llb 20161102 bru - centre tricontinental...2016/11/02 · © s.a. ipm 2016. toute représentation...
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© S.A. IPM 2016. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.
Planète
22 La Libre Belgique - mercredi 2 novembre 2016 23mercredi 2 novembre 2016 - La Libre Belgique
Ils parcourent 500 kilomètres à vélo “pour la bonne cause”
Cher journaliste, je vous écrispour vous faire part d’une aventure extraordinaire. Celle ques’apprêtent à vivre Baptiste,Guillaume et JeanBenoît. Fraî
chement diplômés en ingénierie, ces troisjeunes Bruxellois nourrissent un rêve commun: découvrir le monde avant de commencer à travailler. Un soir, autour d’unbarbecue, ils ont donc mis sur pied un fabuleux projet, parcourir pas moins de500 kilomètres à vélo à travers le BurkinaFaso pour récolter des fonds et venir enaide à ce pays d’Afrique ‘vraiment trèspauvre’. Au lieu de se contenter de partiren vacances, ils se sont donné une mission:sortir la population locale de la misère.Avec un don de 25 euros, vous pouvez permettre à toute une famille burkinabée devivre pendant un mois. Pour 50 euros –somme déductible fiscalement – vous offrez à un groupe d’agriculteurs la possibilité de louer un camion, et pour 100 euros,les femmes d’un petit village peuvent enfinapprendre à lire et à écrire. Baptiste,Guillaume et JeanBenoît partent dans unmois. D’ici là, ils se tiennent à dispositionde la presse pour partager leur très bel engagement.”
Une belle ligne sur son CVVoilà plusieurs années que nous rece
vons régulièrement ce type de mails. Cequi semble indiquer, sinon l’émergence,le succès grandissant et constant decette pratique un peu particulière. Nulne pourrait légitimement condamner la
volonté de ces jeunes gens de se rendreen Afrique, d’y relever un défi sportif etde vouloir contribuer à son développement.
Mais développer l’idée que les pauvrespetits Africains attendent avec impatience l’arrivée de jeunes adultes blancsvenus de leurs pays riches pour les sortir de la pauvreté en offrant gracieusement un peu de leur temps de vacancesrelève d’une vision erronée de la réalitésocioéconomique des pays du sud et dela conception même du développement.
“Cette initiative fait partie de ce qu’onappelle aujourd’hui ‘le tourisme humanitaire’”, analyse pour nous le sociologueet directeur du CETRI (Centre tricontinental) Bernard Duterme. “Un marchéde niche – à l’image du tourisme solidaireou du tourisme écoresponsable – qui s’estdéveloppé suite à l’explosion du marché dutourisme. On y retrouve un nombre croissant de jeunes en quête d’épanouissementpersonnel, majoritairement issus d’un milieu aisé et universitaire, désireux de serendre dans un pays ‘pauvre’ pour se fairela main ou une belle expérience qu’ilspourront inscrire plus tard sur leur CV.”
Plein de bons sentimentsAussi engagé soitil, le baroudeur doit
prendre conscience qu’il voyaged’abord et avant tout pour luimême etnon pour sauver qui que ce soit. Cettenotion peut paraître accessoire, maiselle est fondamentale, et implique une
certaine modestie qui fait a priori défaut lorsque ce voyageur contacte lapresse pour vanter les mérites d’un“projet extraordinaire”. “Ce nouveaumode de tourisme répond à un besoincroissant de se distinguer, de se différencier, voire même parfois à une stratégied’éducation de la part des parents, explique Bernard Duterme. La plupart desvoyages touristicohumanitaires se fontvia une organisation intermédiaire (lirecicontre). Les jeunes qui lancent leur propre projet poussent cette logique au maximum. C’estrempli de bons sentiments,mais le schéma est tropsimpliste pour être efficace.Ces jeunes qui ne doutentde rien confortent la visiontronquée du chevalierblanc qui arrive sur samonture, en l’occurrenceun vélo, à la rescousse devictimes plutôt passives. Lefait de prévenir la presserévèle en outre un souci demettre en scène son propredévouement”, ajoute le sociologue. “Letouriste humanitaire a tellement le sentiment de faire quelque chose de hors ducommun qu’il veut aller plus loin que l’annonce Facebook pour se retrouver dans lejournal.”
Tout n’est pas à jeterComme toujours dans ce type de si
tuation, tout n’est pas noir ou blanc.
Certains acteurs jugent la démarche positive si elle respecte une série de critères. L’ONG belge Îles de Paix, par exemple, a récolté il y a quelques années lesdons de deux jeunes, partis effectuer9000 kilomètres à vélo en Amérique duSud. Pour la responsable de la communication de l’organisation, Christine DeBray, “il y a une énorme différence entreles jeunes qui partent pour sauver lemonde, planter des arbres ou construireune école, et ceux qui voyagent pour obser
ver la réalité de terrain,quitte à financer les projetsd’une ONG comme la nôtredont les programmes sontessentiellement exécutéspar des personnes du cru”.
