au croisement du classique et du contemporain : quand la...
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Au croisement du classique et du contemporain : quand la danse compose entre
innovation et patrimonialisation.
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Remerciements
Je remercie particulièrement ma tutrice, Sylvia Girel, qui m’a accompagnée tout au long de la rédaction de ce mémoire. Je tiens également à remercier Gilles Suzanne pour ses conseils avisés et dont les cours m’ont aidé dans le cheminement de ce mémoire.
Un grand merci, très particulier, à Madame Thouroude dont la connaissance du milieu de la danse a été précieuse pour moi et à Latifa Sabri qui a pu m’éclairer sur certains points particuliers.
Enfin, je souhaite remercier très chaleureusement ma famille, surtout Virginie Lassalle, et mes ami(e)s, pour leur soutien moral lors de la mise en œuvre de ce projet.
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Sommaire
Introduction générale p.4
Partie 1. Entre classique et contemporain : une frontière poreuse p.9
Chapitre 1. Les prémices des œuvres : de la création au métissage des genres p.20
Chapitre 2. Les ballets classiques revisités p.35
Chapitre 3. Les pièces contemporaines qui empruntent à la danse classique p.49
Partie 2. Un patrimoine réactualisé : pour quels publics et quelle médiation ? p.64
Chapitre 1. Des formes chorégraphiques qui participent à la patrimonialisation de la danse p. 66
Chapitre 2. La réception de la danse et ses publics p.75
Chapitre 3. La médiation culturelle : comment et pourquoi ? p.93
Conclusion générale p.106
Postface. Panorama historique de la danse classique et contextualisation de la danse contemporaine p.111
Annexes p.141
Bibliographie p.152
Table des matières p.161
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Introduction générale
« L’état de plaisir que l’on appelle ivresse est exactement un sentiment de haute
puissance… Les sensations de temps et de lieu sont transformées ; on embrasse des espaces
énormes que l’on vient à peine de percevoir ; le regard s’étend sur des horizons plus vastes et
des multitudes ; les organes s’affinent pour la perception des choses les plus petites et les plus
fugaces ; c’est la divination, la force de l’entendement, mises en éveil par la moindre
incitation, par la suggestion la plus faible : la sensualité “intelligente” ; la force se manifeste
comme sentiment de souveraineté dans les muscles, souplesse de mouvement, et plaisir que
procure cette souplesse, comme danse, légèreté, presto ; la force devient la joie de démontrer
cette force, un coup de bravoure et d’aventure, l’intrépidité, l’indifférence à l’égard de la vie
et de la mort… »1. La manière dont Friedrich Nietzsche décrit la danse est à l’image de sa
philosophie en référence à la force dionysiaque que peut provoquer le seul fait de danser.
C’est un acte qui fait donc partie de la vie humaine depuis les débuts du genre humain et qui
engendre un état de plaisir procurant une perception du monde totalement différente de
n’importe quelle autre. Friedrich Nietzsche décrit avec justesse par cette citation ce
qu’éprouve un être humain en dansant : l’énergie, la vitalité, le plaisir suscités en un seul art ;
l’impression de maîtriser son corps pour n’en faire que langage, expression et beauté ; la
sensation unique de chaque mouvement… Très tôt, elle devient d’ailleurs dans certaines
civilisations une forme de rituel et le corps, à l’origine du mouvement, est dès lors utilisé pour
libérer une expression, se déplacer dans l’espace ou réaliser une trajectoire.
L’art chorégraphique2 s’est imposé très vite dans des règles et codes qui ont régi pendant
longtemps la danse classique se singularisant par une existence considérable de quatre cents
ans. Cette longue période a vu se forger une danse qui s’est ancrée dans un système de
représentations codifié (cf. Histoire de la danse classique en postface : Chapitre 1). Riche de
ce parcours, la danse classique a su s’imposer sur les scènes du monde entier et ceci continue
encore aujourd’hui, au point qu’elle s’affiche même sur les écrans de cinéma. Certains sont
des documentaires à propos de l’Opéra de Paris comme La Danse, le ballet de l’Opéra de
Paris (2009) de Fréderick Wiseman, d’autres sont des narrations dont le dernier en date,
Black Swan (2011) de Darren Aronofsky, a été récompensé aux Oscars. En parallèle,
1 F. NIETZSCHE, « La Volonté de puissance », dans M.C. PIETRAGALLA, Ecrire la danse, De Ronsard à Antonin Artaud…, Paris, Séguier Archimbaud, janvier 2001, p. 170. 2 L’art chorégraphique : manière dont s’opère dans les étapes qu’elle implique une création (inspiration, réflexion, mise en mouvement, composition scénique, etc.) pour aboutir à une œuvre finale.
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aujourd’hui, certaines salles diffusent en direct des ballets programmés à l’Opéra de Paris ou
au théâtre du Bolchoï. Concernant l’Opéra de Paris, Brigitte Lefèvre, la directrice de la danse,
s’attache à ce que les représentations soient des ballets notoires du répertoire, ou des ballets
qui méritent d’être découverts. Par exemple, pour la saison 2010/2011, les adeptes de la danse
au cinéma ont pu découvrir Le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev et Coppélia de Patrice Bart
mais aussi La Dame aux Camélias de John Neumeier, La Petite danseuse de Degas de Patrice
Bart, Caligula de Nicolas Le Riche et Les Enfants du Paradis de José Martinez.
Sur scène (scènes nationales, centres chorégraphique nationaux, scènes
conventionnées, théâtres municipaux, festivals, etc.) la danse contemporaine est également
aujourd’hui très présente. Elle réinterroge l’art chorégraphique et explore tous les chemins
possibles du corps, du mouvement, de l’espace, des sensations… Elle use de diverses
techniques, envisage de nouveaux horizons (musées, espace public, friches…), et s’intéresse
aux danses urbaines, ou encore à la danse africaine. Ce phénomène est relativement récent et
date du début du XXème siècle. Alors que la danse classique s’est essayée à la recherche du
mouvement et de l’ensemble parfait, la danse contemporaine, quant à elle, plus récente,
déploie une multitude de potentialités et d’alternatives nouvelles qui réinterrogent
incessamment l’art chorégraphique (cf. Histoire de la danse contemporaine en postface :
Chapitre 2).
La danse a donc évolué depuis son apparition et plusieurs genres cohabitent
aujourd’hui sur scène. La danse classique rayonne de façon prestigieuse dans des compagnies
et ballets de renom, tandis que le néo-classique caractérise encore un peu de manière arbitraire
certains chorégraphes actuels, et que le contemporain se développe majoritairement sur les
plateaux des sociétés occidentales. Actuellement, la danse est à un stade d’organisation et de
réflexion qui dépasse même la scène quelle que soit l’esthétique1. Elle fait apparaître une
notion à laquelle de nombreux chorégraphes tiennent : c’est celle de répertoire. Il ne s’agit pas
ici de distinguer leur période d’existence mais bien de réfléchir sur la manière dont la danse
peut être « conservée ». Toutefois, si la danse classique et la danse contemporaine peuvent de
nos jours avoir des préoccupations communes, elles n’abordent pas la chorégraphie de la
même manière. La danse contemporaine s’exprime dans des espaces physiques, mais aussi
1 Dans la première partie de ce mémoire le substantif esthétique sera compris comme : l’ensemble des caractéristiques artistiques propres à chaque genre de danse (classique, néo-classique, contemporaine). La définition du mot esthétique peut venir compléter les caractéristiques d’un genre artistique : « principes esthétiques à la base d'une expression artistique, littéraire, etc. » (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/esth%C3%A9tique/31174, consulté le 14/04/11). Ici donc le sens du mot esthétique doit être entrepris dans une appréhension artistique.
