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Madame Catherine Vincent Rites et pratiques de la pénitence publique à la fin du Moyen Âge : essai sur la place de la lumière dans la résolution de certains conflits In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 31e congrès, Angers, 2000. pp. 351-367. Citer ce document / Cite this document : Vincent Catherine. Rites et pratiques de la pénitence publique à la fin du Moyen Âge : essai sur la place de la lumière dans la résolution de certains conflits. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 31e congrès, Angers, 2000. pp. 351-367. doi : 10.3406/shmes.2000.1799 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/shmes_1261-9078_2001_act_31_1_1799

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Madame Catherine Vincent

Rites et pratiques de la pénitence publique à la fin du MoyenÂge : essai sur la place de la lumière dans la résolution decertains conflitsIn: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 31e congrès,Angers, 2000. pp. 351-367.

Citer ce document / Cite this document :

Vincent Catherine. Rites et pratiques de la pénitence publique à la fin du Moyen Âge : essai sur la place de la lumière dans larésolution de certains conflits. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieurpublic. 31e congrès, Angers, 2000. pp. 351-367.

doi : 10.3406/shmes.2000.1799

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/shmes_1261-9078_2001_act_31_1_1799

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Catherine VINCENT

RITES ET PRATIQUES DE LA PÉNITENCE PUBLIQUE

À LA FIN DU MOYEN ÂGE :

essai sur la place de la lumière

dans la résolution de certains conflits

Encore une intervention sur la pénitence publique à la fin du Moyen Âge, pensera-t-on à bon droit, à la lecture du titre de cette contribution ! D'importantes publications ont en effet récemment contribué à reconsidérer cet usage que l'on présentait comme tombé en désuétude, à partir du moment où, vers le XII * siècle, la discipline pénitentielle de l'Église s'était orientée vers la confession individuelle auriculaire, fondée sur l'aveu des fautes, le repentir et la réconciliation assortie de peines satisfactoires. De fait, la pastorale n'eut de cesse de promouvoir cette démarche, rendue obligatoire pour chaque fidèle au moins une fois par an avant la fête de Pâques, par le célèbre canon Utriusque sexus du IVe concile du Latran, tenu en 1215 \ Pourtant, il paraît de plus en plus manifeste que, simultanément, des cérémonies inspirées par les règles antiques de la pénitence publique, remises à l'honneur sous des formes quelque peu allégées, on le sait, par les Carolingiens, continuèrent d'avoir lieu tout au long des XHIe, XTVe et XVe siècles. On ne reprendra pas ici les démonstrations qui ont été présentées en faveur de la persistance de telles formes publiques de pénitence, infligées à

1 . Mises au point de synthèse dans Histoire du Christianisme, 5, Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), Paris, Desclée, 1993, p. 746-748 et ibid., 6, Un temps d'épreuves (1274-1449), Paris, Desclée-Fayard, 1990, p. 437-441. Voir également N. Bériou, « Autour de Latran IV (1215) : la naissance de la confession moderne et sa diffusion », dans Pratiques de la confession : des Pères du désert à Vatican II, Paris, Le Cerf, 1983, p. 3-93 [p. 93 : traduction du canon 21 des actes du IVe concile du Latran] et H. Martin, « Confession et contrôle social à la fin du Moyen Âge », dans ibid., p. 1 17-136.

Le règlement des conflits au Moyen Âge. Actes du XXXIe congrès de la SHMESP (Angers, 2000), Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 351-367.

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certains coupables par les tribunaux aussi bien ecclésiastiques que laies 2. On souhaiterait j>lus modestement s'interroger sur un élément précis qui, à la fin du Moyen Age, figurait dans le rituel de certaines d'entre elles : l'offrande par le condamné d'un luminaire, le plus souvent une torche de cire, dont le poids était précisé avec soin par le jugement. Curieusement, les tribunaux ecclésiastiques ne furent pas seuls à inclure ce type de peine dans leurs usages. Les luminaires entrèrent également, du moins à partir de la fin du XIVe siècle, dans le déroulement des amendes honorables dont la parenté avec les modalités de la pénitence publique chrétienne a été maintes fois soulignée 3. Or, la présence de ces torches allumées tenues par les coupables ne manque pas d'intriguer. Les travaux ne leur ont guère prêté attention jusqu'alors si ce n'est, au mieux, pour signaler la difficulté de leur interprétation ou, à suivre Mary Mansfield, pour leur attribuer brièvement une tonalité pénitentielle, au bénéfice d'un rapprochement avec certaines processions marquées de torches ardentes 4 ; mais, la présence de lumière permit aussi couramment de manifester la joie dans la liturgie chrétienne 5...

Aussi, les quelques suggestions qui suivent, en envisageant la place de la lumière dans la résolution des conflits, répondent davantage au sous-titre du propos. Elles imposent de revenir, en un premier temps, sur les cérémonies qui marquaient, en début et en fin du carême, l'expulsion puis la réintégration des pénitents publics par l'évêque. Les modalités du déroulement de ce rituel constituent, semble-t-il, un utile contrepoint pour aider à l'intelligence du geste de l'offrande de la lumière dans les procédures de résolution des conflits.

2. M.C. Mansfield, The Humiliation of Sinners : Public Penance in Thirteenth-Century France, Ithaca-London, Cornell University Press, 1995 ; J.-M. Moeglin, « Pénitence publique et amende honorable au Moyen Âge », RH, 298/2 (1997), p. 225-269 ; C. Gauvard et G. Ouy ont édité et commenté un texte de Jean Gerson d'où il ressort que des pénitences publiques furent appliquées aux femmes coupables d'infanticide, ce contre quoi s'insurgea le chancelier de l'Université de Paris ; à paraître dans les Mélanges E. Hicks ; ce document m'a été aimablement communiqué par Claude Gauvard que je remercie vivement. 3. C. Gauvard, « De grace especial », Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, vol. 2, p. 745-749 ; N. Gonthier, Délinquance, justice et société dans le Lyonnais médiéval de la fin du XIIF siècle au début du XVIe siècle, Paris, Éditions Arguments, 1993, p. 244. 4. M. Mansfield, op. cit. n. 2, p. 135-136 [où la présence de cierges allumés au cours de processions est considérée comme un signe de pénitence] et p. 189-247 [chapitre VU : analyse des rites de la pénitence publique qui figurent dans des pontificaux provenant de diocèses du nord de la France, entre 1 150 et 1350]. 5. Sur les divers sens revêtus par la lumière dans la liturgie chrétienne à la fin du Moyen Âge, on se permet de renvoyer à C. Vincent, Un monde enluminé. Lumière et luminaires dans la vie religieuse en Occident du XIIe siècle au début du XVIe siècle, essai présenté pour l'habilitation à diriger des recherches en histoire médiévale, Paris, 1999, 3 vol. dactyl., à paraître aux éditions du Cerf en coédition avec la Société d'Histoire religieuse de la France, « Histoire religieuse de la France ».

