un laboratoire de littératures - openedition
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Un laboratoire de littératuresLittérature numérique et Internet
Serge Bouchardon, Evelyne Broudoux, Oriane Deseilligny et FranckGhitalla
DOI : 10.4000/books.bibpompidou.214Éditeur : Éditions de la Bibliothèque publique d’informationAnnée d'édition : 2007Date de mise en ligne : 14 mai 2013Collection : Études et rechercheISBN électronique : 9782842461591
http://books.openedition.org
Édition impriméeISBN : 9782842461041Nombre de pages : 268
Référence électroniqueBOUCHARDON, Serge ; et al. Un laboratoire de littératures : Littérature numérique et Internet. Nouvelleédition [en ligne]. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2007 (généré le 12 mars2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/bibpompidou/214>. ISBN :9782842461591. DOI : https://doi.org/10.4000/books.bibpompidou.214.
Ce document a été généré automatiquement le 12 mars 2021. Il est issu d'une numérisation parreconnaissance optique de caractères.
© Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2007Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
Aux amateurs de littérature numérique, le Web offre en deux clics l’œuvre et son envers, son
mystère et une partie de ses clés, le spectacle et sa machinerie intellectuelle ou technique. Qu’on
l’appelle «cyberlittérature» ou «littérature numérique», cette littérature n’aurait pas de réalité
sans le support numérique et le dispositif informatique grâce auxquels l’œuvre est produite, lue
et souvent agie. L’ambition de cet ouvrage est de faire entrer le lecteur dans l’univers des œuvres
numériques, en interrogeant au passage le modèle classique de l’édition. Les auteurs ont choisi
d’observer deux dispositifs collectifs : autrement dit, deux lieux sur le Web où deux
communautés d’acteurs livrent simultanément quelques-unes des clés essentielles de leur raison
sociale dans le domaine littéraire en ligne. Du territoire occupé sur le réseau au geste d’une
écriture qui revendique son originalité, en passant par la possible émergence d’un modèle inédit
d’édition, il ne s’agit pas moins que de se demander si, finalement, ce que l’on désigne par
«littérature numérique» n’est pas l’expression d’un nouveau paradigme pour la littérature.
SERGE BOUCHARDON
Agrégé de lettres modernes, docteur en sciences de l'information et de la
communication, chef de projet pendant six ans dans l'industrie du multimédia éducatif,
actuellement enseignant-chercheur à l'université de technologie de Compiègne,
membre du laboratoire costech (Connaissance, organisation et systèmes TECHniques).
Parmi ses champs de recherche, on citera le récit interactif et la littérature numérique.
EVELYNE BROUDOUX
Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à
l'Université de Versailles-Saint-Quentin.
Ses domaines compétences et d'intérêt sont : l'étude des conditions d'apparition des
auteurs, des groupes et des documents sur le web, l'édition électronique et la
littérature numérique.
ORIANE DESEILLIGNY
Docteur en science de l'information et de la communication et ATER au Pôle Métiers du
livre de saint Cloud (Université de Paris X). Ses travaux portent sur les journaux
personnels en ligne, sur l'interaction entre formes textuelles et supports de diffusion,
sur les mutations des pratiques d'écriture liées aux médias informatisées.
FRANCK GHITALLA
Maître de conférences à l'Université de Technologie de Compiègne et responsable
pendant trois ans du projet expérimental de recherche R.T.G.I (Réseaux, Territoires et
Géographie de l'Information).
Ses travaux portent sur les méthodes et les outils d'investigation du web comme
architecture documentaire ainsi que sur les rapports entre technologie numérique de
l'information et sciences humaines.
1
SOMMAIRE
Les auteurs
Remerciements
Préface. Une Littérature problématiqueJean Clément
Introduction
Chapitre I. À La recherche d'un domaineDeux localités thématiques sur le WebParcours topologiques
Chapitre II. Des acteurs et des dispositifs d’éditionMorphologie et genèseDiversité des modèles éditoriauxPositions et trajectoires d’auteursConstruction d’une critique
Chapitre III. Les œuvres de littérature numériqueLe texte dynamiqueModalités de lectureUn laboratoire de genres ?Littérature numérique et littérarité
Conclusion
Annexes
2
Les auteurs
1 Serge BOUCHARDON, 41 ans, agrégé de lettres modernes, docteur en sciences de
l'information et de la communication, chef de projet pendant six ans dans l'industrie
du multimédia éducatif, actuellement enseignant-chercheur à l'université de
technologie de Compiègne, membre du laboratoire COSTECH (Connaissance, organisation
et systèmes TECHniques). Parmi ses champs de recherche, on citera le récit interactif et
la littérature numérique.
2 Évelyne BROUDOUX, 48 ans, maître de conférences en sciences de l'information et de la
communication à l'université de Versailles-Saint-Quentin. Ses domaines de compétence
et d'intérêt couvrent l'étude des conditions d'apparition des auteurs, des groupes et des
documents sur le Web, l'édition électronique et la littérature numérique.
3 Oriane DESEILLIGNY, 28 ans, docteur en sciences de l'information et de la communication
et ATER au pôle Métiers du livre de Saint-Cloud (université Paris X-Nanterre). Ses
travaux portent sur les journaux personnels en ligne, sur l'interaction entre formes
textuelles et supports de diffusion, sur les mutations des pratiques d'écriture liées aux
médias informatisés.
4 Franck GHITALLA, 41 ans, maître de conférences à l'université de technologie de
Compiègne et responsable pendant trois ans du projet expérimental de recherche RTGI
(Réseaux, terriroires et géographie de l'information). Ses travaux portent sur les
méthodes et les outils d'investigation du Web comme architecture documentaire, ainsi
que sur les rapports entre technologie numérique de l'information et sciences
humaines.
5 Jean CLÉMENT est maître de conférences en sciences de l'information et de la
communication au département Hypermédias de l'université Paris VIII, directeur de
l'équipe Écritures hypertextuelles du laboratoire Paragraphe et codirecteur du master
Création et édition numérique.
3
Remerciements
1 Nous remercions Françoise Gaudet et Agnès Camus-Vigué (service Études et recherche
de la Bibliothèque publique d'information) pour leur confiance et leurs exigences
stimulantes.
2 Nous remercions Benjamin Jung (ingénieur informaticien), ainsi que Jean-Hugues Réty
(maître de conférences en informatique rattaché au laboratoire Paragraphe de
l'université de Paris VIII) pour la conception et le développement d'une interface
d'interrogation des messages de la liste de discussion E-critures.
3 Nous remercions Xavier Malbreil pour ses apports critiques sur la littérature
numérique et ses précieuses informations concernant la liste E-critures.
4 Nous remercions Anita Beldiman-Moore pour ses éclairages sur Ecrits ... vains ?, ainsi
que Jacques Teissier et Marie Bataille, fondateurs de la revue, pour leurs témoignages.
Nous remercions également Charles Colonna-Cesari, Guillaume Cingal, « Hannibal » et
Jean-Michel Niger pour avoir accepté de témoigner de leur expérience d'auteurs et de
lecteurs.
5 Nous remercions les auteurs d'E-critures ayant bien voulu se prêter au jeu des entretiens
enregistrés (BlueScreen, Philippe Bootz, François Coulon, Jacques Tramu) et les auteurs
« anonymes » ayant accepté d'être interrogés par mail (Michel Avignon, Frédéric
Guillot, Emmanuel Héron, Pierre-Jean Laine, Franck Laroze, Pierre Ménard, Patricya
Rydzok, Éric Sérandour, Jean-Paul Trichet, Walk Wallkatoll).
6 Nous remercions également la liste de diffusion Champs (mailto:champs@rezo.net) pour
l'éclairage sociologique apporté.
7 Un site web1 consacré au présent ouvrage propose une présentation du projet de
recherche et donne accès à certains outils développés dans le cadre de cette recherche.
4
NOTES
1. http://www.utc.frl~bouchard/bpi
5
Préface. Une LittératureproblématiqueJean Clément
1 Découvrant le titre de cet ouvrage, le lecteur croira sans doute que la littérature
numérique n’est qu’un produit de laboratoire, qu’elle n’est pas encore sortie de sa
phase expérimentale, qu’elle reste aux mains d’un petit groupe de spécialistes, de
chercheurs, d’universitaires qui ne se soucient guère du public et poursuivent leurs
chimères dans des cénacles fermés. Adopter ce point de vue serait rejoindre une
opinion largement répandue parmi les acteurs du domaine du livre, qu’ils soient
auteurs, éditeurs, journalistes, critiques, libraires ou enseignants. Pour la majorité
d’entre eux, comme pour le public, toute littérature doit aboutir à un livre. Certes la
chaîne de production du livre est aujourd’hui presque entièrement numérique, de son
écriture sur traitement de texte à sa distribution dans les librairies en ligne, en passant
par sa mise en page et son maquettage chez l’éditeur. Mais le produit final – celui que le
lecteur a entre les mains – est un objet de papier, fait de pages imprimées, numérotées
et reliées sous une couverture. Cet objet semble irremplaçable.
Un livre électronique ?
2 Les tentatives pour substituer l’écran au papier ont jusqu’à présent échoué. Il y a
quelques années encore, certains pensaient pouvoir proposer aux lecteurs branchés des
livres électroniques, des e-books1 qui auraient remplacé le livre, tout en reprenant
certaines de ses propriétés afin de ne pas trop dérouter les lecteurs. Au format d’un
ouvrage de poche, le e-book tenait dans la main, on pouvait l’emporter avec soi dans le
métro, on en tournait les pages d’une pression sur un bouton, un stylet ad hoc
permettait d’accéder à des fonctions de recherche ou de marquage des pages. Des
éditeurs et des libraires s’étaient lancés dans son commerce, tandis que d’autres,
tenants de l’édition traditionnelle, se demandaient comment allumer des contre-feux
face à cet objet menaçant les savoir-faire de leur profession2. L’avenir dira si cet échec
est définitif. Depuis un certain temps déjà, des ingénieurs planchent sur de nouvelles
technologies comme l’e-ink3 pour relancer le livre électronique. L’industriel Sony a été
6
le premier à tirer parti de cette nouveauté en lançant en septembre 2006 son « Sony
portable reader ». L’informatique n’a pas encore dit son dernier mot dans le domaine
de la lecture.
Lectures numériques
3 Si, à moyen terme, la destination finale de la littérature semble bien rester
massivement le livre, il y a bien longtemps que l’informatique est apparue comme un
auxiliaire de lecture précieux. L’édition du Coran sur cartes perforées remonte aux
années 1950. Elle a ouvert la voie aux éditions numériques. Le codage des caractères en
nombres binaires permet à l’ordinateur de manipuler le texte. Grâce à sa puissance de
calcul, il peut effectuer des opérations qui, sans lui, seraient fastidieuses. Parmi les
nouveaux usages rendus possibles, des tâches « cléricales », comme la recherche
d’occurrences de mots ou d’expressions, la sélection de contextes d’apparition de
vocables dans de vastes corpus et bien d’autres opérations de lexicométrie s’effectuent
désormais dans des temps très brefs. Ces nouvelles lectures assistées par la machine
sont devenues aujourd’hui indispensables. Elles ont fini par venir à bout des réticences
manifestées dans les débuts par les universitaires. Aujourd’hui, l’entreprise de
numérisation de la totalité du patrimoine littéraire mondial est en marche et fait l’objet
d’une concurrence entre des entreprises privées comme Google et des entreprises
publiques nationales ou européennes, moins armées financièrement, mais
culturellement plus exigeantes4. Les bibliothèques numériques ainsi constituées
s’inscrivent dans le vaste mouvement de numérisation qui touche tous les secteurs de
la culture, à commencer par la musique et l’audiovisuel.
Littératures sur le Web 2.0
4 Internet n’est pas seulement en passe de devenir la plus grande bibliothèque du monde.
Ce que certains appellent déjà le Web 2.0 n’est plus seulement un réservoir
d’informations qui fonctionnerait à sens unique. Nous sommes passés d’une logique de
stockage à une logique de flux, d’un dispositif de diffusion à un dispositif d’échange. La
production d’informations et de connaissances est continue, elle n’est plus le privilège
de quelques-uns seulement, mais l’œuvre d’une multitude de contributeurs. Internet
est plus que jamais un réseau humain tout autant que technique, un lieu de partage et
d’échange. Le courrier électronique, les listes de discussion, les forums, les blogs, les
wikis, les sites personnels ou les portails tissent en permanence des liens entre ceux qui
écrivent et ceux qui lisent, chacun pouvant à tout moment échanger sa position dans le
réseau. Cette dimension sociale de l’informatique touche tous les secteurs de la vie et
de la culture, elle produit aussi ses effets dans l’univers de la littérature. Dès 1997 parut,
sur papier, un petit ouvrage québécois intitulé La Littérature sur Internet, votre guide des
ressources littéraires en français sur la Grande Toile. L’auteur y recensait déjà plusieurs
centaines de sites dont une vingtaine de revues littéraires. Depuis, les sites littéraires
ont proliféré au point qu’il est difficile à l’internaute de se repérer dans ce réseau
dense. Aujourd’hui, par exemple, le site Zazieweb propose un annuaire de 5 000 sites
littéraires francophones sélectionnés et faisant l’objet d’une chronique. Pour tous ceux
qui écrivent ou s’essaient à écrire, Internet offre un espace illimité d’écriture, d’édition
et de publication. Certains choisissent de publier leurs œuvres sur un site personnel ou
7
un blog, d’autres se regroupent en communautés, d’autres enfin proposent leurs écrits
à des revues avec comité de lecture. Ce qui caractérise ce vaste mouvement, c’est
l’opportunité qu’offre le Web pour les internautes de passer du statut de lecteur à celui
de producteur de texte, avec l’espoir d’être lu par le plus grand nombre. Par
comparaison avec l’édition à compte d’auteur ou avec la publication dans des revues
confidentielles, le changement est considérable. Le Web est à même de jouer le rôle
d’un laboratoire de littérature, d’un incubateur de talents. Non pas comme dans
l’édition traditionnelle dans un rapport entre un auteur et un éditeur capable
d’accompagner la naissance d’une écriture, mais dans un réseau multiforme qui permet
la publication, la critique, l’échange à travers le courrier électronique, les blogs, les
forums. Le Web sert de tremplin pour les nouveaux écrivains. En Chine, par exemple,
des éditeurs traditionnels attendent le succès d’une publication en ligne pour proposer
à son auteur une édition papiers5. Le cas est encore rare en France, mais il s’est déjà
produit6. On trouvera dans cet ouvrage une analyse détaillée et passionnante de cette
« fabrique d’auteurs » et de ces nouveaux modes de publication à l’œuvre dans les sites
ecrits-vains.com et e-critures.org.
Écrits d’écran
5 Cependant, si ces deux sites ont pour vocation commune de favoriser l’éclosion de
talents, la publicité et la publication d’œuvres contemporaines, la création de
communautés d’auteurs et de lecteurs sur le Web, ils divergent radicalement dans leur
rapport au numérique. Pour Ecrits... vains ?, le support numérique est un simple vecteur
de communication qui ouvre des perspectives nouvelles à l’édition papier par la
création d’un réseau d’écrivains et de lecteurs. Pour les membres d’E-critures,
l’informatique est davantage qu’un nouveau support, c’est un outil d’expression et de
création. Afin de clarifier cette différence, il convient de distinguer entre la littérature
numérisée et la littérature numérique. On appellera donc littérature numérisée celle qui,
bien qu’étant inscrite sur un support numérique, a d’abord connu une existence sur le
papier ou qui a vocation à être publiée sur ce support. On réservera l’appellation de
littérature numérique à celle qui ne peut pas être imprimée sur papier sous peine de
perdre les caractéristiques qui constituent sa raison d’être.
6 Le texte numérisé, malgré sa parenté avec le texte imprimé, n’en est pas pour autant la
simple reproduction. Dès lors qu’il est affiché à l’écran, le texte donné à lire n’est plus
le même, il subit une métamorphose. Dans l’opération de lecture, la dimension lexico-
grammaticale d’un texte n’est pas séparable de sa dimension sémiotique. La mise en
page, la typographie, le support de lecture lui-même contribuent à la construction du
sens par le lecteur7. En changeant de dispositif, la lecture sur écran met encore plus en
évidence cette dimension sémiotique du texte. Installé devant un écran au format
« paysage8 », le lecteur est dans la posture du spectateur qui regarde plus qu’il ne lit les
mots sont pour lui avant tout des images. Le texte à l’écran se situe d’ailleurs de plus en
plus dans un environnement de signes graphiques, d’images fixes ou animées, voire de
sons. Il n’est souvent qu’un des éléments d’un dispositif multimédia. L’écrit d’écran
n’est pas l’écrit du livre. Il ne peut être reçu et interprété indépendamment de son
support technique. Il forme avec lui un nouvel objet, à la fois texte et technique, un
« textiel » selon le néologisme forgé par Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret9.
8
Naissance de la littérature numérique
7 Cette nouvelle écologie du texte à l’écran a conduit tout naturellement les créateurs à
renouer avec des pratiques avant-gardistes et à les porter plus loin. La littérature
numérique peut être envisagée comme la rencontre de courants littéraires marginaux
parfois anciens et du multimédia. Poèmes à chanter, à crier, à danser, poésie sonore,
poésie spatialiste, poésie concrète trouvent dans l’informatique un nouvel espace de
création. La littérature fragmentaire, l’anti-roman, les littératures à contraintes, entre
autres, ont donné naissance à l’hypertexte et aux œuvres programmées. Les deux
caractéristiques les plus novatrices de la littérature numérique sont l’introduction du
mouvement et la programmation.
8 Le texte en mouvement10 ou texte animé est un texte dont les mots apparaissent,
disparaissent, circulent, se transforment à l’écran. La situation du lecteur s’en trouve
complètement changée. En tranchant le lien qui depuis des siècles l’attachait à la page,
la littérature en mouvement soumet l’œuvre au temps de sa consommation, elle se
« produit » dans un espace-temps qui n’est plus celui de la lecture mais celui du
spectacle. Ce faisant, elle renoue avec la poésie orale, mais sans bénéficier toutefois de
la coprésence de l’énonciation orale. Sans doute est-ce pour cette raison que les œuvres
de poésie numérique donnent souvent lieu à des installations ou à des manifestations
publiques.
9 Le texte en mouvement est aussi un texte programmé. Le programme règle le
comportement des mots à l’écran et tient éventuellement compte des interactions du
lecteur dans le déroulement de l’œuvre. Dès lors, pour les auteurs, l’essentiel du temps
de la création n’est plus dans l’écriture des mots, mais dans la programmation de leur
comportement à l’écran. Pour quelques phrases de texte, ce sont des centaines de
lignes de code informatique qu’il leur faut produire. Même si aujourd’hui des logiciels
comme Flash ou Dreamweaver permettent à certains auteurs de s’affranchir des
difficultés de la programmation, nombreux sont ceux qui ont dû acquérir des
compétences de programmeur.
Du texte au programme
10 Cet investissement dans la programmation conduit inéluctablement à un déplacement
de l’activité créatrice, qui ne réside plus pour l’essentiel dans l’écriture des mots, mais
dans la conception des programmes qui produiront le texte à l’écran. Si l’on considère
en outre le fait que les choix aléatoires de la machine et ceux de l’interacteur privent
l’auteur de la maîtrise complète du texte affiché à l’écran, il apparaît clairement que la
littérature numérique relève pour une large part d’une esthétique de la
programmation. Pour les auteurs, c’est le programme qui fait œuvre, en amont des
énoncés proposés à la lecture. De ce point de vue, la littérature numérique se situe dans
la filiation de la poétique d’un Paul Valéry qui écrivait « C’est une révolution, un
changement immense, qui était au fond de mon histoire c’est de reporter l’art que l’on
met dans l’œuvre à la fabrication de l’œuvre. Considérer la composition même comme
le principal, ou la traiter comme œuvre, comme danse, comme escrime, comme
construction d’actes et d’attentes. Faire un poème est un poème11. »
9
11 Fabrique de mots, ingénierie textuelle, programmation, autant de compétences qui
entraînent les auteurs numériques loin de la culture littéraire classique et les amènent
à s’interroger sur leur identité. Si certains continuent de se réclamer de la littérature,
d’autres sont tentés de prendre le large pour fréquenter d’autres rives. Un des intérêts
de l’étude menée ici sur la liste E-critures réside dans les discussions animées à propos
de l’appartenance des membres de la liste au domaine littéraire. Nombre d’entre eux se
définissent plutôt comme des artistes multimédias, au même titre que les musiciens,
plasticiens, développeurs et autres adeptes du Net art ou de l’esthétique de la
communication qui explorent aujourd’hui les nouveaux espaces numériques12.
Particulièrement intéressante à cet égard est la création, par trois poètes numériques,
du mouvement Transitoire observable qui regroupe des littéraires, des musiciens et des
plasticiens s’intéressant plus au dispositif informatique qu’à la seule production de
formes de surface observables à l’écran.
12 La littérature numérique, on le voit, est une littérature problématique. En passant du
papier au numérique, elle oblige à reconsidérer la question de son support, à tenir
compte de son dispositif de réception. Le texte n’est plus séparable de son
environnement technique, il est contaminé par les médias avec lesquels il partage son
espace, il n’est plus que le résultat, la partie visible d’un ensemble de programmes et de
processus. La littérature numérique détrône le texte de sa place centrale et, à la limite,
est tentée de s’en débarrasser.
Y a-t-il un lecteur ?
13 Pour le lecteur, la situation est devenue inconfortable. L’interactivité comme promesse
de liberté et de prise en main du déroulement de l’œuvre, comme coproduction du
texte avec l’auteur n’est le plus souvent qu’une illusion. Le texte programmé conduit à
la programmation du lecteur : sans accès aux algorithmes conçus par l’auteur,
l’interacteur n’est plus qu’un élément du système, il est réduit à la fonction de
déclencheur, de fournisseur malgré lui d’informations dont il ignore ce que l’auteur a
prévu de faire. Certes les productions hypertextuelles paraissent offrir un espace de
libre circulation dans les textes. Elles fournissent au lecteur l’opportunité de créer son
propre parcours, d’être dans une situation de coénonciation. Mais, même dans ce cas, le
plaisir de la lecture est moins dans la découverte du texte que dans la construction
ludique d’une cartographie cachée, d’un jeu dont l’issue incertaine est le principal
enjeu. L’avenir de la littérature numérique, son succès ou sa disparition, tient sans nul
doute à la relation qu’elle saura entretenir avec ses lecteurs. Si elle reste au stade de
l’expérimentation en laboratoire, si elle considère le texte affiché à l’écran comme un
élément secondaire, simple résultat d’un processus caché au lecteur, elle n’intéressera
que le petit groupe des spécialistes. Pour trouver son public, il lui faudra réfléchir à la
place du lecteur dans les dispositifs qu’elle propose.
L’avenir du cyberespace littéraire
14 L’ébranlement produit par le numérique dans le champ littéraire est le signe d’une
mutation en cours dont il est difficile de prévoir les conséquences à long terme. Mais
dès maintenant le numérique produit ses effets dans tous les domaines de la littérature
et opère entre eux un mouvement de rapprochement. Dans l’ouvrage qu’on va lire, les
10
auteurs analysent deux sites qui sont l’expression de deux communautés se trouvant a
priori très éloignées l’une de l’autre dans leur rapport au numérique, l’une l’utilisant
comme un outil de communication et de publication, l’autre s’en saisissant comme
matériau de création. Ce choix se justifie par ses vertus contrastives. Mais, au-delà des
différences, l’informatique les réunit dans un même ensemble, celui de la
cyberlittérature. Celle-ci se caractérise d’abord par son rapport à la cybernétique, qui,
dans son acception étymologique, est d’abord l’art de gouverner au sein d’un système
homme-machine. Que ces machines abritent des programmes de création littéraire,
comme dans la cyberpoésie ou dans les hyperfictions, ou qu’elles organisent la
communication en réseau dans le cyberespace littéraire, elles forment un
environnement, une culture commune qui autorise les rapprochements. Si le spectre de
la littérature numérique est large, il comporte des zones où peut s’opérer le passage
entre les différentes familles. Les discussions sur les listes et les liens qui se tissent
entre sites en témoignent. Des passages existent entre les auteurs numériques qui se
risquent à publier aussi sur papier, y apportant parfois leur culture informatique et les
auteurs de la littérature classique qui s’essaient aux nouvelles technologies. Il n’est pas
jusqu’à l’enseignement de la littérature dans les classes qui ne commence à prendre en
considération la création numérique comme en témoignent des CD-Rom ou des
ouvrages pédagogiques13.
Un territoire à explorer
15 C’est un des mérites des auteurs que d’avoir pris en considération le Web comme un
territoire et d’en avoir mené l’exploration à partir des sites qu’ils ont choisis. Au-delà
de l’analyse minutieuse et pertinente de ces sites, il faut souligner l’originalité des
outils et des méthodes qu’ils ont mis en œuvre dans leur étude. En adéquation avec le
sujet de leur recherche, ils ont fait appel à des outils informatiques. Dans l’utilisation
des listes de discussion d’abord. Le recueil systématique de ce corpus sur plusieurs
années ainsi que sa mise en forme informatique à l’aide d’outils ad hoc à des fins
d’exploitation statistique constitue un modèle exemplaire qui pourra être repris sur
d’autres corpus par d’autres chercheurs. Dans l’utilisation d’outils, de méthodes
documentaires et de cartographies du Web ensuite. Les techniques de social data mining
appliquées au Web littéraire font apparaître des réseaux que la simple observation de
pages web, aussi poussée soit-elle, est incapable de faire apparaître. La méthode des
agrégats, l’approche topologique, l’identification des hubs et des authorities dessinent
des configurations souvent inattendues, une géographie documentaire, une e-cologie
qui est immédiatement parlante et suscite le commentaire.
16 Dans le vaste continent de la littérature sur le Web, la littérature numérique
francophone n’est qu’un petit archipel, mais qui fait réseau avec les littératures
numériques du monde. Derrière la production anglo-saxonne, elle n’a pas à rougir de sa
place, reconnue par les plus grands. Elle est une des plus inventives et des plus
diversifiées. Elle a joué et continue de jouer un rôle de premier plan dans son domaine.
Elle a produit des CD-Rom, des sites, des revues, des livres. Elle a organisé des
rencontres, des expositions, des manifestations14. Elle est présente à l’Université, dans
des cours, des centres de recherche. Ses productions sont cataloguées, répertoriées,
archivées dans les bibliothèques. Un de ses meilleurs connaisseurs, Jacques Donguy,
prédisait que « pour tirer toutes les conséquences du passage de l’imprimerie à
11
l’informatique, il faudra au moins cinquante ans ». En faisant mieux connaître cette
nouvelle littérature, cet ouvrage lui donnera un sérieux coup de pouce et devrait
contribuer à raccourcir ce délai.
NOTES
1. Sur le livre électronique, on lira avec intérêt Gutenberg 2.0 de Constance Krebs et Lorenzo
Soccavo à paraître chez MM2 Éditions en mars 2007.
2. Rapport Cordier sur le livre numérique, http://www.culture.gouv.frlculture/actualites/
rapports/cordier/intro.htm
3. Ce procédé, imaginé par Xerox dès 1977, utilise des microcapsules insérées dans une fine
feuille de plastique. Il permet un affichage aussi lisible que le papier sans nécessiter aucun rétro-
éclairage.
4. JEANNENEY (Jean-Noël), Quand Google défie l’Europe: plaidoyer pour un sursaut, Mille et Une Nuits,
Paris, 2006.
5. BOBIN (Frédéric), « La cyberlittérature, un nouvel espace florissant », Le Monde des livres du 18
mars 2004.
6. La Malédiction du parasol, d’Anne-Cécile Brandenbourger, paru aux Éditions Florence Massot en
2000, a d’abord été publié sur le site Anacoluthe (http://www.anacoluthe.com) pendant les deux
années précédentes, sous la forme d’un feuilleton intitulé Apparitions inquiétantes. Par ailleurs, les
Éditions POL publient régulièrement sur le Web des œuvres en feuilleton avant de les éditer en
livre.
7. Les surréalistes se sont ainsi amusés à transformer en poèmes des articles de faits divers parus
dans les journaux en modifiant simplement leur mise en page par des retours à la ligne.
8. Dans le vocabulaire du numérique, le format « paysage », plus large que haut, s’oppose au
format « portrait », qui est plus haut que large.
9. [SOUCHIER et alii, 2003]
10. LAUFER (Roger), Le Texte en mouvement, Presses universitaires de Vincennes, 1987.
11. VALÉRY (Paul), Ego scriptor, Gallimard, Paris, 1973.
12. Ainsi, on peut lire au dos de la jaquette du dernier numéro de la revue alire, qui a longtemps
rassemblé les pionniers de la poésie numérique en France: « [...] au revoir à nos amis auteurs qui
se sont engagés dans des voies de la littérature numérique qui ne sont plus les nôtres et [...]
“bienvenue” aux auteurs ou artistes qui traitent de façon rigoureuse la question de l’art
programmé aujourd’hui. » alire, n° 12, février 2004.
13. Le rôle de diffusion et d’animation joué par le Centre national de documentation pédagogique
(CNDP) est particulièrement intéressant à cet égard. On lui doit entre autres un CD-Rom sur la
poésie contemporaine qui fait une très large place aux œuvres numériques et un ouvrage sur ce
thème est en préparation dans la collection Web.
14. En témoigne, par exemple, le festival E-poetry qui se tient en 2007 à Paris du 20 au 23 mai.
12
AUTEUR
JEAN CLÉMENT
Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au département
Hypermédias de l’université Paris VIII, directeur de l’équipe Écritures hypertextuelles du
laboratoire Paragraphe et codirecteur du master Création et édition numérique.
13
Introduction
1 Aux amateurs de littérature numérique, le Web offre en deux clics l'œuvre et son
envers, son mystère et une partie de ses clés, le spectacle et sa machinerie intellectuelle
ou technique.
2 La dualité de points de vue est un des caractères constitutifs du Web, qui peut être
considéré à la fois comme le domaine par excellence de l'instantané et de l'interaction,
et comme le lieu d'une myriade de mémoires et de stockage de traces. Cette dualité se
décline de multiples façons, et certains en usent savamment : le blog du journaliste
nous guide dans les coulisses de l'information diffusée par les médias ; le site de
l'homme politique s'ouvre à des propos plus personnels ; on suit au jour le jour les
périples d'une expédition, tandis que National Geographic nous en livre la contribution
scientifique. Certes, ces envers sont aussi des mises en scène, mais le Web s'en nourrit
comme nul autre « système d'information » avant lui.
3 L'étude proposée a été fortement motivée par le désir d'observer cet envers du décor
dans un domaine, la « littérature numérique », qui a largement exploité depuis les
débuts de l'informatique nombre de solutions astucieuses et fascinantes où dialoguent
l'acte d'écrire (y compris du code) et son produit final. Au point, d'ailleurs, de
confondre explicitement parfois les deux, dans le cas des œuvres ouvertes et
collaboratives en réseau. La présence du domaine de la littérature (« numérique » ou
non) sur le Web semble d'ailleurs très marquée par l'exercice de ce dialogue : les
« ateliers d'écriture » en ligne y fleurissent ; certaines grandes maisons d'édition
incitent les auteurs publiés à alimenter un site web personnel ; des écrivains mobilisent
le réseau pour faire état de l'avancement de leurs œuvres dans une perspective
génétique, tandis que des cercles de lecteurs avertis disposent eux aussi de forums, de
newsletters ou de blogs. Mais plus encore, le Web, comme système hypertexte
décentralisé et ouvert, assure souvent, dans un même espace informationnel, le
couplage des pratiques et des productions, la coexistence des formes artistiques et de
leurs systèmes de médiation.
4 C'est sur cet horizon encore peu exploré que s'est focalisée notre étude : le désir
d'observer « la littérature à l'œuvre » sur réseau numérique. En ce sens, il faut la
considérer comme un aspect complémentaire d'études déjà publiées dans cette même
collection : L'Outre-lecture1, par exemple, s'est interrogée sur les modalités de la
14
« lecture » sur le Web ; Lire, écrire, récrirt2 analyse les formats sémiotiques des « écrits
d'écran ». Cette fois-ci, nous voudrions emmener notre lecteur dans quelques lieux du
réseau où des « acteurs » ou des « praticiens » de la littérature se définissent,
individuellement ou collectivement, se rencontrent (eux ou leur public), construisent
des projets communs en nous laissant la possibilité d'observer l'atelier technique et
social de 1'« œuvre » et les parcours d'« auteurs ». Il faut avouer que nous contribuons
ainsi à l'enthousiasme général des chercheurs en sciences humaines et sociales pour
l'étude de la « vie sociale » sur les réseaux, le Web offrant un terrain riche de données
d'usages, accessibles comme jamais elles ne l'ont été auparavant. « Communautés de
joueurs en ligne », « cercles de bloggeurs politiques », « réseaux d'acteurs de la
démocratie participative » ou encore « cercles de consommateurs » : qui n'a pas encore
fait aujourd'hui du Web son terrain d'observation où sont prélevées, décrites et
formalisées théoriquement les traces de l'activité en ligne ?
5 Dans notre cas, c'est vers les processus d'édition et de diffusion des œuvres littéraires
sur le Web que s'est portée notre attention : comment s'y définissent les acteurs ? À
travers quels types de formatage ou de filtrage une œuvre est-elle polie, lissée ? À quel
titre, et par quels mécanismes, « auteurs » et « lecteurs » se définissent-ils ? Les
modèles de sociabilité que ceux-ci engagent sur le Web sont-ils hérités des pratiques de
l'édition imprimée ? Sinon, comment se renouvellent les « formes politiques » ou
« sociales » de l'édition en ligne ?
6 Pour interroger les modes de sociabilité associés aux pratiques éditoriales en ligne,
nous avons choisi de focaliser notre attention sur un dispositif collectif, e-critures.org,
qui regroupe certains acteurs de la « littérature numérique ». Les raisons de ce choix
sont multiples. Il repose d'abord sur l'intérêt que nous portons à ce champ de pratiques
originales depuis quelque temps3. Qu'on l'appelle « littérature informatique »,
« littérature électronique », « e-littérature », « cyberlittérature » ou « littérature
numérique », il semble se caractériser par une sorte de tradition de l'innovation formelle et
théorique propice à nos investigations. Depuis plus de trente ans, des auteurs créent des
œuvres littéraires sur ordinateur. Leur objectif n'est pas de diffuser des textes
littéraires sur un support électronique, CD-Rom ou site web, mais de réaliser des
œuvres spécifiquement conçues pour le numérique, en s'efforçant d'exploiter certaines
de ses caractéristiques : technologie hypertexte, dimension multimédia, interactivité ...
On pourrait penser à la transposition d'ouvrages de la collection « Un livre dont vous
êtes le héros4 », qui proposent au lecteur de choisir entre plusieurs parcours possibles ;
la technologie hypertexte permet en effet de mettre en place de telles histoires à
structure arborescente. En fait, les voies explorées par les œuvres de littérature
numérique se révèlent plus diversifiées : elles peuvent bien sûr prendre la forme de
récits hypertextuels, mais également de poèmes animés, d'œuvres fondées sur le
principe de la génération de texte, de créations collectives en ligne ... Dans tous ces cas,
l'œuvre a été produite avec un ordinateur et c'est via un ordinateur qu'elle sera lue et
souvent agie. Cette « littérature » n'aurait donc pas de réalité sans le support
numérique et le dispositif informatique, d'où le terme « numérique ». L'avènement du
Web comme réseau hypertexte ouvert et à grande échelle est venu renouveler ces
dernières années les premiers cadres de la littérature numérique, et il ne nous est pas
apparu abusif de parler d'un courant spécifiquement dédié à l'exploitation de ses
propriétés.
15
7 Il nous semblait également utile de contribuer au repérage d'œuvres, d'auteurs, de
public(s) ou de mécanismes d'édition sur le Web pour enrichir les références déjà
connues du domaine ou pour répondre aux questions que se posent légitimement
documentalistes ou bibliothécaires sur la nature et l'étendue de ces pratiques. Or
l'enquête nous offrait précisément la chance de voir à l'œuvre une communauté
d'acteurs tournés résolument vers l'exploitation artistique des potentialités du réseau
et des dispositifs numériques.
8 Mais, comme notre lecteur l'aura déjà noté, les guillemets sont souvent de mise quand
nous voulons parler d'« auteurs », de « lecteurs », d'« œuvres », d'« édition » ou de
« littérature » de ce nouveau domaine très éloigné des notions habituelles de pièce de
poésie, de roman ou de nouvelle. À notre sens, ces guillemets traduisent le double enjeu
de l'enquête, et résument presque l'ensemble de ses objectifs. En premier lieu, ils
représentent nos hésitations (ou celles aussi, parfois, des acteurs eux-mêmes) à
projeter sur des pratiques aussi inédites les formes conceptuelles par lesquelles on
conçoit spontanément l'œuvre littéraire et ses cadres sociotechniques. C'est au contact
de la littérature numérique (au moins autant que dans certaines expériences de la
littérature moderne au XXe siècle) que l'on s'aperçoit combien notre vocabulaire et
notre découpage des mots en choses ont contribué à naturaliser une configuration qui a
longtemps semblé aller de soi : l'œuvre littéraire a des qualités linguistiques formelles,
se donne matériellement sous la forme d'un « texte » incarné sur un support, elle est le
produit d'auteurs, elle est évaluée (sous une forme ou sous une autre), classée en genres
ou en familles, diffusée (en général sous forme imprimée) et, enfin, lue ou déchiffrée
par un public (on l'espère conquis). Les œuvres numériques interrogent parfois
profondément, on le verra, l'ensemble de ces cadres conceptuels, mais aussi les
différents rôles qu'y jouent ses acteurs ou la dimension technique des dispositifs
d'édition. Dans le cadre de notre étude, l'important fut de repérer les indices
techniques, discursifs et symboliques de l'intensité de ce débat fécond sur les formes de
l'œuvre littéraire ou artistique, dévoilant à l'observateur à partir d'E-critures cet
« envers » matérialisé par des dispositifs, des arguments, des discussions ou des
polémiques. Il ne s'agit donc pas de trouver ce qu'est la littérature numérique, mais de
comprendre les débats qui accompagnent ses pratiques, les rôles que les acteurs s'y
voient jouer, de décrire les dispositifs techniques (et les scénarios) par lesquels on
l'appréhende et les rouages, parfois inédits, de son édition.
9 Mais nos guillemets montrent aussi à coup sûr combien les « œuvres » rencontrées ne
sont pas toujours reconnues ou socialement légitimées. C'est aussi cet « extérieur » de
la littérature numérique qu'il nous a fallu qualifier en nous attachant à explorer un
second dispositif, ecrits-vains.com, lui aussi dédié à l'édition en ligne d'œuvres
littéraires et artistiques, mais calé sur des canons plus traditionnels et plus proches des
mécanismes sociotechniques éprouvés dans le domaine de l'édition imprimée.
L'objectif n'est pas ici de trouver les traces d'une polémique entre deux champs (qui
n'aurait d'ailleurs pas d'intérêt dans le cadre de nos objectifs), mais seulement de
construire une approche contrastive entre deux types de pratiques éditoriales et,
formellement, de produits artistiques. Autrement dit, deux lieux sur le Web où deux
communautés d'acteurs nous livrent simultanément quelques-unes des clés essentielles
de leur raison sociale dans le domaine littéraire en ligne. D'e-critures.org à
ecritsvains.com, on peut ainsi parcourir cette partie du Web francophone dédiée aux
pratiques littéraires et essayer de classer celles-ci en types éditoriaux. Constituer ces
16
deux dispositifs à vocation collective comme terrains d'observation paraissait ouvrir a
priori sur des différences très marquées mais, rapidement, il a fallu reconnaître la
richesse des usages du réseau, les profondes complémentarités qui peuvent associer
numérique et imprimé, la complexité des liens et des formes de sociabilité que les deux
communautés se sont donnés sur le réseau mais aussi au-dehors.
10 Néanmoins les e-crituriens ont peuplé le réseau très tôt. Ils semblent s'y être installés
comme à demeure, exploitant cette fois à grande échelle un univers numérique dont ils
connaissent les potentialités diégétiques ou esthétiques. Le réseau, pour eux, s'annonce
comme une finalité, une forme d'épreuve d'où peuvent germer de nouvelles pistes
fécondes, d'autres vite abandonnées. Il semble qu'il se joue plus autour d'E-critures que
le mouvement d'innovation technique qui paraît caractériser le Web comme espace
ouvert aux transformations de façon permanente, mouvement généralement subi qui
nous condamne comme simples internautes, par exemple, à « remettre à jour » nos
« systèmes » ou la puissance de nos machines. Au contraire, les œuvres de « littérature
numérique » accessibles par le Web semblent mues par un mouvement systématique de
mise à l'épreuve, d'examen technique autant qu'esthétique, au point que certains
envisagent un point de rupture inévitable avec le lecteur-spectateur. En quelque sorte,
une forme d'expérimentation, dans différentes directions et selon les auteurs, mais qui
laisse apercevoir combien le réseau avec les e-crituriens peut aussi se transformer en
laboratoire.
11 Il reste à découvrir cet envers du décor sur le réseau, le « chantier » d'une littérature à
l'œuvre, en essayant de maintenir tout au long de l'exposé des références directes aux
œuvres sur lesquelles nous nous sommes arrêtés. Adopter un déroulement en scindant
les aspects problématiques de notre étude aurait signifié que nous avions réussi à
réduire notre question à une série finie de problématiques identifiables. Ce n'est
évidemment pas le cas ; qui peut prétendre aujourd'hui avoir résolu la question de la
nature de l'objet littéraire, assigné la littérature numérique à sa place dans le champ
des arts, épuisé la cartographie des pratiques sociales sur le Web ? Le mieux, ici, est
d'épouser les trois niveaux « photographiques » qui ont guidé notre aventure :
contextualiser sur le réseau nos deux objets de prédilection, e-critures.org et ecrits-
vains.com, les décrire ensuite comme des dispositifs sociotechniques où des acteurs
sont appelés à jouer des r6les et s'attacher enfin spécifiquement aux œuvres de
littérature numérique dont l'écriture rappellera en écho les options théoriques et
esthétiques qu'ont élues certains des e-crituriens. Pour le dire autrement, nous
montrerons que la littérature se manifeste par les traces d'une activité impliquant des
acteurs dans un contexte, qu'elle est le fruit d'un travail d'édition et, enfin, qu'elle se
manifeste à travers un exercice d'écriture.
12 Ce scénario de la découverte pourra sembler trop générique et applicable, en soi, à bien
d'autres objets que le n6tre. Mais le déployer sur le Web constitue un défi non
négligeable, notamment du point de vue de la méthodologie. Par exemple, comment
« relever » des « traces » numériques, manuellement ou automatiquement, avec quels
outils, selon quelle précision ? À quel rythme ? Et tout d'abord, qu'est-ce qu'une
« trace » ? On le devine : rien d'évident. Les méthodes d'observation du Web restent
encore à formaliser et à valider. Par ailleurs, pour étudier les acteurs et les dispositifs
éditoriaux, le répertoire méthodologique doit encore s'enrichir : il faut associer des
données extraites du réseau (tous les messages de la liste de discussion E-critures) et du
« hors-réseau » (comme les interviews ou les extraits de discussions) sans oublier, à
17
l'interface des deux dimensions, les propos des webmestres, des administrateurs de
serveur ou des responsables de rubrique. Enfin il convient d'adopter également une
approche formelle et théorique, nécessaire à la découverte des œuvres comme produits
d'un travail (spécifique ?) d'écriture. Le « bricolage » méthodologique s'effectuera donc
ici à titre de revendication et, sous certains aspects, nous avons dû, nous aussi,
« expérimenter » et considérer notre entrée sur le Web comme une mise à l'épreuve de
notre savoir-faire d'observateur.
13 À la première étape, celle de la contextualisation d'e-critures.org et ecrits-vains.com, il
nous a fallu considérer le Web comme un territoire occupé par deux communautés,
chacune définie en soi mais aussi par des relations de « voisinage » et de degré de
« proximité ». En somme, considérer le Web plus comme un espace social que comme
un « système d'information », en tenant notamment compte de ce que les liens
hypertextes avaient à nous apprendre sur les affinités qui se dessinaient de proche en
proche depuis nos deux points de repère initiaux. Ecrits-vains.com et e-critures.org
contribuent à la richesse du Web tout comme, à l'inverse, ils s'y trouvent « pris ».
Comme dans l'étude d'un écosystème, il importe de comprendre ce que nos deux
dispositifs ont à révéler du contexte dont ils se nourrissent. On aurait d'ailleurs tort de
considérer un quelconque site web (a fortiori s'il est doté d'une vocation « collective »)
comme un point isolé accessible via une adresse : les documents publiés se répondent
de proche en proche par liaison hypertextuelle et s'intègrent ainsi à des ensembles plus
vastes que nous avons cherché à identifier. C'est ici, peut-être, que s'est engagé depuis
quelques années un dialogue fécond entre computer sciences et sciences humaines et
sociales, le Web étant exploré comme un réseau de « localités thématiques » qui, à
travers l'analyse du contenu des documents et la distribution des liens hypertextes, se
dévoile comme un vaste système électif d'affinités.
14 De là, il s'agira d'envisager nos deux objets d'étude comme deux dispositifs web à partir
desquels se constituent des équipes éditoriales et se dessinent des circuits d'élaboration
des œuvres et de valorisation des productions. En d'autres termes, essayer de deviner
quels modèles d'organisation (voire quelles stratégies d'acteurs) en ligne sont à l'œuvre
à travers, notamment, l'analyse discursive des messages déposés sur les forums ou
listes de discussion. Il faudra observer à quel point et selon quels objectifs les dispositifs
ont été adoptés, modifiés ou détournés pour donner naissance à des modèles originaux
d'édition et de publication. Si l'édition en ligne et le recours à des revues et dispositifs
électroniques peuvent apparaître aux auteurs comme une alternative à l'édition papier
et à ses arcanes complexes, il n'en reste pas moins que les liens qui se tissent entre le
monde de l'imprimé, ses modes de filtrage, de publication et de reconnaissance, et la
littérature numérique sont complexes, et parfois surprenants.
15 Tous ces éléments contextuels et sociotechniques liés aux dispositifs d'édition en ligne
pourront enfin entrer en résonance avec les œuvres elles-mêmes. L'objectif, ici, ne sera
pas de juxtaposer une nouvelle approche, plus formelle et focalisée sur les propriétés
intrinsèques des œuvres numériques. Il consistera plutôt à faire dialoguer les données
déjà recueillies avec le procès de l'écriture lui-même. C'est ainsi, peut-être, que l'on
pourra commencer à comprendre les enjeux liés à l'émergence d'une « textualité
numérique », du geste lectoriel qui leur donne sens (les modalités de la lecture
interactive) et au processus de catégorisation en genres qui y sont associés.
16 On le voit, la tâche n'est pas simple : du territoire occupé sur le réseau au geste d'une
écriture qui revendique son originalité, en passant par la possible émergence d'un
18
modèle inédit d'édition, il ne s'agit pas moins que de se demander si, finalement, ce que
l'on désigne par « littérature numérique » n'est pas l'expression d'un nouveau
paradigme pour la littérature.
NOTES
1. [GHITALLA et alii, 2004]
2. [SOUCHIER et alii, 2003]
3. Cf [BOUCHARDON et BROUDOUX, 2003].
4. Dans ces livres-jeu, les paragraphes sont numérotés ; à la fin de la lecture d'un paragraphe, le
lecteur a le choix entre plusieurs possibilités (actions du personnage), qui renvoient à différents
paragraphes. Ainsi, les paragraphes ne sont pas lus dans l'ordre des numéros, et chaque lecteur
lira des paragraphes différents (puisque aucun ne fera les mêmes choix). Le livre peut donc
générer « plusieurs histoires » (même si, en général, il y a des « points de passage » obligés).
Source : Wikipedia.
19
Chapitre I. À La recherche d'undomaine
Les points d’entrée pour extraire un corpus ont été choisis parmi ceux que nous ont
livrés des acteurs du domaine, d’autres extraits des moteurs de recherche et d’autres
enfin sélectionnés pour leur « visibilité » ou leur rôle central en termes de distribution
des liens hypertextes. En effet, les crawls ont été lancés à partir d’une sélection d’URL qui
ont pour propriété commune d’être reliées entre elles dans un premier « petit » graphe
réalisé dans le but d’identifier les meilleurs points d’entrée pour les crawls finaux
d’extraction des ressources. À ce titre, il faut signaler que lors de cette phase les URL de
documents à « vocation théorique » (livrés par un acteur du domaine) sont apparues
comme peu reliées au reste des autres URL sélectionnées comme points d’entrée, et
donc la plupart ont été écartées. En second lieu, à partir des moteurs de recherche, il
est très difficile d’obtenir des résultats pertinents quand on se focalise sur de possibles
« genres » associés à la littérature numérique comme « poésie animée », « récit
collectif » ou « écriture multimédia ». Deux éléments constitutifs d’un possible champ
original où émergent des pratiques littéraires (documents à vocation théorique et
genres permettant de classer les produits ou les œuvres) apparaissent peu « visibles »
manifestement dès le départ des procédures d’extraction21.
1 Message sur la liste de discussion E-critures1, posté en septembre 2003 :
2 « Subject : Re : [e-critures] Littérature ?
3 Ce à quoi cette question amène [...], en la retournant (c’est-à-dire en partant du
postulat que les e-critures sont une littérature), c’est à se poser des questions sur la
définition même de la littérature. Si les e-critures sont une littérature, comment définir
la littérature de la façon la plus large.
4 La littérature ne peut pas être uniquement ce que les éditeurs éditent (sinon, ce serait trop
désespérant). La littérature n’est pas uniquement ce qui est écrit (voir l’Odyssée).
5 Si la littérature est constituée a minima d’un ensemble de phrases chaînées, qui
s’échangent, qui servent de lien, qui créent le sentiment du beau, ET qui perdurent, on
20
peut considérer que la première littérature sur réseau a été faite par minitel. Bref, ce
que la question amène, pour moi, c’est “qu’est-ce que la littérature ?”
6 C’est une question qui est peut-être oiseuse (c’est ce que m’a prétendu un éditeur, qui
participait à une manif où je causais), mais pourtant, c’est une question que je me pose
souvent, et peut-être surtout ces jours-ci, jours de rentrée littéraire, où l’on peut se
demander où est notre place. Peut-être nulle part, va savoir.
7 Pourtant des projets (plusieurs) existent, de créer des espaces critiques réguliers (avec
agents récurrents) uniquement dédiés aux e-critures. Quand ils verront le jour (mais je
veux parler de vrais espaces critiques, faits par des journalistes ayant un regard objectif
sur la question), un grand pas sera fait. »
8 Où est « notre place » ? Voilà peut-être la question la plus récurrente d’une étude sur la
littérature numérique. Et elle l’est aussi bien pour les acteurs de la communauté de la
littérature numérique que pour leurs observateurs qui cherchent à cerner le domaine
sur le réseau. Même pour le public, l’« entrée » n’est pas fléchée si l’on se renseigne via
les moteurs de recherche, les annuaires ou les portails dédiés à la littérature. Mais elle
n’est sûrement pas non plus « nulle part », comme le redoute notre participant à la liste
de discussion. Certes, elle n’est pas largement reconnue, du moins peut-être pas encore,
et les ressources disponibles sur le sujet sont assez réduites sur le Web (notamment
dans le domaine francophone). À vrai dire, sa place serait plutôt comme en
« périphérie », à mi-chemin entre cet amour des mots et de la textualité, qu’elle partage
avec les pratiques traditionnelles de la littérature, et le vaste champ de la création
numérique et multimédia qui s’épanouit aujourd’hui sur les réseaux.
9 Les questions de « place », de « lieu », de « situation » ou d’« espace » ont eu une grande
importance au cours de l’étude. Pour les acteurs du domaine tout d’abord, comme s'ils
cherchaient d’abord à positionner leurs pratiques, à organiser leur communauté, à
identifier les nœuds problématiques de leurs réflexions. Pour le chercheur ensuite, qui
a souvent été condamné à cette gymnastique intellectuelle qui nous permet de nous
représenter les différents champs de pratique les uns par rapport aux autres,
notamment dans le domaine des arts et de la culture. Avec la « littérature numérique »,
les choses ne sont pas simples : s’agit-il de recherche ou de pratique de la littérature ?
S’agit-il, d’ailleurs, de « littérature » ou d’« informatique » ? Se trouve-t-on dans le
domaine des « arts », d’une forme organisée d’édition en ligne ou tout simplement face
à une série d’expérimentations techniques ?
10 Les clés d’entrée dans le domaine de la littérature numérique ne sont pas données
d’emblée et il paraît bien difficile, à un certain niveau, d’en cerner les contours. Par
exemple, dans les bases des moteurs de recherche qui archivent le Web en permanence,
elle y est confondue avec de nombreux thèmes connexes, comme les « ateliers
d’écriture » qui ont pignon sur rue ou l’édition électronique d’œuvres imprimées. Il
faudrait, en outre, « oublier » tous les résultats qui la masquent, notamment les portails
dédiés à la littérature comme Zazieweb2 ou les sites collectifs beaucoup plus visibles que
ceux associés à la littérature numérique, tel fabula.org. D’ailleurs, le vocabulaire pour la
qualifier« flotte » : littérature numérique, littérature électronique, e-littérature,
littérature informatique, littérature en réseau, cyberlittérature... Que doit-on saisir au
juste dans un moteur de recherche pour en trouver la trace ? Pour Philippe Bootz, cette
« question de la terminologie [...] ne peut être stabilisée que lorsque le champ est bien
balisé et connu3 ». En quelque sorte, la « littérature numérique » désigne un ensemble
de pratiques plus ou moins homogènes, sans pour autant être un label.
21
11 Les noms des artistes, des théoriciens ou des critiques livrent assurément une clé
d’entrée plus pertinente sur le Web et les moteurs de recherche. À condition toutefois
d’accepter d’adopter une loupe de taille supérieure, comme si la « littérature
numérique » n’était visible sur le Web qu’à un certain niveau de précision. On trouvera
là les noms de Xavier Malbreil, Lucie de Boutiny, Jean-Pierre Balpe, Philippe Bootz, Jean
Clément et d’autres encore. C’est d’abord à partir de ce réseau d’acteurs « visibles » que
sont accessibles les débats autour de la spécificité des pratiques littéraires sur support
numérique, comme si les concepts ou les problématiques n’étaient pas encore
suffisamment partagés par le plus grand nombre pour devenir des éléments communs
d’une culture générale sur la littérature numérique. Car nous n’en sommes pas, comme
le remarque l’intervenant de la liste de discussion, au stade où le domaine serait
légitimé par des « espaces critiques réguliers » organisés par des tiers (neutres ou
objectifs). Pour accéder au « cœur » supposé du domaine de la littérature numérique, il
faut donc en quelque sorte l’appréhender comme « de l’intérieur », à partir des
multiples façons dont ses acteurs identifiables le construisent, ou croient le construire.
12 D’où la nécessité de conduire l’enquête à propos de ces outils d’échange, de
communication, voire d’édition où pourrait s’observer la construction d’espaces
communs sur les réseaux. On rencontrera ainsi des sites à vocation collective, comme
e-critures.org que nous avons choisi d’explorer en détail, mais aussi Chaoïd, Eclarts,
T.A.P.I.N.-BoXoN, Inventaire-invention, Sitaudis ou encore Transitoire observable4 Tous ces sites
et leurs acteurs ne sont pas concernés au même degré par la question de la littérature
numérique, mais ils participent tous du paysage dans lequel la question littéraire est
abordée sur les réseaux. Comme s’il s’agissait de positionner le domaine à partir de
points de repère. Leur caractère collectif de « revue » ou de « liste de discussion », les
projets fédérateurs qui les portent ou tout simplement les lieux de rencontre qu’ils
représentent en font des références incontournables pour comprendre la situation et
les enjeux de la littérature numérique. Et c’est parmi eux qu’il faut choisir des points
d’entrée pour procéder à différentes formes de sondage.
13 En choisissant e-critures.org et ecrits-vains.com, nous avons entrepris de sonder le
paysage des pratiques de la littérature sur réseaux en deux points que nous supposions
suffisamment éloignés pour tenter de faire apparaître ces fameuses différences qui
permettent d’identifier à coup sûr un domaine. En effet, le « contenu » même des
pratiques y apparaît bien différent, renvoyant du coup à deux conceptions opposées
mais aussi complémentaires de la littérature. Mais l’enquête nous a aussi conduits à
essayer de comprendre comment circulent les « textes » ou les « produits », dans quels
types de cadres « éditoriaux », sur quels critères ils peuvent être évalués. En somme,
comment on y fabrique des auteurs, des œuvres, un public, voire une critique. C’est donc
sur la « forme » d’une communauté tout autant que sur le « contenu » qu’elle produit
que s’est portée l’étude.
14 Deux sites, deux groupes d’acteurs, deux formes a priori distinctes de pratiques
littéraires : en somme, deux objets à décrire et à analyser, mais aussi, dans un espace
aussi transversalement relié que le Web, deux points de départ pour une exploration de
leurs contextes respectifs, de leurs différences comme de leurs points communs. D’e-
critures.org à ecrits-vains.com, il s’agit donc de découvrir ce coin du Web francophone
où émergent la question littéraire et celle de la diversité de ses pratiques.
22
Deux localités thématiques sur le Web
15 Sur ecrits-vains.com, Nina Siget construit avec patience la rubrique « Liens littéraires »
où s’accumulent les références web qui nous conduisent hors du site. Elle présente sous
forme de fiches chacun des sites qu’elle considère comme « pertinents » pour Ecrits…
vains ? et son public. Près d’une cinquantaine d’entre elles sont maintenant accessibles
et rendent compte d’un véritable travail éditorial précieux pour l’internaute car elles
lui fournissent expertise et aide à la navigation dans un univers aussi peu structuré que
le Web.
Figure 1. Les « fiches » de Nina Siget. La rubrique « Liens littéraires » n’est pas seulement une liste deliens hypertextes. C’est un travail éditorial de qualité présenté sous forme de « fiches » dans lesquellesfigurent les commentaires de la responsable de la rubrique et, en fin de document, le lien hypertextequi nous conduit hors du site ecrits-vains.com. Il s’agit là d’un véritable travail de sélection et de miseen forme.
16 Ces fiches représentent un lent travail d’analyse et d’évaluation qui contribue à
construire, de proche en proche, l’environnement hypertextuel d’ecrits-vains.com ou,
si l’on veut, une forme de proximité thématique, en liant entre elles différentes
ressources web. Les documentalistes, les veilleurs ou les bibliothécaires sont
aujourd’hui habitués à ce type de travail qui ne relève peut-être déjà plus d’un niveau
« méta-éditorial » (comme dans l’univers d’une bibliothèque où les ouvrages ont déjà
été préalablement évalués et mis en forme), mais d’une authentique édition. Ainsi, les
liens d’un site qui pointent vers des ressources qui lui sont externes représentent
autant d’indices du contexte documentaire dans lequel il s’inscrit, et qu’il contribue
aussi à construire en y développant ce que l’on appelle sa « connectivité ». Ces liens
hypertextes externes peuvent être concentrés en quelques pages ou disséminés sur
l’ensemble du site. Sur e-critures.org, ils apparaissent en nombre dans la rubrique
« Liste des membres » où chacun peut indiquer, par exemple, l’adresse de son site
personnel. Sur ecrits-vains.com, ils se concentrent surtout dans la rubrique « Nos
liens » avec cinq sous-catégories (les sites de nos rédacteurs, les sites éditeurs, les sites
de poésie et de littérature, les sites culturels, les sites sur les auteurs). La rubrique
animée par Nina Siget joue également son rôle dans la construction du contexte
hypertextuel du site, mais on peut en trouver aussi dans des rubriques comme « Les
revues en revue ».
23
17 Les propriétés attachées à ce principe des contextes documentaires sur le Web peuvent
contribuer au travail détaillé qui suivra sur la question de l’existence et de la nature
d’un domaine consacré à la littérature numérique. Mais, avant de chausser les lunettes
de l’expertise et de se focaliser sur l’analyse des documents et du rôle des acteurs dans
chacune des deux communautés, on peut aussi essayer de comprendre comment ces
dernières s’insèrent elles-mêmes dans un contexte plus vaste sur le réseau. L’étude des
formes de la connectivité hypertexte et des types de contenus qu’elle associe nous
révèle qu’une page, un site ou une liste de discussion ne représentent pas seulement
des cadres desquels on peut extraire un « contenu », mais qu’ils participent aussi d’un
système documentaire plus vaste qu’il faut pouvoir décrire. Si l’on accepte donc de se
doter non pas d’une loupe mais d’une sorte de « zoom arrière », on s’aperçoit
rapidement que nos objets d’étude sur le Web sont reliés à des univers avec lesquels, en
quelque sorte, ils entrent en résonance.
18 L’étude de ce contexte documentaire s’est révélée riche d’indices pour l’enquête, bien
que techniquement délicate. Sur le Web, elle passe évidemment en premier lieu par
l’observation de la façon dont les liens hypertextes sont distribués. Ce sont eux qui
assurent les liaisons techniques (ou « physiques ») dans cet univers où tout semble relié
à tout, directement ou indirectement. Se dessinent ainsi au sein d’un ensemble de
documents des relations de proximité ou d’éloignement, de concentration ou de
dispersion en termes quantitatifs mais aussi d’organisation ou de hiérarchie en termes
qualitatifs. À cet égard, les différences entre les contextes respectifs d’E-critures et
d’Ecrits...vains ? sont nombreuses. Mais pas seulement : les deux univers s’insèrent dans
celui plus général de la thématique de la littérature, dans lequel ils n’ont pas le même
r6le ni, pour ainsi dire, la même visibilité.
Figure 2. Ci-dessus, une partie de la page présentant les « Mardis numériques5 » de François Coulon.Les noms de nombreux participants apparaissent sur la page, associés à des liens hypertextesrenvoyant pour la plupart sur des sites personnels.
