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http://lib.ulg.ac.be http://matheo.ulg.ac.be Associations paysannes et réforme agraire : le cas de PDG, Négros Occidental, Philippin Auteur : Wattiez, Mélanie Promoteur(s) : Poncelet, Marc Faculté : Faculté des Sciences Sociales Diplôme : Master en sciences de la population et du développement, à finalité spécialisée Coopération Nord-Sud Année académique : 2015-2016 URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/1766 Avertissement à l'attention des usagers : Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces documents, les disséquer pour les indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale (ou prévue par la réglementation relative au droit d'auteur). Toute utilisation du document à des fins commerciales est strictement interdite. Par ailleurs, l'utilisateur s'engage à respecter les droits moraux de l'auteur, principalement le droit à l'intégrité de l'oeuvre et le droit de paternité et ce dans toute utilisation que l'utilisateur entreprend. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il reproduira un document par extrait ou dans son intégralité, l'utilisateur citera de manière complète les sources telles que mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du document ou son résumé) nécessite l'autorisation préalable et expresse des auteurs ou de leurs ayants droit.

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http://lib.ulg.ac.be http://matheo.ulg.ac.be

Associations paysannes et réforme agraire : le cas de PDG, Négros Occidental, Philippines

Auteur : Wattiez, Mélanie

Promoteur(s) : Poncelet, Marc

Faculté : Faculté des Sciences Sociales

Diplôme : Master en sciences de la population et du développement, à finalité spécialisée

Coopération Nord-Sud

Année académique : 2015-2016

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/1766

Avertissement à l'attention des usagers :

Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément

aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger,

copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces documents, les disséquer pour les

indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale (ou prévue par la réglementation

relative au droit d'auteur). Toute utilisation du document à des fins commerciales est strictement interdite.

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et le droit de paternité et ce dans toute utilisation que l'utilisateur entreprend. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il reproduira

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mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du

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Master en Sciences de la Population &

du Développement

Associations paysannes et réforme agraire

Le cas de PDG, Négros Occidental, Philippines

Présenté par : Mélanie WATTIEZ

Membres du Jury :

M.PONCELET (Promoteur)

M. LEBAILLY (Lecteur)

M. SERVAIS (Lecteur)

Année Académique 2015-2016

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II

« La propriété, c’est la liberté »

Pierre-Joseph Proudhon

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III

Remerciements

Je tiens à commencer cette recherche par adresser mes sincères remerciements à toutes les

personnes qui y ont contribuées de près ou de loin.

Merci à mon promoteur, Monsieur Poncelet, pour ses conseils judicieux et la liberté qu’il m’a

accordée dans mon travail.

Merci à mes lecteurs, Monsieur Servais et Monsieur Lebailly, d’avoir accepté de me lire.

Merci au PACODEL, sans qui je n’aurais sans doute pas pu effectuer mon terrain aux

Philippines.

Merci à Arlène, Ben, Elmee, et les autres membres de PDG de m’avoir accueillie au sein de

l’ONG et de m’avoir permis de mener à bien mon terrain. J’aimerais tout particulièrement remercier

Jocelyne et Arlène de m’avoir accueille dans leurs familles respectives. Merci également à tous les

agriculteurs qui ont partagé leur histoire avec moi.

Merci à Nicolas et Thomas, de m’avoir patiemment relut. Merci à Anaïs, Anne-Sophie, Elora et

Tatiana, pour leur précieuse compagnie et conseils durant la rédaction de ce travail.

Merci à Bernard, pour tout.

Finalement, merci à mes parents pour le soutien sans faille qu’ils m’apportent dans tout ce que

j’entreprends.

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IV

Liste d’acronymes

BAKAS - Buhi nga Aksyon para sa Kauswagan kg Pag-Amlig sg Mangunguma kag

Mamumugon

BIT – Bureau international du travail

CA – Compulsory Acquisition

CARP – Comprehensive Agrarian Reform Program

CLDC – Cartegena Land Development Corportion

CLT – Certificate of Land Transfer

CLOA – Certificate of Land Ownership Award

CPP – Communist Pilipino Parti

DAR – Department of Agrarian Reform

DENR – Department of Environment and Natural Resources

DGCD – Direction Générale Coopération au développement

FAO – Food and Agriculture Organization

FMI – Fond Monétaire International

LBP – Land Bank of the Philippine

MAFA – Mahalang small farmers associations

MAMMSA - Magagmay nga Mangunguma kag Mangingisda sang Sabang

NDF – National Democratic Front

NPA – New People’s Army

OMC – Organisation Mondiale du Commerce

PATAG - Palangabuhi an Amligan Teknolohiyang Agrikultura Gamiton

PD – President Decree

PDG – Padhiga Kausawa-gan Development Group

PNB – Philippine National Bank

VLT – Voluntary Land Transfer

VOS – Voluntary Offer-to-Sell

WFP – World Food Programme

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V

Sommaire

Remerciements .......................................................................................................................... III

Liste d’acronymes ..................................................................................................................... IV

Introduction ................................................................................................................................ 1

Première partie : Mise en contexte, méthodologie et problématique ......................................... 3

Chapitre 1 : Contexte général ................................................................................................. 3

1.1 Les Philippines ............................................................................................................. 3

Généralités ...................................................................................................................... 3

Économie et politique ..................................................................................................... 4

Historique de la colonisation .......................................................................................... 5

Les révoltes paysannes et l’espoir de l’indépendance .................................................... 5

Chapitre 2 : La propriété foncière aux Philippines ................................................................. 7

2.1 Avant la colonisation espagnole ................................................................................... 7

2.2 Pendant la colonisation espagnole ................................................................................ 7

2.3 Essais avortés de réforme agraire ................................................................................. 9

2.4 Réformes agraires majeures........................................................................................ 11

L’ « Agricultural Land Reform Code » de Maapagal (1961-1965) .............................. 11

Le « Presidential Decree 27 » ou PD 27 de Marcos (1964-1986) ................................ 11

Le « Comprehensive Agrarian Reform Programm » ou CARP d’Aquino (1986-1992)

................................................................................................................................................... 14

2.5 La question foncière aujourd’hui ................................................................................ 17

Chapitre 3 : Émergence de la société civile aux Philippines ................................................ 19

Chapitre 4 : Méthodologie .................................................................................................... 21

4.1. Etapes de la recherche ............................................................................................... 21

Rencontres préliminaires .............................................................................................. 21

Recherche bibliographique ........................................................................................... 22

Le terrain et la récolte de données ................................................................................ 22

4.2 Cheminement de la question de recherche ................................................................. 22

4.3 Limites de la recherche ............................................................................................... 23

Deuxième partie : Cadre théorique, Hypothèses ...................................................................... 25

Chapitre 1 : Cadre théorique ................................................................................................. 25

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VI

1.1 Aspect foncier ............................................................................................................. 25

Réforme agraire : définition ......................................................................................... 25

Quel type de régime foncier aux Philippines ................................................................ 26

1.2 Aspect mobilisation .................................................................................................... 28

Les 15 conditions pour passer à l’action collective : grille d’analyse .......................... 28

Actions collectives ? Mouvements sociaux ? ............................................................... 30

La relation de domination ............................................................................................. 31

1.3 Approche théorique de l’ONG ................................................................................... 34

L’approche du tiers secteur ........................................................................................... 34

Conditions de survie et difficultés rencontrées par les organisations locales ............... 36

Chapitre 2 : Hypothèses ........................................................................................................ 38

Troisième partie : Analyse ........................................................................................................ 39

Chapitre 1 : Le terrain ........................................................................................................... 39

1.1 PDG, l’organisme d’accueil .................................................................................. 39

1.1.2. Présentation générale .......................................................................................... 39

1.1.3 PDG en tant qu’organisme fédérateur ................................................................. 41

1.2 Les associations .......................................................................................................... 43

1.2.1. Présentation générale .......................................................................................... 43

MAFA association .................................................................................................... 43

BAKAS association .................................................................................................. 44

MAMMSA association ............................................................................................. 45

PATAG association .................................................................................................. 46

1.2.2 Tableau récapitulatif ............................................................................................ 47

1.2.3. Autoperception des paysans : mise en lumière ................................................... 48

Groupe de paysans, association ou communauté ? ................................................... 48

Du statut de travailleurs agricoles à celui de paysans sans terre .............................. 49

Chapitre 2 : mise en lumière de la notion de mobilisation ................................................... 51

Les 15 conditions pour passer à l’action collective ................................................. 51

Les mobiles ............................................................................................................... 58

Le contexte ............................................................................................................... 60

Conclusion sur la notion de mobilisation ................................................................. 61

Chapitre 3 : Mise en lumière des stratégies adoptées par PDG et par les associations ........ 62

3.1 PDG ............................................................................................................................ 63

Justification du discours ........................................................................................... 63

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VII

Stratégie participative ............................................................................................... 63

Le plaidoyer .............................................................................................................. 65

Réseautage ................................................................................................................ 66

3.2 Les organisations paysannes ....................................................................................... 66

Mobilisation .............................................................................................................. 66

Pétition ...................................................................................................................... 67

Piquets ...................................................................................................................... 67

Occupation des terres................................................................................................ 67

Conclusion sur les stratégies ............................................................................................ 68

Chapitre 4 : Mise en lumière de l’efficacité des stratégies adoptées .................................... 69

État des lieux ............................................................................................................ 69

Facteurs d’influences des résultats ........................................................................... 70

Conclusion sur les résultats .................................................................................................. 71

Conclusion ................................................................................................................................ 72

Bibliographie ............................................................................................................................ 77

Annexes .................................................................................................................................... 82

Annexe A : Carte des Philippines, Negros Occidental ......................................................... 83

Annexe B : guide d’entretien ................................................................................................ 84

Annexe B (bis) : typologie des personnes interrogées.......................................................... 85

Annexe C : Interview du DAR ............................................................................................. 86

Annexe D : Structure de PDG .............................................................................................. 88

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1

Introduction

En 2015, la Food and Agriculutre Organization of the United Nations (FAO) estime à 795

millions le nombre de personnes souffrant de la faim. 98% d’entre elles vivent dans les pays en voie de

développement. Les trois quarts de ces personnes vivent dans des zones rurales, principalement en Asie

et en Afrique (WFP, 2016).

La FAO calcule également qu’environ la moitié des personnes souffrant de la faim sont des

paysans issus de petites communautés agricoles, très vulnérables aux aléas climatiques. Vingt, autre,

pour cent sont des agriculteurs sans terre et enfin, dix pour cent sont des paysans qui dépendent de la

pêche ou de ressources forestières (WFP, 2016).

C’est avec ces chiffres alarmants en tête que nous nous sommes rendue aux Philippines, où

l’agriculture compte encore pour douze pour cent du PIB total. La terre est un problème pour beaucoup

de paysans : une réforme agraire existe, mais n’est pas réellement efficace.

Nous avons effectué notre terrain sur l’île du Négros Occidental, région qui nous tient

particulièrement à cœur considérant les attaches qui nous lient à cette île. C'est également une île où

soixante-huit pour cent des terres sont agraires et où quarante-deux pour cent d’entre elles sont utilisées

pour la culture de la canne à sucre.

Nous avons été accueillie par une ONG philippine, appelée « Padhiga Kausawa-gan

Development Group » (PDG). L’ONG est située dans ville de Kabankalan. Grâce à elle, nous avons eu

la chance de vivre en immersion dans quatre communautés de paysans où nous avons pu nous rendre

compte de la vie rurale. C’est ici qu’apparaît la première limite de notre recherche : elle ne se concentre

que sur ces quatre communautés, il est donc difficile d’en tirer des généralités. De plus, nous portions

une double casquette : celle de stagiaire dans l’ONG et celle d’étudiante mémorante.

Avant notre départ nous nous sommes renseignées sur le terrain, d’abord au travers de lectures,

ensuite nous avons rencontré des partenaires belges, et finalement nous avons formulé la question

suivante : quel est le rôle des associations paysannes dans le processus de la réforme agraire ? Qu’est-

ce qui pousse les paysans à se mobiliser ?

Au fur et mesure de notre terrain, nous nous sommes rendu compte que PDG était une

organisation fédératrice. Notre question est alors devenue : quel est le rôle de PDG dans l’organisation

des associations paysannes et plus largement dans le processus de la réforme agraire.

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Pour tenter de répondre à notre question, nous allons diviser cette recherche en trois parties. La

première sera consacrée à la mise en contexte de notre terrain. Nous allons aborder la réforme agraire

sous un angle historique, mettre en lumière ce qui a déjà été réalisé en la matière. Ensuite, nous

aborderons notre méthodologie.

La deuxième partie sera consacrée à la théorie. Nous allons passer en revue différents aspects

qui nous aideront à formuler des hypothèses et à les vérifier par la suite. Nous divisons cette partie en

trois aspects : l’aspect foncier, l’aspect mobilisation et une approche théorique de l’ONG. Au terme de

ces recherches, nous posons l’hypothèse suivante : une sollicitation extérieure (incarnée par PDG)

favorise l’action collective et l’organisation des communautés rurales dans le but de donner la chance

aux paysans marginalisés d’occuper une place dans l’échiquier politique. Or de cette hypothèse nous

dégageons une sous-hypothèse : les stratégies mises en place par PDG (et par les associations locales)

s’adaptent au contexte et les résultats qui découlent de ces stratégies varient également en fonction du

contexte.

Dans la troisième et dernière partie de notre recherche, nous tenterons de répondre à ces

hypothèses. Pour ce faire, nous allons commencer par la présentation de notre terrain et de notre

échantillon. Ensuite, nous allons mettre en exergue la notion de mobilisation, nous essayerons de

comprendre le pourquoi de cette mobilisation, quels sont les mobiles qui les animent. Après cela, nous

mettrons en lumière les stratégies adoptées par PDG ainsi que par les associations : que font-elles pour

exister dans le processus de la réforme agraire ? Enfin, nous tenterons d’évaluer l’impact de ces

stratégies : sont-elles réellement efficaces ?

Nous proposerons ensuite une conclusion générale dans laquelle nous reprendrons les

principaux résultats de cette recherche, que nous tenterons de nuancer.

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3

Première partie : Mise en contexte, méthodologie et problématique

Nous choisissons d’entamer notre recherche par une présentation générale du pays qui nous

permettra de mieux situer l’Histoire de ce pays, la colonisation ayant un rôle très important dans la

problématique foncière. Ensuite, nous essayerons d’aborder la réforme d’un point de vue historique.

Nous nous appliquerons à passer en revue ce qui a été accompli dans le domaine.

Chapitre 1 : Contexte général

1.1 Les Philippines

Généralités

Composés de plus 7000 îles dont 880 sont peuplées pour un total de 100 millions d’habitants,

les Philippines sont, en Asie du Sud-Est, le deuxième pays le plus important en terme de population et

le cinquième plus important du point de vue économique. Cet archipel couvre une surface de 300 000

km². Si l’on ajoute à cela le domaine maritime, l’archipel s’étend alors sur environ 1,8 million km².

Le pays est divisé en trois régions : au nord nous retrouvons l’île de Luzon (106 700 km²), il

s’agit de l’île principale qui abrite Manille, la capitale. Au sud se situe Mindanao (96 000 km²) et enfin

au centre, nous retrouvons un ensemble d’îles appelées les Visayas. Les îles qui composent cet ensemble

sont Samar (13 200 km²), le Negros, qui est le lieu de notre terrain (12 700 km²), Leyte (7200 km²) et

Cébu (4400 km²).

L’archipel compte deux langues nationales : le tagalog et l’anglais (hérité de la domination

américaine). Bien que le tagalog soit la langue nationale la plus utilisée, il existe une grande variété de

dialectes. Parmi ceux-ci, nous citerons le cebuano, l’ilokano et l’hiligaynon autrement appelé ilongo.

Ce dernier est le dialecte largement parlé sur l’île de Negros.

La longue période de colonisation espagnole (environ trois siècles), fait des Philippines l’un des

seuls pays d’Asie où la population est majoritairement catholique. En effet, 80% de la population est

aujourd’hui catholique contre environ 4,5 % de musulmans (surtout implantés dans la région de

Mindanao) et 5,4 % de protestants. On retrouve aussi beaucoup d’Églises indépendantes.

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Économie et politique

Les Philippines comptent beaucoup de richesses naturelles : en plus des ressources maritimes et

agricoles, il y a aussi les ressources minières (or, chromite, cuivre). Malheureusement, ces richesses ne

sont pas exploitées par les Philippins eux-mêmes, mais souvent par des investisseurs étrangers.

Si l’on considère la part des principaux secteurs d’activités dans le PIB, l’industrie représente

31,5 % et le secteur des services, en constante évolution, compte aujourd’hui pour plus de 55% du PIB

total. On constate que l’agriculture n’est plus le secteur numéro un en terme de valeur ajoutée au PIB,

néanmoins, il reste très important. Si l’on considère le secteur de l’agriculture en termes d’emploi il

représentait en 2005 environ 37% (Habito, 2005).

Sur l’île de Négros, l’économie est marquée par la culture d’exportation de canne à sucre. Sur

cette île, 68% des terres sont utilisées exclusivement pour l’agriculture. Parmi ces terres 42% sont

réservées à la culture de canne à sucre, ce qui porte à deux millions le nombre de personnes qui

dépendent directement du cours du sucre (Quinoa, sd).

L’une des faiblesses du secteur agricole, autre que l’accès à la terre et les problèmes que cela

engendre, est que ce secteur dépend fortement des aléas climatiques.

Le secteur de l’agriculture peut jouer un rôle crucial dans l’économie d’un pays tel que les

Philippines. Ce secteur produisant la nourriture et les matières premières nécessaires au reste de

l’économie est donc à la base de l’économie (Habito et Briones, 2005).

Ces trente dernières années, différentes politiques ont été mises en place par les gouvernements

afin de stimuler la croissance économique. La place toujours plus importante occupée par le secteur des

services reflète les aspects positifs de ces politiques. Le secteur de la télécommunication connaît un

véritable essor depuis sa libéralisation. Malgré un climat économique qui semble favorable, la pauvreté

reste présente et continue d’augmenter. Il existe encore une disparité de la répartition des revenus en

fonction des régions du pays et en fonction des zones rurales et urbaines.

Le pays a connu une longue période dictatoriale entre 1965 et 1986 pendant la présidence de

Marcos. Ce dictateur est surtout connu pour avoir instauré la loi martiale en 1972, réformé le système

politique pour en faire un régime parlementaire et enfin imposé une nouvelle Constitution au pays. En

1985, face à la contestation publique et sous la pression internationale (les États-Unis), des élections ont

eu lieu et Corazon Aquino devient Présidente amorçant ainsi un retour vers la démocratie.

Paradoxalement, c’est sous le règne de Marcos que l’on voit apparaître pour la première fois une

politique agraire qui se veut réellement réformatrice, mais nous y reviendrons lors de la présentation des

différentes réformes agraires entreprises.

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Aujourd’hui les Philippines sont une République présidentielle multipartiste. Le 9 mai dernier,

les Philippins votaient pour leur nouveau président : Rodrigo Duterte. Homme politique controversé,

celui-ci a tenu un discours populiste durant toute sa campagne s’attirant ainsi les voix des plus pauvres.

L’homme qui est surnommé « le Trump » d’Asie est entré en fonction le 30 juin dernier (Harold, 2016).

La ligne politique qu’il adoptera durant les six années de son investiture reste encore incertaine, Duterte

ayant tenu des propos contradictoires tout au long de sa campagne, notamment au niveau de la politique

étrangère.

Historique de la colonisation

C’est en 1521 que Magellan pose le pied sur l’île de Mactan dans ce qu’on appelle aujourd’hui,

les Visayas. En 1565, soit 44 ans plus tard, Manuel Lopez de Legazpi arrive à Cebu, toujours dans les

actuels Visayas, entraînant avec lui la création de la colonie espagnole. Cet archipel représente pour

l’Europe un point d’entrée pour l’évangélisation de la Chine et du Japon. Même si ce projet a échoué,

l’évangélisation des Philippines a fait bon train, l’influence de l’Eglise est alors très forte.

En 1898 suite au Traité de Paris, l’Espagne cède sa colonie aux États-Unis, moyennant une

indemnisation de 20 millions de dollars. Les Philippines resteront sous la domination américaine

jusqu’au 4 juillet 1946 où les États-Unis lui offrent l’indépendance.

Les révoltes paysannes et l’espoir de l’indépendance

Toute la période de colonisation a été ponctuée de soulèvements de la part du peuple philippin.

Sur les 350 ans de règne espagnol, on dénombre une centaine de soulèvements avec un impact varié.

Les causes de ces révoltes sont multiples : l’accaparement des terres par une partie privilégiée de la

population comprenant les hommes d’Église et l’élite philippine, l’origine indigène de ces terres, la

dégradation des conditions de vie et de travail des paysans devenus pour la plupart locataires ou

travailleurs agricoles, ainsi que, dans une moindre mesure, l’intolérance religieuse, sont autant de

facteurs ayant contribués au départ des révolutions (Willoquet, 1961). Chaque soulèvement était

réprimé, souvent de manière très violente.

Paradoxalement, le sentiment nationaliste a été réveillé par l’administration espagnole en 1868

lorsque le gouvernement républicain de Madrid adopta une politique plus libérale. Des fonctionnaires

espagnols furent envoyés à Manille apportant avec eux un discours chargé de valeurs telles que

l’indépendance des peuples, les droits de l’Homme, la liberté, etc. Ce discours fournit une solide base

idéologique aux discours des nationalistes philippins, base qui manquait aux soulèvements passés.

Lorsque l’Espagne redevient une monarchie, en 1871, le discours change aussitôt aux

Philippines. Mais le peuple philippin s’organise et prend les armes. En guise de réponse, les Espagnols

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font exécuter 41 meneurs et parmi eux trois prêtres. Les expatriés philippins en Espagne s’allient alors

aux pros républicains et créent la Sociedad Hispano-Filippina. Ils réclament l’établissement d’un

gouvernement local ainsi que des réformes sociales pour les Philippines. Parmi les grandes figures de

l’époque, on citera José Rizal. Aujourd’hui érigé au rang de héros national, il est né à Manille, mais a

été à l’Université en Espagne. Il dénonce les injustices dont sont victimes les Philippins au travers de

romans et de poèmes. Plusieurs fois contraint de s’exiler, il fonde la Ligia filipina en 1888 à Hong Kong

et propose à Despujols, capitaine général, ses services pour trouver une solution afin d’apaiser les

tensions dans son pays. Despujols fait mine d’accepter, mais dès que Rizal pose le pied à Manille, il est

arrêté et transféré dans une prison à Mindanao. Après avoir changé plusieurs fois de lieu de détention,

Rizal est emprisonné à Manille : La ville est sujette à de plus en plus de tensions. Les révolutionnaires

gagnent en puissance et Despujols espère ainsi faire peur aux révolutionnaires. Finalement, Rizal aura

droit à un procès en 1896 et sera fusillé le 30 décembre de la même année. Cette exécution déchaîne le

peuple philippin, qui obtiendra finalement un semblant d’indépendance en 1897 après une révolte armée

(Willoquet, 1961).

Mais en 1898, un navire de guerre américain explose dans la baie de La Havane, les Espagnols

sont accusés d’être responsables de l’explosion. Commence une guerre qui oppose les États-Unis et

l’Espagne. Les Philippins sont alors mobilisés par l’armée espagnole. Un accord verbal est alors conclu :

le peuple philippin aura son indépendance totale en guise de remerciement. Finalement, le 25 septembre

1898, l’Espagne et les États-Unis signent le traité de Paris (Willoquet, 1961). Celui-ci met fin à la

domination espagnole dans le Pacifique, mais anéantit aussi les espoirs d’indépendance pour le peuple

philippin : l’Espagne vient de céder sa colonie aux États-Unis, moyennant la somme de 20 millions de

dollars (Giri, 1997, cité par Roegiers, 2001).

Le gouvernement américain semble prêt à entamer une réforme du pays. Nous nous contenterons

d’aborder l’aspect agraire de cette réforme. À cet effet, en 1903, il rachète au clergé une grande partie

de ses terres dans le but de les revendre aux paysans philippins. Néanmoins, ceux-ci n’ayant pas les

moyens de les acheter, c’est encore une fois l’élite philippine qui s’approprie ces terres. La bourgeoisie

foncière gagne encore une fois en puissance (Roegiers, 2001).

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Chapitre 2 : La propriété foncière aux Philippines

2.1 Avant la colonisation espagnole

Avant la colonisation, les Philippins vivent d’une agriculture de subsistance, l’archipel n’est pas

densément peuplé et l’agriculture est itinérante. L’accès à la terre n’est alors pas un problème. Les

cultivateurs se déplacent d’un terrain à l’autre en fonction des cycles de culture (Alcina, 2005 : 98-99,

Urich, 2003 : 159, cité par Miura, 2016). Le système foncier est basé sur le principe d’usufruit : le

produit des récoltes revient à celui qui avait cultivé la terre. La notion de propriété privée n’existe pas,

néanmoins il existe une hiérarchie sociale qui régule l’usage de la terre.

Le bon fonctionnement du système foncier est assuré par l’organisation en communautés

appelées barangay. Au sein de ces communautés, nous pouvons retrouver différentes classes sociales :

« il est composé de chefs (datu), d’hommes libres, de serfs et d’esclaves » (Hayami et al. 2000, cité par

J. Roegiers, 2001 : 7). Le rôle du datu est d’assurer la protection de sa communauté et d’affecter les

terres aux familles faisant partie de la communauté. La relation entre le datu et sa communauté est basée

sur le principe de réciprocité : en échange de la terre attribuée, le paysan offrait son soutien politique au

datu ainsi qu’un tribut. Si le paysan se voyait dans l’incapacité de régler son tribut, il s’endettait et se

voyait alors reprendre sa terre par le datu. Il devenait son esclave, le temps de s’acquitter de sa dette (W.

Scott, 1994, cité par Miura, 2016).

On constate donc qu’avant l’arrivée des Espagnols, la hiérarchie du système social est

indissociable du régime foncier (Miura, 2016).

2.2 Pendant la colonisation espagnole

En 1565, les colons espagnols s’établissent aux Philippines important avec eux un nouveau

régime étatique, mais aussi un nouveau régime foncier. Le gouvernement philippin est dirigé par un

gouverneur qui possède les pleins pouvoirs, il est secondé par un conseiller nommé par le Roi d’Espagne.

