mythes contemporains - les vetements
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Mythes contemporains LES VÊTEMENTS
Visuel : Publicité Jil Sander Navy Automne 2011
Elodie MARTEAU - 4ème Année International Marketing 3
Les mythes -‐contemporains ou an2ques-‐ sont des récits collec2fs créés et partagés par les Hommes afin d’expliquer et comprendre des situa2ons qui les dépassent. Ces histoires, d’abord transmises de façon orale, proposent une démonstra2on d’un phénomène ainsi qu’une meilleure connaissance de nous-‐même. Contrairement à la tendance naturelle du monde à évoluer de l’ordre vers le désordre, le mythe emprunte le chemin inverse en proposant une restructura2on du chaos. Avec les mythes, les Hommes comprennent et apprennent.
L’usage des mythes et leur popularité varient en fonc2on des époques. Un même récit peut être dormant un temps puis devenir ac2f, et inversement. En revanche, quelques mythes ne nous quiIent jamais. Certains évoluent même sur nous puisque nous les portons quo2diennement. Les vêtements sont en effet des objets mythiques dont nous nous séparons que très rarement.
L’Homme est la seule espèce animale à naitre avec un corps qui ne soit pas doté de protec2on. Le philosophe français Jacques Lacan s’est intéressé au moment où l’être humain perd sa première ‘barrière’ naturelle. Selon lui, la naissance ne représente pas l’instant de sépara2on entre la mère et l’enfant mais celle de l’enfant et du placenta. L’Homme nait avec un cops nu.
Les êtres humains vivant en société se sont appropriés l’usage des vêtements, objets du quo2dien dont l’existence est parlante. Comme les mythes, les habits agissent en tant que parole et système sémiologique où la lecture de la forme amène au déchiffrement du signifié.
A par2r de ceIe observa2on, une seule et unique ques2on semble surgir naturellement :
POURQUOI PORTONS-NOUS DES VÊTEMENTS ?
Pour y répondre et traiter ce mythe sous tous ces aspects, il faudra d’abord comprendre la rela2on in2me que nous entretenons avec les vêtements, celle entre le corps humain et l’objet. Nous élargirons notre cadre d’étude en considérant la façon dont l’habit interagit avec la société. Enfin, nous nous recentrerons sur l’objet, le vêtement et ses pouvoirs intrinsèques.
En tant que créature ra2onnelle, si l’Homme porte des vêtements c’est qu’il y trouve une ou plusieurs fonc2ons qu’il s’est approprié.
Comme nous l’avons évoqué à l’instant, l’être humain qui nait quiIe le placenta et est exposé aux agressions du monde extérieur. La protec7on devient un besoin primaire pour assurer la survie de l’espèce humaine. CeIe fonc2on se retrouve dans l'étymologie du mot «vêtement» qui désigne dès le Xè siècle «tout ce qui sert à protéger le corps, à le couvrir». Les habits agissent dans ce cas comme une nouvelle couverture, un bouclier du corps humain en remplacement du placenta. Ils sont alors une seconde peau qui vient compléter notre corps, insuffisant. Ce rôle du vêtement n’est pas contemporain puisque déjà les Hommes primi2fs assuraient leur survie en portant les peaux des animaux tués.
S’ajoute à cela le besoin de pudeur que les êtres humains éprouvent afin de cacher toute connota2on sexuelle de leur corps. Il s’agit d’un concept la2n d’adop2on d’un comportement culturellement approprié et accepté. Une exposi2on du corps nu au public est synonyme d’une révéla2on sexuelle du corps. Grâce aux vêtements, le corps est sujet, et non objet. CeIe fonc2on n’est cependant pas universelle puisque certaines tribus d’Hommes modifient leur corps (scarifica2ons, tatouages, piercings) plutôt que de cacher leurs sexes.
De façon contradictoire, les vêtements cachent mais révèlent également en envoyant des messages sexuels. Ils ont en effet un pouvoir et une fonc2on de séduc7on. Freud parle de «la charge éro2que des vêtements» qui provient selon lui de la possibilité de sugges2on du pénis. Ce propos s’illustre tout à fait dans notre monde contemporain, notamment avec l’exemple de la cravate considérée comme un symbole de pouvoir de par sa forme phallique. Les vêtements répondent à la fois à un besoin de modes2e et d’exhibi2on : on exhibe le corps tout en le couvrant.