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RITES ET PRATIQUES DE LA PÉNITENCE PUBLIQUE 353

* * *

Jusqu'à la fin du Moyen Âge, l'Angleterre et le nord du royaume de France, plus que les régions méridionales, demeurèrent fidèles à l'usage d'imposer à certains pécheurs un temps de pénitence publique, suivant le modèle des pratiques héritées de l'Antiquité chrétienne. La présence du rituel fixé pour cette sanction dans un large ensemble de pontificaux étudiés par Mary Mansfield ainsi que la mention par l'archevêque de Rouen Eudes Rigaud, au fil de son registre de visites pastorales, de la réconciliation des pénitents opérée par ses soins viennent étayer l'hypothèse d'un recours effectif à la pénitence publique au cours du XIIIe siècle, voire au-delà 6. Mais aux preuves apportées par les sources de la pratique, s'ajoutent celles que fournit l'histoire même de la liturgie. La cérémonie qui introduisait les fidèles dans l'« état » temporaire de pénitent et celle qui marquait la fin de leur épreuve connurent en effet un riche développement au cours du XIIIe siècle, du moins à suivre l'œuvre de l'évêque de Mende, Guillaume Durand 7. De fait, on a peine à croire que la description livrée par celui-ci, dans le cours de son Pontifical, de l'expulsion des pénitents par l'évêque, puis de leur réintégration, ne soit qu'un trait d'archaïsme dû au zèle de compilateur d'un auteur qui serait allé exhumer de vieux usages abandonnés pour satisfaire l'exhaustivité de sa « somme ».

Ce qui doit davantage retenir notre attention, dans la perspective qui est la nôtre, n'est autre que l'un des points par lesquels l'évêque de Mende innove totalement, à savoir, le rôle qu'il attribue au signe de la lumière. Toutes les descriptions du cérémonial de la pénitence publique antérieures à celle de Guillaume Durand sont muettes sur la présence de luminaires adaptés à la cérémonie, hormis ceux dont la place relève des obligations cultuelles courantes et des nécessités de l'éclairage des lieux de culte. Ni les témoignages livrés par l'époque carolingienne 8, ni le Pontifical romano-

6. M. Mansfield, op. cit. n. 2, dont chapitre vu, et Eudes Rigaud, Regestrum visitationum ar- chiepiscopi Rothomagensis , T. Bonnin éd., Rouen, 1852, p. 31, pour l'année 1249 ; p. 66, pour 1250 ; p. 126, pour 1251, entre autres. 7. Le pontifical romain au Moyen Âge, 3, Le pontifical de Guillaume Durand, M. Andrieu éd., Cité du Vatican, 1940, (Studi e Testi, 88), p. 552-569 [I. Et primo ordoferia quarta in capite ieiuniorum et n. Ordo in quintaferia cène domini : l'imposition de la pénitence publique par l'évêque ne fait pas l'objet d'un chapitre à part dans le pontifical ; elle est insérée parmi les cérémonies qui marquent l'entrée en carême puis la Semaine sainte]. 8. C. Vogel, Le pécheur et la pénitence dans l'Église ancienne, Paris, Le Cerf, 1966 (Traditions chrétiennes, 4), sp. p. 200-204 [rituel du sacramentaire gélasien] et Id., Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge, Paris, Le Cerf, 1969 (Traditions chrétiennes, 5), sp. p. 208-213 [d'après Réginon de Priim, Libri duo de synodalibus causis et disciplinis ecclesiasticis et le Pontifical romano-germanique] ; R. Folz, « La pénitence publique au IXe siècle d'après les canons de l'évêque Isaac de Lan grès », dans L'encadrement des fidèles au Moyen Âge et jusqu'au concile de Trente, Paris, cms, 1985, p. 331-343.

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germanique9, ni les documents romains des XIIe et XIIIe siècles 10 ne font état dans leurs ordines penitentium d'un rituel lumineux spécifique ; il est vrai que les livres liturgiques romains étaient destinés au pape dont les fonctions se distinguaient de celles d'un simple évêque. Guidé par des préoccupations qui restent à élucider, vraisemblablement sous l'influence de l'ordonnancement d'autres cérémonies cultuelles, Guillaume Durand aurait donc été le premier à introduire un usage bien particulier des luminaires dans les modalités liturgiques de la pénitence publique.

La place ménagée à la lumière dans la cérémonie ne représente que l'un des éléments de la « dramatisation » enregistrée par l'ensemble de son déroulement, sous la plume de l'évêque de Mende u. Qu'on en juge ! Le mercredi des Cendres, les pénitents devaient se présenter à l'évêque, en procession, deux par deux, un cierge allumé à la main, avant de se prosterner de tout leur long devant lui en versant des larmes, en signe de contrition. Puis l'évêque les aspergeait d'eau bénite, récitait sur eux les sept psaumes de la pénitence et les exhortait, par un sermon, à se repentir et à s'adonner aux œuvres de salut, la prière, le jeûne, l'aumône, voire le pèlerinage. Les pénitents quittaient alors l'église en gardant leurs cierges, rallumés, car ceux-ci avaient été éteints, par précaution, le temps de la prédication. Le Jeudi saint, au terme de leur exclusion, les pénitents devaient de nouveau se présenter à l'évêque : ils attendaient au début de la cérémonie aux portes de l'église, une seconde fois prostrés, munis chacun d'un cierge, éteint. Suivait alors un rituel complexe au cours duquel l'évêque leur envoyait à deux reprises un sous-diacre portant un cierge ardent auquel les pénitents allumaient les leurs ; puis ils les éteignaient. Enfin, leur était dépêché un diacre tenant un plus gros luminaire, symbole du Cierge pascal, auquel les pénitents allumaient définitivement les leurs, au chant de cette invitation : Accedite ad eum et illuminamini, et faciès vestre non confundentur . Puis, parvenus en procession devant l'évêque, leur cierge à la main, les pénitents étaient aspergés d'eau bénite tandis que l'officiant prononçait ces paroles : Exsurge qui dormis ; exsurge a mortuis et illuminabit te Christus.

Les commentateurs, à commencer par Guillaume Durand lui-même, virent dans cette longue et spectaculaire suite d'échanges les différentes étapes du repentir survenu au terme d'une conversion qui est le fruit de la démarche insistante du Christ, représenté par ses ministres, et qui doit conduire le fidèle à la réconciliation, une fois le temps de purgation accompli. Le jeu sur les luminaires ainsi introduit dans le déroulement de la

9. Le Pontifical romano- germanique du Xe siècle, C. Vogel (en collaboration avec R. Elze) éd., Cité du Vatican, 1963-1972, (Studi e Testi, 226, 227 et 269). 10. Le pontifical romain au Moyen Âge, 1, Le pontifical romain auxil' siècle et 2, Lepontifi- cal de la curie romaine au XIIIe siècle, M. Andrieu éd., Cité duVatican, 1938-1940, (Studi e Testi, 86 et 87). 11. A. Nocent, « L'expression dramatique dans la liturgie de la réconciliation », dans Dimen- sioni dramatiche délia liturgia medioevale, Rome, 1977, p. 139-160 ; la description qui suit est directement issue du Pontifical de Guillaume Durand [op. cit. n. 7].

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RITES ET PRATIQUES DE LA PÉNITENCE PUBLIQUE 355

pénitence publique met l'accent sur l'expression du renouvellement du baptême, un parallèle explicitement établi par l'exposé de la cérémonie que donne le Rational des divins^ offices 12. Il traduit également la réintroduction à la pleine communion de l'Église, symbolisée par le plus gros cierge auquel les pénitents allumaient définitivement le leur et qui, dans le contexte liturgique précis de la Semaine sainte, ne pouvait manquer d'évoquer pour eux le Cierge pascal. Précisons que les pénitents publics, sans être victimes d'une sentence d'excommunication, étaient écartés de la communion eucharistique le temps que durait leur peine 13.