Des Alcadles mayores sont au pouvoir dans les provinces, et les cantons sont dirigés par des Philippins

appelés gobernadorcillos, responsables devant le gouverneur. Les villages ou barangay sont administrés

par des cabezas de barangay, Philippin élu par le village (Willoquet, 1961). Toutes ces personnes sont

issues de l’élite philippine appelée cacique (Mclennan, 1969). Cette élite privilégiée assure aux

colonisateurs le soutien d’une partie de la population locale et en échange de ce soutien l’élite se voit

attribuer des titres de propriété foncière leur conférant ainsi le statut de propriétaire (Sinha, 1987).

L’arrivée des Espagnols marque aussi l’arrivée du concept de propriété privée. Avec ce concept,

ils vont prendre possession d’un nombre considérable de terres. Pour cela, ils octroient des titres de

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propriété aux personnes qui veulent prendre part à la production agricole. Les terres qui ne sont pas ainsi

distribuées sont déclarées comme appartenant à la couronne. Le Roi d’Espagne, Philippe II, accorde de

larges concessions à l’Église, on appelle ces domaines des encomiendas. Grâce à ces concessions,

l’Eglise possédait, jusqu’en 1898, environ 200 000 ha de terre. Cela représente environ 60 000 familles

de colons (Willoquet, 1961). À cette époque, nous retrouvons quatre profils de propriétaires terriens :

les fonctionnaires espagnols, les militaires, le clergé et l’élite philippine (cacique). Il existe encore des

paysans indigènes qui exploitent des terres sans titres légaux sur le modèle du fee simple1 ou « fief

simple » avec la possibilité d’aliéner sa propriété.

Avec la création de cette élite et l’introduction de la notion de propriété privée, on perçoit aussi

un changement de la notion de pouvoir. Alors qu’avant la colonisation, le pouvoir est incarné par la

force de travail qu’un chef posséde et/ou gère (donc par le nombre de personnes qu’il a sous ses ordres).

Pendant la colonisation il est désormais incarné par les terres qu’ils possèdent. Ainsi plus une personne

possède des terres, plus elle a du pouvoir (Mclennan, 1969).

Les XVIIIe et XIXe siècles voient le développement du commerce. La demande en sucre, en

tabac, etc. augmente et de plus en plus de terres sont mobilisées pour ces cultures d’exportations. La

terre devient un bien rare, et ce faisant en posséder les titres de propriété exclusifs devient très attrayant

(Roegiers, 2001).

À la même époque, les Chinois et les métissés philippino-chinois appelés mestizos se sont

enrichis grâce au développement du commerce interne. Les mestizos, nouveaux acteurs dans le jeu du

pouvoir, acquièrent un grand nombre de terre grâce à un pacte appelé pacto de retroventa. Au travers

de ce pacte, ils prêtent de l’argent aux petits propriétaires indigènes. Pour obtenir ces prêts, les petits

propriétaires indigènes mettent leur terre en gage pendant toute la durée du prêt. Se faisant, pendant

toute la durée du prêt ils sont considérés comme métayers et cultivent pour le compte du prêteur. Lorsque

la période du prêt arrive à son terme, si le paysan indigène n’a pas les moyens de rembourser, la terre

mise en gage devient propriété du mestizos (Mclennan, 1969).

C’est aussi durant le XIXe siècle que le modèle d’exploitation en haciendas voit le jour. On

observe ce modèle dans le centre de Luzon et principalement sur des terres qui sont la propriété de

l’Église. Les ordres religieux présents à l’époque (augustinien, franciscain et dominicain), ont perçu

dans leur terre un capital commercial et pour l’exploiter, ont commencé à louer des parcelles de leurs

domaines à des inquilinos, en échange d’une rente fixe. Il s’agit d’un modèle de métayage (Riedinger,

1995, cité par Roegiers, 2001).

En plus des haciendas contrôlées par l’Église, il existe aussi des haciendas privées. Ce sont des

domaines qui appartenaient initialement à la Couronne, mais qui sont vendus ou légués aux élites

1 « Domaine où quelqu’un est maître, que l’on considère comme sa possession », définition du Larousse

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philippines, cette élite que nous avons déjà mentionnée devient une nouvelle classe sociale à part

entière : une bourgeoisie de grands propriétaires terriens. Un grand nombre de paysans illettrés, qui

n’avaient pas cédé leurs terres au mestizos, se sont vu confisquer leurs terres par cette élite. Un nouveau

cadre légal est alors mis en place, incarné par des lois sur l’enregistrement des terres, néanmoins, les

paysans indigènes sont rarement au courant. De plus, le processus d’enregistrement est onéreux et peu

d’entre eux savent l’assumer. Ces lois, initialement prévues pour protéger les petits paysans favorisent

en réalité l’élite philippine.

Le secteur de l’agriculture est alors le premier secteur dans l’économie du pays. Cependant,

l’Espagne, soucieuse de se procurer des matières premières, a investi tous ses moyens dans l’agriculture

d’exportation au détriment de l’agriculture vivrière. Les terres les plus fertiles sont attribuées à cette

culture d’exportation, tandis que les terres les moins fertiles sont utilisées pour l’agriculture vivrière.

Celle-ci est donc beaucoup plus vulnérable (Sinha, 1987).

2.3 Essais avortés de réforme agraire

Depuis son semblant d’indépendance en 1896, le gouvernement philippin est conscient de la

problématique que représente l’accès à la terre et essaye, en apparence en tout cas, de mettre en place

des réformes agraires en faveur de son peuple. Aucune d’elles n’a été réellement efficace. Nous allons

retracer ici un rapide historique de ces réformes et des avancées qu’elles ont permis d’obtenir.

En 1896, il y a une première tentative de réforme. Le gouvernement révolutionnaire en place à

l’époque confisque une bonne partie des terres appartenant à l’Église dans le but de les redistribuer aux

petits paysans (DAR, 2013). Néanmoins, cette première tentative est avortée par le traité de Paris en

1898 comme nous venons de l’évoquer.

Cependant, conscient que l’accès à la terre crée de vives tensions, le gouvernement américain

tente d’imposer un cadre légal plus strict que celui mis en place par les Espagnols. C’est ainsi que dès

1902 on voit apparaître toute une série de lois qui ont pour but de réguler tout ce qui a trait à la propriété

foncière.

Il nous semble plus judicieux de nous arrêter uniquement sur celle qui concerne l’accès à la terre

et la redistribution de celle-ci.

En 1903, le gouvernement établit le « Friar Lands Act », il s’agit de la mesure évoquée plus

haut qui consiste au rachat des terres appartenant à l’Église dans le but de les revendre aux petits

paysans. Nous savons que cela n’a pas été efficace.

En 1933, nous voyons apparaître la première loi qui est chargée de réguler les relations entre

propriétaire et métayer. Cette loi établit les termes du partage comme suit : 50% de la récolte

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appartient au métayer et les 50% appartiennent au propriétaire (DAR, 2013). Cette loi protège

aussi le métayer des comportements arbitraires que peut avoir le propriétaire envers lui et

garantit aussi la stabilité du taux d’intérêt à maximum 10%. Malheureusement, cette loi ne sera

jamais votée au conseil municipal, celui-ci étant principalement composé de propriétaires

terriens (Roegiers, 2001).

Finalement, malgré les efforts apparents consentis par le gouvernement américain, de vives

tensions subsistent toujours. Cela donne lieu à une des révolutions les plus célèbres marquant l’Histoire

des Philippines : la révolution des Huks. « Huks » est l’abréviation utilisée pour parler des Hukbo ng

Bayan Laban sa Hapon ou Armée populaire antijaponaise. Ce groupuscule apparaît entre 1941 et 1942

au moment de l’occupation japonaise (Willoquet, 1961). Ce groupe, qui est né sous l’impulsion

communiste, dénonce la relation inégale patron-client qui existe entre les propriétaires terriens et les

métayers. Pour plusieurs raisons, dont le « Friar Lands Act », la bourgeoisie foncière n’a fait que se

renforcer pendant le régime américain et les relations, autrefois, plus familiales qui pouvaient exister

entre un métayer et son patron, se sont transformées en relation purement patronale et commerciale.

Lors de l’occupation japonaise (1942-1944), les Huks prennent les armes pour lutter contre les

Japonais. Il s’agit d’une lutte sanglante et les populations, jusqu’au fond des terres, sont opprimées,

humiliées et torturées. La haine ressentie par les Huks envers les grands propriétaires fonciers est

accentuée par la collaboration de cette bourgeoisie avec l’occupant (Giri 1997, cité par Roegiers 2001).

Les campagnes sont à feu et à sang, les Huks sont partout. Le président Roxas (1946-1948)

essaye de leur tenir tête en lançant une campagne de répression très violente durant laquelle il n’hésite

pas à raser des villages entiers. Néanmoins, ses troupes sont souvent tenues en échec par les forces Huks.

C’est son successeur Quirino (1948-1953), conscient de l’insolvabilité de la situation, qui décide

d’entamer une trêve. Il propose une réforme agraire et signe avec Taruc (représentant des Huks), un

accord de paix. Il lui propose également un poste de député. La trêve est de courte durée, puisque Taruc

disparaît en laissant une note expliquant que le gouvernement est hypocrite. La révolution reprend alors

et gagne en intensité.

Au même moment, les Américains, effrayés par le spectre communiste, rédigent le rapport

Hardie (1952) et conseillent au gouvernement philippin d’entamer une réforme agraire radicale avec

comme objectif la suppression totale des locations au profit de fermes plus petites et familiales qui

seraient cultivées par les propriétaires. Encore une fois cette proposition sera rejetée par le Congrès

philippin, qui est toujours composé en majorité par des propriétaires fonciers. La raison officielle de ce

refus est l’inspiration communiste dont fait preuve cette proposition de loi (Reidinger 1995, cité par

Reogiers 2001).

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Le président suivant, Magsaysay (1953-1957) entame quant à lui une réforme agraire

redistributive. Il propose une loi en deux volets : l’ « Agricultural Tenancy Act » en 1954 dont l’objectif

est d’améliorer la condition des locataires et le « Land Reform Act » en 1955 qui vise à l’expropriation

et la redistribution des vastes propriétés (DAR 2013). Malheureusement, le Congrès chargé d’approuver

ce projet est toujours constitué en majorité par des propriétaires fonciers, ces deux projets sont réécrits

par cette élite et finalement, sont vidés de leur contenu de sorte qu’ils ne sont plus réellement efficaces

(Hayami et al. 2000, cité par Reogiers 2001).

2.4 Réformes agraires majeures

L’ « Agricultural Land Reform Code » de Maapagal (1961-1965)

Le premier réel espoir de voir la création d’une réforme agraire à la portée significative est

incarné par le président Macapagal (1961-1965), lui-même issu d’une famille d’agriculteur. Il lance en

1963 l’ « Agricultural Land Reform Code », qui est considéré comme la plus compréhensive des

réformes mises en place dans le pays pour l’époque (DAR 2013). Avec cette réforme, il veut supprimer

le statut de métayer, encourager la gestion de la terre sur base d’un modèle familiale et ainsi donner

l’occasion aux paysans les plus pauvres, dépourvus de terres, de récupérer celles-ci. Freinée encore une

fois par le Congrès, la réforme n’arrivera pas réellement à s’imposer. Néanmoins le président suivant,

Marcos, s’en inspirera.

Le « Presidential Decree 27 » ou PD 27 de Marcos (1964-1986)

C’est en 1964 que le président Ferdinand Marcos arrive à la tête des Philippines. Comme les

autres présidents avant lui, il avait promis lors de sa campagne de prendre des mesures pour régler les

problèmes liés à l’accès à la terre. Pendant les premières années de son mandat, il ne fera qu’appliquer

des réformes entamées par ses prédécesseurs.

Depuis 1969 les tensions dans le monde rural s’exacerbent et les Huks laissent la place à un

nouveau groupuscule : les New People’s Army, groupe également animé par l’idéologie communiste.

Profitant d’une situation extrêmement tendue, le président Marcos décrète la loi martiale le 23 septembre

1972 grâce à laquelle il s’octroie les pleins pouvoirs, la possibilité de faire durer son mandat autant de

temps qu’il le voudra, mais surtout, il change le mode de fonctionnement de son gouvernement. Pour

cela il dissout l’ancienne Constitution et opte pour la création d’un système parlementaire (Barang,

1973). Ce faisant il se débarrasse de la pression du Congrès.

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« Pour calmer le mécontentement paysan et faire de la paysannerie un pilier de son régime, le

président décide d’instaurer une nouvelle politique agraire en trois volets : une réforme agraire, la

construction d’infrastructures en milieu rural et un programme de prêts » (Walden, 2012).

Pour l’aider dans sa tâche, Marcos décide de créer en 1971 un organe institutionnel chargé de

veiller au bon fonctionnement de la réforme agraire : le DAR ou Departement of Agrarian Reform

(Faugere 2007).

Le 21 octobre 1972, il ratifie deux décrets présidentiels (Presidential Decree ou PD). Dans un

premier temps, le PD 2 qui déclare les Philippines « zone de réforme agraire afin de stimuler le

développement de l’agriculture et de mettre fin à l’agitation dans les campagnes » (Giri 1997, cité par

Roegiers 2001). Ensuite le PD 27 qui établit les objectifs de la réforme agraire qu’il veut mettre en

place :

- « Operation Leashold » : le but est de transformer les locations de types métayages en location

à loyer fixe afin d’améliorer la production (DAR 2013).

- « Operation Land Transfer » : il s’agit du transfert obligatoire des terres aux paysans qui

cultivent du riz ou du maïs. Le but est de donner la possibilité aux petits paysans de devenir

propriétaire des terres sur lesquelles ils travaillent et d’obtenir ainsi de petites fermes familiales.

La taille de ces fermes ne peut pas dépasser 3 hectares pour les terres irriguées et 5 hectares

pour les terres non irriguées (Medina, 1976).

José Médina nous fait un état clair de la situation, nous allons donc largement nous inspirer de

son article « La réforme agraire depuis 1972 : expérience des Philippines ».

Ce deuxième volet ne fait évidemment pas l’unanimité au sein de la bourgeoisie foncière. Les

réactions des propriétaires terriens sont globalement négatives et dans les semaines qui suivent l’entrée

en vigueur de cette loi, les notifications d’expulsion se sont multipliées. Les propriétaires terriens

prétextent vouloir cultiver leurs terres eux-mêmes. Cela ravive les tensions entre les propriétaires

terriens et les paysans.

Suite à ces demandes d’expulsion, qui ne peuvent être accordées que suite à un procès, beaucoup

de fermiers se sont retrouvés en justice. Situation inéquitable et désavantageuse pour le fermier, et ce

pour plusieurs raisons : d’abord, le fermier n’a pas les moyens de payer un avocat et même s’il lui en

est commis un d’office, il doit assurer le coût de ses transports. Ensuite, le fermier n’a pas le temps de

se rendre au tribunal puisqu’il travaille. Enfin, cette situation est une source de stress énorme.

De plus, il est reconnu que les propriétaires terriens ont des rapports étroits avec les

fonctionnaires de justice, ce qui laisse à penser que les procès ne sont pas – ou peu – équitables.

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La situation devenant ingérable pour la justice, le Président Marcos promulgue, le 25 novembre

1972, un Mémorandum interdisant toute expulsion ou éviction de fermiers. Pour pallier à la situation,

le Président signe un nouveau décret, le décret n°316 dont le contenu est le suivant :

Article 1 : Aucun fermier d’une terre cultivée essentiellement en riz ou en maïs ne sera

expulsé ou évincé de ses terres tant que n’auront pas été établis les droits respectifs du fermier

et du propriétaire conformément aux règlements d’application du Décret n°27.

Article 2 : À moins que le Ministère de la réforme agraire n’ait certifié qu’il s’agit d’une

affaire pouvant donner lieu à un procès ou à une enquête devant un tribunal, un juge ou tout

autre officier de justice compétent, aucun juge appartenant au Tribunal des relations agraires,

à un Tribunal de premières instances, ou à tout autre tribunal, non plus qu’aucun agent du

Trésor ne pourra connaître un procès d’expulsion, non plus que tout autre procès visant à

tracasser ou à évincer un métayer ou un fermier cultivant une terre essentiellement consacrée

au riz ou au maïs. Si un tel procès est ouvert, le cas devra être préalablement porté devant le

ministre de la Réforme agraire ou ses représentants habilités dans la localité, afin de juger, à

titre préliminaire, de relations entre les deux parties en cause. Si le ministre de la Réforme

agraire estime que le cas relève du Tribunal, d’un juge ou de tout autre officier de justice, il

en attestera à cet effet et ce tribunal, ce juge ou cet officier de justice pourra alors se saisir

de l’affaire. (Medina, 1976 : 14).

C’est grâce à ce décret que le ministère de la réforme agraire (« Departement of Agrarian

Reform » ou DAR) s’est vu octroyer des compétences que l’on peut qualifier de judiciaires.

En pratique, la mission du DAR est d’exproprier les propriétaires des terres lorsque ceux-ci

possèdent plus des 7 hectares autorisés. Il ne s’agit cependant pas d’une expropriation au sens strict

puisque les propriétaires reçoivent une compensation financière (dont 10% sont versées en liquide tandis

que les 90% restant sont en obligations d’État). Le prix est fixé à 2,5 fois la valeur de la production

annuelle. Ensuite, ces terres sont « redistribuées », c’est-à-dire revendues aux bénéficiaires qui reçoivent

en échange un Certifate of Land Transfer ou CLT. Les bénéficiaires remboursent le gouvernement grâce

à un payement étalé sur 15 ans avec un taux d’intérêt fixé à 6%. Une fois le prêt remboursé, ils reçoivent

un nouveau titre de propriété définitif appelé « Emancipation Patent » (Reogiers 2001).

Néanmoins lorsque la période de dictature de Ferdinand Marcos prend fin en 1986, le bilan de

cette réforme n’est pas satisfaisant en ce qui concerne de la redistribution des terres : « La terre

appartient soit au propriétaire foncier, soit à celui qui la cultive. Opérer un changement radical nécessite

plus d’engagement et d’énergie que le gouvernement Marcos n’a été jusqu’ici capable d’en manifester. »

(Étude sans titre attribuée à Dale Hill, responsable des prêts à l’agriculture pour les Philippines,

Washington DC, Banque mondiale, s.d., p. 159, citée par Walden Bello).

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En plus d’un système juridique compliqué où les fonctionnaires sont souvent complices des

grands propriétaires terriens, d’autres facteurs pourraient expliquer ce bilan mitigé. D’abord, selon

Riedinger (cité par Roedgiers 2001), les propriétaires terriens peuvent ralentir le processus en

augmentant le prix des compensations auxquelles ils peuvent prétendre. Ensuite le fait que cette

redistribution soit orientée vers les locataires pousse les propriétaires à les expulser et à installer à leur

place des employés salariés. Enfin, cette loi s’orientant vers les terres où l’on cultive du riz et du maïs

pousserait les propriétaires à changer la nature de leur production et à se tourner vers la canne à sucre

ou encore la noix de coco. Enfin, selon Ben Ramos, pour échapper à la redistribution systématique et

assurer la survie des grands domaines, certains propriétaires ont divisé leur propriété avec des membres

de leurs familles proches ou encore avec des amis.

Le président Marcos a donc jeté les bases d’une réforme agraire qui aurait pu être efficiente.

Malheureusement son application n’a pas été suffisamment effective et la bourgeoisie foncière est

encore beaucoup trop présente au sein des rouages des institutions chargées de faire appliquer la réforme

agraire (la justice dans un premier temps, le DAR dans un second temps). On constate à la fin de son

mandat que 36% des terres cultivables sont aux mains de 2% de la population et que 10% de la

population possède les titres de propriétés de 90% des terres (Faugere, 2007).

Le « Comprehensive Agrarian Reform Programm » ou CARP d’Aquino (1986-1992)

Enfin la politique agraire qui participe le plus à façonner la réforme mise en place aujourd’hui

est la politique pratiquée par la présidente Corazon Aquino (1986-1992) il s’agit du Comprehensive

Agrarian Reform Programm ou CARP. Lorsque la présidente Aquino arrive au pouvoir, la

problématique de la réforme agraire n’est pas dans ses priorités. Afin de la sensibiliser à cette

problématique, 20 000 paysans se sont réunis lors d’une marche le 22 février 1987. L’armée présente

en masse a finalement ouvert le feu et tué 13 manifestants. Le monde rural est alors en ébullition, Aquino

n’a d’autre choix que de se pencher sur la question et de proposer une réforme s’attaquant au problème

majeur : la répartition des terres (Borras, 2005).

Selon les propres termes du DAR, le but de cette réforme est « to promote social justice and

Industrialization, providing the mechanism for its implementation and for other purposes » (DAR,

2013 : 18).

Alors que dans sa réforme, Marcos proposait une redistribution des terres où sont cultivés le

maïs et le riz, le CARP va plus loin et propose la redistribution de toutes les terres privées et publiques

cultivables. De plus, pour encourager la redistribution des terres, cette loi stipule que les propriétaires

ne peuvent garder qu’une seule ferme agricole et que celle-ci ne doit pas dépasser les cinq hectares. Ils

ont toutefois la possibilité de conserver trois hectares supplémentaires par enfant de plus de 15 ans.

Néanmoins, encore une fois, les propriétaires mettent en place différentes stratégies pour éviter la

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redistribution de leur domaine. Beaucoup choisissent de diviser leur domaine entre les différents

membres de leur famille, vendent des parcelles à des amis ou à des hommes de paille, reconvertissent

leurs terres à des usages industriels ou commerciaux ou encore engagent des procédures longues et

onéreuses desquelles ils ressortent bien souvent vainqueurs (Bello, 2012).

Il existe, toujours aujourd’hui, deux instances étatiques chargées de la redistribution des terres.

Lorsque nous parlons de terres privées, c’est le DAR qui est compétent, tandis que si nous parlons de

terres publiques, c’est le « Department of Environment and Natural Ressources » ou DENR qui est en

charge. Il reste encore des terres qui ne sont pas soumises au CARP, il s’agit des terres dites ancestrales,

celles dont la pente est de 18%, les réserves naturelles, forestières et marines et enfin les domaines

d’intérêt public et/ou national.

La procédure de mise en œuvre du CARP par le DAR suit plusieurs étapes :

1. Le DAR (ou le DENR en fonction de la nature de la terre) va acquérir la terre soit auprès du

gouvernement soit auprès de propriétaires privés. Il y a deux modes d’acquisition le

« Voluntary-Offer-to-Sell » ou VOS, qui est une offre volontaire de la part du propriétaire qui

accepte de se conformer à la réforme. Et le « Compulsory Acquisition » ou CA, lorsque le

propriétaire manifeste de la résistance à la redistribution de sa terre. Il existe enfin un troisième

mode d’acquisition le « Voluntary Land Transfer » ou VLT qui permet un transfert direct entre

le propriétaire et le paysan, ceux-ci s’arrangent entre eux sans intervention du DAR. (Reogiers,

2001).

2. La valeur des terres ainsi acquises est ensuite évaluée par le DAR et les propriétaires reçoivent

alors une compensation financière par l’intermédiaire de la « Land Bank of the Philippines »

(LBP). Ils reçoivent entre 25% et 35% de la valeur en espèce et le reste est, comme l’avait déjà

proposé Marcos, versé en obligation d’État.

3. Ensuite le DAR choisit les bénéficiaires, ceux qui recevront les titres de propriété. Ils doivent

répondre à plusieurs critères : être sans terre, issu du même barangay et enfin appartenir, par

ordre de priorité aux catégories suivantes (Reogiers, 2001) :

- Locataire (à bail) et métayers ;

- Travailleurs salariés permanents ;

- Autres travailleurs salariés ;

- Cultivateurs actuels et occupants des terres publiques ;

- Coopératives des bénéficiaires des catégories citées ci-dessus ;

- Autre personne travaillant directement sur la terre.

En plus de toutes ces conditions, la personne qui veut acquérir une terre doit prouver qu’il a les

compétences pour l’exploiter.

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4. Les terres sont enfin distribuées selon les modalités suivantes : chaque individu ne peut posséder

plus de trois hectares et doit payer sa terre à la LBP grâce à un crédit étalé sur 30 ans et avec un

taux d’intérêt estimé à 6% par an.

5. Le titre de propriété est donné aux paysans, celui-ci s’appelle le « Certificate of Land Ownership

Award » ou CLOA. Les bénéficiaires ont la possibilité de posséder la terre soit à titre individuel

soit en collectif.

Sur papier le CARP semble enfin être une loi en faveur de la redistribution, Borras décrit même

le CARP comme étant « la réforme la plus progressiste de toutes celles jamais mises en œuvre » (Borras,

2005 : 99), la réalité est toute autre. Après la dictature de Marcos, la présidente Aquino fait revenir le

Congrès. Or celui-ci est toujours majoritairement composé de propriétaires terriens et après une vive

opposition du Congrès le CARP a été édulcoré. C’est notamment suite à cette opposition que l’on

autorise les propriétaires terriens à conserver cinq hectares à titre personnel et trois hectares par enfant

de 15 ans. La présidente Aquino elle-même est issue de la bourgeoisie foncière et possède, avec sa

famille, l’Hacienda Luisita qu’elle refuse de redistribuer (Bello, 2012).

À propos de la politique mise en place par la présidente Aquino, une étude coparrainée par le

ministère de la réforme agraire et par l’agence allemande de l’aide extérieure GTZ (Deutsche

Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit ou Société allemande de la coopération technique) révèle

que :

« Du point de vue financier, la leçon à retenir est d’une aveuglante clarté : la réforme agraire

n’a pas été une priorité pour tous les pouvoirs qui composent l’État. Si le pouvoir exécutif a pu éveiller

l’intérêt public pour des interventions en faveur du développement comme le CARP, le congrès

dominé par les grands propriétaires, a été capable de stopper et le programme en ne votant pas les

crédits nécessaires à ses besoins logistiques »

(Ricardo Arlanza, Prudenciano Gordoncillo, Hans Meliczek ; Juan Palafox et Lina Penalba, « Study on

Post-LAD Scenarios », Manille Ministère de la réforme agraire et coopération technique allemande

(GTZ), avril 2006, p.11, cité par Bello, 2012 :75).

Le CARP au départ voté pour une période de dix ans (entre 1987 et 1997), n’a cessé d’être

prolongé jusqu’en 2014. C’est donc un programme qui est passé par le mandat de cinq présidents. La

réforme agraire, bien qu’étant un problème de fond, n’a pas toujours été la priorité du chef de l’État.