Les trois fonc2ons précédemment citées (protec2on, pudeur, séduc2on) répondent à des besoins anthropologiques puisqu’elles sont étroitement liées avec le corps humain. Une quatrième fonc2on se rapporte à la société et se rapproche de la significa2on étymologique du verbe «s’habiller», à savoir «se préparer, s’apprêter». Les vêtements délivrent des messages sur l’iden2té et la personnalité de leurs porteurs. Ils sont alors employés comme ou2l de communica7on visibles, agissant entre notre intériorité et la société qui nous entoure. Le corps est ainsi préparé, apprêté pour être révélé à la face du monde.
En soi, chaque être humain portant un vêtement reçoit sa prothèse d’iden7té pour se sen2r enfin soi. Le vêtement agit comme un prolongement du corps humain ainsi qu’une projec2on d’une intériorité. L’Homme nu apparait incomplet sans ceIe protec2on qui le cache, le révèle et le connecte à ses semblables.
La dernière fonc2on du vêtement que nous avons évoqué -‐l’habit comme ou2l de communica2on-‐ admet une connexion entre ce que nous portons et la société dans laquelle nous vivons. Notre iden2té est construite en par2e par notre environnement social et nos décisions adaptées en fonc2on. L’individu est ce qu’il est mais aussi ce que la société veut qu’il soit.
CeIe observa2on nous ramène à la significa2on du verbe «s’habiller» que nous avons déjà iden2fié -‐«se préparer, s’apprêter»-‐. Il parait évident que le fait de paraitre nu en public n’est pas un comportement adapté à notre vie en société. De plus, la nudité est l’illustra2on la plus parlante des racines animales de l’Homme. Le vêtement est ce qui nous permet de nous préparer pour la vie sociale, de façonner notre corps avant de le montrer en public. Il permet de répondre au besoin primaire social de tout individu vivant en vie collec2ve organisée. Ainsi, le vêtement agit comme une barrière entre un état de nature et la vie en communauté. L’anthropologiste Mary Douglas dis2ngue le corps physique apparenté à l’état de nature ini2al des êtres humains du corps social, transformé par la culture, la morale et les lois sociales. CeIe observa2on est reprise par Claude Lévi-‐Strauss qui 2tre Le cru et le cuit, l’un des volumes de sa série Mythologiques. Les vêtements par2cipent au façonnage du corps social ou corps cuit puisqu’ils sont portés selon les convenances sociales.
Ce besoin de paraitre ‘comme il faut’ en société provient de la nature dualiste des Hommes. D’un côté les êtres humains tendent vers l’uniformité dans un soucis d’adapta2on, et de l’autre ils aspirent à une individualité permeIant l’expression d’un soi unique. Ce contraste naturel se retrouve dans l’essence même de notre humanité : nous sommes biologiquement faits de caractères héréditaires, mais qui peuvent varier selon notre environnement. Ainsi, les vêtements deviennent l’objet d’un phénomène d’imita2on. L’Homme n’est sa2sfait qu’en étant (r)assuré de n’être pas seul, isolé dans ses ac2ons. D’ailleurs, un individu n’est autre qu’un élément d’un groupe. Le philosophe et sociologue allemand Georg Simmel s’est intéressé à ce phénomène d’imita2on dans son essai Fashion. Il a établi un système démontrant qu’une tendance est d’abord ini2ée par une élite. Dès lors que celle-‐ci est copiée par le plus grand nombre, l’élite l’abandonne et en crée une nouvelle. Ce processus de diffusion d’une façon de
faire dans la société parait assurer l’uniformité des êtres qui la cons2tue. Cependant, le principe d’imita2on est responsable d’une situa2on de ségréga2on puisqu’il y a une sépara2on entre les ini2ateurs et les imitateurs.
