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Habitat Inuit au Nunavik, tentative d’appropriation d’un modèle allogène.
septembre 2014
Mémoire préparé sous la direction de A. Clerc-Renaud et K. Hoffmann-Schickel
en vue de l’obtention de la première année de master anthropologie - ethnologie
Université de Strasbourg
Faculté des Sciences Sociales
Institut d’ethnologie
Chloé Le Mouël
Habitat Inuit au Nunavik, appropriation d’un modèle allogène.
septembre 2014
Mémoire préparé sous la direction de A. Clerc-Renaud et K. Hoffmann-Schickel
en vue de l’obtention de la première année de master anthropologie - ethnologie
Université de Strasbourg
Faculté des Sciences Sociales
Institut d’ethnologie
Chloé Le Mouël
En couverture : vue aérienne de Kangiqsujuaq (© Jean-François Le Blanc)
Remerciements
Je tiens à remercier A. Clerc-Renaud et K. Hoffmann-Schickel, mes directrices de
mémoire, pour leurs conseils tout au long de l’année. Ainsi que P. Dahan, L. Piccon,
A.Casault et les étudiants rencontrés à Strasbourg et à Québec (tout particulièrement
Marie-Pier).
Merci Andréanne et Mona, j’ai été ravie de vous rencontrer.
Merci Andréa pour le coup de pouce sur la parenté. Laurence, Franck et Guillaume,
encore une fois !
Table des matières
Introduction ....................................................................................................................... 5
Préalable : chronologie du nomadisme à la sédentarité .................................................. 10
1. Construction ................................................................................................................ 22
1.1 Tentes et maisons de neiges nomades ........................................................... 22
1.2 Période sédentaire : pavillons euro-canadiens .............................................. 42
2. Espace domestique .................................................................................................... 61
2.1 La parenté et la maisonnée ............................................................................ 61
2.2 L’iglu de neige, un espace de partage ........................................................... 72
2.3 La maison moderne appropriée ..................................................................... 77
3.2.1 Appropriation par le langage ........................................................... 79
3.2.2 Appropriation par le mode d’occupation ........................................ 81
3. Valeurs investies dans l’habitations ............................................................................ 91
3.1 L’igluvigaq : macrocosme de la femme enceinte, microcosme de l’univers . 91
3.2 Le logement-marchandise .............................................................................. 98
Conclusion .................................................................................................................... 100
Bibliographie ................................................................................................................. 103
Lexique ......................................................................................................................... 108
Index des acronymes ..................................................................................................... 112
Annexes ......................................................................................................................... 113
5
Introduction
Depuis mai 2011, le Plan Nord est au coeur des débats politiques du Québec. Il s’agit
d’un programme de développement économique des régions nordiques du Québec, au
delà du 49e parallèle nord. Il prévoit des investissements publics et privés de l’ordre
de 80 milliards de dollars dans un horizon de 25 ans. Le plan, qui se veut axé sur le
développement durable, comprend l’ouverture de mines, le développement de projets
d’énergie renouvelable et la construction d’infrastructures de transport. Les Inuit1 du
Québec sont donc concernés par ce programme et la question du logement inuit au
Nunavik est revenue dans le débat public avec le Plan Nord.
C’est également un sujet d’actualité dans le département architecture de l’Université
de Laval à Québec et à l’INSA2 de Strasbourg dont les étudiants travaillent sur des
propositions d’aménagement urbain, de logements ou encore d’améliorations thermiques
des bâtiments depuis 2013. C’est après avoir rencontré ces étudiants et vu leurs travaux
que ma curiosité pour le sujet a été éveillée et que j’ai souhaité me pencher sur son
volet ethnographique. C’est cette curiosité, vouloir comprendre comment on habite au
Nunavik, répondant au désir de travailler sur une question où se rencontrent à la fois
l’anthropologie et l’architecture, qui a motivé le choix de ce mémoire.
Les Inuit sont aussi connus sous le nom d’Esquimaux. Le terme Inuit signifie en
inuktitut3 les vrais humains, alors que le terme Esquimaux, tombé en désuétude, est
d’origine proto-algonquienne et peut se traduire soit par «Mangeurs de viande crue»,
soit par «Parlant une langue étrangère» (Bonte, 2008 : 386). Les Inuit sont environ 100
000, répartis de la Sibérie au Groenland (Bonte, ibid.). Les quelques 11 000 habitants du
1 Un Inuk, des Inuit : la forme plurielle ne prend pas de « s », ni en français, ni en anglais. L’adjectif, « inuit », est invariable (Collignon, 2010 : 64)
2 Institut National des Sciences Appliquées de Strasbourg, école d’ingénieurs et d’architectes.3 L’inuktitut est la langue maternelle parlée par 95% des inuit au Nunavik (GITPA, ibid.)
Carte du Nunavik dans la province de Québec. Le 55e parallèle est la limite Sud du Nunavik (SHQ, 2011)
8
Nunavik, dont 90% sont des Inuit, vivent le long des côtes dans 14 villages nordiques4.
L’instance politique du Nunavik est L’Administration régionale Kativik (ARK) (SHQ,
2001 : 8).
Le Nunavik, autrefois nommé le Nouveau-Québec, est le territoire québécois situé
au nord du 55e parallèle. Nunavik signifie le grand territoire habité (GITPA : 2). Faisant
partie de la région du Nord-du-Québec, le Nunavik couvre un territoire d’une superficie
d’environ 505 000 km2 dont la plus grande communauté est Kujjuaq. Onze de ses villages
comptent moins de mille habitants (ibid.).
Il règne au Nunavik un climat arctique : les hivers sont longs (jusqu’à huit mois pour
certains villages), très froids ( jusqu’à -40°C) et les vents peuvent être très violents. Il
n’existe pas de transport routier entre les différents villages : les déplacements se font
généralement par bateau le long de la côte lorsque les glaces le permettent et un transport
aérien est possible toute l’année (SHQ, ibid.).
Les Inuit se trouvent confrontés aux difficultés d’une sédentarisation rapide, aux
avantages et aux inconvénients de l’irruption de la modernité dans leurs territoires
(Collignon, 2001). La sédentarisation signifie une disparition de l’habitat nomade au profit
d’un nouveau modèle de pavillons de type euro-canadien (ibid.). Malgré la très faible
densité du Nunavik (0,02 hab/km2), il y a aujourd’hui un problème de surpeuplement
des logements : il manque environ 1000 logements, dont 500 vont être construits
prochainement (Corbeil, 2013). Dans le cadre de ce mémoire, je m’intéresse à l’habitat
aujourd’hui, 50 ans après la sédentarisation et juste avant la construction de ces nouveaux
logements.
Comment les Inuit, passés d’un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire, se
sont-ils appropriés leur nouvel habitat ? Qui construit ces habitations ? Celles-ci ayant été
importées, conçues pour un mode d’habiter autre que celui des Inuit, quelles conséquences
cela a-t-il eu sur leur propre mode d’habiter ? sur les relations entre les habitants ? sur les
représentations liées à l’habitat ? sur la culture et l’identité inuit ?
4 Le terme «village nordique» désigne une municipalité du Nunavik, Québec, créée par le législateur québécois en application de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois de 1975.
9
Pour répondre à cela, il est important de comprendre quelle a été la chronologie de
la sédentarisation afin d’en comprendre les enjeux. Nous nous intéresserons ensuite
aux techniques de constructions, à l’utilisation de l’espace domestiques et enfin aux
représentation liées à l’habitat dans une démarche de comparaison de la période nomade
et de la période contemporaine afin de comprendre comment se sont effectuées les
transitions.
10
Préalable : chronologie du nomadisme à la sédentarité
La sédentarisation des Inuit de l’Arctique canadien (Nunavik et Nunavut actuels), a eu
lieu au milieu du 20e siècle. Collignon (2001 : 384) estime que ce processus a été «une
brutale sédentarisation décidée par le gouvernement fédéral canadien approuvée par la
société euro-canadienne et orchestrée par des administrateurs ignorant tout ou peu près
de leur culture». Duhaime (1985 : 40), plus mesuré dans ses propos, déclare : «Certes,
la sédentarisation sera accélérée par la décision administrative ; mais elle est le fruit
d’une dynamique sociale engagée par la rencontre de deux modes de production, plutôt
que le résultat attendu d’un complot qu’on aurait ourdi dans les officines d’Ottawa».
La sédentarisation a été un processus complexe, jalonné de plusieurs étapes importantes
telles que la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois (CBJNQ).
Duhaime montre dans son ouvrage «De l’igloo au H.L.M.» comment la sédentarisation,
«ce processus essentiel à l’instauration du colonialisme d’État, cette charnière cruciale du
destin contemporain des Inuit» (ibid. : 5), s’est en quelque sorte imposée à tous les acteurs
à la suite d’un concours de circonstances et a été accélérée par intervention délibérée
de l’État. Il s’agit d’un colonialisme d’assistance, qui ne peut être assimilé à l’histoire
coloniale des grands empires (Therrien, 1995 : 248-9), dont les enjeux sont les ressources
fauniques, minières et hydrauliques (Duhaime, 1985 : 60). Therrien (ibid.) affirme que «au
cours de leur histoire récente les Inuit semblent avoir dû affronter davantage des situations
de transitions que des transformations radicales», arguant de la lenteur du processus
des premiers contacts entre Inuit et Qallunaat jusqu’à la sédentarisation complète. Elle
ajoute : «Aujourd’hui beaucoup d’Inuit de l’Arctique canadien disent n’avoir connu
qu’une seule expérience de véritable rupture, qu’un seul grand choc culturel, la mise
en place du système scolaire dans les années 50 et la création d’internats dans lesquels
régnait la volonté d’assimiler les populations jugées sans avenir dans le monde moderne»
(ibid.).
11
Période nomade : variations saisonnières
Les Inuit de l’Arctique canadien, avant leur sédentarisation avaient un mode de vie
nomade et saisonnier (Bordin, 2003 : §1). En effet, comme l’a montré Mauss (2012 :
144), « suivant les saisons, la manière dont les hommes se regroupent, l’étendue, la forme
de leur habitat, la nature de leurs établissements changent du tout au tout ». De plus,
elles abritent des groupes sociaux différents. L’installation des habitations d’hiver comme
d’été se faisait très majoritairement sur les côtes ; seulement 5,5% de la population du
Nunavik vivait à l’intérieur des terres (Labrèche, 2003 : 177 ; Mauss, 2012 : 158).
L’hiver, les Inuit vivaient regroupés dans des maisons de neige. La station, c’est à dire
le groupe de maisons de neiges, présente une forte densité (ibid. : 199). A ce moment,
le volume social, c’est-à-dire l’aire effectivement occupée et exploitée par le groupe, est
minimum ; même pour la chasse au phoque, les chasseurs restent dans une aire restreinte
autour de la station, les voyages sont limités au strict minimum (ibid.).
En été au contraire les Inuit se dispersaient le long des côtes par groupe bien plus
restreints, vivant dans des tentes de peaux très éloignées les unes des autres (ibid. : 202).
A l’immobilité relative de l’hiver s’opposent des voyages et des migrations souvent
considérables (ibid.). Ce mode de dispersion implique une extrême mobilité du groupe et
des individus. Mauss cite en exemple une station d’hiver située au Nunavut, à Igloulik,
où le groupe de la station d’hiver se dissémine en plus de 60 étapes sur l’espace côtier,
le long des rivières et des lacs intérieurs ; ces migrations demandent 6 à 12 jours de
marches (ibid. : 205). Enfin, Mauss fait appelle à la notion de volume géographique
(étendue spatiale réellement occupée par la société considérée) et volume mental (aire
géographique qu’elle parvient à embrasser par la pensée) des sociétés définis par Ratzel
pour montrer l’étendue de l’organisation de l’été :
«Il y a déjà un remarquable contraste entre les humbles dimensions d’une pauvre tribu Eskimo, et l’immense étendue de côtes sur laquelle elle se répand, ou bien les énormes distances où les tribus centrales pénètrent à l’intérieur des terres. Car le volume géographique des Eskimos, c’est l’aire de leurs groupements d’été. Mais combien est encore plus remarquable leur volume mental, c’est-à-dire l’étendue de leur connaissance géographique. […] Nous devons donc nous figurer la société d’été, non pas seulement comme étendue sur les longueurs immenses qu’elle occupe ou parcourt, mais encore comme lançant au-delà, très au loin, des familles ou des individus isolés, enfants perdus qui reviennent au groupe natal quand l’hiver est venu, ou un autre été après avoir hiverné au hasard ; on pourrait les comparer à d’immenses antennes qui s’étendraient en avant d’un organisme déjà, par lui-même, extraordinairement distendu.» (Mauss, 2012 : 208)
12
Premiers contacts
Les premiers contacts entre Inuit et Qallunaat se sont produits lors des séjours ponctuels
des premiers explorateurs Qallunaat (Labrèche, 2003 : 158 ; Therrien, 1995 : 248). Ils
sont ensuite suivis par les baleiniers et les pêcheries commerciales, dont quelques-uns
établirent des stations sédentaires (ibid.). Dès le milieu du 18e siècle les Inuit de la baie
d’Hudson ont accès à des produits importés ou manufacturés tels que des armes à feu ou
des couteaux en métal (Labrèche, 2003 : 158). Ils seront inclus dans le réseau d’échange
autochtones déjà en place, recherché pour leur durabilité et leur efficacité (ibid.). Cette
présence, même indirecte, détermine déjà une modification des comportements territoriaux
et domestiques (ibid.). Therrien (ibid.) date le début de l’histoire coloniale vers la fin du
19e, début du 20e siècle avec l’arrivée des négociants en fourrures, des missionnaires et
des administrations : tous trois auront un rôle actif dans la sédentarisation. L’exploitation
des ressources animales pour la traite de fourrure sera longtemps l’un des principaux
moteurs de l’implantation allochtone (Labrèche, ibid.).
Gravure d’Inuit construisant une maison de neige (le Capitaine Lyon, 19e siècle)
Fin du 19e s. : Commerce de fourrure
A la fin du 19e siècle le mode d’échange marchand prend vigoureusement racine dans
la société inuit (Duhaime, 1985 : 15). Les compagnies telles que la Compagnie de la Baie
d’Hudson (HBC) incitent les Inuit à faire des réserves de nourriture, afin de se consacrer
entièrement au piégeage pour le commerce de la fourrure durant certains mois de l’année.
Ces modifications dans le comportement vis à vis de la chasse a des conséquences sur la
13
distribution et l’activité des groupes inuit dans l’espace (Labrèche, 2003 : 159). Les Inuit,
toujours nomades, modifient leur lieux de regroupement et se rapprochent des postes de
traite (Duhaime, 1985 : 15). C’est également là que les Inuit se rencontrent à l’arrivée
du bateau d’approvisionnement de la Compagnie (ibid.). Une dépendance s’impose
progressivement (Labrèche, 2003 : 159). Juste avant la seconde guerre mondiale, la
demande en fourrures et les prix sur les marchés internationaux s’écroulent. L’économie
locale s’effondre donc et, parallèlement les troupeaux diminuent. Cela engendre famines,
épidémies et déclin démographique (Duhaime, 1985 : 16 ; Labrèche, 2003 : 159). La
communauté de Kangiqsujuaq est ainsi passée de 140 membres à seulement 68 en 1941
(Labrèche, 2003 : 159).
Première moitié du 20e s. : Premiers camps semi-permanents et politique anti-
sédentarisation
La Compagnie est autorisée par le gouvernement fédéral à donner des secours directs,
puis diverses allocations en nature (Duhaime, 1985 : 17). Ainsi les famines seront moins
fortes là où la Compagnie de la Baie d’Hudson opère des postes (ibid.). Ceci participe
à l’augmentation de la dépendance vis-à-vis de la Compagnie, qui représente désormais
l’État (ibid.). La politique de la Compagnie est de faire en sorte que les bons chasseurs
ne manquent de rien : la situation des plus démunis s’aggrave (ibid.). La HBC choisi
l’emplacement de ses comptoirs en fonction de leur accessibilité par mer, de la présence
des mouillages sûrs et d’une population environnante suffisamment nombreuse pour
le commerce et la mission anglicane qui accompagne généralement le comptoir. Entre
1884 et 1927, le gouvernement fédéral installe des stations de radio, des postes de
police et recherche des gîtes minéraux (ibid. : 19). Le gouvernement fédéral a le souci
d’installer sa souveraineté sur les territoires arctiques. Les Inuit, citoyens canadiens, lui
permettent d’assurer la présence canadienne au Nord (ibid. : 19). Aujourd’hui encore
cette souveraineté est un enjeu important pour le contrôle des routes maritimes (Pélouas,
2013 : 72).
Le magasin représente une source plutôt stable et directe d’approvisionnement, et de
secours possible. Autour de celui-ci des camps semi-permanents s’installent, ce sont les
14
futures villages encore en gestation (Duhaime, 1985 : 18). Néanmoins, le gouvernement
et la HBC ont une ligne de conduite anti-sédentarisation, ayant observé que celle-ci
provoque une détérioration de la santé des Inuit. Concrètement, cela signifie la distribution
de munition au lieu de nourriture ; l’achat des sculptures inuit par la HBC sauf aux Inuit
installés près du poste ; le fait que la HBC ne vende pas de matériaux de construction ;
la nécessité de suivre un mode de vie traditionnel (selon les critères de la HBC) pour être
éligible aux soins de santé (ibid. : 19). Le découragement à la sédentarité et l’assistance
minimales, tentatives pour revenir à l’auto-suffisance d’avant, n’auront pas un grand
impact sur le processus de sédentarisation déjà engagé (ibid.).
La tuberculose touche de très nombreux Inuit, environ un Inuk sur sept est envoyé
dans le Sud pour y être hospitalisé (ibid.). Ces évacuations médicales sont un phénomène
majeur dans l’histoire de la sédentarisation. Les hospitalisations peuvent durer plusieurs
années, pendant lesquelles les familles patientent pour le retour des malades près des
postes de la HBC ; ces familles amputées d’un ou plusieurs membres ont des difficultés à
subvenir à leurs besoins (ibid. : 22). Une fois rentrés, les Inuit soignés dans le Sud doivent
rester à proximité du poste pour se fournir en médicaments et pour aller à des rendez-vous
réguliers avec les infirmières (ibid.).
Un autre éléments qui favorise la sédentarisation est l’installation en 1941 et en 1955
de bases militaires qui emploient des Inuit (ibid.).
Duhaime (1985 : 27) conclut sur cette première période de sédentarisation :
«L’insertion des autochtones dans l’économie marchande, le déclin de cette économie, puis l’intervention étatique croissante changent donc le territoire, soumis principalement par le Capital et l’Etat qui en règlent l’usage. L’installation de la H.B.C. sur les littoraux du Nouveau-Québec inuit produit le germe d’un espace nouveau, auquel est conférée déjà la marque de la domination blanche.»
l950-1970 : Politique de sédentarisation
En 1957-8, l’idée de l’auto-suffisance par la culture traditionnelle est abandonnée
(ibid. : 29). Le nouvel objectif visé est l’indépendance économique des Inuit par le travail
salarié. Le gouvernement veut l’égalité des Inuit avec les autres citoyens canadiens
«pour leur permettre de partager l’amélioration des standards de vie du pays» (Canada,
D.N.A.N.R., 1958).
15
«Le gouvernement décide : « qu’il n’y avait plus de choix possible : il fallait changer le style de vie des Esquimaux et des Indiens, et remplacer presque entièrement les cultures autochtones par l’éducation du Blanc, par sa technologie et son organisation sociale. » (Judd, 1969). Il fallait dorénavant encourager activement la sédentarisation des habitants du territoire, condition sine qua non pour optimiser l’effet des institutions à partir de cette date et augmenter les chances de succès des activités de développement économique. […] il ne fait plus aucun doute que le Nord ne peut être développé de façon satisfaisante sans que les habitants ne soient établis en permanence dans des villages.» (Duhaime, 1985 : 29-30)
Pour le gouvernement, la sédentarisation est un outil au service du développement.
Entre 1956 et 1963 des enseignants et des infirmiers sont envoyés dans tous les postes
(ibid. : 30). L’école est obligatoire et l’instituteur, agent officiel du gouvernement, utilise
son pouvoir de décision quant aux allocations pour obliger les familles à envoyer les
enfants à l’école (ibid.). L’alternative qui est proposée aux famille est la sédentarisation
ou l’envoi des enfants en pensionnat (ibid.). Cela impose une nouvelle organisation
domestique : la chasse, qui était avant pratiquée par les deux sexes, devient une activité
masculine alors que les femmes restent au village pour s’occuper des enfants (ibid. : 31).
Au cours des années 1950 et 1960, les chiens de traîneau ont été massivement abattus par
les fonctionnaires du Canada et du Québec pour raison de surpopulation canine dans les
villages, sans prendre en compte que ceux-ci sont un moyen de transport pour les Inuit
(Makivik ; Radio Canada, 2011).
En 1962, les habitants des plus petites communautés sont incités par l’emploi à migrer
pour rejoindre les plus grandes communautés (ibid. : 32).
Vers la fin des années cinquante coexistent les camps de tentes ou de maisons de neige
avec ce qu’il convient désormais d’appeler les villages (ibid.). Ces villages sont tous
similaires :
«On y trouvera d’abord, presqu’invariablement, « les toits rouges du magasin de la H.B.C.» (Freeman, 1978) et des bâtiments que celle-ci y entretient ; non loin, les constructions des missionnaires. Puis, les bâtiments gouvernementaux : le dispensaire, l’école et quelque fois la G.R.C., la station météo et le ministère des Transports, en plus des résidences de ce personnel. […] Mais on trouvera également un nouveau type de maisons esquimaudes, dont la présence est signalée à peu près partout au nouveau Québec : la cabane faite par les habitants avec les matériaux disponibles» (ibid.)
16
Bâtiments de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans les années 1940 (Wilkinson, 1949)
Le changement de type de maison, la maison carrée utilisant des matériaux de
récupération venus du Sud, est venu des Inuit eux-mêmes à partir de 1952 via les cabanes
(ibid.). La mise en branle de politiques de logement pour les Inuit constituera une autre
incitation très forte à abandonner le camp et à venir vivre au village, accélérant ainsi
la tendance à la sédentarité (ibid.). A Quaqtaq, au début des années cinquante les seuls
bâtiments en dur sont ceux de la mission catholique ; à la fin de la décénie, les maisons de
bois (mal isolées et sans hygiène) ont remplacé les maisons de neige mais on continue à
se rendre au camp le printemps et à vivre sous la tente l’été (ibid. : 33).
Le changement du mode de vie, de nomade à sédentaire, a été initié par les Inuit et a été
encouragé par une volonté allochtone ; il en va de même pour la typologie des habitations.
Mais avec la sédentarisation les problèmes sanitaires et sociaux sont exacerbés.
1959 : Programme de logement
En 1959 le ministère des Affaires du Nord, encore une fois au nom de l’égalité avec
les autres citoyens canadiens, met sur pied un programme de logement en deux volets
(ibid. : 36) :
- Walfare housing : le gouvernement fournit des logements gratuits aux indigents, aux
minorités nécessiteuses.
- Accès à la propriété privée : l’État achète des maisons, des Rigid Frame et Matchboxes
(cf chap. 1.2) pour les revendre aux Inuit en subventionnant une part : une Matchbox coûte
1500$ CAN, l’aide gouvernementale s’élève à 1000$ CAN, 250$ CAN sont donnés en
guise de salaire au propriétaire qui érige lui même sa maison et 250$ CAN lui sont prêtés
sur 10 ans. Mais le prix des maisons augmente rapidement et ce volet du programme ne
rencontre aucun succès.