19 Ci-dessous, le texte de Jean Clément, « Hypertexte et fiction : la question du lien », est
cité par 17 pages web dans notre travail d’indexation du domaine. Ce texte de réflexion
renvoie pour sa part à seulement trois autres documents web. Le caractère d’authority
24
d’un document web (le fuit qu’il soit pointé par de nombreux autres documents) peut
servir d’indicateur sur l’autorité morale ou intellectuelle de son auteur ou de ses
arguments. En termes de Web mining, la page de F. Coulon a, au contraire, un caractère
de hub (nombreux liens sortants, cf lexique en annexe). Dans un corpus donné, hubs et
authorities ont tendance à se renforcer selon J. Kleinberg [KLEINBERG, 1998].
20 Ces relations, en tant que telles, pourraient n’intéresser que le spécialiste des réseaux,
si ce n’est qu’elles révèlent aussi bien souvent des relations de « contenu » thématique,
voire peut-être, comme dans notre cas, des relations entre communautés d’acteurs
regroupés autour de pratiques spécifiques. Les indices présentés ici concourent à
alimenter les hypothèses génériques de l’enquête mais restent relatifs, notamment
pour des raisons méthodologiques et techniques car le Web représente un univers
documentaire relativement inédit, et les outils comme les procédures de son
exploration en sont encore à leurs balbutiements. Ils indiquent, en tous les cas,
combien la diffusion d’un document ne se limite pas à déposer une information sous la
forme d’une adresse6 : son contexte sur le Web contribue à le construire en l’insérant
dans un ou plusieurs ensembles organiques, et ainsi à le valider. Il s’agit là, peut-être,
de l’une des clés qui permet de comprendre les mécanismes de l’édition sur le réseau.
Des documents et des liens
21 La source la plus riche d’indices sur le contexte d’un site réside dans la distribution des
liens hypertextes entre documents sur le Web. D’une certaine façon, tout document
contribue à construire la toile, comme il s’y trouve pris. On peut réaliser l’étude de
cette distribution « manuellement » en explorant les liens les uns après les autres à
partir d’un, de deux ou de plusieurs documents. On peut aussi s’aider d’outils logiciels
ou en développer à dessein comme nous l’avons fait. Mais il faut surtout être capable de
construire ces cartes logiques que sont les graphes, d’interroger leurs propriétés
statistiques et visuelles pour exploiter des informations chiffrées souvent
volumineuses. Sur le Web, il existe en moyenne sept liens par page et la plupart des
25
aspects de notre approche ont réclamé l’analyse au minimum de centaines de pages,
des milliers le plus souvent. C’est ce travail à partir de graphes qui permet de dessiner
les linéaments d’une topologie locale du réseau, installant ainsi les documents visés
dans une sorte de « géographie de l’information » où chaque « contenu » se trouve relié
à d’autres par des arcs, orientés ou non. Cette « géographie » n’est pas celle des
territoires physiques, mais celle, toute relative suivant les échelles, des relations
fonctionnelles ou organiques entre une série identifiée d’éléments (les nœuds). Ce n’est
pas celle, non plus, des parcours de navigation effectivement réalisés et que l’on peut
reconstruire après coup en suivant pas à pas des usagers réels7 C’est celle des distances
estimées en termes de « liens » ou de « clics » et des chemins possibles entre documents
sur le Web, de leur concentration, de leur dispersion ou de leur absence et qui,
représentés sous forme de graphes, dessinent parfois de remarquables patterns. On
n’oubliera pas non plus que cette topologie hypertextuelle est orientée ou
« vectorisée » : un lien d’un document A vers un document B n’implique pas la
réciproque. Certains documents semblent donc ainsi plus « visibles » que d’autres,
voire « reconnus » par d’autres. Et cette propriété génère aussi à grande échelle des
rapports de subordination dont il faut tenir compte, pour peu que les graphes
permettent de les isoler statistiquement à l’échelle d’un corpus étendu.
Figure 3. À gauche, l’évolution schématique d’un graphe où les nœuds s’agrègent au fur et à mesurede l’exploration de l’espace hypertexte. À droite, le résultat final (robot-crawler Orlinski et visualisationsous Pajek). À cette échelle, on aperçoit le principe de la modélisation à base de graphes. Ces graphesont des propriétés statistiques et mathématiques mais leur visualisation peut aussi beaucoupapporter au travail d’analyse, ne serait-ce qu’à titre d’outil d’exploration.
22 On connaît d’ailleurs depuis longtemps l’intérêt des graphes et la théorie qui les
accompagne8 pour réduire, en partie, la complexité de certains phénomènes. En
épidémiologie, par exemple, où ces outils logiques et graphiques sont mobilisés dans
l’étude des phénomènes de propagation des virus, en sociologie des réseaux d’acteurs
pour l’analyse des interactions complexes, sans oublier les mathématiques, la physique
ou encore l’ingénierie des systèmes industriels9 C’est peut-être aux techniques de
bibliométrie ou de scientométrie que s’apparente le plus l’approche présentée ici pour
contextualiser nos objets d’étude. Les liens hypertextes sur le Web peuvent en effet se
comparer dans une certaine mesure aux pratiques intertextuelles de cocitation ou de
coréférencement ; l’analyse de leur distribution fait aussi apparaître des degrés de
« proximité » entre documents ou encore des phénomènes de hiérarchisation. J.
Kleinberg10, d’ailleurs, reprend le terme authority dans ses modèles à base de graphes
pour qualifier les nœuds pointés par de nombreux autres, comme des références dans les
communautés de savoirs présentes sur le Web.
23 La méthode pour recueillir sur le Web les données qui serviront à construire les
graphes de notre étude paraît simple techniquement : il faut « lâcher » un robot-crawler
26
(autrement dit, un petit programme) à partir d’un ou de plusieurs points d’entrée (des
adresses web choisies en général dans le domaine que l’on cherche à explorer) ; celui-ci
va alors se déplacer de lien hypertexte en lien hypertexte sur le réseau en envoyant le
résultat de ses pérégrinations à une base de données où sont stockées, a minima, les
adresses des nœuds rencontrés et leurs liens respectifs. C’est ce que nous avons réalisé
en « partant » des pages d’e-critures.org et ecrits-vains.com, mais aussi d’autres sites
de types différents mais tous consacrés à la pratique littéraire, voire aux arts en
général.
24 Ensuite, à partir de la base de données, nous plaçons sur un plan les nœuds
représentant les documents web (pages ou sites, au choix) et les arcs indiquant la
présence de liens (et éventuellement leur direction orientée). Nous voyons ainsi
apparaître (rapidement ou non selon la « distance » des points d’entrée) un graphe
unique (ou connexe) densément peuplé de nœuds dont le nombre moyen de liens pour
chacun est d’environ cinq (2,7 liens entrants et 2,1 sortants en moyenne sur le Web).
Certes, les méthodes d’extraction des données, les types de projections ou de calculs
appliqués aux données peuvent être très complexes et varier grandement. Dans notre
cas, plusieurs méthodes ont été mobilisées, mais l’étude reste limitée du point de vue
quantitatif, comparativement aux expérimentations menées ces dernières années par
des équipes de spécialistes en informatique des réseaux. Cette variété dans les
méthodes de construction et d’analyse des graphes n’est pourtant pas un signe de
faiblesse ou d’incertitude : chaque mode de calcul appliqué aux données recueillies par
le robot enrichit la description du Web et de son organisation complexe, y compris en
procédant seulement localement comme nous l’avons fait pour le domaine de la
littérature numérique.
25 Dans le cadre des études récentes sur ce vaste ensemble de documents électroniques
que représente le Web11, la théorie des graphes a été l’outil privilégié pour comprendre
certains aspects de son organisation générale, certaines de ses particularités « locales »
ou de son évolution temporelle12 En particulier, les utilisateurs du Web sont maintenant
familiers avec un moteur comme Google, qui associe aux techniques traditionnelles
d’analyse de contenu textuelles données issues d’une modélisation à base de graphes13
Les graphes représentent en effet un moyen relativement pertinent pour synthétiser
des informations sur ce réseau aussi dynamique et complexe qu’est le Web, dont les
données sont peu structurées par rapport à d’autres systèmes d’information. Si l’on se
dote d’outils et de méthodes adéquats, il est alors envisageable d’obtenir une série de
« radiographies » locales du réseau où apparaît le voisinage immédiat des objets
d’étude.
26 Les techniques exploratoires du Web à base de graphes ont en outre l’avantage de nous
faire échapper à la vision restreinte que nous imposent les moteurs de recherche et les
navigateurs. Les premiers, avec leurs listes à plat, ne fournissent que peu d’éléments
sur les relations de voisinage d’une information ou d’un document. Ce sont surtout des
applications industrielles dédiées à l’indexation et à différentes formes de
catégorisations hiérarchiques des documents web. Orientés vers l’exhaustivité des
corpus et/ou la qualité de l’information indexée, les moteurs de recherche ont une
exploitation qui repose essentiellement sur des annuaires préconstruits ou sur des
requêtes linguistiques. Ils sont donc de peu d’utilité dans un processus exploratoire
comme le nôtre et, surtout, masquent l’ensemble des relations transversales qui tissent
le Web comme une toile. Quant aux navigateurs, ils sont surtout des outils d’affichage
27
du contenu des documents et, malgré de nombreuses fonctionnalités associées pour des
tâches individuelles de navigation et de lecture, ils ne restituent pas non plus
d’indications significatives sur l’organisation de l’espace parcouru.
27 Les graphes, au contraire, donnent à différentes échelles une idée synthétique du Web,
comme « vu du dessus », sans compter les propriétés statistiques que l’on peut en tirer
pour l’étude d’un contexte documentaire. C’est la raison qui justifie la place importante
réservée dans cette partie de l’étude aux graphes et aux différentes formes de
topographies hypertexruelles. Il est ainsi important, à notre sens, d’insister sur le rôle
des outils non seulement statistiques mais aussi visuels d’investigation du Web.
Figure 4. Dans un premier temps, il faut extraire du Web avec un crawler les données liées à ladistribution des liens hypertextes entre les pages et aussi éventuellement à leur contenu (ce que l’onappelle l’indexation full-text). Une fois stockées dans une base, ces données peuvent être traitées etaffichées sous forme de graphe, selon plusieurs modalités. Ici, à gauche, un graphe préliminaire(assez complexe) a été réduit pour faire apparaître les liaisons hypertextes entre un ensemble réduitde sites, en l’occurrence ceux qui dans un domaine diffusent le plus de liens entre eux et vers desressources associées (ce que l’on appelle des hubs). Nous avons développé à droite des modulesd’exploration visuelle et statistique du graphe, intégrés à une plate-forme expérimentale (TARENTe). Cesmodules permettent d’explorer en se déplaçant un graphe général (en fond) ou une de ses partiesseulement, ou encore d’afficher le contenu des nœuds (fenêtre au premier plan où s’affichent lespages web). Nous y avons ajouté une table d’occurrence statistique des mots les plus fréquents dansle corpus, ou dans une partie du corpus, de façon à essayer de comprendre quel « contenu » seconcentre dans le territoire exploré.
28 Pour faire apparaître un graphe centré sur une thématique, il faut pouvoir concentrer
le travail d’extraction sur des données « pertinentes ». Par exemple, tous les liens et
toutes les pages trouvés par le crawler ne sont pas utiles. Certains sont même à
considérer comme des obstacles, tels tous ces liens qui pointent sur les sites de Google,
de Yahoo !, de Netscape, Microsoft ou Macromedia. Nous les éliminons donc (principe
du « black-listage ») car ces données, intégrées dans un graphe, masquent en grande
partie la structure originale du domaine étudié. On peut aussi, comme nous l’avons fait,
lancer des campagnes de recueil de données à partir d’adresses que des acteurs d’un
domaine aiment à fréquenter : leurs « favoris » représentent souvent des éléments de
référence dans une communauté d’expertise. On peut enfin, d’une autre façon,
« filtrer » les documents considérés comme non pertinents et construire ainsi un
« focus sémantique » dynamique. Pour des raisons techniques, ce type de procédure n’a
pas été déployé. En revanche, ce filtrage peut être réalisé a posteriori dans notre système
en faisant porter des requêtes linguistiques sur la base où sont stockées les données. On
peut ainsi avoir une idée du type de « mots-clés » les plus représentés statistiquement
dans un ensemble de plusieurs milliers de pages web, mais aussi faire apparaître les
documents qui se singularisent des autres par la présence, ou non, de termes choisis
par avance. Ces précautions méthodologiques suffisent en général à faire émerger un
28
lot significatif de documents pertinents, sauf si les ressources recherchées sont trop
restreintes en nombre ou trop diffuses sur le Web. Et, dans un premier temps, cela s’est
révélé être le cas pour le domaine francophone consacré à la littérature numérique, à
moins de pouvoir le situer finalement dans cette périphérie incertaine où se mêlent,
d’un côté, la culture littéraire du texte et des mots et, de l’autre, le foisonnement
plastique des praticiens des arts électroniques.
29 Cependant l’étude du contexte documentaire d’e-critures.org et ecrits-vains.com ne
s’arrête pas à la topologie des liens hypertextes. Celle-ci n’a d’intérêt, dans notre cas,
que si elle peut être reliée à des indicateurs de contenu, voire à des indices qui
permettent de comprendre des logiques de comportement d’acteurs. Il est donc
nécessaire, en premier lieu, d’essayer d’associer aux données hypertextuelles de
l’analyse de « contenu ». D’une certaine façon, il s’agit de comprendre comment des
mots ou des concepts se trouvent eux aussi distribués sur le Web, et selon quels
chemins on peut passer à d’autres mots ou à d’autres concepts. C’est là tout le principe
de ce que l’on appelle sur le Web les topical localities ou localités thématiques. L’expression
est née de l’hypothèse selon laquelle les proximités en termes de topologie hypertexte
indiquent aussi des similarités en termes de contenu, et vice versa. C’est un des
principes forts de l’organisation du Web14 : les pages et les sites que nous visitons
intègrent des ensembles plus vastes que l’on désigne en termes de Web mining par
agrégats (cf. lexique en annexe) et qui sont eux-mêmes susceptibles d’être analysés en
termes de voisinage à un niveau plus général. Mais il faut insister sur le fait que la
géographie documentaire du Web réserve en général quelques surprises. En particulier,
tous les thèmes présents dans un annuaire (ou même n’importe quelle thématique à
laquelle un usager pourrait penser) ne figurent pas forcément sur le Web à titre
d’agrégats. Et inversement, l’exploration du Web en termes d’agrégation de documents,
même à une échelle limitée, peut révéler la présence de thématiques assez
surprenantes. D’où l’idée, de plus en plus partagée, que la théorie des agrégats en
particulier, ou même que toute tentative de description de la structure générale du
Web renvoie moins à la façon dont peut être structuré explicitement un système
d’information qu’à la façon dont différentes communautés de pratiques y éditant des
documents s’y positionnent, le plus souvent implicitement. Et l’on comprend mieux
comment aujourd’hui apparaît aux côtés du data mining et du Web minin15 le champ de
recherche du social data minin16 où les computer sciences rencontrent, en particulier, les
concepts et les méthodes de la sociologie des réseaux ou des organisations.
30 On peut donc entreprendre une exploration du domaine de la littérature numérique à
différentes échelles, comme autant de niveaux de contextualisation. Tout d’abord en
décrivant la structure de voisinage immédiat d’e-critures.org et ecrits-vains.com,
autrement dit tous les sites vers lesquels ils pointent, et ce sans oublier les sites
(identifiables) qui les pointent. Il s’agit donc d’une exploration de « profondeur 1 » de
deux sites qui ont une vocation collective affichée et peut être pourra-t-on ainsi
qualifier le type de communauté d’où ils émergent. À un niveau plus général, on peut
aussi essayer de déterminer le positionnement réciproque des deux sites l’un par
rapport à l’autre, en termes topologiques mais aussi de contenu. Ce sondage de niveau
moyen (à des profondeurs de 2 ou 3 à partir des points d’entrée) oblige à prendre en
compte plusieurs milliers de pages. Mais, au-delà de la complexité des graphes générés,
on voit comment les deux univers de référence d’e-critures.org et ecrits-vains.com sont
proches mais aussi hiérarchiquement subordonnés. Ce sera là l’occasion de montrer
29
que les chemins statistiquement possibles entre les deux sites révèlent des indications
sur l’organisation locale du Web où se côtoient, dans le domaine français, les pratiques
les plus classiques de la littérature et les univers les plus « avant-gardistes » du Net art
et des arts numériques. De l’un à l’autre, les frontières ne sont pas tranchées mais
distribuées en stades. Enfin, au dernier niveau, il s’agira d’estimer la taille et,
éventuellement, le type de structuration du domaine de la littérature numérique.
Autrement dit, le thème fait-il l’objet d’un agrégat organisé de ressources ? Si la
comparaison avec d’autres agrégats extraits avec la même méthode fait apparaître des
ressources réduites, il est en revanche possible d’isoler un « cœur » documentaire
représentatif du domaine. En bien des points, les indices relevés ici anticipent
remarquablement les hypothèses qui seront développées dans le reste de l’étude.
De lien en lien, le voisinage immédiat
31 « Dis-moi qui est ton voisin et je te dirai qui tu es... » La formule, très réductrice, a
pourtant constitué le premier objectif que l’on s’est donné en découvrant les premières
visualisations de graphes de la topologie hypertexte. Qu’y a-t-il comme ressources
associées au site ecrits-vains.com au niveau le plus immédiat, à la « distance » la plus
courte, autrement dit « en un seul clic » ? Ce que l’on découvre, c’est d’abord un
voisinage immédiat très dense, une constellation de près de 150 sites. Dès ce niveau, on
a un aperçu de la « densité hypertextuelle » du Web et de la morphologie des liaisons
techniques qui relient les documents entre eux. Cela donne aussi un aperçu de la
« position » centrale du site dans un espace qu’il contribue à fédérer en le recensant. Il
s’agit là d’ailleurs souvent de l’un des caractères techniques d’un site à vocation
« collective » ou « collaborative » : ce n’est pas seulement un lieu où s’agrègent des
contenus issus du travail d’une communauté d’acteurs, c’est aussi un centre qui
rayonne hypertextuellement sur un environnement qu’il construit de proche en
proche. Et cela paraît d’autant plus manifeste concernant le voisinage d’ecrits-
vains.com que l’on a évacué méthodologiquement tous les liens « fonctionnels » qui
participent de la structuration du Web mais qui ne sont pas « pertinents » du point de
vue du contenu (Google, Voila, Microsoft, Adobe...).
30
Figure 5. Graphe du voisinage « immédiat » d’ecrits-vains.com. Par « immédiat », il faut entendre lesnœuds (ici représentés en sites) accessibles depuis ecrits-vains.com en un seul clic. Pour avoir uneidée de la nature de ce voisinage immédiat, tous les liens sortants du site ont été indexés dans unebase (hormis ceux de la rubrique « Nos liens », instructifs pour caractériser le domaine littéraire danslequel Ecrits…vains ? évolue, mais peu pertinents pour comprendre la nature du contexte documentairedans lequel s’inscrit le site). On voit ainsi dans des cartouches surmontés d’un rond les sites« personnels », surmontés d’une croix les portails, surmontés d’un V les sites à caractère collectif (lesautres étant des sites « institutionnels » comme celui du ministère de la Culture avec http://www.lire-en-fete.culture.fr ou des sites commerciaux).
32 En termes de contenu, l’exploration du voisinage d’ecrits-vains.com montre que l’on se
situe bien dans une région du Web dédiée à l’expression littéraire (avec ses genres, ses
références, ses métiers), voire plus largement à l’expression artistique (arts plastiques,
musique, danse...). En termes de genres : l’expression poétique, presque générique à un
degré ou à un autre pour tous les éléments du corpus (avec, par exemple,
www.lisiere.com et ses nombreuses rubriques ou www.poesie.org consacré aussi en
partie à la musique), le roman et les nouvelles (entre autres, le site de Claude Thomas,
http://users.skynet.be/thomas, cet « îlot sauvage perdu au bout du monde virtuel », où
l’on trouvera plus de 140 nouvelles fantastiques, de science-fiction, humoristiques,
surréalistes et policières), le théâtre (le site de En coulisses, le magazine du théâtre
parisien www.theothea.com). mais aussi la bande dessinée (www.universbd.com) ou le
roman policier et la science-fiction (www.mauvaisgenres.com). On trouve aussi des
ressources consacrées essentiellement à des figures d’auteurs « classiques », comme
Baudelaire (baudelaire.zy-va.com) et nombre d’autres, notamment via la rubrique
« Sites littéraires » d’ecrits-vains.com animée par Nina Siget (Molière, Céline,
Cervantès, Queneau, Brecht...).
31
Figure 6. L’horizon culturel dans lequel s’inscrit ecrits-vains.com sur le Web se nourrit de la littératureet de ses pratiques, mais aussi d’autres formes d’expression artistique. À gauche, la page d’accueil dusite www.artotal.com, un portail généraliste sur presque toutes les formes d’art et leurs marchésrespectifs : littérature mais aussi architecture, danse, musique, design, décoration, multimédia... Àdroite, le site de La République des Lettres (www.republique-des-lettres.com). Issu d’une édition papieréditée jusqu’en 1998, la République est aujourd’hui « l’une des plus importantes sources gratuitesd’information et de documentation en français sur le monde des livres et l’actualité culturelle ». Unindex alphabétique très fourni permet l’accès à de très nombreuses ressources sur des auteurs, despersonnalités ou des mouvements issus de la culture contemporaine.
33 Hors littérature hexagonale, ecrits-vains.com ouvre aussi sur les antipodes avec
www.blocosonline.com, un portail de littérature et de culture brésilien, ou
www.ecrivains-nc.org, le site de l’Association des écrivains de Nouvelle-Calédonie.
Mais, en termes de types de contenus accessibles à partir d’ecrits-vains.com, la
littérature, le « texte » ne sont pas seuls concernés : les arts plastiques, par exemple,
font partie de l’environnement documentaire immédiat du site, avec entre autres le
dispositif très « design » www.zonezero.com dédié à la photographie d’art ou, dans une
perspective plus large, www.cofrase.com, un site généraliste consacré au marché de
l’art européen.
34 Au-delà de la description thématique des contenus associés au site ecrits-vains.com,
l’analyse de cet environnement immédiat renseigne aussi sur le réseau de relations
« organiques » que manifeste la distribution des liens hypertextes. Les liens que nous
avons parcourus depuis ecrits-vains.com n’ont pas tous la même vocation et ne se
limitent pas à de pures similarités thématiques. Ainsi, les liens nous menant hors
d’ecrits-vains.com issus de la rubrique « Sites littéraires » ou les « sites de poésie et de
littérature » permettent massivement d’associer des contenus littéraires et artistiques
à titre de ressources mais ceux qui proviennent de rubriques comme « Les sites de nos
rédacteurs », « Les sites éditeurs » ou « Les sites sur les auteurs » renseignent aussi
souvent sur la nature et le type d’organisation liés à Ecrits...vains ? Leur fonction n’est
plus seulement thématique mais aussi, en quelque sorte, organique. Ils peuvent indiquer,
par exemple, le rôle important d’un acteur parce que son site personnel est pointé par
ecrits-vains.com (comme une forme de reconnaissance), le site personnel pointant à son
tour sur ecrits-vains.com pour afficher une forme de contribution. Ce type de
« cocitation », dans un graphe, permet souvent de comprendre comment un site à
vocation collective ou fédérative est topologiquement alimenté par un réseau de « sites
personnels » où figurent des données (auto)biographiques, des œuvres ou des
documents qui dessinent les contours d’un portrait. On reconnaîtra volontiers qu’une
typologie de type « sites personnels/sites collectifs » mérite d’être discutée, et surtout
assise sur une classification des critères techniques, sémiotiques de mise en page ou
sémantique en termes d’analyse de contenu. Mais elle permet de cerner l’un des
principes forts de la structure du Web au niveau local: l’agrégation de sites personnels
32
autour de sites à vocation collective (groupes, associations, collectivités, pratiques
communes...).
Figure 7. À gauche, la page d’accueil du site d’Emmanuel Bing (http://perso.club-internet.fr/bing),responsable de la rubrique « Doxa ». À droite, celui de Lise Willar (http://www.lisewillar.coml),responsable de la rubrique « Mots...dits ». Le site ecrits-vains.com pointe vers des sites personnels quinous introduisent, d’une certaine façon, dans l’univers personnel des acteurs qui participent au projet.Les liens hypertextes sont distribués sur le Web entre des ressources documentaires similaires oucomplémentaires du point de vue du contenu mais aussi souvent selon les types de relations socialesqui peuvent unir des acteurs.
35 Dans une première « cartographie » de l’environnement immédiat d’ecrits-vains.com,
35 sites « personnels » ont été dénombrés mais aussi 17 sites à « vocation collective ».
Dans ce dernier ensemble, on trouve aussi bien des maisons d’édition
(www.webiscript.com. par exemple) que des collectifs regroupés autour de pratiques
spécifiques ou des revues, des ateliers d’écriture (comme www.studio-ecriture.com).
des associations ou des événements. C’est le cas, par exemple, de www.textes-et-
voix.asso.fr, une association qui propose des soirées consacrées à la lecture, par des
acteurs et en présence des auteurs, de textes littéraires en liaison avec l’actualité
éditoriale. Parfois, un lien nous mène d’ecrits-vains.com vers un site qui le reconnaît à
son tour comme « site ami », tel celui animé par Élie Duvivier et ses collaborateurs,
http://users.swing.be/anplus où l’on trouve une revue consacrée à la poésie. Tous ces
liens hypertextes peuvent être considérés comme organiques puisqu’ils permettent de
dessiner sur le réseau un paysage où se déclinent les « métiers » ou « raisons sociales »
associés à l’exercice de la littérature.
36 Ecrits-vains.com se situe donc dans un environnement web relativement riche et
complexe, même s’il faut admettre que les données produites par ce type d’approche et
d’observation sont encore très faibles aujourd’hui pour pouvoir établir une échelle de
comparaison pertinente. On peut cependant proposer une vue synthétique des types de
relations hypertextes qui lient le site à son environnement immédiat.
33
37 Du côté d’e-critures.org, les relations organiques avec le réseau de sites voisins
paraissent moins évidentes. Il s’agit moins de complémentarités que d’un travail de
recensement, effectué essentiellement pour une invitation à soumission ou à
déclaration volontaire de ressources associées. Le voisinage d’e-critures.org n’est pas le
fruit d’un filtrage, mais résulte de l’agrégation d’un ensemble de ressources web. Ainsi,
40 adresses ont été relevées à partir de la liste des membres, en général des sites
« personnels » où se mêlent éléments biographiques, œuvres et documents de
réflexion. Ces documents révèlent certaines parentés de pratiques, de parcours ou
même de « forme » mais ces dernières sont parfois difficiles à isoler.
38 Le résultat le plus frappant de l’exploration des 40 sites qui constituent le voisinage
immédiat d’e-critures.org réside surtout dans la nature des contenus édités sur le Web.
En premier lieu, on relève une étonnante diversité, un véritable foisonnement. Allons
voir http://www.bram.org/ ou http://www.bbp-online.com/ pour nous rendre compte
de l’exubérance technique de concepteurs-créateurs qui font de leurs sites des formes
plastiques autonomes, et non de simples vecteurs de « contenus ». Ou encore http://
pleine-peau.com/mange/index.html et les « Formes libres » de Xavier Malbreil (http://
www.0ml.com/). L’univers recensé à partir d’e-critures.org n’est pourtant pas sans
repères pour un néophyte du domaine : on note la présence des genres littéraires,
comme le théâtre et l’activité dramatique, un projet de recherche sur le drame
interactif (http://www.idtension.com/) ou encore EcriTHea, une liste de discussion sur
l’écriture dramatique (à partir du site http://homeusers.brutele.be/ecrire/). Sans
oublier le site d’une compagnie et de ses projets (http://
www.incidentsmemorables.org/). La catégorie « roman » est aussi représentée (par
exemple un RoMan à modifier en ligne sur http://www.vaimoana.cafewiki.orgl), tout
comme l’écriture poétique avec le travail de Patrick-Henri Burgaud (http://
www.aquoisarime.net/) ou la « Zone d’activité poétique » http://marelle.cafewiki.org/.
Certes, mais, d’un autre côté, voilà que le roman ou l’œuvre s’écrit en ligne de façon
collective (notamment le projet e-criturien d’une œuvre collective et anonyme WC FIELD,
http://www.e-critures.org/_col/wc_field/wc_field.html), que les pièces poétiques sont
aussi « sonores » ou encore associées à la vidéo (http://homepage.mac.com/philemonl/
Menul.html), et l’activité théâtrale nourrie de passerelles avec les arts électroniques et
des installations numériques.
34
Figure 8. À gauche, la page d’accueil d’Annie Abrahams, http://www.bram.org/ et, à droite, celle d’ÉricChoisi, http://www.bbp-online.com. Les deux sites sont ouverts à différentes thématiques, commel’art sonore, la vidéo, le Web design et la recherche plastique. Ils sont assez représentatifs duvoisinage d’ecritures.org pour la « fusion » sémiotique du texte et de l’image, mais aussi, à titre de« sites personnels », pour l’effacement remarquable des frontières (très marquées dansl’environnement d’ecritsvains.com) entre données autobiographiques et « œuvres ». Ces sitespersonnels sont déjà, en soi, des manifestes artistiques.
39 Les frontières de « genres », qui ouvraient dans ecrits-vains.com sur des rubriques où
classer avec certitude des « produits » ou des « œuvres », sont plus aléatoires dans
l’environnement immédiat d’e-critures.org. Ils y apparaissent certes plus « ouverts » à
d’autres formes d’art, mais aussi et surtout à la dynamique des pratiques, en quelque
sorte en train de se faire via des sites web qui s’affichent d’emblée, pour la plupart,
comme leur manifestation à l’écran. C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre
l’appel à l’« imagination » créatrice et à l’« intuition des mutations » dans
l’argumentaire de présentation du site de l’APELSE (Association pour la promotion de
l’écriture et de la lecture sur support électronique, http://apelse.asso.fr).
40 Parmi les autres caractéristiques des sites situés dans le voisinage immédiat d’e-
critures.org, outre cette dilution des cadres des genres, il faut aussi noter la place
prépondérante qu’occupe la lettre, par sa typographie, ses modes plastiques
d'apparition ou les fonctionnalités interactives dont elle est chargée. À ce titre, dans le
contexte restreint de notre exploration, le numérique et le réseau ne voient pas
forcément l’« explosion de l'image » au détriment du texte, mais plutôt le déploiement
systématique de formes originales d'écriture. On peut parler d'« écriture » au sens de
contenu linguistique ou de message, on peut aussi en parler comme d'un mode de
structuration discursif (au sens, par exemple, d'« écriture multimédia »), mais les sites
que nous avons explorés se distinguent d'abord par l'exploitation de sa dimension
technique et graphique. L’écriture soutient l’expression poétique ou la manifestation
verbale du « sens », mais elle semble aussi représenter un mode plastique d’occupation
de l’espace de la « page », un espace souvent subordonné à la distribution visuelle des
« mots ». Regroupées, ces pages pourraient constituer les produits curieux et
surprenants d’une sorte de laboratoire expérimental du graphisme signifiant. On
comprend ainsi pourquoi, quand on cherche à recenser les ressources sur la
« littérature numérique » du domaine français du Web, les documents sont en partie
nourris de références aux différents mouvements qui, depuis Mallarmé, ont marqué la
modernité littéraire de leurs trouvailles graphiques, notamment Dada ou Queneau.
41 Un deuxième aspect manifeste du corpus concerne l’utilisation du fenêtrage qui, à titre
esthétique ou discursif, constitue souvent le pivot de la navigation dans la majorité des
sites. Le site Confettis de Xavier Leton17 ou celui de Myriam Bernardi 18 en sont assez
35
représentatifs : la fameuse « page web » (dans laquelle la fenêtre, souvent unique,
encadre discrètement un contenu) disparaît au profit d’un jeu de superposition par
accumulation ou de succession par disparition, l’effort de création portant d’abord sur
l’affichage lui-même. Le fenêtrage, au moins sur le Web, apparaît donc comme l’une des
grandes unités formelles de mesure du rythme ou de l’organisation esthétique. Si l’on y
ajoute le souci rypographique et matériel accordé à la lettre, on comprend ce qu’un site
web peut apporter à l’expression poétique ou littéraire à titre de matière de
l’expression. Lun et l’autre contribuent à nourrir cette différence manifeste avec ecrits-
vains.com : l’œuvre ou le texte, avant tout déchiffrement, s’incarne d’abord comme le
fruit d’une apparition à l’écran. Ces deux caractéristiques participent, avec d’autres, de
la description plus générale des produits et des œuvres à laquelle est consacrée la
troisième partie de cet ouvrage. On notera cependant que l’environnement
informatique (l’écran, le support numérique) qui se distingue par ses contraintes (dans
le cadre, par exemple, de l’édition électronique de produits conçus d’abord pour être
imprimés) ou par ses vertus instrumentales (le réseau comme vecteur de diffusion)
semble aussi ouvrir sur une série de possibles en termes de création dont le voisinage
immédiat d’e-critures.org rend déjà compte.
42 L’exploration du type d’agrégation documentaire autour du site ecrits-vains.com
semble révéler une organisation plus élaborée que l’environnement d’e-critures.org,
qui est d’abord le résultat d’un autorecensement. S’agit-il donc de deux types différents
d’organisation, intrinsèquement liés à chacun des domaines de pratiques et/ou à
chacune des communautés d’acteurs ? La transposition sur le Web de cadres et de
pratiques hérités pour la plupart de l’édition imprimée règle en partie pour ecrits-
vains.com la richesse et la diversité de l’environnement immédiat. Mais cette différence
peut aussi tenir au « degré » d’ancienneté sur le Web, le travail de recensement réalisé
à partir d’e-critures.org étant alors à considérer comme une étape d’émergence où la
communauté se compte avant de s’organiser collectivement.
Figure 9. À gauche, le site de Valérie Bert, http://osmos.free.fr/. Une fois passé le premier clic de lapage d’accueil s’ouvre un univers où les labels des rubriques, outre leur aspect poétique, dérivent surl’écran comme des bulles. La navigation dans le site est aussi rythmée par des formes originalesd’énigmes. A droite, le site de Julien d’Abrigeon, http://tapin.&ee.fr/. On voit comment, dès la paged’accueil, la composition de l’espace réserve une grande place aux jeux typographiques et à ladistribution des « mots ». Julien d’Abrigeon est aussi membre de BoXoN.
Une « traversée documentaire »
43 Deux URL, deux sites, deux voisinages immédiats : l’idée d’explorer les chemins
hypertextes possibles entre les deux paraît d’autant plus naturelle que la prise en
compte de la topologie hypertexte incite à entrevoir le Web comme un territoire. Ces
parcours, dont l’étalon reste évidemment le lien hypertexte, peuvent aussi renseigner
36
le « paysage sémantique » traversé si l’on est également attentif au contenu des
documents rencontrés. C’est ici, sûrement, que l’on découvre le mieux cette dimension
transversale du Web qui semble le caractériser comme système d’information. Il s’agit
seulement pour le moment d’une collection d’indices, mais le principe de cette
exploration transversale du Web nous aura ouvert des pistes nouvelles pour
caractériser le contexte d’un document ou d’un groupe de documents sur la Toile. Ces
indices contribuent déjà à esquisser l’environnement du domaine de la littérature
numérique, localisant ainsi sur le réseau ces lieux d’activité que sont en général les
sites, et e-critures.org en particulier.
Parcours topologiques
44 Avec un niveau de « zoom arrière » supplémentaire par rapport à l’exploration de leurs
contextes immédiats, on peut aussi chercher les chemins qui mènent d’e-critures.org à
ecrits-vains.com, et vice versa, puisque l’on se situe dans un espace orienté par la
direction des liens. Statistiquement, il en existe de nombreux, mais seulement certains
ont paru significatifs. En effet, toute une série de sites très interconnectés au reste du
Web forment un ensemble qui attire de nombreux liens et que suivent les robots
d’extraction. Des sites comme xiti.com, Microsoft ou Macromedia en sont des exemples,
sans oublier les moteurs de recherche. Ces sites sont apparus de nombreuses fois dans
nos statistiques de chemins possibles entre ecrits-vains.com et e-critures.org, rendant
l’analyse difficile. Nous en avons cependant trouvé plusieurs, indiquant au passage le
rôle de relais que jouent certains sites comme Oml.com. C’est en les parcourant que l’on
se rend compte combien le Web est tissé transversalement de liens organiques qui
unissent les ressources, tel ce « cheminement poétique » qui nous conduit d’ecrits-
vains.com à e-critures.org en passant successivement par poesie.org, exfolie.net,
darksite.ch puis dugogh.ch.
45 Ce type de chemin local permet d’apercevoir des éléments contextuels plus généraux
et, pour la systématicité de leur apparition dans nos graphes tout comme dans les
moteurs de recherche, peuvent éclairer le domaine de la littérature numérique.
37
46 Si l’on a déjà noté le rôle « pivot » de 0m1.com, on s’aperçoit aussi de la présence de
www.uoc.edu, le site de l’université « ouverte » de Catalogne qui abrite le groupe de
recherche Hermeneia, ainsi que de selbyslist.com, le « méta-hub » du domaine anglo-
saxon de la poésie, des arts visuels et de la visual poetry qui recense sous une longue liste
toutes les revues et tous les groupes consacrés à ces domaines et est édité par Spencer
Selby.
47 Il y aurait beaucoup à tirer de ce principe pour dresser la cartographie exhaustive d’un
domaine en termes de voisinages successifs (ce que font les webmestres quand ils
s’associent en ring19) ou encore, en termes de « parcours initiatique », pour faire
découvrir à des « novices » l’organisation et la richesse de ressources que les moteurs
masquent par principe.
38
Figure 10. Graphe d’un réseau de revues et de sites collectifs à caractère littéraire et/ou artistique.Avec de telles représentations, on s’aperçoit que le domaine consacré aux pratiques littéraires et àleurs revues est constitué d’un système de relations transversales, et non d’une arborescencehiérarchique et thématique. Ce niveau du réseau, incluant e-critures.org et ecrits-vains.com, estconstitué d’éléments connexes qui contribuent à faire émerger une sorte de « localisationthématique ». Ces sites, très connectés au reste du Web, sont aussi des « relais » pour accéder à unvaste réseau de sites « secondaires », comme les sites d’artistes, personnels ou événementiels.
48 Ces chemins possibles renseignent aussi sur la position « centrale » de ces hubs que
constituent les sites de revues ou les sites à caractère collectif, comme Zazieweb, T.A.P.I.N.
ou Sitaudis. Ils sont topologiquement incontournables comme « lieu » de recensement
des nombreuses ressources web liées au domaine (notamment les sites personnels
d’auteurs ou de créateurs). Plusieurs graphes nous ont montré le réseau spécifique qui
les unit et les lie pour donner « corps » au domaine exploré.
49 Les pages de ces sites (notamment celles où se concentrent les liens externes)
constituent souvent des points d’entrée très pertinents pour explorer un domaine ou,
comme nous l’avons fait, pour lancer des crawls à grande échelle afin d’extraire de
façon « exhaustive » les documents pertinents liés à un domaine éditorial sur le Web.
« Paysage » éditorial
50 En explorant nos graphes d’e-critures.org à ecrits-vains.com, puis au niveau des sites à
vocation collective ou de revue, nous avons souvent eu l’impression de passer d’un
univers éditorial dominé techniquement par les jeux sur le fenêtrage, les formats
Flash20 ou les animations à des univers plus « statiques » où règnent en maîtres les mots
et leur mise en page fixe (prose ou pièces poétiques essentiellement). C’est ce type
d’expériences subjectives liées au processus d’exploration des graphes qui a fait germer
l’hypothèse selon laquelle on pouvait aussi qualifier certaines « zones » documentaires
en fonction de l’absence et/ou de la concentration de certains formats techniques ou
sémiotiques. Nous avons donc sélectionné sept sites relativement visibles (comme les
39
revues en ligne) et analysé toutes les pages des sites voisins vers lesquels ils pointent
pour mesurer des variations en termes de formats techniques de publication.
51 Plusieurs critères ont été retenus (nombre de caractères affichés par page et/ou par
site, nombre et types d’images par page et/ou par site, nombre de liens sortants par
page et/ou par site, etc.). Les mesures mériteraient d’être détaillées et discutées mais,
en ce qui concerne le paramètre de mesure « présence et densité » d’objets Flash pour
les sept groupes de sites, les résultats montrent qu’il existerait bien, a priori, une
corrélation entre la présence de certains formats techniques et le positionnement (en
termes de contenu comme de topologie hypertexte) des revues et des sites collectifs à
vocation littéraire.
52 Dans nos graphes, mais aussi selon des « experts » du domaine des pratiques littéraires
en ligne, lireecrire.free.fr, ecrits-vains.com et fabula.org sont des sites plutôt orientés
vers les cadres et les pratiques de la littérature hérités de l’imprimé (« classiques », si
l’on veut), alors que e-critures.org, sitaudis.com et tapin.free.fr sont plutôt orientés
vers des formes plus originales (et/ou numériques) d’expression littéraire. Ce type
d’indice, associé à ceux issus de l’analyse de la topologie hypertexte et du contenu des
documents, contribue un peu plus à asseoir e-critures.org et ecrits-vains.com dans des
univers de référence que l’on peut commencer à qualifier, nourrissant ainsi une forme
d’exploration du Web encore peu développée.
40
Figure 11. Nombre moyen d’objets Flash par page pour chaque groupe de sites. Il est cinq foissupérieur d’un extrême à l’autre, e-critures.org et lireecrire.free.fr.
À l’échelle des agrégats
53 Au niveau le plus général de contextualisation, on peut essayer d’esquisser, au-delà des
chemins, les linéaments d’une géographie documentaire centrée sur le domaine de la
littérature numérique. Il s’agit d’extraire et de comprendre comment s’organisent les
ressources web sur le sujet. Les pages et les sites, nous l’avons dit, intègrent des
ensembles plus vastes que l’on désigne en termes de Web mining par agrégats. On peut
tenter d’extraire du Web ces vastes ensembles de ressources sémantiquement proches
organisées autour de « cœurs » très denses topologiquement, à condition de ne pas se
limiter aux seules thématiques présentes dans un annuaire qui ne reflète pas la richesse
et la complexité de la géographie de l’information sur le réseau. Techniquement, il
s’agit de générer un graphe à partir de plusieurs URL de départ en déployant des robots
qui crawlent le Web en rapatriant les données à indexer dans une base. Plusieurs crawls
ont été réalisés au printemps 2004 sur le domaine de la littérature numérique, dont un
en particulier, le plus « large », de 25 590 pages web. Ce chiffre peut paraître
conséquent, mais il reste modeste puisque l’extraction d’un agrégat suppose bien
souvent l’indexation de plusieurs centaines de milliers de pages (soit quelques milliers
de sites seulement). Certaines propriétés de ces crawls à grande échelle confirment le
positionnement périphérique du domaine de la littérature numérique au regard de la
« galaxie » consacrée à la littérature imprimée sur le réseau ou encore aux arts visuels
et plastiques, en particulier sur support numérique.
54 Nombre de documents prélevés sur le Web appartiennent plus à différentes formes de
pratique de la littérature « traditionnelle » ou imprimée qu’à la littérature numérique.
On trouve ainsi de nombreuses pages consacrées à des banques de données textuelles
en ligne, des textes théoriques sur la littérature moderne et contemporaine (Oulipo, le
surréalisme, Queneau, Prévert...), des thématiques originales (le thème du labyrinthe,
psychanalyse et littérature...), des éditions imprimées, des institutions (centres
culturels à Paris ou en région) et des ministères (Culture), des événements (« Lire en
fête », Semaine de la presse à l’école...). Ce type de « dérive » est un phénomène
41
relativement connu dans le champ scientifique du Web mining : alors que l’on cherche à
se focaliser sur un type de ressources, le robot crawler a tendance à se déporter sur un
thème connexe, plus vaste et plus dense en termes de ressources. En d’autres termes, ce
fameux topical drifting22 est dû au fait que la distribution des liens hypertextes à partir
des URL sélectionnées comme points d’entrée conduit immanquablement vers un cœur
voisin de ressources plus interconnectées, comme par aimantation. Ce phénomène peut
être interprété comme un indice quant au positionnement hiérarchique d’un corps de
document dans son environnement sur le Web et, à ce titre, le domaine de la littérature
numérique apparaît ainsi comme satellisé en périphérie d’un domaine plus vaste et
plus structuré dont il dépend.
Un domaine de « faible densité »
55 La description des types de documents sélectionnés figure au point suivant, mais il faut
insister sur la « faiblesse » de l’agrégat consacré à la littérature numérique
comparativement à d’autres expérimentations menées sur d’autres thématiques. Dans
le tableau suivant figurent les données associées à l’extraction et à l’analyse de trois
agrégats différents : la « littérature numérique », les « sciences cognitives » et l’« Église
de scientologie ». Les trois domaines ont été crawlés selon la même procédure (neuf URL
de départ à des distances de deux clics pour chacune).
56 Les trois graphes illustrent dans une certaine mesure des différences massives en
termes de densité de documents pertinents. Suivant différentes procédures23, on a tenté
d’isoler ces fameux « cœurs » constitués de ressources aux contenus « proches » et
denses topologiquement. Si seulement 91 liens relient les unes aux autres les 108 pages
du cœur de l’agrégat « littérature numérique », on en trouve 618 pour les 265 pages
associées au domaine des sciences cognitives et près de 5 925 pour les 397 pages
associées à l’Église de scientologie ! Il faut admettre que ces différences sont en partie
dues aux instruments logiciels et aux statistiques utilisés ici et qui restent
42
expérimentaux. Cependant, ces informations constituent un ensemble d’indices qui
illustrent la difficulté à cerner le domaine étudié sur le Web. On insistera sur le fait que
la même méthodologie devrait être déployée dans le temps pour voir éventuellement
grandir et se développer un domaine que l’on peut supposer « en émergence ».
Un micro-univers hétérogène
57 Après avoir effectué le crawl et identifié le phénomène de « dérive thématique » puis
calculé un « cœur » faiblement dense de ressources, nous nous sommes enfin attachés à
explorer manuellement ce dernier pour comprendre la nature des documents ainsi
considérés comme centraux dans notre méthodologie. Présentes comme partie du cœur
du domaine, 20 % des ressources sont en anglais et en catalan, bien que nos extractions
aient été focalisées en premier lieu sur le champ francophone24. Le contingent le plus
important est cependant constitué d’abord de pages issues de sites du monde de la
recherche (30 %), avec des sites universitaires (essentiellement parisiens : MSH Paris-
Nord, Sorbonne, Paris III et Paris VIII...), des sites dédiés à la littérature moderne et
contemporaine (Oulipo, le surréalisme) ou à la question de la modernité en littérature.
Viennent ensuite des sites à caractère collectif (16 % : revues, associations déclarées ou
non, groupes...), certains orientés vers des pratiques et des formes issues de la
littérature imprimée, d’autres vers la littérature numérique ou les arts plastiques (dans
ces deux cas, il peut y avoir ou non édition en ligne). Un nombre important de sites
personnels apparaissent aussi (8,5 %), que l’on peut répartir de la même façon entre les
deux orientations littéraires. Signalons que l’on peut aussi les classer en trois
catégories : sites autobiographiques, sites autobiographiques avec œuvres éditées en
ligne, sites n’offrant que des œuvres en ligne (et, quand c’est le cas, elles sont issues du
domaine de la littérature numérique). On trouve ensuite des ensembles de sites de
différentes catégories tenant aux outils de recherche ou d’archivage associés à la
littérature (8,5 %), comme les banques de données en ligne d’auteurs et d’œuvres
(essentiellement textuels) ou des sites issus du travail de « promotion » institutionnelle
(14 % : ministères, journées de la lecture, événements locaux...), ou encore quelques
« petits » éditeurs en ligne (3 % : MotaMot, Hache, Éclat...). Enfin, quelques
« inclassables » (5,5 %) prennent place dans ce cœur de ressource, tel Labyrinthe (http://
perso.wanadoo.fr/labyrinthe/accueil.html).
Géographie documentaire du domaine
58 Constituer un corpus de documents pertinents sur le thème de la littérature numérique
est, avouons-le, une gageure. Y compris en mêlant, comme nous l’avons fait, de
nombreuses interventions manuelles pour monitorer les outils de crawl et d’indexation
utilisés. D’un c6té, les pages et les sites qui y sont consacrés semblent assez disparates
et, pour beaucoup, attachés au domaine de la littérature imprimée, à ses genres et à ses
pratiques éditoriales, en y incluant les références à la modernité littéraire. D’un autre
c6té, nous avons aussi trouvé de nombreuses références aux arts numériques en
général, au Net art, au domaine du design des interfaces mais aussi aux arts plastiques,
directement rattachées aux sites que nous avons sélectionnés comme représentatifs de
la littérature numérique. Sur le Web, le domaine de la littérature numérique semble se
situer dans cet « entre-deux » : que l’on parcoure les URL avec son navigateur depuis des
points d’entrée pertinents pour le domaine ou que l’on crawle à grande échelle les sites
43
qui y sont rattachés, le positionnement du domaine serait au final à considérer comme
à cheval, ou plutôt en périphérie, de deux ensembles de ressources plus densément
fournis et plus fortement organisés que sont, d’un c6té, la « galaxie25 » des documents
web consacrés à la littérature « imprimée », à ses canons et à ses pratiques, et, de
l’autre, cette galaxie consacrée aux arts numériques et plastiques, sur réseau ou non. En
somme comme à mi-chemin entre cet amour des mots et de la textualité qu’elle partage
avec les pratiques traditionnelles de la littérature et le vaste champ de la création
numérique et multimédia qui s’épanouit aujourd’hui sur les réseaux.
Figure 12. Le microterritoire exploré à partir de crawls, ou en naviguant d’URL en URL, laisse apercevoir la« topologie sémantique » des voisinages immédiats d’e-critures.org et d’ecrits-vains.com et, enquelque sorte, le paysage théorique dans lequel les deux sites s’inscrivent.
59 D’un côté, l’univers réduit de l’écriture numérique partage avec ses différents voisins
des pratiques littéraires un espace où ce que l’on pourrait appeler l’« amour des mots »
et/ou la volonté de construire du récit joue un rôle de première importance. Se poser la
question (théoriquement dans des textes comme pratiquement à partir d’œuvres) du
renouvellement ou non des figures de style dans le récit numérique, de la place et de la
forme du processus d’édition des œuvres électroniques, de leurs spécificités mais aussi
et surtout leurs points communs avec le « récit imprimé » fournit autant d’indices du
positionnement d’un domaine périphérique (en émergence ?) de la littérature
« traditionnelle ». C’est l’ensemble de ces points communs qui constituent, par ailleurs,
des différences notables avec un autre ensemble de sites plutôt liés au design (surtout
visuel) et aux arts plastiques déclinés sur support numérique et/ou en réseau où les
mots et le récit représentent des aspects secondaires des pratiques et des contenus
identifiables.
60 D’un autre côté, la communauté des praticiens et/ou des théoriciens de la littérature
numérique partage avec ce dernier ensemble des préoccupations communes comme la
réflexion sur les spécificités des supports (électroniques ou imprimés) ou le statut à
accorder aux différentes formes d’interactivité dans la construction d’œuvres ou de
connaissances.
61 Entre deux agrégats voisins plus « volumineux » et plus structurés, ce que la
communauté des théoriciens/praticiens de la littérature numérique partage avec l’un
sert donc de marque de frontière avec l’autre, qu’il s’agisse de théorie ou de pratiques.
44
C’est toute la question du statut du support numérique qui est ainsi posée puisqu’il
semble se décliner, à différents degrés d’une échelle à construire, du simple vecteur
(auxiliaire de l’imprimé) à un objet qui est lui-même l’objet des pratiques. Un indice
paraît particulièrement révélateur de ce passage de l’un à l’autre : des agrégats associés
à la présence de la littérature imprimée sur le Web jusqu’à ceux associés au Web design
se dessine un parcours où les formats du type Flash, JavaScript, VRML sont de plus en
plus nombreux statistiquement et où l’on accorde de plus en plus un nom de domaine à
des œuvres ou des productions disponibles en ligne et conçues comme telles.
62 L’ensemble des indices présentés ici entre singulièrement en résonance avec certaines
observations, certaines analyses d’œuvres, certains entretiens ou encore une certaine
étude des messages de listes de discussion, comme nous allons le voir. Car cet « entre-
deux » semble aussi nourrir la réflexion des acteurs du domaine, comme s’ils
cherchaient d’abord à positionner leurs pratiques, à organiser leur communauté, à
identifier les nœuds problématiques de leurs réflexions. La question de la place qu’ils
occupent dans le paysage de la littérature reste encore à trouver, dans un « champ
balisé et connu » à venir, comme le remarque Philippe Bootz sur la liste E-critures.
Balisage social et topologique, qui fait encore défaut pour isoler de façon précise le
domaine sur le réseau.
NOTES
21. C’est ce que montre, par d’autres voies, le mémoire pour le diplôme de conservateur de
bibliothèque « Repérage et sélection de sites de littérature contemporaine par une bibliothèque
universitaire de lettres et sciences humaines », réalisé par Pierre Chagny, Anne Lejeune, Marie
Lissart et Cécile Tardy sous la direction de Marianne Pernoo, ENSSIB, 2004 [LISSART et alii, 2004].
1. Message de Xavier Malbreil posté sur la liste de discussion E-critures (http://
fr.groups.yahoo.com/group/e-critures/).
2. Zazieweb : http://www.zazieweb.fr/
3. Message de Philippe Bootz adressé à la liste E-critures le 5 juin 2003.
4. Cf. annexe 3, « Quelques sites et listes de discussion ».
5. De février 2003 à mai 2004 se sont déroulées chaque mois les rencontres Mardis numériques,
au café Lou Pascalou à Paris (http://www.francoiscoulon.com/rencontres). Ces rencontres se
proposaient de « rassembler autour d’un verre les acteurs de la création numérique ».
6. Sous la forme d’une URL (cf. lexique).
7. Cf. GHITALLA (Franck) (dir.), « La navigation », Les Cahiers du numérique, Hermes Science
Publications, Paris, 2004.
8. Au moins depuis le mathématicien suisse Euler au XVIIIe siècle.
9. BARABASI (Albert-Laszo), Linked: the New Science of Network, Addison-Wesley, 2003.
10. [KLEINBERG, 1998]
11. Il existe au moins plusieurs milliards de documents accessibles, mais les estimations varient
encore beaucoup. Lire en particulier les travaux de Steve Lawrence et Lee Giles. Par exemple :
LAWRENCE (Steve) et GILES (C. Lee), “Searching the Web: General and Scientific Information Access”,
IEEE Communications, 37(1): 116-122, 1999.
45
12. Sur le premier modèle d’organisation du Web, lire en particulier: MAGHOUL (E), RAGHAVAN (P.),
RAJAGOPALAN (S.), STATA (R.), TOMKINS (A.), BRODER (A.), KUMAR (R.) et WIENER O.), Graph Structure in the
Web: Experiments and Models, 9th International World Wide Web Conference, 2000.
13. Et son fameux algorithme de Page Rank.
Pour plus de précisions, BRIN (Sergey) et PAGE (Lawrence), “The anatomy of a largescale
hypertextual Web search engine”, Computer Networks and ISDN Systems, 30(1-7): 107-117, 1998.
14. Les références sur la théorie des agrégats sont nombreuses depuis la parution du premier
article explicite, peut-être, sur la question : [BOTAFOGO, 1991].
15. CHAKRABARTI (Soumen), Mining the Web, Discovering Knowledge from Hypertext Data, Morga
Kaufmann Eds., Elsevier Science, New York, 2003.
16. L’un des articles fondateurs: GIBSON (David), KLEINBERG (Jon M.) et RAGHAVAN (Prabhakar),
“Inferring Web Communities from Link Topology”, in Proceedings of the 9th ACM Conference on
Hypertext and Hypermedia, p. 225-234, Pittsburgh, Pennsylvanie, juin 1998.
17. http://www.confettis.org/perdre/index.html
18. http://www.cequimepasseparlatete.com/
19. Cf. lexique en annexe.
20. Logiciel d’animation d’Adobe (auparavant Macromedia) pour le Web.
22. Cf. CHAKRABARTI (Soumen) et KAUFMANN (Morgan), Mining the Web – Discovering Knowledge from
Hypertext Data, San Francisco, 2003.
23. GHITALLA (E), DIEMERT (E.), MAUSSANG (C), PFAENDER (E), « TARENTE: an Experimental Tool for
Extracting and Exploring Web Aggregates », in Proceedings of IEEE Conférence ICCTA, Damas, Syrie,
mars 2004.
24. Le site Hermeneia apparait comme une référence pour de nombreux sites francophones, d’où
le nombre significatif de ses pages qui ont de bons scores de hub et d’authority et la présence
importante de mots catalans dans la liste des mots-clés du domaine. La « dérive » vers le domaine
anglo-saxon s’explique elle aussi par le nombre de sites canadiens ou américains dédiés au
domaine, très fournis et exemplaires du rayonnement de l’e-littérature en termes de recherche
mais aussi et surtout d’enseignement. Voir en particulier: http://www.eastgate.com/, http://
www.uottawa.ca/academie/arts/astrolabe/, http://www.er.uqam.ca/nobel/mts123/
siteweb.html ou encore http://www.eliterature.org.
25. Le vocabulaire descriptif des agrégats de documents web paraît relever de la métaphore
cosmologique (« galaxie », « agrégat », « satellite »…), mais l’emprunt à la cosmologie de ses
modèles de naissance et d’évolution de l’univers pour expliquer la structure du Web comme
espace documentaire relève pourtant de l’hypothèse scientifique (cf. [BENNOUAS et alii, 2003]).
46
Chapitre II. Des acteurs et desdispositifs d’édition
1 Si la géographie documentaire du Web rend visible l’existence de territoires dédiés à la
littérature en ligne, seule l’observation fine de l’organisation des lieux et des structures
éditoriales dont se dotent les acteurs est à même de nous renseigner sur les objectifs
poursuivis par ceux qui composent le domaine.
2 En effet, une « photographie aérienne » constituée par les liens hypertextes entrelaçant
les sites web laisse apparaître des cartes de liens qui ne sont pas toujours souhaités, de
la même manière qu’un auteur ne maîtrise pas le voisinage de ses livres sur un rayon de
librairie. Nous nous attacherons donc ici à décrire l’organisation volontaire des acteurs
dans un paysage littéraire façonné par des pratiques créatives de production,
d’échanges entre pairs, de proposition à un public et de techniques de diffusion
appropriées pour chaque groupe. Nous avons évoqué dans le chapitre 1 les raisons pour
lesquelles E-critures et Ecrits...vains ?, qui affichent leurs différences quant à une
conception revendiquée de la littérature, se sont révélés être des terrains riches
d’enseignements, l’un s’attachant à dessiner les contours d’une spécificité littéraire
numérique, l’autre s’occupant à faire connaître des œuvres poétiques de facture plus
classique.
3 Ainsi l’observation historique de l’organisation sur le Web de ces deux entités laisse
entrevoir des agencements dont la particularité est de conjuguer le collectif et le
singulier afin de confectionner des œuvres, de fabriquer des auteurs et de stimuler une
critique. Dès lors, il s’agissait de vérifier si l’agencement de leurs traces textuelles sur le
Web n’empruntait pas nombre de principes à la fonction éditoriale1. Ce deuxième
chapitre tente d’évaluer dans quelle mesure la politique éditoriale et les protocoles de
publication de nos deux dispositifs se différencient quant au rôle accordé au support
numérique. Il s’essaie à observer l’ancrage de la fonction auctoriale et critique à travers
des pratiques qui oscillent entre une exploitation créative de l’outil numérique et son
utilisation comme vecteur de diffusion et de communication.
4 Cependant, l’étude montre que les variations subies sont directement dépendantes de
l’utilisation d’outils de communication existants, adaptés ou créés selon les besoins.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes d’abord attachés à démonter chaque
47
dispositif sociotechnique selon un point de vue technico-historique. Cette première
analyse de l’interface et de la structuration éditoriale qu’elle recouvre nous a permis
dans un second temps d’interroger non seulement la fonction éditoriale, mais aussi les
fonctions auctoriale et critique.
Morphologie et genèse
5 L’observation des dispositifs E-critures et Ecrits...vains ? révèle l’emploi entrelacé d’une
pluralité de technologies de communication, toujours perfectibles et susceptibles
d’évoluer : site web, forum, groupe de discussion, blog, etc.
6 Intéressons-nous d’abord à Ecrits...vains ? dont l’origine remonte à la création d’un « site
personnel » en 1997 sur Wanadoo. Comme l’atteste Jacques Teissier, un enseignant qui
souhaitait au départ faire découvrir les nouvelles et créations poétiques de son épouse
– Marie Bataille, de son nom de plume –, l’objectif du lancement d’un site web est de
publier des textes poétiques dignes d’intérêt, provenant de l’entourage direct du
couple.
« Comme je connaissais plusieurs personnes qui écrivaient aussi en amateurs, dontcertains avaient du talent et qui eux aussi n’avaient jamais été publiés, je lui aidemandé si elle accepterait d’être publiée avec d’autres. Dans ces conditions, elle aaccepté, et j’ai donc créé les premières pages du site EV (décembre 1997-janvier1998) avec des publications de cinq auteurs : Alain Teissonière, France Thiriez,André-Louis Deschanel, Gérard Soustelle et Marie. Les quatre premiers, collègues detravail, amis ou parfois les deux, m’avaient confié quelques textes en sachant que jesouhaitais les publier sur Internet »
7 Considérant l’édition papier comme inaccessible, nos acteurs perçoivent rapidement
l’intérêt de regrouper des lecteurs et conçoivent leur site web non comme un simple
« site personnel » destiné à faire connaître des produits « maison », mais comme un
support de publication littéraire ouvert à leurs amis, support qui viendrait s’ajouter
aux imprimés de l’édition classique. L’année 1998 correspond en fait à la fondation de
ce qui allait devenir une véritable revue référencée par les moteurs de recherche, revue
dont les créateurs s’emploieraient à promouvoir la diffusion en postant des messages
sur de multiples listes de diffusion, dont la célèbre poesie.fr2. L’afflux de propositions de
textes incite les responsables à créer un forum et des comités de lecture dès l’été 1998
afin de faciliter la communication entre les producteurs de textes et d’accélérer le
processus de repérage des bonnes productions.