Une telle utilisation du signe de la lumière, allumée ou éteinte, est loin d'être unique dans les usages chrétiens de la fin du Moyen Âge. Vient immédiatement à l'esprit la référence à la proclamation des sentences d'excommunication, qui s'accompagne, dans les circonstances les plus solennelles, de l'extinction de cierges, foulés au pied, dont la cire ne pouvait être réemployée car elle était considérée comme du « sel affadi*» 14. Inversement, les processions, cierges allumés en mains, qui marquaient de longue date la consécration des vierges, puis, à partir du xni« siècle, l'ordination des clercs, glorifiaient ceux qui allaient, par leur engagement dans une vie consacrée, développer leurs vœux de baptisés 15. Le luminaire individuel tenu par chaque pénitent serait donc le signe de cet éclat divin présent en toute créature et que cette dernière a pour mission d'entretenir, telles les sages jeunes filles de la parabole qui surent garnir d'huile leurs lampes pour en conserver la flamme 16. Son allumage au Cierge pascal marque sans doute possible d'où provient le salut. La flamme s'avère ainsi signe de Dieu et du Christ, signe de la vie divine que doit cultiver chaque fidèle et signe de la communion qui unit celui-ci à l'Église dans la poursuite du salut, comme invitent aussi à le penser les commentaires donnés au cierge de la procession de la Chandeleur. La place du luminaire dans les cérémonies de pénitence publique ne fait donc que développer un langage largement tenu en d'autres temps par le culte chrétien.

On conviendra qu'il n'est guère possible de savoir dans quelle mesure le cérémonial de la pénitence publique fut couramment appliqué par les

12. Guillelmi Duranti Rationale divinorum officiorum, A. Davril , T.M. Thibodeau éd., Turn- hout, Brepols, 1998 (Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis, 140A), VI, LXxni, De penitentium introductione in ecclesia, p. 345-349 [sur le baptême, sp. n° 1]. 13. C. Vogel, Le pêcheur et la pénitence dans l'Église ancienne, op. cit. n. 8, p. 37. 14. Ibid., n° 2, p. 346 et Le Pontifical de Guillaume Durand..., M. Andrieu éd., op. cit. n. 7, p. 614 [Ordo excommunicendi et absolvendi] ; la référence au « sel affadi » provient de Mt 5, 13. 15. C. Vincent, Un monde enluminé..., op. cit. n. 5, et Id., « Le cierge de la consécration des femmes : sens et fortune d'un signe au Moyen Âge », à paraître dans P. Henriet, A.-M. Legras dir., Au cloître et dans le monde : femmes, hommes et sociétés (DC -XVe siècle). Mélanges en l'honneur de Poulette L'Hermitte-Leclercq, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2000, p. 357-365. 16. Mt 25, 1-13 [parabole des dix vierges].

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évêques dans toute l'ampleur que lui donna celui de Mende. Que le coutumier de la cathédrale de cette dernière cité fasse mention des cierges des pénitents - lesquels devaient être rendus au sacristain au terme de la cérémonie du mercredi des Cendres, dans l'attente de celle du Jeudi saint, sans doute - n'est pas pour surprendre 17. Une allusion à des cierges tenus par les pénitents figure dans un ordo penitentium ajouté au pontifical romain au cours du XIVe siècle, durant le séjour de la curie en Avignon 18. Pour leur part, les pontificaux du nord du royaume de France, étudiés par Mary Mansfield, ne mentionnent pas la présence de cierges avant la fin du XIIIe siècle. Quant à ceux qui ont été conservés pour le Val d'Aoste, ils ignorent purement et simplement ces innovations 19. L'enquête resterait à mener de manière plus systématique pour les siècles qui suivent le XIIIe, sans négliger les sources de la pratique qui ont encore beaucoup à livrer en la matière.

Il n'en demeure pas moins qu'en développant de la sorte le cérémonial de la pénitence publique, l'évêque de Mende livre à l'observateur un témoignage de premier ordre, celui d'un pasteur spécialement bien informé, à la fois praticien de la liturgie et savant connaisseur de la multiplicité des rites en vigueur. Son choix mérite donc de retenir toute l'attention, quel que soit l'écho qu'il reçut. Il contribue par comparaison à « éclairer », semble-t-il, le sens accordé à ces torches, cierges et autres lampes qui figuraient parmi les offrandes associées aux sanctions publiques imposées par les tribunaux d'Église, puis par les tribunaux civils dans le cadre des amendes honorables.

*

Au gré des sources les plus diverses et suivant une longue chronologie, les conflits abondent dont la résolution fut marquée par la condamnation du coupable à une forme publique de pénitence. Pour ce faire, les juges eurent recours à plusieurs types de mises en scène qui usèrent d'éléments variés : procession pieds nus, en chemise sans ceinture, tête nue ; port d'une corde au cou ou d'une coiffure infamante ; agenouillement devant la victime pour solliciter son pardon. Seuls nous retiendrons les jugements dans lesquels la sanction comporta une offrande en luminaire. Or, ils sont loin d'être quantité négligeable. Quelques exemples en convaincront, situés entre le XIIIe et le

17. M.-T. Gousset, « Le coutumier de la sacristie de la cathédrale de Mende et les arts liturgiques », dans Guillaume Durand, évêque de Mende (v. 1230-1296), P.M. Gy éd., Paris, CNRS, 1992, p. 223 pour le mercredi des Cendres et p. 227-228, pour le Jeudi saint. 18. Le pontifical de la curie romaine au Xlll' siècle, M. Andrieu éd., op. cit. n. 10, Appendix m, Ordo penitentium, p. 578-579 ; J. Longère, « La pénitence selon le Repertorium, les Instructions et les Constitutions, et le Pontifical de Guillaume Durand », dans Guillaume Durand, évêque de Mende... , op. cit. n. 17, p. 130. 19. Pontificale augustanum, R. Amiet éd., Aoste, Archives historiques régionales, 1975 (Monumenta liturgica ecclesiae augustanae, 3) ; Le Pontifical d'Émeric de Quart, R. Amiet éd., Aoste, Archives historiques régionales, 1992 (Monumenta liturgica ecclesiae augustanae, 14).

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XVe siècle et répartis dans un vaste espace qui embrasse la moitié nord de l'Occident. Mais leur collecte n'a pas suivi, avouons-le, une démarche systématique qui aurait valu vraisemblablement une moisson beaucoup plus ample.

Avant que la justice civile n'introduise des offrandes en luminaire dans ses usages à l'occasion de certaines amendes honorables, elle fut devancée en la matière par les justices d'Église dont proviennent les témoignages les plus anciens sur ce point. Le tort commis envers le pouvoir ecclésiastique est en ce cas envisagé comme un péché contre Dieu et l'Église : la peine infligée comporte en conséquence des modalités de réparation d'ordre à la fois matériel et spirituel. L'émergence des pouvoirs urbains dans des villes dominées par leur évêque donna lieu à des affrontements qui furent parfois réglés de la sorte. Parmi plusieurs exemples, on citera le conflit que connut la ville de Toul en 1258 et au cours duquel les biens de l'évêque et du chapitre avaient été largement endommagés par les bourgeois 20. Ces derniers furent alors condamnés à restituer ce qu'ils avaient pris et à reconstruire les édifices démolis ; quelques-uns furent envoyés en pèlerinage et le maître-échevin fut contraint d'offrir chaque année solennellement, au nom de toute la cité, cinq cierges, en la fête de saint Etienne, patron de la cathédrale.