Pour Basile Duquenne,l’un des deux cyclistes àavoir soutenu l’ONG,“l’idée était avant tout departir à vélo et de voyagerdifféremment. Mais nousnous considérions quenous étions tellementchanceux de pouvoir par
tir, que nous avions envie de récolter desfonds pour financer une association. Surplace, cela nous a permis d’accéder à unprojet d’Îles de Paix et de découvrir deschoses que nous n’aurions jamais vues parnousmêmes. L’idée n’était pas du tout dechanger le monde, plutôt de rencontrer desacteurs de terrain et de partager cette expérience en rentrant”.
Valentin Dauchot
Le très bon business du tourisme humanitaire
Le nombre croissant de “cyclisteshumanitaires” (lire cicontre) faitpartie d’un phénomène plus
large – et beaucoup plus problématique –, le développement du “volontourisme”. Ces séjours qui voient nombrede jeunes gens allier vacances et engagement humanitaire dans des projetsdont les ambitions sont parfois douteuses. “Le tourisme est l’un des secteurséconomiques les plus importants aumonde, mais aussi l’un des moins régulés, explique le responsable du CETRIBernard Duterme. Aujourd’hui, pratiquement n’importe quel touropérateurpeut créer son propre label sans que celafasse réellement l’objet d’une vérificationsur le terrain.” En quelques années unvéritable business s’est donc mis enplace autour de ces séjours dits “humanitaires”.
Des entreprises purement commerciales et n’ayant aucune expérience enmatière de développement proposentdésormais aux jeunes d’aller construire une école, donner des cours delangue ou soigner des malades dansun pays du Sud. “On voit arriver des entreprises qui vendent un produit – le volontariat – sans que les jeunes soient formés, nimême informés sur les avantages et des limites de leur action, confirme Claire deRoos, responsable de l’envoi des volontaires pour l’ASBL belge JAVVA. Et quandun mouvement de jeunesse ou toute autreorganisation est prêt à payer 3 000 eurospour aller à l’étranger en ayant le senti
ment d’être utile, c’est bingo.”
Le volontaire, ce clientTout cela n’est pas sans impact sur le
terrain. Premier problème, l’illusionentretenue par ces voyages que nosgrands ados peuvent aller sauverl’Afrique ou l’Amérique du Sud grâce àl’immersion. Deuxième conséquence,plus dangereuse, le fait que les “services” proposés par les volontaires puissent contrecarrer le développementde projets locaux. “Le volontaire nonconscientisé peut se considérer commeun client ayant droit à son expérience etréduire les populations locales au rôle deprestataire, les empêchant d’accomplirleurs propres initiatives”, estime de soncôté Laure Derenne, chargée de programme pour l’ONG Défi BelgiqueAfrique (DBA) spécialisée dans les séjours pour jeunes sur le continentAfricain.
“On constate également que les servicesproposés, voire imposés par certaines organisations ont parfois un impact délétère dans le Sud, en y créant des demandes artificielles pour ces services”, ajouteBernard Duterme.
Selon les Nations unies, citées parnos confrères de “Libération”, le Cambodge, par exemple, compte davantage d’orphelins aujourd’huiqu’en 1979.
En trente ans, ils sont passés de 7 000à 47 000. Un phénomène curieuxauquel l’Unicef apporte une explica
tion très simple : les trois quarts de cesenfants ont des parents, mais commeun nombre toujours croissant de volontaires étrangers veulent fournir desorphelinats, les enfants de famillespauvres leur sont régulièrement retirés pour être placés, quand ces familles ne placent pas ellesmêmesleurs enfants pour les sortir de la misère.
Tout n’est pas à jeterTout n’est évidemment pas à jeter.
Une expérience dans un pays en développement peutêtre extrêmementenrichissante, formatrice, et bénéfiquepour tout le monde, mais il faut que leséjour soit organisé avec une certaineconnaissance de terrain. Les organisations comme JAVVA et DBA tiennent àse distinguer en mettant toutes deuxen avant un élément essentiel : “Nousne faisons pas d’humanitaire.” “Nous envoyons chaque année une cinquantainede jeunes de 18 à 30 ans à l’étranger,mais nous commençons par leur expliquer que le travail humanitaire est effectué par des organisations professionnelles qui envoient des gens formés, et travaillent essentiellement avec lespopulations locales, insiste Claire deRoos pour JAVVA. Le volontariat n’estpas une finalité, c’est un outil. Les jeunesvolontaires, eux, partent pour bénéficierd’un échange culturel, pas pour aiderune population.”
V.D.
Toi aussi tu pars en vacanc es pour sauver le monde ?l De plus en plus de jeunessont tentés par une expérienceà l’étranger.
l Certains profitent de leur séjourpour financer une ONG ou selancer dans l’humanitaire.
l Mais ce qui ressembleà une bonne action,n’en est pas toujours une.