17
Les Inuit n’ont pas été consultés à propos de leurs besoins ; le savoir-faire local
concernant la conception du logement, les matériaux utilisés ou encore le mobilier a été
exclus du processus (Dawson, 2006 : 119). Duhaime (1985 : 69) qualifie cette attitude
d’«expression bureaucratique d’une réponse à un problème». Néanmoins les Inuit
accueillent ces maisons très positivement :
« Cela a été un très grand changement pour nous de passer de maisons froides à des maisons chaudes » (Duhaime 1985 : 36, entrevue n°14).
Le changement vient de la chaleur acquise, qui fait supporter les inconvénients de ces
maisons (petites, mal isolées, etc) (ibid.). Les cabanes et les maisons du gouvernement
permettent de faire chauffer un poêle et offrent un abri moins précaire contre les éléments
que la tente (ibid. : 37).
Les rapports de dominations qu’entretenait la HBC avec les autochtones passent
graduellement dans leur relation avec l’État. Ils viennent vivre dans les villages pour
les maisons ou à cause des pressions des agents fédéraux (ibid. : 38). Ottawa encourage
l’établissement des Inuit dans des villages permanents, où les services seront centralisés
et les dépenses ainsi rationnalisées (ibid. : 5). Le fait de se rassembler dans les villages
est également vu comme un moyen de se regrouper pour se défendre contre les blancs si
besoin (ibid. : 38).
Il existe une différentiation institutionnalisée entre ceux qui vivent dans les camps et
s’identifient à la bande, et ceux qui vivent au village et s’identifient au village (ibid.). De
la même manière, il existe une différence entre les employés du gouvernement, qui vivent
dans des maisons de bien meilleure qualité que la Matchbox ou la Rigid Frame, et les
autres Inuit qui vivent dans des maisons de qualité inférieure (ibid. : 36).
Finalement les maisons ne sont pas si bon marché, les frais de chauffage sont très
importants, l’étanchéité à la pluie, à la neige et au vent laisse à désirer (ibid. : 40). Elles
sont trop peu nombreuses, rapidement surpeuplées ; les taux de morbidité et de mortalité
(infantile notamment) se maintient et de nouvelles maladies se développent (ibid.). D’une
part, ces maisons ne suffisent pas à régler les problèmes qui se posaient à la fin des
années cinquante ; la situation perdurera jusqu’aux années 1970 (ibid.: 44). D’autre part,
la politique de logement contribue à étouffer l’initiative de la population dans le domaine
du logement en remplaçant un système autonome par un système hétéronome (ibid.).
18
1965 : Programme d’habitation locative esquimau
Par le Programme d’habitation locative esquimau (Eskimo Rental Housing Programm),
adopté le 12 octobre 1965, le gouvernement fédéral prend tout à fait en charge l’habitation
nordique (ibid. : 44). Il prévoit de construire 1600 maisons de trois chambres à coucher
dans quelque 43 villages dans l’Arctique canadien dont 500 seront construits au Nunavik
entre 1968 et 1973 (ibid. : 45). Elles sont toutes construites dans les villages, la construction
en dehors de ceux-ci est prohibée (ibid.). La localisation des villages est fixée, certains
sites sont abandonnés, d’autres sont maintenus (ibid. : 53).
Les maisons sont louées. Le loyer est calculé sur le revenu de la famille et ne doit pas
dépasser 20% de celui-ci (ibid.). Encore une fois, le programme différencie les employés
du gouvernement qui bénéficient de logements plus grands, plus solides, muni de l’eau
courante (ibid. : 49).
Le mouvement de sédentarisation touche à sa fin au milieu des années 70 (ibid. : 44).
La maison de neige a quasiment complètement disparu. La tente, elle, n’est plus utilisée
que pour de courts (mais nombreux) séjours de chasse (ibid. : 53). Cette politique illustre
le rôle de la maison comme outil majeur d’intégration des Inuit à la société dominante
(ibid. : 54).
1975 : La Convention de la Baie-James et du Nord Québécois (CBJNQ)
La Convention de la Baie-James et du Nord Québécois (CBJNQ) a été signée le 11
novembre 1975 par le Grand Council of the Crees, la Northern Quebec Association, le
gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec, la commission hydroélectrique
du Québec (Hydro-Québec), la Société d’énergie de la Baie-James et la Société de
développement de la Baie-James (Duhaime, 1985 : 60 ; SHQ, 2001 : 13). La Convention
détermine des catégories de terre sur lesquelles sont strictement délimités les droits des
parties, notamment en ce qui concerne l’exploitation des ressources fauniques, minières
et hydrauliques (Duhaime, 1985 : 60).
La Convention confère aux Inuit des droits d’administration locale aussi étendus que
ceux dévolus aux autres citoyens du Québec (ibid. : 61). Les Cris et les Inuit ont acquis
d’importantes responsabilités en matière d’éducation, de services de santé et services
19
sociaux, d’administration, de chasse, de pêche et de piégeage (SHQ, 2001 : 13). La
Convention prévoit aussi les structures administratives et les moyens financiers nécessaires
pour permettre à ces communautés autochtones d’assumer ces responsabilités (SHQ,
2001 : 13). Mais selon Duhaime (1985 : 69-70) il s’agit en réalité d’une participation sans
pouvoir : les Inuit ont comme seul pouvoir celui d’acheminer leurs doléances et opinions,
mais le fin mot revient toujours au Conseil du trésor. Les structures administratives mises
en place sont des instances participatives, qui ont peu de pouvoir, et qui suscitent peu
d’intérêt (ibid.).
En échange, les autochtones ont abandonné leurs droits sur un territoire de plus de 600
000 kilomètres carrés afin que Québec développe ce territoire selon les règles établies
par la Convention (SHQ, 2001 : 13). Comme le fait remarquer Corry (2012 : 6) : «le
développement, du moins pour la plupart des peuples indigènes, n’a pas pour vocation de
sortir les gens de la misère, mais bien de masquer la prise de contrôle de leurs territoires.»
1980 : Le transfert de responsabilités d’Ottawa à Québec
Le gouvernement de Québec montre son intérêt dès 1945 pour les ressources du
Nunavik, territoire sur lequel on compte une vingtaine de compagnies minières en 1956
(Duhaime, 1985 : 56). A partir de 1962 Québec cherche activement à obtenir le transfert
de la responsabilité administrative sur les Inuit du Nouveau-Québec (Nunavik) (ibid.). Il
l’obtiendra en 1980 : «le fédéral voit d’un bon œil la perspective de se départir de cette
coûteuse responsabilité, le Québec y trouve une voie pour légitimer sa présence sur tout
son territoire national légal » (ibid.). En février 1981, la province devient propriétaire et
gestionnaire des 800 logements jusqu’à là détenus par le ministère fédéral (ibid. : 65).
La gestion du logement existant revient partiellement aux municipalités, appuyées par
l’Administration régionale Kativik, qui doit se contenter d’un rôle mineur et d’un budget
réduit (ibid.). Québec conserve le pouvoir entier quant au logement neuf (ibid.).
Québec cherche à se démarquer d’Ottawa, qui avait une politique centralisatrice, en
portant une attention particulière aux petites communautés et en proposant des habitations
jumelées de meilleure qualité qui représenteront un tiers du parc du logement en 1990
(ibid. : 63, 65). De plus, Québec renforce le noyau institutionnel5 des villages (ibid. : 5 cf chap. 1.2 : «Organisation spatiale des villages» pour plus de détails sur le noyau institutionnel
20
58). Ces efforts sont une façon de s’approprier l’espace (ibid. : 63). Néanmoins, Québec
comme Ottawa marque la distinction entre ses fonctionnaires et les autres individus en
construisant des logements de meilleurs qualité pour les premiers (ibid.).
En 1979 et 1980, en vertu de la CBJNQ, les villages sont érigés en municipalités
(ibid. : 64) et portent le nom de «Villages Nordiques». Un budget annuel comportant une
estimation des besoins discutée au niveau régional est préparé au niveau municipal par
les comités de logement afin de déterminer la répartition des habitations à venir entre les
villages, et soumis à Québec (ibid.). Rien ne garantit que les organes locaux disposeront de
moyens nécessaires pour exercer leurs pouvoirs : les cordons de la bourse sont en d’autres
mains (ibid.). Malgré la concertation régionale et certaines clauses de la Convention de
1975, le gouvernement provincial décide des sommes allouées, des modèles d’habitation
livrés, du choix des contracteurs et des objectifs à long terme (ibid. : 65).
Suite à l’intervention de Québec, le nombre de maisons construites est bien inférieur
au nombre annoncé et le manque de logement se fait toujours sentir (ibid. : 63). Québec
fait donc face à un scepticisme de la part des Inuit (ibid.).
Depuis les années 1990 : une série d’ententes en vertu de la CBJNQ
En juillet 1986, Entente-cadre Canada-Québec sur l’habitation sociale : l’aide
financière gouvernementale est dorénavant canalisée prioritairement vers les ménages
les plus démunis (SHQ, 2001 : 14). Accord de mise en œuvre de la CBJNQ en 1990 :
construction, notamment au cours des années 1980 jusqu’au début des années 1990, de
quelque 130 à 140 logements sociaux par année (SHQ, 2001 : 14).
En 1993, le gouvernement fédéral annonce unilatéralement qu’il met fin à sa participation
financière à tout nouvel engagement à long terme dans le secteur de l’habitation sociale,
y compris au Nunavik. Toutefois quelques 130 logements sociaux ont pu être ajoutés
au parc résidentiel de la région au cours des années 1994 et 1995. Au cours des années
suivantes, entre 1995 et 1999, hormis quelques initiatives ponctuelles, notamment en
1999 (43 logements), très peu de logements sociaux ont été construits au Nunavik (SHQ,
2001 : 15).
des villages
21
Développement du parc de logements sociaux du Nunavik 1980-2001 : remplacement de logements vétustes et nouvelles unités (SHQ, 2001)
Depuis 2000, des plans quinquennaux sont mis en place entre le gouvernement du
Québec, le gouvernement du Canada et la partie inuite (Société Makivik, Administration
régionale Kativik et Office municipal d’habitation Kativik6) dans le but de développer le
parc de logements sociaux du Nunavik (Dutrisac, 2013 ; SHQ, 2001 : 24). Dutrisac estime
ainsi que :
«En cessant d’investir pendant six ans, Ottawa a créé une pénurie de logements qui n’a cessé de s’aggraver avec le temps, malgré la reprise des investissements en 2000. Ainsi, la pénurie est passée à 459 à 628 unités en 2003 et à 900 à l’heure actuelle [en 2013] sur un total de 2673 logements sociaux.» (ibid.)
Le pouvoir est graduellement passé des mains autochtones aux mains d’institutions
exogènes, agissant avec rationalité, de manière technocratique : le logement constitue
désormais une question politique et les problèmes qu’il pose sont susceptibles d’être réglés
par l’expertise (Duhaime, 1985 : 70). Cela se traduit dans l’espace par la concentration de
la population dans des lieux dominés par la puissance gouvernementale (ibid. : 5).
6 cf chap. 1.2 : «Les acteurs de la construction»
22
1. Construction
1.1 Tentes et maisons de neiges nomades
Comme l’explique Bordin dans le «Corpus lexical de l’habitat inuit de l’Arctique
orientale canadien», iglu est un terme générique en inuktitut désignant tout habitat. Ce
que nous nommons en français iglou (ou igloo), est désigné en inuktitut par le terme
igluvigaq : maison de neige (Bordin, 2003). De plus, il justifie l’usage du terme «habitat
nomade» plutôt qu’habitat traditionnel» :
«l’expression « habitat nomade » fait référence aux formes d’habitat en usage à l’époque antérieure à la sédentarisation et où le mode de vie inuit était exclusivement lié au cycle des saison ; par cette expression, il faut donc comprendre la maison de neige, la maison semi-souterraine et la tente. La tradition n’est pas figée dans le passé, elle est au contraire dynamique et se réinvente tout au long de l’histoire d’une société ; c’est pour cela que nous n’utilisons pas l’adjectif « traditionnel » pour qualifier l’habitat d’avant la sédentarisation. Selon les Inuit, la tradition appartient à ce qui peut être qualifié de atuqsaq, c’est-à-dire d’utilisable car ayant fait la preuve de son efficacité tout en étant sans cesse réactualisé par un usage régulier» (ibid.)
Avant le passage à la sédentarité, les Inuit vivaient dans des maisons de neige (igluvigaq)
en hiver et des tentes (tupiq) en été. Les Inuit «avaient été jusqu’alors entièrement maîtres
de la conception et de la construction de leurs habitations, façonnées en adéquation avec
leurs représentations mais aussi avec leurs besoins du moment et les matériaux alors à
leur disposition» (Collignon, 2001 : 390). Entre ces deux formules, l’igluvigaq et le tupiq,
existait une variété de solutions intermédiaires telles que l’igluvigaq à coupole colmatée
au printemps ou la tente à double recouvrement de peau, mousse végétale isolante et/ou
muret de neige compactée à la base en automne (Baillargeon, 1979 : 8 ; Labrèche, 2003 :
164 ; Mauss, 2012 : 177). Alors que les deux premiers types permettent une plus grande
mobilité grâce à la rapidité de construction ou de montage, les seconds, solutions hybrides,
obligent à se fixer à un même endroit pendant une période prolongée (Baillargeon, ibid.).
Labrèche date l’apparition de la maison de neige dès le Dorsétien7. Il constate lors de
fouilles archéologiques que la tente, se retrouve à toutes les époques, des origines à nos
jours. Les Inuit du Nunavik n’ont jamais vécu dans les maisons semi-enterrées (qarmaq)
ni les maisons longues comme leur ancêtres Dorsétiens ou Thuléens (Collignon, 2001 :
388). Mais selon Mauss (2012 : 188) : « on peut établir historiquement que l’iglou est un 7 voir tableau de la chronologie de l’Arctique en annexe
23
succédané de la maison rectangulaire ou polygonale ».
«L’iglou présente d’ailleurs tous les caractères essentiels de la grande maison : il est, d’ordinaire, multiple, composite ; c’est-à-dire que deux ou trois iglous s’agglomèrent ensemble et viennent déboucher sur un même couloir ; il est toujours excavé en terre; il est toujours muni d’un couloir dont le débouché est à demi souterrain ; enfin, il contient, au minimum, deux bancs de neige avec deux places de lampes.» (Mauss, 2012 : 189)
La maison longue
Fondations de pierre d’une longue maison, site archéologique de l’île Pamiok, non loin de Kangirsuk (Lkovak, 2010, Wikipédia)
Elle est le témoin d’un mode d’organisation communautaire élargie datant du Dorsétien
récent. Lors de ses fouilles archéologiques Labrèche n’en a trouvé qu’un seul exemple
dans la région de Kangiqsujuaq :
«Cette maison mesure 25 m de longueur et sa largeur varie de 5 à 7 m. Sa forme est presque rectangulaire avec des angles arrondis. Le bourrelet périphérique est consolidé de gros blocs et de dalles dressées et sa hauteur varie de 25 à 50 cm. Deux séparations intérieures, transversales correspondraient à deux pièces de dimensions égales et à une troisième de plus grandes dimensions dans la partie la moins profonde de la maison. Identifiée au site JiEv-4 (Dét.12), cette maison est d’âge préhistorique d’après les quelques éclats de quartzite retrouvés dans les sondages.» (Labrèche, 2003 : 171)
24
La maison semi-souterraine : qarmaq
Coupe de la maison d’Angmagssalik (Mauss, 2012)
Une habitation semi-souterraine dorsétienne ou thuléenne est une habitation d’hiver
permanente, qui aurait pu abriter environ 10 personnes (Labrèche, 2003 : 166 ; Turner
1894 : 228). Collignon (2001 : 388), Labrèche (ibid.) et Turner (ibid.) la décrivent de
la même manière : partiellement souterraine (enfoncée d’environ 60 cm), les murs de
pierres soutiennent des poutres de bois flottés ou de côtes de baleine cimentées avec de la
terre ou de la tourbe, la toiture est en tourbe ; celle-ci peut être complétée par des peaux,
qui peuvent être celles de la tente. Le creusement d’une maison et la construction d’un
bourrelet devaient être réalisés avant que le sol ne soit gelé. Certaines maisons peuvent
avoir un long tunnel d’entrée ou un sas thermique, et peuvent également avoir un porche
extérieur dédié à l’entreposage. Labrèche constate que le couloir est présent dans les
maisons thuléenne, plus rarement dans les dorsétiennes. Les aménagements intérieurs
peuvent être une séparation intérieure ou encore une plate-forme surélevée à l’arrière de
l’habitation (caractéristique des habitations thuléennes).
25
La maison de neige : igluvigaq
Igluvigaq, maison de neige (USIS, 1956)
Selon Labrèche, il existait trois types de maisons de neige construites selon les besoins :
- sinittavik : habitat de voyage, construit rapidement, abritant un petit nombre d’Inuit
pour un temps très limité ;
- igluvigaq : habitat utilisé au quotidien par toute la maisonnée, construit pour un
temps plus long ;
- qaggiq (Labrèche, 2003) ou kashim (Mauss, 1904-5) : lieu d’assemblée, espace de
jeu, commun à tous les membres de la station d’hiver, plus grand que l’igluvigaq.
Ces trois types de maisons de neige diffèrent par leur taille, le temps et le soin accordés
à la construction, et l’aménagement intérieur. Mais la technique de construction reste
la même pour les trois. Je m’attacherai donc ici à décrire les étapes de construction de
l’igluvigaq, l’habitat du quotidien pendant la saison d’hiver. Cette description s’appuie
sur différents auteurs qui décrivent la construction des igluvigaq8, ainsi que sur le
8 - Bordin (2003) : Nunavik et Nunavut - Csonska (1988 : 106-7) : Nord-ouest de la baie d’Hudson - Duhaime (1985) : Nunavik et Nunavut - Labrèche (2003) : région de Kangiqsujuaq-Salluit, Nunavik. - Turner (1889-90) : district de l’Ungava (le district de l’Ungava à la fin du 19e siècle correspond
aujourd’hui au Nunavik, plus une partie de Terre-Neuve-et-Labrador à l’est et descend bien plus au Sud)
26
commentaire et ma propre observation de plusieurs films documentaires9.
1. Choisir le site et la neige :
Test de la qualité de la neige et marquage de l’emplacement au talon (Wilkinson, 1949)
L’emplacement est choisi en fonction de la géographie du lieu : dans un creux protégé
par une accentuation très locale du relief, près d’un ruisseau, à l’abri du vent, où la
neige peut s’accumuler, où le sol est bien drainé, où le terrain est relativement plat et
accessible (Labrèche, 2003 : 172, 174), mais aussi en fonction de la neige présente sur le
site. En effet, celle-ci doit être ferme mais doit pouvoir être coupée ; la couche de neige
doit être homogène pour ne pas risquer de se briser ; elle doit être en quantité suffisante
pour l’intégralité de la construction (Wilkinson, 1949). Si la neige est de bonne qualité,
l’habitation entière peut être construite avec la neige présente à l’intérieur du cercle de
son emplacement futur (Wilkinson, 1949). La neige est sondé en plusieurs points à l’aide
d’une tige (ibid.) ou d’un couteau à neige (Turner, ibid.).
La décision de l’emplacement revient à la femme (Duhaime, 1985 : 52), ou, dans le
cas d’un iglu de voyage pour plusieurs hommes, la décision revient à l’aîné de ceux-ci
(Wilkinson, ibid.). L’emplacement est dessiné au talon dans la neige (ibid.), la taille de
l’iglu s’adapte au coup par coup à la taille de la maisonnée (Collignon, 2001 : 399). Un
iglu de voyage mesurera moins de 2m de diamètre alors qu’un qaggiq pourra atteindre
8m de diamètre et 4m de hauteur (Caron et al., 2006 : 51). Collignon (ibid. : 399)
remarque que l’igluvigaq est orienté selon les 4 points cardinaux, comme un être humain
en mouvement.
9 - Flaherty (1922) : région d’Inukjuak, Nunavik - Wilkinson (1949) : Canada (pas de précision s’il s’agit du Nunavik ou Nunavut) - Malaurie (1995) : lieu inconnu
27
2. Découper les premiers blocs :
Découpe des blocs au couteau à neige (Wilkinson, 1949)
Un bloc de neige coupé pour la construction d’une maison est appelé auviq (Bordin,
2003). Ces blocs sont découpés par l’homme à l’aide d’un couteau à neige ayant la forme
d’une petit épée et appelé pŭnŭk (Turner, 1889-90 : 223) ou panar (Csonska, 1988 : 106).
Ceux-ci étaient originellement faits d’ivoire, d’os ou de bois de caribou, et le tranchant
de leur lame était amélioré grâce à une fine pellicule de glace (Csonska, ibid. ; Wilkinson,
1949). Puis ils ont été remplacés par des couteaux d’acier ou des scies disponibles au
Poste pour la somme approximative d’une peau de renard (ibid.).
Dans le film de Wilkinson «Comment construire votre iglou» on peut observer que
l’inuk en charge de la découpe des blocs commence par délimiter un rectangle dans la
neige de la pointe de son couteau à neige, puis il creuse les quatre cotés de ce rectangle
toujours à l’aide de son couteau. Il découpe les blocs de neige dans ce rectangle dont
la largeur correspond à la longueur des futurs blocs. Trois cotés du bloc sont donc déjà
coupés. Le quatrième coté est coupé, sauf les derniers centimètres à chaque bout afin
d’éviter que le bloc ne se brise. La découpe se fait d’abord de toute la lame (lame parallèle
à la surface de la neige) puis à l’aide de la pointe du couteau (lame perpendiculaire à
la surface de la neige). Turner compare ce geste à celui du sciage. La hauteur du bloc
correspond donc à la longueur de la lame du couteau. Dans le film de Wilkinson, on peut
voir qu’après avoir coupé le quatrième côté, l’inuk détache simplement le bloc en le
soulevant : le dessous se brise naturellement ; Turner a observé que le bas du bloc était
coupé à l’équerre avant que celui-ci ne soit soulevé. Les blocs trop irréguliers ou cassés
sont mis de côté (Turner, 1889-90 : 224).
La dimensions des blocs décrits par Wilkinson (ibid.) et Turner (ibid.) sont du même
ordre, respectivement : « 3 pieds sur 2, et 4 pouces d’épaisseur » (soit environ 90x60x10
cm) et « 2 pieds de haut, un peu plus en largeur, et 8 à 10 pouces d’épaisseur » (soit
28
environ 70x60x20 cm). On remarque que la taille des blocs correspond à ce qui peut être
soulevé par un seul homme, entre ses bras. Il est parfois nécessaire d’utiliser des blocs
d’une épaisseur plus importante afin d’éviter que le vent et les rafales de neige n’usent la
structure au point de laisser passer le froid ou de compromettre sa stabilité (Turner, ibid :
125).
3. Construire le dôme:
Etapes de la construction du dôme de neige (Wilkinson, 1949)
Le dôme est l’expression architectonique10 de l’utilisation des blocs de neige, c’est-à-
dire que cette forme est la plus adaptée pour obtenir une stucture stable avec ce matériau.
La construction du dôme, comme la découpe des blocs, est une tache qui revient à
l’homme. Le constructeur se tient là où les premiers blocs ont été coupés : il construit
autour de lui, travaillant toujours de l’intérieur ; il coupe les blocs de neige et les ajuste à
l’aide du couteau à neige (Flaherty, 1922 ; Turner, 1889-90 ; Wilkinson, 1949).
Ici les descriptions de Flaherty, Turner et Wilkinson se recoupent. La première rangée,
l’assise, est mise en place en déposant les blocs de neige un à un, bout à bout, en forme
de cercle. Ils sont déposés à même la surface de la neige. Les cotés de chaque bloc sont
équarris au couteau à neige de façon s’ajuster. Une fois que la première rangée est finie,
les premiers blocs sont taillés en biseau afin d’établir une pente.