Le différend pouvait s'être élevé entre le pouvoir ecclésiastique et d'autres seigneurs, notamment des aristocrates. Ainsi, à Douai, au XVe siècle, des cressonnières établies à l'initiative des représentants du pouvoir comtal étaient venues empiéter sur les terres des seigneurs de l'église collégiale Saint-Amé ; en compensation, chaque année, un commis devait aller porter à la dite église, « le chief nud et sans chainture », un « chiron de cyre » de deux livres avec un peu de cresson pendant 21. Au début du XIVe siècle, un affrontement plus violent s'éleva entre la comtesse Loretta de Spanheim et l'archevêque de Trêves, lequel aurait été fort malmené par les complices de la dame. En 1330, le pape, devant qui les coupables étaient allés présenter leur supplique, autorisa l'évêque de Liège à absoudre tout ce monde sous réserve que soit accomplie une pénitence dont voici la description. La

20. J.-M. Moeglin, op. cit. n. 2, p. 248 ; voir aussi Histoire de la Lorraine, M. Parisse dir., Toulouse, Privât, 1978 [dont p. 167 sur le contexte au milieu du xme siècle]. 21. Cité par É. Lecuppre-Desjardin, « Les lumières de la ville : recherche sur l'utilisation de la lumière dans les cérémonies bourguignonnes (XIVe-XVe siècles) », RH, 31/1 (1999), p. 31. Cette condamnation est connue par un document de 1485 qui fait état d'un conflit survenu à la suite du retard apporté, cette année-là, à son exécution ; en conséquence, les représentants du pouvoir comtal durent ajouter à l'offrande réglementaire celle d'un autre cierge qui dut rester allumé en l'église Saint-Amé jusqu'à combustion complète [F. Brassart, « Document inédit sur la cérémonie de la Candouille en l'église Saint-Amé de Douai », Souvenirs de la Flandre wallonne, 12 (1892), p. 126-130]. La collégiale Saint-Amé, la plus ancienne de la ville, était installée au cœur du Castel du comte, sur un îlot situé entre deux bras de la Scarpe ; elle jouissait d'un grand prestige ; son chapitre possédait la pleine justice sur ses propres vassaux et tous ses biens [Histoire de Douai, M. Rouche dir., s.l., Westhoeck Éditions, 1985, sp. p. 61- 62].

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comtesse et ses complices furent astreints à se présenter pieds nus, en chemise sans ceinture, tête nue, aux portes de la ville et, de là, à se rendre jusqu'à l'église cathédrale pour y offrir chacun un cierge pesant quatre livres, cierge qu'ils devaient tenir allumé en mains durant cette procession expiatoire. La comtesse fut autorisée pour sa part à se munir d'un cierge plus léger, à condition de faire porter celui de quatre livres par un autre seigneur ; en outre, elle dut compléter son offrande de quatre lampes d'argent d'un poids de douze marcs, placées devant l'autel majeur de la cathédrale et entretenues à ses frais, à perpétuité22. D'autres types de conflits furent résolus par des peines comparables, notamment lorsqu'il avait été porté atteinte à l'honneur des ecclésiastiques. Un certain Guillaume, fils de Simon, qui avait insulté le prieur de Daventry, dans le Northamptonshire, fut condamné en 1239 à entretenir une lampe constamment allumée devant le grand autel de l'église du prieuré 23. Enfin, les clercs eurent recours à des compensations libellées en luminaire jusque dans le cas de conflits internes. L'on voit, en effet, en Angleterre, plusieurs querelles survenues à propos de dîmes avoir été réglées par des dédommagements en luminaire. L'une d'elles s'éleva en 1240 entre.le prieuré de Saint-George à Cantorbéry et le recteur de la paroisse de Lenham, dans le Kent : elle fut conclue par un jugement qui imposa au premier d'offrir chaque année au second, pour la fête de la Nativité de la Vierge Marie (le 8 septembre), un cierge du poids de deux livres 24.

Des sources plus tardives que celles qui viennent d'être citées, issues de l'activité des officialités au cours du XVe siècle, font également état de l'application de pénitences publiques assorties d'une offrande en luminaire. Parmi les sentences prononcées par l'officialité de Cambrai de 1438 à 1453, récemment publiées, on relève quelques rares sanctions de ce type : elles ne sont que cinq sur un total de 1455 cas. Quatre d'entre elles font obligation à des coupables retenus en prison, une fois libérés, de se rendre devant l'official ou devant leur curé, en tenue de pénitent, un cierge à la main, pour être réconciliés 25. Dans un autre cas, il s'agit d'une femme accusée de bigamie qui dut accomplir en expiation divers jeûnes et trois processions, nu-pieds, la tête découverte et tenant un cierge ardent à la main, en direction de la chapelle de l'officialité et de deux églises paroissiales, sans doute celle de son ancien domicile et celle de sa résidence ultérieure : la pénitence accomplie à la chapelle de l'officialité dut même se voir réitérée, le jour de la

22. J.-M. Moeglin, op. cit. n. 2, p. 248-250 ; également cité dans H.R. d'Allemagne, Histoire du luminaire depuis l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, Paris, Picard, 1891, p. 153. 23. D. Postles, « Lamps, lights and layfolk : « popular devotion » before Black Death », Journal of Medieval History, 55/ 2 (1999), p. 102. 24. Ibid. 25. Registres de sentences de l'Officialité de Cambrai (1438-1453), C. Vleeschouwers, M. Van Melkebeek éd., Bruxelles, Ministère de la Justice, 1998 (Recueil de l'ancienne jurisprudence de la Belgique, 7e s.) ; voir, par exemple, t. 1, n° 576 et 577 [qui traitent d'une même cause] ; t. 2, n° 951, 1175 et 1354.

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fête de Marie Madeleine, le 22 juillet, un véritable modèle de conversion proposée à la coupable 26 ! De même, certains registres des amendes de l'officialité de Rouen, conservés pour le milieu du XVe siècle, font-ils mention de peines où l'offrande d'une ou deux livres de cire remplace un versement en argent, voire s'y ajoute. Curieusement, de telles sanctions n'apparaissent que pour quelques rares années, notamment en 1450-1451, et de manière beaucoup plus sporadique durant celles qui précèdent et suivent, sans doute au gré de la volonté de l'un des juges 27. Le cierge était alors offert le plus souvent à l'autel de l'église paroissiale ; il pouvait aussi l'être à un sanctuaire visité à l'occasion d'un pèlerinage pénitentiel 28.

Mais des sanctions publiques analogues furent vraisemblablement infligées bien avant le XVe siècle, si l'on en juge par une disposition des statuts synodaux du diocèse de Tréguier, datant de l'année 1334 ou 1338, qui précise quelle doit être la peine à accomplir en cas de travail un jour férié 29. Celle-ci pouvait être, selon les moyens du coupable, soit le versement d'une amende de quinze sous destinée au luminaire de l'église paroissiale, soit l'accomplissement cinq dimanches successifs d'une procession pénitentielle, avec l'outil de la faute suspendu autour du cou ; en l'occurrence, le luminaire apparaît sans conteste comme une peine de substitution.

