinales et mode de vie.., etc. et qui
imposent aux membres du groupe de faire preuve de solidarité envers les leurs ; même une
« mauvaise solidarité »26
. Nos interlocuteurs ajoutent que « oui il y a une distinction spatiale »
mais elle ne concerne pas uniquement les nouveaux ksour, celle-ci touche l’ensemble de la
région. Elle est le résultat de l’évolution de l’urbanisation et du peuplement de la vallée. En
effet c’est par fraction que le ksar (le noyau fondamental de la vallée) est organisé. Après
l’occupation du ksar par les fractions, celui-ci a des servitudes (cimetières, palmeraie, un
espace tampon après les murailles…etc.). Or ces espaces sont la propriété de l’ensemble des
fractions du ksar et il est donc impossible de s’y installer, sauf si les fractions constatent un
besoin d’extension. L’arrivée des Arabes était tardive et leur installation était précaire (sous
forme de tentes et de baraques). Ce n’est qu’avec le temps que ceux-ci ont pu s’établir
décemment, alors que les ksour et les espaces qui les entourent étaient déjà des propriétés
mozabites. Ce qui fait que chaque groupe occupait un espace déterminé et des quartiers
distincts dans la vallée.
En outre, certains de nos interlocuteurs confirment qu’il n’y a pas eu, en amont, l’intention
d’exclure une partie de la population — arabe —, de ces projets. Ils signalent que même les
Mozabites des autres ksour n’en ont pas bénéficié car chaque ksar (ancien) est responsable de
la réalisation de sa propre extension et du logement de sa propre population. Le système
adopté est celui de fraction afin que les logements aillent au plus nécessiteux de la population
de chaque ksar. De ce fait en constate alors que les nouveaux ksour de Tafilelt, Tinemmirine,
Thaounza, qui sont des extensions de Béni Isguen n’acceptent que les ressortissants de cette
cité. Il est de même pour le nouveau ksar de Tineaâm — extension du ksar de Bounoura —
qui accueille seulement des gens de Bounoura. Un membre de l’association Amidol a
signalé : « la demande dépasse l’offre, Tafilelt n’a même pas pu répondre au besoin de Béni
Isguen en matière de logement alors pourquoi aller chercher une population d’ailleurs ; soit
Arabe soit Mozabite. » .Cette façon de gérer les ksour, renvoie, en effet à la forte autonomie
des organisations locales, un concept cher au cœur des Mozabites.
En revanche, quelques-uns des acteurs interviewés confirment que l’exclusion de la
population non mozabite était systématique. Selon eux, l’homogénéité de la population
semble indispensable pour la réussite des projets ainsi que pour leur bon fonctionnement.
C’est le cas du nouveau ksar de Tafilelt, où l’isolement était visé dès le départ. Un objectif
exprimé par le choix du site d’implantation ; un site isolé, loin des extensions étatiques afin
d’assurer l’autonomie du ksar.27
En effet, l’ensemble des nouveaux ksour (Tafilelt, Thaounza
et Ténimirine) avec l’ancien ksar de Beni Isguen semble être un bloc étanche imperméable à
toutes infiltrations étrangères. Ce choix d’isolement est justifié par la crainte des conflits.
Crainte qui ne s’est que trop confirmée avec les derniers évènements de Ghardaïa. En
revanche, Tafilelt enregistre des cas de bénéficiaires mozabites issus d’autres ksour, à ce
sujet, notre interlocuteur confirme que si les non Mozabites se voyaient d’emblée exprimer un
refus de leur candidature les Mozabites d’autres ksar, voyaient leur candidature examiné par
l’association en charge de l’admission. Malgré tous les élus étaient peu nombreux.
26 Cette terminologie est empruntée aux propos d’un de nos interlocuteurs. Est-il pertinent de parler de mauvaise solidarité ?
Le concept de complicité ne serait-il pas plus approprié ? 27 La manière même de l’acquisition du foncier renvoie à une volonté d’isolement. En effet, l’assiette de l’actuel Tafilelt a été
racheté par un des notables de la ville de Beni Isguen, afin d’empêcher toute installation indésirable ; soit étatique ou par des
non-Mozabites à proximité du ksar. Ce n’est qu’ensuite que ce site a été utilisé pour l’implantation du projet.
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Il semble aussi que la politique foncière adoptée par les autorités locales est en partie
responsable de la situation car elle renforce le séparatisme spatial et social dans la vallée. En
effet, ce sont les autorités locales qui se chargent de designer les assiettes foncières des
projets. Elles proposent des assiettes proches des quartiers mozabites quand le projet est
destiné aux Mozabites. De même, elles attribuent une assiette proche aux quartiers arabes
quand il s’agit d’un projet destiné à des populations arabes. Elles adoptent donc un “zoning“
— bien que cette politique satisfasse les habitants de la région puisque chaque groupe veut
rester dans son camp — “zoning“ qui va à l’encontre de l’encouragement d’une mixité
sociale. En fin de compte, force est de constater que les nouveaux ksour ne sont que dans la
continuité, et le résultat de cette politique foncière et des dispositions de toutes les parties en
présence. Bien que, malgré tout, les autorités locales prétendent essayer d’imposer des ratios
dans chaque projet de logement comme c’est le cas du ksar de Hamrayat à Al Atteuf. Dans ce
dernier cas, la condition de l’acceptation administrative du projet était que dans l’ensemble du
programme de logements, 23% devait être attribué à des non-Mozabites. Il semblerait en fait
que cette politique de ratio ne vise pas tant le renforcement de la mixité dans les quartiers
qu’une certaine justice dans l’accès aux logements. De fait, cette disposition n’a réussi qu’à
assurer une proximité spatiale sans autant avoir un effet réel sur la cohabitation sociale des
deux communautés.
Conclusion.