Ainsi Walden Bello (2012) explique que l’arme préférée des opposants à la réforme agraire est la

réduction de son financement. Ainsi alors qu’en 1982, sous le régime de Marcos, les dépenses pour

l’agriculture représentaient 7,5% du total des dépenses publiques, elles retombent à 3,3% en 1988

pendant le mandat d’Aquino. En plus d’une restriction drastique du budget alloué à la réforme, dès les

années 2000 pendant le mandat Gloria Arroyo (2001-2010), l’intimidation et les assassinats de têtes

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pensantes des organisations paysannes deviennent monnaie courante, certains propriétaires fonciers

n’hésitent pas à envoyer des milices privées sur leur terre, pour intimider les paysans même si celles-ci

font l’objet d’un CLOA2. Ainsi nombreux paysans pourtant en possession d’un CLOA ont dû quitter

leur terre puisque leur vie y était en danger. Et bien souvent dans ces cas-là, la justice ne tranche pas en

leur faveur. Dépourvus de soutien juridique, bon nombre d’entre eux se retournent alors vers les

organisations paysannes.

2.5 La question foncière aujourd’hui

En 2015, le DAR déclarait avoir atteint 76% de son objectif de redistribution. Néanmoins,

malgré ces chiffres encourageant en 2012 Gordoncillo professeur d’économie à l’Université Los Banos

(Philippines) déclare « The expected conclusion is to argue that CARP did not have any significant effect

on the economic well being of the beneficiaries » (Goroncillo, 2012: 84).

D’autres figures de la société civile s’alignent sur ce constat. Ben Ramos, co fondateur de l’ONG

PDG (Padhiga Kausawa-gan Development Group), lieu où nous avons effectué notre terrain, écrit

« After more than a decade of the Comprehensive Agrarian Reform Program (CARP), [ ... ] agrarian

reform still haunts millions of peasants and farm workers. To the organized peasant movement, it

remains a gross failure ». Toujours selon Ben Ramos, l’échec du CARP peut être attribué à deux

2 Il s’agit d’un titre de propriété donné aux paysans, celui-ci s’appelle le « Certificate of Land Ownership Award » ou CLOA.

Les bénéficiaires ont la possibilité de posséder la terre soit à titre individuel soit en collectif

Source: DAR – Department of Agrarian Reform, 2015. URL

https://docs.google.com/presentation/d/16UfPJGzBLJkB9IPFUtvSgB6FFA5TmikfbStQ8_w5PX4/pub?start=false&loop=false&delayms=3000#slide=id.g4ba1d2257_2_75 [page consultée le 15 mars 2016]

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éléments : le premier est l’omniprésence de la bourgeoisie foncière au sein des diverses institutions du

gouvernement, le second, qui découle du premier, est le manque de volonté de la part de ce même

gouvernement de mettre en place une réelle réforme agraire.

De plus, toutes les démarches à accomplir pour obtenir un titre de propriété sont longues,

onéreuses et compliquées. Les paysans n’ont en généralement ni les connaissances ni les ressources

financières pour entamer ce type de démarches. L’adoption en octobre 1999 d’un arrêté portant le nom

de MAGKASAKA Programm (« Joint Economic Entreprises in Agrarian Reform Areas ») permet aux

coopératives formées par les bénéficiaires du CARP de revendre à de grandes compagnies les terres

qu’ils ont acquises. Encore une fois, le manque d’information des paysans par rapport à cet arrêté permet

aux grandes compagnies agricoles d’obtenir des terres.

Ce type de loi, ajoutée aux stratégies précitées mises en œuvre par les propriétaires terriens pour

détourner leur terre, conforte les ONG actives dans le domaine dans l’idée que les chiffres officiels qui

émanent du DAR sont surestimés (Roegiers, 2001).

En 2014, le CARP n’a pas été prolongé. Dès lors, l’organe institutionnel en charge de la réforme

agraire à savoir le DAR voit son financement diminué de manière drastique. Au niveau de la

bureaucratie, on parle de rationalisation, mais en réalité il s’agit de l’abandon progressif du DAR au

profit d’un autre organe, le DENR (Bello, 2013). En pratique, il est aujourd’hui impossible d’introduire

un dossier auprès du DAR dans le but de demander un titre de propriété. Seuls les dossiers introduits

avant le 30 juin 2014 sont encore traités.

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Chapitre 3 : Émergence de la société civile3 aux Philippines4

Les premières organisations sociales aux Philippines remontent aux années 1950-1960, mais

c’est pendant la période martiale (1972-1986) que ces organisations se multiplient. Dans les années 1970

aux Philippines, on ne parle pas encore de « société civile », mais plutôt d’ « opposition ». Cette

opposition est incarnée par la gauche traditionnelle c’est-à-dire le Parti communiste des Philippines ou

CPP, leur bras armé : les « New People’s Army » ou NPA et leur front uni, le « National Democratic

Front » ou NDF. Cette coalition s’investit dans le développement communautaire, le plaidoyer pour la

paix, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption ainsi que dans un mouvement anti-

dictature.

La dictature de Marcos ne laisse pas de place à d’autres partis politiques, la coalition CPP-NPA-

NDF profite alors du vide laissé par les autres partis pour occuper cet espace politique. On associe

souvent leur lutte à une lutte armée plutôt que politique, néanmoins dans la lutte contre la dictature, ce

pilier est considéré comme central. Les membres de cette coalition sont d’ailleurs appelés les

« nationaux-démocrates » ou « natedems ». En plus de cette coalition, il existe d’autres formes

d’oppositions : les « sociaux-démocrates » représentés par les jésuites du collège de Ateneo (Manille),

les « socialistes démocratiques » et le « Mouvement pour l’avancement de la pensée et de l’action

socialiste » composés de socialistes indépendants, d’anciens « natdems » et d’anciens membres du CPP

(Parti communiste).

Après la chute du régime de Marcos en 1986, on voit des ONG plus indépendantes émerger.

Ces organisations nouvelles interviennent activement dans le processus de démocratisation et de

développement du pays. C’est le début de ce qu’on appelle aujourd’hui la société civile. Dès 1992, le

CPP connaît des tensions en interne qui le mèneront à la scission en deux factions : « les réafirmistes »

et les « réjectionnistes ». C’est cette séparation qui a « encouragé des groupes nationaux démocratiques

déçus par cette évolution à pénétrer les nouveaux espaces politiques alors explorés par des groupes de

gauche ayant émergés durant la chute de la dictature de Marcos. Les militants nationaux démocratiques

rejoignirent ces autres formations de gauche ou en créèrent de nouvelles » (Rocamora, 1994, cité par

Encarnacion Tadem 2012).

Ceux qui quittent la coalition CPP-NPA-NDF considèrent que l’action des ONG ne devrait pas

être armée, mais qu’elle doit plutôt se concentrer sur le popular empowerment, l’organisation à la base.

Leur stratégie repose sur le plaidoyer politique et économique. Ces organisations sont conscientes que

3 Par société civile, nous entendons « le tiers secteurs, les nouvelles solidarités, nécessaires pour répondre aux inégalités

sociales et à la faiblesse d’intervention des pouvoirs publics » (Pirotte, 2015) 4 Cette partie est largement inspirée de l’article d’Encarnacion Tadem S. Teresa, 2012, « Philippines : transformation des

« mouvements sociaux » en « société civile » », alternative sud, vol.19, pp. 49-54

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le changement et la démocratisation ne viendront pas de l’État. Elles considèrent que l’organisation à la

base est un pouvoir parallèle, celui de la société civile, qui vise à la transformation du pouvoir de l’État

(FOPA 1997, cité par Encarnacion Tadem 2012).

Les principales préoccupations de ces associations et ONG sont : la promotion des pourparlers

de paix entre le gouvernement et les insurrections communistes, l’amélioration des conditions de vie et

de travail, l’environnement, le genre et les droits humains. Ils mènent campagne aussi contre l’intrusion

de nouvelles politiques économiques par les institutions telles que le FMI ou l’OMC.

Globalement, l’impact de ces organisations est positif. Mais le plus grand défi auquel elles

doivent faire face est la lutte contre la domination politique des élites philippines. Certains représentants

de la société civile ont d’ailleurs rejoint le gouvernement pour essayer de neutraliser les élites,

malheureusement ils ont souvent été maintenus loin des réelles sphères de pouvoirs.

Finalement, ces ONG activistes buttent contre les réalités du jeu politique largement dominé par

l’élite philippine.

Dans le cadre de notre recherche, il est toutefois important de souligner que les paysans qui

revendiquent l’accès à la terre et aux moyens de production ne le font pas en tant que membre de la

société civile. Pour voir leurs revendications aboutir, ils doivent exercer des pressions sur les institutions

gouvernementales (Chatterjee, 2009). Ces pressions, ils vont être en mesure de les exercer grâce à des

ONG, comme celle où nous avons effectué notre terrain. Ceci est permis par le fonctionnement de ce

que Chatterjee (2009) appelle la société politique. Il s’agit « d’un lieu de négociation et de contestations

ouvert par des agences gouvernementales visant certains groupes de population » (Chartterjee, 2009,

p.90).

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Chapitre 4 : Méthodologie

4.1. Etapes de la recherche

Rencontres préliminaires

Une fois notre lieu de terrain déterminé – l’ONG PDG aux Philippines – nous nous sommes

renseignée sur les éventuels partenaires belges. Nous en avons découvert trois. D’abord, l’ONG Quinoa

dont le siège est à Bruxelles. Il existe un programme d’échange entre les deux associations : tous les

étés, Quinoa envoie un groupe de jeunes volontaires découvrir les réalités auxquelles sont confrontés

les paysans philippins. Nous nous sommes donc rendues à Bruxelles le 19 octobre 2015 pour rencontrer

la coordinatrice de projets internationaux. Ce premier entretien nous a permis de comprendre exactement

quelles sont les missions de PDG et la manière dont ceux-ci travaillent. Nous avons aussi appris que

l’ONG fonctionnait avec des moyens très modestes et qu’elle a finalement très peu de soutien

international.

Ensuite, le deuxième partenaire que nous avons rencontré est le groupe « Erato Signers ». Il

s’agit d’une chorale active à Ans. Il s’agit d’un partenaire ponctuel. En effet, ils se sont rendus sur le

terrain en 2012, après avoir récolté environ 15 000€ dans le but de soutenir un ou plusieurs projets menés

par PDG. C’est ainsi que nous avons rencontré les membres de ce groupe le 13 décembre 2015. Lors de

cette rencontre, nous en avons appris un peu plus sur les conditions de vie sur place, et sur les projets de

l’ONG. Nous avons appris qu’avec une partie de l’argent récolté un livre sur le combat de PDG était en

cours de rédaction, c’est une chercheuse australienne – Sarah Wright – qui est chargée du projet.

Enfin, le troisième partenaire que nous avons rencontré est l’ONG Autre-Terre. Nous nous

sommes rendues au siège de l’ONG le 29 janvier 2016 et grâce à cette rencontre, nous avons appris

qu’en plus des multiples missions qui animent PDG, l’ONG comporte aussi un volet économique. En

effet, entre 1994 et 2004 « Autre-Terre » cofinance en collaboration avec la DGCD (Direction Générale

Coopération au Développement), une coopérative appelée « Kalibutan ». Nous sommes informée

qu’après le retrait des bailleurs, la coopérative n’a pas tenu. Aussi nous apprenons qu’entre novembre

2014 et novembre 2015, « Autre-Terre » en collaboration avec la Loterie Nationale finance un nouveau

projet dans les anciens locaux de Kalibutan. Il s’agit d’un projet de transformation de canne à sucre en

muscovado5. Le financement s’élève à environ 9000€.

5 Le muscovado est une sorte de sucre brun, le processus de fabrication est long et difficile. En termes de revente, il le

muscovado est plus avantageux que le sucre.

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Recherche bibliographique

En plus des rencontres préliminaires, nous avons aussi lu différents types de sources qui traitent

de notre sujet. Nous nous sommes intéressée aussi bien à la littérature scientifique qu’à la littérature

grise. Nous avons donc consulté ces sources avant de nous rendre sur le terrain dans le but d’avoir une

connaissance théorique du terrain suffisante. D’autres lectures sont venues s’ajouter à notre recherche

au fur et à mesure de la rédaction de ce travail.

Le terrain et la récolte de données

Nous nous sommes rendue aux Philippines, dans la ville de Kabankalan du 5 février au 25 avril

2016. Il s’agissait d’une observation participante, nous avons vécu en immersion dans les communautés

de notre échantillon. Le temps de l’immersion a été variable, de deux semaines à trois jours en fonction

de la communauté. Nous avons procédé à des entretiens semi directifs, en établissant un guide

d’entretien6 avec des thèmes à aborder avec les personnes interrogées7. Au départ nous voulions nous

entretenir avec les personnes individuellement – avec toutefois la présence d’un traducteur –, mais la

plupart du temps, nous avons opéré à des entretiens collectifs. Nous avons choisi quatre communautés

et dans chacune nous avons interrogé trois personnes. Nous n’avons pas eu l’occasion d’enregistrer les

entretiens, nous avons donc pris note soit à l’aide de notre ordinateur, soit dans un cahier. Nous avons

ensuite retranscrit nos entretiens sur ordinateur.

Nous avons également eu énormément de conversations informelles avec les membres de PDG

ainsi que les membres des communautés de par l’immersion totale. Nous avons également essayé de

rencontrer le Département de la réforme agraire8, sans succès.

Enfin, nous avons également procédé à des entretiens semi directifs avec des membres du

personnel de PDG.

4.2 Cheminement de la question de recherche

Après avoir pris connaissance du terrain en nous basant sur la littérature et sur les différents

entretiens avec les ONG Quinoa et Autre Terre ainsi qu’avec le groupe « Erato Signers », nous nous

sommes posé les questions suivantes : quel est le rôle des associations de paysans dans le processus de

6 Veuillez vous référer à l’annexe B 7 Veuillez vous référer à l’annexe B(bis) pour une typologie des personnes interrogées 8 Voir le point 4.4 Limites de la recherche

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la réforme agraire ? Et qu’est-ce qui motive la mobilisation des paysans ? C’est donc avec ces questions

que nous nous sommes rendue sur le terrain.

Lors de notre arrivée, nous avons d’abord eu un entretien avec le représentant de l’ONG, à savoir

Ben Ramos. En collaboration avec lui et Arlène De La Rosa, coordinatrice de programmes, nous avons

établi qu’il ne serait pas possible de nous rendre dans toutes les communautés partenaires de l’ONG. En

effet, il y en plus d’une trentaine et cela aurait été trop compliqué d’un point de vue logistique puisque

certaines sont très éloignées de la ville où nous nous trouvions. De plus un membre de l’ONG devait

nous accompagner à chaque fois en qualité de traducteur.

Nous avons donc convenu de nous rendre dans quatre communautés, toutes confrontées à des

situations différentes. Nous avons veillé à ce que ces situations soient représentatives des situations

vécues par d’autres communautés.

Après nous être entretenues avec les quatre communautés en question, nous avons compris que

PDG était l’élément fédérateur des communautés. Dès lors, notre question s’est tournée sur le rôle de

PDG dans l’organisation des associations paysannes et plus largement dans le processus de la réforme

agraire. Nous avons aussi constaté que la naissance de cette ONG était liée à un contexte politique

donné, faisant ainsi de la réforme agraire un objet politique, nous nous sommes aussi rendu compte que

ses succès n’étaient pas constants.

De cette question découlent plusieurs sous-questions :

- Comment l’ONG intervient-elle, quelles sont ses stratégies ?

- PDG est l’élément fédérateur des associations, mais qu’est-ce qui poussent les paysans à se

mobiliser ?

- De quoi dépendent les succès de PDG ?

-

4.3 Limites de la recherche

Nous avons donc effectué notre terrain dans une ONG appelée PDG, cette ONG vient en aide

aux paysans désireux d’acquérir des terres. Nous nous sommes concentrée sur quatre communautés

partenaires de PDG et qui vivent quatre situations différentes. Dès lors, notre recherche se concentre

plus sur les aspects actuels de la réforme agraire.

Notre mise en contexte a servi à montrer que les problèmes issus de la politique agricole ne sont

pas nouveaux, et ont traversé les siècles. Qu’ils ont donné lieu à des révolutions, et qu’ils s’inscrivent

donc dans un contexte très large et également violent. Nous avons bien conscience que la problématique

de la réforme agraire ne se limite pas à ce qu’elle est aujourd’hui. Néanmoins, nous avons choisi de nous

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concentrer sur l’ONG dans laquelle nous avons effectué notre terrain, ce qui nous amène à traiter du

sujet avec un aspect plus contemporain.

Une autre limite de notre recherche se situe au niveau des personnes interrogées. Au départ,

nous voulions aborder la problématique selon deux angles de vue bien distincts : d’abord celui des

communautés paysannes et celui de PDG, bénéficiaires supposés de la réforme agraire, ensuite celui des

autorités en charge de ladite réforme à savoir le Département de la Réforme Agraire (DAR).

Malheureusement, malgré plusieurs tentatives nous ne sommes pas parvenue à obtenir un entretien le

DAR. Nous avons d’abord essayé de contacter le Département de la réforme agraire au niveau

provincial. Pour ça, nous nous sommes rendue à leurs bureaux dans la ville de Bacolod. Néanmoins,

après avoir décliné notre identité et avoir montré le questionnaire, nous nous sommes vue refuser

l’interview. La raison officielle étant le fait que nous ne possédions aucune accréditation de l’Université

de Liège attestant de notre recherche. Une fois cette accréditation reçue, nous l’avons renvoyée au

niveau national, c’est-à-dire aux bureaux de Manille qui donna son consentement aux bureaux de

Bacolod. Deux semaines plus tard, nous avons reçu les réponses à nos questions, par e-mail, sans même

une signature attestant de l’identité de celui ou celle qui a répondu à nos questions9. Nous avons ensuite

essayé de contacter le niveau municipal. Pour ça, nous nous sommes rendues dans leurs bureaux à

Kabankalan et avons caché notre relation avec PDG. Néanmoins, nous avons essuyé un échec.

Le manque de coopération des autorités locales biaise notre échantillon qui se limitera donc aux

paysans partenaires de PDG ainsi qu’au personnel de l’ONG.

Nous aimerions également signaler la présence d’un traducteur, membre de PDG, lors de nos

entretiens. La plupart des ruraux ne parlent pas l’anglais, il nous était donc impossible de communiquer

sans la présence d’un interprète. De plus, nous endossions une « double casquette », le lieu de notre

terrain étant également le lieu de notre stage. Nous étions donc là en qualité de stagiaire de PDG et en

tant qu’étudiante mémorante.

9 Veuillez trouver l’interview en question en annexe C

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Deuxième partie : Cadre théorique, Hypothèses

Chapitre 1 : Cadre théorique

Dans cette partie nous allons essayer de définir les concepts qui nous semblent utiles pour

avancer dans notre problématique. Pour cela, nous avons mobilisé différents auteurs.

1.1 Aspect foncier

Réforme agraire : définition

Il nous semble important de définir ce terme dans la mesure où il sous-tend l’ensemble de notre

recherche.

Nous allons commencer par définir la réforme agraire en utilisant une définition établie par le

Bureau International du Travail ou BIT (1965). La partie qui nous intéresse le plus ici est la notion de

« programme qui comprend de multiples éléments » et qui dépasse donc la problématique du foncier,

bien que celle-ci reste au cœur du programme :

« Ce terme désigne un large programme qui comprend de multiples éléments.

L’élément essentiel de ce programme est la réforme foncière, autrement dit, les changements

bénéfiques introduits dans les rapports juridiques et traditionnels entre individus, groupes et

institutions, qui régissent le droit d’utiliser la terre, d’en transmettre la propriété et de

disposer de ses produits, ainsi que les obligations qui en découlent » (BIT, 1965 : 48)

Ce que PDG demande, c’est une réforme agraire juste et équitable. Cela passe par une

redistribution des terres aux petits paysans qui doit se faire en collaboration avec le gouvernement

philippin. L’ONG et ses bénéficiaires sont tous conscients que leur indépendance financière passe par

l’acquisition effective des titres de propriété de la terre. Ce droit inclus de jouir pleinement de la terre

et de sa production. Le but est d’apporter une autonomie financière par l’acquisition des terres. Cette

autonomie financière s’accompagne d’une amélioration des conditions de vie et un accès aux besoins

de base : la nourriture, l’éducation et les soins de santé.

Lors de nos différents entretiens, nous avons demandé aux paysans ce que la terre représentait

pour eux. La majorité d’entre eux considère la terre comme étant une source de revenus – parmi d’autres,

pour la totalité d’entre eux – qui leur permet d’offrir un meilleur avenir à leurs enfants. En effet, ils

considèrent qu’avec un revenu suffisant, l’enfant pourra aller à l’école plus longtemps et donc être plus

instruit.

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La notion dépasse le domaine foncier et comporte un changement de rapport entre les paysans,

les propriétaires et les autorités responsables. Il est espéré ici, par les paysans, qu’une relation équitable

soit créée entre les trois parties. À l’heure actuelle, il paraît évident que les autorités en charge de la

réforme agraire, à savoir le DAR, se soucient peu des intérêts paysans.

Sinha (1987), considère les réformes agraires en tant que mesures curatives par rapport à la

problématique de la répartition des terres. Néanmoins, il ajoute que ces mesures ne se suffisent jamais

à elles-mêmes et comportent souvent des lacunes. Aux Philippines, il apparaît qu’il s’agit plus d’une

couverture que d’une mesure curative. En effet, le gouvernement philippin, qui est toujours sous

l’influence des intérêts des propriétaires terriens, utilise le principe de réforme agraire comme une

stratégie pour contenir et gérer l’agitation en milieu rural et non comme une réelle politique destinée à

la redistribution des terres (Putzel 1992, cité par Borras 2005).

La réforme agraire en tant que politique publique résulte d’un long processus historique. Les

politiques publiques, de manière générale, sont issues de la division du travail au sein même de l’activité

gouvernementale. Cela participe à la sectorisation de la société et crée une multitude de miros-univers.

Ces micro-univers tentent de se réguler en s’articulant autour des décisions qui émanent de négociations

entre les différentes administrations et les groupes de pression actifs dans les différents micro-univers

(Neveu, 2005).

Considérant ceci, et considérant le fait que le gouvernement voit dans la réforme agraire une

stratégie pour calmer les agitations en milieu rural, nous pouvons en déduire que la notion de réforme

agraire – ainsi que le cadre légal qui l’accompagne – a évolué au fil de l’Histoire pour répondre de plus

en plus aux attentes des groupes de pression, il s’agit en quelque sorte d’un concept caméléon.

Quel type de régime foncier aux Philippines

Avant la colonisation, on peut définir le régime foncier aux Philippines comme étant un régime

coutumier. Celui-ci est caractérisé par « le partage entre groupes de populations ou tribus, sur la base de

la coutume ou de conventions, des droits d’utilisation des terres arables pour la culture et le pâturage.

[…] Les individus ne possèdent pas de terres, n’y ont aucun droit, si ce n’est conformément à la coutume

du groupe et à ses règles » (FAO, 1971).

Lorsqu’un régime coutumier s’efface suite à la colonisation, la FAO (1971) identifie trois types

de régimes possibles pour le remplacer :

- Le régime coutumier se perpétue, souvent dans les régions écartées ;

- Les colons amènent avec eux des modes de faire-valoir nouveaux, souvent basés sur des

formules individuelles importées d’Europe ;

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- Un régime mixte qui mélange le régime coutumier et les nouvelles pratiques

El Ghonemy (1987), explique que dans le cas des Philippines, nous sommes face à une stratification

sociale qui est conditionnée par le régime foncier. C’était déjà le cas avant la colonisation, c’est encore

le cas après. On se retrouve donc dans le troisième régime envisagé par la FAO, où le système agraire

est de structure capitaliste et de type féodal du point de vue des relations sociales.

Nous allons nous concentrer sur les dynamiques sociales révélées par le régime féodal. Par

régime féodal nous entendons un régime où

« La principale caractéristique est la concentration de la propriété des terres agricoles,

constituées en grands domaines, entre les mains d’une classe peu nombreuse, mais puissante qui

détient de vastes pouvoirs sociaux, politiques et économiques, et maintient la grande masse de la

population rurale dans un état d’indigence et de frustration. Non seulement cette oligarchie possède

les terres agricoles, mais encore elle exerce son emprise sur les principales institutions et les

principaux services de la communauté rurale » (la FAO, 1971 : 9-10).

En plus d’empêcher tout progrès économique et social, ce type de régime empêche la

création d’organisations rurales. En d’autres termes, le régime féodal étouffe la population et rend

les paysans apathiques et dépendants du régime puisqu’ils sont incapables d’agir sans lui (La

FAO, 1971).

Dès la colonisation, ce type de régime s’installe aux Philippines. Néanmoins, loin de laisser les

paysans apathiques, ces derniers se mobilisent contre lui.

Ce type de régime explique aussi la lenteur de la mise en œuvre de la réforme agraire, en effet

nous l’avons cité dans les caractéristiques de ce régime, les grands propriétaires terriens font souvent

partie intégrante du pouvoir institutionnel. Et tant que c’est le cas, la réforme agraire a peu de chance

d’aboutir.

L’analyse de la structure foncière est intéressante puisqu’elle est révélatrice des dynamiques

sociales et des inégalités structurelles. Le système foncier est garanti par un système d’autorité

(aujourd’hui le DAR ou le DENR) qui est chargée de définir les règles et qui veille à leur application.

Ces règles foncières déterminent aussi qui a légalement et légitimement accès à quels types de

ressources. Dès lors, la politique foncière traduit les rapports de forces qu’il peut y avoir entre l’État, les

pouvoirs locaux et les populations (Chauveau et Lavigne Delville, 2002 : 36).

Finalement, s’attaquer au régime foncier, c’est s’attaquer au mode de fonctionnement de la

société. Vouloir changer le régime foncier, c’est vouloir changer la société dans son ensemble, la

répartition des pouvoirs.