La seconde rangée commence sur cette pente, dans une spirale continuelle vers la clé
de voûte de l’édifice. Le premier bloc de la seconde rangée est plus long de façon à ce que
les joints ne soient pas au dessus l’un de l’autre, et ainsi rendre la structure plus stable.
Le sens de rotation dépend du constructeur : un droitier travaillera tiendra son couteau
de sa main droite et alignera les blocs dans le sens inverse des aiguilles d’une montre ;
un gaucher montera son dôme dans l’autre sens (Wilkinson, 1949). Afin de recevoir un
10 La tectonique, ou architectonique, en architecture a été défini comme la poétique de la structure (McRoberts, 1998).
29
nouveau bloc, le dessus de la rangée précédente est taillé au couteau à neige afin de
l’aplanir et de l’incliner vers l’intérieur. Les blocs sont ajustés au bloc précédent et aux
blocs de dessous. Le soin apporté à l’ajustement dépend du type d’iglu : une maison de
neige temporaire peut prendre 40mn à construire par un inuk seul, avec un ajustement
entre les blocs grossier ; un igluvigaq, pour un séjour de plus longue durée, peut prendre
jusqu’à deux jours (Flaherty, 1922 ; Wilkinson, 1949).
Le constructeur travaille depuis l’intérieur, il équarrit les blocs au couteau à neige pour les ajuster en une spirale continue (Wilkinson, 1949)
L’inclinaison s’accentue à mesure que l’on se rapproche du haut. Les arrêtes sont de
plus en plus aiguës, et l’ajustage de plus en plus précis. Le haut du dôme se nomme kajjiq :
sommet du dôme de la maison de neige, sommet du crâne, épis de cheveux (Bordin,
2003 : §8). Les derniers blocs sont les plus délicats à poser : ils doivent être parfaitement
ajustés afin de ne pas tomber et assurer la résistance de la demi-sphère. Le dôme de neige
doit être façonné soigneusement, en particulier lorsque les températures s’adoucissent
et que la neige se ramollit risquant d’entraîner l’affaissement de tout l’édifice. Le dôme
est assez solide pour supporter le poids d’un homme, mais un vigoureux coup de poing
peut causer un trou dans la paroi (Wilkinson, 1949). Le dernier bloc, clé de voûte, est
taillé de manière à s’adapter au trou final. Il est inséré depuis l’extérieur avec l’aide
d’une seconde personne (Turner, 1889-90 : 224) ou depuis l’intérieur par le constructeur
lui-même (Wilkinson, 1949). Le dernier bloc du dôme de l’igluvigaq se nomme qulliti
(littéralement : ce qui est le plus au-dessus) (Bordin, 2003 : § 58).
Un orifice étroit dans le plafond sert de cheminée afin de faire sortir l’air vicié. L’air
frais vient d’un autre orifice près de la porte (Wilkinson, 1949). Bordin nous apprend que
ces orifices se nomment respectivement kangiq (trou d’aération, cheminée) et qingaq
(trou d’aération, nez).
30
4. Calfater les joints :
Les femmes et les enfants calfatent les joints (Flaherty, 1922)
Pendant que l’homme pose les blocs, la femme et les enfants comblent les interstices
entre les blocs à l’aide de neige tassée à l’extérieur du dôme (Flaherty, 1922 ; Turner,
ibid.). Elle s’aide d’un petit couteau à neige, de la taille d’une main (Flaherty, 1922).
Dans le cas où aucune femme n’est présente, par exemple dans le cas d’un iglu de
voyage, les hommes montent ensemble le dôme de neige puis, une fois celui-ci fini,
réalisent le calfatage ensemble (Wilkinson, 1949).
Finalement, la chaleur de l’intérieur combinée aux vents extérieurs cimentent les blocs
fermement (ibid.).
5. Percer l’entrée :
L’entrée est percée depuis l’intérieur, puis un tunnel est créé afin de protéger le passage (Wilkinson, 1949)
L’homme ayant réalisé le dôme depuis l’intérieur se trouve enfermé dans celui-ci une
fois qu’il est achevé. Il réalise donc une ouverture taillée au couteau à neige dans les
blocs de la première rangée permettant le passage d’un homme à quatre pattes (Flaherty,
1922 ; Turner, ibid. ; Wilkinson, 1949). Dans le cas d’un iglu de voyage, un simple bloc
de neige sert de porte (Wilkinson, 1949). Dans le cas d’un igluvigaq, Turner explique
qu’une tranchée est réalisée et que des blocs sont placés en arc au dessus de celle-ci pour
31
former un passage à l’abri jusqu’à la porte. Il ajoute que diverses formes d’entrée, toutes
tortueuses, peuvent être réalisées afin de protéger l’entrée du vent et des rafales de neige.
Par exemple, il est possible de réaliser un paaqtuilitaq : un mur de neige de protection
devant l’entrée de l’igluvigaq pouvant atteindre la hauteur de l’épaule (Turner, ibid.).
6. Créer une fenêtre :
Un bloc de glace est extrait afin de servir de fenêtre, il est incrusté dans le dôme, un bloc de neige placé perpendiculairement reflète le soleil vers la fenêtre (Flaherty, 1922)
Dans le documentaire de Wilkinson, on peut voir en détail l’étape de l’ajout d’une
fenêtre. Cette fenêtre se nomme igalaq (Saladin D’Anglure, 1978 : 41). L’homme
découpe une galette de glace à la surface d’un lac gelé à l’aide d’une lance. Il la retaille
sur place de façon à obtenir un forme relativement arrondie, puis la transporte jusqu’à
l’iglu (Flaherty, 1922). Il la dépose à l’emplacement désiré, et trace son contour dans la
neige du dôme avec la pointe de son couteau à neige (ibid.). Il met celle-ci de côté afin
de découper l’ouverture nécessaire dans la neige du dôme (ibid.). Il dépose la glace dans
l’ouverture ainsi dégagée, dont il retaille les contours au besoin pour que le bloc de glace
s’insère parfaitement (ibid.). Enfin il utilise de la neige pour créer un joint étanche autour
de la glace (ibid.).
Le bloc de neige dégagé lors de la création de l’ouverture est posé sur sa tranche, sur le
dôme à coté de la fenêtre de façon à refléter la lumière du soleil vers la glace et augmenter
ainsi la luminosité à l’intérieur de l’habitation (ibid.). Depuis l’intérieur, la femme enlève
la neige déposée sur la glace de la pointe de son couteau à neige : elle la nettoie ainsi pour
la rendre plus transparente (ibid.).
Turner ajoute que cette fenêtre n’est pas toujours nécessaire : à moins que les murs
soient particulièrement épais, la neige translucide permet le passage de la lumière.
32
7. Ajouter d’autres dômes :
Construction d’une maison de neige à plusieurs dômes (Malaurie, 1995)
Une fois le dôme principal achevé, d’autres dômes peuvent être ajoutés accolés au
premier et reliés à celui-ci ou non. Ces dômes peuvent avoir des fonctions différentes
comme le décrit Labrèche :
« L’iglou (illuvigaq) des Inuit de Kangiqsujuaq était normalement prolongé par deux petits iglous: le tursuuk, sorte de garde-manger qui donne sur la pièce principale, et le tursuulirqi ou porche d’entrée servant d’abri pour les jeunes chiens. [...] De même, les Inuit de Salluit plaçaient les stocks de nourriture ramenés des lieux d’acquisition dans de petites pièces adjacentes à l’iglou.» (Labrèche, 2003 : 167)
« Pour plus de confort, on joignait parfois deux ou trois iglous par des tunnels, l’un servant de pièce de séjour, le second de chambre à coucher, et le troisième d’entrepôt. » (ibid.)
Turner (ibid. : 225) parle également des dômes de neige servant à protéger des biens
tels que des ballots de peaux ou des outres de gras des intempéries et des chiens. Les
articles volumineux sont placés à l’intérieur avant de finir la coupole. Celle-ci peut-être
reliée au dôme principale ou une ouverture extérieur, refermée par un bloc de neige, peut
servir d’accès (ibid.).
8. Ériger un mur de protection extérieur :
Autour de l’extérieur de l’édifice un mur de protection fait de blocs de neige est parfois
construit. Il peut mesurer 40 à 60 cm de haut (ibid.). Il sert à empêcher les rafales de neige
d’emporter une partie de la maison de neige : une tempête d’une durée d’une seule nuit
est souvent suffisante pour détruire une maison (ibid.).
33
9. Aménagement intérieur :
Vues intérieures d’une maison de neige (Malaurie, 1995)
Le sol de la maison de neige est la couche de neige à partir de laquelle le matériau de
construction a été prise et se trouve donc un bloc plus bas que l’extérieur (Turner, 1889-
90 ; Wilkinson, 1949). Rappelons que l’igluvigaq est généralement prolongé par deux
petits dômes tursuuk (garde-manger qui donne sur le dôme principal) et tursuulirqi (abri
pour les jeunes chiens). Dans le dôme principal, le couchage se trouve sur une plateforme
surélevée le long du mur opposé à l’entrée. L’aki est l’emplacement de chaque côté de
l’entrée, également surélevé, qui sert pour entreposer la viande et la nourriture ainsi que
la lampe à huile (Labrèche, 2003 : 167).
Vue en plan d’une maison de neige (Caron et al., 2006)
A l’intérieur, la température est inférieure à 0°C. Elle peut atteindre -10°C si il est
«insuffisamment habité» (Malaurie, 1995). Par mauvais temps, l’intérieur de la coupole
se couvre d’un film de gel dû à la condensation qui cristallise et scintille à la lumière
de la lampe (Turner, 1889-90 : 225). Au printemps, quand les températures extérieures
remontent, une peau peut être ajoutée à la sous-face du dôme pour palier à la fonte de celui-
ci, mais ces peaux sont un isolant moins efficace que la neige contre le froid (Labrèche,
2003 : 166 ; Turner, 1889-90 : 225).
34
Vue en coupe d’une maison de neige avec une peau en sous-face du dôme principal (Caron et al., 2006)
10. Déménager et recommencer :
Les Inuit se déplacent en traîneau à chiens, à la recherche d’un nouvel emplacement (Wilkinson, 1949)
Il est nécessaire de déménager régulièrement d’une part pour des raisons d’hygiène,
d’autre part à cause de la fonte des parois de neige (Baillargeon, 1979: 8 ; Turner 1889-
90 : 226). En effet, les peaux sont préparées et tannées, et les animaux dépecés à l’intérieur
de l’habitation, ainsi les déchets et immondices s’accumulent rapidement. Baillargeon
souligne l’exemple des Inuit Tarramiut11 qui, tous les mois, reconstruisent leur maison un
peu plus loin.
11 Tarramiut : lit. «les gens de l’ombre». Les Inuit Tarramiut sont ceux vivant sur la rive sud du
détroit d’Hudson, de Killiniq à Akulivik.
35
La tente : tupiq
Les tentes sont utilisées des premières pluies jusqu’au début de l’hiver, saison pendant
laquelle l’épaisseur de neige ne permet pas de construire une maison de neige (Labrèche,
2003 : 168 ; Turner, 1894 : 226 ; Mauss, 2012). La tente porte partout, du Groenland à
l’Alaska, le même nom : tupiq, et partout affecte la même forme bien qu’il existe des
variations selon les localités (Mauss, 2012 : 178-9). Caron et al. (2006 : 140-5) décrivent
quatre variations de tentes de peaux utilisées par les inuit :
- Tentes coupolaires en Alaska et Mackensie : les perches de saule sont courbées de
façon à former des arceaux entrecroisés.
- Tentes coniques simples présentes dans une partie du Nunavut : les perches disposées
en cercle et liées au sommet forment un cône.
- Tentes coniques à portique du Groenland : le portique est composé de deux montants
parallèles supportant une barre horizontale ; des perches obliques ou des courroies tendues
prennent appui sur le sol et le portique.
- Tentes coniques à couloir du Labrador et des Inuit du Centre (dont le Nunavik)
décrites plus en détails ci-après : tentes semi-coniques prolongées par un couloir en forme
de « bonnet de police ».
De gauche à droite : tente coupolaire, tente conique à couloir, tente conique simple (Caron et al., 2006)
1. Préparer des peaux :
La préparation des peaux est un travail exclusivement féminin (Labrèche, 2003 :
166). Le renouvellement des couvertures d’habitation semble avoir eu lieu surtout au
printemps, car l’automne est dédié à la confection intensive des vêtements en peau de
caribou (ibid.). Les peaux utilisées sont principalement celles de phoques barbus et de
caribous (Labrèche, ibid. ; Turner, 1894 : 226). Les peaux dédiées à cet usage sont celles
36
qui sont trop lourdes ou non utilisables à d’autres fins (Turner, ibid.). Ainsi, il faut dix à
quinze peaux de phoques barbus non tannées pour recouvrir une tente (Caron et al., 2006 :
144 ; Labrèche, ibid. ; Turner, ibid.). La chair et la graisse sont retirées de la peau, le
poil est généralement conservé et les bords des peaux sont découpés et cousus ensemble
(Turner, ibid.). La longueur des peaux correspond à la hauteur de la tente, un phoque
barbu pouvant mesurer entre 2,1m et 2,70m (Turner, ibid. ; Wikipédia). Deux couvertures
de peaux sont ainsi cousues, une pour chaque côté de la tente (Turner, ibid.).
2. Choisir l’emplacement :
Lorsqu’un Inuk dresse sa tente, il doit prendre en compte les vents pour savoir de
quel côté placer l’entrée (Duhaime, 1985 : 29). Les tentes s’appuient parfois sur des
affleurements rocheux, des parois rocheuses ou des blocs en place (Labrèche, 2003 : 165,
172 ; Turner, 1894 : 226) ; le but étant toujours de s’assurer que la tente ne risque pas de
prendre l’humidité (Duhaime, ibid.)
3. Monter la structure :
Vues en axonométrie et en plan de la structure de la tente à couloir (Caron et al., 2006)
Les descriptions de la structure de la tente conique à couloir par Caron et al. (2006 :
144), Boas (1884 : 551) et Turner (1894 : 227) sont identiques, à quelques variations
près. La structure nécessite une dizaine de perches de bois, d’os de baleine ou encore
d’andouillers12 de caribou. Plusieurs morceaux peuvent être ligaturés ensemble pour
atteindre la longueur désirée. Lorsque les matériaux de construction sont rares, l’armature
est simplifiée et les perches remplacées en partie par des courroies faites de tendons
tressés.
Quatre perches de 2m de long sont d’abord ligaturées deux à deux pour obtenir deux
12 Ramification en forme de corne qui pousse sur les bois de cervidés
37
V renversés, distants d’environ 2,50m. Le faîtage, composé de deux perches parallèles,
est posé sur ces V et forme le couloir. Enfin quatre autre perches sont disposées en demi-
cône contre l’un des V pour former le fond de la tente et assurer la stabilité de la structure.
D’autres perches peuvent être ajoutées pour assurer le contreventement ou reprendre
les efforts supportés par le faîtage dû au poids des peaux. Certaines tentes intègrent des
murets composés de blocs de pierre juxtaposés et superposés.
Les dimensions des tentes observée par Labrèche (2003 : 182) lors de fouilles
archéologiques au Nunavik sont les suivantes :
- surface minimum : 2m2 (1 occupant estimé13 )
- surface maximum : 81m2 (27 occupants estimés)
- cas le plus fréquent : 13m2 (4 occupants estimés)
Généralement, les tentes couvertes de peaux de caribous et utilisées à l’intérieur des
terres étaient celles de plus grandes dimensions.
Exemples de variations possibles de la structure de la tente (Caron et al., 2006)
4. Mettre en place le revêtement :
Croquis et photographie d’une tente à couloir (Caron et al., 2006)
La structure est recouverte des peaux de phoque ou de caribou préparées au préalable.
Les deux pièces se rencontrent à l’arrière de la structure et y sont attachées aux poteaux
13 Estimation : 3,50 m2/personne
38
(Turner, 1894 : 227). Elles sont retenues à la base par de grosses pierres de charge piruit
pour empêcher le soulèvement au vent (Collignon, 2001, 389 ; Labrèche, 2003 : 166 ;
Mauss, 2012 : 178-9). La porte peut être formée d’une pièce distincte ou du recouvrement
des deux couvertures ; elle est levée d’un côté quand une personne entre ou sort et peut
être fermée hermétiquement (Boas, ibid. ; Mauss, ibid. ; Turner, ibid.). Aucune ouverture
n’est nécessaire au sommet car les lampes inuit, contrairement aux foyers indiens, ne
produisent pas de fumée (Mauss, ibid.). Les fenêtres étaient faites de boyaux (Labrèche,
ibid.: 165).
Alors que la peau de phoque utilisée en été est plus imperméable, la peau de caribou
utilisée à l’automne présente l’intérêt de laisser passer plus de lumière (ibid.). Le poil est
en général laissé sur la partie recouvrant le fond de la tente pour assurer une meilleure
isolation. Par contre, les peaux de la partie antérieure du couloir sont épilées, ce qui les
rend translucides et participe à l’éclairage de la tente (Caron et al., 2006 : 144).
Les parois de la tente peuvent être renforcées par de la neige, des peaux supplémentaires
lors de longues périodes de pluie ou encore de mousse végétale isolante (Baillargeon,
1979 : 8 ; Labrèche, 2003 : 164-6 ; Mauss, 2012 : 177 ; Turner, 1894 : 227). Les changements
brusques de température soumettent les matériaux à rude épreuve : les peaux humides
depuis longtemps à cause de pluies persistantes qui cessent soudain peuvent sécher et
rétrécir subitement et les poteaux de bois craquer (Labrèche, 2003 : 166).
5. Aménagement intérieur :
Plan de la tente conique simple (Caron et al., 2006)
L’organisation intérieure selon Caron et al. (2006 : 144), Labrèche (2003 : 165-7)
et (Turner, 1894 : 227-8) est comparable à celle de la maison quelque soit la forme de
la tente. L’espace de couchage se trouve au fond, à l’opposé de l’entrée et délimité par
39
un bâton de bois ou des pierres alignées. Il peut être formé d’un matelas de branchage
et recouvert de plusieurs couches de peaux. Le centre de la tente est parfois réservé à
la cuisine et au chauffage. Une aire latérale, l’aki, est utilisée pour la préparation des
aliments, le stockage des provisions et le rangement. Le foyer est situé sur un côté près de
l’entrée. Comme l’igluvigaq, les tentes étaient traditionnellement éclairées et chauffées
par une lampe à huile, taillée au couteau dans un bloc de stéatite, et polie à la pierre. Avec
l’ulu (couteau féminin), la lampe en stéatite était le bien le plus important de la femme
inuit et par conséquent de la famille toute entière (ibid.). Un foyer peut également être
installé à l’extérieur de la tente.
6. Transporter et stocker :
Les peaux de phoques barbus sont lourdes et doivent être embarquées dans l’umiaq,
(grand bateau de femme), ce qui revient à dire qu’on ne déplaçait pas aisément ces tentes
(Baillargeon, 1979: 8 ; Labrèche, ibid. : 165 ; Turner, ibid. : 227).
Turner (ibid.) décrit que lorsque la tente est démontée, les perches sont placées au
fond de l’embarcation et les peaux posées par dessus, surélevées afin les mettre à l’abri
des infiltrations d’eau et servant de lest. Chaque couverture est repliée séparément en un
ballot compact : chaque extrémité est roulée vers le centre, en laissant un espace suffisant
entre les deux rouleaux de la largeur des épaules. Le porteur se met à genoux, tête baissée,
et deux personnes l’aident à poser le ballot sur ses épaules et sa tête afin qu’il l’emporte
jusqu’à l’umiaq (ibid.).
Les tentes utilisées en été, ainsi que les habits d’été, sont enfouis sous des pierres
durant l’hiver car elles sont considérées comme tabou à cette saison (Mauss, 2012 : 223).
Les caches en pierre doivent protéger les peaux des petits animaux tels que les souris et
les hermines qui pourraient les grignoter (Turner, ibid.). Au printemps, si le propriétaire
de la tente est trop loin du lieu où celle-ci est stocké, elle va se dégrader durant l’été et il
devra à nouveau collecter des peaux pour une nouvelle tente (ibid.).
Transmission
Avant l’importation d’un alphabet syllabique par les missionnaires, la culture inuit était
de tradition orale (Therrien, 1995 : 249). La transmission en général, et donc du savoir-
40
faire de la construction des logements en particulier, se faisait de manière dynamique des
parents et grands-parents vers les enfants, sollicitant autant l’esprit que le corps :
« un mode d’apprentissage fondé, dans un premier temps, sur l’observation non participante suivie d’une imitation du geste jusqu’à la maîtrise, la priorité étant accordée, à ce stade, au faire et non au dire, à la mémorisation de ce qui est vu, plus qu’au dit. Le discours, dans un premier temps, se veut discret contrairement à l’apprentissage scolaire qui s’appuie sur la parole au détriment du geste.» (ibid.)
Comme nous l’avons vu précédemment, les enfants participent à l’érection de la maison
de neige en participants aux taches telles que le calfatage en imitant le geste des adultes.
Synthèse
La taille de l’habitation était donc adaptée au coup par coup à la taille de la maisonnée,
construite avec les matériaux locaux par les habitants eux-mêmes. Elle était adaptée à la
saison (tente en été, maison de neige en hiver) et à l’usage (habitation temporaire montée
rapidement pour la chasse, habitation pour la famille construite avec plus de soin). Ces
habitations étaient construites pour répondre au mieux aux besoins des habitants, selon
leurs propres désirs mais toujours en fonction de la disponibilité des matériaux.
L’igluvigaq est un outil, une «ingéniosité technologique» (Collignon, 2001 : 384) au
service de la survie des Inuit. Mais, bien plus que cela, il est un élément de culture.
«La culture existe lorsque la totalité des objets fabriqués est conçue de manière à exister indépendamment de toute référence utilitaire et fonctionnelle. Lorsque les objets ne s’épuisent pas en même temps que s’épuisent les besoins, lorsqu’ils survivent aux personnes qui s’en servent, lorsqu’ils sont des références pour les générations suivantes» (Dehaynin, date inconnue : 7)
On a vu que la maison semi-souterraine et la maison longue sont des alternatives qui
ont été présentes au Nunavik. Mauss (2012 : 210) remarque même que ces types d’édifices
retiennent mieux la chaleur que les constructions de neige. La seule théorie utilitariste ne
suffit pas à expliquer le choix de cet habitat : l’utilisation de l’iglu de neige résulte d’un
processus culturel et ne résulte pas uniquement d’une nécessité.
Aujourd’hui, alors que le mode de construction des habitats est passé de vernaculaire
à industriel, les iglu de neige et les tentes de peaux ne sont plus d’actualité. Néanmoins,
en 2003 Labrèche observait encore des iglu de neige construits par des chasseurs lors
d’expéditions menées loin de leur village et dans le film «mon village au Nunavik» de
41
Bobby Kenuajuak on peut voir que les techniques de ligature des poteaux de la tente
et de maintien du revêtement par des pierres sont toujours utilisées, bien que les peaux
aient été remplacées par une toile imperméable. Les techniques traditionnelles ne sont
plus utilisées pour l’habitation principale mais se sont maintenues sont pour les habitats
temporaires liés à la chasse.
