artículo la pensee du rien en heidegger

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- 106- la possibilité d'un te1 dialogue. Mais pouvons-nous réellement prétendre nous dépayser jusqu' au « tout autre» sans etre préalab1ement devenus cap ab les de nous dépayser jusqu'a nous-memes, c'est-a-dire jusqu'a l' origine greeque de la philosophie ? Si Heidegger s' abstient de parler de « philosophie ehinoise» ou de « philosophie hindoue», ce n' est nullement par dédain. C' est uniquement par fidélité a la singu1arité de la 1imitation originelle qui eomme « finitude de l' etre» earaetérise originellement ce qu'il nous est permis de nommer Phl1osophie. a trop d' égard pour le « tout autre» pour prétendre résou- dre, sur la base de l'unité eneore énigmatique de la philosophie oeci- denta1e, le prob1eme infiniment plus énigmatique de l'unité du genre humain. Et si enfin la tache premie re de la pensée authentique nous est avant tout de ehereher a entrer en dialogue avee ces initiateurs essentie1s de la philosophie que furent, e' est-a-dire ne cessent d' etre, les Grees, un te1 dialogue étant toujours, lisons-nous dans Vortriige und Aufsiitze, « en attente de son propre début», cela ne signifie nullement, eomme le répetent tant de « 1eeteurs» de Heidegger, que la pensée authentique propose la reprise et la restauration parmi nous d'une authenticité antérieure qui aurait été eelle des Grees, mais que, depuis les Grees, nous aurions « oubliée ». Une telle affirmation est la déformation la plus radieale de toute l' reuvre qu' elle prétend résumer. L' « oubli de l' etre» est en effet, Heidegger ne eesse de le dire et de le redire, d'institution essentiellement greeque, et ne fait qu'un avee l' origine meme, e' est-a-dire greeque, de la phi1o- sophie. Mais, dit aussi l' auteur de Sein und Zeit - Etre et Temps - l' « assuranee somnambulique)} ave e 1aquelle le leeteur moderne, e' est-a-dire métaphysicien, passe a coté de ce qui lui est donné a lire n' est peut-etre pas un simple aecident. Peut-etre au eontraire nous renvoie-t-elle au seeret meme du rapport en direetion duquel fait signe le titre du livre : Etre et Temps. 5 LA PENSEE DU RIEN DANS L'OEUVRE DE HEIDEGGER (1964) Le leeteur qui se pose eette question, si toutefois il se la pose et ne se contente pas de réeuser eomme « nihilisme» une prétendue « philosophie de Heidegger» - selon 1aquelle un prétendu « existant brut », jailli d' on ne sait que1 néant a la mesure de l' etre, s'jmposerait a 1'homme prétendument abandonné et livré a l'angoisse - ne peut guere ne pas penser d' abord a la inaugurale prononeée a Fribourg en 1929 et dont le titre était : Qu'est-ce que la métaphysique ? La pattie de la se termine en effet par la question et la deuxieme par la reprise de la question : « Qu' en est-il done gu rien ? )} Une maniere expédiente d' éluder l' importunité que l' etre soit, disait Va1éry, « en équilibre réversib1e avee le rien» et que la philo- sophie du début du siec1e avait mise a la mode consiste a lui donner pour origine la négation, entendue a son tour eomme un libre pouvoir de la pensée. Dans les pages si allegrement superfieielles au eours desquelles Bergson entreprend la critique, ou p1utot procede a motage de 1'idée meme de néant devenue a ses yeux « idée-fantome », e' est en effet la négation qui apparait eomme 1'ultime ressouree d'un néant déja déconfit. Dans le meme texte, l' auteur déc1are d' ail- 1eurs en toute sérénité : « Les philosophes ne se sont guere oeeupés de 1'idée de néant.» Peut-etre est-ee bien plutot la philosophie de Bergson qui ne s' est jamais beaueoup oeeupée des philosophes. Heidegger, si passionnément et si patiemment attentif a 1eur paro1e,