8 Attardons-nous un instant sur le forum de discussion (accessible à partir du site web
d’Ecrits...vains ?), espace d’expression libre et cependant modéré qui nécessite une
inscription préalable. Il y a bien dans ce cas une reproduction du « salon littéraire »,
tout à la fois lieu de causeries et de lectures, abrité par un système technique de
publication web nommé « revue littéraire et site éditeur ». L’exploration du site révèle
par ailleurs la présence d’un « atelier d’écriture » englobé par le forum et décrit par ses
métadonnées : « Présentation de l’atelier. Vous pourrez lire toutes les contributions à
l’atelier en cours commentées sur le forum »
9 La figure technique dessinée par Ecrits...vains ? est celle d’un dispositif à emboîtement qui
consiste à agglutiner les techniques en les insérant les unes dans les autres, pour
intégrer et ordonner les espaces de discussion et ceux de publication.
48
10 Si l’intense activité relationnelle soutenue par la messagerie électronique contribue aux
premiers succès d’Ecrits...vains ?, elle est également le préalable à la constitution d’E-
critures3 qui voit le jour deux années plus tard. En effet, le programmeur Éric Sérandour
crée Ecriordi4 au mois d’octobre 1999 en invitant directement les personnes (auteurs,
universitaires) qu’il a sélectionnées à discuter de la thématique « écriture et
ordinateur » ; un groupe5 qui deviendra bientôt la première liste de diffusion française
sur ces pratiques électroniques d’écriture.
11 Cette liste de diffusion portée sur le Web dure de novembre 1999 à décembre 2000, date
à laquelle elle change de nom mais conserve la même finalité, à savoir le regroupement
de ceux qui s’intéressent à la « littérature informatique », comme l’indique l’intitulé de
« Description » du groupe qui reste inchangé :
« Liste de diffusion dédiée à la littérature informatique. Elle regroupe des auteurs,des universitaires et de simples lecteurs. Chaque nouvel inscrit est invité à seprésenter de lui-même à l’ensemble du groupe surtout s’il a une pratique littéraireou artistique affirmée; également si son champ de recherche recoupe ce qui nousregroupe ici. Ceci n’a bien sûr pas un caractère obligatoire mais est apprécié. »
12 Alors que les activités d’Ecrits...vains ? restent centrées autour de ce qui va devenir très
vite une véritable revue, le groupe de discussion E-critures – dont les membres vont
créer ultérieurement et de manière collective un site web et une association6 –
n’apparaît que comme un point d’ancrage dans un environnement électronique
beaucoup plus large pour des individus à l’activité créatrice démultipliée sur le réseau.
En effet, la liste de discussion est un moyen pour ses membres de faire reconnaître des
pratiques dans un univers créatif qui s’installe aux frontières du connu, comme
l’indiquent les métadonnées de la dernière version du site web : « Vise à faire connaître
l’e-criture. Point de vue des auteurs et des lecteurs, créations, théorie. »
13 Notons ici qu’E-critures expérimentera aussi une revue puis un blog, autant
d’expériences faisant l’objet d’installations techniques indépendantes les unes des
autres. Cette organisation décentralisée sur le réseau, qui est la caractéristique
morphologique première d’E-critures, nous laisse envisager cette figure technique
comme un dispositif distribué.
14 Observons ce qui est aujourd’hui directement visible sur le Web : les interfaces d’accueil
et la structuration des deux sites.
15 L’interface d’e-critures.org est sobre, parfaitement lisible, et l’accès à l’ensemble des
rubriques se concentre dans une barre de navigation en haut de l’écran. E-critures.org
se présente comme un site « minimaliste » et fonctionnel exploitant les fonds noirs,
dans lequel chaque rubrique se voit attribuer une couleur parfois vive.
Figure 1. Les rubriques de la barre de navigation du site e-critures.org.
16 Mais ce dépouillement souligne aussi une volonté esthétique, celle des adeptes du
graphisme numérique. E-critures.org s’ouvre en effet sur une version (par défaut) en
Flash7 et à partir d’une page qui occupe toute la surface de l’écran (supprimant ainsi
49
l’accès aux outils standard du navigateur). La culture de la page-écran sur le Web relève
des mêmes principes que ceux qui guident le développement d’un CD-Rom et de la
plupart des applications à vocation multimédia : l’internaute doit avoir accès à tout à
partir de l’écran affiché (quitte parfois à superposer les fenêtres) plutôt que d’avoir à
faire apparaître des informations ou des documents « mal cadrés » parcourus à l’aide
des barres de défilement.
17 L’architecture du site repose elle aussi sur des principes d’économie et d’efficacité.
Trois rubriques importantes concentrent l’information : les membres (liste des membres
-devenez un membre -modifiez votre profil), les œuvres (œuvres par artiste -œuvres par
titre -soumettez une œuvre -modifiez une œuvre) et les textes (textes par auteur – par
titre – soumettez un texte – modifiez un texte). Notons ici une première ambiguïté car
les seuls « textes » de la rubrique « Les textes » sont des propositions théoriques et un
pastiche. Des noms sont bien évoqués dans « Le comité de lecture » mais aucune
explication n’est donnée sur les procédures d’évaluation ni sur la distribution des
tâches. Si l’interface ne souligne pas qu’il faut s’inscrire pour pouvoir soumettre une
œuvre, déposer une annonce ou un texte, l’inscription se révèle cependant aisée et non
vérifiée : n’importe quel internaute peut s’inscrire en tant que membre.
Figure 2. Lors de l’étape de « soumission » d’une œuvre, un message d’avertissement prévient quecette procédure est réservée aux membres d’e-critures.org.
18 Une fois inscrit, chaque membre d’e-critures.org a la possibilité de soumettre au comité
de lecture une œuvre pour qu’elle soit référencée par le site dans la rubrique « Les
œuvres ». Cette étape révèle aussi qu’aucune œuvre n’est stockée sur e-critures.org; il
s’agit, en quelque sorte, d’un site fédératif où l’on est invité à participer en listant ses
œuvres publiées sur le Web, plus qu’un site « médiateur » de contenu. Il faut noter ici
que nombre de membres d’e-critures.org contournent la procédure de filtrage en
inscrivant directement dans l’espace « Biographie » les adresses électroniques où sont
déposées les œuvres ou simplement l’adresse du site web qui les contient.
19 La rubrique la plus riche en références est ainsi celle intitulée « Les membres » où
s’affichent, par ordre alphabétique, des noms, des adresses de courrier électronique et
des liens hypertextes vers des sites externes. Il s’agit donc d’un travail public de
recensement pour une communauté qui cherche à identifier et à compter ses membres.
50
Figure 3. Liste des membres, liste des œuvres, liste des textes de réflexion.
20 C’est en effet la fonction essentielle de ces listes de noms, affichées seulement par ordre
alphabétique -tout comme les listes d’« œuvres » et de « textes ». Les trois listes
principales n’ont donc pas de vocation hiérarchique, ni même chronologique. On
retrouve ainsi la fonction première de la liste comme outil graphique : identification et
dénombrement. Tout en réfléchissant à sa forme, la communauté se dénombre elle-
même8.
21 La mention d’une version en anglais (non encore effective fin 2006) vient confirmer
cette volonté de recensement et de fédération des acteurs d’une communauté, même
s’il n’est pas évident pour un néophyte de comprendre dès l’abord du site ce qui en fait
la spécificité. Contrairement à un site comme ecrits-vains.com qui pourrait être qualifié
d’« hébergeur de contenu », le modèle d’e-critures.org consiste à rassembler des
références.
22 On passe assurément plus de temps à lire la page d’accueil d’ecrits-vains.com (figure 4).
Le contenu y est roi et les fonctionnalités de communication ou d’échange, si
essentielles à e-critures.org, apparaissent secondaires au regard de la place que prend
le titre de la revue (« Numéro du 14 juillet 2006 ») et des trois rubriques à gauche :
« Écriture », « Littérature », « Culture ». En haut à droite, un pavé de texte présente la
nature d’ecrits-vains.com (« un site éditeur et une revue littéraire »), le forum de
discussion et l’atelier d’écriture. Enfin, le principe d’une chaîne éditoriale apparaît
puisqu’il est proposé aux lecteurs de « participer à la rubrique Théma » ou bien de
soumettre des textes aux « comités de lecture prose et poésie » qui pourront être
adoptés par la « librairie ».
51
Figure 4. Les rubriques du site ecrits-vains.com.
23 À l’espace dépouillé d’e-critures.org, ecrits-vains.com oppose un principe d’occupation
et de concentration de l’information, distribué en plusieurs rubriques très distinctes et
hiérarchisé autour de l’affichage du numéro en cours sur une photographie en arrière-
plan. On peut accéder aux nombreuses rubriques du site via le numéro en cours ou bien
via les trois sous-rubriques de gauche. La navigation dans Ecrits...vains ? est d’ailleurs
beaucoup plus « thématique » que graphique (contrairement à e-critures.org et à ses
codes couleur), et il vaut mieux savoir « où l’on est » dans l’arborescence si l’on veut
maîtriser l’organisation du site. Cette prolifération du contenu est caractéristique
d’ecrits-vains.com, tant en nombre de rubriques que de sous-rubriques et de thèmes
traités. C’est aussi la caractéristique d’une gestion rhizomatique du contenu qui, si elle
laisse plus de liberté aux créateurs non techniciens, est plus difficile à gérer en termes
d’organisation de l’archivage des anciens numéros.
24 L’observation des interfaces met ainsi en évidence une structuration différente : alors
que l’internaute est amené, avec e-critures.org, à sortir du site pour consulter des
œuvres, il est d’emblée immergé dans la production littéraire avec la revue
Ecrits...vains ? En outre, et contrairement à e-critures.org, le site d’Ecrits...vains ? est
construit, pour ce qui est de la navigation, sur le modèle d’un circuit éditorial
classique : il privilégie le parcours d’auteur et la soumission des œuvres aux comités de
lecture.
Positionnements sur le Web
25 Le parcours des deux sites permet de relever des différences manifestes non seulement
au niveau du contenu diffusé, mais aussi de l’architecture et de l’ergonomie des
interfaces. Ces différences tiennent évidemment au fait que les deux « objets » web
52
n’ont pas la même histoire. Mais elles indiquent aussi deux types différents de
positionnement sur le Web en termes de projet éditorial et de pratique de l’écriture.
26 Pour comprendre les objectifs et l’organisation de ce « positionnement », nous avons
récolté une première série d’indices réunis dans le tableau « Critères techniques », ce
qui nous permet de caractériser et de comparer la forme et les fonctionnalités
techniques d’e-critures.org et d’ecrits-vains.com (interface, structuration des données,
dispositifs de communication et d’échange), sans oublier les informations associées aux
visées différentes des deux sites.
27 Le positionnement de ces deux sites sur le Web est profondément lié à leur histoire et à
leurs origines. Le caractère de « vitrine » du site web d’E-critures tient à la volonté de
rassemblement et de recensement d’une communauté en train de « se compter »,
tandis qu’Ecrits...vains ? est une revue née d’un effort personnel de publication d’un
contenu littéraire « traditionnel ». Chaque élément du dispositif E-critures fonctionne
en autonomie : ainsi l’inscription en tant que membre sur le site n’implique pas
l’inscription sur la liste de discussion Yahoo !, ce qui implique une démarche
supplémentaire, de même pour le blog hébergé par Blogger. Ce caractère ouvert et
distribué du dispositif E-critures se vérifie dans les discussions sur les œuvres où les
critères s’élaborent en collectif. Au contraire, Ecrits...vains ? est bâti comme un
instrument de diffusion de contenus préalablement identifiés et évalués selon des
canaux, des procédures et, au moins, deux comités de lecture clairement affichés9.
Tableau 1. Critères techniques favorisant le positionnement des sites web.
28 À parcourir les deux sites, on peut se focaliser sur les éléments les plus apparents de ce
qui apparaît comme de véritables circuits éditoriaux. Hormis l’accès aux contenus ou
aux informations sur les acteurs et les membres des deux communautés, les pages et les
fonctionnalités les plus importantes sont relatives à la production (par exemple
l’atelier d’écriture d’ecrits-vains.com), aux procédures de soumission et d’évaluation
53
(format technique des documents, comités de lecture, délai d’évaluation, etc.) et aux
modes de diffusion et d’accès aux productions. Ces deux « chaînes » éditoriales n’ont
pas la même complexité ni la même rigueur : le site e-critures.org apparaît plus
« ouvert » aux contributions spontanées qu’ecrits-vains.com, avec ses deux comités de
lecture et ses (longs) délais de publication. L’important ici est peut-être de concevoir la
chaîne éditoriale comme un principe intégrateur tout à la fois de la circulation
technique des documents (en ligne, mais pas uniquement) et de la distribution des rôles
des différents acteurs ou des moments de leur intervention.
29 Le relevé des indices comparatifs entre les deux sites (tableau « Chaîne éditoriale »)
comprend des informations liées à l’organisation des acteurs, ne serait-ce que parce
que l’on a affaire à des activités d’écriture ouvertes au public dans les deux cas. Ainsi, la
description d’un site web doit aussi intégrer la façon dont se définissent les rôles, les
acteurs et éventuellement qui ils sont à travers les informations explicitement affichées
sur l’organisation du groupe mais aussi à travers les fonctionnalités associées au site.
Ces indices permettent souvent de comprendre comment, au-delà de l’architecture des
documents et des fonctionnalités du site, s’organisent l’activité collective et, en quelque
sorte, la« raison sociale » des acteurs sur le Web. À cet égard, ecrits-vains.com leur
offre une lisibilité plus grande et plus souple que ne le fait e-critures.org : là où e-
critures.org propose une fiche descriptive standard10 de ses membres, réduite pour
certains à une adresse de site ou de courrier électronique et/ou à une liste d’œuvres,
ecrits-vains.com offre un espace personnalisable aux divers contributeurs de la revue11.
30 On le voit, une description organisée des deux sites permet déjà de comprendre
comment des fonctionnalités techniques s’associent à des modes d’organisation sociale
autour de la mise en place de ce qui apparaîtra comme des circuits éditoriaux.
Tableau 2. Déploiement de la chaine éditoriale au sein des dispositifs.
54
Déconstruction et recomposition des chaînes éditoriales
31 Rappelons ici que l’objectif de la fonction éditoriale est d’articuler les opérations de
création, d’édition et de diffusion pour produire des biens culturels et informationnels.
Cela se déroule classiquement dans un mouvement chronologique – illustré par le
terme « chaîne » – alliant des étapes récursives (par exemple : lecture, correction,
relecture) et séquentielles (par exemple, lorsqu’on est à l’étape de la mise en forme
d’un produit, on ne revient pas en arrière pour réécrire un chapitre).
32 Les trois étapes de création, d’édition et de diffusion intéressent de manière traditionnelle
des acteurs différents dont les contours des métiers sont repérables et étanches dans
un contexte de biens matériels.
33 La création concerne a priori les auteurs, dont le rôle principal est de transformer de
manière créative ce qui était déjà là, la « matière première ».
34 S’inscrivant entre création et diffusion, l’édition ou chaîne éditoriale a pour but de
sélectionner et de mettre en forme l’information en deux étapes principales (liées
historiquement par les technologies de la reproduction imprimée) :
le processus de sélection éditoriale (editing) consiste à collecter, à filtrer, à réécrire et à
assembler l’information selon des critères d’adéquation à des genres rédactionnels, des
styles, des thématiques, des collections, des séries, et en fonction des niveaux de
connaissance du lectorat ou de l’audience visée (vulgarisation, expertise, initiation, etc.) ;
le processus de publication (publishing) entendu comme « processus de mise en forme d’un
contenu préalablement sélectionné en vue de sa diffusion collective12 » concerne
habituellement la forme finale de la production stabilisée de manière définitive sur un
support.
35 Bien entendu, ces deux processus s’influencent mutuellement13 : un genre rédactionnel
s’inscrit souvent dans une forme reconnaissable qui concerne aussi bien la présentation
visuelle (un titre de magazine ne peut pas être une phrase ni être écrit comme une note
de bas de page) que le support lui-même (on n’imprime pas un magazine sous forme de
livre).
36 Enfin, la diffusion concerne habituellement la distribution des contenus publiés ou
portés à la connaissance du public lorsque les produits ont atteint un état finalisé.
37 D’une manière générale, l’espace documentaire du Web et ses façons totalement
nouvelles d’initier les phases de création, de publication et de diffusion bouleversent
cet ordre hiérarchique des opérations grâce auquel on reconnaît une chaîne éditoriale,
en mettant à la disposition de tous des produits qui n’ont pas toujours pour vocation
d’être « finis ». Nous verrons que ces trois étapes principales sont interprétées et
adaptées de manière différente dans les deux cas étudiés ici. En particulier, nous
remarquerons que les étapes d’édition et de publication sont renversées dans le cas d’E-
critures.
38 Revenons un instant sur le processus d’édition décrit ci-dessus pour souligner qu’il
consiste en une série d’opérations de différentes natures, distribuées selon des
scénarios ou des modèles dont certains nous sont depuis longtemps familiers et
d’autres plus inédits. Ces « opérations » peuvent s’envisager selon trois dimensions
constitutives :
des opérations « logiques » liées à l’élaboration de l’ « information » ou du « sens » : écriture,
analyse critique, évaluation ... Il faudrait d’ailleurs trouver là un vocabulaire pertinent pour
•
•
•
55
décrire aussi, par-delà le texte, des productions graphiques, vidéographiques ou encore
musicales;
des opérations « techniques » liées à la construction des formats de production : modelage
des supports, mise en forme, mais aussi circulation des documents ou des produits d’un
« lieu » à un autre et leurs transformations techniques successives;
des opérations « sociales » de validation, d’inscription dans des traditions, des mouvements
ou des genres : organisation sociale des agents en hiérarchies ou en communautés d’acteurs,
distribution des rôles et des responsabilités, définition des objectifs, délimitation d’un
champ de pratiques.
39 Dans le cas d’e-critures.org et ecrits-vains.com, les deux chaînes éditoriales
fonctionnent de manière relativement autonome sur le Web. Les opérations de
soumission, d’évaluation et de diffusion des productions s’y concentrent de façon
intégrée ou distribuée. D’une certaine manière, les deux sites web en donnent en
quelques pages un aperçu relativement synthétique, ce qui aurait pu rester plus opaque
et ! ou dispersé dans le cadre d’une édition imprimée. Les rouages du mécanisme
éditorial sont d’autant plus « visibles » que l’on a affaire à deux communautés qui
cherchent, entre autres, à élargir leur public et leur audience sur le Web. Si les deux
sites mettent à disposition du public ou des membres de leur communauté les outils ou
les fonctionnalités dédiés à la gestion de cette chaîne, ils associent aussi les
informations nécessaires à leur utilisation, comme de véritables « modes d’emploi
éditoriaux ». C’est donc l’occasion de comprendre comment s’associent dans la
composition, par exemple, d’un « comité de lecture » ou d’un « atelier d’écriture » les
modes de circulation technique de produits et la construction de leur format, les types
intellectuels de travail de création ou d’activité critique et les r6les endossés par les
acteurs d’une communauté.
40 Hormis les éléments proprement dédiés à l’exercice de l’édition, il faut remarquer que
les deux dispositifs intègrent aussi des fonctionnalités avancées de consultation des
produits (œuvres et textes classés par auteurs et par titres pour E-critures, rubriques
thématiques d’Ecrits...vains ? et sa revue proprement dite). Concernant Ecrits...vains ?, on
peut ranger la revue elle-même et ses archives (près de 90 numéros consultables) à titre
de « produit », en admettant qu’il s’agit là aussi d’une publication effectivement
diffusée. La « librairie » d’Ecrits...vains ? en particulier, avec ses six catégories (poésies,
nouvelles, romans, théâtre, contes, essais), se présente comme un vaste lieu de
consultation. Sur e-critures.org, les modalités d’accès aux produits ne reposent pas sur
une répartition en genres (on y distingue seulement « textes » et « œuvres », réservant
ainsi explicitement une place à des contributions théoriques), mais seulement sur des
classements par auteurs et par titres de type alphabétique. En d’autres termes, le site e-
critures.org ne permet pas la consultation directe des œuvres qu’il liste, dans la mesure
où il faut sortir du site pour y accéder (via les adresses électroniques de sites d’auteurs
référencées). Cette mise à disposition différenciée des œuvres sur les deux sites rend
ainsi déjà perceptible l’opposition entre e-critures.org, site davantage dédié au
recensement d’œuvres et d’auteurs, et ecrits-vains.com, dont la structuration est
centrée sur la publication de la revue. Enfin les deux sites comprennent des outils de
communication et d’échange d’informations laissant présager la mise en place de
formes de communication entre différents types d’acteurs et selon des modalités plus
ou moins participatives.
•
•
56
41 C’est ici que l’on peut remarquer l’entrée du public en tant qu’acteur majeur de la
« diffusion » réservée jusque-là aux professionnels patentés comme les distributeurs
auxquels les éditeurs sont quelquefois soumis.
Tableau 3. Public-auteurs-produits.
42 Le tableau « Public-auteurs-produits » synthétise ces trois types de « propriétés » d’un
site web dédié à l’édition en ligne, du moins si l’on suit le double exemple d’e-
critures.org et ecrits-vains.com. Il y aurait, évidemment, à multiplier les cas pour
valider cette répartition. Ce type de synthèse visuelle permet du moins, dans notre
approche comparative, de pointer quelques-unes des particularités qui distinguent les
deux sites, par-delà les principes similaires d’organisation. Parmi celles-ci figure la
présence pour ecrits-vains.com d’un « atelier d’écriture » que l’on a situé à mi-chemin
des fonctionnalités de « connexion sociale » avec le public et du principe de la « chaîne
éditoriale ».
43 Dans le cadre des objectifs littéraires associés à la communauté des acteurs d’ecrits-
vains.com, il s’agit en somme de « faire passer » des usagers du site du statut de lecteur
à celui d’auteur potentiel en les initiant à des pratiques littéraires spécifiques. Cet
apprentissage peut s’effectuer dans la mesure où les pratiques d’écriture (ou de
production) s’inscrivent dans des formats éditoriaux déjà définis, éventuellement en
« genres » reconnus, et qui servent d’étalon aux différentes formes d’évaluation (voir
l’atelier d’écriture d’Ecrits...vains ?).
44 Du côté d’e-critures.org, on notera, en revanche, la possibilité offerte aux auteurs
membres de la communauté de modifier la référence à leur « texte » ou à leur
« œuvre ». Celle de compléter, d’amender ou de restructurer une « œuvre » est le fruit
d’une décision prise à la suite d’une discussion collective sur le groupe Yahoo ! (comme,
après tout, cela peut aussi se concevoir ailleurs que sur le réseau), surtout dans un
domaine où les canons ne fixent pas encore des genres établis, par tradition ou par
57
positionnement théorique. Mais, comme le remarquent eux-mêmes certains des
acteurs, cette potentialité d’évolution permanente des œuvres et des textes tient aussi
dans la volonté d’exploiter les propriétés du réseau et sa plasticité technique. Ainsi, les
versions peuvent se succéder (principe du versioning), les œuvres être abritées dans
différents endroits à différents moments (ce que montrent les changements de nom de
domaine, dans certains cas, pour les mêmes textes), voire réparties et construites par
différents participants.
45 Il est nécessaire de remarquer ici que le processus de « publication » en tant que mise
en forme finale de la production stabilisée de manière définitive est particulièrement
mis à l’épreuve sur le support électronique. La publication web est tout sauf définitive
et ce n’est que parce qu’Ecrits...vains ? vise la fréquence régulière de parution que cette
revue en ligne réussit à stabiliser les œuvres à un niveau de qualité qu’elle estime
correct.
46 On touche aussi du doigt l’une des principales difficultés, technique mais aussi
intellectuelle, du Web comme système hypertexte ouvert et dynamique : comment
archiver le domaine de la littérature numérique, le travail de ses acteurs, la
modification de ses produits ? Ce domaine, comme d’autres sur le Web, indique
combien la Toile n’est pas dédiée seulement à la capitalisation d’une mémoire
documentaire. Il s’agit aussi d’un espace intrinsèquement dynamique, associant
support numérique et principe du réseau, et qui peut donc ouvrir, dans le cas des
pratiques de la littérature comme dans d’autres domaines de l’expression, sur des arts
de la transformation.
47 Équipés des fonctionnalités nécessaires à l’exercice d’une chaîne éditoriale
relativement complète (soumission, évaluation, publication), à la consultation des
produits et aux différentes formes d’échange d’informations entre deux ou plusieurs
acteurs (auteur, public, membre, animateur, modérateur, fondateur ...), les deux sites
peuvent être considérés comme relativement autonomes et suffisants pour
accompagner la constitution d’une communauté, manifester son organisation et
accueillir ses pratiques. Ils représentent, en quelque sorte, des « lieux » où l’on
s’informe, où l’on échange (parfois de manière polémique, comme on le verra plus loin
dans l’étude), où chacun (même implicitement) se voit assigner un r6le et où l’on se
rend plus ou moins régulièrement. Des analyses des pratiques de navigation pourraient
probablement nous renseigner sur la richesse des activités des usagers sur ces deux
sites. Lanalyse de la morphologie technique des deux dispositifs nous indique toutefois
déjà que le Web n’est pas seulement un « système d’information » et que l’activité qui
s’y développe à travers un site renvoie aussi à des formes d’interaction sociale,
particulièrement organisées dans le cas d’Ecrits...vains ?, plus ouvertes dans le cas d’E-
critures. Mais les deux dispositifs montrent aussi, d’un autre côté, qu’ils fonctionnent de
façon relativement autonome, comme des « îlots », en intégrant en quelques rubriques
toutes les fonctionnalités techniques essentielles à l’exercice de leur « raison sociale »,
l’édition de formes (différentes) de littérature.
48 Examinons maintenant à la loupe l’organisation de nos dispositifs éditoriaux et
l’historique de leur constitution. Ecrits...vains ? est assurément une revue en ligne d’une
certaine ampleur : elle compte entre 1 200 et 2 600 visites par jour et est alimentée
chaque quinzaine par des contributeurs issus d’horizons et de pays différents.
Soulignons la richesse de cette revue qui mêle les genres, les types d’articles (articles de
58
fond, billets d’humeur, chroniques), mais qui a aussi son ton propre (chaleureux,
presque « communautaire ») et une ligne éditoriale assez précise.
49 La revue publie ainsi, selon un rythme bimensuel alternant les sélections « prose » et
les sélections « poésie » :
des œuvres littéraires (prose et poésie) ;
un éditorial (« le mot de l’équipe ») justifiant les choix effectués par les comités de lecture ;
des articles critiques et théoriques portant sur l’écriture, la littérature et l’actualité
culturelle;
des entretiens avec des écrivains;
des rubriques consacrées aux autres revues littéraires (électroniques et papier) ;
des articles consacrés aux nouveautés dans le domaine de la prose, de la poésie, du théâtre,
de la BD, de la chanson, des arts plastiques, de la littérature pour la jeunesse et de la
photographie.
50 Avec en moyenne deux numéros par mois, le contenu proposé est donc très fourni pour
une revue qui tente d’occuper non seulement l’horizon de la littérature (prose, poésie,
théâtre), mais qui aborde aussi celui de la bande dessinée, de l’image, du cinéma ou de
la chanson. Sans compter, évidemment, la masse conséquente d’informations contenue
dans les archives des numéros précédents (depuis août 2001).
51 La liste des thèmes figurant dans un numéro donne une idée du foisonnement des
productions14 :
REVUE
Mots... dits : 2004 : Une année comme tant d’autres, par Lise Willar.Point de vue sur l’écriture : Y a-t-il un avenir du roman ? par Marc Alpozzo.Littérature étrangère : Haïkus aux quatre vents, de Jacques Gauthier, par LysetteBrochu.Théâtre : Hedda Gabier, de Henrik Ibsen, par Théothéa.Cinéma : La Chute, d’Olivier Hirschbiegel, par Catherine Raucy.Les revues en revue : Les dernières parutions en revue (14) : (Friches n° 88, Déchargen° 124, Verso n° 119, Gong n°5, La Page blanche n° 33, Traces n° 156), par Jean-PierreLesieur.Bande dessinée : Voir le dossier « Angoulême 2005 » de notre partenaire UniversBD.La Dernière Cigarette, de Nikolavitch et Botta, un article de Didier Pasamonik.Boîte à chansons : « Tortuga » Lo Glasman, par Rob.Dernières nouvelles du site... et d’ailleurs : Contes en jeux, Galerie sur l’expo« Illustration policière », Littératures insulaires, par Jacques Teissier.Anthologie 2004 à l’occasion du Marché de la poésie.
52 À la rubrique « Revue » proprement dite sont aussi associées les deux rubriques
« Théma » et « Textes ». Cette dernière rubrique propose l’accès à la sélection opérée
par les comités de lecture :
TEXTES
Sélection du comité prose du mois de janvier 2005 : quatre nouvelles deDominique Charpentier, Jean-Sébastien Loygue, Christine Simon et Julie Turconi.Sélection du comité poésie du mois de décembre 2004 : douze textes de PhilippeBray, Sylvaine Roussel, Yvon Krob, Charles Colonna-Césari.
53 La rubrique « Théma » regroupe des textes écrits par des auteurs autour d’un sujet
précis, proposé par la responsable de la rubrique, comme « enfances », « liberté » ou
« la fuite », et semble être renouvelée trois à quatre fois par an.
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59
THÉMA
Enfances (décembre 2004)
19 auteurs, 28 textes : Micheline Boland, Lysette Brochu, Guy Chaty, Lionel Courson,Chantal Cudel, Alain Drouillet, Élisabeth Dumont, Michel Escale, Paul Fenouillet,Sylvie Freytag, Grou, Philippe Grün, Lauwers, Michel, Bernard Morens, PhilippeNollet, Philippe Rousseau, Agnès Schnell, Marie-Françoise Vandenberghe, Marie-France Voulot.
Figure 5. Organisation des rubriques de la revue Ecrits...vains ? sur la page d’accueil.
54 Comme le montre la figure 5, les articles critiques, les chroniques et les productions
littéraires publiés par la revue sont aussi accessibles via les trois rubriques générales
« Écriture », « Littérature » et « Culture » dès la page d’accueil. Il est d’ailleurs bien
difficile à première vue de distinguer leurs contenus de celui qui est accessible par un
clic sur l’image principale de la page d’accueil, où figure le numéro courant de la revue.
60
Tableau 4. Organisation des acteurs.
55 À partir du tableau 4 qui récapitule le fonctionnement des deux sites et pose les jalons
principaux de la constitution d’e-critures.org et d’ecrits-vains.com, revenons à présent
sur les étapes qui ont marqué l’évolution des deux dispositifs.
56 À l’aventure personnelle qui caractérise les débuts d’Ecrit…vains ? succède une phase
d’apports successifs de contributions. La revue s’enrichit de contributeurs extérieurs –
à la fois auteurs, lecteurs et critiques – rencontrés dans les forums ou les listes de
discussion littéraires, ou issus de l’entourage des fondateurs. La constitution de l’équipe
éditoriale s’ancre ainsi dans une pratique commune de l’écriture et souligne l’idée que
61
le Web autorise et facilite la démultiplication des rôles. Petit à petit, les fonctions
éditoriales se précisent par distribution de rôles définis où chaque acteur, en retour, se
voit attribuer une responsabilité collective. C’est ainsi, par exemple, qu’Anita
Beldiman-Moore, inscrite à la liste poesie.fr et, par cette voie, en contact avec Marie
Bataille, prend en charge la rubrique « Théma », puis se voit confier par cette dernière
et Jacques Tessier la responsabilité éditoriale de la revue en 2002.
57 La fortune d’E-critures sur le réseau s’enracine elle aussi historiquement dans une série
de trajectoires personnelles, même si le premier dispositif à avoir été mis en place est
une liste de discussion et non un site web. On peut considérer, évidemment, qu’au
regard d’un outil de diffusion comme un site web, la liste de discussion se prête plutôt
aux débats d’une communauté qui cherche avant tout au départ à se recenser.
58 Il s’agit donc d’un groupe de discussion axé sur l’échange de propos ayant trait à la
littérature informatique. Cette première liste de diffusion portée sur le Web dure de
novembre 1999 à décembre 2000. Le dispositif permet très rapidement d’agréger des
contributions diverses et fonctionne comme une sorte de club sélectif puisque les
futurs membres doivent justifier leurs motivations pour en faire partie. On peut y
entrer de différentes façons : en présence, à l’occasion d’événements liés à la
« littérature numérique » ou plus généralement aux « arts numériques »
(performances, installations, festivals, lectures et projections publiques ou simples
réunions), par la sollicitation directe du ou d’un des modérateur(s) à partir du site
Yahoo !, par la cooptation d’un membre de la liste, par le relais d’une médiation
éditoriale (revues imprimées et/ou électroniques, échanges par courrier électronique à
partir de sites d’auteurs, d’autres forums, etc.), par le biais d’une médiation technique
(moteurs de recherche, surf, etc.).
59 Au final, le processus est le même que pour Ecrits...vains ? : la construction sur le réseau
d’un dispositif dédié à l’action collective -de type éditorial dans notre cas -semble
d’abord passer par une accumulation de contributions (posts, documents et textes, mails
ou toute autre forme de traces de l’activité) qui finit par déboucher sur une forme de
territoire social et technique. Dans le cas d’Ecrits...vains ?, il faut remarquer que, dès les
premières années, le mode d’élaboration de la revue fonctionnant par agrégation
permanente de nouveaux contenus éditoriaux, discursifs et iconiques a contribué à
complexifier l’interface. Larrivée régulière de contributeurs extérieurs et l’introduction
de nouvelles rubriques ne sont pas étrangères à la forme complexe du dispositif
présenté en ligne. L’impression de profusion dans les contenus et la structuration du
site s’expliquent en effet par la juxtaposition de couches éditoriales successives.
60 Dans le cas d’E-critures, en cinq ans, le dispositif a connu très distinctement deux
périodes matérialisées par des appellations différentes. D’abord dénommée Ecriordi
avec Éric Sérandour, la liste se mue en E-critures avec Xavier Malbreil qui sera le
premier modérateur d’E-critures jusqu’en février 2003. Julien d’Abrigeon reprend
temporairement ce rôle de février à juin 2003 -il vient de lancer Tapinblabla, un groupe
Yahoo ! sur la poésie. Depuis, BlueScreen modère la liste. Fin 2006, le groupe E-critures
compte plus de cent cinquante membres et plus de quatre mille messages depuis son
lancement. Et l’une de ses principales fonctions reste d’être utilisée par des auteurs
pour présenter des œuvres à la discussion critique. C’est à partir de la liste que sera
discuté puis lancé en 2001 le site web associé (e-critures.org) avec, au départ, son
espace éditorial dédié, puis son « comité de sélection ».
62
61 D’ecrits-vains.com à e-critures.org, on voit donc comment se succèdent, à partir d’une
initiative personnelle, des phases d’agrégation de contenus et de contributions
collectives jusqu’à l’émergence d’un dispositif que l’on peut qualifier d’éditorial.
L'avènement d’un tel outil de régulation collective incarne, en quelque sorte, la
dimension instituée d’une communauté d’acteurs sur le réseau. S’agit-il d’un scénario
type d’évolution sur le Web ? La multiplication d’études longitudinales sur l’histoire de
sites web collectifs ou des outils d’échange ou de partage d’information en ligne (peer to
peer, wiki15) pourrait permettre d’apercevoir des scénarios types d’évolution. Mais il
faudrait aussi, pour cela, mobiliser les archives des différentes versions des dispositifs,
ce qui est encore aujourd’hui loin d’être aisé à l’échelle du réseau.
Hybridation des dispositifs et des pratiques
62 Le principe de la chaîne éditoriale permet de comprendre à quel point les circuits
sociotechniques de l’imprimé peuvent s’associer à ceux mis en place sur le Web. C’est le
cas, par exemple, d’une série d’acteurs participant de près à E-critures qui associent
publications en ligne et revue imprimée. Ainsi le collectif BoXoN édite une revue papier
du même nom (« format A4 de 32 pages photocopiées et remplies sans gaspillage aucun
par son initiateur Gilles Cabut ») et organise aussi par l’intermédiaire de Julien
d’Abrigeon l’édition d’une revue en ligne, T.A.P.I.N. (http://tapin.free.fr/boxon.htm).
63 À l’évidence, les deux communautés se sont créées dans un cercle englobant leurs
activités sur les réseaux. Mais, dans les deux cas, des principes de complémentarité
forte s’exercent entre les activités pratiquées sur et hors du Web. Beaucoup d’e-
crituriens se connaissent par des contacts qui nourrissent la liste de discussion, noués
par exemple lors des « Mardis numériques » déjà évoqués dans le chapitre précédent.
64 L’hybridation des dispositifs sociotechniques d’édition en ligne et hors ligne est ainsi
plus profonde qu’à première vue. Dans le cas d’Ecrits...vains ?, pour commencer, il est
vrai que l’essentiel du dispositif d’édition se déploie sur le Web : chaque mois, la revue
se construit uniquement via le médium numérique. La responsable du site centralise via
Internet les articles et les chroniques des contributeurs extérieurs; les comités de
lecture font la sélection des textes uniquement par listes de diffusion interposées -
autrement dit sans se rencontrer -jusqu’au forum de discussion qui est le vecteur
d’échanges littéraires importants moins formalisés, et presque en marge de la revue
elle-même. En se concentrant sur l’organisation interne du processus éditorial, on
comprend à quel point l’élaboration de chaque numéro génère une intense
correspondance réticulaire, ainsi que des échanges importants de textes, d’articles,
d’œuvres qui sont rationalisés par la création de trois listes de diffusion thématiques et
internes16 Mais, en même temps, les membres d’Ecrits...vains ? ont tissé des liens en
dehors des réseaux (Printemps des poètes, Salon du livre, Salon de la revue, etc.) et la
communauté a développé un partenariat avec la LibrairieGalerie Racine17 qui prend
diverses formes : à la suite d’un concours de poésie organisé dans le cadre du Printemps
des poètes, la publication papier des textes du recueil Visages en 2000 et la publication
du recueil Éros en poésie en 2001 ont été l’occasion de rencontres entre les auteurs de la
Librairie-Galerie Racine et des auteurs publiés par Ecrits...vains (. Récemment, un projet
de publication trimestrielle des meilleures pages de la revue a vu le jour. N’oublions pas
non plus les liens forts qu’entretiennent plusieurs des acteurs du site avec le monde de
l’édition imprimée.
63
65 Il en va de même pour E-critures, quoique dans un contexte différent. E-critures n’a
jamais eu a priori pour objectif la publication imprimée. Bien au contraire, les auteurs
d’E-critures revendiquent une littérature hors livre, une littérature non imprimable
dont la lecture se déroule uniquement sur écran informatique. De plus, la liste de
discussion E-critures est orientée vers la communication entre acteurs de « littérature
informatique » et cherche à récolter l’écho des pairs; son objectif premier n’est donc
pas de se confronter à la critique des intermédiaires éditoriaux traditionnels. Mais, là
aussi, des liens forts hors réseau ont été noués : les Mardis numériques ont aidé par
exemple Jacques Tramu à bâtir une association autour de son wiki echolaliste18;Les
trajectoires personnelles de certains membres d’E-critures contribuent également à
nourrir le principe d’hybridation : dans sa présentation, Lucie de Boutiny précise que,
dès l’apparition d’Internet en France, elle a utilisé le Web comme un instrument de
diffusion de ses nouvelles éditées. Même si, par ailleurs, elle signale que le Web
l’intéresse surtout comme un outil de création, elle rappelle aussi que son intérêt
croissant pour
« l’émergence de nouvelles littératures électroniques » n’est pas exclusif puisqu’ellecontinue à publier « en format papier des fictions courtes, une vingtaine au total àce jour, et N’IMPORTAWAQUE, un roman aux éditions Fleuve Noir ».(Message du 24 novembre 1999.)
66 Nombre d’auteurs mènent ainsi en parallèle des expérimentations liées au support
numérique et à ses modes de diffusion et de publication, et une carrière éditoriale bien
inscrite dans la tradition imprimée.
Diversité des modèles éditoriaux
67 Les trois phases (production, évaluation, publication) que traverse un produit pour se
transformer en « œuvre » impliquent une distribution des tâches éditoriales entre un
ou des acteurs, une circulation des produits et un espace de diffusion pour les rendre
publics. Ce polissage des œuvres par circulation n’est donc pas séparable des cadres
sociaux (acteurs et communautés), techniques (dispositifs matériels) ou critiques
(théories, arguments) qui fondent la valeur du travail éditorial, et sa relativité. Les
différentes manières dont le dispositif E-critures (liste + site) et celui d’Ecrits...vains ?
assurent ce type de fonction sur le Web nous permettent de profiler des modèles
émergents.
68 Le premier constat concerne la pluralité des circulations possibles des textes et des
espaces de publication sur le Web. Dans un premier temps, l’ensemble des rouages du
processus éditorial classique de sélection des textes apparaît nettement sur ecrits-
vains.com. Les textes soumis par les auteurs sont catalogués, anonymisés et
redistribués à l’un des deux comités de lecture en fonction de son genre (prose ou
poésie). Ils sont lus puis jugés par chacun des membres et font l’objet d’un vote qui
détermine la sélection de chaque quinzaine. L’auteur reçoit une réponse globale
motivée et émaillée des commentaires que les membres des comités de lecture sont
obligés d’émettre sur chaque texte lu. La hiérarchisation de la distribution des tâches
autour de la sélection des textes et de l’alimentation des rubriques est significative du
caractère centralisé de ce dispositif à emboîtement, chapeauté par un comité de
rédaction.
64
69 Cependant, la rubrique « Théma » et un forum viennent apporter un début de
diversification à ce schéma traditionnel d’édition. Alimentée par un choix directement
opéré par sa responsable Anita Beldiman-Moore, la rubrique propose en effet aux
lecteurs de la revue et visiteurs du site l’écriture de textes à partir d’un thème, à un
rythme trimestriel. La responsable de la rubrique effectue une sélection parmi les
propositions reçues et les publie dans la revue dans le délai d’un à trois mois. Selon un
principe éditorial identique à celui des comités de lecture, elle envoie des
commentaires précis aux auteurs de textes refusés. Si la rubrique « Théma » constitue
une première alternative au processus éditorial classique de soumission aux comités de
lecture puisque la sélection est ici réalisée par un chef de rubrique à partir d’un « appel
d’offres », la rubrique « Vos textes » du forum en est une seconde.
70 Décliné en de multiples rubriques19, le forum n’avait pas pour vocation à l’origine de
recevoir des textes poétiques ou littéraires. De fait, cependant, il a été rapidement et
massivement investi par un public de lecteurs et de participants soucieux d’obtenir un
écho immédiat de sa production, obligeant les responsables à créer une nouvelle
rubrique destinée à les recueillir20 Cette possibilité pour les acteurs d’Ecrits...vains ? de
faire connaître leurs textes sur le forum, sans filtre ni sélection d’un tiers, et d’en
recevoir des commentaires en provenance de leurs pairs est significative de
l’orientation actuelle prise actuellement par le Web21 Nous pouvons assimiler ces
pratiques à de l’édition, dans la mesure où le texte proposé peut subir des modifications
destinées à son amélioration; cependant, nous ne pouvons pas l’assimiler à de la
« publication » puisque aucune mise en forme spécifique n’intervient à ce stade.
Tableau 5. Répartition des messages postés sur les rubriques du forum d’ecrits-vains.com jusqu’en2005.
71 L’originalité du dispositif que constitue ecrits-vains.com réside dans la gestion
diversifiée de ses espaces de publication. Il faut noter encore une fois que ces
différences correspondent à des pratiques et à des demandes différentes de la part des
auteurs, mais que l’ensemble du dispositif éditorial, qui inclut donc la revue et le site,
demeure bien encadré.
72 Dans le dispositif distribué d’E-critures, on a du mal, en revanche, à saisir un cadre
éditorial unique que se seraient donné les e-crituriens. En effet, les trajets possibles
d’édition et de publication y sont multiples et hétérogènes, remettant même en
question les pratiques éditoriales classiques. Un auteur peut demander à faire
référencer ses « œuvres » sur le site e-critures.org sans être inscrit sur la liste de
discussion : un membre du comité de lecture peut (in)valider cette action sans avoir
besoin de le justifier ni à l’auteur ni aux autres membres. De la même manière, un
inscrit de la liste peut provoquer une discussion sur une de ses œuvres sans avoir été
« labellisé » par le site web.
73 La raison essentielle pour laquelle il n’existe pas de lieu commun de publication tient
au fait que pratiquement tous les membres d’E-critures ont choisi l’autopublication; les
65
acteurs d’E-critures possèdent leurs propres espaces individuels ou collectifs de
monstration d’œuvres, à la différence des acteurs d’Ecrits...vains ?
74 La quête d’une forme éditoriale stable chez les e-crituriens marque cependant
fortement les échanges entre les membres de la communauté sur la liste de discussion,
et les projets ont été nombreux, non pour rassembler uniquement des productions,
mais pour leur construire un cadre d’où elles font « collection » :
« Que représente E-critures ?1 – Un collectif informel ? Auquel cas il est difficile de l’envisager commeinterlocuteur.2 – Un collectif qui se dit informel mais est malgré tout représenté par quelquespersonnes ? Auquel cas les cartes sont biaisées et l’adhésion devient loin d’êtreévidente.3 – Un collectif qui s’assume ? Auquel cas il n’attend rien des autres et il ne compteque sur lui-même pour avancer. Personnellement, je pense que cette liste doitrester dans la première catégorie, aussi il me semble important que le modérateurchange régulièrement (disons chaque année) et que cette liste ne soit affiliée àaucun site. En revanche, le site E-critures gagnerait à passer dans la troisièmecatégorie »(Message du 7 octobre 2002.)
75 Cette remarque d’Éric Sérandour dans un fil de messages concernant la refonte du site
web d’E-critures illustre le principe de cette quête d’une forme d’organisation entre les
acteurs de la communauté sur laquelle pourraient s’adosser des pratiques, considérées
d’emblée comme hétérogènes. L’option adoptée d’un « collectif informel » sauvegarde,
certes, un « espace de liberté » assurant une garantie d’égalité dans la distribution de la
parole à tous. Mais elle ne constitue par pour autant ce cadre éditorial d’où émergent
des productions dont on aura explicité la spécificité, identifié les points communs,
assuré théoriquement l’articulation et situé l’originalité parmi les biens culturels
disponibles en ligne. C’est pourquoi, plus qu’au rabotage exercé par le circuit éditorial
d’Ecrits...vains ?, E-critures renvoie plutôt au principe d’agglomération d’œuvres et de
productions dont les points communs semblent se concentrer sur la question du
support numérique, malgré une diversité parfois désorientante pour un néophyte.
Faire revue
76 Pourtant, les tentatives pour dépasser les simples discussions sur les œuvres et créer un
réel outil de promotion reconnu par la sphère culturelle ont été régulières au sein du
groupe E-critures. Le « faire revue » s’affirme comme un objectif régulièrement relancé
tout au long de l’expérience du groupe et cette volonté qui s’exprime de manière
individuelle, quelquefois « à deux » ou « à trois », se laisse observer dès les premiers
messages des membres. C’est ainsi qu’à peine le groupe de discussion lancé, Éric
Sérandour, le fondateur, lance un « appel à contribution » :
« Appel à contribution. Lit&ratique : autre revue, autre concept. Lit&ratique est unerevue de poésie informatique à l’état de projet. Elle envisage l’écran comme unesurface de rencontre entre des œuvres traditionnelles non programmées proposéespar des poètes ou artistes (vous ?) et un programmeur (moi). Les travaux envoyéspourront être soumis à rude épreuve et ne seront pas tous utilisés. En devenant"ingénieur" de mes propres lectures, je souhaite contribuer au renversement de lanotion d’auteur par celle de lecteur averti »(Message du 11 novembre 1999.)
66
77 Hormis les conséquences théoriques indiscutables de la démarche, on s’aperçoit ici du
rôle majeur que peut jouer une sorte d’ingénierie de la transformation de la production
littéraire ou artistique, elle-même largement rendue possible (voire suscitée) par les
supports numériques (transformation ou œuvre « en mouvement » sous l’angle de
l’editing des différentes versions jamais achevées) et la technologie du réseau ouvert
(écriture collective, collaborative, distribuée). Éric Sérandour propose ici plus qu’une
« simple revue », un « autre concept » en se focalisant sur la (re)programmation des
œuvres dites « de surface ».
78 Qu’un auteur fonde une revue n’est pas étonnant en soi. C’est souvent même le signe de
l’émergence d’un courant, d’un mouvement d’auteurs qui, à un moment donné, se sont
regroupés et ont décidé de « faire date » en s’imposant à travers un recueil de formes
littéraires ou artistiques et d’éventuels articles critiques, comme mouvement littéraire
ou comme avant-garde. Mais l’auteur-éditeur n’hésite pas à indiquer que sa propre
lecture des œuvres soumises sera modifiante, en s’inscrivant explicitement dans un
courant de« renversement de la notion d’auteur ». L’édition, ici, n’est plus polissage
mais re-création, avec tous les dangers que d’autres acteurs de la communauté peuvent
lui supposer à titre de ré-appropriation personnelle du produit. Les tentatives de ce
type ont été nombreuses : citons Gérard Dalmon qui pousse l’expérience jusqu’à
proposer à des tiers de modifier son propre site de poésie en leur communiquant les
codes d’accès techniques.
79 Mais le principe d’une revue en ligne aux allures de publication plus classique, dédiée
aux différentes formes de la « scripture informatique » (selon l’expression de Philippe
Bootz) séduit aussi les e-crituriens, dont Xavier Malbreil :
« Ah oui, cela me semble une bonne idée, il faudrait y réfléchir. Ce qui m’auraitaussi paru intéressant, c’est de s’organiser pour donner une périodicité à une partiedu site. Faire une partie magazine qui se renouvellerait toutes les x semaines, parexemple. Quoi de mieux pour faire vivre un site que de proposer le numéro du mois,les archives, etc. [...] Un peu comme nos amis québécois de la revue Archée, avec desarticles payés, mais peut-être plus orientés vers des problèmes d’esthétique »Message du 7 juin 2002.)
80 Alors que la nouvelle version du site e-critures.org est sur le point d’être mise en ligne,
Gérard Dalmon propose de s’occuper d’une revue imprimable, dans un message adressé
au comité de lecture :
« L’idée d’une revue “designée” avec du texte, illustration... me séduit beaucoup. Jesuggère que cette revue soit en format PDF. Je suis prêt à m’occuper de sa
réalisation. Ce serait une revue en ligne qui pourrait être imprimée par le lecteur.La page de couverture remplacerait l’illustration de la section E-critures. Elle seraitainsi toujours visible à un visiteur du site. Le côté gauche de l’écran serait une listechrono des anciens numéros. Pas besoin de PHP pour gérer cette liste. Trouvons un
titre pour la revue et le contenu du premier numéro »(Message du 19 novembre 2003.)
81 Cette démarche permettrait d’assurer une certaine régularité de sélection et de
diffusion d’œuvres filtrées sur des critères en partie reconnus, d’imprimer une forme
fixe de référence (quitte à utiliser le « PDF22 »), de constituer des archives comme
mémoire d’un champ de pratiques. Reste à savoir quels cadres éditoriaux se fixeront les
acteurs, autrement dit comment initier le processus de soumission des œuvres et
organiser des productions dont l’édition devrait manifester les caractères spécifiques et
originaux.
67
82 C’est en octobre 2002 qu’est lancé le projet de revue électronique le plus abouti avec
« Si loin, si proche » autour d’un appel à création initié par Xavier Malbreil. Les
réponses sont nombreuses et hétérogènes tant du point de vue de leur format
technique que de leur contenu : images animées, filmées, dispositifs
communicationnels d’observation à distance par webcams interposées, sites web, objets
informatiques sur CD-Rom. Peu de réponses concernent le seul texte littéraire
informatique; celui-ci, lorsqu’il est présent, est hybridé avec d’autres médias. Bien
qu’ayant collecté et trié un nombre considérable d’œuvres, l’initiative éditoriale, faute
de réglages fins de la structuration du contenu et en raison de la faiblesse d’un « comité
de rédaction » bâti dans l’improvisation, tourne court. On peut donc dire que si le
projet de « faire revue » a parfaitement fonctionné dans la communauté, le point
d’achoppement en a été l’édition. En fait, dans la version d’ecritures.org mise en ligne,
un espace « Revue » a subsisté pendant plusieurs mois jusqu’à ce qu’il soit remplacé par
un blog dont l’utilisation a rapidement tourné court.
83 On peut invoquer de nombreuses raisons pour expliquer cet échec relatif, mais il faut
reconnaître qu’ont souvent fait défaut ce temps et cet espace dédiés à l’organisation
sociotechnique d’un processus éditorial, fondé notamment sur la délimitation des
frontières de l’œuvre et d’un champ de production identifié et reconnu. Ce sont ces
cadres, a contrario, qui rendent possible la constitution d’archives comme c’est le cas sur
ecrits-vains.com. On peut y consulter un répertoire des auteurs publiés, une
« librairie » donnant accès à tous les textes. Ecrits-vains.com met ainsi à la disposition
des lecteurs sur une page spéciale l’ensemble des textes parus et des œuvres dans leur
intégralité (poésie, nouvelles, romans, théâtre, contes, essais). Éditer des productions,
éventuellement « faire revue » régulièrement, suppose que soit rassemblée de façon
critique une collection, par intégration raisonnée (par genres, par exemple, comme sur
ecrits-vains.com), et qu’elle soit publiée.
84 Avec e-critures.org, on est plutôt du côté de la juxtaposition (que de l’intégration), de la
diffusion (que de la publication), de l’accès (que de la sélection). Parmi les arguments
que l’on peut invoquer pour expliquer cet état de fait, il est indéniable que les pratiques
modifiantes des œuvres, effectivement réalisées ou simplement affichées à titre
théorique, n’aident pas à inscrire certaines œuvres électroniques dans des cadres à
partir desquels on peut les saisir de façon stable, figées en quelque sorte à l’état de
produit circonscrit.
85 Il est cependant vrai que permettre l’agrégation de ressources en ligne n’est pas « faire
collection » – travail qui réclame que soient capitalisés des produits ou des œuvres
selon un ou plusieurs points de vue. Et certains e-crituriens ne manquent pas de
rappeler sur la liste leurs réticences à voir les œuvres « filtrées » par des évaluateurs,
comme ici Xavier Malbreil, de façon très directe :
« Quand on a suivi la trajectoire d’un livre avant l’édition, on pourrait la comparer àune castration, ou un limage d’ongles, jusqu’à faire du guépard un agneau, du boucun mulet »« C’est ce qui fait pour moi tout le prix de la littérature sur le Net : parfois elle puede la gueule, mais au moins elle sent quelque chose ! »(Message du 24 octobre 2002.)
86 La communauté des e-crituriens a donc cherché davantage à construire un ou des lieux
d’où saisir l’activité de création qu’à anticiper sur d’autres étapes de l’édition comme
l’évaluation (ce qui supposerait l’explicitation de critères difficiles à établir de façon
consensuelle) ou la publication (ce qui supposerait un territoire artistique marqué avec
68
ses frontières de genres, par exemple). C’est là tout le projet du site e-critures.org, tel
qu’il a été longuement discuté sur la liste de discussion : proposer l’ouverture d’un
« espace » sur le réseau pour accueillir des formes variées de production électronique :
« Peut-être vous rappelez-vous qu’en juillet dernier je proposais de mettrerapidement en place un site ouvert à chacun. J’avais sous-estimé le temps que jepourrais consacrer à ce projet. Je viens de terminer de bâtir ce site qui peut doncfonctionner dès aujourd’hui. Ce site a pour vocation de fournir à chacun un lieu decréation dont le contenu n’est pas a priori défini. Il n’est donc pas littéraire oupoétique, même si la littérature pourrait y apparaître. C’est au départ un espacevide dont le contenu et la forme changeront en fonction des pratiques de chacun.Ces pratiques ne sont pas statiques, il ne s’agit pas de montrer aux autres son“œuvre”. Au contraire ces pratiques sont interactives : on abandonne un morceaude son “œuvre”, à d’autres d’y œuvrer et ainsi de suite. C’est donc un espaceutopique : Un Ouvroir de Liens Potentiels. L’adresse du site est http://www.neogejo.com »(Message du 21 octobre 2000.)
87 Le message de Gérard Dalmon annonce un objectif et résume une philosophie
largement partagée par les membres de la liste E-critures : invitation à coloniser un lieu,
vide a priori de tout contenu, s’alimentant des pratiques de chacun et des interactions
entre tous, hybridant en quelque sorte création et édition, et mêlant dans la même
figure auteur et lecteur en pariant sur le développement de relations transversales
entre les pairs. La production est d’abord mouvement (aspect non figé), interaction
(collective) et sans « contenu défini » (éventuellement littéraire).
88 Ce projet original d’édition s’est pourtant transformé au cours du temps avec la
deuxième version du site d’E-critures publiée en 2002. Il s’agissait d’un véritable
changement d’orientation éditoriale puisque s’offrait à tous la possibilité de s’inscrire
dans l’objectif d’autoréférencer des œuvres publiées ou autopubliées par ailleurs.
Cependant, bien qu’assujettie à une procédure de filtrage, l’ouverture de cet espace
d’auto référencement a provoqué sur le site un afflux de nouveaux « adhérents », qui
ne s’inscrivaient pas obligatoirement sur la liste de discussion. Du reste, les œuvres
inscrites automatiquement ne sont que très rarement commentées, en tant que telles,
par le groupe de discussion. Celui-ci continue de fonctionner selon son principe
premier : les auteurs proposent eux-mêmes leurs œuvres à la critique.
89 L’indétermination de ce que l’on peut appeler « œuvre électronique » (plastique et/ou
littéraire) pèse sur un espace qui n’a pas trouvé ses marques autrement que comme
dispositif de regroupement. Bien que ses fonctions soient restées floues et le processus
de sélection des œuvres peu explicité (leur référencement peut donc être refusé sans
justification), le principe d’œuvres approuvées par un comité de lecture a quasiment
disparu.
90 Il n’est pas anodin, non plus, de constater la diversité des « courants » auxquels se
rattachent les différents animateurs de la liste, dessinant ainsi déjà la diversité du
champ de la littérature numérique : Éric Sérandour propose au téléchargement des
œuvres-programmes multimédias s’exécutant sur l’ordinateur de ses lecteurs, Xavier
Malbreil autoédite des œuvres narratives hypertextuelles lisibles en ligne, Julien
d’Abrigeon est un représentant de la poésie sonore dont la pratique informatique vient
compléter et transformer les performances publiques, enfin le Net art de BlueScreen
consiste à détourner de manière créative les caractéristiques techniques
communicationnelles du réseau informatique. De la déstabilisation provoquée par le
mélange du code informatique avec la symbolique des images et des textes aux pièces
69
poétiques sonores, s’ouvre un éventail parfois difficile à synthétiser tant l’« œuvre
électronique » semble échapper aux définitions explicites, ce qu’auraient manifesté
assurément des cadres sociotechniques d’édition élaborés.
Autopublication de « revues »
91 Les entretiens ont montré que les auteurs d’Ecrits...vains ? étaient globalement assez peu
intéressés par les dispositifs techniques de publication et, bien souvent, n’avaient pas
manifesté l’envie d’acquérir la culture informatique nécessaire à la construction d’un
site personnel -bien que des dispositifs d’aide à la publication comme les CMS23
(auxquels les blogs appartiennent) facilitent actuellement, d’une certaine façon, les
procédures. Ils préfèrent en effet découvrir des sites littéraires, intervenir dans des
forums et proposer leurs textes à des revues ou à des sites collectifs. « Je ne suis pas un
internaute, et je ne pense pas que je le deviendrai », dit cet auteur plusieurs fois publié
par Ecrits…vains ? et qui limite son utilisation d’Internet à la visite régulière de certains
sites poétiques, à celui du Loto et au courrier électronique. Le besoin de légitimation et
de reconnaissance en tant qu’auteur se focalise par conséquent davantage sur
l’assentiment des pairs via un processus éditorial que sur des autopublications
successives. On retrouve ici encore la persistance d’une culture éditoriale fondée sur le
caractère sélectif d’un comité de lecture, l’autopublication électronique favorisant
moins la légitimation que la visibilité.
92 Sous le terme « autopublication », nous entendons la mise en forme, par l’auteur
individuel ou collectif, d’un contenu (ici multimédia) dans l’espace électronique du
Web. Il s’agit donc véritablement d’un modelage technico-communicationnel unique
dont l’objectif est double : « faire œuvre » et être diffusé sur le réseau. En cela, produire
un contenu sur une plate-forme de publication logicielle24 n’est pas assimilable à de
l’autopublication puisque le dispositif est préexistant au texte ou à l’œuvre; il s’agit
plutôt d’une sorte d’autoédition.
93 La hiérarchisation de l’accès aux espaces de publication caractéristique d’une
organisation éditoriale classique s’observe donc sur E-critures de manière différente. En
effet, chaque auteur d’E-critures s’autopublie sur un espace indépendant du dispositif de
discussion-référencement à partir duquel il va s’exprimer et tenter de faire connaître
ses œuvres.
94 Ainsi, pour être précis quant à la distribution des rôles chez les acteurs, il faut
distinguer entre auteur autopublié, auteur-éditeur et éditeur-auteur, sans oublier
l’auteur édité sur papier. Si un auteur autopublié est celui qui fabrique un dispositif de
publication seul sur le Web, un auteur-éditeur est celui qui ouvre son espace
d’autopublication à d’autres individus ou collectifs, et un éditeur-auteur est celui qui
publie une revue dans laquelle il effectue des travaux d’édition (évaluation des textes
puis préparation pour la publication) tout en y prenant place en tant qu’auteur. Si l’on
prend en compte l’« édition » de l’auteur au sens plus classique, on comprend comment
se déclinent différents modèles éditoriaux dont la diversité paraît caractéristique du
Web. Il ne s’agit donc plus d’opposer « autoédition » et « édition » mais de les envisager
comme les deux pôles extrêmes d’une échelle par où se trouvent institués
collectivement les cadres sociaux, techniques et théoriques qui fondent un genre
artistique, une pratique reconnaissable et d’où il est alors possible de « faire revue » ou
de circonscrire une « collection ».