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symboliques, qui travestissent ceux créés sous l’époque classique. « La danse contemporaine
peut être sérieuse, amusante, audacieuse, ironique, brutale, documentaire, osée, plasticienne,
urbaine. Et ces variantes en font justement le sel »1. Elle emprunte encore et toujours des
chemins inconnus et différents qui la mènent sur des territoires encore jamais explorés. Le
fond est repensé en même temps que la forme, à tel point qu’elle semble en perpétuelle
mutation. Plus qu’un pur ensemble de mouvements et qu’une esthétique « simple », la danse
contemporaine est un véritable état d’esprit. Imposant des regards différents aux spectateurs,
ces derniers se retrouvent plongés dans des mondes totalement divers d’un chorégraphe à
l’autre. Comme l’indique Laurence Louppe dans son ouvrage la Poétique de la danse
contemporaine, « la danse contemporaine peut parler à l’imagination de chacun sans passer
par un discours explicatif »2. Dans tous les cas, encore aujourd’hui, la danse contemporaine
est un champ en questionnement incessant. Elle impose un nouveau rapport au corps,
nourrissant de nombreux imaginaires et interrogeant par ce biais-là de nombreux
anthropologues, sociologues et philosophes. Avec la danse contemporaine, le corps devient à
la fois l’objet d’une expression individuelle, intériorisée, mais aussi la possibilité d’expression
des passions universelles à tel point que le mouvement prend forme de manière différente
selon les époques, selon les styles des chorégraphes. Ainsi, les modalités d’écritures et les
thématiques à l’origine d’une œuvre peuvent être diverses.
Cette liberté acquise est tout de même le fruit d’un long processus qui a mené les
artistes et les chorégraphes sur le chemin de la nouveauté. Trois temps majeurs distinguent
l’histoire de la danse et ceci grâce à des volontés, certes souvent uniques, mais qui réunies,
ont fait évoluer le rapport au corps, la scénographie, les costumes, la technique, les
thématiques, la manière de penser la danse, etc. Si au début, les premières formes
spectaculaires, apparentées aux ballets de cour, ont permis l’avènement du ballet classique, la
modernité s’est développée beaucoup plus tard. Après une longue maturation de la danse
classique, au début du XXème siècle, naissent les Ballets Russes et la danse néoclassique qui
revendiquent déjà une certaine modernité. Celle-ci passe par des questionnements liés
intrinsèquement à l’art chorégraphique tout en remettant en cause certains acquis. Dans le
même temps, les précurseurs de la danse contemporaine se dégagent complètement des
carcans du classicisme pour réinventer le langage dansé. Ils permettent réellement
l’avènement de la danse moderne. Celle-ci n’aura de cesse de remettre en cause l’héritage
1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 18. 2 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, coll. Libraire de la Danse, p. 12.
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acquis et surtout de s’y opposer pour prôner l’expression de l’individu, pour donner une
certaine indépendance au mouvement, pour libérer le corps de toute virtuosité, etc. La danse
contemporaine naît inévitablement de cette recherche permanente et prolonge les mécanismes
enclenchés par les modernes pour les faire exploser et décupler l’évolution chorégraphique :
travail du mouvement à l’état pur, abandon de la narration, pas de point fixe dans l’espace,
etc… Au fil de son histoire, la danse s’est investie de diverses problématiques et de multiples
positionnements postulant sur la notion de répertoire, la considération du corps, les
innovations en termes de mise en scène et de techniques, les thèmes traités, etc.
Le paysage chorégraphique français est aujourd’hui le fruit d’un métissage entre danse
classique et danse contemporaine. Des formes de diverses amplitudes et d’ambitions multiples
se laissent découvrir aux yeux des spectateurs. Plusieurs catégories d’œuvres côtoient chaque
année les programmations des festivals comme La Biennale de la Danse à Lyon, ou celles des
salles comme le Théâtre National de Chaillot ou le Centre National de la Danse, pour ne citer
que quelques exemples.
Les chorégraphes contemporains s’emparent de la danse classique de manière très
différente car ils peuvent l’associer facilement à leur pratique. Par exemple, beaucoup optent
pour des relectures de ballets du répertoire classique. Parallèlement, de nombreuses pièces
contemporaines n’hésitent pas à faire référence à la danse classique. Celles-ci présentent des
éléments traditionnels du classique comme la composition d’un ballet, la musique, le
chausson de pointe, un moment de ballet, la technique, etc. Il est évident que ces catégories
supposent des sous-propositions déclinables et reconnaissables dans de nombreuses œuvres.
De plus, aujourd’hui l’offre culturelle est multiple et prolifique. Cette abondance
permet aux spectateurs d’emprunter un parcours itinérant le plongeant dans des genres variés
dont l’offre multiforme, entre danse classique, danse-théâtre, danse minimaliste ou danse et
vidéo, n’est presque seulement lisible que par les professionnels et les amateurs initiés. Au
regard des œuvres qui mêlent l’univers classique et contemporain, s’interroger sur leur
réception semble nécessaire. En effet, si elles croisent des références aux deux esthétiques, la
question qui se pose est : comment peuvent-elles être appréhendées ? Sont-elles considérées
comme classiques, néoclassiques ou contemporaines ? Le spectateur est-il troublé par ce
métissage ? Tente-t-il de déceler les caractéristiques de l’œuvre pour déterminer si celle-ci est
alors classique ou contemporaine, voire néoclassique ? Si l’observateur se retrouve confronté
à un problème de classification, il y a une forte probabilité pour que celui-ci soit confus ou
troublé par cette absence de catégorisation.
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Avant de s’intéresser à la condition du spectateur et des publics, il convient donc de
s’interroger sur les évolutions et mutations pointées, sur la manière dont les œuvres sont
créées, et sur les intérêts dont elles sont porteuses.
Derrière ces problématiques de la réactualisation de certains ballets et l’emprunt
d’éléments classiques dans les ballets contemporains, il faut noter que ceux-ci participent sans
doute à la mise en avant du patrimoine chorégraphique. Dans cette perspective, le constat
montre que certaines œuvres classiques peuvent être synonymes de source inépuisable pour
les chorégraphes et les danseurs. Dans quel contexte la danse contemporaine peut-elle enrichir
ce patrimoine acquis depuis près de quatre cents ans ? Une des volontés des chorégraphes se
place peut-être dans l’exploration de toutes les pistes de la chorégraphie. Ceci leur permet
probablement de dégager des œuvres dont la transversalité entre contemporanéité et
classicisme suppose l’émergence de nouvelles formes. Pour quelles raisons les chorégraphes
contemporains sont-ils de plus en plus nombreux à oser l’appropriation des pièces du
répertoire classique ? Les démarches investissent sans doute plusieurs points d’ancrage et
recherchent alors à développer à la fois le potentiel de la danse classique mais aussi celui de la
danse contemporaine. Y-a-t’il une demande particulière de la part du public pour des œuvres
qui se veulent plus lisibles ? De quelle manière la médiation culturelle peut-elle s’insérer dans
ce nouveau paysage chorégraphique ? Ces œuvres participent certainement à la
patrimonialisation de la danse, dans le sens où elles remettent sur la scène des œuvres entrées
au répertoire chorégraphique depuis de nombreuses années ou des œuvres qui font tout
simplement référence à la danse classique. C’est dans cette perspective que l’étude proposée
dans ce mémoire permettra d’aborder dans une première partie la frontière poreuse entre la
danse classique et la danse contemporaine, et dans un second temps, la manière dont le
patrimoine chorégraphique peut être réactualisé et quels rapports ce phénomène engendre-t-il
avec les publics et la médiation culturelle. Enfin, la conclusion permettra de revenir sur les
questions soulevées en introduction et d’y apporter un certain nombre de réponses.