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Revisa las distintas acepciones de la "nada" en el pensamiento de Heidegger

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Page 1: Artículo La Pensee Du Rien en Heidegger

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la possibilité d'un te1 dialogue. Mais pouvons-nous réellement prétendre nous dépayser jusqu' au « tout autre» sans etre préalab1ement devenus cap ab les de nous dépayser jusqu'a nous-memes, c'est-a-dire jusqu'a l' origine greeque de la philosophie ? Si Heidegger s' abstient de parler de « philosophie ehinoise» ou de « philosophie hindoue», ce n' est nullement par dédain. C' est uniquement par fidélité a la singu1arité de la 1imitation originelle qui eomme « finitude de l' etre» earaetérise originellement ce qu'il nous est permis de nommer Phl1osophie. H~idegger a trop d' égard pour le « tout autre» pour prétendre résou­dre, sur la base de l'unité eneore énigmatique de la philosophie oeci­denta1e, le prob1eme infiniment plus énigmatique de l'unité du genre humain.

Et si enfin la tache premie re de la pensée authentique nous est avant tout de ehereher a entrer en dialogue avee ces initiateurs essentie1s de la philosophie que furent, e' est-a-dire ne cessent d' etre, les Grees, un te1 dialogue étant toujours, lisons-nous dans Vortriige und Aufsiitze, « en attente de son propre début», cela ne signifie nullement, eomme le répetent tant de « 1eeteurs» de Heidegger, que la pensée authentique s~ propose la reprise et la restauration parmi nous d'une authenticité antérieure qui aurait été eelle des Grees, mais que, depuis les Grees, nous aurions « oubliée ». Une telle affirmation est la déformation la plus radieale de toute l' reuvre qu' elle prétend résumer. L' « oubli de l' etre» est en effet, Heidegger ne eesse de le dire et de le redire, d'institution essentiellement greeque, et ne fait qu'un avee l' origine meme, e' est-a-dire greeque, de la phi1o­sophie. Mais, dit aussi l' auteur de Sein und Zeit - Etre et Temps -l' « assuranee somnambulique)} ave e 1aquelle le leeteur moderne, e' est-a-dire métaphysicien, passe a coté de ce qui lui est donné a lire n' est peut-etre pas un simple aecident. Peut-etre au eontraire nous renvoie-t-elle au seeret meme du rapport en direetion duquel fait signe le titre du livre : Etre et Temps.

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LA PENSEE DU RIEN

DANS L'OEUVRE DE HEIDEGGER

(1964)

Le leeteur qui se pose eette question, si toutefois il se la pose et ne se contente pas de réeuser eomme « nihilisme» une prétendue « philosophie de Heidegger» - selon 1aquelle un prétendu « existant brut », jailli d' on ne sait que1 néant a la mesure de l' etre, s'jmposerait a 1'homme prétendument abandonné et livré a l'angoisse - ne peut guere ne pas penser d' abord a la le~on inaugurale prononeée a Fribourg en 1929 et dont le titre était : Qu'est-ce que la métaphysique ? La premit~re pattie de la 1e~on se termine en effet par la question et la deuxieme par la reprise de la question : « Qu' en est-il done gu rien ? )}

Une maniere expédiente d' éluder l' importunité que l' etre soit, disait Va1éry, « en équilibre réversib1e avee le rien» et que la philo­sophie du début du siec1e avait mise a la mode consiste a lui donner pour origine la négation, entendue a son tour eomme un libre pouvoir de la pensée. Dans les pages si allegrement superfieielles au eours desquelles Bergson entreprend la critique, ou p1utot procede a l'e~ea­motage de 1'idée meme de néant devenue a ses yeux « idée-fantome », e' est en effet la négation qui apparait eomme 1'ultime ressouree d'un néant déja déconfit. Dans le meme texte, l' auteur déc1are d' ail-1eurs en toute sérénité : « Les philosophes ne se sont guere oeeupés de 1'idée de néant.» Peut-etre est-ee bien plutot la philosophie de Bergson qui ne s' est jamais beaueoup oeeupée des philosophes. Heidegger, si passionnément et si patiemment attentif a 1eur paro1e,

