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Migration en Mauritanie :Document thématique 2009
Migration irrégulière : état des lieuxet défis de la gestion des flux de
migrants irréguliers en Mauritanie
17 route des Morillons, 1211 Genève 19 SuisseTél : + 41 22 717 91 11 • Télécopie : +41 22 798 61 50
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Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas les positions de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les appellations utilisées et la présentation des données dans le rapport n’impliquent pas l’expression d’opinion de la part de l’OIM concernant des faits tels que statut légal, pays, territoire, ville ou zone particulière, ou à propos de leurs autorités, ou de leurs frontières ou confins. Toute omission et erreur reste de la seule responsabilité de l’auteur.
Ce rapport est un document de travail et, par conséquent, il ne se conforme pas nécessairement aux directives de style adoptées par l’OIM.
L’OIM croit fermement que les migrations organisées, s’effectuant dans des conditions décentes, profitent à la fois aux migrants et à la société tout entière. En tant qu’organisme intergouvernemental, l’OIM collabore avec ses partenaires au sein de la communauté internationale afin de résoudre les problèmes pratiques de la migration, de mieux faire comprendre les questions de migration, d’encourager le développement économique et social grâce à la migration, et de promouvoir le respect effectif de la dignité humaine et le bien-être des migrants.
Ce document a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne, l’Office fédéral des migrations suisse (ODM) et la Coopération belge au développement. Les opinions exprimées ci-après sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Union européenne, de l’Office fédéral des migrations suisse (ODM) et de la Coopération belge au développement.
Editeur : Organisation internationale pour les migrations 17 route des Morillons 1211 Genève 19 Suisse Tél : + 41 22 717 91 11 Télécopie : +41 22 798 61 50 Courrier électronique : hq@iom.int Internet : http://www.iom.int
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Migration irrégulière : état des lieux et défis de la gestion des flux de migrants irréguliers en
Mauritanie
Préparé par
Haimoud Ramdan
Migration en Mauritanie : Document thématique 2009 2
Avant-propos Grâce au soutien financier de l’Union européenne, l’Office fédéral des migrations suisse (ODM) et la Coopération belge au développement, l’OIM met en œuvre le projet « Migration en Afrique de l’Ouest et centrale : profils nationaux pour le développement de politiques stratégiques » dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et centrale (Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, République démocratique du Congo et Sénégal), afin de promouvoir une approche politique de la migration cohérente et dynamique, en appui à la planification des politiques stratégiques au niveau national et régional. Les profils migratoires nationaux sont un résultat fondamental de cette recherche et de ce projet de renforcement des capacités. Ils constitueront un outil politique utile pour suivre les tendances migratoires et identifier les domaines nécessitant des développements politiques subséquents. Mais, en étant principalement un outil de suivi, les profils nationaux fournissent des lignes directrices limitées au type de politiques pouvant être développées dans un domaine particulier (i.e. méthodologies et approches politiques). La série de documents thématiques traite cet aspect particulier en aidant les responsables politiques et les praticiens à définir les priorités d’action et les options politiques dans les domaines particulièrement pertinents dans le contexte politique national. Sous la direction et avec l’appui des groupes de travail techniques nationaux et interministériels (GTTN) ainsi que des sous‐groupes de travail thématiques, établis dans chaque pays cible au cours du projet, trois documents thématiques ont été rédigés par des experts locaux pour chacun des pays concernés. Le but de ces documents est d’accroître les capacités de développement de politiques, par l’identification des bonnes pratiques et en évaluant les perspectives de développement politiques sur des éléments présentant un intérêt particulier pour le gouvernement. Abye Makonne Frank Laczko Représentant régional Chef de la division recherche et publications Mission à fonctions régionales Siège de l’OIM Dakar, Sénégal Genève, Suisse
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Table des matières
1. Introduction 4 1.1. Causes de l’immigration irrégulière 5 1.2. Zone de transit migratoire 6
2. L’état des lieux de l’immigration clandestine 9 2.1. Manifestation de l’immigration clandestine 9 2.1.1. La Mauritanie, nouvelle porte vers l’Europe ? 9 Des chiffres inquiétants 10 Un trafic en plein essor 10
2.2. Les moyens de lutte contre l’immigration clandestine 11 2.2.1 Arsenal juridique inadapté 11 2.2.2. L’inefficacité de la police des frontières 13
3. La stratégie nationale de lutte contre la migration clandestine 16 4. Propositions visant à lutter contre l’immigration clandestine 18 4.1. Le péril social 18 4.2. Prévention de l’immigration irrégulière 18 4.2.1. La maitrise de l’immigration irrégulière 19 4.2.2. Le renforcement du dispositif juridique et de surveillance des frontières 20 4.2.2.1. Le renforcement du dispositif juridique 20 4.2.2.2. Le renforcement de la surveillance du territoire 21
4.3. Le partenariat international 23 5. Recommandations 25 5.1. Cadre normatif 25 5.2. Cadre politique 25 5.3. Cadre institutionnel 25
Références 27
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1. Introduction Le droit international de la migration est l’ensemble des règles du droit international applicables à la migration en tant que branche du droit international public. La notion de migration signifie le déplacement d’une personne ou d’un groupe de personnes, soit entre pays, soit dans un pays entre deux lieux situés sur son territoire. Elle englobe tous les types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de résidence habituelle, quelles que soient leur cause, leur composition, leur durée, incluant ainsi notamment les mouvements des travailleurs, des réfugiés, des personnes déplacées ou déracinées.
L’émigration définit l’action de quitter son Etat de résidence pour s’installer dans un Etat étranger. Le droit international reconnaît à chacun le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et n’admet sa restriction que dans des circonstances exceptionnelles. Ce droit au départ ne s’accompagne d’aucun droit d’entrer sur le territoire d’un Etat autre que l’Etat d’origine.
La notion de clandestinité évoque la condition des migrants irréguliers contraints de vivre en marge de la société. Il y a migration clandestine soit en cas d’entrée irrégulière sur le territoire d’un Etat, soit en cas de maintien sur le territoire d’un Etat au‐delà de la durée de validité du titre de séjour, soit encore en cas de soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement. La notion de migration clandestine recouvre l’immigration irrégulière, le séjour sans autorisation et l’exercice d’une activité professionnelle sans permis. Dans les Etats européens, les immigrés clandestins sont souvent qualifiés de sans‐papiers. Cette notion est apparue en France dans les années 1970, pour remplacer les termes stigmatisants de «illégal», «clandestins».
L’immigration est l’action de se rendre dans un Etat dont on ne possède pas la nationalité avec l’intention de s’y installer. Au niveau international, il n’existe pas de définition universellement acceptée du terme «migrant».Ce terme s’applique habituellement lorsque la décision d’émigrer est prise librement par l’individu concerné, pour des raisons de “convenance personnelle” et sans intervention d’un facteur contraignant externe. Ce terme s’applique donc à des personnes se déplaçant vers un autre pays ou une autre région aux fins d’améliorer leurs conditions matérielles ou sociales, leurs perspectives d’avenir ou celles de leurs familles.
La crise économique mondiale s’est traduite par une polarisation des flux migratoires du Sud vers le Nord et plus particulièrement de l’Afrique vers l’Europe(1). D'après le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur les migrations internationales et le développement de 2006(2), le monde compterait près de 200 millions de migrants. Un tiers environ s’est rendu d'un pays en développement vers un autre et un autre tiers d'un pays en développement vers un pays développé. Cependant, le souci d’une immigration voulue et non pas subie(3) a amené l’Europe à vouloir réguler ces flux migratoires. Aujourd'hui, les flux de migrations sont orientés aussi bien des pays en
1 Abdelhak Janati‐Idrissi : «Dynamique et politique de gestion de la migration irrégulière», Premier atelier de dialogue national au sujet de la migration organisé par le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération du Royaume du Maroc en collaboration avec le système des Nations Unies, Rabat, les 26 et 27 juillet 2006. 2 Rapport du Secrétaire Général sur les migrations internationales et le développement, Nations Unies, 2006, p.2 et s. 3 Ce concept a été développé par le nouveau président français Nicolas Sarkozy, élu au mois de mai 2007, après son voyage au mois de juillet 2007 en Libye et au Gabon.
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développement vers les pays développés que d'un pays en développement vers l'autre(4). Les plus forts taux de population immigrée se trouvent dans les pays du Golfe Persique(5).
1.1. Causes de l’immigration irrégulière
Pour le migrant, l'émigration peut avoir une ou plusieurs raisons. C’est ainsi qu’elle peut être professionnelle(6), politique(7), sécuritaire(8), économique(9), personnelle(10),familiale(11) ou fiscale(12). Pour les États, l'immigration peut permettre de faire face à un déficit des naissances ou encore assurer une quantité ou qualité de main d'œuvre suffisante. Dans le cas où un migrant n'est pas en règle au regard de la législation sur l'émigration en vigueur dans le pays de destination, on parle d'immigrant clandestin.
L'immigration clandestine concerne, les habitants de pays pauvres cherchant un meilleur niveau de vie dans les pays plus riches, ou des immigrants politiques non reconnus. L'immigration clandestine se fait donc illégalement. Les clandestins prennent fréquemment des risques important pouvant mettre leur propre vie en péril afin de rejoindre des pays présentant des conditions de vie qu'ils espèrent meilleures. Ils n'hésitent pas à tout abandonner pour tenter l'aventure souvent «aidés» dans cette entreprise par des passeurs, peu scrupuleux, leur faisant payer un prix exorbitant pour leur fournir les moyens de franchir les obstacles naturels(13) ou humains(14) dans des conditions de sécurité extrêmement précaires.