42
1.2 Période sédentaire : pavillons euro-canadiens
Dans le Grand nord québécois, le secteur de l’habitation représente à lui seul 90 à 95%
de l’infrastructure des villages (SHQ, 2001 : 46). En octobre 2013, le Nunavik comptait
2673 logements. Sept ans auparavant, il y avait 2590 logements répartis comme suit :
NunavikNombre total d’habitations
en 2006 (habitation
principale)
2 590
maison individuelle 52,5%maison jumelée 31,1%maison en bande 0,4%appartement dans une
maison / un duplex2,1%
appartement dans un
immeuble de moins de 5
étages
13,3%
appartement dans un
immeuble de plus de 5 étages0,4%
Autres (maison individuelle
attenante à une autre
construction, mobilhomes,
bateaux, etc)
0,6%
Répartition selon le type de logement au Nunavik en 2006 (Statistics Canada, 2008 Census of Population. Notre traduction)
L’habitat au Nunavik est donc de faible hauteur (il n’existe qu’un seul immeuble de 5
étages, situé à Kuujjuarapik). Les maisons individuelles et jumelées sont le type le plus
largement répandu (83,6% du nombre total de logements). Ces modèles de maisons sont
issus de la standardisation : un modèle est répété quel que soit le village et la maisonnée,
il n’y a donc pas de contextualisation. Sur la totalité de ces habitations, seules 75 sont
possédées par leurs occupants ; toutes les autres appartiennent au gouvernement ou à
43
des collectivités et sont louées à leurs habitants. Il y a plus de 2300 logements sociaux,
hébergeant environ 87% de la population. Ce sont de ces logements sociaux que va traiter
ce chapitre.
Le pavillon euro-canadien est appelé iglujuaq : maison moderne (iglu, habitation ;
-jjua- , grand, par excellence ; -q, spécif. C’est à dire : «la maison de qualité supérieure»)
(Bordin, 2006 : §83). Les inuit ayant vécu dans les maisons de neige et les tentes, et les
maisons euro-canadiennes affirment que ces dernières sont mieux chauffées que la tente
et plus sèches que la maison de neige (Duhaime, 1985 : 67). Néanmoins, nous verrons que
ces maisons présentent tout de même des inconvénients.
Les acteurs de la construction
L’inuit qui fabriquait sa propre maison de neige était à la fois maître d’œuvre et maître
d’ouvrage. Ces rôles sont maintenant occupés par l’Etat, qui est désormais le propriétaire
de la maison.
La maîtrise d’ouvrage (MOA), est l’entité porteuse du besoin, définissant l’objectif du
projet, son calendrier et le budget consacré à ce projet. Autrement dit, c’est le propriétaire
de l’ouvrage ou le commanditaire des travaux (État, collectivités, entreprises publiques,
maître d’ouvrage privé), et qui exécute la passation des marchés (Wikipédia).
Le terme maîtrise d’œuvre (MOE) désigne l’entité retenue par le maître d’ouvrage
afin de réaliser le projet dans les conditions de délais, de qualité ainsi que de coûts fixés
par ledit projet, le tout conformément à un contrat (Wikipédia).
- Société d’Habitation du Québec (SHQ) :
La SHQ a été créée en juin 1967. Lorsque la compétence en terme de logement au
Nunavik a été transférée du gouvernement fédéral Canadien au gouvernement québécois,
la SHQ est devenue propriétaire des logements existants et responsable de la création
des nouveaux logements. Elle a commencé par établir un bilan quantitatif et qualitatif du
stock de logements existant ainsi que par définir les besoins futurs : « la complexité des
44
besoins humains est traduite en termes techniques de normes minimales, qui peuvent être
systématiquement chiffrables » (Duhaime, 1985 : 62). On voit donc que la démarche de
la SHQ était, et est encore, technocratique, privilégiant les données techniques par rapport
aux facteurs humains et sociaux.
Aujourd’hui, son rôle est de palier au déficit d’exploitation de ces logements. Les
loyers seuls ne suffisent pas à couvrir les frais d’exploitation, et c’est la SHQ qui paye
la différence. En 2000, le déficit d’exploitation de ces logements se chiffrait à plus de
quarante-neuf millions de dollars canadiens. Le montant mensuel de subvention au déficit
était de 2 317 $CAN par logement.
Le financement de la construction de nouveaux logements sociaux au Nunavik
ainsi que du déficit d’exploitation de ce parc de logement se partage désormais entre le
gouvernement fédéral du Canada (60%) et le gouvernement provincial du Québec (40%)
via la SHQ.
- Office municipal d’habitation Kativik (OMHK) :
Maîtrise d’ouvrage
L’OMHK est propriétaire du parc de logements sociaux et en assure la gestion. En plus
de l’entretien, des réparations et des rénovations des logements sociaux, l’OMHK s’est
vue confier les activités relatives à la perception des loyers et des arrérages ainsi que la
formation de la main-d’œuvre locale en ces matières (SHQ, 2001 : 43). Enfin, elle attribue
les logements selon un système de pointage qui tient compte du nombre de personnes
dans une famille, du temps d’attente et de la gravité des problèmes sociaux (Lord, 2005).
L’OMHK a été crée en janvier 1999 suite à la Loi sur la Société d’habitation du
Québec (L.R.Q., c.S-8, article 57) dans le but, d’une part, de décentraliser les activités du
gouvernement du Québec en matière d’habitation dans la région Kativik en transférant à
un organisme autonome la gestion de son parc de logements sociaux au Nunavik et, d’autre
part, de rapprocher le pouvoir décisionnel des utilisateurs et de faciliter les relations avec
les municipalités et les locataires de logements sociaux de la région.
À l’instar des autres offices municipaux d’habitation (OMH) du Québec, les activités
45
de l’OMHK sont régies par un conseil d’administration composé de 7 membres élus
ou nommés. Trois membres sont nommés par l’ARK. Deux membres sont élus par et
parmi les locataires des logements sociaux du Nunavik. Les deux autres membres sont
nommés par le ministre responsable de l’application de la Loi sur la Société d’habitation
du Québec parmi les groupes socio-économiques les plus représentatifs du milieu, après
consultation de ces groupes.
Le budget de fonctionnement de l’OMHK est assimilé au déficit d’exploitation du parc
de logements sociaux du Nunavik. Au cours de sa première année d’existence (exercice
financier 2000-2001), le budget de l’Office est de l’ordre de cinquante-cinq millions de
dollars canadiens (SHQ, 2001 : 43). Contrairement aux municipalités du Sud du Québec
qui contribuent à raison de 10% au déficit d’exploitation du parc de logements sociaux de
leur OMH, les municipalités du Nunavik ne sont pas astreintes à cette obligation (SHQ,
2001 : 43).
L’OMHK est donc dirigée par un conseil d’administration inuit, mais son financement
provient du gouvernement fédéral et régional.
- Société Makivik et Kautaq Construction :
Maîtrise d’œuvre
Makivik signifie « s’élever ». Il s’agit d’un organisme dont le mandat est de protéger
les droits, les intérêts et les compensations financières découlant, d’une part, de la
Convention de la Baie James et du Nord Québécois (CBJNQ) et, d’autre part, de l’Accord
sur les revendications territoriales des Inuit du Nunavik, qui est entré en vigueur en 2008.
C’est est un organisme à but non lucratif, sans capital-actions et sans gain pécuniaire pour
ses membres. Elle a été constituée par une loi adoptée par le gouvernement du Québec
en 1978. Makivik est une société ethnique privée dont les seuls membres sont les Inuit
bénéficiaires de la CBJNQ (SHQ, 2001 : 39).
La Société Makivik assume un éventail de mandats distincts et la constructions des
logements sociaux lui a été confié. Il y a déjà 15 ans, la Société Makivik mettait en place
une nouvelle division au sein même de son organisme : la Division de la construction.
Le 13 mai 2013, la Société Makivik a créé une nouvelle entreprise de construction issue
de cette division : Kautaq Construction (kautaq : marteau). Elle agit comme entrepreneur
46
général : elle organise, coordonne, exécute ou fait exécuter, en tout ou en partie, les travaux
de construction. Elle peut donc faire appel à des sous-traitants, tels que les manufacturiers
d’habitation. On notera que Shun Hui Yang (directeur de projets) et Maxime Ladouceur
(gérant de projets) à la tête de Kautaq Construction ne sont pas issus de la communauté
inuit.
- Les manufacturiers d’habitation :
Les manufacturiers d’habitation sont des fabricants de maisons préfabriquées au
Québec. Il n’en existe aucun basé au Nunavik. Ils réalisent ces maisons en séries en
usine, puis les acheminent sur le chantier en partie ou en totalité pré-assemblées. Ainsi,
le manufacturier Construction CEG, basé à Matane (sud du Québec), a livré une centaine
de maisons au Nunavik.
- Le Laboratoire d’habitation nordique :
À l’initiative de la Société d’Habitation du Québec, le Laboratoire d’habitation
nordique a pour mission de stimuler la recherche sur des enjeux associés à l’habitation
nordique, d’améliorer de façon continue et durable l’habitat nordique par la recherche de
solutions innovatrices pour le Nunavik.
En 2013, les sujets d’études proposés par le laboratoire sont : le traitement des eaux
grises14, l’aménagement du territoire, la télémétrie et instrumentation de mesures, les
ventilateurs récupérateurs de chaleur, l’aérodynamisme des maisons, l’optimisation des
coûts de construction. On voit clairement que la priorité est donnée aux performances
techniques de l’habitat et non aux qualités spatiales, sensibles, de celui-ci.
Pour un prototype de maison qui va être construit prochainement, le laboratoire a
mandaté une agence d’architecture montréalaise pour en dessiner le plan. Ce sont encore
une fois des savoir-faire du sud qui sont utilisés.
14 Eaux grises : eaux usées, à l’exclusion des eaux de pluie (EP) et des toilettes (eaux noires)
47
- Non-implication inuit
Comme l’écrit Dehaynin (date inconnue : 3), la qualité de l’intention architecturale
comme celle de l’attention portée aux acteurs (au premiers rangs desquels sont les
futurs habitants) sont des impératifs auxquels la conception du projet d’architecture est
subordonnée. Pourtant, on voit que la coopération entre les différents acteurs n’est pas
fonctionnelle. Prenons l’exemple des fenêtres existante, pour lesquelles chacun se renvoie
la balle :
«Ils [les Inuit] ne ferment pas les fenêtres en hiver. Mais ils ne payent pas l’électricité, donc ils s’en fichent» (SHQ, lors du séminaire franco-québécois)
«Les fenêtres se déforment et on ne peut plus les fermer parce qu’elles sont de mauvaises qualité, pas adaptées au climat.» (entretien A15)
Les raisons de cette non-implication inuit sont multiples. D’une part puisque les Inuit
ne construisent plus leur propre maison et n’en sont pas propriétaires, ils n’ont pas cherché
à transformer celle qu’il leur est allouée, et dont ils ne sont d’ailleurs pas propriétaires
(Collignon, 2001 : 394). Lorsque Collignon demande à ses interlocutrices comment elles
souhaiteraient que l’intérieur soit organisé, la question parait saugrenue, dénuée de sens.
« Si un inuk veut quelque chose, il le fait ou le construit lui-même, il ne demande pas à quelqu’un d’autre de le faire pour lui. » (Mary Uyartek in Collignon, ibid.)
D’autre part, les Inuit sont peu consultés. Une consultation a eu lieu durant trois jours
en mai 2012 sur l’initiative de l’OMHK, la SHQ, Makivik et l’ARK, à laquelle sept Inuits
ont été invités à échanger sur leur quotidien, leur façon d’être, leur mode de vie, leurs
désirs, leurs attentes et leurs besoins relatifs à l’habitat. Cette consultation a eu lieu sur un
temps très court et est un événement isolé.
Dessin de proposition d’aménagement intérieur par Tommy Palliser, intégrant un espace pour la découpe du gibier (Papineau, 2012)
15 entretien avec une jeune fille inuit originaire de Kujjuaq
48
On voit donc que les financements, les décisions, la recherche et les maisons elles-
mêmes viennent du Sud. Résumable par la formule : « l’environnement bâti dans le Nord
et conçu dans le Sud » (Duhaime, 1985 : 50). Les Inuit, en tant que communauté, sont
impliqués au niveau de l’OMHK et de Makivik mais les individus n’ont aucun pouvoir
de décision quant à la construction de leur propre habitat.
Organisation spatiale des villages
Maisons alignées (Dahan, 2013)
Selon Dehaynin (date inconnue : 13), les sociétés post-industrielles ont remplacé le
lieu par l’espace. Le lieu, c’est la terre chargée de sens où l’établissement humain est
un produit et producteur des rapports sociaux et des représentations. L’espace, quant à
lui, est une conception homogène et abstraite, matière première presque intégralement
disponible : l’univers est alors considéré par les hommes comme un ensemble dont
l’ordre est fondé par la volonté et les intérêts. Le cas du Nunavik est une illustration de
cette opposition lieu / espace.
Le terme nuna, l’un des composant de Nunavik (notre terre), signifie lieu de résidence,
territoire parcouru, campement, le sol, la terre, le pays, et a encore d’autres significations
(Therrien, 2007). Nuna inclut le continent et la banquise : la banquise est le prolongement
du continent (ibid.). Nuna est le lieu de vie librement choisi par les Inuit qui le voient
saturé de présence humaine, animale, des défunts et d’autres entités invisibles, tous
en interactions (ibid.). C’est une terre habitée, parcourue, dont la moindre parcelle est
nommée (ibid.). Cette terre appartient à part égale à tous : humains vivants, défunts,
49
animaux, et invisibles ; nuna est un bien collectif, donc inaléniable (ibid.).
Dans les premiers temps de la sédentarisation, les propriétaires inuit avaient le choix de
l’emplacement de leur maison. Ils choisissaient la localisation en fonction des solidarités
encore fonctionnelles de la bande, du camp, du groupe familial, ainsi qu’en fonction de
l’accès aux ressources et aux services. L’espace occupé par les tentes, les cabanes et les
premières Matchboxes est une bande suivant le rivage dans la très grande majorité des
localités (Duhaime, 1985 : 39).
Vue aérienne d’Akulivik (Chouch, 2008)
Dans un second temps, à partir de 1965, c’est l’administration qui détermine
l’agencement des villages. L’espace résidentiel est déplacé du littoral vers l’intérieur.
Les maisons sont disposées en rangées, éloignées du rivage. La disposition parallèle des
maisons date des premiers postes de traite de la Compagnie de le Baie d’Hudson. A une
installation relativement étendue le long du cours d’eau succède donc un espace résidentiel
nouveau, contracté. Les nouvelles formes institutionnelles entraînent une dispersion des
anciens groupes de bande ou de famille, modifiant ainsi l’espace social (Duhaime, 1985 :
50). Les institutions qallunaat accaparent le littoral.
Organisation spatiale des villages nordiques (Duhaime, 1985)
espace résidentiel
espace institutionnel
cours d’eau
50
La structure générale des villages est composée d’un noyau institutionnel et d’une
bande résidentielle (ibid. : 47-8). Le noyau comporte les établissements gouvernementaux
(administrations, dispensaire, école), commerciaux (H.B.C., coopératives inuit, magasin
provincial) et religieux ; il bénéficie d’un accès privilégié aux voies de communications
(littoral, cours d’eau, piste d’atterrissage,…). L’espace résidentiel des employés (inuit et
qallunaat) de ces institutions est à proximité, reléguant les habitats sociaux en périphérie.
Les Coop inuit et les gouvernement locaux se placent à proximité des résidences
autochtones, créant des enclaves inuit -aux sens physique et politique- dans l’espace
institutionnel affirmant ainsi l’existence d’une alternative économico-politique et
permettant une ré-appropriation de l’espace (ibid. : 50).
Modèles de maison successifs
Sauf mention contraire, les descriptions ci-dessous sont tirées de Duhaime (1985 : 33-
65).
- Cabanes
Maison inuit fabriquée avec des matériaux de fortune à Kujjuurapiq vers 1963 (Duhaime, 1985)
Les premières cabanes sont rectangulaires. Celles mesurées à Qaqtaq mesurent 3 x
3,50 mètres en moyenne, mais elles peuvent être bien plus grandes. Elles sont en bois,
toile, carton et en papier goudronné ; matériaux de récupération provenant du sud. Elles
51
possèdent généralement deux petites fenêtres. A l’intérieur, un poêle est au centre de la
pièce et de chaque côté se trouvent des couchettes. Il peut y avoir des partitions pour
séparer les couchettes de la pièce principale. Le mobilier grossier, table, chaises, tabourets
est fabriqué à la main et les ustensiles de cuisine sont stockés dans un angle.
- Modèles expérimentaux
Un modèle d’habitat en polystyrène extrudé dont la forme s’inspirait de la maison de
neige a été testé. Mais il a très vite été abandonné suite à un décès dans un incendie.
On peut noter également une initiative à Povungnituk menée par un missionnaire
catholique en 1959 de construire des maisons en pierre locale à proximité des emplacements
des tentes.
Constructio de maisons en pierre à Povungnituk (Duhaime, 1985)
- 512
A partir de 1954, le gouvernement fait construire des maisons appelées « modèle
512» pour ses employés. Cette maison mesure 4,8 x 9,76 mètres. Cette maison, comme
toutes les suivantes, est constituée de panneaux préfabriqués. Elle possède trois pièces, un
grand vestibule, une pièce d’eau (approvisionnée par un réservoir intérieur), des doubles
fenêtres et souvent un porche extérieur supplémentaire. Ce modèle ne sera jamais utilisé
pour les logements sociaux.
- Rigid frame et Matchbox
Au début des années soixante, les modèles de maisons sociales construites sont la
Rigid Frame (modèle 319) et la Matchbox (modèle 370). Elles sont choisies car elles sont
52
plus économiques et plus rapide à construire que la 512.
La Rigid Frame est carrée, elle mesure 4,88 x 4,88 mètres, avec un toit à deux pans et
est caractérisée par ses deux murs inclinés. Elle est composée d’une pièce unique, avec
une unique fenêtre, n’a pas de pièce d’eau ni de toilettes.
La Matchbox est rectangulaire, elle mesure dans un premier temps 3,66 x 6,10 mètres
et dans un second temps 3,66 x 7,32 mètres. Elle se compose d’une pièce principale et une
division sommaire pour un toilette sans eau courante ni système d’évacuation des eaux
usées. Elle possède une seule porte et deux fenêtres dont une minuscule. L’isolation est
très mauvaise. Une centaine de Matchbox ont été construites au Nunavik jusqu’en 1965 ;
elles ont presque toutes disparu aujourd’hui.
Vue extérieur d’une Matchbox (SHQ, 2001) Plan d’une Matchbox (Collignon, 2001)
Pour l’un et l’autre modèle, une même justification est donnée, outre celle des objectifs
et des contraintes : celle de l’habitude des gens de ne vivre que dans une seule pièce.
Or ce raisonnement n’est pas exacte : les iglu de neige étaient organisés en plusieurs
sous-espaces grâce aux différents dômes joints ; les cabanes présentaient également des
partitions.
- Modèles suivants
Au milieu des années 60 une série de plans est adopté et la construction de ces maisons
débute en 1967. Ces maisons sont numérotées et nommées par des noms en inuktitut
piochés dans le champ lexical de l’habitat mais dont la signification n’a aucun rapport
avec la maison nommée :
- la 396 : Angirraq, le foyer (6,10 x 9,15 mètres),
- la 397 : Quarmaq, maison semi-souterraine (5,49 x 8,84 mètres),
- la 439 : Ukivik, là où l’on passe l’hiver (6,10 x 9,76 mètres),
54
- la 436 : Urquaq, l’abri du vent (7,32 x 9,76 mètres),
- la 451 (6,10 x 8,54 mètres),
- la 455 (7,32 x 9,15 mètres) [la plus répandue].
Toutes ces maisons ne sont qu’une variation sur le thème du pavillon en structure
bois. Elles sont surélevées de façon à ne pas être en contact avec le pergélisol (sol gelé en
permanence). En effet, il faut éviter le transfert de chaleur du bâtiment au sol sous-jacent
afin que la glace du sol ne fonde pas, ce qui créerait des tassements et menacerait l’intégrité
du bâtiment. Sauf la 369 construite en 1964, mesurant 5,49 x 7,32 mètres et ne possédant
qu’une seule chambre à coucher, toutes ces maisons sont de plain-pied et comprennent
cinq ou six pièces dont deux ou trois chambres à coucher, le chauffage à l’huile et un
toilette sans eau courante. En 1981, lorsque la SHQ devient propriétaire de ces maisons,
elle estime que : « la presque totalité des logements ainsi « hérités » ne rencontraient pas
les normes nationales de qualité, de salubrité, de sécurité et d’habitabilité au sens large.
[…] la majorité des logements n’étaient même pas dotés d’un système d’eau courante ou
de divisions (chambres à coucher, cuisine, équipement sanitaire, etc ...). » (SHQ, 2001 :
19). Au cours des réhabilitations réalisées par la SHQ à partir de 1967 la superficie des
maisons à été augmentée et de l’eau courante installée (Duhaime, 1985 : 62) .
- Maisons jumelées
Maisons jumelées (Dahan, 2013)
L’ambition de Québec est de construire des maisons de meilleure qualité que les
précédentes, se différenciant nettement de celles construites par le gouvernement fédéral ;
mais il s’agit toujours de pavillons de type euro-canadien. En 1980, un nouveau modèle
55
de maisons jumelées est adopté. Ce sont deux habitations distinctes dans un même
édifice, séparées par un mur mitoyen. Ces maisons à étage sont pourvues du chauffage
central, de l’eau pressurisée chaude et froide, et de toilettes à eau. Depuis 1999 elles ne
comprennent que deux chambres à coucher. Elles sont également sur vérins. En situation
de pergélisol, la création d’un réseau d’eau ou d’égouts dans le village serait extrêmement
complexe. Chaque bâtiment a donc des réservoirs d’eau propre et eaux usées. La maison
est surélevée afin que ce réservoir n’entre pas en contact avec le pergélisol, et que la
neige soit balayée par le vent sous la maison pour éviter la formation de congères contre
celle-ci. La surélévation permet également de régler les vérins lorsque le terrain s’est
modifié. L’approvisionnement en eau potable et la collecte des eaux usées sont effectués
par camion citerne. Par ailleurs, les villages ne sont pas non plus desservis par le réseau de
distribution hydro-électrique comme ailleurs au Québec, de sorte que l’énergie provient
de puissantes génératrices à moteur diesel installées dans chaque village. Ces services
municipaux particuliers comportent des coûts très élevés.
Malgré des améliorations, ces maisons sont toujours insatisfaisantes : elles se dégradent
rapidement et les habitants n’ont pas la possibilité de les réparer ou les agrandir (par
manque de matériel adéquat et par interdiction d’apporter des modifications).
Maisons jumelées (Dahan, 2013)
- Nouveaux modèles expérimentaux
En novembre 2001 deux maisons «Habitaflex» ont été livrées à Kuujjuaq sur l’initiative
de la SHQ associée à des manufacturiers. Chaque maison est dimensionnée pour être
56
transportée dans un seul contener. Elle se déploie ensuite comme un «pop-up». Mais ces
modèles n’ont pas suscité l’adhésion des Inuit (SHQ).
Déploiement de la maison «Habitaflex» (SHQ, 2001)
Actuellement la SHQ, via le Laboratoire d’habitation nordique, travaille sur un
nouveau modèle de maison dont un prototype sera construit en 2015 et étudié avant
d’être éventuellement fabriqué en série. Il s’agit d’une maison jumelée, comportant
deux logements de deux chambres à coucher chacun. Le site de la SHQ présente ce
nouveau modèle « conçu selon des critères de haute efficacité énergétique et en fonction
des préférences socioculturelles des Inuits » (Pelletier, 2014). Les aspects techniques
pensés pour atteindre cette haute efficacité énergétique sont l’adaptation des fondations,
l’aérodynamisme du volume bâti qui aide à contrer les effets néfastes des congères,
l’amélioration de l’enveloppe du bâtiment et des systèmes mécaniques.
La conception s’appuie sur les éléments de programme évoqués lors de la consultation
57
de 2012 : espace pour les activité liées à la chasse (dépeçage, repas, entreposage des
produits de la chasse et des équipements), espaces de rassemblements sociaux à l’intérieur
comme à l’extérieur, ouverture de tous les espaces de vie (cuisine, séjour, salle à manger)
«pour donner l’impression que c’est plus grand», forme du bâtiment carrée avec de
nombreuses ouvertures (Papineau, 2012).