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hors de quoi, pense-t-il, e' est le verbiage qui l' emporte, éerit au contraire : « Depuis l' origine de la question de l' étant, la question du non-étant, du rien, va de pair avee elle. Et eeci non pas seulement d'une maniere extérieure et a titre d' aeeompagnement ; il faut dire bien plutót que la question du rien prend figure, a ehaqueépoque de la philosophie, selon l' ampleur, la profondeur et l' authenticité de la question de l' étant et réciproquement. La question du rien a la valeur d'un indieateur de niveau et d'un eritere pour la question de 1'etre (1). »

Dans la philosophie des philosophes, le rien ne prend nullement naissanee de la négation eomme aete libre de la pensée. C' est bien plutót la distribution par l'homme du non eomm~ aussi bien du oui qui releve d'une eorrélation plus essentielle de 1'etre' et du non­etre, et ce au détriment de l'homme dont le oui et le non sont sujets a erreur. L' erreur est, aux yeux de Platon, un document de choix pour la présenee du non-etre a l' etre au plus intime de leur « entre­lacement» réciproque. Non moins pour Descartes lui-meme. Je ne peux, dit Descartes, m' expliquer que je sois exposé a l' erreur que « si je me considere comme participant en quelque fa~oil du rien, ou du non-etre». L' erreur n' est peut-etre pas pourtant le plus haut document du rapport de 1'homme au non-etre. Dans le Po eme de Parménide, ou l' erreur n' apparait d' ailleurs pas encore comme theme de pensée, vu que ce qui est donné a penser, e' est une errance plus radi­cale que toute erreur, eette erranee n' a rien a voir avee le non-etre qui serait au eontraire la mise en suspens de la possibilité meme d' er­rer. Plus originel que l' erranee est le « sans issue» du non-etre dont la pensée ne peut que « s' éearter », bien que ce soit peut-etre lui, le non-etre, qui vibre dans le redoutable seeret de « l' enfantement par le Styx» dont tout homme prend naissance et qui le met au monde a en mourir, porteur de ce destin lui-meme thanatophore que l' esprit gree avait éprouvé comme le dernier fond de l'humanité de 1'homme.

Dans le livre qui rendit Heidegger célebre, ear, dit 1'un de ses éIeves, « 'ce fut comme la déflagration d'un éclair au beau milieu de la production philosophique allemande de l' époque », c' est de meme comme gardien de son plus extreme « pas eneore» ou, lisons­nous aussi, de « l' impossibilité de son propre possible» qu' apparait celui dont la « possibilité» est l' ouverture de l' étant a la mesure d'un monde. Cette intime « correspondanee a la mort», ce Sein zum Tode, qui ne se réduit ni a un choix existentiel, ni a la dimi­nution progressive d'une distance, mais eonstitue un ajointement