C’est ainsi que les frontières de l’Europe ont tendance à se fermer par la rigidité des conditions d’entrée des étrangers, ce qui n’a pas découragé les candidats à l’immigration. Malgré la fermeture des points d’accès à l’Europe via les enclaves de Ceuta et Melila(15) et le Détroit de Gibraltar(16) ainsi que la militarisation des frontières marocaines(17), l’immigration clandestine prend de l’ampleur. D’un côté, elle charrie chaque jour son lot de malheur et de désolation(18) qui traduit le désespoir des
4 Rapport du Secrétaire Général précité, p.12 et s. 5 90 % aux Émirats arabes unis, 86 % au Qatar, 82 % au Koweït. 6 Mission de longue durée à l'étranger et études. 7 Réfugié politique fuyant les persécutions. 8 Notamment en cas de guerre dans le pays d'origine. 9 Habitant de pays pauvres cherchant un meilleur niveau de vie dans les pays riches, éventuellement temporairement. 10 Volonté de s'installer dans un pays par goût, par exemple si l'on se reconnaît dans ses valeurs. 11 Rejoindre le conjoint ou l'enfant déjà installé. 12 L'installation dans un pays offrant un niveau d'imposition moins élevé. 13 Mers, montagne, fleuve, etc. 14 Postes frontières. 15 Ces deux enclaves, administrées par l’Espagne et revendiquées par le Maroc, ont constitué pendant longtemps la principale porte d’entrée clandestine vers l’Europe, mais depuis une dizaine d’années, ce «sésame» s’est refermé et les clandestins utilisent d’autres routes notamment celles passant par la Mauritanie au péril de leurs vies. 16 Le rocher de Gibraltar, administré par la Grande Bretagne, est lui aussi revendiqué par l’Espagne même si les différents sondages d’opinion de ses habitants montrent qu’ils restent attachés à leur nationalité britannique. Cependant, malgré cette situation juridique incertaine, il constitue un endroit prisé par les immigrés clandestins désireux de s’installer en Europe. 17 Mohamed Khachani : «La Migration clandestine au Maroc, Entre mondialisation et protection des droits» ‐ Dynamiques migratoires marocaines: histoire, économie, politique et culture, Casablanca, 13, 14 et 15 juin 2003, p.1 et note n°1. 18 Pour les habitants de la région, ce flux migratoire indésirable, véhicule de fléaux sociaux divers tels que la prostitution, la drogue, sans oublier les maladies transmissibles, en particulier le sida et les maladies tropicales.
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candidats à l’immigration(19) et de l’autre côté, pour les habitants de la région, elle véhicule des fléaux sociaux divers tels que la prostitution, la drogue, sans oublier les maladies transmissibles, en particulier le sida et les maladies tropicales.
Cette nouvelle donne s’est traduite par un déplacement des migrations vers les régions sahariennes(20) et subsahariennes(21). Les interceptions de ressortissants indiens, pakistanais et bangladeshis dans le nord de la Mauritanie à la frontière du Sahara Occidental(22) ont révélé l’existence de flux migratoires importants et insoupçonnés jusque là(23). Ce qui n’a pas manqué d’alerter les autorités mauritaniennes, qui ont pris conscience que leur pays devenait une zone de transit vers l’Europe.
1.2. Zone de transit migratoire
Située à la charnière entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, la Mauritanie constitue un pays d’émigration irrégulière(de faible ampleur, mais une zone de transit migratoire, de plus en plus prisée, principalement empruntée par des immigrants de pays d’Afrique occidentale mais aussi d’Asie(24). L’immigration mauritanienne est essentiellement le fait de personnes appartenant aux ethnies noires africaines du sud du pays(25), également présentes au Mali et au Sénégal. L’usage d’un dialecte commun constitue, d’ailleurs, un réel obstacle à l’établissement de la nationalité d’un irrégulier interpellé.
19 Condamnés par les tribunaux marocains ou refoulés à la frontière algérienne, les clandestins refusés se retrouvent vite dans le circuit pour une énième tentative de forcer les portes de l’eldorado européen. L’impossible traversée du désert au péril de leur vie, les clandestins la mènent sur deux fronts. Deux passages sont privilégies, la traversée du désert du côté de la Mauritanie pour se rendre au Maroc ou aux Îles Canaries, alors que le gros du contingent fait la traversée du côté algérien.. 20 L’Algérie, par sa position géographique, est aujourd'hui considérée comme le principal point de passage pour les immigrés clandestins. Les premiers afflux de population en provenance des pays africains datent de la fin des années 1980, en raison de conflits. Au début des années 1990, la plupart des clandestins venaient du Nigeria, du Cameroun, du Sénégal, de Zambie, du Zaïre, du Ghana, du Burkina‐ Faso, de Côte d’Ivoire, du Liberia. 21 CMMI, Les migrations dans un monde interconnecté: nouvelles perspectives d’action, Rapport de la Commission mondiale sur les migrations internationales, octobre, 2005, 107 p, voir surtout le Chapitre 3 intitulé : Le défi de la migration irrégulière, pp. 35 à 45, spéc. p. 35. 22Abdellatif El Aziz : ‘’Ruée vers la mort’’, Adrar, Immgration clandestine, Alger 2005 ‘’, p.3 et suivantes : « Raban Tioussit, Ras Ousfour, Jouj Bral, lganfda,Mersat Belmehdi, Chbika, Houara sont les principaux points de passage informels pour traverser la frontière entre l’Algérie et le Maroc et par lesquels se déversent au quotidien les centaines de clandestins qui pénètrent illégalement au Maroc en quête de l’eldorado européen. C’est de là que sont partis les milliers de candidats à l’émigration clandestine en provenance du Mali, du Ghana, de la Côte d'Ivoire, du Libéria ou de la Sierra Léone. Ils sont ainsi 12.000 clandestins qui n’ont pas réussi à passer à travers les filets de la gendarmerie rien que pour la région d’Oujda en 2002». 23 En janvier 2005, plusieurs individus de type asiatiques ont été appréhendés par la police de Zouerate qui ne s’expliquait pas leur concentration dans une région aussi lointaine que le TIRIS‐Zemmour. Après enquête, il s’est avéré qu’il s’agissait d’un groupe d’immigrés clandestins vers l’Europe abandonnés par les passeurs en plein désert. C’est à partir de cet instant que les autorités mauritaniennes ont pris conscience de l’ampleur dramatique de l’immigration clandestine qui s’accompagne souvent de tous les trafics dangereux notamment la drogue, les armes, le terrorisme et la traite des êtres humains. L’avenir devait d’ailleurs confirmer les appréhensions des pouvoirs publics dans ce domaine par le démantèlement de plusieurs réseaux liés à ces différents trafics. 24 Bangladesh, Inde, Irak. 25 Les Soninkés, qui sont connus pour avoir développé une émigration de main d’œuvre vers la France à partir des années 1970.
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Les modes opératoires les plus fréquemment utilisés par les émigrants clandestins demeurent des plus classiques : falsifications de document de voyage par substitution de photographie, détention de passeports français volés vierges utilisés principalement par des ressortissants maliens, et utilisation, en raison de ressemblance physionomique, de documents revêtus de vignettes Schengen(26)
authentiques et valides.
Les filières utilisent à leur profit l’insuffisance des effectifs présents sur la plate‐forme aéroportuaire d’Atar(27) et leur manque de formation à la détection des faux documents, en mêlant leurs clients aux touristes transitant par l’aéroport(28).
En mars 2002, la police mauritanienne a mis fin aux activités délictueuses d’une filière d’immigration chinoise, qui acheminait vers Marseille ses clients munis de passeports japonais falsifiés, à bord de charters transitant par Atar. Depuis fin 2004, des clandestins originaires du Bangladesh, d’Inde et du Pakistan, sont refoulés par les autorités aéroportuaires marocaines. Ces derniers arrivent par avion à Bamako(29), via Dubaï(30), gagnent ensuite la Mauritanie par voie terrestre jusqu’à l’aéroport de Nouadhibou, d’où ils tentent de pénétrer en Europe, en transitant ou non par le Maroc.
Les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla apparaissant comme un mur infranchissable, les émigrants d’Afrique occidentale tentent désormais plus fréquemment de gagner l’archipel des Canaries depuis le port ou les plages de Nouadhibou et à partir des villes sénégalaises de Saint‐Louis et Dakar. Toutefois, dans ce contexte, ils évitent l’île de Fuerteventura placée sous la surveillance du système espagnol SIVE(31) au profit de Tenerife ou Gran Canaria en Espagne.
Les barques de pêche en bois, les «pateras», permettant le transport d’une vingtaine de personnes sont progressivement délaissées par les filières d’immigration, qui privilégient dorénavant les «cayucos». Plus résistantes mais surtout plus puissantes, et dotées de GPS, ces embarcations peuvent accueillir entre 50 et 70 personnes. Certaines filières acheminent leurs clients, par voie terrestre, jusqu’au Maroc, d’où ils tenteront leur chance pour gagner le Sud de l’Espagne. Trois itinéraires ont ainsi été mis au jour. L’un, au départ de Zouerate(32), où se rassemblent les émigrants en provenance notamment du Mali, pour atteindre en 4 x 4 ou en train Nouadhibou ; le second, au départ de Saint‐Louis au Sénégal, où se concentrent les émigrants du golfe de Guinée, pour ensuite se rendre à Nouakchott ou à Jreida de Mauritanie, localité considérée comme la ville ayant la plus grosse concentration d’immigrés dans le Sud du pays ; le dernier, au départ de Chegga en Mauritanie également conduit les irréguliers à Béchar via Tindouf en Algérie.
Face à la montée croissante du nombre d’immigrés clandestins, les différents postes frontières terrestres, aériens et maritimes ont montré leurs limites qui sont d’ordre législatif, institutionnel et structurel ainsi qu’opérationnel. Cette situation pose la question de savoir si la Mauritanie peut faire face au défi de l’immigration clandestine, qui à court et moyen termes peut d’une part menacer sa stabilité et son existence de par les trafics qu’il renferme souvent et d’autre part accroître
26 Accords signé en juin 1997 entre certains pays de l’Europe occidentale imposant de nouvelles conditions d’accès à cette partie du vieux continent notamment établissement de visas, contrôles rigoureux aux frontières, système très sélectif de délivrance de permis de travail, …. 27 Ville touristique du Nord de la Mauritanie. 28 12 500 sur la période d’avril à octobre 2006. Sources, rapport de la mission d’évaluation conjointe Police française‐police mauritanienne sur la surveillance des frontières juins 2007 (DGSN, 2007). 29 Capitale du Mali, pays frontalier avec la Mauritanie. 30 Capitale économique des Emirats Arabes Unis, prisée par les commerçants et hommes d’affaires mauritaniens avec laquelle ils entretiennent un commerce prospère. 31 Radars et caméras. 32 Localité minière de Mauritanie.