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Partie 1
Entre classique et contemporain : une frontière poreuse
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Questions et notions préalables
L’introduction ayant permis de soulever un certain nombre de points, il convient dans
un premier temps de préciser la problématique et les questions qui se posent quant à l’objet
d’étude et particulièrement au regard de diverses entrées évoquées : le concept du corps, la
scénographie, le vocabulaire, la composition et la notion de répertoire…
Premièrement, il semble intéressant de s’appuyer sur la manière dont la danse
contemporaine s’est emparée de la matière qu’elle utilise, c'est-à-dire le corps. Elle l’expose
de diverses manières pour en montrer toutes les subtilités : sans idéalisme et idéologie du
corps féminin, sans vocabulaire nécessairement codifié, sans une unicité semblable, dans la
recherche du mouvement, du sens et la production de techniques hétéroclites, le corps se
libère. Il est indéniable que par l’autonomie de langage accordée, la danse contemporaine
offre à chaque chorégraphe des modalités d’écritures diverses et variées, d’autant plus que,
petit à petit, la danse contemporaine s’est emparée d’autres domaines artistiques pour les
réintégrer dans le monde chorégraphique. Celui-ci est également le lieu de brassage de
plusieurs cultures dont le mélange permet la richesse des créations. La danse contemporaine,
dans sa globalité et sa complexité a proposé une autre vision et une autre considération du
corps. La danse classique a posé un idéalisme avec l’avènement de la figure féminine à
l’époque romantique (cf. sous partie 1.2 de la postface). Le résultat d’un travail rigoureux des
mouvements accorde une grâce insoupçonnée à la ballerine et le langage codifié, propice à la
transmission, permet une uniformisation des corps. L’idéalisation se projette donc dans une
silhouette menue et svelte. Ainsi, les corps des danseurs classiques et néo-classiques
répondent à des canons esthétiques auxquels ils ne peuvent presque pas échapper. La mise en
réflexion du corps en danse contemporaine passe par l’éclatement de ces codes pour le
détacher de cette image de perfection qui s’est constituée au fil du temps. Le corps est alors
l’objet d’une multiplicité. Là où le corps de ballet était la norme, la danse contemporaine fait
de chacun de ses danseurs une sorte de soliste. A l’image de la société, de son temps, le corps
est mis en scène avec ses défauts et ses qualités : tailles opposées, minceur ou embonpoint,
même si le danseur athlétique reste une norme incontestable. Il n’est plus le prétexte de la
ressemblance mais celui de la différence. Cette considération évoque une forme de
libéralisation du corps, notamment du corps féminin et de la figure romantique. Cette
disponibilité permet de recentrer le travail du chorégraphe sur le rapport du corps à son
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intériorité. En effet, « l’important n’est plus qui danse et comment, mais ce que la danse me
dit »1. Le corps est le lieu de la pensée et de la production du sens. La danse est révélatrice
tant des phénomènes sociétaux que de leurs évolutions, en ce sens qu’elle s’est mis au
diapason de l’égalité entre homme et femme, qu’elle prend part aux critiques et dénonce la vie
politique, qu’elle s’intéresse aux nouvelles technologies, etc.
Tout est possible par l’individualisation de ce corps, de l’ici et maintenant toujours en
devenir, qui est le matériau original et originel de toute danse, de toute chorégraphie. Il y a
une véritable conscience du mouvement à l’état pur occultant les styles préétablis et les
déterminismes culturels en ce sens que même les gestes quotidiens ne sont en aucun cas
écartés de la danse contemporaine. Là où la danse classique épousait les formes filiformes de
ses ballerines et les corps musculeux de ses danseurs, la danse contemporaine ose montrer le
corps dans ses imperfections. Elle use et abuse de costumes en tous genres, mais dévoile aussi
le corps dans sa matérialité, et la recherche du mouvement va amener petit à petit les
chorégraphes à dénuder leurs interprètes. Inévitablement, ceci conduit à interroger le corps en
tant que vecteur d’érotisme mais aussi d’égalité. En effet, homme et femme peuvent se
retrouver sur scène dans leur plus simple appareil. La danse contemporaine s’est éloignée de
Martha Graham (cf. sous partie 2.1 de la postface) qui drapait ses danseuses d’une longue
robe tandis qu’elle dénudait ses danseurs. L’équité participe aux valeurs de la danse
contemporaine et la scène rend compte de ce principe. Il n’y a plus, dans certains ballets, la
différence homme/femme. L’image de l’effacement de la hiérarchie est également active pour
les clivages des rôles homme-femme, en ce sens que les interprètes peuvent danser en même
temps et la même chose : le corps n’est plus un support de distinction mais au contraire, il est
accepté tel qu’il est.
La transposition du corps sur scène permet aussi de repenser sa matérialité et de le
reconsidérer par rapport à un espace et un contexte. Il est le lieu du visible, de l’expression à
l’état pur et dans ce cas-là, la scénographie et la chorégraphie permettent de prolonger
l’expérience initiée par la recherche du mouvement. Actuellement, d’autres dispositions
scéniques remettent en cause l’apparition du corps sur scène et la question de la visibilité (et
surtout de l’invisibilité) du corps, ainsi que du mouvement, est au cœur de la danse
contemporaine. Non pas leur invisibilité en tant qu’image, puisque la danse a su mettre à
profit les arts plastiques et visuels, mais leur invisibilité en tant qu’expérience. A travers les
1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 70.
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arts plastiques et les nouvelles technologies – images virtuelles, cyborgs (mi-humain, mi-
machine), prothèses, interfaces corps-machines, dessins d’animation… – la danse redéfinit la
nature du corps, de ses contours et de ses limites. Au début du XXIème siècle, des mutations
profondes sont en cours ou à venir et, loin d’effacer le corps, comme le voudraient leurs
détracteurs, ces techniques nouvelles obligent à le re-penser, le re-comprendre, le re-sentir.
La danse contemporaine s’est ainsi attachée à décupler les possibles de son premier
matériau, c'est-à-dire le corps mais elle s’est également investie de sa mise en scène, de
l’appréhension de l’espace ainsi que de l’invention d’écritures nouvelles. La liberté du corps
offre donc une multitude de possibilités à l’écriture de mouvement. Entre minimalisme et
théâtralité, les artistes s’offrent à la danse par divers moyens d’écriture et de composition. Ces
dernières sont rendues possibles par l’acquisition et l’appréhension de diverses techniques
dont le chorégraphe dispose pour ensuite dégager sa propre technique. Etant à l’écoute du
monde, chaque artiste s’imprègne des inquiétudes, des problématiques, des bonheurs, des
sentiments, etc. qui le traversent : automatiquement, les formes d’inspiration étant multiples,
leur traduction en mouvement est également multiple. Certains chorégraphes sont beaucoup
plus enclins à proposer une écriture rigoureuse où le moindre geste et l’enchaînement des
mouvements sont déterminés le plus précisément possible. D’autres, au contraire, laissent une
part d’improvisation à leurs danseurs. Le style fait inévitablement partie du langage et est
perçu de manière la plus immédiate. Avant de déceler le propos de l’œuvre, le spectateur
discerne les caractéristiques propres à chaque chorégraphe : « Le style balaie l’ensemble du
vocabulaire d’une danse, lui conférant une identité culturelle et individuelle »1. Cependant,
l’idée de vocabulaire est trop restrictive puisqu’elle ne prend pas en compte le fait que
l’invention de mouvements est infinie. En revanche, il existe des gestes bien définis du fait
qu’ils sont catégorisés par une technique, d’autres sont à l’image du chorégraphe qui l’a
inventé, certains mouvements reflètent simplement les gestes du quotidien, tandis que
l’abstraction a également investi la scène dansante. Le chorégraphe peut tout de même rester
dans l’amplitude qui est la sienne et élaborer ses créations autour de celle-ci : la dynamique de
Lucinda Childs s’inscrit dans l’enchaînement des répétitions, tandis que l’écriture de
Dominique Bagouet reprend des gestes minimaux de mains. Outre l’introduction du
mouvement, le style du chorégraphe peut aussi reposer sur la formulation d’une pensée ou la
récurrence de certains genres de danseurs sur scène. C’est le cas d’Heddy Maalem qui 1 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, coll. Libraire de la Danse, p. 127.
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interroge souvent la question de l’identité dans ses pièces et met en scène ce qu’il nomme « le
corps noir ».