70
95 Si l’on tient compte du principe d’hybridation de supports imprimés et numériques et
de celui de la mixité des modèles éditoriaux, il devient alors possible de rendre plus
finement compte de la situation réelle de nombreux acteurs d’E-critures quant aux
statuts des projets de « revues » et des pratiques éditoriales (tableau « Types et acteurs
des revues »).
Tableau 6. Types et acteurs des revues.
96 Il faut ici reconnaître une situation classique du monde littéraire où nombre d’auteurs
ont fondé des revues qui sont un moyen pour eux de se regrouper, de construire sur le
Web des espaces d’expression mettant en commun des œuvres et des écrits. Un réseau
dense et discret de relations par petits groupes se crée, et parfois se recompose au
cours du temps. C’est cette dynamique que concrétise un ensemble de projets
éditoriaux, plus ou moins pérennes, mais qui constituent autant de « cadres »
émergents. Complémentarité imprimé-numérique, diversité des modèles éditoriaux, et
maintenant constitution de microréseaux multiples : il se joue donc plus, et autre
chose, autour d’e-critures.org qu’un simple principe d’« autoréférencement ». Cela
explique, entre autres, le soin apporté à la publication des sites personnels, présentés
pour certains comme partie de leur production artistique. Si l’on considère non
seulement le site e-critures.org mais aussi le riche réseau de relations entre les
différents sites qui y sont rattachés ainsi que leurs acteurs (et le fait, par exemple, qu’ils
puissent être partagés à plusieurs), il émerge un contexte ou un environnement qui
dépasse le principe d’amalgame d’espaces puisque chacun, à sa façon, se rend visible et
accessible aux autres. Et c’est là, peut-être, le rôle essentiel d’e-critures.org : recenser
mais aussi rendre sensible sur le Web ce contexte riche de création d’œuvres
numériques.
97 On ne peut dissimuler par conséquent le contraste entre nos deux sites en termes
d’organisation éditoriale, à tel point qu’il peut paraître abusif de parler d’« édition »
dans le cas d’e-critures.org tant le principe du site ouvert à l’autoréférencement des
œuvres, de l’autopublication des projets ou des auteurs masque le travail d’évaluation
se déroulant a posteriori. En effet, lorsque l’œuvre autoréférencée par un auteur inconnu
attire l’attention, elle est mentionnée dans les propos des acteurs d’E-critures et la règle
adoptée de manière tacite qui structure les messages les plus nombreux repose sur la
soumission à la discussion des œuvres autopubliées. On assiste bien à un renversement
du modèle d’édition puisqu’il n’est plus question de « filtrer puis publier », mais bien de
« publier puis filtrer » et donc de corriger et d’améliorer. Ce modèle de publication est
en outre amplifié par la médiatisation exercée par les moteurs d’indexation du Web.
71
98 Cette attitude d’auto publication suppose des actes d’engagement et de médiatisation
sur les différents supports de connexion et de communication fournis par le réseau.
Ainsi, des auteurs comme Julien d’Abrigeon soulignent la nécessité pour les auteurs
autopubliés en ligne de s’engager dans des sites collectifs où ils auront plus de chances
de se faire connaître ou re-connaître :
« Mais le pb reste le même que ds l’édition... un site perso-perso est aussi visible oupresque (proportionnellement) qu’une autoédition... d’où l’importance des sitescollectifs comme E-critures... »(Message du Il janvier 2003.)
99 La liste de discussion a également servi de tremplin pour la constitution de « sous-
groupes » qui deviennent rapidement des groupes à part entière, comme Transitoire
observable ou Tapinblabla, dont l’activité ressemble à celle de mouvements artistiques.
Lannonce de la création de Transitoire observable a lieu sur la liste elle-même, dans un
message de Philippe Bootz :
« Alexandre, Tibor et moi sommes en train de mettre en place un nouveau “groupe”avant-ou-pas-garde, de réflexion-production, expérimental-ou-pas, enfin quelque-chose qui se veut un pavé dans la marre consensuelle. Notre position consiste àaffirmer que la littérature électronique n’est pas, fondamentalement, unelittérature de l’écran mais avant tout une aventure (ou un ensemble de démarches)programmatique littéraire dont le statut remet profondément en cause la notiond’objet textuel héritée des siècles passés. [...] Le nom du groupe n’est pasdéfinitivement arrêté. Il tourne pour l’heure autour de l’expression “transitoireobservable” »(Message du 11 janvier 2003.)
100 Tapinblabla est de la même façon annoncée à E-critures par son promoteur, Julien
d’Abrigeon :
« J’ai lancé une autre liste de discussion, sur la poésie contemporaine en général :Tapinblabla. Si ça en intéresse certains tout est expliqué dans la section “Contacts”de Tapin (on est déjà 60 dont pas mal de poètes présents sur Tapin ... dont une vieilleconnaissance d’E-critures...) »(Message du 2 juin 2003.)
101 Le Web n’échappe donc pas aux principes de l’organisation éditoriale comme dispositif
sociotechnique : il a une forme, et pas seulement technique et/ou de « contenu ». S’il
peut ainsi apparaître dans un premier temps comme un espace massivement « ouvert »
aux pratiques de diffusion, il se révèle aussi comme un vaste atelier de construction, de
comparaison et de discussion autour des œuvres, susceptible en outre d’abriter de
nombreux modèles éditoriaux. On pourrait aussi parler d’un « environnement
éditorial », tant cette diversité semble aussi à l’œuvre dans d’autres domaines (comme
l’édition scientifique, par exemple). Considérer le Web comme un « atelier éditorial »
permet alors d’interpréter l’histoire de la liste et du site E-critures autrement que
comme un échec à faire émerger une véritable édition d’œuvres numériques, et à y voir
plutôt un champ expérimental riche de projets éditoriaux. Aboutis ou non, pérennes ou
non, ils auront constitué la vie du groupe à bien des égards.
Positions et trajectoires d’auteurs
102 Cheville ouvrière des deux dispositifs, l’acteur qui justifie l’existence d’E-critures et
d’Ecrits...vains ? est bien l’auteur à de multiples degrés : un auteur réticulaire qui
72
distribue sa responsabilité entre la fabrication des créations, leur présentation, leur
justification et leur circulation.
103 Comment par ces deux dispositifs passe-t-on de l’état de scripteur à celui d’auteur ?
Rappelons que la fonction auteur telle qu’elle perdure aujourd’hui, focalisée sur
l’individu, apparaît avec l’édition imprimée au XVIIIe siècle. Elle reste indissociable des
techniques de reproduction et de diffusion des œuvres, tout en se diversifiant selon les
catégories de discours, de textes et de types de production. Mais qu’en est-il lorsque
cette production est publiée sur support électronique ? Nous admettrons qu’un auteur
appartenant à ces galaxies littéraires -qui ne s’identifie pas systématiquement comme
écrivain ou artiste -revendique en tout cas une production esthétique comme étant
celle d’une création dont le caractère sémiotique est à même de varier (création
textuelle, iconique, sonore, etc.).
104 Nous chercherons ici à déterminer l’influence du mode de publication choisi et le rôle
des dispositifs technico-communicationnels dans la construction identitaire de l’auteur
et sa reconnaissance. La fonction auctoriale sera abordée du point de vue de la
construction individuelle du créateur en tant qu’auteur, de son positionnement au sein
d’une famille d’appartenance et des influences que subit en retour sa production. Car,
comme le soulignait Michel Foucault25, la fonction auteur c’est aussi le traitement que
l’on fait subir au texte, la série d’opérations spécifiques et complexes qui va produire
l’œuvre ou le texte; et c’est cette spécificité de l’écriture sur support électronique qui
est justement revendiquée par E-critures. Par ailleurs, la fonction auteur ne renvoie pas
simplement à un individu réel, à l’attribution d’un texte à un individu, mais à la
fragmentation de son identité en plusieurs ego, plusieurs positions-sujets qui peuvent
évoluer au sein d’une vie ou d’une œuvre. Et cette scission entre auteur réel et figures
imaginées prend sur le réseau une tonalité particulière.
« Devenir auteur »
105 Dans le cas d’Ecrits...vains ?, le processus d’amélioration d’un texte (qui peut passer par
une publication sur le forum, ou dans la rubrique « Théma ») conduit celui-ci à une
forme stabilisée et publiée dans une des rubriques du site. C’est précisément ce choix
de publication par l’éditeur qui fabrique ici l’auteur en tant qu’acteur majeur de la
fonction éditoriale. Reconnu par le système comme une de ses parties susceptibles de
contribuer à renforcer le « faire autorité » de la fonction éditoriale, le scripteur devenu
auteur peut être appelé à rejoindre les comités de lecture « prose » et « poésie »
d’Ecrits...vains ?
106 Qu’est-ce qui différencie un acteur d’E-critures d’un acteur d’Ecrits...vains ? dans le
parcours qui le mènera à sa reconnaissance en tant qu’auteur au sein de sa
communauté ? Nous avons vu qu’une première réponse se trouvait dans le dispositif
éditorial mis en place par Ecrits...vains ?, qui s’oppose à la profusion de sites de
publication personnelle des membres d’E-critures. Cette différence nous permet de faire
la distinction entre deux fonctions différentes attribuées aux dispositifs : tandis que les
premiers cherchent un lectorat par l’intermédiaire d’un processus de sélection des
textes, les seconds ont pour objectif de s’insérer dans une communauté de pratiques,
un réseau de créateurs, un cercle d’initiés à la littérature numérique.
107 Les premiers seront donc attentifs aux processus d’édition leur permettant d’améliorer
des textes, tandis que les seconds seront exigeants quant aux prises de position
73
théoriques sur les œuvres, la visibilité des créations publiées sur le Web, leur lisibilité,
leur maniabilité et leur « jouabilité ». Les premiers auront tendance à privilégier les
soins apportés au texte linguistique, tandis que les seconds accorderont la préférence
aux formes technico-communicationnelles prises par l’inscription du texte sur les
supports numériques.
108 Dans le cas du groupe de discussion E-critures, un créateur qui se présente aux autres
membres peut se positionner de deux façons différentes : soit en proposant un travail
de création de façon à se faire reconnaître par le groupe (« devenir auteur »), soit en
affirmant une position d’auteur déjà instituée dans un autre cadre (« faire autorité »).
On peut ainsi distinguer l’auteur se construisant à l’aide du groupe de discussion de
l’auteur venant renforcer son autorité.
109 Ainsi, Nicolas Baudouin propose aux e-crituriens de découvrir son travail :
« Ayant récemment rejoint votre groupe, je me permets de me présenter en vousprésentant mon travail sur le site http://perso.wanadoo.fr/nicolas.baudouin »(Message du 7 mai 2005.)
110 D’autres, à l’inverse, reconnus par ailleurs, viennent sur la liste pour signaler leurs
propres revues en ligne :
« Postillons est une revue perpétuelle numérique qui soutient les formes courtes etincisives : brèves, aphorismes, poèmes, miettes, friandises conceptuelles,injonctions, micro-manifestes, mini-entretiens, nano-essais, post-it expérimentaux,collages et citations, etc., guidée par une exigence d’originalité, de qualité etd’impertinence »(Message de Benoît Pereira Da Silva du 17 octobre 2003.)
111 Ils peuvent également chercher à faire valoir leurs démarches ainsi que leurs positions
artistiques et théoriques, traduisant leur « autorité » au sein de l’espace de la création
numérique et littéraire :
« Il faut à l’auteur un peu plus de générosité à l’égard de son lecteur, que celle quiconsiste à dire “j’ai travaillé le texte, et voilà où est ma légitimité, et si vous necomprenez pas que vous devez vous limiter à cette approche superficielle, c’est quevous êtes idiot”. Je crois qu’il faut en finir avec cette vision archaïque qui nereprésente plus rien du tout dans le domaine des e-critures et du Net art »(Message de Claire Garcia du 26 janvier 2004.)
Nouvelles figures d’auteurs
112 Devenir auteur sur E-critures, c’est se reconnaître dans des pratiques d’écriture
spécifiques. L’étude des premiers messages de la liste montre que les auteurs
proviennent en majorité de la nébuleuse poétique mais qu’ils ont souvent quitté les
pratiques « papier » pour s’exercer sur d’autres médias : voix de la poésie sonore,
présence corporelle de la poésie performance, poésie vidéo et poésie visuelle.
L’animation du texte, rendue possible par la programmation informatique, contribue
au fait que, depuis plus de vingt ans, des auteurs revendiquent une pratique poétique
de l’informatique. Même si celle-ci n’est pas toujours consciente, comme le signale
Annie Abrahams :
« J’ai commencé à travailler sur le Web il y a deux ans. Ce sont des poètesanglophones (Miekal And, Ted Warner, Reiner Strasser) qui m’ont fait comprendreque ce que je faisais était considéré comme de la poésie visuelle »(Message du 17 novembre 1999.)
74
113 Philippe Bootz rappelle volontiers qu’il programmait « à la main » ses textes, et ce bien
avant l’arrivée du micro-ordinateur :
« Je réalise des textes programmes depuis 1978 (à titre de comparaison, l’inventiondu PC date de 1981) mais j’ai également réalisé des textes visuels et des installations,
notamment avec lasers. Certaines d’entre elles l’ont été avec Jean-Marie Durey,compagnon de création depuis longtemps. Ma rencontre avec Tibor Papp en 1987 apermis de fédérer les auteurs (à l’exception de Claude Faure) qui venaient deréaliser les premiers poèmes sonores ou visuels sur ordinateur au sein de LAIRE :
Tibor Papp, Frederic Develay, Durey, Claude Maillard et moi-même. Cette équipe acréé alire en 1989. J’ai programmé beaucoup de choses dans la revue (en ce quiconcerne le standard PC) et j’en suis l’éditeur (dans le cadre de “Mots Voir”) depuis
1994 »(Message du 20 novembre 1999.)
114 On voit ainsi émerger une nouvelle figure d’auteur, celle de l’auteur-programmeur doté
de compétences qui ne sont pas celles attendues traditionnellement d’un écrivain. Le
travail de programmation exige en effet des qualités spécifiques et, s’il faut se garder de
conclure qu’il est réservé aux férus de logique, il faut cependant constater que les
premiers à créer et à s’emparer d’E-critures sont issus des sciences : Annie Abrahams est
docteur en biologie, Philippe Bootz est agrégé de physique et docteur sur les lasers,
Gérard Dalmon est ingénieur-chimiste et informaticien, Éric Sérandour est
programmeur26 Ce dernier explique :
« Mon travail consiste à construire des systèmes autonomes à l’aide d’algorithmes,ou encore à implémenter des poèmes automates. Jusqu’à un niveau très fin deperception, mon recours au hasard vise essentiellement à introduire du bruit ausein d’un processus qui se manifeste de manière visuelle ou sonore : à une logiquecombinatoire s’adjoint une gestion du flux informationnel jusqu’à s’y substituerparfois entièrement27 »
115 Le fait de programmer une œuvre consiste à mettre au point des règles qui vont
conditionner l’émergence, la durée de vie et le comportement à l’écran de textes,
d’images, d’éléments sonores s’agençant en une séquence qui peut faire sens et donc
œuvre pour un lecteur donné. Ce travail spécifique entremêlant code et texte entraîne
un déplacement de la notion d’augmentation28 vers le support informatique. Le
modelage informatique de communication de l’œuvre en brouille les frontières : où
commence l’œuvre, où se termine-t-elle, quels sont les repères qui lui donnent une
forme ? Par ailleurs, alors que l’auteur explore ces nouveaux territoires, il lui arrive
quelquefois de quitter le sien propre lorsqu’il abandonne ses responsabilités quant à la
qualité du contenu produit. En renvoyant l’interprétation du texte à la subjectivité du
lecteur dont les interférences sont à même de modifier des textes « machines »,
l’auteur masque ses intentions, déplace son rôle et cède un peu sa place, il n’est plus
totalement « à l’origine de ».
116 On remarque donc que cette écriture spécifique fait apparaître de nouvelles figures
d’auteurs s’éloignant des modèles « classiques » par la nature des œuvres produites, les
procédés d’écriture employés et les compétences mises en œuvre.
Autopublication et autoritativité
117 Avec ces nouvelles figures d’auteurs apparaissent également des pratiques
d’autopublication. Au sens strict, l’autopublication désigne la mise à disposition
publique d’une œuvre au moyen d’un dispositif de publication fabriqué par l’auteur lui-
75
même. Dans un sens plus large [CHARTRON et REBILLARD, 2004], l’autopublication peut être
définie comme la « mise en forme d’un contenu préalablement sélectionné, en vue de sa
diffusion collective », faisant appel à l’autoproduction (création du contenu, mise en
page), à l’autosélection (évaluation du contenu, anticipation sur sa pertinence pour
autrui) ou encore à l’autodiffusion (mise en ligne, référencement, etc.).
118 Se lancer dans l’autopublication pour les acteurs d’Ecrits...vains ? (une petite minorité)
et ceux d’E-critures (une large majorité), c’est aussi accepter de se passer
d’intermédiaire pour recevoir les louanges et les critiques, justifiées ou non, des
lecteurs. Loin d’être une position confortable, cette attitude entraîne une prise de
risque, une surexposition que l’auteur à la recherche de contacts directs doit apprendre
à gérer. En choisissant de ne pas se laisser enfermer par des critères de collections, de
public-cible, de dépendance à l’égard de réseaux de distribution, les auteurs rejettent
volontairement l’écran protecteur qu’assure l’autorité de l’éditeur. Ce peut être aussi le
résultat de conduites créatrices singulières.
119 Lorsque l’auteur s’autopublie, c’est-à-dire lorsqu’il choisit de mettre en forme lui-même
le résultat final de son œuvre directement accessible par le lecteur, son travail se
diversifie et empiète sur d’autres domaines. Pourtant, si le dispositif technique de
communication est une notion centrale dans la création littéraire numérique, l’auteur
n’est pas toujours tenu de le créer, instrumentalisant alors le « déjà-là » technique.
C’est ainsi que David Christoffel s’est servi du courrier électronique pour faire parvenir
chaque semaine à E-critures des « lettres-œuvres » qui se composent de textes en partie
générés informatiquement :
« J’aime beaucoup l’idée qu’un texte ait les “signes internes” d’un texte “littéraire”,c’est proprement absurde, j’aime beaucoup et moins le fait que ce soit absurde quece le soit bien proprement. Vous le dites, c’est un texte et comme je vous l’ai faitparvenir, vous avez bien compris que ce n’est pas seulement une lettre »(Message du 15 novembre 2003.)
120 Ces pratiques créatives résultant de dispositions acquises à s’affirmer auteur en dehors
des autorités établies ont été nommées pratiques « autoritatives29 », ce qui nous permet
de distinguer l’auteur« traditionnel », qui cherche à s’inscrire dans un dispositif
éditorial classique pratiquant le filtrage en amont de la chose publiée, de l’auteur
« autoritatif », qui s’autopublie et construit lui-même les conditions de sa
reconnaissance dans l’univers électronique. L’autoritativité30 est donc une modalité de
l’auctorialité, une forme du « devenir auteur » qui concerne non seulement les phases
de conception, mais aussi celles de la légitimation du travail accompli.
121 Le Web, en tant que système ouvert à la publication protéiforme, constitue précisément
une matrice sociotechnique autoritative car ce sont les caractéristiques du support
technique qui fournissent aux auteurs d’E-critures le prétexte à la création. En l’absence
de canons stabilisateurs partagés, chaque e-criturien prenant pied sur le Web produit
un espace de publication unique qui ne ressemble qu’à son auteur. C’est peut-être une
des raisons pour lesquelles la tentative d’écrire dans un blog a tourné court pour les e-
crituriens. Investir un espace de publication préformaté comme le blog suppose de
s’inscrire dans une relation auteur-lecteur précise, via le commentaire. Il faut noter du
reste que l’appropriation du blog par les e-crituriens a consisté à en détourner les
propriétés, à fixer leurs propres règles d’écriture sans se soucier de son genre éditorial
porté par la rencontre du billet et l’automatisme de la chronologie inversée.
76
122 L’autoritativité en ligne est donc une forme du « devenir auteur » qui rend publiques
des œuvres sans passer par l’assentiment des instances traditionnelles de référence.
Elle n’hésite pas non plus à défaire tout formatage technique ressenti comme
enfermant ou à en détourner la fonction communicationnelle.
123 Nous retiendrons trois notions engagées par l’autoritativité : celle de production (des
pratiques créatrices sont hors cadre et les instances traditionnelles de référence ne
peuvent plus les légitimer), celle d’autopublication (l’auteur construisant lui-même son
dispositif [interface graphique paratextuelle] de présentation d’œuvres) et celle du
filtrage a posteriori (l’auteur choisit de rendre publiques des œuvres en cours de
création et s’appuie sur la critique de ses pairs pour les améliorer).
Visibilité et gestion des traces
124 Gravitant autour d’Ecrits...vains ? ou d’autres revues électroniques littéraires, se
trouvent des figures d’auteurs autoritatifs. Penchons-nous sur un exemple se situant à
la croisée d’une tradition éditoriale traditionnelle et d’un régime original de présence
sur le réseau.
125 Jean-Michel Niger, qui intervient de temps à autre comme critique sur Ecrits...vains ?
dans la rubrique « Littérature étrangère », a également collaboré à La Page blanche. Féru
de poésie, il a découvert le monde littéraire électronique parce qu’il était à la recherche
de revues en ligne, « avec l’idée éventuellement de lire et de publier des textes ». C’est
ainsi qu’il s’est mis à consulter régulièrement des revues comme La Page blanche, Pages
libres, Pleut-il ?, Inventaire-invention, ou des listes de discussion comme Francopolis ou
Dégaine ta rime. Pour diffuser ses poèmes, Jean-Michel Niger a trouvé une alternative à
la construction d’un site personnel en utilisant plusieurs types de dispositifs
électroniques (sites personnels d’amis, revues littéraires, listes de discussion). Par
ailleurs, afin de « sortir la poésie de son ghetto en utilisant le multimédia », cet auteur a
développé avec Éric Bertomeu31 un format original de poésie qui s’appuie sur la
complémentarité entre des animations d’image et de texte et une lecture audio des
poèmes. Jean-Michel Niger propose ainsi des enregistrements audio de ses propres
textes, lus par une amie rencontrée sur le forum d’Ecrits...vains ? Il envoie régulièrement
à des proches des poèmes, sous différents formats (texte, son), via une liste de diffusion
personnelle. La figure d’auteur qui émerge de la trajectoire individuelle de Jean-Michel
Niger, entre édition papier et multiplication des formats et des canaux de diffusion sur
le Web, est complexe. Elle montre bien néanmoins que ces auteurs perçoivent comme
nécessairement complémentaires le relais informationnel et éditorial que constituent
aussi bien les revues électroniques que les forums de discussion, et une publication par
une grande maison d’édition.
126 Le « devenir auteur » a pour première condition une certaine visibilité. Derrière le
recours à différents formats et canaux de publication, on retrouve cette question de la
visibilité chez les auteurs numériques. Sur le Web, elle passe par une gestion du
référencement des œuvres et des traces, volontaires ou involontaires, laissées dans
l’espace électronique.
127 L’observation de la dernière version du site web d’E-critures fait apparaître l’absence de
rubrique « Liens », de sorte que ce site de référencement se positionne d’emblée comme
authority32 vers laquelle les autres sites doivent pointer. Il fait office d’instance de
légitimation des œuvres liées de près ou de loin à la littérature numérique. Néanmoins,
77
la rubrique « Membres », comme il a été mentionné ci-avant, fonctionne comme une
sorte de hub qui se construit grâce aux liens posés par les usagers vers leurs propres
sites (contrairement au travail d’édition de Nina Siget sur Ecrits...vains ?). On a donc bien
là une gestion des traces par l’instrumentation du collectif que l’on retrouve dans nos
deux dispositifs. Les moyens de visibilité sur le Web sont donc multiples, mais
ressortissent tous à un processus de circulation de traces, de commentaires et de
gloses. Accéder au statut d’auteur sur le réseau, c’est en effet être cité, comme le
souligne Valérie Beaudouin33 :
« S’il est aisé d’écrire, il est difficile d’être entendu dans un espace électronique.L’enjeu devient alors d’être référencé par des sources anonymes comme lesmoteurs de recherche ou les annuaires et par le réseau des pairs. Accéder au statutd’auteur, c’est être cité sur le réseau. [...] Dans ces sociétés d’auteurs, la circulationdes commentaires, qui passe par les échanges interpersonnels, les rubriques deliens vers des sites ou les pages de commentaires, permet de s’orienter au sein del’ensemble des productions. »
128 En fait, la grande majorité de ces auteurs bataillent difficilement pour une
reconnaissance, une visibilité dans l’univers saturé des productions culturelles
industrialisées. Face à ce silence médiatique, il leur reste ... Google. Les e-crituriens
utilisent de façon continue ce moteur de recherche pour vérifier leur
autoréférencement sur le Web et leur position sur l’échelle du « genre numérique ». Ici,
BlueScreen :
« J’ouvre juste une petite parenthèse pour signaler que je me suis faitinexplicablement (enfin presque) virer de Google la semaine dernière. En effet,alors que j’ai arrêté ce genre d’expérimentation depuis qq temps, et que cela faitplus d’un an que je suis entre la deuxième et la quatrième position pour les requêtes“net art” et “art net”, j’ai découvert il y’a qq jours que je n’y figure absolument plus(même pas en l0e page)… »(Message du 23 novembre 2004.)
129 Le problème pointé par BlueScreen apparaît comme récurrent pour nombre de
responsables de site qui ne parviennent pas à maintenir une visibilité stable sur le
réseau. Au-delà, cet exemple décrit bien l’ambivalence liée aux moteurs de recherche,
lesquels peuvent tantôt être instrumentés par des collectifs de sites actifs dans le but de
modifier l’ordre des réponses proposées, tantôt rester totalement opaques dans leur
fonctionnement et dans leur mode d’indexation de pages web34
130 Lorsqu’il s’agit de créer le site web d’E-critures, Philippe Castellin rappelle la nécessité
d’une discussion collective au sujet de l’intitulé du site, de ses métadonnées et de son
adresse, en vue de son indexation par les moteurs. Maîtriser la « raison sociale » du
groupe de discussion E-critures ouvrant son espace de publication est donc d’un intérêt
majeur pour les e-crituriens, qui ont compris très tôt les enjeux médiatiques du Web :
« Ceci dit j’en profite également pour dire à Gérard Dalmon que je suis enchanté deson initiative qui rejoint absolument certaines de mes propositions et pratiques etfantasmes de toujours (cf. notamment les derniers échanges sur cette liste) -quant àla question de l’implantation du site, elle est simplement liée à la disponibilité duFAI (le mien aussi serait d’accord). Par contre il est à mes yeux absolument impératif
que l’intitulé, les metas et l’adresse soient collectivement décidés, sinon d’embléeles dés sont pipés. Ça coûte 500 francs l’achat d’un nom de domaine… » (Message du21 octobre 2000.)
131 Dès lors, l’enjeu réside, pour les auteurs d’E-critures comme pour ceux d’Ecrits...vains ?,
dans la recherche d’une visibilité dans l’espace électronique, à travers un régime de
traces et de présence sur différents canaux. On observe en effet que les écrits de
78
nombre d’auteurs sont publiés sur plusieurs types de dispositifs : sites personnels, sites
littéraires (revues, webzines), sites collectifs (rassemblant les productions de différents
auteurs) ou encore forums, autant de relais littéraires et de signes du « devenir
auteur ».
132 Si le devenir auteur sur Internet passe, comme nous l’avons vu, par un régime de
visibilité et par un jeu de renvois de liens hypertextuels, de circulation de gloses et de
commentaires, les exemples d’auteurs « autoritatifs » soulignent la densité des réseaux
de sociabilité qui émergent du Web et s’agrègent autour de revues, de listes de
discussion et de sites personnels. La diversité des pratiques de lecture, d’écriture et de
communication sur le Web au service de la littérature contribue, dans le même sens
que l’éparpillement des textes et les citations multiples, à construire la figure de
l’auteur. Soulignons enfin que cette construction est intertextuelle par les renvois, les
échos qui se répondent d’un dispositif à l’autre, d’une revue à l’autre. Chacun de ces
énoncés polyphoniques (interventions dans des espaces de discussion, articles
critiques, sites personnels, publications dans des revues) contribue enfin à construire
une figure d’auteur en mouvement.
Constructions et déconstructions identitaires
133 L’enquête a d’autre part montré que, autant sur Ecrits...vains ? que sur E-critures, les
auteurs s’autopubliant de manière individuelle sur le Web agissent aussi, de fait, dans
des espaces collectifs pour se faire reconnaître et partager avec d’autres des espaces de
discussion et de publication électroniques. Par exemple, le poète e-criturien Philippe
Boisnard a créé une œuvre participative poétiK-politik35 dont l’enjeu était de « créer peu
à peu une carte poétiko-électorale de la parole politique non soumise aux pouvoirs
hégémoniques médiatiques » ; cette œuvre a rassemblé une dizaine de contributions en
images fixes et animées ainsi qu’en poésie sonore sur le thème des élections régionales
de mars 2004.
134 Cette intrication du collectif dans les actes individuels des e-crituriens se laisse
observer dès la constitution du groupe E-critures, au moment où ses membres
ressentent le besoin de partager le même espace et créent l’œuvre collective WC Field
toujours référencée sur e-critures.org. ridée d’un site qui serait une œuvre collective
est reprise par Xavier Malbreip36 qui lui attribue alors un auteur imaginaire :
« … Et le site-faussaire, y avez-vous pensé ?Une chose que j’aimerais bien faire, c’est une œuvre collective qui inventerait unauteur fictif.Plusieurs intervenants prenant en charge chacun une partie de cette construction,pour produire une trajectoire unique dont l’auteur serait purement imaginaire.Cela recouperait une des caractéristiques du Web qui est ce flou autour del’identification. (sauf à l’observer! !) »(Message du 16 octobre 2000.)
135 Il est possible d’interpréter cet auteur collectif anonyme comme emblématique d’un
univers à venir où les places d’auteurs et de lecteurs seraient redéfinies par leur
participation.
136 Mais participer suppose aussi de se positionner au sein d’un collectif en adoptant
différentes postures, voire, de manière de plus en plus fréquente, de porter un masque.
L’auteur étant une personne autonome qui assume la responsabilité de ses actes devant
elle-même et devant autrui, le « devenir auteur » est bâti autour de jeux sur les
79
manifestations autoritatives de soi, autant de conduites indiquant une instabilité
subjective caractéristique de la construction de l’auteur.
137 Par exemple, la possibilité pour les membres du groupe Yahoo ! de gérer plusieurs
adresses électroniques et le fait d’appartenir à un cercle d’initiés vont provoquer des
complicités dans les multi-inscriptions d’un même membre sous des pseudos différents.
138 C’est ainsi qu’un mystérieux intervenant sur la liste E-critures, David Still37, proposait
aux e-crituriens le 23 juin 2002 d’utiliser son identité pour envoyer des courriers
électroniques rendus anonymes. Le procédé d’anonymisation n’est certes pas nouveau
sur le Web : certains sites s’en sont fait une spécialité38 En envoyant des messages à
partir de formulaires installés sur de tels sites, le rédacteur de mails est assuré de ne
laisser aucune trace visible de son identité au destinataire du message.
« De toute façon, ce que fait Madre en infiltrant la liste de cette manière-là, tout lemonde peut le faire, c’est pas sorcier… Allez voir sur le site par vous-même ! Il a pasinventé la net.poudre, notre cher Frédéric. Et il veut vous faire croire que c’est luiqui tire les ficelles de David Still... Allons donc! »(Message du 23 juin 2002.)
139 Mais David Still fait œuvre, au sens où ce personnage de fiction qui prête son masque à
tout internaute a pris la place de son auteur dans ses actions de représentation (nominé
au concours des Webby Awards de 200339).
140 Dans la fiction-réseau de David Still, ce qui est problématique, c’est la sortie définitive
d’un personnage fictionnel de l’espace traditionnel du récit. Délivré des marges des
pages-écran, celui-ci va conduire des actions médiatiques sur d’autres espaces de
communication, élargissant ainsi son terrain d’action. Cette déconstruction est
indicatrice de la complexité identitaire plus que jamais à l’œuvre sur les réseaux. De
même l’artiste Mouchetté40, éternelle adolescente de 14 ans, est en fait une œuvre
anonyme façonnée à plusieurs mains. Mais alors que Mouchette produit des œuvres de
Web art, David Still se fait le prisonnier volontaire de jeux de faux électroniques.
141 La possibilité d’user de masques dans les échanges électroniques est devenue triviale;
n’importe qui pouvant se faire passer pour quelqu’un d’autre, n’importe qui peut
également endosser une identité illusoire. Les jeux identitaires se sont donc
démultipliés sans cependant influencer de façon durable le contenu des messages de la
liste E-critures.
142 Le dispositif autorise en effet une certaine « latitude identitaire » liée au médium –
l’écriture sur support numérique –, à la nature de la communication qu’il met en place
– à distance, asynchrone – et à la « sémiotisation de toute pratique qu’il impose, muant
toujours, à quelque degré, le corps en ses indices -ses symptômes – en icônes et
symboles41 ». On observe ainsi des jeux de masques et de dévoilement, les internautes
s’amusant parfois à démasquer tel ou tel habitué du forum dont ils ont découvert la
double identité. Ainsi en est-il de cet internaute, très fidèle du forum d’Ecrits...vains ? et
de celui lié au site de Benoît Duteurtre42, qui dit ne pas avoir démenti les suppositions
de ceux qui, sur ce forum, l’avaient pris pour l’écrivain : « Le jeu des masques est, à
certains égards, un moyen de reprendre la main sur le dispositif et de s’y réinscrire à
partir de ce que l’on veut paraître, de ce qu’on veut bien montrer »
143 L’identité réticulaire est le fruit d’une combinaison savante de codes sociaux ainsi que
d’une poétique des signes médiatisée par la technique. Certes, l’identité des internautes
est métonymique, car sur Internet l’écrit est la personne et, ajoutons, la personne n’est
que ce qu’elle écrit. Mais la profusion des pseudos et les jeux incessants des auteurs
80
dans leurs présentations indiquent que les frontières délimitant l’identité se dilatent et
que se construisent des identités de réseau pouvant être dissociées de la vie réelle des
individus.
Construction d’une critique
144 Alors que nous avons précédemment décrit la structuration globale des dispositifs et
les modes d’organisation qu’ils recouvrent, la pluralité des circulations possibles des
textes et le positionnement des auteurs au sein des chaines éditoriales, c’est aux
modalités et aux critères d’évaluation sollicités par les différentes instances éditoriales
que nous nous attacherons ici. Des types différents d’organisation se jouent dans les
principes (théoriques, techniques, sociaux) qui guident la formalisation d’un espace de
production, d’évaluation et de diffusion faisant passer le produit au statut d’« œuvre ».
À l’amélioration progressive des textes publiés par la revue Ecrits...vains ? s’opposent les
principes d’autopublication et d’agglutination des œuvres qui règlent la vie du
dispositif E-critures. Là encore, l’auteur « autoritatif » peut ajouter à son profil celui de
critique lorsqu’il adopte tour à tour les rôles d’éditeur de revue, de critique, de
journaliste ou d’attaché de presse, dans ses discussions et ses actes autour de la vie des
œuvres.
145 La distinction des espaces sociotechniques et des étapes du circuit éditorial que
recouvrent E-critures et Ecrits...vains ? est essentielle à la compréhension des modalités
de la critique en termes de critères d’évaluation, d’acteurs, et d’interactions entre les
dispositifs.
Principes externes de la soumission des œuvres
« Auteurs, vous êtes invités à envoyer un choix de vos textes, trois nouvelles aumaximum à la fois (chacune longue d’au maximum 10 pages format Times NewRoman taille 10 ou équivalent) à l’adresse indiquée »(Consigne donnée sur ecrits-vains.com.)
146 Les productions littéraires adressées à la revue Ecrits...vains ?, ainsi mises au format,
entament leur parcours éditorial dans un circuit bien huilé. Avant toute évaluation
critique quant à la « qualité » d’une œuvre, le rôle des comités de lecture
d’Ecrits...vains ?, et plus généralement de tous les filtrages éditoriaux, est d’abord de
rappeler les règles qui doivent gouverner l’exercice de production et de soumission des
œuvres. La pratique littéraire, à titre d’astreinte personnelle, suppose un effort sur soi
visant la mise au format des productions. Pourtant, les fautes d’orthographe, les
incohérences, ou encore l’aspect encore trop « brouillon » de certains textes
stigmatisés par les évaluateurs montrent que les auteurs ne songent pas assez à la
mauvaise impression que peut produire un texte inachevé. La soumission suppose donc
elle aussi une « révision » et il est expressément demandé aux « auteurs » de
s’autodiscipliner. Les principes d’une soumission régulée s’étendent donc jusqu’à ses
cadres techniques qui doivent manifester, par eux-mêmes, les choix réalisés par les
producteurs.
147 Michel Ostertag, l’un des membres du comité de lecture poésie d’Ecrits...vains ?, fait à cet
égard le même constat que Jean-Pierre Lesieur43, qui dirige la revue de poésie
trimestrielle (papier) Comme en poésie. Tous deux déplorent la tendance des auteurs,
81
quel que soit le support de la revue, à envoyer un paquet de textes sans sélection
préalable, voire à n’indiquer que l’adresse de leur site personnel-dans le cas des revues
électroniques. Selon eux, il serait plus profitable aux auteurs d’opérer un choix réfléchi
et préalable dans leurs textes avant de les envoyer aux comités de lecture, d’une part
parce que cette étape leur permettrait de proposer des textes plus aboutis, et d’autre
part parce que ce processus s’inscrirait davantage dans une réelle démarche éditoriale.
En ce sens, on n’est pas surpris de constater que l’injonction aux auteurs de n’envoyer
qu’un choix de textes apparaisse comme un leitmotiv de la lettre bimensuelle d’Ecrits…
vains ? En février 2003, elle indique : « Ne nous adressez pas de recueil (trop long) mais
plutôt un à trois textes -parfois plus si vous ne pouvez vous en empêcher -, ne nous
proposez pas l’adresse de votre site afin que nous y sélectionnions vos meilleures
productions : nous sommes un comité de lecture et non pas des chasseurs de te(x)tes »,
et en janvier 2005, le ton est identique : « Surtout n’envoyez pas l’adresse de votre site
en nous invitant à aller à la pêche : nous manquons de temps et le tri parmi ses œuvres
est un exercice fort salutaire pour un auteur en herbe (tout comme pour les confirmés
d’ailleurs), c’est une occasion en or pour se relire44 » Bien qu’Ecrits...vains ? soit une
revue électronique, les usages du Web comme médium technique sont aussi eux-mêmes
sujets à discipline éditoriale.
148 On le voit, la sélection éditoriale commence avant tout par une autosélection,
autrement dit par le respect de cadres dont on s’est imprégné soi-même (tant et si bien
qu’ils peuvent apparaître « naturels »).
149 L’étape d’évaluation des œuvres manifeste là encore avec acuité les différences qui
peuvent caractériser les deux communautés et qui concernent au premier chef la
chaîne éditoriale. Du côté d’Ecrit...vains ?, les cadres du « texte » s’imposent aux acteurs,
lequel est formaté par la tradition de l’imprimé et poli par les référents génériques. Une
certaine idée de la littérature est manifestement à l’œuvre sur Ecrit...vains ? et l’on
perçoit combien la fonction éditoriale joue un rôle clé en articulant le pôle de la
création et celui de la diffusion, à l’image d’un dispositif efficient de légitimation de
l’auteur comme de l’œuvre, mais aussi des instances qui, finalement, les gouvernent
tous les deux. Parler de« poésie » comme de « prose » – puisque ce sont les termes qui
différencient les deux comités de lecture –, c’est déjà évidemment borner l’exercice de
production à des cadres et des traditions historiques précis, sans compter
qu’Ecrits...vains ? impose aussi ses règles propres. Le parcours de filtrage analysé
précédemment repose sur des critères reconnus ou, du moins, partagés implicitement
par l’ensemble des acteurs. À observer la stabilité des cadres qui régulent l’évaluation
des œuvres sur Ecrits…vains ?, il faut toutefois convenir que du côté d’E-critures, la
procédure critique ne s’est pas réellement dotée de formes ou d’institutions pérennes.
Dans le prolongement du dispositif distribué d’E-critures et de l’éclatement de son cadre
éditorial-que nous avons décrit précédemment –, le processus d’évaluation (ses
instances ainsi que ses critères) y apparaît moins stable et volontiers discuté.
150 A priori, l’évaluation dépend d’une appréciation subjective et relative de l’examinateur
et, à cet égard, Ecrits…vains ? assume, voire revendique la subjectivité de ses
publications; celle-ci affleure dans l’éditorial qui apparaît comme une synthèse de
l’activité critique réalisée par les membres des comités de lecture. Le « mot de
l’équipe » conforte donc à la fois la nature subjective de toute lecture – fût-elle critique
– et la dimension collective des critères d’évaluation qui encadrent la chaîne éditoriale.
Seuil de chaque nouveau numéro de la revue, l’éditorial présente les sélections et cite
82
précisément chacun des membres des comités. On peut observer que le lecteur y prend
parfois le pas sur le critique. Par exemple, le tri se fait « très à fleur de peau », explique
l’un des membres du comité poésie; il faut que le texte plaise immédiatement, « ça
passe ou ça casse », ajoute ce dernier; « fauk’ça m’plaise », dit un autre tout en
précisant :
« J’aime les textes qui disent beaucoup, et fortement, avec peu de mots. Quiémeuvent. Font rire. Ou pleurer. Qui troublent. J’aime les styles bien dégraissés etque le petit mot qui bouleverse surgisse au bon moment... tellement exact et précisqu’on ne l’oubliera jamais45… »
151 La subjectivité des choix de chaque évaluateur est également perceptible dans les
discussions internes par lesquelles l’ensemble du comité de lecture détermine les textes
à publier. Comme le souligne un membre du comité poésie :
« Je pense que nous sommes de milieux intellectuels fort divers. Je suis prêt à parierque la plupart des autres membres ne partagent pas du tout mes goûts littéraires. Àtitre d’exemple, une dame qui fait partie comme moi du comité poésie rejettesystématiquement tout texte en prose au motif que ce n’est “pas un poème”. Cesont souvent ces textes-là que je trouve les plus réussis46… »
152 Mais, ajoute-t-il, « ... la seule chose que nous ayons en commun, c’est l’amour de la
bonne écriture47 ». De sorte que si les membres des comités de lecture viennent
d’horizons géographiques et intellectuels divers, ils ont tous en commun ce que
certains appellent la « passion de la lecture », et parfois celle de l’« écriture ». Et
lorsque l’un d’entre eux défend un texte contre l’ensemble du comité, alors celui-ci est
publié séparément dans la rubrique « Coup de cœur » de la revue. La plupart du temps
donc, les membres des comités s’entendent tacitement :
« [...] pour la sélection de septembre, sur 46 textes, 3 ont été notés entre 3 et 5 partous les membres du comité [...], sans concertation préalable. De même, lorsqu’untexte est noté 0 par un membre, il n’arrive jamais qu’un autre lui mette une bonnenote48 »
153 Une certaine homogénéité semble donc régler l’évaluation fixant les cadres stylistiques
des œuvres, en prose comme en poésie. « D’un certain point de vue, il y a une ligne
éditoriale en négatif : une ligne jaune de la médiocrité, en deçà de laquelle un texte est
impubliable49 ! », dit ce membre du comité de lecture prose.
154 Ce caractère partagé, et parfois implicite, des critères d’évaluation provient en partie
de la tradition des pratiques littéraires liées à l’imprimé, à ses genres et à ses auteurs de
référence. Les « conseils » donnés aux candidats à la publication par les membres des
comités de lecture sont ainsi nombreux et révèlent la prégnance des référents
littéraires et d’une culture commune.
« À tel qui écrit des poèmes en prose trop plats rythmiquement mais avec unecertaine audace dans les images, je conseillerai Aloysius Bertrand et les poèmes enprose de Huysmans, par exemple. À tel autre qui maltraite l’alexandrin sans enavoir conscience mais laisse entrevoir quelques dons, je suggérerai de (re)lire LesFleurs du mal. Je me risque même à des conseils plus osés : Bonnefoy, Jaccottet,Lionel Ray... Quand il n’y a rien à sauver (ce qui arrive souvent), je fais lesremarques formelles qui s’imposent mais sans conseils de lecture »
155 Cet héritage assure donc au dispositif collectif ses rouages essentiels et une
homogénéité dans la conception du travail de lecture comme d’écriture.
156 La pérennité des modèles critiques et de la ligne éditoriale de la revue est d’une
certaine manière assurée par une politique d’ouverture à l’égard de son public.
L’équipe rédactionnelle n’est jamais fermée ni figée : certains lecteurs sont devenus
83
responsables de rubriques après avoir proposé un ou deux articles (chroniques,
critiques littéraires...). De même on peut apercevoir le cheminement de certains
acteurs entrés au comité de lecture après avoir été eux-mêmes « auteurs » et évalués
par leurs pairs, reconduisant ainsi les cadres stables des pratiques par-delà le passage
ou la « rotation » des membres. Cette « plasticité » organisationnelle des comités de
lecture ou plus largement de l’équipe rédactionnelle, ouverts à l’intégration d’acteurs
émérites, s’observe bien entendu ailleurs sur le Web littéraire. Par exemple, Isabelle
Aveline la fondatrice de Zazieweb50, a rapidement occupé, outre son travail rédactionnel
initial, un r6le de médiation auprès des internautes. Nombre de lecteurs de Zazieweb
contribuent à actualiser le site, fournissent des comptes rendus d’ouvrages, des
informations sur l’actualité littéraire, etc.
157 Pour autant, le rôle de l’éditeur n’est pas remis en question dans la mesure où toutes les
contributions sont évaluées et éventuellement modérées, toujours dans les mêmes
cadres éditoriaux stables. C’est aussi ce caractère qui assure à Ecrits...vains ? sa réussite
sur le Web car le site, la communauté et ses pratiques réglées offrent un contexte
d’activité identifié par le public sensible à la création littéraire. Dans un milieu comme
le Web où règne souvent pour les usagers une incertitude irréductible liée à la
navigation hypertexte51, Ecrits...vains ? constitue un pôle « lisible » d’activité et
d’organisation des contenus. Adossée à ces cadres sociotechniques hérités, la
communauté peut ainsi occuper le réseau tout en restant sensible aux possibilités de
réaménagement des modèles antérieurs. C’est ce que montreraient aisément, entre
autres, la proximité avec le public permise par le principe du forum ouvert, l’accès en
ligne aux contenus édités, la distribution des procédures de soumission des œuvres en
ligne, etc. C’est ce caractère à la fois traditionnel et renouvelé du processus éditorial
sur le réseau qu’ont souligné Ghislaine Chartron et Franck Rebillard : celui-ci « n’est
donc pas fondamentalement transformé, mais aménagé en ce sens que le public
intervient davantage dans la production de contenu, médiée par le site fédératif52 ».
158 On aurait bien des difficultés à trouver du côté d’E-critures l’équivalent du processus
d’évaluation des « œuvres » organisé et argumenté tel qu’il est pratiqué par
Ecrits...vains ? Cette différence tient aux spécificités éditoriales du site, que nous avons
déjà évoquées, à l’activité des membres qui y sont inscrits et aux pratiques d’auto
publication, préalables à toute procédure critique sur la liste E-critures. L’évaluation des
œuvres représente pourtant un élément clé pour comprendre l’originalité de la
démarche associée à l’histoire de la liste puis du site e-critures.org et, au-delà, au r6le
que joue le Web pour un groupe d’acteurs qui tente d’y développer une autre forme de
socialité à travers ses pratiques artistiques. Ce n’est en effet qu’après l’autopublication
de ses premières versions que l’œuvre numérique est évaluée par un processus
engageant la discussion (via la liste) et l’expérimentation (via les accès proposés par le
site ou les liens associés aux messages), et aussi largement partagée via le réseau. Tout,
dans les données recueillies, montre que l’on a affaire d’abord à un laboratoire en ligne,
laboratoire technique (tester et repérer des formats techniques spécifiques), théorique
(comment justifier et éclairer les pratiques), social (comment s’organiser, y compris
pour « éditer »), voire axiologique (sur quelles valeurs s’appuie cette forme éventuelle
d’art). Selon un processus semblable aux tests d’utilisation de logiciels par les
utilisateurs, les œuvres sont adaptées, corrigées, améliorées ou remises en forme par
leurs auteurs en fonction des retours des membres de la liste. Chaque œuvre peut donc
84
se nourrir des réflexions du groupe et même s’ouvrir à des contributions, comme ici
pour Annie Abrahams :
« Bonjour à tousJe prépare un travailSolitudeShttp://www.bram.org/solitude/index.phpje vous demande de le tester, oui, comme pour AttentionSje ne vous cache pas que j’aimerais bien aussi l’alimenter avec vos paroles,avant de le mettre en ligne pour de bonmerci d’avance pour vos paroles et remarques (même sur des trucs comme policeillisible, etc.) »(Message du 22 octobre 2004.)
159 Contrairement à l’évaluation esthétique qui prévaut dans la chaîne éditoriale
d’Ecrits...vains ?, c’est bien l’aspect technique qui retient en premier lieu l’attention des
acteurs de la liste E-critures :
« J’ai fait le parcours proposé par Annie, et tout a bien fonctionné. [...]Les images se chargent avec un temps correct (ADSL 1 000 k) et elles restent avec un
temps suffisant »(Message de Patrick-Henri Burgaud du 26 janvier 2004.)
160 Le premier critère d’évaluation d’une œuvre numérique mobilise donc son opérabilité
et son ergonomie, la dimension technique et fonctionnelle de l’œuvre faisant dès lors
office de filtre liminaire. Les échanges de la liste portent par conséquent massivement
sur les formes techniques des œuvres, du côté de leur efficience « mécanique » (un lien
fonctionne-t-il correctement ? La séquence programmée se déroule-t-elle bien ?)
comme dans leurs rapports multiples et féconds avec le « contenu » (poétique, narratif,
linguistique, conceptuel). Par exemple, lorsqu’un auteur comme e-troubadour marco
annonce la mise en ligne d’un nouveau travail sur son site, il attend qu’on lui signale
« les erreurs éventuelles, les configs qui ne passeraient pas, les choses qui pourraient
être améliorées » ; c’est un véritable débogage collectif qui se déroule alors, où chacun
donne des indications sur le déroulement de sa lecture. Ici, la critique adressée par
Lucie de Boutiny concerne un choix technique :
« Je me souviens que pour découvrir des liens secrets, ma rouerie féminine mefaisait soulever des écrans, c’est-à-dire ouvrir du petit doigt (clic droit) le codesource, ce qui me permettait de copier-coller les liens cachés de la source vers labarre adresse. Le PHP a tout gâché »
(Message du 30 mai 2002.)
161 À ce titre, la naissance du collectif E-critures sur une liste de diffusion paraît
symptomatique. Il va sans dire que le principe du groupe de discussion ainsi mobilisé et
soucieux de recenser les pratiques, les auteurs et les œuvres s’accorde aussi, en
parallèle, avec le sentiment chez certains d’appartenir à une communauté limitée et
sélective d’innovateurs.
162 Parfois, les échanges peuvent prendre un caractère franchement polémique. Ainsi, le fil
intitulé « un outil de plus » lancé par Dahu, qui vient de mettre au point un « système
d’écriture de dialogues interactifs », reçoit un accueil mitigé et va provoquer une
discussion s’étalant sur 57 messages :
« Bien... En dehors de la remarquable indigence du résultat et du panier de coquillesque représente ce tissu de niaiseries, en quoi c’est “amusant”, et mieux que quoique ce soit ? C’est censé nous faire régresser jusqu’à quel seuil, exactement, dansl’art de broder un dialogue ? »(Message du Lièvre de Mars -lldm -du 18 octobre 2002.)
85
163 On le voit, le dispositif E-critures doit d’abord être considéré comme un lieu
d’expérimentation technique, mais la portée théorique des échanges apparaît
récurrente dans la discussion collective. Les auteurs et les acteurs de la liste cherchent
ainsi souvent à éprouver l’originalité d’une démarche, à borner les frontières d’une
pratique (est-elle encore « littéraire » ?), à spécifier des critères d’évaluation. Il ne
s’agit donc pas seulement d’un atelier de débogage mais aussi, dans le même
mouvement, d’un laboratoire d’où émergent de nombreuses questions sur l’appareil
critique dont doit se doter la communauté pour affirmer son existence et se situer dans
un paysage littéraire moderne rendu plus complexe et incertain avec l’arrivée des
technologies numériques. Dans un message de présentation de l’œuvre Q.Q.A.3, jeu
de« pong53 conversationnel » dans lequel le lecteur joueur fait défiler des mots selon un
principe en deux temps, Xavier Malbreil traduit bien l’hésitation interprétative à
donner à ce qui peut apparaître comme du technico-littéraire :
« Pour revenir sur le pong dialogique, http://lucdall.free.fr/disposit/qqa3.html,l’idée intéressante là-dedans, c’est que le texte soit difficile à lire, quand ons’astreint à faire la partie de pong tout en lisant le texte. Il y a une tentationtoujours de quitter l’un pour aller à l’autre, et l’appétit de lire est maintenu en éveilpar ce jeu d’aller-retour où l’on perdra certainement quelque chose quand onprendra une décision. La déception intervient quand on se rend compte que lâcherla partie n’a aucune incidence sur la lecture et sur le déroulement de l’œuvre »(Message du 25 octobre 2004.)
164 Les discussions techniques portent bien souvent le débat des acteurs de la liste E-
critures vers la théorisation de leur pratique et des œuvres qu’ils soumettent à la
critique des membres. Avant de construire un « public », ou même un processus
éditorial organisé hiérarchiquement, il s’agit de coconstruire les cadres
sociotechniques des pratiques et l’appareil argumentatif qui les légitiment. À ce stade,
c’est tout l’intérêt d’une liste de discussion qui permet d’articuler transversalement les
interactions entre les membres cooptés de la communauté et de lier les messages à des
productions par des liens hypertextes.
Modalités de la critique dans les deux dispositifs
165 Compte tenu des procédures d’évaluation et de circulation des œuvres évoquées
précédemment, tributaires de l’héritage du texte et d’une chaîne éditoriale classique,
on ne sera pas surpris de constater que la critique s’effectue, sur Ecrits…vains ?, en
référence à une tradition littéraire éprouvée. Mais, là encore, il convient de nuancer
notre propos en soulignant que la multiplication des espaces de publication que le
dispositif propose recouvre des lieux, des acteurs, et par conséquent des modalités
différentes de la critique. De même, il serait hâtif de ne conclure qu’au caractère inédit
ou subversif des formes et des thèmes d’une posture critique dédiée à la littérature
numérique. Si celle-ci recherche des cadres qui restent pour le moment parcellaires et
qui tiennent à la nature émergente du champ que la littérature numérique balise,
conformément à l’esprit de la liste E-critures, ses acteurs tentent néanmoins -mais non
sans contradictions internes -de se donner une grille de lecture commune propre à la
littérature numérique. Pour autant, là encore, la prégnance d’une culture imprimée
commune s’impose en dernière instance pour évaluer une œuvre qui suscite la
polémique et les passions.
86
166 Sur Ecrit…vains ?, la critique littéraire s’effectue selon diverses formes rédactionnelles
et par différents acteurs :
dans les pages de la revue : une critique littéraire des parutions récentes, par des
chroniqueurs attitrés ;
au sein des comités de lecture dans le cadre des sélections bimensuelles : une critique
argumentée qui, pour être parfois subjective, n’en réfère pas moins aux canons littéraires ;
dans l’atelier d’écriture, par Jean Barbé : une posture critique individuelle et à but
pédagogique ;
dans la rubrique « Théma », par sa responsable, Anita Beldiman Moore : une critique là aussi
individuelle et subjective mais argumentée, appliquée à un exercice de style ;
sur le forum de discussion, par les membres : une critique immédiate et directe de textes
inédits.
167 Les modalités formelles de la critique découlent du statut des textes soumis à
évaluation, ainsi que du support technique et éditorial qui les accueille. Par exemple,
avec les romans publiés par l’édition imprimée qui font l’objet de chroniques dans les
pages de la revue, la critique s’apparente au modèle journalistique et littéraire de
l’exercice. A contrario, la critique qui prévaut dans la rubrique « Vos textes », réalisée
par les acteurs du forum -auteurs et lecteurs les uns des autres pour la plupart –, est
nettement plus spontanée et directe du fait de la régularité des échanges qui lient les
participants.
168 La critique sur Ecrits...vains ? est par conséquent modulée entre deux types d’acteurs :
d’une part, ceux qui ressortissent à l’instance éditoriale du site et de la revue et, d’autre
part, ceux qui constituent un public de pairs (lecteurs-auteurs). Dans les deux cas
toutefois, au-delà du plaisir d’être lu, la critique est, pour les auteurs, un vecteur de
reconnaissance et de motivation. Quel que soit l’espace sociotechnique investi (revue,
site, forum), les évaluateurs s’appuient sur une culture littéraire et théorique qui tient
lieu de référent dès lors qu’il s’agit de formuler un jugement sur un texte.
169 Louverture de nos deux dispositifs, E-critures et Ecrits...vains ? à un public divers, invité à
participer aux comités de rédaction et aux échanges électroniques, influe
nécessairement sur les types de critiques qui y sont faites. De l’un à l’autre, mais
surtout sur E-critures, on retrouve les trois familles de critiques distinguées par Albert
Thibaudet [THIBAUDET, 1939]. La liste de diffusion accueillant en effet des auteurs, mais
aussi des journalistes et des universitaires, on relève aisément des traces de critique
académique, journalistique et d’auteur dans les messages échangés. Ces trois types
s’alimentent mutuellement sur la liste, mais le mélange n’est pas sans poser parfois des
problèmes, certains malentendus naissant de la confrontation de critiques ne se situant
pas sur le même plan.
170 La littérature numérique souffre d’un déficit de légitimité, notamment parce que la
constitution d’une critique qui pourrait la promouvoir tarde à se dessiner; on constate
néanmoins sur la liste des tentatives pour faire émerger une critique spécifique à
l’écriture numérique. Contrairement à Ecrits…vains ? dont nous avons souligné la
prégnance des formes classiques sur l’instrument critique et dont le discours n’en
renouvelle aucunement les formes, la liste E-critures joue le r6le d’un laboratoire pour la
construction d’une critique propre à la création numérique dans lequel les critères
d’évaluation des œuvres sont discutés collectivement. Par exemple, si l’attachement au
texte se lit en filigrane de certaines critiques sur la liste, la qualité des textes ne
constitue pas un critère d’évaluation en soi. C’est dans ce cadre que l’on peut situer
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l’initiative de Bruno Courtet, membre d’E-critures et fondateur de l’APELSE54, qui lance
sur la liste un jeu-concours (« Testez vos talents de chroniqueur multimédia ») dont
l’objet est la rédaction d’un article critique sur une œuvre de création numérique.
171 Il est pourtant symptomatique que les critiques -au sens journalistique du terme -
présents sur E-critures participent assez peu au débat sur la liste. C’est le cas de Marlène
Duretz, responsable d’une chronique sur l’Internet littéraire au Monde, qui, bien que
peu active sur la liste, est néanmoins attentive à ce qui s’y joue et signe notamment
« Marlène, un œil qui vous veut du bien… » (message du 18 octobre 2001). Mais, au fond,
que l’activité de veille prenne le pas sur la posture critique reflète l’idée que le domaine
de la littérature numérique éprouve des difficultés à se constituer, en dépit des efforts
et de l’intense production artistique et théorique de certains membres de la liste. Pour
autant, les commentaires de ces articles du Monde que les autres membres font sur E-
critures mettent en exergue une boucle de rétroaction entre le débat interne sur la liste
et l’exposition extérieure donnée par les articles critiques. Les débats en ligne
nourrissent la critique journalistique, et cette dernière relance en retour les échanges.
On a pu observer un processus similaire concernant le travail de la critique d’art
numérique Annick Bureaud, plus active55 sur la liste que Marlène Duretz : la réflexion
terminologique (sur les termes « multimédia », « interactivité », « interface » ...) qu’elle
a publiée sur le site olats.org56 a été longuement commentée par les membres de la liste
E-critures. On perçoit donc le rôle stratégique -sinon de levier – que peut jouer la
critique dans la définition d’un champ d’œuvre, d’acteurs et de pratiques.
172 Il faut bien constater cependant l’hétérogénéité des critères qui sont convoqués par les
acteurs d’E-critures. Certains arguments viennent de la littérature (analyse stylistique,
narratologique, thématique), tandis que d’autres sont exogènes (critères techniques,
modes d’action, intersémiotisation des médias) et s’apparentent plus au monde de la
création numérique et multimédia. Partant, la spécificité de la critique qui se déploie
sur la liste E-critures tient à la récurrence de certains critères qui, hormis ceux relatifs à
la « forme », ne sont jamais invoqués par les acteurs d’Ecrits-vains ?.
173 Après l’évaluation technique qui constitue, ainsi que nous l’avons vu, le premier filtre
critique, le critère sémiotique est généralement le deuxième à être mentionné : s’agit-il
d’une œuvre faisant intervenir plusieurs formes sémiotiques (texte, image, son, vidéo),
d’une œuvre multimédia ? Comment fonctionne l’intersémiotisation des médias,
autrement dit comment ces formes sémiotiques font-elles signe et sens ensemble ? E-
troubadour marco répond dans le mail ci-dessous à une question de la bibliothécaire et
e-criturienne Marie Lissart :
« Comment s’opère la validation des œuvres ?pour coller aux termes “littérature numérique” : [...]– c’est numérique si l’œuvre anime le texte ou le sertit d’autres médias [...]néanmoins, je préférerais toujours mettre en avant les œuvres :– mindhacking (cf.http://e-troubadourz.org/marco/teknoosterr/teknoosterr.htm)– interactives– originales – lettrisme et rhyzomes bienvenus [...](Message d’e-troubadour marco du 11 décembre 2004.)