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l’exploitation et la traite des migrants vulnérables à travers le passage par ce pays peu ou pas du tout préparé à faire face à ce drame humain.
Pour tenter de répondre à cette question, il convient de faire l’état des lieux de la situation relative à l’immigration clandestine en Mauritanie avant d’évaluer l’action des pouvoirs publics contre celle‐ci. Cette réflexion gagnerait en utilité si elle est accompagnée par la proposition de mesures de naturel à lutter contre ce phénomène.
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2. L’état des lieux de l’immigration clandestine De par son emplacement géographique, la Mauritanie a hérité d’une situation à laquelle elle n’était pas préparée. Ancienne région du Grand Maghreb arabe(33), elle tire son nom de l’appellation d’un royaume, la Maurétanie, qui s’étendait sur toute l’Afrique du Nord. Peu nantie mais idéalement placée entre la limite de l’Afrique et aux portes de l’Europe, la Mauritanie est devenue le pays de transit et probablement de départ et de destination des immigrants clandestins vers le vieux monde, car elle ne possède pas de moyens pour juguler l’immigration clandestine. 2.1. Manifestation de l’immigration clandestine La Mauritanie semble être une nouvelle porte vers l’Europe, car les chiffres relatifs à l’immigration clandestine transitant par ce pays révèlent un trafic en plein essor.
2.1.1. La Mauritanie, nouvelle porte vers l’Europe ? La presse ne cesse, depuis quelques mois, de se faire l’écho des tragédies macabres au large des côtes mauritaniennes(34). Une embarcation, partie de Nouadhibou(35) vers les îles Canaries, avec 45 clandestins subsahariens à son bord, a fait naufrage à cause d’une panne de moteur. Vingt‐deux personnes se sont noyées, les autres ont été repêchées par les autorités mauritaniennes. Un peu plus haut, à hauteur de Dakhla, dans le sud du Sahara occidental, une embarcation, partie de Mauritanie, et qui transportait 43 migrants, s’est brisée en deux après avoir été heurtée par un navire marocain. 23 personnes se sont noyées, les autres ont été secourues par l’équipage du bateau. Selon le Croissant‐Rouge Mauritanien, les immigrés qui faisaient partie des deux voyages mortels venaient du Mali, de Guinée‐Bissau, de Gambie, de Côte d’Ivoire, du Nigeria et de Mauritanie pour l’un d’entre eux. Les rescapés ont été placés dans les locaux de la police de Nouadhibou, la capitale économique mauritanienne(36) devenue depuis quelques mois une ville de départ convoitée par les candidats africains à l’exil en Europe. Les rescapés ont été interrogés par les autorités et pris en charge par le Croissant‐Rouge Mauritanien(37).Il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg, car les chiffres sont inquiétants et le trafic des migrants clandestins est en plein essor.
33 Appelée « Bilad Chinguitt », eu égard à son rôle dans la propagation de l’islam, la Mauritanie est le septième lieu d’importance de cette religion et a constitué, entre le 11éme et 12éme siècle, une place importante du Grand Maghreb Arabe. 34 En effet, le 20 juin 2007, deux naufrages d’embarcations clandestines, parties des côtes mauritaniennes à destination des Canaries, ont fait plus de 40 morts. Ils mettent en lumière un phénomène récent : depuis plusieurs mois, les immigrés subsahariens, qui souhaitent rejoindre l’Europe, se massent dans la ville de Nouadhibou, au nord‐ouest de la Mauritanie. Ils seraient plus de 10 000 candidats au départ. Pour de plus informations voir Le Quotidien du 9 mars 2006 : clandestinité‐Immigration : La Mauritanie nouvelle porte vers l’Europe ? 35 Extrême nord‐ouest du pays. Voir Le Quotidien du 9 mars 2006 : clandestinité‐Immigration : La Mauritanie nouvelle porte vers l’Europe ? 36 Les étrangers représentent depuis seulement deux ans plus de 20% des habitants de la ville Nouadhibou, un chiffre que les autorités expliquent par l’attrait qu’exerce l’Europe sur les étrangers et les chimères de l’immigration à partir de la Mauritanie. Voir Amel Choplin et Jerome Lombard : Migrations et recompositions spatiales en Mauritanie : « Nouadhibou du Monde », Ville de transit et après ; Actualité Africaine n° 228/2008/4. 37 Mustapha Taher, membre du Croissant Rouge Mauritanien l’a confirmé sur RFI en expliquant ainsi l’aide que son organisation apporte aux migrants, « Nous avons une stratégie palliative, avec l’aide des Croix‐Rouge espagnole et française, nous assistons les migrants sur le plan nutritionnel et médical. Le gouvernement et la police nous ont demandé de leur fournir des médicaments, de la nourriture, de l’eau et des vêtements et c’est ce que nous faisons ».
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Des chiffres inquiétants
Un rapport de la police espagnole évalue à plus de 10 000 le nombre de candidats africains à l’émigration vers l’Europe actuellement massés en Mauritanie et au Sahara occidental(38). Les autorités espagnoles estiment que les filières d’émigration clandestine d’Afrique vers les Canaries partent désormais de Mauritanie plutôt que des côtes du Sahara occidental39. Par ailleurs, « entre novembre 2005 et décembre 2006, 1.200 à 1.300 personnes ont perdu la vie en mer en essayant d’atteindre les Canaries ». Egalement, 700 à 800 personnes tentent la traversée chaque jour et 40% des bateaux, qui prennent la mer, font naufrage. « Le voyage est préfinancé par des réseaux bien implantés, aussi bien en Mauritanie que dans les pays subsahariens et européens de destination »(40).
Repoussés des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla(41), dissuadés par le renforcement des contrôles hispano‐marocains dans le détroit de Gibraltar, les émigrants africains tentent, de plus en plus, de gagner l’archipel des Canaries à partir de la Mauritanie. On dénombre une majorité d’hommes, de tous les âges, mais il y a aussi des femmes et des enfants (42). Ils passent par le désert et nombreux sont ceux qui y meurent de soif. On retrouve des corps de façon très régulière. Ils meurent sur terre ou sur mer en prenant des risques énormes. Ils viennent dans ce pays, car la Mauritanie est le maillon faible de la région. C’est un pays aux frontières ouvertes, mal surveillées, peu peuplé et qui n’a pas de gros moyens de contrôle et de supervision. Depuis des mois, le Croissant Rouge Mauritanien est, chaque jour, confronté à ce problème. Son comité régional à Nouadhibou est débordé(43).
L’autre raison qui attire les Africains à Nouadhibou serait le prix de la traversée. La filière saharienne terrestre coûtait au clandestin entre 1.700 et 3.400 euros(44) alors que celle de l’Atlantique, via Nouadhibou, leur revient à 500 euros seulement ou 1.000 euros(45), ce qui explique l’essor de ce trafic
Un trafic en plein essor
Les Canaries sont la seconde porte d’entrée de l’immigration clandestine par voie maritime en Espagne, après le détroit de Gibraltar. L’île de Fuerteventura étant sous la haute surveillance d’un système de radars et caméras, les migrants, partant de Mauritanie, se rabattent désormais sur Tenerife ou Gran Canaria(46). Les voyages sont plus longs et plus périlleux. Du coup, les passeurs ont mis à l’eau un nouveau mode de transport : les cayucos. Il y a dix ans, était apparu le terme espagnol de patera pour désigner la petite barque de pêcheur en bois utilisée pour transporter une vingtaine de personnes. Le cayuco est plus robuste, en fibre de verre, mesure de 14 à 18 mètres de long, est doté de deux moteurs, d’une douzaine de bidons de combustible et peut «accueillir» 50 à 70 personnes.
38 Compte rendu sur la lutte contre l’immigration clandestine, publié en mars 2006 par les autorités espagnoles et relayées par les médias internationaux. 39 Le préfet des Canaries l’a affirmé, sur la radio espagnole Cadena Ser au cours d’un entretien portant sur l’immigration clandestine le 20 juillet 2006. 40 Ces informations sont fournies par M. Ahmedou Ould Haye, le Coordinateur du Croissant‐Rouge Mauritanien dans une interview sur RFI. 41 Nord du Maroc. 42 MOHAMED‐SALEH S. N. : « La migration irrégulière en Mauritanie », Consortium Euro Méditerranéen pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales (CARIM), note d’analyse et de synthèse –Série sur la migration irrégulière, module démographique et économique, CARIM AS 2008/52, Juillet 2008. 43 Confère. Mustapha Taher. Précité, note de bas de page n° 38. 44 Selon un responsable mauritanien cité par l’AFP, Dépêche du 12 avril 2008. 45 Selon d’autres sources notamment les services de police et de la gendarmerie maritime de Nouakchott. 46 Itinéraire d’un immigré clandestin vers l’Europe partant de la Mauritanie via l’Espagne, retracé par RFI dans son émission consacrée à ce trafic, mai 2007.
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Plus de 45 organisations de passeurs font tourner depuis 5 ans ce commerce illégal de personnes en Mauritanie, au Maroc et au Sahara Occidental(47).Ce sont des anciens contrebandiers qui ont trouvé plus rentable que la contrebande de tabac puisqu’ils font payer le passage 1.000 euros par tête. De connivence avec quelques militaires, ils font passer des dizaines de personnes chaque jour par les portes du mur militaire construit dans le Sahara par le Maroc. Les immigrants sont sélectionnés à Nouadhibou. Ils doivent payer en monnaie sénégalaise ou mauritanienne et détruire tous leurs papiers. Puis commence le voyage de deux jours qui compte plusieurs escales, parfois pour changer d’embarcation et tromper la vigilance des gardes‐côtes. Selon la Direction de la Marine à Nouadhibou, depuis septembre 2007, ceux qui font la traversée sont des pêcheurs sénégalais et mauritaniens habitués à naviguer dans une mer difficile. La recrudescence de ce trafic éprouve les moyens de lutte contre l’immigration clandestine mis en place par les pouvoirs publics
2.2. Les moyens de lutte contre l’immigration clandestine
Conscients du danger que représente l’immigration clandestine et soucieux de ne pas laisser leur territoire se transformer en une porte d’entrée illégale vers l’Europe, les pouvoirs publics mauritaniens déploient les moyens en leur possession pour juguler vainement ce phénomène. En effet, le cadre juridique y afférent semble être inefficace ainsi que les services de police des frontières, en raison de la faiblesse de leurs moyens.
