never give up - eklablogekladata.com/.../f_s_gauthier_never_give_up.pdf · 2017-11-01 · 1 gaby je...
Post on 25-Jul-2020
3 Views
Preview:
TRANSCRIPT
NEVERGIVEUPTOME1-FINDYOU
Romance
F.S.GAUTHIER
NEVERGIVEUPTOME1-FINDYOU
Romance
ISBNformatpapier978-2-37447-329-1
ISBNnumérique:978-2-37447-328-4
Octobre2017-ImpriméenFrance
©Erato–Editions-Tousdroitsréservés
Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéintellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales
ÀmonmarietàCorinne,Àmonéditriceetsonéquipe
ÀKatjapoursacorrectionetsesconseilsEtàtoutesmeslectrices,
Mercipourvotresoutienindéfectible.
1
Gaby
Jesuisenretard,commed’habitude.J’enfilemavesteencuir,attrapemesclésetm’apprêteàquittermonpetitappartement,maislasonneriedemontéléphoneretentit.Jemedirigeàl’ouïepourmettrelamainsurmonportable,quiestposésurlereborddulavabo,etgrimacelorsquejeconstatel’indicatifdelaColombie.J’attendsetredoutececoupdefildepuisquej’aiprévenumonpaternel,ilya
trois mois de cela, de mon retour au pays. Il faut dire qu’il n’était guèreenthousiaste.J’expirebruyammentetdécroche.—Bonjour,père.— Mon jet est en route. Un de mes hommes passera te prendre à ton
appartementdemainmatinàseptheures.Je note qu’il est toujours aussi chaleureux et ne peux m’empêcher de
rétorquer:—Moi aussi, je vais bien. Je te remercie de t’en inquiéter. J’apprécie tout
l’amourquetumetsdanstespropos.Montonestsarcastique,maislesienclaquecommeunfouet.—Gabriela,jen’aipasdetempsàperdreenfutilités.J’aidesprojetsd’avenir
pourtoi,nousendiscuteronsàtonretour.—Dequellenaturesontces…Trop tard, ila raccroché. Je reportemonportabledevantmesyeuxet le fixe
avectoutleméprisdontjesuiscapable.—Connard.Iladesprojets?Çatombebien,moiaussi,JuanCarlosPérez!Jeveuxdes explications sur les circonstancesdudécèsdemamère et je les
obtiendrai,d’unefaçonoud’uneautre.Celafaitdix-sept longuesannéesque j’ysonge,que jemeremémorece jour
fatidique.Celanem’est guère compliqué puisque je souffre d’exaltation de lamémoire, plus communément connue sous le terme d’hypermnésie.Contrairement à ce que les gens pensent, ce n’est pas un don. Je souhaiteraispouvoiroubliercertainssouvenirsparfois.Monpère,siéprisdesafemme,n’apasverséuneseulelarmecejour-là.Quant
àmoi,ilm’aabandonnéecommeonleferaitavecunanimal,alorsquej’avaisàpeineseptans.Oh,ilaréglétouslesfraismédicauxnécessairesàmasanté,ainsique ce pensionnat que je détestais tant. Il a ouvert un compte à mon nomégalement, gérépar le directeurde l’école jusqu’àmes seize ans, sur lequel ilversait de l’argent tous les mois pour mes besoins vestimentaires. Mais monpaterneln’ajamaisprisdenouvellesdemoi,pasuncoupdefil,aucunevisite.Etlà,j’apprendsqu’ilpossèdesonpropreavion.Depuisquand?J’ai mon billet sur un vol commercial, il peut donc se mettre son jet bien
profonddans son troudeballe enguisede suppositoire si ça lui chante, je nemonteraipasàborddesonjouet.Undesessbirespasserameprendre?Jen’aipasbesoindechaperon,j’aivingt-quatreans,merde!IlsaitquejerésidesurParis,maisjeneluiaipascommuniquémonadresseet
ilnemel’apasdemandéenonplus.Preuvesupplémentaire,s’ilenfaut,detoutl’intérêtqu’ilmeporte.Pourmesseizeans,monamieColleenm’ainvitéeàpasserlesvacancesd’été
chezelle,àMarseille.C’estsonpèrequis’estchargéd’obtenirl’autorisationetlespapiersnécessairesauprèsdumien.Etlàencore,rien.C’estàsedemandersij’aiexistéunjouràsesyeux.Jenesuisjamaisretournéeàl’internat.J’aivécudeuxansàMarseille,puisj’ai
mislecapsurParis,lavillenataledemamère,sansjamaisfaireappelàquiquecesoit.Alors,ilpeutallersefairefoutreavecsesprojets!Jesorsdemonappartement, légèrement irritée.J’enfourchemaDucati rouge
vifetdémarrelemoteur.Cesonm’apaisequelquepeu.Iln’yaquedeuxchosesquiparviennentàmecalmer:lavitesseetlamusique.Mabécaneestloind’êtreneuve,maisc’estunmonstre.Je l’adore.Ilm’afallu troisannéesd’économiespourparveniràm’offrircebijoud’occasion.Willmelarachète,maisellevamemanquer.J’arrive aubar et rejoins lesgars, avec cinquanteminutesde retard.Ce soir,
nousjouonsdansunpubirlandaisprochedujardinduLuxembourg,commetouslesvendredis,depuisunan.J’airencontréWilletMattdans larue.Jemesuisarrêtéepourlesécouter,nousavonsparléunpeuet,lasemainesuivante,jelesaccompagnaisavecmonpropreinstrument.Willestguitariste,blond,yeuxbrunsetpluspetitquemoi.Pourtant,jenesuis
passigrandequeça:1,68m.Matt,lui,jouedusynthéportatif.Ilestbrun,desyeux marron rieurs et toujours de bonne humeur. Contrairement à eux, je necherche pas à vivre de la musique. Même s’ils prétendent que je pourrais
facilement percer dans ce domaine, c’est seulement un exutoire pourmoi, unmoyendem’évader.JetravailleàtempspartieldepuisdeuxansdansuneMECS,Maisond’Enfants
àCaractèreSocial.Certainsdirontquejesuismasochiste,c’estpeut-êtrelecas,maisjemesensutileauprèsdecesgosses.Jemevoiseneux,enquelquesorte.Jene suis pasquelqu’unqui s’attache aux autres, plusdepuisColleen.Ça faittrop mal quand les gens que vous aimez disparaissent ou trahissent votreconfianceeneux,commemonpère.Monamieestdécédéedansmesbras,d’uneoverdose.J’avaisàpeinedix-huit
ans.Encoreunchapitredemavieque j’aimeraispouvoireffacer.Onena faitdesbêtisesensemble, toutes lesdeux,mais jen’avaispascomprisàquelpointl’absence de ses parents et leur indifférence à son égard la faisait souffrir.Unpèreprisparsacarrière,unemèrequipassaitsontempsàcourird’uninstitutdebeauté à des boutiques de vêtements.Colleen nemanquait de rien, hormis del’affectiondessiens.C’estcequej’apporteàcesgamins,unpeuderéconfortetd’attention,dansla
mesuredemonpossible.Etilsmelerendentbien.J’avouequej’aitoutdemêmeeulecœurserréenleurfaisantmesadieuxcetaprès-midi.Pierre,unbambindesixans,aréussiàmefairemonterleslarmesauxyeux.Ils’estaccrochéàmoncou en pleurant et m’a suppliée de revenir. J’ai pouffé de rire lorsqu’il m’ademandé,suruntondereproche,quiallait leurjouerdelaguitaresi jen’étaisplus là. Ilsvontmemanquer.Vraiment.Mais j’aiunabcèsà crever,un rôle àjouer.J’aitoutsacrifiépourça.Je grimpe sur la petite scène et adresse un signe d’excuses aux gars quime
sourientbrièvement en retour. Je sorsmon instrumentde sahousse tandisqueMattbranditlalistedesmorceauxquenousdevonsjouer,maisjen’aipasbesoind’yjeteruncoupd’œil,jem’ensouvienstrèsbien.JememetsenplaceetécouteWillterminerHeathensdeTwentyOnePilots.Ce dernier lève deux doigts etme désigne. Ok. c’est àmoi d’interpréter les
deuxmorceauxsuivants. J’acquiesce tandisqu’il sesaisitde lapetitebouteilled’eau à côté de lui et avale une grande gorgée. Il la repose et s’approche dumicro.Jel’observe,fronçantlessourcils.— Une seconde d’attention, s’il vous plaît. Pour les habitués, je ne vous
présenteplusmacollèguequiaenfineul’amabilitédenousrejoindre.Pourlesautres,ouvrezbienvosoreilles,carelleaunevoixquevousneserezpasprêtsd’oublier.
Ilse tourneversmoiavecunsouriredecomplaisance.Abruti ! Il saitque jedétestememettreenavantdelasorte.Jelefusilleduregardetiléclatederireavantdemedéclarer:—C’estladernièrefoisquejepeuxt’asticoterunpeu.Demain,tuserasàdes
milliersdekilomètres,alorsjen’aipaspurésister!Jelèvelesyeuxauciel.Willestunvraimôme,parfois.—Ons’yremet?luidemandé-je.Ilopine.Jebaisselesyeuxsurmoninstrumentetfrappetroisfoislamesurede
monpiedavantdememettreàjouer.
2
Inconnu
J’entre dans le bar etmes tympans sont pris d’assaut par lamusique. Jemefaufile jusqu’au comptoir sans trop de mal, les personnes s’écartant sur monpassagedèsqueleursyeuxseposentsurmonvisage.Letypeinstalléàmadroitesetourneversmoi,m’observedeuxsecondes,se
lèveetdéguerpit.Ducoup,jem’assoissurletabouretqu’iloccupait.Lebarmanaunmomentd’hésitationavantdemedemandercequejedésireboire.—Votremeilleursinglemalt.Sansglace.Réponse sèche et froide, mais c’est ma nature et je la cultive depuis des
années,carcelam’esttrèsutiledansmonboulot.Je souris intérieurement tandis que le gars me sert, les mains légèrement
tremblantes.Riendansleslip,celui-là!J’attrapemaboissonetavaleunelonguegorgée.Monverreàlamain,jepivote
verslascènepourjeterunœilsurletypeaumicro.Ilnesedébrouillepastropmal,maismonregardesthappéparunesilhouettefémininequivaqueunpeuenretrait,nonloindelui.Ellesepenchepourextirperuneguitared’unétuiet là,maqueueseréveille.Oui,noussommesd’accord,elleaunculd’enfer!Jedétailleavecappréciationseslonguesjambesmouléesdanssonpantalonde
cuirnoiretremontesursonjolipostérieur.J’attendsqu’elleseredressepourvoirsilehautdesoncorpsestaussiprometteurquelebas.Pasdedoute,cettenanaestbandantedelatêteauxpieds.Elleporteunevestedecuirassezajustée.Sescheveux sont remontés sur l’arrière de son crâne et attachés en une sorte dechignonenpétard.J’adore.Bon,ceseraitbienqu’elleseretournepourquejepuissevoirlecôtéface.Siça
setrouve,elleestmyope,portedesculsdebouteillesurlenezetestédentée.Cedernierpointestpratiquepourunepetitepipeconventionnelle,mais j’apprécieun peu de douleur. Quoi ? Je suis tordu ? Je ne parle pas de me croquer labanane,nonplus!Lerectoestaussidélectablequeleverso.Savestes’ouvresuruncorsetdecuir
qui soutient ses seins généreux,marque la finesse de ses hanches, son ventreplat.Desmèchesbrunes,presquenoires, échappéesde sonchignon, encadrentsavamment son visage oblong à la peau halée. Mon regard s’attarde sur sa
bouche pulpeuse et des images de ses lèvres pleines autour de ma queueenvahissentmonesprit.Jefermelespaupièrespourmeressaisiretlaisselacolère,sentimentquineme
quittejamaisvéritablementdepuisquejesuisgamin,refairesurface.Jesaisquejen’aiaucunechancedebaiserunefemmecommeelle,nimêmeunequiseraitplus singulièred’ailleurs, il suffit devoirmes traits pour le comprendre.Maisbon,jepeuxtoujoursfantasmerenl’admirant.Jeportedenouveaumesyeuxsurelle,jeveuxsavoirdequellecouleursontles
siens,maiselleneleslèvejamaiscomplètementverslasalle.Son acolyte, à moins que ce ne soit son mec, fait une petite allocution au
micro. C’est prétentieux et ça ne semble pas lui plaire à elle non plus. Ils’approche pour lui dire je ne sais quoi et j’ai soudain envie de lui éclater latronche contre le mur, mais elle n’esquisse aucun geste tendre ou sourireaffectueux en retour. Peut-être n’est-elle pas avec lui, tout compte fait. Ellepivotefaceàlasalle,maissespaupièressontbaissées.—Ouvrelesyeux,bébé!grondé-je.Je suis surpris lorsqu’elle entameFirestonedeKygo et ce, sans se servir du
micro.Finalement,lepetitconàsescôtésaraison.Savoixestchaude,sexy,unpeurauqueetglissesurmapeaucommeducaramelfondu.Ellem’ensorcelleetmespoilssedressentlégèrementsurmesavant-bras.Jel’observe,impressionné.Je n’y connais rien en talent musical, mais elle, elle me subjugue. Je le suisencore plus, alors qu’elle passe au morceau suivant :Human de Rag’n BoneMan.Elleaducoffreet,vulacorpulencedel’interprèteoriginaldecetitre,jeme demande où elle va chercher autant de puissance alors qu’elle est assezmenue.Touteslespersonnessonttournéesverselle,enadmiration,maislabellen’atoujourspasrelevésespaupièresetsemblecommehabitéeparlamusique.Jeveuxvoirsesyeux,merde!Jequittemon tabouret, approchede la scène et fais signe auguitariste. Il se
penchelégèrementversmoi,sanscesserdejouer,etjeluisorslachoselaplussalacequimevientàl’esprit:—Quand elle aura terminé cemorceau, demande-lui si elle suce aussi bien
qu’ellechante.Dis-luibienquec’estdemapartsurtout.Ouais, je suis vraiment un salopard sur ce coup-là, mais je suis certain
d’obtenirlerésultatescomptéensuite.Ilcesse immédiatementdegratterson instrument,mecontempleavecmépris
ets’apprêteàm’envoyerpromener,maismonregardluiclouelebecetilrecule
même d’un pas. L’idée qu’il peut se la taper et pasmoi,me plonge dans unecolère noire. Je retourne à ma place, vide mon verre cul sec et attends, sansquitterlascènedesyeux.Leblondinetannonceunepausedecinqminutessitôtquelabruneterminesa
chanson.Ils’adresseàelleetmedésigned’unmouvementdetête.Saréactionest immédiate, elle braque ses prunelles tels des pistoletsmitrailleurs surmoidurantcinqsecondesetdétourneleregard.Jeluifaispeur.Jenepeuxlaquitterdesyeux,souslechoc,tandisqu’elles’entretientaveclesdeuxmusiciens.J’aidéjàvudesbillesd’unbleu turquoisevif comme les siennes, il y ahuit
ans,chezlesBlacks.Maisc’estimpossiblequecesoitlamêmegonzesse,n’est-cepas?Gaby, la fille de tous mes fantasmes. Elle avait seize ans et a débarqué de
Suisseavecsacopine,dont leprénomm’échappe.CettedernièrefricotaitavecPim’s,undesmotardsdugroupe.Jebossaisavecluisurlesbécanes.Gabymesaluaittouslesjours,maisjeluirépondaisparungrognementetprenaisgardeàluimasquermon visage. Chaque fois que je la sentais bouger dansmon dos,pour essayer d’entrevoir mes traits, je laissais tomber mes outils et allaism’enfermerdanslepetitbureaudugaragequiétaitpourvud’unevitresanstain.Jenevoulaispaslirelacrainteetencoremoinslerejetdanssesyeux,commejelevoyaissisouventdansceuxdesautresnanasquelesgarssetapaient.Combiendefoismesuis-jeastiqué lemancheen l’épiant,alorsqu’ellevenaitcollersonpetitnezcontrelafenêtredubureau?Unnombreincalculable.J’étais raide dingue de cette petite brunette aux courbes parfaites. Tout le
mondelesavait,saufelle.Etchaquefoisqu’undesgarsexprimaitlesouhaitneserait-ce que de s’approcher d’elle, je cognais commeun possédé.C’est de làquevientlesurnomqu’ilsm’avaientattribuéd’ailleurs:Démon.Voircettejeunefemmebrune,bienroulée,aveclesmêmesyeuxturquoise,me
rappelleGaby.Jemedemandesicettedernière,aveclesannées,ressembleraitàcelle qui se trouve non loin de moi, sur cette scène. Non, probablement pas.Pourtant,enl’observantbien…Tuprendstesrêvespourdesréalités,mec!Àmagrandesurprise,ellereportesonregardsurmoietnemelâchepas.Elle
sembledéterminée,maisàquoi,jen’ensaisrien.J’aimeraism’assurerquelateintedesesprunellesn’estpasdueàl’éclairagede
lasalle,maisellepassesoninstrumentausecondgarsquiledéposederrièresonsynthé.Elles’emparedumicrosansfiletm’adresseunclind’œilavantdemetournerledos.Merde,c’estbienlapremièrefoisqu’unefemmeagitdelasorteà
monégard.Est-cequejel’intéresse?Tuasvutagueule?Tudélires,là!Ellefrappetroisfoissontalonsurleplancher,entameS&MdeRihannaetfait
glissersavesteencuirsursesépaules,s’endéfait,unbrasaprèsl’autre,d’unefaçon si sensuelle que ma queue durcit d’un coup. J’ai à peine le tempsd’apercevoir l’aigle aux ailes déployées, dessiné à l’encre noire entre sesomoplates,qu’elle se retournesubitement. J’ai rêvéouc’est lemême tatouagequelemien?Elleplantesesprunellesdanslesmiennesetsedéhanchedoucement, touten
passantlesdoigtsdesamainlibresursapoitrine,puisleslaissedescendre,avecune lenteurcalculée,sur l’intérieurdesacuisse.Mabiteestaussidurequedumarbreetsursautelorsqu’àlafind’unephrase,ellerejettelentementsatêteenarrière,sortleboutdesalangueroseetlafait lentementglisserlelongdesonmicro,engémissant.—Bordeldemerde,soufflé-je.Toutlemondealesyeuxbraquéssurelle.—Ellechauffetoutelasalle,là!marmonné-je.Après tout, ils peuvent bien tous baver commedes escargots, son regard est
rivéaumien.Elledéfait lentement labouclede sa ceinture et sort celle-ci despassantsde
son pantalon d’un geste vif, tout en quittant la scène. Elle s’approche demoid’unedémarcheféline,sensuelle,aguichante,maissansêtrevulgaire.J’ai le souffle court et ma queue palpite de plus en plus fort. Je manque
exploser dans mon froc, alors qu’elle fait durement claquer l’extrémité de saceintureàcôtédemacuisse.Putain, jesuisbrutalquand jebaise,maispasaupointd’utiliserunfouetoudeschaînes,merde!A-t-elledespratiquessexuellesparticulières,ousonchoixdechansonest-iljustedélibérépourm’allumer?LemorceautoucheàsafinetelleenchaîneimmédiatementavecSexwithme
deRihanna.Jesuisausupplice.Cettefemmeestunedéessedelascivité.Elleseglisseentremesjambesetposesamainlibresurmacuisse.Uncourant
électriquepartdecepointdecontact,remontejusqu’àmonaineetfaitvibrermaqueue comme celle d’un serpent à sonnettes. Le bout de ses doigts parcourtlentementmonventre,montorse,moncou.Jenerespireplusetdéglutisàgrand-peine.Samainpasseensuitedansmescheveuxendésordre,enagrippeunepoignéeà
l’arrière demon crâne et tire dessus d’un petit coup brusque, ce qui me faitlégèrementreculerlatête.
Aucunefemmenem’a jamais touchécommeelles’yemploieetçam’excitecommeundingueautantqueçamefoutenrogne,carellemelaisseentrevoirceàquoijen’auraijamaisdroit.Ladiablessel’ignoreetpoursuitsadoucetorture.Elleplaquesesseinscontre
ma poitrine et frotte doucementmon entrejambe de son genou tandis que sesyeuxturquoiseflamboient.Cesontlesflammesdelavengeance.Monregardlafoudroieautantdedésirbrutquedecolèrenoire,maisçanela
déstabilisemême pas.Mesmains sont cramponnées au tabouret, mais j’ai deplusenplusdemalàmecontrôlerpournepaslaplaquercontrelecomptoiretlaprendrecommeunsauvage.Ellemelâcheets’écartetandisqueletitrearriveàsafin,puispivoteversle
barman.—SersunverreàmonsieurGlaçon,Brice,c’estpourmoi.Ellemefaitdenouveaufaceetmegratified’unlargesouriredecomplaisance.—Bonnenuit,Ice,susurre-t-elled’unevoixsexy,avantdetournerlestalons
souslesvivatsetcoupsdesiffletsdesautrespersonnesprésentesdanslebar.Jevaislatuer!Etlabaisercommeunfou!Bon,peut-êtrepasdanscetordre.
Maisbordel,sijequittemonsiègemaintenant,jesuiscertaindemarchercommeun cowboy tant mes couilles sont gonflées comme des melons et ma queuechargéecommeunfusilàpompeprêtàtirer.
3
Gaby
JerejoinsWilletMatt,fièredemoi,aprèslaleçonquejeviensdedonneràcetabruti. Lorsque je l’ai assassiné du regard, le sien m’a figé sur place et j’aidétourné les yeux. Mais, j’ai pensé que si j’arrivais à affronter ce type, j’yparviendrai certainement avec mon père, alors j’ai pris mon courage à deuxmains.Jemesuisserviedelui,commeuntest.Ilestgrand,unmètrequatre-vingt-dixenviron,bâticommeunrugbyman.Son
t-shirt moulant ne cache rien de la musculature de ses abdominaux et de sespectoraux, ma légère exploration de son corps par-dessus ses vêtements leconfirme.Cetypeesttoutenmuscle.Uncorpsparfaitqui,jedoisl’admettre,estloindeme laisser indifférente.Dèsque j’ai posémamain sur lui,monventres’estmis à faire des cabrioles et le désir s’est répandudansmes veines à unevitesse fulgurante. Le tatouage à la base de son cou, une chaîne brisée,m’intrigue.Quantàsonvisage…Iln’estpaslaid,sansêtreuntopmodelnonplus.Sonprofilgaucheestpourvu
de trois cicatrices inesthétiques qui courent du haut de sa tempe jusqu’à samâchoirevolontaire.L’unepasseàl’extrémitéextérieuredesonœiletluilaisselapaupière légèrementplisséede façonnaturelle.Mais leplus saisissant, c’estson regard.Ses yeux, d’unbleu très clair, presque translucide, vousglacent lesangparleurhostilité.Ice.Çam’estvenucommeuneévidence.Cetypeestaussifroidqu’unblocdeglace.Seulssescheveuxchâtainfoncé,parsemésdemèchesplusclaires,sontd’unedouceurincroyable.—Jeneteconnaissaispascommeça,lâcheMattalorsquejerangemaguitare
danssahousse.—Fautpasmechercher.—En tout cas, il semble très à l’étroit dans son pantalon. Il ne cesse de se
tortillersursontabouret.—Tantmieux.Jesouhaitemêmel’avoirsuffisammentexcitépourqu’ilsedéversedansson
futal. Il aurait l’air fin. Mais, je ne suis pas en meilleur état que lui, monentrecuisseesttrempé.Jesaisqu’ilm’observeavecunelueurmeurtrièredepuisquejeluiaitournéle
dos,carjeressenscommeunesortedecourantélectriquecontinuquipartdemanuqueets’étendjusqu’aucreuxdemesreins.—Onprendunverre,avantdepartir?demandeWill.Jeleregarde,dubitative.—Euh…—Dis-moicequetusouhaitesetjet’apportetonverreici.Je m’apprête à accepter et change d’avis immédiatement. Je n’ai fait que
rendrelamonnaiedesapièceàcemec,sijeluilaissevoirqu’ilmedéstabilise,iljubilera.Horsdequestion.Etpuis,noussommesdansunlieupublic,iln’oserapastenterquoiquecesoit.—Non,jeleprendsaucomptoiravecvous.—T’essûre?demandent-ilsenmêmetempsd’untonsceptique.Bonsang,ilsontvingt-sixansetcesontdeshommes,ouiounon?—Certaine.Jemeretourneetfocalisemonregardsurletypeblondquisetientunpeuplus
loinqueIce,aucomptoir.J’avanced’unpasassurémais,intérieurement,jen’enmènepaslarge,vulacarruredugars.Jem’accoudeaubar,dosàlui.MattmefaitfaceetWillseplacelégèrementenretraitànoscôtés,defaçonàcequenouspuissions converser. Les garçons commandent des bières, moi, je n’ai pas letempsd’ouvrirlabouche.—Servez-luidonclamêmechosequemoi.Voixtrèsrauque,basse,virile,autoritaire.Vraimenttrèssexy.Brices’activeavecunregardcraintif.Apparemment,Icefoutlatrouilleàtout
lemonde.JevoisMattécarquillerlesyeuxavantdesentirunlégersoufflechaudquicaressemoncoudélicieusementetfaitvibrermoncorps.Merde.—Soittuestrèsstupide,soittuasunesacréepairedecouilles.Rassure-moi,
tun’étaispasunmecavantdesubiruneopérationchirurgicalepourdevenirunefemme,n’est-cepas?murmure-t-ilàmonoreille.Jememordslalanguepournepasrire,maisnepeuxm’empêcherdesourire,
cequisurprendlesgarçons.—Peut-être.Vasavoir,réponds-jeàvoixhaute,maissansmeretourner.Bricedéposeunverreàmoitiéremplid’unliquideambrédevantmoietrecule
aussitôt.Oùsontdoncpassésleshommes?Lesvrais?Jemesaisisdelaboissonetl’avaled’untrait.L’alcoolmebrûlelagorge,mais
chassetoutecraintedemoncorps.LesgarsterminentleurbièreetMattesquisse
ungestedelatêteendirectiondelasortie.JedéposeunbilletsurlecomptoiretpivotefaceàmonsieurGlaçon.—Adieu,Ice.Jesorsetrejoinslesgarçonsdehors.—Onsevoitdemainàl’aéroport,commeconvenu?demandé-je.—Oui,Mattmeconduira.Pourhuitheures,c’estbiença?—Oui.Nousnoussaluons,puisj’enfourchemonbébéetrentrechezmoi.Jemedévêts,entredansladoucheetrepenseàcequej’aiaperçudanslesyeux
d’Ice.De la surprise,undésir intenseetde lacolère,maiscen’estpascequim’intrigue le plus. Non, c’est cette petite lueur d’espoir, très fugace, qui meperturbe.Maisquem’est-ilpasséparlatêtepouragirainsi?Gesteapaisantensigne de paix, comme pour enterrer la hache de guerre, ou au contraire,audacieux,pourmeprouverquej’enétaiscapable?Aucuneidée.Jesorsdeladoucheetmeplantedevantlemiroir.—Quelquechosenetournepasrondcheztoi,mafille,dis-jeàmonreflet.Jehausselesépaules,mesèche,brossemesdents,enfilemanuisetteetrejoins
monlit.Jedorstrèsmal.Jerêvedemamèreetmeréveilleensursaut,lecœurbattantàtoutrompre.Ilmefautbiendeuxheurespourretrouverlesommeiletmonespritdériveversunnouveausonge.Deux yeux bleu pâle, presque translucides, me fixent durement, puis me
contemplentavecespoiretdisparaissent.Unsoufflechaud,aussi légerqu’uneplume,court lentementsurmoncouenunecaresseexquise, trèsviteremplacépar des lèvres exigeantes quim’embrassent avec langueur.Une langue, d’unesensualitéextrême,melèchedelabasedemonoreilleàmanuque,provoquantde délicieux frissons. Elle descend le long dema colonne vertébrale jusqu’aucreuxdemesreins,allumantunfeudebroussequisepropageenmoi.Desdentsmordillentmesfesses,petitspincementsvifsàlalimiteentredouleuretplaisir.Desmainspuissantesparcourentmescourbesavecdouceuretdesdoigtshabilesroulent ensuite lapointedemes seins, tirent lentementdessus. Jegémis etmecambre. Ils poursuivent leur chemin le longdemon ventre, s’emparent demaféminité,agacentmonpointsensible.Moncorpss’électriseetsetenddeplaisirlorsqu’undoigtpénètreenmoi avec force. Il va-et-vient avec lenteur d’abord,puisplusrapidement.Monbassinondulepourl’accompagner,pouvoirlesentirplus loin.Ma respiration se saccade et mon ventre se contracte tandis qu’unincendiemeconsumedel’intérieur.Uneboucheaspiremonclitoris,lelape,le
suce,alorsqu’unseconddoigtrejointlepremieràl’intérieurdemoi.Mondoss’arqueetmatêteserenverseaumomentoùunevaguedeplaisirmesubmergeaveclaforced’unerivièreencrueetm’engloutit.Jem’éveilleencriant,alorsquelaclartédupetitmatininondelachambre.Je
m’assoisetbaisselesyeuxsurlamoiteurdemonentrejambe.Merde,c’estbienlapremière fois que çam’arrive.Maisbon,ça fait unmoment que je n’aipasutilisémonamiRocco,monvibromasseurrosebonbon.Ingénieuxetpratique,ilestdotédemultiplesvitessesdevibrations,unetêtetournanteetdeplus,onpeutleglisserdanssonsacàmains.Parcontre,jenesaispasàquoilesgenspensentquand ils fontévoluer leur invention.Dessextoysqui s’illuminentcommedesampoules,couleurauchoix.Manqueplusqu’ilfasseiPod,desfoisquel’envienousprennedecréerunediscothèquedansnotrevagin.Ilme faut bien cinqminutespourme ressaisir et comprendrequedes coups
insistantssontfrappéssurmaported’entrée.—Oui,oui,j’arrive.Paslapeinedevousexcitercommeça,marmonné-je.Jeme dirige jusqu’à la porte sansmême penser àme couvrir et ouvre cette
dernière.Jerestebouchebée,n’encroyantpasmesyeux,puisundésirprimairem’assaille,alorsquemonregardglissesurleslèvressensuellesdel’individu.
4
Ice
Cette nanam’impressionne de plus en plus.Elle ose s’installer au comptoir,dosàmoi,certes,maisputain,elleaducran!Je m’approche de son oreille et ma queue tressaille de nouveau. Elle sent
tellementbon,bordel!Unparfumsubtiletsucré.Jemedemandesisapeauestaussisavoureusequesonodeuretilmefautfaireappelàtoutleself-controldontjesuiscapablepourmeretenird’ygoûter.Je vois son pote, les yeux emplis d’effroi et ronds comme des soucoupes,
reculerd’unpas,commesi j’allais lebouffer, lui,plutôtqu’elle.Quellecouillemolle,celui-là!Jeregrettedenepasvoirsonvisagelorsquejeluidemandesiellen’étaitpas
unmecavantdesubiruneopérationchirurgicalepourdevenirunefemme,maisjesuissûrqu’ellesourit.Jecrèved’enviequ’ellemeregardedenouveau,mêmesi ce n’est que pour une poignée de secondes. Mais, elle ne me fera pas ceplaisir.Pourquoileferait-elle?Elle exauce ma prière muette juste avant de quitter le bar et me surprend
encore, en faisant le truc le plus inattendu qui soit. Ellem’adresse un souriresincèreetpasseledosdesesdoigtssurlapartiedemonvisageabîmé.Caressedouceetlégèrequimefaitressentirtantd’émotionsquej’aidumalàfaireletri.Jelaregardecommeuncon,lesoufflecoupé,alorsquemaqueues’agitedeplusbelle.Cettefemmemetue.Jelasuisdesyeuxjusqu’àcequ’ellefranchisseleseuilpuis,sansmêmem’en
rendrecompteavantquejen’atteignelaportedubar,jel’épieàtraverslavitre.Putain,j’aivingt-neufans,maisj’ail’impressiond’enavoirquinze,là!Jesuissoulagé lorsqu’ellesecontentededonneruncoupsur l’épauledeses
compagnonsenguisedesalut.Jesuispathétique.Vraiment.Je manque d’éjaculer dans mon calecif quand elle retire le bâtonnet qui
maintient son espèce de chignon en place, puis secoue sa longue crinière.Bordel, ses traits sont plus mûrs, mais elle lui ressemble beaucoup tout demême!Lacolèregrondeenmoialorsquejelavoisrécupéreruncasqueetgrimpersur
unegrossecylindréerougevif.Elleestfolle,ellevasetuersurunenginpareil!