174 Vient ensuite le critère de l’interactivité : quels modes d’action sont proposés au
lecteur ?
« Ce qui change – non pas un progrès, mais une mutation technique – c’est quemaintenant nous devons agir aussi sur l’écran pour générer notre lecture »(Message de Patrick-Henri Burgaud du 23 février 2002.)
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« En tant que lecteur (explorateur) d’œuvres sur ordinateur, je supportedifficilement que l’œuvre une fois lancée me dénie tout pouvoir d’agir dessus, neserait-ce qu’en cliquant sur un lien pour retrouver le sommaire, pour me diriger,etc. Cela me donne l’impression de regarder la télé, mais une télé plus petite, plusmoche, moins performante... [...] Pour moi, ce qui fait la spécificité des œuvresproduites sur ordinateur, c’est :1 – d’y rester, car il n’est pas honteux d’y être ;2 – d’être interactives. »(Message de Xavier Malbreil du 4 novembre 2002.)
175 Ce n’est en général que dans un troisième temps que les commentateurs font appel à
des critères plus traditionnels de l’analyse littéraire, tels que des critères formels et
stylistiques. Certains s’attachent ainsi à mettre en valeur le « travail de la forme » qui
passe en l’occurrence par un détournement à visée esthétique de programmes logiciels
ou informatiques :
« Ce travail de la forme, qui s’accomplit collectivement, autant sous la poussée desavancées techniques que grâce aux créateurs qui s’emparent d’outils que personnene leur destinait – tel logiciel conçu pour gérer des bases de données et permettrede remplir des bons de commande devenant l’instrument d’un jeu littéraire inédit,tel autre prévu pour animer des images de pin-up servant à dévoiler le sens cachéd’un mot – nous conduira vers quelque chose que nous ne faisons qu’entrevoir. Unestylistique nouvelle va naître. Les uns peuvent déjà en observer les prémices. Lesautres en expérimenter les pièges, en découvrir les joies »(Message de Xavier Malbreil du 19 février 2002.)
176 Loin de vouloir s’en tenir à une démarche de définition des œuvres par un écart formel
ou à une pétition de principe, certains acteurs de la liste, tel Luc Dall’Armellina, voient
dans ce travail d’appropriation artistique et ces motifs formels les prémices d’une
« nouvelle esthétique57 ». Déceler des critères esthétiques propres à l’e-criture, c’est en
effet pointer du doigt sa spécificité, et dans le même temps favoriser son
autonomisation à l’égard de l’écriture sur papier. Car c’est bien au service d’une
nouvelle esthétique que sont placées les analyses formelles, rhétoriques et stylistiques
sur la liste E-critures. Les commentaires des œuvres sont souvent sous-tendus par un
discours de prospective :
« Mais est-ce que ce sont des figures de style ? Est-ce que l’on pourrait écrirel’équivalent du Traité des Tropes de Du Marsais ? »(Message de Xavier Malbreil du 3 mai 2002.)
177 De même, la volonté de jeter les bases d’une esthétique nouvelle et le jeu
d’appropriation formel et technique des formes ne se suffisent pas à eux-mêmes et ne
souffrent pas l’absence de contenu intellectuel ou idéologique :
« Qui donne de la valeur à la forme littéraire placera vraisemblablement une poésielyrique au-dessus d’une poésie didactique, et un roman symbolique au-dessus d’unroman à thèse. Mais qui insiste pour que l’œuvre d’art ait un contenu humainjugera sans doute que l’art pour l’art, ou l’art “pur”, ou la littérature souscontraintes (Oulipo), inférieurs à une œuvre dense du point de vue de l’expériencequ’elle renferme » [COMPAGNON, 1998]
178 Cette tension est perceptible sur la liste E-critures, et certains e-crituriens tentent de la
résoudre en mettant en avant un critère thématique pour décider de la valeur d’une
œuvre. Celle-ci doit non seulement délivrer un message, souvent politique, mais aussi
être appréciée comme une action. Ainsi le poète Philippe Boisnard souligne la portée
politique de son travail :
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« Je fais depuis un mois une spam-hacktion sur le Net, autour du politique, et ceciavec le même protocole que WAR-Z et Passage à tabac »
(Message de Philippe Boisnard du 25 mars 2004.)
179 Certains voudraient voir en effet un lien étroit entre idéologie politique et littérature
numérique. Jean Clément rappelle que ce lien a existé pour la littérature
hypertextuelle :
« L’hypertexte, en effet, est d’abord apparu comme une tentative de déconstructiondu texte, comme une libération des contraintes et des artifices de la rhétoriqueclassique subordonnée à la linéarité du discours. Dans la culture américaine qui l’avu naître, il a accompagné le mouvement libertaire et servi d’étendard à unecontestation de l’ordre littéraire établi. Dans ce contexte, le lien est apparu commela délégation au lecteur d’une partie des pouvoirs de l’auteur. La désorganisation dudiscours linéaire ouvrait la voie à un transfert des privilèges de l’énonciation vers lelecteur » [CLÉMENT, 2003]
180 Dans le souci constant de constituer une grille de lecture propre aux formes et aux
supports de la littérature numérique, les e-crituriens en viennent ainsi à privilégier le
dispositif plutôt que l’œuvre, même si « deux grands courants » s’expriment, selon
Philippe Bootz, sur la liste : « des démarches axées sur le dispositif de communication
et des démarches axées sur le seul produit figé » (message du 22 mars 2003). De même
que ce dernier accorde implicitement plus de crédit et de valeur aux démarches axées
sur le dispositif, Luc Dall’Armellina suggère la primauté du dispositif sur l’œuvre :
« L’œuvre est encore pleine de l’aura (supposée) d’un auteur, d’une vision del’auteur romantique et inspiré. On peut avoir la nostalgie de cette vision mais lemonde a changé au point où il devient difficile même aux “spécialistes” de faire lerepérage des frontières de l’art et des technologies »(Message de Luc Dall’Armellina du 5 septembre 2003.)
181 Les échanges d’ordre critique qui prennent place sur la liste E-critures montrent ainsi le
recours à des critères qui s’inspirent d’une tradition esthétique héritée, mais qui font
par ailleurs intervenir des critères technico-sémiotiques nouveaux – en particulier liés
au fonctionnement de l’œuvre. Au contraire d’Ecrits...vains ?, la critique d’œuvres
numériques mobilise des référents et des critères en phase d’émergence. Aussi les
jugements liés à l’esthétique d’une œuvre prennent-ils souvent sur la liste une
coloration théorique et passionnée sur les formes et les enjeux d’un champ d’œuvres,
de pratiques et de modèles théoriques en cours de constitution.
Qu’est-ce qu’une « bonne » œuvre, un « bon » auteur ?
182 À partir de ces critères, on peut se demander comment une valeur est attribuée à une
œuvre. Autrement dit, comment les acteurs d’E-critures et d’Ecrits...vains ? distinguent-
ils les bonnes œuvres et les bons auteurs ? Mais qu’est-ce qu’une bonne œuvre ? Nelson
Goodman avance que
« nous devons distinguer très nettement [...] la question "Qu’est-ce que l’art ?" et laquestion “Qu’est-ce que le bon art ?”. Si nous commençons par définir ce qu’est uneœuvre d’art en termes de ce qu’est le bon art, nous sommes définitivement perdus.Car, malheureusement, la plupart des œuvres d’art sont mauvaises58 ».
183 Pourtant, affirmer que « la plupart des œuvres d’art sont mauvaises », c’est déjà dire
quelque chose du bon art, dans une perspective essentialiste. Si la notion de « bon art »
n’a pas de pertinence, la notion de « mauvais art » ne devrait pas en avoir non plus.
Faisant fi de la mise en garde de Nelson Goodman contre le danger de mélanger la
90
nature d’une œuvre et sa valeur, la question « qu’est-ce que la littérature numérique ? »
est souvent identifiée à « qu’est-ce que la bonne littérature numérique ? » sur la liste E-
critures. Ainsi, les échanges sur la valeur d’une œuvre prennent facilement sur E-critures
une tournure théorique et provoquent des controverses animées -qui ne vont pas sans
positionnement stratégique et idéologique -entre les membres : le lien entre théorie et
création y apparaît en effet assez étroit, au contraire d’Ecrits...vains ? Dans leur revue en
effet, le ton de l’éditorial qui présente la sélection bimensuelle se fait lui aussi parfois
prescripteur, reflétant ainsi les critiques qu’ont pu formuler les comités à la lecture des
textes qui leur ont été soumis. Mais ces commentaires théoriques demeurent volontiers
l’apanage des comités de lecture, là où les acteurs de la liste E-critures sont nombreux à
s’impliquer dans les débats de la liste.
184 Sur Ecrits...vains ?, la question de la valeur est posée à travers le processus de sélection
des œuvres destinées à être publiées par la revue. D’une manière générale, sa
responsable, Anita Beldiman-Moore, souligne que nombre de textes reçus participent
encore trop d’une écriture exutoire. S’il est un conseil donné aux auteurs, c’est celui de
dire que la catharsis, le sentiment brut ne constituent en réalité que l’antichambre du
poème, que toute écriture est avant tout travail et non pas prétexte. Nombre de
membres du comité éditorial insistent en effet sur ces deux écueils à éviter que sont,
d’un côté, les effusions personnelles et, de l’autre, les arrangements verbaux trop
formels. Le polissage du style poétique commence donc par le respect de cet entre-deux
et par la volonté d’en rabattre avec le mythe romantique du poète s’écriant : « Ah !
frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie » « On oublie trop souvent qu’à l’origine le
poète est un artisan. Aussi, avant d’exceller dans son art, de devenir un "artiste", le
poète doit-il être rigoureux, intransigeant et minutieux dans son travail », écrit Dan
Leutenegger, ancien président du comité poésie dans un éditorial59.
185 Travailler donc la matière poétique avec rigueur et précision, et en évitant aussi de
tomber dans le travers qui consiste à masquer l’absence de substance poétique par un
respect trop servile des règles classiques spécifiques à la surface imprimée ou à la
présentation graphique de la poésie. Là encore, les comités de lecture relèvent des
problèmes récurrents de forme, de structure et de réflexion réelle sur la poésie : « Ce
n’est pas parce que l’on va à la ligne tous les deux mots qu’on écrit un poème60 »,
commente à ce propos Anita Beldiman-Moore.
186 Compte tenu de ce refus unanime d’une écriture cathartique et de conseils formulés en
aval de la lecture d’un grand nombre de textes chaque mois – « Je m’ennuie », avoue un
membre du comité poésie dans un entretien –, il arrive que la sélection bimensuelle soit
bien maigre. Celle de mars 2002, par exemple, est accompagnée d’un long éditorial
signé par certains membres du comité de lecture, soulignant la difficulté qu’ils ont eue
à sélectionner des textes :
« Allez, avouons-le, nous avons quand même eu bien du mal à trouver quelquechose de quelque texte pouvant faire unanimité immédiate sur l’envie de lequalifier de “publiable”, c’est-à-dire le donner à lire au plus grand nombre enespérant que le plus grand nombre s’y retrouve un instant pour un partage durableet inexplicable, quand bien même et bien qu’assez éclectique en ses personnalités le“comité poésie” ne se sent jamais détenteur de la “vérité” en la matière. »
187 En mai 2004, de même, la revue ne publiait qu’un texte et deux « coups de cœur ». Fait
encore plus significatif, la responsable de la revue ajoutait en forme d’éditorial :
« À nos lecteurs qui attendent de nous soumettre de nouveaux textes, je voudraisciter ces mots de Confidences de Gargouille61 de Béatrix Beck que Lucie Petit nous a
91
envoyé :“Elle (mon écriture) n’est tendue que vers elle-même, sur le fil du rasoir – éviterd’écrire plat tout en se méfiant des dangers de la préciosité – jusqu’à l’obtention dela qualité. Si l’écriture sent l’huile (au sens de la lampe à huile, du travail) et l’effort,elle en manque. Il faut chercher plus loin.” »
188 Dans la même veine, les comités de lecture blâment les auteurs qui s’indignent du refus
de publication auquel ils se heurtent et qui arguent que leur texte a été « écrit avec le
cœur ». Dan Leutenegger ne mâche pas ses mots :
« Ce genre de réaction épidermique, suite à mes refus de publication, témoigned’une formidable confusion du sens que l’on attribue à la poésie. [...] Écrire “avec lecœur”, avec les “tripes”, voilà bien des propos d’adolescents “poéticœurs”, quiéliminent déjà le talent.Il n’est certes pas question d’écrire froidement, avec le souci permanent de la formeau détriment du fond, je dirais plus justement que l’émotion ne préexiste pas à lapoésie, contrairement à ce qu’en pensent nos poéticœurs : d’abord il y a l’image,image qui a pour base la réalité. [...] »
189 La suite de l’éditorial est dans le même ton, soulignant la vulgarité de l’idée selon
laquelle un poème serait l’« enfant de son auteur ». Le même Dan Leutenenegger
ajoute : « Les poéticœurs entretiennent bien souvent des relations incestueuses avec
leurs textes » Enfin, le comité souligne que la poésie n’échappe pas aux effets de mode,
à la « tendance », et cite les mots d’Aragon :
« Nous ne sommes pas seuls au monde à chanter et le drame est l’ensemble deschantsLe drame il faut savoir y tenir sa partie et même qu’une voix se taiseSachez-le toujours le chœur profond reprend la phrase interrompueDu moment que jusqu’au bout de lui-même le chanteur a fait ce qu’il a pu… »(Louis Aragon, dans « Épilogue », Les Poètes, 1960.)
190 Des modalités de la critique aux critères de valeur d’un texte, nos deux dispositifs
révèlent une difficulté commune à spécifier ce qui est publiable et qui se démarque
« des sentiers déjà battus par l’édition classique des textes62 » ou qui est digne d’être
estampillé comme de la bonne littérature numérique. Dans les deux cas, la posture
critique – qu’elle soit le fait des comités de lecture, des participants au forum
d’Ecrits...vains ? ou encore des auteurs de la liste E-critures – propose un discours qui
manifeste bien plus de facilités à exprimer ce qu’il ne faut pas faire qu’à donner des
recommandations opératoires d’écriture. Pour être récurrente sur Ecrits...vains ?, la
stigmatisation d’une écriture cathartique ou d’un style qui manque de maturité
apparaît également sur la liste E-critures, à propos notamment du travail de Konsstrukt.
Nouveau venu sur la liste, ce dernier envoie à un rythme très soutenu, en juillet 2003,
huit extraits d’un roman en cours d’écriture.
« Elle est modérée cette liste ? Parce que ça fait quelques jours que je reçois desspam essayant de me fourguer une puberté difficile pour de la littérature rebelle,c’est assez ennuyeux… »(Message du Lièvre de Mars.)
191 Les textes en eux-mêmes, mais aussi le mode de diffusion utilisé par Konsstrukt, qui
s’apparente à du spam, ne sont guère appréciés par les autres membres de la liste. Le
modérateur l’en exclut au bout d’un mois.
192 Si les acteurs de la liste E-critures peinent à dire ce que devrait être une œuvre de
littérature numérique, du moins affirment-ils unanimement qu’elle doit tirer parti des
propriétés du support numérique. Par exemple, un des arguments avancés par Julien
92
d’Abrigeon pour exclure Konsstrukt de la liste est qu’il n’exploite pas le support
numérique dans son travail d’écriture. Celle-ci est qualifiée de « traditionnelle » : pas
de dimension multimédia, interactive ou générative, pas d’exploitation de la dimension
réseau... Les auteurs de la liste avancent ainsi qu’un bon auteur est un auteur qui
exploite intelligemment les spécificités du support numérique et joue avec le dispositif.
De sorte que l’« e-criture » est définie peu à peu à la faveur de contre-exemples qui
permettent d’en délimiter le champ : « Je ne vois pas le rapport avec l’e-criture du
tout », écrit Philippe Boisnard, et « en quoi ce que tu nous envoies a un rapport, même
vague, avec une quelconque forme d’e-criture ? », demande Myriam Bernardi au même
Konsstrukt.
193 Dès lors que l’on se situe dans l’ordre axiologique, il est intéressant de s’interroger sur
le point de vue et sur la fonction des instances qui formulent un jugement de valeur.
Dans la rubrique « Vos textes » du forum d’Ecrits…vains ? comme sur la liste E-critures,
les auteurs commentent les œuvres d’autres auteurs, dans un cercle très restreint, en
nourrissant l’espoir de trouver un jour un public plus large.
« Lors de la première réception, les “bons” écrivains n’ont souvent pas d’autreslecteurs que les autres “bons” écrivains, leurs concurrents, et il faut de plus en plusde temps pour que les œuvres, d’abord ésotériques, trouvent un public, c’est-à-direlui imposent les normes de leur propre évaluation » [COMPAGNON, 1998]
194 Là où, comme nous l’avons déjà dit, le dispositif Ecrits...vains ? propose plusieurs
alternatives à la publication par les comités de lecture, la liste E-critures et le site e-
critures.org constituent un lieu de résonance unique – et dans une certaine mesure clos
sur lui-même – des œuvres de littérature numérique. Alors que les comités de lecture se
posent – même modestement – en évaluateurs des œuvres sur Ecrits...vains ?, E-critures
est avant tout une liste d’auteurs. Dès lors, le risque est qu’un auteur soit fabriqué par
ses pairs, sans retentissement ni reconnaissance à l’extérieur du groupe. L’exemple de
Myriam Bernardi sur lequel s’appuie Xavier Malbreil63 est à cet égard intéressant. Le 18
avril 2002, Myriam Bernardi se présente et propose dans le même temps à l’ensemble
des participants son récit interactif Ce qui me passe par la tête :
« Bonjour,Je suis nouvelle dans cette liste. Un peu impressionnée d’arriver dans ce lieu où jene connais personne. Je suis très intéressée par la littérature web et interactive.J’ai commencé, avec mes faibles moyens techniques, un site (http://www.cequimepasseparlatete.com) qui se veut une sorte d’autoportrait (évolutif)multilinéaire, et qui utilise beaucoup les liens hypertextes. »
195 Neuf membres, tous créateurs, répondront à ce message de présentation dans les deux
jours qui suivent. Myriam Bernardi acquiert du jour au lendemain un statut d’auteur
aux yeux des membres de la liste. Dans les commentaires, l’accent est mis sur la
dimension technique de la réalisation (liens hypertextuels, accumulation de fenêtres),
mais la valeur de la production est passée sous silence. Julien d’Abrigeon note que
certains textes sont « bons », sans expliciter quels sont les critères de valeur d’un texte.
Lucie de Boutiny, auteur qui écrit aussi pour l’imprimé, donne une impression de
lectrice plus précise :
« Vous racontez les “jolis petits moments” de la vie présente et passée, on sourit,retrouvant ses propres moments d’enfance… »
196 En fait, le critère de valeur qui va introniser Myriam Bernardi en tant qu’auteur, c’est
l’exploitation signifiante du dispositif de la publication en ligne (deux sites en miroir,
l’un consacré à la création hypertextuelle, l’autre à la présentation de son auteur) et
93
des propriétés du support (la technologie hypertexte). « Les liens ne semblent pas
plaqués artificiellement; ils ont au contraire une réelle signification », note François
Coulon. C’est l’adéquation forme-fond, l’utilisation raisonnée des formats techniques
qui joue ici comme critère de valeur. Quelques mois plus tard, c’est en tant qu’auteur,
afin de présenter sa création, que François Coulon invite Myriam Bernardi lors d’une
soirée des Mardis numériques : l’auteur est bien né sur la liste E-critures. C’est aussi en
vertu de ce critère d’utilisation raisonnée des spécificités du support numérique et du
dispositif technique que d’autres membres ne sont pas considérés comme de bons
auteurs par le groupe. Ils n’obtiennent pas la reconnaissance de leurs pairs sur la liste.
197 Enfin, étant donné le nombre important d’« auteurs-chercheurs » sur la liste E-critures,
on peut se demander si, pour certains, un bon auteur ne doit pas également être un bon
théoricien. D’où l’importance de la critique « académique » [THIBAUDET, 1939] sur la liste
E-critures, ainsi que la présence de textes théoriques sur le site e-critures.org. Les
contributions de Philippe Bootz sur la liste E-critures sont une bonne illustration du lien
entre création et théorie. À Xavier Malbreil qui écrit :
« Pour moi, ce que j’essaie de faire, c’est une œuvre qui avancerait sur ses deuxfronts : se produisant comme œuvre elle donnerait en même temps sonsoubassement théorique, qu’elle exprimerait implicitement, et dont elle resteraitinfirme si jamais on devait l’en séparer. [...] Que la théorie serve de moteur interneà ma création, et je pourrai m’estimer non pas satisfait – parce que seuls lesinconscients peuvent être satisfaits – mais en accord avec mon désir. »
198 Philippe Bootz répond :
« Voilà qui énonce de façon très juste, et très “poétique”, la position de tous lesauteurs-théoriciens que je connais. Car œuvre et théorie sont excroissances d’unemême pulsion »(Message du 26 mai 2002.)
199 La « critique académique », sur E-critures, est souvent difficilement dissociable d’une
« critique d’auteur ». Xavier Malbreil, l’un des plus importants auteurs de la littérature
numérique et l’un des animateurs les plus actifs de la liste E-critures, a d’ailleurs choisi
d’entamer un travail de recherche précisément sur la « critique de la littérature
informatique » [MALBREIL, 2005]. Ce qui se passe dans le dispositif E-critures est une
bonne illustration de cette coconstitution des œuvres et des modèles théoriques,
laquelle est spécifique à la littérature numérique. À maintes reprises nous avons
souligné qu’E-critures fonctionnait comme un laboratoire d’œuvres et de pratiques,
comme un espace de construction d’un champ littéraire que ses acteurs voudraient voir
reconnu. Là se situe une grande différence avec Ecrits…vains ? qui n’a pas besoin de
construire ses propres fondements théoriques et ses référents culturels.
200 En renonçant aux traditions historiques du « texte », la communauté des e-crituriens
cherche à adopter d’autres cadres communs d’évaluation dont l’avènement apparaît
rapidement problématique. C’est ici, peut-être, que l’observation des pratiques,
l’analyse du dispositif ou les enquêtes menées auprès des acteurs basculent
massivement vers la question essentielle de la nature (ou des natures possibles) de
l’œuvre numérique, de ses traits intrinsèques par comparaison (ou non) avec les cadres
historiques de la production littéraire imprimée et de ses genres.
94
NOTES
1. Rappelons que cette fonction médiatrice [RIEUSSET-LEMARIÉ, 1999] a traditionnellement pour but
d’articuler le pôle créatif (conception) et le pôle commercial (diffusion) [REBILLARD et CHARTRON,
2004].
2. http://mailhost.diffusion.diplomatie.gouv.fr/wws/info/poesie-fr.liste
3. Liste de discussion : http://fr.groups.yahoo.com/group/e-crirures. Site web : http://www.e-
critures.org
4. Bien que disparue du Web, la liste Ecriordi était accessible à l’adresse suivante : http://
www.egroup.com/group/ecriordi
5. Plus exactement un « e-group » de l’entreprise Yahoo ! Il faut noter ici que le « groupe de
discussion » se distingue de la « liste de diffusion » par le stockage des messages sur un site web
et non plus sur les ordinateurs des abonnés.
6. Créée le 27 avril 2001, l’association porte le même nom que le site et la liste mais ses activités
sont restées limitées. Elle a pour objectif d’agir le cas échéant sur des institutions; son siège social
se trouve à Paris.
7. Cf. lexique en annexe.
8. Lire à ce sujet le chapitre 10 de La Raison graphique de Jack Goody [GOODY, 1979].
9. http://www.ecrits-vains.com/divers/comites.html
10. Voir la « liste des membres » : http://www.e-critures.org/2003-2/index2.html
11. Voir la présentation de l’équipe : http://www.ecrits-vains.com/divers/contacts.html
12. [CHARTRON et REBILLARD, 2004]
13. Il faut noter ici que lorsque l’on pratique l’autoédition (menant à des publications) dans le
monde francophone, on pratique – simplement – l’autopublication dans le monde anglo-saxon. Là
où en français on utilise un seul terme, celui d’« éditeur » pour qualifier les opérations de
sélection et de fabrication menées par la profession, on utilise en anglais soit le terme editor, soit
le terme publisher. Est distinguée ici la responsabilité juridique de l’editor qui n’incombe pas au
publisher. Outre le fait que les phases d’édition et de publication ne recouvrent pas les mêmes
opérations mais sont extrêmement dépendantes les unes des autres, cette ambiguïté dans la
traduction linguistique des métiers est susceptible de provoquer des contresens et d’aplatir aussi
toute une gamme d’usages.
14. Contenu du numéro du 24 janvier 2005.
15. Cf. lexique en annexe.
16. Deux pour les comités de lecture, une pour le comité de rédaction (réunissant en fait tous les
membres des comités, les chefs de rubrique ainsi que ceux – lecteurs et auteurs – qui
s’investissent le plus dans ces rubriques, soit une trentaine de personnes).
17. http://www.librairie-galerie-racine.com/
18. http://mapage.noos.fr/echolalie/
19. « Atelier d’écriture » à thèmes, « Forum général » orienté plutôt vers des réflexions
littéraires, « Boîte à chansons » aux discussions sur les chansons publiées en ligne par leurs
auteurs, etc.
20. La responsable de la revue précise que « Vos textes » visait au départ à répondre aux attentes
de certains auteurs, « éternels mécontents » qui « vous envoient un texte pour la publication,
mais ne supportent pas d’être jugés ». Au reste, il faut préciser que, pour être spontanés et
rapides, les critiques et les commentaires faits par les autres participants au forum et à cette
rubrique ne sont pas, loin s’en faut, complaisants.
21. Dénommé Web 2.0 et constitué de logiciels « sociaux » de partage de médias et de ressources.
22. Portable desktop format, format propriétaire d’Adobe utile aux imprimeurs.
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23. CMS (Content Management System) : système de gestion de contenu.
24. Comme les CMS, les blogs ou les wikis.
25. [FOUCAULT, 1994]
26. Cf. la composition de la liste E-critures en annexe.
27. Une vision de la littérature informatique de « a » « h » et au-delà, texte déposé sur le site e-
critures.org. http://www.serandour.com/download/EricSerandour2 000.pdf
28. Est considéré traditionnellement comme auteur celui qui « augmente » qualitativement et
quantitativement un corpus d’œuvres référencées. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
propose une origine latine du terme « auteur » : la traduction d’auctus par le participe d’augeo
(« j’accrois ») est reprise et discutée encore aujourd’hui. Le travail de programmation
informatique, la plupart du temps invisible par le lecteur, représente une diversification de la
notion d’augmentation car c’est la matière de l’œuvre qui doit être prise en compte dans son
évaluation.
29. [BROUDOUX, 2003]
30. Si le terme« autoritativité » a une acception anglaise commune (authoritative), son emploi en
français est restreint. C’est lors d’une controverse qu’on le rencontre pour la première fois dans
un ouvrage du philosophe Paul Audi intitulé L’Autorité de la pensée. La thématique explorée par ce
livre est l’autorité de l’auteur, c’est-à-dire cette capacité à devenir auteur de textes émanant de
« soi-même », en sachant qu’il n’y a pas de textes totalement inventés, mais un recyclage
permanent de textes préexistants.
31. http://bertomeu.eric.free.fr/
32. [KLEINBERG, 1998] Cf. lexique en annexe.
33. [BEAUDOIN, 2002]
34. Pour une première approche des problèmes liés aux moteurs de recherche, voir les débats sur
« Les enjeux culturels des moteurs de recherche » : http://debarvirtuel.bpi.fr/moteurs
35. http://homepage.mac.com/philemon11artides/Personal39.html
36. Auteur du site 0ml.com.
37. http://davidstill.org
38. On peut même dire que les pratiques d’anonymisation sur le réseau sont de plus en plus
fréquentes.
39. http://www.webbyawards.com/main/webby_awards/nominees.html#personal_web_site
40. http://www.mouchette.org
41. [SOUCHIER et alii, 2003], p. 219.
42. http://duteurtre.free.fr/guppy
43. Il est aussi responsable de la rubrique « Les revues en revue ».
44. Notons, en filigrane dans le discours de la responsable de la revue, la pression exercée par les
auteurs – la force de la demande des auteurs pour être publiés – et, son pendant, la présélection
que l’instance éditoriale exige.
45. Extrait d’un questionnaire par mail.
46. Ibid.
47. Ibid.
48. Ibid.
49. Ibid.
50. http://www.zazieweb.fr/
51. [GHITALLA et alii, 2004]
52. [CHARTRON et REBILLARD, 2004]
53. Jeu informatique en deux dimensions imitant le principe du ping-pong où le joueur déplace
une barre de droite à gauche dans le but d’éviter la chute d’une balle qui lui est envoyée et qu’il
fait rebondir.
96
54. Association pour la promotion de l’écriture et la lecture sur support électronique, http://
www.apelse.asso.fr/
55. Huit messages en 2003, 10 en 2004, 12 en 2005, 16 de janvier à mai 2006.
56. http://www.olats.org/livresetudes/basiques/basiques.php#sommaire
57. Titre de son message du 4 octobre 2003.
58. [GOODMAN, 1984]
59. Éditorial accompagnant la sélection poésie de mars 2002.
60. Extrait d’entretien.
61. P. 22 de l’édition Labor, précisait la responsable du site.
62. Ainsi que l’indique la lettre d’information qui accompagne le n° 2 de la 8e année de la revue
(24 janvier 2005).
63. [MALBREIL, 2005]
97
Chapitre III. Les œuvres delittérature numérique
1 Après avoir analysé les dispositifs d’édition et de publication en ligne, intéressons-nous
maintenant aux productions, en particulier aux productions de la littérature
numérique et à leur éventuelle spécificité. Les œuvres de littérature numérique, nous
l’avons dit, sont conçues et réalisées pour l’ordinateur et le support numérique, avec la
volonté d’exploiter certaines de leurs caractéristiques : technologie hypertexte,
dimension multimédia, interactivité... Cette littérature n’aurait pas de sens sans le
support numérique.
2 Or, si l’on se penche sur la littérature écrite et publiée sur papier, on constate qu’elle
s’est souvent interrogée sur les limites de son support [CLÉMENT, 2000]. La prise en
compte explicite des caractéristiques du support dans certaines œuvres montre ainsi
comment, d’une certaine manière, le récit littéraire s’est construit contre les -et grâce
aux -contraintes du papier. Ainsi, dans Vie et Opinions de Tristram Shandy [STERNE, 1760],
Laurence Sterne révolutionne le récit écrit tant par le traitement du contenu
(divagations personnelles de l’auteur sur lesquelles se greffent celles de ses
personnages) et par le dialogue permanent qu’il entretient avec le lecteur que par la
façon dont il bouscule la typographie et la mise en page (pages marbrées, noires, vides,
omission de chapitres). Marc Saporta, de son côté, propose dans Composition n°1
[SAPORTA, 1962] un exemple de combinatoire totale, sans doute unique dans l’histoire du
roman. Brisant les habitudes de lecture et les contraintes liées aux caractéristiques
matérielles du livre relié, l’auteur présente son œuvre sous la forme d’une pochette
contenant 150 feuillets détachés. Chaque feuillet constitue un module romanesque.
Dans sa préface, l’auteur indique que « le lecteur est prié de battre ces pages comme un
jeu de cartes. [...] L’ordre dans lequel les feuillets sortiront du jeu orientera le destin de
X ». Le nombre de combinaisons possibles est de nature à décourager toute tentation de
lecture exhaustive1. De Laurence Sterne à Marc Saporta, l’histoire du roman est ainsi
inséparable d’une réflexion récurrente des romanciers les plus novateurs sur les
contraintes matérielles du livre.
3 Par ailleurs, la littérature s’est emparée de tous les supports techniques. Le récit, par
exemple, a su s’adapter à tous les supports : l’oral, le texte imprimé, le cinéma, la
télévision ... Aujourd’hui, le récit investit le support numérique pour devenir récit
98
interactif (cf. lexique en annexe). Or, chaque changement matériel de support a entraîné
d’importantes modifications dans l’art de raconter des histoires. Ces modifications se
sont faites progressivement ; les auteurs ont en effet cherché dans un premier temps à
reproduire les modèles de l’époque précédente avant d’explorer les possibilités
narratives du support émergent (ainsi le cinéma, dans ses débuts, reproduit la scène
théâtrale) [CLÉMENT, 2000].
4 Il est donc logique que les écrivains s’intéressent au support numérique et à ses
spécificités, mais il n’est pas surprenant non plus que les œuvres de littérature
numérique qui apparaissent aujourd’hui cherchent encore un mode d’écriture qui leur
soit propre.
5 Nous allons donc nous pencher sur les œuvres, leur nature (les formes de textualité
numérique), leurs modalités de lecture, mais aussi leur catégorisation en genres par
une communauté d’auteurs-lecteurs en ligne. L’entreprise peut sembler ambitieuse :
dans la mesure où il s’agit d’un domaine en émergence pour lequel il n’y a pas encore
beaucoup de travaux scientifiques, nous avons été obligés de balayer ces différentes
dimensions pour établir une sorte d’état des lieux du domaine et tracer des pistes pour
des travaux de recherche ultérieurs. Nous nous appuierons à la fois sur le discours des
acteurs d’E-critures (messages sur la liste de discussion + entretiens) et sur les œuvres
créées par les e-crituriens, notamment celles présentées sur le site e-critures.org2.
Le texte dynamique
6 La littérature, ce sont avant tout des mots et des textes. Or les inscriptions sur support
numérique, contrairement à celles sur des supports statiques comme le papier, la
pellicule ou le vinyle, possèdent des propriétés dynamiques qui transforment
profondément les modes de constitution d’une signification à partir de signes. La
calculabilité des inscriptions numériques implique des possibilités de manipulation, de
reproduction et de transmission inédites dont les conséquences sur le processus
d’interprétation sont multiples. Qu’en est-il des textes de littérature numérique ? Peut-
on parler d’une redéfinition de la notion de « texte » dans de telles œuvres ?
7 Il existe un point commun entre Ecrits...vains ? et E-critures : un même attachement aux
mots et au texte semble prégnant chez la majorité des acteurs. Ainsi Pierre-Olivier
Fineltin, qui a été membre du comité de sélection d’Ecrits...vains ?, a également été un
contributeur de la liste E-critures en 2001-2002. C’est sur cette liste qu’il fait la
promotion, en tant qu’auteur de littérature imprimée, de son recueil de nouvelles. Mais
dans le même temps il est l’auteur de récits hypertextuels3 et écrit un « manifeste de la
webature », qu’il diffuse sur e-critures.org :
« Oui, il existe une forme d’œuvre textuelle de fiction propre au Web.Oui, cette forme possède une structure différente du roman en livre.Oui, cette forme est vécue différemment par le lecteur. Oui, l’élément fondamentalest le lien hypertexte. J’appelle cette forme webature.Il s’agit d’un texte de fiction utilisant une structure en liens hypertexte. [...] »(Message de Pierre-Olivier Fineltin du 26 juin 2001.)
8 Ce « manifeste de la webature » ne masque pas le lien fort qui existe pour lui entre
littérature imprimée et littérature numérique, à savoir le travail sur le texte :
« Je suis un auteur. Le média, la technique, les machins-chostiques, ça ne changerien. Il y a un texte (je parle pour moi, car l’image, l’animation, le son, la mise en
99
page, c’est pas mon boulot) et une expérience individuelle pour rentrer dedans,exactement comme dans un bon gros bouquin en papier ! »(Message de Pierre-Olivier Fineltin du 24 avril 2002.)
9 Pourtant, dans les dispositifs Ecrits...vains ? et E-critures, le terme « texte » n’a pas
symptomatiquement la même acception. En effet, sur ecrits-vains.com, « textes »
signifie « productions littéraires », alors que sur le site e-critures.org, la rubrique « Les
textes » est exclusivement consacrée aux textes théoriques et critiques. Or rien n’est
explicite sur e-critures.org. Ainsi des auteurs ont pu proposer des textes poétiques en
tant qu’œuvres dans la rubrique « Les textes », textes qui n’ont pas été acceptés pour ne
pas être de nature théorique ou critique. Tout se passe comme s’il allait de soi qu’une
œuvre de littérature numérique ne puisse pas être un texte, ou du moins ne puisse pas
n’être qu’un texte. La notion de texte à elle seule ne suffit pas à caractériser une œuvre
de littérature numérique.
10 Quelle utilisation les auteurs font-ils du texte dans ces œuvres ? La véritable spécificité
du texte numérique tient sans doute à sa nature dynamique. Le terme « dynamique »
recouvre ici trois acceptions : le texte peut présenter une dynamique spatio-
temporelle ; il peut également être qualifié de « dynamique » au sens où il fait l’objet
d’une programmation, d’un calcul et d’un affichage en temps réel ; enfin, il est
dynamique au sens où il est « interactif », où il attend une action du lecteur.
Une dynamique spatio-temporelle
11 L’e-criturien Julien d’Abrigeon propose sur son site T.A.P.I.N.4 une rubrique intitulée « E-
critures ». Cette rubrique regroupe des poèmes « utilisant les spécificités de
l’ordinateur comme apports stylistiques. L’e-criture est la littérature par, pour, avec,
sur, à partir de l’ordinateur ». Les œuvres proposées sont qualifiées de « poème
mobile », « poème animé », « poème visuel actif », « poème interactif », « animation
sonore », mais le titre générique de la page donnant accès à ces poèmes est « poésie
cinétique5 ». Le terme de littérature « cinétique » désigne en effet des réalisations
faisant appel à une mise en mouvement du texte. Un texte dynamique est donc en
premier lieu un texte en mouvement, un texte animé. Le texte peut avoir sa propre
temporalité d’affichage et de déplacement, favorisant ainsi de nombreux jeux sur la
spatialisation des caractères et leur apparition/disparition. Certaines œuvres
exploitent conjointement la mise en mouvement du texte et de l’image : c’est le cas
d’œuvres poétiques, mais également de récits interactifs cinétiques (par exemple
anonymes.net6).
12 La vogue actuelle du logiciel Flash de la société Adobe en tant qu’outil de création a
entraîné un grand nombre de productions proposant du texte en mouvement : en effet,
ce logiciel est propice à la réalisation d’animations se déroulant dans le temps. Est ainsi
créé un régime de textualité assez singulier. Traditionnellement, dans l’édition papier,
le texte est imprimé sur une page : notre regard parcourt un espace en passant d’un
mot à un autre. Dans les œuvres de littérature cinétique, le texte se déroule dans le
temps, instaurant un autre type de rapport entre texte, espace et temps. Le texte, mis
en mouvement mais également mis en espace, de texte à lire devient texte-image7,
voire texte-performance. « Les mots deviennent images, tout comme les images
s’insèrent tout naturellement dans la phrase8. » Cette tentation, depuis longtemps
esquissée dans diverses tentatives historiques, trouve désormais toute son ampleur
grâce aux possibilités que lui accorde le numérique. Un écran est avant tout une image
100
et, sans pour autant perdre les caractéristiques essentielles qui le définissent comme
texte, le texte, y gagnant de multiples dimensions, s’y joue comme tel.
13 Le jeu sur la frontière entre texte et image se trouve ainsi renforcé. De nombreux
auteurs jouent de la confusion entre les deux. Les signes échangent attributs et
fonctions. Limage se parcourt parfois comme un texte qui articule un système d’indices
et le texte se pare des attributs de l’image en mettant en avant une dimension iconique.
Julie Potvin propose ainsi une adaptation du poème « L’Horloge9 » de Charles
Baudelaire dans laquelle le texte mis en scène et animé à l’écran est conçu « comme une
image ». On est ici très proche du travail sur la forme matérielle des lettres dans la
calligraphie.
Figure 2. L’Horloge, de Julie Potvin, d’après Charles Baudelaire.
14 Julie Morel, du collectif incident.net, parle d’« envisager le texte comme une image et le
spectateur comme un lecteur » (à propos de Random access Memory10, œuvre fondée sur
la génération de texte à partir de De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll).
15 Certains e-crituriens considèrent que le texte à l’écran, appréhendé en tant qu’image,
ne peut plus être apparenté à de la littérature :
« Il faut s’efforcer de sortir de la littérature car ce n’en est fondamentalement pas,l’“e-criture” c’est du domaine de l’image et non du texte [...]Je pense que c’est la faute de l’écran, que c’est l’écran qui empêche le texte etprésente, forcément, de l’image. »(Message de Frédéric Madre du 8 septembre 2003.)
16 On doit pourtant considérer que les possibilités -offertes par le numérique -de mise en
scène et d’animation des lettres et des mots participent d’une écriture poétique. En
effet, le poétique est plus sensible à la matérialité phonétique et graphique du langage.
Il semble bien passer avant tout par un jeu sur le signifiant. Or, ce jeu sur le signifiant
serait favorisé par le dispositif informatique et le support écran, permettant un
véritable travail poétique et une spectacularisation du texte à l’écran. C’est notamment le
cas sur le site Scriptura et cαtera11 de Marie Belisle, qui propose, comme le précise le
paratexte : « Des œuvres littéraires, informatisées, animées et interactives. Un parti
pris pour les productions expérimentales, hybrides et paradoxales. »
17 Le texte mis en espace peut devenir texte-image, mais également s’hybrider avec
d’autres formes sémiotiques (sons, séquences vidéo) pour devenir texte multimédia. Sur
e-critures.org, Pierrick Calvez propose ainsi une œuvre intitulée Days in a Day12. Ce récit
101
très graphique nous invite à suivre la journée de M. Brown dans l’univers
schizophrénique d’une grande ville. « Une musique étrange et lancinante, des
graphismes qui mêlent harmonieusement pixels et tracés linéaires, des textes brefs aux
allures de manifestes ou de poèmes, on ne sait trop... et pour parfaire cet ensemble
hétéroclite, le zeste d’interactivité qui donne corps au récit13 » Nous sommes bien dans
le cadre d’une création résolument multimédia. Mais lorsqu’un auteur convoque et
organise poétiquement différentes formes sémiotiques, s’agit-il encore de littérature ?
L’œuvre est alors aux marges, aux frontières. Quand un auteur propose une œuvre qui
s’apparente à une exploration interactive et multimédia, c’est le statut même du texte en
littérature qui se trouve interrogé.
Figure 3. Days in a Day, de Pierrick Calvez.
Un texte programmé
18 La mise en mouvement du texte, sa mise en espace et son hybridation avec d’autres
formes sémiotiques peuvent trouver de nombreux échos dans des œuvres littéraires
prénumériques. La dimension programmée et calculatoire du texte numérique pourrait
sembler en revanche plus inédite.
19 Le mouvement Transitoire observable14, créé à l’initiative d’Alexandre Gherban et de
Philippe Bootz, s’est constitué autour de la notion de « littérature et art programmés » :
il met ainsi en avant la notion de programme. Philippe Bootz, dans les messages adressés
à la liste E-critures, oppose les œuvres qui proposent des « formes de surface » et les
œuvres programmées qui nécessitent une « écriture du dispositif15 ».
20 Pour certains, ces œuvres seraient l’objet d’un glissement hors de la littérature.
Néanmoins, d’autres auteurs, tel Jean-Pierre Balpe, revendiquent le terme littérature
dans le cas du texte programmé. Ce texte programmé peut alors prendre des formes
différentes : texte généré, texte « base de données », texte calculé.
Un texte généré
21 Si la génération de texte n’est pas spécifique à la littérature sur Internet, de nombreux
travaux sur le Web s’appuient néanmoins sur cette exploitation du texte programmé.
Ainsi, Rodrigo Reyes, membre d’E-critures, est le créateur de charabia.net16, site de
« génération automatique de textes aléatoires ».
102
« Le petit site (http://www.charabia.net) que j’avais démarré en janvier 2000 avec 3générateurs de textes a pas mal grandi, et a maintenant dépassé toutes mesattentes. En effet, il compte maintenant 75 générateurs. »(Message de Rodrigo Reyes du 2 mars 2003.)
22 Si charabia.net a avant tout une vocation parodique et ludique, des fictions peuvent
également être fondées sur la génération de texte. Ainsi, Trajectoires17, accessible depuis
le site e-critures.org, est « un roman policier interactif et génératif sur Internet, au
croisement de la technologie, de l’art et de la littérature ». Trajectoires constitue une
adaptation sur le Web des générateurs de textes littéraires conçus par Jean-Pierre
Balpe. Ils fonctionnent à la manière d’un écrivain automatique. En effet, les textes ne
sont pas préécrits, mais les mots sont combinés en temps réel à partir de logiciels
d’écriture automatique capables d’engendrer les pages d’un roman sans fin.
23 Avec le texte généré, la notion de texte change. Il s’agit d’un texte sans origine ni fin :
même la première version du texte émise par l’ordinateur n’est pas la première version
et la dernière n’est jamais la dernière que pour un lecteur en particulier. Le texte se
renouvelle indéfiniment en chacune de ses lectures, non pas parce que, comme dans la
théorie de l’« œuvre ouverte » de Umberto Eco [ECO, 1965], son interprétation se
rajeunit en chacun de ses lecteurs, mais parce que le texte lui-même est un texte en
perpétuel renouvellement.
Un texte base de données
24 Aussi étonnant qu’il puisse paraître, le texte donné à lire peut également être un texte
extrait d’une base de données.
25 D’une part, l’œuvre peut être conçue comme une grande base de données textuelle.
Certains récits sont organisés de la sorte18, répondant au souhait exprimé par Lev
Manovich dans The Language of New Media de se pencher sur les rapports entre récit et
base de données [MANOVICH, 2001].
26 D’autre part, des textes indexés dans une base de données peuvent être des textes
rédigés par les lecteurs eux-mêmes. C’est le cas de l’œuvre de Xavier Malbreil et Gérard
Dalmon intitulée Le Livre des Morts19, accessible depuis le site e-critures.org. Le lecteur-
interacteur répond à des questions au cours de son voyage dans le royaume des morts ;
il peut modifier ces textes lors d’une lecture ultérieure. Ces textes sont lisibles par les
autres lecteurs dans une « Salle de lecture ». La communauté de lecteurs est alors
inscrite dans l’œuvre et l’œuvre est en perpétuelle évolution. En 2005, une dizaine de
lecteurs en moyenne ont parcouru chaque jour Le Livre des Morts (sans forcément
donner à voir les textes qu’ils ont rédigés, dans la mesure où la liberté est laissée au
lecteur d’« afficher » ou de « masquer » ses textes).
Un texte calculé
27 Sur le site e-critures.org est également référencé un poème de Julien d’Abrigeon
intitulé « Proposition de voyage temporel dans l’infinité d’un instant20 ». « La raison
d’être de ce poème est, quoi qu’il arrive, d’être le plus contemporain des poèmes. Puis
de disparaître. » En activant l’œuvre, le lecteur déclenche un poème animé constitué
par la date et l’heure présentes qui chutent, dans des polices différentes, dans l’espace
de la page-écran. A la fin, le texte reste figé pendant quelques secondes avant d’être à
nouveau généré automatiquement, en prenant en compte la nouvelle heure. Le texte de
103
ce poème est un texte non seulement animé, mais qui n’a aucune pérennité. Le texte du
poème, calculé, ne sera jamais le même car la date et l’heure de consultation seront
toujours différentes.
Figure 4. Le Livre des Morts, de Xavier Malbreil et Gérard Dalmon.
28 Cette œuvre met bien en lumière le fait qu’un texte numérique consiste en fait en deux
types de texte :
un texte codé, forme d’enregistrement, qui va être interprété (par exemple, un texte sur le
Web sera souvent codé en langage HTML21) ;
un texte affiché à l’écran, forme de restitution22.
29 Contrairement au support papier sur lequel forme d’enregistrement et forme de
restitution sont identiques (le texte imprimé), sur un support numérique elles sont
distinctes. Via la médiation du calcul, à une même forme d’enregistrement peuvent
correspondre plusieurs formes de restitution. C’est ce jeu dynamique entre forme
d’enregistrement et forme de restitution qui est exploité par certains auteurs. Ainsi, le
programme informatique qui constitue le socle donnant forme au texte numérique en
fait un texte en perpétuelle métamorphose.
30 Derrière ce jeu entre texte-code et texte à lire, on peut pointer la dissimulation
structurelle propre à tout programme informatique. Le lecteur ne sait pas ce que le
programme est en train de faire, de calculer. Le lien hypertexte sur lequel je viens de
cliquer est-il statique (si je clique dix fois sur le même lien, obtiendrai-je à chaque fois
le même fragment textuel) ? Ou bien est-il dynamique (conduisant vers un fragment
tiré aléatoirement, ou bien vers tel ou tel texte en fonction de telle ou telle condition,
par exemple selon les textes déjà parcourus par le lecteur) ? Il y a là une opacité
induite, due à cette machine logique qu’est tout programme informatique, sur laquelle
s’appuient certains auteurs.
31 Par nature, un texte sur un support numérique est donc un texte dynamique dans la
mesure où il est le résultat d’un calcul. Il y a du calcul entre une forme
d’enregistrement et une (ou plusieurs) forme(s) de restitution. Alors que la raison
d’être des documents papier est la représentation spatiale d’informations [GOODY, 1979],
la raison d’être des documents numériques est le calcul que l’ordinateur effectue sur
ces documents. C’est d’ailleurs parce que le calcul permet la manipulation
d’inscriptions que la possibilité peut être également donnée au lecteur de manipuler
lui-même des inscriptions. Ainsi, l’essence du numérique, plus que d’être du lisible,
•
•
104
serait d’être du manipulablé23. Le texte numérique, autant que d’être un texte donné à
lire, est un texte donné à manipuler.
Le texte « interactif »
32 Il est texte manipulable dans le « poème sonore et textuel interactif » « Cigît24 »
accessible sur le site de l’e-criturien Julien d’Abrigeon25, sous la rubrique intitulée
justement « E-critures ». Le début d’une épigramme d’Alexis Piron (« Mon épitaphe26 »)
est découpé en unités discrètes syllabiques. Le lecteur peut manipuler ces éléments
visuels et sonores pour recréer une autre combinaison syllabique à partir du matériau
proposé. L’œuvre ne prend son sens que par l’action du lecteur sur le matériau textuel
et sonore.
33 Si le texte manipulable attend une action du lecteur, c’est également le cas du texte
constituant l’ancre d’un lien dans l’hypertexte. Une production hypertextuelle propose
ainsi une lecture non linéaire de fragments textuels reliés par des liens27. Dans un récit
hypertextuel, la navigation peut permettre à chaque lecteur de suivre un parcours
unique. Ainsi que nous l’avons souligné, les liens peuvent en effet être statiques mais ils
peuvent également être dynamiques : si le lecteur clique à plusieurs reprises sur un
même lien hypertexte, soit au cours d’un même parcours de lecture, soit lors d’une
lecture ultérieure, il ne verra pas forcément le même fragment textuel s’afficher.
34 Enfin, le texte peut être tapé au clavier par le lecteur et intégré dans l’œuvre. Dans ce
cas, il ne s’agit pas de texte à proprement parler attendant une action du lecteur, mais
d’un champ de saisie en attente de données textuelles. Le texte interactif correspond
alors à une introduction de texte dans l’œuvre. C’est le cas dans Le Livre des Morts (LDM).
Xavier Malbreil explique sa démarche dans un mail adressé à la liste E-critures :
« Dans Le Livre des Morts, la participation du lecteur intervient à deux reprises :1 – Quand il agit sur l’œuvre avec les moyens interactifs permis par le HTML. C’est là
une participation à l’œuvre, qui amène le lecteur vers cette fameuse co-écrituredont parle Barthes dans Le Plaisir du texte, et qui est la pierre angulaire de nospratiques d’e-criture.2 – Quand il choisit de s’inscrire dans une base de données, puis de répondre à unensemble de 35 questions. Dans ce second cas, qui est la participation la plussignificative du lecteur au LDM, l’intention était la suivante : le lecteur, en répondant
à des questions pour certaines très intimes, devait expérimenter le dispositif mis enplace par le LDM, et devait en éprouver le caractère paradoxal. On ne peut pas en
effet répondre à des questions posées à un mort, parce que l’on n’est pas mort toutsimplement. Pourtant, des réponses sont données, pour certaines très sincères, trèstouchantes. Le dispositif mis en place dans le LDM, dispositif qui est intimement lié à
une technique, doit mettre en lumière ce que ces techniques apportent commetransformation dans la perception que nous avons de nous-mêmes. Qui sommes-nous en effet pour pouvoir parcourir notre mort, et écrire sur nous comme si nousétions morts ? Quels étranges pouvoirs la technique nous donne-t-elle ? »(Message de Xavier Malbreil du 16 février 2004.)
Une redéfinition de la notion de texte ?
35 Le texte numérique est un texte programmé, que les auteurs composent avec d’autres
formes sémiotiques et dont ils exploitent la dimension dynamique. On peut alors se
demander si le travail sur les mots et la notion de texte permettent encore de tracer
une frontière entre littérature numérique et arts numériques. Le schéma des relations
105
sémantiques élaboré dans le chapitre 1 (cf. figure 12) montre qu’il existe sur E-critures
une tension entre, d’un côté, un travail sur le support numérique et interactif, et, d’un
autre côté, un travail sur les mots et sur le texte (même si, bien évidemment, support et
texte sont liés). La liste des membres d’E-critures, qui comprend tout à la fois des
auteurs venant de l’écriture imprimée et des artistes venant des arts graphiques et du
Net art, met à jour cette tension.
36 Le groupe Transitoire observable entend, nous l’avons vu, promouvoir « la littérature
et l’art programmés ». Littérature et art sont unis dans une même dimension
programmée. La notion de programme semble ainsi rendre très poreuse la frontière
entre littérature numérique et arts numériques. Il est d’ailleurs symptomatique que
beaucoup d’auteurs revendiquent de plus en plus un statut d’artiste multimédia. Jean
Clément, dans sa préface à l’Éloge des virus informatiques dans un processus d’écriture
interactive de Xavier Malbreil [MALBREIL, 2004a], s’intéresse à ce glissement :
« Les progrès constants du multimédia, en transformant peu à peu la page à lire enspectacle à regarder, à écouter, à manipuler ou même à écrire, posent aux écrivainsla question des frontières du champ littéraire. Je suis frappé de constater avecquelle constance Xavier Malbreil continue, dans son œuvre numérique, de seréclamer de la littérature, quand d’autres sont passés du statut de poète à celuid’artiste multimédia. »
37 Ainsi, certains auteurs-programmeurs, attirés par la notion de modélisation, opèrent
un déplacement du travail sur le texte vers la modélisation d’un univers :
« En définitive, et pour résumer l’idée globale, chaque univers créé, que cela soitpar moi, ou par un autre quidam serait un modèle; il Y aurait le modèle ventolin, lemodèle X, le modèle Y, qui serait l’appropriation de la réalité sous la forme d’unmodèle -une vision artistique de la réalité; il ne s’agirait plus d’écriture, [...] mais demodélisation. »(Message d’Olivier Ventolin adressé à la liste E-critures le 10 février 2002.)
38 Pour certains auteurs de la création numérique, la modélisation d’un univers (comme
ce peut être le cas dans le jeu vidéo) ou le travail sur le dispositif semblent bien
présenter actuellement plus d’attraits que le travail sur le texte.
39 Pourtant, de nombreux projets artistiques sur le Web restent fondés sur le texte. Ainsi
Julie Morel décrit son projet Random Access Memory28 :
« Random Access Memory est un générateur de texte dyslexique -ou plutôtdysgraphique -dont la matrice est De l’autre côté du miroir (Lewis Carroll), le supportde diffusion est Internet, et dont la thématique est la transmission d’information.[...] Le but est d’interroger notre capacité à envisager un texte lorsqu’uneinterférence s’insère pendant la transmission écrite de celui-ci. Le principal desseinsera moins de narrer une histoire au sens strict du terme que de développer unrythme, un univers qui projettera, exilera le spectateur dans un monde vraimentdifférent de celui qu’il expérimente lorsqu’il se trouve face à un simple générateurde texte. Il s’agira de créer, grâce uniquement au texte, l’image d’une autre languedans la tête du spectateur. »
40 Dans ce projet, ce n’est plus le plaisir du texte29 au sens de Roland Barthes qui prime,
mais le texte devient pré-texte à une démarche artistique.
41 Néanmoins, dans nombre d’œuvres de littérature numérique, comme dans le NON-
roman30 de Lucie de Boutiny ou les SeriaI Letters31 de Xavier Malbreil, le plaisir du texte
semble toujours prégnant. Toutefois, ces auteurs sont souvent symptomatiquement des
auteurs qui ont écrit ou écrivent encore pour l’édition papier32. Ils revendiquent avant
tout un travail sur le texte. Mais le travail sur le texte est-il toujours de même nature ?
106
Certaines pratiques textuelles, dans les œuvres de littérature numérique, paraissent
entraîner un changement de paradigme dans l’idéologie du texte littéraire. C’est le cas
notamment dans les récits génératifs. Le texte généré semble, nous l’avons dit, n’avoir
ni origine ni fin. Le processus prend le pas sur le résultat, même si le processus de la
génération de texte aboutit à un produit qui est invariablement... un texte.
42 On peut alors se demander si ces pratiques textuelles peuvent conduire à une
redéfinition de la notion de texte. L’analyse des œuvres de littérature numérique peut
nous inciter à suivre l’étymologie que nous rappelle Christian Vandendorpe :
« La notion même de texte [...] suppose le jeu de plusieurs fils sur une trame donnéeet, par leur retour périodique, la possibilité de créer des motifs. » [VANDENDORPE,
1999]
43 On peut voir ainsi dans la notion de texte un tissage entre éléments pour construire une
signification. Aussi un texte n’est-il pas forcément tissé de mots, mais aussi d’images,
de sons... D’ailleurs, l’unité sémiotique d’un texte se détermine également à partir de la
forme graphique des caractères et de leur consistance sémio-perceptive33 On pourrait
donc dire qu’un texte n’est pas forcément linguistique, même si cela peut paraître
paradoxal au premier abord. En tout cas, il n’est jamais seulement linguistique, si l’on
entend par là une dimension restrictive de la langue. C’est ce que nous rappelle à juste
titre Yves Jeanneret :
« Tout texte est un objet constitué de plus d’un code. Il n’y a pas de texte purementlinguistique, et encore moins purement alphabétique. Tous les textes sontpolysémiotiques, c’est-à-dire faits de la rencontre de types de signes différents. »[JEANNERET, 2000]
44 Si un texte n’est pas purement linguistique, une façon d’interroger la notion de texte
est de proposer des œuvres fondées sur du linguistique mais sans mots lisibles à l’écran.
45 My Google Body34, de Gérard Dalmon, se présente ainsi comme une œuvre linguistique
sans texte. C’est ce que note Xavier Malbreil :
« Le statut du texte dans l’œuvre informatique est vraiment crucial. Aujourd’hui, jeparlais du Google Body (de Gérard Dalmon, sur http://www.neogejo.com/googlebody/) à quelqu’un et je disais que le texte n’apparaissait pas à l’écran, maisque pourtant on pouvait considérer cette œuvre comme partie de la littératureinformatique, parce que le fondement de l’œuvre est résolument linguistique. »(Message adressé par Xavier Malbreil à la liste E-critures le 6 avril 2005.)
107
Figure 5. My Google Body, de Gérard Dalmon.
46 Xavier Malbreil approfondit cette analyse dans [MALBREIL, 2005]. Dans My Google Body, on
peut voir la représentation d’un corps humain, sous forme très stylisée, à l’aide
d’images correspondant à la tête, au tronc, aux bras, aux mains, aux jambes et aux
pieds. Ces images sont renouvelées à intervalles réguliers. Pour chaque rectangle
correspondant à une zone du corps, un programme lance une requête dans le moteur
de recherche Google, section « Images35 » : requêtes « head », « arm », « hand »,
« body », « leg » et « foot ». Le moteur de recherche va chercher l’image correspondant
à la requête en question, et le programme mis en place par Gérard Dalmon affecte
l’image trouvée sur le Web au cadre sélectionné, celui-ci ayant une taille prédéfinie. Le
programme est entièrement automatique : les images sont sélectionnées de façon
aléatoire et changent toutes les cinq secondes. Xavier Malbreil remarque que l’image
reconstituée par My Google Body « agence des images de parties du corps humain, mais
aussi d’autres images représentant des objets, des entités morales, des représentations
sociales, dont le nom est construit par analogie, métaphore ou métonymie avec telle ou
telle partie du corps humain ». En effet, le programme lance des requêtes sur des mots :
dans la mesure où les requêtes sont adressées à la version américaine du moteur de
recherche Google, on peut trouver par exemple des images de « head master »
(directeur d’école), « head cheese » (fromage de tête), « head light » (feu avant) ou
« head phones » (écouteurs) pour la requête « head », ou encore « body bag » (housse
mortuaire), « armchair » (fauteuil, cf. figure 5), « hand dryer » (sèche-mains), « foot
soldier » (fantassin) pour les requêtes « body », « arm », « hand » ou « foot ». My Google
Body nous invite ainsi à lire un corps métaphorique extrait en continu du flux des
images présentes sur le Web, une représentation métaphorique du corps humain dans
une langue et dans un contexte culturel bien précis36 Ce que l’on voit à l’écran serait
difficilement interprétable si l’on ne savait pas que les requêtes adressées au moteur de
recherche ciblent des mots recouvrant un large champ métaphorique, dans la mesure
où ils désignent des parties du corps humain. La réflexion qui a présidé à la réalisation
de My Google Body est avant tout linguistique. Cette œuvre propose en tant que texte un
corps graphique en perpétuelle évolution.
108
Figure 6. My Google Body, de Gérard Dalmon, quelques secondes plus tard.