Inutile de souligner combien ces divers rites démarquent les usages de la discipline pénitentielle publique de l'Église. Même si la cérémonie de pénitence se trouvait alors dissociée du temps du carême, au cours duquel chaque année la liturgie appelle les fidèles à la conversion, elle conservait

26. Ibid., t. l,n°280. 27. A.É. Fisset, Aspects de la vie quotidienne, des mœurs et des mentalités dans le diocèse de Rouen au milieu du XVe siècle, mémoire de maîtrise, Université de Rouen, 1980, dont le travail se fonde sur l'étude de deux registres des amendes de l'officialité de Rouen pour les années 1450-1451 et 1455-1456 [AD, Seine-Maritime, G 258 et 262]. Un survol de plusieurs registres précédents et suivants [AD, Seine-Maritime, G 250 à G 270] a montré que les peines en cierges ou en cire y étaient beaucoup plus rares, sans que l'on puisse déterminer pour quelles raisons précises. 28. AD, Seine-Maritime, G 256, fol. 6v-7 (1439-1440) : des coupables de coups et blessures sur la personne d'un clerc durent se rendre à Sainte-Catherine et y offrir un cierge du poids d'une demi-livre de cire. Fondée au XF siècle sur la côte du même nom, près de Rouen, sous le titre de la Trinité, cette abbaye bénédictine fut rapidement transférée à Saint-Julien-aux- Bruyères, à Quevilly, et fut placée sous le patronage de sainte Catherine dont elle possédait des reliques [Dom L.-H. Cottineau, Répertoire topo-bibliographique des abbayes et des prieurés, Mâcon, Protat, 1939-1970, t. 2, c. 2544-2545]. 29. Item precipimus omnibus capellanis quod festa béate Marie, omnium apostolorum et alia festa que in suis ecclesiis consueverunt celebrari, faciant ab omnibus celebrari, et si aliquem in aliquo predictorumfestorum, vel die sabbati post vesperas viderunt vel sciverint relatufide dignorum opera ruralia facere : si divites sunt, solvant quinque solidos ad luminare sue ec- clesie ; si pauper, quinque dies dominicos sequatur processionem in camisia et femoralibus, habens super collum instrumentum cum quo operabatur. Si vero ille qui invent us fuerit ope- rans predicta noluerit facere, tandem denuntietur excommunicatus, donec a nobis fecerit se absolvi [canon 81 des statuts de l'évêque Alain Héloury pour le diocèse de Tréguier (1334 ou 1338), cité par Dom E. Martène, Thesaurus novus anecdotorum, Paris, 1717, t. 4, c. 1109]. Cette indication m'a été aimablement communiquée par le père Joseph Avril que je remercie.

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bien des points communs avec les pratiques de l'exclusion puis de la réintégration des pénitents décrits par les pontificaux, jusque dans la place ménagée à la lumière, à partir du XIIIe siècle.

Mais le recours à ces formes de sanctions très spécifiques s'observe hors du contexte des justices d'Église. En effet, la similitude entre les pénitences qui viennent d'être décrites et Vamende honorable prescrite par les justices laïques, à la fin du Moyen Âge et au-delà, est manifeste. Largement représentée parmi l'arsenal des peines à caractère public auquel les juges eurent recours, l'amende honorable demeure pourtant mal connue en ses origines 30. Le terme même se répand à partir du XIVe siècle. Alain Saint- Denis en use pour décrire les « cérémonies humiliantes » auxquelles l'autorité épiscopale a soumis les vidâmes de Laon, à plusieurs reprises, au cours du XIIIe siècle alors que ces agents s'étaient montrés indisciplinés, supportant mal une évolution qui plaçait leur charge en situation subalterne. Les rites laonnois semblent avoir été en tout point conformes à ceux de l'amende honorable tels qu'ils sont connus pour la fin du Moyen Âge. Les condamnés ont été tenus accomplir leur parcours pieds nus, en chemise, un cierge à la main et, en son terme, ont dû s'agenouiller devant le chapitre en implorant son pardon ; on ne sait, en revanche, s'ils ont été astreints à l'offrande d'un luminaire 31.

En tout état du cause, le déroulement de l'amende honorable semble précisément fixé à la fin du XIVe siècle, et ce quel que soit le tribunal qui l'impose, souligne Bernard Guenée 32. La sanction entre dans les usages du parlement de Paris ainsi que, plus discrètement, dans ceux des justices urbaines et des justices royales locales ; enfin, les lettres de rémission octroyées par le roi peuvent également la mentionner 33. Le cérémonial, que l'on rappellera brièvement, s'avère de toute évidence calqué sur celui de la pénitence publique. L'offenseur doit « crier merci » à l'offensé dans un

30. J.-M. Moeglin, op. cit. n. 2, p. 229, sp. n. 10. 31. A. Saint-Denis, Apogée d'une cité : Laon et le Laonnois aux xne et XIIIe siècles, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1994, p. 473, dont n. 4, et p. 546 [pour les vidâmes] ; p. 620- 603 [pour les processions expiatoires imposées aux bourgeois]. 32. B. Guenée, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Senlis à la fin du Moyen Âge (v. 1330-v. 1550), Strasbourg, 1963, p. 276-280. 33. Aux exemples qui figurent dans l'ouvrage de Bernard Guenée cité ci-dessus, ajouter ceux qui sont évoqués dans : C. Gauvard, « De grace especial »..., op. cit. n. 3, t. 2, p. 745-749 [amendes honorables imposées par le parlement de Paris] et N. Gonthier, Délinquance, justice et société ..., op. cit. n. 3, p. 244 [amende honorable prescrite par la cour royale de Roanne] ; C. Gut, « Les pays de l'Oise sous la domination anglaise (1425-1435) d'après les registres de la Chancellerie de France) », dans La guerre, la violence et les gens au Moyen Âge, 2, Guerre et Gens, P. Contamine, O. Guyotjeannin dir., Paris, CTHS., 1996, p. 141-314 [voir sp. le tableau p. 257-258]. Sur l'usage des amendes honorables par les justices urbaines, voir C. Gauvard, « Théorie, rédaction et usage du droit dans les villes du royaume de France du XIIIe au XVe siècle : esquisse d'un bilan », dans Stadt und Recht im Mittelalter ; La ville et le droit au Moyen Âge, Vandenhoeck & Ruprecht (coll. Veroffentlichungen des Max-Planck-Instituts fur Geschichte), à paraître.

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château, une église, voire sur les lieux où l'offense était survenue, à une heure de grande fréquentation ; il doit s'y présenter en tenue de pénitent, tête nue, vêtu d'une chemise sans ceinture et, parfois, doit mettre un genou en terre devant la victime ou ses représentants. L'événement peut se voir immortalisé par une représentation, dont l'une garde souvenir de l'amende honorable accomplie par trois sergents à verge du Châtelet, en 1440, à la suite d'une sentence du prévôt de Paris, pour réparer une agression commise à rencontre de deux religieux du couvent des ermites de Saint-Augustin, agression qui avait été fatale à l'un des deux frères 34. Très fréquemment - mais la rigueur impose de relever que ce n'est pas systématiquement le cas -, les témoignages font état d'une offrande en luminaire dont seul le poids varie : une livre, pour les plus modestes tribunaux, deux, trois, jusqu'à quatre livres, pour une amende honorable imposée en 141 1 par le parlement de Paris 35. On notera que, dans tous les cas, le cierge offert, tenu par l'offenseur, doit être allumé : c'est bien ainsi que les torches sont figurées sur le bas-relief qui commémore l'amende honorable des sergents parisiens évoquée à l'instant.

Au terme de cet inventaire, on constate que certaines formes publiques de pénitence imposées par les divers tribunaux aux derniers siècles du Moyen Âge introduisirent dans leur rituel un signe de lumière. Si le fait n'est pas passé inaperçu, il a rarement donné lieu à de plus amples commentaires que la simple mention de cette « peine symbolique ». On aimerait tenter de pousser un peu plus avant l'analyse d'un tel symbole en suggérant quelques remarques fondées sur la comparaison entre ces usages de justice et l'évolution enregistrée à la même époque par les rituels de l'expulsion et de la réintégration des pénitents publics en période de carême.