Dans notre monde contemporain la diffusion des tendances ves2mentaires ne suit pas forcément le schéma de Simmel. Il arrive maintenant qu’une tendance émerge des masses pour aIeindre les élites -‐par exemple, Michelle Obama qui apparait à des cérémonies officielles vêtue d’H&M-‐. Les convenances sociales, elles aussi, ne sont pas figées dans le temps puisque la société évolue. Les vêtements s’adaptent selon ces changements et con2nuent de refléter les Hommes de leurs époques. Ils portent même les messages des généra2ons qui se succèdent. Pour preuve, la dernière contre-‐culture en date, le mouvement Punk s’est illustrée à travers ses tenues ves2mentaires. Vivienne Westwood a d’ailleurs ouvert la bou2que Sex à Londres en 1974 afin de vendre des vêtements brisant tous les tabous sociaux. Les images pornographiques arborées sur les habits étaient un moyen d’aller contre la fausse modes2e de la société et le besoin d’imita2on des masses. Les tenues ves2mentaires fonc2onnent avec la société qui les porte comme une syntaxe. Les vêtements sont alors des éléments gorgés de sens social.
Il semble alors que les habits ont des sortes de pouvoirs (anthropologiques et sociaux) qui vont au-‐delà du caractère physique de l’objet. Les signaux qu’ils envoient sont en effet liés à une dimension symbolique et non à leur apparence physique. Ils agissent comme des enveloppes dont le contenu est façonné par l’Homme. En réalité les vêtements sont des fé7ches. Ce mot provenant du portugais fei7ço désigne des objets qui résultent d’une modifica2on spirituelle par l’Homme. CeIe no2on est liée à l'animisme qui croit en la présence d’esprits contrôlant notre environnement. Dans le cas du fé2chisme il s’agit de forces supérieures résidant dans les objets, comme les vêtements. CeIe croyance peut même aller au-‐delà et relever du totémisme. Des clans ou tribus d’Hommes se rassemblent alors autour d’un objet considéré comme totem, symbole du groupe. Les vêtements peuvent toucher du doigt ce rôle. Le sociologue Michel Maffesoli évoque une situa2on de néotribalisme pour décrire la société contemporaine. Les êtres humains se rassemblent naturellement en groupes partageant les mêmes valeurs pour former une version moderne de la tribu. Les habits des membres d’un clan sont naturellement coordonnés selon leurs croyances partagées. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la maison française de mode Kenzo vient de sor2r un parfum appelé Totem !
Pour comprendre l’u2lisa2on d’objets tels que les vêtements comme des fé2ches, rappelons-‐nous que l’être humain nait dans un état de servitude. C’est le cordon ombilicale dont il est dépendant qui lui apporte dans un premier temps toute sa vitalité. La sépara2on du bébé avec le cordon est vécue inconsciemment comme une véritable perte et crée une certaine anxiété face à la vie. Les Hommes se reposent naturellement sur les objets les plus proches, comme les vêtements, auxquels ils accordent une dimension supérieure.Les fé2ches permeIent ainsi une valorisa2on des individus grâce à la projec2on de valeurs. L’acte de s’habiller, de se couvrir de vêtements, répond à ceIe logique. Comme nous le savons, les talons hauts par exemple donnent de l’assurance aux femmes qui les portent : «Donnez à une femme les bonnes chaussures, et elle pourra conquérir le monde» disait Marylin Monroe, figure mythique du glamour féminin. Quant aux hommes, le port d’un costume leur procure un sen2ment de pouvoir.
Si les vêtements fonc2onnent comme des objets magiques, il ne faut pas perdre de vue qu’ils sont un mythes contemporains. Or, les récits mythiques ont pour but de dompter les peurs qui les ont inspirées. Alors les habits seraient aussi un moyen d’aller contre les peurs des époques. Le XXIè siècle a débuté dans la peur et le terrorisme, soit un sen2ment d’insécurité; l’anxiété de la vie n’a jamais été aussi grande. Plus que jamais les vêtements et les marques que nous portons sont des fé2ches. Ils n’ont pas de réelle valeur d’échange en soi mais plutôt des valeurs intrinsèques, qu’elles soient sociales ou individuelles. La qualité des habits ne se limite plus à leur matérialité et gagne en immatérialité en s’adaptant aux désirs du porteur. Pour preuve, intéressons-‐nous à une peur contemporaine grandissante. Dans un monde où la connexion est désormais sans fil (en référence à l’essai Le wifi d’Alain Mabanckou dans Les nouvelles mythologies), la solitude des êtres est le nouveau mal du siècle. Le vêtement de demain sera connecté, hyper-‐connecté même, pour contrer ceIe angoisse d’être seul. L’entreprise montante CuteCircuit développe ainsi des ‘technologies portables’ (wearable technologies) telle que la robe TwiIer, le sac miroir, les bornes pailletées, tous hyper-‐connectés et interac2fs.Bien sûre, les ac2vités du marke2ng moderne comme la publicité, le ‘branding’, le marke2ng émo2onnel, etc. sou2ennent ceIe nouvelle force des vêtements et change totalement notre rela2on à l’objet. Notre (sur)consomma2on se base de plus en plus sur le pouvoir que nous conférons aux fé2ches ves2mentaires.