Prototype SHQ (Pelletier, 2014)
Ce modèle est encore une fois pensé hors de tout contexte géographique, comportant
deux fois deux chambres : deux logements identiques quelque soit les futurs habitants.
Pas de remise en cause du programme, pas de remise en cause de l’implantation, pas
d’aménagement extérieur. Malgré les améliorations de ce modèle, il n’y a pas de remise
en cause profonde du type de maison.
Matériaux, main d’oeuvre et construction
Pour la construction des maisons par le gouvernement, les experts du sud rejettent
le recours aux matériaux locaux pour la construction domiciliaire inuit dès le début. La
boue, la pierre et le bois (dans les villages situés en deçà de la limite des arbres), tout est
écarté à cause de la piètre qualité de ces matériaux ou d’autres problèmes. Les maisons
en pierres de Povungnituk sont également jugées sévèrement par ces mêmes experts
(Duhaime, 1985 : 37). C’est le principe de la préfabrication et la collaboration avec les
manufacturiers d’habitations qui est retenu pour son économie, et sa simplicité et rapidité
de construction. Néanmoins, cette solution impose une grande organisation en amont et
un transport des éléments préfabriqués, ce qui est très onéreux. Ainsi par exemple, au
Le magazine Web de la Sociétéd'habitation du Québec
Nouveautés
Mieux-vivre
Société
International
Durable
Nordique
Expertise
Réalisations
Statistiques
14 mai 2014
MMiissee àà ll’’eessssaaii dduu pprroottoottyyppee dd’’hhaabbiittaattiioonnppoouurr llee NNuunnaavviikk ppaarr ddeeuuxx ffaammiilllleessiinnuuiitteessPar Joëlle Pelletier
Deux familles locataires inuites devraient habiter dans le prototype d’habitation pour leNunavik à l’automne 2015. La mise à l’essai de l’habitation, conçue selon des critères dehaute efficacité énergétique et en fonction des préférences socioculturelles des Inuits, serviraà évaluer la possibilité d’utiliser le prototype à plus grande échelle au Nunavik. Pendant lapériode d’essai, les familles mettront à l’épreuve la fonctionnalité de l’habitation, tandis quel’équipe ayant créé le concept recueillera des données techniques afin de mesurer lerendement énergétique du prototype.
Le prototype prendra la forme d’un jumelé, composé de deux logements de deux chambres àcoucher. On ne connaît pas encore le village où il sera construit, mais le bâtiment fera partiedu parc de logements de l’Office municipal d’habitation Kativik. Sa construction, prévue pourl’été 2015, s’inspire de la norme Passivhaus et des dernières technologies en matièred’efficacité énergétique.
DDeess pprraattiiqquueess ddee ccoonnssttrruuccttiioonn ddiifffféérreenntteess
Évidemment, la façon de construire diffère dans le Nord et le Sud. La conception duprototype doit se faire en tenant compte de l’adaptation aux changements climatiques. Ainsi,il est question d’adapter les fondations au type de sol et aux zones de pergélisol,d’augmenter l’aérodynamisme du volume bâti pour contrer les effets néfastes del’accumulation de neige entassée par le vent en périphérie d’un bâtiment et d’améliorerl’habitation et les systèmes mécaniques afin d’optimiser l’efficacité énergétique. Les donnéesrecueillies lors de la mise à l’essai du prototype, par exemple le taux d’humidité dans lelogement ainsi que les températures intérieure et extérieure, seront comparées avec lesdonnées de référence obtenues par simulation.
Des adaptations liées aux aspects socioculturels et aux modes de vie des Inuits doiventaussi être considérées dans la conception du prototype. Les aménagements intérieur etextérieur des logements seront ainsi adaptés à ces particularités. Les commentaires desfamilles qui habiteront dans le prototype d’habitation seront utiles afin de le peaufiner.
Rappelons que le développement de ce prototype est rendu possible grâce à la création duLaboratoire d’habitation nordique, qui vise à stimuler la recherche sur des questions liées aulogement nordique. Ce laboratoire est constitué d’un important réseau de partenaires venantdes milieux inuits et universitaires ainsi que des secteurs privé et public, dont la Sociétéd’habitation du Québec. Un guide sur les bonnes pratiques en matière de construction
Le prototype d'habitation nordique est en cours d'élaboration.
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Mise à l’essai du prototype d’habitation pour le Nunavik par ... http://espacehabitat.gouv.qc.ca/nordique/mise-lessai-du-proto...
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milieu des années 1990, on évaluait que, ailleurs au Québec, un logement de type familial
coûtait en moyenne 66 603 $ CAN alors que le coût moyen d’une telle habitation au
Nunavik était de 196 823 $ CAN (SHQ, 2001 : 19).
Duhaime (ibid.) remarque que l’objectif est «d’améliorer le logement mais à un
coût minimal, [ce qui] oriente les programmes vers des solutions de courte vue. ». Lors
d’une rencontre entre la SHQ et des écoles d’architectures française et québécoise, il
est affirmé que la politique actuelle est de faire des logements à bas coûts pour en faire
un plus grand nombre tout en restant dans l’enveloppe budgétaire allouée par l’État ;
ces logements doivent être économiques sur leur cycle de vie, qui est estimé entre 30 et
40 ans. La combinaison de cette politique à court terme, des dégradations volontaires,
de l’impossibilité de réparer facilement, la non adéquation entre l’habitat est ses usages
(cf chap. 3.2.2.) ainsi que les conditions climatiques font que les maisons se dégradent
rapidement. En 2006, 35,1% des habitations nécessitaient des réparations majeures
(Statistics Canada, 2008).
Les éléments préfabriqués sont emballés, chargés sur des barges et transporté jusqu’au village (SHQ)
Pour la construction d’une maison, une fois que la commande est passée auprès du
manufacturier, celui-ci en préfabrique les éléments en usine. Il les assemble et les teste
avant de les emballer pour pouvoir les expédier. Les systèmes électriques, les réseaux
d’eau, etc sont déjà en place. Les éléments de la maison ainsi que les outils nécessaires
sont ensuite transportés par bateaux. Les glaces limitent la période de transport de matériel
par voie maritime. La saison de la construction dure de juillet à octobre, le reste du temps
le matériel doit être livré par avion. A l’emplacement de la maison, un radier a été coulé,
véritable plateforme de béton sur laquelle la maison sera installée. Une fois les éléments
livrés, ils sont montés sur place. Enfin, la dernière étape est celle des finitions intérieures.
Ces travaux nécessitent de gros engins de construction (barges, excavatrices, camions,
grues, etc) qui doivent également être apportés. C’est pour cela que toutes les maisons
59
prévues pour un village sont construites en même temps (SHQ, 2001 : 10 ; Construction
CEG).
Maison préfabriquée (SHQ)
La main d’œuvre utilisée sur les chantiers dans les premiers temps, entre 1968 et 1973,
était en partie inuit mais ceux-ci avaient les emplois subalternes : tous les contremaîtres
entre autres venaient du Sud (Duhaime, 1985 : 45). Ensuite, lorsque le gouvernement
du Québec a été en charge des constructions, la quasi intégralité de la main d’œuvre est
venue du Sud, les inuit n’étaient plus employés sur les chantiers car ils n’étaient pas en
possession d’une carte de métier (Duhaime, 1985 : 64). Aujourd’hui, la Division de la
construction de Makivik emploi une main d’œuvre inuit mais fait face à une pénurie de
menuisiers-charpentiers qui possèdent la formation nécessaire ou d’autres travailleurs
qualifiés au Nunavik. Elle travaille toutefois en étroite collaboration avec la Commission
scolaire Kativik et l’ARK pour mettre sur pied un certain nombre de programmes de
formation en cours d’emploi de menuisiers-charpentiers (Makivik.org). Les ouvriers
non-inuit employés sur ce chantiers doivent être hébergés et bénéficier d’un service de
restauration (SHQ, 2001). Ces services doivent également être prévus en amont lors
de la préparation du chantier. De plus, la main d’œuvre employée dans les usines des
manufacturiers n’est pas inuit.
Par la suite, lorsque les habitants souhaitent effectuer des réparations, ils peuvent faire
60
appel à des employés de Makivik dont c’est le rôle. Avoir les moyens matériels (matériaux,
outils) de réparer sa propre maison n’est pas simple, tout étant importé du sud. De plus,
lors des réparations, des modifications ou des améliorations apportées au logement, il y a
transgression. L’un des interlocuteurs de Duhaime lui confiait ainsi :
«les gens en principe n’ont pas le droit de rien toucher dans leur maison, parce qu’elles appartiennent au gouvernement fédéral, et parce que le gouvernement fédéral nous a dit de toucher à rien. » (entrevue n°26 in Duhaime, 1985 : 53).
Les seules modifications possibles sont extérieures à la maison elle-même, comme
l’ajout d’un hangar par exemple.
Synthèse
Les maisons euro-canadiennes ont apporté un confort venu du sud, s’améliorant avec le
temps : chaleur, électricité, eau courante, internet, etc. Elles présentent encore des défauts,
notamment de pérennité. En 1985 Duhaime faisait le point sur les reproches faites aux
pavillons euro-canadiens, aujourd’hui la liste est sensiblement la même (entretien A) :
«Conception ne tenant pas compte du climat, insuffisance, absence et dysfonctionnalité des espaces et insatisfaction des besoins des grandes familles et des personnes seules, utilisation faible ou inexistante des ressources locales (matériaux et main d’œuvre), infiltration d’eau, isolation inefficace, absence d’eau courante, absence de choix, monotonie et uniformité des modèles, retards dans le calendrier de construction à cause d’une planification défaillante, nombre de maisons construites inférieur aux prévisions à cause de l’augmentation des coûts non comptabilisée dans les estimés et de l’enveloppe budgétaire fixe consacrée au programme, etc.» (Duhaime, 1985 : 50)
Néanmoins un retour à l’habitat de neige n’est ni désiré, ni envisagé (Collignon, 2001).
L’expérimentation autour de la question de l’habitat sédentaire au Nunavik a été entravée
par les coûts d’une part. D’autre part les codes et les normes de construction nationales
ont, dans une certaine mesure, déterminé à quoi les maisons inuit devaient ressembler
(Dawson, 2006 : 120).
Ce qui a changé principalement avec la sédentarité c’est la dépendance des Inuit
envers le gouvernement pour la construction de leurs habitations. Aani Baron, originaire
de Kangiqsualujjuaq, déclarait lors du premier Congrès des Peuples Autochtones
Francophones en 2006 : «Notre pouvoir et notre savoir-faire a été pris par les blancs».
61
2. Espace domestique
2.1 La parenté et la maisonnée
Le système de parenté
C’est Henry L. Morgan qui s’est intéressé en premier en 1871 à la terminologie de
parenté «eskimo». Par la suite Leslie Spier en 1925 tenta d’élaborer plus scientifiquement
une typologie des terminologies de parenté. Spier a retenu de Morgan le système de parenté
de type «eskimo». En 1949, Murdock a repris ces données pour son étude comparative
sur les structures sociales des peuples du monde (fichier Human Relations Area Files).
Il définit pour chaque type de terminologie, un système de parenté et une organisation
sociale. Murdock s’est basé uniquement sur deux groupes isolés : un de l’Est Groenland et
un du Canada Nord central. Selon Murdock la terminologie de parenté de type «eskimo»
se distingue par le fait que « les cousines croisées sont dénotées par le même terme que
les cousines parallèles, mais différenciés des sœurs » (Saladin d’Anglure, 1998 : 123). De
plus ce type est caractérisé par (ibid.) :
- la monogamie
- l’absence de groupes de parents unilinéaires exogames
- l’extension bilatérale du tabou de l’inceste
- la règle de résidence au mariage néolocal
- la règle de filiation bilatérale
Schéma des termes de parenté de type «Eskimo» (© Brian Schwimmer, University of Manitoba, 1996)
Les sociétés à filiation bilatérale ont longtemps été mises de côté par l’anthropologie
«dominante» mais dans les années 1970 les systèmes de parenté «eskimo» et leur
organisation sociale reviennent au goût du jour (ibid. : 124). Les recherches prennent
une approche structuraliste avec une prévalence pour l’alliance, la parenté élective et la
62
transmission (ibid.).
Dans son essai sur les variations saisonnières écrit en 1906, Mauss estime que les travaux
de Morgan sont insuffisants. Notamment, ils ne font pas apparaître les liens électifs qui
sont importants chez les Inuit dans la construction sociale de la parenté. D’après Saladin
d’Anglure les premiers travaux ethnographiques qui décrivent en profondeur la parenté
inuit et son organisation sociale datent de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ces
travaux montrent que les théories de Spier et Morgan sur le système de parenté «eskimo»
ne sont pas applicables à de nombreux groupes Inuit. En effet plusieurs systèmes différents
existent dans l’aire inuit avec une prédominance pour la filiation bilatérale.
A partir des années 1960, une nouvelle vague de recherche s’intéresse à la parenté inuit,
s’appuyant sur la connaissance de la langue autochtone, importante pour comprendre
les catégories de pensée. Tous ces travaux n’ont pas apporté de réponses claires sur le
système de parenté « eskimo » : ils ont principalement apporté de nouvelles questions et
ont relancé des débats complexes sur la flexibilité de ce système et la parenté élective.
Il n’existe pas un système de parenté eskimo unique car il existe des variantes dans la
terminologie et de catégorie de parenté entre les groupes. Finalement, même les travaux
les plus récents ne permettent pas de reformuler le type «eskimo». Saladin d’Anglure
qualifie la parenté inuit d’«embrouillement de réseaux idiosyncratiques » (ibid. : 123),
c’est à dire des réseaux qui réagissent de façon particulière face aux influences de divers
éléments extérieurs, dont on ne peut pas déterminer à l’avance le comportement.
Dans son article paru en 1998 La parenté élective chez les Inuit du Canada, fiction
empirique ou réalité virtuelle ?, Saladin d’Anglure montre que chez les Inuit toute relation
est élective. Il constate que plus du tiers des liens de parenté découlent de l’adoption. De
plus, pour les Inuit le monde virtuel des trépassés et des esprits est en interaction avec
le monde des vivants, notamment par la réincarnation volontaire des défunts dans les
nouveaux-nés. Ceci ayant pour conséquences que toute relation de parenté est en quelque
sorte élective. Les individus ayant des identités multiples, les sexes et les générations
se chevauchent. Saladin d’Anglure propose de considérer les nomenclatures de parenté
comme des systèmes de classification servant à réactualiser les liens entre défunts et
vivants.
63
L’établissement : unité fondamentale des sociétés inuit lors de la période nomade
Dans son essai sur les variations saisonnières écrit en 1906, Mauss met en évidence
que l’unité fondamentale des sociétés inuit, c’est à dire l’unité sociale, solide et stable
sur laquelle reposent les groupements inuit, est l’établissement (Mauss, 2012 : 165). Il
désigne ainsi un groupe de familles agglomérées qu’unissent des liens spéciaux et qui
occupent un habitat sur lequel elles sont inégalement distribuées en fonction des saisons,
mais qui constitue leur domaine.
«L’établissement, c’est le massif des maisons, l’ensemble des places de tentes et des places de chasse, marine et terrestre, qui appartiennent à un nombre déterminé d’individus, en même temps que le système des chemins et sentiers, des chenaux et ports dont usent ces individus et où ils se rencontrent constamment. Tout cela forme un tout qui a son unité et qui a tous les caractères distinctifs auxquels se reconnaît un groupe social limité.» (ibid. : 162)
Il caractérise l’établissement par quatre critères distinctifs (ibid. : 162-4):
- L’établissement à un nom constant
- Ce nom est un nom propre
Il est porté par tous les membres de l’établissement, et n’est porté que par eux. C’est
d’ordinaire un nom de lieu descriptif suivi du suffixe -miut : originaire de.
- Le district de l’établissement a des frontières nettement arrêtées
Chaque établissement a son espace de chasse, de pêche à terre et en mer. Partout et
toujours, sauf à la suite des grandes catastrophes qui bouleversent l’établissement, ce sont
les mêmes gens qu’on trouve au même endroit ou leurs descendants.
- L’établissement a une unité linguistique et une unité morale et religieuse
Il rapproche ces deux unités car l’unité linguistique sur laquelle il attire l’attention
tient à des causes religieuses, aux notions concernant les morts et leurs réincarnations.
«Il y a, en effet, un remarquable système de tabou du nom des morts chez les Eskimos, et ce tabou s’observe par établissement ; il en résulte la suppression radicale de tous les noms communs contenus dans les noms propres des individus. Il y a ensuite un usage régulier de donner le nom du dernier mort au premier né de l’établissement ; l’enfant est réputé le mort réincarné et, ainsi chaque localité se trouve posséder un nombre déterminé de noms propres, qui constituent, par conséquent, un élément de sa physionomie.» (ibid.: 164)
Il est dans la nature de l’établissement inuit d’être de petite dimension ; la mort et
64
l’émigration en sont les causes combinées (ibid. : 171). «On peut même dire que cette
grandeur restreinte de l’unité morphologique est aussi caractéristique de la race Eskimo
que les traits du visage ou les traits communs aux dialectes qui y sont parlés» (ibid.).
Un autre trait caractéristique de l’établissement est sa composition : il comprend peu
d’enfants et de vieillards (ibid.).
Labrèche (2003 : 160) remarque que la composition des établissements changeait
fréquemment, selon les alliances, chacun ayant la possibilité d’adopter un nouveau milieu
plus avantageux, notamment en termes d’accès au gibier. Néanmoins, la propriété du sol
de la station appartient à tous et il faut l’accord, même tacite, de la communauté pour
qu’un nouvel individu rejoigne l’établissement (Mauss, 2012 : 244).
La maisonnée nomade
Selon Collignon (2001 : 388), c’est la maisonnée qui est la structure de base de la société
inuit. Elle explique que les individus composants la maisonnée, «ceux qui partagent le
même air», sont très unis, qu’ils soient parents ou non, car «ils ont en partage cet espace
où se développe et se restaure la vie de chacun » (ibid. : 390). Elle compare la maisonnée
à une méta-personne, qui nourrit et protège ses occupants.
La maisonnée change de morphologie avec les saisons, selon que l’habitat est la tente
ou la maison de neige. Mauss a démontre qu’un fort rapport existe entre l’organisation
spatiale des formes traditionnelles des maisons nomades des Inuit et la morphologie
sociale des familles qu’elles abritent.
En été, la maisonnée de la tente est la famille restreinte, qui repose sur le couple
conjugal. Plus précisément, il s’agit d’un homme et sa (ses) femme(s), leurs enfants
naturels et adoptés non-mariés ; exceptionnellement, il peut y avoir un ascendant, ou
une veuve qui n’est pas remariée, ses enfants, ou enfin un ou des hôtes (Mauss, 2012 :
180-1). En effet, le droit d’hospitalité y est très largement pratiqué, les visites étant très
fréquentes entre les membres d’une même maison hivernale ou d’un même établissement
(ibid. : 249). Chaque tente ne comprend qu’une seule famille, dont elle est la propriété
65
(ibid. : 202, 243). Mauss (ibid.: 180) affirme que le rapport est si étroit entre la famille
et la tente que la structure de l’une se modèle sur la structure de l’autre. Il met en avant
qu’il y a une seule lampe par famille ; il y a une seule lampe par tente. De même, il n’y a
qu’un couchage pour toute la maisonnée, y comprit les hôtes éventuels. Il conclu qu’ainsi
la famille vit parfaitement unie dans cet intérieur hermétiquement clos ; c’est elle qui
construit et transporte cette habitation d’été, si exactement faite à sa mesure (ibid. : 181).
Le groupe qui occupe en commun la maison de neige en hiver est la famille étendue,
qui regroupe plusieurs familles restreintes. Ces cohabitants portent le nom de igloq atigit,
c’est à dire les «parents de maison» ; ce terme désigne également tous les cousins (ibid. :
229). Il est formellement attesté que l’ensemble de ces cohabitants forme le cercle de
parenté le plus proche de l’individu après sa famille restreinte (ibid.). Le mariage est
prohibé entre les membres de cette maisonnée (ibid. : 230).
Néanmoins, la famille restreinte ne s’abolit pas complètement dans la maison de
neige : chacune possède sa lampe et occupe son côté ou son dôme de l’iglu, de plus
chacune à la possibilité de rejoindre les autres ou de partir selon son gré (ibid. : 245). Le
cas des maisons d’hiver monofamiliales est une exception (ibid. : 199). Au sein de ces
maisonnées, le leadership n’est pas désigné par la naissance mais par les caractéristiques
personnelles telles que l’âge et l’habilité à la chasse (Dawson, 2006 : 116).
Saladin d’Anglure (1978 : 14) cite en exemple la maison de neige dans laquelle a
séjourné Mathiassen à Itijjariaq en janvier 1922. Celui-ci en avait fait un plan succinct,
complété par Saladin d’Anglure 50 ans plus tard.
«AVA et sa famille habitaient un complexe de maisons de neige savamment assemblées. Il y avait cinq coupoles d’habitations reliées entre elles par des couloirs et des porches de neige. [...] Ils logeaient en effet tous deux [UJARAQ et IQALLIJUQ sa petite amie de l’époque], cet hiver-là, dans le même iglou qu’AVA et URULU, iglou où vint s’installer Rasmussen et son jeune aide groenlandais KAVIGARSUAQ.
Peter Freuchen et Therkel Mathiassen s’installèrent dans le deuxième iglou, celui de USAARAQ, fille d’AVA, et le couple groenlandais d’ARQIUQ et ARNANGUAQ allèrent dormir dans l’iglou no 3, celui de NATAQ, autre fils d’AVA.
La grand-mère d’IQALLIJUQ et sœur aînée d’AVA, NATTIQ, était installée avec la famille de son fils ARRAQ dans l’iglou no 4 et la mère d’IQALLIJUQ, NUVVIJAQ vivait avec son dernier mari, KUBLU, et leur nouveau-né dans l’iglou no 5.» (ibid.)
66
Plan de la maisonnée d’Ava (Saladin d’Anglure, 1978)
Graphe de parenté de la maisonnée d’Ava. Les zones grisées indiquent un couchage dans un même dôme (de l’auteur)
Le plan et le graphe de parenté indiquent comment se répartissent les différents membres
de la famille étendue d’Ava dans cette habitation. Trois générations sont présentes dans
l’habitation, mais jamais plus de deux génération par dôme (cas du dôme 1 : Ava, sa
femme et leur fils et sa fiancée, qui est la petite-fille de la soeur d’Ava. Cette jeune femme
est effectivement d’une 3e génération, mais elle est présente dans le dôme par sa relation
d’alliance). On peut voir que les parents dorment avec leurs enfants sous une même
couverture, les invités dorment à côté, sur la même plateforme. On voit également que
à chaque couple conjugal correspond une lampe à huile (représentée par un ovale sur le
plan). Chaque dôme abrite un couple conjugal, leurs enfants et leur lampe à huile sauf
les dômes 1 et 3. Pour le dôme 1, sont présents Ava et sa femme ainsi que Ujaraq [leur
fils] et sa fiancée. Ujaraq et Iqallijuq ne sont pas mariés, c’est pourquoi ils dorment dans
le même dôme qu’Ava. Pour le dôme 3, l’explication est que le second couple sont des
67
invités, venus du Groenland ; ils ont très probablement apporté leur propre lampe à huile.
Il y a donc, comme l’a remarqué Mauss (2012 : 194) un rapport étroit entre l’aspect
morphologique de la maison et la structure du groupe complexe qu’elle abrite. Mauss
ajoute : «Toutefois, il est curieux de constater que l’espace occupé par chaque famille peut
n’être pas proportionnel au nombre de ses membres. Elles sont considérées comme autant
d’unités, équivalentes les unes aux autres. Une famille restreinte à un individu occupe une
place aussi grande qu’une descendance nombreuse avec ses ascendants» (ibid.).