Jesorsdubarentrombeaumomentoùelledémarresurleschapeauxderoue,maniesamachineavecdextéritéetdisparaîtdanslanuit.Bon,ellemaîtrise.Jesuisàlafoissurprisetrasséréné.Cependant,unequestionm’obsède.Jeretourneaubar,déterminéàobteniruneréponse.—Lachanteuse.Comments’appelle-t-elle?demandé-jeaubarman.—Euh…C’estque…Ilmegonfle,là!Jemepenchevivementsurlecomptoir,attrapel’encolurede
sa chemise dans mon poing et tire le bonhomme jusqu’à ce que nos nez setouchent.—Sonprénom,insisté-je,d’untonincisif.—Ga…Gaby.Bordeldemerde!Est-ilpossiblequecesoitlamême?MaGaby?—Sonnom?—Aucuneidée.Jelesecoueetilpanique.—Marchand!EllesenommeGabyMarchand.C’estelle,putain!Moncœuraunratéet touscessentimentsenfouisdepuis
desannées,remontentd’uncoupàlasurface.Jeregrette,encoreaujourd’hui,delui avoir cachémonvisageà l’époque. J’ai été lâche.Après tout, voir le rejetdanssonregardn’auraitajoutéqu’unepersonnedeplusàunelongueliste.Mais,jepensequecelam’auraitanéanti.Seulement,jenelesauraijamaissijen’essaiepas, n’est-ce pas ? Alors, là, maintenant, si j’ai, ne serait-ce qu’une infimechanced’apprendreàlaconnaîtreunpeu,jeveuxlasaisir.Jem’apprêteàposeruneénièmequestionaugars,maisjelevoisgrimaceret
émettre un geignement. Je relâche légèrementmon emprise sur sa chemise etaperçoisunedesesmainss’approcherdesonentrejambe.Ilesttraindesepisserdessus,cecouard!— Si tu ne souhaites pas également chier dans ton froc, file-moi
immédiatementsonadresse.— Personne ne sait où elle habite, pas même les deux musiciens qui
l’accompagnent.C’estlavérité.Elleesttrèssecrètecommefille.Toutcequ’onsait,c’estqu’ellevitdansleXIXearrondissement.Ilmedébite tout ça à une telle allure que je ne suis pas certain d’avoir tout
compris,saufl’essentiel.—Pourtant, tu la paies bien pour qu’elle se produise dans ton bar, avec les
papiersadéquats,non?—Non,ellerefuse.Jenerémunèrequelesdeuxgarçons.Elleditqu’ellejoue
pourleplaisir,paspourl’argent.Çanem’étonnepas. En plein hiver, àMarseille, non pas qu’il y faisait très
froid, je l’ai vu retirer son blouson et le donner à un sans-abri.Oui, çam’estarrivé de la suivre à moto. Bon d’accord, très souvent, mais j’étais morducommeunchienenrut.Ellemeplaisait,mêmesijen’aijamaisdiscutéavecelle.Peut-êtrel’aurais-jetrouvéetartesijel’avaisfait,maisputain!Cequ’elleétaitbandante!Ungrondements’échappedemeslèvresàcesouveniretlegarsreprend:—J’aiinsisté,maiselleneveutriensavoir.Nemefaitespasdemal,s’ilvous
plaît,geint-il.Jelerelâcheetilsoupiretelunballonquisedégonfle.Jedécided’enrajouter
une couche et le gratifie demon regard le plusmauvais, avant de rapprochervivementmonvisagedusien.—Bouh!Ilfaitunbonddedeuxmètresenarrière.J’aidéjàvudespleutres,maiscelui-là
battouslesrecords!Jerejoinsmonbolide,uneZZR1400,delamêmecouleurquecelledeGaby,
cequime fait sourire. Je sorsmonportable et active la fonctionGPS. J’ai unpied-à-terreenbanlieueparisienne,mais jeneconnaispas lavillepourautant.LorsquelacarteduXIXearrondissements’affiche,jerâle.—Merde,faitchier!Ellenepeutpasvivredansunendroitpluspetit!Jegrimpesurmabécaneengrimaçant.Mescouillessontaussiduresquedes
noixdecocoetj’aiàpeinedébandé.Impossible,tantquejepenseàelle.Jenelatrouveraiprobablementpas,maisj’auraipeut-êtreunpotdecocuentombantsursamoto.Arrivédanslesecteur,jesillonnetouteslesrues,maisaucunetraceduvéhicule
rougeet encoremoinsde sapropriétaire. Je rentre à l’hôtel,dépité, lesburnesprêtesàexploseretlaqueueenflammes.Jemebranle sous la douche pourme soulager,mais dès que je rejoinsmon
plumardetquejefermelesyeux,sonimagemehanteetmaqueueseredresseàmefairemal.—Faitchier,merde!Jenedorsriendelanuit,finisparm’effondrerd’épuisementverscinqheures
dumatin,pourêtretirédesbrasdeMorphéeuneheureplustardparlafonctionréveildemonportable.Autantdirequejesuisd’unehumeurdechien.Deplus,jedoisrécupérerunemorveuseetlaramenerenunseulmorceauchezsonpère.Commesij’avaisunegueuleàfairedubabysitting!Je me gare devant un vieil immeuble en briques dans une rue du XIXe
arrondissement,cequimefaitdenouveaupenseràelle.Bienévidemment,monservicetroispiècesréagitauquartdetour.J’appelleuntaxiet luicommuniquel’adresse.Ilsechargeradutransportdes
bagagesainsiquedelapetiteMariaPérez.Jenesaismêmepasàquoiressemblecette gosse ni son âge. Mais bon, vu le père, je l’imagine capricieuse etsuperficielle,cequin’améliorepasmonhumeur.J’entre dans l’immeuble et cherche le nom sur les boîtes aux lettres pour
prendre connaissance de l’étage. Je ne sais que penser lorsque mon cerveauintègrecequejelis:Pérez/Marchand1erétage.Merde,ceseraitunesacréecoïncidencetoutdemême,non?Jen’oseycroire
etpourtant,mes jambes s’élancent etgrimpent lesmarchesquatre àquatre. Jetambourinesurlaporteàlafairetrembler.Lorsqu’elles’ouvreenfin,jesuisàlafois auparadis et en enfer.Maqueuegonfle commeun tuyaud’arrosage souspressionprêtàexploser.Bordel,elleveutmecastrerouquoi?!Gabysetientlà,laboucheentrouverte,dansunenuisetteensatinrougeàfines
bretellesquiluiarriveàpeineàmi-cuissesetquinemasqueriendesestétonspointés vers moi. Ses cheveux sont en désordre, comme si elle venait des’envoyerenl’air.Elleferaitbanderuneunuque,nomdeDieu!Son regards’attardeun instant surmabouche,puiselle serre subitement ses
cuisses l’une contre l’autre et se mord doucement la lèvre inférieure. Monmissile se tend au maximum tandis que mes couilles se contractent, prêtes àenvoyerlasaucepourledécollage.Jem’agrippeavecforceàl’encadrementdelaporteengrognantpournepasluisauterdessus.—Désolée,sereprend-elle.J’étaisenpleinrêveérotiqueavecungrandviking
blond.Mes doigts serrent si fort le chambranle que le bois craque. Je vais lui en
donner du viking, moi ! Mon regard la harponne, mais la belle change deposture. Elle carre les épaules, redresse la tête, menton en avant. Une vraieguerrière.Etçameplaît.—Commentas-tueumonadresse?Tum’assuivie?demande-t-elled’unton
hargneux.
—Non.JesuislàpourescorterlapetiteMariaPérezauprèsdesonpère,maisj’avouequeterevoirestloindemedéplaire.Jem’attendsàuneréponsesarcastiquedesapart,maiscertainementpasàce
qu’elleme fusille de ses prunelles pleines de colère etme demande d’un tonvenimeux:—Etcommentmonpèrea-t-ilobtenumescoordonnées?Sonpère?Lesbrasm’entombent.Jecomptaisluiavouerquijesuis,maissi
elleestvraimentsafille,jenepeuxpasprendrecerisque.—TunepeuxpasêtreàlafoisMariaPérezetGabyMarchand.Sesyeuxturquoises’arrondissentdesurprise.—Commentsais-tuquejemefaisappelerGabyMarchand?Ohbébé,j’aimeraistellementtedirelavérité.—Lebarman.Donc,ilestimpossible…Jen’aipas le tempsde terminerma tiradequ’elle tourne les talonsd’unpas
exaspéré.J’entreetfermelaportederrièremoi.Maqueuefrétilleaumomentoùellesepencheenavantpourrécupérerunpasseportdanslapochedesavesteencuir.Ellel’ouvreetmelecollesouslenez.—MariaGabrielaPérez,lis-je,avecregret.Alors,pourquoiMarchand?—C’étaitlenomdemamère.Elle se tourne d’unmouvement vif et range son passeport,mais la lueur de
tristessedanssonregardnem’apaséchappé.J’aienviedelaréconforter,maisjenesaispascommentm’yprendre.Cogner,jesaisfaire,maisça...—Tesbagagessontprêts?demandé-jepourlasortirdesespensées.Ellesoupire,sesaisitd’unpapiersurlatableetpivote,l’airdéterminé.—Jenevoyageraipasavectoi,Ice,etencoremoinsàbordducoucoudemon
paternel.J’aiunvolcommercial.Contrairementàcequepensemonpère,jesuisune grande fille. Alors, tu peux repartir d’où tu viens et refermes la porte ensortant,ceseragentildetapart,dit-elle,brandissantsacarted’embarquement.La revoilà en mode combattante. Oh, ma belle, on peut me qualifier de
beaucoupdechoses,maiscertainementpasd’êtrecomplaisant.—Tonpèremepaiepourteramener,poupée,alorsvat’habilleretnediscute
pas.Je luiarrachesonpapelarddesmainset ledéchireenpetitsmorceauxqueje
balance par-dessus mon épaule. Son regard, d’abord incrédule, me lance deséclairs.Jem’attendsàunerépliquefoudroyante,maisellemesurprendencore:
— Bien. Je vais me vêtir. Si mon seigneur et maître veut bien avoirl’obligeancedepatienter.Jel’observe,suspicieux.Mêmesisontonestbelliqueux,jenel’imaginaispas
baisserlesarmessivite.J’ensuispresquedéçu.Ellem’adresseunlargesourire,s’emparedesavesteetd’untrousseaudeclés
surlatable.Ellesedirigeverslapiècequidoitluiservirdechambre,puisqu’unmatelas est installé à même le sol, et y pénètre. Elle repousse légèrement laporte,mais ne la fermepas. Je l’observe relever ses cheveux et les attacher àl’aided’unepince.Jedeviensfouquandellefaitsavammentglisserlesbretellesde sanuisette le longde sesbras, puis laisse lentementdescendre levêtementsoyeuxjusqu’àlachutedesesreinsoùjedécouvreunsecondtatouage.Je ne pense plus, je fonce droit sur elle avec ma queue qui bat comme un
tambour dans mon calebar. J’entame le dernier pas lorsqu’elle frappeviolemmentlaportedesontalonetjemelaprendsenpleinegueule.Elleafaillimepéterlenez,putain!—Jevaislatuer!grommelé-je.Jel’entendssebidonnerderrièrelaporte.Jenesaismêmepasoùjetrouvela
volontédenepasentrerpourlaplaquercontreunmuretlabaiseràfond.Puis,j’entends de l’eau couler. Super, je l’imagine complètement à poil sous ladouche,maintenant!Je tourne en rond au milieu de son appartement quasi vide, ce qui me
déconcerte,vulepaquetdepognonquesonpèredoitbrasser,etjerepenseàcequej’aivusursondos.Unephrasejolimentcalligraphiéeaucreuxdesesreins:«Aussibasquel’onsoit,onserelèvera.»Puis,cetatouageentresesomoplates,identiqueaumien,maiselleyaajoutéunnomjusteendessous:«Démon».Çameperturbeetmetoucheaupointd’enavoirmalaubidedepuisquejem’ensuisaperçu.Pourquoim’a-t-ellegravésursapeau?Cette nana me plaisait déjà par le passé, mais cette femme, aujourd’hui,
m’attirecommeunaimant.Inutilederêver,elleneserajamaisàmoi,mêmepaspouruncoupvitefait.Etpuis,mêmesielleledésirait,cequineserajamais lecas vu ma tronche, son père a d’autres desseins pour elle. Mais putain,l’imaginer dans les bras de ce vicelard de Manuel, me fait grave chier,maintenant!Bon,qu’est-cequ’ellefout?Çafaitbienquinzeminutesquel’eaucoule,elle
vaenavoirencorepourcombiendetemps?J’enaimarred’attendre!—Tuasbientôtterminé?crié-jeàtraverslaporte.
Aucuneréponse.J’entredanslachambreetlà,j’aiunmauvaispressentiment.Placardvide,plusdedrapsur lematelas,fenêtrebéante.J’ouvre laportedelasalledebainsàlavolée.L’eaus’écouletoujoursdeladouche,maisplusdebellebrune.Jeviensdemefaireavoircommeunbleu!Je sorsen trombede l’appartementenclaquant laportederrièremoi.Rienà
foutre s’il est vandalisé ! Je dévale lesmarches et entends le bruit dumoteurd’une bécane. Je sors de l’immeuble aumomentmême où sa tête pivote versmoi.Unsacdesportnoirestarriméàl’arrièredesonengin,laguitaresurledosdelabelle.Ellem’adresseundoigtd’honneur,baissesavisièreetmetlesgaz,alorsquejenesuisplusqu’àdeuxpasd’elle.Cettenanameplaîtdeplusenplusetjesouriscommeunidiot.Siellepense
m’avoirberné,ellesetrompe.J’aieuletempsd’apercevoirlenomdel’aéroportsur le papier avant de le déchiqueter et elle va payer pour ce qu’elle vient defaire.
5
Gaby
J’aitrompélegorilledemonpèreavecunefacilitédéconcertante.Passerparlafenêtreaétéunjeud’enfant.Jepratiqueleparkourdepuisquatreans,disciplineextrêmementphysiquequiconsisteàtransformerdesélémentsdumilieuurbainoururalenobstacleàfranchir.Lesgensconnaissentpeucetartdudéplacement,hormisàtraverslefilmYamakasid’ArielZeitoun.Jemetsmoinsdevingtminutespourparveniràdestination.WilletMattsont
déjàgaréssurleparking.Jem’arrêteauniveauducoffredelapetiteCliovertpommeetcoupelemoteur.Jedescendsdemamoto,retiremoncasqueetdéfaislasanglequimaintientmonbagage.—Bonjour,Gaby,mesaluent-ils.—Salut,lesgars.—Pastroptristedemelaissertonbijou?Si,maisjen’aipaslechoix.
—Jenepensepasquelacompagnieaérienneaccepteunexcédentdebagagesdelasorte.Jesorslespapiersliésàlavente,lessigneetlesluitends.Willm’adéjàréglé
lemontantcorrespondantque j’ai reverséàuneassociationcaritative.Làoù jevais,jen’aibesoinderien,hormisunebonnedosedecourage.Manuquesemetsubitementàmepicoter.Jemeretourne,maisneremarque
rienquim’inquiète.Etpuis,nonseulementParisdisposedetroisaéroports,maisj’aivuletaxiquiattendaitdevantl’immeuble.Impossiblepourcedernierdemesuivredanslesembouteillages.JelaissemoncasqueàWill,ilenferabiencequ’ilvoudra,etfaismesadieux
auxgarçons,sanseffusionniaucunregret.J’attrapelapoignéedemonsacetmedirigevers lebâtimentsansmeretourner,unebouled’appréhensionauventre.J’attendscejourdepuissilongtemps,maissuis-jeréellementprête?Netelaissepassubmergerpartesémotions,Gaby.Tupeuxyarriver.
Jenecomptepluslenombredefoisoùj’aientenducetterengaineaucoursdecessixdernièresannées,maislaprononcernem’aidepasvraiment.Je réimprime mon billet et rejoins la file d’attente pour enregistrer mes
bagages.Jemeremémorel’expressiondeIcelorsquej’aidémarrésoussonnez
puis, je perçois, du coin de l’œil, une forme massive débouler comme unbulldozer.J’aiàpeineletempsdepivoterqu’unemainpuissanteseplaquesurmes fesses tandis que l’autre agrippe mes cheveux à l’arrière de mon crâne.J’ouvre la bouche pour crier, mais Ice me déstabilise totalement quand il medéclare:—Nem’abandonnepas, bébé, jenepeuxpasvivre sans toi !Cette femme,
c’étaituneerreur.Pardonne-moi,monamour!J’éclate de rire, puis ses lèvres s’abattent sur les miennes. Elles sont
exigeantes,chaudes,douces,sensuelleset,àmagrandesurprise,fontvolerdespapillons dansmon abdomen et apaisentmon stress.Alors, quand une langueaudacieuse vient caresser lamienne, je ferme les yeux et lui réponds sansmefaireprier.Icemetfinànotrebaiseretmecontemple,cherchantàlirejenesaisquoidans
mesyeux.Necomprenantpaspourquoicecontactbuccalm’atantpluetvoulantm’assurerquejen’aipasimaginéceconstat,jeposemesmainssursesjouesetpars à l’assaut de sa bouche, ce qui le surprend brièvement. C’est si doux etagréable quemes lèvres semettent à bouger lentement contre les siennes. Laboule d’angoisse dans mon ventre disparaît, laissant place à une délicieusechaleur.Jepratiquelesexesanslendemain,mêmesijen’airienfaitdepuisdeuxans,
maisjen’embrassepas.Jamais.C’estmarègle.Jetrouvequec’esttropintimeetneveuxpasprendrelerisquederessentirlamoindretendressepourquiquecesoit. Mais là, je clos mes paupières et me délecte de toutes les sensationsmerveilleusesquemeprocurecesimplebaiser.Ice me presse plus fort contre lui, plaquant ainsi mon ventre contre la
protubérancedesonjean.Ilsedéchaînesurmeslèvres,moncou,memordillelelobe de l’oreille, propageant toute cette tiédeur dans mon corps jusqu’à monclitoris qui se met à pulser. Je lui réponds avec la même ardeur, mes mainss’aventurantdanssacheveluresisoyeuse.—J’aitellementenviedetoi,bébé,murmure-t-ildesavoixrauque,avantde
reprendrepossessiondemabouche.Nos langues se cherchent, s’enroulent, se lèchent et se caressent. Ice me
soulève de samain plaquée surmon postérieur et je passe naturellement mesjambesautourdesataille,oublianttoutautourdemoi.Lachaleursetransformeenbrasier lorsqu’ilme fait légèrementmonter et descendre contre lui, frottantainsisavergedurecommedel’acier,surlacouturedemonpantalon.Monpoint
sensiblesemetàpalpiterplusfort.Jegémis,Icegronde.Je perds la raison, alors quemes lèvres se détachent des siennes, partent en
explorationlelongdesamâchoire,soncou.Jefrotteplusviteetplusfortmonentrejambesurcettebossesisolide,maiscen’estpassuffisant,j’aibesoindelasentir en moi, qu’elle me remplisse. J’ai déjà éprouvé du désir, mais ça n’ajamaisétéaussipuissantqu’encetinstant.—Baise-moi,soufflé-je.Samains’agrippeplusfortàmescheveuxetseslèvresreprennentviolemment
possessiondesmiennes.Ilsebaisseetseredresseaussitôt,puism’emportejenesais oùd’unpas rapide. Ilmedépose au sol, dans la cabinedes toilettes pourhandicapés,avantdefermeràclé,sansquejamaisnoslèvresnesequittent.Jecroisquenousensommesincapables,animésd’undésirbrut,primitif.Samainquittemachevelureetjelasenstirersurl’étuidemaguitare.Jedéfais
lecrochetde la sanglesurmapoitrineet lepoidsdemon instrumentdisparaîtimmédiatement. Nos lèvres se séparent et Ice recule légèrement, son regardplongé dans le mien, tout en défaisant les boutons de son jean. Ses yeuxflamboient d’un désir ardent, ce qui décuple le mien et je suis brièvementsurprisedeneplusyvoircettehostilité.J’ail’impressionfugacedejoueràShifumialorsquenousplongeonsunemain
danslapochearrièredenospantalonsetenressortonschacununétuiargenté,cequinousfaitsourire.Sonexpressionrieusechangeradicalementsestraits.Ilestbeau. Ses cicatrices ne me rebutent pas, elles accentuent seulement son airdangereux lorsqu’il a ce regard antipathique, mais là, ce n’est pas le cas. Jepenseavecregretqu’ildevaitêtremagnifiqueavantderécoltercesmarques.Jeretireprécipitammentmesboots,monpantalonetmonstring trempé.Mes
yeux se rivent sur sa verge longue et épaisse, alors qu’il la recouvre dupréservatif. J’humectemes lèvres avec gourmandise, ce qui le fait gronder. Jen’aipasletempsdemepenchersursonmembrequ’ilmeplaquebrusquementcontrelacloison,passeunemainderrièrematête,l’autreàl’arrièredemacuissedénudée. Il soulèvema jambequ’il dépose contre sahanche et positionne sonsexeàl’oréedumien.—Nememénagepas,Ice,soufflé-je,agrippantsesépaules.Il tiredoucement surmes cheveuxpour redressermonvisagevers le sien et
s’emparedemeslèvrestelunassoiffé.Saboucheglissejusqu’àlabasedemonoreille,descendsurmoncou, l’embrasse, le lèche. Jebrûleetn’aspirequ’àcequ’ilapaisecesflammesquimedévorentdel’intérieur.
—Prends-moi…Ice,dis-je,pantelante.Il plonge son regard affamé dans lemien etme pénètre d’un coup de reins
violent.Jerejettematêteenarrièreencrianttandisquemesyeuxseferment.Ilseretirelentement,puisreplongeenmoiavecvigueur.—Ohbordel,oui!m’écrié-je.Ce ballet se répète encore trois fois, puis Ice augmente le rythme de ses
puissantscoupsdereins,attisantl’incendieenmoi.—Putain…Gaby…C’esttropbon,bébé.Ilva-et-vientàunecadencedeplusenpluseffrénéeetlacloisontremblesous
chacundesesmartèlementsenmoi.Sesdentsmepincentaucreuxducou,alorsquemesonglesgriffent ses pectorauxpar-dessus son t-shirt.Nousne sommesplusquebouches,languesentremêlées,halètements,grognementsetcris.Lefeurugitdansmoncorps, seconcentreaucreuxdemes reinset sediffuse jusqu’àmanuque.Toutesmesterminaisonsnerveusessetendentàl’extrême.—Jevais…OhmonDieu,Ice,ouiiiiiii!hurlé-je.Il me donne un dernier coup de boutoir brutal, rejette sa tête en arrière et
exploseàsontourdansunfeulementbestial.
6
Ice
La meilleure baise de toute ma vie et je ne pense qu’à recommencer ! Parcontre,desoncôté, j’endoute.Pasunmotdepuisquenoussommessortisdestoilettes.Ellemesuitsansrechigner,maissembleperduedanssespensées.Nulbesoind’êtredevinpourencomprendrelateneur.Jen’osepasaborderlesujet,decraintequ’ellemerejetteetjerefused’entendrecesmots.Unvraigamin.Noussommespresquearrivésaupieddu jetdesonpèrequandelleouvre la
bouche.—Jolisuppositoire,lâche-t-elle,avecmépris.Je l’observe, surpris, me demandant ce qu’elle peut bien reprocher à cet
appareil.Nousgrimponsàbordetellesaluelespilotesenespagnol,quieux,lareluquentavec lubricité. Je les fusilledu regard, ilsdégagentaussisecdans lecockpitetrefermentderrièreeux.Gaby paraît écœurée par le luxe à l’intérieur. Son vieux ne se refuse rien.
Moquettebouclettedans les tonsgrisclair, sièges inclinablesergonomiquesencuirblanc, cabinetde toilettes et salledebainsgrand luxe, ainsi qu’unepetitecuisine design qui permet de réchauffer des plats préparés, petit frigo et barintégrés.—Mmmm…Jeparieque lescueilleursdecaféontàpeinedequoibouffer,
grommelle-t-elle.Là,ellen’apasvraimenttort.Elleprendplacesurl’undessiègestandisqueje
rangenosaffairesdans le compartiment àbagagesqui est accessible envol etm’installeenfaced’elle.Elleregardeàtraverslehublotetsemblesongeuse.Jel’observe un long moment, sans rien dire. L’avion commence à rouler et ellefermelesyeux.—Donne-moilaforce,maman,murmure-t-elle,alorsquenousdécollons.Vusoncomportementdepuistoutàl’heure,jecomprendsqu’ellen’adhèrepas
au train de vie de son père, mais là, elle m’intrigue. La simplicité del’aménagementintérieurdesonappartementmerevientàl’esprit.—Tuaslaissétonlogementouvert.Tunecrainspasqu’ilsoitsquatté?Ellericaneetplantesonregarddanslemien.
—J’ailaissélesclésaugardienavantdepartir.Ah,lefameuxtrousseausurlatable.Rusédesapart.Nosregardsrestentrivésl’unàl’autrependantuntempsinterminable,puisle
siencommenceàdériverlentementsurmontorse.Elleledétailleavecinsistanceetquandellesemordillelalèvre,maqueuesedressecommeunressort.Jedéfaismaceinturedesécurité,quittemonfauteuill’airderien,etmedirige
vers la salle de bains. J’entre et retire mon blouson ainsi que mon t-shirt. Jesouris quand, à travers le miroir, je constate que ses ongles ont laissé desmarquesdegriffuressurmapeau.Ouais,c’étaitexplosif.Jerenfilemoncuirpourqu’ellenepuissepasdistinguermontatouagedorsalet
laissemonvêtementouvert àdessein.Si elleveutmater, surtoutqu’ellene seprive pas ! J’espère que ça l’incitera à remettre le couvert parce que passerquasimentonzeheuresdevol,avecelleàproximité,sans la toucher,meparaîttotalement impossible. Je vais devenir fou. Je ne pense qu’à caresser sa peau,tétersesnichonsetgoûterlasaveurdesachattebrûlantedepuisquenousavonsquittél’aéroport.Je ressorset, lapremièrechoseque jevois,cesont ses longues jambesnues
galbéesetathlétiques.Elles’estchangéeetmetourneledos.Elleporteunerobelégère qui lui arrive au-dessus du creux des genoux. Mes yeux se portentimmédiatementsursonculquandellesepenchepourextirpersoninstrumentducompartiment à bagages. Des images obscènes de mes doigts profondémentancrés dans ses hanches et de ma queue la fourrant à fond par-derrièreenvahissentmonesprit.Jesoupiredefrustration,retourneàmaplaceetfermelesyeux.Jelesrouvreet
redressemonbuste,cequiécartepluslargementlespansdemoncuir,alorsquej’entendslespremièresnotesdeGlitterAndGolddeBarnsCourtney.Commelaveille,sespaupièressontbaisséesetsonpiednubatlamesure.Elle
semblevraimentailleurs lorsqu’elle joueet jemedemandesi lamusiquen’estpasunrefugepourelle.— Depuis quand chantes-tu ? demandé-je une fois qu’elle a terminé son
morceau.Son regard se voile de tristesse avant de se perdre de nouveau à travers le
hublot. Je ressens un pincement au cœur, pourtant, d’ordinaire, je ne suis pasquelqu’unquiselaisseattendrir.Elle reste un long moment silencieuse, puis murmure d’une voix à peine
audible:
— Depuis que j’ai intégré l’internat en Suisse, à sept ans. Ma mère memanquait terriblement,alors jemesuismiseà fredonner lescomptinesqu’ellemechantait.Çamedonnaitl’impressionqu’elleétaitavecmoi,mêmesielleneleseraitjamaisplus.Jesuischoqué.—Pourquoitonpèret’a-t-ilenvoyéeàl’étrangersijeune?Satêtepivoteversmoietsesyeuxemplisdecolèrememitraillent.Ohbébé,
ça,c’estunsentimentquejeconnaistrèsbien.—Tutravaillespourlui,doncjesupposequ’ilt’ena…Sonacrimonies’amenuisejusqu’às’éteindrecomplètementdèsquesonregard
glisse surmon torsedénudé. Intéressant.Elle lorgnemon corps avecune telleaviditéquemoncornetàdeuxboules ressusciteaussitôt. J’ai l’impressionqueson inspection dure une éternité et commence à m’impatienter. Allez, bébé,saute-moidessus!Je fais doucement rouler lesmuscles demes pectoraux etma queue se tend
encoreplus lorsqu’elleentrouvrelégèrement laboucheetpasse lapointedesalangue sur sa lèvre inférieure. Puis, elle ferme subitement les yeux. Ah non,merde!—Ilfautqu’onparle,Ice,annonce-t-elled’untongrave.Putain,non!Jesaiscequivasortirdesaboucheetjeneveuxpasl’entendre.
La colèreme submerge comme une traînée de poudre. Je closmes paupières,refusantdevoirsonairdésoléoudurejetdanssonregard.—Inutiledemefairetoutundiscourssurtesremordsparrapportàcequis’est
passéplustôt!dis-jed’untoncinglant.—Hé!C’estquoitonproblème,ducon?!Etouvrelesyeuxquandjeteparle!Jem’exécuteetsuissurprisdelatrouverdebout,devantmoi,lesmainssurles
hanches,exaspérée.Elleest encoreplusbandantequandelleest furieuseet çam’excitecommeunmalade.—C’esttoi,monsouci.Jesuisatteintdepriapismedepuishiersoir.Tumates
mon corps comme si tu allais me bouffer et au lieu de te ruer sur moi, tum’annoncesqu’ondoitdiscuter!Rienàfoutresituéprouvesdesregrets!râlé-je.—Oh, et parcequemonsieur est frustré, c’est une raisonpourm’agresser ?
J’aiadoréchaqueinstantàl’aéroport,maistuétaismoinsconetbeaucoupplusattrayantdanslestoilettes!
Jemeredressed’unbondetlatoisedetoutemahauteur,furibond.— Tu m’as trouvé attirant ? Tu te fous de moi, là ?! Je suis couturé de
cicatriceshideuses!Tucroisquejenesaispasàquelpointjesuisrepoussant?Mêmelesputainslesplusvieillesetlesplusmochesdanslesbordelsmalfamésneveulentpasdemoi!Tusaiscequeçafaitd’êtrerejetésansarrêtdepuis taplustendreenfance?!Ellereculed’unpas.Jenesaissi jeluifaispeurousielleestchoquée,mais
elleredresselementonetréplique:— Je ne sais pas ce que tu as vécu, mais je n’en suis certainement pas
responsable!Alors,cessedeteregarderlenombril,prendstescouillesenmainset remets-toienquestion!C’est toiseulqui repousse lesgensavec tonregardhostile et ton agressivité, ce n’est pas lesmarques sur ton visage ! J’allais teproposerunaccord,malgrémonprincipedenejamaiscoucherdeuxfoisaveclemêmehomme.Jet’aitrouvéséduisantquandtum’assouriàl’aéroport,maispaslà!crie-t-elle.Hein ? Quel accord ? Je me prends la plus grosse claque de ma vie rien
qu’avecsesmots,maischaque foisqu’elle inspirepourmedébiterunephraseassassine,sapoitrineremonteetmefaitdesappelsdephare.Etmoi,commejesuiscomplètementmabouletquemoncerveausetrouvedansmoncalecif,jeluidemanded’untoninnocent:—Onpeutbaiser,maintenant?Ellelèvelesyeuxauciel,incrédule,avantdetournerlestalonsetlâche:—Vachier,Ice!Je la regarde fouiller rageusement dans son sac, tout en analysant ce qu’elle
vientdemedire.Ellevoulaitmeproposeruneentente sexuelle?Putain,maisquelconjesuis!Puis-jerattraperlecoup?Jenesaispascommentm’yprendreavecune femme,etpourcause,aucune
n’ajamaisvouludemoi.Mêmemamèrem’aabandonnéquandj’avaiscinqans.Jem’approchedoucementderrièreelle.—Pardon,dis-je,penaud.Je n’en reviens pas moi-même de ce que je viens de dire. Qu’est-ce qu’il
m’arrive?Jamaisjenem’excusepourquoiquecesoit!Elleseredresseetpivotefaceàmoi,déconcertée.—Excuses acceptées,mais je ne ferai rien avec toi, Ice. Pas aujourd’hui en
toutcas.