1. Einführung in die Metaphysik, p. 18. (lntroduction a la métaphysique).

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d' autant plus décisif, voila des lors le centre meme de ce que Platon nommait les « choses les plus grandes et les plus vénérables» pour lesquelles, disait-il, « il n' existe aueune image qui puisse etre produite en clair a 1'usage des hommes» et qui par conséquent « ne sont en aueune maniere formulable comme le reste de ce que l' on peut appren­dre ». C' est au paragraphe 53 de Sein und Zeit qu' est nommé pour la premiere fois le Nichts, tel qu'il s'annonce dans l'épreuve de 1'an­goisse. Mais quelques pages plus loin (§ 58) une question eommenee a poindre. La Nichtheit de eette Nichtigkeit dont l'homme est en son fond transi est restée jusqu'iei « quelque chose d' obseur ». Si la philosophie a beaueoup demandé au « ne ... pas», e' est sans aller cependant jusqu' a le dévoiler dans son essenee. Elle s' est ,en ef~et généralement bornée a le poser eomme un « manque», a moms que, devenue dialectique, elle ne l'ait pe~sé eomme un ,« mo~e~t », e' est-a-dire eomme un « passage ». MalS de telles determmatlOns sont eneore extérieures. « Va-t-il vraiment de soi que tout ne... pas signifie la négativité d'un manque ? Sa positivité s' épuise-t-elle dans le fait qu'il eonstitue un passage ? Pourquoi toute dialectique eherehe­t-elle un refuge aupres du négatif sans le fonder lui-meme dialeetique­ment sans meme le fixer comme probIeme ? A-t-on, dans l' absolu, problématisé la qualité propre du ne... pas, ou seulement cherehé a explorer les conditions sur la base desquelles le ne ... pas et ses carac­teres propres, ainsi que le développement de ses possibilités, se laissent problématiser ? Et ou ces eonditions peuvent-elles etre trouvées sinon dans un éclaircissement thématique de l' etre en général?» Tout est donc en place des Sein und Zeit pour le déploiement d'une ques­tion que Sein und Zeit se borne a soulever.

De Sein und Zeit, Heidegger éerít en 1960 : « Peut-etre le défaut principal de ce livre est-il qu' avec lui je me suis prématurément aventu­ré trap" ioin (1). » La eonférence de 1929, Qu'est-ce que la métaphysi­que ?, apparait en revanehe eomme une premiere tentative de répondre ou plutót de eorrespondre a la question que souleve Sein und Zeit. La méditation est comme en retrait du questionnement antérieur, ce retrait n' étant pourtant pas un renoneement pur et simple, mais le repli de la pensée sur un en-der;a que, dans l'impatience de son élan, Sein und Zeit avait déja outrepassé. Ce repli sur un préalable qu'il importe d' abord de porter au langage aboutit a une proposition apparemment paradoxale : « l' etre lui-meme est le rien». Si en effet le ríen n' est rien d' étant, e' est-a-dire rien de l' étant dont il nomme le tout a fait autre, est-il rien pour l' étant de plus radicalement autre que l' altérité de l' etre, tel qu' Aristote en fait l' objet vraiment premier du questionnement philosophique ? L' etre de l' étant est un ríen.

1. Unterwegs zur Sprache, p. 93.

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11 est be1 et bien ce rien (dieses Nichts) que les sciences réduisent a den en prétendant que rien ne 1eur échappe. Mais des lors un tout autre ríen (1) que ce ríen dont parlent les sciences quand elles déc1a­rent que, hors de ce qu'elles s'entendent a prob1ématiser, 1eur prob1é­matisation prétendant a la puissance inépuisab1e d'une Idée au sens kantien, il n'y a ríen. La philosophie advient donc d'un ríen et se dép10ie dans l'horizon du rien. Non pas seu1ement la philosophie, mais toute pensée quand elle est créatrice, mais toute création quand elle est poétique. Un rien qui pour la science n' est rien, au sens ou la mort elle-meme n' est ríen, a moins que la science n' en fasse que1que chose, a savoir une chose de science, c'est-a-dire un objet parmi d'au­tres, des lors soumis a son enquete. Mais ou a lieu l' objectivation qu' est la science elle-meme sinon au creux de ce nipport au ríen qu' est l' etre ? De cette « entente de l' etre» dont Aristote disait : « Comme les yeux des nocturnes devant la 1umiere éb10uissante du jour, ainsi l' entente, celle qui nous frappe nativement d' ouverture, devant l' éc1at dont, plus que tout, resp1endit en 1ui-meme le plus radieux.» Entente vers 1aquelle fait signe a son tour une tout autre paro1e, quand, dans la poésie' de Ri1ke, elle devient autrement l' écho des memes confms :

Non reconnues sont les souffrances l' amour non plus n' est pas appris et ce qui dans la mort nous éloigne

n 1 est pas dépouillé de son voile. Seul le chant au-dessus des terres nous sauve en un jour de fete.

y aurait-il donc que1que rapport entre la paro1e de l' etre, celle qui donne naissance a la philosophie, et ce que réve1e énigmatiquement la paro1e poétique dans la sobríété de son dire ? Mais une paro1e de la pensée pourrait-elle répondre d'une maniere plus instante que la philosophie a la c1airvoyance du poeme ?