Ainsi Mauss a démontré comment la morphologie sociale des Inuit est intimement liée
à la forme de leur habitat selon les saisons.
La maisonnée sédentaire
Les pavillons euro-canadiens sont aujourd’hui considérés comme surpeuplé. C’est à
dire qu’il y a plus de personnes composant la maisonnée réelle que la maisonnée désirée.
C’est pour ce fait que sont généralement cités les Inuit dans les journaux nationaux
canadiens : «Conditions de logement digne du tiers monde au Nunavik, selon Makivik»
(Le Soleil, 30 octobre 2013), «Les mal-logés du Nunavik» (Le devoir, 22 mars 2014),
«Pénurie de logements dans le Nunavik : Cloutier sonne l’alarme» (La presse, 30 octobre
2013). Ce surpeuplement des logements a été constaté par un Rapporteur spécial des
Nations Unies pour la Commission des droits de l’homme lors de sa visite au Canada
entre le 21 mai et le 4 juin 2004.
Le recensement de la population de 2006 donne les chiffres suivants :
NunavikNb total de ménages privés
(A)2590
Nb de ménages comprenant
un couple (marié ou de droit
commun) avec enfants (B)
1010
68
NunavikNb de ménages comprenant
un couple (marié ou de droit
commun) sans enfants (C)
195
Nb de ménages d’une seule
personne485
Autres types de ménages (D) 900Taille moyenne des ménages 4,1
(tout le Québec : 2,3)Habitat comprenant plus
d’une personne par pièce -
pourcentage sur le total des
habitats privés occupés (E)
26,8 %
(tout le Québec 1,0%)
Statistiques concernant les ménages au Nunavik en 2006 (Statistics Canada, 2008 Census of Population. traduction de l’auteur)
A : Ménage privé réfère à une personne ou un groupe de personnes (autre que résidents étrangers) qui occupe le même logement et n’a pas d’autre lieu de résidence ailleurs au Canada. Cela peut être un groupe familial (famille nucléaire) avec ou sans autre personne, deux familles ou plus partageant un logement, un groupe de personnes sans relation de parenté, ou une personne vivant seule. Les membres du ménage temporairement absent le jour du recensement sont pris en compte dans leur ménage habituel. Pour les besoin du recensement, toute personne n’est considérée que dans un seul et unique ménage.
B : Fait référence aux ménages mono-familiaux comprenant un couple (avec ou sans individus non inclus dans la famille nucléaire) avec au moins un enfant de moins de 25 ans.
C : Inclut les ménages mono-familiaux comprenant un couple (avec ou sans individus non inclus dans la famille nucléaire) dont tous les enfants ont 25 ans et plus.
D : inclut les ménages multi-familiaux, les ménages mono-parentaux et les ménages non-familiaux autres que les ménages d’une seule personne.
E : une «pièce» est un lieu clos dans un logement qui est achevé et propre à l’habitation toute l’année (exemple : cuisine, salle à manger ou chambre). Ne sont pas comptés comme pièce les salles-de-bain, vestibules et pièces à usage commercial.
Statistiques concernant les ménages au Nunavik en 2006 (Statistics Canada, 2008 Census of Population. Notre traduction)
Selon ces chiffres, le surpeuplement dans les logements touche 26,8% des ménages ; il
correspond aux habitations dont on compte plus d’une personne par pièce de vie. Selon la
SHQ, en 1992, donc quatorze ans auparavant, 26% du parc de logements était surpeuplé ;
cette fois-ci la notion de surpeuplement correspond aux logements abritant plus d’une
69
famille nucléaire. Ces deux définitions sont issues d’administrations qallunaat. La Société
Makivik avance le chiffre de 63% de la population vivant dans un logement surpeuplé en
2013 et 68% en 2014 sans préciser quel est le critère pour déterminer le surpeuplement.
Néanmoins, Dalaasie Morgan Karpik, témoignant dans un article du Devoir de mars 2014,
dénonce le fait de vivre avec ses enfants et petit-enfants comme une situation anormale,
ainsi que d’avoir dû héberger son frère et sa famille lors de l’incendie de leur maison.
On peut donc voir que selon elle, la maisonnée idéale se compose de la famille restreinte
(couple conjugal et enfants non-mariés).
Par ailleurs, le recensement de 2006 distingue quatre catégories de ménages : ménages
composés d’un couple avec enfants, sans enfants, ménages d’une seule personne et
«autres». Les deux premières catégories, correspondants le plus à la maisonnée idéale
inuit, représentent près de 50% des ménages. La catégorie «autres», regroupant ceux qui
sortent de la norme selon les catégories établies par ce recensement correspond à près de
35% des ménages. On sait seulement qu’il s’agit des ménages multi-familiaux, mono-
parentaux ou encore regroupant des individus sans liens de parenté entre eux.
Dû au surpeuplement des logements, de nouveaux phénomènes sociaux sont apparus.
Des jeunes filles tombent enceintes très tôt pour obtenir un logement plus rapidement, les
familles mono-parentales étant favorisées sur les listes d’attentes (entretien A). Par ailleurs,
il existe une itinérance16 cachée, également appelée «couchsurfing» : des personnes sans
logement sont hébergées par d’autres membres de la communauté par alternance (Le
devoir, 2013 ; entretien A). Selon Makivik, cette situation de surpeuplement des logements
engendre des tensions au sein des foyers, aggrave les problèmes sociaux (alcool, drogue,
violences conjugal,...) et de santé, et a un impact négatif sur l’éducation des enfants. Ce
sont les syndromes que Hall associe à la surpopulation urbaine (Hall, 1978 : 210).
Par ailleurs, lors d’une étude sur le logement ouvrier français P. et M.-J. Chombard
de Lauwe ont montré que l’indice le plus éclairant sur le surpeuplement des logement
n’est pas le nombre d’habitants par cellule d’habitation mais le nombre de mètres carrés
disponibles par personne et par logement (ibid.). Ils ont montré comment le nombre de 16 itinérant : terme québécois pour désigner une personne sans domicile fixe
70
cas pathologiques (physiques et sociaux) double sous un certains seuil (8 à 10m2 pour le
cas des ouvriers français de leur étude). Rappelons que Labrèche (2003 : 182) estime à
3,50m2 l’espace disponibles par habitant dans la tente et la maison de neige. Prenant en
compte qu’une maison jumelée (le modèle le plus répandu) mesure environ 110m2, et que
le foyer moyen comporte 4,1 individus, cela donne une moyenne de 26,8m2 par habitant.
Ce chiffre est très probablement inexact, néanmoins il donne un ordre d’idée. De plus,
un cas qui m’a été décrit comme critique étant celui d’une maison double abritant 18
individus (entretien A) : dans cette maison extrêmement surpeuplée il y a donc 6,1m2 par
habitant, ce qui est presque le double de la surface disponible par habitant dans la tente.
Le surpeuplement et ses conséquences ne sont pas discutables. Alors comment
expliquer que, malgré la très grande augmentation entre la surface disponible par habitant
par logement entre la période nomade et sédentaire, les logements soient vécus comme
surpeuplés aujourd’hui ?
On peut donc se demander quels sont les facteurs d’un tel changement. En important
les maisons, le gouvernement a-t-il également importé les besoins d’espaces des habitant
du sud du Québec ? Est-ce que ce sont les usages fait de l’espace domestique qui, en
changeant, demandent plus de place disponible ? Le temps passé à l’intérieur qui aurait
augmenté ? Le fait que les maisons sont chauffées ? Ou est ce que l’espace extérieur étant
la continuité de l’espace domestique dans la culture inuit, celui-ci doit être pris en compte
dans le calcul de l’espace disponible par habitant ? Est ce que l’importance de la taille du
village sédentaire par rapport à la taille de l’établissement nomade à un impact ?
Synthèse
Le type de parenté «Eskimo» défini par Morgan est outil insuffisant pour décrire les
systèmes de parentés inuit qui présentent une grande variété. Il ne permet pas de voir les
liens électifs de la parenté inuit (adoption et transmission de l’âme-nom des ancêtres)
qui étaient pourtant très importants. En 1998, alors que la sédentarisation était effective
depuis plusieurs décennies, Saladin d’Anglure observait encore ces phénomènes. Il serait
intéressant d’observer ce qu’il es est aujourd’hui, si la sédentarisation a eu un impact sur
71
ces relations.
L’unité fondamentale des sociétés inuit encore nomades était l’établissement pour
Mauss, la maisonnée pour Collignon. Le groupe constituant l’établissement est le même
quelque soit la saison, mais sa répartition dans l’espace change entre l’hiver (regroupé)
et l’été (dispersé). La maisonnée change également avec les saisons : la tente abrite la
famille nucléaire alors que la maison de neige accueille la famille étendue, néanmoins
chaque famille nucléaire possède son propre dôme. Mauss a démontre qu’un fort rapport
existe entre l’organisation spatiale des formes traditionnelles des maisons des Inuit et la
morphologie sociale des familles qu’elles abritent.
Aujourd’hui, la maison n’est pas adaptée à sa maisonnée. Toutes les maisons sont
identiques quelle que soit la taille de la famille qui les habitent. De plus, la maisonnée
idéale, constituée de la famille nucléaire, est rarement la maisonnée réelle : la pénurie de
logement entraîne une surpopulation à l’intérieur des logements existants et la maisonnée
devient alors la famille étendue, en vertu des solidarités qui existent au sein de celle-
ci. Ceci a pour conséquence une aggravation des problèmes sanitaires et sociaux, et
l’apparition de nouveaux comportements tels que la monoparentalité.
72
2.2 L’iglu de neige, un espace de partage
Espace monocellulaire
Vue intérieure d’une maison de neige dont plusieurs dômes sont connectés (Malaurie, 1995)
L’espace de la maison de neige comme de la tente est un continuum spatial, c’est à
dire un espace intérieur ouvert ne comportant ni mur ni porte (Bordin, 2003 : §5). Dans
cet espace se déploie la parole, celle que Collignon (2001 : 398) qualifie de «parole vraie,
celle qui est chargée de sens», c’est-à-dire un échange de qualité qui relie les individus
de la maisonnée et par lequel la culture est transmise aux enfants. C’est un espace unique
dans lequel toutes les activités sont pratiquées en commun : manger, travailler, jouer ou
encore dormir (Bordin, 2003: §1; Turner, 1894 : 228). Pour autant, ce continuum spatial
est composé de sous-espaces suivant des règles précises d’agencement et d’occupation
de l’espace où chaque lieu, partie et objet possède une dénomination spécifique (ibid. :
§7). Collignon (2001 : 380) remarque que, bien que les inuit n’aient jamais vécu dans les
maisons semi-souterraines, l’organisation intérieure est la même que celle des maisons de
neige et des tentes : elle y voit la prégnance d’un modèle depuis plus de 9 siècle, encore
73
d’actualité lorsqu’ils campent aujourd’hui.
Espace féminin / espace masculin
Collignon (2001 : 392) décrit ainsi cette organisation spatiale de l’espace domestique :
«ce qui est clairement défini, c’est la place de la maîtresse de maison : face à la lampe, qu’il lui revient d’entretenir Selon les cas, le foyer est placé à gauche ou à droite de l’entrée, mais le plus souvent à gauche. La place de la femme sur la banquette est déterminée par la position de sa lampe, qui produit la fois lumière et chaleur, sur laquelle on cuit les aliments et au-dessus de laquelle sèchent les morceaux de viande mais aussi les vêtements des chasseurs. [...] Le long du mur, de son côté, la femme place son nécessaire à couture, attribut indispensable de la femme inuit. Les hommes s’asseyent de l’autre côté et disposent leurs propres outils de ce côté-là de l’iglou, à proximité de l’aire de dépeçage, les armes restent dehors. Les enfants sont partout : sur la banquette, sur l’aire de dépeçage mais surtout, par tous les temps, dehors.»
Organisation intérieure d’une maison de neige monofamilial (Collignon, 2001)
La place de chacun dans l’habitation est donc précisément déterminée. D’un côté,
l’espace masculin, espace froid, est associé aux activités liées à la chasse : aire de
dépeçage, stock des outils pointus masculins (Collignon, ibid. ; Saladin D’Anglure, 1978 :
22). Le côté opposé est l’espace féminin, espace chaud, centré autour de la lampe, que
Saladin d’Anglure (ibid.) associe aux formes rondes : couteau semi-lunaire, lampe à huile
arrondie, marmite, etc. L’homme a eut le rôle principal lors de l’érection de la maison de
neige et c’est à la femme que revient son entretien quotidien : corvée d’eau, grattage du
sol, pilonnage de la graisse de phoque pour l’alimentation de la lampe, etc (Collignon,
74
ibid.). C’est à partir de son point de vue à elle, assise près de la lampe, que sont nommés
les différentes parties de l’iglu : le foyer, le côté opposé au foyer, l’avant, le fond (ibid.).
C’est le regard féminin qui organise l’espace. L’espace domestique est donc entretenu et
organisé par la femme.
Nanouk, le mari, dépèce la viande au sol tandis que ses femmes, sur la plateforme, s’occupent de la lampe à huile (à droite) et des enfants (Flaherty, 1922).
Saladin d’Anglure voit l’espace domestique comme un espace contraignant pour la
femme : «La femme, quant à elle, est condamnée à rester au centre du cercle, au foyer,
confinée par de multiples forces sociales centripètes dans l’espace domestique en raison
des nombreuses prohibitions qui la touchent» (Saladin D’Anglure, 1978 : 47). Cela
commence dès l’enfance : «le franchissement des espaces domestiques sera un véritable
rite de passage pour la fillette, qui n’ira jamais bien au-delà des espaces contigus, sauf
dans des voyages conduits par les hommes» (ibid.: 48). Par la suite, une fois adulte,
des tabous l’excluront périodiquement de l’alimentation crue et des espaces et outils de
chasse, la ramenant toujours au foyer, au cuit, à l’espace domestique (ibid.).
Si la femme est confinée à l’espace de l’iglu, l’homme a quant à lui la capacité
d’évoluer jusqu’aux limites de l’espace physique, et le chamane peut évoluer aux limites
75
de l’espace imaginaire (Saladin D’Anglure, 1978 : 49).
Espace de vie collective
Couchage commun sur la plateforme, les parents aux extrémités et les jeunes enfants au milieu (Flaherty, 1922)
Les activités telles que la chasse peuvent retenir les individus loin de chez eux ; en
revanche, l’habitude des visites nombreuses et le partage des parts de gibier peuvent
augmenter de façon imprévue le nombre de personnes admises à l’intérieur de l’habitation
(Labrèche, 2003 : 168). Ces comportements servent à assurer la cohésion du groupe
(Dawson, 2006 : 117). La place du visiteur, homme ou femme, dépend de son degré
d’intimité avec ses hôtes : accroupi sur l’aire de dépeçage, puis sur la banquette mais
du côté opposé à la lampe, puis près de la maîtresse de maison lorsque l’intimité avec
celle-ci le permet (Collignon, 2001 : 392 ; Turner, 1894 : 228). Il en va de même pour
le couchage. La famille dort ensemble sur la banquette, sous une seule peau, utilisant
leurs habits comme oreiller (Bordin, 2003 : §5). La femme dort près du mur coté lampe,
puis les bébés et petits enfants, puis le père, et enfin, de l’autre côté du père, viennent les
76
autres enfants (le plus jeune près de lui puis le plus âgés vers le mur opposé à la lampe),
puis le visiteur (Collignon, 2001 : 393). Il en va de même sous la tente (Labrèche, 2003 :
168 ; Turner, 1894 : 227). Labrèche (ibid.) y voit un avantage pratique : «la présence
d’un nombre accru d’individus dans un abri suffisamment étanche permet d’en tempérer
l’air, un avantage non négligeable dans un pays où le combustible peut venir à faire
défaut». Selon Mauss, l’usage des espaces communs est une expression matérielle de
la vie collective inuit. Les seuls facteurs pratiques (conservation de la chaleur, chasse)
peuvent expliquer l’apparition de la vie commune, mais ne suffisent pas à expliquer le
degré d’intimité mis en jeu (Mauss, 2012 : 214).
Synthèse
L’espace domestique nomade est un espace monocellulaire où la transmission se fait
par imitation. Cet espace est organisé en deux pôles : l’espace féminin, espace chaud de
la plateforme autour de la lampe à huile, destiné aux activités féminines, où les objets
ont des formes rondes ; l’espace masculin, espace froid destiné aux activités masculines,
où les objets sont pointus. L’espace domestique est contraignant pour la femme qui y
est confinée, mais c’est aussi son domaine qu’elle s’approprie par l’entretien et qui est
organisé à partir de son point de vue.
77
2.3 La maison moderne appropriée
Appropriation
L’entrée «Appropriation» du Dictionnaire critique de l’habitat et du logement de Perla
Serfaty-Garzon nous apprend ceci :
«La notion d’appropriation véhicule deux idées dominantes. D’une part, celle d’adaptation de quelque chose à un usage défini ou à une destination précise; d’autre part, celle, qui découle de la première, d’action visant à rendre propre quelque chose.
L’idée d’adaptation traduit un objectif d’harmonie entre une chose et l’usage auquel on la destine, un heureux appariement entre deux objets, deux actions ou entre un sujet et un objet. Elle traduit l’intention d’atteindre une certaine justesse dans l’action de modification de l’objet sur lequel s’exerce l’appropriation, justesse qui révèle une intelligence intime des qualités propres à cet objet et de ses potentialités.»
Dans le cas des maisons du Nunavik, il s’agit de l’appropriation par les Inuit des
habitations conçues dans une culture allogène. La notion d’appropriation va de paire avec
celle de propriété. Il ne s’agit pas de propriété au sens juridique du terme - nous avons vu
qu’au Nunavik les logements sont très généralement possédés par le gouvernement - mais
d’une propriété d’ordre morale, psychologique et affective (ibid.). S’approprier, rendre
propre, c’est donc un rôle actif qui permet adapter à soi une chose et ainsi la transformer
en un support de l’expression de soi (ibid.).
«L’équipe d’Henri Raymond, étudiant l’habitat pavillonnaire, définira l’appropriation de l’habitat comme l’ensemble des pratiques et, en particulier, des marquages qui lui confèrent les qualités d’un lieu personnel. D’une part, le marquage, par la disposition des objets ou les interventions sur l’espace habité, est l’aspect matériel le plus important de l’appropriation. D’autre part, ces qualités de lieu personnel ne sauraient exister sans l’existence d’un « nous » qui en cautionne la légitimité, sans les valeurs qui leur sont attachées, c’est-à-dire sans l’existence d’un « modèle culturel » qui en inspire et fonde l’organisation. [...]
Ces travaux ont pour mérite de montrer que si l’habitat est produit, l’appropriation de l’habitat n’est pas un sous-produit mais l’aventure même de l’habiter.» (ibid.)
Henri Raymond parle de l’appropriation par le marquage, c’est à dire la disposition
78
des objets et les interventions sur l’espace habité ; l’appropriation est à l’oeuvre dans les
gestes quotidiens : entretenir, ranger, décorer, mettre en scène, cacher, etc. Il inclut ces
actions dans un «modèle culturel». L’enjeu de l’appropriation des maisons par les Inuit
repose sur le fait que celles-ci ne font pas partie traditionnellement de leur modèle culturel,
il doivent donc réinventer «ce qui en inspire et fonde l’organisation». A l’importance du
faire, Segaud (2012 : 76) ajoute celle du dire : nommer, qualifier l’espace permet de se
l’approprier.
Selon Segaud, l’appropriation est donc ce qui permet de passer de la «maison» au
«chez-soi» (ibid. : 75).
79
3.2.1 Appropriation par le langage
Avec l’arrivée des nouvelles maisons, il a fallu trouver de nouveaux mots pour qualifier
ce qui n’existait pas encore dans la culture inuit : l’espace domestique sédentaire des
pavillons euro-canadiens. Bordin (2003) montre les différentes stratégies linguistiques
mises en place pour développer ce nouveau vocabulaire au Nunavik ainsi qu’au Nunavut
oriental. Il existe donc quatre modes de production lexicale, les deux derniers étant très
marginaux (ibid. : §61) :
- la lexicalisation : créer des termes nouveaux à partir des éléments lexicaux et
grammaticaux préexistants, tout en respectant la morphologie de la langue. La structure
polysynthétique de la langue inuit favorise grandement ce procédé. Par exemple,
majurauti : escalier (littéralement : ce qui sert habituellement à monter), formé à partir du
morphème -uti : ce qui sert à.
- le glissement ou extension sémantique : étendre et/ou remplacer le nombre de
référents désignés par un terme donné. Généralement, ces termes désignent aujourd’hui
des réalités qui sont nouvelles non dans leurs fonctions, mais plutôt dans leurs formes. Par
exemple, qaaq qui désignait les fourrures pour la plate-forme s’emploie aujourd’hui pour
le drap, le dessus de lit. Idem pour igliq : plate-forme pour le couchage > lit ; ou encore
katak : entrée, seuil > entrée, porte. De cette manière une part non négligeable du lexique
relatif à l’habitat nomade a été conservée.
- le calque : traduction littérale d’un terme étranger (anglais dans le cas inuit) (par
exemple, itsivautaq désigne le président de séance [chairperson en anglais] et signifie
littéralement « la chaise »).
- l’emprunt direct à une autre langue : ils sont peu nombreux et toujours
phonétiquement adaptés (comme kavama : gouvernement [government]). Par exemple
kuuqarvik : cuisine (kuu-, cuisinier (de l’anglais cook, cuisinier [ceux des bases militaires,
+ des bateaux, etc.]) ; -qaq-, avoir ; -vi-, lieu ; -k, spécif. (sing.) [là où il y a un cuisinier])
est formé par emprunt et lexicalistion.
Les différents surnoms donnés aux Matchbox, premières maisons livrées par la
gouvernement, sont péjoratifs. Ces désignations traduisent la piètre opinion que nombre
80
d’Inuit avaient de ces habitations préfabriquées. Le glissement sémantique traduit la
dimension réduite de celles-ci :
- iluviit : tombe [Nunavik]
- sikkittaruluk : minable petit cube (sikkittaq, carré, parallélépipède, brique ; -rulu-,
petit (péjoratif) ; -k, spécif. (sing.)) [Nunavut]
En revanche la maison moderne n’est plus une réalité étrangère pour les Inuit qui la
nomment iglujuaq, c’est à dire la maison par excellence, la maison de qualité supérieure
(Bordin, 2003 : §83). On relève dans l’analyse de Bordin les termes suivants pour désigner
la maison moderne aujourd’hui (tous construits par lexicalisation, tous mélioratifs) :
- iglualuk : la grande maison (iglu, habitation ; -alu-, grand ; -k, spécif. (sing.) )
- iglujuaq : la maison de qualité supérieure (iglu, habitation ; -jjua- , grand, par
excellence ; -q, spécif.(sing.) )
- iglullarik : la véritable maison (iglu, habitation ; -llari-, vrai, véritable ; -k, spécif.
(sing.))
- iglutuinnaq : une simple habitation (iglu, habitation ; -tuinna-, uniquement,
simplement ; -q, spécif. (sing.))
Synthèse
Alors que selon Collignon l’absence de vocabulaire et l’importance des néologismes
sont les témoins de « l’importance de la rupture et non pas de l’intégration de la maison
occidentale dans la sphère culturelle inuit » (Collignon, 2001 : 398), Bordin conclut de son
analyse linguistique que « l’habitat nomade est, par l’intermédiaire du lexique, toujours
présent. Les Inuit ont su mobiliser les possibilités qu’offre leur langue pour réduire
symboliquement la distance existant entre les deux types d’habitat.» (Bordin, 2003: §82).
Il voit cela comme une appropriation linguistique de l’habitation contemporaine.