Mouais,mais cela signifie-t-il qu’il y aura une prochaine fois ou est-ce unemanièrepoliedemerepousserendouceur?—Quand,alors?Ellehausselesépaulestoutenm’adressantunsourirenarquois.—Unefoisquejeseraiàcoursdepiles,jesuppose.Monregardglissesurl’objetrosequ’elletiententresesmains.Ahnon,pasde
zizienplastique!Jenesaispasquiestl’abrutiquiainventécestrucs,maisilauraitmieuxfaitdesecasserunejambe!—Confisqué,dis-je,luiarrachantlesextoydesmains.—Hé,rends-moiça!s’écrie-t-elle,alorsquejepivotesurmoi-même.Jemedirigeverslasalledebainsetdécidedeprendreunedouchefroidepour
domptermesardeurs.Jeposemesmainssurlaparoi,baisselatêtepourlaisserl’eaucoulersurmanuqueetmeremémoresespropos.Personnenem’ajamaissuggérédemeremettreenquestionavantelle.PourMarcus, lechefduclandesBlacks,devenirunhommeconsistait,entre
autres,àêtreplusdurmentalement,savoirmanierunearmeetseservirdesespoings. Je ne suis jamais devenu un véritable membre des Blacks, quiaujourd’hui n’existent plus et qui étaient considérés comme faisant partie ducrimeorganisé.Monfrère,oui,etçaluiacoûtélavie,sixmoisaprèsl’arrivéedeGaby.Çaaétél’élémentdéclencheurdemondépartpourlacapitale.J’aigrandidanslaviolenceetçanem’ajamaisvraimentplu.Pour mon employeur, avoir fréquenté un gang et paraîtreméchant sont un
atout.Mon boulot actuel, même si je suis toujours entouré de brutalité, mesatisfaisaitpleinementjusqu’àilyapeu.Pluslesjourspassent,plusl’enviededémissionnermetente.Je rejoins le salonaprèsm’être séché et changé.Gabya incliné son siège et
s’estendormie.Elleesttellementbelle,putain,mêmequandelledort.Jem’installesurlesiègeàcôtédusien,nepouvantdétachermonregarddeson
visage.Seslongscilsnoirsreposentsurlanaissancedesesjoues,j’admiresonpetitnez,seslèvresquiappellentlesmiennesetjecommenceàsomnolerquandje l’entends geindre dans son sommeil. Elle s’agite, pousse de petits cris. Jem’assoisetmepencheverselle,retirelesécouteursdesespavillonsetcaressealternativementsatêteousajoueavecdouceurpourl’apaiser.—Mochailínálainndonn1,murmuré-jeàsonoreille.Ellemarmonneunebribedephrase,unmot,puisunautre,sansseréveiller.
Jemedemandesiellesaitqu’elleparleendormant.Toutcequisortdesam’apprendbeaucoupdechoses.Aufuretàmesurequelesphrasesseforment,lacolèreboutenmoietjen’ai
qu’uneenvie:cognersurquelquechose.Gaby geint de nouveau. Je continue de lui prodiguer mes caresses et lui
chuchotedesparolesderéconfortdansmalanguenatale.JesaisqueJuanCarlosPérezestunnarcotrafiquant,maismaintenant,jepense
quec’estunmonstre.JenecomprendspaspourquoiGabyrendvisiteàsonpère,àmoinsquecene
soit définitif, vu lesprojetsqu’il apour elle,maisune chose est certaine : s’iltoucheàunseuldesescheveux,jeluividemonchargeurdanslebuffet!
1Majoliebrune.
7
Gaby
Je récupèremon iPodainsiqu’unstringpropredansmonsac,merendsversl’évierdans le coincuisineetnettoiemonentrejambe trempé.Quand jepensequejem’apprêtaisàluiproposerunplanculoccasionnel!J’étaismêmeprêteàenfreindremaseconderègle !Jenesaispascequim’aprisà l’aéroport,maisc’étaittellementbonquejenepensequ’àremettreça!Et puis, ce corps divin avec son torse et ses abdos si bien sculptés, ses
tatouages à l’encre noire, tribaux pour la plupart, hormis deux prénoms,commentrésister?Connorestgravéperpendiculairementsurlecôtégauchedesonventre etGaib au niveaude son cœur. J’ai toujours une envie furieuse decaresser,lécheretmordillersapeau,maisilatoutgâchécetabruti!Jenevaispasmentir, Icem’attiredepuis laveille,malgré son regardhostile
quimerefroiditunpeu,maisjeparviens,jenesaiscomment,àpasseroutre.Lesgarsauxalluresdebadboyonttoujoursretenumonattention,mêmesiIceestlepremieràquijemedonne,cequiestplutôtironiquequandonsaitcequejefais.C’estpeut-êtremieuxcommeça finalement, jenedoispasoublierpourqui iltravaille.Qui l’a rejeté, enfant ? Samère ?Sonpère ?Les femmes également si j’en
croiscequ’iladéclaré.Est-ceseulementvrai?Est-cepourcetteraisonqu’ilaceregardàvousglacerlesang?Je sais que j’ai été dure dans mes paroles tout à l’heure, mais également
hypocrite. J’étais exactement comme lui à une époque. Je repoussais tout lemonde,envoulaisàlaterreentière,étaisbelliqueuse.SaufavecColleen.C’étaitunevraiegeek.Toujourslesyeuxrivéssurunécranetdumatérielélectroniquepleinsachambre.Sonobsessionpourl’informatiquen’apassuffiàladétournerdesespenchants
autodestructeursavecdesdroguesentoutgenre,auxquellesjen’aijamaisvoulutoucher.Cannabis,ecstasy,cocaïne,héroïne,toutypassait.Jenem’ensuispasaperçueimmédiatementnonplus.J’aieubeauluidired’arrêtercesmerdes,ellen’ajamaisécouté.Quandjesuisrentrée,cejour-là,jel’aitrouvéegisantsurlesol,inconsciente,
respirantàpeine.J’aiappelé lessecours,mesuisagenouilléeet l’aiprisedans
mes bras. Je l’ai suppliée de se réveiller, l’ai secouée, mais elle n’est jamaisrevenueàelle.C’étaithorrible.Lessecourssontarrivés,maisColleenétaitdéjàpartiedepuisplusdecinqminutes,etmoi,j’étaisàlafoisanéantieetencoreplusencolèrequ’auparavant.Ilyavaituneseringueet tantde sachetsde stupéfiantsvariés, étalés sur son
bureau,quelesflicsm’ontsuspectéededealer.Deplus,lorsquelapersonneautéléphonem’ademandésijesavaiscequemonamieavaitpris,j’aitouttripotépourenfaireladescription.Cen’étaitpaslapremièrefoisquej’avaisaffaireauxgendarmes,donc,j’étaisplutôtmalbarrée.J’ai passé la nuit en garde-à-vue dans une petite cellule en béton. Le
lendemain, le typequis’estoccupédem’interroger laveille,étaitaccompagnéd’unautrebonhommeencivil,lacinquantaine.Audébut,j’aicruquec’étaitunflicaussi,maispasdutout.J’aiécarquillélesyeuxcommedessoucoupesquandilm’afaitlaproposition
la plus inattendue qui soit : il m’a offert un boulot. Moi, j’y ai vu uneopportunité, alors j’ai accepté de suivre cet homme, Gustave, mais je lesurnommeGrincheux.Ilamaintenantsoixante-cinqansetjeneconnaistoujourspas son patronyme ni ses fonctions véritables puisqu’il refuse de partager cesinformationsavecmoi.Aujourd’hui,ilsaitoùjemerends,maiscequ’ilignore,c’estquejen’aipasl’intentiondefairecepourquoiilmerémunère.Jerejoinsmonsiège,l’inclineetm’allonge,dosauhublot,TakeMeToChurch
de Hozier à fond dans les écouteurs. Je ferme les yeux, m’endors et monsubconscientdérive.Laclasseestterminée.Jemeprécipitehorsdel’écolepourrejoindremaman.Nousdevonsallerfairedes
coursesàBogotaetjevaismonterdansl’avionquisertdelignerégulièrepourlapremièrefois,alorsjesuisexcitée.Jeregardepartoutautourdemoi,maisjenelavoisnullepartetjecommenceàm’inquiéter.Elle est toujours accompagnée de deux hommes qui travaillent pour mon père lorsqu’elle vient me
chercher,àcausedesgroupesarmésquisévissentdanslepays.Céline,mamaman,estfrançaise.ElleétaitétudianteàParisetpassaitdanslespubsàlatélépourduparfumavantderencontrermonpapa.Ilssonttombésamoureuxaupremierregardetjesuisnéedixmoisaprès.Mamanavaitdix-neufans,papa,trente.Jeme dresse sur la pointe des pieds pour regarder au-delà des adultes qui récupèrent leurs enfants.
Mamanestgrande,blondeavecdesyeuxbleu-vert, impossiblede lamanquer.Etpourtant, jene lavoistoujourspas,maisjerepèreManueletAlberto,leshommesauservicedemonpère,quiapprochent.—Salutgamine,mesalueManuel.Alberto a vingt-six ans,maisManuel n’en a que quinze.Nous jouions beaucoup ensemble jusqu’à la
semainedernière,maisc’estunhommemaintenant.Enfin,c’estcequ’ildit.Àquelâgedevient-onadulte?Aucuneidée.—Oùestmaman?—Àlamaison.Jesuisrassurée,maiségalementdéçue.Jeneprendraipasl’avionaujourd’hui.
—Tamèreest...Albertos’interrompttandisqueManuelluifaitlesgrosyeux.Monregardpassedel’unàl’autre.—Quoi?Elleestmalade?—Oui,c’estça,répondManuel.—Qu’est-cequ’ellea?—Tonpèretel’expliquera.Allezviens,gamine,onyva.
Je les suis sans plus poser de questions jusqu’à l’embarcation sur le RioVaupés. Je vis assez loin, de l’autre côté de la rivière, sur une très grosseexploitationdecaféquiappartientàmonpapa.Quand Manuel enfourche sa moto, je grimace en voyant le pistolet dissimulé dans son dos, sous la
ceinturedesonpantalon.Jedétestecesmachins,ilsmefontpeur.Jemontederrièreluitandisqu’Albertosemetauvolantdelajeep.Nousroulonsunlongmomentsurunchemindeterre,cariln’yapasderoute,ici.
J’aperçois lamaison,unegrandebâtisseblancheàunétage,construiteà lalisièredelaforêtamazonienne,moncœursemetàbattretrèsfortetj’aiunpeumalauventre.JesautedelamotodèsqueManuels’arrêtedevantleperronetpasselaporteencourant.—Maman!Aucuneréponse.Jemeprécipitevers lesescaliersquimènentà l’étage,mais jestoppenetaubasdes
marchestandisquemonpèrelesdescend.Ilestcouvertd’untrucrouge,commedelapeinture,maisplusfoncé.Ilenapartoutsursesvêtements,lafigure,sesbrasetsesmains.Monpèresefigelorsqu’ilmevoitetmeregardebizarrement.—Jet’interdisdemonter.Tuascompris?dit-ild’untonsec.Mon papa ne m’a jamais parlé comme ça, même quand je fais des bêtises. Je recule d’un pas et
l’interroged’unevoixtremblante:—Oùestmaman?Ilnemerépondpasetsedirigeversl’évierpourselaverlesmains.Jeredemandelamêmechosequatre
foisavantquemonpèreseretourneetmecrie:—Ellen’estpaslà,alorscessedeposerlaquestion!Jecomprendsquemonpèreestencolère,qu’ilvientdemementiretqu’ilestarrivéquelquechoseàma
mère.Jem’élancedroitversl’escalieretgrimpelesmarchesdeuxàdeux.—Reviensicitoutdesuite!hurlemonpèretandisquej’atteinslepalier.Jenem’arrêtepasetfoncedirectementdanslachambredemesparents,puis jememetsàhurler.Ma
mamanestlà,allongéeparterre,maissatêteressembleàunepastèquequiaéclatéentombantausol.Ilyadusangpartoutautourd’elleetdanslachambre.Jemejetteàgenoux,enlarmes,etsecouesoncorps.—Maman,réveille-toi!Jesangloteetlasupplieenmêmetemps.Jetournelevisagedemamamanversmoi,jeveuxqu’elleme
regarde,maiscequejevoisestencorepire.—Jet’aiditdenepasmonter!Monpèremetireenarrière,maisjerefusedelâchermamaman.Ilm’attrapeparlatailleetmeporteen
directiondemachambre.Jemedébatsdetoutesmesforcesetréclamemamèreàcorpsetàcris.Monpèremedéposeausoletmehurledelafermer,maisjen’enfaisrien.—Jeveuxmamaman!Maman!J’essaiedepasser le seuildemachambre,maismonpèrem’enempêche.Jeréclamemamèreencore
plusforttandisqueleslarmesruissellentsurmespetitesjoues.—Elleestmorte!Cessedebeugleretdechialer,çanelaramènerapas!Matou,monchat,estmortl’annéedernière.Papal’aenterréderrièrelamaison.Jecomprendscesmots,
maisjeneveuxpasquemamamansoitmorte,alorsjememetsàhurlerdeplusbelle.Monpères’énerve,mecriedessus,puism’assèneungrandcoupdepoingsouslamâchoirequim’envoievoltigeràtraverslapièce.Mes larmes brouillentma vision,mais j’aperçois sa silhouette sortir dema chambre et fermer laportederrièrelui.Jerécupèremonpetitoursenpeluchesurmonlit,leserrefortcontremoietmedirige,tremblantdetout
moncorps,verslecoinleplusreculédemachambre.Jem’installedosàlaporte.J’aitrèsmalàl’endroitoùmonpapam’afrappée.Jeveuxquemamamanmeserredanssesbras.Jepleureencoreetencore,avantdem’endormir,malheureuse,terrifiéeetépuisée,alorsquelanuitcommenceàtomber.Le lendemain soir, je suis dans un pensionnat en Suisse.Mamaman estmorte etmon papa vient de
m’abandonner,dansunpaysetuneécolequejeneconnaispas,aveclamâchoirebrisée.
8
Ice
JemepasselamainsurlevisageenmeréveillantetconstatequeGabyaquittésonfauteuil.J’aiveillésursonsommeilagité,maismacourtenuitaeuraisondemoidèsqueGabys’estapaisée.Jeredressemonsiègeet tombelenezsursonpetitculquibougedoucementsurlerythmedeHeySexyLadydeShaggy.Bienévidemment,ças’éveilledansmoncaleçon.Ellenepeutpasécouter,jenesaispas,moi,duheavymetal?!L’imagedesatêtebalançantsauvagementsalonguechevelureentremescuissesnuesenvahitmespensées.Bordel,c’estencorepire,achevez-moi!Je tends lamainet lapausedélicatement sur sahanche.Elle se retourne,un
grandsourireauxlèvresetéteintsoniPod.J’aiunlégermouvementdereculetretiremes doigts de sur son corps quand j’aperçois le couteau à steak qu’elletientdevantelle,contresapoitrine.—Salut.Biendormi?demande-t-elle.J’opineetm’enquiers:—Qu’est-cequetufais?Ellehausselessourcils,interrogative.J’ajoute:—Situcomptesm’embrocheraveccejouet,tuperdstontemps.—Oh,ça?Non,jem’ennuyais.J’aifaitdessandwichs,tuenveux?J’acquiesce,suspicieux.Lacuisineestàmoinsdedeuxmètres,alorsqu’est-ce
qu’elle fout avec cet ustensile dans les mains, ici, à se déhancher ? J’ai laréponsedèsqu’elle s’éloignepour aller chercher les en-casqu’elle apréparés.Lessiègesencuir,faceàmoi,sontéventrésàplusieursendroits.Mêmesilecuirest souple, elle a dû en baver pour taillader les coussins, surtout avec cetinstrument.Ellerevientavec,dansunemain,uneassietterempliedepetitssandwichsen
triangleetdansl’autre,unecanettedebière.Ellemetendletout,commesiellen’avaitrienfaitderépréhensible.—Merci.Pourquoiavoiragiainsi?demandé-jeendésignantlesfauteuilsd’un
signedetête.Elleesquisseunpetitsourire,déposeleboutdesesdoigtssurseslèvres,hausse
légèrementlessourcils,unelueurespiègledansleregardetlâche:—Oups.Ondiraitunegaminequivientdefaireunebêtise,cequimedéconcerte,car
ellemesembleplusmaturequeça.—Pourunefemmequisepermetdemeprodiguerdesconseilsderemiseen
question,jetetrouvebienpuériletoutàcoup.— J’ai dérapé. Ça peut arriver, non ? répond-elle sans animosité, avant de
s’asseoir.Oui, et c’est compréhensible vu les paroles qu’elle a prononcées dans son
sommeil.Seulement, jemedemandesielleaconsciencede la réactionquevaavoirsonpaternelendécouvrantcequ’elleafait.—Tonpèrevanousbuterpouravoirabîmésessièges.Sonvisagepivoteversmoietellemerépondd’untonrailleur:—Ne t’inquiètepas, Ice.Pendant quemonpèreme sermonnera, tu auras le
tempsdet’enfuir.—Çan’ariendedrôle,Gaby.Si j’en juged’après tes réactions lorsquenous
sommes montés à bord, tu n’approuves pas le luxe dans lequel évolue tonpaternel,maistunesaispasdequoiilestcapable.Ses yeux semettent à flamboyer de colère,mais elle réplique d’un ton très
calme:—Aucontraire,Ice,jeconnaistrèsbienlesaptitudesdemonpère.Certes,maisilferaplusqueluibriserunoscettefois,surtoutsielles’amuseà
leprovoquerens’enprenantàsesbiens.Ellesoupire,puisajoute:— Je ne suis pas idiote. Ce n’est pas parce que je n’ai pas revumon père
depuismonentréeà l’internatque jenesaispasdequellemanière ilgagnesavie.Cen’estcertainementpasenexportantducaféqu’ils’estpayécetappareil.LesnarcotrafiquantspullulentenColombie,toutlemondelesait,maisjamaisilnepointeraitunearmesurmoi.Elleéprouvedoncdel’affectionpoursonpaternel,maisaprèstout,quelenfant
n’aimepassesparents,malgrécequecesderniersontpuluifaire?Etpuis,queconnaît-elledecemilieu?Probablementrien.Ellen’ajamaisététémoindequoiquecesoit lorsqu’ellevenait augarage,àMarseille.Le fournisseur deMarcusétaiteffectivementColombien,mais il senommaitGilberto.Jemedemandesielleneprêchepaslefauxpoursavoirlavérité.Lefaitqu’elleavoued’elle-même
ne pas avoir vu son père depuis si longtemps, confortemon opinion sur JuanCarlosPérez:ilestsanscœur.PabloEscobar2,luiaumoins,aimaitsafamille.Unequestionmeturlupine,cependant.—Tuvasl’épouser?—Qui?s’enquiert-elle,déconcertée.—Manuel.Ellericane.J’attendsavecappréhensionsaréponsequinevientpas.Imaginer
ceperversposersesmainssurellenemeplaîtpasdutoutetmefoutenrogne.Gabym’alaisségoûterunmorceaudedessert,maiscommejesuisgourmandetégoïste,jeveuxlegâteauentierpourmoitoutseul.—Voilàdoncenquoiconsistesesfameuxprojets,murmure-t-elle.Elleresteunlongmomentperduedanssespensées,secouelégèrementlatête
etsoupire.Moi,jebousd’impatience.—Donc,tuvasconvoler,marmonné-je,désabusé.Ellepivotelégèrementversmoietinspectemestraitsavecminutie.—Tupréféreraisquecesoitavectoi,Ice?J’écarquillelesyeux,surpris.— J’ai envie de te baiser non-stop, bébé, mais pas au point de t’épouser.
L’amour,leromantisme,toutescesconneries,cen’estpaspourmoi.—Bien,maisjenevoispasenquoimaréponset’importe.Je sais que cela ne changera rien, je devraisme satisfaire de ce qu’ellem’a
accordéàParis,maisj’enveuxencore,alorsjeplongemonregarddanslesien.— Si tu acceptes l’union que prévoit ton paternel, je ne suis pas prêt de te
toucherànouveau.Manuel,aussivicelardsoit-il,vatecouvertelunmômeavecsonnouveaujouet.Jenepensequ’àcaressertapeau,tétertesnibards,goûterlasaveurdetachatteetenfoncermaqueueauplusprofonddetoidepuisquenousavonsquittélaFrance,dis-jed’untontrèsrauque.Mes paroles, loin de la répugner, semblent l’exciter. Ses yeux se mettent à
brûlerdedésir.Seslèvress’entrouvrent légèrementetsarespirations’accélère.Je pense qu’elle va, enfin, se jeter sur moi, mais tout à coup, je lis durenoncementdanssonregard.— La Colombie regorge de jolies filles, Ice. Tu n’auras que l’embarras du
choix,déclare-t-elle,avantdesesaisirdesaguitare.Jesuisdépité.Ellen’assumepassonappétencesexuellepourmoietcequ’elle
vientdemedirenemeplaîtpasdutout.Jel’écoutegratterunmorceauquejene
reconnaispas,puismonregardglissesurunmotgravésursoninstrument.—Quiest-ce?demandé-jeinnocemment,luidésignantl’inscriptionsurledos
dumanchedesaguitare.Sonregardsevoiledenostalgie,cequimedéconcerte.—Untype.—C’esttonpetitami?—Non, jen’enai jamaiseu.Démonest…Jenesaismêmepascomment le
décrire.Jenepeuxpasaffirmerl’avoirconnunonpluspuisqu’ilnem’ajamaisadressélaparole,dit-elle,leregardperdudanslevague.Nousdiscutonsunmoment,ellem’expliquecequejesaisdéjà,àproposdece
Démonetdonc,demoi-même.Gabysembleàlafoisrêveuseetpleinederegretsenl’évoquant.—Tuétaisamoureusedelui?—Non. Il avait un cul à tomber et un dos sublime. Je rêvais demordre le
premier et de lécher le second sur toute la longueur avant de calerma tête aucreux de ses omoplates. J’imagine qu’à seize ans, on est sous le charme den’importe qui ouquoi.Pourmoi, c’était le versode son corpspuisque je n’aijamaispudistinguerlerecto.Mon cerveau ne retient que trois mots : cul, mordre, lécher. Une onde
électrique me parcourt l’échine pour se concentrer au creux de mes reins,affolantmonbaromètre dont l’aiguille se dresse immédiatement pour sortir demoncalecif.—Plusilmefuyait,plusjepersévérais.Sesgrognementsmefichaientunpeu
la trouille,maisc’étaitcommesiuneforce invisiblem’attirait indubitablementverslui.Cependant,cen’étaitpasréciproque.Puisunjour, ilestparti, laissantcetteguitareàmonintention.Merde.Siellesavaitàquelpointellesetrompe!Monattirancepourelleétait
incommensurable,mais j’avais tellement peur…Quel regard aurait-elle eu envoyantmasalegueule?— Peut-être n’a-t-il jamais souhaité te montrer ses traits parce qu’il était
affreux.Yas-tudéjàsongé?Elledéposesoninstrumentetpivoteversmoi.—La beauté extérieure n’est rien si on est pourri de l’intérieur,murmure-t-
elle.Elleaccompagnesesparoleseneffleurantlapartiedemonvisageabîmé,puis
posesamainauniveaudemoncœur.Elle regardesesdoigtsposéssurmoietsemble troublée.Aumomentoùellecommenceà retirer samenottedemon t-shirt,jemesaisisdoucementdesonpoignetetredéposesamainsurmapoitrine.J’aimequ’ellemetoucheetjecroisqu’elleappréciedelefaireaussi.Leboutdesesdoigtscaressedoucementmonpectoraltandissesyeuxfixentmontorseavecavidité.—Gaby,jeneveuxpasparaîtreprésomptueuxenaffirmantquemoncorps,à
défautdematronche,tefaitenvie,maispourquelleraisonrenonces-tuàcequitetente?Sonregardremontejusqu’àtrouverlemien,puiselleretirelentementsamain
demoncorps.—Tutravaillespourmonpère,soupire-t-elleavecunepointed’amertume.—Etalors?—Tuesforcémentavariédel’intérieur,Ice.—C’estpourçaquetufaismarchearrièreetnem’aspasencoredemandémon
nom?—Oui.Elle pivote sur son siège, pose sa tempe droite contre le hublot et ferme les
yeux. J’ai la certitudequ’onne feraplus riende charnel ensemblemaintenantquejeconnaissonopinion.—Les apparences peuvent être trompeuses parfois. Je ne suis peut-être pas
aussimalfaisantquetulepenses,Gaby.—Prouve-le.—Comment?—Démissionneetrentrecheztoi,dit-elle.—Jenepeuxpas.—Jem’endoutais,murmure-t-elle.Je ne suis pas un saint,mais je ne peuxpas lui avouer qui je suis et encore
moinscequejesuis.
2PabloEmilioEscobarGaviria,néle1erdécembre1949àRionegro,Antioquia,Colombie,etmortle2décembre1993àMedellín,Colombie,estuncélèbretrafiquantcolombiendecocaïne.
9
Ice
Nous n’échangeons plus unmot jusqu’à l’atterrissage àBogota où l’on doitrefairelepleindel’appareil,avantderepartirpourlapropriétédesonpère.Cedernierauraàpeineletempsderevoirsafillequ’ils’envolerapourjenesaisoù.Il estquinzeheures,heure locale, etnousavonsdeuxheuresà tueravantde
remonter à bord. Je la regarde pianoter sur son portable, puis elle le fixe unmomentavantqu’ilnevibreetlerangedanslapochepoitrinedesarobe.—Jenevaispaspoireautersurletarmacparcequemonpèreabesoinquel’on
refasse le plein de son jouet pour pouvoir prendre la poudre d’escampette dèsmonarrivée.Jeviensdepasserquasimentdixheuresdansuneboîtedeconserve,j’aibesoindemedégourdirlesjambes.Jevaisvisiterlaville,lâche-t-elled’untonrevêche,avantdeprendreladirectiondelasortie.Jelaretiensparlebrasavantqu’ellenes’éloigne.—Je t’accompagne.Lavillen’estabsolumentpas sûrepourunebelle jeune
femmecommetoi.—J’aibesoind’êtreseuleavantderetrouvermonpaternel,alorssitun’asrien
demieuxà fairequedemecoller au train, libreà toi,mais laisse-moiunpeud’espace,ok?Son ton exaspéréme surprend. J’acquiesce et lui emboîte le pas tout en lui
laissant deux mètres d’avance, ce qui me semble largement suffisant. Elles’engouffre dans un taxi et j’ai à peine le temps de poser mon cul sur labanquettearrièrequ’elleordonneauchauffeur:—Centrehistorique,10èmerueetinutiledefaireundétour,jenesuispasune
touriste.Jesuismédusépar l’aisancedesonespagnoletn’aipas refermémaportière
que lechauffeurdémarre.Gabysemblenerveuseet se triture lesdoigts tout lelongdutrajetsansmêmejeterunœilparlavitre,cequejetrouveétrangepourquelqu’un qui souhaite découvrir la ville. Bogota n’est pas très différente desgrandesagglomérationsdumonde.C’estunemétropolepolluée, stressanteparses embouteillages, mais elle peut surprendre par les couleurs vives de sesvieillesmaisonscoloniales,notammentdanslequartierdelaCandelaria,celui-làmêmeoùnousnousrendons.