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1.2 Aspect mobilisation

Les 15 conditions pour passer à l’action collective : grille d’analyse10

La paysannerie est une catégorie marginale de la population des Philippines. Généralement, ils

ne forment pas ce que l’on peut appeler « une masse » ou « un ensemble ». Cela découle de leur position

géographique, mais aussi du manque de moyens de communication. Cet élément nous permet d’avancer

que l’intervention d’un groupe de paysans en dehors de la collectivité rurale à laquelle il appartient

constitue un phénomène rare et important. Cela signifie « l’irruption au niveau de la vie publique d’un

groupe social, normalement, relégué en marge de la politique » (Bernard, 1969 : 986). En ce sens, cela

constitue un phénomène politique significatif.

Si l’on considère les associations de paysans formées par PDG aujourd’hui, peut-on parler de

mouvement social ? D’action collective ? Pour répondre à ces questions, nous avons mobilisé plusieurs

auteurs. Le premier que nous souhaitons aborder est Guy Bajoit (2011) et son article « 15 conditions

pour passer à l’action collective ». Cet article général nous permettra d’appréhender le phénomène dans

une perspective plus large. Nous tenterons toutefois d’y apporter d’autres éléments.

Guy Bajoit nous dit que la frustration, la mobilisation et l’organisation sont les trois éléments

essentiels pour une action collective durable. Pour expliquer à quels moments et quelles sont les

conditions qui poussent finalement à se mobiliser, il établit une théorie qui comporte 15 conditions,

réparties en trois mouvements simultanés.

Le premier mouvement est intitulé « de la privation à la frustration ». La frustration – d’une

catégorie sociale – doit être engendrée par une privation. Cette frustration doit mener à une prise de

conscience par les personnes concernées. Cette prise de conscience compte au moins trois conditions

préalables : (1) « Il faut que l’enjeu de l’action soit constitué par un « bien hautement » valorisé par le

modèle culturel régnant et dont certains individus se sentent privés », le plus important est donc le

sentiment de privation. (2) Il faut que les individus sujets à la privation croient qu’il est possible

d’améliorer la situation en intervenant maintenant ou, à l’inverse, qu’ils aient l’espoir que la situation

dans laquelle ils se trouvent ne risque pas de se détériorer s’ils agissent. Pour ça, il faut qu’il y ait des

signes d’espoir – qui peuvent être associés à des signes de faiblesse chez les dirigeants. (3) Enfin, il faut

que la cause de leur privation soit identifiable à un autre acteur avec lequel il est possible d’interagir

directement autrement dit, il faut qu’il y ait une source à laquelle s’attaquer.

10 Cette partie est très largement inspirée de l’article de G. Bajoit « Les 15 conditions pour passer à l’action collective », publié

en 2011.

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À la conscience de la frustration, nous nous permettons d’ajouter une nuance identifiée par Scott

(2008). « Connaître ainsi le sens culturel de sa pauvreté permet d’accéder à la forme de son indignité et,

par-là, mesure l’étendue de sa colère » (Scott, 2008 : 128). Si, lorsqu’on parle d’un paysan sans terre,

on le qualifie de pauvre et que sa pauvreté découle de son statut de sans terre, on réduit sa situation à

l’impossibilité d’accéder aux moyens de production (Scott, 2008) et on occulte alors toute la portée

symbolique : la privation de la terre engendre la honte chez le chef de famille qui n’est pas capable

d’assurer des conditions de vie décentes à sa famille. « Ce sont ces indignités vécues qui établissent le

lien entre la condition et la conscience d’un individu ». (Scott, 2008 : 128)

Le deuxième mouvement, « de la frustration à la mobilisation », tente d’éclairer ce qui pousse

les personnes à se mobiliser. En effet, la frustration ne déclenche pas chez tous les individus le besoin

de se mobiliser : certains individus auront plus tendance à prêter allégeance au pouvoir en place, dans

le but d’en retirer des avantages personnels. En revanche, d’autres seront plus enclins à aller contre le

pouvoir en place. Enfin, il peut encore y avoir des individus que l’on peut qualifier d’opportunistes, qui

se contenteront de profiter des failles du système. G. Bajoit identifie ici six conditions pour expliquer le

passage de la frustration à la mobilisation. (4) Les membres d’une catégorie sociale sujette à la

frustration « doivent être entraînés dans la mobilisation par un ou plusieurs groupes d’activistes qui

entreprennent des actions concrètes » (Bajoit, 2011 : article en ligne). Le rôle de ces groupes est non

seulement de montrer l’exemple, mais aussi d’entraîner toujours plus de monde grâce à l’effet de

contagion. Enfin, ces groupes ont aussi la capacité de perturber les consciences et de susciter la réflexion.

Certains de ces groupes ont aussi les ressources nécessaires pour punir les individus qui seraient tentés

par d’autres solutions. Il va de soi que le premier mouvement – de la privation à la frustration – doit être

en route, sans quoi celui-ci n’a pas lieu d’être. (5) Il faut que le système d’interactions dans lequel évolue

la catégorie sociale comporte certaines caractéristiques qui favorisent la protestation. Trois cas sont ici

évoqués : (a) si l’adversaire est intransigeant et se propose de négocier au cas par cas, il favorisera la

loyauté et l’individualisme (b) si la répression est faible, cela incitera au pragmatisme et enfin (c), si le

système est fermé alors les plus exigeants auront tendance « à faire défection ». (6) La catégorie sociale

frustrée doit partager la même condition sociale permettant ainsi de les rassembler non seulement entre

eux, mais aussi avec les groupes d’activistes. Cette ressemblance peut être fondée sur différents critères

objectifs tels que l’âge, le sexe ainsi que sur des critères subjectifs tels que la langue, l’idéologie, la

religion ou encore le mode de vie. Enfin, il doit y avoir, dans la mesure du possible, une tradition de

lutte et une proximité géographique. (7) La catégorie sociale doit avoir un moyen de pression, celui-ci

peut être une contribution importante à la vie commune, un apport nécessaire. (8) L’identité collective

doit être constituée d’un mélange d’intérêts, de valeurs et de sentiments. Cela se construit sur la fierté

du groupe et son orgueil d’être ce qu’il est, mais aussi (et parfois surtout) sur la haine d’un adversaire

commun. La fierté et la haine ont le pouvoir de mobiliser. (9) Les enjeux concrets revendiqués par le

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groupe doivent s’inscrire dans un objectif utopique sur le long terme. Ces objectifs sont inaccessibles,

non négociables et ont le pouvoir de faire rêver et renouveler la lutte.

Avec ces deux premiers mouvements, nous sommes donc face à une catégorie sociale « frustrée,

en colère, conscientisée et invitée à participer à des groupes actifs, structurés par des militants et des

leaders et engagés dans des luttes concrètes » (Bajoit, 2011 : article en ligne). Il manque encore un

processus pour que cette mobilisation perdure dans le temps et qu’elle soit efficace : l’organisation.

C’est ainsi qu’apparaît le troisième mouvement : « de la mobilisation à l’organisation ». Le

mouvement a besoin d’une organisation visible et stable, elle doit aussi définir les enjeux, attribuer les

rôles et fixer les normes. Pour mettre en place ce processus, six conditions sont nécessaires. (10) « Il

faut un leadership de qualité : uni et honnête, persévérant et indépendant, combatif et si possible

charismatique ». (11) Il doit y avoir des enjeux à court terme, qui peuvent être atteints avec les forces

dont dispose déjà le mouvement. Cela doit donner lieu à des réussites partielles qui renforcent la

solidarité, mais aussi l’identité du groupe. Ces succès partiels sont donc un moteur pour continuer dans

la lutte. Si l’échec décourage et stoppe la lutte, il est important de noter que la victoire totale stoppe aussi

le mouvement. (12) L’organisation, pour subsister, doit être capable de rassembler des ressources telles

que l’information, les relations et l’argent. (13) L’organisation doit se doter d’un bon fonctionnement

interne. (14) Elle doit savoir gérer des échanges externes et définir une politique d’alliance. (15) Les

formes de luttes doivent être légitimes aux yeux de la majorité de la population.

Actions collectives ? Mouvements sociaux ?

Nous allons maintenant aborder et tenter de définir deux notions abordées par Guy Bajoit. Il

s’agit des termes « mouvements sociaux » et « action collective ».

Les mouvements sociaux « sont un ensemble d’actions, de conduites mettant partiellement ou

globalement en cause l’ordre social et cherchant à le transformer » (Echaudemaison, 2006 ; cité par

Lutringer 2012 : 19). De plus, les mouvements sociaux s’inscrivent dans une histoire, dans un contexte

social et culturel qu’il ne faut pas oublier. La notion d’action collective, quant à elle, renvoie à deux

critères : l’agir ensemble intentionnel et la logique de revendication. L’agir ensemble implique une

volonté de se mobiliser de concert, la logique de revendication implique la défense d’un intérêt matériel

ou d’une cause (Neveu, 2005).

Blumer dit de l’action collective concentrée autour d’une cause qu’elle « s’incarne en

entreprises collectives visant à établir un nouvel ordre de vie. Ce nouvel ordre de vie peut viser à des

changements profonds » (Blumer cité par, Neveu, 2005 : 9). Lorsque l’on parle d’action collective

concentrée en faveur d’une cause, on peut désormais parler de « mouvement social ». Neveu ajoute ici

la composante politique au mouvement social. Pour appuyer cette idée, Neveu cite Touraine « les

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mouvements sociaux sont, par définition, une composante singulière et importante de la participation

politique » (Touraine cité par Neveu, 2005 : 9).

Nous retiendrons finalement que : est politique un mouvement « qui fait appel aux autorités

politiques (gouvernement, collectivités locales, administration…) pour apporter, par une intervention

publique, la réponse à une revendication, qui impute aux autorités politiques la responsabilité des

problèmes qui sont à l’origine de la mobilisation » (Neveu, 2005 :12).

La relation de domination

La relation de domination qui peut exister entre la paysannerie et les propriétaires terriens – et

par extension les autorités – peut aussi participer à la décision de mobilisation.

Dans un premier temps, nous allons évoquer l’image que renvoient les propriétaires terriens et

les autorités. Ensuite, nous passerons à une typologie des dominations et des réactions qu’elles

entraînent. Pour ce faire, nous allons largement nous inspirer d’un ouvrage de Scott « La domination et

les arts de la résistance ».

Les relations de domination impliquent nécessairement des relations de résistance. Pour se

maintenir malgré la résistance, la domination doit mettre en place des efforts continus pour se renforcer.

A cet effet, la communication s’avère être un instrument très utile. Il faut que les subordonnés croient

que leur supérieur est effectivement puissant. Cette impression aide la domination à s’imposer et à

apporter un pouvoir réel (Scott, 2008). C’est la domination idéologique définie par les groupes

dominants qui définit ce qui relève du réalisable ou non et qui a le pouvoir de faire basculer certaines

aspirations et certaines revendications dans le domaine de l’impossible. Comme nous l’avons vu avec

Guy Bajoit, pour qu’il y ait mobilisation, la catégorie sociale qui regroupe les subordonnés doit

cependant croire que les enjeux qu’ils défendent sont atteignables. Il incombe donc aux dominants de

manipuler suffisamment les apparences pour supprimer et/ou doser cet espoir.

Les dominants contrôlent donc l’arène publique. Grâce à cela ils peuvent créer en apparence,

une politique qui se rapproche de ce que désirent les subordonnés. Il s’agit de manipuler ce que les

dominés perçoivent afin de contenir d’éventuelles frustrations (Scott, 2008). Dans le cas qui occupe

notre recherche, le gouvernement philippin a créé un organe étatique chargé de la réforme agraire : le

DAR. On peut assimiler la création de cet organe à la manipulation de l’arène publique. Il s’agit de

donner l’impression qu’une réelle politique publique est mise en place, avec un réel relais entre le

gouvernement et le peuple. Néanmoins, l’efficacité du DAR laisse à désirer, nous y reviendrons plus

tard.

La communication et la manipulation de l’arène publique peuvent néanmoins fournir les

« armes » nécessaires à la chute des dominants. En effet, les groupes dirigeants doivent se montrer à la

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hauteur de la représentation qu’ils fournissent aux subordonnés (Scott, 2008). Avec la création du DAR,

le gouvernement amène un espoir, une porte ouverte qui rapproche les paysans de leurs buts, à savoir

posséder la terre. Ce faisant, le gouvernement pousse les élites à défendre leurs intérêts en allant à

l’encontre du DAR. Cela explique, en partie, pourquoi malgré l’existence d’un cadre légal, la réforme

peine à s’implanter correctement. Ceci est appuyé par une étude de Filed (cité par Scott, 2008), qui met

en lumière la résistance de certains dignitaires locaux à la suite de l’émancipation en 1861 des paysans

de Biezdne, dans la province de Kazan. Dans ce cas précis, le décret n’était pas respecté ou plutôt était

détourné par les nobles et les fonctionnaires, soucieux de leurs intérêts.

Finalement, les attaques contre le système en place peuvent parfois trouver leurs sources au

cœur même du système. En prenant au pied de la lettre les valeurs prônées par l’élite dirigeante – ou

dans ce cas-ci une politique publique – les subordonnés attaquent l’élite grâce à sa propre rhétorique.

Cette idée est appuyée par El Ghonemy (1987), qui nous dit que la réforme agraire est un cadre qui peut

être utilisé comme moyen de pression pour que les paysans sans terres aient enfin accès à cette ressource.

Scott identifie trois types de domination qui engendre des pratiques de domination et des formes

de résistances publiques et cachées spécifiques.

Domination

matérielle

Domination

statutaire

Domination

idéologique

Pratiques de

domination

Appropriation de

récoltes, impôts,

travail, etc.

Humiliation,

défaveurs, insultes,

atteintes la dignité

Justification par les

groupes dirigeants de

l’esclavage, de la

servitude, de privilèges

de caste

Formes de résistance

publique déclarée

Pétitions,

manifestations,

boycotts, grèves,

occupations de terres,

récoltes ouvertes

Affirmation publique

de sa valeur par des

gestes, des vêtements,

des paroles ou

profanation des

symboles du statut du

dominant

Contre-idéologies

publiques, prônant

l’égalité, la révolution,

niant l’idéologie

dominante

Formes de résistance

déguisée, cachée,

discrète, infrapolitique

Formes de résistance

quotidienne, par ex :

braconnage, désertion,

évasion, tirage au

Texte caché de colère,

d’agression, et discours

déguisés de dignité, par

ex : rituels d’agression,

Développement de

subcultures

dissidentes, par ex :

religions millénaristes,

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flanc. Résistance

directe par des

résistants déguisés, par

ex : appropriations

masquées, menaces,

anonymes

contes populaires de

revanche, utilisation du

symbolisme de

carnaval, ragots,

rumeurs, création d’un

espace social autonome

pour l’affirmation de sa

dignité

« alcôves aux soupirs »

des esclaves, religion

populaire, mythes du

banditisme social et

des héros de classe,

imagerie du monde

renversé, mythe du

« bon » roi ou des

temps précédents le

« joug normand »

Ce tableau nous permet de situer le contexte dans lequel évolue notre recherche et nous

permettra de mieux situer notre analyse, en présentant d’ores et déjà à quelles formes de domination et

à quelles formes de résistance nous faisons face. »

Attardons-nous d’abord sur le type de domination. Il semble que nous nous trouvons plus face à une

domination matérielle : c’est l’appropriation des terres par les élites qui donne lieu à un sentiment

d’injustice.

Au sujet de la forme de résistance déclarée, nous en retrouvons plusieurs. D’abord, celles qui

correspondent à la domination matérielle : les pétitions, manifestation, occupations des terres, etc.

Ensuite il y a aussi l’affirmation publique, qui prend ici la forme de manifestation soit chez le

propriétaire terrien, soit devant l’institution en charge de la réforme agraire : le DAR.

Pour ce qui est des formes de résistances cachées, nous retrouvons encore une fois celles qui

correspondent à la domination matérielle : l’occupation des terres peut en effet, être une forme de

résistance quotidienne. En ce qui concerne les autres dominations, nous pouvons mentionner les New

People’s Army (NPA), qui entrent dans ce que Scott appelle le « texte caché de colère, d’agression » et

dans « le développement de subcultures ».

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1.3 Approche théorique de l’ONG

L’approche du tiers secteur

Nous allons ici nous inspirer d’un article de Norman Uphoff (1987) dans lequel il propose de

mettre en lumière l’importance des associations locales dans le développement rural. Pour ça, il mobilise

une approche sectorielle en se basant sur un modèle établi par Hunter (1960, cité par Uphoff 1987). nous

Nous pouvons opposer deux secteurs dans la société: le secteur public et le secteur privé. Hunter se

propose d’inclure un troisième secteur : le tiers secteur. Dans ce dernier nous pouvons exclure les

comportements dirigés par l’intérêt privé ainsi que par l’intérêt public. Ce tiers secteur se compose

d’associations locales qui elles-mêmes regroupent d’autres associations locales pour le développement

ainsi que des coopératives. Plus largement, par « associations locales » il désigne « les associations ou

comités locaux de développement, les coopératives et les associations défendant certains intérêts

(associations de paysans, comités de santé, etc.) » (Uphoff, 1987 : 74).

Uphoff propose un tableau pour synthétiser sa pensée :

Secteur public

Tiers secteur

Secteur privé

Type de décision Bureaucratique

- normative

Volontariste –

mobilisatrice

Orientée vers

le marché – en fonction

des prix

Décideurs Autorités Associations Individus

Critères de décisions Politique / public Objectifs et intérêts des

membres

Maximalisation des

profits

Sanctions Mise en vigueur Règlement des

associations

Sanctions

économiques

Mode d’action Vertical à partir du

sommet

Vertical à partir de la

base

Individualiste

Selon l’auteur, les organisations locales sont importantes car elles sont là pour répondre à des

préoccupations de justice, mais aussi de démocratisation du pouvoir. Leurs fonctions sont les

suivantes : « planification et définition des objectifs, règlement des conflits, mobilisation et gestion des

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ressources, prestation de services, intégration des services, contrôle de la bureaucratie et expression de

revendications » (Uphoff, 1987 : 75).

Si on les compare au secteur public ou secteur privé, elles se démarquent grâce à trois avantages

principaux : (1) l’efficacité (2) l’équité et (3) l’élargissement du pouvoir. En ce qui concerne (1)

l’efficacité, les organisations disposent de moyens pour favoriser les efforts en matière de

développement. En effet, grâce à leur connaissance approfondie du terrain et des besoins locaux, elles

sont capables d’allouer de manière plus efficiente les ressources qu’elles ont à leur disposition. Du point

de vue de (2) l’équité : elles participent à la renforcer en favorisant l’intégration des populations rurales

qui autrement n’ont pas accès aux structures de production économique et aux bénéfices sociaux. Elles

les incitent également à s’aider elles-mêmes. Enfin, pour (3) l’élargissement du pouvoir : grâce aux

organisations locales, les ruraux ont la possibilité de faire entendre leur voix en ce qui concerne la

planification et l’évaluation. En citant Huntington (1968, cité par Uphoff, 1987 : 81), il ajoute :

« Les ligues paysannes, les associations d’agriculteurs et les coopératives agricoles

sont nécessaires pour garantir la vitalité soutenue de la réforme agraire. Quel que soit leur

objectif déclaré, le fait que ces organisations existent crée un nouveau centre de pouvoir dans

les campagnes… qui fait contrepoids au statut social, à la richesse économique et à la

supériorité en matière d’éducation, qui constituaient jusque-là les principales sources du

pouvoir de la classe des propriétaires fonciers »

Les organisations locales sont le lien essentiel entre les institutions gouvernementales et les

communautés rurales pour une « planification rationnelle ». En effet, c’est grâce à ces organisations que,

comme nous l’avons dit, les paysans peuvent faire entendre leur voix dans l’arène politique. C’est

uniquement cette interaction en cascade qui permet ce processus. (El Ghonemy, 1987).

Le climat est important dans le renforcement des organisations. Ainsi un contexte défavorable

peut être un moteur, car il sera perçu comme un défi à relever tandis qu’un climat favorable aura plus

tendance à endormir l’action collective, car il engendre la facilité (Uphoff, 1987). Les organisations

créées à l’initiative d’une population locale ont une plus grande chance de perdurer et d’apporter une

aide efficace au développement rural, si on les compare aux autres organisations. El Ghonemy (1987)

ajoute que ces organisations peuvent, à terme, devenir des organisations non gouvernementales capables

d’influer sur la création des politiques avec comme but final d’en faire profiter les plus pauvres.

Pour être encore plus complète, nous allons aborder une théorie de Barbedette (2002) qui

identifie quatre espaces sociaux où s’élaborent les stratégies qui ont un rapport direct avec la vie rurale.

(1) L’espace étatique, chargé de produire les politiques publiques – incluant celles pour le

monde rural.

(2) L’espace de l’aide, qui est supposé porter le discours du développement rural.

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C’est ce que l’auteur appelle des « espaces du haut », à ces deux espaces du haut, il oppose deux autres

espaces :

(3) Le niveau local ou néo-coutumier. Il assure le contrôle social et la conservation des

équilibres au sein du système qu’est le village. Il existe une relation d’évitement entre cet

espace et l’espace étatique. De plus, il n’a aucun contact avec l’espace de l’aide.

(4) Enfin, au niveau local, il y a un deuxième espace : celui des organisations paysannes. À

cheval entre l’espace néo-coutumier et sur l’espace de l’aide. Souvent ce sont eux qui sont

reconnus par les acteurs de l’aide.

Il nous semble évident que PDG fait partie du tiers secteur et dans ce tiers secteur, nous pensons

que l’ONG relève du quatrième espace que nous venons d’évoquer. Nous y reviendrons dans notre

analyse, lorsque nous présenterons PDG.

Conditions de survie et difficultés rencontrées par les organisations locales

Nous allons maintenant aborder les conditions de survie ainsi que les difficultés que peuvent

rencontrer les organisations paysannes.

Uphoff (1987) nous dit qu’il existe plusieurs (3) conditions nécessaires à la survie de ce type

d’association.

(1) La création d’une organisation efficace prend du temps et nécessite parfois plusieurs essais.

L’organisation doit prévoir la possibilité de modifier son programme ainsi que sa structure

permettant ainsi de faire accepter les résultats par les membres comme étant réellement ceux

de l’organisation.

(2) L’organisation ne doit pas lésiner sur les intermédiaires si cela est nécessaire. En effet, cela

peut participer au renforcement de l’organisation. Cela est surtout vrai pour celles qui

cherchent à atteindre les secteurs les plus pauvres et les plus marginalisés.

(3) Enfin, la dernière condition ne dépend pas des organisations elles-mêmes. C’est ce que l’on

appelle la « réorientation de la bureaucratie ». Peu d’organismes gouvernementaux sont

capables de coopérer de manière efficace avec la population rurale. Il ne s’agit pas toujours

d’une question de volonté, en réalité, il y a un décalage entre les procédures imposées par

l’administration et la réalité du monde rural, ainsi le comportement adopté par les ruraux est

conditionné pour une bonne part par le comportement de la bureaucratie.

À ces principes de survies, nous en rajouterons quatre identifiés par El Ghonemy (1987) :

(1) Les organisations doivent pouvoir compter parmi ses membres, de vrais militants.

(2) Elles doivent également pouvoir compter sur des chefs de file élus.

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(3) Elles doivent pouvoir compter un minimum sur les administrations locales pour répondre à

leurs éventuels besoins.

(4) Le pouvoir qu’elles peuvent acquérir dépend aussi de leur capacité à maintenir une structure

organisationnelle permanente ainsi que de leur capacité à conclure des alliances avec

d’autres organisations.

Nous l’avons évoqué, PDG est une organisation fédératrice d’associations paysannes. À cet

égard, elle est confrontée à des problèmes qui sont propres à ce type d’organisation (Mercoiret, 2006) :

(1) Le contexte socio-politique peut varier et par conséquent être favorable ou non à ce genre

d’organisation.

(2) Ces organisations sont confrontées aux modèles promus par l’aide internationale. Certains

bailleurs préfèreront des organisations de type sectoriel, tandis que d’autres préfèreront les

organisations à tendance plus généralistes.

(3) En essayant de fédérer plusieurs communautés paysannes, en essayant de créer une unité,

les organisations se heurtent parfois à des résistances internes. Chacune des communautés

ayant sa propre histoire, ses propres objectifs ou encore sa propre vision de l’agriculture.

(4) L’accès à l’information reste parfois compliqué. La compréhension du texte, l’analyse des

rapports de forces, sont autant d’éléments qui compromettent leur capacité d’analyse et la

construction de leur argumentaire. Il existe une réelle asymétrie entre les organisations

paysannes et les acteurs institutionnels par rapport à l’accès à l’information.

(5) Le manque de ressource dont les organisations disposent limite souvent leur possibilité de

travail et par conséquent leur équipe. Ces organisations travaillent donc en petit comité ce

qui implique que les membres doivent être très polyvalents et maîtriser un grand nombre de

sujets. Ce qui n’est évidemment pas toujours le cas.

(6) Le système de communication interne pose également problème. Même si, souvent, des

efforts sont consentis (presse écrite, radio, etc.), cela reste insuffisant et l’information ne

circule pas correctement entre les responsables et les adhérents à l’organisation. Or, « la

connaissance des progrès déjà réalisés influence nettement le standing moral » (Maucorps,

1950 : 102) et par extension la motivation à maintenir l’engagement.

(7) Enfin, les organisations paysannes doivent répondre à une double demande : les demandes

relevant de l’urgence et du court terme ainsi que les demandes ayant une influence sur

l’avenir des paysans, les demandes sur le long terme. Aussi, ces organisations doivent être

capables de proposer tant des solutions à court terme que des solutions sur le long terme.

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Chapitre 2 : Hypothèses

Pour rappel, notre question de départ porte sur le rôle de PDG dans l’organisation des

associations paysannes et plus largement dans le processus de la réforme agraire, hors de cette question

nous avons identifié plusieurs sous questions qui sont les suivantes :

- Comment l’ONG intervient-elle, quelles sont ses stratégies ?

- PDG est l’élément fédérateur des associations, mais qu’est-ce qui poussent les paysans à se

mobiliser ?

- De quoi dépendent les succès de PDG ?

À la suite de nos lectures, nous posons l’hypothèse suivante : une sollicitation extérieure

(incarnée par PDG) favorise l’action collective et l’organisation des communautés rurales dans le but

de donner la chance aux paysans marginalisés d’occuper une place dans l’échiquier politique. Or de

cette hypothèse nous dégageons une sous-hypothèse : les stratégies mises en place par PDG (et par les

associations locales) s’adaptent au contexte et les résultats qui découlent de ses stratégies varient

également en fonction du contexte.