81
3.2.2 Appropriation par le mode d’occupation
Espaces spécialisés
Les pavillons euro-canadiens actuels correspondent à une typologie de logements
pensés pour des occidentaux : chaque pièce possède a priori une fonction particulière,
soit à usage collectif comme la cuisine, le salon, soit à usage plus individuel comme
les chambres à coucher (Bordin, 2003: §2). Selon Collignon (2001 : 394), ces maisons
apportent un certain confort matériel mais leurs murs séparent les individus aussi bien
physiquement que cognitivement. L’habitation n’est plus un espace relationnel, ce qui rend
la transmission des savoirs pratiques, du sens communautaire, des valeurs culturelles, ou
encore de la langue, plus compliquée (ibid. : 394 et 396). Alors qu’autrefois la transmission
se faisait par imitation, ces nouvelles maisons obligent à expliciter les choses or cela va à
l’encontre du code de conduite inuit qui prône la discrétion à propos de soi (ibid.).
Education sur le logement
En fournissant des maisons aux Inuit, le gouvernement veut les éduquer sur le bon
usage de celles-ci. En 1947 est édité et distribué «the book of wisdom for eskimo» (Le
livre de sagesse pour les esquimaux) qui explique à l’aide de textes simples et d’images
comment entretenir la maison et prendre soin des bébés.
Extrait du Book of Wisdom for eskimo (Dawson, 2006)
82
A partir des années 60, le gouvernement à organisé pour les Inuit adultes des cours
d’éducation sur le logement (Dawson, 2006 : 114). A ce propos, Duhaime explique :
«Le principe de l’éducation sur le logement repose sur la conviction, dans le camp des décideurs politiques, que l’implication des Inuit dans le programme d’habitation est nécessaire pour en assurer le succès et suppose, comme le soutiennent Thomas & Thompson (1972) qu’on estime la culture inuit inadéquate pour le nouveau mode de vie» (Duhaime, 1985 : 50).
On remarque donc que pour les décideurs politiques la notion d’implication des Inuit
ne va pas au delà de l’entretien des maisons. D’autre part, c’est la culture inuit qui est
jugée inadapté aux maisons et non l’inverse.
Cet enseignement se déroule en trois phases (ibid. : 51). La première phase est
l’enseignement du concept de locataire (droits et devoirs) avant la signature du bail. La
seconde concerne l’entretien ménager et l’économie domestique proprement dite. Enfin, la
troisième phase concerne l’implication des locataires dans la gestion des logements par la
formation de leaders et de comités de logements dont le rôle serait l’entretien, l’allocation
des habitats et l’application de sanctions aux mauvais payeurs. Mais ces comités n’ont pas
fonctionné et ont été abandonnés (ibid.). L’enseignement est prodigué par deux qallunaat
du ministère, méconnaissant la culture inuit, ainsi que des inuit engagés dans chaque
communauté (ibid.). L’enseignement se fait en petits groupes et s’appuie sur des films, des
dessins, des brochures (comment faire le lit, laver le réfrigérateur, l’évier, les planchers, la
vaisselle, etc), la radio (ibid.). Les blancs au Nunavik (infirmiers, instituteurs, policiers,
gérants HBC,...) sont présentés comme des personnes ressources, des modèles à suivre.
Aujourd’hui l’OMHK, à travers le programme Pivallianiq (qui signifie processus en
inuktitut) continue cette éducation sur le logement. Le volet Nanuk s’adresse aux enfants.
Le volet Escouade de l’entretien s’adresse aux familles. Les agents Pivallianiq ont pour
but d’informer, de sensibiliser et de guider les locataires de l’OMHK à l’importance de
maintenir en bonne condition l’état de leur maison et de leur environnement immédiat afin
qu’ils puissent vivre dans des milieux de vie sain et sécuritaire. Les familles reçoivent un
guide d’entretien, des produits ménagers, peuvent recevoir la «certification Pivallianiq»
s’ils se conforment au guide d’entretien ; auquel cas ils reçoivent des cadeaux (pivallianiq.
ca).
Comme le remarquent Duhaime (1985 : 53), Dawson (2006 : 114) et Collignon (2001 :
389), les Inuit se sont approprié cet enseignement et les comportements que le cadre
83
matériel qui s’impose à eux suggère en choisissant quelles règles et conseils suivre ou
non. Ils n’ont pas de prise sur la construction ou le nombre de maisons, mais ils ont
prise sur l’aménagement intérieur et la redéfinition des espaces : «les Inuit réinventent
la définition des pièces, font plier l’architecture dans les limites qu’elle comporte et
l’adaptent à la culture» (Duhaime, 1985 : 53). On assiste à un syncrétisme entre les
pratiques traditionnelles et les pratiques qallunaat (Dawson, 2006 : 114).
Appropriation par l’occupation de l’espace : redéfinition des pièces
Selon Collignon (2001 : 395), les maisons occidentales imposent un unique espace
chaud, il y a donc une disparition de l’espace froid : l’espace masculin. Passant de plus
en plus de temps à l’intérieur, les hommes dont la place était autrefois à l’extérieur sont
l’objet de moqueries et leur virilité est menacée (ibid.). Elle associe cette perte de l’espace
froid à l’apparition de la paresse :
« Aujourd’hui, il [l’espace domestique] impose encore ses propres configurations à ses occupants, en imposant par son confort des comportements qui vont encontre de ceux traditionnellement encouragés par la société et qui sont constitutifs de l’identité inuit telle que les Inuit eux-mêmes
la définissent. » (ibid. : 397)
Si l’espace de la maison euro-canadienne a une influence sur les comportements de
ses habitants, l’inverse est-il possible ? Quelles sont les stratégies mises en places par les
Inuit pour adapter la maison à leur façon d’habiter ?
Dawson (2006) tente de répondre à cette question. A l’aide d’une méthode appelée
Space Syntax Analysis (analyse de la syntaxe spatiale), il repère sur les plans des maisons
les pièces selon leur niveau d’intégration ou de ségrégation. Les espace intégrés sont
ceux ayant les plus de connexions avec les autres, ce sont les espaces les plus facilement
accessibles ; Dawson les appelle les espaces chauds. En revanche, les espaces ségrégués
sont ceux qui sont les moins bien connectés, ce sont les espaces froids. C’est-à-dire qu’il
créé une carte de l’accessibilité, outil qui lui permettra d’examiner comment les pratiques
domestiques sont structurées par rapport aux concepts, culturellement adaptés, de public
et privé.
84
Par la suite, les activités quotidiennes de 47 familles inuit de la communauté d’Arviat
(Nunavut) ont été relevées pendant trois mois durant l’été 2002. Ces activités ont été
cartographiées et mises en relation avec les cartes d’accessibilité des maisons euro-
canadiennes.
Deux exemples de configuration de l’espace différentes qui altèrent l’accessibilité des pièces 1 et 4. Les pièces sont grisées selon leur intégration : plus la pièce est intégrée (accessible), plus elle est foncée (de l’auteur, inspiré de Dawson, 2006)
Cartes d’accessibilité des maisons au Nunavut. Les pièces sont grisées en fonction de leur intégration. Le noir indique une haute intégration, le degré d’intégration diminue le long de l’échelle des gris jusqu’au blanc qui indique un espace très peu intégré. (L) living room / séjour ; (K) kitchen / cuisine ; (B) bedroom / chambre ; (b) bathroom / salle-de-bain ; (ST) storage room / stockage ; (U) utility room / espaces servants ; (CP) cold porch / porche froid (Dawson, 2006)
Cartes d’accessibilité d’une maison jumelée du Nunavik, sur l’exemple de celle de Dawson (de l’auteur)
85
Dawson met en avant par ses schémas deux aspects des maisons euro-canadiennes du
Nunavut qui sont également valables pour celles du Nunavik : elles sont extrêmement
compartimentées et le degré d’intégration varie considérablement d’une pièce à l’autre
(ibid. : 123). Ce type d’organisation spatiale tend à favoriser la dispersion des individus
et de leurs activités dans les différents secteurs de la maison, et met l’accent sur l’usage
des espaces privés plutôt que collectifs (ibid.). On peut donc s’attendre à ce que les
comportements spatiaux relevés lors de l’étude de Dawson mettent en avant un usage
privé des espaces.
Les activités enregistrées (voir liste en annexe) ont été transposées à la carte d’intégration
des maisons et à chaque catégorie d’activités a été assigné la valeur d’intégration de la
pièce où cette activité est la plus fréquente. Un graphe a été tracé afin de résumer les
tendances dans les usages de l’espace inuit et de fournir un moyen d’établir le degré
d’adéquation entre ces usages et le plan des maisons euro-canadiennes (ibid.).
Catégorie d’activité
Inté
grat
ion
Mai
nten
ance
Artis
anat
Stoc
kage
Rep
as
Prép
arat
ion
des
repa
s
Beso
ins
pers
onne
ls
Cou
ture
Soci
alis
atio
n
Distribution spatiale des catégories d’activités selon le degré d’intégration de l’espace utilisé (plus la valeur est basse, plus la pièce utilisée tend à être intégrée). La fréquence de l’activité est indiqué en pourcentage (Dawson, 2006 ; traduction de l’auteur)
Suite à mes recherches (lectures, rencontres, expositions, films, etc) pour l’écriture de
86
ce mémoire, j’émets l’hypothèse que la situation observée et décrite par Dawson sur les
usages de l’espace domestique inuit au Nunavut est comparable à celle du Nunavik.
On peut voir sur le graphe que la majorité des activités se déroulent dans les espaces
intégrés, les espaces chauds (besoins personnels, couture, socialisation = 61,8%).
Seulement un tiers des activités se déroulent dans les espaces isolés, les espaces froids
(stockage, artisanat, préparation des repas, maintenance = 38,2 %). L’activité la plus
fréquente est celle de socialisation. Dawson affirme que cette catégorie d’activités, se
déroulant intensément dans les espaces intégrés, montre que la coopération reste un
composant essentiel de l’économie et de la vie sociale inuit (ibid.). Le partage de nourriture,
informations, travail et équipement au sein de la famille étendue est très fréquent (ibid.).
Un aspect surprenant du graphe est que les besoins personnels sont également observés
dans les espaces intégrés. Sont regroupés sous le label «besoins personnels» : dormir, se
laver, se brosser les dents, faire la lessive. Dawson explicite ainsi ce résultat :
«Bien que n’étant pas pratiqué dans tous les foyers, les membres de certaines familles dormaient régulièrement tous ensemble dans la même pièce, et ce n’était pas inhabituel de rencontrer un ou deux matelas sur le sol du salon. A ce moment là, les chambres étaient soit inutilisées, soit utilisées en tant que salle de jeux pour les enfants, pièce de stockage ou atelier.» (ibid. ; traduction de l’auteur)
Couchage commun dans le séjour à Arviat en 2002 (Dawson, 2006)
Bordin (2003: §2) confirme ce fait au Nunavik : «on pouvait donc s’attendre à une
sorte de « privatisation » ou d’« individualisation » de l’espace domestique inuit, tout
particulièrement des lieux réservés au couchage. Or ce n’est pas vraiment le cas.».
87
Collignon (2001 : 401) précise également que lorsque les membres de la famille nucléaire
ne dorment pas tous ensemble dans une chambre ou le salon, ils gardent parfois les
portes ouvertes entre ces différentes pièces. Les adolescents ont une tendance à préférer
le couchage isolé mais reviennent au modèle de la chambre commune une fois adulte
(Collignon, ibid.; Dawson, ibid.). Mais, encore une fois, certaines familles préféreront
dormir séparément (ibid.). Le surpeuplement favorise le fait de dormir en commun ;
néanmoins Dawson témoigne avoir vu ce genre de comportement également dans les
foyers ne souffrant pas de surpopulation (ibid.).
Dawson appui sur «le sentiment exprimé par de nombreux individus à propos de
l’importance de la vie familiale commune» (ibid. ; traduction de l’auteur) ; au quotidien cela
se traduit par une vie sociale intense, le couchage commun, mais aussi les repas communs
par exemple. On peut donc être surpris par une donnée du graphe qui est la préparation
de la nourriture dans des espaces ségrégués lorsque l’inclination à la vie en communauté
inuit suggérerait l’inverse. Dawson propose comme explication que les cuisines euro-
canadiennes ne sont pas adaptées à la préparation de nourriture traditionnelle à base de
phoque et de caribou (ibid.). Ils sont donc préparés dans des tentes à l’extérieur ou sous
le porche puis apportés à l’intérieur pour la consommation en commun du repas (ibid.).
Dawson note d’autres comportements d’appropriation par un détournement de l’usage
des espaces : « des familles ont également été observée dépeçant des phoques dans le
séjour, stockant de la viande dans la salle de bain, et réparant des équipements de chasse
dans le séjour, un chambre ou la cuisine» (ibid. : 114 ; traduction de l’auteur).
A la lecture de l’étude de Dawson, on peut proposer l’hypothèse que les espaces
intégrés, chauds, de vie commune, sont ceux associé aux activités «propres», alors que
les espaces ségrégués sont ceux des activités «sales» : la préparation des phoques et
caribous est «générateur de désordre», l’artisanat est «bruyant» et «génère beaucoup de
poussière», les objets liés à la chasse et la pèche (habits, etc) sont stockés idéalement
là où «ils n’interféreront pas avec les activités domestiques» (ibid. : 127; traduction de
l’auteur).
Le motif identifié grâce au graphe peut être interprété comme les comportements
88
stratégiques utilisées par les familles inuit pour rendre leur maison habitable (ibid.).
Dawson met en évidence le fait que les foyers inuit ont une tendance à rassembler leurs
activités dans une ou deux pièces hautement intégrées de la maison (séjour, cuisine,...)
et à valoriser la vie en commun. En contraste, les plans des maisons euro-canadiennes,
présentant une grande variété de degré d’intégration des espace, a une tendance à assigner
un espace à chaque activité et à séparer les individus. Ainsi Dawson met en évidence
l’inadéquation entre la typologie de l’habitat et le mode d’habiter des familles inuit, et les
stratégies mises en place par celles-ci pour s’approprier l’espace domestique (ibid. : 130).
Appropriation par le marquage, par la disposition des objets
Collignon (2001, 400) qualifie l’espace domestique inuit contemporain d’espace dual :
«comme si deux modes d’être se croisaient dans cet espace circonscrit, et tentaient de
cohabiter au mieux, résumant ainsi la position de l’immense majorité des Inuit face à la
culture nord-américaine qui aujourd’hui les entoure».
Ceci peut se lire notamment dans la cohabitation de deux types de mobilier. D’une part,
il y a le mobilier occidental, fournit autrefois avec la maison et qui est aujourd’hui acheté
par les habitants à de grande firmes proposant du mobilier manufacturé telles qu’Ikéa
(entretien A). Ce mobilier est haut et sépare les corps (Collignon, 2001 : 401). D’autre
part, Collignon (ibid.) observe un autre type de mobilier léger et éphémère : table basse en
matériaux de récupération, planche à découper le poisson à même le sol, coffres, etc. Ce
mobilier à pour particularité d’être proche du sol et permet à plusieurs personnes d’être
proches. Dawson explique ce type de mobilier par des raisons pratiques : «les cuisine euro-
canadiennes étant destinées à recevoir des familles nucléaires, les familles étendues inuit
doivent se faire de la place en retirant les meubles et manger assis par terre» (Dawson,
2006 : 127 ; traduction de l’auteur). Collignon (ibid.) remarque que ce deuxième type de
mobilier est associé aux gestes hérités de la période nomade : couture, partage des repas
de phoque ou de caribou, etc. Alors que le mobilier occidental est associé aux usages
occidentaux. Par exemple Dawson (ibid.) associe l’usage de la table de la cuisine aux
repas en petits comités, composés de nourriture importée. Les deux types de mobiliers
89
sont associés à deux types de commensalité différents.
Le mobilier proche du sol, tel que les planches à découper, permet à plusieurs personnes d’être proches (Kenuajuak, 1999 ; Meije, 1997)
Mobilier bas pour la consommation de la viande issue de la chasse et mobilier haut pour la nourriture importée (Dawson, 2006 ; Kenuajuak, 1999)
Utilisation du sol au détriment du mobilier occidental pour les gestes traditionnels. Ici : chants de gorge et couture (Meije, 1997 ; Musée des civilisation de Québec, 2014)
A propos du mobilier, Collignon note qu’il est régulièrement déplacé.
Autrefois, à la mobilité dans espace extérieur sur le territoire répondait la permanence de l’espace intérieur de la maison, qu’elle soit semi-souterraine, de neige ou de peaux. A l’immobilité contemporaine dans l’espace extérieur semblait répondre une mobilité à l’intérieur de la maison comme si la complémentarité s’était inversée» (ibid. : 389)
90
Elle analyse ce comportement comme étant «une marque de la difficulté à s’approprier
cet espace dual» (ibid. : 401).
Synthèse
L’espace domestique du pavillon euro-canadien est un espace compartimenté, dont
les pièces ont une fonction a priori et dont le degré d’accessibilité des pièces varie
considérablement. Ce type d’organisation spatiale tend à favoriser la dispersion des
individus et de leurs activités dans les différents secteurs de la maison, et met l’accent sur
l’usage des espaces privés plutôt que collectifs. Les Inuit ont fait, et font encore, l’objet
d’un apprentissage quant à l’usage de cet espace domestique. Néanmoins, ils habitent dans
ces maisons non pas de la manière pour laquelle ces maisons ont été conçues, c’est-à-dire
le mode d’habiter qallunaat, mais en opérant un syncrétisme des usages traditionnels et
des usages importés. Cela se voit aussi bien dans l’occupation des espaces (quelles pièces
sont utilisées ou non) ainsi que dans les activités pratiquées dans ces pièces. Dawson met
en évidence le fait que les foyers inuit ont une tendance à rassembler leurs activités dans
une ou deux pièces hautement intégrées de la maison (séjour, cuisine,...) et à valoriser la
vie en commun. Les usages nomades et les usages importés cohabitent ; ils sont associés
à deux modes d’être, à deux types de mobilier.
«Quand des gens vivent dans des maisons conçues pour d’autres, comme c’est souvent le cas avec les programmes gouvernementaux de modernisation, la relation entre la forme de la maison et la culture est souvent oublié, et les savoirs locaux sont ignorés. Les conséquences de telles actions sont profondes, et peuvent à la fois modifier la vie de famille et réduire la durée de vie du parc de logements.» (Dawson, 2006 : 131 ; traduction de l’auteur)
Le pavillon, en imposant un espace domestique qui n’a pas été conçu pour les Inuit,
a un impact sur les relations sociales, les comportements et la transmission de la culture.
91
3. Valeurs investies dans l’habitations
«Le logement n’est pas seulement la somme des satisfactions partielles (sanitaires, éducatives, récréatives ou nutritives) qu’on peut en tirer, ce qui n’implique pas que le fait d’habiter soit une totalité défiant l’analyse. Il y a un niveau auquel la notion d’équipement peut parfaitement s’appliquer : c’est celui d’une vie purement fonctionnelle, mais peut-on réduire l’habitat aux seules exigences de la fonctionnalité ?» (Haumont, 1968 : 181)
A travers son étude sur les Grands Ensembles en France, Haumont a montré qu’on ne
peut pas demander à un habitant de s’adapter à un logement qui lui est attribué sans tenir
compte de ce que signifie pour lui le fait d’habiter (ibid.). L’habitat n’est pas un simple
abri, il est un espace investi de valeurs.
3.1 L’igluvigaq : macrocosme de la femme enceinte, microcosme de
l’univers
Schéma synthétique représentant les composantes du foetus, le cycle calendaire et les trois échelles pertinentes dans le symbolisme inuit : celle de l’utérus (monde infra-humain), celle de l’iglou (monde humain) et celle de la voûte céleste (monde supra-humain) (Saladin D’Anglure, 2006)
92
L’igluvigaq, la maison de neige, par un jeu d’échelles, représente à la fois le ventre de
la femme enceinte et le cosmos. En effet, il existe «un grand jeu de variation d’échelles
opérée par la pensée métaphorique inuit, selon laquelle toute chose est régie par un double
miniaturisé qui en assure la structure, la cohérence et la spécificité (éléments naturels,
objets, animaux, humains...)» (Saladin D’Anglure, 1978 : 44). L’habitation entre dans ces
jeux d’échelles en étant à la fois un macrocosme (représentation à plus grande échelle)
et un microcosme (représentation miniature), participant ainsi à l’explication du monde.
Macrocosme de la femme enceinte
L’igluvigaq est, dans la logique inuit du changement d’échelle, la métaphore de la
femme enceinte. Bordin (2003) émet l’hypothèse que l’igluvigaq représente tout le corps
de la femme enceinte ; pour Saladin d’Anglure (ibid.) il n’est que la métaphore de l’utérus.
«Elle [la maison de neige] protège ses habitants comme la femme enceinte protège le fœtus
qui est en elle» (Bordin, 2003 : §7). Cela peut se voir d’une part par le grand nombre de
récits de vie utérine, c’est-à-dire la vie antérieure à la naissance, existants et que Saladin
D’Anglure à put retranscrire. D’autre part, cette analogie est visible dans le vocabulaire.
Un même mot peut avoir plusieurs sens et désigner à la fois un élément de l’habitation
et une partie du corps humain par comparaison de forme ou de fonction (Bordin, ibid.).
Iqallijuq, interlocutrice de Saladin D’Anglure vivant à Igloolik au Nunavut, décrit sa
vie utérine ainsi :
«J’étais effectivement devenue un fœtus, j’étais dans un utérus... Je distinguais la forme d’un iglou, je prenais son utérus pour un iglou, j’étais dans un iglou... Je pensais être dans un iglou tout petit et où j’étais très à l’étroit. Et voilà qu’un chien apparaissait de temps en temps, seul dans l’ouverture de l’entrée. Sa bouche était fendue verticalement ; en fait, à chaque fois qu’il apparaissait à l’entrée, c’était (mon père) qui avait des rapports sexuels avec ma mère. C’était son pénis que je prenais pour un chien. À chaque fois qu’il s’apprêtait à sortir, voilà qu’il se mettait à vomir et j’avais grande envie de manger ce qu’il vomissait... J’en ai sans doute mangé et j’ai grandi...» (Saladin D’Anglure, 1978 : 40)
Iqallijuq a donc à la fois conscience d’être dans un utérus et dans une maison de
neige. En inuktitut le terme pour désigner l’utérus, igliaq, signifie littéralement la petite
plate-forme (Bordin, ibid.). La plate-forme igliq est la partie de l’habitation qui sert de
lit. Lorsque les Inuit vivaient dans des maisons de neige, ils nourrissaient leurs chiens qui
93
passaient la tête par l’entrée de l’habitation. La narratrice fait donc une analogie entre cet
événement de la vie quotidienne et l’apparition régulière du sexe de son père dans l’entrée
de son igluvigaq. Paa, l’entrée de la maison de neige, est également le terme employé
pour désigner la vulve (Bordin, ibid.). Le terme servant à nommer le tunnel d’entrée de la
maison de neige, tuqsuuk, a aussi le sens de trachée (Bordin, ibid.).
Par la suite, Iqallijuq ajoute que sa demeure devient trop petite et commençait à fondre,
comme fondent les igluvigaq au printemps. A propos de la naissance, Bordin (ibid.) note
que le même terme anivuq désigne à la fois la naissance («il naît») et le fait de sortir («il
sort») ; étymologiquement, ce terme désigne le fait d’aller de l’intérieur vers l’extérieur.