2.2.1 Arsenal juridique inadapté Le peuple mauritanien, fortement imprégné de traditions nomades, ne portait pas jusqu’à une date récente de regard particulier sur les populations qui traversaient son territoire puisque lui‐même était en mouvement permanent. Ce n’est qu’à partir de l’indépendance et de la sédentarisation autour des grandes villes, que les autorités mauritaniennes ont voulu réglementer l’immigration. Cette réglementation suscite aujourd’hui des interrogations quant à son adaptabilité aux différentes catégories d’étrangers et sur sa capacité à constituer un instrument de lutte contre les phénomènes d’immigration clandestine.
Datant des années soixante48, pure et simple transposition des textes français en vigueur pendant la colonisation, la plupart des lois et décrets n’a subi aucune forme d’adaptation aux conjonctures actuelles, sauf accessoirement en ce qui concerne la promulgation de certaines lois de finances portant modification des tarifs(49) des visas d’entrée et de séjour ainsi que de la carte d’identité d’étranger. Le décret du 15 décembre 1964 portant régime de l’immigration(50) et la loi du 23 février 1965(51), représentent les textes de référence des droits des étrangers en Mauritanie. Ils portent réglementation des droits d’accès, de séjour et d’établissement et prévoient des mesures administratives et pénales en cas de non respect de la loi. 47 Juan Manuel Pardellas, correspondant du grand quotidien espagnol ElPais à Tenerife : « La tragédie des Cayucos », mai 2007. 48 La législation en la matière date des années soixante notamment le décret n° 62‐077 du 20 mars 1962 instituant l’immatriculation des citoyens mauritaniens à l’étranger auprès des chancelleries diplomatiques et consulaires, le décret n° 62‐160 du 12 juillet 1962 règlementant les titres de voyage (passeports), décret n° 62‐169 du 26 juillet 1962 règlementant le visa des titres de voyage, le décret n° 64‐169 du 15 décembre 1964 portant régime de l’immigration en République Islamique de Mauritanie, la loi n°65‐046 du 23 février 1965 portant dispositions pénales relatives au régime de l’immigration, la loi n° 65‐053 du 25 février 1965 fixant la taxe de délivrance de visa, des cartes d’identité des étrangers, des cartes de résident et les visas d’entrée et de séjour en Mauritanie. 49 Autrefois formulés en francs CFA, monnaie de l’Afrique de l’Ouest que la Mauritanie a quitté en créant sa propre monnaie nationale en 1974 et dont une ouguiya équivaut à 1,52 francs CFA. 50 Le décret n° 64 169 du 15 décembre 1964 portant régime de l’immigration, révisé en 1965. 51 Loi n° 65 046 du 23 février 1965 portant sanctions pénales relatives à la migration.
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Le législateur mauritanien distingue trois catégories d’étrangers : les étrangers non immigrants, les étrangers immigrants privilégiés et les étrangers immigrants ordinaires ; cette dernière catégorie englobant les apatrides, les réfugiés et les demandeurs d’asile.
Concernant les étrangers non immigrants, le législateur mauritanien a procédé à une subdivision de ceux‐ci en cinq sous‐catégories qui, outre l’obligation de présenter un document d’identité, passeport, en cours de validité revêtu ou non d’un visa consulaire d’entrée ou bien, dans certains cas, une carte nationale d’identité, doivent se conformer aux prescriptions des conventions sanitaires internationales et remplir une fiche de renseignement. Les ressortissants des Etats ayant signé avec la Mauritanie une convention d’établissement ont le choix de présenter ou un passeport en cours de validité ou seulement la carte d’identité nationale. En revanche, les ressortissants d’autres pays doivent, pour accéder au territoire mauritanien, se munir d’un visa consulaire mauritanien. L’une des catégories assujetties à ces obligations est celle des touristes et des voyageurs. Ces étrangers sont également tenus, dès leur arrivée en Mauritanie, de présenter «un billet de retour» ou «un billet circulaire» en cours de validité. La multiplication des sous‐catégories et des restrictions administratives conduisent à s’interroger sur leur applicabilité sur le terrain.
En ce qui concerne les étrangers privilégiés, l’élément essentiel qui les différencie des étrangers non immigrants est l’intention de fixer leur résidence en Mauritanie. Le droit d’entrée et de séjour leur est octroyé sous réserve de la présentation d’un passeport national, d’un certificat de vaccination réglementaire et d’un certificat récent attestant de leur aptitude à l’exercice du travail ou de l’activité qu’ils comptent entreprendre. Ils sont également tenus de fournir un extrait de leur casier judiciaire délivré moins de 3 mois auparavant et d’un contrat de travail en bonne et due forme visé par le Ministre du Travail. L’analyse de ce titre met en évidence que les conditions d’entrée et de séjour sont relativement souples et que les documents exigés peuvent être obtenus facilement.
En troisième et dernière catégorie, la législation mauritanienne prévoit, pour ceux qu’elle considère comme étrangers ordinaires, en plus de toutes les formalités exigées aux précédentes catégories, la prise d’empreintes digitales. La carte d’étranger ne leur est pas systématiquement délivrée. Le Ministre de l’Intérieur peut, sans qu’il ait à motiver sa décision, en refuser la délivrance.
Au‐delà des textes de base nationaux, la condition d’étranger et ses conséquences au niveau des principes d’entrée et de séjour sont également tributaires des nombreux traités et conventions signées par la Mauritanie. Ainsi en 1975, la Mauritanie a signé le traité de la CEDEAO(52) qui prévoit le principe de liberté de circulation, de résidence et d’établissement des étrangers ressortissants des 15 Etats membres. Lorsque la Mauritanie s’est retirée en 1999 de la CEDEAO pour se rapprocher de l’Union du Maghreb Arabe, elle n’a pas modifié ses textes et a continué à favoriser le principe de libre circulation pour les pays africains francophones. Seuls les pays africains anglophones se sont vus imposer le rétablissement du visa. Il en résulte une multiplication des textes, parfois en contradiction avec la législation nationale.
De plus, force est de constater que l’ensemble des sanctions pénales ou administratives infligées aux étrangers n'est pas du tout adapté au problème d’immigration auquel est confrontée la Mauritanie actuellement. Les sanctions pénales prévues à l’encontre des étrangers qui pénètrent ou séjournent en Mauritanie, en violation de la réglementation sur l’immigration sont minimes et peu dissuasives(53). Les mêmes sanctions sont prévues pour les «aidants» à l’immigration clandestine dans la loi n° 65.046 du 23 février 1965 portant dispositions pénales relatives au régime de l’immigration qui stipule en son article 1er que « seront punis d’une amende de 10.000 à 300.000 francs et d’un emprisonnement de deux à six mois, ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, sciemment, auront procuré aide et assistance à tout individu pour pénétrer ou séjourner frauduleusement en
52 Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest. 53 300.000 francs CFA maximum d’amende, 6 mois d’emprisonnement maximum.
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Mauritanie».Les sanctions pénales concernant l’usage ou la fabrication de faux documents sont prévues par le même texte et sont également peu importantes (54).
Le décret de 1964 sur l’entrée et le séjour en Mauritanie prévoit des sanctions administratives(55) qui sont d’une application peu aisée en raison de l’absence d’accord de réadmission avec les pays voisins et du principe de libre circulation réglementé par des accords bilatéraux(56).
L’incrimination de la traite des personnes a été prise en compte par la loi n° 2003.025 du 17 juillet 2003(57). L’expression «traite des personnes» désigne l’enrôlement, le transport, le transfert de personnes par la force ou le recours à la force ou à la menace ou à d’autres formes de contraintes, par enlèvement, tromperie, abus d’autorité ou l’exploitation d’une situation de vulnérabilité. L’exploitation comprend le travail non rémunéré, le travail ou les services forcés, le prélèvement d’organes à des fins lucratives, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle. En plus de la déchéance de leurs droits civils et civiques, les auteurs de ces crimes seront punis de travaux forcés de cinq à dix ans et d’une amende de 500.000 à 1.000.000 d’ouguiyas.
Cet arsenal juridique n’a jusqu’à présent pas permis de condamner les bandes de passeurs qui constituent le maillon le plus dangereux de l’immigration clandestine et qui en tire un grand profit. Les limites juridiques de l’action des autorités mauritaniennes contre l’immigration clandestine notamment l’obsolescence de la législation existante, la faiblesse des sanctions et la multiplicité des statuts d’immigrants sont doublées de l’inefficacité de la police des frontières.
2.2.2. L’inefficacité de la police des frontières La police des étrangers résidant ou circulant en Mauritanie est assurée essentiellement par la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), service dépendant de la Direction Générale de la Sûreté Nationale. Elle est organisée en trois services : l’un chargé des étrangers et du renseignement, le second destiné à la délivrance des passeports et des visas et enfin celui de la police de l’air et des frontières. Elle est accessoirement effectuée par la Gendarmerie Nationale et la Garde Nationale, cette dernière disposant d’un Groupement Nomade Méhariste. Les zones désertiques sont couvertes par l’Armée Nationale.
L’organisation et le fonctionnement de la DST(58) révèle qu’il s’agit d’une structure peu adaptée au contrôle des frontières. La structure centrale comporte deux services (le service du renseignement et le service de la police aux frontières) qui ont des fonctions administratives assimilées à celles d’un service des étrangers. Une confusion existe dans le service des étrangers et du renseignement, car cette structure traite à la fois de la délivrance des cartes d’étrangers pour les résidents, du renseignement et des procédures judicaires dans le cadre de mises à disposition faites par le commissariat spécial de l’aéroport de Nouakchott, notamment en matière de faux documents. Les missions du groupe de fonctionnaires affectés à ce service ne sont donc pas bien définies. Le service de la Police aux Frontières est un service transparent dépourvu d’effectif. De ce fait, la mission de lutte contre l’immigration irrégulière n’est pas réalisée. Au niveau central, il n’existe pas de structure opérationnelle en charge de gérer l’activité transfrontière des aéroports, des ports et des frontières terrestres. Il en découle une absence de politique d’impulsion, de coordination et de contrôle au
54 De 6 mois à 2 ans d’emprisonnement. 55 Le refoulement, l’expulsion et le déguerpissement. 56 Il s’agit des conventions d établissement signées notamment avec le Sénégal, le Mali, et la Gambie, entre autres. 57 Loi n° 2003.025 du 17 juillet 2003 portant répression de la traite des personnes. 58 Pour de plus informations sur cette structure, voir Ramdan Haimoud : « Droit des étrangers et protection des réfugiés en Mauritanie», Mémorandum, édition pilote, avril 2007, p.7 et s.