ADRI
ANNA
ELK/
PEXE
LS
25EUROS
“Avec un don de 25 euros,vous pouvez permettre
à toute une familleburkinabée de vivre pendantun mois.” Le genre de phrasedont regorgent les annonces
de départ pour un voyage“pour la bonne casue”.
“Qui peut encoresincèrement
penser qu’un paysen développementattend qu’un jeune
Belge vienne y passerses vacancespour mettre
en place des coursde langue?”
BERNARD DUTERME
© S.A. IPM 2016. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.
23mercredi 2 novembre 2016 - La Libre Belgique
Le très bon business du tourisme humanitaire
Le nombre croissant de “cyclisteshumanitaires” (lire cicontre) faitpartie d’un phénomène plus
large – et beaucoup plus problématique –, le développement du “volontourisme”. Ces séjours qui voient nombrede jeunes gens allier vacances et engagement humanitaire dans des projetsdont les ambitions sont parfois douteuses. “Le tourisme est l’un des secteurséconomiques les plus importants aumonde, mais aussi l’un des moins régulés, explique le responsable du CETRIBernard Duterme. Aujourd’hui, pratiquement n’importe quel touropérateurpeut créer son propre label sans que celafasse réellement l’objet d’une vérificationsur le terrain.” En quelques années unvéritable business s’est donc mis enplace autour de ces séjours dits “humanitaires”.
Des entreprises purement commerciales et n’ayant aucune expérience enmatière de développement proposentdésormais aux jeunes d’aller construire une école, donner des cours delangue ou soigner des malades dansun pays du Sud. “On voit arriver des entreprises qui vendent un produit – le volontariat – sans que les jeunes soient formés, nimême informés sur les avantages et des limites de leur action, confirme Claire deRoos, responsable de l’envoi des volontaires pour l’ASBL belge JAVVA. Et quandun mouvement de jeunesse ou toute autreorganisation est prêt à payer 3 000 eurospour aller à l’étranger en ayant le senti
ment d’être utile, c’est bingo.”
Le volontaire, ce clientTout cela n’est pas sans impact sur le
terrain. Premier problème, l’illusionentretenue par ces voyages que nosgrands ados peuvent aller sauverl’Afrique ou l’Amérique du Sud grâce àl’immersion. Deuxième conséquence,plus dangereuse, le fait que les “services” proposés par les volontaires puissent contrecarrer le développementde projets locaux. “Le volontaire nonconscientisé peut se considérer commeun client ayant droit à son expérience etréduire les populations locales au rôle deprestataire, les empêchant d’accomplirleurs propres initiatives”, estime de soncôté Laure Derenne, chargée de programme pour l’ONG Défi BelgiqueAfrique (DBA) spécialisée dans les séjours pour jeunes sur le continentAfricain.
“On constate également que les servicesproposés, voire imposés par certaines organisations ont parfois un impact délétère dans le Sud, en y créant des demandes artificielles pour ces services”, ajouteBernard Duterme.
Selon les Nations unies, citées parnos confrères de “Libération”, le Cambodge, par exemple, compte davantage d’orphelins aujourd’huiqu’en 1979.
En trente ans, ils sont passés de 7 000à 47 000. Un phénomène curieuxauquel l’Unicef apporte une explica
tion très simple : les trois quarts de cesenfants ont des parents, mais commeun nombre toujours croissant de volontaires étrangers veulent fournir desorphelinats, les enfants de famillespauvres leur sont régulièrement retirés pour être placés, quand ces familles ne placent pas ellesmêmesleurs enfants pour les sortir de la misère.
Tout n’est pas à jeterTout n’est évidemment pas à jeter.
Une expérience dans un pays en développement peutêtre extrêmementenrichissante, formatrice, et bénéfiquepour tout le monde, mais il faut que leséjour soit organisé avec une certaineconnaissance de terrain. Les organisations comme JAVVA et DBA tiennent àse distinguer en mettant toutes deuxen avant un élément essentiel : “Nousne faisons pas d’humanitaire.” “Nous envoyons chaque année une cinquantainede jeunes de 18 à 30 ans à l’étranger,mais nous commençons par leur expliquer que le travail humanitaire est effectué par des organisations professionnelles qui envoient des gens formés, et travaillent essentiellement avec lespopulations locales, insiste Claire deRoos pour JAVVA. Le volontariat n’estpas une finalité, c’est un outil. Les jeunesvolontaires, eux, partent pour bénéficierd’un échange culturel, pas pour aiderune population.”
V.D.
Toi aussi tu pars en vacanc es pour sauver le monde ?l De plus en plus de jeunessont tentés par une expérienceà l’étranger.
l Certains profitent de leur séjourpour financer une ONG ou selancer dans l’humanitaire.
l Mais ce qui ressembleà une bonne action,n’en est pas toujours une.
ADRI
ANNA
ELK/
PEXE
LS
“Qui peut encoresincèrement
penser qu’un paysen développementattend qu’un jeune
Belge vienne y passerses vacancespour mettre
en place des coursde langue?”
BERNARD DUTERME
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