Au même 2tre que L’Odyssée d’Ulysse, les contes pour enfants, les mythes grecs de créa2on ou encore la figure du super-‐héros, les vêtements sont de véritables mythes contemporains. Leur existence ne se limite pas à celle d’un objet sta2que et muet. Les fonc2ons et la dimension symbolique que nous leurs accordons leurs permeIent d’être ce qu’ils sont, au-‐delà de leurs caractéris2ques physiques.
Nous avons vu en effet que le port d’habits rempli un certain nombre de rôles primordiaux dans la vie de tout individu civilisé, à savoir une protec2on qui couvre, séduit et communique, un ou2l d’iden2fica2on à un groupe et de construc2on d’une iden2té, ainsi qu’un fé2che spirituel. CeIe liste d’u2lités tangibles et intangibles jus2fie notre adop2on du vêtement comme objet indispensable du quo2dien. C’est un mythe qui nous colle liIéralement à la peau et dont nous ne sommes pas prêts de nous séparer.
Les vêtements ne sont pas qu’un morceau de laine, de lin, de soie, de coton, d’acrylique, 2ssé, tricoté, coloré, imprimé, stylisé, industrialisé, exposé en rayon, affiché sur Internet, vendu, acheté, livré, stocké dans une armoire, porté, lavé, repassé, etc.Ils sont la matérialisa2on de ce que nous sommes incapables de faire nous-‐mêmes, puisqu’ils endossent un rôle maternel, protecteur, rassurant et viennent compléter notre existence physique. Les habits signifient donc la présence d’un Homme et donne un sens à son corps nu. S’habiller c’est rendre possible l’expérience de soi en façonnant une enveloppe corporelle d’origine animale pour se posi2onner à la place comme membre affirmé d’une société d’Hommes.
Je m’habille donc je suis.
Visuel : «Slime project» par le designer Bart Hess, célèbre pour son travail sur le corps humain et ses transformations. La matière noire et visqueuse créée par Bart Hess enveloppe le corps humain comme une deuxième peau.
Visuel : Défilé Rick Owens de 2015 où les mannequins hommes ont tous défilé avec leurs sexes visibles aux yeux du public
Visuel : Modèle de chaussures crée par Aoi Kotsuhiroi, artiste et créateur de mode spécialisé dans les accessoires autour du corps
REFERENCES
• Cours Sociology of the imaginary dispensé par Silvia Tolaro à l’école Polimoda Interna2onal Ins2tute de Florence en Juillet 2015
• Cours Les mythes contemporains dispensé par Olivier Jacquemond à l’école ESCE Interna2onal Business School de Paris en Sept/Oct 2015
• Essai L’Angoisse de Jacques Lacan extrait de l’ouvrage Le séminaire livre X
• Projet Slime et autres travaux du designer Bart Hess
• Essai The psychologie of clothes de John Flugel
• Livre Fashion theory de Malcom Barnard
• Collec2on Sphinx de Rick Owens Automne 2015
• Livre Purity and dangers de Mary Douglas
• Livre Natural Symbols de Mary Douglas
• Essai Le cru et le cuit de Claude Lévi-‐Strauss extrait de la série Mythologiques
• Essai Fashion de Georg Simmel
• Travaux du créateur de mode Aoi Kotsuhiroi
• Essai Primi7ve cultures de Edward BurneI Tylor
• Livre Fe7chism in fashion de Lidewij Edelkoort
• Livre Le temps des tribus de Michel Maffesoli
• Livre Mythologies de Roland Barthes
• Recueil d’essais Nouvelles Mythologies sous la direc2on de Jérome Garcin
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