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Troisième partie : Analyse

Dans cette partie de la recherche, nous essayerons de mettre nos hypothèses à l’épreuve de la

théorie et du terrain que nous avons effectué. Cette partie sera structurée comme suit : nous allons

d’abord redéfinir le sujet de notre étude : de qui parlons-nous ? Ensuite, nous nous attarderons sur la

mobilisation : pourquoi se mobilisent-ils ? Après, nous essayerons de comprendre comment s’opère

cette mobilisation, et pour cela nous nous attarderons sur les stratégies qui sont développées. Enfin, nous

terminerons par l’analyse des résultats qui découlent de tout ceci, et sur ce qui conditionne ces résultats.

Chapitre 1 : Le terrain

Nous allons à présent nous pencher sur l’ONG dans laquelle nous avons effectué notre terrain,

sur sa manière de travailler et sur son rôle essentiel au sein des communautés paysannes.

1.1 PDG, l’organisme d’accueil

1.1.2. Présentation générale11

Nous nous sommes rendue à Kabankalan, dans la région du Négros Occidental aux Philippines

entre le 5 février 2016 et le 25 avril 2016. L’ONG dans laquelle nous avons fait notre terrain se nomme

« PDG » ou « Paghidaet sa Kauswagan » Development Group, Inc. Celle-ci se situe dans le Sitio Mojon,

dans le Barangay de Bincuil à Kabankalan12.

Dans les années 1980, alors que le pays est soumis à la loi martiale de Marcos, l’île du Négros

connait une crise économique importante due à la chute du prix du sucre. Nous l’avons vu dans le

contexte, cette île est très dépendante du cours du sucre, la canne à sucre y étant omniprésente. Le climat

social est alors fort tendu et pour tenter d’apaiser le climat, Marcos envoie des troupes militaires pour

faire régner l’ordre. Malheureusement, cela donne vite lieu à des débordements et, dans la foulée, les

droits de l’Homme sont souvent bafoués. C’est à ce moment-là qu’apparaissent aussi un grand nombre

d’ONG (Ramos, 2016).

C’est en 1987 que PDG voit le jour sous l’impulsion d’un petit groupe de professionnels,

provenant de divers secteurs : l’économie, les sciences politiques, l’ingénierie, l’agriculture et le

commerce. Ces jeunes se sont rencontrés dans d’autres ONG où ils étaient alors actifs. L’idée de créer

11 Cette partie est largement inspirée de notre rapport de stage de Master 2 (voir WATTIEZ Mélanie, 2016, Rapport de stage :

« PDG » ou « Paghidaet sa Kauswagan » Development Group, Inc., Université de Liège) 12 En annexe A, vous trouverez une carte afin de vous situer géographiquement

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une nouvelle ONG leur vient de l’intérêt qu’ils ont pour l’agriculture, et en particulier les problèmes

rencontrés par les pauvres paysans ainsi que par les travailleurs agricoles (Ramos, 2016).

Aujourd’hui, PDG est dirigé par toute une équipe, mais la figure de proue reste Ben Ramos,

avocat de profession, l’un des fondateurs de l’association.

A l’origine, l’ONG concentre ses efforts au soutien des groupes marginalisés : les petits

agriculteurs, les agriculteurs sans terre et les pêcheurs traditionnels. Rapidement, leur action c’est élargie

suite aux violations perpétuelles des droits de l’Homme provoqué par les propriétaires terriens.

L’objectif premier de PDG est « de fournir des outils et du soutien aux initiatives locales afin

de provoquer un changement social et des conditions de vie meilleures » (Quinoa, s.d). PDG compte

aujourd’hui une trentaine d’associations partenaires, toutes situées autour de la ville de Kabankalan.

Cela représente des centaines de familles, bénéficiaires du soutien de l’ONG.

PDG ne recrute pas les groupes de paysans. La philosophie de l’ONG est axée sur la

participation et l’engagement volontaire. L’initiative vient d’un groupe de paysans qui identifie un

problème auquel PDG peut apporter une solution. L’ONG aide le groupe à former une association. Pour

ce faire, PDG aide à mettre en lumière un ou des leader(s) au sein du groupe. C’est ce dernier qui sera

chargé de représenté la communauté et également de maintenir son unité.

Il y a trois intérêts à cette organisation : avoir une existence d’un point de vue juridique, une

fois établi en association les paysans ont plus de poids face au DAR, enfin l’organisation en association

oblige tous les membres à s’impliquer.

Chaque association est subdivisée en comité. On retrouve principalement les comités de la

réforme agraire, de la protection environnementale, de l’agriculture durable, en charge des projets

générateurs de revenus, en charge de la communication et en charge de la santé. Généralement une

association ne compte pas plus d’une cinquantaine d’individus, chaque individu se retrouve dans un ou

plusieurs comités.

C’est autour de ces comités que s’articulent les activités de PDG. On peut distinguer quatre

types de programmes et d’activités :

1. Développement et renforcement de structures communautaires :

Construction et organisation d’associations populaires autonomes

Formation de leader des associations

Soutiens aux campagnes/luttes locales pour la terre au travers de séances d’information

Éducation électorale et fonctionnement

Création d’un réseau inter-organisation

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2. Programme de développement socio-économique :

Promotion de l’agriculture durable et biologique au travers de formation

Promotion de la médecine traditionnelle au travers de la formation du comité en charge de

la santé

Construction d’entreprises socio-économiques inter-organisation sur base du réseau

3. Programme en charge des droits humains :

Formation sur les droits de l’Homme

Fournir des services et/ou soutiens juridiques aux familles et/ou témoins de violations des

droits de l’Homme

Ce volet est très important puisque la plupart du temps les propriétaires terriens s’opposent à la

récupération (même légale) des terres. Leur résistance s’incarne au travers de menaces physiques et/ou

psychologiques.

4. Campagne et plaidoyer :

Campagne et plaidoyer sur différentes questions telles que la réforme agraire,

l’environnement, l’agriculture, ces campagnes tentent d’atteindre un public plus large que

le public cible habituel de l’ONG ainsi que les instances gouvernementales concernées.

Volonté de donner au plaidoyer une portée plus international grâce à la venue de stagiaires

et de volontaires Quinoa.

1.1.3 PDG en tant qu’organisme fédérateur

Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, nous nous sommes rapidement rendu

compte que PDG était l’organisme fédérateur des communautés paysannes.

En ce sens, on peut qualifier PDG d’organisation faîtière : « Une organisation faîtière est un

regroupement des structures (associatives ou coopératives) légalement constituées et ayant des objectifs

communs en matière de développement socioéconomique […] Une faîtière nationale est constituée

d’unions de groupements, de fédérations d’un pays » (Afrique Verte, 2008 : 4).

Afrique Verte (2008) caractérise aussi ce type d’organisation comme chapeautant un ensemble

d’organisations ayant les mêmes visions du développement. Or, PDG est une organisation qui regroupe

un réseau d’associations indépendantes, mais partageant toutes les mêmes objectifs et la même vision

du développement. Plus qu’une organisation « mère » qui gère un réseau, PDG est à l’origine des

associations : c’est elle qui organise les paysans.

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Les organisations faîtières ont plusieurs missions, toutes similaires à celles de PDG. (1) Elles

doivent défendre l’intérêt général des membres (2) elles doivent se concerter et négocier avec l’État et

d’autres partenaires possibles pour défendre cet intérêt général. (3) Elles sont chargées de représenter

leurs membres au niveau national et international (4) elles doivent donner les compétences à leurs

membres afin qu’ils soient capables d’analyser les politiques agricoles, de les comprendre. (5) Elles

doivent mener des actions de plaidoyer en faveur des intérêts qu’elles défendent (Afrique Verte, 2008).

Il semble désormais évident que PDG fait partie du tiers secteur définit par Uphoff (1987),

évoqué dans notre partie théorique. L’ONG se démarque effectivement par les trois avantages issus de

ce secteur : l’efficacité, l’équité et l’élargissement du pouvoir.

Concernant l’efficacité, nous savons à présent que l’organe gouvernemental qui est chargé de la

réforme agraire est le DAR. Il est tout à fait possible de devenir bénéficiaire du programme de la réforme

agraire, sans en passer par PDG. L’ONG n’est qu’un intermédiaire, un médiateur, un vulgarisateur de

jargon juridique employé par le DAR. Cela nous permet de dire que si le DAR avait une connaissance

approfondie du terrain, la nécessité d’un « médiateur – vulgarisateur » ne serait pas nécessaire.

Ensuite, concernant l’équité il est évident que PDG renforce les communautés en les intégrant

à des structures auxquelles elles n’ont pas accès habituellement. Arlène, coordinatrice de projet pour

PDG, nous dit à ce sujet « La constitution des communautés en association est essentielle. Cela leur

donne une existence juridique et légale. Et par extension, une légitimité aux yeux du DAR. De fait, le

DAR préfère généralement travailler avec des groupements de paysans qu’avec des individus seuls »13.

Enfin, en ce qui concerne l’élargissement au pouvoir, nous l’avons déjà mentionné : grâce à leur

mobilisation en association, les paysans peuvent faire entendre leurs voix à un niveau auquel ils n’ont

généralement pas accès. Ils ont ainsi un certain contrôle sur la planification et l’évaluation des politiques

les concernant.

Nous avions également évoqué l’existence de quatre espaces sociaux, définit par Barbedette

(2002). Nous avions déjà associé PDG au quatrième niveau qui est le dernier espace du niveau local à

savoir celui des organisations paysannes. PDG est à cheval entre l’espace néo-coutumier et l’espace de

l’aide. Nous le verrons dans la description générale des communautés, il n’est pas rare que la confusion

liée à la possession de la terre relève du droit coutumier. PDG fait aussi indéniablement partie du monde

de l’aide puisque l’ONG est ou a été en relation avec des bailleurs de fonds étrangers. Ils sont ceux qui

sont reconnus par les acteurs de l’aide, c’est avec eux que les bailleurs traitent et non pas avec les

associations paysannes directement.

13 Traduction personnelle depuis l’anglais

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Finalement les organisations faîtières cherchent à s’imposer comme interlocuteurs

incontournables de l’Etat et pour justifient leur légitimité en étant représentants des organisations

paysannes (Barbedette, 2002)

1.2 Les associations

Les associations établies par PDG sont organisées en différents comités, tous en charge d’une

compétence particulière, nous le verrons dans le descriptif des associations. Il nous semble également

pertinent de mentionner que les membres de ces associations ne reçoivent aucune rémunération : ils sont

volontaires.

Nous avons choisi quatre communautés parmi les trente-trois partenaires de PDG. Nous les

avons sélectionnés sur base de plusieurs critères :

- Leur situation géographique. Pour des raisons purement logistiques et de gain de temps, nous

avons choisi des communautés facilement accessibles.

- Leur situation par rapport à la propriété foncière. Nous voulions avoir différentes situations, tout

en sachant qu’il ne nous serait pas possible d’analyser toutes les situations. En effet, le travail

aurait été beaucoup plus conséquent et aurait demandé de disposer de plus de temps sur le

terrain. Nous avons donc choisi :

MAFA association qui occupe des terres sans titres de propriété

BAKAS association dont les membres sont propriétaires de leurs terres

MAMSA association qui occupe des terres convoitées par l’industrie du tourisme

PATAG association qui a des titres de propriété (CLOA), mais qui ne sont pas respectés

par l’ancien propriétaire des terres

Nous allons maintenant brièvement décrire les quatre communautés.

1.2.1. Présentation générale14

MAFA association

(Mahalang small Farmers Association)

MAFA association est située dans le Barangay de Mahalang, dans ville d’Himamaylan. Cette

ville suit directement celle de Kabankalan est compte environ vingt barangays. L’association compte

une quarantaine de membres répartis dans cinq comités :Agrarian Reform and Environmental protection

and rehabilitation committees, Sustainable Agriculture Comittee,, Income gerenating project et Health

14 Les informations sur l’historique des communautés ont toutes été recueillies durant nos entretiens

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committee. Les membres de l’association vivent tous dans le même village et ont pour la plupart un lien

de sang. L’association en tant que telle a été créée en 2007.

Les membres de cette association occupent des terres sans être en possession des titres légaux.

La terre a changé plusieurs fois de propriétaires, il s’agissait à chaque fois d’exploitation sous la forme

d’une grande hacienda. Les travailleurs sont restés à chaque changement de propriétaire et les familles

qui vivent là aujourd’hui, sont soit des anciens travailleurs de l’hacienda, soit des descendants de ceux-

ci. En 1990, la propriété a été saisie par la PNB (Philippine National Bank), mais le propriétaire des

lieux a ignoré l’injonction et a continué à exploiter la terre. Cependant en 2010 il a été contraint

d’abandonner la terre, ce qui donna l’occasion aux membres de l’association d’occuper la terre.

Le nœud du problème se situe entre le propriétaire actuel et l’association. En réalité, lorsque la

propriété a été saisie en 1990, elle a été revendue dans la foulée à un nouveau propriétaire. En 2011, le

propriétaire a fait envoyer une note d’expulsion aux membres de la communauté. Mais en 2014 le DAR

a statué en faveur de la communauté en les autorisant à exploiter les terres. Néanmoins, aucun titre de

propriété n’a été cédé.

L’association se trouve donc dans une situation très précaire. Le contexte y est même

relativement violent puisque le propriétaire a engagé à maintes reprises des milices privées pour

intimider les paysans (sabotages de récoltes, création de barrières, etc.). En 2014, un évènement vient

calmer le climat plutôt tendu entre le propriétaire et l’association : deux personnes ont apparemment jeté

une grenade dans la maison du propriétaire, tuant au passage son frère et un de ses cousins. La situation

aujourd’hui reste précaire, mais le climat s’est apaisé. L’association cultive aujourd’hui cinq hectares

de manière communautaire.

BAKAS association

(Buhi nga Aksyon para sa Kauswagan kg Pag-Amlig sg Mangunguma kag Mamumugon)15

L’association se situe dans le Barangay d’Orong, le long d’une grande route. Alors que dans la

première association, tous les membres vivent dans le même village, la situation est ici différente. La

situation géographique rend la chose plus compliquée. Les membres sont dispersés autour de la grande

route et toutes les personnes vivant là ne font pas partie de l’association. Celle-ci se compose d’une

cinquantaine de membres, également répartis dans les comités. Nous retrouvons les cinq mêmes comités

que pour la première association à une différence près : l’association comporte un volet plus

« économique » avec des projets collectifs en plus de la ferme communautaire (on parle ici d’une

porcherie, d’un élevage de Carabao qui sont ensuite mises à disposition des fermiers de l’association et

15 The Living Action towards Development and Protection of Farmers and Farmworkers

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également louées à d’autres fermiers, etc.). Grâce à ça, ils maintiennent une certaine autonomie

financière.

L’association a été créée en 1995, il s’agit d’une de plus anciennes associations partenaires de

PDG. Les membres de l’association étaient des travailleurs dans une grande hacienda. Celle-ci a été

saisie par la PNB, l’information était connue dans le barangay. PDG a alors envoyé plusieurs

organisateurs afin d’informer clairement les paysans sur leurs droits. Nous sommes au début du CARP,

et avec l’aide de PDG les paysans créent l’association BAKAS afin de rentrer un dossier pour obtenir

les titres légaux.

En 1996, les membres de l’association s’installent sur les terres et commencent à l’exploiter.

Les membres eux-mêmes nous ont avoué ne pas avoir réellement mené un « combat » pour obtenir les

titres. En réalité, il s’agissait d’un combat administratif puisque ce n’est qu’en 2011 qu’ils ont obtenu

les titres légaux. Néanmoins, entre 1996 et 2011, ils n’ont subi aucune pression d’un éventuel

propriétaire terrien. Aujourd’hui, ils exploitent 50 hectares.

MAMMSA association

(Magagmay nga Mangunguma kag Mangingisda sang Sabang)16

L’association est située dans le sitio de Sabang. Alors que les deux associations précédentes

vivent à l’intérieur des terres, celle-ci se situe en bord de mer, dans un cadre idyllique. L’association

compte une cinquantaine de membres, tous habitant le même village. Nous retrouvons les cinq comités

précités. Les membres de l’association vivent sur ces terres depuis toujours et n’ont pas conscience qu’il

est nécessaire d’avoir un titre de propriété pour être reconnu comme propriétaire de la terre. Une lacune

dont s’est vite rendu compte un homme appelé Gemora. En 1965, celui-ci obtient le titre de propriété de

la terre et se présente à la communauté en tant que propriétaire. Il leur donne l’autorisation verbalement

de continuer à vivre là et leur demande de cultiver la noix de coco pour lui. En échange, ils pouvaient

continuer à planter ce qu’ils désiraient sur une parcelle dédiée. C’est la création d’une hacienda et le

changement de statut des personnes qui vivent là : ils deviennent ouvriers.

Avec le décret 27 du Président Marcos, les membres de l’association récupèrent une partie des

terres sur lesquelles sont cultivés le maïs et le riz, cela représente 25 hectares. Encore une fois, le manque

d’informations leur laisse supposer qu’ils sont également propriétaires des terres où sont établies leurs

maisons. Malheureusement ces terres appartiennent toujours à Gemora.

Pendant la présidence d’Aquino, il est décidé que toutes les terres doivent être redistribuées aux

petits fermiers. Gemora laisse les paysans cultiver la majorité de la propriété, mais ne leur donne

pourtant aucune preuve écrite de cet accord. En 1998, Gemora vend sa propriété à un groupe appelé

16 Small Farmers and Fisherfolks in Sitio Sabang Association

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CLDC (Cartagena Land Development Corporation). Les habitants ont alors introduit un dossier auprès

du DAR, mais ce dernier n’a pas tranché en leur faveur.

Pour essayer d’avoir plus de poids et pour s’informer correctement sur leurs droits, ils créent

l’association MAMMSA en 2002 avec le soutien de PDG. L’association est toujours propriétaire des

terres acquises durant le règne de Marcos. Mais le CLDC cherche à créer un resort sur les terres qu’il a

achetées à Gemora. Le groupe a fait poser des clôtures et fait surveiller les terres en question, si bien

que pour atteindre leurs terres, les paysans n’ont d’autres choix que de passer par la mer. Les maisons

qu’ils occupaient autrefois ont été détruites et ils vivent aujourd’hui sur la plage. Pour la majorité d’entre

eux, la terre qu’ils possèdent n’est pas suffisante pour subvenir à leurs besoins. La mer représente une

alternative correcte et beaucoup d’entre eux sont donc aussi pêcheurs.

PATAG association

(Palangabuhi an Amligan Teknolohiyang Agrikultura Gamiton)17

L’association se situe dans le barangay d’Hinigaran, elle compte 27 membres, mais en réalité

35 personnes sont concernées par le CLOA (ce sont des gens qui ne faisaient pas partie de l’association

au départ, mais qui sont venus aider au fur et à mesure). Comme pour les autres associations, nous

retrouvons les cinq comités précités.

PATAG a été créée en 1998 lorsque ses membres, travaillant tous dans la même hacienda, ont

décidé de devenir bénéficiaire du CARP et par extension, de devenir propriétaire d’une partie de

l’hacienda. La demande est introduite en 1998. En 2003, le DAR octroie un CLOA aux membres de

l’association. Celui-ci englobe 31,8 hectares. Ils décident de s’installer d’abord sur 1,5 hectare,

néanmoins le propriétaire refuse. L’association fait alors appel au DAR pour faire constater le refus du

propriétaire. Celui-ci accueille les représentants du DAR avec une milice armée privée. Le DAR renonce

et laisse l’association à son sort.

Trois ans plus tard, en 2006, les membres de l’association décident de recommencer et

s’installent sur 12 hectares. S’engage alors une lutte armée et plusieurs membres seront blessés, certains

grièvement. Le DAR intervient et entame une négociation pacifique entre les deux parties. Finalement,

le DAR décide d’accorder trois hectares à l’association et demande aux membres de rendre le reste au

propriétaire initial, en échange de quoi ils pourront redevenir ouvriers sur la terre en question. Il va de

soi que l’association a refusé ce marché.

Depuis, les membres de l’association ne cessent d’avancer sur le terrain et de cultiver de plus

en plus de terre et ceci, évidemment, dans un climat instable. Aujourd’hui les membres exploitent 26

hectares.

17 Protection of the Livelihood by Using Agricultural Technology

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MAFA association

(Mahalang small Farmers

Association)

BAKAS association (Buhi nga

Aksyon para sa Kauswagan kg

Pag-Amlig sg Mangunguma

kag Mamumugon)

MAMMSA association (Magagmay

nga Mangunguma kag Mangingisda

sang Sabang)

PATAG association (Palangabuhi an

Amligan Teknolohiyang Agrikultura

Gamiton)

Situation

géographique

Sitio de Mambalayong

Barangay de Mahalang

Barangay d’Orong Sitio de Sabang Barangay d’Hinigaran

Situation

foncière

Occupation de terre sans titre

légal, climat tendu, occupe

environ 5 hectares.

Bénéficiaires du CARP, climat

favorable, ils possèdent 50

hectares.

Se battent contre l’industrie du

tourisme, climat tendu, possèdent

légalement 25 hectares.

Se battent pour faire appliquer le

CLOA, climat tendu, possèdent

légalement 31,8 hectares, mais n’en

exploitent aujourd’hui que 26.

Nombre de

membres

40 50 50 27

Nombre et

nature des

comités

Cinq comités :

Agrarian Reform and

Environmental protection and

rehabilitation committees,

Sustainable Agriculture

Comittee,, Income gerenating

project et Health committee

Cinq comités :

Agrarian Reform and

Environmental protection and

rehabilitation committees,

Sustainable Agriculture

Comittee,, Income gerenating

project et Health committee

Cinq comités :

Agrarian Reform and Environmental

protection and rehabilitation

committees, Sustainable Agriculture

Comittee,, Income gerenating project

et Health committee

Cinq comités :

Agrarian Reform and Environmental

protection and rehabilitation

committees, Sustainable Agriculture

Comittee,, Income gerenating project et

Health committee

1.2.2 Tableau récapitulatif

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1.2.3. Autoperception des paysans : mise en lumière

Pour comprendre pourquoi les paysans se mobilisent, ainsi que le ou les élément(s) qui poussent

à s’engager, nous avons trouvé important de leur demander de nous expliquer comment ils se

représentaient leur situation. Plusieurs questions ont été posées dans ce but18.

Groupe de paysans, association ou communauté ?

Avant toute chose, nous allons d’abord rapidement nous arrêter sur le terme qui définit ces

groupes de paysans. Avant de partir sur le terrain, lors de notre entretien avec l’ONG Quinoa, nous

avons constaté que le terme employé pour définir les groupes de paysans était « communauté ». Une

fois sur le terrain, nous nous sommes rapidement rendu compte que deux termes étaient utilisés : celui

d’association et celui de communauté19. Instinctivement, nous avons pensé que le premier terme,

association, inclut uniquement les paysans partenaires de PDG. Ce terme nous semblait comporter une

dimension plus « business » tandis que le terme de communauté nous semblait avoir une connotation

chargée d’autres valeurs (famille, solidarité, etc.).

Barbedette (2002), nous dit que la base des organisations nationales (comme PDG) ce n’est pas

le paysan en tant qu’individu, mais que c’est l’association de paysans. Or il constate aussi que

l’association ne regroupe pas forcément l’entièreté d’un village. Comme nous l’avons évoqué dans la

présentation générale des associations, ce fait est aussi vrai sur le terrain qui nous occupe.

Nous décidons donc de nous concentrer sur l’association et ses membres, plutôt que de

considérer le village dans son entièreté. Nous allons tenter de savoir ce qui différencie les deux notions

évoquées et dans quelle mesure elles s’adaptent à notre terrain.

La communauté est considérée par Durkheim (1889) comme une unité absolue, sans distinction

de partie. Pour être plus complet, il ajoute qu’il s’agit d’une masse indistincte, compacte qui ne bouge

que d’un seul bloc. Avec cette configuration, il n’y a pas de place pour les initiatives personnelles. Ce

qui forge l’unité de ces groupes c’est le consensus : plusieurs consciences qui pensent la même chose,

ouvertes entre elles. Tous les membres d’une communauté ressentent la même chose, au même moment,

elle « vibre à l’unisson » (Durkheim 1889 : 4). Ce qui permet ce consensus, c’est la ressemblance. C’est

pourquoi, selon l’auteur, la communauté la plus parfaite est la famille. Il apporte une nuance en rappelant

que cela n’inclut pas forcément un lien de sang. Le lien qui unit un époux et sa femme est également

important. Pour lui, ce qui assure la cohésion, c’est le vivre ensemble, dans un même espace, proche les

18 Veuillez vous référer à notre guide d’entretien, annexe B 19 En anglais, les termes association et community sont utilisés. Lorsque nous avons demandé la traduction de la notion de

communauté dans la langue vernaculaire (illongo), c’est le terme Komunidad qui a été invoqué. Nous pensons donc ne pas

nous tromper en utilisant le terme communauté en français.

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uns des autres. Pour expliquer cela, il introduit une notion évoquée par Sumner (citée par Durkheim,

1889), celle de communauté de village. Les propriétés de cette communauté de village sont les

suivantes : (1) la propriété est naturellement commune, (2) le groupe travaille en commun et jouit en

commun, (3) ce qui appartient au groupe reste immuable et attaché au groupe – la propriété par

excellence étant celle du sol.

La communauté de village, telle qu’elle vient d’être décrite nous semble correspondre avec ce

que nous avons observé sur le terrain. Dans les communautés que nous avons interrogées, les membres

sont pratiquement tous parents – soit biologiquement, soit par alliance. Nous constatons aussi que les

paysans se mobilisent pour devenir propriétaires de la terre, mais sur base d’un modèle communautaire

avant tout. Ce modèle est imposé par PDG, mais fonctionne très bien dans les communautés où les

paysans sont déjà propriétaires (BAKAS association, en est un bel exemple). En ce qui concerne le

caractère immuable de la propriété, il est encore une fois bien illustré par deux des communautés

interrogées : MAFA association et MAMMSA association. Dans le premier cas, la plupart des membres

sont nés sur ces terres, leurs familles y sont établies depuis au moins deux générations. Dans le second

cas, la situation est similaire et on peut y ajouter la mauvaise compréhension des titres de propriété.

À la lumière de cette définition de la communauté, nous en concluons que le terme

« association » est utilisé dans le but de définir les groupements paysans dans un cadre plus

professionnel. La communauté est ce qui forme l’association.