Parvenusàdestination,Gabysortdu taxisanss’inquiéterdurèglementde lacourse,dontjem’acquittesanslaperdredesyeux.Elleavancedroitdevantelle,puisbifurquesoudainementversl’entréed’unbar-restaurantsansmêmeregardersijelasuis.Jelarattrapeaumomentoùellepénètredansl’établissement.—Tucherchesàmesemer?—Passpécialement,maisj’aifaim.Nous commandons une spécialité locale qui consiste en du poulet frit
accompagnédepetitesgalettesdefarinedemaïsque lescolombiensnommentarepas.Gabysortsonportable,alorsqu’ilvibreetrépondenespagnol.—Oui,unmoment.Je l’observe sortir du bar, prêt à bondir au cas où l’envie lui prendrait
d’échapper à ma surveillance. Elle s’appuie contre le mur à côté de la portevitrée, son téléphone collé à l’oreille. Sa communication dure environ dixminutes, puis elle me rejoint, alors que le serveur dépose nos assiettes sur lecomptoir.—C’étaittonpère?—Non.Oùsontlestoilettes?demande-t-elleàl’employé.CedernierlesluiindiqueetGabys’yrendtandisquejecommenceàdéguster
monplatquicommenceàrefroidir.Peut-êtrequemajoliebruneaplusqu’uneenviedepisser,aprèstout.J’attendsetregardelesminutesdéfilersurmamontre.Cinq, dix, quinze. Il lui faut combien de temps pour couler un bronze, bonsang?!Jebondisdemontabouretetmedirigeverslestoilettes.Contrairementàceque jepensaisen franchissant laporte, celle-cidébouche
suruncouloird’environquatremètresde long.Cedernier est pourvude troisportesetd’unescalierquimèneàl’étage.J’ouvrecellededroiteàlavoléesansprendrelapeinedetoqueraupréalable.Leschiottessontbienlà,maispasGaby.Lacolèremesubmergecommeunrazdemarée.Je passe à la porte en face qui dessert un local contenant des produits
d’entretienainsiquetroiscasiersdevestiaires,puiscelleauboutducouloirquidébouchedansuneruellederrièrelebar.—Jevaislatuer!m’écrié-je,alorsquel’évidencemefrappedepleinfouet.Gabya-t-ellechoisicetétablissementauhasard?M’a-t-ellefaussécompagnie
ous’est-ellefaitenlever?Jepenchepourlapremièreoption,mêmesilaseconderesteenvisageable,surtoutdanscepays.Jeretourneaucomptoiretinterrogelepersonnelprésentsurleslieux.Iln’ya
quedeuxsortiesdansl’établissement,l’entréeparlaquellenoussommesarrivéset la porte au fond du couloir qui sert aux locataires qui vivent à l’étage etparfoisaupersonneldubar.J’hésiteàappelersonpèrepourl’informerdeladisparitiondesaprogéniture
lorsqu’unefemme, la trentaine,entrepar laportequimèneauxtoilettes.Je luisautedessusetgrogne:—Une jeune femmebrune, trèsbelle,desyeuxbleu turquoise, lavingtaine,
l’avez-vousvue?Sonregardestcraintifetelleessaiedesedégagerdel’emprisedemesmains
sursesbras.—Oui.—Quand?Elleétaitseule?A-t-elleditquelquechose?— J’ai cru que c’était une nouvelle serveuse, bredouille-t-elle,me désignant
l’annoncesurlepilierducomptoirquejen’avaispasremarquée.—Çanerépondpasàmesquestions,dis-jed’untonsinistre.Ellesemetàtremblercommeunportablesurvibreur,jelarelâcheetajoute:— Je ne vous veux aucun mal, mais il faut que vous me répondiez, c’est
important,vouscomprenez?Elleacquiescedoucement.—Elle était seule et sortait du vestiaire quand je suis arrivée.On a discuté
deuxminutestoutauplus,ellem’ademandésijeconnaissaisuneboutiquede…Elle semet à rougir comme une adolescente, ce quime déconcerte,mais je
l’encourageàpoursuivre.—Unmagasindesextoys.Je luiaicommuniquéuneadressedans lecentre-
ville.Jel’aiaccompagnéedehorspourfumerunecigarette,ellem’asaluéepuis,je suis remontée à l’étage pour récupérermon tablier que j’avais oublié.Vousallezluifairedumal?Vumaminepeu avenante, saquestion est légitime. Je la rassure et quitte le
bar,unefoisqu’ellem’adonnélescoordonnéesdelaboutiqueetdécidedem’yrendreàmontour.C’est la seconde fois, enmoins de vingt-quatre heures, queGabyme berne
avec une facilité surprenante. Elle me fait passer pour un imbécile ! Je vaisretrouvermajoliebruneetenunseulmorceau,jel’espère.Surmonchemin,jecroiseunegrossedame,lacinquantainebiensonnée,qui
meregardeavectantdeméfiancequejefaisdemi-tour,sors lephallus roseen
siliconedeGabydelapochedemoncuiretluicolledanslesmains.—Tiensmémé,çatedécoinceraduculetturetrouveraslesourire.Ouais, je suis trèsconparfois,mais sonaircraintifaaugmentémonhumeur
massacrante.J’arriveaumagasinetquestionnelesdeuxemployéesquimecertifientnepas
avoirvuGaby.Laserveusem’a-t-ellementi?Faitchier,merde!Je reprends ladirectiondu troquet, remonté commeune cocotte-minute sous
pression. La bonne femmeme jure sur Dieu et tous ses saints que c’est bienl’adressedecetteenseignequ’elleacommuniquéeàmajoliebrune.— Peut-être ne s’y est-elle pas rendue ? me suggère-t-elle d’une voix
tremblante.Pas faux,mais où est-elle allée dans ce cas ? Je sors etmènemon enquête
auprèsdes commerces àproximité.Rien. Jeviensdeperdredeuxheurespourquedalle!JesuisàlafoisinquietpourGabyetautantenrognecontreellequecontremoi-même.Jeretourneàl’aéroportetsuissurprisdelatrouveraupieddujetdesonpère.Jesoupiredesoulagement,puisunecolèrenoiremesubmergelorsqu’elleme
gratified’unimmensesourire.Jefoncedroitsurelleetm’apprêteàlasermonnerquandellemecoupel’herbesouslepied.— Je t’ai apporté un présent, Ice. Essaie de ne pas l’effrayer et souris,
d’accord?Elle fait un pas de côté et je découvre une femme, plus petite qu’elle,
mignonne,maisrienn’estnaturelchezelle.Sapoitrineesttropgrosse,jepariequ’elle a des implants mammaires. Ses lèvres sont gonflées comme si ellesavaientreçuuneinjectiondeBotoxetsachevelureblondenetrompepersonnetantsesracinessontnoires.— Ice, voici Carmela. J’ai loué ses services pour trois jours. Elle est à ton
entièredispositionpoursoulagertonétatdefrustration.Quoi?!Il y a deux jours, j’aurais baisé une femme comme elle. J’aurais vidé mes
couilles avec n’importe quelle prostituée consentante, en fait. Elles sontextrêmementraresànepasfuirenvoyantmagueule,maisdepuishiersoir,jenevoisquemabellebrune.IlfautquejecessedefaireunefixationsurGaby,jelesais,maisc’estplusfortquemoi.—Salut,mesaluelablondasseenmâchouillantsonchewing-gumcommeune
vache.—Oùas-tudénichécettepétasse?!m’écrié-je,horsdemoi.Lablondes’écarteaussitôt,vacillantsursestalonsaiguilles,apeurée.Ellesort
uneliassedebilletsdesonsoutien-gorgeetlatendàGaby.— Hors de question que ce monstre me touche, lâche-t-elle, avant de
déguerpir.—Dansunemaisonclose,soupireGabyavecdépit.Je vois rouge. Jem’approche jusqu’à la frôler etplongemon regard furieux
danslesien.J’aperçoisunelueurdecraintedanssesyeux,maislabellecarrelesépaulesetredresselementon.—Tupensaisfairequoienm’amenantcetteputain,hormism’humilierunpeu
plus ?! Je t’ai dit que cette ville était dangereuse et tu cours te jeter dans lepremier bordelmalfamé ?!Que serait-il advenu si lemaquereau de cette fillet’avaitmislamaindessus?!—Jenevoulaispasterabaisser,Ice.Çapartaitd’unbonsentiment,maistuas
toutgâché,encoreunefois!Etpuis,jesuiscapabledemedéfendre,jenesuispasunegamine!—Permets-moi d’en douter. La prochaine fois que tu te défiles comme une
enfanttêtuequirefusedetenircomptedesconseilsavisésqu’onluiprodigue,jet’administreunefessée!Ellemedéfieautantd’agirqu’ellemefoudroieduregard.—Tu penses être plus forte que les autres parce que tume tiens tête ? Tu
m’épates autant que tu m’effraies, mais ton paternel etManuel ne seront pasaussimagnanimesquemoi!—Monpèrenemeferajamaisdemal.—Faux. Jene saispasqui tu cherches à convaincre,mais tu es trèsprolixe
dans ton sommeil.N’a-t-ilpasbrisé lamâchoired’unepetite fillede septans,alorsquecelle-civenaitdedécouvrirlecorpssansviedesamère?Elle recule d’un pas comme si je venais de la gifler, puis se ressaisit
immédiatement.— Ce n’est un secret pour aucun des hommes qui sont à son service, je
suppose !Mais, éclaire doncma lanterne, Ice. Si j’en crois tes propos, tu neportespasmonpaterneldanstoncœur,danscecas,pourquoitravailles-tupourlui?Merde.Elleestintelligenteenplus.Jehaissonpèrepourdeuxraisons:ilme
rappelle, par ses activités, la mort de mon frère, mais également, par soncomportementenverscettepetitefilledeseptans,l’amantdemamère.Les pilotes nous interpellent et nous remontons à bord. Nous reprenons nos
places,l’unàcôtédel’autre.Gabynecessedemefixer,attendantcertainementuneréponseàlaquestionqu’ellem’aposéesurletarmac.—J’ai sauvé la vie de tonpère, il y a à peinequatremois. Ilm’aoffert du
boulotpourmeremercier.—Pourquoias-tuacceptésaproposition?—J’aibesoindetravailleretjenepeuxpasrentrerchezmoi.—Pourquelmotif?—Meurtre.Siellesavait...
—Mmm,fait-elle,méprisante.Ettuvastenterdemefairecroirequec’étaitunaccident?Jeluiadresseunsignededénégationdelatête.—Donc,tun’espasaussiblancquetuasvoulumelelaisserpenserenparlant
d’apparencestrompeuses,maisçanerépondtoujourspasàmaquestion.— Je suis reconnaissant envers ton père, même s’il ne me fait pas encore
totalementconfiance,c’estunhommetrèsméfiant,maisjen’appréciepasqu’onfrappeunenfant.Elleapprouve,puisfroncesoudainlessourcils.— Et que penses-tu des mômes qui meurent parce qu’un trafiquant leur a
vendudelacame?Questionpiège.Trèsfutédesapart.Cequiamèneuneautreinterrogation.—Personneneforcequiquecesoitàconsommer,Gaby.Maissituabhorres
tant les activités de ton père, alors pourquoi lui rendre visite, après tout cetemps?Desflammesapparaissentdanssesyeuxetellemerépond,irascible:—Jevienschercherdesréponsesetvoirsijepeuxpardonner.C’est bien ce quim’inquiète. Cette jeune femme est pleine de colère froide
contenue.Gabyestunebombeàretardementquirisqued’exploseràtoutinstant.Seulement,lorsquecelaseproduira,sonpèrerisquefortdel’abattresansaucunremord.
10
Ice
Gabyfermelesyeux,maisjenecomptepaslalaissertranquille.— Pourquoi avoir demandé au chauffeur de taxi de nous conduire dans le
centrehistorique?—Jesouhaitaisvisiterlequartier.Ilesttrèsréputésurlenet.—Commentas-tusuquelebarpossédaitunesecondeissue?—Je n’en savais rien.Quand jeme suis rendue aux toilettes, j’ai découvert
plusieursporteset comme j’éprouvais lebesoindem’isoler sans t’avoir sur ledos,jesuissortie.D’accord.Siellen’estjamaisrevenuedanscepaysdepuissonenfance,jene
voispascommentelleauraitpulesavoirdetoutefaçon.—Quandes-turevenueàl’aéroport?—Environcinqminutesavanttoi.— Qu’as-tu fait pendant deux heures, hormis te rendre dans un bordel ?
grondé-je.—J’aiflâné.—Où?Gabyouvrelespaupièresetpivoteversmoi,irritée.—Jeviensdeteledire.Àquoirimecetinterrogatoireetcetonmalembouché,
Ice?Tonegoestblesséparcequej’aitrompétavigilance?Jedésiraisêtreseule,c’estsidifficileàcomprendre,pourtoi?—Ilauraitput’arriverquelquechose.Ellesembleuninstantdéconcertée,puisricane.— Laisse-moi deviner. Mon père t’a demandé de ne pas me lâcher d’une
semelleet ilvatebotter lesfessess’ilapprendquetut’esfaitavoirdeuxfois,c’estça?—Non.CepayspeutvraimentêtredangereuxpourunefemmeetManuelme
l’aordonné.—Ettuexécutestoujourssesmoindresdésirs?—Certainementpas.Ilm’aégalementspécifiédenepas t’approcherde trop
près,maisonabaisé,toietmoi.Elleéclatederire,puisplongeunregardgravedanslemien.—Jeneleregrettepas.—Moi non plus, bébé,mais j’aimerais bien recommencer, soufflé-je dema
voixlaplusrauque.Sesyeuxs’embrasentsoudaindedésiretjem’enflammecommeunebrindille,
maisellevaencorerenoncer,jelesais.—IlnefallaitpasfairefuirCarmela,murmure-t-elle.—C’esttoiquejeveux.—Ice…—Oui,jesaisàquoim’entenir,lacoupé-jeensoupirantavecamertumeeten
fermantlespaupières.Jepose l’arrièredema têtecontre ledossierdemonfauteuil.Gabym’excite
autantqu’ellemetorture.Combiendetempsvais-jeladésirer?Est-cequecelame passera ? Peut-être aurais-je dû me soulager avec cette femme qu’elle aramenée,maisCarmelanem’apasémoustillélemoinsdumonde.J’ouvrebrusquementlesyeuxlorsquejesensdeuxmainsécartermescuisses.
Gabysepositionneentremesjambesetsepenchesurmoi.Elleattrapelebasdemont-shirt,leremontelentementlelongdemonventreetfaitpasserledevantduvêtementpar-dessusmatêtesanstoutefoismeleretirer.Salanguecaressesalèvre inférieure, alors que ses yeuxparcourentmonbuste.Mon souffle se faitcourtetjebandecommeunâne.J’aitellementenvied’elle,putain!Jen’osedirequoiquecesoitetencoremoinslatoucherdecraintequ’ellene
fassemarche arrière tandis que sesmains caressent lentementmon torse,monventre,s’activentsurlesboutonsdemonpantalon.Ellepassesesdoigtssouslaceinturedemoncaleçoneteffleuremongland.— Je veux goûter ta queue, susurre-t-elle, avant de poser sa bouche sur la
mienne.Sadéclarationm’exciteàmortetças’agitefurieusementdansmoncalecif.Je
lèvelégèrementmesfessesdusiègeetbaissemesfringuesd’unseulcoup.Mesmainsseposentsursesjouesetj’approfondisnotrebaiser,malanguefouillantsabouche, comme si ma vie en dépendait. Mes doigts quittent son visage etparcourent lentement ses courbes parfaites. Je passe une main sous sa robe,remontedoucementlelongdesacuisseetglissemesdoigtssoussonstring.Ellehalèteetécartelesjambespourmefaciliterl’accèsàsonintimité.
Elle agrippemes cheveux lorsque jepassemonmajeur sur sa fente.Elle esttrempéeetçameplaîttellementquejegrognedecontentementdanssabouche.J’insère deux doigts dans sa moiteur et masse son bouton de rose avec monpoucetandisquemamainlibres’emparedesonseinpar-dessussesvêtements,lemalaxe, enpince légèrement lapointe.Ses lèvresquittent lesmiennes,puisellejettesatêteenarrièreetgémittandisquejeplongeplusprofondémentmesdoigtsenelle.—Ohoui…C’estbon,Ice…Continue,souffle-t-elle.Gabymesubjugueparsadésinhibitiontotale.Jel’observeprendresonplaisir
sans aucune pudeur et çam’excite comme un fou. Ses yeux sont fermés, seslèvresentrouvertes,sonsouffledevientdeplusenpluscourtaufuretàmesureque j’accentue lacadencedemesdoigtset lapressionsursonclitoris.Elleestencore plus belle dans l’extase et j’ai mal tant ma queue se tend à l’extrêmequandellejouitencriantlenomdontellem’affuble.Elles’effondresurmoi,haletante,sonfrontcontrelemien.Jeretiremesdoigts
de son vagin et les porte àma bouche aumoment où son front se décolle dumien. Jemedélectede sa saveur légèrement salée tandisqu’elleme sourit. Jelèchemesdoigtssanslaquitterdesyeuxetluiretournesonsourire.Seslèvresseposent doucement sur lesmiennes, glissent surmamâchoire, parcourentmoncou, l’embrassent, le lèchent.Ellespoursuivent lentement leurcheminsurmespectoraux, sucent mes tétons, les mordillent, puis reprennent leur route endirectiondemabitedressée.Jerejettematêtecontreledossier,savourantpleinementtoutescesattentions,
personnenem’ajamaistouchécommeellelefait.Jem’exécutesansrechignerquandellemedemandederapprochermonpostérieurauborddusiègeetinclinemonfauteuil.Jegrognedeplaisirtandisqu’unedesesmainss’emparedemahamperigide
etquel’autremalaxemesburnes.—Tuessidur,murmure-t-elled’untonappréciateur.Mes mains agrippent sa douce chevelure lorsqu’elle passe furtivement sa
languesurl’extrémitédemongland.Gaby lèche doucement mes bourses et remonte lentement de la base de ma
queueà sonextrémité, recommence, encoreet encore, commesi elledégustaitune glace. Mes hanches se mettent automatiquement en mouvement, enréclamantplus.—Suce-moi,bébé,geins-je.
Ellem’avale lentement jusqu’à ce que je bute au fond de sa gorge, déglutit,m’aspire sur toute la longueur, lapemongland tout en caressantmes couilles,recommence,encoreetencore.—Ohoui…C’esttropbon,bébé!Elle accentue la cadence, décuplant mon plaisir et faisant inexorablement
monter ma sève. Elle introduit un doigt humide dans mon anus, ce qui mesurprend brièvement, et le fait doucement aller et venir. Ce léger frottementcontremaprostatem’amèneencoreplusprèsdelajouissance.—Ohputain…Oui…Tumesucessifort,bébé!Elle sedéchaîne surmabite, y ajoutantunepression supplémentaire avec le
boutdesesdents,justecequ’ilfaut,commej’aime.Jehalète,gémis,submergépar tant de sensations à la fois. Tout mon corps se tend alors qu’une ondeélectriquesepropagedansmesveinesetsetransformeenunmagmabrûlant.Lefeuseconcentreaucreuxdemesreinsetaugmenteencoreenintensité.—Gaby…Bébé…Jevaisvenir!Elle ne se retire pas, continue de cajoler ma queue, mon cul, mes couilles,
accélérant encore sesmouvements. Jeme répandsdans saboucheende longsjets puissants alorsquemoncœur explose et que je feule sonnomcommeunanimal.Je redresse la tête pour la contempler tandis qu’elle avale tout ce que je lui
donneetdorloteencoremavergeàpetitscoupsdelangue,cequiprolongemonplaisir.Mapremièrepipesanscapote.Jen’aijamaisprisunpiedpareil,putain!—N’épousepaslevicelard,soufflé-je.Elleéclatederire,embrasseleboutdemonglandetjel’observeserendreàla
salledebainsavecuneseulecertitude:lesexeavecelleestfabuleuxetjerefusequecelas’arrête.
11
Gaby
J’aicédéà la tentation.Est-ceque jeme le reproche?Non,absolumentpas.J’aibeaumedirequeIceestà lasoldedemonpaterneletquejedoisl’éviter,monattirancepour lui est puissante. Jene comprendspaspourquoi et je croisqu’au fond, je m’en moque. Va falloir que je parvienne à résister ou que jecomposeavec,cequirisquedecompliquerunpeumesplans,maistantquejenem’attachepas,jedevraispouvoirm’ensortir.J’angoisselégèrement,alorsquenousvenonsd’atterrirsurlapistequijouxte
lapropriétédemonpère.Ellen’existaitpas lorsque j’étaisenfant,mêmesicen’est que de la terre battue, je me demande combien cela lui a coûté pouraménagerl’endroit.A-t-ilobtenulesautorisationsnécessaires?Je passe la sangle de ma guitare autour de mon corps et m’agrippe à mon
instrumentcommesic’étaitunebouéedesauvetage.—Çava?s’enquiertIce.—Oui.Montonnedoitpasêtretrèsprobant,carilmeregarde,dubitatif.Nous quittons l’avion et j’ai l’impression d’étouffer. Il fait chaud et humide
danscecoindupays.Luis, un jeune homme d’environ vingt-trois ans avec des airs d’Enrique
Iglésias, unearmeà feuglissée sous la ceinture à l’arrièrede sonpantalondetoile,sechargedemonbagage.Nouslesuivonssansunmot,maismonhumeurpassedel’anxiétéàl’irritationàmesurequenousprogressons.Jesuisstupéfaiteendécouvrantlespalissadesdeboisquicernentlapropriété.
Grincheux,parlebiaisd’undesesamiscolombiens,m’apourtantprévenuequemonpèreavaitclôturéleslieuxsuiteàlapseudo-attaquequiacoûtélavieàmamère, mais j’ai la sensation de m’apprêter à pénétrer dans un camp deconcentrationnazi.Àl’entréedelaplantation,Pedro,unsbirequidoitavoiràpeinedix-septans,
passeunscannerdétecteurdemétaux,sortedebâtonplatenplastiqued’environtrente centimètres, comme en possèdent certains services de police aux États-Unis,autourducorpsdeIce,puism’enjointàmesoumettreàl’examen.
—Non,paselle.C’estinutile,ordonnelavoixautoritairedupropriétairedeslieux.Pedros’écarteet jedécouvreJuan,plantéàenvirondeuxmètresdenous,un
hommeàsescôtés,quimefixetandisquejelefusilleduregard.—Jenevoispaspourquoij’auraisdroitàuntraitementdefaveur,dis-jed’un
tonsec.J’arrachelescannerdesmainsdePedroetleporteversl’articulationgauchede
ma mâchoire, mon regard rivé à celui de mon père qui étincelle de colère.L’enginsemetàsonner,cequisurprendtoutlemonde,hormismonpaterneletmoi-même.Une semaine avant mon départ, Grincheux a demandé à un médecin de sa
connaissancedem’implanterunemicropuceGPSainsiqu’unpetitmorceaudemétalàcetendroit,àdessein.J’ai subideuxopérationsdansunecliniqueprivée suite aucomportementde
monpère.Unepourremettreenplacemesosbrisésetlesmainteniràl’aidededeuxbroches, ce quim’a valu demenourrir à l’aide d’une paille durant cinqsemaines.Laseconde,pourmelesretirer,maislesactesmédicauxsontcodifiéspar des lettres et des chiffres. Grincheux a donc parié sur le fait que monpaternel,mêmes’ilaréglélesfactures,n’estpasaucourantquelesbrochesnesontpluslà.De plus, d’après Grincheux, mon dossier médical a révélé que mon père
communiquait uniquement parmail avec le chirurgien et que le retrait de cesbrochesn’étaitmentionnédansaucundeceséchanges.CommentGrincheuxl’a-t-ilsu?Aucuneidée,maiscevieuxbonhommeaconnaissancedebeaucoupdechosesetadesamishautplacés,dontunàlaCriminelle.Leflicm’aexpliquécequiétaitassurémentarrivéàmamère,d’aprèslesdétailsquejeluiaidonnés.Larépartition du sang dans la pièce et autour de son corps, l’état de sa tête,mamémoireatoutenregistréavecminutie.Quelqu’unluiacolléunflinguedanslabouche et lui a fait exploser la cervelle. L’auteur de ce crime se tient juste àquelquespas,devantmoi.Les yeux demon père sont froids,méfiants, lesmiens flambent de rage. Je
rendsl’instrumentàPedro,sansquittermonpaternelduregard.Iceserapprochedemoi,posesamainsurmonépaulequ’ilpresselégèrement
desesdoigts.—Ne le provoquepas, bébé, souffle-t-il àmonoreille en français, avant de
retirersamain.
Je vais me gêner. Et puis, tout le monde doit croire que je suis une jeunefemmeencolère,maisquej’aimetoutdemêmemonpèreetcedernierencoreplusquelesautres.C’estcequimesemblelepluscrédibleetsachuten’enseraqueplusdélectable.—Oùest-elle?demandé-jed’untonfielleux.Icesoupire,déçu,tandisquemonpèretressaille,ilnes’attendaitprobablement
pas à cette question qui le ramène dix-sept ans en arrière. Nous nous fixonsdurantuneéternité,horsdequestionquejeflanche.Sesyeuxdévientlégèrementsurlapersonnequisetientàmescôtés.J’en profite pour détailler mon paternel. Cheveux courts et bruns, presque
noirs, tempes grisonnantes, yeux marron foncé, moustache touffue, un mètresoixante-quinzeenviron.Encoreassezséduisantpourunhommedecinquante-quatreans,mêmes’ilestdevenugrasdubide, l’opulencen’apasquedebonscôtés.Monregardglissesursonfidèletoutou.Manuelestlégèrementpluspetitque
monpère.Cheveux courts et noirs, yeuxmarron clair, corpsmusclé,mais pasaussibiensculptéqueceluidemonvoisin,posturedroiteetl’airassuré.Trèsbelhomme de trente-deux ans, mais il me fait penser à un coq au milieu d’unebasse-cour et la lueur perverse dans son regardme laisse supposer qu’Ice n’aprobablementpastortàsonpropos.Lesyeuxdemonpèresereportentsurmoi.—Jevaist’yconduire,suis-moi.Juantournelestalonsetprendladirectiondelamaison,cequimedéconcerte.
J’avance et Ice m’emboîte le pas tandis que Manuel me gratifie d’un largesourirelubrique.— Salut, gamine, tu t’es embellie depuis la dernière fois que je t’ai vue,
déclare-t-il,alorsquej’arriveàsahauteur.Je stoppe ma progression, fait glisser mes yeux sur son corps à dessein et
réponds:—Pastoi.Iceestsiprochedemoiquejelesensseraidirdansmondos.Manuel,lui,est
vexé. Ses lèvres se pincent et ses poings se serrent à en faire blanchir sesarticulations. Je reprends mon chemin et l’entends murmurer d’un tonpernicieux:—Çavaêtreunvraiplaisirdetedresser,petitechienne.
Icen’estpeut-êtrepasleplusdangereuxdessbiresdemonpère,finalement.Jepasseentrelesplantsdecaféieretrejoinsmonpaternelàl’entréedelacourquimèneàlamaison.Ilfroncelessourcils,regardantderrièremoi.—Quesepasse-t-il?s’enquiert-il.—Aucuneidée.Jeme retourne et vois Ice surplomberManuel. Je n’entends pas ce qu’ils se
disent, étant beaucoup trop loin, mais leur langage corporel me fait penser àdeuxclébardsprêtsàsesauteràlagorge.—LeBalafrét’atouchée?JetiqueausobriquetquemonpèredonneàIceetpivoteverslui.—Absolumentpas.—Bien.Ilnes’estpasintéresséàmoipendantdix-septansetilpensequ’ilvadiriger
maviesexuelle,alorsquej’enaivingt-quatre?Ilsefourre ledoigtdansl’œil,pournepasdireailleurs.Ilmetsesmainsenporte-voixetordonneàManueldeserendreàl’avion.Ce
dernier obtempère immédiatement et nous nous remettons en route.Mon pèreme conduit sur le côté de la maison qui jouxte la forêt et je découvre avecstupéfaction la tombe de ma mère. Une fois la surprise passée, la colère mesubmerge.Une simple plaque de marbre noire d’environ un mètre cinquante sur deux
mètrescinquanteàmêmelesol,cernéepardesgrillesenferforgéquidélimitentun périmètre à peineplus large, fait office de sépulture. Il ne lui amême pasaccordé un enterrement digne, ce fumier ! Elle n’a rien à faire ici ! Est-ceseulementlégal?Jenepensepas.Monirritationsetransformeenunehainefaroucheetjelefoudroieduregard.
J’ouvrelagrille,melaissetombersurlesgenouxetcaresseduboutdesdoigtscetteplaquedepierrechaufféeparlesoleil.—J’aifaitvenirunprêtre.Ilaconsacrélaterreetacélébrélesfunéraillesde
tamère,sejustifie-t-il.Pauvretype,cen’estpasçaquimeferachangerd’avissursoncompte.—Jedoism’absenterpouraffaires,maisnousdiscuteronsàmonretour.Ouais,c’estça,fuisdonclaqueueentrelesjambes.— J’y compte bien. Oh, et tant que j’y pense, tu devrais faire dératiser ton
suppositoirevolant,toutestboufféàl’intérieur.
—Qu’as-tufait?Jenerépondspasetl’entendssoupirerd’exaspération.—Carmenapréparétachambre.J’yaifaitinstallerunlitplusgrand,maisn’ai
apportéaucuneautremodification.—Tropaimable.Va-t’en,j’aibesoind’êtreseule.J’écoute ses pas s’éloigner et soupire. Je n’ai jamais pu dire au-revoir àma
mère. Je ne suis même pas certaine qu’elle soit réellement là-dessous. Aprèstout,monpèreatrèsbienpumementirets’êtredébarrassédesoncorpsdanslaforêt. Ou alors, il se sert de cette stèle comme d’un avertissement pour lespersonnesquiviventsursesterres.Jeresteauprèsdelatombe,incapabledebouger.—Tumemanquestellement,maman.J’empoignemoninstrumentetmemetsàjouer.Àlafindumorceau,mesyeux
sontembuésdelarmes.Petite,mêmesimarelationavecmamèreétaitplusfusionnellequ’avecmon
père,j’adoraiscedernier.Ilauraitpumeracontern’importequoi,jel’auraiscrutellementjel’aimaisetn’auraisprobablementriensu.Mais,ilatoutdétruit.Ettoutçapourquoi?Deladrogueetdufric?C’esttellementfutile.Jedéposemaguitareetm’allongelelongdecetteplaque,unemainposéesur
cettedernière, commesi celamepermettait demeblottir dans legirondemamèreunedernièrefois.Jeluifaisuneseulepromesseetm’endorssereine,ayantl’impressionqu’ellem’étreintdesesbras.
12
Ice
J’arrive au milieu de la cour lorsque Juan apparaît à l’angle de la grandemaison.—Ah,leBalafré,tutombesbien,jesouhaitejustementm’entreteniravectoi
avantmondépart.Jeleregarde,suspicieux.Jenesaisjamaisàquoim’attendreaveccethomme.
Ilest toutaussicapabledevousféliciterquedevouscolleruneballeentre lesdeuxyeuxenayantlemêmeairimpassible.—Comments’estcomportéemafilledurantlevoyage?Ellet’aparlédemoi?Là, j’ai une soudaine envie de rire, mais jeme contiens. Il se soucie de ce
qu’ellepensedelui?—C’estunejeunefemmeencolère,maisj’ignorepourquelleraison.Malgré
tout,ellesemblebeaucoupvousaimer.Iln’apasbesoindesavoirquejesaisparfaitementcequesafilleluireproche.
J’aperçoisune lueurde surprisedans sesyeux,maisc’est si fugaceque jemedemandesijen’aipasrêvé.—Mmm... Veille sur elle pendant mon absence et si elle fait des siennes,
recadre-la.Facile à dire.Si les femmesne sont quasiment rien sansunhommedans ce
pays,cequiestencoreplusvraidanscecoinreculédelaColombie,Gabyn’apasgrandi icietelleest loindesesoumettreauxdirectivesdequiquecesoit.Maisça,sonpères’enapercevrabienasseztôt.—D’accord.— Tu accompagneras Alberto lors du prochain transport. Ce dernier te
briefera,sasantésedégradeetilvamefalloirleremplacer.Enfin!Jecommençaisàdésespérer.—Bien.—Mafillenedoitriensavoirdetoutça.—Ellesedoutedéjàdelateneurdevosactivités,elleestloind’êtrenaïve.Il tique,medemandecequeGabysoupçonneexactement.Je luienfaisdonc
part.
— Mmm... Moins elle en saura, mieux ce sera. Demande à Paco de teremplacerpourlasurveillerlorsquetut’absenteras.Jedoisyaller,maintenant.J’opineet il s’enva. JepréféreraisqueGabym’accompagne,pour sapropre
sécurité,mêmesiPacoestunmoindremalcomparéauxautres.JerejoinslecoindelamaisondèsqueJuandisparaîtentrelesarbres.Jeveux
m’assurerqueGabyvabien,maisjemecontentel’épierdiscrètementlorsquejel’entendsfredonnerAll IWantdeKodaline,d’unevoix tremblante.Lesparoless’adressentplusàunamantperdu,maisjecomprendsàquelpointGabyaimaitsamère.Elledéposesoninstrument,s’allongesurlaterrebattueetmurmuredesmots
quejen’entendspasdistinctement.Puis,ellesemetàpleurercommeuneenfantetcelamefendlecœur.J’hésite.Quandjevaismal,jepréfèrem’isoler,maiscontrairementàmajolie
brune,j’airemplacéleslarmesparlescoups.J’expiemasouffranceenfrappantdansunsacdeboxe.J’attendsunmoment,maisnelavoyanttoujourspasbouger,alorsquelanuit
tombe,jem’approcheetconstatequ’elledortàmoitié.Jeramassesaguitareetpasselasanglesurmonépaule.Jemebaisse,metsunemainsoussatête,l’autresoussescuissesetlasoulèvedansmesbras.Ellenebronchepasetcalesatêteaucreuxdemoncou.Alberto,hommebrunde taillemoyenneauventrebedonnant, laquarantaine,
montelagardedevantleperrondelamaison,commechaquefoisquesonpatrons’absente.Personnen’aledroitdepénétrerdanscettebaraquesansyêtreinvitéparlemaîtredeslieux,hormisManueletCarmen.Etencore,pourcettedernière,quisertàlafoisdefemmedeménageetdecuisinièreaugrandmanitou,elleadeshorairesàrespecter.—C’estlapetite?s’enquiert-il.—Oui.Elles’estendormiesurlastèleàcôtédelamaison.IlsepenchesurGaby.— Pauvre gosse, elle est encore plus jolie maintenant qu’elle est adulte,
murmure-t-il,alorsqu’ilnedistinguequ’uncotédesonvisage.Jesuissurpris.—TuasconnuGabyquandelleétaitenfant?—Ouais.Viens,jevaisteconduireàsachambre.Albertomeprécèdejusqu’auboutducouloir. J’entredans lachambreetsuis
déconcertédetrouverdesjouetsetdesdessinsd’enfantaccrochésauxmurs.Jedéposemajoliebrunesurlelitetsoninstrumentaupieddecelui-ci.Nous ressortons et Alberto me propose de boire une bière avec lui sur le
perron.—CommentétaitGaby,petite?Ilsoupire,puisrépond:—Commetouslesgossesdevraientêtre.Insouciante,joyeuseetpleinedevie.