47 Peut-on avancer que ce type de pratiques contribue à redéfinir la notion de texte ? Ces
pratiques nous permettent en tout cas de revisiter celle-ci et d’asseoir une conception
du texte en tant qu’« objet techno-sémiotique37 » face au texte qu’isolent parfois les
linguistes. Les auteurs de littérature numérique travaillent bien le texte comme « objet
matériel inscrit sur un support et constitué d’un grand nombre de signes de nature
diverse38 » en exploitant celui-ci dans sa dimension dynamique.
Modalités de lecture
48 Si la nature du texte change dans les œuvres de littérature numérique, qu’en est-il de
l’activité de lecture ? Comment les œuvres sont-elles lues, que lit-on dans de telles
œuvres ? Dans quelle mesure un texte dynamique peut-il entraîner une lecture elle-
même dynamique ?
49 Nous souhaiterions ici introduire une réserve méthodologique. Nous n’avons pas mené
d’enquête spécifique sur les processus de lecture dans les œuvres de littérature
numérique; nous nous appuyons sur notre propre expérience de lecteur ainsi que sur
les discours des auteurs-lecteurs de la liste E-critures. Il s’agit en effet d’une situation
particulière dans laquelle un collectif d’auteurs-lecteurs joue sur les deux rôles en
cherchant à perturber les frontières de ces rôles. Cette situation nous a paru justifier le
fait de prendre en compte leur travail dans ces deux facettes, sans aller jusqu’à faire
une enquête spécifique sur la question de la lecture.
La lecture comme transformation technique
50 L’activité de lecture se trouve au cœur des expérimentations dans les œuvres de
littérature numérique. Parler encore de « lecture » pourrait d’ailleurs paraître
discutable tant sa nature se voit transformée.
109
Figure 7. Ce qui me passe par la tête, de Myriam Bernardi.
51 Prenons l’exemple d’une œuvre présentée par son auteur sur la liste E-critures. Ce qui me
passe par la tête39, de Myriam Bernardi, est ainsi un récit hypertextuel introspectif qui
progresse plus par accumulation que par juxtaposition. À chaque fois que le lecteur
clique sur un lien hypertexte, une nouvelle fenêtre s’ouvre. Les fenêtres superposées
miment une pensée qui progresse par digressions successives, obligeant le lecteur à
manipuler (redimensionner, déplacer, fermer) les différentes fenêtres qui surgissent.
52 On aperçoit là tout ce qu’un dispositif informatique peut imposer de contraintes
ergonomiques mais aussi de possibilités en termes de contrôle de l’environnement : le
jeu sur les formats d’affichage ou sur le fenêtrage, la gestion de différentes couches
logicielles et de la rencontre inédite de différentes topographies (local/réseau/réseau
ouvert type Web). L’interacteur, ici, contribue à la production de son environnement de
lecture40.
53 La « lecture » n’est ainsi plus seulement affaire d’accès, d’extraction, de déchiffrement
et d’interprétation ; elle est aussi manifestement devenue affaire de transformation
technique obligée (ne serait-ce que pour actualiser le récit), et par voie de conséquence
de production partagée avec un auteur-concepteur [BOUCHARDON et GHITALLA, 2003].
La « lect-acture41 »
54 La lecture, qui devient « gestualisée42 », acquiert une dimension performative. C’est le
cas dans les œuvres littéraires hypertextuelles : « L’hypertexte est à faire, autant qu’à
lire43. » À travers le geste, les œuvres interactives font véritablement apparaître, et par
là même révèlent, dans le travail de lecture et d’interprétation, l’aspect performatif
parfois occulté dans la littérature.
« Le geste qui consiste à “cliquer” sur un signe passeur n’est pas un geste purementfonctionnel, c’est un acte de “lecture-écriture” à part entière44 »
110
55 E-cris, de Luc Dall’Armellina, accessible depuis le site e-critures.org, offre un exemple de
lecture interactive. Penchons-nous sur le paratexte :
« E-cris est un dispositif textuel et graphique de lecture-écriture “dans le mêmemouvement”. Le principe du lien hypertexte est ici détourné de ses fonctionshabituelles de navigation au profit d’une activité d’écriture à partir de vingt et untextes personnels qui disent – un peu – de l’activité d’écrire. Cliquer sur un motrevient à l’écrire dans un autre texte – le texte-à-écrire – placé sous le texte à lire.Le texte écrit l’est donc seulement à partir d’un autre et selon le procédé littérairedu centon (ici à l’échelle du mot et non de la phrase). Que pourrez-vous écrire depersonnel avec mes mots45 ? »
56 Dans cette œuvre interactive, c’est bien le lecteur qui est incité, via le geste, à écrire son
texte à partir de textes premiers. Mais, sans aller jusqu’à cette expérience de lecture-
écriture « dans le même mouvement », la lecture gestualisée, qui permet une action sur
le texte, pose la question de la présence du corps du lecteur dans l’œuvre. La tension
classique entre adhésion et distanciation se voit alors rejouée. Dans le cas d’un récit
interactif, par exemple, le lecteur, qui doit prendre des décisions avec son corps réel,
peut vivre ce geste comme un facteur d’adhésion, ou au contraire éprouver des
difficultés pour se projeter dans l’histoire. Mais, lorsqu’une production permet au
lecteur d’agir sur l’œuvre (soit au niveau du dispositif de lecture, soit au niveau du
contenu lui-même), est-ce encore de la littérature ? Une œuvre interactive est-elle
même seulement une œuvre ? Jean-Louis Weissberg [WEISSBERG, 1999] souligne en effet
une critique souvent adressée à l’interactivité :
« Linteractivité serait une “activité opérative” (avec cette figure paroxystique dujoueur vidéo crispé sur ses manettes de tir), annihilant la distance sacréequ’exigerait tout rapport avec une œuvre. Distance qui a pour nom selon lesversions, recueillement, respect, intériorisation silencieuse, contemplation,méditation ... [...] C’est l’antinomie de principe entre l’activité (notammentgestuelle) dans la réception et la situation artistique qui est mise en avant, plus oumoins explicitement. »
Figure 8. E-cris, de Luc Dall’Armellina.
111
La lecture ludique
57 De la lecture interactive à la lecture ludique, il n’y a souvent qu’un pas. Nous avons tous
expérimenté le syndrome ludique du lecteur qui a tendance à adopter une attitude de
joueur face à un dispositif interactif. Certaines productions de la littérature numérique
exploitent ce déplacement du côté du jeu. Il ne s’agit pas là seulement de jouer avec le
matériau langagier et, de façon plus générale, avec l’ensemble des formes sémiotiques,
prolongeant en cela toute une tradition littéraire et artistique. Il ne s’agit pas non plus
uniquement du jeu comme simulacre (théâtre, arts du spectacle), mais bien du jeu
comme compétition46.
58 Jean Clément montre comment la typologie de Roger Caillois « permet d’éclairer les
enjeux de la cyberlittérature47 ». Roger Caillois distingue dans Les Jeux et les Hommes
quatre grands types de jeux. L’agôn est le jeu compétitif : il englobe les jeux physiques
comme ceux de l’ancienne Grèce ou les sports modernes, collectifs ou individuels. L’alea
fait intervenir le hasard : jeux de dés, roulette, machines à sous. La mimicry regroupe le
carnaval, le théâtre, le travestissement, divertissements dans lesquels l’homme cesse
d’être soi pour devenir un autre ou libérer une part cachée de lui-même. Enfin, l’illinx
est le vertige, celui du parachutiste, de l’alpiniste ou celui de l’enfant sur un manège.
Ces catégories du jeu ne sont pas incompatibles et se mêlent le plus souvent.
59 Il peut paraître surprenant que l’agôn soit à ce point présent dans l’activité de lecture
des récits littéraires interactifs :
« Le texte – et sa lecture – deviennent ainsi un vrai jeu, avec des épreuves et desrécompenses. La récompense, c’est le récit du texte qui se poursuit, interprété etrelancé pour et par moi, lecteur, grâce à mes actions réussies48. »
60 Certaines œuvres vont très loin dans cette lecture ludique. C’est le cas par exemple
dans The Intruder49, adaptation pour le Web d’une nouvelle de Jorge Luis Borges intitulée
L’Intruse. Le texte original de la nouvelle certes y défile, visuellement et aussi oralement
(lu par une voix féminine), mais seulement de manière mesurée, relancé coup par coup
par le lecteur/joueur dans une série de « dix jeux interactifs ». Cette œuvre illustre
ainsi, et littéralement, le texte en jeu : le texte dans l’arène de lecture, aux prises avec le
lecteur, qui lui renvoie ses balles. Certains membres de la liste de discussion E-critures,
intéressés par toutes les filiations, ont remarqué que cette œuvre avait inspiré un autre
e-criturien, Luc Dall’Armellina, pour son « pong dialogique » Q.Q.A.350.
« Pour revenir sur le pong dialogique,on pourrait aller voir un étrange précurseur :http://www.calarts.edu/~bookchin/intruderlfrench/html/a_title.html »(Message d’Ambroise Barras sur la liste E-critures du 27 octobre 2004.)
61 Q.Q.A.3 comprend une référence explicite au jeu vidéo « pong ». « Q.Q.A.3 est un pong, où
les deux protagonistes se renvoient la balle, comme dans ces conversations où la forme
même du dialogue nous asservit dans la posture relationnelle, dialogique, du défi51... »
(cf. figure 9). À noter que le terme « jeu » ne figurait pas dans la présentation que Luc
Dall’Armellina avait faite de sa pièce sur la liste E-critures. Il a progressivement été
introduit par les contributeurs jusqu’à ce que la pièce soit définie comme « le jeu de
Luc » (message de Patrick-Henri Burgaud du 3 novembre 2004).
62 Pourtant il y a dans cette pièce un vrai travail d’écriture :
« J’ai écrit un texte, un dialogue, 166 échanges sur trois thèmes, écrit en plusieursfois au long de l’année 2004, je lisais dans un temps parallèle les Fondements de la
112
validité des lois de la logique dans les Textes anticartésiens de Charles Sanders Peirce –qui contiennent un fameux et très court dialogue. »(Message de Luc Dall’Armellina du 29 octobre 2004.)
Figure 9. Pong dialogique, de Luc Dall’Armellina.
63 Cette œuvre, entre écriture littéraire et jeu interactif, est un cas-frontière.
« Ce n’est pas un jeu, ni non plus un “simple” texte. [...] Merci à tous pour voscritiques attentionnées, mais je ne suis pas prêt à changer “Q.Q.A.3” pour le
moment ;=)) Peut-être pourrai-je affiner le moteur du jeu, trop prévisible, affiner lesscores, y mettre des balles avec de l’effet ? Mais ce serait en faire un jeu, et je veuxencore résister à ça ... »
64 Même s’il y a bien un « moteur de jeu », l’auteur refuse toutefois le terme « jeu » pour
qualifier son œuvre.
« C’est un texte sous la forme du dialogue, dans une mise en scène (assez peu)interactive qui n’est là que pour critiquer la forme “dialogue” et s’amuser avec cettecritique. »
65 Penchons-nous à présent sur le « roman policier interactif et génératif » Trajectoires52
de Jean-Pierre Balpe, accessible depuis le site e-critures.org. À chaque fragment textuel
est associée une date. Si le lecteur clique sur la date, il voit apparaître un calendrier de
vingt-quatre jours. Le lecteur apprend ainsi que l’histoire s’étale sur vingt-quatre jours,
mais peut également aller consulter directement les « pages53 » correspondant au jour
de son choix.
113
Figure 10. Trajectoires, de Jean-Pierre Balpe : le calendrier.
66 Au fur et à mesure que le lecteur découvre les différents personnages de l’histoire (il y
en a en tout vingt-quatre), l’arbre généalogique reliant l’ensemble des personnages à
une ascendance commune au XVIIIe siècle se construit progressivement sous ses yeux.
On a donc là un dispositif de représentation spatiale qui est également inscription dans
une temporalité. Une fois que le lecteur a compris comment se complète l’arbre
généalogique (en cliquant sur un lien hypertexte « caché » correspondant au nom d’un
personnage), il peut avoir tendance à rechercher systématiquement à reproduire la
manipulation sans lire réellement les fragments textuels. L’objectif de lecture est
remplacé par un autre objectif : compléter le tableau généalogique. Comme dans un jeu
vidéo, il faut y arriver à 100 %. Les rubriques « Calendrier » et « Généalogie » nous
offrent ainsi deux modes de manipulation ludique du cadre spatiotemporel.
67 Trajectoires permet également au lecteur, pour chaque fragment, de télécharger un
fichier graphique (en cliquant sur un fragment d’image précédant chaque fragment
textuel). Le lecteur obtient ainsi à chaque téléchargement une image qui est en fait un
fragment d’une image plus grande : s’il a la curiosité d’assembler ces différents
morceaux grâce à un logiciel graphique (le nom de chaque image donne une indication
sur son emplacement dans le puzzle : par exemple r1-c1 pour rang 1 colonne 1), il
découvre alors le visage des deux coupables. Cette possibilité offerte par le dispositif
technique est clairement une technique de distanciation : le lecteur quitte la lecture du
récit pour lancer une autre application logicielle et manipuler des unités graphiques.
On passe ainsi du lisible au manipulable. Dans le même temps, le lecteur doit
reconstituer, au sens littéral, un puzzle, à la manière du détective d’un roman qui doit
agencer les pièces d’un puzzle. Il joue ainsi au détective.
68 Le dernier écran de ce roman policier interactif et génératif permet au lecteur de
désigner le ou les coupables. Si le lecteur ne réussit pas cette épreuve finale, il est invité
à recommencer sa lecture pour recueillir d’autres indices, comme on recommencerait
un jeu.
114
« L’objectif de l’interacteur n’est plus de découvrir la fin, mais de parvenir à sesfins. De ce point de vue la littérature numérique tend vers la paralittérature et lejeu, elle ne rivalisera pas longtemps avec le jeu vidéo54 », prédit ainsi Jean Clément.
69 Si l’activité de lecture d’une œuvre de littérature numérique peut s’apparenter par
certains côtés à une performance ou à un jeu, quelle est pour autant la position assignée
au lecteur dans le dispositif ?
Double lecture, métalecture et figures réflexives
70 Certains auteurs désignent explicitement la lecture comme « contenu de la
représentation ». C’est le cas de Philippe Bootz qui mentionne les œuvres dans
lesquelles
« le contenu de la représentation sera la lecture elle-même. Dans ce cas dessituations diverses dans lesquelles le lecteur n’est plus destinataire de l’œuvre maisparticipe à la représentation à travers ses actions et réactions (ex. : Stances àHélène55) ou des œuvres qui nécessitent une réorganisation de la lecture en coursmême de lecture, une "double lecture", le lecteur devant se lire lisant, devantattribuer un sens à son action de lecture, sens qui ne lui est jamais fourni, même sil’auteur l’a fait à dessein. C’est le cas des œuvres de Durey et de certains pièges àlecteur des premières œuvres de LAIRE. »
(Message de Philippe Bootz sur la liste E-critures du 8 novembre 2001.)
71 La double lecture, c’est le lecteur lisant sa propre activité de lecture.
72 Philippe Bootz distingue cette double lecture de la métalecture. Il incite en ce sens les
lecteurs de son poème « Passage56 » à regarder d’autres lecteurs « lire » la même œuvre,
afin d’avoir une posture de métalecteur, indispensable pour comprendre une œuvre
numérique programmée. Le lecteur ne peut en effet être lecteur « que de sa lecture » et
le métalecteur ne peut « lire » que « la lecture d’un autre ».
« Le lecteur est placé en situation d’instrument dans le dispositif, situation quiengendre une discrimination entre lecteurs. Celle-ci fait intervenir la mémoire, desorte qu’on peut considérer que, non seulement l’œuvre n’existe qu’une fois lue,mais encore que c’est l’échange entre lecteurs qui va en révéler la richesse,l’existence de faces cachées, et lui donner ainsi une existence à un second niveau,qu’on pourrait qualifier de métalecture pour établir un pendant à la méta-écriture.Cette discrimination entre lecteurs se manifeste de plusieurs façons. Deux lecteursdébutant l’œuvre suivront des chemins différents et ne contribueront pas àl’élaboration des mêmes états. Il s’agit là d’une discrimination commune à laplupart des œuvres informatiques. Ces deux lecteurs pourront alors échanger surleur expérience, sans que celle-ci puisse être expérimentée par l’autre. C’est ladifférence avec un jeu. Par ailleurs, dans la dernière phase, reproductible, deuxlecteurs lisant le même texte à voir ne verront pas le même texte, puisque ce texte àvoir possède des réminiscences des états précédents, et est fortement corrélé à eux.Il possède ainsi une mémoire pour celui qui a contribué à son élaboration, et nonpour un autre lecteur occasionnel. [...] Le destinataire de cette lecture est davantageun lecteur social qu’un lecteur individuel, car [...] il est très difficile de percevoirsoi-même les modalités de fonctionnement de ce niveau instrumental. L’expériencemontre qu’elles apparaissent plus aisément lorsqu’on observe un autre lecteur entrain de lire57 »
73 Les deux fonctions traditionnelles de la lecture, l’analyse et la lecture affective, sont
désolidarisées dans le dispositif d’une œuvre programmée. La métalecture est aussi en
ce sens une lecture du dispositif.
115
74 Cette lecture du dispositif est accessible au seul métalecteur et inaccessible au simple
lecteur (« instrument dans un dispositif ») dans les œuvres de Philippe Bootz, et plus
généralement dans les œuvres du collectif Transitoire observable. Mais d’autres œuvres
proposent au lecteur une forme de métalecture qui consisterait en la lecture du
spectacle de l’œuvre, la lecture de la monstration de l’œuvre. Cette mise en spectacle,
cette exhibition est récurrente dans certaines productions de littérature numérique.
Nous avons montré [BOUCHARDON et GHITALLA, 2003] comment cette mise en spectacle
était à l’œuvre dans des figures « réflexives ».
75 Une première figure réflexive consiste ainsi à exhiber et à mettre en scène le dispositif
lui-même. Cette figure permet à l’auteur de montrer à son lecteur comment l’œuvre
« fonctionne ». Une façon d’exhiber le dispositif est de le mettre en abyme dans la
fiction en reliant étroitement, par exemple métaphoriquement, l’univers diégétique au
dispositif. Ainsi, dans les récits hypertextuels, depuis Victory Garden58, nombreux sont
les univers qui se présentent sous la forme d’espaces labyrinthiques. Dans SeriaI
Letters59, présenté sur le site e-critures.org, les liens hypertextes cachés qu’il faut mettre
à jour renvoient aux agissements dans l’ombre de l’« Organisation ». Il s’agit d’une
« parodie cauchemardesque de comédie criminelle » : l’« Organisation » qui persécute
le héros prône en effet l’avènement de la littérature numérique...
76 Une autre façon d’exhiber le dispositif est de le montrer à l’œuvre en tant que processus.
Ainsi, pour l’auteur, il s’agit non pas tant de proposer un produit à son lecteur que
d’inscrire l’œuvre dans un processus. Par exemple, le dispositif peut intégrer
progressivement aux données proposées par un auteur les données introduites par un
interacteur : l’œuvre est ainsi constamment en évolution. C’est le cas du Livre des Morts
de Xavier Malbreil. Chaque lecteur, nous l’avons vu, est incité à répondre à des
questions au cours de son voyage fictif dans le monde des morts.
77 Le lecteur peut faire évoluer ultérieurement ses réponses. Il a également accès aux
réponses des autres lecteurs, la base de données ne cessant de s’enrichir. Dans les
œuvres génératives, telles Trajectoires60 et Fiction(s)61 accessibles depuis e-critures.org, la
lecture permet de mettre en scène le renouvellement indéfini du processus. Jean-Pierre
Balpe parle d’un « passage de l’éternité (présent indéfini) au présent infini ». Il en
résulte également que la lecture devient alors la lecture du spectacle du texte autant
que du texte lui-même.
78 Une deuxième figure réflexive consiste à représenter dans l’œuvre l’activité du lecteur-
interacteur. À propos de Florence Rey62, l’e-criturien Patrick-Henri Burgaud explique
que, tout comme l’héroïne, le lecteur est métaphoriquement jeté en prison et doit
développer des stratégies pour continuer et « survivre ». Le lecteur est ainsi conduit à
avoir une attitude et une distance réflexives sur l’action de cliquer dans telle ou telle
situation. Le fait d’interagir est mis en scène et exhibé dans le dispositif. Laureur peut
même forcer le lecteur à être passif pour mieux prendre conscience de la nature de ses
« actes », dans le cadre de la fiction comme dans celui du monde réel. Ainsi le paratexte
de l’épisode 3 du NON-roman de l’e-criturienne Lucie de Boutiny précise :
« Nous vous demandons un total abandon... SOYEZ PASSIF !... Il n’y a rien à cliquer,du moins pas grand-chose et c’est exprès. [...] Le regardeur est assigné à lire untexte qui défile comme un compte à rebours. Sa liberté est de “ne rien faire”, maisalors que fait-il là face à l’écran ? [...] Les thèmes de cet épisode tournent autour dutemps [le perdre, agir…] et de l’engagement. »
116
79 Cette forme d’interactivité permet d’interroger la place et l’activité du lecteur dans une
œuvre interactive.
80 Enfin, une troisième figure réflexive consiste pour l’auteur à dévoiler à son lecteur les
coulisses de la production. Nombreux sont ainsi les paratextes d’œuvres qui lèvent le
voile sur les outils de réalisation. Lucie de Boutiny présente ainsi l’épisode 4 de son
récit NON-roman, accessible depuis e-critures.org : « Du HTML – toujours pas de Flash pour
ne laisser personne à côté de l’écran –, des frames, des tableaux, à peine 1 ou 2
javascripts. » Mais certains auteurs permettent également à leur lecteur de « jouer »
avec leurs outils de production. C’est par exemple le cas des œuvres génératives dans le
cadre desquelles on permet au lecteur de tester le générateur de texte63. Certaines
œuvres vont encore plus loin en incitant le lecteur à passer « de l’autre côté du miroir »
en accédant au codé64. Cette figure réflexive consiste pour l’auteur à emmener son
lecteur dans son atelier de production et à lui montrer comment il fait.
Fondamentalement, cette pratique interroge la place de l’auteur dans une œuvre
interactive.
81 À travers cette exhibition du dispositif, cette réflexivité générale du geste de création,
ainsi que la monstration des outils de fabrication, se joue une tendance importante de
cette littérature numérique, sans cesse en train de réfléchir au geste qui la porte, aux
outils dont elle se dote, et dont la prégnance et la matérialité rejaillissent directement
sur l’activité de lecture.
Lecture et expérimentation
82 Parmi les expérimentations menées sur la lecture figurent des tentatives de lecture
collective, telle celle annoncée ci-dessous sur la liste E-critures par le collectif
Teleferiqué65 :
« Reader est un logiciel de lecture collective élaboré par quelques membres ducollectif Teleferique. Que nous lisions sur écran ou sur papier, la lecture demeureune expérience individuelle. On lit seul. Étienne Cliquet, Robin Fercoq et Erationalavons créé un langage informatique qui permet de définir le temps de défilementdu texte à l’écran en variant la vitesse des caractères, mots, lignes, phrases et blocsde ponctuation à la milliseconde près. Il s’agit du TRML (temporized reader markup
language). Le défilement automatique, en fixant un tempo commun, ouvre la lectureà une expérience partagée. Ce passage entre individu et collectif constitue selonnous le moyen de rêver ensemble. Nous appelons “lecture collective” la projectionde textes qui défilent sur grand écran autour duquel les lecteurs se réunissent. »
83 Des séances de lecture collective sont ainsi organisées dans des lieux donnés, mais
également des séances en ligne qui permettent à des internautes de lire un même texte
dans une même temporalité mais dans des lieux différents. En outre, la possibilité est
donnée aux internautes d’éditer leurs propres textes en vue d’une lecture collective66.
84 Une autre expérience de lecture collective en ligne a été rapportée et commentée sur la
liste E-critures, celle d’un écrivain américain ayant rédigé une nouvelle, durant
plusieurs sessions, sous les yeux des internautes67. Ceux-ci ont pu alors assister au
travail d’écriture de l’auteur, avec ajouts, corrections, repentirs...
85 Dans les œuvres de littérature numérique, l’activité de lecture est ainsi souvent l’objet
d’expérimentations. Dans « Passage » de Philippe Bootz, « poème à lecture unique », le
lecteur ne pourra ainsi plus jamais faire une seconde lecture de la première partie,
117
alors que les actions qu’il aura effectuées au cours de cette lecture auront des
incidences sur le contenu du reste de l’œuvre. En effet, « Passage » crée un fichier de
données sur le disque dur à l’insu du lecteur. Ce fichier permet à la « lecture unique »
de fonctionner en mémorisant l’« état » de la lecture (données sémantiques et données
de localisation dans la structure hypertextuelle). « La lecture interdit la lecture », selon
l’expression de Philippe Bootz [BOOTZ, 2002]. D’autres œuvres concrétisent une
expérimentation différente de ce principe. Le lecteur doit cliquer pour que le texte
reste stable et lisible à l’écran. S’il ne fait pas d’action, le texte disparaît et ne peut donc
être lu. On aboutit donc au paradoxe suivant : la seule lecture (sans action sur le
dispositif de lecture) interdit la lecture du texte. Cette approche expérimentale relève
de ce que Philippe Bootz appelle l’« esthétique de la frustration ».
86 En conclusion, la « lect-acture », c’est une lecture conçue comme coproduction de
l’environnement de lecture, une lecture « gestualisée » qui est aussi lecture-
performance. C’est également une lecture qui oscille entre jeu et expérimentation,
ayant comme corollaire « double lecture » ou métalecture. La lecture se trouve ainsi
interrogée par la littérature numérique, ainsi que le statut du lecteur. L’intérêt des
auteurs pour l’acte de lecture ne relève pas seulement d’une volonté de laisser la main
au lecteur, mais également d’une interrogation fondamentale sur ce qui lie
intrinsèquement écriture et lecture dans un seul geste.
87 Mais, au-delà des expérimentations sur l’activité de lecture, la lecture elle-même peut
être conçue comme expérimentation d’une œuvre. L’œuvre est à expérimenter :
l’auteur reconnaît l’espace du lecteur comme un espace d’expérimentation.
« Veut-on d’une lecture s’appuyant sur des stimuli que l’on sait efficaces, ou veut-on proposer au lecteur de vivre une expérience, en accomplissant une performancede lecture ? La spécificité de cette écriture, ce n’est pas le multimédia, maisl’interactivité. » [MALBREIL, 2004]
88 Le terme « lecture » peut-il continuer à désigner la découverte de l’œuvre, ou faut-il
parler d’« expérience68 interactive » ?
Un laboratoire de genres ?
89 Dans le chapitre II, nous avons vu que, dans la construction d’un regard critique, les
acteurs de la littérature numérique sont à la recherche de conventions. Or l’émergence
de conventions d’écriture et de lecture passe également par la constitution de genres.
90 Les genres littéraires ont joué et continuent de jouer un rôle déterminant dans les
horizons de création et de réception. Le genre permet à la fois de créer une attente et de
garantir une reconnaissance : il peut donc apparaître comme un modèle d’attente et de
reconnaissance. En tant que « convention discursive » [COMPAGNON, 1998], la notion de
genre implique ainsi des conventions formelles pour l’auteur qui définissent un horizon
d’attente pour le lecteur. On voit bien à quel point la notion de genre pourrait être
cruciale pour la littérature numérique, dans la mesure où les conventions d’écriture et
les horizons d’attente des lecteurs sont en cours de constitution.
Les indicateurs de genres dans E-critures
91 Sur le site e-critures.org, la rubrique « Œuvres » regroupe l’ensemble des œuvres sans
distinction de genres. Il n’y a pas de séparation a priori. La question des genres
118
intéresse-t-elle néanmoins les e-crituriens ? Si l’on peut parler de genres en émergence,
quels en seraient les indicateurs dans le dispositif E-critures ?
Une volonté de catégorisation sur la liste
92 Certains contributeurs de la liste dénient toute pertinence à la catégorisation en
genres :
« Je ne crois pas beaucoup à la division des genres : littérature, essai théorie, fiction.http://jdepetris.free.fr/load/pc_fe/forme.html. »(Message de Jean-Pierre Depétris de septembre 2003.)
93 D’autres se targuent d’avoir créé un genre, tel Frédéric Madre que nous avons cité dans
le chapitre I :
« Le spam-art : oui j’ai inventé ce mot et j’ai établi le genre. »(Message du 22 août 2003.)
94 Cette prétention est intéressante car elle souligne l’intérêt que portent les auteurs à la
constitution de genres. Dans le même temps, il pourrait s’agir d’un contre-exemple. En
effet, dans la mesure où un genre est un cadre conventionnel, un auteur ne peut pas
s’approprier un genre : c’est parce qu’il y a une convention partagée que l’on peut
parler de genre.
95 L’intérêt porté par les acteurs de la liste E-critures à la catégorisation de leurs
productions se manifeste dès la création de la première version du site : s’est posée
alors la question d’une typologie des œuvres en vue d’un éventuel classement :
« Comment classer les diverses [œuvres] que nous voulons répertorier :– par genres ? est-ce que cette notion est pertinente pour l’e-criture ?– par techniques ? les pièces html, les pièces html+css, les pièces Flash, les piècesShockwave, les pièces Java, les pièces IE, les pièces Netscape, etc.– par options esthétiques ? travail sur l’interface, travail sur la figuration dusupport, travail sur l’interaction, etc.– par poids des pièces ? les pièces > 1Mb, les pièces > 100Kb, les pièces > 10Kb, etc. »(Message d’Ambroise Barras du 4 janvier 2001.)
96 Cette volonté de catégorisation est récurrente sur la liste. En mai 2003, Julien
d’Abrigeon, nouveau modérateur de la liste depuis quelques mois, relance ainsi le
débat :
« Il y a un projet qui me taraude depuis longtemps et qui, je pense, occuperait bienla liste... Il s’agirait de définir une typologie PRÉCISE de toute e-criture. »
Message du 12 mai 2003.)
97 Ce message entraîne la diffusion d’une trentaine de messages émanant de quatorze
acteurs différents de la liste dans les six jours qui suivent. Beaucoup d’acteurs
éprouvent en effet la nécessité de formaliser une typologie qui inscrirait la littérature
numérique dans une histoire et dans un devenir :
« Ce qu’il s’agit de faire c’est de préciser les lignes généalogiques d’investissementcréatif. »(Message de Philippe Boisnard du 14 mai 2003.)
98 On retrouve la même préoccupation en décembre 2004, à la suite du message suivant de
Xavier Malbreil :
« Je vous signale un excellent travail de bibliothécaire69 sur le net littéraire, les e-critures, et tout ce qui s’ensuit, par quatre bibliothécaires, sur http://biu.ens-lsh.frlbiu/events/lef2004Ça s’appelle “Repérage et sélection de sites de littérature contemporaine par une
119
bibliothèque universitaire de lettres et sciences humaines”. [...]À lire et à archiver. »(Message du 7 décembre 2004.)
99 Voici la réponse de Philippe Boisnard :
« Allusif et pour ma part sans intérêt : TAPIN ? UBU ? DOCK(S) ? la revue X ? inventaire-
invention ? etc. et combien de poètes numériques, présents sur le Web absentslà ? ? ? ? ? ?Par ailleurs leur typologie est caduque : la videopoetry ? le Google art littéraire ? lespampoetry ? la poésie hyperlittérale ? »(Message du 7 décembre 2004.)
100 Les genres qui, selon Philippe Boisnard, manqueraient dans la typologie proposée par
l’équipe de bibliothécaires correspondent en fait à des pratiques (notamment la
videopoetry) de Philippe Boisnard lui-même. La problématique des genres présente une
pertinence pour les acteurs dans la mesure où elle leur permet à la fois d’inscrire le
domaine en émergence dans une histoire (le dotant ainsi d’une forme de légitimité), de
structurer ce domaine et de se positionner à l’intérieur de celui-ci.
Textes théoriques et critiques sur le site
101 Comme nous l’avons vu, une rubrique entière du site, intitulée « Les textes », est
consacrée aux textes théoriques et critiques. Le site permet à un même auteur de
déposer un texte théorique et de faire un lien vers l’une de ses œuvres : c’est le cas de
Xavier Malbreil, qui propose un travail sur la mémoire dans la rubrique « Les œuvres »
(Le Livre des Morts) et un texte intitulé « Mémoire, mémory, mémoriam » dans la
rubrique « Les textes », liant par là même intimement création et discours théorique.
On pourrait citer également Patrick-Henri Burgaud, qui dépose un texte théorique
intitulé « Le-poésie française », incitant à regarder son poème « Le Bonheur » dans la
rubrique « Les œuvres ».
Figure 11. L’accès au Livre des Morts de Xavier Malbreil et Gérard Dalmon depuis le site e-crirures.org.
102 Le format du site web e-critures.org permet ainsi à tous les acteurs de déposer des
textes théoriques et critiques : ces textes, parce qu’ils sont associés, dans le dispositif
120
technique, aux œuvres elles-mêmes, peuvent permettre de poser les conventions et les
horizons d’attente nécessaires à la constitution de genres.
Les œuvres des e-crituriens
103 Certains titres ou sous-titres d’œuvre font explicitement référence à un genre. C’est le
cas du NON-roman70 de Lucie de Boutiny. Selon l’auteur, le titre de ce récit interactif était
à l’origine NON, avec roman comme sous-titre. Puis l’association des deux (NON-roman) lui
a semblé pertinente. Le titre même de NON-roman est en effet une indication de la façon
dont l’auteur entend jouer avec l’horizon d’attente de son lecteur. Ce titre désigne
avant tout la forme du texte (négativement, par opposition au roman classique). Selon
la terminologie de Gérard Genette, il s’agit d’un titre générique (renvoyant à son
appartenance -ici en creux -à un genre) [GENETTE, 1987].
104 Certains auteurs font référence à un genre dans le texte de présentation d’une œuvre
qu’ils proposent sur le site e-critures.org. Ainsi Julien d’Abrigeon présente-t-il
« Proposition » : « La raison d’être de ce poème est d’être le plus contemporain des
poèmes. Puis de disparaître. »
105 Par ailleurs, nous avons déjà souligné que les œuvres des e-crituriens qui comportent
une dimension narrative semblent investies par des figures que l’on pourrait qualifier
de « réflexives ». La réflexivité est entendue ici au sens avancé par Lucien Dällenbach
comme « retour du récit sur ses états et sur ses actes ». Dällenbach voit dans la
réflexivité la « racine commune de toutes les mises en abyme » [DÄLLENBACH, 1977]. La
réflexivité est donc à la fois spécularité, mise en miroir, dévoilement et mouvement de
retour sur soi, de réflexion. L’œuvre se réfléchit elle-même et réfléchit sur elle-même.
Cette réflexivité peut sembler inhérente aux avant-gardes ou encore à la modernité
littéraire; on peut également considérer qu’il s’agit de l’indice d’un genre en
constitution (l’auteur se tendant un miroir à lui-même dans ce travail d’élaboration,
que l’on pense par exemple à Sterne ou à Diderot inventant le genre « roman »).
Figure 12. Le NON-roman de Lucie de Boutiny.
121
« Pourquoi un genre en constitution aurait-il besoin de sans cesse examiner sesprolégomènes ? ... quand on pourrait dans un premier élan augurer qu’un genre entrain de naître, tout à l’innocence d’un premier matin, ne se soucierait de riend’autre que de prouver la marche en marchant. Peut-être sommes-nouseffectivement dans ce qu’on nomme chez les jeunes enfants, le stade du miroir ? »(Message de Xavier Malbreil du 4 septembre 2003.)
106 Mais dans quelle mesure les e-crituriens tentent-ils de constituer le récit interactifen
tant que genre ?
Le « récit interactif » est-il un nouveau genre ?
107 Parmi les genres qui pourraient être en émergence dans la littérature numérique et qui
sont discutés dans le cadre de la liste E-critures, intéressons-nous au cas particulier du
« récit interactif » (cf. annexe, p. 241). Si se pencher de façon approfondie sur un cas
particulier est ici un parti pris méthodologique, s’intéresser au récit interactif dans le
cadre de la liste
108 E-critures paraît d’autant plus pertinent qu’un certain nombre d’auteurs de la liste
conjuguent l’écriture de récits pour l’édition papier et l’écriture de récits interactifs
(Lucie de Boutiny, François Coulon, Xavier Malbreil). Du 6 au 20 novembre 2001 a eu
lieu sur E-critures une discussion sur le « récit interactif » (52 mails faisant intervenir 13
membres différents sur les 64 que comptait la liste à cette époque). Cet échange a
abordé les points suivants :
la tentative de définition collective ;
la pertinence du narratif sur un support numérique ;
l’inscription du récit interactif dans une histoire ;
le rôle du dispositif technique et la spécificité du récit interactif.
109 L’échange ayant souvent pris la forme d’une controverse, il est difficile de relever la
construction de conventions d’écriture et de lecture partagées. Dans la perspective
d’une pragmatique de la constitution d’un genre, proposer un répertoire des formes
d’émergence des conventions et tenter une mise en forme des stratégies de
construction de ces conventions s’est révélé par conséquent délicat.
Une tentative de définition collective : entre théorie et pratique
110 Au cours de cet échange, certains membres se sont essayés à une tentative de définition
du « récit interactif ». Cette tentative de définition par les « acteurs eux-mêmes », par
nature réflexive, a d’ailleurs suscité, de la part de chercheurs présents sur la liste, des
interrogations quant à la démarche elle-même. Ainsi Igor Babou suggère
« d’éviter de prendre le discours des acteurs pour une théorie. Mais travailler surleurs représentations (d’eux-mêmes, de la notion de “récit”, etc.) est bien entendutout à fait légitime ».(Message d’Igor Babou du 6 novembre 2001.)
111 Se sont alors entremêlées des contributions « jouant le jeu » d’une tentative de
définition du récit interactif...
« concernant la notion de récit interactif, on a pu constater que le terme recoupeplusieurs choses [...] »(Message de Xavier Malbreil du 19 novembre.)
112 ... et des contributions refusant explicitement toute tentative de définition.
•
•
•
•
122
« En fait, ma réponse sous-tendait une question mauvaise tête :Qu’avons-nous besoin de ces définitions ? »(Message de Patrick-Henri Burgaud du 13 novembre.)
113 D’autres n’ont pas exprimé leur refus d’une tentative de définition, mais ont envoyé
une profusion d’adresses web et de références d’œuvres...
« Pour couvrir tout le spectre des récits interactifs et multimédias, je ne peux queconseiller [...] »(Message d’e-troubadour marco du 7 novembre.)« Je diviserai cette présentation en trois parties, tout d’abord les travaux de prose etde poésie finis ou en léthargie.Ensuite les travaux en cours de réalisation ou en voie de le devenir.Enfin, les travaux inaccessibles sur le Net, mais issus de celui-ci et édités sur CD-rom. »(Message de Xavier Leton du 7 novembre.)
114 …signifiant par là même que le point de départ d’une tentative de définition ne pouvait
être que la fréquentation des œuvres elles-mêmes. C’est sans doute aussi le sens de la
réponse de Lucie de Boutiny, mettant l’accent sur la praxis :
« [...] La meilleure réponse est de FAIRE des e-œuvres dites “interactives”. »(Message de Lucie de Boutiny du 13 novembre.)
115 On peut noter sur la liste une ligne de fracture entre ceux qui souhaitent aboutir à une
terminologie commune et les auteurs qui refusent toute tentative de définition par
peur d’une catégorisation qui deviendrait un carcan. La ligne de fracture recoupe
également ceux qui se disent intéressés par une réflexion théorique et ceux qui
refusent toute préoccupation théorique.
« [...] En tant que praticien, je suis intéressé [...] par des questions théoriques liéesau récit.Et au récit interactif par la même occasion. »(Message de Xavier Malbreil du 20 novembre.)
116 Il est intéressant de noter que, deux jours après le début de la discussion, Xavier
Malbreil, alors animateur de la liste, lance un appel :
« Maintenant, il y aurait peut-être un travail intéressant à faire, qui serait le tri desdiverses interventions sur la liste, depuis sa création. Cela pourrait se faire parthèmes, et cela aurait l’avantage de donner de nouveaux éclairages – peut-être plusvivants – aux problèmes qui nous intéressent. Peut-être un des membres de la listepourrait-il s’en charger, peut-être un travail de thèse, je ne sais pas... »
117 L’analyse des contributions sur la liste fut alors pour la première fois envisagée. Il est
possible que, les jours suivants, les contributeurs aient eu le sentiment d’écrire si ce
n’est pour la postérité, du moins pour laisser une trace, ce qui a d’ailleurs peut-être
contribué à radicaliser les positions.
Le récit interactif entre narratif et poétique
118 La pertinence même du récit en tant que forme de discours a été discutée. Plusieurs
auteurs de la liste ont ainsi exprimé leur rejet du récit.
« Tout récit m’emmerde (roman, nouvelle, cinéma). Il n’est de meilleur roman queceux non narratifs justement (ou du moins dont la narration n’est qu’un Mac-guffin), il n’est de meilleur cinéma que ceux dont on se fout de l’histoire, il ne serade meilleure œuvre interactive que celle qui nous tient sans cet artifice qu’est ladiégèse. Je déteste suivre linéairement une diégèse quelconque en attendant une finou une pseudo-fin ... J’ai même arrêté de lire des romans pendant deux ans parce
123
que je ne pouvais les lire qu’en diagonale, ne regardant que le style (résidus de monboulot sur les citations chez JLG), j’ai pu reprendre avec Russel Banks (HamiltonStark) parce que justement la diégèse était mise à mal par la narrativité etl’utilisation complexe des points de vue. »(Message de Julien d’Abrigeon du 10 novembre.)
119 Ce qui est rejeté ici, c’est le recours à une histoire. Il est d’ailleurs intéressant de noter
que Julien d’Abrigeon utilise le terme technique « diégèse ». Cela montre une
connaissance certaine en narratologie, confirmée par les expressions « narrativité » et
« utilisation complexe des points de vue ».
« [...] Comme je m’ennuie généralement à la lecture des romans (combien demarquises sortent encore à cinq heures et en plus au passé simple ?), je souhaite aumoins ne plus écrire ainsi. »(Message de Patrick-Henri Burgaud du 10 novembre.)
120 Ce qui est récusé ici, c’est l’un des genres narratifs, à savoir le roman, et notamment les
conventions d’écriture telles que l’emploi du passé simple. Plus que le recours à une
histoire, c’est la façon dont l’histoire est racontée, c’est-à-dire la narration qui est ici
discutée. On peut lire une référence implicite à la prétendue confidence orale de Paul
Valéry à André Breton : « La marquise sortit à cinq heures », phrase censée discréditer
le début des romans, et par là même le genre romanesque dans son ensemble. Cette
référence montre là encore une bonne connaissance de l’histoire littéraire.
« Au “récit multimédià”, je préfère une définition plus abstraite, en fait moins liée àla littérature et à l’une de ses formes : la narration. L’objet multimédia me convientmieux. »(Message de Gérard Dalmon du 13 novembre.)
121 Tous ne rejettent donc pas la même chose dans le récit classique. Il est symptomatique
que Julien d’Abrigeon comme Patrick-Henri Burgaud qualifient leurs œuvres
de« poèmes interactifs », même s’il y a une dimension narrative très forte comme c’est
le cas chez Patrick-Henri Burgaud. Gérard Dalmon, lui, a choisi l’expression « objet
multimédia ». Mais tous les membres de la liste ne rejettent pas le récit.
« Pour continuer cette discussion, et peut-êtte est-ce de ma patt une déformation –due au fait que j’aime lire des récits, et en écrire également – [...] »(Message de Xavier Malbreil du 19 novembre.)
122 S’opposent donc ceux qui continuent à lire des récits papier (et à en écrire, puisque
Xavier Malbreil est en train d’écrire son dernier roman papier alors qu’il participe à
cette discussion) et ceux qui se sont tournés vers la littérature numérique par rejet du
récit classique (histoire et/ou narration).
123 Ceux qui disent continuer à lire des récits, notamment des romans, tentent même de
définir ce qui fait pour eux l’attrait d’un récit.
« Mais puisque l’on parle de récit, il ne faut pas oublier que ce qui nous attache aurécit, et qui nous fait revenir dessus, c’est bien souvent :– des personnages forts, qui sans nous ressembler tout à fait pourraient être unepartie de nous ;– une histoire (un récit) dont, même si l’on est suffisamment “en recul”, on ne peuts’empêcher de souhaiter connaître le dénouement ;– une capacité de l’œuvre à continuer de travailler en nous, à nous travailler, etc.Le reproche que je ferais à tous les récits interactifs que j’ai lus pour l’instant, c’estde ne mettre en scène que des personnages archétypaux, qui s’agitent dans le videde situations mille fois vues, mais que l’on prétend bien évidemment décalées/décodées. Moi le décalage/décodage ne m’a jamais intéressé. Bon, pardon, c’est une
124
opinion, mais également cela concerne, je crois, le débat en cours. »(Message de Xavier Malbreil du 9 novembre.)
124 On peut noter que le recours à une histoire est revendiqué comme un attrait majeur du
récit. Xavier Malbreil tente d’aller plus loin dans la définition du récit qu’il avance dix
jours plus tard :
« [...] Il me semble que la notion de récit ne doit pas être oubliée dans le terme“récit interactif”. Bon, et un récit, qu’est-ce que cela implique ? Pour moi, troisdimensions essentielles :– la tentative de compréhension du monde– la volonté de partager– la réflexion sur la forme. »(Message de Xavier Malbreil du 19 novembre.)
125 L’intérêt pour la littérature numérique a donc deux origines presque opposées. Pour les
uns, le récit a plus que jamais sa raison d’être...
« Je voulais dégager les raisons qui font que le récit – et c’était là aussi pourrépondre à une objection faite, entre autres par Julien d’Abrigeon – n’est pas unechose dont on peut définitivement faire l’économie. »(Message de Xavier Malbreil du 20 novembre.)
126 Et la littérature numérique est légitimée par la recherche d’un futur pour le récit :
« La question, pour moi, est la suivante : quelle est la voie du récit interactif, si l’onconsidère que l’on peut (c’est une possibilité) se rappeler qu’il y a la notion de“récit” dans le terme. »(Message de Xavier Malbreil du 19 novembre.)« Ce que ma réflexion – parfois naïve – tendait à faire, c’était de dégager lesconditions dans lesquelles on pourrait voir apparaître – et c’est ce qui m’intéressele plus – un récit interactif vraiment captivant. »(Message de Xavier Malbreil du 20 novembre.)
127 Pour les autres, la littérature numérique sonne le glas du récit :
« Je pense que l’e-criture aura mieux à proposer que cette vieillerie XIXiste qu’est le
récit.Du théâtre interactif serait génial ! Voir, entendre, influencer la pièce comme unjeu vidéo, ça c’est vivant, exaltant. [....]La poésie par ordinateur est archi-prometteuse. Mais le récit se meurt. Alorsl’ordinateur le réveillera-t-il ou donnera-t-il un coup de grâce à cette chose ? »(Message de Julien d’Abrigeon du 9 novembre.)
128 Ce sont ici les propriétés du support numérique qui sont mises en exergue. Le support,
favorisant un jeu sur le signifiant, paraît à certains beaucoup plus adapté à une écriture
poétique (cf. Une dynamique spatiotemporelle). Le narratif serait ainsi inévitablement
tiré vers le poétique. À la mise en mouvement des mots s’ajoute la possibilité donnée à
l’interacteur de manipuler graphèmes et phonèmes (cf. Le texte « interactif »). Cette
attention portée au jeu sur le signifiant paraît un souci constant chez les auteurs de
récits littéraires interactifs : Patrick-Henri s’intéresse ainsi à la mise en mouvement des
mots, Lucie de Boutiny parle quant à elle d’une « écriture visuelle »...
« Je ne suis pas d’accord avec ce que tu dis sur la pauvreté des sites plusromanesques que poétiques... Tu distingues les genres, or le Net fait éclater lanotion de genre !...Par ailleurs tu n’évoques que l’aspect hypertextuel (ce qui est une traditionformelle depuis Diderot ?… et certainement plus haut encore dans le temps). Quefais-tu de l’aspect visuel de cette écriture qui se lit autant qu’elle se regarde ? »(Message de Lucie de Boutiny du 14 novembre.)
125
129 Lucie de Boutiny prétend dans ce mail que le support numérique, et en particulier le
réseau Internet, « fait éclater la notion de genre ». Est-ce parce que les formes qui
émergent sont radicalement nouvelles ?
Entre rupture et continuité : le rôle du dispositif technique
« [...] Ça fait déjà quelques années que ces récits circulent (cf. le CD-rom des Rez, de
1994), et la nouveauté présupposée de tout média s’inscrit souvent dans des récitset pratiques médiatiques préexistants dont il est intéressant de tenir compte. Lanotion d’intertextualité renvoie à cette idée d’une circulation des récits et desformes. »(Message d’Igor Babou du 6 novembre.)« La nouveauté est aussi un mouvement qui part d’un “autrement” pour aboutir àun “ailleurs”. Et si l’autrement s’inscrit effectivement dans les pratiques bienconnues de la transtextualité, les particularités techniques du dispositifconstruisent peu à peu cet ailleurs. »(Message de Philippe Bootz du 7 novembre.)
130 Le débat met ici aux prises ceux qui pensent que le récit interactif (et plus
généralement la littérature numérique) est radicalement nouveau (la nouveauté
provenant des « particularités techniques du dispositif ») et ceux qui sont très
dubitatifs devant cette prétendue nouveauté qui serait étroitement liée au support.
« [...] Je crois que personne sur cette liste ne pense faire quelque chose deradicalement nouveau. [...] Quand certains disent rechercher une émotion nouvellesous prétexte d’un environnement nouveau (l’ordinateur -pas si nouveau -,Internet, etc.), je reste dubitatif... »(Message d’Éric Sérandour du 11 novembre.)
131 S’ensuivent des diatribes de la part d’auteurs qui fustigent la « fascination pour la
technique » :
« La fascination pour la technique (Balpe & Co) me semble patente dans les milieuxuniversitaires. C’était déjà le cas à l’époque où l’Université (côté sciences del’éduction et info-com) découvrait l’audiovisuel, ça a perduré et s’est amplifié avecle multimédia. »(Message d’Igor Babou du 8 novembre.)« Beaucoup d’œuvres existantes actuellement se contentent davantage d’explorerles miracles de la technique que de proposer un contenu vraiment palpitant.Qu’un récit soit interactif parce qu’il va me mettre dans la peau du héros (c’est ledegré zéro du récit interactif) ou bien parce qu’il va me mettre en cause dans leprocessus de lecture, ou encore pour X autres raisons, cela n’en fera toujours pas unbon récit. Se focaliser sur un processus, et sur des procédés, je ne vois pas très bienoù cela mène. Une fois que l’on se sera émerveillé sur l’exploit technique, ou sur lacontorsion intellectuelle à l’œuvre dans l’œuvre, quoi d’autre ? S’il Y a unedésaffection actuelle pour tout ce qui touche au Net, n’est-ce pas, aussi, parce quebeaucoup se sont laissé embarquer par la fascination pour la technique pure ?Le récit interactif deviendra vraiment ce que nous souhaiterions qu’il soit – unnouveau genre littéraire, par exemple, ou bien un nouvel art – quand le lecteur,activant un lien, se trouvera face à face avec quelque chose qui le bouleverseracomme la lecture de Flaubert ou de Dostoïevski aura pu le bouleverser. Ce ne serapas parce que l’auteur aura conçu son récit en fonction d’une idée qu’il se fait durécit interactif, mais parce qu’il aura su trouver ce qui, dans les nouvellestechniques qui nous sont données, permet d’exprimer une émotion tout à faitinédite, et dont néanmoins le lecteur avait déjà une idée. Par quel biais, cela reste àdécouvrir. [...] »(Message de Xavier Malbreil du 9 novembre.)
126
132 Pour argumenter contre la nouveauté radicale que constituerait le récit interactif,
certains se proposent de le resituer dans la continuité d’une histoire de la littérature :
« De fait, la littérature connectée à l’ordinateur a déjà dépassé non pas l’âge de laplume d’oie ou d’acier mais l’ère du silicium : d’un point de vue formel, elle atoujours existé. L’idée d’une littérature hypertextuelle, visuelle, interactive, a jailliavant même l’invention de l’ordinateur... [...] Cette écriture de l’écran est l’héritièredirecte des avant-gardes du siècle XX. [...] Les expériences des oulipiens, des
lettristes, des surréalistes, des calligrammes d’Apollinaire. »(Message de Lucie de Boutiny du 15 novembre.)
133 Continuité et inscription dans une histoire, ou rupture et caractère radicalement
nouveau : cette controverse a permis de poser la question du support numérique et du
dispositif. Mais, radicalement nouveau ou pas, le récit interactif est-il seulement
pertinent ? Certaines voix ont souligné le manque de pertinence de l’interactivité dans
un récit :
« D’ailleurs, ça fait des années que j’ai cessé, en tant que lecteur, de m’intéresser aumultimédia et autres récits interactifs : je préfère – de loin ! – qu’un auteur meguide d’un début vers une fin sans interactivité aucune. »(Message d’Igor Babou du 8 novembre.)
134 Certains s’interrogent ainsi sur la raison d’être d’un tel récit, c’est-à-dire sur ce qui
pourrait motiver auteur et lecteur dans une telle aventure :
« Ce qui est intéressant dans la notion de récit interactif -et en quoi il n’a pas encoreabouti à mon sens -c’est de poser la question du “pourquoi”. Pourquoi souhaitons-nous un récit interactif. Qu’est-ce que nous en attendons. Comment parvenir à encréer de vraiment palpitants. »(Message de Xavier Malbreil du 12 novembre.)
135 Le récit interactif est-il même seulement possible ? Il ne semble en effet pas aller de soi.
Mieux : l’expression récit interactif semble relever d’une contradiction. La narrativité
consiste à prendre le lecteur par la main pour lui raconter une histoire, du début à la fin.
L’interactivité, quant à elle, consiste à donner la main au lecteur, qui devient ainsi
interacteur, pour intervenir au cours du récit, et cela à différents niveaux (histoire,
structure du récit, narration). Comment concilier narrativité et interactivité, ou plutôt
comment les faire advenir en même temps ? Voilà la question que se posent les auteurs,
tout en explorant différentes solutions dans leurs œuvres :
« Le problème est ardu dès lors que l’on veut raconter une histoire (où il faut unminimum de continuité) en la pensant d’emblée sur et pour ordinateur. » (Messagede Xavier Malbreil du14 novembre.)
136 De ce débat sur la liste de discussion E-critures, il ressort que le récit interactif, loin
d’être constitué en genre autonome assuré avec certitude de ses frontières, apparaît
davantage comme une activité expérimentale. L’expression récit interactif recouvre de
fait une grande variété de pratiques. Le plus homogène des récits interactifs, à savoir le
récit hypertextuel (au sens où il est défini par des traits formels facilement identifiables
qui peuvent donner une certaine cohérence à l’appellation « récit hypertextuel »), n’est
pas pour autant un genre établi. « En l’absence d’une définition génétique
culturellement partagée, chaque fiction hypertextuelle est tenue d’inventer ses propres
règles » [CLÉMENT, 2003].
137 Comme le montre la figure 13, le récit interactif71 est emblématique des problèmes de
positionnement qui apparaissent dans le cadre de la littérature numérique : il tend à
127
jouer sur la frontière entre littérature et ingénierie documentaire, littérature et jeu
vidéo, littérature et art numérique.
138 La controverse sur le récit interactif a néanmoins permis aux contributeurs d’aborder
la question du genre à travers celle du support. Le récit interactif est-il un nouveau
genre (du fait de la nouveauté du support) ou une forme de récit s’inscrivant dans la
continuité d’une histoire littéraire ?
139 Traditionnellement, le genre se constitue dans la production d’un public en même
temps que dans la production de conventions. Mais sur E-critures, la fabrication du public
est celle d’un public qui est en même temps majoritairement lui-même fabriquant. Il
n’y a pas réellement de fabrication d’un public de « simples lecteurs », pour reprendre le
texte de présentation de la liste72. Si le dispositif E-critures nous offre une vision de
l’échange littéraire comme expérience, l’absence d’un véritable lectorat rend
problématique la constitution de genres.
Figure 13. Les frontières du récit interactif.Dans ce schéma sont représentées trois composantes du récit interactif : le récit hypertextuel, le récitcinétique et le récit collectif. Le récit hypertextuel met avant tout en scène une interactivité denavigation (accéder), le récit cinétique une interactivité de manipulation, et le récit collectif uneinteractivité d’introduction de données (produire). Le schéma montre la porosité des frontières du récitinteractif avec le domaine de l’ingénierie documentaire, du jeu vidéo mais aussi du Net art.
E-critures interroge la notion de genre
140 Les acteurs d’E-critures s’intéressent à la question des genres. Nous avons pu le vérifier
à propos d’un échange de mails surie récit interactif. Mais dans quelle mesure la notion
de genre elle-même se trouve-t-elle questionnée ? Pour comprendre comment le
dispositif E-critures interroge la notion de genre, penchons-nous d’abord sur les traits
définitoires des genres de la littérature traditionnelle.
128
De nouveaux traits définitoires ?
141 Prenons un exemple concret de genre, à savoir le « genre autobiographique ». Philippe
Lejeune voit dans l’autobiographie un genre relativement récent qu’il définit en ces
termes :
« Autobiographie : récit rétrospectif en prose qu’une personne fait de sa propreexistence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier surl’histoire de sa personnalité73 »
142 Gérard Genette note que le genre est ainsi défini par une combinatoire de traits
[GENETTE, 1986] :
thématiques (devenir d’une individualité réelle) ;
modaux (narration autodiégétique rétrospective) ;
formels (en prose).
143 Nous avons vu que, sur la liste E-critures, la question d’une typologie des œuvres est
récurrente. La difficulté d’une telle typologie porte néanmoins sur les critères de
différenciation. Lorsque les acteurs du dispositif E-critures présentent ou commentent
des œuvres, ils peuvent ainsi mettre en avant :
la référence à une dichotomie générique du type poétique/narratif ;
les formes sémiotiques utilisées (texte, image, son, vidéo) ;
les actions permises au lecteur-interacteur (activer des liens hypertextes, manipuler des
objets à l’écran, taper du texte au clavier...) ;
le type d’algorithmes à l’œuvre (algorithmes adaptatifs, génération de texte...) ;
les logiciels, langages et formats informatiques utilisés pour produire (HTML, Javascript,
Flash, Director ...).
144 Dans ces caractérisations des œuvres, retrouve-t-on les traits thématiques, modaux et
formels du genre autobiographique ?
Quels traits thématiques ?
145 Dans la référence à une dichotomie générique fondamentale (par exemple poétique/
narratif), il ne s’agit pas de la triade épique/lyrique/dramatique, mais le poétique (et
non le lyrique) est entendu ici au sens de jeu sur le signifiant. On observe un
déplacement du thématique vers le sémiotique, une forme d’évidement du thématique,
déjà relevée au chapitre précédent74. Les discours des acteurs ne portent en effet que
rarement sur le contenu de l’œuvre. Ce passage au second plan du thématique est
souvent une propriété des avant-gardes : il s’agit de travailler la forme pour elle-même.
C’est cette même dimension sémiotique que l’on retrouve lorsque l’accent est mis sur
les formes sémiotiques utilisées : texte, image, son, vidéo.
Quels traits modaux ?
146 Faut-il considérer que la description des actions permises à l’interacteur entre dans les
traits modaux ? On passerait ainsi d’une définition reposant sur les modes
d’énonciation à une définition reposant sur les modes d’interaction.
Quels traits formels ?
147 Les traits formels concernent avant tout le type d’algorithmes et les logiciels utilisés.
Jusqu’à présent, les traits formels aidaient à identifier les genres. Concernant les
œuvres numériques, il semblerait que les traits formels soient d’abord présents dans les
logiciels (choisir d’« écrire » en HTML avec Dreamweaver75 ou bien en ActionScript avec
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129
Flash donnera en effet des œuvres formellement très différentes). On passerait ainsi de
critères formels à des critères techniques.
148 Un trait formel de certaines œuvres paraît néanmoins identifiable : le lien hypertexte.
Le récit hypertextuel ou hyperfiction a déjà une longue histoire (sans parler des
précédents « papier »), avec une œuvre fondatrice (Afternoon, a Story de Michael Joyce
en 1987) et de nombreux textes théoriques (Landow, Moulthrop, Clément ...). Mais il
n’existe à ce jour que peu de tentatives pour fonder une rhétorique du lien
hypertexte76, tentatives qui pourraient jeter les bases de conventions d’écriture et de
lecture d’une fiction hypertextuelle.
149 Ainsi, les œuvres de littérature numérique ne semblent pas définies d’emblée par leurs
acteurs par des traits modaux, thématiques et formels. Plus exactement, ces traits
semblent être déplacés vers d’autres traits. Les traits définitoires des genres en
construction seraient les suivants :
formes sémiotiques,
actions de l’interacteur,
formats techniques.
150 Voici les déplacements observés :
sémantique (thématique) => sémiotique,
énonciation => dispositif interactif (actions de l’interacteur),
formes (traits formels) => formats (techniques).
151 C’est donc dans ce déplacement des traits définitoires d’un genre que l’on peut avancer
que les discours des auteurs d’E-critures interrogent la notion de genre littéraire.
152 La diversité de caractérisation des œuvres par les acteurs pose toutefois problème : s’il
n’y a pas de définition partagée entre les différents acteurs (auteurs, chercheurs et
lecteurs), les conventions propres à un genre ne pourront pas voir le jour. Néanmoins,
même si les conventions d’écriture et de lecture des différentes formes (fiction
hypertextuelle ou hyperfiction, poésie animée ou cinétique, œuvres génératives et
combinatoires, travaux d’écriture collective ...) ne sont pas stabilisées, elles sont
discutées dans le cadre de la liste. La liste E-critures peut ainsi apparaître comme un
laboratoire de formes, qui donneront peut-être un jour naissance à des genres.
De nouvelles formes fixes ?