La composition se met inévitablement au diapason de l’intériorité, d’une envie de
traiter tel ou tel thème. Laurence Louppe la compare aussi au fait de « tirer les fils depuis
l’invisible, donner corps à ce qui n’existe pas »1. Les ressources de la danse contemporaine
sont, à la vue des créations depuis sa naissance, inépuisables. Elle n’hésite pas à emprunter
des voies politiques (Trisha Brown, cf. partie 2.2 de la postface) ou à utiliser des vêtements,
musique ou accessoires du moment, à tourner en dérision les codes sociaux (Pina Bausch, cf.
partie 2.3 de la postface) et à sortir des cadres du spectacle vivant pour se confronter au
public, à un autre public (postmodernes, cf. partie 2.2 de la postface). Toutefois, comme
expliqué en postface, la danse contemporaine ne s’inquiète pas de l’argument de création pour
réaliser un travail sur l’essence même du corps. Outre ces modalités de départ, Laurence
Louppe signale que « généralement, le point de départ de toute œuvre renvoie à un trait
fondamental du danseur contemporain : la nécessité, l’urgence même, de dire, de crier
parfois à la face du monde, le trop-plein de sens et d’attente dont son être est porteur,
jusqu’au débordement »2. La danse contemporaine ne se situe donc pas dans le rêve et
l’illusion comme cela pourrait être reproché à la danse classique. Ainsi, le postmodernisme
s’oppose à la guerre du Vietnam (Yvonne Rainer, M-Walk ou War, fin des années 1960).
D’autres, directement touchés par le sida, n’hésiteront pas à le mettre en scène comme Bill T.
Jones, tandis que Lloyd Newson ne se retient pas d’utiliser pour thématique l’homophobie. Il
est donc indéniable qu’à chaque chorégraphe correspond une multitude de thèmes, de sujets,
d’interrogations, de revendications et cela semble infini. « Devant la vitalité d’un paysage en
constant questionnement, renouvellement, habité par des artistes happant l’urgence de
l’époque avec voracité, l’affaire semble partie pour se courir après sans jamais pouvoir se
conclure »3.
A la rencontre de l’écriture et des sources d’inspiration, quelques similitudes entre les
travaux des chorégraphes peuvent être émises. Cependant, les modalités d’écritures et les
thématiques composant la danse contemporaine peuvent être tellement diverses que celle-ci
arbore des formes totalement différentes. « En détournant le propos de la seule virtuosité, la
danse contemporaine met donc en scène des profils différents qui font parfois de leur
1 Ibid., p. 245. 2 Ibid., p. 248. 3 R. BOISSEAU, Panorama de la danse contemporaine, Paris, Les Editions Textuel, 2010, p. 5.
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maladresse leurs atouts »1. Ici, l’expression populaire « il y en a pour tous les goûts »,
convient très bien. D’autant plus que la chorégraphie s’est également ouverte de plus en plus à
d’autres formes artistiques et à d’autres univers dansés en ce sens que les frontières entre
expressions et genres artistiques sont ainsi parfois rendues perméables.
La danse dans sa multiplicité vient depuis ses origines interroger sa pratique par
rapport à d’autres domaines artistiques. La nouvelle génération de créateurs a accentué ce
déplacement, allant explorer tous les retranchements du possible. La perception du
mouvement est problématisée d’une autre manière et repense le corps et sa matérialité, au
point de parfois remettre en question la danse elle-même. La danse s’expose en compagnie du
cirque, des images, des écrans, d’éléments architecturaux ou du théâtre. L’idée est de pousser
les limites du champ chorégraphique au-delà de sa propre circonscription. Ces œuvres
dégagent des formes dansées de l’ordre du spectaculaire « qu’elles intègrent à une recherche
expérimentale en croisant des techniques de danse formelles avec, selon les chorégraphes,
des techniques de corps non dansantes (cirque, corps extrême, escalade) ou encore en faisant
appel à des supports techniques non corporels (la vidéo notamment) »2. Ces formes de
spectacles contribuent à pousser les limites de l’exploration du corps. Diverses techniques
préétablies par exemple dans les arts martiaux, ou dans les arts du cirque, permettent de
mettre en œuvre un travail différent, au-delà de ce que la danse pourrait proposer.
L’expression est aussi l’objet d’une remise en cause, et la danse contemporaine se confronte à
des formes dansées, de l’ordre du mime, du théâtre, où la parole vient se mélanger à la danse
et inversement. Les créateurs ont eu besoin de ne pas se cantonner aux avancées considérables
de la danse contemporaine lors des années 1980. Ils vont se former à d’autres expressions
artistiques et ont des parcours transversaux. En parallèle de la danse, ils font aussi bien de la
musique, que du chant, du cirque ou de la vidéo. Curieux d’autres cultures, ils sont finalement
à la recherche d’une ouverture pour la danse. Ce phénomène traduit-il une volonté de se
rapprocher du public ? Le mélange des genres étant aujourd’hui la norme, peut-être que les
chorégraphes au-delà de sublimer et problématiser leur art en allant à la frontière d’autres
disciplines, souhaitent, en effet, s’approcher d’un public jusque-là inexistant.
Au-delà de cette transversalité affichée depuis quelques années, la danse
contemporaine va aussi puiser dans des formes diverses : danse africaine, danse hip-hop,
danse asiatique, danse folklorique et … danse classique. Ainsi, la danse contemporaine
1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 139. 2 S. FAURE, « Les Structures du champ chorégraphique français », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°175 – décembre 2008, Paris, Éditions du Seuil, p. 88.
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entretient de plus en plus des pratiques aux frontières perméables et se laisse traverser par
diverses esthétiques qui contribuent à asseoir son ouverture. C’est aussi, le fait qu’elle
privilégie de plus en plus le processus du résultat, même si il y a un net retour de formes
spectaculaires. Ceci est probablement dû à l’effet de nouveauté et de mélange des genres. Une
œuvre alliant hip-hop et contemporain sera peut-être aux yeux du public aussi spectaculaire
qu’une pièce intégrant des moyens techniques visuels comme la vidéo ou la photographie.
Dans tous les cas, il y a dans ces intentions de recherche un réel désir de repenser les formes
et les interrogations de la danse contemporaine, avouant peut-être aussi une volonté de
répondre aux attentes de certains publics. C’est donc aux confins de ces interrogations qu’elle
reste en perpétuelle recherche et qu’elle remet en question ses acquis et déterminismes après
avoir connu une période de stabilisation. Dans cette perspective, la danse contemporaine s’est
également investie dans un croisement avec la danse classique.
Dans un tout autre registre, la danse classique et la danse contemporaine ont développé
les mêmes préoccupations en matière de répertoire. Dans un premier sens, celui-ci désigne
seulement un ensemble de pas ou de danses propres à une communauté, à un style ou à une
compagnie. Dans un second temps, la notion est employée pour désigner un corpus d’œuvres
régulièrement représentées au sein d’un théâtre ou par une compagnie. La survie du répertoire
d’un chorégraphe après sa mort est ainsi dépendante de celle de la compagnie qui a créé ses
œuvres. Dans une appréciation plus générale, le répertoire désigne un recueil des œuvres
considérées comme faisant référence. « Liée à celles de « grands classiques », de « ballets du
répertoire », l’idée de répertoire chorégraphique, au sens absolu, ne se constitue qu’au XX°
siècle »1. Elle est intimement liée à celle de transmission, et semble être le moyen de
pérenniser des œuvres dont l’histoire prouve combien elle reste aléatoire. En effet, beaucoup
d’œuvres ont disparu de ce répertoire pendant de nombreuses années pour ensuite être
abandonnées et oubliées. Si certaines volontés ont permis de faire ressusciter des ballets qui
sont aujourd’hui les emblèmes de la danse classique, l’idée de transmission et de conservation
d’un répertoire n’était pas entreprise. La volonté et la recherche du répertoire a donc composé
avec un passé et effectué des courts-circuits intemporels, convoquant la survie de tel ou tel
ballet plutôt qu’un autre. Le patrimoine s’est peu à peu stabilisé grâce à l’effort de
chorégraphes et maîtres de ballet comme Marius Petipa, Pierre Lacotte ou encore Rudolf
Noureev, et la notion de répertoire est venue signifier ces changements d’état d’esprit.