Avec Qu' estoce que la métaphysique ? s' amorce déja, en un propos qui s' adresse a toutes les Facultés rassemb1ées a l' occasion d'une conférence inaugurale, et ainsi « se place dans le cerc1e des sciences en s' adressant a elles» (2), une pensée dont ne sera que plus tard formulé l' aphorisme : « la portée de la preuve scientifique est trop courte» (3). Mais, en 1929, Heidegger croit encore que,

1. Zur Seinsfrage, p. 37 sqq. 2. Zur Seinsfrage, p. 37. 3. Holzwege, p. 343. (Chemins qui ne menent nulle parto Gallimard.)

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de la science a la pensée, une percée directe est possib1e. I1 n' a pa& la p1eine expérience du « brouillard» qui « entoure encore l' essence de la science moderne» (1). Non plus que celle de la pensée comme « réso1ution dans l' ouverture a ce qui est 1enteur » (2). I1 ne sait enco­re rien de « l' assurance somnambulique» (3) avec 1aquelle la philoso­phie devait, pendant plus de vingt ans, passer a coté de la question inactuelle, parce qu'inhabituelle, qu'est Sein und Zeit, l'inhabituel étant déja ici l'indication d'une assise ou d'un site, d'un séjour ou d'un « habiter» plus essentiels que la philosophie elle-meme. C'est pourtant quand la vie des hommes - ainsi parle un poeme tardif de Hólderlin - devient « vie habitante» qu' alors

l' altitude du del resplendit Pour les hommes, comme la flora iso n couronne les arbres

Mais que signifie « habiter» ? Le mot n' a rien ici d'une méta­phore. Habiter n' est pas seulement disposer d'un logis, mais plus profondément correspondre a l' appel de ce qui est démesure de pré­sence et ainsi avoir un présent. L' appel de la présence ouvre les horn­mes a 1'Ouvert d'un monde qui est 1'avenement des choses jusqu'a la rencontre par l' homme de son destin mortel. Les habitants du monde sont les mortels. C' est en tant que mortels qu' ils sont les ouvriers de la « maison de l' etre» (4) sans qu' elle ne soit que le résultat d'une opération de leur part ni qu'ils puissent s'en faire un refuge, comme ils le croient pourtant dans l' oubli résolu de la correspondance au simple. Le plus haut document de la correspondan­ce au simple est la parole. « Le rapport essentiel entre la mort et la paro1e éblouit, mais il est encore impensé (5). » I1 ne consiste nulle­ment a « assombrír » le séjour par une optique unilatéralement braquée sur son terme» (VA 151). Mais Mallarmé, parmi que1ques autres, en sut que1que chose, de qui la poésie est si 1ucidement « habitante». Ainsi le partage de 1'etre, le privilege de la paro1e et le destin morte1 de 1'homme se répondent au plus secret du simple, sans qu'une telle correspondance ait jusqu'ici été pensée. Peut-etre est-elle encore impen­sable ? Peut-etre 1'homme n' est-il pas encore le morte1 ? Mais 1ui est-il possib1e de le devenir sans se dégager d'une idohitrie de plus

1. Was heisst Denken ?, p. 49. (Qu'appelle-t-on penser ? P.U.F.). 2. Erlauterungen zu HOlderlins Dichtung, p. 124. (Approche de HOlderlin.