Pourquoicelat’intéresse-t-il?Jehausselesépaules,l’airindifférent.—Simplecuriosité.—J’espèrepour toiqu’ilne s’agitde riendeplusquecela,Manuel te tuera
sinon.Il en avait déjà l’intention un peu plus tôt lorsque je lui ai suggéré de se
montrer plus respectueux avec Gaby. Me remémorer ses propos envers cettedernièremefoutenrogneetmonregarddevientglacial.—Mêmesituesdangereux,jepensequetun’espasunsimauvaisbougreau
fond,alorslaisse-moit’expliquerquelquechose,leBalafré.Ilportesacanetteàseslèvresetavaleunegrandegorgéeavantdereprendre:—Masœuretmoiavonsperdunosparentslorsquej’avaisdixans.Carlos,le
pèredeJuan,nousarecueillisetnousaoffertunemploisursaplantation,quin’étaitpasaussivastequ’aujourd’hui,enéchanged’untoitetducouvert.C’étaitunhommegénéreux,mais son fils…Quelquesmoisaprèsnotrearrivée, Juan,quiavaitd’autresprojetsen têteetqui s’impatientaitque sonpèrene luicèdetoujourspaslesrênesdel’exploitation,atuésonpaternelenluitirantuneballeenpleincœur.Jen’aipaschoisid’êtreàsasolde,ilm’yaobligéenpointantsonarmesurlatêtedemasœur.—Vousauriezpupartir,non?—Pouralleroù?Nousn’étionsquedesmômeset iln’yaqu’une façonde
sortirdecemilieu:lesdeuxpiedsdevant.Oui,çajelesais.— Là où je veux en venir, c’est que Juan n’a jamais réussi à me modeler
complètementàsonimage,mais ilyestparvenuavecbrioencequiconcerneManuel.Jediraismêmequel’élèvesurpasselemaître.Alors,situtiensuntantsoitpeuàtavie,resteloindelapetite.Silepatronnetetirepasuneballedanslecrâne en te regardant droit dans les yeux,Manuel le fera,mais avec lui, c’est
dansledosquetularecevras.J’acquiesce,maisilnem’apprendrien.Jelesaivusàl’œuvrepasplustardquelasemainedernière.Jerapportaisdes
denrées alimentaires sur la propriété lorsqu’un homme, un cueilleur de café,suppliait Juandenepas faire jene saisquoi.Cedernier a sorti son flingue, abuté le gars de sang-froid, puis a tourné les talons. Une femme s’est mise àhurlerets’estjetéesurlecorpssansvieenpleurant.Manuel,quimarchaitauxcôtésdesonpatron, commeà sonhabitude, s’est retournéet l’a abattued’uneballedansledos.Albertoestarrivéderrièremoiàcemoment-là.Jemedemandecequ’enpenseraitmajoliebrune.Non,enfait,jesuissûrdele
savoir.—CommentestdécédéelamèredeGaby?Jeconnaislaréponse,maisAlbertoest-ilprêtàm’enapprendreplus.Ilsoupiretandisquesonregardsevoiledetristesse.—Manueletmoidevionsl’escorterjusqu’àl’écoledelapetite,commechaque
jour,mais Juanm’avait envoyé chercher une caisse de victuailles àBogota etj’étaisen retard.Célineaimaitvraimentsonmari.Leur relationacommencéàs’effriterenvironunanavantcefameuxjour,quandelleadécouvertlesactivitésillégalesdesonépoux.C’étaitunefemmedouce,gentille,maistêtue.Elles’étaitmisentêtedeleconvaincredecessersontrafic,maisellen’ajamaismenacédele dénoncer. Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer ce jour-là. Seuls Juan,Manuel et sa sœurCarmen étaient présents aumoment où le drame a eu lieu.C’estCélinequiarecueilli lesenfantsAlvarezquandManuelavaitneufansetCarmensept.LaColombieestunfoutupays.Bref,toutcequejesais,c’estquele patron a tué sa femme,mais j’ignore pour quelle raison.Avant que la nuittombe, Juan nous a convoqués, Manuel y compris, dans son salon et nous aordonnédedescendre tous lesouvriersde laplantation.Lesautorités l’ontcrulorsqu’iladéclaréquenousavionsétévictimed’uneattaqueparungroupedeparamilitaires.Celaluiapermisdecouvrirlemeurtredesafemme.—Combien?Je ne développe pas ma question, mais Alberto la comprend puisqu’il me
répond:—Unetrentainedepersonnes.—Desenfants?—Non.J’airéussiàluifaireentendreraisonsurcepoint,mêmesicelan’apas
étéaisé.Masœuretmoiavonsemmenélesgaminsjusqu’àlarivière.Lorsque
nous les avons ramenés, la plantation ressemblait à une zone de guerre.Convoyerunpeudecocaïneestunechose,maisça…Etpuis,j’aisouhaitéquecesgossessoientépargnés,lesfillestravaillentsurlaplantation,maisquandjevoiscequelesgarçonssontdevenus,jemedemandesij’aibienfait.Jesaisiscequ’ilsous-entend.Luis,Miguel,Pepe,EstebanetManolosontdes
copies conformes de leur patron, alors que Pedro et Paco sont en passe de ledevenir,carilsn’ontquelesprécédentsetleuremployeurenguisedemodèle.—Gabyaassistéàcecarnage?demandé-jeeffaré.—Non,maisj’aitoujourseuundouteencequiconcerneCarmen.Quandj’ai
suggéréàJuand’éloignerGabyetCarmenaveclesautresmômes,ilm’ainforméqueletoubibvenaitd’injecterunpuissantsédatifàGaby.Est-cequetoutcelaestvrai,ouAlbertoest-ilentraindemetester?Jenepeux
me renseigner auprès des autres car, que ce soit la vérité ou non, je récolteraisûrementuneballedanslecrâne.Jeterminemabière,prendscongéd’Albertoetregagnemonlogis,songeur.Je
visdansunepetitemaisonenboisdedeuxpièces.Unecuisineouverteavecuncoinsalon,unechambre,unesalledebainspourvued’unedouche,d’unlavaboetdestoilettes.Cen’estpaslegrandluxe,maiscelameconvient.Lapropriété,plantationcomprise,s’étendsurcent-cinquantehectares.Toutes
les maisons des personnes qui travaillent pour Juan, sont semblables etdisséminéeslelongdel’exploitationsouslesarbresàcausedelachaleur.Nousavonsl’eaucouranteetl’électricité,maispasdetéléetencoremoinsderéseautéléphonique.Seulelagrandemaisonjouitdecesdeuxderniersprivilèges.Mabicoquesetrouveêtrelaplusprochedelagrandebâtisseblanche.Perdu dans mes pensées qui tournent autour des révélations morbides
d’Alberto, jegrignoteunmorceaudepainetunboutde fromageavantd’allerprendreunedoucheetderejoindremonlit.
13
Gaby
Je me réveille aux aurores, désorientée, puis réalise où je me trouve. Monregardtombesurundessinpunaisésurlemuràmagauche.C’estuncroquisdepetitspersonnagesquej’aicrayonnéenfant,représentantmesparentsetmoi.Jemelèveetentreprendsdedéfairemonsac.Jeprendsunedouche,enfileun
short, un chemisier sansmanches et sors explorer lamaisondans laquelle j’aipasséledébutdemonenfance.Jememetsàtrembler,alorsquemamainseposesurlapoignéedelaportedelachambredemesparents.Tupeuxlefaire,Gaby.
Jeprendsunegrandeinspirationetpénètredanslapièce.Toutestidentiqueàce que j’ai connu. Murs blancs, mobilier en bois clair, comme dans toute lademeure.Unedouleurintensemetranspercelapoitrineetunchagrin immensemesubmergelorsquemonregardseposesurl’endroitoùj’aidécouvertlecorpssansviedemamère.Mêmeaprèstoutescesannées,j’ailasensationquec’étaithier.Jequittelachambre,leslarmesauxyeux.Jem’adosseàlaporteenfermantles
paupières et me contrains à respirer le plus calmement possible pour tenterd’atténuermapeine,maisj’aisimal…Jequitte l’étageetnoteaupassagequemonpèrea fait installerunesécurité
supplémentaire sur laportequidonneaccèsà sonbureau. Je suiscertainequetoutcequim’intéressenesetrouvepasdanscettepièce,maisdanscellequ’elledissimulederrièreunpandemur.Je redécouvre le rez-de-chaussée et suis surprise de constater que rien n’a
changé,hormislejardinàl’arrièredelabâtissequiestdigned’unecartepostale.Piscine à remous, dotée d’une petite cascade qui sort du décor en pierre,palmiers,transatsenboispourvusdematelasdequalitéetmêmeuncoinquifaitbar. Mon père ne s’est certainement pas payé un avion et cette piscine auxdimensionsdémesuréesenvendantdescacahuètessuruneplage.Jerejoinslacuisine.—Bonjour,mademoiselle,mesalued’unepetitevoixunefemmebrune.Elleesttoutemenue,voûtéecommeunepersonneâgée,lesyeuxbaissésausol
etsetriturelesdoigtsnerveusement.
—Bonjour.Carmen,c’estça?Sesmainssemettentàtremblerlégèrementàl’évocationdesonprénom.—Oui,mademoiselle.Carmen a six ans de plus que moi. J’ai gardé le souvenir d’une pré-ado
réservée, mais là, je suis déconcertée de voir à quel point elle a changé. Jem’approched’elle etm’aperçois qu’elle n’est pas timide,mais apeurée. Jemesaisisdoucementdesesmainsetlespresselégèrement.—Tun’asabsolumentrienàcraindredemoi.Nousjouionsensembleavecton
frèrequandj’étaispetite,tut’ensouviens?Elle opine brièvement, redresse la tête et plonge des yeux hantés dans les
miens.Qu’a-t-ellevuouvécupouravoirceregard?— Je suis tellement désolée pour votre maman, murmure-t-elle d’un ton
contrit,avantdebaisserànouveauleregardsurlecarrelage.Mapoitrineseserre.—Merci.—Bonjour, tu es toujours aussimatinale, à ceque jevois, déclareunevoix
masculine.Carmen s’écarte aussitôt de moi comme si elle s’était brûlée et s’active à
préparer du café. Je me retourne vers l’homme qui vient de faire son entrée.Alberto a quarante-trois ans, le même âge qu’aurait ma mère aujourd’hui. Ilsemblefatiguéetmeparaîtplusvieuxquemonpaternel,alorsqu’ilaonzeansdemoinsquecedernier.Jelesaluefroidementet leremercieduboutdeslèvreslorsqu’ilmeprésente
sescondoléances.—Tuesdevenueunetrèsbellejeunefemme,Gaby.Commentvas-tu?Commes’ilenavaitquelquechoseàfoutre.
—Enquoi,celat’importe-t-il?demandé-je,ironique.Ilm’observeuninstant,désabusé.—C’estpourçaquetuesrevenue?Pourobtenirdesréponses,n’est-cepas?
s’enquiert-il.—Cen’estcertainementpasparcequetum’asmanqué,réponds-jesèchement.J’appréciaisAlberto quand j’étais gosse, il s’est toujoursmontré gentil avec
mamanetmoi,maismonpointdevueestbiendifférentaujourd’hui.—Gaby,jevousadoraistoiettamère,peuimportequetumecroiesounon,
maisellememanqueàmoiaussi.
Sonairtristenem’émeutpaslemoinsdumondeetj’entredanslevifdusujet:—Pourquoim’as-tumenti?Ques’est-ilpassé,ce jour-là?demandé-jed’un
tonmordant.La culpabilité s’ajoute au chagrin immense qui transparaît déjà dans son
regard.—Jetedemandepardon,Gaby.Jenesaispaspourquoitamèreestdécédée,
c’estlavérité.Àmoinsqu’iln’aituntalentcachéd’acteur,ilmesemblesincère.Jepivoteaumomentoùj’entendsunesortedecouinementétoufféderrièremoi
etvoisCarmenportersamainàseslèvres.—Tulesais,toi?luidemandé-je.Elle tourne la tête en direction d’Alberto, m’adresse un vif signe de
dénégation, puis sort des tasses du placard au-dessus d’elle d’une maintremblante.Cettefemmeestterrorisée.Siellesaitquoiquesoit,ellenemedirarienenprésenced’undessbiresdemonpère.JelalaissedonctranquilleetfaisdenouveaufaceàAlberto.—J’imagineque tuasdeschosesbeaucoupplus intéressantesàfairequede
noustenircompagnie,non?—Jesuisseulementlesordresdetonpaternel,Gaby,maisjevaisvouslaisser
dèsqueMiguelseralàpourprendrelarelève.Pourmesurveiller,moi,ouCarmen?Grincheuxm’ainforméquelesenfantsdescueilleursavaientsurvécuàlasoi-
disantattaquedesparamilitaires,carAlbertolesavaitemmenéspique-niqueraubord de la rivière à ce moment-là. Je connais les prénoms de chacun dessurvivants ainsi que l’âge qu’ils ont aujourd’hui. Mon père a-t-il recruté sessbiresparmicesgosses?J’enai laconfirmationaumomentoùMiguel,quiavingt-deuxanset figure
surlalistequej’aiétudiée,faitsonentréeensaluantvaguementtoutlemonde.Sescheveuxbruns,dontlespointessontdécoloréesenjaunepisse.sontdresséssursoncrâne.Ildétaillemoncorpsd’unairlibidineuxetmegratified’unsourirecarnassier.—Tuveuxmaphoto?leprovoqué-je.Ilhausseunsourcil,surpris,maisneditrien.J’aibesoindesavoircequecepetitconadans leventreet jusqu’oùjepeux
aller.Jecontinuedoncsurmalancée:
—T’asperdutalangueoutuasoubliédet’acheterunepairederoubignolespourmerépondre?demandé-je.Jesaisquejesuissurlabonnevoie,carsonregards’assombrit.—C’estquoi,tonproblème?s’enquiert-il.—Lespetitsmerdeuxdanstongenrequiattendentl’autorisationdeleurmaître
pour pouvoir lever la patte et pisser. Tu te prends certainement pour un caïd,maistuesseulementpathétique,dis-jed’untonméprisant.Ils’approchedemoi,leregarddeplusenplussombre.—Nemecherchepas,meprévient-il.Alberto, qui ne perd rien de notre échange, tente de m’arrêter verbalement,
maisjem’obstine:—Sinon,quoi?T’asriendanslefroc.Tun’esqu’untrouducul.Tonpatron
doitprobablementt’enculertouslesmatinspourquetusoisaussiobéissant.Bingo!Ilme saute dessus etm’attrape à la gorge. Je bute contre le plan de
travailderrièremoietCarmenpousseuncrid’effroitoutenbondissantdecôté.—Ilnefautpas…souffleCarmend’unevoixàpeineaudible.Miguelpivotesatêtedanssadirectionetlamitrailled’unregardsinistre.—Quandjetedemanderaidemesucer,tuouvriraslabouche,pourlemoment
tufermestagueuleettudégages,Carmen!Ellesortdelapièceencourant,puisMiguelresserresesdoigtssurmoncouet
plonge un regard cruel dans lemien. Je ne panique pas, repousse légèrementmondosenm’appuyant sur lemeubledemamaingaucheet tented’ouvrir letiroirdel’autre,alorsqu’Albertoluiintimedemelâcher.—Aucunefillenemeparlecommeça, tuvas leregretter,salechienne!me
crache-t-ilauvisage.Jeglissemamaindanslemeubleetmesaisisdupremierustensileàportéede
mesdoigts.J’espèreseulementquec’estquelquechosedeplustranchantqu’unelouche.—Lâche-làimmédiatement!crieAlberto.Lepetitconne l’écoutepas, je l’aibien tropénervé. Ilcommenceàcaresser
mapoitrinedesamainlibre,unsourirevicieuxauxlèvres.—Legrosatellementdemalàsedéplacerquej’ailetempsdet’enculeravant
qu’il arrive jusqu’à moi. Je suis sûr que tu vas aimer ça, espèce de salope,déclare-t-il avant de faire sauter les boutons de mon chemisier en tirantbrusquementsurlevêtement.
Jesorsmesdoigtsdutiroir,monarmedefortuneenmain,etlèvelebraspourfrapperlorsqu’AlbertoécarteviolemmentMigueldemoi.Lafourchetteseplantedans le bras du plus vieux qui se met à beugler comme un veau tandis queMiguelpercutebrutalementlagrossetableenchêne.Icesurgitentrombedanslacuisine.Aumoinsunquivaégayermajournée.Bienvenueàlafête!
—Quesepasse-t-il,ici?gronde-t-il.S’ensuitunecacophonieinfernale.AlbertoluirelatelesfaitsetMigueltentede
se justifier,mais Ice ne regardequemoi et s’approche, foudroyant aupassageMiguelduregard.—Çava,bébé?s’enquiert-il,enfrançais.—Oui,toutbaigne.Il est tellement sexy, bordel.Un rictus déforme ses traits et ses prunelles se
glacentlorsqu’ellesglissentsurmagorge,puissurmoncorsageouvert.JedoisprobablementavoirlatracedesdoigtsdeMiguelimpriméesurmapeau,maisjene ressens aucune douleur. Ice se retourne d’un coup et fond surMiguel quiécarquillelesyeux,effrayé.Ill’attrapeauniveauducoldesont-shirtetsoulèvelegaminàsahauteur.—Ellem’ainsulté!—Et alors?Son pèrem’a demandé de veiller à ce qu’il ne lui arrive rien.
Touche-laencore,neserait-cequeduboutd’undoigtetjetecrève,c’estclair?!Migueldéglutitavecpeineethoche la tête. Ice luidonneunviolentcoupde
têteetlebalourdsemetàhurlerdedouleur.Ilrelâchebrusquementlegaminetlui ordonnededéguerpir.L’autre s’exécute, unemain sur sonnezqui pisse lesangetdeslarmesroulantsursesjoues.Sid’ordinaire,jen’approuveraispassongeste,là,jeluiensuisreconnaissante.Ice pivote ensuite vers Alberto, qui s’est assis et maintient son bras en
grimaçantdedouleur,ets’enquiertdelagravitédesablessure.—Carmen,allezchercherletoubib!Jen’aimêmepasremarquéqu’ellesetientprèsdel’embrasuredelaportetant
je suis occupée àme délecter du verso du corps de Ice.Épaules larges, t-shirtblanc près du corps qui épouse un dos long et musclé, taille étroite et shortminimaliste qui moule à la perfection son cul ferme et rebondi. Cuissespuissantes et jambes athlétiques. Son t-shirt est trempé de sueur comme s’ilsortaitd’uneséancedesport.Jememordillelalèvreinférieureetlâcheunpetitsoupird’enviemalgrémoi.Cemecàuncorpssublimeet jen’aspirequ’àune
chose:levoirentièrementnu.—Àquoipenses-tu,bébé?Ice ne s’adresse à moi qu’en français, probablement pour que les autres ne
nouscomprennentpas.Jerépondssansréfléchir,alorsquejelouchemaintenantsursoncôtépile.—Es-tuaussidélectableàpoil,quevêtu?Parceque, là, j’aienviede lécher
chaqueparcelledetoncorps.Mesyeuxremontentlentementlelongdesescuisses,s’arrêtentsurlabossede
sonentrejambequiestentraindetriplerdevolume.Jemelècheleslèvres,puismonregardplongedansdeuxyeuxbleupâlequibrûlentdedésir tandisqu’unindexmefaitredresserlatête.—Cessedemematercommesituallaismebouffer,bébé.Çam’excitecomme
undingueet jene suispascertaind’avoir suffisammentde sang-froidpournepas t’allonger sur ce plan de travail, te besogner dans toutes les positionspossiblescommeundémentettefairejouirencoreetencore.Contrairement àMiguel, Iceme fait mouiller comme une fontaine avec ses
parolesetjeserremescuissesl’unecontrel’autre.— Peux-tu t’abstenir de déclencher une guerre nucléaire le temps que je
prenneunedoucheetquejemechange?Tudevraisenfaireautant,nonpasquelespectacledetesseinsàmoitiédénudésmedéplaît,maisjepréféreraisêtreleseulàenprofiter.Jehochelatêteetsouris,imaginantmesmainssavonnersonsuperbecorps.Je
leregardes’éloigneretmefocalisesursonpostérieur.—Ellem’apromisdenepasinsulterquiquecesoitletempsquejerevienne,
dit-ilenespagnol,àAlberto.Hein?Jesuissesfessesmuscléesdesyeuxalorsqu’ilsortdelacuisine,sans
comprendrepourquoi il s’enva.Mesneurones se reconnectent àmoncerveautandisquemonregardseposesurAlbertoquiesttoujourslà.Unbonhommeauxcheveuxgriset trapus’occupedesonbras.D’oùest-cequ’ilsort,celui-là?Jeperdslatêteouquoi?Je quitte la pièce et rejoins ma chambre pour changer de chemisier, puis
redescends.Lorsquejepénètredenouveaudanslacuisine,Alberto,dontlebrasestmaintenantbandé,m’observed’unairsongeur.— Tout le monde craint le Balafré depuis qu’il a collé une dérouillée
mémorableàManuel.Toi,parcontre,nonseulement ilne t’effraiepas,mais ilsemblet’attirercommeunemoucheleseraitavecdumiel.
—Pasdutout,répliqué-jed’untonacerbe.—Unvieuxsingecommemoisaitreconnaîtrelatensionsexuellequicircule
entredeuxêtres,petite.Peum’importecequisepasseentrevous,maisManuelledescendras’ilapprendquetuenpincespourcegars.Celanedevraitpasmetoucheretpourtantc’estlecas.Jenesouhaitepasque
Icesefassetuerparmafaute,cependant,unequestionmeturlupine.—Pourquois’est-ilbattuavecManuel?—ManuelsecroitplusfortquetoutlemondeetadéfiéleBalafréencombatà
mainsnues.Illuiafalluplusieursjourspours’enremettre,maisleplusétrange,c’est que ton père les a observés se cogner dessus sans intervenir. Il a laisséManuelsefairedémolir.Probablementpourévaluerlaforcedesparticipants.
—Tuvascertainementcroirequemespenséessontdéplacées,maisdepuiscejour, je me demande si ton père ne préférerait pas un homme de l’acabit duBalafrépourgendre.JuanapromistamainàManuel.Pourquoimedirecela?Parcequ’ilpensequeIcem’attire?
Mon père n’accepterait pas que j’épouse quelqu’un d’autre que l’un de sesgars,surtoutsijedécidederesterici.Iceremplitcettecondition,jepeuxpeut-êtreobligermonpaternelàreconsidérersonchoixetainsi,gagnerdutemps.Albertoguettemaréaction,maisjeresteimpassible.—Quellessontsesfonctions?demandé-je.—J’imaginequecesontcellesduBalafréquit’intéressent.J’acquiesce.—Jusqu’àilyapeu,sonrôleconsistaitàveillersurlescueilleurs.Mmm.Veillerousurveiller?Jepenchepourlasecondeoptionvulapalissade
quiceintlapropriété.—Etmaintenant?—Ehbien,ildoitprendresoindetoidurantl’absencedetonpèreetjedoisle
formerpourqu’ilmeremplace.Albertovientdepiquermacuriosité.JeprendsplaceàtabletandisqueCarmen
réapparaît,noussertàchacununetassedecaféetquittedenouveaulapièce.—Tuprendstaretraite?demandé-jed’untonsarcastique.—Enquelquesorte.Jesuisatteintd’uncancergénéralisé.Celaexpliquesansdoutesonairfatigué,maispourquoin’est-ilpasàl’hôpital,
danscecas?Jem’apprêteàluiposerlaquestion,maisilmedonnelaréponse
avantmêmequej’ouvrelabouche.—Personnenesortd’icisicen’estpouraffaires,Gaby.Tonpèrem’accordele
privilèged’abrégermes souffrances. Je nedevrais pas te dire tout ça,mais aupointoùj’ensuis,jenerisqueplusgrand-chose.Alberto, loin d’avoir peur, semble résigné. Moi, j’ajoute un meurtre
supplémentaireauxactivitésdemonpaternel.—Enquoivaconsisterlaformationd’Ice,hormisconvoyerdelacocaïned’un
pointAàunpointB?Ilestbouchebée.—Commentlesais-tu?— Ce n’est pas parce que je suis une femme que je ne sais pas faire
fonctionnermacervelle.— Si tu as hérité de la couleur des cheveux de ton paternel, tu ressembles
beaucoup à tamère,même si tes yeux sont plus vifs que les siens. Elle aussiavaitcomprisquelesactivitésdetonpères’étendaientau-delàdelaproductiondecafé.Sontontristemelaissecroirequec’estcettedécouvertequiacausélamortde
mamère.Albertodémentetme révèle lepeuqu’il sait,mais j’ai l’impressionqu’il neme dit pas tout. Ilme relate également la façon dontmon père s’estallouésesservicesetsaloyauté.JecomprendsmieuxcertaineschosesetmarancœurcontreAlbertos’atténue
quelquepeu.—As-tuassistéàl’enterrementdemaman?Sesyeuxsevoilentdetristesseetunepenséeincongrues’immiscedansmon
esprit.—Oui,elleestbiensouscettestèle,petite.Ilconfirmelesparolesdemonpèreconcernantlecuré,maism’apprendsque
cedernieraofficiésouslacontrainted’unearmeetaétéretrouvésansviedeuxjoursplustarddansunquartierdeBogota.Albertomesondeduregard,maisjenemontre rien. Jem’apprête àme leverquand il pose samain calleuse sur lamienneetlapressedoucement.—J’aimaisvraimenttamère,plusquejen’auraisdû,j’enconviens,maiselle
n’avaitd’yeuxquepoursonépoux,murmure-t-il.Je suis stupéfaite. Alberto était amoureux de mamère ? Je ne sais quoi en
penser,maisjevoislavéracitédesesproposdanssonregard.
— Je lui ai fait une promesse, Gaby, lors de sa mise en terre. Ça n’aprobablementaucunevaleurà tesyeux,mais je tiendraimonengagementquoiqu’ilm’encoûte. Jemedoutepourquelle raison tu es revenue,petite, etquoiquejeteconseille,tun’écouterasprobablementrien,maisjetepriedeprendreen considération ceci : j’ai juré sur la tombe de ta mère que je ne laisseraispersonne te faire du mal. Ton père est un être impitoyable, mais surtout, netournejamaisledosàManuel.Jehochelatête,ayantbienreçulemessage.—Mercidem’avoirdit toutcelaet,désoléepour tonbras,dis-jeenpressant
légèrementsamain.Jequitte la table,nesachant toujourspaspourquoiJuanatuémamère,mais
pourunepremièrejournée,j’enaidéjàapprisplusquecequej’espérais.
14
Ice
Jemesoulagesousladouche.Encore.Jesaisquejenesuispasprêtd’allongerGabysousmoi,surtoutmaintenantquenoussommesici.Mavievadevenirunenfer si je dois la côtoyer tous les jours sans pouvoir m’enfouir en elle. Jedevraishaïrsonpèredem’avoirdésignépourlasurveiller,maisjepréfèrequecesoitmoiplutôtqu’undecesgamins.CepetitcondeMigueladelachancequejemesoisretenudeluiéclaterlagueulecontrelatable.Manuelenpenseracequ’ilvoudra,mais il esthorsdequestionque je la lui
laisse. Gaby me plaît et elle me désirait, moi, personne d’autre, dans cettecuisine. Je veux également apprendre à la connaître autrement qu’à travers lesexe.Jemebranleplus fort, alorsque jeme remémoreson regard lascifdétaillant
moncorps,sesparoles,lanaissancedesesseinsfermesetgénéreux,sestétonspointésversmoi,m’exhortantvivementde les libérerde leurécrindedentelleblanche.Unrâleanimalfranchitmeslèvrestandisquejejouisendelongsjetsbrûlantscontrelaparoicarrelée.JerécupèreleBeretta92queJuanm’afourni,lepassesouslaceinturedemon
pantalon,ainsiquemonGlock26que je fixeàmachevilledroite. Je retournevoirmajoliebrunequi,j’espère,n’apasfaitdevaguesenmonabsence.Albertom’informequ’elleestsortie,accompagnéedesaguitare.Jel’aperçoisàl’entréedelaplantationdecaféoùellesembles’entretenirvivementavecPedroetPaco.Bonsang,ellenepeutdoncpassetenirtranquilledeuxsecondes?
J’accélèrelepaspourlarejoindreavantqu’ellenedéclencheleshostilités.—Quesepasse-t-il,encore?m’enquiers-je,parvenuàsescôtés.—Elleveutsortirdelapropriété,m’informePaco.Ça,jem’endoute.—Oùcomptes-tualler?Iln’yarienàvisiterdanslecoin,dis-jeenfrançais.—JesouhaitemerendreàCaruru,mebalader.C’estsansdoutemieuxquederestercloîtrésurlaplantation,aprèstout.—D’accord,maisjet’accompagne.Ellegrimace.J’ajoute:
—Bébé,jeregrette,maisc’estçaourien.Àtoidechoisir.—D’accord,soupire-t-elle.Jeconçoisquec’estfrustrant,pourunejeunefemmedesonâgequiagrandien
Europe, de se retrouver privée de totale liberté ici. J’explique aux garçonsquellessontnosintentions.Dèsqu’ilss’écartentpournouslaisserpasser,Gabysemetenrouted’unpasvif,maisjelarattrapeenluisaisissantlebras.—Onvaprendreunvéhiculepourserendrejusqu’àlarivière,viens.Elleme suit sans rechigner jusqu’à l’auvent enbois qui abrite deux jeeps et
quatre motos tout-terrain. Ses yeux s’illuminent quand ils tombent sur sesdernières.—J’imaginequetonchoixseportesurunedeuxroues,maisnousnepouvons
enprendrequ’une.—Oh,d’accord.Tuesdéjàmontésurunemoto?—JeconduisuneZZR1400depuisquej’aimonpermis.Ellesembledéconcertéeetplissesoudainlesyeux.—C’estmoiquipilote,gronde-t-elle.—Non.Àsonair,jesaisqu’elles’apprêteàrépliquervertement,maisjeladevance:— Je t’ai vumanier ton engin, je ne reproche rien à ta conduite,mais je te
proposeundeal.Situn’essaiespasdemesemeraucoursdecettejournée,jetelaisserainousramener.Jevoispresque les rouagesde soncerveau semettreenbranle,puis elleme
gratified’uneminedéconfite.—Jeseraiprobablementtropcrevéeauretour,laisse-moiconduireàl’aller.—Non,tuseraiscapabledeprendrevolontairementuneornièrepourm’éjecter
duvéhiculeett’enfuirjenesaisoù.Ellem’adresseunsouriregoguenard,puismerépond:—LegrandméchantIcen’estqu’unpeureux.Je ne réplique pas, récupère les clés de la seule bécane à deux places,
enfourche l’engin, qui ressemble plus à une bicyclette, comparé au mien, etdémarretandisqueGabymontederrièremoi.Nous roulons depuis à peine deux minutes et ses mains commencent
doucementàsebaladersurmont-shirt,seglissentsouslevêtement.Ellecaressesubtilement mes abdos et ma queue s’allonge comme le nez de Pinocchio.Bordel,ellechoisitbiensonmomentpourmetripoter!
Jeserrelesdentsetmeconcentrefarouchementsurmaconduitem’attendantàplusd’attouchements,maiselleposesatêteentremesomoplates.Sesmainssurmapeausontàlafoisundéliceetunsupplice.Majoliebruneplaquéecontremoi,m’entourantdesesbras,mefaitressentir
des émotions jusque-là encore inconnues. C’est étrange.Mon cœur se gonfle,monabdomenfaitdescabrioles,maisplusquetout,jesuisbien,apaisé.Arrivésàlarivière,nousempruntonsl’embarcationàmoteurquiappartientà
son père.Gaby gratte distraitement son instrument, elle semble complètementailleursetfredonnedescomptinesletempsdelatraversée.Caruruestunepetitemunicipalitéoùiln’yapasgrand-choseàvoir,demon
pointdevue,maisGabymedémontrelecontraire.Ellemefaitremarqueràquelpointlesautochtonessontavenants,chaleureuxetviventsimplement.Leballond’ungamind’environcinqans roule jusqu’àmoi, je le lui renvoie
doucementdupiedensouriant.Contre touteattente, lemômeme réexpédie laballe.Jeregardelejouetàmespieds,perplexe.Jenemesouvienspasavoirjouéavecunautreenfant,pasmêmeavecmonfrère,lorsquej’étaispetit.—Joue!m’ordonnelegosse.Jenesaispasquelle tête je fais,mais jevoisGabym’observer étrangement,
puis elle m’adresse un sourire espiègle et me pique la balle du bout de sachaussure.—OnvaapprendreàIcecommentonjoueaufootetonvaluimettrelapâtée,
dit-elle,s’adressantaubambinqui,lui,exulte.—Hé!m’insurgé-je.J’essaiede reprendre leballonàGaby,maiselle lepoussevers lemômequi
éclatederire.Cesonmeréchauffelecœuretjemesurprendsàentrerdansleurjeu,jecoursdel’unàl’autre,manquantlaballeexprès.Gabyestrayonnanteparsonsourireet jeprendsplaisirà jouer. Ilsmefont tournerenbourriquedurantunebonneheurepuis, je rends lesarmesennage,alorsque le soleil està sonzénith.Jem’assoisàmêmelesol,crevéetmourantdesoif.Legaminmedéconcerte
ensejetantàmoncou.—Onagagné?—Oui,bonhomme,c’esttoilechampion,dis-je,luiébouriffantlescheveux.Lebambinmeplanteunbisousurmajoueabîmée,jeleregarderejoindreses
parents,l’airahuri,etsursauteàlavoixdeGaby.