1 S. JACQ-MIOCHE, « Répertoire » dans P. LE MOAL (sous la dir. de), Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 1999, p. 783.
16
L’accumulation d’œuvres réalisées depuis des années par la danse classique s’est portée sur
une considération beaucoup plus cumulative. C'est-à-dire que l’émulation de la création a
permis d’abord de dégager de nombreuses formes, supposant une profusion pas réellement
« organisée » de multiples pièces chorégraphiques. Après ce temps de foisonnement, il y a un
temps de stabilisation qui permet finalement la mise en regard d’un passé et la construction
d’un répertoire. Même si celui-ci est le résultat de choix et de sensibilités de chorégraphes qui
ont permis la conservation de certains ballets classiques, il y a à ce stade là une réelle
constitution et affirmation d’un patrimoine. Une fois que celui-ci apparaît et devient
déterminant, un phénomène de réaction s’affirme dans le sens où la danse contemporaine s’est
alors éloignée des références classiques pour finalement s’y référer à nouveau avec l’appui
des acquis obtenus grâce à l’opposition initiée.
L’ensemble des notions dégagées par ce point préalable sont nécessaires pour resituer
le sujet et le propos de ce mémoire avant d’entrer réellement dans la problématique soulevée
par l’introduction générale. Après avoir entamé quelques réflexions sur la manière dont la
danse classique et la danse contemporaine peuvent agir dans le paysage chorégraphique, il
semble alors pertinent d’introduire cette première partie.
17
Introduction
Si la danse contemporaine a mis du temps à se développer dans l’Hexagone, c’est
qu’elle a eu du mal à s’imposer dans un paysage chorégraphique fervent de danse classique.
Les pouvoirs publics ont su porter le projet de développer cet art et mettre en place une réelle
volonté dans l’affirmation de la danse contemporaine. Cependant, même si les initiatives
menées par les politiques culturelles ont conduit à pérenniser l’expression contemporaine en
matière chorégraphique, il se trouve qu’à l’aube des années 1980 l’institution a plutôt
tendance à revenir aux « valeurs sûres ». « Elle a établi des cadres, des critères que les
chorégraphes doivent prendre en compte, à quelque niveau que ce soit, pour être reconnus et
pris en considération »1. C’est pourquoi au milieu des années 1980, la danse contemporaine
est à bout de souffle au regard de son image avant-gardiste. Son institutionnalisation rapide lui
a tout de même conféré une place prépondérante dans le paysage artistique français.
La danse contemporaine, bien que parfois considérée comme le parent pauvre des politiques
publiques, a pu bénéficier d’appuis financiers et matériels majeurs. L’arrivée tardive de la
danse contemporaine en France dans les années 1960 a suscité un temps de développement et
de recherche. Toutefois, dès 1978 le ministère des affaires culturelles s’empare du domaine
chorégraphique et crée le Centre national de la danse contemporaine à Angers. Par la suite,
l’ère Lang a permis l’avènement de la danse contemporaine par la naissance des centres
chorégraphiques nationaux (CCN) en région à l’image des Centres Dramatiques Nationaux
(cf. postface Partie 2 : 2.4). L’institutionnalisation a conduit à une professionnalisation rapide
du secteur et par ce biais-là a contribué au développement de l’offre de spectacles. De
nombreuses compagnies ont su bénéficier de cette vague et s’emparer intelligemment des
aides à la création. Dans le même temps, la pratique s’est organisée et la multiplication rapide
des œuvres sur scène suscite un sentiment d’essoufflement de la créativité des chorégraphes.
La danse contemporaine est donc encline à un académisme certain, ne séduisant pas autant un
public fervent d’avant-gardisme, et se retrouve contrainte de remettre en question ses
ambitions. A la fin des années 80, la danse contemporaine n’en est plus à inventer son
langage. Le renouvellement des esthétiques est réalisé, ce qui, du coup, laisse une place pour
l’exploration d’un patrimoine chorégraphique. Elle cherche non seulement d’autres moyens
de séduire son public mais aussi d’autres moyens de réinterroger sa pratique. Elle se tourne
1 M. FILLOUX-VIGREUX, La Danse et l’institution – Genèse des premiers pas d’une politique de la danse en France 1970-1990, Paris, L’Harmattan, septembre 2001, p. 11.
18
vers des formes d’hybridation. Ainsi, contrairement à la décennie précédente, « les années
1990 sont caractérisées, si l’on suit les analyses des sociologues et des psychologues par un
retour à un certain classicisme »1. Les chorégraphes se sont ainsi écartés et ont délibérément
choisi de faire éclater les bases de la danse classique pour explorer d’autres voies afin de
mieux y revenir. Ce phénomène remet inévitablement en question l’héritage qu’elle a laissé,
mais d’une autre manière que le rejet absolu. Libérée de toutes contraintes idéologiques et des
codes traditionnels, la danse contemporaine peut alors s’y référer sans avoir la crainte d’y
replonger à corps perdu et de s’y perdre. L’époque permet un passage plus facile entre
classique et contemporanéité. En effet, les danseurs de la nouvelle génération sont
extrêmement bien formés. Ils sont aptes à passer d’une technique à l’autre, ils constituent le
« chaînon manquant » entre les deux techniques.
Diverses possibilités s’offrent aux chorégraphes. Certains s’emparent du répertoire et
d’autres ne s’y réfèrent que très peu. Certains se replongent dans l’utilisation de la technique
tandis que d’autres préfèrent travailler avec le chausson de pointe, etc. Cette nouvelle
confrontation permet donc une profusion d’écriture et de styles différents. Ce n’est pas parce
que la danse classique est réutilisée qu’elle donne à voir des œuvres totalement semblables.
L’ouverture de la danse contemporaine permet de jouer avec les carcans qui avaient limité le
classicisme à ne servir que trop peu la modernité. Ce processus a consisté à s’écarter
brutalement du classicisme pour y revenir peu à peu et mieux s’en emparer. Du côté des
théoriciens et des ouvrages qui paraissent, ce nouveau phénomène commence à susciter des
interrogations. Des articles sont écrits dans des magazines spécialisés, notamment Danser,
tandis que Le Figaro s’intéresse à la saison et la fréquentation de l’Opéra de Paris pour
l’année 2010. Des conférences s’inquiètent aussi de cette nouvelle ferveur en faveur du
patrimoine et du répertoire tandis que Rosita Boisseau, à l’image de son Panorama de la
danse contemporaine, signe un ouvrage sur les Ballets classiques et néo-classiques. Elle
s’intéresse aux ballets qui ont fait l’objet de relectures.
Cette métissage entre classique et contemporain est donc de plus en plus opérant non
seulement dans le milieu de la danse, mais aussi dans les réflexions des auteurs. Les
programmations laissent aussi une place importante à ce genre de création. Par exemple, à la
scène de la Biennale de Lyon en 2010 se confrontent des œuvres postmodernes comme celles
de Trisha Brown à des relectures de ballet comme la version du Sacre du Printemps de
1 J.F. THIRION, « Structure – conjoncture ; la danse contemporaine française interpellée, ou les méfaits de la cohabitation de deux sphères ; l’économique et l’artistiques », dans J.Y. PIDOUX, La Danse art du XXème siècle ?, Lausanne, Payot – Lausanne, 1990, p. 214.
19
Milicent Hodson dansée par les Ballets de Monte-Carlo. Autant de formes qui trouvent à
s’exprimer et donc qui touchent, par ce biais-là, sans aucun doute, divers publics.