153 Le terme « forme » peut aussi s’entendre au sens de « forme fixe ». Le sonnet, par
exemple, avec ses deux quatrains et ses deux tercets, est une forme fixe. Plusieurs
œuvres de littérature numérique font ainsi référence à ces formes fixes. En octobre
2004, Patrick-Henri Burgaud propose sur la liste E-critures une « Élégie77 », « poème
d’amour interactif ». L’élégie, dans l’Antiquité, désigne un poème lyrique caractérisé
par l’alternance des hexamètres et des pentamètres, qui finit par se spécialiser dans
l’expression des sentiments mélancoliques provoqués par un deuil ou un amour
malheureux.
154 Mais, dans le même temps que Patrick-Henri Burgaud propose son « Élégie » à la liste,
un autre auteur, Luc Dall’Armellina, demande des commentaires sur son « pong
dialogique », Q.Q.A.378. Ici, comme nous l’avons déjà évoqué, la référence ne porte pas sur
la littérature traditionnelle, mais sur le jeu vidéo. Du 22 octobre au 3 novembre 2004,
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130
vingt-deux messages impliquant sept contributeurs différents sont postés sur la liste E-
critures concernant ce « pong dialogique ». Luc Dall’Armellina précise :
« Modestement, je pense qu’on peut (et peut-être qu’on doit ?) faire des pongs, pasun ni deux mais dix, cent, qui vont mettre au jour quelque chose de nouveau dans lelangage, et que nous n’aurions pas vu avant, ni même autrement. »(Message du 29 octobre 2004.)
155 Xavier Malbreil rebondit :
« Ce que je note [...], c’est que l’on peut citer un dispositif formel (le pong), au mêmetitre qu’un contenu. C’est intéressant de voir comme certaines formes héritées desjeux vidéo prennent la place des formes fixes (je ne parle pas de genre) que, aprèstout, aucune époque n’a dédaignées. [...]Mais si le pong devait devenir une forme fixe, qu’est-ce qui le justifierait ? Parcequ’il existe ? Parce qu’il dispense un sentiment de plénitude esthétique (comme lesdéfenseurs du sonnet pourraient nous le dire pour sa défense) ? Oui, pourquoi telleforme plutôt que telle autre ? Et pourquoi la littérature informatique n’inventerait-elle pas ses propres formes fixes ? Pour l’heure, on voit surtout fonctionner desemprunts au domaine des jeux vidéo. »(Message du 30 octobre 2004.)
156 Les « formes fixes » ne sont pas abandonnées, mais les emprunts peuvent se faire à
d’autres domaines qu’à celui de la littérature, en l’occurrence celui du jeu vidéo.
Patrick-Henri Burgaud qualifie, quant à lui, la pièce de Luc Dall’Armellina comme « une
forme semi-fixe, oui probablement ». L’expression « forme semi-fixe » illustre le jeu
entre formes fixes héritées et formes fixes à créer. La littérature numérique, que
Patrick-Henri Burgaud appelle « notre littérature », ne deviendra-t-elle pérenne que
lorsqu’elle aura elle-même construit ses propres formes fixes ?
Du genre au format
157 Nous avons fait l’hypothèse d’un déplacement des traits définitoires d’un genre vers la
mise en avant des formes sémiotiques, des actions du lecteur et des formats techniques.
Allons plus loin. L’accent est très fortement mis, notamment dans les discours des
auteurs, sur le dernier point (les formats techniques) ; on peut alors avoir l’impression
que ce n’est plus la notion de genre qui est première mais celle de format, ou du moins
que l’on glisse de la notion de genre à celle de format.
« Je suis plutôt préformaté par le logiciel que j’utilise (Flash), mais j’aime bientravailler à l’intérieur d’un cadre, c’est, si on exagère un peu, une sorte de guide, unformat comme peut l’être le sonnet par exemple... »(Message de Julien d’Abrigeon du 2 juin 2001.)
158 Ce qui intéresse cet auteur, c’est la contrainte d’un « cadre » : le glissement du genre (la
forme fixe du sonnet) au format (Flash) est ici manifeste79.
159 Dans beaucoup d’œuvres de littérature numérique, c’est bien la notion de format
technique qui semble prééminente. Ainsi, les œuvres collectives, en tant que genre
éventuel, sont définies par le dispositif technique, par le format d’échange, mais pas
par le contenu. Quant aux journaux intimes en ligne, la vogue actuelle du blog80 montre
également à quel point ce type d’écrit peut être caractérisé avant tout par un format
technique, en l’occurrence la possibilité pour l’interacteur d’introduire des données
textuelles ou graphiques jouant le rôle d’un commentaire81.
160 Le concept de format n’est cependant pas limité aux techniques de production, ainsi
que le souligne Dominique Boullier [BOULLIER, 2000]. Rappelons que, dans le domaine des
131
arts plastiques, le format dimensionne la taille d’un objet en général (format d’un tableau) ;
dans le domaine du cinéma, le format exprime la largeur d’un film en millimètres
(format 35 mm) ; dans le champ de l’édition, chaque collection possède un format propre
(dimensions de l’imprimé). La composition pour le tableau, le montage pour les images ou
le découpage en chapitres pour le livre sont des opérations qui possèdent autant
d’incidences sur la réception de l’objet que sur la chaîne de fabrication technique82. En
informatique, les opérations numériques de publication du texte, de l’image et du son
font appel à des formats divers (ex. : MPEG) qui concernent la mesure et l’interprétation
du visible et du lisible mais qui organisent aussi les données de façon accessible ou
protégée. L’histoire de ces différents domaines a montré que l’incidence du format
n’était pas mince sur la réception des formes sémiotiques qui y sont associées, faisant
ainsi interagir « outillages industriels » et « outillages mentaux83 ».
161 C’est cette importance du format que les acteurs d’E-critures soulignent dans le cadre de
l’écriture numérique, notamment littéraire. Les auteurs semblent produire de
l’innovation non pas à partir du genre, mais à partir du format.
162 Ainsi, l’« esthétique Flash84 » tend à devenir une convention dans nombre de
productions, non pas en tant que genre mais en tant que format. Or un genre, comme
cadre d’interprétation, a d’autres règles que celles du format. Qu’est-ce qui dans un
format véhicule aussi des cadres d’interprétation et pourrait contribuer à forcer
l’émergence d’un genre ?
L’exemple du format Flash : du format au genre ?
163 Se livrer à une typologie des formats ne paraît pas chose aisée, tant ce domaine est
mouvant et instable. Penchons-nous sur l’un des formats très en vogue actuellement, à
savoir les œuvres « publiées85 » à l’aide du logiciel Flash. Rappelons à ce propos que
l’interface même du site e-critures.org a été réalisée à l’aide de ce logiciel.
164 Le glissement de traits définitoires mis en évidence précédemment nous indique que,
pour analyser l’émergence d’un genre en littérature numérique, il nous faut également
tenir compte de l’ensemble des traditions culturelles mobilisées dans le cadre de la
littérature numérique. Dans The Language of New Media [MANOVICH, 2001], Lev Manovich
analyse ainsi l’influence des traditions culturelles préexistant au numérique. Selon lui,
le « langage du numérique » est constitué par la contribution de trois traditions
culturelles : celle de l’imprimé, celle de l’audiovisuel (notamment le cinéma, mais aussi
la télévision, les jeux vidéo) et celle du panneau de contrôle (c’est-à-dire d’un ensemble
d’instruments dont les indications sont consultées pour contrôler une machine
complexe : une voiture, un avion, un ordinateur, une centrale thermonucléaire). Pour
Manovich, la tradition la plus influente sur le Web est celle de l’audiovisuel. La
première influence de la tradition audiovisuelle est, selon lui, la « caméra mobile » : on
voit là une partie du langage cinématographique du mouvement transférée
directement ou incorporée dans les pages web. Par exemple, la caméra mobile qui
consiste à explorer un lieu virtuel, en choisissant l’angle de vue à l’aide des touches-
flèches de l’ordinateur, et peut aussi effectuer des zoom in et des zoom out en appuyant
sur des boutons. Cette interface, très courante dans les jeux vidéo, a aussi fait son
apparition sur certains sites web. En outre, tout un vocabulaire cinématographique
imprègne les outils de création de sites web (« scénario », « story-board »,
« animations », « calques » comme dans les dessins animés). Ce poids de la tradition
audiovisuelle explique aussi que le vocabulaire des e-crituriens pour présenter et
132
analyser les œuvres numériques ne soit pas seulement celui de la littérature, mais aussi
celui de l’audiovisuel :
« Et pourquoi ne pourrait-on pas commencer par utiliser les figures de la littératureet de l’audiovisuel ? [...] Métaphores, comparaisons, métonymies et synecdoquessont tout à fait utilisables. Parallélisme et amplification, redondances aussi. [...]Dans le domaine des figures audiovisuelles, hareng rouge, timelock, flash-back etforward, climax median, running gag... »(Message d’e-troubadour marco du 1er juin 2002.)
165 C’est ce langage de l’audiovisuel que l’on retrouve dans le logiciel Flash, qui permet de
« publier » dans le « format » Flash des « animations » (movies dans la version anglaise).
Pour reprendre la terminologie de Manovich, on retrouve dans les œuvres au format
Flash des caractéristiques de la tradition de l’audiovisuel (déroulement temporel d’une
animation), du panneau de contrôle (attente d’actions de la part de l’interacteur) et de
l’imprimé (« esthétique Flash » mettant l’accent sur certains choix typographiques et
un certain type de mise en page-écran). Néanmoins, c’est bien la tradition de
l’audiovisuel qui semble la plus prégnante dans le logiciel Flash. Or certains e-crituriens
entendent concevoir et réaliser des œuvres littéraires en utilisant ce format (cf. le
message cité plus haut de Julien d’Abrigeon)...
166 Dans les productions en Flash des e-crituriens, certains éléments semblent récurrents :
Flash est avant tout un outil d’animation vectorielle. Les animations dites « interpolées »
autorisées par le logiciel donnent lieu à un type de graphisme caractéristique. Les œuvres
publiées avec ce format ont souvent une dimension humoristique, voire parodique
étroitement liée à ce type de graphisme. Le format Flash véhiculerait-il également un
certain registre, voire certains traits thématiques ?
Avec le logiciel Flash, le travail sur le texte est souvent lié à un travail sur la temporalité
d’affichage et le déplacement des caractères sur l’espace de la page-écran : les animations
« interpolées » de Flash favorisent en effet un jeu sur le déplacement et la transformation
des caractères.
167 Dans les œuvres à dominante narrative, Flash favorise ainsi un type de récit
humoristique, voire parodique (Ex. : Days in a Day86 de Pierrick Calvez). Dans le domaine
de la poésie, la « poésie cinétique » ou « poésie animée » a connu une formidable
expansion sur le Web depuis l’apparition du format Flash (cf. les travaux de l’e-criturien
Julien d’Abrigeon). Des liens semblent ainsi unir format et genre : un format peut
contribuer à l’émergence ou à la diffusion d’un genre (en l’occurrence la « poésie
animée » sur le Web).
168 En conclusion, le dispositif E-critures apparaît comme un laboratoire de formes, voire de
genres. Les acteurs d’E-critures, nous l’avons vu, s’essaient à une catégorisation des
œuvres afin de structurer et de délimiter le domaine de la littérature numérique. Les
traits définitoires des genres en construction semblent déplacés vers d’autres traits dans
les discours des auteurs, interrogeant par là même la notion de genre littéraire. Dans la
caractérisation des œuvres, la notion de genre se voit alors concurrencée par celle de
format. Mais, dans le même temps, l’importance accordée au format dans la littérature
numérique pourrait forcer l’émergence de genres.
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133
Littérature numérique et littérarité
169 Le dispositif E-critures apparaît bien comme un dispositif réflexif, dans lequel les
acteurs s’interrogent sur leurs pratiques et leurs productions. Dans le cadre de la liste
de discussion, il existe une forme si ce n’est de construction, du moins de discussion
collective de critères d’évaluation, de normes, de conventions d’écriture et de lecture.
La présence, sur la liste, non seulement d’auteurs et de lecteurs, mais également de
chercheurs et de journalistes joue un rôle dans cette construction. Des œuvres, nous
l’avons vu, sont élaborées et finalisées avec l’appui de la liste. Un tel dispositif participe
activement à la constitution du domaine de la littérature numérique. Reste la question
de la littérarité87 de telles productions : en quoi ces œuvres peuvent-elles être
considérées comme littéraires ? Leurs auteurs revendiquent-ils d’ailleurs cette
littérarité ?
Une question terminologique
170 Le questionnement sur la littérature est très présent sur E-critures. Que le terme de
« littérature » pose des problèmes de définition n’empêche pas les membres de la liste
E-critures de parler de littérature et de tenter de caractériser leurs pratiques. Même les
silencieux de la liste, ceux qui n’ont jamais posté aucun message, semblent
particulièrement intéressés par les questions terminologiques et théoriques :
« [Les messages qui m’intéressent le plus], ce sont en général les messages quitraitent de théories de la littérature électronique. Ils présentent pour moi plusd’intérêt que ceux qui traitent de l’économie de cette littérature, même si c’estaussi un problème fondamental88. »
171 Sur le site web e-critures.org, il est précisé que « ce site est dédié aux écritures et aux
littératures nées avec l’informatique et avec Internet ». Quant à la liste de discussion,
l’intitulé exact de la liste sur le site de Yahoo ! Groupes est : « E-critures : littératures
informatiques ». La liste de discussion E-critures est ensuite définie comme une liste
« dédiée à la littérature informatique » (champ « Description »). Ce passage du pluriel
au singulier est en soi porteur de signification : la diversité des pratiques peut en effet
rendre difficile un processus d’unification de LA littérature informatique. D’ailleurs,
s’agit-il de littérature informatique, électronique, numérique ? La réflexion sur la
littérature commence sur la liste E-critures par une réflexion sur la terminologie.
Penchons nous sur un fil de discussion : du 5 au 13 juin 2003 a eu lieu sur la liste E-
critures une discussion visant à qualifier la production des e-crituriens (huit
intervenants).
172 Si certains, telle la critique Annick Bureaud, considèrent que les termes de littérature
électronique, numérique ou informatique sont « tout à fait équivalents » (message du 5
juin 2003), d’autres pensent qu’utiliser un terme ou un autre est souvent porteur de
sens. L’expression « littérature électronique », utilisée dans le monde anglo-saxon
(electronic literature), s’est imposée au début. Certains remarquent cependant que, dans
la mesure où « elle met l’accent sur le mode de transfert des informations, elle peut
tout aussi bien s’appliquer à un dispositif vidéo » (Philippe Bootz). Ce n’est d’ailleurs
pas innocent si Philippe Bootz utilise pour sa part l’expression « littérature
informatique », mettant ainsi l’accent sur la programmation informatique89 .
L’expression « littérature numérique » ou « digitale » fait quant à elle référence à la
134
nature numérique des productions. Dans le même temps, elle tend à inscrire
implicitement la « littérature numérique » dans le champ de l’« art numérique », et
ainsi peut-être à suggérer que cette littérature a du mal à exister en tant que telle.
173 Dans un message adressé à la liste, l’e-criturien Olivier Ertzscheid, pour sa part,
distingue « littérature informatique » (« cyberlittérature et littérature générée par
ordinateur ») et « littérature digitale » (« art informatique et littérature animée »). À
l’appui de cette distinction, il fait dans son mail un lien vers un schéma accessible sur
son site :
« Je me suis posé la question d’une typologie précise de l’e-criture dans laperspective d’esquisser une typologie des “genres hypertextuels”. Le résultat estdisponible sur mon site sous la forme d’une image intitulée “Panorama de lalittérature informatique90”. »(Message du 13 juin 2003.)
174 Jean Clément avance quant à lui le terme « cyberlittérature ». Dans un mail adressé à la
liste E-critures le 15 septembre 2003, Luc Dall’Armellina insère ainsi dans le corps de son
message un entretien du théoricien Jean Clément avec la journaliste Marlène Duretz91,
tous deux également membres de la liste E-critures :
« “E-criture” est sans doute plus heureux qu’“e-écriture”. D’autres bons candidatssont susceptibles d’évoquer la même chose : écriture électronique, écriturenumérique, cybertexte, cyberlittérature. J’ai un faible pour ce dernier vocable pourplusieurs raisons. D’abord, la cybernétique théorisée par Norbert Wiener dans lesannées 1940 renvoie à des processus de traitement de l’information et aufonctionnement d’un certain type d’automates. De ce point de vue, les recherchesen génération automatique de texte relèvent bien d’une forme de cybernétique.Mais la cybernétique s’est aussi intéressée dès ses débuts aux systèmes complexesde la matière vivante et au phénomène du feed-back. La littérature informatiquepeut donc être aussi qualifiée de cybernétique quand elle considère, dans leshypertextes ou dans toute forme de littérature interactive, le fonctionnement de larelation auteur-texte-lecteur comme un système dans lequel le lecteur est enmesure de “gouverner” (le mot grec kubernêsis désigne l’action de manœuvrer unbateau) le texte qui est soumis à sa lecture. La cyberlittérature, enfin, c’est aussicelle dont la création, la diffusion et la réception se font au sein du réseau Internet,qualifié de cyberespace, selon le néologisme créé par William Gibson. »
175 Sur la liste E-critures, la question récurrente de la terminologie contribue en fait à
tenter de définir le domaine et à en poser les frontières. On peut noter que, dans cette
discussion de juin 2003, le terme même de « littérature » n’a pas été remis en question.
Ce ne fut plus le cas trois mois plus tard, au cours d’une discussion qui se tint du 3 au 9
septembre 2003 et dont le sujet était « Littérature ? » (neuf acteurs de la liste sont
intervenus). Le thème de la discussion était le suivant : « L’e-criture, est-ce encore de la
littérature ? »
« Ce à quoi cette question amène aussi, en la retournant (c’est-à-dire en partant dupostulat que les e-critures sont une littérature), c’est à se poser des questions sur ladéfinition même de la littérature. Si les e-critures sont une littérature, commentdéfinir la littérature de la façon la plus large. [...] Bref, ce que la question amène,pour moi, c’est “qu’est-ce que la littérature ?”(Message de Xavier Malbreil du 3 septembre 2003.)
176 Pour certains, l’e-criture est autre chose que la littérature :
« Le terme de littérature pour l’e-criture me laisse toujours aussi perplexe. »(Message de Francis Mizio du 4 juin 2002.)
135
177 L artiste-programmeur BlueScreen considère ainsi que l’e-criture est avant tout une
écriture du code donnant naissance à une œuvre « perceptible sous une forme qui
s’éloigne de l’écrit92 ».
178 L’e-criture devrait ainsi « s’efforcer de sortir de la littérature » :
« Il faut s’efforcer de sortir de la littérature car ce n’en est fondamentalement pas,l’“e-criture’’ c’est du domaine de l’image et non du texte [...]. Je pense que c’est lafaute de l’écran, que c’est l’écran qui empêche le texte et présente, forcément, del’image. »(Message de Frédéric Madre du 8 septembre 2003.)
179 Pour d’autres enfin, l’e-criture fait partie de la littérature :
« [...] que l’on est censé parler de littérature. Et que si l’art informatique s’étendbien au-delà de celle-ci, celle-ci chapeaute encore l’e-criture, branche spécifiquemalgré le flou des frontières. »(Message de Julien d’Abrigeon du 11 novembre 2002.)
180 C’est bien la question des frontières qui est posée. Si certains considèrent que l’e-
criture est ou doit être en marge de la littérature93, c’est en partie parce qu’elle n’est
pas reconnue par le champ littéraire, mais surtout parce que les œuvres produites ne
correspondent pas à une définition canonique de la littérature. Les œuvres, en effet,
semblent reposer sur une esthétique nouvelle, posant par là même la question de leur
littérarité.
Une esthétique de la matérialité
181 Si les acteurs de la liste E-critures posent la question de la littérature, c’est également le
cas des œuvres. Ainsi, si la littérature est traditionnellement définie comme l’« usage
esthétique du langage écrit94 », on peut observer dans les œuvres de littérature
numérique un déplacement de cet « usage esthétique du langage écrit » vers une
esthétique de la matérialité. En effet, la littérature numérique semble reposer
davantage que la littérature imprimée sur la matérialité du support. Une œuvre
imprimée propose une matérialité qui, dans la majorité des cas, nous paraît naturelle
tant notre culture de l’écrit est marquée par les formes et les techniques d’écriture et
de lecture afférentes au codex. En revanche, dans la littérature numérique, les
conventions de manipulation du dispositif de lecture ne sont pas établies, soit parce
qu’elles sont encore en construction, soit parce qu’elles ne pourront pas se naturaliser.
On ne peut en effet effacer la matérialité, d’une part parce qu’il s’agit d’une matérialité
nouvelle qui peut à bien des égards sembler opaque par les cadres informatiques,
techniques et sémiotiques qu’elle convoque et qu’elle exhibe dans le même temps, mais
aussi parce qu’il y a une matérialité en tant que telle du support numérique. Cette
matérialité, nombre d’auteurs s’efforcent de l’exploiter à des fins littéraires et
artistiques.
La matérialité du texte
182 L’esthétique de la matérialité est d’abord une esthétique de la matérialité du texte.
Dans Vingt ans après95 de Sophie Calle, le texte a été programmé à l’aide du logiciel Flash
pour réagir aux actions du lecteur. Dans la figure 14, le texte est en mouvement96,
répondant aux déplacements de la souris. Le lecteur manipule du texte, ces
manipulations conférant au texte une forme de matérialité. La figure de l’apparition-
136
disparition mise en scène par Sophie Calle dans son récit est ainsi matérialisée à travers
la dynamique spatio-temporelle de l’affichage et les manipulations du lecteur.
183 Dans Les Pages blanches97, récit hypertextuel composé de quelques fragments, le texte
n’est au premier abord pas travaillé dans sa matérialité. Nous constatons néanmoins
que les liens hypertextes sont constitués par des blancs dans le texte (figure 15). Il faut
cliquer sur les blancs pour accéder à un autre fragment. Les blancs, qui deviennent
actables, acquièrent ainsi une forme de matérialité – qui joue sur l’ambivalence entre le
silence apparent du texte et le plein de l’écriture qu’il recouvre –, dans la mesure où
l’on peut avoir prise sur eux.
Figure 14. Vingt ans après.
Figure 15. Les Pages blanches : dans ce fragment, les deux liens hypertextes sont constitués par lesdeux blancs dans le texte.
184 Dans E-cris98 de Luc Dall’Armellina, des textes narratifs défilent sous les yeux du lecteur
avant que celui-ci ne relâche le bouton de sa souris pour en choisir un : le texte
sélectionné va alors servir au lecteur de matériau premier dans lequel celui-ci va puiser
pour écrire, mot après mot, son propre texte (figure 8). Le lecteur pourra alors choisir
un autre texte -matériau pour continuer à écrire son texte personnel.
185 Dans l’une des sections d’Incident of the Last Century99, le lecteur se déplace dans un
univers en 3D composé de mots (technologie VRML). Le texte est alors non seulement
137
mis en espace, mais aussi donné à explorer dans un espace tridimensionnel. La lecture
consiste à se déplacer de façon immersive entre des blocs textuels afin de pouvoir les
appréhender et les interpréter (figure 16).
186 Dans tous les exemples ci-dessus (texte mis en mouvement par le lecteur, texte actable,
texte-matériau, texte composant un espace de déplacement), la matérialité du texte est
indissociable de l’action du lecteur. C’est pourquoi l’« écrit d’écran100 », pour reprendre
un terme cher à Yves Jeanneret et à Emmanuël Souchier, ne constitue pas seulement,
dans une œuvre de littérature numérique, une nouvelle forme de matérialisation de la
matière signifiante. C’est le geste du lecteur qui révèle la matérialité du texte.
Figure 16. Incident of the Last Century.
La matérialité de l’interface
187 Nombre d’œuvres de littérature numérique témoignent de la volonté d’aboutir à une
nouvelle stylistique. Cette stylistique allierait étroitement figures de rhétorique et
figures matérielles, mettant en avant la dimension technique de ces œuvres. Les figures
matérielles en question sont avant tout des figures interfaciques, telle système de
fenêtrage.
188 Nous avons ainsi souligné que, dans le récit hypertextuel NON-roman101, la rhétorique du
lien hypertexte (fonction elliptique, métaphorique, métonymique...) était à mettre en
rapport avec des figures matérielles liées au fenêtrage [BOUCHARDON, 2002]. Dans NON-
roman, le jeu sur le sémantisme du lien est en effet indissociable de la gestion de
l’espace matériel du récit. Illustrons par un exemple. Au début de l’épisode 2, un texte –
racontant le retour chez lui du personnage de Monsieur – propose deux liens
hypertextes (figure 17). Si le lecteur clique sur le deuxième lien : « ét. 3/porte fd » (c’est-
à-dire étage 3/porte du fond à droite), une description de l’appartement (« Monsieur &
Madame habitent un 60 m2 […] ») s’affiche dans une fenêtre à l’intérieur de la fenêtre
du récit. Derrière ce lien se trouve donc toute la description de l’appartement. Ce lien
est d’ailleurs la seule façon d’accéder à cette description : si le lecteur clique sur l’autre
lien, « vite », il ne lira jamais cette description. En quelque sorte, on pourrait dire que
ce lien « contient » la description de l’appartement. Il a ainsi un fonctionnement
analogue à celui de la synecdoque. La synecdoque102 implique en effet un rapport
d’inclusion (par exemple une « voile » pour désigner un « bateau ») ; c’est prendre la
partie pour le tout et inversement. Dans le lien « ét. 3/porte fd », la partie (le texte du
138
lien) renvoie au tout (la totalité du fragment descriptif). Lorsqu’il clique sur le lien, le
lecteur ne peut pas anticiper ce rapport d’inclusion; celui-ci n’est reconstruit qu’après
coup. Néanmoins, l’architecture matérielle donne des indications au lecteur : ainsi, le
rapport d’inclusion se matérialise par la petite fenêtre qui apparaît à l’intérieur de la
fenêtre du récit; ce statut graphique est une indication sur le statut du fragment, sur sa
position dans la hiérarchie du récit. L’effet de sens du lien est ici couplé avec la
reconnaissance d’une matérialité graphique. Le jeu sur le fenêtrage et le rapport
d’inclusion du lien vont de pair.
189 Ainsi, cliquer sur le lien « ét. 3/porte fd » (figure 17), qui a une valeur de synecdoque, et
voir apparaître une fenêtre incluse dans la fenêtre principale du récit actualise
l’interprétation de la figure de rhétorique, mais procure également le plaisir à la fois
littéraire et esthétique de voir la synecdoque matérialisée. Dans cet épisode du NON-
roman, le fonctionnement du lien hypertexte n’est efficace que parce que la figure
narrative ou la figure de rhétorique est couplée avec une figure matérielle, à savoir la
gestion du fenêtrage103. C’est à travers ce couplage que l’on peut parler d’une esthétique
de la matérialité de l’interface.
Figure 17. Lorsqu’il clique sur le lien « ét. 3/porte fd » (derniers mots du cadre de droite), le lecteur voits’afficher une nouvelle fenêtre surimposée matérialisant le lien synecdochique.
190 D’autres auteurs s’efforcent de travailler l’interface du récit comme une œuvre d’art à
part entière. Par exemple, pour son « récit interactif et génératif » Trajectoires104, Jean-
Pierre Balpe fait appel à des étudiants en design afin de concevoir une interface
visuelle, mais aussi sonore. L’affichage de chaque nouvelle « page » est ainsi ponctuée
de sons. La visée littéraire se combine ici avec une visée esthétique.
191 Les œuvres de littérature numérique posent donc la question d’un déplacement de
l’« usage esthétique du langage écrit » vers une esthétique de la matérialité. Celle-ci
peut être manifeste au niveau du texte, mais aussi de l’interface, voire du support et du
dispositif105.
139
Une ouverture de la littérarité ?
192 Qu’est-ce qui se joue pour la littérature dans la littérature numérique ? Celle-ci est le
lieu d’expérimentations (sur la textualité, les modalités de lecture, la narrativité, les
genres). Mais les réalisations en resteront-elles au stade expérimental ? Sont-elles
destinées à faire émerger un nouveau champ, de nouveaux genres, voire un nouveau
paradigme littéraire ? Ou bien tendent-elles à tracer une autre voie qui n’a plus à voir
avec la littérature, mais avec la création numérique au sens large ?
193 Il s’agit ici d’une question de prospective que le chercheur peut difficilement trancher.
Selon Jean-Pierre Balpe, c’est pourtant bien la question de la littérarité106 que posent
nombre d’œuvres de littérature numérique : « La littérature informatique ne s’intéresse
qu’à ce qui fait le fondement même de la spécificité littéraire » [BALPE, 1997]. Par
certains aspects, on peut avancer que les œuvres de littérature numérique tendent à
introduire une nouvelle forme de littérarité. Celle-ci peut être manifeste aussi bien au
niveau du travail sur le texte qu’au niveau de l’exploitation des formes sémiotiques ou
encore de la scénarisation de l’activité du lecteur.
194 Dans les œuvres génératives, nous l’avons vu, le texte généré semble n’avoir ni origine ni
fin. Le processus prend le pas sur le résultat et le texte est en perpétuel
renouvellement.
195 Dans les œuvres hypertextuelles, la nature même du texte est également en jeu. Dans la
préface de son livre S/Z107, Roland Barthes parle des textes « scriptibles » par opposition
aux textes « lisibles ». Le deuxième type offre des textes clos, univoques et invite à une
lecture passive, sans efforts. À l’opposé, le texte « scriptible », plus difficile, plus ouvert,
semble solliciter du lecteur une réécriture ; il invite le lecteur à participer à la
construction du sens. S’appuyant sur cette distinction de Roland Barthes, Jean Clément
définit l’hypertexte comme un texte « scriptible » :
L’hypertexte est scriptible, non pas seulement au sens premier d’un dispositifpermettant au lecteur d’y inscrire ses annotations, comme c’était l’habitude auMoyen Âge par exemple, mais par le fait que son parcours en lui-même est uneforme d’écriture. La scriptibilité de l’hypertexte tient au fait qu’il constitue unesorte d’avant-texte, un amont de l’écriture, un énoncé à mi-chemin entre lejaillissement de la pensée informulée et la rigidité du discours constitué108. »
196 L’hypertexte se présentant comme un « texte scriptible », l’activité de lecture d’un
hypertexte pourrait ainsi, selon Jean Clément, être qualifiée elle-même
d’« énonciation ». Michel de Certeau parle, à propos du marcheur urbain,
d’« énonciation piétonnière109 » : Jean Clément voit dans cette analyse du marcheur
déambulant dans sa ville (et se faisant ainsi auteur de sa ville) une analogie avec un
dispositif hypertextuel, dans lequel le lecteur se fait auteur de son parcours dans
l’hypertexte. Citant Michel de Certeau qui oppose la ville comme lieu à l’espace urbain
comme parcours, Jean Clément avance que « la spécificité de l’hypertexte est qu’il
institue une énonciation piétonnière110 ».
197 Par ailleurs, l’interactivité d’introduction de données, qui permet au lecteur de taper
du texte au clavier et éventuellement à ce texte d’être affiché dynamiquement dans le
cours de l’œuvre, peut donner également une nouvelle force et une nouvelle
concrétisation à l’expression « texte scriptible » de Roland Barthes.
198 Les œuvres cinétiques permettent de s’intéresser à la temporalité de la réception de
l’œuvre, mais aussi à la composition entre médias111, à la plasticité de cette
140
composition, à la façon dont on fait muter chacun des médias en les mettant en rapport
les uns avec les autres.
199 De façon générale, les œuvres interactives – notamment narratives – permettent au
lecteur d’intervenir à différents niveaux (dispositif de lecture, histoire, structure,
narration) : cette interactivité permet de déplacer les fonctions dans le dispositif
narratif en jouant sur les frontières entre, d’une part, le lecteur et, d’autre part,
l’auteur, le narrateur, le personnage et le narrataire112.
200 Toutes ces œuvres tendent ainsi à ouvrir la littérarité en nous amenant à considérer
comme littéraires des œuvres qui a priori ne répondent pas aux critères classiques de
littérarité (texte non établi ni figé, dimension multimédia, interventions matérielles du
lecteur).
201 En posant la question d’une nouvelle esthétique mais également d’un changement
important du paradigme littéraire, les œuvres de littérature numérique constituent
bien des expériences littéraires aux frontières. On pourrait parler de passage à la limite
de la notion même de littérature.
« La littérature touche à ses limites. La programmation des textes y côtoie celles desformes, des sons et des images. L’écrivain se confond de plus en plus avec leplasticien et, quand il est programmeur, la tentation est grande pour lui de sefondre dans le domaine des arts numériques. Mais cette tension vers les limites doitaussi être considérée comme une chance de renouveler le paysage littéraire. Lamultiplication des productions sur le Web montre une grande diversité d’approcheset un grand bouillonnement qui sont les indices d’une vitalité prometteuse. Lacyberlittérature n’en est qu’à ses débuts113. »
202 En ouvrant de la sorte la littérarité, la « littérature numérique » pourrait annoncer
l’émergence d’une nouvelle forme de littérature.
La littérature numérique : un « révélateur »
203 Dans le même temps, ce qui peut retenir l’attention du chercheur, c’est avant tout la
valeur heuristique de cette littérature. Certains traits de la littérature numérique,
particulièrement mis en avant dans les discours des acteurs et dans les productions,
semblent en effet constituer autant d’interrogations adressées à la littérature
traditionnelle. « Interroger » est un terme délibérément modeste. Il est en effet difficile
d’établir un verdict définitif dans la mesure où les œuvres de littérature numérique
sont travaillées par un jeu de tensions non résolues, non stabilisées. Mais c’est bien ce
jeu de tensions qui leur donne une valeur heuristique.
204 Par exemple, les différents déplacements observés (d’une critique du texte à une
critique du dispositif, du genre au format, de l’usage esthétique du langage écrit à une
esthétique de la matérialité du texte, de l’interface et du dispositif) mettent l’accent sur
le support et sur la dimension technique. Or le poids du dispositif technique dans toute
production ou réception a longtemps été un impensé d’une certaine tradition de l’étude
littéraire. Car si la littérature dépend d’un dispositif de production et de diffusion, le
livre n’a pas toujours été le dispositif dominant, ni celui qui a toujours été forcément
visé par la production littéraire114. Ce serait notamment mésestimer l’importance, en
termes de temps et d’espace, de la littérature orale. Le livre, qui a indéniablement joué
un rôle important dans la production de la littérature, a une histoire courte et
l’industrie culturelle dont il est l’origine une histoire encore plus courte. Concernant le
141
livre, la technicité de l’objet-livre elle-même a été peu prise en compte par l’étude
littéraire :
« [...] L’histoire littéraire et poétique a été infiniment moins curieuse des multiplesévolutions techniques ; plus encore, elle a généralement occulté la technicité quiconstitue l’objet-livre, et qui fonde l’ensemble de ses mécanismes successifs, ceuxdes différentes méthodes d’impression, d’organisation typographique, du choix depapier, des formats de page, de l’introduction ou non de jeux chromatiques115... »
205 C’est cette réalité du poids du dispositif technique dans toute production ou réception
littéraire que les œuvres de littérature numérique peuvent venir nous rappeler.
206 Ainsi, la littérature numérique permet de mettre à jour des impensés d’une certaine
tradition critique. Parmi ces impensés, nous avons signalé le poids du dispositif
technique dans toute production ou réception littéraire, mais on pourrait évoquer aussi
plus largement le rapport entre littérature et technique, ou encore l’aspect performatif
de la lecture d’une œuvre littéraire. C’est en ce sens que la littérature numérique agit
comme révélateur : elle permet de foire retour sur certains aspects de la littérature
traditionnelle. On pourrait même se demander dans quelle mesure la littérature
numérique n’est pas avant tout une littérature théorique sur l’activité littéraire, une
critique réflexive en actes de la littérature. « Le Bonheur » de Patrick-Henri Burgaud –
proposé sur le site e-critures.org-, en prétendant décliner les différentes « figures du
discours interactif », se présente ainsi comme une théorie en actes :
« [...] La pièce “Le Bonheur” présente, sur le mode léger, les figures du discoursinteractif. Toutes n’y sont pas recensées, et beaucoup peuvent être combinées. Tellequelle, elle se veut une contribution à un Traité encore à inventer. »« Le Bonheur », de Patrick-Henri Burgaud, http://www.aquoisarime.net/bonheur/titre.htm, 2003.
207 La valeur heuristique de la littérature numérique est-elle exacerbée à l’occasion d’un
nouveau support, ou est-ce ce support en particulier qui incite au questionnement ? Le
support numérique porte en effet en lui une obligation d’explicitation de ses
formatages, une obligation de déclarer verbalement support et formats. Ainsi
l’extension d’un nom de fichier spécifie avec quelle application celui-ci doit être lu.
Dans le fichier lui-même, l’auteur doit expliciter le formatage. Cela est manifeste dans
un fichier au format HTML116, destiné à être interprété par un navigateur logiciel
(browser). Dans le langage HTML, qui est un langage de description de pages web, les
métabalises (metatags) permettent de donner des informations sur le fichier lui-même,
sur la façon dont il doit être interprété, voire indexé. La métabalise description donne,
par exemple, à l’auteur la possibilité de décrire le contenu du fichier, la métabalise
keywords permettant par ailleurs de spécifier avec quels mots-clés il souhaite que le
fichier soit indexé par les moteurs de recherche.
208 Le support et ses différents formats sont par là même verbalisés117. Nous pouvons dès
lors poser comme hypothèse que le support numérique entraîne une forme
d’explicitation, et par suite de réflexivité, de ses propres formats et cadres de
production. On pourrait mener un parallèle avec les supports de l’écriture. Sylvain
Auroux118 montre que c’est avec l’écriture que la grammaire est apparue en tant que
savoir spécialisé. La grammaire suppose en effet une réflexivité qui n’est permise que
par le support de l’écriture. C’est en commençant à écrire que l’on commence à
réfléchir sur la langue. De même, c’est grâce au support numérique que peut émerger
une réflexivité sur les formats de composition du support lui-même. Cette explicitation
142
du formatage nous incite à revisiter les supports précédents, ou du moins à interroger
plus profondément ce qui paraissait à tort « transparent » ou inhérent à l’imprimé.
209 De même que le support numérique suppose une obligation d’explicitation et de
verbalisation, de même les œuvres littéraires numériques objectivent certaines
propriétés du littéraire. En ce sens, elles jouent là encore un rôle de révélateur. On peut
même se demander dans quelle mesure l’écriture numérique ne pourrait pas conduire à
instrumenter certains outils conceptuels mis en avant notamment par les théoriciens
de la littérature. Prenons, par exemple, les catégories de Gérard Genette119 pour
caractériser la « vitesse » d’un récit : pause, scène, sommaire et ellipse. Dans une œuvre
numérique, on pourrait imaginer taguer ces outils conceptuels dans une DTD120 (document
type definition). C’est en effet dans une DTD que se joue la poétique (au sens de poiésis,
« fabrication ») d’un document XML121. On peut ainsi envisager l’élaboration de DTD
propres aux œuvres littéraires numériques, mettant en évidence leur poétique. On
aurait là les principes mêmes d’une objectivation des procédés.
210 Dans le même temps, la littérature numérique est anthropologiquement une
expérience de ce « qui nous dépasse », pour reprendre une expression de Bruno Latour
[LATOUR, 1994]. Dans la littérature numérique, un improbable est ainsi en émergence : ce
trait est commun aux œuvres de littérature numérique en tant que littérature
expérimentale, mais aussi en tant qu’œuvres calculées. La littérature numérique génère
ainsi un champ d’expérience anthropologique qui finit par faire expérience en tant que
telle. Sans doute est-ce pour cela qu’il faut être un peu initié, voire adepte pour adhérer
pleinement à ces œuvres; mais, dans le même temps, elles possèdent également un côté
addictif, procurant une forme d’expérience des limites.
NOTES
1. Dans le domaine de la poésie, on peut penser aussi aux Cent mille milliards de poèmes de
Raymond Queneau [QUENEAU, 1961]. Ceux-ci constituent un exemple célèbre de combinatoire
restreinte. Parmi les 10 sonnets écrits par Raymond Queneau, le lecteur peut choisir n’importe
quel vers n° l, puis n’importe quel vers n° 2, obtenant à la fin l’un des 1014 poèmes (cent mille
milliards).
2. En juin 2006, le site comptait 100 membres (155 membres sur la liste E-critures), 35 œuvres et 16
textes théoriques.
3. Par exemple les 24 heures d’Adrien, http://pofineltin.free.fr/24h/
4. Toute action de poésie inadmissible sur le Net: http://tapin.free.fr/
5. http://tapin.free.fr/cinetiq.htm
6. Anonymes.net, 2003, http://www.anonymes.net/
7. Même si l’on doit considérer que le texte est toujours image: sans mise en forme et mise en
espace, pas d’écriture ni de texte. Anne-Marie Christin soutient ainsi l’idée d’une forme visible
donnant accès à une lecture: l’« image écrite » [CHRISTIN, 1995].
8. Message de Patrick-Henri Burgaud adressé à la liste E-critures le 23 février 2002.
9. POTVIN (Julie), L’Horloge, d’après Charles Baudelaire, 2002, http://perte-de-temps.com/
lhorloge.htm
143
10. http://www.incident.net/works/ram/
11. BELISLE (Marie), Scriptura et cαtera, http://www.scripturae.com/
12. CALVEZ (Pierrick), Days in a Day, 2000, http://www.lh05.com/
13. TIJANI (Smaoui), L’Internaute, avril 2003, http://www.linternaute.com/0redac_actu/0304_avril/
23_1h05.shtml
14. Mouvement mentionné dans le chapitre II auquel appartiennent notamment Philippe Bootz,
Alexandre Gherban, Patrick-Henri Burgaud, Tibor Pap et Jean-Pierre Balpe : http://
transitoireobs.free.fr/to/
15. Philippe Bootz le 11 novembre 2002.
16. http://www.charabia.net
17. BALPE (Jean-Pierre), Trajectoires, 2001, http://trajectoires.univ-paris8.fr/
18. Parmi d’autres, Rob Swigart a ainsi écrit une fiction fondée sur une structure de base de
données.
19. MALBREIL (Xavier) et DALMON (Gérard), Le Livre des Morts, 2000-2003, http://
www.livresdesmorts.com/
20. http://tapin.free.fr/HEURE.htm
21. Cf. lexique en annexe.
22. Nous empruntons la distinction forme d’enregistrement/forme de restitution à Bruno
Bachimonr [BACHIMONT, 1998].
23. Cf. [GHITALLA et alii, 2004].
24. GOMEZ (Benjamin), http://tapin.free.fr/cigit.htm
25. http://tapin.free.fr/
26. « Ci GîT... Qui ? Quoi ? Ma foi, personne, rien. Un, qui vivant, ne fut Valet, ni Maître. »
27. C’est le cas par exemple des œuvres proposées sur le « dispositif collectif d’écritures
hypertextuelles par le collectif oVosite » : http://hypermedia.univ-paris8.fr/ovosite/accueil.htm
28. http://www.incident.ner/works/ram/
29. [BARTHES, 1973]
30. BOUTINY (Lucie de), NON-roman, 1997-2000, http://www.synesthesie.com/boutiny/
31. MALBREIL (Xavier), Serial Letters, 2002, http://www.0m1.com/Serial_Letters/sla.htm
32. On pourrait penser également à l’œuvre en cours intitulée Tumulte (http://tumulte.net/) et
qualifiée de « laboratoire fiction » par son auteur François Bon.
33. On peut ajouter ici que l’écran favorise une disposition tabulaire du texte, de sorte que le
texte d’écran renoue plus que jamais avec la dimension fondamentalement visuelle et iconique
de l’écriture.
34. DALMON (Gérard), My Google Body, 2004, http://www.neogejo.com/googlebody/
35. Onglet« Images » dans le moteur de recherche http://www.google.us.
36. L’auteur, Gérard Dalmon, vit et travaille à New York.
37. [JEANNERET, 2000], p. 76.
38. [JEANNERET, 2000], p. 78.
39. BERNARDI (Myriam), Ce qui me passe par la tête, 2002, http://www.cequimepasseparlatere.com
(plus accessible en octobre 2006).
40. Rendant par là même tout aussi singulier celui que le livre nous impose. La singularité, ici,
n’est pas uniquement technique; elle est aussi historique comme le rappelle Ivan Illich [ILLICH,
1991].
41. Jean-Louis Weissberg parle de « spectacteur » et de « lectacteur » pour désigner le spectateur
ou le lecteur d’une œuvre interactive [WEISSBERG, 1999]
42. [JEANNERET, 2000], p. 129.
43. BOISVERT (Anne-Marie), « Le texte en jeu », Magazine électronique du CIAC, Centre international
d’art contemporain de Montréal, n° 17, automne 2003.
144
44. [JEANNERET et alii, 2003], p. 23. Les « signes passeurs » sont « ces signes décisifs d’accès au texte,
qui appattiennent au texte visible sur l’écran, mais ont pour fonction de désigner des ressources
textuelles non manifestes, un texte qu’on nommera, au choix, latent, virtuel, actualisable »
[JEANNERET, 2000], p. 113.
45. DALL’ARMELLINA (Luc), E-cris, 2001, http://lucdall.free.fr/disposit/e-cris.html
46. CAILLOIS (Roger), LesJeux et les Hommes. Le masque et le vertige, Gallimard, Paris, 1958.
47. [CLÉMENT, 2006]
48. BOISVERT (Anne-Marie), « Le texte en jeu », Magazine électronique du CIAC, Centre international
d’art contemporain de Montréal, n° 17, automne 2003.
49. BOOKCHIN (Natalie), The Intruder, 1999, http://www.calarts.edu/~bookchin/intruder/
50. Nous avons déjà abordé cette œuvre dans le chapitre II : http://lucdallfteeft/disposit/
qqa3.html
51. Message du 29 octobre 2004 de Luc Dall’Armellina.
52. BALPE (Jean-Pierre), Trajectoires, 2001, http://trajectoires.univ-paris8.fr/
53. Le terme « page » est celui utilisé dans l’interface de Trajectoires, faisant ainsi explicitement
référence au monde du livre.
54. [CLÉMENT, 2006]
55. BOOTZ (Philippe), Stances à Hélène, alire n° 11, MOTS-VOIR, 2000.
56. BOOTZ (Philippe), « Passage », CD-Rom, alire n° 12, 2004.
57. BOOTZ (Philippe), « La lecture inassouvie », mai 2003, http://transitoireobs.free.fr/to/html/
lecture_inassouvie.htm
58. MOULTHROP (Stuart), Victory Garden, Eastgate Systems, 1995.
59. MALBREIL (Xavier), Serial Letters, 2002, http://www.0ml.com/Seria_Letters/sla.htm
60. BALPE (Jean-Pierre), Trajectoires, 2001, http://trajectoires.univ-paris8.fr/
61. BALPE (Jean-Pierre), Fictions (fiction), 2004, http://fiction.maisonpop.com
62. BURGAUD (Patrick), Florence Rey, Doc(k)s, « What’s your War », série 3 n° 25/26/27/28, Ajaccio,
2001.
63. Prolix de Petchanatz, édité dans alire, n° 6 en 1992, a été le premier générateur « jouable ».
64. Ainsi, le récit Abîmes suggère à son lecteur d’aller voir le code-source d’une page HTML pour y
trouver d’autres informations, d’autres indices « Affichage-Source » dans le navigateur). Le
lecteur a même la possibilité de supprimer les marques de commentaires dans le code afin, après
enregistrement du fichier, d’afficher un autre contenu à l’écran. Il y a dans ce récit tout un « jeu »
entre forme d’enregistrement (le code) et forme de restitution. Dans ce cas, l’auteur, qui produit du
code HTML, permet au lecteur de manipuler le même matériau de production.
65. http://www.teleferique.org/projects/reader/ureader
66. http://www.teleferique.org/projects/reader/jreader/index.html
67. http://www.fsu.edu/~butler/,2001.
68. Le terme « expérience » revient fréquemment sous la plume des e-crituriens pour qualifier
une œuvre interactive (25 occurrences de novembre 1999 à janvier 2004).
69. [LISSART et alii, 2004]
70. BOUTINY (Lucie de), NON-roman, 1997-2000, http://www.synesthesie.com/boutiny/
71. Cf. [BOUCHARDON, 2006].
72. « Liste de diffusion dédiée à la littérature informatique. Elle regroupe des auteurs, des
universitaires et de simples lecteurs » (http://fr.groups.yahoo.com/group/e-critures/).
73. LEJEUNE (Philippe), Le Pacte autobiographique, Seuil, Paris, 1986.
74. Cf. chapitre II (Construction d’une critique).
75. Logiciel d’édition de sites web de la société Adobe, anciennement Macromedia.
76. Mis à part notamment le travail de Mark Bernstein, Structural Patterns and Hypertext Rhetoric,
ACM Computing Surveys, 1999.
145
77. http://www.aquoisarime.net/elegie/emploi.htm
78. DALL’ARMELUNA (Luc), Q.Q.A.3 [pongdialogique], 2004, http://lucdalLfree.frldispositlqqa3.html
79. On peut d’ailleurs se demander si les formes fixes (telle sonnet) sont des genres.
80. Cf. lexique en annexe.
81. Concernant le blog, on peut également mentionner la façon dont Jean-Pierre Balpe s’est
emparé de ce format et de la circulation entre différents blogs dans La Disparition du général
Proust, « hyperfiction dynamique et répartie » prolongeant l’expérience de Lettre-Néant (parution
dans Libération du 18 juillet au 28 août 2005). Jean-Pierre Balpe joue notamment des contraintes
imposées par le format et des différentes stratégies techniques des éditeurs de blogs. Exemples
de blogs créés par Jean-Pierre Balpe et constituant La Disparition du général Proust : romans.over-
blog.com, hyperfiction.blogs.com, generalproust.oldiblog.com, riches.skyblog.com,
jpbalpe.blogdrive.com
82. De même, dans l’histoire longue de l’écriture et ainsi que l’ont montré des historiens du livre
comme R. Chartier ou D. F. Mc Kenzie, les « formes produisent du sens »; autrement dit, les
caractéristiques formelles du support d’inscription ainsi que les processus de mise en forme et de
mise en page que chaque support véhicule participent à la construction du sens.
83. Cf. l’argument de Franck Cormerais intitulé « Formats techniques et formes sémiotiques du
multimédia interactif » (Journées d’études sut le document numérique, Nantes, 2003).
84. Cf. Lev Manovich, « Génération Flash » (http://www.flashxpress.net/index.php?
r_lemag&0310)
85. Le terme « publier » est celui qui est utilisé dans l’interface du logiciel.
86. CALVEZ (Pierrick), Days in a Day, 2000, http://www.lh05.com/
87. Cf. lexique en annexe.
88. Emmanuel Héron, réponse à un questionnaire par mail.
89. Le groupe Transitoire observable qu’il a fondé avec Alexandre Gherban parle de « littérature
et art programmés ».
90. http://www.urfist.cict.fr/olivier/tbigpict.html
91. Article paru dans Le Monde en 2002.
92. Dans un entretien du 13 avril 2004, BlueScreen parle d’un passage de la « littérature
numérique » à l’« écriture numérique ».
93. Jean-Pierre Depétris prophétise cependant que « la littérature ne pourra pas ignorer cette e-
littérature... » (message du 3 septembre 2003).
94. Trésor de la langue française.
95. CALLE (Sophie), Vingt ans après, 2001, http://www.panoplie.org/ecart/calle/calle.html
96. Nous rencontrons ici une limite de l’imprimé, dans la mesure où une capture d’écran ne
permet pas de rendre compte de la « dynamicité » du texte.
97. ETC (Mark), Les Pages blanches, 1995, http://archives.cicv.fr//HYP/
98. DALL’ARMELLINA (Luc), E-cris, 2001, http://lucdall.free.fr/disposit/e-cris.html
99. CHATONSKY (Gregory), Incident of the Last Century, 1998, http://www.incident.net/works/
incident_of_the_last_century/
100. Expression dont Emmanuël Souchier est le créateur, comme le rappelle Yves Jeanneret dans
[JEANNERET, 2000].
101. BOUTINY (Lucie de), NON-roman, 1997-2000, http://www.synesthesie.com/boutiny/
102. « La synecdoque est le trope minimal qui permet de désigner une chose par un terme X dont
le sens inclut celui du terme propre ou est inclus par lui. » [DUPRIEZ (B.)], Gradus, Les Procédés
littéraires, 10/18, Paris, 1984.)
103. Nous avons pu ainsi relever que :
– l’ellipse narrative ne prend toute sa force que parce qu’il y a substitution d’un fragment par un
autre dans un même cadre sans retour en arrière possible (saut dans le temps) ;
146
– la métonymie s’appuie sur la confrontation de deux fragments dans deux cadres juxtaposés
(relation nécessaire) ;
– la synecdoque est couplée à la surimposition d’une nouvelle fenêtre de taille réduite (rapport
d’inclusion).
104. BALPE (Jean-Pierre), Trajectoires, 2001, http://trajectoires.univ-paris8.fr/
105. Cf. BOUCHARDON (Serge), « Une esthétique de la matérialité », Actes du colloque E-formes
organisé à Saint-Étienne les 4 et 5 novembre 2005, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2007
106. Cf. lexique en annexe.
107. BARTHES (Roland), S/Z, Seuil, Paris, 1970.
108. CLÉMENT (Jean), « Hypertexte et complexité », http://hypermedia.univ-paris8.fr/jean/
articles/clement.pdf
109. CERTEAU (Michel de), L’invention du quotidien, t. 1 : Arts de faire, Gallimard, Paris, 1990, p. 148.
110. CLÉMENT (Jean), « Du texte à l’hypertexte : vers une épistémologie de la discursivité
hypertextuelle », dans BALPE (J.-P.), LELU (A.), SALEH (I.), dir., Hypertextes et Hypermédias : réalisations,
outils, méthodes, Hermes Science Publications, Paris, 1995.
111. Le terme « médias » est entendu ici au sens de « formes sémiotiques » (texte, image, son,
vidéo).
112. [BOUCHARDON, 2002]
113. [CLÉMENT, 2006]
114. BALPE (Jean-Pierre), « Après le livre... », dans L’art a-t-il besoin du numérique ?, Actes du
colloque de Cerisy, Hermes Science Publications, Paris, 2006.
115. SADIN (Éric), « Pratiques poétiques complexes et nouvelles technologies : la création d’une
agence d’écritureS », dans Ecart/S 2, p. 14, 2000.
116. Cf. lexique en annexe.
117. Il y a plusieurs siècles, les typographes avaient bien verbalisé leur savoir-faire, aboutissant à
un savoir-dire de leur savoir-faire. Mais, avec l’informatique, tout est langue ou code.
118. AUROUX (Sylvain), La Révolution technologique de la grammatisation, Mardaga (Philosophie et
langage), Liège, 1994.
119. [GENETTE, 1972]
120. Cf. lexique en annexe.
121. Cf. lexique en annexe.
147
Conclusion
1 Au terme d’un tel parcours, à l’heure du « bilan » convenu, il faut avouer les difficultés
que nous avons rencontrées pour saisir notre objet, et remplir l’objectif initial de
l’étude. À plusieurs reprises, la « complexité de l’objet » aura été soulignée au cours des
chapitres précédents, évidemment, tout comme fut souvent de mise, depuis
l’introduction de cet ouvrage, la « diversité méthodologique » déployée, naturellement.
De notre approche expérimentale fondée sur l’analyse de la connectivité hypertexte
pour partir à la recherche du domaine de la littérature numérique sur Internet, en
passant par l’analyse plus fine des rouages complexes des différentes configurations
éditoriales que nous avons rencontrées jusqu’au questionnement formel des œuvres
elles-mêmes, il s’agissait, croyions-nous au départ, d’emmener le lecteur à la
découverte d’un champ de pratiques « en émergence », souvent perçu comme un peu
ésotérique mais profondément astucieux et fécond intellectuellement pour les
questions posées sur la nature du texte ou de l’œuvre. Trois chapitres, donc, comme
trois niveaux de focale d’où les œuvres que nous connaissions pourraient apparaître –
enfin – dans un contexte qui permet de les éclairer techniquement, esthétiquement,
socialement.
2 Ce cheminement se nourrit d’une vertu intellectuelle, celle de tenter de réduire petit à
petit la « complexité » de l’objet de départ en en épuisant les facettes et les niveaux de
contextualisation. Mais, à chaque étape et sur chaque point problématique, nous avons
aperçu combien était secret et fécond le dialogue entre le réseau et certaines œuvres
qui y circulent. Au fond, c’est tout autant sur la littérature et ses pratiques qu’a porté
notre questionnement que sur les formes elles-mêmes du réseau. Un rapide retour en
arrière sur notre vocabulaire fait entrevoir combien c’est de cette question que s’est
aussi nourrie implicitement notre démarche : que signifie cette « expérience des
limites » de la notion de littérature que cherchent à éprouver certains auteurs ? Que
conclure de cette voie que nous avons cultivée ici en affirmant que la critique des
œuvres migre vers les cadres qui réalisent leur existence ? Que cherche-t-on à dire
quand nous constatons que l’œuvre est susceptible de subir des modifications, de
transiter d’un espace d’archivage à l’autre, de subir des variations et d’en garder les
traces, ce qui rend leur critique non définitive ?
3 Il faut admettre que ce qu’interrogent certaines œuvres numériques dépasse peut-être
le cadre du littéraire proprement dit, y compris en termes de « champs » de pratiques.
148
Parmi les questions de fond récurrentes, celle, par exemple, de la « nature distribuée »
et « ouverte » du réseau revient souvent accompagner nos propos sur la pratique de la
littérature. Ce que désignent certaines œuvres et qu’elles cherchent délibérément à
éprouver (ou à épuiser esthétiquement), c’est précisément l’avènement d’une forme
logique et technique d’organisation résolument inédite dans le champ de l’art, des
savoirs ou, plus prosaïquement, de 1’« information » et des systèmes de médiation
culturelle. Avec toute la prudence qui s’impose scientifiquement, il faut reconnaître les
difficultés que nous avons éprouvées à dire (sans parler d’expliquer) ce principe de
distribution simultanée des possibles qui semble souvent se substituer à la linéarité
(conventionnelle et technique) du récit, voire du livre lui-même, et qu’exploitent
savamment certains auteurs. De la même façon, ce dialogue avec le réseau se reproduit,
non avec les œuvres, mais avec les parcours d’auteurs, voire la forme des communautés
d’acteurs qui peuplent le Web. Par exemple, si nous sommes familiers des activités de
publication représentant l’aboutissement final de chaînes de médiations, nous
observons sur le Web l’émergence d’activités d’autoédition et d’autopublication
médiatisées au sein du paysage auquel elles appartiennent. En somme, le caractère
distribué de la publication web semble favoriser chez les créateurs la prééminence de
logiques auctoriales au détriment d’un filtrage éditorial en amont, alors
qu’apparaissent de nouveaux modes d’amélioration et de légitimation des contenus. Et
il s’agit toujours du même dialogue entre les objets sur lesquels nous nous sommes
arrêtés et la forme du réseau quand, en découvrant la distribution des liens hypertextes
depuis ecrits-vains.com et e-critures.org, nous nous apercevons combien les modèles
linéaires et arborescents sont loin de l’univers que nous explorons. À certains égards, il
semble nous manquer un « plan d’ensemble », fini et cohérent, sur lequel pourrait
s’inscrire la rationalité des conduites et des pratiques.
4 Un modèle ou des modèles génériques du réseau, de ses possibles comme de ses
contraintes, font défaut à chacun de nos chapitres, comme à tous ceux qui
entreprennent de le sonder dans d’autres domaines, de l’économie aux statistiques en
passant par la sociologie des réseaux d’acteurs. L’observation attentive d’une localité
thématique du réseau, comme celle consacrée à la littérature numérique, comble en
partie ce manque : les références nombreuses, le nombre significatif d’URL citées en
exemples, la diversité des explications qui ont été ici proposées peuplent l’étude et
mettent en suspens cette question de fond. Mais, même penchés sur une œuvre ou sur
un parcours d’auteur, nous voyons ressurgir la question de la forme même du système
que nous explorons et dont se nourrissent les pratiques esthétiques, où se situent les
acteurs en s’y regroupant, à travers laquelle se développent des pratiques éditoriales
inédites ou héritées. Notre attachement à la question du « dispositif » est à cet égard
symptomatique : il faut redire ici combien la littérature numérique – et le dispositif E-
critures en particulier – interroge la notion de critique en opérant un déplacement
d’une critique du texte vers une critique du dispositif Et elle interroge aussi, ce faisant, la
notion de genre en favorisant non seulement une redéfinition des critères d’un genre,
mais également un déplacement de la notion de genre vers celle de format. Elle
interroge également la littérature en tant qu’« usage esthétique du langage écrit1 » en
opérant un déplacement vers une esthétique de la matérialité du texte, de l’interface,
voire du support et du dispositif. Ce qui frappe dans ces différents déplacements (et
dans notre façon de les aborder), c’est la mise en avant du support et de la dimension
technique. Notre lecteur pourrait d’ailleurs se demander si la littérature numérique,
plus qu’une littérature du « texte », ne serait pas plus exactement une littérature du
149
dispositif2. Ce positionnement central et récurrent de la thématique du dispositif, des
formats, des outils, de la matérialité du support montre combien nous nous sommes
plongés dans un domaine local du Web particulièrement tourné vers l’expérimentation
instrumentale de ses propres cadres. Tout comme les chercheurs peuvent essayer de les
dire et de les comprendre, les auteurs tentent de les circonscrire en les éprouvant
esthétiquement.
5 Cette « raison du réseau » nous échappe encore un peu plus si l’on prend en compte,
cette fois, sa dimension temporelle. Le Web est un réseau « distribué » mais aussi
« dynamique ». C’est un constat technique mais aussi un verrou intellectuel majeur.
Nos œuvres calculées l’ont démontré à certains égards : comment asseoir la figure de
l’auteur dans les boucles de transformation et de modification dont elles peuvent être
l’objet ? Comment inscrire un principe de finitude au « texte » produit dans un tel
univers, sauf à reproduire indéfiniment le procès de l’écriture ? L« écriture
numérique » peut-elle se limiter à la production des scénarios transformationnels ?
C’est là l’un des attraits majeurs de ce type de littérature : entamer une réflexion
théorique et explicite sur les cadres temporels de son propre exercice. C’est dans ce
débat que se loge, comme en creux, la question de la dimension temporelle du réseau.