—Tuesunhommetrèscomplexe,Ice.Jene répondspas, sachant trèsbienqueldilemmese jouedans soncerveau,
maisjenem’attendscertainementpasàlaquestionqu’ellemeposeensuite.—Combiendepersonnesas-tutuées?Malgrésonairimpassible,ellem’observed’unregardperçant.— Une seule, mais je suppose que c’est toujours une de trop à tes yeux,
murmuré-je,désabusé.Ellesoupire,ouvre laboucheet la refermeaussitôt tandisqu’unhommeà la
peautannéenousapproche.—Je suis lepèredeDiego, legarçonavec lequelvousavez si aimablement
acceptédejouer.Jeseraistrèshonorédepartagernotredéjeuneravecvous.Jejetteuncoupd’œilàGabyquihochelatêteensigned’assentiment.Jeme
lèveetnousemboîtonslepasaubonhomme.—C’étaitmonécole,lâchemajoliebrune,alorsquenouspassonsàcôtéd’une
constructionenbois.Elledemandes’ilestpossibledelavisiter,l’hommeacquiesceetnousconduit
versl’entrée.Quatretypes,entenuemilitaire,setiennentnonloinetjesuisdéconcertéd’en
reconnaîtreunparmieux,Rafael.Ilmesaluepolimentd’unsignedetête,puisdétailleunpeutroplonguementmacompagne.Gabyenfaitautantetlesmusclesdemonventresecontractentméchamment.—Tuvasresterenextasedevantluiencorelongtemps?Elleseretourne,ungrandsourireauxlèvres.—Ilestmignon.Tucroisquec’estunboncoupaulit?J’ai envie de lui tordre le cou pour lui faire ravaler ses paroles. Elle me
provoquedélibérémentet,malgrétout, jeplonge,têtelapremière.Jelagratifiedemon regard le plus glacial et gronde tant la colèreme ronge. Loin demecraindre,elleéclatederireetposesesmainsdechaquecôtédemonvisage.—Tum’attiresplusquelui,Ice,maisjenepeuxfaireabstractiondecequetu
es,nidelapersonnepourquitutravailles,murmure-t-elle.Ellemechauffe,sansmêmelevouloir,etm’asperged’eauglacée laseconde
suivante.Jefermelesyeux,enproieàplusieurssentimentscontradictoires.—Ice?Jerouvrelespaupièresetsoupirededépitquandelleretiresesdoigtsdemes
joues.
—Peux-tuveillersurmaguitareletempsquej’ailleauxtoilettes?J’opine,puisfroncelessourcils,suspicieux.—Tucomptesmefaussercompagnie?Ellem’adresseunsourirerassurant.—Non,j’aiseulementbesoindevidermavessie.—Bien.Jet’attendsici.Je récupère son instrument et souris en repensant au jour où je l’ai acheté.
Gabypassaitdesheuresàécouterunsansdomicilefixejouerdelaguitare.Legarsl’ainvitéeplusieursfoisàs’asseoiràsescôtésetluiamontréouplacersesdoigts, comment gratter les cordes. Jamais je n’oublierai le sourire éclatantqu’elle affichait lorsqu’il lui confiait son instrument.Alors, j’ai demandé à undesBlacksde lui remettrecelui-cidemapart,mais jenemedoutaispasqu’ilseraitencoreensapossessionaprèstantd’années.Etpuis,Jenesaispourquoi,avantdequitterMarseille,jevoulaisqu’ellepossèdequelquechoseensouvenirdemoi.C’estidiot,non?Je passe la sangle surmon épaule et attends patiemment qu’elle ressorte de
l’école.Rafaelmejetteplusieursfoisuncoupd’œil,maisl’uncommel’autre,nefaisonspasminedenousconnaître.Jeluiadresseunlégersignededénégationalorsquesonregards’attardeunpeupluslonguementetilhochefurtivementlatête,mesignifiantqu’ilacomprismonmessage.Gabymesurprendlorsque,aprèsavoirrécupérésaguitarequ’elleglissedans
sondos,elles’emparedemamainenmesouriantetm’annonce:—Viens,jemeursdefaim.Nous passons à proximité du petit groupe en treillis sans qu’elle daigne
adresserun regardàRafael et çameplaît. Jedeviensdeplusenplusmouducerveau depuis que je l’ai retrouvée dans ce bar parisien, j’en ai conscience,mêmesijenecomprendspaspourquoi.Nousnousrégalonsdepoissongrillé,degalettesdefarinedemaïsetdefruits.
Gaby étanche sa soif de connaissance sur les us et coutumes de cettemunicipalitéquiregroupeplusdevingtethniesdifférentesd’indiens.LepèredeDiegodévisagemescicatricesdepuisunlongmomentetjemesens
de plus en plus mal à l’aise. Soudain, il se redresse, retire son t-shirt et memontresondosquiestparcourudequatrelonguesbalafres.—Jaguar,lâche-t-il,avantdemefaireànouveauface.Jevoisoùilveutenvenir,toutmoncorpsseraiditetmonmalaises’accroît.
—Ettoi,quellebête?Unebeaucoupmoinsgrosse,maistrèsviolente.Gabym’observeavecunintérêtnonfeintet jenesaispourquoi,maisjen’ai
pasenviedeluimentiràcesujet.Jeplantemonregarddanslesienetrépondsenfrançais:—L’amantdemamère.Elleest choquée,puis sesyeuxsemettentà flamboyerd’horreur. Jevois les
questionsaffluerauxbordsdeses lèvres,mais lesmots lesplus inattendusquisoient,sortentdesabouche:—Ungroschat,traduit-elleenespagnolpourlepèredeDiego.Gaby répond à ses questions en brodant, puis amène subtilement la
conversationsurunautreterrainetjeluiensaisgré.Cettefemmeestadmirable.J’aiconsciencequejeviensdecommettreuneerreurenluirévélantcela,ilva
falloirquenousayonsuneconversation, seulement,unequestionme taraude :puis-jeluifaireconfiance?
15
Ice
Nousremontonsàborddubateauenfindejournée.Gabynem’apasinterrogéde tout l’après-midi, mais je sais qu’elle attend lemoment propice, que noussoyonsloind’oreillesindiscrètes.J’aiàpeinedémarrélemoteurquelapremièrequestionfranchitseslèvres.—Quelâgeavais-tu?Jeréfléchisàcequejepeuxluidévoiler,puisdécided’êtrehonnête.—Gaby,jevaisrépondreàtesquestions,maisjedoistedemanderunechose
auparavant.Ellemeregardeunmoment,intriguée,puisacquiesce.—Tonpèreetseshommesnesontpasaucourantetjetiensàcequecelareste
ainsi,tucomprends?—Jenedirairien,Ice.Parcontre,j’aiuneexigenceégalement.Jesupposeque
s’enquérirdupasséd’unepersonnerevientàfaireconnaissanceavecelle,non?J’acquiesce,maisnevoispasoùelleveutenvenir.— Il y a des choses àmon sujet que je ne souhaite pas aborder. Je nepeux
doncexigerquetum’apprennestoutdetoi,puisquejeneseraipasenmesuredete rendre la pareille. Seulement, je suis intransigeante sur un point : pas demensonges.Soittudislavérité,soittutetais.—D’accord.J’avaissixansquandilm’adéfigurédelasorte.Ses traits se durcissent et la répugnance transparaît dans ses prunelles,mais
ellen’estpasdirigéecontremoi.—J’espèrequ’ilapayépourcequ’ilt’afait.—Jel’aitué.Elle me scrute, les yeux ronds comme des soucoupes. Elle neme pose pas
d’autresquestionsjusqu’àcequenousaccostions.—Pourquoit’a-t-illacérélevisage?Je la regarde s’asseoir en tailleur au bord de la rivière et je la rejoins. Je
soupire,fermelesyeux,etjerevistouscesinstantscommes’ilssedéroulaientmaintenantetquejen’étaisencorequ’unpetitgarçon.
*****
J’aisixans,enfinpresque.Mamanditqueceseralecasdansquatremois.MonpapaestmortdansunaccidentilyadeuxsemainesetmamanadécidédevenirenFrance.NousarrivonschezunmonsieurquihabiteprèsdeMarseille.Jenesaispass’ilestgentiloupas,maisjenel’aimepas.Ilembrassemamansurlaboucheetsamainremontesoussajupe.Mamans’écartedeluietnousprésente,monfrèreConnoretmoi,aumonsieur.Ilnousregardedetraversetcrieaprèsmaman.—Qu’est-cequ’ilsfoutentlà,cesmorveux?!—J’aiobtenumonvisapourlesÉtats-Unis, jevais tentermachancelà-bas.Macarrièred’actricene
décollepasenEuropeetjenepeuxpasm’encombrerdedeuxgamins.
—Non,maistutefousdemoi?!Ilesthorsdequestionquejem’occupedetesgossespendantquetutepavanerasdanslesruescaliforniennes!Etnousdeux?Jepensaisqu’onseraitenfinensemble,maintenantquetonmariestdécédé!J’enaimarred’êtredeboutaumilieudusalon,alorsjevaism’asseoirsurlecanapéentissuetConnor
merejoint.Mamanetlemonsieurcrientdeplusenplusfort.—Tuasfuméunpétard,ouquoi?!Iln’ajamaisétéquestiond’unavenirensemble,macarrièrepasse
avanttout,cesmiochesycompris!ditmaman.Marie-Lou,notremamanest française.Onparlecette langue,Connoretmoi,ainsique l’anglaiset le
gaélique,maislà,jenecomprendspastouslesmots.—Connor,tusaiscequisepasse,toi?—Non,maisjen’aimepascebonhomme.—Moinonplus.Ilmefaitpeur.Noussursautonstouslesdeuxquandnousentendonsuneporteclaquer.Lemonsieursemetàhurleret
lanceunebouteillecontrelemur.Elleéclateenmillemorceaux.Mamann’estplusdanslapièceetjememetsàl’appeler.—Maman?Jemelèveducanapépourlachercher,monfrèremetsamaindanslamienneetnousappelonsmaman
touslesdeux.Lemonsieurseretourneets’approche.Ilal’airencolèreetj’aideplusenpluspeur.Ilnousgifleviolemment,Connoretmoi,etnousnousmettonsàpleurer.—Maman!Maman!crié-je,alorsqueleslarmesroulentsurmespetitesjoues.
Lebonhommenoushurled’arrêterdechialeretdebrailler,maisjecontinue,monfrèreaussi. Ilnousattrapepar lescheveuxetnous faitsortirde lapièce,nous traînedansunescalier,me lâchepourouvriruneporteetnouspousseàl’intérieurdecequiressembleàungarageremplid’outils.Jem’accrocheàmonfrère,quiestautantenlarmesetterroriséquemoi,pendantquelemonsieurferme
laporteàcléetsedirigeversl’établi.—J’aipeur,Connor.Qu’est-cequ’ilfait?Oùestmaman?Monfrèresangloteplusfortetsemetàtrembler,cequimeterrifieencoreplus.Jetournelatêteetvoisle
monsieurpasserdeschaînesdansdesanneauxfixésaumur,commeceuxquej’aivusdansuneécurie,unefois.Peut-êtrequecetendroitenétaituneavant.Lemonsieurs’approchedenousetattrapemonfrèreparlebras.Jecrie, frappelebonhommedemes
petitspoings,maisilmegiflesiviolemmentquejetombeausol.Ilpasseunedeschaînesautourducoudemonfrèreetglisseuncadenasentredeuxmaillonspourlafairetenir.Ilrevientmechercheretm’attachedelamêmefaçon.Ilprendunebouteillederrièresonétabli,retirelebouchon,boitlonguementetnousregarded’unairmauvais.J’aitellementpeurquejefaispipidansmonpantalon.
—Bientôtneufansquej’attendsàcausedevousettoutçapourrien!Puisquevotre mère vient de vous abandonner comme des chiens, je vais vous traitercommetelsjusqu’àcequ’ellemerevienne!Mamannenousapasabandonnés,ilment,elleneferaitjamaisça!Iléteintlalumièreetsortdusous-sol.J’entendsmonfrèrechialeretappelermaman,jemerapprochede
luietnousnousserronsl’uncontrel’autre.Jenecomprendspascequinousarrive,Connornonplus.Nousfinissonsparnouscouchersurlesolenbétonfroid, tremblants,enlarmes,apeurésetnousfinissonsparnousendormir.Le lendemain, jeme réveille en ayant un peumal à la gorge. J’ai soif et j’ai faim. Jeme lève etme
dandine,unemainsurmonentrejambe.—J’aifaitpipidanslecoin,là,m’informemonfrère,enmedésignantl’angledumur.J’enfaisautantetmerassoisàcôtédemonfrère.Lemonsieurentre,unebouteilleàmoitiévidedansunemainetuntéléphonemains-libresdansl’autre.Il
compose un numéro et j’entends plusieurs fois la sonnerie, mais personne ne répond et le bonhommes’énerveetsemetàbeugler:—Jevaisfairepayertesmouflets,chaquejourjusqu’àcequetureviennes,pourm’avoirprispourun
conpendantneufans!Ilattrapeunegrandecléàmolette,papaenavaitunecommeçadanssongarage,puisillèvelebrasen
s’approchantdenous,l’airencoreplusméchant.Jem’écartevivementd’uncôtéetConnordel’autre.Jehurleetpleure,metordantdedouleur,alorsqu’il
mefrappeaveccetobjet.Jemerouleenbouleetappellemamamanquinevientpasmechercher.J’aimal,j’aipeur.Jemerecroquevilleencoreplusalorsquej’entendsuneporteclaquer.Monfrèremeparle,maisc’estcommesijen’étaispaslà.Jechialelongtempsetm’endors.J’ouvrelesyeux,j’aimalaudos.J’essaiedem’asseoiretyparviensavecbeaucoupdedifficultés.—Ilaapportédelapâtéepourchiensetunegamelled’eau,m’informeConnor.Lapâtéeestàmêmelesoletmonventremefaitmaltantilgargouille.—T’enasmangé?—Oui.Jemejettesurl’alimentquisentmauvaisetaungoûtbizarre,maisj’aitropfaim.—Connor,tudors?demandé-je,unlongmomentplustard.—Non.—J’aienviedefairecaca.Jenepeuxplusmeretenir.—Faisdanslecoinoùonafaitpipi.Jem’yrendsetunefoisquej’aiterminé,jemerendscomptequejen’aipasdepapierpourm’essuyer.Je
mereculotte,rejoinsmonfrèreetmemetsàpleurerdehonte,maisj’aiégalementpeurquelebonhommemefrappedenouveauparcequejeviensdefaireunebêtise.Lelendemain,nousrevivonsexactementlamêmescène,saufquelemonsieurfrappemonfrèrecettefois.
Ilnouslaissetranquilletroisjoursdurantlesquelsilnousapportenotregamelled’eauetnousjettedelapâtéeausol,puissonmanègerecommenceetilnousbatàtourderôle.Lebonhommeboittoutletempsetrenifleparfoiscequiressembleàdelafarine.Jenesaisdepuiscombiendetempsnoussommesici,maismamannerépondjamaisetjecommenceà
croirequeleméchantmonsieuraraison:ellenousaabandonnés.Monpapamemanquebeaucoup,maisjesaisqu’ilnepeutpasvenirnouschercher.L’homme entre,mais aujourd’hui, en plus de sa bouteille et du téléphone, il a un fusil. Je tremble de
trouilletandisquejeleregardechargersonarme.Ilcomposelenuméro,commed’habitudeetbalancele
téléphone d’un geste rageur à travers la pièce. Il braque ensuite le fusil surmon frère et jememets àhurler.Ilserapprocheenmarchantcommes’ilallaits’écrouleretjesaisqu’ilabeaucoupbu.
Jesuisleplusprochedelui.Jemejettedanssesjambes,iltombepar-dessusmoi et sonarme lui échappedesmains. Il semet à battremon frère avec sespoingstandisquejemeredresseettendslebraspourattraperlabouteillequ’ila laisséesur lecoinde l’établi,comptant le frapperavec.Aumomentoùje lasaisis,ilmel’arrachedesmains.Illafrappesifortcontrelesol,qu’ellesecasseendeux.Ilmegifleviolemmentaveclamoitiédelabouteillecasséequiestdanssa main et je m’effondre à terre. Je hurle de douleur, le sang et les larmesobstruantmavision,maisj’entendstoutàcoupmonfrèremecrierengaélique:—Lefusil!Attrapelefusil,ilestjusteàcôtédetoi!Jecherchemaladroitementl’armedemamaindroiteetn’hésitepasunesecondequandjelasenssous
mesdoigts.Jelasaisis,meredressecommejepeux,placelefusildevantmoietcherchelagâchette,commej’aidéjàvuunmonsieurlefaireàlatété.—Tire!Tire!mehurleConnor.J’appuieaumomentmêmeoùunesilhouetteflouesepenchesurmoi.
16
Ice
Jerouvrelespaupièresetdoitêtrelivide,carGabymemurmure:—Tun’espasobligédem’enparlersitunelesouhaitespas.Jefixel’eaudelarivièreetmemetsàluirelatertoutça.J’aperçoisunelarme
silencieuseroulersursajoueàlafindemonrécit.Ellel’essuied’ungestefurtif.—Jel’aituéd’uneballeenpleincœur.Lecoupdefeuaalertéleplusproche
voisinquinousadécouvertsetaprévenulessecours.Lemédecinquinousaprisenchargem’asouhaitémonanniversairequelquesheuresplustard.— Je suis désolée que tu aies dû subir tout ça. C’est pour cela que tu as
souventceregardsihostile?dit-elled’unevoixsuave.—Ce typem’a défiguré avec ce qui restait de cette bouteille parce quema
mèrenousarejetés,monfrèreetmoi.Ellel’afaitunesecondefoislorsquelesservices sociaux sontparvenus à la contacter.Elle adéclaréqu’ellenevoulaitplusrienavoiraffaireavecnous,qu’elleavaitrefaitsavieetqu’elleattendaitunenfantdesonnouveaumari.Jetelaisseimaginercequedeuxgarçonsdehuitetsixansontpuressentir.Ilm’aétéimpossibledeparlerdurantquatreans,suiteàcesévénements.Etçamefaittoujoursaussimaldanslapoitrine,commequandj’étaisgosse.—Jecomprends,Ice.—Bébé, lacolèrenemequitte jamaisparceque,par sa faute, lesenfants,à
l’école,n’ontjamaisvoulujoueravecmoi.Lesfilles,àl’époque,etlesfemmes,aujourd’hui,me rejettent. Visualise un ado, dont les hormones viennent de seréveiller,quivoitsonfrèresetapertouteslesnanasqu’ilveut,alorsqu’aucuneneselaisseapprocherdeluiparcequ’illesrépugne,leseffraie.J’aiàpeineterminémaphrasequelesparolesquem’aditesGabydansl’avion
mereviennentàl’esprit.La crainte du rejet est ancrée enmoi et j’en ai tellement souffert dansmon
adolescenceque je laisse lacolèremesubmergeravantmêmed’approcherunefemme.Silesfillesn’ontpasvouludemoi,pourquoienserait-ilautrementpourles femmes?Jesuis tellementpersuadédecefaitque je les repoussed’entréeavecmonregarddetueur.Iln’yadoncriend’étonnantàcequ’ellesgrimacent
ouaientunmouvementde reculdèsqu’ellesvoientma tronche,mais c’est cequime suffit pour tourner les talonsetnepas revenir enarrière,mêmequandellestententdemerattraper.J’aivingt-neufpiges,maisjenesuisqu’unimbécile.— J’avais vingt-quatre ans lorsqu’une prostituée, qui elle en avait bien
quarante,m’adépucelé.Lasecondeétaitunpeuplusâgée.Jenesaispascequeveutdire séduireetencoremoinscequecela faitd’avoirunecopine.Tues lapremière àm’avoir accordé plus que n’importe qui d’autre,mais tu as raison,c’estmoiqui repousse lesgens. J’enai consciencemaintenant, et je tiensà teremercier.Ellehausselessourcils,surprise.Je pensais que les femmesme voyaient comme unmonstre avecma gueule
couturée,maisfinalement, iln’yaquemoiquiétaitconvaincudecela.Jevaisavoirunsacréboulotàfairesurmoi-même!Nousrestonsunlongmomentsansriendirepuis,jeluidemandedoucement:—Tuveuxbienjoueruntruc,pourmoi?—Tusouhaitesuntitreenparticulier?—Non.Cequitevientàl’esprit.Je souris en reconnaissant les premières notes deTombé sous le charme de
ChristopheMae.Certainesparolesdelamélodiem’interpellent.Jemedemandesijenepensequ’àbaisermajoliebrunepourm’oublierdanssesbras,parcequec’estexactementcequis’estpasséavecelle.Gabymesouritunefoislachansonterminée,puisfroncesoudainlessourcils
etsesyeuxmemitraillent.— Tum’as forcémentmenti sur quelque chose, Ice. Tum’as avoué ne pas
pouvoir rentrer chez toi pour meurtre. Cet après-midi, tu m’as déclaré avoirabattuuneseulepersonne,çanecollepas.Silavictimeestcethommequivousamaltraités,tonfrèreettoi,alorstuasforcémentbutéquelqu’und’autreailleursqu’enFrancepuisquetut’ytrouvaisiln’yamêmepasdeuxjours.Jesoupire,luicaresselajoueduboutdemesdoigtsetluimurmuredesmots
engaéliqueirlandais.Ellemeregardecommesiunesecondetêtevenaitdemepousser.—C’estquoicecharabia?Tuviensd’inventerunnouveaulangage?—Jeteprometsquenon.—C’esttrèsagréableàl’oreille,maisest-cequecelasignifiequelquechose?
—J’aiditquenonseulementtuesunejoliefemme,maisquetueségalementtrèsintelligente.Jepeuxrentrerchezmoi.J’aimentiavantquenouspassionscemarchésurlebateau,donc,çanecomptepas.Ma réponse semble la soulager et je comprendspourquoi.Elle craignait que
j’aietuéuneautrepersonne,maisjeneveuxpasluimentirsurça,pasàelle.Jeneveuxpasqu’ellemeregardedelamêmemanièrequ’ellelefaitavecsonpère.—D’accord.Donc,pourquoirestes-tuenColombie?Cen’est pasà cette question qu’elle souhaite vraiment que je réponde, je le
sais.ElleveutsavoirpourquoijetravaillepourJuan.Jeluiadressemonplusbeausourire,cequiladéconcerte.—Pourleplaisirdetacompagnieetdenosconversations.Ellemesondeduregard,maisjenedirairiendeplus.—Tuparlescouramment le français, l’espagnolet l’anglais,maisd’oùes-tu
natif?—Joker.—Europe?—Idem.—États-Unis?tente-t-elle.Jeluidonnelamêmeréponsequeprécédemment.—Jesaisislesensdetontatouagequireprésenteunechaînebrisée,maisqui
estGaib?s’enquiert-elleenanglais.—C’estlediminutifd’unprénom,réponds-je,danslamêmelangue.Ellem’adresseunsourirevictorieux,puisrepasseaufrançais.—Tuasunlégeraccent lorsquetuemploies l’espagnol,mais tonanglaisest
fluide,assuré,jepariesurunpaysanglo-saxon.—Peut-êtreest-celecas…Oupas.Nousdiscutonscequimeparaîtêtredesheures,maisjen’apprendspasgrand-
chosesursoncompte.Elleesteffectivementtrèssecrète,commemel’aprécisécebarmanàParis.Puis,ellemeposeunequestionquejeredoutais.—Qu’est-ilarrivéàtonfrère?Là,j’aiintérêtàbienchoisirchacundemesmotsavantderépondre.Jeneveux
pasluimentir,maisjenepeuxpastoutluirévélernonplus.—Ilestdécédélorsd’unrèglementdecomptesentredeuxbandesrivales. Il
avaitvingt-troisans.
—Oh.Jesuisdésolée,Ice.Tuenfaisaispartieaussi,decegang?—Ouietnon.Jen’aijamaisétéunmembreàpartentièredecegroupe.J’ai
accepté d’exécuter certaines tâches, mais j’ai toujours refusé d’en effectuerd’autres.—Tupeuxexpliciter?—Non.Ellegrimace,déçue,etmoi,jelatrouveadorable.—Quelâgeavais-tuquandtuasintégrécettebande?— J’avais douze ans lorsque Ludo, le fils de la famille chez qui on nous a
placés, et qui en avait quinze, a commencé à fréquenter ces gars. Il nous aemmenés avec lui. Connor était fasciné, moi beaucoup moins. Mon frère asympathisé aveceuxetquand il allait les rejoindre, je l’accompagnais. Jen’aijamais eu d’amis et je ne cherchais plus àm’en faire. La première fois qu’ilsm’ontvu,ilsontdétaillémonvisagecommesij’étaisunebêtedefoire.J’avaisbeau y être accoutumé, çam’a tout demême blessé. Puis, les moqueries ontsuivi.Leur chef a prismadéfense, c’était la première personne à le faire, en-dehorsdemonfrère.Gabyestsongeuseet jesaisexactementquellevaêtresaprochainequestion.
Enrevanche,cequim’inquiète,c’estlafaçondontellevatournersaphrase.Elleplongesesprunellesvivesdanslesmiennes.J’yvoisdel’espoir,maiségalementde la crainte, ce qui est assez contradictoire. Puis, elle clôt ses paupières ets’agrippeàsaguitare.Moi,jeretiensmonsouffle.—Ice,dansquellevilleétaitbaséecegang?s’enquiert-elle.J’expiredoucement,soulagé.—Pastrèsloindelacapitale.Je nemens pas vraiment,Marseille, à vol d’oiseau, n’est pas si éloignée de
Paris. Si je lui avais répondu que je ne pouvais pas lui indiquer la ville, elleaurait probablement exigédevoirmondos.Et, si elle avait évoquéMarseille,j’auraisdûluimentir,malgrémapromesse.Gabyouvrelesyeuxetsoupire,déçue.— J’ai grandi dans cemilieu, bébé, je ne connais que ça. Cela répond à la
questionquetuteposes,non?Elleparaîtréfléchir,puismurmure:—Oui.C’estdommage,Ice,jecroisquejecommençaisàt’apprécier.Jelaregarde,abasourdi.Jenepeuxpasdirequenousnousconnaissonsaprès
cettejournéepasséeensemble,maisjepeuxaffirmerquelepeuquej’aientrevudesapersonnalité,meplaîtbeaucoupégalement.
17
Ice
Jesorsdemacabanepoureffectuermonfootingquotidien,maismonregardesthappéparlasilhouettedemajoliebrune.Ellesetientsurlecôtédelagrandemaison, la tête légèrement penchée et semble détailler le mur, ce qui medéconcerte.J’avancepour la rejoindre,maséancedesport reléguéeausecondplan.Plus
j’approche, plus Gaby m’intrigue. Elle est vêtue d’un short moulant, d’unebrassièredesportetd’unepairedetennis.Satenuedévoiletantdeparcellesdesoncorpsauxcourbesdélicieusesquemonservice troispiècesse réveille.Sescheveuxsontattachésenunequeuedechevalhauteetsebalancentdoucementdanssondostandisqu’ellerecule,sansjamaistournerledosàcettefaçade.Ellesembleévaluerjenesaisquoi,puissemetàcourirverslemur.Qu’est-cequ’ellefout,encore?!
Jerestebouchebéealorsquejelavoissautersurlereborddelafenêtre.Sesdoigts s’agrippent aux aspérités des pierres au-dessus d’elle et je la regardegrimpercommeunearaignéejusqu’àlasecondeouverture,puisatteindreletoit.Jen’aipasletempsdeluicrierquoiquecesoitqu’elles’élancesurcedernier.Jecourslelongdelabâtissesanslaquitterdesyeuxetstoppenet,lesouffle
coupéetlabouchegrandeouverteenuncrid’effroiquinesortpas,lorsqu’ellesautedanslevide.Elleserattrapeàlabranchequisurplombelastèledesamèreet,danslemême
élan,franchitlapalissadedebois.—NomdeDieu!grondé-je.Jemedirigeaupasdecourseverslaclôturededeuxmètresdehaut,maispour
un gaillard d’un mètre quatre-vingt-onze comme moi, l’escalader est un jeud’enfant.Je suis surpris de la trouver non loin de là, en train d’étudier le bout d’une
feuilledepalmier.—Ça t’arrive souvent de jouer les virtuoses de l’évasion ? Tu aurais pu te
tuer!—Salut,Ice,répond-elle,sansmêmemejeteruncoupd’œil.Qu’est-cequ’elleacettefeuille,pourlacaptiverainsi?
—Qu’est-cequetufais?—J’observelavie.Hein ? Je la scrute comme si une case de son cerveau s’était fait la malle
durantlanuit.Gabypivotesatêteversmoietéclatederireenvoyantcellequejefais.—Regarde,m’intime-t-elle,mecédantsaplace.Jem’approcheetsuisstupéfaitdedécouvrirunnid,accrochéàl’extrémitéde
lafeuille,*quiabriteunoisillonpasplusgrosqu’undéàcoudre.—C’estuncolibri,m’informe-t-elle.Jemeredresseetladarde,incrédule.—C’estpourcetrucquetuasmistavieendangerensautantdutoit?—Jen’aiprisaucunrisqueinconsidéré,Ice.Jesuisfreerunner.—Qu’est-cequec’est?—Jepratiqueleparkour.Jelascrutesanscomprendre.Ellem’expliqueenquoiconsistecettediscipline
etmonregardseglace.—C’estextrêmementdangereux.Ellem’adresseunsourirenarquois,indifférenteàmespropos.—Tuesuntrouillard,lâche-t-elle,avantdesemettreàcourir.Jeme lance à sa poursuite, pensant la rattraper en trois enjambées, mais la
belleenasouslepied.Ellejouelessingesaveclesbranchesàsaportée,cequimeralentit légèrement. Elle saute comme un cabri par-dessus des racines, destroncs,etcourtaussivitequ’unegazelle.*cf:https://www.youtube.com/watch?v=mXVaM-W6ssE.Nousparvenonsdevantl’entréedelaplantationenmêmetemps,cequisemble
lasurprendre.—Jecourstouslesmatins,bébé.Elle me reluque de la tête aux pieds et lâche un soupir à la limite du
gémissement.Iln’enfautpasplusàmatroisièmejambepoursetendre.Miguel, le nezviolet et enflé,metun termeà la tension sexuellequi circule
entreGabyetmoi.—Commentêtes-voussortis?s’enquiert-il,d’untonhargneux.—Noussommespasséstandisquetupiquaisunroupillon.Tuasdelaveine
quetonpatronnesoitpaslà,jerépondsd’untonacerbe.
Nouspoursuivonsnotrecheminsansattendre.—Àtaplace,jeluiauraisditdesemêlerdesesfesses,m’informe-t-elle.Celanemesurprendpas,mabellebrunesembleêtreuneadepteduconflit.—Pourresterenviedanscemilieu,ilfautchoisirsesbatailles,bébé.Elle cesse de marcher alors que les cueilleurs, qui arrivent pour travailler,
murmurentlesurnomqueJuanetseshommesm’ontattribué.Ilsseplaquentdosauxplantsdecaféetbaissentlesyeux.Gabylesobservetouràtour,incrédule.—Qu’est-ce que vous attendez, ce n’est pas lemessie à ce que je sache ?!