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niveau des différentes frontières. Il n’y a pas, non plus, de service ayant pour vocation le recueil, la recherche et la diffusion d’informations de nature à favoriser l’application des textes relatifs à la lutte contre les manifestations de l’immigration clandestine. Aucune structure n’est prévue pour coordonner au plan national, la mise en œuvre effective des mesures d’éloignement.
La Direction de la Surveillance du Territoire ne dispose pas de relais hiérarchiques territoriaux. Les effectifs, qui assurent des missions de contrôle aux frontières, sont des fonctionnaires affectés dans les directions régionales de la sûreté et sous le commandement des directeurs régionaux qui dépendent hiérarchiquement du Directeur Général de la Sûreté. Les fonctionnaires chargés des contrôles aux frontières sont affectés à toutes les missions de police même s’ils font partie d’un service distinct au sein des DRSN(59). Le DRSN peut, à tout moment, les affecter à d’autres missions. La DST est rendue destinataire, par les directeurs régionaux de la sûreté, des résultats de l’activité de contrôle(60) sans pouvoir d’action et de contrôle. Elle ne constitue qu’un relais administratif sans aucun aspect opérationnel.
Les contrôles effectués aux frontières sont des contrôles en poste fixe. Il n’est pas prévu de contrôles mobiles afin d’assurer une surveillance entre les points de passage autorisés. Les seuls contrôles effectués sur les axes routiers par la police et la gendarmerie sont axés sur la police de la route et le renseignement. Ils ne sont pas orientés dans le domaine de l’immigration. Les fonctionnaires affectés au contrôle des frontières travaillent avant tout au recueil d’informations en faveur de la Direction Générale, dans une culture de police de renseignement. L’activité judiciaire ne fait pas partie de leur mission, et le service judiciaire de la DSRN qui prend le relais, le fait au détriment de la lutte contre la criminalité organisée, sans pousser les enquêtes au‐delà de la simple infraction constatée à la législation sur le séjour. Les postes frontières aériens et terrestres «enregistrent» les passages d’entrée et de sortie, pour alimenter leur base de données centrale. Ils procèdent à un contrôle documentaire réduit à sa plus simple expression. Le manque de formation spécialisée, de matériel de base pour la détection des faux documents, d’archives et de fichiers informatisés consultables en temps réel, de moyens de liaison radio ou téléphonique et de moyens de locomotion ajoutent à l’effet pervers de l’appartenance à un service de renseignement et à l’absence de suivi judiciaire.
Le dispositif existant est insuffisant au niveau de la coopération entre forces de Police, de Gendarmerie et de Douanes. La coopération avec les pays voisins est embryonnaire. Il n’existe pas de structure d’analyse et d’exploitation du renseignement opérationnel dans le domaine des filières. La lutte contre les filières d’immigration irrégulière se résume à de rares interpellations fortuites de «passeurs» en flagrant‐délit. Le travail d’investigation n’existe pas, sauf peut être par rapport au phénomène d’embarquements dans les pirogues à destination des îles Canaries et au départ de Nouadhibou(61) concernant des interpellations de passeurs laissant présumer un travail de renseignements et de recherches en amont. Cependant, la filière d’immigration irrégulière n’est pas prise en compte dans son envergure nationale ni même internationale. La terminologie en la matière est d’ailleurs limitée à la seule catégorie des «passeurs» ; la distinction entre les différents acteurs d’une filière n’est pas faite(62).
Aux niveaux des techniques d’enquête, les policiers mauritaniens sont limités par l’absence de moyens mis à leur disposition. Les auditions des candidats à l’immigration ne sont pas réalisées selon un modèle uniforme incluant un canevas précis en vue de faciliter l’identification des filières, des protagonistes et des modes opératoires. Les témoignages sont assimilés à des renseignements en‐dehors de toute procédure judiciaire écrite et la signalisation des individus à l’interpellation est inexistante du fait de l’absence en dotation de tout matériel adéquat. Quant à l’infiltration des
59 Direction Régionale de la Sûreté Nationale. 60 Statistiques, note d’information. 61 En effet, la DRS et le groupement de Gendarmerie de ce secteur possèdent des chiffres conséquents. 62 Passeurs, logeurs, organisateurs, etc.
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réseaux, elle ne semble pas être une technique utilisée et aucun service ou bureau n’est destiné à l’exploitation et l’analyse des données opérationnelles, tant au niveau local que national.
Aucun système de coopération ou de coordination entre les divers acteurs concourant à la sécurité du pays n’est mis en œuvre hormis le cas particulier de Nouadhibou(63). Les missions de surveillance ne font l’objet d’aucune coordination tant au niveau des DRSN qu’au niveau central. Les informations recueillies par les différents services ne font pas l’objet d’un échange entre états‐majors. La révélation de filières d’immigration de clandestins partant de Nouadhibou vers les îles Canaries a conduit les autorités mauritaniennes, sous la pression des Etats Européens et plus particulièrement de l’Espagne, à créer un état‐major de coordination qui, basé à Nouadhibou, a pour mission de mutualiser les efforts en matière de surveillance des flux migratoires, de gérer des centres d’hébergement et d’améliorer l’échange d’informations opérationnelles aux plans régional et international. Les moyens et matériels mis à la disposition de cet état‐major ne lui permettent pas de répondre aux enjeux de la lutte contre l’immigration clandestine. La coopération avec les Etats voisins est embryonnaire. La gestion des reconduites, faute d’accords de réadmission entre les pays de la zone crée des tensions. Au niveau de la surveillance du fleuve Sénégal, aucune action de coordination entre la Mauritanie et le Sénégal n’a à ce jour été mise en œuvre(64) pour trouver des solutions à l’immigration clandestine.
63 Cette ville, eu égard à la porosité de ses plages et au nombre croissant de cadavres d’immigrés clandestins que ses côtes rejettent connaît l’existence d’un comité régional de lutte contre l’immigration clandestine composé de toutes les parties concernées par ce phénomène dont la coordination est assurée par le wali (gouverneur) de Nouadhibou. 64 Une réflexion dans ce domaine est depuis quelque temps engagée et aboutira sans doute à l’élaboration d’une esquisse d’accord bilatéral permettant des patrouilles mixtes avec les sénégalais.
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3. La stratégie nationale de lutte contre la migration clandestine Pour pouvoir lutter efficacement contre l’immigration clandestine, les autorités mauritaniennes ont mis en place une stratégie nationale de lutte contre l’immigration clandestine. La Mauritanie dispose de 5070 kilomètres de frontière dont 740 kilomètres de côte maritime difficile à surveiller face à l’action persistante des migrants clandestins désireux de traverser le pays pour accéder à l’Europe. Les pouvoirs publics ont déployé des moyens pour contrer cette migration à travers la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière.
Les grandes lignes de la stratégie nationale de lutte contre la migration clandestine(65) s’articulent autour de la coordination des activités relatives à la migration clandestine, la mobilisation des moyens humains et matériels pour lutter contre la migration clandestine, le renforcement des capacités des services de surveillance et de contrôle, la construction de centre d’accueil pour les migrants clandestins, la traque des réseaux de passeurs pour la migration clandestine, l’échange d’informations entre les parties concernées par la lutte contre la migration clandestine et la création d’un fonds d’appui pour les services chargés de lutter contre la migration clandestine. Pour optimaliser l’efficacité de la stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière, plusieurs actions ont déjà été menées.
C’est ainsi qu’un comité régional chargé de la coordination de la lutte contre la migration clandestine a été mis en place à Nouadhibou. Cette structure sera généralisée à l’ensemble du territoire. Dans un premier temps, des coordinations régionales ont été créées au niveau du Trarza, du Hodh Charghy et du Tiris‐Zemmour(66). Une vaste campagne de sensibilisation a été engagée sur le thème de la migration. Les médias officiels, la presse indépendante et les organes de la presse étrangère, ont été mis à contribution pour cette campagne. Un support audio‐visuel a été également utilisé pour mieux sensibiliser la population.
L’éradication du phénomène de la migration clandestine, requiert la mobilisation d’importants moyens humains et matériels. A cet effet les postes de contrôle existants ont été renforcés pour leur permettre de juguler le fléau de la migration clandestine. Le personnel a été mis à la disposition des services compétents pour assurer cette mission. Dans ce cadre, les pouvoirs publics ont déjà procédé à l’ouverture de plusieurs postes de contrôle.
La lutte contre la migration clandestine exige le renforcement des capacités des services chargés de la surveillance et du contrôle de la migration clandestine notamment au niveau aérien, terrestre et maritime. Des véhicules, deux hélicoptères, deux patrouilleurs et des moyens de communications radio ont été mis à la disposition de ces services pour les aider efficacement contre le phénomène de la migration clandestine. Des modules de formation ont été développés au profit du personnel des services chargés de la migration.
65 Stratégie nationale de régulation des flux migratoires, mars 2006, adoptée par les pouvoirs publics en mars 2006. 66 Régions situées aux frontières de la Mauritanie et qui constituent des points de passage des immigrés clandestins.
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Pour traiter les migrants clandestins conformément aux normes du droit international humanitaire, les pouvoirs publics ont crée un centres d’accueil(67)pour héberger les migrants en attendant de procéder à leur rapatriement.
Le démantèlement des réseaux de passeurs de migrants clandestins nécessite un effort de recherche pour identifier les trafiquants. Un dispositif pénal suffisamment dissuasif sera mis en œuvre pour décourager ce genre de délinquants. A cet effet, une commission technique a été chargée d’élaborer les textes conséquents(68).