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Pour mesurer pleinement le sens attaché à la présence d'un signe de lumière dans le déroulement des diverses formes publiques de pénitence, il conviendrait de pouvoir mieux cerner à quels types de cas ces peines furent appliquées. Mais, en la matière, le chercheur doit vite réduire ses ambitions. Les historiens du droit et de la criminalité soulignent en effet combien la justice médiévale repose largement sur l'arbitraire du juge 36. Pourtant, si le classement des délits et l'établissement d'une hiérarchie entre eux faisaient

34. Histoire culturelle de la France, 1, Le Moyen Âge, M. Sot dir., Paris, Le Seuil, 1997, p. 245. 35. C. Gauvard, « De grace especial »..., op. cit. n. 3, t. 3, p. 745-747. 36. C. Gauvard, « De grace especial »..., op. cit. n. 3, et Id., « Les sources judiciaires de la fin du Moyen Âge peuvent-elles permettre une approche statistique du crime ? », dans Commerce, Finances et Société (XIe- XVIe siècles) ; Recueil de travaux d'Histoire médiévale offert à M. le Professeur Henri Dubois, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 1993, p. 469-488, sp. p. 476.

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encore défaut, il n'est pas impossible de trouver quelques points communs entre les diverses causes qui furent conclues par une amende honorable ou une pénitence de type public. À l'examen des quelques exemples rassemblés, il apparaît que le vieux principe défini par les Carolingiens « à faute publique, pénitence publique et à faute privée, pénitence privée » n'aurait pas été oublié : Gerson le rappelle explicitement 37.

La remarque vaut pour les tribunaux d'Église, du moins dans les régions du nord de la France où la coutume d'imposer des peines publiques serait davantage demeurée en vigueur que dans les régions méridionales 38. Dans le cas des cinq jugements conservés par les registres de l'officialité de Cambrai, il s'agit de graves manquements aux règles du mariage : bigamie ou inceste. S'y ajoutent une accusation de complot de meurtre ainsi qu'une autre de superstition et pratiques de sorcellerie 39. Seule une étude plus ample de la gamme des peines utilisée par plusieurs cours de justice ecclésiastiques pourrait affiner cette première constatation. L'infanticide semble également avoir été sanctionné d'une pénitence publique, à suivre la réaction fort vive suscitée par cette pratique de la part de Jean Gerson qui en dénonça avec force la rigueur 40. Mais le trouble peut aussi s'introduire dans la communauté d'une manière qui nous paraît plus anodine, par le blasphème ou le non-respect du repos lors des dimanches et jours fériés. Le coupable n'en n'était pas moins passible de sanctions publiques, aux yeux des officiaux, pour avoir donné le mauvais exemple, sans doute, et pour avoir entaché par sa conduite les liens qui unissent le monde terrestre au monde céleste. Tels sont les types de causes pour lesquelles l'officialité de Rouen doubla la peine pécuniaire infligée aux condamnés de l'obligation d'une offrande en cire à l'autel de l'église paroissiale ou du saint blessé par la pratique des œuvres serviles 41. Les statuts synodaux de Tréguier font état d'une intention similaire 42.

37. A. Nocent, op. cit. n. 11, et R. Folz, op. cit. n. 8, p. 332. Robert Folz rappelle que les péchés qui relèvent de la pénitence publique, à l'époque carolingienne, sont les suivants : l'homicide, l'adultère, l'inceste, les enlèvements, les brigandages, les vols de biens d'Église (des sacrilèges) et, pour les comtes, la rupture du privilège d'immunité ainsi que l'autorisation de célébrer des messes dans des oratoires privés non reconnus par les évêques ; au fil de cette liste, on reconnaîtra des fautes qui firent encore l'objet de formes publiques de pénitence, à la fin du Moyen Âge. Se reporter également au texte de Jean Gerson, op. cit. n. 2. 38. M. Mansfield, op. cit. n. 2, dont p. 93-95 et p. 248 et suiv. 39. Registres de sentences de l'Offïcialité de Cambrai..., op. cit. n. 25, t. 1, n° 280 [adultère et bigamie] ; t. 1, n° 576 et 577 [affaire unique ; inceste et divination] ; t. 2, n° 951 [sortilèges, superstition, complot de meurtre] ; t. 2, n° 1175 [inceste] ; t. 2, n° 1354 [adultère et bigamie]. 40. Jean Gerson, op. cit. n. 2. La sanction qualifiée par le chancelier de enormitas et inhumas ac bestialis crudelitas aurait été appliquée à tort dans le cas de mort déjeunes enfants hâtivement et abusivement qualifiée d'infanticide. Une telle rigueur aurait pour conséquence d'éloigner les fidèles de la confession, donc du salut. 41. Dans les registres des amendes de l'officialité de Rouen conservés pour le milieu du XVe siècle [op. cit. n. 27], les trois types de fautes qui ont donné lieu à l'adjonction d'une offrande en cire en sus de l'amende pécuniaire, sont les suivants : le blasphème, le travail les d

imanches et jours fériés, l'absence à la messe dominicale [A.É. Fisset, op. cit. n. 27, p. 78]. En

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Autant que l'on puisse en juger, des principes voisins guidèrent la prescription d'une amende honorable par les justices civiles : il s'agissait, en règle générale, par-delà la singularité de chaque cas, de rétablir l'honneur détruit, sans pour autant exclure une compensation financière. Cet honneur pouvait être celui d'un individu, suivant les exemples cités par Claude Gauvard. Il pouvait être aussi celui de la cité dont la paix interne, et jusqu'à l'existence même, avait été menacée, à suivre Nicole Gonthier. Enfin, en cas de blasphème, c'est l'honneur de Dieu ou des saints qui se trouvait mis en cause ; or, toutes les amendes honorables imposées à l'occasion des rémissions concédées par Henri VI dans les pays de l'Oise, entre 1420 et 1435, le furent en ces circonstances, à une exception près qui intéresse un cas de parjure. Pour compléter cet ensemble, on citera l'exemple de Pierre Guitart, un Poitevin accusé publiquement à plusieurs reprises de sorcellerie qui, s'estimant blessé dans sa bonne renommée, a demandé à la cour de Bressuire qu'amende honorable lui soit faite, ce qu'il obtint en 1444. En conséquence, le calomniateur fut astreint trois dimanches de suite, à l'issue de la messe paroissiale, à déclarer, cierge allumé en mains, que ses accusations étaient fausses et qu'elles avaient été portées à tort 43.

Si l'on comprend aisément l'importance, pour la partie lésée, de la déclaration publique du repentir qui restaure l'honneur bafoué aux yeux de toute la communauté ou de ses représentants, on demeure davantage perplexe devant la signification attachée à la présence de ces torches allumées ou de ces offrandes précisément affectées aux luminaires des églises, de préférence à tout autre besoin cultuel. Attentives à fixer le poids de la cire due, moulée ou non en un cierge, les décisions de justice s'avèrent moins loquaces quant à l'usage qui devait en être fait. À Toul et à Douai, la cire offerte grossissait chaque année les revenus en nature des établissements