20
Chapitre 1 : Les prémices des œuvres :
de la création au métissage des genres
Introduction
« En 2000, le paysage de la danse en France semble parfaitement structuré. Le
secteur est salué par l’institution comme le plus dynamique. Le Centre national de la danse
est en préfiguration. Manifestant contre une politique trop centralisée, les compagnies
chorégraphiques indépendantes, qui reçoivent de l’Etat l’aide à la création mais peinent à
organiser leur diffusion comme à élargir leur public, s’organisent pour faire entendre une
parole issue de l’expérience du terrain et favoriser la circulation sur le territoire d’une danse
protéiforme. […] Il y a là une demande de sortir d’un corporatisme étroit, l’exigence de la
mise à disposition d’un patrimoine historique et intellectuel trop parcimonieusement distillé
comme le souhait de franchir les limites de chaque discipline artistique. Sans récuser les
efforts fournis par les centres chorégraphiques on veut investir les friches, créer des lieux
intermédiaires, inscrire la danse au cœur des préoccupations sociales, réamorcer un dialogue
interrompu entre artistes et spectateurs »1. La danse en France, comme de nombreux autres
secteurs artistiques, est donc un cas particulier en ce sens qu’elle est majoritairement financée
par l’Etat et les collectivités locales. Cependant, ce semblant de faveurs financières accordées
au milieu de la chorégraphie ne sera pas de longue durée. En effet, certains ballets, logés dans
les maisons à vocation lyrique comme les opéras, à l’image de celui de Nice, vont connaître
des difficultés financières dès le milieu des années 2000. Les budgets alloués, notamment par
les collectivités locales, ont été fortement diminués et les raisons invoquées n’en sont pas
moins choquantes : « Elles sont vieillissantes, manquent d’invention artistique et restent très
éloignées des enjeux créatifs d’aujourd’hui »2. Le Ministère de la Culture et de la
1 S. CLIDIERE, A. De MORANT, Extérieur Danse : essai sur la danse dans l’espace public, Montpellier, Edition L’Entretemps, octobre 2009, p. 27. 2 P. VERRIELE, « Ah ! mon beau Ballet… », Danser, n°259 - novembre 2006, Paris, DDB Editions, p. 54.
21
Communication s’est vite positionné en faveur de l’exploitation de ressources possibles pour
favoriser la conservation d’un patrimoine. L’intérêt est aussi de permettre à ces compagnies
de réaliser des tournées. Cette volonté affiche aussi l’idée d’inviter des chorégraphes
contemporains pour permettre la création de spectacles de préoccupation actuelle, c’est-à-dire
qui mettent en exergue des questions politiques, économiques, artistiques, etc., suscitées par la
société.
L’idée qui ressort de cet avant propos, démontre que chacun va essayer de se
démarquer et de trouver les moyens de subsister face au manque de moyens financiers qui se
généralise dans le monde de la danse, mais aussi dans le milieu de la culture en général. Ainsi,
la danse contemporaine et la danse classique se retrouvent confrontées à des problématiques
communes à d’autres arts. Certains moyens financiers tendent à se restreindre, les artistes sont
de plus en plus tentés d’aller à la frontière des domaines artistiques pour renouveler leurs
pratiques, certaines compagnies doivent concilier création et production pour tenter de
survivre, etc., et tandis que certains continuent à faire éclater les carcans imposés par la
tradition, d’autres s’y replongent à nouveau pour mettre en réflexion leur art. De nouvelles
formes d’œuvres vont donc découler de cette rencontre entre classicisme et contemporanéité.
Quelles sont les motivations des chorégraphes et quelles formes de créations peuvent découler
de cette quête ? Comment entre classique, contemporain et néoclassique opérer des
classifications qui sont normalement propres à la dénomination de telle ou telle technique et
telle ou telle esthétique ?
La création d’œuvres opérant le métissage entre classique et contemporain conduit
nécessairement le chorégraphe à se positionner en opposition avec la danse contemporaine.
En effet, celle-ci se voulait en totale rupture avec la danse classique mais les artistes trouvent
dans le métissage entre classique et contemporain des problématiques susceptibles de
reconsidérer leur art et de le remettre en question. En effet, ce phénomène interroge sur la
manière dont la danse classique peut être réintégrée dans les ballets actuels
1.1.1 Les intentions et les motivations des chorégraphes
A l’image de l’introduction précédente, il est compréhensible que l’histoire de la danse
et le contexte économique puissent peser et influencer les créations comme l’explique
22
clairement Agnès Izrine dans son ouvrage La Danse dans tous ses états1. En effet, elle affirme
que « aujourd’hui, le monde chorégraphique est arrivé au stade de la réflexion au double
sens du terme. Il en est, en quelque sorte, à son stade du miroir : il se contemple pour enfin
advenir, ouvrant ainsi une faille dans l’acte de danser »2. Qu’est ce que qui permet d’asseoir
cette mise en abyme de la danse ? Pourquoi les chorégraphes ont-ils eu le besoin de se
replonger dans ce passé classique ?
La danse, quelle que soit sa technique et son esthétique, reste l’art du mouvement.
Dans tous les cas, elle est donc traversée par les évolutions sociétales. « La société
contemporaine occidentale, la vitesse, la conscience de la misère croissante, l’effondrement
des systèmes des valeurs traditionnels et la crise des idéologies semblent aujourd’hui happer,
sans distinction de genres, un art particulièrement sensible à ce temps parce qu’il est l’art du
mouvement »3.
A partir des années 1990 et suite à l’époque Bagouet, certains chorégraphes dont le
goût pour une certaine virtuosité gestuelle se fait à nouveau ressentir, marquent les esprits. En
effet, leurs chorégraphies, très écrites, privilégient la vitesse du mouvement, ce qui provoque
des effets assez époustouflants. L’ère de la virtuosité, n’est donc pas enterrée. Les artistes
n’ont plus l’appréhension de rentrer systématiquement dans l’écriture du geste, la recherche
d’une technique, au point que la danse contemporaine est, presque malgré elle, rentrée dans le
système de l’académisme. Elle traverse donc une période désormais plus
conventionnelle : « Où les valeurs d’invention gestuelle, de renouvellement des langages et
des esthétiques laissent largement la place à l’exploitation du patrimoine existant »4. Ce n’est
pas pour autant que la danse contemporaine a cessé de remettre en question le langage du
corps. Certains chorégraphes, en revanche, vont s’évertuer à aller dans le sens contraire de
cette mouvance et chercher à investir d’autres lieux (friches, créer des lieux intermédiaires,
inscrire la danse au cœur des préoccupations sociales, etc.). Pour faire face à cet académisme,
depuis quelque temps, la danse contemporaine s’est également ouverte à d’autres branches
artistiques. Ce phénomène commun aux arts plastiques, au théâtre, à la musique, etc. s’est
confronté à la chorégraphie. En effet, les sources de croisement se trouvent aussi à l’intérieur
même de la danse. Puisant dans de nombreuses disciplines, aussi bien dans la danse africaine
que le hip-hop ou le flamenco, il semble évident que certains chorégraphes ont voulu se
frotter à la danse classique.
1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états, Paris, L’Arche, novembre 2002. 2 Ibid.., p. 161. 3 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008. p.204. 4 Ibid., p.206.
23
D’un autre côté, la danse classique s’est attachée à l’abandon de la narration pour
l’adoption de l’abstraction (cf. sous partie 1.4 de la postface). Cette initiative portée par
George Balanchine repose sur le conseil de ne plus chercher à comprendre la danse comme
« un art semblable au théâtre, à la littérature et au cinéma. […] Pour aimer le ballet, dit-il, il
faut le regarder, il n’est pas nécessaire d’y penser »1. De part et d’autre, s’opèrent donc des
changements qui tendent vers l’une et l’autre des disciplines. Elles s’ouvrent et mettent en jeu
des modalités qui au départ ne leur étaient pas prédestinées. Petit à petit, des entrées dans
chaque champ chorégraphique ont souligné les pas en avant de la danse classique vers la
modernité, et de la danse contemporaine vers la tradition. De plus, sous le prétexte de la
modernité, la danse classique n’en abandonne pas moins l’idée de l’argument à l’origine de la
pièce. C’est également le cas de la danse contemporaine. En effet, Laurence Louppe constate
que certains chorégraphes s’appuient sur un travail thématique : soit d’une inspiration
extérieure, soit à partir d’un roman, d’une œuvre, d’un fait personnel, etc. Ici encore, il y a
une similitude entre les deux esthétiques. Il est évident que cette proximité de création
interroge les créateurs et les incitent à déplacer leur art aux frontières de l’esthétique dans
laquelle il s’exprime.