Pour mener à bien la lutte contre la migration clandestine un échange d’informations entre toutes les parties concernées est indispensable. Des dispositions ont été prises pour obtenir et échanger toutes les informations utiles afin de lutter contre le phénomène de la migration clandestine. Pour ce faire, des collaborateurs de l’administration ont été engagés pour collecter les renseignements relatifs à la migration au niveau des villages frontaliers avec les pays sources de l’immigration. Une base de données a été installée au niveau de tous les services chargés de la migration pour faciliter l’exploitation du fichier relatif à la population migrante.
Cette stratégie ne prend pas en compte la lutte contre la transformation de l’entrée régulière en séjour irrégulier; l’action dirigée contre les pourvoyeurs des moyens(69) permettant aux immigrés en situation irrégulière de se maintenir sur le territoire national et l’éloignement.
En ce qui concerne la lutte contre le travail clandestin, les services qui en sont chargés ont été mobilisés et des mesures ont été prises pour renforcer les sanctions applicables aux employeurs d’étrangers en situation irrégulière. Il faut cependant une application plus rigoureuse de ces sanctions ainsi qu’un renforcement des moyens de rechercher la responsabilité des donneurs d’ordres. Par ailleurs, les droits sociaux reconnus par la République aux étrangers en situation irrégulière méritent d’être préservés, dans la mesure où ils répondent strictement à des impératifs de protection des mineurs et de santé publique. Enfin, l’éloignement constitue la pierre de touche des politiques de contrôle de l’immigration: sauf à renoncer en fait à tout contrôle de l’entrée et du séjour sur son territoire, l’État doit en effet savoir afficher sa détermination à mettre fin au séjour irrégulier, au besoin par la contrainte mais dans le respect du droit des personnes, si possible le plus rapidement possible après l’entrée irrégulière sur le territoire.
67 A Nouadhibou, ville frontalière et côtière. 68 Cette commission a déjà élaboré un avant projet de loi relatif à l’entrée et au séjour des étrangers et le droit d’asile en Mauritanie. Celui‐ci reflète les points de vue des praticiens du domaine notamment, la justice, les services de la migration, des Affaires Etrangères, de l’Emploi, de la Marine Nationale et de la Gendarmerie, son adoption, après une concertation avec la société civile, dotera le pays d’un arsenal juridique qui lui a fait défaut pendant plusieurs décennies et a handicapé son action de lutte contre l’immigration irrégulière. 69 Travail illégal ou logement indigne.
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4. Propositions visant à lutter contre l’immigration clandestine Si l’immigration irrégulière demeure fâcheusement indénombrable, sa réalité est, en revanche, perceptible à travers ses conséquences.
4.1. Le péril social
L’immigration irrégulière, dont les premières victimes sont les immigrés eux‐mêmes, fait obstacle à l’intégration des étrangers en situation régulière et comporte, notamment à travers le champ qu’elle ouvre au développement de l’économie souterraine, un risque de déstabilisation sociale. Comme ont pu le mesurer les associations(70) qui travaillent dans le domaine de la migration, l’exemple extrême de ce péril social est malheureusement celui que donnent les villes de Nouakchott et de Nouadhibou, submergés par une immigration clandestine massive que l’on a trop tardé à tenter d’endiguer et qui se traduit par l’engorgement des services publics, le travail clandestin, l’installation anarchique des populations, la montée de la violence et des tensions sociales. Ce sont, comme souvent, les collectivités territoriales qui assument l’essentiel de la charge résultant de cet afflux de population irrégulière et qui constituent le dernier rempart contre les risques d’explosion sociale qu’elle comporte. Sans préjudice des autres mesures qu’appelle la situation des autres wilayas(71) du pays, il est indispensable que les dotations que reçoivent les villes de Nouakchott et de Nouadhibou soient au plus vite adaptées à l’importance réelle de leur population.
La réaction contre cette menace nécessite l’adoption des moyens juridiques, administratifs, voire diplomatiques, susceptibles de contribuer au contrôle de l’immigration irrégulière. Ce contrôle impose à la fois de faire preuve d’une fermeté, qui n’est pas toujours comprise quand elle paraît dirigée contre ceux qui cherchent, de façon bien compréhensible, à échapper à la misère, et de traiter au fond le problème de l’immigration irrégulière en approfondissant la politique de coopération et de co‐développement avec les pays sources. Les actions proposées pour lutter contre l’immigration clandestine distinguent entre les moyens tendant à prévenir l’immigration irrégulière et ceux qui ont pour objet de la traiter.
4.2. Prévention de l’immigration irrégulière
La résolution de la question de l’immigration clandestine nécessite la création d’une commission d’enquête sur l’immigration clandestine appelant à un débat de fond, rationnel et dépassionné. La pertinence de cette commission s’explique par le fait que, suscitée par la misère, entretenue par une exploitation sans scrupule ni merci, l’immigration illégale ‐qu’elle soit, selon les cas, à proprement parler clandestine ou doive plutôt être qualifiée d’irrégulière‐ pose en effet des problèmes trop graves pour que l’on puisse espérer les analyser et les résoudre sans faire appel à toutes les ressources de la raison. Pour ce faire, il est nécessaire de maîtriser l’immigration irrégulière d’une part et de renforcer le dispositif juridique et policier d’autre part.
70 Notamment l’ONG ALPD : «Etude monographique : migrants et emploi à Nouakchott», juin 2005 ; « Migrants, réfugiés et communication à Nouakchott », juin 2005 ; et ONG APEAH : «Monographie sur la migration et l’emploi à Nouadhibou» mai 2006. 71 Générique utilisé pour désigner la région en Mauritanie.
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4.2.1. La maitrise de l’immigration irrégulière
La mesure de l’immigration irrégulière doit, être regardée comme un préalable, car on ne bâtit rien sur l’ignorance, et le premier devoir des autorités mauritaniennes est d’attirer l’attention sur l’urgente nécessité d’approcher la vérité des faits. Des mesures ayant pour objet de recueillir les données et de lancer les travaux statistiques indispensables pour évaluer l’immigration clandestine et en cerner la réalité mouvante doivent être appliquées sans retard. Cet effort de mise en œuvre d’actions concrètes devrait être étendu à l’immigration régulière, dont la connaissance reste lacunaire. Ce premier volet de l’action à mener est en effet le plus complexe. Il met en jeu des moyens très divers(72). Il doit prendre en compte, tant en ce qui concerne la maîtrise de l’entrée et de la circulation sur le territoire national que la stratégie d’aide au développement, l’étendue des compétences des partenaires de la Mauritanie.
La maîtrise de l’accès au territoire mauritanien n’a bénéficié d’aucune mesure législatives ces dernières années pour renforcer le contrôle de la délivrance des visas de court séjour, et aucune initiative n’a été entreprise pour améliorer l’accueil des étudiants étrangers, qui pourraient bénéficier autant au contrôle de l’immigration irrégulière. En matière de politique des visas et de lutte contre la fraude documentaire, aucune perspective prometteuse ne s’ouvre aux autorités mauritaniennes. En effet, celles‐ci n’ont pas encore prévu de recourir aux nouvelles techniques tendant au développement des visas biométriques, dont il importe de souligner qu’en facilitant le contrôle de l’utilisation des visas, elles permettront aussi d’alléger les contrôles préalables à leur délivrance. Les contrôles aux frontières n’ont, quant à eux, bénéficié que très moyennement du renforcement des moyens de la police aux frontières, qui n’est pas encore en mesure de s’affirmer comme le chef de file d’une police de l’immigration pouvant lutter à armes égales avec les filières d’immigration illégale. Cependant, si le contrôle aux frontières doit pouvoir être une arme de dissuasion crédible contre les réseaux de passeurs, cette exigence doit être conciliée avec celles de l’accès au territoire des demandeurs d’asile, qu’il ne paraît pas souhaitable de contraindre à de hasardeux périples, ou de la prise en compte du cas particulier des mineurs isolés. En ce qui concerne ces derniers, il est nécessaire de renforcer la protection de leurs droits et de clarifier les conditions de leur prise en charge.
Dans les pays limitrophes, la problématique du contrôle de l’accès au territoire est toute différente, la perméabilité des frontières et la proximité des pays sources incitant les candidats à l’immigration à préférer, si périlleuse qu’elle puisse être, la voie de l’entrée clandestine. Cet état de fait, qui peut également nuire à l’efficacité des mesures d’éloignement, ne doit cependant pas servir d’alibi à l’insuffisance des moyens. Il est indispensable de faire un effort important sur ce plan et qui doit porter aussi bien sur les effectifs que sur les matériels. Enfin, les dispositifs de lutte contre l’obtention frauduleuse d’un droit au séjour, voire de l’accès à la nationalité mauritanienne(73) demeurent perfectibles.
Mais, le chantier principal de la lutte contre les flux migratoires irréguliers doit être celui de l’aide au développement des pays sources d’immigration. Il est donc indispensable de recenser les moyens qui pourraient y contribuer aux niveaux locaux, régional, national, continental et mondial et les cadres juridiques(74) dans lesquels elle pourrait s’inscrire. En effet, le développement des pays sources constitue, à terme, la seule solution de fond au problème de l’immigration irrégulière et, en particulier, le seul moyen d’alléger la pression migratoire qui s’exerce sur les pays de transit ou de passage comme la Mauritanie, à cet égard l’intérêt potentiel du co‐développement(75), qui est une
72 Contrôle de l’accès au territoire, lutte contre la fraude et politique de développement. 73 Fraude documentaire, mariages de complaisance et, surtout les paternités fictives. 74 Coopération multilatérale ou bilatérale, co‐développement, coopération régionale ou décentralisée. 75 Qui a été retenu comme une priorité de l’action du Ministère des Affaires Etrangères de la France en 2006.
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priorité annoncée par certains pays de destination de l’immigration clandestine doit privilégier les régions ou les zones originaires de forts courants d’immigration irrégulière.
Enfin, de manière plus générale, la dimension «humaine» de la politique de coopération doit être remise à l’honneur. La présence d’une assistance technique européenne, les échanges de personnel, les actions de formation sur place, qui ont été naguère un facteur important de l’efficacité de la politique d’aide au développement doivent servir la lutte contre l’immigration clandestine à partir des pays d’origine ou de transit de celle‐ci qui ont besoin de renforcer rapidement leur corpus juridique et sécuritaire en la matière.