Chatterjee (2009), en parlant des bidonvilles de Calcutta, nous apprend que pour les gouvernés

il est important de donner une existence empirique aux groupes de population. C’est pourquoi souvent

ces groupes se font appeler communauté et par cette appellation ils donnent à leur groupe les attributs

moraux de la communauté. Ceci peut expliquer pourquoi lorsque PDG (et Quinoa) présente les

associations, l’ONG privilégie largement le terme de communauté. Les valeurs véhiculées par ce terme

sont celles, nous l’avons vu, de la famille. Dès lors, à l’instar des termes « groupe » et « association » la

communauté revêt un aspect plus solide, laisse entendre une solidarité ainsi qu’une unité très forte.

Du statut de travailleurs agricoles à celui de paysans sans terre

Lors de nos entretiens, nous avons demandé aux paysans quelle était la taille de la parcelle de

terrain qu’ils cultivaient de manière individuelle (en dehors de la ferme communautaire). Nous leur

avons aussi demandé si cela leur suffisait, et dans le cas contraire s’ils avaient une activité génératrice

de revenus supplémentaires. Leurs réponses sont sans appel : ceux qui occupent (légalement ou pas) une

parcelle de terrain n’occupent généralement pas une parcelle supérieure à trois hectares. Lorsque nous

leur demandons si cela est suffisant, la réponse est encore une fois unanime : non. Ricardo, membre de

l’association MAMMSA, nous confie que pour pouvoir vivre de sa propre production dans des

conditions décentes, il faudrait au moins pouvoir cultiver cinq hectares de manière individuelle.

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Même si les paysans, eux-mêmes, n’utilisent pas ce concept nous rattachons cette description

au concept de « sans terre ». Sinha (1987) définit ce terme comme suit « Les paysans sans terres sont

définis comme étant ceux qui ne possèdent pas assez de terre pour leur assurer un niveau de vie minimal

souhaitable » (Sinha, 1987 : 48).

Si les personnes que nous avons interrogées disposent d’assez peu de terre, elles disposent

également de peu de moyens pour cultiver cette terre. Alors que PDG tente de réapprendre aux paysans

la culture non OGM, diversifiée et surtout vivrière, le gouvernement philippin promeut exactement

l’opposé. Ainsi, des paysans disposant déjà de peu de terrain cultivent le pour l’agriculture

d’exportation. Nous l’avons déjà spécifié, dans le Negros Occidental la canne à sucre est reine.

Les conséquences de ces situations sont évidentes : les paysans ne disposent pas d’assez de

revenus pour vivre décemment, les soins de santé sont inaccessibles et beaucoup d’enfants ne dépassent

pas le niveau de l’enseignement primaire.

Au-delà de ces conséquences matérielles, il en est une autre. Plusieurs paysans interrogés nous

ont confié que ce qui compte à leurs yeux c’est leur liberté. La liberté de cultiver ce dont ils ont envie,

quand ils en ont envie. À ce sujet, Irene – membre de l’association PATAG – nous dit « En plus

d’assurer un avenir à mon fils, je veux être libre de travailler quand je le désire. Aujourd’hui, je travaille

dans une grande ferme. Tous les jours, je dois récolter la canne à sucre en plein soleil alors qu’il fait

très chaud. Je me brûle la peau et ce n’est que pour un petit salaire »20. Nous pouvons tout à fait associer

ceci à la notion de pauvreté culturelle (Scott, 2008) déjà évoquée dans notre recherche.

Ne disposant pas assez de ressources pour vivre, la totalité des paysans interrogés ont un

deuxième emploi. Certains conduisent un tricycle,21mais la plupart d’entre eux sont employés dans une

grande exploitation. Un même paysan peu donc travailler dans la ferme communautaire (celle imposée

par PDG), dans sa propre ferme et dans une hacienda. Dès lors, ce paysan évolue dans différents espaces

de références en même temps, chacun ayant ses propres caractéristiques (culture OGM – culture non-

OGM, sujet à des sanctions ou pas, cultiver pour vendre – cultiver pour manger, etc.). Un paysan peut

donc évoluer dans des espaces où les technologies, les stratégies économiques, l’organisation du travail

et les systèmes de gestion sont totalement différents (Barbedette, 2002).

Barbedette (2002) parle de « nomadisme mental » qui oblige le paysan à avoir un grand sens de

l’adaptation. Cela peut expliquer le comportement que les paysans adoptent lorsqu’ils sont dans l’espace

de l’association, ainsi alors que PDG soutien l’agriculture non-OGM, certains paysans continuent de

cultiver des OGM. L’ONG explique cela, car « Dans les grandes exploitations, ils travaillent avec des

20 Traduction personnelle depuis l’anglais. 21 Moto avec une nacelle, équivalent à un taxi.

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OGM. Ils voient que ça fonctionne plutôt bien et décide de continuer sur leur propre terre »22. C’est

assez fréquent que les paysans ne comprennent pas le lien entre « la renonciation à une consommation

immédiate (par exemple, l’achat d’insecticide, d’engrais, etc.) et l’accroissement de leur consommation

dans l’avenir qui résulterait de l’accroissement de sa production » (BIT, 1965 : 49).

Chapitre 2 : mise en lumière de la notion de mobilisation

Pour ce chapitre, nous allons nous concentrer sur la décision personnelle de se mobilier. Pour

commencer, nous allons tenter d’éclairer la mobilisation avec la grille d’analyse qui nous est fournie par

Bajoit. Nous allons reprendre les quinze conditions qu’il évoque et les appliquer aux paysans rencontrés

dans le Négros Occidental. Ensuite, nous parlerons des différents mobiles qui peuvent pousser à l’action.

Enfin, nous tenterons d’expliquer le passage d’une lutte « secrète », clandestine – incarnée par les NPA

– à un mouvement de lutte affichée – incarné par PDG.

Les 15 conditions pour passer à l’action collective23

Pour rappel, les quinze conditions sont réparties en trois temps.

De la privation à la frustration :

(1) « Il faut que l’enjeu de l’action soit constitué par un « bien hautement » valorisé par le modèle

culturel régnant et dont certains individus se sentent privés », le plus important est donc le

sentiment de privation.

Dans le cas qui nous occupe, le bien en question est la terre. Nous l’avons vu, l’agriculture tient

une place importante dans l’économie philippine, et tout particulièrement dans le Négros Occidental.

On comprend donc pourquoi, là plus qu’ailleurs, la terre a une valeur symbolique et culturelle. Nous

avons aussi évoqué le fait que le régime foncier dans le Négros Occidental, et plus largement aux

Philippines, s’apparente à un régime avec les caractéristiques du régime féodal. Le fait de posséder la

terre est un signe de puissance et de pouvoir. Cela ajoute encore à la valeur symbolique et culturelle de

cette ressource. On peut néanmoins ajouter que la privation est relative puisque les paysans interrogés

cultivent légalement ou non une parcelle de terre (bien que celle-ci ne soit pas suffisante que pour

répondre à leurs besoins).

22 Traduction personnelle de l’anglais d’un entretien avec Elmee, membre de PDG 23 Grille d’analyse proposée par Bajoit (2011)

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(2) Il faut que les individus sujets à la privation croient qu’il est possible d’améliorer la situation en

intervenant maintenant. Pour ça, il faut qu’il y ait des signes d’espoir – qui peuvent être associés

à des signes de faiblesse chez les dirigeants.

Plusieurs éléments font qu’il y a un réel espoir d’améliorer la situation. D’abord, certaines

associations partenaires de PDG ont récupéré des terres (dans notre recherche, il s’agit de BAKAS

association et PATAG association). Ensuite, il existe bel et bien un cadre légal, des procédures à suivre.

Il ne s’agit donc pas (ou plus) d’avancer sans cadre légal, dans une lutte où il reste encore tout à faire.

(3) Enfin, il faut que la cause de leur privation soit identifiable à un autre acteur avec lequel il est

possible d’interagir directement. Autrement dit, il faut qu’il y ait une source à laquelle

s’attaquer.

La cause de la privation est identifiable et est double : il y a d’un côté les propriétaires terriens

et de l’autre le Département de la Réforme Agraire. L’attaque peut être de plusieurs types. Soit elle est

physique : occupation de champs, sabotage de récoltes, parfois même attaque armée (si l’on se réfère à

l’Histoire de MAFA24), soit de type plus symbolique : piquet devant les institutions ou devant les

propriétés des exploitants, introduction d’une procédure au DAR.

À cette conscience de la frustration, nous avions ajouté une nuance apportée Scott (2008) qui

était le sens culturel de la pauvreté. Nous aimerions maintenant ajouté un double aspect à la frustration,

toujours évoqué par Scott (2008). Ce double aspect pourrait expliquer les réactions plus violentes telles

que celle évoquée dans l’Histoire de MAFA. Le premier aspect concerne les humiliations engendrées

par l’exercice du pouvoir (Scott, 2008). Dans le contexte qui nous occupe nous ne parlons pas

d’humiliations publiques, où un individu perd la face devant une foule composée de ses semblables.

Nous entendons les humiliations au sens culturel de la pauvreté évoqué précédemment. L’humiliation

réside dans les conditions de vie imposées par la domination. Le second aspect concerne la frustration

d’avoir à ravaler sa colère constamment (Scott, 2008), finalement lorsqu’on laisse à cette frustration

l’occasion de s’exprimer, cela peut se traduire par une manifestation très violente.

De la frustration à la mobilisation

(4) Les membres d’une catégorie sociale sujette à la frustration « doivent être entrainés dans la

mobilisation par un ou plusieurs groupes d’activistes qui entreprennent des actions concrètes ».

Le rôle de ces groupes est non seulement de montrer l’exemple, mais aussi d’entraîner toujours

24 Pour rappel, en 2014, quelqu’un lance une grenade dans la maison du propriétaire faisant deux morts.

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plus de monde grâce à l’effet de contagion. Enfin, ces groupes ont aussi la capacité de perturber

les consciences et de susciter la réflexion.

Nous l’avons vu, PDG aide les paysans à s’organiser, mais ne va pas à leur rencontre dans ce

but. L’ONG répond à une demande, lorsque les paysans demandent de l’aide pour former une

association. Toutes les communautés du Négros sont au courant de l’existence de l’ONG et de son

travail. PDG est un peu le catalyseur du mouvement, même celui-ci doit démarrer de la communauté

elle-même. PDG ne va pas chercher les communautés. Dès lors, il faut qu’au moins quelques personnes

dans la communauté soient informées et éclairées quant à leur situation. Or, l’une des missions de PDG

est la sensibilisation à la condition paysanne. Il arrive qu’un groupe décide de se former après avoir été

informé. Il est ici fait mention d’actions concrètes, PDG organise, aide à créer les pétitions, apporte son

soutien lorsqu’il est question d’un piquet. Il y a bel et bien une volonté de contagion dans le volet

sensibilisation.

(5) Il faut que le système d’interactions dans lequel évolue la catégorie sociale comporte certaines

caractéristiques qui favorisent la protestation.

Encore une fois, l’adversaire est double. Il peut s’agir soit du DAR soit du propriétaire terrien

lui-même. Il arrive qu’un propriétaire terrien négocie avec les familles individuellement. Parfois,

certaines acceptent un arrangement. Cela reste néanmoins très rare.

Nous l’avons évoqué dans notre partie consacrée à la relation de domination, c’est la domination

idéologique définie par les groupes dominants qui définit ce qui relève du réalisable ou non (Scott,

2008). Aux Philippines, nous nous trouvons dans une démocratie de façade. Ainsi, sur la scène

internationale le pays défend des valeurs démocratiques. C’est pourquoi ce climat peut être favorable à

la contestation. Les répressions surtout si elles sont violentes seront projetées sur la scène internationale,

risquant de discréditer les représentants du pays.

Il faut tout de même nuancer en rappelant que sous la Présidence de Gloria Macapagal – Arroyo,

les assassinats et l’intimidation de militants influents étaient chose courante (Walden, 2012), et comme

nous l’avons vu avec l’Histoire de MAFA, les milices privées n’ont aujourd’hui pas encore disparu.

(6) La catégorie sociale frustrée doit partager la même condition sociale permettant ainsi de les

rassembler non seulement entre eux, mais aussi avec les groupes d’activistes. Cette

ressemblance peut être fondée sur différents critères objectifs tels que l’âge, le sexe ainsi que

sur des critères subjectifs tels que la langue, l’idéologie, la religion ou encore le mode de vie.

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Enfin, il doit y avoir, dans la mesure du possible, une tradition de lutte et une proximité

géographique.

Puisque nous parlons d’un mouvement paysan, il semble évident que tous les individus en

faisant partie partagent la même condition sociale. Si l’on considère les critères objectifs, il est difficile

de faire ressortir un profil particulier : nous avons constaté qu’il y avait autant d’hommes que de femmes

et que les âges pouvaient varier. Au niveau des critères subjectifs, les individus interrogés appartiennent

tous à la même communauté : il partage une langue, un mode de vie ainsi qu’une idéologie. La proximité

géographique est incontestable puisque tous les membres d’une même association sont issus du même

barangay. Nous pouvons toutefois ajouter que chaque barangay est dirigé parce qu’on appelle un

captain barangay. Celui-ci est élu parmi les habitants du village et ne bénéficie pas spécialement d’un

style de vie différent.

En ce qui concerne la tradition de la lutte, nous pensons que cela est propre à chaque

communauté. Néanmoins, on peut supposer l’existence d’un dénominateur commun incarné par les

NPA. Sur le terrain, nous nous sommes aperçus que ce mouvement existait toujours et avons été en

contact avec certains membres dans plusieurs communautés. Même s’ils ne sont pas présents dans toutes

les communautés, tout le monde connaît ce mouvement et ce qu’il a fait. On peut associer ce mouvement

à ce que Scott (2008) appel le refus public. Une fois qu’un groupe s’est mobilisé contre le pouvoir

publiquement, il brise un tabou imposé par le dominant. Et cela constitue un moyen d’encourager

d’autres personnes à faire de même.

(7) La catégorie sociale doit avoir un moyen de pression, celui-ci peut être une contribution

importante à la vie commune, un apport nécessaire.

Peut-on considérer que l’agriculture d’exportation est importante à la vie commune et que cela

continue un moyen de pression suffisant ? Nous n’en sommes pas surs, nous pensons que si, dans le

cadre d’une hacienda, les travailleurs décidaient de se mettre en grève, d’autres viendraient

inévitablement les remplacer. Encore une fois, nous pensons que le DAR est le moyen de pression utilisé

par les communautés. Le cadre légal existe, le DAR est là pour le représenter, c’est un moyen de pression

suffisant pour réclamer ce qui leur est dû.

(8) L’identité collective doit être constituée d’un mélange d’intérêts, de valeurs et de sentiments.

Cela se construit sur la fierté du groupe et son orgueil d’être de ce qu’il est, mais aussi (et parfois

surtout) sur la haine d’un adversaire commun. La fierté et la haine ont le pouvoir de mobiliser.

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L’identité collective est incarnée par la classe sociale des paysans. S’ils ne partagent pas tous

les mêmes valeurs quant à la manière de cultiver la terre, ils s’accordent sur l’importance de posséder

sa propre terre. Rodito, membre de PATAG nous dit « On ne peut pas dire qu’on est fermier, si nous ne

possédons pas notre propre terre. Cela nous définit »25. Le fait de faire partie d’une association de

paysans donne un rôle à l’individu et lui permet d’exister dans un espace dans lequel il n’existe

d’habitude pas.

(9) Les enjeux concrets revendiqués par le groupe doivent s’inscrire dans un objectif utopique sur

le long terme. Ces objectifs sont inaccessibles, non négociables et ont le pouvoir de faire rêver

et renouveler la lutte.

La revendication, l’objectif utopique est le suivant : tous les paysans possèdent leur propre terre,

grâce à elle ils peuvent subvenir à leur besoin en retournant à une agriculture vivrière. Ensuite, ces

cultures leur permettraient de générer un revenu pour, à terme, améliorer les conditions de vie et

l’autonomie . Il paraît évident qu’aujourd’hui cet objectif est inaccessible. Il est non négociable et a le

pouvoir de faire rêver grâce aux petites victoires, par exemple lorsqu’une association obtient un CLOA,

il s’agit d’une victoire qui prouve aux autres que c’est possible.

De la mobilisation à l’organisation

(10) « Il faut un leadership de qualité : uni et honnête, persévérant et indépendant, combatif

et si possible charismatique ».

Ici, le leadership se situe à deux niveaux. D’abord, il y a PDG qui est une structure unie, honnête,

persévérante et indépendante, dirigée par un leader charismatique et instruit : Ben Ramos.

Le second niveau se trouve à l’échelle de la communauté. Celle-ci est représentée par plusieurs

leaders, personnalités phares de la communauté. Chaque association est organisée en comités et ces

comités sont élus et chaque membre à une place définie dans l’association. En plus des comités il y a ce

que nous pouvons considérer comme un bureau composé d’un(e) président(e), d’un(e) vice-président(e),

d’un(e) trésorier(e) et d’un(e) secrétaire. Ces personnes sont également élues. Néanmoins, le profil reste

souvent le même : Il s’agit généralement de personnes qui sont nées sur les terres revendiquées, dont les

parents étaient également fermiers.

(11) Il doit y avoir des enjeux à court terme, qui peuvent être atteints avec les forces dont

dispose déjà le mouvement. Cela doit donner lieu à des réussites partielles qui renforcent la

solidarité, mais aussi l’identité du groupe. Ces succès partiels sont donc un moteur pour

25 Traduction personnelle depuis l’anglais.

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continuer dans la lutte. Si l’échec décourage et stop la lutte, il est important de noter que la

victoire totale stoppe aussi le mouvement.

Le chemin bureaucratique que doivent parcourir les associations pour espérer obtenir la

propriété légale d’une terre est généralement long et semé d’embûches. Ils se composent donc d’une

série de petites victoires, représentées par le passage du dossier d’un échelon à l’autre de

l’administration. Il arrive que les dossiers soient simplement stoppés par le DAR pour vice administratif

(une erreur de chiffres, de nom, etc.). PDG intervient alors en tant que médiateur. Lorsqu’une association

parvient à obtenir les titres d’un terrain, il s’agit bien entendu également d’une victoire.

(12) L’organisation, pour subsister, doit être capable de rassembler des ressources telles que

l’information, les relations et l’argent.

PDG existe depuis 1987. Elle a toujours fonctionné avec l’aide internationale. Comme nous

l’avons évoqué dans notre partie méthodologie, l’ONG compte plusieurs partenaires en Belgique.

Néanmoins, elle a connu des périodes où l’aide internationale se retirait obligeant l’ONG à fonctionner

en service minimum. Les employés sont alors devenus bénévoles. Cette situation s’est prolongée

pendant une année. Cependant, grâce à sa capacité d’adaptation, l’ONG a pu rebondir.

Nous l’aurons compris, l’argent n’est pas le point fort de notre ONG. Toutefois, en ce qui

concerne la capacité de réunir l’information, PDG dispose d’un atout de taille : son staff. Celui-ci est

nombreux et varié. Les membres de cette organisation ont tous un background différent : certains ont

fait des études, d’autres pas. Cela donne une équipe éclectique, avec des centres d’intérêt différents et

des causes différentes qui leur tiennent à cœur. Ainsi, chacun cherche l’information sur le sujet qui

l’intéresse. Beaucoup sont, bien entendu, passionnés par la politique agricole (nationale et

internationale) tandis que d’autres sont plus intéressés par la défense de l’environnement (dénonciation

des extractions minières, etc.).

Enfin, Scott (2008) nous dit que les ressources publiques sont supposées être accessibles à tous,

mais qu’en réalité elles sont accaparées par ceux qui sont les mieux informés. PDG est là pour rétablir

l’équilibre.

Pour ce qui est des relations, nous y reviendrons lors de la quatorzième condition.

(13) L’organisation doit se doter d’un bon fonctionnement interne.

L’organisation de l’ONG est relativement classique : une assemblée générale, un conseil

d’administration et un directeur exécutif. Ensuite, il y a trois équipes régionales composées d’un

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responsable, de plusieurs organisateurs communautaires et de formateurs en matière socio-économique

et d’agriculture durable26. Lors de notre terrain, nous n’avons pas perçu de tensions internes, nous nous

permettons donc d’avancer que cette structure fonctionne.

Ensuite, en ce qui concerne les associations paysannes, nous l’avons vu dans la présentation des

communautés qui font l’objet de notre terrain, elles sont organisées en petits comités. Généralement,

une association n’excède pas les cinquante membres. Les comités sont au nombre de cinq, chaque

personne est active dans un comité au minimum. Le but avoué de cette structure est d’intégrer les

individus dans la vie de l’association, de les impliquer réellement. Nous pensons également qu’une

association de petite taille est plus simple à gérer, il s’agit là d’une raison logistique.

Nous pouvons également justifier cette organisation, en petit nombre, sur base d’une théorie de

Simmel (cité par Mancur, 2011) qui affirme que dans les petits groupes, les prises de décisions sont plus

aisées et l’allocation des ressources plus efficace. Plus l’organisation est grande, plus l’individu

remarque que sa contribution est diluée dans la masse et n’a pas d’effet sensible, ce qui peut entraîner

un désintérêt (Neveu, 2005).

Enfin, lorsqu’un petit groupe éprouve un intérêt à acquérir un bien collectif et que le groupe en

question est composé de personnes liées entre elles par une relation (famille, amitié, etc.), si certains se

désintéressent et laissent aux autres la charge d’acquérir ce bien, il peut y avoir « pression sociale ». Le

coût de ce désintéressement, au-delà d’être exprimé en capital économique (la perte d’une partie du

bien) risque d’être exprimé en capital social. Le capital social étant plus important dans un groupe qui

fonctionne sur une telle dynamique, il s’agit d’un incitant à la participation collective (Mancur, 2011).

(14) Elle doit savoir gérer des échanges externes et définir une politique d’alliance.

PDG fait partie d’un grand réseau d’ONG et en ce sens, fait partie intégrante de la vie associative

de la région. PDG est en relation avec au moins cinq organisations différentes27:

a. MASIPAG : réseau national d’organisations populaires travaillant pour une gestion durable de

l’agriculture.

b. Philippine Network of Food Security Programme, Inc (PNFSP) : réseau qui s’occupe de la

sécurité alimentaire pour les secteurs démunis des Philippines tels que les paysans pauvres en

zone rurale.

26Pour plus d’informations sur la structure organisationnelle de PDG, veuillez vous référer à l’annexe D, extrait de notre

rapport de stage 27 Ces cinq points sont repris de notre rapport de stage

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c. September 21 Movement-Southern Negros (S21M-SN) : alliance locale qui prône la défense des

droits de l’Homme.

d. Defend Patrimony-Southern Negros (DP-SN) : alliance locale qui s’occupe des questions

relevant de l’exploitation minière et de la protection de l’environnement.

e. People’s Movement for Environemental Protection : partenaire de DP-SN, mais dans le centre

de Négros

Créer des alliances avec différents groupements permet à l’organisation d’accroître son poids.

(Barbedette, 2002)

L’ONG essaye aussi d’attirer la sympathie des politiques. Lorsque nous étions sur le terrain,

nous avons pu assister à différents rendez-vous avec Neri Colmenares, candidat soutenu par PDG aux

élections qui ont eu lieu en mai 2016. Cet homme politique est connu dans la région et porte un soutien

indéfectible à la cause paysanne. L’ONG a activement soutenu le candidat dans sa campagne : flyers,

camionnette publicitaire, affiche dans les barangays, etc.

(15) Les formes de luttes doivent être légitimes aux yeux de la majorité de la population.

Ici, on peut pointer une faiblesse de PDG. En effet, son travail de sensibilisation se limite aux

paysans. Il n’est pas question de sensibilisation à l’ensemble de la population, sans doute par manque

de ressources. Il est légitime de se demander si le travail de plaidoyer est alors efficace à 100%. En

effet, le fait d’avoir un candidat aux élections peut sembler prometteur, mais si l’ensemble du corps

électoral n’est pas sensibilisé à la cause, quelles sont réellement les chances que cela aboutisse ?

En ce qui concerne les méthodes de lutte, nous le verrons plus en profondeur dans la partie

consacrée aux stratégies, elles sont majoritairement pacifistes : pétition, piquets devant une institution,

manifestations sur la voie publique, occupations des terres. Nous l’avons évoqué, il peut y avoir des

débordements de violence (l’exemple dans l’association MAFA), mais ils ne sont pas légion.

Les mobiles

Il faut noter que même si on parle d’un « mouvement de paysans », tous les paysans n’en font

pas partie. Pourquoi certains se mobilisent tandis que d’autres ne protestent pas ? D’abord, nous pensons

que certains tirent avantage de cette situation. Pendant notre séjour dans l’association MAFA, nous

avons eu l’occasion de nous rendre dans une autre association qui se trouve assez proche

géographiquement de la première. Certains membres de cette association entretiennent des liens avec

les membres de MAFA (familiaux ou amitié). Pendant notre visite, deux membres de l’association nous

ont expliqué les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ils travaillent dans une hacienda où le

propriétaire possède trop de terre par rapport à ce qui est permis par la loi. Ils ont donc introduit, avec

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l’aide de PDG, un dossier auprès du DAR en vue d’occuper légalement une partie de ces terres. Pendant

notre conversation, une dame est passée devant la maison. Les deux membres se sont tus. On m’a ensuite

expliqué que cette dame était en réalité la sœur du Président de l’association du village, mais qu’elle

était soupçonnée d’espionnage. Les membres de l’association pensent qu’elle entretient une relation

amoureuse avec le propriétaire terrien et que ce dernier lui demande d’espionner la vie de la

communauté.

Cet exemple, s’il est avéré, nous fait dire qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, nous fait dire que

certains individus tirent avantage de la situation. Nous pouvons nous rattacher à la pensée de Scott

(2008), il nous dit que la domination peut durer s’il existe une probabilité forte que des personnes

appartenant à la classe « inférieure » (ici, la paysannerie) arrivent finalement à occuper des positions de

pouvoir. Dans le cas que nous venons d’aborder, la position de pouvoir n’est pas affichée, mais semble

satisfaisante. Elle offre également des perspectives d’avenir tel qu’un mariage.

Ceci étant dit, nous allons aborder deux autres types de mobiles : les mobiles d’ordre

économiques et les mobiles d’ordre sociaux.