Par ailleurs, l’Opéra de Paris a également rendu cet inévitable métissage entre
classique et contemporain. L’initiative date de 1973 (cf. postface), mais c’est Rudolf Noureev
qui donnera véritablement cette impulsion : « Le temple du classique ouvre progressivement
ses portes à la création contemporaine »2. En effet, dès la moitié des années 1980, il devient
récurrent que des chorégraphes comme Dominique Bagouet ou encore Maguy Marin soient
invités pour y créer des pièces. A tel point qu’aujourd’hui, Brigitte Lefèvre affirme même
qu’il est normal qu’une maison comme l’Opéra conserve et diffuse, par le biais du répertoire
des œuvres classiques et propose à son public des pièces aux réflexions et techniques
contemporaines. En parlant de la danse contemporaine et de la danse classique, elle affirme
que « l’on n’est pas dans un monde séparé » 3. Dans le même sens, une crise du spectacle
dans les années 1990 a permis d’effacer la frontière entre les deux « mondes ». Les
compagnies classiques et leurs directeurs cherchent alors le moyen de se tourner vers de
1 Propos de George Balanchine dans J.P. PASTORI. La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 101. 2 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 120. 3 A. IZRINE, B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse.
24
nouveaux chorégraphes. L’idée est que le danseur classique peut tout danser, car sa technique
lui impose une telle maîtrise de son corps, qu’il est capable de s’adapter à toute écriture
chorégraphique. En effet, l’apprentissage n’est plus autant séparé. La concurrence s’est
tellement développée que les danseurs préfèrent assurer leurs arrières avec une base technique
solide en prenant des cours de classique et de contemporain. En danse contemporaine, ils
deviennent flexibles car ils passent d’un chorégraphe à l’autre dans leur formation.
L’enseignement de la danse classique a lui aussi été remis en question car il s’effectue
désormais sur l’acquisition de nouvelles méthodes, comme la kinésiologie (analyse du
mouvement) et l’idéokinésis (utilise les images mentales pour améliorer la qualité du geste). Il
ne faut également pas oublier que ces élèves et danseurs formés à ces nouvelles approches
sont les créateurs de demain. Ils sont donc habitués à passer d’une écriture à l’autre, et leurs
chorégraphies s’en inspirent nécessairement. D’autre part, à l’inverse des années précédentes
où les chorégraphes devaient eux-mêmes former leurs danseurs, « les nouveaux « auteurs »
travaillent avec un vocabulaire gestuel déjà existant et sont en droit d’attendre que les écoles
se chargent de former les danseurs »1.
Ainsi, tandis que la danse classique tend à l’effacement des frontières imposées par la
danse moderne2, celle-ci n’en est plus à son moment d’explosion et d’invention. Elle « prend
des orientations qui tendent à effacer ses différences originelles avec la pensée classique »3.
Si la danse contemporaine s’est d’abord positionnée en rupture avec le classicisme pour ouvrir
les champs de la création et proposer une multitude de formes, elle s’est ensuite enfermée
dans un certain conformisme usant ses capacités d’innovation. La période glorieuse de la
danse contemporaine, où chaque chorégraphe se sentait investi d’une mission de découverte,
est en effet révolue. Les créateurs actuels tendent plutôt vers l’appropriation des acquis lors de
l’avènement de leur domaine qu’ils soient classiques ou contemporains. Après la rupture, il
s’est opéré un renversement pour établir, non pas un retour en arrière, mais une introspection
de la pratique chorégraphique. Ce phénomène s’inscrit donc dans la continuité de ce qui a été
fait auparavant. « La danse contemporaine, à l’image de l’individu des années quatre-vingt-
dix s’est définitivement libérée des pesanteurs idéologiques et des codes traditionnels ; elle
peut aujourd’hui se référer de nouveau à eux sans crainte de s’y perdre. La danse
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p.206. 2 La danse moderne est née avec les précurseurs de la danse contemporaine. Historiquement, la première annonce donc la deuxième, cependant, le terme moderne peut-être aussi utilisé pour mentionner la danse contemporaine, c’est ainsi qu’il faut l’entendre dans ce mémoire. La postface énonce les étapes de cette considération et pour une précision plus rapide la conclusion de la deuxième partie de la postface explique l’appréhension de ces termes. 3 I. GINIOT, M. MICHEL, op.cit., p. 211.
25
contemporaine, comme l’individu gagnent dans cette opération une certaine émancipation,
car elle n’hésite plus à s’annexer des sphères au départ étrangères voir contradictoires à
leurs propos »1. Cette nouvelle approche permet en revanche de toucher un public qui
jusque-là ne se sentait que peu concerné. Désormais, des spectateurs du théâtre ou de la danse
classique viennent assister à des formes contemporaines. Même si l’institution française a
permis cet essor, elle se révèle aussi être un frein à l’invention et à la création. « Elle a crée
des cadres formés sur le modèle des œuvres chorégraphiques d’une époque. Ces cadres
rendent aujourd’hui plus difficile l’invention d’autres modèles : la création doit répondre aux
exigences multiples du marché, de la diffusion, des modes de production, et des bailleurs de
fonds »2.
Les chorégraphies de la fin du XXème siècle et celles du début du XXIème siècle se
retrouvent donc traversées par divers changements, diverses influences qui contribuent au
rapprochement de la danse classique et contemporaine. Outre un manque de renouvellement
de la danse contemporaine à l’état pur, peut-être que ce croisement de techniques,
d’esthétiques et de modes corporels offre également la possibilité de démultiplier les
expressions corporelles. C’est ainsi, que les chorégraphes ont tenté de donner une ouverture à
leur danse qui commençait à s’enfermer dans un certain épuisement de l’inspiration. Certes,
ce rapprochement fait de ceux-ci de véritables hommes ou femmes producteurs de spectacles
très conventionnels ; mais si la danse classique et la danse contemporaine opèrent cette
proximité c’est bien que leurs critères d’opposition ne sont plus opérants. Tout simplement,
les chorégraphes sont obligatoirement à l’écoute du monde qui les entoure. De plus, la danse
en général est aujourd’hui « soumise et sera de plus en plus soumise à l’invasion de la sphère
économique et sa libéralisation dans tous les domaines »3. Il faut répondre aux attentes du
public et les programmateurs doivent les prendre en compte car ils sont tenus à une
progression des recettes. Au même titre que le ballet, la danse contemporaine est propulsée
dans un mouvement qui tend vers une forme de standardisation du produit. Ainsi, la pièce
dansée doit répondre à un certain nombre de codes pré-établis comme pour son homologue (le
ballet). Ce phénomène n’est qu’une tendance car il existe bien évidemment beaucoup de
salles qui préfèrent programmer des formes beaucoup plus avant-gardistes réservées à un
public d’initiés. En effet, dès lors que la danse contemporaine répond à cette standardisation,
1 J.F. THIRION, « Structure – conjoncture ; la danse contemporaine française interpellée, ou les méfaits de la cohabitation de deux sphères ; l’économique et l’artistiques », dans J.Y. PIDOUX, La Danse art du XXème siècle ?, Lausanne, Payot – Lausanne, 1990, p. 215. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008. p. 212. 3 J.F. THIRION, op.cit., p. 213.