illustration, on donnera les exemples suivants : Guilleltnus Goham parrochie précédente <Saint-Wandrille> XIX septembris emendavit quia die nativitatis béate Marie Virginis publice cum quadriga sua fere centum gerbas bladi quadrigavit ; le registre porte en marge : Det unam libram cere ecclesie parrochiali sue ante altare béate Marie [AD Seine-Maritime, G 258, fol. 52. Saint-Wandrille est actuellement la commune de Saint-Wandrille-Rançon : Seine-Maritime, ar. Rouen, c. Caudebec-en-Caux]. Petrus Le Cauchoys agricultor sancti an- dree super caillyam XX octobris emendavit quia die sancti Michaelis in Monte Gargano cum equis et quadriga publice laboravit. Et fuit inhibitus adpenam XX s. ne de cetero commitat. Asseruit ipse Le Cauchoys esse indigentum quodque dicta quadriga cum equis sibi gratis illa die accommodati erant ; le registre porte en marge : Det dimidiam libram cere ante altare sancti Michaelis vel ante maius altare ; il ne semble donc pas que la peine pécuniaire ait été maintenue [AD Seine-Maritime, G 258, fol. 52v. Saint-André-sur-Cailly : Seine-Maritime, ar. Rouen, c. Clères]. Guilermus de Hotot parrochie de Monte taxi vicesima sexta mensis janua- rii anno predicto quinquagesimo primo emendavit quiapluries et publice inconsulte abnega- vit Trinitatem et beatam Mariam. Fuit inhibitus adpenam carceris ne de cetero commitat ; le registre porte en marge : XV s. et unam libram cere altari béate Marie [AD Seine-Maritime, G 259, fol. 53v. Mont-de-L'If : Seine-Maritime, ar. Rouen, c. Pavilly]. 42. Voir n. 29. 43. R. Favreau, « La sorcellerie en Poitou à la fin du Moyen Âge », Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 4e s., 18 (1985), p. 137 ; la victime demanda également un dédommagement financier de 100 livres.

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religieux où elle était alors coulée en cierges à l'usage du culte 44. Les jugements des officialités de Rouen et de Cambrai stipulent que les cierges offerts devaient être brûlés devant un autel, le plus fréquemment celui de la paroisse de résidence du coupable ou bien celui de la chapelle de l'officialité 45. Dans le cas des lampes offertes et entretenues par la comtesse de Spanheim, c'est la cathédrale de l'évêque violenté qui bénéficia du don 46 Quant au devenir des luminaires des amendes honorables prononcées par des justices laïques, il est moins clairement perceptible. Pour leur part, les actes royaux qui intéressent les pays de l'Oise font état, de manière fort suggestive pour notre propos, d'une offrande à déposer « devant l'ymage de la grant église catedral Notre Dame du dit lieu de Noyon » 47. Parfois, la destination du luminaire demeure totalement inconnue ; mais tout laisse à penser que ces torches ne manquaient pas d'« augmenter » le luminaire de quelque lieu de culte en relation avec l'affaire enjeu.

À ce signe éminemment cultuel, il faut donc rechercher un sens tout d'abord religieux. Le fait n'est pas pour surprendre à propos de sanctions qui se placèrent délibérément sur un registre moral, dans la perspective d'obtenir de la part du condamné et de sa victime la véritable conversion intérieure requise par l'instauration du pardon mutuel et le rétablissement de relations pacifiques, dénuées désormais de toute préoccupation de vengeance. On relèvera avec intérêt que certains fidèles se soumirent d'eux-mêmes à des démarches pénitentielles comparables, dans le cadre de visites rendues aux reliques d'un saint, pieds nus, en chemise de lin, et suivies de l'offrande d'un cierge, comme l'attestent quelques récits de miracles survenus auprès du tombeau de l'évêque d'Angers Jean Michel 48. Le rapprochement qui s'impose entre les sanctions en luminaire prescrites par les divers tribunaux et l'introduction de rites de lumière au cours de la cérémonie de l'expulsion puis de la réintégration des pénitents publics par l'évêque durant le carême, pourrait dévoiler quelque peu le sens du message véhiculé par ces signes de prime abord déconcertants. Dans le déroulement solennel de la liturgie

44. J.-M. Moeglin, op. cit. n. 1, p. 248. 45. Se reporter aux exemples issus des registres des amendes de l'officialité de Rouen [op. cit. n. 27]. Les jugements de l'officialité de Cambrai précisent que l'offrande des cierges est destinée au maître-autel de la paroisse qui fut le théâtre de la faute [Registres de sentences de l'Of- ficialité de Cambrai..., op. cit. n. 1, t. 1, n° 576-577 et t. 2, n° 1175] ou à la chapelle de l'officialité [ibid., t. 2, n° 951 et 1354] ; voire, dans un cas, aux deux [ibid., t. 1, n° 280]. 46. J.-M. Moeglin, op. cit. n. 2, p. 249-250. 47. C. Gut, op. cit. n. 33, p. 156, n° 24. 48. J.-M. Matz, Les miracles de l'évêque Jean Michel et le culte des saints dans le diocèse d'Angers (v. 1370-v. 1560), thèse de doctorat, Université de Paris X-Nanterre, 1993, n° 224, p. CXim-CLXrv [une femme a fait vœu de visiter le tombeau de Jean Michel, pieds nus et en chemise de lin, tout en lui offrant un cierge de sa taille et de son poids en reconnaissance de la guérison de son mal obtenue par l'intercession du saint évêque ; 2 juin 1449] ; n° 319, p. CCXxn-CCXXHI [un vœu similaire fut prononcé par une femme pour obtenir la guérison d'un enfant ; elle a promis le don d'un cierge pesant une livre et une visite en chemise de lin ; 30 octobre 1508].

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épiscopale de la pénitence, tel qu'il s'est trouvé rénové au XIIIe siècle, la lumière revêt une dimension visiblement positive. La flamme maintenue allumée, après deux temps d'extinction, vient exprimer aux yeux de tous la réintégration du fidèle au sein de la communauté dont il avait été temporairement mis à l'écart. Le pénitent se trouve de nouveau admis à la pleine communion de l'Église, en la double dimension humaine et sacramentelle de cette réalité si chère à la vie religieuse des derniers siècles du Moyen Âge. De même, dans les diverses sanctions imposées par les tribunaux ecclésiastiques, la lumière offerte par le coupable vient-elle renouer les liens que sa conduite avait contribué à détruire ou malmener. Or, ces liens sont à la fois ceux qui l'unissent à un établissement religieux ou à une communauté, et ceux qui l'unissent au saint bafoué ou, plus généralement, à Dieu. La flamme disciplinée de ce combustible de qualité qu'est la cire, loin des brasiers ravageurs des incendies ou autres bûchers, se veut le signe de la valeur bienfaisante attachée à la lumière, signe de purification, de joie partagée, de paix restaurée. Une charte anglaise du XIIIe siècle ne précise-t-elle pas de manière fort éloquente que le luminaire doit être allumé « pour le bien de paix perpétuelle » 49 ? De même, rappelons que l'offrande du cierge imposée par les officiaux de Cambrai intervient au terme de l'emprisonnement, quand le coupable va devoir reprendre pied au sein de la société dont il s'est vu retranché.

Sans perdre de vue le caractère humiliant des cérémonies publiques de pénitence, fréquemment souligné par les historiens 50, et sans oublier non plus que les peines en luminaires constituèrent des charges matérielles supplémentaires imposées aux accusés, on aimerait voir dans cet élément qui ponctuait le rituel une note plus positive, davantage tournée vers l'avenir que vers le passé. Mais n'est-ce pas le propre d'une justice efficace que de dépasser le stade de la sanction pour tenter de renouer les fils du tissu social ? Or, dans la société des derniers siècles du Moyen Âge, le luminaire constitua manifestement, à bien considérer ses usages liturgiques et dévots, un mode privilégié d'expression de liens d'ordre spirituel, notamment. À cet égard, la consigne donnée par les rémissions octroyées pour les pays de l'Oise de déposer le cierge de l'amende honorable devant la statue de la Vierge, dans la cathédrale, prend tout son relief. De manière plus surprenante, on pourrait également suggérer qu'il existe une parenté entre de tels gestes et les droits affectés aux luminaires de la cathédrale, l'église-mère, dont étaient grevées les paroisses de certains diocèses. Dans celui de Rouen, la redevance, qui portait le nom de « débite », avait été convertie en argent, au XVe siècle, quand fut rédigé un compte des paroisses astreintes51. De