Les problèmes que connaît la vallée sur le plan urbain, architectural et environnemental ont
remis au premier plan les valeurs et le savoir-faire traditionnel mozabite qui a réussi à
produire un urbanisme fonctionnel, rigoureux et respectueux de la donnée locale. Ainsi était le
point de départ des nouveaux ksour; une nouvelle approche de l’occupation de l’espace
mobilisant les valeurs sociales mozabites.
Sur le plan urbain et architectural, les nouveaux ksour adoptent une démarche de
multiplication de noyaux ayant pour objectif la préservation de l’écosystème ksourien et la
création d’un espace limité et gérable. Ils optent également pour la valorisation de l’héritage
bâti mozabite dans le choix du site, des gabarits, des couleurs, des façades ainsi que dans
l’organisation spatiale des maisons. En outre, les ksour disposent d’équipements nécessaires
afin d’assurer une vie décente à ses habitants. En revanche, les interrogations se pressent
concernant les limites de la reproduction des éléments traditionnels; les concepteurs des
nouveaux ksour ont-ils imité intégralement l’architecture traditionnelle ? Est-ce que ceux-ci
ne se sont pas focalisés sur la reproduction des formes au détriment de questions plus
fondamentales comme le génie climatique de l’habitat ksourienne ?
Sur le plan social, les nouveaux ksour se sont basés sur une démarche participative par
l’implication des habitants dans la création de leur espace de vie. Sa mise en application
n’aurait pas pu être possible sans l’existence d’une organisation sociale originale. Il s’agit de
la vitalité du réseau associatif mozabite, la vivacité des institutions traditionnelles ; Azzabas et
notables et la forte solidarité du groupe. L’implication des institutions traditionnelles et des
habitants dans les différentes étapes du projet a donné à ces ensembles une sorte de légitimité
sociale. Ce qui permet de transférer les valeurs sociales vers les nouveaux ksour et d’éviter le
déracinement de la population. La participation permet également de cesser de voir l’habitant
du nouveau ksar comme simple consommateur du produit « habitat ». Mais, elle lui donne la
possibilité de s’identifier dans son espace de vie, exercer une action positive sur son quartier
et en devenir responsable. C’est en autre sorte « rendre la ville à ses propriétaires ».
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Néanmoins, ce type d’initiative reste très limité et peu représentatif de la réalité globale de la
participation citoyenne dans la vallée. Car finalement, elle ne concerne pas tous les habitants
de la région et les projets sont relativement petits. Donc l’enjeu est de garder la même
efficacité pour des projets plus grands avec une population hétérogène. Ainsi, la question qui
se pose désormais est si ce processus de participation ; basé essentiellement sur l’organisation
traditionnelle de la société mozabite n’aurait-il pas un effet négative sur la cohésion de la
ville ? Car, même si la participation a des vertus, « … implanté de manière isolée, elle risque
de renforcer les distorsions et les tensions facteurs de conflit. Pour être facteur de
citoyenneté, la participation des habitants doit être inscrite dans un contexte très
démocratique qui va permettre la mobilisation de tous les acteurs autour d’un projet…Le tout
doit être mêlé d’une volonté commune de trouver ensemble des solutions aux problèmes
rencontrés. »28
.
En revanche, la mixité sociale dans les nouveaux ksour reste un objectif loin d’atteinte. En
effet, malgré les vertus que peut avoir une politique de mixité sociale/ethnique, celle-ci
semble être utopique dans le contexte actuel de la vallée. La question de la mixité est un sujet
très épineux. La meilleure preuve en est que tous mes interlocuteurs sur le sujet ont réclamé
l’anonymat. Certains ont été prudents dans leurs réponses, d’autres se sont visiblement auto-
censurés afin de ne pas paraitre raciste. D’autres encore ont refusé de répondre. Certains enfin
m’ont même suggéré de changer le sujet de recherche. Pour eux ce type de sujet n’a qu’un
seul objectif ; semer la pagaille « الفتنة » entre les deux communautés. Toutes ces réactions
traduisent l’ampleur du malaise qui règne entre les deux communautés. Le séparatisme spatial
semble une traduction concrète de cette état de stress mais également un choix.
Les nouveaux ksour s’inscrivent dans la continuité de tout un processus de séparation socio-
spatiale. En effet, la totalité de nos interlocuteurs ont exprimé une nette volonté de
séparatisme spatial, sous couvert de différences doctrinales, de modes de vies, mais aussi pour
des raisons de sécurité. Cette situation rend impérieuse la nécessité d’une politique allant dans
le sens de l’encouragement d’une mixité. Il n’en reste pas moins que l’encouragement de la
mixité devra être mené avec d’infinies précautions car une mauvaise cohabitation peut mener
à des résultats inverses que ceux escomptés. Ainsi, une politique de mixité doit être entreprise
avec la participation des habitants et dans le but d’augmenter leur pouvoir de s’auto-organiser.
L’objectif pourrait être de mettre en place une mixité animée par la base « un choix fait par
les habitants ».
Mais l’inertie du système administratif a également entravé ce projet. Reste enfin des
difficultés liées au manque de la main d’œuvre qualifiée et aux fluctuations considérables des
prix des matériaux de construction. Pour terminer, les nouveaux ksour sont le choix de la
communauté mozabite, ils témoignent incontestablement à la fois d’un haut niveau
d’organisation et d’une très forte cohésion sociale, ainsi ils sont considérés comme un
prolongement des anciennes cités, conçu dans un souci de valorisation, de partage et de
transmission d’un héritage bâti et social milliaire.
28 Carrel Marion, Neveu Catherine, Jacques Ion, les intermittences de la démocratie ; formes d’actions et visibilités
citoyennes dans la ville, Paris, Éd. Le Harmattan, 2009, p. 132.
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