Gallimard). 3. Was ist Metaphysik ? (7e édition, p. 19). Avant-propos. Une traduction

par Roger Munier de cet Avant-propos a paru dans la Revue des Sciences phi/o­sophiques et théologiques, juillet 1959.

4. Ainsi parle Nietzsche dans Zarathoustra. 5. Unterwegs zur Sprache, p. 215.

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en plus délibérée ? Risquera-t-il un jour le ({ pas qui rétroeede )} jus­qu' a eelui qu'il est ? Et quelle pensée le guidera, lui qui ne pense pas eneore, bien qu'il pense depuis toujours ?

Une telle ({ méditation de l'ineontoumable)} avee ce qu'elle demande a la parole et son éeoute du silenee, e' est elle qui porte, avant meme d' éc1ore, la pensée de Sein und Zeit, et, dans Qu' est-ce que la métaphysique ?, le triomphe, dans l' etre, du rien. eelui que touehe l' etre, e' est un rien qui le touehe en l' appelant' a l' ouverture sans pour autant l' oter a sa finitude, si ouverture et finitude sont les deux noms de la simplicité du meme. eomment I'homme des lors serait-il établi a demeure dans l' étant ? Rien n' est plus loin pourtant de la simplicité du Meme, avee sa doueeur et aussi sa rigueur, que les eompensations dont s'enfle la philosophie, si ce n'est l'assuranee scientiste et le fanatisme dévot, non moins usurpateurs de tout rapport au monde. e' est pourquoi le penseur de l' etre eomme rien, de I'hom­me eornme mortel et de la parole jusqu' au silenee ne sera pour beau­eoup qu'un amateur d'impasses, un apotre du nihilisme et un zélateur du néant. Zélateur du néant fut' des lors et non moins' Léonard de Vinci quand il lui arriva d' éerire pour lui-meme ces mots sans date que reeueillera Heidegger a l'intention d'Emst Jünger dans une lettre publiée en 1956 sous le titre Zur Seinsfrage et dont le sujet est préci­sément la ({ zone critique)} du nihilisme : infra le grandezze delle cose che sono infra noi, l' essere del nulla tiene il principato. ({ Parmi les plus grandes des ehoses qui sont parmi nous, e' est l' etre du rien qui tient le premier rango )}

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NOTE SUR HUSSERL ET HEIDEGGER

Phénoménologie " le nom est plus vieux que Husserl. A la fin du siec1e demier, il a déja plus d'un siec1e. e' est en effet probablement au XVIUe siec1e qu'il est formé en éeho a ontologie qui, a son tour, devanee phénoménologie d'environ un siec1e. Mais e'est sur la base de ce rapport entre les deux dénominations que Husserl, a la fin des Méditations cartésiennes de 1929, pourra dire de la phénoménolo­gie telle qu'il l' entend qu' elle est ({ la vraie et authentique ontologie )}, autrement dit ({ la logique concrete de l' etre )}.

Pour Kant au eontraire, la phénoménologie, qu'il nomme en 1770 dans une lettre a Lambert, n' est qu'une partie de l' ontologie. Il l' entend meme eomme une scienee ({ seulement négative)} qui doit préeéder la métaphysique en traitant des ({ principes de la sensibilité )}. Le négatif, a vrai dire, ne va pas trop tarder a virer au positif pour s'ineorporer a la métaphysique elle-meme, mais un tel positif demeure restrictif Il s' en est peut-etre fallu de tres peu que, dans la Critique de la Raison pure, la premie re , partie de la Théorie des éléments ait eu pour titre : Phénoménologie transcendantale. Si a Phénoménologie, Kant a préféré Es thétique, e' est sans doute paree que e' est bien plutot l' ensemble de la Critique qui est la vraie phénoménologie kantienne, autrement dit l' ontologie complete de la ehose eornme phénomene.

Du phénomene au sens kantien se distingue en effet, d' apres une ({ tres illustre)} distinetion établie par Platon, le noumene. e' est