49. D. Postles, op. cit. n. 23, p. 102 : pro bono perpétue pacis . 50. B. Guenée, op. cit. n. 32, p. 276-280 et J.-M. Moeglin, op. cit. n. 2. 51. Le compte de la débite du diocèse de Rouen, qui date de 1431, fut dressé par Raoul Roussel. Le futur archevêque, alors trésorier de la cathédrale, prit soin d'expliquer l'origine de cette redevance en un long préambule. Celle-ci aurait été instituée au cours du concile de Lille- bonne (1080) en compensation d'une ancienne coutume dont les curés, mandatés par leurs

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même, la charte de fondation de Cluny imposa à l'abbaye le paiement tous les cinq ans d'un cens récognitif à Rome, fixé à dix sous et affecté au luminaire de Saint-Pierre 52. En prescrivant des peines en luminaire, de préférence à d'autres sanctions publiques infamantes, comme le port d'une corde au cou ou d'une épée sur la nuque, dont Jean-Marie Moeglin a montré qu'elles constituaient un « rituel d'humiliation maximale », destiné à ceux qui avaient mérité la mort, les juges entendirent sans doute mettre l'accent sur le pardon qui suit l'exécution d'une peine et redonne à son bénéficiaire sa pleine dignité de fils de Dieu et de membre à part entière de la communauté ecclésiale et humaine dont il est issu. Le cierge allumé tenu en mains, en rappelant les processions solennelles accompagnées de luminaires qui survenaient lors des fêtes majeures, pour la consécration des vierges ou pour l'ordination de clercs, ne venait-il pas adoucir, pour le coupable, la honte de devoir se présenter en vêtements pénitentiels ? Puis, la combustion de la cire, en faisant disparaître l'objet, ne contribuait-elle pas à véhiculer un message d'oubli indispensable pour que se renouent des relations sociales durables ?

Mais gardons-nous d'envisager cette fonction remplie par la lumière du seul point de vue de l'accusé. Il convient aussi de considérer quel intérêt la partie lésée pouvait trouver à recevoir ces luminaires qui devaient être consumés dans la foulée de l'application du jugement. De tels dons ne constituaient pas à proprement parler un dédommagement matériel supplémentaire pour le bénéficiaire qui ne pouvait les employer à sa guise. Les lampes ou les cierges offerts venaient pourtant rehausser de leurs flammes le rayonnement du sanctuaire auquel ils étaient destinés et où ils devaient brûler jusqu'à combustion complète comme il fut spécifié à Douai en 1485. Or, ce rayonnement doit s'entendre, sans jouer sur les mots, aux sens matériel et métaphorique. Il semble en effet que dans la culture des derniers siècles du Moyen Âge - voire de bien plus longue date - la lumière, parce qu'elle constitue un mode privilégié d'expression de la divinité, du sacré, a partie étroitement liée avec la mise en scène de la puissance et, par voie de conséquence, avec le pouvoir 53, En forçant les coupables à

ouailles, se seraient plaints et qui obligeait tous les chefs de feux à porter chaque année à la cathédrale, pour la fête de Pentecôte, un denier de cire ad illuminandum ipse ecclesie. En 1431, il s'agit d'une somme fixe et invariable, attribuée à chaque paroisse. Publication du compte dans : A. Longnon, Pouillé de laprovince de Rouen, Paris, 1903, p. V-vi et 74-91. 52. « Que tous les cinq ans lesdits moines paient dix sous à Rome au seuil des apôtres, pour y entretenir le luminaire » ; traduction d'un court extrait de la charte de fondation de l'abbaye de Cluny (909), L'Europe au Moyen Age, 2 Fin DC siècle-fin XIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1969, p. 270. 53. La profonde relation qui unit lumière et pouvoir mériterait d'être considérée avec soin pour l'époque médiévale. L'entretien du luminaire des églises aurait été conçu dès l'époque mérovingienne comme un devoir du prince ; puis, le fait s'accentua sous les Carolingiens, comme l'a prouvé une étude récente [P. Fouracre, « Eternal light and earthly needs : practical aspects of the development of Frankish immunities », dans Property and Power in the Early Middle Ages , W. Davies, P. Fouracre dir., Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 53-81]. Les souverains des siècles postérieurs ont continué de remplir ce devoir, soutenus

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RITES ET PRATIQUES DE LA PÉNITENCE PUBLIQUE 367

contribuer, de leurs propres deniers, à l'éclat de la partie lésée ou bien à celui du juge, dans le cas de l'officialité de Cambrai, la justice ne contribue pas uniquement à restaurer le lien entre les ennemis d'un temps ; elle réhabilite l'honneur bafoué et conforte l'institution qui s'entremet.

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En dépit des différences qui séparent la pénitence publique de la confession auriculaire individuelle, sans doute serait-il prudent de ne pas trop les opposer. Les deux usages furent guidés par une commune préoccupation de travailler à l'amendement de celui qui se trouvait soumis à cette rude discipline parce qu'il avait enfreint la loi. Dans une telle perspective, l'accomplissement de la peine semble avoir été conçu non seulement comme un temps d'expiation de la faute commise mais aussi comme une voie de purification laquelle débouche, en son terme, sur la réintégration au sein de la communauté de celui qui en avait été momentanément retranché, puis sur l'oubli du casus belli. La lumière irradiée par le cierge offert en la circonstance, lorsque tel est le cas, manifesterait publiquement la conversion intérieure à laquelle le coupable est supposé s'être livré. Cette petite flamme viendrait donc atténuer la dimension d'humiliation qu'exprime la sanction publique, en référence à la valeur éminemment positive attachée à ce signe, dans l'ensemble de la liturgie chrétienne. Faut-il aller jusqu'à suggérer qu'il y aurait là une forme de restauration de l'honneur du coupable ? Pour ce qui est de la partie lésée, en revanche, le fait est avéré sans conteste, dans la mesure où, pour la culture de la fin du Moyen Âge, l'éclat représente une marque largement reçue de la divinité et donc de la puissance.

On soulignera, enfin, combien de telles modalités de résolution des conflits s'efforcèrent de prendre en compte toutes les dimensions dans lesquelles se pensait cette société. Par cette contribution à la paix, il s'agissait bel et bien de renouer les relations mises à mal entre Ciel et terre ainsi qu'entre membres d'une même communauté humaine, non sans réaffirmer à l'occasion la structure rigoureusement hiérarchique des dernières. La lumière offerte et de nouveau partagée aurait donc été pour chaque partie le signe de la paix retrouvée avec Dieu et ses saints, avec les autres et, qui le saura jamais ?, avec soi-même...

en cela par nombre de fidèles [C. Vincent, Un monde enluminé..., op. cit. n. 5, sp. chap. vn]. Mais, à la fin du Moyen Âge, le prince ne se serait plus contenté de contribuer à l'éclat des sanctuaires de son royaume ; il aurait été tenté d'affecter à sa propre personne le « rayonnement » jusqu'alors réservé au Ciel ou à ses représentants sur terre, en ménageant autour de lui une profusion de lumière ; la monarchie française n'a sans doute pas franchi le pas avant l'époque moderne, alors que les ducs de Bourgogne, pour leur part, n'ont pas hésité à le faire dès le XVe siècle [É. Lecuppre-Desjardin, op. cit. n. 21, dans l'attente des résultats de la thèse que l'auteur prépare sur le cérémonial de la cour ducale dans les villes des anciens Pays-Bas bourguignons].