Plus exactement la question des différentes dimensions temporelles du réseau.
6 Cette question se pose à l’échelle des œuvres elles-mêmes, de toute évidence, comme
l’illustre par exemple le fait que différentes versions d’un même produit soient
accessibles simultanément sur le réseau. Ou encore que puisse entrer dans le travail
d’écriture la prévision des cycles de transformation de l’œuvre, que la temporalité du
travail lectoriel se voit imposer des contraintes nouvelles (dans le cas des œuvres
multimédias qui ont leur propre temporalité), mais soit aussi nourrie de possibles
surprenants dont la réécriture partielle de l’œuvre elle-même. Ces modalités
temporelles de l’œuvre, ou ces « cadres du temps » qu’elles renouvellent, entrent
singulièrement en écho avec ce que l’on commence à découvrir du réseau lui-même à
grande échelle : sa vitesse d’évolution rapide, certes, mais aussi le fait qu’il n’évolue pas
de la même façon à différents endroits et, en plus, selon les mêmes scénarios évolutifs3.
7 Et puis, au final, on ne peut s’empêcher d’ajouter la dimension temporelle de
l’observation elle-même. Notre étude, telle qu’elle se présente du point de vue de la
présentation de notre travail, reflète peu ou rarement les conflits pourtant réels et
difficilement surmontables qui ont pu émerger entre le temps de l’observation et
l’évolution du domaine que nous explorions. Ainsi, par exemple, la liste de discussion E-
critures est passée de 90 membres au moment de notre observation à plus de 150
aujourd’hui, Ecrits...vains ? a de son côté renouvelé le contenu de ses rubriques, et
combien de liens de nos cartographies préliminaires sont-ils encore valides
aujourd’hui ? Combien de fois nous sommes-nous concertés pour convenir de l’analyse
d’une version donnée de nos deux dispositifs en ligne ? Et puis quelle valeur aura notre
étude dans six mois, un an ? Cette question du temps des réseaux n’est pas anodine car
elle emporte avec elle l’ensemble des politiques d’archivage du Web, de ses supports
techniques, de ses méthodologies de construction de la trace, du témoignage ou de la
preuve. Ce questionnement sur la nature des cadres temporels du réseau que génèrent
les œuvres numériques trouve ainsi un écho dans les réflexions contemporaines sur les
objectifs et les moyens de la constitution de corpus documentaires sur le Web chez les
spécialistes de la médiation culturelle : comment « photographier » le Web ? Sur quels
150
types de ressources se focaliser ? À quel rythme et pour quelle politique de mémoire
culturelle ? Comment, enfin, imaginer les formes de sa transmission pour le public ?
8 On comprend pourquoi il nous est vite apparu que le domaine de la littérature
numérique, avec ses pratiques, ses débats théoriques, ses acteurs et ses modalités
collectives autour d’E-critures, constituait un ensemble stratégique à observer pour tous
ces effets de résonance sur la question de la morphologie et la temporalité du réseau. Et
nous en sommes toujours convaincus. Nous n’avons pas de réponse ferme et définitive
sur la question de savoir si elle constitue « un champ organisé de pratiques en
émergence » et si des « genres » spécifiques et autonomes voient le jour sous nos yeux.
Nous n’avons fait que sonder le réseau en un temps limité et sur un territoire
circonscrit, mais en s’attachant à une série de tentatives esthétiques qui auront aussi su
intéresser tous ceux pour qui le Web représente une énigme. Et peut-être avons-nous
eu ici la chance de saisir la littérature numérique dans cet instant fugace et incertain de
l’expérience de ses limites.
NOTES
1. Trésor de la langue française.
2. C’est en ce sens que, dans un récit littéraire interactif, les actions du lecteur sur le récit
rejouent le rapport classique entre adhésion et distanciation. C’est à travers des figures
fictionalisantes et réflexives que l’adhésion du lecteur est recherchée. On peut se demander si
cette adhésion n’est pas alors plus une adhésion au dispositif qu’à l’histoire elle-même
[BOUCHARDON, 2005].
3. Pour une approche générale : KLEINBERG (John), “Bursty and hierarchical structure in streams”,
2002, cornell.edu/home/kleinberlbhs.ps
151
Annexes
1 Un site visant à présenter l’ouvrage est accessible sur le Web: http://www.utc.fr!
~bouchard/bpi
Méthodologie
2 Le présent ouvrage constitue la réponse à un appel d’offres émanant du service Études
et recherche de la Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou,
pour le compte de la Direction du livre et de la lecture. Le texte de l’appel d’offres
proposait de se pencher sur les « sites de revues littéraires numériques », et
notamment les « sites hybrides, [...] se présentant à la fois comme une revue littéraire,
un forum de discussion, un atelier d’écriture... ». Il nous a très vite paru intéressant
d’étudier, à côté de revues littéraires électroniques traitant de la littérature imprimée,
une revue électroniquement littéraire, c’est-à-dire un dispositif en ligne dédié à la
littérature électronique ou numérique. Il ne s’agissait pas d’opposer littérature
traditionnelle et littérature numérique, qui entretiennent d’ailleurs des rapports étroits
sur les réseaux. Mais il nous est apparu pertinent de nous intéresser à un dispositif
consacré à la littérature numérique dans la mesure où le support utilisé par les acteurs
est aussi celui qui est utilisé par les auteurs des œuvres objets de débats.
3 Nous nous sommes demandé si nous n’assistions pas à l’émergence d’un domaine
spécifique au sein de la littérature, constitué par des œuvres littéraires numériques
dont la lecture se pratique sur écran. En choisissant de nous concentrer sur la liste et le
site E-critures, nous avons fait l’hypothèse de la coconstitution d’un dispositif technique,
d’un champ et d’une communauté. Dans le cadre d’un champ en émergence, il est
difficile d’analyser précisément ce qui est en train de se construire. Les acteurs d’E-
critures, en permanence dans une posture réflexive, génèrent toutefois la théorie de
leur propre pratique; c’est le fait même que les acteurs produisent de la théorie qui
nous a intéressés, dans la perspective d’une théorie de la pragmatique de la
constitution d’un domaine.
4 Dans un premier temps, nous nous sommes penchés sur la topologie du domaine de la
littérature francophone sur le Web et, par rapport à celui-ci, sur celle du domaine de la
littérature numérique. Puis nous avons réalisé une étude monographique d’E-critures
152
que nous avons mise en regard avec un autre dispositif en ligne, celui du site ecrits-
vains.com. Enfin nous nous sommes attachés aux œuvres de littérature numérique pour
tenter d’en dégager les spécificités.
Une approche cartographique et topologique
5 Le groupe de recherche RTG1 travaille actuellement sur des techniques d’extraction et
de traitement de données web en cherchant à vérifier certaines hypothèses sur les
principes d’organisation spontanée du réseau. En particulier, le groupe s’attache à
comprendre la pertinence et les limites du principe des « agrégats » de documents
web : à une certaine échelle (disons quelques milliers de pages ou de sites), le Web
semble présenter une structure particulière où les documents qui traitent de
thématiques similaires (un « thème » alimenté par une communauté d’acteurs) ont
tendance à se concentrer spontanément en se distribuant mutuellement des liens
hypertextes. Pour peu que l’on puisse indexer leurs contenus et projeter leurs liens
hypertextes réciproques sous forme de graphes orientés, alors une représentation
quasi « cartographique » du domaine de connaissances devient expérimentalement
possible. On peut parler, dans ce cas, de « localités thématiques » (topical localities),
comme nous avons tenté de le faire pour cette étude sur la littérature numérique. Ce
travail nous a permis notamment de déterminer, parmi les revues littéraires sur le
Web, celles qui s’intéressent à la littérature numérique, et notamment au dispositif E-
critures. Beaucoup de revues littéraires électroniques permettent en effet d’accéder au
site e-critures.org, alors que dans le même temps ce site ne renvoie qu’à des sites
consacrés à la littérature numérique. Le travail cartographique nous a ainsi permis de
situer les deux domaines l’un par rapport à l’autre, mais également de situer le
dispositif E-critures parmi les dispositifs littéraires électroniques.
Une étude monographique : le dispositif E-critures
6 D’un point de vue méthodologique, l’étude du dispositif E-critures a consisté en une
étude qualitative en profondeur avec participation.
7 L’intérêt méthodologique d’un tel dispositif réside dans sa dimension réflexive: les
acteurs d’E-critures ne cessent de s’interroger sur qui ils sont, ce qu’ils font. En
contrepartie, l’évolution continue du dispositif a représenté une difficulté pour l’étude
(ce dispositif aura encore évolué au moment de la parution du présent ouvrage).
Acteurs du dispositif E-critures : un parti pris méthodologique
8 Nous2 sommes membres de la liste E-critures depuis 2001-2002 et en situation
d’observation participante depuis cette date. En septembre 2002, l’animateur de la liste
E-critures nous a proposé, en tant qu’universitaires, de participer au comité de sélection
des textes théoriques du site e-critures.org. Lorsque l’étude monographique du
dispositif E-critures a commencé (septembre 2003), cet engagement ne nous a paru en
rien contradictoire avec le travail de recherche en cours. D’aucuns pourraient nous
objecter qu’une telle implication a contribué à construire notre objet. Il nous a
néanmoins semblé important, dans la mesure où le champ de la littérature numérique,
par certains aspects, est encore en constitution, d’être placés au cœur du dispositif E-
153
critures afin de mieux appréhender son mode de fonctionnement. Bien évidemment,
nous avions conscience d’être, à ce titre, des acteurs du dispositif et de participer à sa
constitution. Un tel parti pris méthodologique a dû par conséquent passer par une
description de nos propres pratiques.
Mise en place d’outils d’exploitation du corpus des messages de la
liste E-critures
9 Une interface d’interrogation des messages du corpus de la liste E-critures a été réalisée
avec le concours de Benjamin Jung3 et de Jean-Hugues Réty 4, que nous tenons à
remercier ici. Lensemble des messages de la liste, depuis sa création en novembre 1999
jusqu’en janvier 2004, est ainsi interrogeable (près de 3 000 messages au total) via une
interface en ligne : URL : http://www.utc.fr/~bouchardle-critures/interface/
Les principales fonctionnalités :
Consultation des messages et des profils des acteurs.
Filtrage par mots-clés, auteurs, dates et fils de discussion.
Graphe d’activité des acteurs.
Les choix techniques retenus :
Langage XML pour le formatage des messages en un corpus respectant les recommandations
de la text encoding initiative5. Le fait de se conformer à ce standard permettra une réutilisation
du corpus pour des recherches futures.
Flash de Macromedia pour la réalisation de l’interface.
Langage PHP et base de données de type MySQL pour la base de données.
Une approche comparative : E-critures et Ecrits...vains ?
10 L’étude du dispositif E-critures, de ses spécificités et de sa représentativité d’un champ
de pratiques, s’est appuyée également sur l’étude comparative d’un autre dispositif en
ligne, le dispositif Ecrits…vains ?, consacré à des formes d’édition littéraire plus
« traditionnelles ». Même si le site Ecrits-vains.com n’est pas forcément représentatif
de toutes les revues littéraires en ligne, sa dimension hybride, à la fois revue littéraire,
forum de discussion et atelier d’écriture, nous est apparue néanmoins comme
emblématique d’un ensemble de pratiques collectives en ligne.
11 La comparaison entre les dispositifs E-critures et Ecrits...vains ? nous a donné des
éléments de réflexion quant aux différences éventuelles entre les tenants d’une
pratique éditoriale « classique » (Ecrits...vains ?) et des acteurs qui entendent construire
aussi bien la politique éditoriale que le domaine littéraire dont ils se réclament (E-
critures). Au fil de l’étude, la place d’Ecrits…vains ?, dispositif extrêmement riche, a pris
plus d’ampleur: il nous a en effet semblé important de bien comprendre le
fonctionnement d’un tel dispositif pour mieux mettre en exergue les éventuelles
spécificités d’E-critures.
12 Nous avons ainsi avant tout exploité le dispositif Ecrits...vains ? (dans sa triple dimension
de revue, site éditeur et forum) pour essayer de mettre au jour – à titre contrastif – ce
qui se joue spécifiquement dans la littérature numérique.
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154
Entretiens et observations
13 Nous avons réalisé une série d’entretiens semi-directifs et narratifs. Laurence Le
Douarin, membre du laboratoire COSTECH, a rédigé à cette fin un guide d’entretien.
Plus que d’un guide formalisé, il s’agissait avant tout d’un questionnement que le
chercheur devait s’approprier avant l’entretien en face à face. Dix entretiens (cinq
concernant des acteurs d’Ecrits…vains ?, cinq concernant des acteurs d’E-critures) ont été
menés au total. Ils ont été complétés par des questionnaires et des échanges par mail,
notamment avec des membres silencieux de la liste E-critures, c’est-à-dire des membres
de la liste envoyant moins de cinq messages par an.
14 Les Mardis numériques au café Lou Pascalou à Paris ont fait l’objet d’une observation
(http://www.francoiscoulon.com/rencontres). De février 2003 à mai 2004 se sont en
effet déroulées chaque mois ces rencontres se proposant de « rassembler autour d’un
verre les acteurs de la création numérique ». Cette observation visait à comprendre et à
contextualiser dans un environnement plus large ce qui était construit dans le cadre du
dispositif en ligne E-critures.
Composition d’E-critures (groupe Yahoo !)
15 95 membres (y compris les pseudos) composaient le groupe à la mi-20046.
34 auteurs se réclamant de l’e-criture, du Net art, du Web art ou de la littérature :
12 auteurs-animateurs de sites collectifs (Philippe Boisnard, Philippe Castellin, Gérard
Dalmon, Jean-Pierre Depetris, Julien d’Abrigeon, Benoît Ferreira da Silva, Franck Laroze,
Antoine Moreau, Timothé Rollin, Éric Sadin, Jacques Tramu, Walk Walkatoll) ;
14 auteurs de sites personnels (Annie Abrahams, Myriam Bernardi, BlueScreen, Patrick
Burgaud, Cathbleue, François Coulon, e-troubadour marco, Tamara Laï, Pierre-Jean Lainé,
Xavier Leton, Frédéric Madre, Xavier Malbreil, Rodrigo Reyes, Olivier Ventolin) ;
2 auteurs hébergés dans des sites collectifs (Lucie de Boutiny, David Christoffel) ;
un lecteur-auteur (Frédéric Guillot) ;
d’autres auteurs Qean-Marie Durey, Alexandre Gherban, Tibor Papp, Pierre-Olivier Fineltin,
Jean-Paul Trichet).
3 sites collectifs (dont EvidenZ et Marelles) ;
4 enseignants et créateurs en e-critures ou en littérature (Ambroise Barras, Patricia Rydzok,
Luc Dall’Armellina, Bernard Morens) ;
18 étudiants, enseignants et chercheurs ;
7 journalistes ou éditeurs (dont Annick Bureaud, Bruno Courtet, Marlène Duretz du Monde,
Francis Mizio, Isabelle Nouvel) ;
1 site autopromotionnel de livre imprimé (Village des idiots) ;
3 pseudos ;
25 membres non identifiés.
Quelques sites et listes de discussion
Répertoires de sites littéraires
16 « Le labyrinthe des ressources sur la littérature française contemporaine » : http://
perso.wanadoo.fr/labyrinthe/accueil.html
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17 « Ent’revues : le catalogue des revues culturelles » : http://www.entrevues.org/
18 Annuaire de revues en ligne: http://www.revues-electroniques.net/
Archivage de la littérature numérique
19 « ELO7 » (electronic literature organization) : http://www.eliterature.org/
Revues en ligne
20 Akenaton/DOC(K)S : http://www.sitec.fr/users/akenatondocks/
21 alire : http://motsvoir.free.fr/
22 A travers champs: http://jdepetris.free.fr/pages/atc.html
23 Antomoro : http://antomoro.free.fr/arts.html
24 Chaoid: http://www.chaoid.com/
25 Eclarts : http://www.ecarts.org/
26 Echolalie : http://mapage.noos.fr/echolalie/
27 Ecrits…vains ? : http://ecrits-vains.com/
28 Evidenz : http://www.senstonkaediteurs.com/evidenz.htm
29 Inventaire/Invention : http://www.inventaire-invention.com/
30 Lire-Ecrire : http://lireecrire.free.fr/
31 Périphéries : http://www.peripheries.net/
32 Pleut-il ?: http://pleutil.net/
33 Remue.net : http://www.remue.net/
34 Historique du site : http://www.remue.net/site/infosite.html
35 Sitaudis.com (« le premier site de poésie comparative ») : http://www.Sitaudis.com/
36 T.A.P.I.N.-BoXoN (« Toute action de poésie inadmissible sur le Net ») : http://tapin.free.fr/
37 Transitoire observable: http://transitoireobs.free.fr/
38 Zazieweb : http://www.zazieweb.fr/
Sites personnels
39 Annie Abrahams : http://www.bram.org/
40 Thierry Beinstingel : http://perso.wanadoo.fr/tb/beinstingel.htm
41 Éric Bertomeu : http://bertomeu.eric.free.fr/
42 BlueScreen : http://www.b-I-u-e-s-c-r-e-e-n.com/
43 Philippe Boisnard : http://homepage.mac.com/philemon1/Menu1.html
44 Patrick-Henri Burgaud : http://www.aquoisarime.net/
45 Anne-Bénédicte Joly : http://ab.joly.free.fr/
46 Philippe De Jonckheere : http://www.desordre.net/
47 Xavier Leton : http://www.confettis.org/
156
48 Xavier Malbreil : http://www.Oml.com
49 Albertine Meunier : http://www.albertinemeunier.net/
50 Le Lièvre de Mars (site Le Terrier) : http://www.le-terrier.net/
51 Mouchette : http://www.mouchette.org/indexf.html
52 Patrick Rebollar : http://www.berlol.net/
53 Éric Sérandour : http://www.entropie.org/
Listes de discussion
54 Litor, liste de diffusion francophone sur les études littéraires et l’ordinateur : http://
www.cavi.univ-paris3.fr/phalese/litorl.htm
55 La Page blanche – site et revue de poésie : mailto:lapageblanche@yahoogroupes.fr
56 Patincouffinblab/a8, liste de poésie fondée par Julien d’Abrigeon, membre d’E-critures :
http://fr.groups.yahoo.com/group/patincouffinblabla/
57 Poesie.fr·– édition de poèmes, promotion et actualité de la poésie francophone
(ministère des Affaires étrangères) :
58 http://mailhost.diffusion.diplomatie.gouv.fr/wws/info/poesie-fr.liste
Portails de chercheurs
59 Fabula : http://www.fabula.org/
60 Hubert de Phalèse : http://www.cavi.univ-paris3.fr/phalese/hubertl.htm
Éditions
61 Éditions Odile Jacob : http://www.odilejacob.fr
62 Éditions de l’Éclat : http://www.lyber-eclat.net/
Les œuvres de littérature numérique citées
63 – « Le Bonheur », de Patrick-Henri Burgaud, 2003, lien posé sur e-critures.org
64 http://www.aquoisarime.net/bonheur/titre.htm
65 – Ce qui me passe par la tête, de Myriam Bernardi, 2002, lien posé sur e-critures.org
66 http://www.cequimepasseparlatete.com (plus accessible en octobre 2006)
67 – Days in a Day, de Pierrick Calvez, 2000, lien posé sur e-critures.org
68 http://www.lh05.com/diad/
69 – E-cris, de Luc Dall’ Armellina, 2004, lien posé sur e-critures.org
70 http://lucdall.free.fr/disposit/e-cris.html
71 – Florence Rey, de Patrick-Henri Burgaud, Doc(k)s, « What’s your war », série 3 n°
25/26/27/28, Ajaccio, 2001 (CD-Rom)
72 -L’Horloge, de Julie Potvin, d’après Charles Baudelaire, 2003
157
73 http://perte-de-temps.com/lhorloge.htm
74 -Le Livre des Morts, de Xavier Malbreil et Gérard Dalmon, 2003, lien posé sur e-
critures.org
75 http://www.livresdesmorts.com/
76 – NON-roman, de Lucie de Boutiny, 1997-2000, lien posé sur e-critures.org http://
www.synesthesie.com/boutiny/
77 – « Passage », de Philippe Bootz, édité dans la revue alire, n° 10, 1997 (CD-Rom)
78 – Pause, de François Coulon, Kaona, 2002 (CD-Rom)
79 – Proposition de voyage temporel dans l’infinité d’un instant, de Julien d’Abrigeon, 2004, lien
posé sur e-critures.org, http://tapin.free.fr/HEURE.htm
80 – SeriaI Letters, de Xavier Malbreil, 2002, lien posé sur e-critures.org
81 http://www.0ml.com/Serial_Letters/sla.htm
82 – Scriptura et cαtera, de Marie Belisle, http://www.scripturae.com/
83 – Trajectoires, de Jean-Pierre Balpe, 2002, lien posé sur e-critures.org
84 http://trajectoires.univ-paris8.fr/
85 Une base d’ œuvres interactives est accessible en ligne pour les lecteurs qui
souhaiteraient explorer (voire proposer et commenter) d’autres œuvres : http://
www.utc.fr/~bouchard/recit/consultation/
Le récit interactif
86 Lexpression « récit interactif » désigne un nouveau mode de récit, né avec
l’informatique et impliquant des actions du lecteur, soit avec la souris de l’ordinateur,
soit avec le clavier. Elle correspond aujourd’hui plus à un vaste champ d’expérimentation
qu’à un genre autonome assuré avec certitude de ses frontières. Les pratiques sont ainsi
d’une grande variété, en particulier sur cet espace ouvert et complexe qu’est le Web. On
peut cependant provisoirement les répartir ainsi, sachant qu’un même récit interactif
peut combiner plusieurs composantes :
les récits hypertextuels, qui proposent une lecture non linéaire de fragments reliés par des
liens ;
les récits cinétiques, dans lesquels le texte est affiché dynamiquement et qui exploitent
conjointement dimension temporelle et dimension multimédia ;
les récits « algorithmiques », œuvres combinatoires et génératives ;
les récits collectifs, dispositifs qui permettent aux internautes de participer à l’écriture du
récit.
Quelques récits interactifs francophones sur le Web
87 – Apparitions inquiétantes, d’Anne-Cécile Brandenbourger, 1997-2000
88 http://www.anacoluthe.com/bulles/apparitions/jump.html
89 Oscillant entre polar et parodie de sitcom, ce récit hypertextuel a tout d’abord été
publié sur le site Anacoluthe sous la forme d’un feuilleton, avant d’être édité en 2000 par
les Éditions 00h00.com, sur un support numérique (PDF) et sur support papier.
•
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•
•
158
90 – NON-roman, de Lucie de Boutiny, 1997-2000.
91 http://www.synesthesie.com/boutiny/
92 Publié en épisodes sur le site de la revue en ligne Synesthésie, ce récit propose une satire
de la vie quotidienne d’un couple de jeunes cadres aliénés par la société de
l’information.
93 – Écran total, d’Alain Salvatore, 1997.
94 http://alain.salvatore.free.fr/
95 Dans cette « fiction hypertextuelle », le topos du manuscrit trouvé et publié par un
éditeur est revisité dans la mesure où le manuscrit prend la forme d’une disquette à
décrypter...
96 – SeriaI Letters, de Xavier Malbreil, 2002.
97 http://www.Oml.com/Serial_Letters/sla.htm
98 Il s’agit d’une « parodie cauchemardesque de comédie criminelle » : l’Organisation qui
persécute le héros prône ainsi l’avènement de la littérature informatique... Xavier
Malbreil remarque que la « parodie » serait « tellement adaptée au récit hypertextuel
de fiction que la tentation est presque impossible à éviter ».
99 – Trajectoires, de Jean-Pierre Balpe, 2002.
100 http://trajectoires.univ-paris8.fr/
101 Trajectoires est « un roman policier interactif et génératif sur Internet, au croisement de
la technologie, de l’art et de la littérature ». Trajectoires constitue une adaptation sur
Internet des générateurs de textes littéraires conçus par Jean-Pierre Balpe. Ils
fonctionnent à la manière d’un écrivain automatique. En effet, les textes ne sont pas
préécrits, mais les mots sont combinés, en temps réel, à partir de logiciels d’écriture
automatique capables d’engendrer les pages d’un roman sans fin.
102 – Days in a Day, de Pierrick Calvez, 2000.
103 http://www.lh05.com/
104 Un récit très graphique qui nous propose de suivre la journée de M. Brown, dans
l’univers schizophrénique d’une grande ville.
105 – Le Livre des Morts, de Xavier Malbreil et Gérard Dalmon, 2003.
106 http://www.livresdesmorts.com/
107 « Le lecteur effectue fictivement son propre voyage dans l’au-delà. »
108 Au cours de ce voyage, il est amené à répondre à des questions, dont les réponses sont
intégrées dans le récit. Le lecteur les retrouvera lors d’une lecture ultérieure, pourra les
modifier ainsi que consulter, dans une « salle de lecture », les réponses données par
d’autres lecteurs.
109 – Des romans à plusieurs mains, 1997-2003.
110 http://membres.lycos.fr/kamakuralintro.htm
111 Deux romans sont actuellement en cours d’écriture sur ce site d’écriture collective.
159
Autoprésentations d’auteurs de littérature numérique
112 Nous avons rassemblé ici des autoprésentations de certains auteurs de littérature
numérique ayant contribué à la liste de discussion E-critures. Ces autoprésentations ont
été rédigées à notre demande, mis à part celles de Julien d’Abrigeon et de François
Coulon recueillies sur le Web.
Autoprésentation de Philippe Bootz
113 Né pour se reposer le 1er mai 1957, bardé de dipl6mes en tous genres et vivant des
conséquences de sa souris, cofondateur de LAIRE en 1988, éditeur de la revue alire depuis
1989, cofondateur de Transitoire observable en 2003, chercheur dans divers laboratoires...
pour le repos, c’est raté.
114 Une démarche poétique spécifique débute en 1977, motivée par une volonté de faire
coexister des significations contradictoires et d’impliquer le lecteur dans sa lecture par
un acte nécessairement destructif (de la polysémie) et constructif (d’une
interprétation) : la lecture détruit pour créer. La rencontre en 1978 avec l’informatique
allait me donner les moyens pratiques de réaliser ce projet. Est née à l’époque une
première littérature programmée sans ordinateur. Un passage sur mini-ordinateur
(1979-1980), non convaincant, m’a incité à développer cette poétique sous forme
d’installations hypertextuelles et de livres objets. Ce n’est qu’à partir de 1985, sous
l’impulsion de Jean-Marie Dutey, dans un contexte de lecture privée sur micro-
ordinateur, que s’est faite la véritable rencontre avec l’ordinateur comme médium de
lecture/écriture. L’animation syntaxique, découverte assez rapidement, a été créée
comme substitut au fonctionnement plastique qu’il était impossible de reproduire avec
l’ordinateur. Ma conception de la lecture comme une activité de portée limitée, la
relativisation par le dispositif de la position du lecteur et de celle de l’auteur, la
certitude de la limitation fondamentale de la communication et de l’échec
algorithmique (présents dans la génération adaptative qui consiste en un véritable
dialogue entre le programme – donc l’auteur – et la machine, dialogue dont est exclu le
lecteur, jusqu’à la transparence) se sont ainsi développées dans une continuité: ce n’est
pas l’ordinateur qui a fait rupture mais le projet d’écriture.
115 Pour les œuvres, je n’en citerai que trois car je produis très peu: l’important est le
chemin.
Métamorphose, ma toute première œuvre sur micro-ordinateur (un TOS) réalisée en 1985
pour une lecture privée à l’écran, qui invente une première forme d’animation syntaxique et
n’a jamais été éditée.
« Passage », débuté en 1992, qui a donné lieu en 1996 à une première version finalisée et qui
reste aujourd’hui encore en cours de reprogrammation. « Passage » est une œuvre
emblématique qui accompagne toute ma démarche.
Stances à Hélène (1997) qui fut le premier contact avec un compositeur et m’a permis de
comprendre l’esthétique de la frustration, cette esthétique dans laquelle l’activité de lecture
fait signe pour un non-lecteur absent (le métalecteur). Rien que de la vie et de la mort, en
somme.
•
•
•
160
Autoprésentation de Patrick-Henri Burgaud
116 Patrick-Henri Burgaud est né en 1947. Après avoir entamé une licence de lettres
modernes, il s’installe en 1970 aux Pays-Bas où il se spécialise dans la linguistique
française.
117 En 1992, il abandonne toute fonction dans l’enseignement pour se consacrer à la
pratique artistique. Poésie monumentale, Land art, poésie graphique, ses travaux
s’appuient sur la calligraphie orientale sans cependant contester l’essentiel de
l’écriture alphabétique occidentale.
118 En 1996, il découvre les potentiels de l’informatique. La poésie par images de synthèse
forme une nouvelle dimension de son approche. Depuis, en accord avec l’évolution des
technologies, ses recherches portent sur l’art hypermédia programmé.
Autoprésentation de David Christoffel
119 David Christoffel est très occupé par les prises de parole: il est présentateur à la radio
(Les nuits de France Musique) et produit des opéras parlés où il joue un instrument de
musique, alors que sa voix est plusieurs fois exposée en off. À ce titre, il fait quelques
travaux pour ARTE Radio et prépare des récitatifs pour le GRM (Groupe de recherches
musicales de l’IRCAM). Aussi s’intéresse-t-il aux nouveaux moyens donnés à l’épistolaire
par le courrier électronique et, à ce titre, a expédié des « Newsletters du dimanche »
(2002-2003) et quelques forwards (2003-2004) disponibles sur http://
www.criticalsecret.com/davidchristoffel.
120 Une première réflexion théorique sur ces lettres électroniques a été publiée dans la
rubrique « Critiques » du site www.archee.qc.ca. D’autre part, il a fondé le fanzine Tais-
Toi, Là., participe aux revues Il Particolare et 22 (Montée) des Poètes, et a publié Cela n’étant
dire dans la collection « Écritures contemporaines » des Éditions Lisières.
Autoprésentation d’e-troubadour marco
121 Touche-à-tout du monde des idées. Enfant de l’électron et du chaos. Citoyen de la
noosphère. Voilà une esquisse en trois traits d’e-troubadour marco. Auquel je rajoute
deux axes: raconter des bobards (linéaires à interactifs) et jouer à saute-mouton entre
les bassins synaptiques Ouste ne pas rater le saut quantique). Trois et deux cinq, le
compte est bon.
122 Œuvres multimédia: MekaMemories; BPM Odyssée (Le Studio du Futur) ; Les Chants de
re-troubadour marco (http://e-troubadourz.org/marco).
123 Jeux vidéo: Wintersports ; South Park; Terminator sur portable (In Fusio) ; Lucky Luke
II : la fièvre de l’Ouest sur PC, Playstation (Kalisto).
124 Romans (sous l’identité de Marc Mahé Pestka) : Tov, une vie moderne, Tristan et Iseult
remix.
Autoprésentation de Xavier Malbreil
125 Xavier Malbreil est écrivain, auteur et théoricien en littérature informatique. Deux
romans de littérature jeunesse, Les Prisonniers de l’Internet (Éditions Cédric Vincent) et
161
un recueil de nouvelles pornographiques, Des corps amoureux dans quelques récits
(Éditions http://www.manuscrit.com), composent pour l’instant toute sa bibliographie
littéraire.
126 À paraître : Je ne me souviens pas très bien, roman dont tout l’argument tient dans le titre,
et Attention à l’attentionomètre, pièce de théâtre dont tout l’argument tient dans le titre
aussi. Comme auteur en littérature informatique, il a osé dans 10 poèmes en 4 dimensions
remettre en perspective le Cratyle. Ce questionnement du dialogue platonicien, il l’a
continué dans Formes libres flottant sur les ondes. Serial Letters lui a permis de quitter cette
veine sémiotique, pour goûter au plaisir du récit interactif. Enfin Le Livre des Morts,
peut-être son œuvre la plus aboutie, en tout cas la plus montrée, commentée, étudiée,
l’a mené aux limites des nouveaux genres de la littérature informatique.
127 Les conférences qu’il a données et les articles qu’il a écrits sont réunis dans un recueil
d’écrits critiques intitulé Éloge des virus informatiques dans un processus d’écriture
interactive – Essais critiques sur les littératures informatiques, aux Éditions http://
www.manuscrit-universite.com. Un inédit s’y trouve aussi, qui est en même temps une
prise de position sur le thème « Qu’est-ce que la littérature informatique ? ».
128 Sites http://www.Oml.com, http://www.livredesmorts.com et http://www.tetra-
kill.com.
Autoprésentation de Julien d’Abrigeon9
129 Poète polymorphe et multisupport né en 1973 à Aubenas (07) et élevé en plein air. Peu
sportif, il pratique pourtant la poésie-action, la poésie sonore, la poésie visuelle, l’e-
criture poétique et autres arts du combat de la langue. Membre fondateur du collectif
BoXoN, il est le webmestre d’ œuvre du site T.A.P.I.N. qui présente la plupart des poètes de
la modernité.
130 Diverses publications en revues (BoXoN, Doc(k)s, cqnc, Ouste, 4/5, Maison atrides...) et sur
sites (ubu.com, epc-buffalo.edu, e-critures.org, entre autres). Croix, n.f. est paru chez
Poésie-Express en 2001.
131 Nombreuses lectures-actions publiques (dont cipM (Marseille), TNT (Bordeaux), Le
Noroît (Arras), Les instants Chavirés (Montreuil), Public<(Paris), Médiathèque (Roanne),
Les subsistances (Lyon), Rennes.
Autoprésentation de François Coulon10
132 François C., qui êtes-je ?
133 Un projet en cours jusqu’en 2005 : Le Réprobateur, toujours avec des images d’Hélène
Moreau.
134 Suite des rencontres Mardis numériques en 2004, désonnais avec un micro.
135 Pause en 2002, publié chez Kaona, à nouveau, prix SCAM.
136 Je réalise 20 % d’amour en plus en 1996. On en demande encore, dit-on. Début des cours,
conférences.
137 La Belle Zohra et Tout a disparu en 1992, sans grandes conséquences.
138 Virage littéraire post-ludique en 1991 avec L’Égérie. Petit succès d’estime en 1994 avec
sa version Mac.
162
139 Jeux d’aventures entre 1985 et 1988, critique de ceux des autres dans la presse
spécialisée.
140 Myope, j’apprends la programmation. Puis un peu de grammaire française.
141 En 1968, je commence par naître.
Lexique succinct
142 Nous proposons ici des précisions sur quelques termes aussi bien techniques (spam,
URL ou encore la théorie des agrégats) que littéraires (par exemple diégèse, genre,
littérarité ou paratexte).
Agrégat
143 Sur le Web, un agrégat est un ensemble de documents reliés entre eux par certaines
propriétés topologiques. Les liens hypertextes constituent cette dimension topologique.
Les propriétés topologiques qui unissent un « paquet » de documents sont multiples, et
parfois encore mal connues. Les hubs et les authorities sont les plus manifestes, mais il
en existe d’autres. On peut admettre, par exemple, que les agrégats ont des degrés de
densité et qu’ils entretiennent entre eux des relations de voisinage. On peut admettre
aussi qu’ils évoluent, naissent, meurent, se scindent ou fusionnent. John Kleinberg, à
qui l’on doit la théorie des agrégats [KLEINBERG, 1998], estime qu’ils sont près de 100 000
sur le Web.
Authority
144 Terme utilisé en particulier par John Kleinberg pour désigner des sites pointés par de
nombreux autres sites. Ils font donc « autorité » car ce sont des références pour un
ensemble de sites traitant du même sujet. Le terme est complémentaire de celui de hub
dans la théorie des agrégats de documents sur le Web [KLEINBERG, 1998].
Autoédition
145 L’autoédition, née historiquement en même temps que l’édition imprimée au XVIIIe
siècle, fut pratiquée, entre autres, par les premiers regroupements de scientifiques
désirant diffuser directement leurs travaux dans l’Europe naissante. L’expression garde
aujourd’hui une forte connotation négative liée au fait que des auteurs choisissent de
ne pas se plier au filtrage qualitatif des textes par les éditeurs en passant directement à
l’étape de la publication. Les « éditions à compte d’auteur » sont ainsi le fait d’éditeurs-
fabricants auxquels s’adressent directement des écrivains désirant publier directement
un recueil ou un livre. Et cela peut prendre la forme d’une mésaventure, comme cet
auteur publié plusieurs fois dans la revue Ecrits...vains ? mais qui, auparavant, a connu
une expérience d’édition à compte d’auteur: « Je ne suis pas content, parce qu’en fait ça
s’est distribué à très peu d’exemplaires et ils m’ont obligé à en acheter quarante. Je
n’ose même pas les donner à mes amis. Ils nous ont dit qu’il y avait une publication à
1 000 exemplaires, je n’y crois pas trop. C’est resté dans les fonds de tiroir. »
163
146 Sur le Web, l’autoédition est pratiquée couramment par tous ceux qui publient leurs
textes dans des espaces conçus spécifiquement pour les recueillir : blogs, CMS, forums,
etc. Cependant, au contraire de l’autoédition imprimée, l’autoédition numérique est
souvent valorisante pour l’apprenti auteur qui s’exerce ou pour l’auteur confirmé
(journaliste, écrivain) qui trouve là un moyen de diversifier et populariser son travail.
Autopublication
147 Mise à disposition d’un public, par un auteur individuel ou des auteurs en collectif,
d’œuvres ou de documents, par un dispositif de publication fabriqué par eux-mêmes.
148 Au sens plus large de [CHARTRON et REBILLARD, 2004], l’autopublication peut signifier
« mise en forme d’un contenu préalablement sélectionné, en vue de sa diffusion
collective » faisant appel à l’autoproduction (création du contenu, mise en page), à
l’autosélection (évaluation du contenu, anticipation sur sa pertinence pour autrui) ou
encore à l’autodiffusion (mise en ligne, référencement, etc.).
Autoritativité
149 Traduit de l’anglais authoritative, « auteur faisant autorité » [AUDI, 1997]. L’autoritativité
dont il est question ici est une modalité du « devenir auteur ». Il s’agit d’abord de
pratiques créatives échappant aux instances de référence (éditeurs, critiques, revues
littéraires...) qui ne peuvent plus légitimer les œuvres produites, ne laissant d’autre
choix aux auteurs que l’autoédition. Il s’agit ensuite des pratiques d’autoédition et
d’autopublication relevées sur le Web, qui suggèrent que l’auteur, dans sa construction,
peut s’émanciper des cadres éditoriaux hérités de l’imprimerie; s’ajoutent à cela des
dispositions acquises à s’affirmer auteur en dehors des autorités établies. Tout cela
permet de distinguer un auteur « traditionnel », qui cherche à s’inscrire dans un
dispositif éditorial classique pratiquant le filtrage en amont de la chose publiée, d’un
auteur « autoritatif », qui s’autopublie et construit lui-même les conditions de sa
reconnaissance dans l’univers électronique.
Blog
150 Système antechronologique de publication de billets textuels, iconiques, sonores
(podcasts), ou de vidéos (vlogs), très souvent « autoédités » de manière individuelle ou
en collectif. Une des particularités des blogs est d’autoriser les lecteurs à déposer des
commentaires en marge de la production de l’auteur. Le blogroll, ou liste de liens
« amis » choisie par le blogueur, inscrit le blog dans un univers de référence.
Connectivité
151 On peut calculer et visualiser certaines propriétés originales de l’espace documentaire
qu’est le Web en mobilisant des graphes: les pages ou les sites y sont projetés sous
forme de nœuds et les liens hypertextes qui les relient sous forme d’arcs orientés. La
connectivité hypertexte est le principe de la projection de ces liens entre pages et/ou
sites sur un graphe: elle peut alors se concentrer à certains endroits du graphe ou, au
contraire, se diluer avec des taux de densité plus faibles.
164
Data mining
152 Voir la définition du Wéb mining.
Diégèse
153 En narratologie, « la diégèse est l’univers spatio-temporel désigné par le récit »
[GENETTE, 1972]. Les adjectifs dérivés de « diégèse » sont nombreux et couramment
employés: « intradiégétique » désigne par exemple un narrateur qui est lui-même
l’objet d’un récit, qui est un personnage du récit premier, par opposition à un narrateur
« extradiégétique » qui est extérieur à l’histoire racontée.
DTD
154 La document type definition (DTD), ou « définition de type de document », est un
document permettant de décrire un modèle de document XML. Une DTD décrit la
structure du document (hiérarchie des champs, paramètres, type des données). Source :
Wikipedia.
Dynamique (site)
155 L’adjectif « dynamique » désigne différentes technologies web qui permettent de
composer et d’afficher à la demande les pages d’un site. Les pages dynamiques
s’opposent aux pages « statiques » dont la composition et le contenu ont été fixés au
préalable. Les sites dynamiques ont la faculté de générer des pages à la volée en fonction
de différents paramètres comme le profil de l’utilisateur ou la nature de la requête
adressée au serveur où se trouve le site.
Édition
156 Champ professionnel des industries culturelles.
157 Ensemble des étapes d’évaluation, de sélection, de négociation et de mise en forme
permettant la fabrication d’un document au contenu stabilisé et destiné à la diffusion.
E-sociology
158 Parmi ce que l’on appelle les computer sciences chez les Anglo-Saxons, une voie
spécifique s’est construite à la rencontre des sciences sociales (largement plus
anciennes en termes de réflexion sur la morphologie des groupes sociaux) et du data
mining : le social data mining. Il peut s’agir, en particulier, de traiter le Web comme un
réseau de documents et de liens, mais aussi et surtout comme un réseau social sur
lequel des acteurs s’inscrivent ou inscrivent des traces. Par imitation d’expressions
comme e-gouvernance ou e-business, l’e-sociology désigne cette approche spécifique du
Web.
165
Flash
159 Logiciel de la société Adobe – anciennement Macromedia – permettant de réaliser des
animations, notamment pour le Web. De nombreuses œuvres cinétiques de la littérature
numérique sont réalisées à l’aide de ce logiciel.
Forum
160 Système de discussion passant uniquement par le Web. Il se distingue des autres
systèmes de discussion par le fait que les discussions sont archivées sur un site web et
qu’il faut souvent s’inscrire dans la communauté pour pouvoir participer (http://
www.dicodunet.com/definitions/internet/forum-de-discussion.htm).
Genre
161 Si la notion de type de texte est assez claire (le texte se définit en fonction de son
intention et de son type d’organisation), la notion de genre littéraire est plus floue: dans
chaque grand genre, certains textes obéissent néanmoins à un système d’énonciation
comparable, sont traversés d’un même registre ou traitent de thèmes convergents. Les
genres littéraires ont joué et continuent de jouer un rôle déterminant dans les horizons
de création et de réception. Le genre permet à la fois de créer une attente et de garantir
une reconnaissance.
162 La notion de genre éditorial se réfère à des formes particulières d’expression
dépendantes du support de publication: on trouve ainsi des dépêches, des brèves, des
reportages, des éditoriaux, des billets, des entretiens, dans les publications de presse.
HTML
163 Hypertext markup language : langage de description de page propre au Web.
Hub
164 Concept complémentaire de celui d’authority ou autorité. Il s’agit d’un site pointant vers
de nombreux autres sites. L’organisation topologique du Web repose sur leur rôle
important puisqu’ils assurent nombre de liaisons hypertextes entre différents lieux du
réseau [KLEINBERG, 1998].
Hypertexte
165 Le terme a été inventé par Ted Nelson, mais il désigne couramment le lien hypertexte,
la clé de voûte du Web actuel. Le terme peut renvoyer tantôt à la dimension textuelle des
contenus et de leurs rapports réciproques (citations, références, sources, etc.), tantôt à
la dimension topologique du Web dont les principes d’organisation reposent sur la
façon dont les liens hypertextes y sont distribués.
166
Liste de diffusion/groupe de discussion
166 Dispositifs de messagerie électronique permettant de faire parvenir des messages à
l’ensemble des inscrits par l’intermédiaire d’une seule adresse.
167 Le « groupe de discussion » se distingue de la « liste de diffusion » par des
fonctionnalités de gestion de groupe disponibles au sein d’un site web personnalisé. Ce
qui permet, outre le fait de retrouver l’historique des messages, une visibilité à un plus
large public sur le réseau.
Littérarité
168 Les formalistes russes ont donné à l’usage proprement littéraire de la langue, et donc à
la propriété distinctive du texte littéraire, le nom de littérarité. « L’objet de la science
littéraire n’est pas la littérature mais la littérarité, c’est-à-dire ce qui fait d’une œuvre
donnée une œuvre littéraire11. »
Paratexte
169 Le paratexte renvoie à tout ce qui entoure le texte sans être le texte proprement dit. Le
titre et la préface sont deux de ses manifestations les plus importantes [GENETTE, 1987].
La réflexion critique de Gérard Genette sur les rapports entre texte et paratexte est
d’autant plus d’actualité que les frontières traditionnelles du texte sont érodées. Les
œuvres de littérature numérique au premier chef, mais aussi les sites web en général
tendent à réduire la distinction entre texte et paratexte, dans la mesure où le texte
numérique est fondamentalement composite, plurisémiotique et marqué par une
référence permanente au dispositif qui le promeut.
Publication
170 Objet publié se présentant sous forme d’un codex dans le cas de la technologie
imprimée ou sous de multiples formes dans le cas d’Internet.
171 Étapes de fabrication d’un objet édité.
Ring
172 Une série de sites web, surtout s’ils traitent de la même thématique, peuvent être reliés
entre eux de façon spécifique en ring : le plus souvent, sur la page d’accueil d’un site
appartenant à un web ring donné, sont affichés un lien « précédant » et un lien
« suivant » pointant vers deux autres sites du même ring. Ainsi, tous les sites du ring
pointent vers deux désignés comme éléments d’une chaîne circulaire gérée
spontanément ou de façon centrale, suivant les cas. Ce principe offre de remarquables
parcours de navigation balisés pour les internautes désireux de s’informer sur un sujet
auquel sont associés un ou plusieurs rings.
173 On pourra consulter sur le sujet les services de recherche ainsi que l’annuaire http://
dir.webring.com/rw.
167
Socialdata mining
174 Voir la définition du terme E-sociology.
Spam (pollupostage)
175 Courrier électronique non sollicité par l’internaute qui le reçoit. Cette pollution des
boîtes aux lettres électroniques pratiquée par les spammers ou spammeurs arrive en
tête des pratiques les plus critiquées par les internautes. Également appelé au Québec
« polluriel », contraction de « courriel pollueur ».
Théorie du support
176 On désigne par cette expression un ensemble d’hypothèses, plus ou moins
complémentaires, qui accordent à la dimension technique des dispositifs de
représentation une place majeure dans les phénomènes d’écriture ou de production
d’information comme de lecture et d’interprétation. Certains courants de
l’anthropologie, de l’ethnologie et de la philosophie y participent, et le champ étudié
concerne aussi bien l’écriture manuscrite et l’imprimé que les supports numériques.
URL (uniform resource locator)
177 L’URL correspond à l’adresse d’une ressource internet (page web ou fichier quelconque)
et à la route à suivre pour l’atteindre. Ladresse est lisible dans la boîte de dialogue du
navigateur. Exemple: http://www.e-critures.org est une URL.
Web mining
178 Le Web mining désigne la mobilisation des méthodes de data mining (en français,
« extraction de connaissances à partir de données ») appliquées au Web et à ses
milliards de documents, en général peu structurés et très évolutifs dans le temps.
Web sémantique
179 Ce projet, dessiné entre autres par Tim Berners Lee, vise à développer les méthodes, les
outils et les normes du second âge du Web tourné vers l’exploitation automatisée de
l’information à grande échelle, donc essentiellement axé sur les techniques
d’indexation de contenus, de recherche d’information (via notamment des agents
intelligents) ou de traitement sémantique. On pourra trouver la présentation du projet
dans un article12 de Tim Berners-Lee, James Hendler et Ora Lassila.
Wiki
180 Site web dynamique dont les pages sont directement modifiables en ligne par les
lecteurs. Un wiki représente un modèle de rédaction et de publication collective de
documents web. L’amélioration des textes se produit en continu après publication; les
168
historiques des modifications successives apportées à chaque page sont accessibles aux
lecteurs.
XML13
181 Le XML (extensible markup language ou « langage de balisage extensible ») est un langage
qui sert de base pour créer des langages de balisage spécialisés: c’est un
« métalangage ». En ce sens, le XML permet de définir un vocabulaire et une grammaire
associée sur la base de règles formalisées. Il est suffisamment général pour que les
langages basés sur XML, appelés aussi dialectes XML, puissent être utilisés pour décrire
toutes sortes de données et de textes. Il s’agit donc partiellement d’un format de
données.
Bibliographie
182 Nous avons choisi, pour cette bibliographie, une présentation alphabétique globale,
indépendamment du type de publication. La plupart des auteurs mentionnés ayant
publié aussi bien des articles que des monographies, nous n’avons pas jugé pertinent de
distinguer entre articles et monographies. Le lecteur pourra ainsi se reporter plus
aisément aux entrées référencées dans notre travail.
183 L’accès aux articles consultables sur le Web a été vérifié pour la dernière fois le 1er
octobre 2006.
Ouvrages et articles théoriques
184 [AARSETH, 1997] AARSETH, Espen, Cybertext, Perspective on Ergodic Literature, John Hopkins
University Press, Baltimore, 1997.
185 [AUDI, 1997] AUDI, Paul, L’Autorité de la pensée, PUF (Perspectives critiques), Paris, 1997.
186 [BACHIMONT, 1998] BACHIMONT, Bruno, « Bibliothèques numériques audiovisuelles : des
enjeux scientifiques et techniques », Document numérique, vol. 2, n° 3, Hermes Science
Publications, Paris, 1998.
187 [BALPE, 1990] BALPE, Jean-Pierre, Hyperdocuments, hypertextes, hypermédia, Eyrolles, Paris,
1990. [BALPE, 1997] BALPE, Jean-Pierre, « Une écriture si technique », 1997, http://
hypermedia.univ-paris8.fr/Jean-Pierre/articles/Ecriture.html
188 [BALPE et DE BARROS, 2006] BALPE, Jean-Pierre et DE BARROS, Manuela (dir.), L’art a-t-il besoin
du numérique ? Actes du colloque de Cerisy (2004), Hermes Science Publications, Paris,
2006.
189 [BARTHES, 1968] BARTHES, Roland, « La mort de l’auteur », 1968, repris dans Le Bruissement
de la langue, Seuil, Paris, 1984.
190 [BARTHES, 1973] BARTHES, Roland, Le Plaisir du texte, Seuil, Paris, 1973.
191 [BEAUDOUIN, 2002] BEAUDOUIN, Valérie, « De la publication à la conversation. Lecture et
écriture électroniques », Réseaux, n° 116, 2002.
192 [BENNOUAS et alii, 2003] BENNOUAS, Toufik, BOUKLIT, Mohamed et MONTGOLFIER, Fabien de,
« Un modèle gravitationnel du Web », dans Les Journées « Graphes, Réseaux et
Modélisation », Paris, ESPCI, décembre 2003.
169
193 [BERNSTEIN, 1995] BERNSTEIN, Mark, “Conversations with friends: hypertexts with
characters”, dans Hypermedia Design, p. 207-215, FRAISE
194 S. et alii (ed.), Springer, London, 1995.
195 [BOOTZ, 2001] BOOTZ, Philippe, Formalisation d’un modèle fonctionnel de communication à
l’aide des technologies numériques appliqué à la création poétique, thèse de doctorat,
université de Paris VIII, Paris, 2001.
196 [BOOTZ, 2002] BOOTZ, Philippe, « Esthétique de la frustration », avril 2002, http://
www.labo-mim.org/pdf%20creation-reception/Bootz.pdf.
197 [BOOTZ et alii, 2003] BOOTZ, Philippe, GHERBAN, Alexandre et PAPP, Tibor, « Transitoire
observable : texte fondateur, février 2003 », http://transitoireobs.free.fr/to/
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198 [BOTAFOGO 1991] BOTAFOGO, Rodrigo et SHNEIDERMAN, Ben, "Identifying aggregates in
hypertext structures", UKConference on Hypertext, p. 63-74, 1991.
199 [BOUCHARDON, 2002] BOUCHARDON, Serge, « Hypertexte et art de l’ellipse », dans Les Cahiers
du numérique, La Navigation, vol. 3-n° 3, p. 65-86, Hermes Science Publications, Paris,
2002.
200 [BOUCHARDON, 2003] BOUCHARDON, Serge, « La liste de discussion E-critures, un dispositif de
légitimation de la littérature électronique ? », dans Dossiers de l’ingénierie éducative, CNDP,
Paris, décembre 2003.
201 [BOUCHARDON, 2005] BOUCHARDON, Serge, « Récits interactifs: expériences littéraires aux
frontières », dans LELEU-MERVIEL, Sylvie (dir.), Création numérique, p. 23-54, Hermes
Science Publications, Paris, 2005.
202 [BOUCHARDON, 2006] BOUCHARDON, Serge, « Les récits littéraires interactifs », Formules, na
10, Noésis -Agnès Viénot Éditions, Paris, 2006.
203 [BOUCHARDON et BROUDOUX, 2003] BOUCHARDON, Serge et BROUDOUX, Évelyne, « E-critures:
coconstitution d’un dispositif technique, d’un champ et d’une communauté », Esprit
critique, vol. 5, n°4, automne 2003.
204 [BOUCHARDON et GHITALLA, 2003] BOUCHARDON, Serge et GHITALLA, Franck, « Récit interactif,
sens et réflexivité », dans Hypertextes et Hypermédias." créer du sens à l’ère numérique,
H2PTM’03, p. 35-46, Hermes Science Publications, Paris, septembre 2003.
205 [BOULLIER, 2000] BOULLIER, Dominique, « La loi du support: leçons de trois ans
d’enseignement numérique à distance », Les Cahiers du numérique (na 2, « L’université
virtuelle »), vol. 1, p. 145-172, Hermes Science Publications, Paris, 2000.
206 [BOURDIEU, 1992] BOURDIEU, Pierre, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire,
Seuil, Paris, 1992.
207 [BROUDOUX, 2002] BROUDOUX, Évelyne, « Outils informatiques d’écriture et de lecture:
nouvelles conditions au devenir auteur », communication du 26 septembre 2002,
université de Rennes II. Colloque Cercor-SFSIC « Écritures en ligne: pratiques et
communautés », http://archiveSIC.ccsd.cnrs.fr/documentslarchives0/00/00/07/96/
index_fr.html
208 [BROUDOUX, 2003] BROUDOUX, Évelyne, « Outils, pratiques autoritatives du texte,
constitution du champ de la littérature numérique », thèse soutenue à l’université de
Paris VIII, 17 décembre 2003. http://tel.ccsd.cnrs.frfdocuments/
archives0/00/00/67/60/index_fr.html
170
209 [BROUDOUX, GRÉSILLAUD, LE CROSNIER, LUX-POGODALLA, 2005]
210 BROUDOUX, Évelyne, GRESILLAUD, Sylvie, LE CROSNIER, Hervé et LUX-POGODALLA, Veronika,
« Construction de l’auteur autour de ses modes d’écriture et de publication », dans
Hypertextes et Hypermédias : créer, échanger, partager à l’ère des réseaux, H2PTM’05, p.
123-142, Hermes Science Publications, Paris, 2005. http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/
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211 [BROUDOUX, 2006a] BROUDOUX, Évelyne, « Littérature numérique: existence d’un champ et
communication des œuvres », dans BALPE, Jean-Pierre et DE BARROS, Manuela (dir.), L’art
a-t-il besoin du numérique ? Actes du colloque de Cerisy, 23 juillet 2004, Hermes Science
Publications, 2006. http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001138
212 [BROUDOUX, 2006b] BROUDOUX, Évelyne, « De la contrainte au programme », dossier
Hyperlittérature IV: contraintes, Magazine électronique du Centre international d’art
contemporain de Montréal, n° 24 – hiver 2006. http://www.ciac.calmagazine/
sommaire.htm
213 [BROUDOUX et alii, 2006c] BROUDOUX Évelyne, dans PEDAUQUE, Roger T., « Auctorialité :
production, réception et publication de documents numériques », dans La
Redocumentarisation du monde, Cepaduès, 2006.
214 [BURGOS et alii, 1996] BURGOS, Martine, EVANS, Christophe et BUCH, Esteban, Sociabilités du
livre et communautés de lecteurs: trois études sur la sociabilité du livre, BPI-Centre Pompidou,
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215 [CALLON et LATOUR, 1990] CALLON, Michel et LATOUR, Bruno, La Science telle qu’elle se fait, La
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217 [CHAKRABARTI et alii, 2002] CHAKRABARTI, Soumen, JOSHI, Mukul, PUNERA, Kunal et PENNOCK,
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Conference, 2002.
218 [CHARTRON et REBILLARD, 2004] CHARTRON, Ghislaine et REBILLARD, Franck, « Modèles de
publication sur le Web, AS-CNRS 103 », rapport d’activités, juillet 2004. http://
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219 [CHRISTIN, 1995] CHRISTIN, Anne-Marie, L’Image écrite ou la déraison graphique, Flammarion,
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220 [CLÉMENT, 1995] CLÉMENT, Jean,« L’hypertexte de fiction, naissance d’un nouveau
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223 [CLÉMENT, 2006] CLÉMENT, Jean, « Jeux et enjeux de la littérature numérique », Formules,
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224 [COMPAGNON, 1998] COMPAGNON, Antoine, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun,
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227 [DESEILLIGNY, 2003] DESEILLIGNY, Oriane, « L’écriture de journaux intimes sur Internet :
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229 [FOUCAULT, 1994] FOUCAULT, Michel, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », dans Dits et Écrits
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& langages, n° 126, Armand Colin, Paris, 2000.
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236 [GHITALLA et alii, 2005] GHITALLA, Franck, LE BERRE, Alain et RENAULT, Mathieu, « Des
documents, des liens et des acteurs. Expérimentations autour de radiographies
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la direction de Marianne PERNOO, « Repérage et sélection de sites de littérature
contemporaine par une bibliothèque universitaire de lettres et sciences humaines »,
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informatiques », novembre 2004.
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critique des œuvres de littérature informatique », mémoire de DEA, université de
Toulouse-Le Mirail, juin 2005.
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formulations du numérique », 2003. http://archivesic.ccsd.cnrs.frfsic_00000511.html
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écrire, récrire : objets, signes et pratiques des médias informatisés, Bpi-Centre Pompidou,
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265 [STIEGLER, 1996] STIEGLER, Bernard, La Technique et le Temps, t. 1 et 2, Galilée, Paris, 1996.
266 [THIBAUDET, 1939] THIBAUDET, Albert, Réflexions sur la critique, Gallimard, Paris, 1939.
267 [TODOROV, 1978] TODOROV, Tzvetan, « L’origine des genres », dans Les Genres du discours,
Seuil, Paris, 1978.
268 [VANDENDORPE, 1999] VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l’hypertexte, Éditions du Boréal-
Éditions de la Découverte, Montréal, 1999.
269 [VAN L OOY et BAETENS, 2003] VAN L OOY, Jan et BAETENS, Jan, Close Reading New Media,
Analyzing Electronic Literature, Presses universitaires de Louvain, Louvain, 2003.
270 [WALTER, 1990] WALTER, Éric, « Les auteurs et le champ littéraire », dans Histoire de
l’édition française, t. 2, « Le livre triomphant », Fayard/Cercle de la Librairie, Paris, 1990.
271 [WEISSBERG, 1999] WEISSBERG, Jean-Louis, Présences à distance, L’Harmattan, Paris, 1999.
Œuvres littéraires mentionnées
272 [BORGES, 1956] BORGES, Jorge Luis, Fictions, Gallimard, Paris, 1965 (Ficciones, 1956).
273 [BUTOR, 1957] BUTOR, Michel, La Modification, Éditions de Minuit, Paris, 1957.
274 [CALVINO, 1979] CALVINO, Italo, Si par une nuit d’hiver un voyageur, Seuil, Paris, 1981 (Se una
notte d’inverno un viaggiatore, 1979).
275 [DIDEROT, 1773] DIDEROT, Denis, Jacques le fataliste et son maître, 1773, Garnier-Flammarion,
Paris, 1970.
276 [PEREC, 1978] PEREC, Georges, La Vie mode d’emploi, Hachette, collection POL, Paris, 1978.
277 [QUENEAU, 1961] QUENEAU, Raymond, Cent mille milliards de poèmes, Gallimard, Paris, 1961.
278 [QUENEAU, 1981] QUENEAU, Raymond, « Un conte à votre façon », dans Contes et propos,
Gallimard, Paris, 1981.
279 [ROCHE, 1966] ROCHE, Maurice, Compact, Seuil, Paris, 1966.
280 [SAPORTA, 1962] SAPORTA, Marc, Composition n° 1, Seuil, Paris, 1962.
281 [STERNE, 1760] STERNE, Laurence, Vie et Opinions de Tristram Shandy, Garnier-Flammarion,
Paris, 1982 (The Life and Opinions of Tristram Shandy, 1760).
174
NOTES
1. Réseaux, territoires et géographie de l’information: http://www.utc.fr/rtgi/
2. Serge Bouchardon et Évelyne Broudoux.
3. Ingénieur informaticien.
4. Maitre de conférences en informatique rattaché au laboratoire Paragraphe de l’université de
Paris VII.
5. http://www.tei-c.org
6. On pouvait dénombrer 156 membres en octobre 2006.
7. Plus que d’une revue, il s’agit d’un lieu d’archivage issu d’un regroupement d’auteurs et
d’universitaires nord-américains.
8. Sur cette liste, Julien d’Abrigeon conserve son pseudo e-criturien. Signe particulier: possède
quatre modérateurs.
9. Source : http://www.sitaudis.com/Auteurs/julien-d-abrigeon.html
10. Sur le site http://www.francoiscoulon.com.
11. JAKOBSON (Roman), Questions de poétique, trad. fr., Seuil, Paris, 1973.
12. « The semantic Web », http://www.sciam.com/article.cfm?
articleID=00048144-10D2-1C70-4A9809EC588EF21
13. Source: Wikipedia (http://fr.wikipedia.org).
175
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