Festinger (cité par Mancur, 2011) souligne le fait qu’ « on adhère à un groupe moins par désir

d’y appartenir que dans l’espoir de tirer quelque profit de cette adhésion » (Mancur, 2011 : 16). Il peut

s’agir d’un profit économique ou d’autre chose. Dans la situation qui nous occupe, le mobile

économique est tout à fait envisageable. Devenir propriétaire d’une terre implique une plus grande

liberté économique. Néanmoins, nous avons vu précédemment que généralement, la part de terre était

trop petite que pour être rentable. Dès lors, on peut imaginer que le mobile qui pousse les paysans à

s’engager dans une association va au-delà du simple mobile économique.

Nous avons demandé aux personnes interrogées pourquoi elles ont rejoint leur association.

Plusieurs raisons ont été évoquées : pour avoir une meilleure vie, pour subvenir à leur besoin, par ce que

rejoindre une association est un bon moyen de lutter pour une implémentation correcte et équitable de

la réforme agraire ou encore par ce qu’un problème existait préalablement à l’association et c’est de ce

problème qu’est né l’association. Nous avons également pu observer que dans une même association, il

était possible de rencontrer des personnes déjà propriétaire d’une terre – héritée d’un parent qui lui-

même avait obtenu un titre légal. La lutte peut parfois se poursuivre sur plus d’une génération – pourtant

ces personnes restent actives dans l’association, même si leur but n’est pas d’obtenir une partie de

terrain.

À ce sujet, Neveu (2005) introduit la notion « d’action raisonnable au sens d’action adéquate à

un univers de signification » (Neveu, 2005 : 56). Par là il entend qu’un individu peut s’engager pour des

raisons telles que la solidarité, l’indignation, etc. Une action raisonnable et/ou rationnelle n’est pas

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toujours le fruit d’un calcul. Il existe une économie des pratiques, qui fait en sorte qu’une action ne

trouve pas systématiquement son origine dans un calcul (Neveu, 2005).

Lorsqu’un système est à ce point ancré, dans le cas des Philippines cela fait plus de trois siècles

que le régime foncier est organisé de cette manière, il est difficile d’expliquer comment un changement

social peut naître dans une classe subordonnée. Il s’agit d’une sorte d’équilibre qui est établi et qui ne

peut être modifié que par un choc extérieur (Scott, 2008). Ce choc pourrait être incarné par PDG, grâce

à son volet sensibilisation. Nombre de paysans n’avaient pas conscience de la situation dans laquelle ils

se trouvaient.

Le contexte

On peut voir un lien entre l’existence d’une politique publique et la création d’une organisation

telle que PDG (Neveu, 2005). C’est par ce qu’il existait une politique publique, peu claire pour les

paysans, principaux bénéficiaires de la politique mal mise en œuvre, qu’une organisation comme PDG

a pu voir le jour. Même si son champ d’action est très diversifié, la base de l’ONG reste le droit à l’accès

à la terre.

Pour assurer son succès et sa sécurité, la classe paysanne a souvent choisi de dissimuler sa

résistance (Scott, 2008). Aux Philippines, c’était le cas avec les NPA. À la création de ce mouvement,

tout le monde en connaît l’existence, mais personne ne sait qui en fait partie28. On peut expliquer cela,

car « la révolte ouverte suppose un stock de ressources et un environnement de droits qui leur sont

étrangers » (Neveu 2005 : 31). Aujourd’hui, nous l’avons mentionné dans notre cadre théorique, un

environnement juridique a été créé : il s’agit d’une réforme agraire qui est aussi une politique publique

avec une institution gouvernementale qui la représente : le DAR. L’introduction de cette politique

publique est ce qui a réellement permis de propulser la lutte sur le devant de la scène, d’en faire un objet

visible par tous. Le stock de ressources peut être assimilé à la création du cadre juridique et à des

organisations comme PDG : elles sont là pour fournir aux paysans les moyens de lutter– l’information,

les connaissances juridiques, les capacités financières parfois.

Dans une société stricte, où toute forme de résistance affichée peut avoir des conséquences

irrévocables : perte d’emploi, de domicile et parfois même la mort. On comprend que la résistance se

fasse clandestinement (Scott, 2008). Ceci explique aussi pourquoi les NPA dissimulaient leurs identités.

On sait également que lorsqu’un groupe de dominés arrive à exprimer publiquement sa résistance (de

manière anonyme ou non), cela peut avoir une capacité mobilisatrice très importante « en tant qu’acte

28 Nous l’avons dit, c’est toujours le cas aujourd’hui. Comme si un mythe entourait ce mouvement.

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symbolique et potentiellement gigantesque » (Scott, 2008 : 243), qui peut donner suite à une série

d’action, de mobilisations.

Aujourd’hui, avec l’introduction du cadre légal, on observe un retournement de la situation

initiale. Au départ, afficher sa résistance à la politique en place est punissable. Mais aujourd’hui, la

politique a changé et c’est lui résister qui est – supposé – être punissable. Dès lors, les propriétaires

terriens s’engagent à leur tour dans une résistance clandestine au travers des milices privées qui opèrent

toujours dans l’anonymat.

Une question subsiste cependant : qu’est-ce qui a encouragé un mouvement tel que les NPA à

voir le jour ? Nous l’avons vu dans notre mise en contexte, ce mouvement nait alors que le contexte

politique est tumultueux, il serait le bras armé du parti communiste philippin. Cela n’explique pas

pourquoi certains paysans ont choisi de les rejoindre. Une hypothèse s’offre à nous sur base de la citation

suivante « Le garçon désillusionné de la mission est toujours une menace plus considérable à l’encontre

d’une religion établie que les païens qui n’ont jamais cru en ses promesses » (Scott 2008 : 121). Ayant

perdu foi en leur gouvernement de l’époque, ces personnes se sont engagées dans une opposition

radicale. Il ne serait pas étonnant de voir le phénomène se reproduire, le contexte redevenir violent, si

le DAR (et le DENR) ne simplifie pas les démarches et ne se montre pas plus efficace. On peut

également y voir une explication aux agissements violents que l’on peut parfois observer et que nous

avons déjà évoqués plus haut.

Conclusion sur la notion de mobilisation

Deux théories sont énoncées par Bernard (1969) concernant le déclenchement d’une crise

agraire. Ces deux théories relèvent de la mobilisation, il nous semblait pertinent de terminer ce chapitre

en évoquant ces théories.

La première considère la crise agraire comme un éclatement, une évolution interne à la

paysannerie. Le problème a mûri, s’est aggravé, à créé de plus en plus de déséquilibre et a fini par causer

une rupture. La mobilisation résultant de la crise agraire serait donc le fruit d’un long processus que l’on

peut associer à celui énoncé, sur base des quinze conditions, par Bajoit (2011).

La seconde souligne l’importance des agents extérieurs tels que des agitations partisanes dans

le déclenchement d’une crise et de la mobilisation. Cela revient donc à dire que c’est grâce à un choc

extérieur que les individus décident de se mobiliser.

Chaque mobilisation est particulière et est plus ou moins jugée acceptable par les pouvoirs

publics (Neveu, 2005). Nous l’avons dit, le cadre légal étant déjà établi par le gouvernement, ce dernier

n’a d’autre choix que d’accepter la négociation.

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Nous avons conscience que la problématique de la réforme agraire est indissociable du contexte

politique. Nous pensons également que c’est ce contexte politique qui détermine le champ des possibles

en termes d’actions et de mobilisations. Nous savons que notre analyse sur la mobilisation comporte en

réalité deux niveaux : celui de PDG en tant qu’organisation faîtière et celui des associations paysannes.

PDG est, à notre avis, ce qui donne aux paysans l’opportunité de s’organiser. Nous ne sommes pas en

mesure d’avancer la raison intrinsèque de la mobilisation, simplement parce que nous pensons qu’elle

n’est pas unique. Lors de nos entretiens, nous avons cru comprendre que les motivations pouvaient

effectivement être d’ordre économique, mais également d’ordre idéologique.

Chapitre 3 : Mise en lumière des stratégies adoptées par PDG et par les

associations

Nous allons à présent évoquer les stratégies développées par PDG et par les associations

paysannes pour arriver à leurs fins tout au long du processus de la réforme agraire. Nous allons

commencer par celles déployées par PDG, ensuite nous aborderons celles des associations.

Levy (2002) nous dit que des stratégies individuelles, familiales ou collectives sont générées par

la nécessité de réagir face à la dégradation des conditions de vie et à la difficulté d’accéder à des

ressources. Cela participe à modifier l’arène politique et à y introduire de nouveaux acteurs.

Les organisations comme PDG, partage l’espace publique avec l’État et endosse une partie du

rôle de ce dernier : la prise en charge de l’intérêt collectif. Il s’agit in fine de faire naître un groupe

capable d’avoir un contrôle effectif sur la politique démocratique des élites (Levy, 2002).

Les stratégies mises en place par PDG et par les associations aspirent au même résultat : la

sécurité foncière. Il s’agit de la perception qu’un agriculteur se fait de ses droits d’exploitation et de la

gestion de son champ, du droit de jouir librement de sa production, le tout « sans interférence

d’intervenants extérieurs » (Migoy – Adholla et Bruce, 1994 : 3 cité par Dubuisson, 1997-1998, 19). Par

conséquent, la sécurité foncière est optimale dès qu’un individu dispose pleinement du droit d’usage et

de transfert d’une terre et qu’il peut jouir de la production issue de ce terrain (Place et al. 1994 : 19-20,

cité par Dubuisson, 1997-1998 : 20).

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3.1 PDG

Justification du discours

Nous l’avons dit, la paysannerie est une catégorie marginalisée de la population. On peut dès

lors se demander légitimement comment des revendications particulières, souvent fondées sur une

violation de la loi, peuvent être acceptées par l’opinion publique (Chatterjee, 2009).

PDG utilise en réalité un argument d’autorité pour légitimer son discours. En effet, l’ONG se

base sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Et plus particulièrement sur l’article 17 :

« 1. Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété. 2. Nul ne peut être

arbitrairement privé de sa propriété » (ONU, 1948).

Dès lors, nous pouvons imaginer que si nous contredisons le discours de PDG nous contredisons

la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Une deuxième justification du discours de PDG réside dans la loi philippine elle-même.

L’existence d’un cadre légal concernant la réforme agraire permet au discours de PDG de trouver un

écho au sein de la politique nationale.

Stratégie participative

Lors de notre terrain, nous avons remarqué que ce concept est à la base de l’organisation. PDG

se décrit comme une ONG de développement, dont le but, est de faire participer ses communautés

partenaires à leur propre développement.

La participation est ici envisagée en tant que droit : tout le monde a le droit de définir le cadre

de vie dans lequel il va évoluer et de s’exprimer sur la société dans laquelle il veut vivre (Pirotte, 2015).

En plus d’être envisagée comme un droit, la participation est aussi perçue en tant que

processus qui a la capacité de transformer la société. Un processus qui renforce les capacités des

individus à améliorer leur propre vie et qui facilite les transformations sociales en faveur des groupes

marginalisés ou désavantagés (Pirotte, 2015). Alors que ce concept est vu comme une catégorie relevant

de la bonne gouvernance par l’État, il devient une pratique démocratique pour les communautés

paysannes (Chatterjee, 2009).

La notion de participation appliquée par PDG peut être comparée à l’approche fondée sur la

libre création d’organisations locales. L’hypothèse est que chaque groupe a des problèmes qui lui sont

propres et des besoins qui ont été négligés par les autorités. Il est admis qu’au sein de ces groupes il n’y

a pas de tensions internes et qu’il existe uniquement des conflits avec les institutions rurales existantes

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ou avec les propriétaires terriens. Les organisations alors créées peuvent être soit d’origine authentique,

c’est-à-dire qu’elles n’ont pas été créées grâce à une intervention extérieure soit être le résultat d’une

impulsion externe (El Ghonemy, 1987). Dans le contexte qui nous occupe ici, il s’agit plutôt d’une

combinaison des deux : PDG entend parler ou est directement contacté par un groupe de paysans issus

du même barangay et organise ce groupe en association. Le groupe existe donc préalablement à

l’intervention de l’ONG, il prend néanmoins la forme d’une association – qui a une existence légale –

sous l’impulsion de PDG.

L’objectif final de cette approche est d’arriver à l’autosuffisance. La méthode pour y arriver

repose d’abord sur la sensibilisation, il s’agit de faire prendre conscience de leurs droits aux ruraux

pauvres. Ensuite, de leur faire choisir des représentants/ des porte-paroles et finalement de leur donner

accès à des moyens de production (El Ghonemy, 1987). En plus de l’organisation de groupe de paysans

en association, PDG sensibilise aussi les ruraux à leurs droits, et plus particulièrement à leur droit à avoir

accès à la terre. Une fois l’association établie, une discussion a lieu et certains membres sont choisis

pour représenter l’association.

Dans le cadre de la réforme agraire et de la pauvreté rurale, El Ghonemy (1987), envisage la

notion de participation au sens strict comme une redistribution du pouvoir économique et politique en

faveur des masses rurales. Et pour assurer l’autosuffisance de celles-ci, il est primordial de leur assurer

l’accès aux biens de production, dont la terre est la base, et de créer une interdépendance entre elles qui

pourrait se substituer à la dépendance vis-à-vis du pouvoir des élites, à savoir les propriétaires terriens.

Cette vision correspond tout à fait à celle prônée par PDG. En effet, toutes les associations partenaires

font partie d’un réseau chapeauté par l’ONG. Il s’agit là d’un réel réseau de solidarité où, si une

association vit une situation difficile – un sabotage de récolte par exemple – les autres associations

mettront à sa disposition des ressources (nourriture, main d’œuvre et plus rarement un soutien financier)

pour l’aider à se relever.

Enfin, nous pourrions associer cette méthode à ce que Sinha (1987) appelle « les programmes

de participation ». L’auteur part du postulat que « les pauvres et les travailleurs sans terre ne peuvent

obtenir leur juste part qu’en s’organisant contre les intérêts des dominants » (Sinha, 1987 : 61). Pour ça,

il faut d’abord que les paysans prennent conscience de leur condition, ces programmes de participation

permettent donc aux paysans de s’organiser, de cibler leur besoin et enfin de participer à l’exécution et

à l’évaluation des programmes mis en place pour y répondre. Ces programmes peuvent aussi donner

naissance à des groupes qui endosseront le rôle de groupe de pression face aux autorités. PDG est

l’élément qui permet aux paysans de se rendre compte de leur condition, les communautés

(accompagnées de PDG) sont les groupes de pression.

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Le plaidoyer

Comme nous l’avons évoqué dans les missions de PDG, il existe une réelle volonté d’amener

les causes défendues par l’ONG jusqu’aux institutions qui sont supposées en avoir la charge.

Le plaidoyer, en tant que « lobbying moral » est « une forme « apparemment plus policée et

civilisée de la critique », fondée sur l’argumentation rationnelle, l’expertise technique et l’influence sur

les décideurs à travers des « interactions poursuivies entre pouvoirs et plaideurs » » (Siméant, 2014, cité

par Lavigne Delville, 2015 : 104). Nous l’avons vu, l’argumentation de PDG – en ce qui concerne

l’accès à la terre – se construit sur base de l’article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de

l’Homme, et jouit en plus d’un écho dans la loi philippine grâce à la réforme agraire. Il s’agit donc d’une

base solide et rationnelle. Il y a également ce qu’on peut appeler une expertise technique de la situation

puisque chaque communauté se réfère à un membre de PDG pour introduire un dossier. Ce membre du

staff est d’abord chargé de faire le point sur la situation que traverse la communauté et juge ensuite s’il

est possible de commencer un dossier ou non. Enfin, l’ONG essaye bel et bien d’influencer le pouvoir

décideur, tantôt lors de rencontres officielles, tantôt grâce à des piquets devant les institutions.

Si cette stratégie permet aux ONG d’acquérir une certaine reconnaissance institutionnelle, elle

comporte tout de même un risque : elle oblige les ONG à entrer dans un débat technique qui risque

d’occulter d’autres dimensions centrales des projets (Lavigne Delville, 2015).

Une autre critique est adressée à cette stratégie : elle implique rarement une mobilisation de

masse. Elle ne mobilise qu’un nombre limité d’activistes pour une campagne donnée où la logique de

confrontation est absente (Siméant, 2013, cité par Lavigne Delville 2015). Force est de constater que

c’est vrai pour PDG. La mobilisation se limite à l’association et aux membres de l’ONG. Nous l’avons

déjà évoqué précédemment, les revendications portées par PDG et les associations paysannes, bien que

légitimes, ne trouvent que peu d’écho dans l’opinion publique. Il y a là une lacune quant à l’exportation

de leurs problèmes en dehors du cercle formé par PDG, les associations et le DAR.

Néanmoins, nous pensons que la stratégie du plaidoyer n’exclut pas automatiquement la logique

de confrontation. Il est très fréquent que lorsqu’une situation est fondamentalement injuste, qu’un

dossier est bloqué ou encore que l’instance étatique tarde à prendre une décision, une délégation

composée de membres de l’association concernée et de membres de PDG se rendent devant les bureaux

et y installent un « campement », sorte de piquet, pour faire pression sur l’organisation.

Le choix du plaidoyer comme stratégie peut être interprété comme une acceptation des règles

de l’arène politique où s’établissent les codes de la réforme agraire (Lavigne Delville, 2015). Le fait

d’avoir recours à cette stratégie pour influer sur un processus de réforme en cours conforte la vision

selon laquelle la loi est désormais un passage obligé (Lavigne Delville, 2015). C’est une manière

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d’amener un combat, qui a lieu sur le terrain, à un niveau supérieur. Cette stratégie est cependant

couteuse en termes « de ressources matérielles, de savoir-faire, d’expertise, de maîtrise de soi, du jeu

avec les institutions » (Siméant, 2014, cité par Lavigne Delville, 2015 : 114). Elle implique de disposer

de temps pour chercher l’information, l’analyser et créer un argumentaire valable. Or, ce temps pourrait

être alloué de manière plus efficace vers d’autres activités de l’ONG. De plus, nous savons qu’il existe

une réelle asymétrie au niveau de la mise à disposition de l’information entre les autorités et les

associations (Mecoiret, 2006). Ceci explique pourquoi, certaines associations doivent attendre plus de

dix ans – l’association BAKAS par exemple – pour jouir pleinement de leur droit.

Réseautage

Nous l’avons déjà évoqué, parmi les conditions de survies des organisations nous trouvons la

capacité à conclure des alliances avec d’autres organisations (El Ghonemy, 1987). Nous ne nous

étendrons pas sur ce point, nous l’avons fait ailleurs dans notre recherche. Nous voulons simplement

rappeler que PDG fait partie d’un réseau et est en contact avec beaucoup d’ONG. Elle cherche aussi à

mobiliser un soutien politique, en appuyant la campagne de Neri Colmenares notamment.

3.2 Les organisations paysannes

Nous allons à présent aborder les stratégies adoptées par les organisations paysannes. Nous

choisissons de les répartir selon deux catégories : les actions qui nécessitent un engagement « modéré »

de l’individu et les actions qui nécessitent un engagement « total » de l’individu.

Dans la première catégorie, nous mettons la mobilisation et la pétition.

Dans la seconde catégorie, nous mettons l’occupation des terres et les piquets.

Mobilisation

Alors que les paysans qui souhaitent obtenir un titre de propriété peuvent tout à fait agir de

manière individuelle, sans faire appel à une organisation quelconque, ceux que nous avons interrogés

ont pourtant pris la décision de rejoindre une association. On peut voir cela comme une manière de

devenir les possibles bénéficiaires d’un programme gouvernemental (Chatterjee, 2009).

Lors de notre terrain, il nous a été expliqué que l’intérêt de créer des associations était de faire

exister les communautés paysannes d’un point de vue légal. Elles sont alors visibles par le DAR, qui

privilégie le travail avec ces groupements de paysans qu’avec les individus isolés.

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Une fois l’association créée, c’est elle qui représente la collectivité de manière officielle.

Ensuite, PDG sert d’intermédiaire entre l’association et l’institution gouvernementale.

Finalement, la tendance à l’organisation des paysans en association reflète une stratégie

d’adaptation à l’environnement de l’agriculture qui est fortement perturbé par les réformes politiques

(Mercoiret, 2006). L’institutionnalisation de la politique agricole a entraîné une nécessité

d’institutionnalisation du monde paysan.

Pétition

L’une des étapes administratives pour obtenir un titre de propriété est la pétition. Il s’agit de

réunir des signatures et de montrer que l’association a le soutien d’un certain nombre de personnes. Bien

entendu, les signatures recueillies sont souvent celles de membres d’autres associations. Il y a donc une

double action : amorcer la pétition en tant qu’association et la signer en tant qu’individu. Cette pétition

est ensuite soumise à l’institution concernée (DAR ou DENR), ce qui propulse une nouvelle fois les

problèmes des paysans dans la sphère du politique.

Piquets

Les piquets et autres campements sont devenus choses communes pour les associations

paysannes. Il arrive régulièrement de voir ce type de manifestations devant les bureaux du DAR ou du

DENR, et ce aussi bien au niveau municipal, régional que national. Ces bureaux se trouvent

généralement dans les villes, il s’agit alors d’une occupation de l’espace publique dont le but est

d’amener les problèmes qu’ils rencontrent dans un nouvel espace qui n’est pas celui du monde rural.

C’est également un moyen de pression face aux autorités, car en se mobilisant de la sorte, les

paysans montrent qu’ils ont une connaissance de leurs droits.

Occupation des terres

Contrairement aux piquets, nous pouvons ici parler d’occupation de l’espace privé. Si les piquets

font exister les problèmes des paysans dans l’espace public, l’occupation des terres les dénonce dans

l’espace privé. Même si cette occupation est illégale – puisqu’ils n’ont pas de titres de propriété – elle

fait prendre conscience au propriétaire de la terre que les paysans ont compris leurs droits.

L’occupation des terres est la stratégie la plus courante dans le monde paysan, on l’observe

partout où la propriété terrienne est conflictuelle, au Brésil par exemple, la lutte paysanne se traduit

également par cette stratégie (Mancano Fernandes, 2010). Il s’agit de la stratégie la plus chargée d’un

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point de vue symbolique puisque les individus s’approprient un bien qu’ils désignent comme

légitimement leur.

Nous considérons que les piquets et l’occupation des terres engagent « totalement » l’individu,

car son intégrité physique peut être menacée. Il s’agit d’un engagement « de corps et d’esprit ». Nous

l’avons déjà évoqué, la répression peut parfois être violente, les propriétaires engagent régulièrement

des milices privées afin d’intimider les paysans. En ce qui concerne les piquets, ils arrivent que malgré

la présence de membre du staff de PDG pour occuper le rôle de médiateur entre les manifestants, la

police et l’institution, des arrestations aient lieu. De plus, ces piquets peuvent durer plusieurs jours et les

conditions de vie y sont rudes. Souvent un système de relais est organisé au sein de l’association.

Conclusion sur les stratégies

En 1986, Tilly (cité par Neveu 2005) introduit la notion de répertoire d’action collective. Avec

celle-ci, il suggère l’existence de formes institutionnalisant les mouvements sociaux. Pour protester, les

groupes puisent leurs modes d’action dans des répertoires existants. Il existe une « palette préexistante »

de formes protestataires plus ou moins codifiées (Neveu, 2005 : 20). Ces stratégies sont tributaires de

modèles culturels et cela influence le choix de la stratégie.

Ces répertoires ont évolué à travers l’Histoire. Tilly (cité par Neveu 2005) décrit brièvement

cette évolution en trois temps : l’avant révolution industrielle, la révolution industrielle (le XIXe siècle)

et enfin, une troisième génération.

Nous pourrions dire que les organisations paysannes se rapprochent de ce que nous pouvons

observer avant la révolution industrielle surtout pour ce qui relève des actions protestataires locales,

Nous l’avons évoqué, les paysans occupent souvent les terres qu’ils estiment être les leurs.

En ce qui concerne PDG, elle évolue à cheval entre ce que Tilly (cité par Neveu 2005) décrit

pour le XIXe siècle et pour la troisième génération. La contestation dépasse le cadre local pour porter

ses revendications face au pouvoir central, elle s’intellectualise avec l’utilisation du plaidoyer comme

stratégie, elle essaye d’atteindre une portée internationale notamment avec les partenariats avec

différents bailleurs de fonds étrangers ou l’accueil de volontaires étrangers. Il y a une montée de

l’expertise, les membres de PDG sont tous plus ou moins spécialistes dans un domaine – Ben Ramos

est avocat par exemple. Enfin, il y a une dimension symbolique avec la construction du paysan

« parfait ». PDG promeut l’agriculture collective, traditionnelle, comme un retour aux sources qui ne

peut qu’être bénéfique.

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Chapitre 4 : Mise en lumière de l’efficacité des stratégies adoptées

Nous venons de passer en revue différentes stratégies mobilisées par PDG ainsi que par les

associations paysannes. Nous allons à présent tenter d’analyser les résultats qui en découlent.

État des lieux

Nous connaissons maintenant la situation de quatre associations29, partenaires de PDG.

Arrêtons-nous maintenant sur les chiffres30 que nous fournit Paghidaet sa Kauswagan Development

Group, Inc concernant ses résultats entre 1987 et 2016.

Ville

Hymamaylan

Kabankalan city

Hinigaran

Nombres de

Barangays

concernés

2

2

1

Nombre

d’individus

55

280

25

Nombre

d’associations

2 (SAGAN

association et

KALO association)

4 (KABBUHIAN

association,

KASMMABI

association,

BAKAS

association,

AMMACAN

association

1 (PATAG

association)

Nombre

d’hectares

66 hectares

323 hectares

31 hectares

Sur 29 ans d’existence, PDG a donc aidé sept associations à obtenir les titres légaux de 420

hectares, pour un total de 360 individus.

29 Pour un rappel de la situation des quatre associations de notre échantillon, veuillez vous référer au tableau du point 1.2.2 de

cette troisième partie. 30 Chiffres fournis par Arlène De La Rosa, coordinatrice de projet pour PDG.

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Facteurs d’influences des résultats

Facteurs endogènes

D’abord, le succès d’une organisation peut dépendre de sa capacité à susciter un soutien

(Chatterjee, 2009). Ce soutien peut être de plusieurs types : politique, financier, matériel, etc. La réforme

agraire étant une politique publique, il est sans doute plus intéressant pour PDG de trouver un soutien

dans l’arène politique. Nous avons déjà évoqué la relation entre PDG et Nere Colminares, nous ne nous

étendrons donc pas davantage sur cette première condition.