Allez,auboulot!leurcrieLuis,toutenattrapantviolemmentlafemmelaplusprochedeluietlapoussantverslasecondeallée.Gaby regarde les personnes, hommes comme femmes, détaler comme des
lapinsapeurés.J’aiàpeineletempsdelavoirserrerlespoingsqu’ellesedirigeversLuisd’unpasrageur,seplantedevantluietlefoudroieduregard.— Touche encore une personne de cette façon et je démolis ta face de rat,
crache-t-elle.Luis la scrute d’un air méprisant et s’apprête à répliquer vertement, mais
j’interviens:— Je te conseille vivement de bien réfléchir avant d’ouvrir la bouche,mon
gars.Ilnem’écoutepasets’adresseàmajoliebrune:—Peuh,tucroisquetumefaispeur?Tuteprendspourqui?Jelechopesouslamâchoire,lesoulèveetplongemesprunellesglacialesdans
lessiennes.—Gabyestlafilledetonpatron,tuluidoislerespect.Tuvasdoncgentiment
luiprésentertesexcuses,sinonjetecollemonpoingdanslagueuleetonverraensuitequisecomporteracommeunegonzesse.Lemômemetienttêtedeuxsecondesavantdecapituler.Jelelibère.— Désolé, lâche-t-il du bout des lèvres sans même la regarder, avant de
déguerpir.Gabyl’observes’éloigner,soupire,puisnousnousremettonstranquillementen
routeverslamaison.—Commentfais-tupourleurclouerlebec?s’enquiert-elle.—Deuxjoursaprèsmonarrivéesurlapropriété,Manuelm’adéfiéencombat
àmainsnues.Ilétaitsisûrdeluiqu’ilaconviétoutlemondeauspectacle,lescueilleurs et les enfants compris. Je lui ai foutu la raclée de sa vie, je ne
t’expliquepasdansquelétatétaitsonegoensuite.Ellemesortletrucleplusimprobablequisoit:—Donc, si jecomprendsbien, jedoismettreunedérouilléeàcesgarspour
qu’ilscessentdemalmenercespauvresgens.—Çanechangerarien.Cesontdesgossesquiseprennentpourdeshommes,
maistoutcommeManuelettonpère,ilsnerespectentpaslesfemmes.—C’estdéplorable.—Jesais,bébé.Ellepivoteetplantesesprunelles turquoisedans lesmiennes,alorsquenous
venonsd’arriverdevantleperrondesamaison.— Il y a toujours des gangs en France, non ?Alors, pourquoi laColombie,
Ice?Ah!Laquestionàlaquellejem’attendsdepuishiersoir.—Pourquoipas?réponds-jeenhaussantlesépaules.Ellesoupire,dépitée.Unpointmeturlupine.—Gaby,aimes-tutonpère?Elleouvrelabouche,puislareferme,cequimesurprend.Jem’attendaisàune
réponse affirmative et spontanée, mais certainement pas à ce qu’elle ait l’airperplexeetencoremoinsaumotquifranchitseslèvres.—Joker,lâche-t-elleavantdes’engouffrerdanslamaison.Qu’est-ce que cela signifie ? Est-elle si en colère qu’elle doute de ses
sentimentspourlui,ouledéteste-t-elletellementquelepointdenon-retouraétéatteintdepuisqu’elleestenfant?Je rentrechezmoien traînant lespieds, sansavoir trouvéde réponseàcette
question.
18
Gaby
Il est quinze heures quand Ice m’accompagne sur la plantation. Malgré lachaleur suffocante de ce début du mois d’octobre, les employés sont tous autravail.Chacunestaffubléd’unpanieraccrochéàlatailleetydéposelescerisesdecaféquisontensuitereverséesdansdessacs.La récolte se fait à lamain, ce qui permet de ne pas abîmer les plants. Un
cueilleurmetenvirondeuxheurespourremplirunsacdequarantekilosquiestensuitemenédanslebâtimentauboutdel’exploitation,puispesé.Les cerises sont baignées dans des bassins d’eau pour trier le café dense,
réservéàl’exportation,ducafélégerquiremonteàlasurface,quilui,estdestinéàlaconsommationcolombienne.Lesgrainssontpassésdansunemachinepouréliminer lesmorceauxdepulpequi ne se sont pas dégradés lors dubain, puissont plongés dans des bacs à eau entre six et quarante-huit heures pourfermenter.Lesgrainssontabondammentlavés,puismisàsécherausoleildurantunedizainedejours.La phase de torréfaction ne se fait pas sur place,mais directement dans les
pays importateurs. Chaque producteur de café doit obligatoirement vendre saproductionàlaFédérationNationaleduCaféquifixeleprixd›achatettraitelenégoceàl›international.Lecueilleur,lui,estpayéenvironsoixante-dixcentimesd’eurosdukilorécolté,
unsalairedemisère.J’enaibienconscience.Ice m’observe échanger d’une voix douce avec une femme dans la petite
trentaine,maisnemecollepasauxbasques.—Bonjour,jesuisGaby.Commentvousappelez-vous?Sanscessersontravail,lafemmejetteuncoupd’œilautourd’elle,terrifiée,ce
quinemesurprendqu’àmoitié.—Vousn’avezabsolumentrienàcraindre.—Paula,répond-elleduboutdeslèvres.—Quelâgeavez-vous?—Vingt-septans,mademoiselle.—Vouspouvezm’appelerparmonprénom,Paula,d’accord?
Ellehochebrièvementlatête.—Çafaitlongtempsquevoustravaillezsurlaplantation?—Depuisdix-septans.Jelaregarde,interloquée.Certainsenfantsnevontdoncpasàl’écoledansce
pays?—Avez-vousassezàmanger?—Oui,mademoiselle.Jesoupire.Lesgens,ici,secontententdecequ’onleurdonne,jamaisilsnese
plaindront. Et puis, ils ne me connaissent pas, alors pourquoi me feraient-ilsconfiance?Je lui presse doucement le bras, lui promets que les choses vont changer et
passe à la personne suivante. Les hommes demon pèrem’observent d’un aircurieux.JelesvoisinterrogerIceduregard,maiscelui-cileuradresseunsignededénégationdelatête.Cethommem’intriguedeplusenplus.Ilestici,certes,maisiln’estpasaussipourricommejel’aid’abordpensé.Pourquoitravaille-t-ilpourmonpèredanscecas?Après m’être présentée à tous les cueilleurs, je constate, par leur réaction
identique,quetoussontapeurés.Quesepasse-t-ildoncici?Jedéambulelelongdesalléeseninterprétanttoutessortesdetitres.Jechante
tantôt en français, enanglaisouenespagnol,m’accompagnant toujoursdemaguitare.Celasurprendtoutlemondeetjemedemandedepuiscombiendetempscesgensn’ontpasentendudemusique.Lessbiresnemedemandentpasdemetaire,cequimesurprendquelquepeu.Ice me raccompagne jusque devant le perron. Je crois qu’il est tout aussi
soulagé que moi que l’après-midi touche à sa fin et pressé de pouvoir serafraîchir. Je nem’adapterai jamais à cette chaleur humide qui règne dans cepays.
*****
Icedoitàpeinesortirdeladouchelorsquejefrappeàsaporte.Uneservietteminimalisteceintseshanchesetdesgouttelettesruissellentsursoncorpsparfaitetmusclé,memettantl’eauàlabouche.Miam!Jeclignedesyeuxcommeunechouette,laboucheentrouverte.—Ice,je…C’est…Ilestaussidéstabiliséquemoialorsquesonregardglissesurmaminijupeet
mestalonscompensésquiallongentmesjambes.—Tupeux…murmuré-je.—Tebaisercontrelaporte,souffle-t-il.Lesimagesdecequ’ilvientdedéclarerenvahissentmonesprit.Jeserremes
cuisses l’unecontre l’autreetexhaleungémissementmalgrémoi. Jeclosmespaupières,luttecontreledésirquimesubmergeetparviensàmeressaisir.—Peux-tutecouvrir?Ilaprobablementdesidéespluslubriqueslesunesquelesautrespleinlatête,
carilmerépond:—Jevaismettreunecapote,viens.Ilsourit,alorsquejefaisunpasverslui,etsortdesatranselorsquejefrappe
brusquementsontorsedemonpoing.—Jesouhaitefaireletourdesbaraquesetquetum’indiquesquiyvit,tune
comptespasm’accompagnerdanscettetenue,si?—Ah...Jevaismevêtir,alors,soupire-t-il,dépité.—Jet’attendsici.Ilrepousselaportepuis,moinsdecinqminutesplustard,merejoint.Ilapassé
unt-shirtsansmanchesquimouleparfaitementsontorseetunpantalonquinemasqueriendelapuissancedesescuisses.Jenesaiscequiestpire:levoiràmoitié à poil ou m’imaginer lui retirer ses vêtements. Le désir s’insuffle denouveauenmoicommeunetraînéedepoudre.Cen’estpasnormal,cetteattirance.
Nous nousmettons en route et, au fur et àmesure de notre progression, Icem’expliqueque l’instituteur, lemédecinet lui, sont les seulsànepaspartagerleur logis.Lescueilleursviventàquatredansunebaraque,hormis lescouplesquiontdesenfants,tandisqueleshommesdemonpèresontdeuxparmaison.Manuelenoccupeuneavecsasœur,toutcommeAlberto.—Combienya-t-ildefamilles?—Unedizaine,jecrois.Etunequinzainedemômes.Jem’enquiersauprèsdemoncompagnons’ilsaitcequ’ilenest.Ices’arrêteet
mescrute,perplexe.Sonsilencem’enapprendplusquedesmotsetunecolèresourde enfle enmoi, aumoment où un coup de tonnerre retentit. Il semet àtomberdestrombesd’eau,cequiestcourantencettesaisonpluviale,maisjenebougepas,monregardrivéàceluideIce.—Jen’étaispasprésent,bébé,maisAlbertom’enaparlélesoirdetonarrivée.
Tiensdonc.
—Quet’a-t-ilraconté?Icehésite,puissoupire.—Tufinirasprobablementparl’apprendredetoutefaçon,mais…Il jette un regard circulaire autour de nous, mes yeux en font de même et
accrochentdeuxgarsdanslavingtainequicourentdansnotredirection.—Pasici,viens,murmure-t-il.Lesdeuxtypeslesaluentd’unsignedetête,puisnousdépassent.—Quisont-ils?demandé-je,alorsquenousnousdirigeonsverssamaison.—Lepetit,c’estManolo,l’autresenommeEsteban.Je les ai aperçus sur la plantation un peu plus tôt, ils sont également armés,
mais c’est encore deux des gamins qui figurent sur la liste des survivants deGrincheux. J’imaginequ’AlfonsoetEdouardo,qui travaillaientpour luiquandj’étaisgamine,nesontplusdecemondepuisquejenelesaipasvus.Icemeconduità lasalledebainsetmefournituneserviettede toilettepour
quejemesèche.J’essoremescheveuxdanslelavaboetlesfrictionnequandilréapparaîtavecunt-shirtsecàlamain.—Tiens, change-toi. Je te prêterais bien un pantalon,mais je n’ai rien à ta
taille.—Merci,Ice.—Jevaispréparerducafé,tuenveux?Je grimace à l’idée de boire à nouveau ce jus de chaussette. Les meilleurs
grainsétant réservéà l’exportation, lesColombiensboiventducaféde secondchoixquiestdégueulasse,cequiesttoutdemêmeuncomblepourletroisièmepaysexportateur.Icemesourit,sortdelasalled’eauetrevientavecunpaquetdeCarteNoire,
probablementrapportédeFrance.—C’estmieuxquecettemerdeimbuvablequel’ontrouveici,non?J’opine,souriantjusqu’auxoreilles.—Doubletasse,s’ilteplaît.Dèsqu’il tourne les talons, je ferme laporte. Jene suispaspudique, surtout
aprèscequej’aidéjàfaitaveclui,maisjeneveuxpasqu’ilremarquelaceinturedepoignardsquejedissimulesousl’élastiquedemajupe.Jelesairécupérésdanslestoilettesdel’écoledeCaruru,commeconvenuavec
Pablo, un ami colombien de Grincheux, lors de mon escapade à Bogota.
Grincheux savait que je devrais passer l’examen du scanner à l’entrée de lapropriété.Je souris en me remémorant la tête du gars quand je lui ai demandé où je
pouvais trouver une fille de joie. Complaisant, il a ordonné au type quil’accompagnait d’aller m’en chercher une et me l’a ramenée. Il me fallait unalibisolide.Parcontre,j’aiétéplusqu’étonnéedevoirRafael,l’hommequiaccompagnait
Pablo,vêtud’unetenuemilitaire.SiIcesavait…Let-shirtquecedernierm’agentimentprêtédescendjusqu’àmi-cuissesetest
assezlargeetépais,ilnedévoileriendecequejecache.IlmesuffitdeprendregardeàlaposturedemoncorpspourqueIceneremarquerien.Jeramassemesvêtementstrempésetrejoinslacuisine.Je prends place à table et remercie mon hôte lorsqu’il me sert une tasse
fumante et odorante. J’inspecte distraitement les lieux le temps que Ice sechange. J’ai toujoursaimé l’intérieurdecespetitesmaisons.Tous lesmeublessont en bois, un frigo, une plaque de cuisson.Desmoustiquaires sont clouéesauxouverturesquiserventdefenêtres.Ilfaittropchaud,dejourcommedenuit,pourinstallerdesvitresquineserviraientàrien.Icerevient,vêtud’unpantalondetoileetd’unt-shirt,maispiedsnus.Même
sespiedssontsexy,bordel.Ils’attableenfacedemoietjeluidemandedemerépétercequ’Albertoluia
appris.Jereste imperturbable, jesaisdéjàcequ’ilenest,mais j’espéraispeut-êtrequelesinformationsdeGrincheuxétaienterronées.—Gaby,çava?—Oui,pourquoiçan’iraitpas?—Tunedisrien.J’arqueunsourcil.—Queveux-tuquejedise?Icesemblecomplètementdéroutéetsepasseunemainsur levisage,comme
pouryvoirplusclair.—Jenesaispas.Tuessiimpassibleque…Dansl’avion,tusemblaistellement
encolèrecontretonpère,n’approuvantpassesactivités,maislà,tun’asaucuneréaction.Jenecomprendspas.C’estlebut,mongars.
— Je n’approuve pas, mais que puis-je y faire ? Cela s’est passé il y a
tellementlongtemps,detoutefaçon.Icemedardeunlongmoment,puissoupire.Laconversationdéviesurtoutet
n’importequoi.— J’ai vu que tu ne possédais pas de lave-linge, tu es le seul à ne pas en
disposerd’un?—Non,toutlemondeestlogéàlamêmeenseigne.Enfin,sionveut.Maria,la
sœurd’Alberto,laveceluidePacoetPedro,vuquecesonteuxquiontplusoumoinsélevéscesgarçons.Sinon,c’estCarmenquiestresponsabledulingedeshommes,ycomprisceluidetonpère,maisjerefusedeluiconfierlemien,alorsjem’acquittemoi-mêmedecettetâche.—Pourquoi?— Cette femme est apeurée par tout ce qui l’entoure, imagine un peu sa
réactionquandj’aidébarqué.Alors,jepréfèrenepasl’effrayerinutilement.J’enrestebouchebée.Iceaurait-ilunfaiblepourelle?—Elleteplaît,c’estpourçaquetunesouhaitespasluifairepeur?Iléclatederire.—Pasdu tout,bébé.Carmenmefaitpenseràunesouris,unepetite fille.Je
suisfrustrésexuellement,maispasdésespéréàcepoint.Je suis loin d’être d’accord avec lui et pense que Carmen est tout sauf une
gamine.—Qu’est-cequil’effraieautant,d’aprèstoi?Ilhausselesépaules.—Jenesaispas.Ellen’adresselaparoleàpersonne,mêmepasàsonpropre
frère.Ellelecrainttoutautantqu’elletrembledevanttonpère,enfin,d’aprèslepeuquej’aivu.Commeparhasard.Jesuiscertainequ’ellesaitbeaucoupdechoses.Vafalloir
que je réussisseàgagner saconfianceetque jepuissem’isoleravecellepourdiscuter,maissij’aitoujoursunsbirecolléàmesfesses,celaneserapaschoseaisée.Jeterminemaboissonetmelèvepourprendrecongé.—Mercipourlecafé.—Àquelleheureprévois-tudet’évader,demain,bébé?Jefranchisleseuil,meretourneetluisouris.—Tuastoutelanuitpourledeviner,Ice.Je lui adresse un petit geste de la main et m’en vais. J’ai besoin de me
retrouverseuleetderéfléchir.Existe-t-ilseulementdespreuvesdecequ’Albertoa révélé à Ice ? J’en doute, même si cela confirme ce que Grincheux et moipensions. J’ai hâte que mon paternel revienne pour que la partie puissesérieusementsejouer.
19
Gaby
Çafaitmaintenantunmoisquemonpèreestabsent,àcroirequejeluiaifaitpeur,maisIcemetientcompagnie,cequim’évitedetropcogiter.Ons’échappedelapropriététouslesjoursaupetitmatin.Oncourtenvironune
heurelelongdelapalissade,puisnousrevenonsenescaladantcettedernière,cequiévitedesejustifierauprèsdesgars.Nonpasquel’envied’endécoudremerebute,maisjechoisismescombats.Aprèsnotreescapade,jemerendstoujourssurlatombedemamèreavantde
rentrer. Icemerejointensuitesur laplantationoù jeprends le tempsdesaluerchacundesemployéspar leurprénom.Oui, je lesai tousmémorisésenmoinsd’unesemaine,sansmêmechercheràlefaire.Nous déjeunons ensemble et faisons plus ample connaissance. J’apprécie de
plusenplussacompagnieetjepensequec’estréciproque.Jenesaispassic’estunebonnechoseounonetjepréfèrenepasm’attardersurlaquestion.Je joue tous les après-midi et les cueilleurs commencent à s’habituer à ma
présence.J’essaied’égayerunpeuleurquotidien.Toutsemblepour lemieux,saufque la tensionsexuelles’épaissitdeplusen
plusentreIceetmoi,celaendevientinsoutenable.Monbas-ventresouffred’unesortedetendiniteaiguëtantmesmusclessecrispentdedésirensaprésenceetmesdoigtsneparviennentplusàmesoulager.Jenepeuxpasévitercethommeet jecroisquejen’enaipasenvie,alors ilnemerestequ’unesolution.Aprèstout,qu’ya-t-ildemalàsefairedubien?Jesorsdeladoucheetmesècherapidement.Jeneperdspasdetempsàenfiler
des sous-vêtements qui ne serviront pas à grand-chose et passe une robe. Jequitte lamaison et fonce chez Ice, lesmusclesdemonentrejambe se crispantd’anticipation.J’arrivedevantchez lui, lesoufflecourtet l’entrecuissehumide. Je frappeet
attendscequimeparaîtuneéternité.Lorsqu’ilouvreenfin,jem’embrasedelapointedemesorteilsàlaracinedemescheveux.Son torse aux abdos si bien dessinés, ses tatouages, les gouttes d’eau qui
parsèment son corps, la serviette qui lui ceint les hanches, la puissancede sescuisses,toutmerenddingue.
—Bébé,cessedemeregardercommesituallaismebouffer,oualorsfais-le,gronde-t-il.Sa voix rauque résonne dans toutmon corps et son regard ardentm’achève
totalement.J’entre,Icerefermelaporteets’adosseàcelle-cisansmequitterdesyeux.Jedéfaislesboutonsdemarobeetlaisseglisserlevêtementausol.Sonregard
passedelasurpriseàundésirbrut,bestial.—Jen’yarriveplus,chuchoté-je.Il dénoue la serviette, la laisse choir à ses pieds etme dévoile son érection
magistrale. Jememords la lèvre,mais n’ai pas le temps de faire un pas qu’ilm’attrape par le bras,me plaque brusquement face contre la porte et se collecontremondos.—Trentejoursquejenepensequ’àça,bébé,susurre-t-ilàmonoreille.Unedesesmainsagrippentmescheveux,décollematempegauchedelaporte
et tire brusquement sur l’arrière demon crânepour redressermonvisage.Seslèvress’abattentsurlesmiennesetsalangues’enrouleautourdelamienneenunballetsensuel,érotique.Jesavourel’intensitédesonbaiser,ladouceurdesabouche,lachaleurdeson
corps plaqué contre le mien. Je gémis, appréciant l’audace de sa main quicaresse la rondeur de mon épaule, parcourt mon flanc, se promène sur monventre, puis s’empare d’un de mes globes généreux. Ses lèvres libèrent lesmiennesetsamainquittemescheveuxpourvenircaressermonsecondsein.Ice,pince légèrementmesmamelons, les étire, les fait doucement rouler entre sesdoigts,puissesdentsmordentlecreuxdemoncou.Monclitorissemetàpulsercommeuncœuraffolé,jemouillecommeunefontaineetmondésirsedécuplejusqu’àatteindredessommetsinexplorés.—Baise-moi!m’écrié-je.Unedesesmainslibèremonseinetjel’entendsfouillerletiroirdumeubleà
côtédelaporte,tandisquel’autres’aventurelentementlelongdemonventreetseposesurmonsexe.—Tuessidouceettrempée,bébé…Çameplaît,susurre-t-il,avantdeglisser
uncarréargentéentremeslèvres.J’ouvrelesachetavecmesdents,commeunelionnearracheraitunmorceaude
viande saignant d’une proie. Je manque le laisser tomber en criant de plaisirquandIcemepénètrebrusquementd’undoigt.Jemecambre, renversema têtecontresonépaule etgémis, alorsqu’il imprimeun légermouvementdeva-et-
vientàsonmajeuretcaressemonclitorisdesamaingauche.La délivrance est proche et je grogne de frustration alors que ses doigts
magiques cessent de s’activer et quittent subitement mon corps. Je vois Iceportersonmajeuràseslèvresetlelécheravecdélectation.Loindemerépugner,celam’excitedavantage.Ils’emparedupréservatifquejetiensdansmamainetjetentedemeretourner
pourleregarders’équiper,maisilm’enempêche,plaquantunemaincontremondos.—Posetesmainsàplatsurlaporte,m’intime-t-il.J’obéis tandisqu’il revêt lepréservatif,puis ilpasseunbras surmonventre,
nousfaitreculeretpressesurmondospourmepencherenavant.—Jevaistebaiseràfond,bébé.Et,jeteprendraiautantdefoisquej’enaurai
envie,murmure-t-il.Jehochelatête,telunchiensurlaplagearrièred’unevoiture,tantjeledésire.Il écarte brusquement mes jambes à l’aide d’un de ses pieds et caressent
doucementmesfesses.—Tuasunculmagnifique.Je frémis tandis qu’une de sesmains se pose sur le creux demon genou et
remontelentementsurl’arrièredemacuisse.—Ice,s’ilteplaît,geins-je.Jeglapisquandsesdentsmordentlégèrementchacunedemesfessesetdevient
follealorsquesa langue remontedoucement le longdemacolonnevertébralejusqu’àmanuque.Ilpositionnesavergeàl’entréedemonsexe,ancreprofondémentsesdoigtsà
meshanchesetmepénètred’uneviolentepousséetoutenparsemantmondosdebaisers.—Ohoui,gémis-je.Je creusemes reins aumaximum lorsqu’il se retire, puis il replonge enmoi
avecvigueur.—J’aimet’entendrecouiner,bébé,çam’exciteencoreplus.Jerâledeplaisiràchacunedesespercées longuesetprofondes,senschaque
millimètredesoncorpsmeposséderentièrement.—Tumerendsfou,lâche-t-ilavantd’agripperplusfermementmeshanches.Ilsemetàévoluerenmoiavec tantdeforcequelefeuquicouvedansmon
ventre,sepropagecommeunéclairfoudroyant,décuplantmonplaisir.
—Ohoui,Ice,oui!Nossoufflessefontcourtsetsemêlentjusqu’àn’enformerplusqu’un.Mon
cœurcognecommes’il s’apprêtait à sortirdemapoitrine, lesmusclesdemescuissesmebrûlent,mesparoiss’écartentautourdesonmembregonfléàchaquepénétrationetl’enserrentensuitedeplusenplusfort.—Putain,bébé,jeveuxtebaisertouslesjours!s’écrie-t-il.Icememartèleavecplusdeforceetderapidité,s’appliquantàfairemonterce
plaisirtoujoursplushautetl’orgasmenousfauche,aveclaviolencedévastatriced’untsunami.J’ouvrelesyeux.Iceestàmoitiévautrésurmoi.Jenesaisquelleheureilpeut
être,maisl’auroreselèveparl’ouvertureàmadroite.J’essaiedebougerunpeu,maisj’aimalpartout.Aprèsm’avoirprisecontrelaported’entrée,nousavonsremislecouvertsous
ladouche,puisavonstestélasoliditédelatabledelacuisine,pourfinirsurlecanapé.Jesuiscrevée,alanguie,maisbienheureuse.Cemecestunebêteaupieu,quoiquenousn’ayonspasencoremislespiedsdanssachambre.Mêmesimondésir semble assouvi, il suffit que je le regardepourquemon
appétencesexuelleseréveilleànouveau.C’esttoutàfaitcompréhensibleencequiconcerneIce,vuqu’ilnebaisepasautantqu’illesouhaiterait.Ilacomprisqu’il était le seul responsablede cette situation,mais il n’apas tiré sa crampequedeuxfoisdanssavienonplus. Il saitqu’ildoit se remettreenquestionetcesserdesevoircommelemonstrequ’iln’estpaspourchangertoutça.Jen’aipasdeproblèmecommeIceetnecomprendspascequ’ilm’arrive.Ai-
je viré nymphomane ?Le pire, c’est quema libido ne se réveille qu’avec lui.Bon,j’avouequ’iln’yapasgrand-choseàsemettresousladentnonplusdanslecoin.Etpuis,ilfautêtrehonnête,Iceestnonseulementbienmembré,maisaégalement un corps d’apollon. Je suis donc tout ce qu’il y a de plus normale,non?Jesursauteetsorsdemespenséestandisquedescoupssontfrappésàlaporte.
Icebougonnecontremoncou.—Nebougepas,bébé,jevaischasserl’intrus,murmure-t-ilàmonoreille.Il enjambemoncorps, déposeun rapidebaiser surmes lèvres et se retourne
pourrejoindrelacuisine.Mes yeux remontent lentement sur l’arrière de ses cuisses. Jemedélecte du
spectacledesesfessesnues,fermesetrebondies,puisj’aiunhoquetdestupeuretmeredressebrusquementlorsquejeprendsconsciencedecequejevois.
Icesetientsurleseuil,maisjenevoisquelapartiegauchedel’arrièredesoncorpsdepuislecanapé,lacloisonmemasquantlereste.Jesaisquelevisiteurnepeutpasremarquermaprésences’iln’entrepas.J’avanceprudemmentdedeuxpas,leregardrivésurunmorceaudecetatouagequejepensaisneplusjamaisrevoir.Jeconnaiscedessinparcœur,jen’aivuqueçasurcemecquiavaitpourhabitudedebossertorsenudanscegaragemarseillais,cariln’ajamaisdaignémefaireface.Sontatouageestmagnifiqueetluicouvretoutledos.Jem’approchedèsqueIcecommenceàrefermerlaporte.Je tremblecomme
unefeuilledespiedsàlatêtetandisquejetendslentementlamainverssondos,avantqu’ilseretourne.Je suis submergée par tant d’émotions diverses que j’ai l’impression de
suffoquer.—Démon,soufflé-je..
20
Ice
Jemefigecommeunestatue.J’ai toutmisenœuvre, lorsdenosébats,pourqu’elle ne puisse jamais distinguer mon dos et il a suffi d’une seconded’inattentiondemapart,quelcon!Je sens le bout de ses doigts m’effleurer, puis un courant d’air froid les
remplace. Je soupire et pivote lentement.Ma jolie bruneme tourne le dos etremetprécipitammentsarobe.—Bébé…—Non,pasmaintenant.Sa voix tremble, ce qui me déconcerte. Je ne sais pas quoi faire et encore
moinsquoidire.J’avanced’unpas,puismedégonfle.Ellevapéteruncâble,mehurlerdessusetpeut-êtremêmemefrapper,cequi
seraittoutàfaitlégitime,maisGabynefaitjamaisceàquoijem’attends.Ellepivotesurelle-même,focalisesonregardsurlemontantdelaporteetse
dirigedroitverscelle-ci.Je la suis des yeux comme un abruti, sous le choc. L’incrédulité,
l’incompréhension, la colère, toutes ces émotions transparaissent dans sonregard,maisplusquetout,elleestbouleversée.Mon cœur cesse de battre lorsqu’une larme silencieuse roule sur sa joue.
Merde,pasça,putain!Jemesensmalpourlapremièrefoisdemonexistence.Pourquoiçametouche
autantdelavoircommeça?Parcequej’ensuisresponsable?Jen’ensaisfoutrerien,maisj’ail’impressiond’avoirunelameplantéedanslebide.Elleouvrelaporteets’apprêteàsortirquandj’ouvreenfinlabouche.—Gaby,écoute-moi.—Pasmaintenant,chuchote-t-elle.Quand?Jecrainssaréponsesijeposelaquestion,alorsj’insiste.—Jet’enprie,bébé.—Peuxpas,souffle-t-elle,avantdes’enfuirencourant.Je la regardes’éloigner tandisquemoncœur se serredeplusenplus,prêtà
imploser.J’aisoudainenviedehurler,decogner.Cetteputaindechiennedevie
esttellementinjusteavecmoi!Jeclaqueviolemment laporte,assèneunpremiercoupdepoingsurcelle-ci,
puisunsecondsuitdepeu,maiscen’estpassuffisant.Jemeretourne,saisisunechaiseetlafracassecontrelacloison.Desdébrisvolentàtraverslapièce,maisjem’enfousroyalement.—Faitchier,merde!jehurle.Je rejoins la salle debains, entre dans la douche et ouvre le jet d’eau froide
pourmecalmer.L’odeurdeGabyestpartoutautourdemoi,imprégnéesurmapeauetmemonteà la tête.Jesaisquecen’estquesexuelentrenous,mais jerefusequecelaseterminemaintenantetencoremoinsdecettefaçon.J’aime bien cette nana, elle a tout pour plaire. Non seulement la baise est
extraordinaire,maisGaby est sexy, douce, à l’écoute, compréhensive, franche,droite dans ses pompes. Je crève de trouille à la simple pensée qu’elle merepousse,neveuilleplusmeparler.Pour la toutepremière foisdemavie, jedésireavoirquelqu’uncommeelle.
Une personne avec qui je peux discuter, rire, râler, ou simplement qu’ellemetiennecompagnie.Gabym’acceptecommejesuis,mêmesiellemereprochedetravaillerpoursonpaternel.Etlà,j’aipeurd’avoirtoutperdu.JenepeuxpasaccompagnerAlbertopourqu’ilmebriefesurmesprochaines
fonctionssansm’êtreentretenuavecelleauparavant,maism’écoutera-t-elle?Jesors,mesècheetm’habillerapidement.Jesaisismesflingues,jetteunœilàmamontreetrejoinslagrandebâtisseaupasdecourse.Pacoestdéjàlà,pourveillersurmajoliebrune,jelesaluebrièvement.—OùestGaby?—Àl’étage.Ellen’avaitpasl’aird’allerbien.Ouais,jesais.
—Jemontevoircequ’ilenest.Ilacquiesceetjesuissoulagéqu’ilnesemettepasentraversdemonchemin.
JemontelesmarchesquatreàquatreetmedirigeverslachambredeGaby.Jecollemonoreillecontrelaporte,maisjen’entendsrien.Jetoquedoucement.—Bébé,c’estmoi.Ilfautquejeteparle.Pasderéponse.J’attends,frappeetréitèremesparoles.Toujoursrien.Jepose
mon front contre laporte, soupire,puis entends commeunbruissement contrecelle-ci.Jesaisqu’elleestlà,çapeutparaîtrestupide,maisjesenssaprésence.—Gaby,jet’enprie.