À l’instar du corps, la maison respire, ingère, évacue (Bordin, ibid.). Cela se lit
également dans le vocabulaire. Par exemple, qingaq signifie à la fois trou d’aération et
nez (ibid.). Cependant, l’habitation n’est pas une analogie totale du corps : de nombreux
termes n’ont pas de référence dans l’anatomie humaine (ibid.). On peut citer par
exemple nati : le plancher, le sol de l’habitation, qui est un terme exclusivement dévolu
à l’habitation et qui n’a pas d’équivalent anatomique (ibid.). L’anthropomorphisme de
l’habitation, soutenu par le vocabulaire, renforce le lien mère-enfant entre l’inuk et son
habitat (Collignon, 2001 : 390). Cette représentation anthropomorphique joue un rôle
central dans l’élaboration et la transmission de l’identité culturelle inuit (ibid.).
Enfin, cet analogie est également visible dans les croyances. On peut noter par exemple
que le mari d’une femme enceinte devra tailler le dernier bloc de l’igluvigaq, la clé de la
voûte, et le placer perpendiculairement à l’axe de la porte ; ainsi, son enfant sera placé de la
même façon à la naissance et naîtra facilement (Saladin d’Anglure, ibid.). Il est également
attendu de chacun d’entrer et sortir rapidement des habitations afin que les futurs enfants
soient des garçons, la vitesse étant associée au sexe masculin, et que l’accouchement soit
rapide (Saladin d’Anglure, 2006 : 28). Saladin d’Anglure évoque également le rêve d’une
Inuk à propos d’un igluvigaq sans issu, qu’elle interprète comme le signe de sa propre
infécondité.
Microcosme de l’univers
Sauf mention contraire, cette partie s’appuie sur le texte «L’homme (angut), le fils
(irniq) et la lumière (qau). Ou le cercle du pouvoir masculin chez les Inuit de l’Arctique
94
central» de B. Saladin D’Anglure paru en 1978.
Dans la représentation inuit, l’ordre de l’univers sila17 repose sur un équilibre fragile,
composé de mouvements circulaires, ou de cycles, et de mouvements d’alternance, ou
de complémentarités. Le mouvement alterne est celui du rythme cardiaque et le de la
respiration ; le mouvement circulaire est celui des cycles de reproduction. C’est donc une
logique classificatrice qui fonde et explique dans l’imaginaire l’ordre des choses et tend à
rendre compte de la réalité empirique.
Dans le dualisme de la pensée inuit, la distinction sexuelle transcende toutes les autres.
Ainsi la terre, associée au féminin, s’oppose à la mer, elle-même associée au masculin ; les
gibiers terrestres s’opposent aux gibiers marins, le monde supérieur au monde inférieur,
l’été à l’hiver, la lumière à l’obscurité, la chaleur au froid, le rouge-orangé au bleu
blanchâtre, le sang au sperme, le soleil à la lune, le corps vivant à son ombre, le levant au
couchant, etc. On voit donc que les dualités spatiale, temporelle, et autres, sont assujetties
à la distinction sexuelle. Ce dualisme est exprimé dans la cosmogenèse, les rites et les
croyances. Le mythe de frère-Lune et soeur-Soleil finit par la course poursuite entre le
frère et la soeur (tous deux humains) autour du dôme de leur habitation avant de s’élever
dans le ciel où il deviendront des astres et poursuivront cette course (Saladin d’Anglure,
2006). La première partie de la poursuite met en scène des humains et leur igluvigaq, qui,
par un jeu d’échelle régissent la course de la Lune et du Soleil dans le sila.
Cette distinction est aussi la marque de la complémentarité qui permet la reproduction
de la vie via la procréation, l’éducation et la reproduction des conditions matérielles
d’existence qui implique une division sexuelle des taches. C’est donc toute la vie sociale
qui est animée de rythmes alternes et de cycles. Ces mouvements sont visibles sur la
partie horizontale du schéma de Saladin D’Anglure. Ils se combinent en un équilibre
général permettant la reproduction du système. En effet, tous ces mouvements alternes
et circulaires trouvent leur point de rencontre au moment de la reproduction de la vie
humaine. C’est le lieu de rencontre des quatre composantes essentielles de la vie humaine,
nécessaires à la création du nouveau-né : l’homme, la femme, le gibier-nourriture et
l’âme-nom des morts. Le moment de la vie intra-utérine est celui où s’articulent ces
17 sila veut dire à la fois le cosmos, le temps météorologique, l’atmosphère, l’extérieur, l’intelligence, l’ordre cosmique, son mouvement et son orientation
95
quatre éléments, auparavant différenciés, dans une recomposition de la vie.
L’igluvigaq, en étant le lieu de rencontre des deux moitiés du monde, du masculin et du
féminin, du harpon et de la marmite, du tisonnier et de la lampe à huile, est le microcosme
de cet univers. Cela se traduit dans l’organisation spatiale de l’espace domestique (infra
chap. 2.2 sur l’organisation spatiale de l’habitat nomade)
Le chamane et le changement d’échelle
Le rôle du chamane est de retotaliser le cosmos par réduction/extension, pour en assurer
l’ordre (Saladin d’Anglure 1978 : 36). Les chamanes sont considérés comme le troisième
sexe social. A la frontière entre le féminin et le masculin, entre le monde des humains et des
non-humains, ils sont les seuls à pouvoir contrôler efficacement le passage d’une échelle
à l’autre (Saladin D’Anglure, 1978 et 2006). Ils sont seuls à pouvoir évoluer aux limites
de l’espace imaginaire : pour accéder au chamanisme et donc à l’espace imaginaire, il faut
suivre une formation très rigoureuse faite de longues restrictions, alimentaire, sexuelle
et vestimentaire développant chez le candidat une résistance surnaturelle aux dangers
surnaturels, les plus éprouvants (Saladin D’Anglure, 1978 : 49). Le chant, associé au
tambour, peut être considéré comme un moyen privilégié par les Inuit pour agir sur les
forces invisibles de la vie (ibid. : 43). Ainsi, Saittuq, chamane dont le chant a été rapporté
à Saladin D’Anglure, ne pouvait plus se déplacer et utilisait son pouvoir de vision
chamanique, sa qaumaniq, afin d’explorer l’univers à travers son igluvigaq :
Ajaa uvanga ajajaa ajaa Iglirli18 majja ijigivara aa
Nunarjuarli Sunauvva mannaa aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa
[Ajaa c’est moi ajajaa ajaa qui regarde cette plateforme
et à sa ma grande surprise voilà que c’est l’immense terre
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa]
Natirli19 majjaa ijigivaraa
Sikuliajuarli20 sunauvva mannaa
Aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa
18 igliq : la plateforme de couchage recouverte de peaux de caribou et d’ours ; elle est souvent considérée comme la terre.
19 natiq : le sol, le plancher de l’igluvigaq assimilé à la mer.20 sukuliaq : la nouvelle glace formée sur la mer. Souvent les familles installaient leurs igluvigaq sur
la banquise l’hiver.
96
[Et ce sol que je regarde ici, voilà qu’à ma grande surprise
C’est l’immense banquise
ajaa jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa]
Kataglii21 kannaa ijigivaraa taqqirjuarli sunauvva kannaa
aja jaa jajaa jajaa jajaa jaja jaa
[Et cette entrée que je regarde en bas voilà qu’à ma grande surprise
C’est l’immense lune là en bas
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa]
Igalaarli22 pikka ijigivaraa siqinirjuarli sunauvvali unaa
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa
[Et cette vitre que je regarde là-haut voilà qu’à ma grande surprise
C’est l’immense soleil
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa]
Akili23 majja ijigivaraa imarjuarli24 sunauvva mannaa
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa
[Et cette réserve de viande que je regarde ici voilà qu’à ma grande surprise
C’est l’immense mer ici tout près
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa]
Igluli25 majja ijigivaraa silarjuarmi26 sunauvva mannaa
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa
[Et cette coupole que je regarde là-haut voilà qu’à ma grande surprise
C’est l’immense univers
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa]
21 katak : ouverture de l’entrée qu’on assimile ici à la lune22 igalaq : fenêtre, vitre de glace de la maison de neige ; c’est par là que passe la lumière, d’où
l’analogie avec le soleil.23 aki : petite plateforme où l’on dépose les provisions rapportées de la chasse.24 imarjuaq : l’immense mer ; sous-entendu avec le gibier qu’elle contient.25 iglu : l’habitation. Ici ce terme désigne la spirale de blocs de neige qui prolonge le premier cercle
de la base et constitue la coupole de l’igluvigaq.26 silarjuaq : «l’immense univers», c’est le sila dont nous avons parlé plus haut et qui désigne à la
fois l’extérieur, le temps atmosphérique, la raison, l’ordre cosmique.
97
Kangirli27 pikka ijigivaraa ullurialli sunauvva makua
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa
[Et cette cheminée d’aération que je regarde là-haut voilà qu’à ma grande surprise
Ce sont des étoiles
aja jaa jajaa jajaa jajaa jajaa jaa]
(Saladin D’Anglure, 1978 : 41-43)
Saladin D’Anglure commente ainsi ce chant : «ainsi est reconstituée l’unité du cosmos,
grâce au pouvoir du chamane, à sa vision et à sa parole qui transcendent l’espace et le
temps et recomposent l’univers différencié. Par l’intermédiaire du chamane, l’homme
va pouvoir maintenant comprendre et contrôler tout ce qui y évolue et affirmer sa
prédominance» (Saladin D’Anglure, 1978 : 43).
Synthèse
La maison de neige est l’expression à l’échelle humaine de la femme enceinte, qui
abrite temporairement la vie humaine et qui est elle-même nommée puuq (enveloppe)
dans le vocabulaire chamanique. Cet anthropomorphisme est visible à la fois dans le
vocabulaire et dans les mythes et renforce le lien mère-enfant que l’Inuk entretien avec
son habitat. De la même manière, la maison de neige est l’expression à l’échelle humaine
du cosmos. Elle permet à l’Inuk d’expliquer l’univers et d’y avoir une place, d’en faire
partie. Elle permet la continuité entre l’Inuk et son environnement. Le chamane maîtrise
le changement d’échelle, et l’utilise pour maintenir l’ordre du cosmos.
27 kangiq : terme chamanique pour désigner la cheminée d’aération de l’iglou.
98
3.2 Le logement-marchandise
«Passés de l’igloo au H.L.M. en quelques décennies, les Inuit ne trouvent plus dans
leur culture ce qu’elle leur fournissait jadis, l’explication du monde» (Duhaime, 1985 :
68).
L’État participe au processus de construction de l’espace, et donc de redéfinition du
monde. Plus qu’imposer la localisation des habitations dans le village, le gouvernement
suggère le sens qu’il faut donner à l’espace (Duhaime, 1985 : 67). L’alignement des
maisons évoque la rationalité, l’économie des moyens dans la prestation des services :
le camion citerne doit se rendre d’une habitation à l’autre de la manière la plus efficace
(ibid.). L’espace villageois devient alors «instrumental». Il s’agit de nouveaux rapports
avec le monde (ibid.). De plus, la disposition polarisée des villages noyau institutionnel
/ espace résidentiel des fonctionnaires / espace résidentiel des bénéficiaires de logement
sociaux inscrit dans l’espace une hiérarchie entre les individus en les répartissant par
catégories (ibid.: 12). «La cohérence du monde est refaite dans l’État, l’unité sociale est
recomposée dans la hiérarchie.» (ibid.).
Approvisionnement d’une habitation par camion citerne (Dahan, 2013)
Le pavillon euro-canadien en lui-même entre dans le champ de la symbolique capitaliste
(ibid. : 11). Il n’est plus, comme la maison de neige, un éléments faisant partie intégrante
99
du monde, participant de la continuité entre l’inuk et son environnement. Le pavillon est
objet d’échange marchand, machine à vivre, outil à travers lequel la population intègre
peu à peu les éléments fondamentaux de la socio-culture dominante (ibid. : 67).
«Le logement influence les pratiques et propose une image de soi et du monde, modèle
l’identité, les rapports aux autres» (ibid. : 12). En modifiant le logement, ce n’est pas
uniquement l’image de l’habitat qui change, l’identité de l’habitant s’en retrouve modifiée
également. «Le logement public exprime la considération paternaliste de la société pour
ses incapables. […] c’est ainsi qu’il intervient dans la création de l’image de soi.» (ibid.).
Les Inuit ont ainsi acquis un nouveau statut collectif reflété dans l’uniformité de leurs
maisons : ils sont bénéficiaires des avantages ou des droits que consent l’État (ibid. : 53).
Ils sont désormais locataires de l’État, ayant avec celui-ci un lien de clientèle (ibid.: 67).
100
Conclusion
Passé d’un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire en quelques décennies, les
Inuit ont graduellement perdu tout pouvoir quant au logement, au bénéfice d’institutions
exogènes. Un moment clé de cette sédentarisation est la signature de la Convention de la
Baie-James et du Nord Québécois en 1975 lors duquel les Inuit et les Cris ont abandonné
leurs droits sur leur terres en échange d’une aide au développement.
L’État gère la question du logement de manière fonctionnaliste, de manière
technocratique : le logement constitue désormais une question politique et les problèmes
qu’il pose sont susceptibles d’être réglés par l’expertise technique. Cela se traduit dans
l’espace par la concentration de la population dans des lieux dominés par la puissance
gouvernementale : les Villages Nordiques.
L’habitat inuit nomade était la tente de peau en été et la maison de neige en hiver. La
taille de l’habitation était adaptée au coup par coup à la taille de la maisonnée, construite
avec les matériaux locaux par les habitants eux-mêmes. Ces habitations étaient construites
pour répondre au mieux aux besoins des habitants, selon leurs savoir-faire et en fonction
de la disponibilité des matériaux.
Aujourd’hui, le mode de construction des habitats ayant basculé de vernaculaire à
industriel, les iglu de neige et les tentes de peaux ne sont plus d’actualité. Les techniques
traditionnelles ne sont plus utilisées pour l’habitation principale mais se sont maintenues,
réinterprétées sont pour les habitats temporaires liés à la chasse.
Avec la sédentarité est venue la dépendance des Inuit envers le gouvernement pour
la construction de leurs habitations. Les pavillons euro-canadiens ont apporté un confort
venu du sud, s’améliorant avec le temps : chaleur, électricité, eau courante, internet. Ils
présentent encore des défauts, notamment de pérennité. Néanmoins un retour à l’habitat
de neige n’est ni envisagé, ni même désiré. L’expérimentation autour de la question de
l’habitat sédentaire au Nunavik a été entravée par les coûts, ainsi que les codes et les
101
normes de construction nationales. La politique concernant ces logements est de courte
vue, et privilégie la quantité à la qualité.
Par ailleurs, alors que l’habitat nomade s’adaptait parfaitement à la maisonnée qu’il
abritait (famille nucléaire en été, famille étendue en hiver), les pavillons contemporains
sont fabriqués en série et sont tous identiques. Ce n’est plus à l’habitat d’être adapté à ses
habitants mais à la maisonnée de s’adapter à l’habitation qui lui est attribuée. La pénurie
chronique de logements depuis les années 1960 entraîne un surpeuplement des logements.
La maisonnée est alors la famille étendue, en vertu des solidarités qui existent au sein de
celle-ci : on loge les proches qui n’ont pas leur propre domicile. Aujourd’hui il est estimé à
près de mille le nombre de logements nécessaires ; il est prévu d’en construire environ 500
dans les prochaines années. Même si ces nouvelles constructions soulagent quelque peu
la pression sur le parc de logements, elles seront loin d’être suffisantes. La surpopulation
des logements a pour conséquences une aggravation des problèmes sanitaires et sociaux,
et l’apparition de nouveaux comportements tels que la monoparentalité.
L’espace domestique nomade est un espace monocellulaire où la transmission se fait
par imitation. Cet espace est organisé en deux pôles : l’espace féminin, espace chaud de
la plateforme autour de la lampe à huile, destiné aux activités féminines, où les objets
ont des formes rondes ; l’espace masculin, espace froid destiné aux activités masculines,
où les objets sont pointus. L’espace domestique est contraignant pour la femme qui y
est confinée, mais c’est aussi son domaine qu’elle s’approprie par l’entretien et qui est
organisé à partir de son point de vue.
L’espace domestique du pavillon n’a pas été conçu pour la culture inuit. C’est un
espace compartimenté, dont les pièces ont une fonction a priori et dont l’organisation
spatiale tend à favoriser la dispersion des individus et de leurs activités dans les différents
secteurs de la maison, mettant l’accent sur l’usage des espaces privés plutôt que collectifs.
Les Inuit se sont approprié cet espace allogène en réinventant l’usage des espaces, en
faisant plier ceux-ci à leurs besoins. On assiste à un nouveau mode d’habiter, qui n’est
pas celui suggéré par le cadre matériel, qui n’est plus celui d’autrefois dans les tentes
et les maisons de neige, mais qui est un syncrétisme, une réinterprétation de tout cela
102
aboutissant à un mode d’habiter inédit au Nunavik. De plus, ces pavillons ont également
été appropriés par le langage : l’habitat nomade est toujours présent par le lexique,
réduisant symboliquement la distance existant entre les deux types d’habitat.
Cependant, l’appropriation symbolique du pavillon euro-canadien semble difficile.
Alors qu’autrefois la maison de neige permettait l’explication du monde, permettait la
continuité entre l’Inuk et son environnement et ainsi lui permettait d’y trouver sa place, la
maison contemporaine n’a pas ce rôle. L’image de cet habitat est celle d’un outil dédié à
l’efficacité, une machine à habiter. Ceci affecte également la représentation de soi-même.
L’Inuk n’est plus partie intégrante de Nuna ; il est un bénéficiaire de l’État avec qui il
entretient un rapport de clientèle dans un système capitaliste.
L’habitat contemporain au Nunavik a été pensé dans un souci de rationalité, détaché de
la culture et de la connaissance inuit. Ceci, couplé à la perte de pouvoir des Inuit quant à
la construction de leur propre habitat, sont les raisons de l’échec chronique des politiques
de logement au Nunavik. Le pavillon est finalement un outil au service de la diffusion de
la culture dominante et, comme l’a remarqué Collignon (2001 : 395), déstabilise l’identité
inuit.
Ce mémoire a pour limite de n’être qu’un travail de recherche bibliographique,
s’appuyant principalement sur des écrits qallunaat, sans recherche de terrain. Néanmoins
il soulève de nombreuses questions. Notamment, pour moi, il a posé la question du
rôle de l’ethnologue. Doit-il n’être qu’un simple spectateur, un témoin au service de la
connaissance ? Ou doit-il s’engager, au risque de perdre son objectivité ? La question
de l’évolution de l’habitat, de l’utilisation de celui-ci comme outil d’acculturation ou
de déculturation se pose au Nunavik, mais elle se pose partout ailleurs. Se pose alors
également la question du rôle, de la responsabilité, des architectes dans cette situation, et
de la possible coopération avec les ethnologues.
103
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108
Lexique
Les termes en inuktitut proviennent de Bordin1, Labrèche2, Mauss3, Csonska4, Turner5,
Saladin d’Anglure6.
A
aki1,6 : petite plateforme où l’on dépose les provisions rapportées de la chasse ; dans
l’igluvigaq là ou les deux parties surélevées en avant du lit sur les côtés où se trouvent
lampes et viande ; dans la tente, l’endroit, au bord de l’entrée, où se trouve la viande
angirraq,: le foyer
angut6 : homme
anivuq1 : il naît, il sort (désigne le fait d’aller de l’intérieur vers l’extérieur)
auviq1 : bloc de neige coupé pour la construction d’une maison
I
igalaq6 : fenêtre, vitre de glace de la maison de neige
igliaq1,6 : petite plate-forme, utérus
igliq1,6 : plateforme de couchage recouverte de peaux de caribou et d’ours, lit
igloq atigit3 : «parents de maison», cohabitants, cousins
iglu1,2,3,5,6 : terme générique désignant tout habitat
iglujuaq1 : maison moderne, maison de qualité supérieure, maison par excellence
iglullarik1 : maison moderne, véritable maison
iglutuinnaq1 : maison moderne, simple habitation
109
igluvigaq1 : maison de neige
igluvigaviniq1 : maison de neige abandonnée
illuvigaq2 : voir igluvigaq
iluviit1 : tombe, Matchbox
imarjuaq6 : l’immense mer (sous-entendu avec le gibier qu’elle contient)
irniq6 : fils
itsivautaq1 : le président de séance, la chaise
K
katak1 : entrée, seuil, porte
kajjiq1 : sommet du dôme de la maison de neige, sommet du crâne, épis de cheveux
kangiq1: trou d’aération, cheminée
kashim3 : lieu d’assemblée
katak1,6 : ouverture de l’entrée
kautaq : marteau
kavama1 : gouvernement
kuuqarvik1 : cuisine
M
majurauti1 : escalier
makivik : s’élever
N
nati1 : sol, plancher de l’habitation
natiq1 : sol
nuna : lieu de résidence, territoire parcouru, campement, le sol, la terre, le pays, etc
110
nunavik : notre terre
P
paa1 : l’entrée de la maison de neige, la vulve
paaqtuilitaq1 : mur de neige de protection devant l’entrée de l’igluvigaq
panar4 : couteau à neige
piruit2 : pierres de charge utilisées dans la construction de la tente
pŭnŭk5 : voir panar
puuq6 : enveloppe, femme enceinte
Q
qaaq1 : les fourrures pour la plate-forme ; drap, dessus de lit
qallunaat : les blancs (lit. : les grands sourcils)
qaggiq2 : voir kashim
qarmaq1 : maison semi-souterraine
qau6 : lumière
qaumaniq6 : vision chamanique
qingaq1 : trou d’aération, nez
qulliti1 : dernier bloc du dôme de l’igluvigaq , ce qui est le plus au-dessus
S
sikkittaruluk1 : minable petit cube, Matchbox [Nunavut]
sila6 : le cosmos, le temps météorologique, l’atmosphère, l’extérieur, l’intelligence,
l’ordre cosmique, son mouvement et son orientation
sinittavik2 : habitat de voyage
sukuliaq6 : nouvelle glace formée sur la mer.
111
T
tupiq1,2 ou tupik3 : tente de peaux
tuqsuuk1 : le tunnel d’entrée de la maison de neige, la trachée
tursuuk2 : sorte de garde-manger qui donne sur la pièce principale
tursuulirqi2 : porche d’entrée servant d’abri pour les jeunes chiens
U
ukivik : là où l’on passe l’hiver
ulu2 : couteau féminin
umiaq3 : bateau de femmes sur lequel on transporte la tente et à l’aide duquel se font les
migrations d’été et la chasse aux grands cétacés
urquaq : l’abri du vent
112
Index des acronymes
ARK : Administration régionale Kativik
CBJNQ : Convention de la Baie-James et du Nord Québécois
HBC : Compagnie de la Baie d’Hudson
INSA : Institut National des Sciences Appliquées
OMH : Office municipal d’habitation
OMHK : Office municipal d’habitation Kativik
SHQ : Société d’habitation du Québec
114
Chronologie de l’Arctique (Institut culturel Avataq, 2011)
Nord de l’Alaska
Haut Arctique Canada
et Groenland
Bas Arctique Nunavut
Centre et nord du Labrador
Bas ArctiqueGroenland
Nunavik
2000
1500
1000
500
-500
-1000
-1500
-2000
0
Inuit/Thuléen
Néoesquimau Paléoesquimau récent Paléoesquimau ancien Autre
Birnirk
Ipiutak
Norton
DenbighFlint
Complex
Prédorsétien Prédorsétien Saqqaq
Dorset I(Greenlandic
Dorset)
Dorsétienrécent
Independence II(Greenlandic
Dorset) Prédorsétienrécent
Groswater
Dorsétienrécent
Dorsétienmoyen
Dorsétienancien
Dorsétienclassique
Dorsétienmoyen
Dorsétienrécent
Norrois
Groswater
Dorsétienancien
Prédorsétien
Inuit/Thuléen Inuit/Thuléen Inuit/Thuléen Inuit/Thuléen Inuit/Thuléen
Independence I
A.D.B.C.
Choris
Old Whaling
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