Une autre difficulté est la double demande que doit gérer ce type d’organisation (Mercoiret,

2006). D’un côté nous retrouvons des demandes relevant du court terme et de l’état d’urgence. C’est le

cas lorsqu’une association est menacée et que les récoltes y sont sabotées, par exemple. Et de l’autre,

les demandes relevant du long terme, qui influence l’avenir des paysans. C’est le cas lors du lancement

d’une procédure auprès du DAR, par exemple.

Si nous considérons la bourgeoisie foncière omniprésente au sein du gouvernement ainsi que la

corruption à tous les échelons, nous nous demandons si le plaidoyer est réellement efficace. D’abord, il

opère dans la sphère du politique, sphère dans laquelle PDG est en position de faiblesse puisqu’elle y a

peu de soutien. De plus, « il restreint le champ des stratégies, comme le recours à la rue ou le soutien

aux paysans victimes d’accaparement, au risque de détourner les efforts du travail militant de terrain »

(Moyo, 2008, cité par Lavigne Delville et al. 2015 : 117). Ensuite, le recours à cette stratégie s’inscrit

dans une vision selon laquelle la loi est une case obligatoire dans le conflit, une question technique

d’administration foncière. Ceci occulte une dimension plus globale du litige : au-delà de la propriété

foncière, c’est la place des ruraux dans la société et la lutte contre les inégalités qui sont en jeu (Moyo,

2008 ; Moyo et Yeros, 2005, cité par Lavigne Delville et al, 2015).

Facteurs exogènes

La politique générale du pays nous semble également être un élément important. Nous l’avons

évoqué dans notre mise en contexte, le principal moyen de ralentir la réforme agraire est de sabrer dans

son budget. La réduction était déjà drastique entre Marcos en 1982 (7,5% du total des dépenses

publiques) et Aquino en 1988 (3,3% du total des dépenses publiques). En 2015, les dépenses dédiées à

l’agriculture s’élèvent à 4,4% du budget total (Department of Budget and managment, 2015). Un rapport

de la Banque Mondiale (2007) nous montre que l’investissement des Philippines dans l’agriculture reste

– en moyenne – inférieur à l’investissement pratiqué par d’autres pays dans une situation similaire. Ceci

peut traduire un désintérêt de la part du gouvernement dans la mise en œuvre de la réforme agraire.

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Dans notre partie théorique, nous avons évoqué les principes de survie d’une organisation telle

que PDG. Parmi eux, nous retrouvions le concept de « réorientation bureaucratique » (Uphoff, 1987)

qui dénonce le décalage entre les procédures administratives imposées par les organismes

gouvernementaux et la réalité du monde rural. Il nous paraît évident que les procédures imposées par le

DAR ne sont pas adaptées à la réalité de terrain. Ces procédures sont longues, onéreuses. Elles

demandent des connaissances que peu de paysans possèdent. Une simplification de ces procédures

permettrait une réforme agraire équitable et permettrait aux paysans disposant d’un faible revenu de

pouvoir s’engager dans ces formalités (Deboulet, 2011).

Nous avons également évoqué les problèmes auxquels ce type d’organisation est confronté. En

plus du contexte socio politique, ces organisations doivent s’aligner sur l’aide internationale (Mercoiret,

2006). Pour obtenir des partenariats avec des bailleurs de fonds, les organisations doivent parfois

moduler leur discours et leur politique. Cependant, nous n’avons pas observé ce type de comportement

chez PDG, ce qui explique le peu de bailleurs de fonds étrangers. Cela nous amène au manque de

ressource : ces organisations disposent souvent de peu de moyens, les obligeant ainsi à travailler en petit

comité (Mercoiret, 2006). Les employés doivent ainsi être très polyvalents. PDG n’échappe pas à cette

difficulté.

Conclusion sur les résultats

Compte tenu des difficultés auxquelles est confronté PDG, il est difficile d’évaluer concrètement

l’impact des stratégies mobilisées par l’ONG et les associations paysannes. Il existe beaucoup de

facteurs indépendants de la volonté de PDG, des facteurs qui relèvent du Département de la Réforme

agraire et qui sont difficilement prévisibles.

PDG et les organisations paysannes tentent de maintenir le problème de la réforme agraire à

l’agenda politique, mais la décision finale est entre les mains du gouvernement. Malgré les stratégies

mobilisées, il reste difficile pour l’ONG de faire entendre les droits des paysans. Nous l’avons dit, le

plaidoyer n’est sans doute pas la meilleure stratégie, car elle n’avantage pas PDG. Néanmoins, nous

pensons qu’elle est nécessaire pour maintenir le dialogue entre les différentes parties. Le recours unique

aux stratégies plus agressives couperait court au dialogue et enfermerait les paysans dans une spirale de

violence.

Le soutien de l’opinion publique, nationale et internationale, serait un bon moyen de raviver la

réforme. Il s’agirait du moyen de pression dont PDG aurait besoin pour encourager le gouvernement à

des actions plus radicales en faveur des paysans. PDG doit pouvoir agir de concert avec les autres

organisations similaires dans le pays, pour occuper plus d’espace dans l’arène politique et accroître la

pression sur les instances politiques actuelles (Mancano Fernandes, 2010).

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Conclusion

Dans cette recherche, nous nous sommes intéressée à la problématique de la réforme agraire aux

Philippines. Notre question de départ portait sur le rôle de PDG dans l’organisation des associations

paysannes et plus largement dans le processus de la réforme agraire. Suite à cela, nous avons identifié

plusieurs sous questions : comment l’ONG intervient-elle, quelles sont ses stratégies ? PDG est

l’élément fédérateur des associations, mais qu’est-ce qui poussent les paysans à se mobiliser ? De quoi

dépendent les succès de PDG ?

Dans la première partie de cette recherche, nous tentons de faire le point sur la problématique

de la réforme agraire aux Philippines, nous replaçons cette politique publique dans un contexte plus

large, nous abordons la problématique d’un point de vue historique pour mieux comprendre les tenants

et les aboutissants qui en découlent.

Grâce à cette partie, nous avons compris que la réforme agraire est un problème complexe, qui

occupe le gouvernement philippin depuis toujours. Nous avons également pris conscience que la

division de la société telle qu’elle est aujourd’hui préexistait à la colonisation. La réforme agraire est

une politique publique, ancrée dans un contexte social et politique qui dépasse la problématique de la

redistribution des terres. Nous avons également compris que la lutte en faveur des droits des paysans a

démarré très tôt et a connu des périodes très violentes.

Dans la seconde partie, nous proposons un cadre théorique divisé en trois points. D’abord, nous

avons traité des aspects fonciers : nous avons défini la notion de réforme agraire ainsi que le type de

régime en vigueur aux Philippines. C’est ici que nous avons compris que la modification du système

agraire dépassait la simple redistribution des terres et s’attaquait au fondement même de la société

philippine. Nous avons établi le fait que le système était de type féodal, et que la possession de la terre

ne se limite pas à la possession d’une ressource économique, mais qu’elle est associée à la notion de

pouvoir. Nous avons aussi compris que la réforme agraire aux Philippines est utilisée comme une

stratégie par le gouvernement, pour calmer le mécontentement des milieux ruraux.

Ensuite, nous abordons l’aspect mobilisation. Pour ça, nous avons mobilisé une grille d’analyse

très générale proposée par Bajoit (2011). Il y a trois éléments essentiels pour provoquer une action

collective : la frustration, la mobilisation et le passage à l’action collective.

Il y a dans un premier temps le sentiment qu’une privation engendre pour une catégorie sociale,

une frustration. Ensuite, il faut un groupe, une association, qui pousse à la mobilisation. Il est également

nécessaire d’être face à un contexte favorable à la mobilisation. Enfin, il faut un objectif sur le long

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terme pour animer cette mobilisation. Pour assurer la pérennité d’un mouvement social, il faut qu’il

s’organise (Neveu, 2005).

Dans un second temps, nous attardons sur la relation de domination. Nous mettons ainsi en

lumière plusieurs éléments : c’est la domination idéologique définie par les dominants qui détermine le

champ des actions possibles. En contrôlant l’arène publique, les dominants créent en apparence une

politique qui se rapproche de ce que désirent les subordonnés. Le but est de manipuler ce que les dominés

perçoivent afin de contenir d’éventuelles frustrations (Scott, 2008). Nous avons assimilé ce phénomène

à la création du DAR. Ce type de manipulation peut également devenir le principal outil utilisé contre

le régime imposé par les dominants. Cela donne un cadre avec des règles à respecter, les dominants sont

obligés de respecter les règles qu’ils ont imposées.

Dans le troisième point, nous tentons de théoriser l’univers auquel nous rattachons PDG. Nous

identifions l’ONG au tiers secteur qui se compose d’associations locales, d’organisations de

développement et de coopérative. Ce secteur, et les organisations qui en font partie ont trois avantages

par rapport au secteur privé et au secteur public : l’efficacité, l’équité, et l’élargissement du pouvoir.

Ces organisations sont le lien essentiel entre les institutions gouvernementales et les communautés

rurales.

Suite à nos lectures, nous proposons l’hypothèse suivante : une sollicitation extérieure (incarnée

par PDG) favorise l’action collective et l’organisation des communautés rurales dans le but de donner

la chance aux paysans marginalisés d’occuper une place dans l’échiquier politique. Hors de cette

hypothèse, nous dégageons une sous-hypothèse : les stratégies mises en place par PDG (et par les

associations locales) s’adaptent au contexte et les résultats qui découlent de ses stratégies varient

également en fonction du contexte.

La troisième et dernière partie de ce travail est consacrée à l’analyse de notre terrain.

Nous avons commencé par redéfinir l’objet de notre étude : « de qui parlons-nous ? ». Nous

avons décrit PDG comme étant une organisation faîtière, éléments fédérateurs des associations de

paysans. Son rôle est donc de fédérer les associations paysannes mais également d’être « un médiateur

– vulgarisateur » face au jargon juridique employé par le DAR. L’ONG permet aux organisations rurales

d’accéder à des structures auxquelles elles n’ont pas accès habituellement et d’y faire entendre leurs

voix.

Nous nous sommes également interrogée sur les termes employés pour décrire les groupes de

paysans. Nous proposons d’appliquer le terme « association » pour définir les groupes paysans dans un

cadre plus professionnel. Le terme communauté est chargé d’une symbolique qui implique des valeurs

telles que la famille. Finalement, nous pensons que la communauté est ce qui forme l’association et que

l’utilisation de l’un ou de l’autre terme varie en fonction du message que l’on veut faire passer.

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Pour conclure sur la définition de notre objet, nous introduisons la notion de paysan sans terre.

Il s’agit pour nous d’une manière adéquate de définir la situation foncière dans laquelle se trouvent les

paysans interrogés.

Ensuite, nous nous sommes arrêtée sur l’aspect mobilisation. Pour cela, nous avons rappelé les

quinze conditions pour passer à l’action collective proposée par Bajoit (2011) et les avons confrontées

à notre terrain. Cette théorie est répartie en trois temps.

Du premier temps, de la privation à la frustration, nous retenons que la terre est un bien qui

comporte une certaine valeur symbolique et culturelle dans une région où l’agriculture reste le secteur

majoritaire en termes d’emplois. Nous avons également mis en évidence la double source de la

privation : les propriétaires terriens et le DAR. De plus, nous avons ajouté deux nuances qui sont le sens

culturel de la pauvreté et le double aspect à la frustration (Scott, 2008). La première nuance rejoint la

seconde puisque le premier aspect à la frustration concerne les humiliations. Nous parlons

d’humiliations au sens culturel, la prise de conscience de la pauvreté et des conditions de vie qu’elle

engendre. Le second aspect traite de la colère qu’il faut dissimuler constamment. Nous proposons de

justifier les actes de violence par cet aspect.

Le second temps, de la frustration à la mobilisation, nous évoquons le cadre dans lequel la

réforme agraire évolue, ce dernier permet en quelque sorte la protestation. Le pays affiche un régime

démocratique, il doit donc se tenir aux valeurs véhiculées par ce type régime en créant l’organe du DAR,

par exemple. Ce qui donne un cadre sur lequel baser la contestation. Enfin, cette contestation est bel et

bien animée par un objectif utopique et de long terme. La redistribution totale et équitable des terres

est un objectif non négociable, entretenu par des petites victoires (lorsqu’une association obtient un titre

de propriété). À terme, au-delà de la répartition des terres, c’est l’organisation de la société dans son

ensemble que les associations aspirent à modifier.

Le dernier temps, de la mobilisation à l’organisation, met en lumière l’importance d’un

leadership de qualité. Nous identifions ici deux niveaux de leadership : PDG et les associations. Bajoit

(2011), précise aussi que la lutte doit être encouragée par des enjeux à court terme. Nous associons ceci

au chemin administratif à parcourir, chaque étape franchie par le dossier représente une victoire. Ensuite,

nous mettons en lumière l’importance des ressources à rassembler pour garantir la survie de l’association

et l’importance du réseautage.

Pour continuer notre analyse de la mobilisation, nous nous sommes rapidement intéressée aux

mobiles. Nous rappelons que malgré l’appellation « mouvement paysan », tous les paysans n’en font

pas partie. Sur base d’une anecdote vécue lors de notre terrain, nous dégageons le fait que certains tirent

parti de cette situation. Ensuite, nous mobilisions une nouvelle fois Scott (2008) pour mettre en évidence

le fait que la contestation vient d’une classe inférieure. Ceci est peu courant surtout lorsque le système

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est encré depuis des siècles dans la société. Scott (2008), parle d’un choc extérieur nécessaire pour

modifier cet équilibre. Nous pensons que ce choc peut être associé à PDG.

Pour terminer notre analyse de la mobilisation, nous avons décidé de nous arrêter sur le contexte.

Nous identifions une relation entre l’existence d’une politique publique comme la réforme agraire et la

création d’une organisation telle que PDG. C’est par ce que cette politique est mal mise en œuvre que

PDG a pu voir le jour. Alors que la classe paysanne a souvent choisi de dissimuler sa résistance, aux

Philippines elle est désormais affichée. Nous avançons l’idée que ce phénomène est dû à l’existence

d’un cadre légal. Nous observons un retournement de la situation : afficher sa résistance à la politique

en place est punissable, aujourd’hui c’est résister à la politique en place qui est – supposé – être

punissable.

Après avoir essayé de comprendre l’aspect mobilisation, nous nous sommes concentrée sur les

stratégies développées par PDG et par les associations paysannes. En ce qui concerne PDG nous en

avons relevée quatre : la justification du discours, la stratégie participative, le plaidoyer, et le

réseautage. Nous avons également relevé quatre stratégies mobilisées par les associations, nous les

avons réparties en deux groupes. Celles qui nécessitent un engagement « modéré » de l’individu et celles

qui nécessitent un engagement « total » de l’individu. Dans la première catégorie, nous mettons la

mobilisation et la pétition, tandis que dans la seconde nous mettons l’occupation des terres et les piquets.

Selon nous, les stratégies des associations se situent à un niveau local tandis que celles de PDG essayent

de dépasser cette dimension pour porter la contestation à un niveau national.

Enfin, le dernier chapitre de notre analyse est consacré à l’efficacité de ces stratégies. Nous

commençons par un état des lieux en termes de chiffres sur les accomplissements de PDG. Nous

distinguons ensuite deux catégories de facteurs pouvant influencer les résultats : les facteurs endogènes

et les facteurs exogènes. Dans la première catégorie, nous identifions d’abord la capacité de l’ONG à

susciter du soutien (financier, politique, etc.). Nous mettons l’accent sur le fait que la réforme agraire

est une politique publique, et que le soutien politique est donc à privilégier. Nous relevons ensuite une

double difficulté pour ces organisations : la double demande. Ces organisations doivent être capables

d’assurer des demandes sur le court terme (une association menacée, des récoltes sabotées, etc.) et les

demandes sur le long terme (le lancement d’une procédure au DAR). Enfin, le dernier élément que nous

soulevons est l’omniprésence de la bourgeoisie foncière à tous les niveaux de l’administration. Nous

questionnons alors la pertinence du plaidoyer dans un tel contexte, nous n’avons toutefois pas d’autres

solutions à proposer. Parmi les facteurs exogènes, nous soulignons l’importance de la politique générale

du pays qui guide généralement les lignes de financement. Nous avons relevé qu’une méthode pour

contrer la réforme agraire est d’en réduire le budget. Nous mobilisons également le concept de

« réorientation bureaucratique » qui dénonce le décalage entre les procédures administratives et la réalité

du monde rural.

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Finalement, considérant les difficultés auxquelles est confrontée l’ONG, il nous semble difficile

d’évaluer concrètement l’impact des stratégies. Il y a beaucoup de facteurs sur lesquels PDG n’a aucune

emprise.

Le rôle de PDG et des associations paysannes est aussi de tenter de maintenir la réforme agraire

à l’agenda politique, néanmoins, la décision finale est entre les mains du gouvernement. Les droits des

paysans sont, aujourd’hui encore, transgressés quotidiennement.

Notre recherche tend à confirmer nos hypothèses. Nous cherchions à savoir si l’action de PDG

favorise l’organisation des communautés rurales, c’est apparemment le cas. Néanmoins ce n’est pas

suffisant et cela ne participe pas assez à l’exportation des problèmes rencontrés par les paysans hors du

cercle ONG – paysans –DAR. Nous pensons sincèrement que pour être réellement efficace, l’ONG doit

porter ces contestations sur la scène internationale, susciter un soutien qui dépasse les frontières des

Philippines. Il s’agirait là d’un moyen de pression qui pourrait obliger le gouvernement à mettre en

œuvre la réforme agraire de manière efficace.

Nous avions également posé l’éventualité d’une adaptation des stratégies au contexte. Il ressort

que ce n’est pas forcément le cas. Nous avons mis en doute l’efficacité de certaines stratégies, pourtant

PDG ne semble pas chercher à se renouveler.

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Annexes

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Annexe A : Carte des Philippines, Negros Occidental

Source : http://www.lib.utexas.edu/maps/middle_east_and_asia/philippines_rel93.jpg, page consultée le 8 juillet 2016

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Annexe B : guide d’entretien

Guide d’entretien

Présentation

Nom

Prénom

Âge

Situation familiale

Vie associative

Statut dans l’association

Pourquoi avoir rejoint l’association ?

Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Motivation pour continuer

Rôle de l’association

Terre

Pourquoi vouloir être propriétaire ?

Combien d’hectares exploitez-vous ?

Représentation de la terre

Réforme agraire

Point de vue sur la réforme agraire

Sur sa mise en œuvre par le gouvernement

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Annexe B (bis) : typologie des personnes interrogées

sexe Âge Famille Association Statut carrière

Aida F 61 ans Mariée, 3

enfants

BAKAS Comité santé Fermière

depuis 20

ans

Irene F 32 ans Mariée, 1

enfant

BAKAS Trésorière,

comité

projets

générateur

de revenus

Fermière

depuis 3 ans

Jerry H 49 ans Marié, 4

enfants

BAKAS Ancien

président,

aujourd’hui

consultant

Fermier

depuis 20

ans

Jocelyne F 43 ans Mariée, 2

enfants

MAFA Présidente Fermière

depuis l’âge

de 7 ans

Mario H 53 ans Marié, 7

enfants

MAFA Comité

réforme

agraire

Fermier

depuis l’âge

de 12 ans

Rodito H 53 ans Marié, 7

enfants

MAFA Vice-

président

Fermier

depuis 30

ans

Ruben H 54 ans Marié, 6

enfants

MAMMSA Vice-

président

Fermier

depuis 8 ans

Chrisetta F 41 ans Mariée, 2

enfants

MAMMSA Secrétaire Fermière

depuis

toujours

Frederico H 58 ans Marié, 1

enfant

MAMMSA Président Fermier et

pêcheur

depuis 40

ans

Eduardo H 76 ans Marié, 4

enfants

PATAG Trésorier,

Vice-

président

Fermier

depuis 60

ans

Ludovico H 69 ans Veuf, 8

enfants

PATAG Comité de la

réforme

agraire

Fermier

depuis 50

ans

Ricardo H 65 ans Marié, 2

enfants

PATAG Comité de la

réforme

agraire

Fermier

depuis 50

ans

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Annexe C : Interview du DAR

1. Can you explain the role of the DAR in the agrarian reform process?

The Department of Agrarian Reform or DAR is the lead implementing agency of

Comprehensive Agrarian Reform Program or CARP. It undertakes land tenure improvement,

development of program beneficiaries and agrarian justice delivery. The Land Tenure Improvement is

highly recognized as the most integral aspect of the program. This component seeks to secure the tenurial

status of the farmers and farmworkers. The DAR implements this component through Land Acquisition

and Distribution (LAD) or Non-land Transfer Schemes. The Land Acquisition and Distribution involves

the redistribution of private and government-owned land to landless farmers and farm workers. Under

Section 6 of RA 9700 ( Section 16 of RA 6657 as amended) regarding Land Acquisition, the DAR

identifies lands that are eligible for distribution under the CARP with accordance to the law, acquires

the land by delivering a notice containing the offer with its corresponding value to the owner should he

choose to accept the payment. Following the acquisition of lands under Section 11 of RA 9700(Section

26 of RA 6657 as amended) the DAR distributes these to the qualified beneficiaries, who then pay for

the land through the Land Bank of the Philippines or directly to their former owners. Under the CARP,

a total target of 10.3 million hectares of land was programmed to be distributed over a span of ten years.

Out of the total land, 6.5 million hectares of public disposal lands and Integrated Social Forestry areas

are to be distributed by the Department of Environment and Natural Resources (DENR) while 3.8

million hectares of private agricultural lands are to be distributed by the DAR. From July 1987 to June

1992, the DAR was able to distribute 1.77 million hectares benefiting .933 million beneficiaries, while

the DENR has distributed 1.88 million hectares to .760 million farmers. The Program Beneficiaries

Development is a support service delivery component of CARP. It aims to aid the agrarian reform

beneficiaries by providing them necessary support services to make their lands more productive, and

enable them to venture in income generating livelihood projects in accordance to Section 14 of RA

9700(Section 37 of RA 6657 as amended) . Under the support service delivery programs, the Presidential

Agrarian Reform Council (PARC) ensures that agrarian reform beneficiaries are provided with support

services such as land surveys and tilting, construction of infrastructures, marketing and production

assistance, credit and training. Agrarian Justice Delivery provides agrarian legal assistance and oversees

the adjudication of cases. Under Section 19 of RA 97600 (Section 50 of RA 6657 as amended), the DAR

is hereby vested with the primary jurisdiction to determine and adjudicate agrarian reform matters and

shall have exclusive original jurisdiction over all matters involving the implementation of agrarian

reform except those falling under the exclusive jurisdiction of the Department of Agriculture (DA) and

the Department of Environment and Natural Resources (DENR).

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2. What do the DAR to assist the farmers in the process (information session, education,

etc.)?

The Department of Agrarian Reform (DAR) assisted the farmers in so many ways. The

Department conducts On Site Information dissemination or “Pulong-pulong”, capacity development

trainings to Agrarian Reform Beneficiary Organizations (ARBOs); coaching and mentoring, technology

trainings or crop production and agri-extension services like adoption of appropriate farming

technology, organic fertilizer production and value adding on the resources. There are so many programs

that the Department provides for the farmer beneficiaries and organizations that will help them to be

productive.

3. There are NGOs helping the famers in the process, do you assist them (financial support,

human support)?

In support services program of DAR, there are NGOs which are partners of the department.

Through a partnership, both help the farmers specifically in terms of technology transfer, capacity

development. However, the department did not extend financial support or human support to any NGO

because this organizations have available resources.

4. Do you think the help of the NGO is essential in the process ?

Yes, of course. This is because NGOs stay in the area. Most of these organization as what we

have observed are sincere and determined to help the farmers. They provide programs, projects and

trainings that are beneficial to the farmers and organizations. Moreover, most of these projects and

programs are in line or in complement with the objectives and programs of the department.

5. Why certain procedures fail ?

Sometimes the department failed to fully implement the Notices of Coverage (NOCs) due to

lack of cooperation from the landowners. Most of the time, the department faced resistance from the

landowners. This is also due to lack of knowledge or sufficient information of some of the landowners

about the program of the government which is the Comprehensive Agrarian Reform Program or CARP.

Sometimes, some technicalities in the procedure hamper the department to implement the program. On

support services, certain procedures fail due to lack of good values from the beneficiaries. Occurrence

of mitigating factors which we cannot control like climate change, pests infestations, drought, typhoon,

unstable prices of commodities and etc. hampers the operation of the department.

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6. After 2014, the CARP was not extended. What’s the situation now? Is it still possible to

start a procedure about land issues ?

As long as Notices of Coverage are issued on or before June 30, 2014, land distribution to

beneficiaries shall continue until completion, pursuant to Section 30 of RA No. 9700. Meaning, even

after the CARPER’s deadline, itself mandates the concerned agencies to finish distributing land to the

beneficiaries up to the last hectares.

Annexe D : Structure de PDG

Structure organisationnelle

L’Assemblée Générale (AG) est composée de quinze membres et se rencontre sur base annuelle.

Le Conseil d’Administration (Board of Trustees) est élu par l’assemblée générale, il est composé de

cinq membres et se réunit sur base trimestrielle. C’est lui qui est en

charge de la responsabilité légale de PDG.

Le Directeur Exécutif approuve les programmes, le budget annuel. Il

travaille de concert avec le Comité Exécutif (Managment Committee)

qu’il rencontre une fois par mois : il s’agit du corps opérationnel de

PDG.

Enfin les trois équipes régionales sont quand elles composées d’un

responsable, de plusieurs organisateurs communautaires et de

formateurs en matière socio-économique et d’agriculture durable. Les

associations dont la création est soutenue par PDG et qui regroupent les

paysans font, quant à elles, partie du système opérationnel, mais pas du

système organisationnel. Notons aussi que les membres de ces

associations sont tous bénévoles et ne sont donc pas rémunérés.

Chaque équipe travaille dans un air géographique spécifique et chaque

association se voit attribuer un responsable (Community Organizer). Ce

responsable ne choisit pas l’endroit où il est assigné et il arrive que

celui-ci ait à déménager dans le village de l’association si celui-ci se

trouve trop loin de son lieu de résidence. Les trois équipes se réunissent sur base trimestrielle pour faire

le point sur l’avancement des différents programmes dans les communautés.

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