Rien. Apparemment, ma jolie brune a décidé de rester muette comme unecarpe.—Bébé,jedoisaccompagnerAlberto,ilm’attend.Jenesaispascombiende
tempsjeseraiabsent,maisdèsmonretour,jeprometsdem’expliquer.Que dalle. C’est frustrant, bordel ! Je la supplie encore trois fois avant de
capituleretderedescendre.Jemesensencoreplusmalqu’ilyavingtminutes.—Ellevamieux?s’enquiertPaco.—Non.Veillebienàcequ’ilne luiarriverien,sinontuaurasaffaireàmoi,
dis-jed’untonplussecquejenel’auraisvoulu.Cegamin n’est pour rien dans lemal-être quime consume, je le sais,mais
devoirlaissermajoliebrune,blessée,parmafautedesurcroît,memetlesnerfsenpelote.Je sors à contrecœur de lamaison et pars retrouverAlberto.Aumoment de
pénétrerdanslebâtimentauboutdelaplantation,manuquesemetàmepicoteragréablement.Gabyestlà,j’ensuiscertain,maisquandjemeretourneetscrutelesalentours,jenelavoisnullepart.Est-cequejedeviensfou?Jesoupire,déçu,puissursautelorsqu’Albertom’interpelle.—Ah,tevoilà,enfin!J’aicroisélapetiteetellen’avaitpasl’aird’allerbien,
tusaiscequ’ellea?—Pourquoilesaurais-je?!réponds-je,d’untonincisif.Ilhausselessourcils,surpris.—Vuquevousêtestoujoursensemble,jepensais…—Jeveillesurelle,commesonpèremel’ademandé,lecoupé-jesèchement.—Oui,biensûr,maiscen’estpaslapeined’êtreaussiagressifavecmoi.C’est
quoitonproblème,àtoi?—Mauvaisréveil.Ilafalluquececonnardviennefoutreenl’airunmomentidylliqueenfrappant
àmaporteaupetitmatin.Ilfautbienuncoupable,non?—Combiendetempsserons-nousabsents?demandé-je.—Troisjours.Viens,onvarécupérerlamarchandise.J’accuselecoupsansrienlaisserparaître,maisjepensaispouvoirparleràma
joliebrunedèscesoir,ilpeutsepassertantdechosesd’icimonretour.JesuisAlberto,ayantuneimpressiontenaced’êtresuivi,épié.Jen’yprêtepas
plusd’attention,n’étantpasaumieuxdemaformementalecematin.Je le regarde déplacer un dépulpeurmécaniquequi n’est plus utilisé puisque
l’endroit dispose d’une machine plus grosse et plus moderne. Il soulève unetrappe d’environ dix centimètres sur dix et un petit clavier apparaît. Albertocomposeuncodeàsixchiffres,puisunepartiedusol,formantuncarréparfaitd’unmètreenviron,s’affaisseetcoulissesurnotredroite.—Tutesouviendrasducode?—Oui.C’estunedate,non?—C’estcelledelanaissancedelapetite.Je me demande ce que Gaby en penserait. Nous descendons à l’aide de
l’échellemétalliquefixéeàlaparoi.Albertopresseuninterrupteuretlalumièreéclaireunepièceassezexiguë.Jepromènemonregardsurcequejevoisetsuisquelque peu surpris. Il s’agit bien d’un laboratoire clandestin, mais pas celuiauqueljem’attendais.—Elleestroseetnonblanche.Jefeinslasurprise,maissaistrèsbiendequoiils’agit.— Les plants de coca sont trop repérables depuis le ciel et sont
systématiquement détruits. Juan a toujours fabriqué de la drogue de synthèse,mais elle n’a jamais été aussi puissante que celle-ci. Il a fait ses études enEurope,tulesavais?Jeluiadresseunsignededénégationdelatête.—C’esttrèsrarepourunfilsdeproducteurdecafé,maisCarloss’estsaignéà
blanc pour offrir cette possibilité à son garçon, lui offrir une autre vie, enquelque sorte.Quand je vois ce que ce dernier en a fait, jeme demande si levieuxn’auraitpasdûs’abstenir.—Iln’yajamaiseudecontrôle?— Si, bien sûr. On a eu quatre ou cinq visites des autorités, mais Juan n’a
jamaisétésoupçonnédequoiquecesoit,doncpersonnen’ajamaisrientrouvé.La piste d’atterrissage qu’il a faite construire est légale, il a obtenu lesautorisations en prétextant qu’il était plus simple d’en avoir une à disposition,pour permettre le ravitaillement alimentaire, que de nous rendre àCaruru.Deplus, le patron paie grassement des militaires ainsi que des personnes desdouanesetpuis,nousne transportons jamaisplusdequatrekilos tous les troismois.C’est tout ? J’admets qu’un kilo de cocaïne de synthèse se vend jusqu’à
cinquantemilleeurosenEurope,elleestplusnociveetdemandéequelaformuletraditionnelle,maisletraindeviedeJuanetdeseshommesdépassentlargementce gain annuel. Alors, s’il n’est pas un si gros poisson, comment gagne-t-il
autantdefric?Quelque chose cloche.Pourquoi seulement quatre kilos tous les troismois ?
Celasembletoutdemêmeprécisetréglécommedupapieràmusique,non?J’ail’impression que la cocaïne sert plus demonnaie qu’autre chose,mais contrequoi?Jen’ensaisfoutrerien,maisçam’intrigue,j’aimesavoiroùjemets lespieds.Unbruitdemoteurmesortdemespensées.Albertos’emparedespaquetsde
cocaïneetm’enfourredeuxdanslesmainstandisqu’ilinsèrelesautresdanslaceinturedesonpantalon,soussachemise.Jel’imiteet,avantdelesuivrehorsdubâtiment,cetteimpressiond’êtresurveillémegagnedenouveau.— Je deviens probablement dingue, mais je sens ta présence partout, bébé.
J’aimeraispouvoirm’expliqueravantmondépart,malheureusement,onnem’enlaissepasl’occasion.Jesuisdésoléquetuaiesdûl’apprendredecettefaçon,jenevoulaispasquecelasepasseainsi.Jemetais,maisseullesilencemerépond.—Faisattentionàtoipendantmonabsence,ajouté-jeavantdesortir.JerattrapeAlbertoetnousrejoignonsleDC3surlapiste,oùcinqdesgarsde
Juans’activentdéjàaudéchargementdesdenréesalimentaires.JesuispersuadéqueGabyétaitprésenteetqu’ellem’aentendu.Mêmesielle
saitmaintenantenpartiequijesuis,Démon,elleneconnaîtpasmonidentité,lesmembres du gang ne s’interpellaient que par leur surnom, par mesure desécurité.
21
Ice
Jesoupiredesoulagement,alorsquenoussommesenfinderetour.Aucunproblèmen’estsurvenuàl’aéroportdeBogotaoùnousavonsreprisun
autrevolàdestinationdeCúcuta,villeà la frontièreduVenezuela.Làencore,hormis quelques signes discrets échangés avec du personnel grassementrémunéré,aucunsouci.Jesaisquel’argentdonnelepouvoir,maisc’esttoutdemêmeeffarantdeconstateràquelpoint.Nous avons remis notre chargement à un certain José qui, lui, se charge de
l’acheminerjusqu’enEuropeet,plusprécisément,auprèsd’uncertainVito.Cedernierestnonseulementunhautmembredelamafiaitalienne,maiségalementunamideJuandepuislesbancsdel’université.Pratique.Albertos’estmontré trèsprolixe,mais il fautbienqu’ilm’informede toutes
les ficelles du métier, non ? Seulement, concernant la zone ombragée quim’intrigue,pasunmot.Jemedemandes’ilmetaitleschosesparprudence,ous’ilignorecomplètementcequisepasse.Dansl’immédiat,toutcequimepréoccupeestderetrouverGabyetdepouvoir
m’expliquer. Je ne peux pas tout lui dire, car si elle aime son père, ce que jecrois,ellemehaïraprobablement.
****
Vingt-septputainsdejoursqueGabym’évite!Jedeviensfou.J’envoiechiertout lemonde, je rumine. Je laguette aupetitmatin, attendant commeunconqu’ellepointeleboutdesonnezpoursonescapadequotidienne,maislabelleachangésonhoraireets’échappeprobablementenfindejournéequandjeprendsmadouche.Ellemerépondparungrondementlorsquejelasalueetj’aienviedeluitordre
lecouchaquefoisqu’ellelefait,cequiestassezironique,non?A-t-elleressentilamêmechose,ilyahuitans,quandj’agissaisdelamêmefaçon?Elle rejoint la plantation sans m’adresser un regard ni répondre à mes
questions,alorsje luicoursaprèscommeuncaniche, la languependante.Ilnememanquequelepomponauboutdelaqueuepourêtreparfait.Touslescueilleursont,chaquejour,droitàunmotgentildesapart,unsourire,
maismoi,quedalle.Toutcelaest ridicule,mais soncomportementme faitun
maldechien,putain!Lepire,c’estqu’ellemelorgneetbavecommeunelimacedevantunefeuille
desalade,quandellepensequejenelavoispas.Elleestentraindemetueràpetitfeutantmaqueueetmescouillessontaussiduresquedubois.—Quesepasse-t-ilentrelapetiteet toi?s’enquiertAlbertotandisquenous
longeonsunealléedeplantsdecafé.—Rien!C’est bien tout le problème. Je passe l’entrée de la plantation etmemets à
courir à grandes foulées jusqu’à l’orée de la forêt. J’ai beau être en nage,macoursen’atténuepaslemoinsdumondemafrustration.Nepouvantcognersurpersonne,jeretiremont-shirtetpassemesnerfsenlançanthargneusementmoncouteaudechassecontreunarbre.Jenesaisdepuiscombiendetempsjesuislà,àmassacrercepauvretronc,quandunevoixdouces’adresseàmoi.—Salut,Ice.Enfin!Monsoulagementesttelquej’ail’impressiond’êtrelibéréd’unpoids
incommensurable, mais je sais que je ne dois pas me précipiter, ne pas labrusquer.—Salut,bébé.Elleposesaguitareausol,puisadresseunsignedetêteendirectiondemon
couteau.—Tupeuxm’apprendre?Hein ? Je m’attendais à ce qu’elle me demande des explications, mais
certainementpasàça.—Situveux,maisçaprenddutempsavantd’attraperlecoupdemain.Je luimontrecomment tenir la lameet lemouvementquedoit effectuer son
poignet.Ellem’écouteattentivement,lanceetratelacibleplusieursfois,cequiestnormal,maisGabypersévère.—Jecomprendspourquelleraisontunem’aspaslaisséentrevoirtonvisageà
l’époque,maispaspourquoitunem’asjamaisadressélaparole.—Je…—Laisse-moi,terminer,Ice,mecoupe-t-elle.Son tondouxmesurprend.Elleestd’uncalmeolympien,concentréesurses
lancés.—QuandPim’sm’ainforméquetuétaispartietm’aremiscetteguitaredeta
part,jenesavaispascommentinterprétertongeste.Aujourd’hui,jesais.
J’endoutefortement.—Savais-tudéjàquij’étaisavantquelebarmant’eninforme?—Non. J’ai eu un doute quand j’ai entrevu la couleur de tes yeux,mais je
n’étaissûrderien.Ellepivotepourmefairefaceetmedarded’unregardperçant.— Pourquoi avoir posé cette question déplacée au guitariste qui
m’accompagnait?Elleécarquillelesyeux,stupéfaite,alorsquejeluiendonnelemotif.—Tuauraisput’yprendreautrement,non?Ouais,ellen’apastort.Jeluiexpliquequejen’aijamaisabordédefemmesde
ma vie, que je ne connais que le langage châtié pratiqué au sein des gangs.Mêmelepèredelafamilled’accueilchezquinousavonsétéplacés,s’exprimaitdecettefaçon.Cenesontpasdesexcuses,certes,maisc’estlavérité.Jebaisselesyeux,confus.—Jesuisdésolé.Je le suis vraiment. Elle neme crie pas dessus,mais jeme sens comme un
mômequisefaitréprimander.—Tu nem’as pas dit qui tu étais ensuite. Quand je l’ai découvert, j’ai été
submergéepartantd’émotionsqu’ilmefallaitêtreseulepourpouvoirfaireletri.Ellemerendlecouteau,puisreprend:—Tum’as offert cet instrument demusique pourme signifier que je ferais
mieuxdem’intéresseràautrechosequ’àtoi,alors j’aiuneseulequestion,Ice.Qu’ai-jedoncfaitpourquetumeméprisesautantetce,depuisquej’aidébarquéàMarseille?Quoi ? Je suis bouche bée. C’est ce qu’elle pense ? Ses prunelles, emplies
d’incompréhension,me leconfirment. Je tardeprobablement tropà répondreàsongoût,carellesoupire,puistournelestalons.—Gaby,attends!Elles’arrête,maisneseretournepas.Jem’approchedoucementderrièreelleet
n’osepaslatoucher.—Jenet’aijamaisdédaignée,bébé,bienaucontraire.Jet’aidésiréecomme
un malade dès l’instant où tu as posé un pied dans ce garage, mais j’avaistellementpeur,murmuré-je.Jeluidistout,d’oùvientmonsurnom,luiavouem’êtremasturbétouslesjours
danslebureauenlaregardant, l’avoirsuivieàmoto,pourquoij’aiachetécette
guitare,m’être souvent demandé ce qu’elle était devenue au cours de ces huitdernièresannées.Jesaisqu’ellepartagecedernierpointàmonsujet,ellem’enaparléilyadeuxmois,quandnousétionsdansl’avionquinousamenaitici.—J’aitoujourscruquetuavaisquittéMarseilleàcausedemoi,dit-elle.Jedémensetluidonnelavéritableraison.Elleseretourneenfinetplanteson
regardturquoisedanslemien.—Pourquoim’avoircachéquitues,alors?—Tonpère et seshommesne savent riendemonpassé. Jene souhaitepas
qu’ils apprennent que nous nous sommes déjà croisés, toi et moi, et qu’ilsdéterrenttoutça.Ce n’est pas tout à fait vrai, ni faux non plus. Elle scrute mon regard si
longtempsquejemesensdemoinsenmoinsserein.—Jecomprends,Ice.Jenedirairien,promis.Commentt’appelles-tu?J’ouvre laboucheet la refermeaussitôt. Jen’aipas enviede luimentir à ce
sujet,jerêvedel’entendrecriermonprénomquandjelaferaijouirànouveau,maisjenepeuxpasluidévoilermavéritableidentité,alorsjedéclare:—Jecroisquej’aimebienIce,finalement.Ellesourit,amusée.—Jepeuxmerenseignerauprèsd’Alberto,tusais.Merde ! Il est vrai qu’elle converse pas mal avec lui depuis notre retour
d’expéditionetj’aiconsciencedejoueraveclefeu.—William,mens-je.Sonregardrivéaumienmefaitdouter.Sait-elle?Albertoluia-t-ilrévéléd’où
jevenais?Jeseraisdéjàmortsic’était lecas,carma joliebrune,quiest loind’êtreidiote,auraitcomprisquejenesuisqu’unimposteur.— Je trouve que Ice te convient mieux, je vais donc m’en tenir à celui-là,
lâche-t-elle,moqueuse.
22
Gaby
Icevientdemementir,maisjeneluientienspasrigueur,jesaispourquoiill’afait.Jerécupèremaguitareetvaism’asseoiraupieddel’arbrequinousaservide cible un peu plus tôt. Ice m’observe gratter distraitement mon instrument,puismerejoint.Ilestsursesgardes,malgrésonairimpassible.Çafaitplusdetroissemainesquej’essaiededémêler lebordelque j’aidans
matête.Moncerveauenregistredesinformationsqui,àpremièrevue,semblentanodines,maisquandony regardedeplusprès, elles s’avèrentbeaucoupplusimportantes.Icen’estpas celuiqu’il prétendêtre. J’hésite à le confondreparceque jene
veuxpasqu’ilsesenteprisaupiègeetpuis,ilpeutpeut-êtrem’aideràdécouvrirce qui se trame ici. Il y a plus qu’un trafic de drogue si j’analyse ce que j’aientenduquandj’étaisplanquéedanslebâtimentàcafé.Commentai-jedémasqué,Ice?C’estsimple:1-Sontatouage,principalement.C’estpourcetteraisonqu’ilmecachaitquiil
était,d’ailleurs.2-Desconversationsquej’aieuesavecGrincheuxmesontrevenuesàl’esprit.
Je lui aidemandés’il étaitpossiblede retrouverunepersonne, ilm’a réponduquec’étaitdanssescordes,àconditiondedisposerd’unpeuplusd’élémentsquelesurnomdeDémon.3-Albertom’arévéléqu’IcesenommaitWilliamSmith,qu’ilétaitaméricain,
serait un ancien membre d’un gang de motard basé à New-York depuis sesquatorzeansetqu’ilauraitrejointunefilièreparisienneilyaunpeuplusd’unan,avantdevenirfairedutourismeenColombie.Jesuiscertainequ’aumoinsunepartiedetoutçaesterronée.Jeneremetsaucunementendoutecequ’ilm’arelatésursonenfance,ilyavaitbientropdechagrinetdesouffranceautantdanssonregardquedanssavoix.Ice aurait pu me considérer comme une gamine insignifiante quand j’avais
seizeans,ilfallaitdoncquejeluiposelaquestionavantd’assemblerlespiècesdupuzzle,carenquoicelaaurait-ilposéproblèmequejesachequiilest?Ehbien,çaluiencréeunénormeencequiconcernesacouverture.Ilfallaitsansdoutejustifierlefaitqu’ilparlecourammentlalanguedeMolière
etpuis,lafilledutrafiquantquirentreaubercailquelquesmoisaprèsqu’untypearéussiàs’infiltreretqui,deplus,leconnaît,enfin,sionveut,çaauraitfaittropde coïncidences pour paraître crédible. Par contre, il faut que je pense à nedévoilermondosàpersonnepourprotégerIce.Combien de chances y avait-il pour que Démon, alias Ice, et moi, nous
revoyionsunjour?Hasard?Peut-être,maisici,enColombie,chezmonpèredesurcroît?Jen’ycroispasuneseuleseconde.JeprésumequeGrincheuxestderrièretoutçaetquelquepart, jeluienveux.
Pourquoi, Ice ? Justement le gars au dos sublime que j’ai toujours espérérecroiser,maiscertainementpasdanscescirconstances.Ice est soit policier, soit il exerce le même métier que moi : récolter des
informationspour démanteler les réseaux français.Je ne suis pas flic, ce n’estpasmoiquiarrête lesmalfrats,mais j’aiacceptéce travailparceque j’yaivuuneoccasiondemeformerpourfairetombermonpaternel.Mais,plutôtquederapportercequej’auraidécouvertàlaFrance,commeprévu,c’estauxautoritésdecepaysquejevaism’adresser,seulement,ilmefautdespreuves.Quand Grincheux m’a proposé ce boulot, il m’a déclaré que mon profil
l’intéressaitparcequej’avaisfréquentélerepaired’ungangmarseillais,mêmesiçan’a étéque surunecourtedurée.Aujourd’hui, contrairement à l’époque, jeprendsconsciencequ’ilsavaitquiétaitDémonetçamefoutenrogne.Lesagentsde renseignementsneseconnaissentpasentreeux, jenesaispas
pourquoi,maisc’estlarègle.Ilmeresteencorepasmaldepointsàéclaircir.—Commentas-tusauvélaviedemonpère?m’enquiers-je.— Manuel et lui étaient près d’un bordel de Bogota quand des hommes
cagoulésontouvertlefeusureux.J’aiplongésurtonpèrepourleprotéger,l’aitraînéàl’intérieuretilm’ademandédel’aideràsortirdelà,cequej’aifait.Ilmedécritlecoupclassiqued’uneembuscademontéedetoutespiècespour
parveniràuneinfiltrationensuite.Ilsontprobablementdûtireràballesréellespourquecelaparaisseplusvrai,maisl’idéequeIceauraitpusefairedescendre,mefaitfroiddansledos.—Gaby,pourquoit’êtrefaitgraverlemêmedessinquelemien?Jefermelesyeux.Ilvasefoutredemoisijeluidis,non?—Tun’étaisplus là, tum’avais laissécetteguitareet je…J’avaisseizeans,
Ice, à cet âge-là, on fonde des espoirs complètement loufoques sur n’importequi,jesuppose.Jel’aperçoisarquerunsourcil,surpris.
—Qu’espérais-tudemoi?—Beaucoupdechoses.—Teparler?Jepivotesurmonpostérieuretplantemesprunellesdanslessiennes.—Passeulement.Promets-moidenepasrire.Ilacquiesce.— Je n’avais jamais vu ton visage, je ne te connaissais pas et pourtant,
j’espéraisquetuseraismonpremier.Jecroisquej’étaisamoureusedetondos.Ileststupéfait,puissoncorpsestprisdespasmesqu’iltentederéprimer.Tant
qu’àfaire,autantqu’ils’endonneàcœurjoie.— J’ai attendu d’avoir vingt ans avant de sauter le pas et en plus, je suis
tombéesurunnaze.Il écarquille les yeux, puis éclate de rire à s’en rouler par terre. C’est la
premièrefoisquejelevoiscommeça.Jenelecôtoievéritablementquedepuisdeuxmois,maisjedoutequ’Icesoitunhommegaidenature,quecesoitàcausedesonpasséoudesonmétier,peut-êtremêmedesdeux.Sonexpressionrieusechangeradicalementsestraitsetjedoisbienadmettrequ’ilmeplaîtdeplusenplus.Jemeredresseetpassemoninstrumentdansmondos,uneidéeentête.Ilse
metdeboutetmefaitface,l’airsoudaingrave.—Bébé,jesuisdésolé.Tumefaisprendreconscienceàquelpointj’aiétécon
d’avoireuaussipeuràl’époque,dit-ilavecamertume.—Monegod’adolescente s’enest remis,mais j’aimeraisque tum’accordes
unechose.—Toutcequetuveux.—Tourne-toi.Il s’exécute immédiatement.Unedéchargeélectriquemeparcourt l’échine et
unedoucechaleurserépanddansmonbas-ventrelorsquejepromènedoucementleboutdemesdoigtssurlapeaudoucedesondos.Icefrémit,puissonsouffledevientdeplusenpluscourt.—Bébé,j’aienviedetebaiserdèsquejetevois,maischaquefoisquetume
touches, ma queue est prête à exploser, murmure-t-il, d’une voix chargée dedésir.—Tais-toietlaisse-moiréaliserunepartiedecefantasmequim’obsèdedepuis
huitans.
Ilobtempère.Jepassemesbrasautourdeluietposematempeaucreuxdesesomoplates.C’estétrange,jemesensbien,là,ensécurité.— Je vais te prendre contre cet arbre, grogne-t-il, avant de se retourner
brusquement.Sonregardardentm’embrasecommeunfétudepaille.Ilexhaleunesortede
râlecaverneuxquirésonnedanstoutmoncorps.—Gaby,vousêteslà?appellelavoixdePaco.Retourbrutalàlaréalité.—Faitchier!grondeIce.Ils’emparedesont-shirtetlerenfileprestement.—Ici,Paco!crie-t-il.Quelquessecondesplustard,legamindéboule,échevelé.—Ah,vousvoilà.Lepatronestrentré,ilveutvousvoirtouslesdeux.J’aibienentenduunbruitdemoteurunpeuplustôt,maisn’yaipasprêtéplus
attentionqueça.—Parsdevantetinforme-lequenousarrivons,luiordonneIce.Le gamin obtempère, puis Ice se place devant moi, m’empêchant de lui
emboîterlepas.—Neleprovoquepas,bébé.Jeplongemonregarddanslesien.— Ice, je t’aimebien, alorsne temets jamais entremonpère etmoi, s’il te
plaît,dis-jeavantdelecontourneretmemettreenroute.
23
Ice
Gaby me précède lorsque nous entrons dans la cuisine et dépose soninstrument au coin de la porte. J’ai unmauvais pressentiment tant l’ambiancesemble soudain s’alourdir. Juan ne salue pas sa fille, elle non plus. Il se tientdeboutavecsonfidèleserviteur,del’autrecôtédelatable,etnousdétailledelatêteauxpiedstandisqueManuelaboie:—Oùétiez-vous?—Ons’entraînait,réponds-je.—Enquoi,est-cequeçateregarde?crachemajoliebrune.Manuelplissesesyeuxporcins,serrelespoingsets’apprêteàrépliquer,mais
Juanintervient.—Calmez-vous,touslesdeux!Juanreportesonattentionsurmoi.—Comments’est-ellecomportée?—Trèsbien.Gabymefoudroiebrièvementduregard,puiss’adresseàsonpère.—Pourquoinepasmeposerdirectementlaquestion?Jesuislà,aprèstout.Il
yaeuunincidentetj’aiblesséundeteshommes.SiJuanestsurpris, iln’enmontreabsolumentrien,alorsqueManuel, lui,est
unlivreouvert.—Ques’est-ilpassé?medemandeJuan.Gaby ouvre la bouche, mais je la devance et résume les faits. Manuel est
furibond.SipourGabyjesuisunglaçon,jemedemandecommentellequalifiesonpère,ilestaussigeléquelabanquise.—Tul’asprovoqué,donc,gronde-t-il,àl’intentiondesafille.—Sipeu.Gabyestcommeunvolcanprêtàentrerenéruption.Jeposemamainsurson
épauleet lapressedoucement.Mongestesemblel’apaiserquelquepeu,cequin’estpaslecasdeManuel,maisJuanattisedenouveaulefeuquicouvechezmajoliebrune.— Si tu veux rester ici, tu devras te plier à mes règles et respecter mes
hommes.— Sinon quoi ? Tu vas me coller un flingue dans la bouche et me faire
exploserlecrâne,àmoiaussi?demande-t-elled’untonfielleux.Manuel est bouche bée, Juan semble un instant déstabilisé,mais se reprend
aussitôt. Le père et la fille s’affrontent du regard, froid sibérien contre soleilbrûlantdudésert.—Qu’est-cequetuveux?—Tulesaistrèsbien,alorsnefaispasl’innocent!hurle-t-elle,dégageantma
maindesonépaule.Ilssefixentdenouveau,puisJuanlâche:—C’étaitunaccident.Toutel’acrimoniedemajoliebrunesembleretombercommeunsoufflé.—Maisencore?demande-t-elle,d’untondoucereux.Juanme fait signede sortir,mais j’hésite, je neveuxpas laisserGaby seule
aveccesdeuxhommes.—SiManuelreste,Iceaussi.Aprèstout,situl’asengagé,c’estqu’ildoitêtre
dumêmeacabitquetoi.Contrairementàcequejepensais,Juancèdeàlarequêtedesafille.—J’aiétéinfidèle.—Et?—Tamèrel’adécouvertetuneviolentedisputeàéclater.Gabyn’encroitpasunmot,jelevoisbien,maisellemesurprendenabrégeant
l’interrogatoire.—Jevois.J’imaginequ’elleamenacédetequitter,tunel’aspassupportéet
tuétaissiencolèrequetuasagisouslecoupdel’émotion.Juanacquiesce. Ilmedonneenviedevomir.Jenesupportepascesgensqui
n’assument pas leurs actes, pourquoi ment-il à sa fille ? Qu’a-t-il donc de siterribleàcacher?—Ehbientuvois,cen’étaitpassidifficileàdire,onvadoncpouvoirrepartir
surdebonnesbasesmaintenantquelevoileestlevé.—C’estcequetuveux?—Oui.Juanestsatisfait.Moi,jevaisêtremalade.— Je considère Manuel comme un fils, alors quand tu m’as appelé pour
m’annoncertonarrivée,ilm’ademandétamainetj’aiaccepté.Jecroisquej’aisubitementattrapéunegastroentérite,j’aimalaubideetvais
gerber.Manueljubileetdétaillelecorpsdemabelledesonairvicieux.JechiedansmonfroclorsqueGabysouritlargementàsonpaternel.—Jenepeuxpasl’épouser,jesuisenceinte.Hein?Manuellaregardesoudainaveccolèretandisquesonpèrelatoiseavec
mépris.—Mesconditionspourtonretourétaientpourtantclaires.Tum’asjurén’avoir
personnedanstavie.—J’aichangéd’avisencoursderoute.—Jeveuxunhéritieretque lepèrede tonenfantsoit l’undemeshommes,
pasunfrançaispourlequeltuasécartéeslescuissescommeuneputejusteavantderevenir!Etlà,touts’enchaîne.Gabysoulèvelatableetlarenverseviolemment,cequi
faitsursauterlesdeuxhommes.—Mamèrelesabienécartéespourtoi!hurle-t-elle.—C’estcefilsdeputequit’asautée?s’écrieManuel,portantunregardplein
dehainesurmoi.—C’estmoiquil’aibaisé,ilmerespecte,lui,aumoins!Putain,elleveutmamortouquoi?—Jevaistecrever,salefilsdepute!Nousdégainonsnosflinguesenmêmetemps,maisGaby,carçanepeut-être
qu’elle,estplusrapide.—Çasuffit!rugitJuan.Je vois un objet argenté volé en direction deManuel et se planter dans son
poignet.Sonarmetombeausoletilsemetàcouinercommeungoret.Juan regarde sa fille avec autant d’incrédulité quedeméfiance tandis que je
suissurlecul.Ellem’ademandédeluiapprendreàlancermoncouteauiln’yapasuneheure.Chancedudébutant?—C’esttoiquiluiaapprisàfaireça?medemande-t-il.—Oui.Vucequis’estpasséavecMiguel,j’aipenséqu’ilseraitutilequ’elle
sachesedéfendre.Quepuis-jerépondred’autre?—Jecroyaisquetuvoulaisqueleschosess’arrangent?grondeJuan.
—Certes,maisjenelaisseraipersonnefairedumalaupèredemonfils,alorsgardetonchienenlaisse!s’écrie-t-elle.— Cesse de me provoquer, Gabriela ! Si tu la veux, elle est à toi, mais
apprends-luilesbonnesmanières,dit-il.Gabys’apprêteàrépliquer,jeposeunemainsursabouche,ceinssataillede
mon bras droit, la soulève, plaque son dos contre mon torse et l’emporte àl’extérieur.Elle sedébat commeune furie, coupde coudes, de talons, de tête,ellenem’épargnerien.J’arrive devantma bicoque, essoufflé et furieux. J’ouvre la porte, la pousse
brusquementà l’intérieur,entreet refermederrièremoi.Ellese retourneetmefusilleduregard.—Tuveuxquetonpèremebute?!C’esttafaçondetevengerparcequejene
t’aipasditquij’étais,c’estça?!—J’aipassél’âged’êtreaussipuérile,Ice!—Ahoui?Quecherches-tuàfaire,alors?Tusaistrèsbienquejenet’aipas
miseenceinte!hurlé-je.—Jet’aiditdenepastemettreentremonpèreetmoi!—Etmoi,jet’aiprévenuedenepasleprovoquer!Ilvatedescendrecomme
ilatuétamère,c’estcequetusouhaites?!Tuveuxlarejoindredanslatombe,c’estça?!Loindesecalmer,majoliebruneesttelunmurdebriqueinébranlable.—Qu’est-cequeçapeuttefoutre,Ice?!Horsdemoi,jesorsmonflingue,ôtelecrandesureté,attrapelabelleparles
cheveuxàl’arrièredesoncrâne,tirebrusquementpourluifaireredresserlatêteetplantel’armesoussamâchoire.—Decettefaçon,tuescertainedenepasterater.Tun’asplusqu’àappuyer
surladétente,alorsvas-y,fais-ledonctoi-même!Jeluiabandonnemonflinguequandsamains’enempare,relâchesescheveux
et recule d’un pas sans la quitter du regard. Le sien est dur, déterminé.J’écarquillelesyeuxd’effroilorsquej’aperçoissonindexbougersurladétente.—Tucroisqueçamefaitpeur,Ice?Elle ne craint pas demourir, je le vois dans son regard et ça me fiche une
trouilledetouslesdiables.—Bébé,jenetelaisseraipastefairetuer.Jesoupire,soulagé,alorsqu’elleretireleflinguedesoussonmenton.
—Riennipersonnenem’arrêtera,Ice,alorsn’entravepasmonchemin.Jenerenonceraijamais.Monsoufflesecoupeetmonrythmecardiaques’accélère,alorsqu’ellebraque
l’armesurmoi…ettire.
Àsuivre…
Vousvoulezdécouvrir
lesactusd’Erato-Editions?
Retrouveznoussurnotreblogeratoeditionsleblog.wordpress.com/SurnotrepageFacebookwww.facebook.com/eratoeditionSurTwittertwitter.com/EratoEditions
Erato-EditionsCamidelsCabanyls
66740VillelonguedelsMonts
www.erato-editions.frIllustrationetconceptiongraphique:Créama
CréditsPhotos:Fotolia
top related