4.2.2. Le renforcement du dispositif juridique et de surveillance des frontières
Un dispositif juridique adapté est aujourd’hui indispensable à la Mauritanie pour pouvoir appréhender efficacement les problèmes que pose l’immigration clandestine de plus en plus organisée et couvrant plusieurs cas d’illégalité. Son existence contribuera à rendre les structures de police de frontières plus efficaces, car disposant désormais d’un arsenal juridique clair et opérationnel.
4.2.2.1. Le renforcement du dispositif juridique
Dans le cadre de la régulation des flux migratoires, les pouvoirs publics ont adopté en mars 2006 une stratégie nationale relative à la migration. Celle‐ci comprend plusieurs points dont l’élaboration d’un cadre législatif permettant de réguler la migration. L’élaboration de ce cadre législatif a été confiée au Ministère de la Justice et une commission comprenant les représentants de ce département, ceux de l’Intérieur et de la Défense Nationale a été mise en place(76). L’avant projet de loi relatif à l’entrée et au séjour des étrangers et au droit d’asile en Mauritanie, élaboré par cette commission a pour objet de doter le pays d’une législation relative à la migration et au droit d’asile qui tienne compte des questions que pose cette problématique.
Afin de faciliter l’application du texte, la loi définit la terminologie qu’elle adopte notamment et institue des mécanismes pour son application. C’est ainsi que la commission nationale sur le Statut de Réfugié, composée des représentants des départements chargés de l’asile notamment les Ministères de la Justice, des Affaires Etrangères, de la Défense, de l’Intérieur, de la Protection Sociale, devra jouir d’une autonomie juridique lui permettant de d’accorder ou refuser le statut de réfugié. La commission administrative étant un démembrement de l’autorité administrative en charge de la migration(77) signifie aux immigrants les mesures administratives qui seront édictées à leur encontre avant d’entendre leurs moyens de défense, la commission des recours des réfugiés est une juridiction administrative qui statue sur les recours formés contre les décisions de la commission nationale sur le statut des réfugiés et les juridictions de droit commun sont chargées de statuer sur les délits et crimes commis en matière de migration et d’asile
Afin de lutter contre la migration clandestine et de donner aux autorités chargées de l’application de la loi les moyens de parer aux tentatives d’entrée illégale en Mauritanie, le projet de loi érige en infractions plusieurs actes irrespectueux de la législation. Ainsi sont considérés comme des
76 Un draft du document, élaboré par cette commission, a été soumis aux procureurs et juges d’instruction des différentes wilayas du pays lors du séminaire sur la migration organisé au mois de juin 2007 dans le Centre de Perfectionnement et de Documentation Judiciaire du Palais de Justice de Nouakchott. La version résultant de leurs observations a été soumise à la commission le 1er août 2007 pour validation avant son adoption par le Gouvernement en mars 2009 sous forme de projet de loi. Ledit projet de loi est programmé pour la session de novembre‐décembre 2009 du Parlement. 77 Ministère de l’Intérieur.
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infractions : le délit d’entrée illégale en Mauritanie d’une ou de plusieurs personnes, l’utilisation de la fraude et la tromperie pour entrer en Mauritanie, le débarquement en haute mer d’étrangers ou le faux et usage de faux à cette fin. La facilitation de l’entrée illégale en Mauritanie est également sanctionnée. Le mariage contracté à la seule fin d'obtenir ou de faire obtenir un titre de séjour ou la nationalité mauritanienne est, devenu par le biais de cette loi, une infraction. Ensuite, la méconnaissance des mesures d'éloignement ou d'assignation à résidence en Mauritanie, ou de rejoindre la résidence assignée est aussi une infraction. Enfin, d’autres infractions, comme la méconnaissance des obligations incombant aux entreprises de transport, le débarquement d’étranger démuni de documents, l’emploi d’un étranger clandestin, la présentation erronée, l’incitation à des présentations erronées et la corruption de fonctionnaire pour entrer illégalement en Mauritanie enrichissent le cadre répressif mis à la disposition de la justice pour lutter contre la violation de la loi.
En plus des sanctions administratives la loi prévoit un arsenal répressif dissuasif. Outre le placement de l’étranger en zone d’attente, décidé par l’autorité administrative pendant 48 heures, renouvelable une fois, par le procureur de la République, ou le juge d’instruction pour 8 jours et exceptionnellement pour 12 jours soit 20 jours, le Ministre de l’Intérieur peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière. Ensuite, le Ministre de l’Intérieur peut prononcer l’expulsion de l’étranger qui constitue une menace grave pour l'ordre public ou son assignation à résidence avant son expulsion. Enfin, la peine d'interdiction du territoire mauritanien est susceptible d'être prononcée contre un étranger coupable d'un crime ou d'un délit régis par les dispositions du code pénal qui prévoient cette interdiction.
Les sanctions pénales sont prononcées par les tribunaux de droit commun. Elles vont de l’emprisonnement de un an et une amende de 1.000.000 d’ouguiyas, à l’emprisonnement à perpétuité en passant par des peines et des amendes variables. Elles s’accompagnent souvent de la confiscation des objets et produits de l’infraction ainsi que la saisie de tous les éléments s’y rapportant. Ces mesures dissuaderont les immigrés clandestins passant par la Mauritanie si elles sont complétées par une surveillance efficiente du territoire.
4.2.2.2. Le renforcement de la surveillance du territoire
Le dispositif actuel mis en œuvre pour le contrôle des frontières répond partiellement aux attentes des autorités mauritaniennes en matière de contrôle des flux migratoires. La création d’un service de police des frontières devrait permettre de remédier à la structure actuelle de la DST(78) inadaptée à la mission de contrôle des frontières et à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Pour ce faire, ce service devrait clairement être identifié lors de la rédaction du nouveau texte de loi sur les étrangers. Cette structure nouvelle peut être créée au sein de la DST, déjà en charge du service des passeports, des visas et des étrangers, ou en tant que nouvelle direction à part entière et spécialisée. Cette dernière solution d’un service de police aux frontières autonome clairement identifié donnerait un signal fort dans la lutte contre l’immigration irrégulière.
Pour remplir efficacement son rôle et répondre aux nouvelles exigences liées à la problématique du contrôle des flux migratoires en Mauritanie, ce nouveau service, quel qu'en soit le positionnement dans l’organigramme de la Sûreté Nationale, doit comporter un service central et des services territoriaux. L’échelon central doit inclure un pôle d’activité transfrontière et un pôle opérationnel. Le pôle d’activité transfrontière aurait pour mission de veiller au respect de la réglementation mauritanienne relative au franchissement des frontières, d’analyser les flux migratoires et de participer à la conduite de programmes de coopération policière au niveau international notamment 78 Direction de la Surveillance du Territoire.
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avec les pays voisins. Il devrait, en outre assurer la mise en œuvre des techniques de sûreté destinées à prévenir les actes de terrorismes pouvant être dirigés contre les moyens de transports internationaux(79). Le pôle opérationnel aura pour vocation de recueillir, rechercher et diffuser toute information de nature à favoriser l’application des textes relatifs à la lutte contre les manifestations de l’immigration. Il pourra comprendre un office central ayant une compétence nationale en matière de lutte contre les filières d’immigration(80).
En l’absence de structures interministérielles et de services ayant une véritable «culture» de l’immigration, cette structure devrait être l’organe centralisateur de tous les éléments statistiques et de toutes les données nominatives provenant des services de police et de gendarmerie afin d’avoir une connaissance des mécanismes de l’immigration clandestine et des risques liés à la criminalité transnationale organisée(81). Compte tenu des difficultés actuelles de communication entre les états‐majors des services de police, de gendarmerie et des douanes, la contribution de chacun pourrait se concevoir à travers la désignation d’officiers de liaison au sein de cette structure. Ce pôle aurait également en charge la coordination au plan national de la mise en œuvre des mesures d’éloignement.
Enfin, il serait souhaitable de créer au sein de cette structure, un bureau de la fraude documentaire chargé de recenser et d'étudier les documents authentiques d'identité, de séjour et de voyage, quel que soit leur pays d'origine, ainsi que les techniques de contrefaçon et de falsification de ces documents de diffuser une documentation spécialisée sur la fraude documentaire destinée à alerter les services compétents et à orienter les méthodes de détection des faux documents et développer la formation initiale et continue des personnels dans ce domaine(82). La structure territoriale, pour être en conformité avec le découpage administratif existant, devrait avoir une zone de compétence identique à celle des directions régionales de la sûreté nationale. Dans le cas où la solution d’un service autonome de la police aux frontières ne serait pas retenue, il est impératif, dans un souci d’efficience, que la structure territoriale ait un lien fonctionnel avec l’échelon central.
Les services territoriaux doivent comporter obligatoirement des postes frontières fixes, correspondant aux points de passage autorisés et des unités mobiles de surveillance sur les frontières fluviales, maritimes et terrestres et les principaux axes routiers. Ils doivent également comporter des unités judiciaires, permettant de traiter toutes les affaires judiciaires liées au contrôle transfrontière et à la surveillance mobile, en liaison avec la structure opérationnelle de l’échelon central. Outre une formation adaptée à la mission, les effectifs doivent disposer de moyens nouveaux liés au contrôle et à l’identification des étrangers. La communication entre la structure centrale et les services territoriaux passe par des équipements modernes en informatique et l’établissement d’un réseau sécurisé en vue de la transmission des informations.
La création d’une structure de Police aux Frontières efficiente nécessite un renforcement en ressources humaines, en moyens matériels tant en terme de logistique, de communication et d’équipements en informatique, avec création pour ce dernier point d’un réseau sécurisé, des sanctions en matière d’aide à l’immigration irrégulière et de fraude documentaire, de la coopération internationale policière et judiciaire tant au niveau international que régional(83).
79 Aériens et maritimes. 80 En constituant des groupes d’enquêtes. 81 Groupes de recherches, d’exploitation et d’analyse des données. 82 Notamment le réseau de personnes‐ressources au sein des services déconcentrés. 83 Officiers de liaison, équipes mixtes de surveillance et de contrôle des frontières.
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4.3. Le partenariat international
Soumise à une forte pression de flux migratoires, la Mauritanie est animée par la volonté de réguler l’immigration en coopération avec la communauté internationale. Pour ce faire, elle a adhéré à l’accord de partenariat ACP‐CE(84) qui soumet « la question des migrations à un dialogue approfondi dans le cadre du partenariat »(85). Elle est, par conséquent, partie prenante au dialogue sur l’immigration et s’est déjà distinguée par la conclusion d’un accord en matière migration avec le royaume d’Espagne(86) et l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la migration clandestine dont l’objectif principal est de décourager ce phénomène et qui se base notamment sur la coopération internationale en matière de lutte contre l’immigration clandestine.
Malgré ses prédispositions en matière de coopération dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine, la Mauritanie n’a pas encore bénéficié des mécanismes de l’accord ACP‐CE qui prône un dialogue approfondi en la matière. Seul le Royaume d’Espagne a pris des mesures susceptibles de contribuer à l’allégement du fardeau de la Mauritanie en matière d’immigration clandestine, l’Union européenne est encore en retard sur le plan de ses obligations. L’immigration clandestine pose des problèmes d’ordre stratégique d’une part pour la Mauritanie, qui est susceptible de devenir un pays de destination eu égard à ses potentialités économiques prometteuses et, d’autre part pour l’Europe, un enjeu politique et électoral de taille avec la montée des extrémismes de tout bord et la xénophobie ambiante contraires aux principes démocratiques et des droits de l’homme que le vieux continent prône. Cette perspective est doublée de la crainte que les accords de rapatriement ne soient une cause de détérioration des relations avec les Etats des clandestins rapatriés avec lesquels la Mauritanie a conclu des conventions d’établissement et de circulation des personnes et des biens notamment le Mali et le Sénégal.
La Mauritanie ne possède pas les infrastructures indispensables pour l’accueil, l’hébergement et le transport des immigrés clandestins refoulés. Les ressources humaines indispensables pour gérer les politiques d’immigration font également défaut et enfin, le cadre juridique relatif à la migration n’est pas adapté. Ces difficultés sont accentuées par la vétusté et l’insuffisance des moyens de surveillance des frontières dont une façade maritime très importante.
Pour parer à cette situation, les prescriptions de l’accord de Cotonou doivent être appliquées en appelant à un dialogue approfondi sur l’immigration entre les signataires dudit accord. La stratégie de lutte contre l’immigration clandestine requiert des moyens humains, matériels et financiers qu’il convient de solliciter auprès de l’Union Européenne, car elle est intéressée au premier chef par la lutte contre ce phénomène et a déjà contribué au renforcement des capacités de pays(87) confrontés à cette situation(88).
84 Accord entre d’un côté les Etats de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et ceux de l’Union Européenne de l’autre côté signé le 23 juin 2000 à Cotonou, capitale du Bénin. 85 Article 13 de l’Accord ACP‐CE. 86 Conclu le 1er juillet 2003, et intitulé « Accord entre le Royaume d’Espagne et la République Islamique de Mauritanie en matière de migration », il prévoit le rapatriement de tout clandestin pénétrant en Espagne en provenance des frontières mauritaniennes. 87Avec le Royaume du Maroc, l’Union Européenne a conclu un accord de lutte contre l’immigration clandestine. 88 Mehdi Lahlou, Migrations irrégulières transméditerranéennes et relations avec le Maroc ‐ Union Européenne, Migrations irrégulières : mesures, déterminants, conséquences et implications politiques, XXVe Congrès international de la population, Tours – France 18 / 23 Juillet 2005, p 7, note 7.
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La réaction contre le phénomène de l’immigration clandestine doit cependant s’inscrire dans une coopération internationale de longue durée. Pour ce faire, il est judicieux d’élaborer un plan d’action qui s’articulera autour :
‐ De l’augmentation des ressources destinées au développement ; ‐ De l’accélération des procédures de décaissement de l’aide aux pays d’origine des
immigrés ; ‐ Du programme de contrôle du territoire et des frontières ; ‐ Du démantèlement des réseaux et trafics illicites et ce dans le respect de la
souveraineté de la Mauritanie ; ‐ De l’institution d’un partenariat solide en la matière qui implique, avec la
Mauritanie, les pays d’origine et ceux de destination ; ‐ De la mise en place de mécanismes financiers appropriés pour lutter contre
l’immigration clandestine ; ‐ De la formation des ressources humaines pour pouvoir endiguer la migration
clandestine ; ‐ De la révision du cadre juridique pour l’adapter aux problèmes actuels ; ‐ De l’appui institutionnel et matériel aux opérations relatives à la lutte contre
l’immigration clandestine.
Ce plan pourrait profiter du programme «Sea Horse» lancé par l’Union Européenne inquiète de la montée en puissance des filières de l’immigration clandestine et dont la mise en œuvre a été confiée à l’Espagne(89). Il s’étalera sur trois ans et prévoit le lancement de patrouilles mixtes avec les gardes‐côtes mauritaniens et marocains. Par ailleurs, Fuerteventura accueillera aussi des officiers de liaison marocains et mauritaniens et les officiers directement concernés seront formés.
89 Dans ce cadre, le Ministre de l’Intérieur espagnol, José Antonio Alonso, a présenté à Madrid le projet « Sea Horse », destiné à « renforcer la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination » de l’immigration clandestine.
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5. Recommandations Compte tenu de l’analyse de la migration en Mauritanie, une gestion reposant sur les recommandations suivantes s’impose pour rationnaliser l’efficacité de l’action des pouvoirs publics : 5.1. Cadre normatif
Revisiter la législation relative à l’entrée et la circulation des étrangers en Mauritanie ; Elaborer un cadre législatif permettant de réguler la migration ; Intensifier la lutte contre les réseaux de passeurs des immigrés clandestins par
l’adoption d’une loi incriminant le trafic des migrants ; réviser le cadre juridique pour l’adapter aux problèmes actuels de la migration
5.2. Cadre politique
Réunir les moyens, administratifs, voire diplomatiques, susceptibles de contribuer au
contrôle de l’immigration irrégulière ; Créer une commission d’enquête sur l’immigration clandestine appelant à un débat de fond,
rationnel et dépassionné pour analyser et résoudre les problèmes graves qu’elle pose en faisant appel à toutes les ressources de la raison ;
Inscrire la lutte contre l’immigration irrégulière en Mauritanie dans le co‐développement, qui est une priorité annoncée par certains pays de destination de l’immigration ;
Appliquer les prescriptions de l’accord de Cotonou relatif au dialogue approfondi sur l’immigration ;
Demander l’accélération des procédures de décaissement de l’aide aux pays d’origine des immigrés, de transit et de destination comme la Mauritanie ;
Solliciter l’appui conséquent des partenaires au développement pour le contrôle du territoire et des frontières, le démantèlement des réseaux et trafics illicites et ce dans le respect de la souveraineté de la Mauritanie ;
Instituer un partenariat solide avec les pays d’origine et ceux de destination par la mise en place de mécanismes financiers permettant de fixer les potentiels migrants dans leur terroir pour lutter contre l’immigration clandestine ;
Favoriser l’aide au développement des pays sources d’immigration ; Introduire la gestion de la migration dans la politique de coopération de la Mauritanie avec
ses partenaires dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière. 5.3. Cadre institutionnel
Adapter rapidement les dotations que reçoivent les villes de Nouakchott et de Nouadhibou à
l’importance réelle de leur population ; Recueillir rapidement les données et les statistiques indispensables pour évaluer
l’immigration clandestine et cerner sa réalité ; Réunir les moyens humaines permettant de contrôler et d’organiser l’entrée et la circulation
des étrangers sur le territoire mauritanien ; Améliorer l’accueil physique des étrangers pour éviter qu’ils ne versent dans l’immigration
irrégulière ; Perfectionner la lutte contre la fraude documentaire et l’obtention des papiers d’état civil
mauritanien ;
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Recenser et vulgariser les moyens qui pourraient contribuer aux niveaux local, régional, national, continental et mondial au développement des pays d’origine de l’immigration ;
Faciliter l’accès du territoire mauritanien aux demandeurs d’asile ; Renforcer les capacités des services chargés de la surveillance et du contrôle de la migration
au niveau aérien, terrestre et maritime ; Réaliser l’accueil des migrants dans des conditions honorables préservant leur dignité ; Donner un signal fort pour la lutte contre l’immigration clandestine en créant un service de
police aux frontières autonome et clairement identifié ; Mutualiser les informations des parties engagées dans la lutte contre l’immigration
irrégulière pour dissuader les migrants et permettre à la société civile de jouer un rôle de d’information et de sensibilisation sur les méfaits de ce phénomène ;
Renforcer la lutte contre le travail clandestin par la mobilisation des services qui en sont chargés et la prise de mesures pour renforcer les sanctions applicables aux employeurs d’étrangers en situation irrégulière ;
Appliquer l’éloignement à tout étranger en situation irrégulière dés le constat de son cas ; Former des ressources humaines pour pouvoir endiguer le phénomène à travers une
coopération Nord Sud réunissant les financements (Nord), la formation (Sud) et les bénéficiaires (les migrants) ;
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- Ordonnance n° 91.022 du 20 juillet 1991 portant constitution de la République Islamique de
Mauritanie
- Loi n° 65.046du 23 février 1965 portant dispositions pénales relatives au régime de l’immigration
- Loi n° 2001‐052 du 19 juillet 2001 portant Code du Statut Personnel - Décret n° 64.169 du 15 décembre 1964 portant régime de l’immigration en Mauritanie
- Décret n° 65.110 du 8 juillet 1965 portant modification du paragraphe 3 de l’article du décret
n° 64.169 du 15 décembre 1964 portant régime de l’immigration en Mauritanie
- Décret n° 74.092 du 19 avril 1974 fixant les conditions d’emploi de la main d’œuvre étrangère et instituant le permis de travail
Federal Office for Migration FOM
Migration en Côte d’Ivoire :Document thématique 2009
Migration, emploi, pression foncière et cohésion sociale en Côte d’Ivoire
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