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elle s’adresse nécessairement à un public plus large (cf. Partie 2) et certains chorégraphes
souhaitent participer à la vulgarisation de leur domaine. C’est le cas d’Angelin Preljocaj, qui,
comme son prédécesseur Maurice Béjart, joue sur l’alternance d’œuvres populaires, donc plus
lisibles pour un public novice, et d’œuvres plus radicales, réservées à un public déjà plus
amateur. Cette conception sera développée dans la partie de ce mémoire réservée au public,
mais d’ores et déjà, il est important de noter que les motivations des chorégraphes, dans
l’assimilation du classique et du contemporain, peuvent s’insérer dans le souci de toucher un
large public, souvent éloigné de la danse. Quelles sont donc ces formes plus lisibles ? Est-ce
que le mélange classique/contemporain permet réellement la création d’œuvres plus
accessibles pour le public ? Ce métissage permet-il l’avènement de nouvelles formes ou la
création d’un nouveau genre ?
1.1.2 Quelles formes artistiques découlent de ce métissage ?
« A l’approche du XXIème siècle, le passé travaille la modernité, la mémoire refoulée
reprend possession des corps de la danse. Les détracteurs de la danse moderne, toujours
pugnaces, n’hésitent pas à affirmer que ce retour en arrière stigmatise une absence évidente
de créativité, voire d’avenir. Le fléau du sida décimant la jeune génération dans le même
temps où les aînés – Martha Graham, Hanya Holm, Alwin Nikolaïs, Alvin Ailey – tendent à
disparaître, un processus de conscientisation de l’héritage et d’interrogation du passé semble
désormais en marche, sous un double aspect : celui de la redécouverte d’œuvres dont les
années quatre-vingt s’étaient coupées, et celui de la projection dans l’avenir de la danse
présente »1. Cet élan ne s’éteint en aucun cas avec le XXIème siècle. Au contraire, celui-ci a
pris de l’ampleur dans les années 2000. La question de la mémoire et de l’héritage devient
vraiment prégnante, depuis la mort de Dominique Bagouet (1992). Cette considération s’est
accélérée avec les décès récents de trois personnalités emblématiques de la danse : Maurice
Béjart, Merce Cunningham, et Pina Bausch. Au-delà de s’interroger sur la conservation de
leurs œuvres, ce phénomène de considération se retrouve aussi dans la manière d’aborder les
créations artistiques aujourd’hui. Le spectateur assiste alors à des pièces contemporaines qui
sont le résultat d’une lecture revisitée d’un grand ballet du répertoire classique. Celui-ci peut
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 220.
27
être aussi amené à voir des formes qui usent d’éléments instaurés par la danse classique :
chausson de pointe, tutus, composition du ballet, mouvements de technique classique,
partition musicale, danseurs classiques, etc. Ces deux formes sont développées dans les deux
parties suivantes de ce chapitre. Ce système de création repose sur des modalités qui
fusionnent classique et contemporain et se pose naturellement en rupture de la vocation
originelle de la modernité, puis de la danse contemporaine.
Les chorégraphes s’attachent donc à des reprises de ballets ou à mettre en œuvre des
références classiques dans leurs pièces. Avant d’entrer dans ces détails et cette classification
d’œuvres, il semble important de prendre un exemple concret pour en déterminer ses
caractéristiques. Un chorégraphe semble parfaitement illustrer cet alliage entre classicisme et
contemporanéité. William Forsythe1 joue avec les limites et les possibilités des deux
techniques, en ce sens que ses pièces sont autant le reflet d’une tradition que d’une modernité.
Elles surprennent le spectateur averti tant la virtuosité est poussée à l’extrême, jamais atteinte
avant lui. Il présente sur scène « une théâtralité exubérante et hurleuse dont la provocation
est partie prenante »2 et n’hésite pas à insérer dans sa danse des éléments tels que le funk, la
break dance ou les danses africaines. Donnant un nouveau souffle au vocabulaire classique,
ses chorégraphies ont tout de l’énergie contemporaine. « Ses danseurs semblent défier en
permanence les lois de l’équilibre et de la pesanteur ; les mouvements sont cassés, les lignes
distordues, la rapidité d’exécution frise la stridente »3. Les costumes sont d’une simplicité
maximale et les dispositifs scéniques sont réduits au minimum. Sa danse est alors désarticulée
montrant aux yeux des spectateurs la manière dont le monde peut être convulsif. Le
mouvement prime à tel point que la musique est souvent répétitive. Elle est juste nécessaire au
danseur pour appuyer ses impulsions : « volontairement abstraites, les œuvres du
chorégraphe ne cherchent pas à exposer une rhétorique gracieuse, mais à rendre compte de
la diversité des rapports humains contemporains »4. Ainsi, il est à l’écoute du monde qui
l’entoure, il est toujours au courant de l’activité politique et artistique.
Sa première production pour l’Opéra de Paris, France/Dance ne reste pas dans les
annales et reçoit, en effet, un accueil mitigé. Elle porte une réflexion un peu désabusée sur le
patrimoine artistique. Petit à petit, il affirme son style et Steptext, pièce créée à l’Opéra de
1 Ici la description de l’œuvre de William Forsythe découle d’un travail de recherche et d’une synthétisation de celui-ci 2 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états, Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 136. 3 Ibid., p. 136. 4 M.C. PIETRAGALLA, La Légende de la danse, Paris, Flammarion, 1999, p. 155.
28
Steptext, William Forsythe © Costin Radu
Impressing the Czar, William Forsythe © Philippe Coqueux
Lyon, permet d’entrevoir ce que sera son œuvre toute entière. Il décortique le corps à
l’extrême, dans toute sa matérialité. La vitesse et les déséquilibres provoquent des états de
transe chez ses danseurs. Il permet alors au public d’observer l’anatomie en détail : peau,
muscles, nerfs, ossature. Sa danse provoque soit la fascination, soit le rejet, tant elle est forte.
Son affirmation dans le monde de la
chorégraphie lui permet de créer sa
compagnie à Francfort. Dès lors, son
travail devient entier, car il peut modeler à
son gré le corps de ses danseurs : « leurs
corps fuselés acceptent toutes les
distorsions, toutes les cassures,
soutiennent des rythmes et des durées qui
semblaient jusque-là réservés aux robots
de la science fiction »1. Cette recherche
très poussée du corps lui permet de mettre
en scène une sorte d’apocalypse qu’il réinterroge à chacune de ses pièces. Il cultive
l’ambiguïté de sa danse piochant autant dans la technique classique que la technique
contemporaine. Il exploite de nombreux codes modernes tout en conservant une gestuelle
traditionnelle. Il importe petit à petit des éléments de formes hybrides comme des musiques
tonitruantes, des lumières agressives, des corps disloqués, des références au travail de Laban
de Roland Barthes, de Michel Foucault ou encore de Derrida, etc. Ses pièces sont ponctuées
de provocations verbales et sonores,
tandis que les effets scéniques renforcent
le chaos et la violence (tombées brutales
de rideau, modulation de l’espace par des
effets lumineux, etc.).
Son style d’écriture
caractéristique lui permet d’obtenir des
commandes dans le monde entier : Ballet
de l’Opéra de Paris, San Francisco Ballet
et New York City Ballet. Sa danse est
ainsi propulsée à travers la planète et
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 208.
Steptext, William Forsythe @ Costin Radin
29
touche autant un public de « balletomanes » qu’un public amateur de danse contemporaine. A
repousser les limites et à opérer l’improbable réconciliation des genres, William Forsythe a
finalement eu plusieurs « vies » dans son parcours artistique. Il sait aussi bien bousculer et
couper au cutter la technique classique. D’Artifact (1984) à Impressing the Czar (1988), il
repense la ligne de la ballerine, parfois sur pointes.
Dans les années 1990, le chorégraphe ose des créations entièrement contemporaines, à tel
point que son public est un peu dérouté par le plateau encombré de tables dont la disposition
piège les danseurs dans One Flat Thing Reproduced, ou par le triptyque d’Atmospheric
Studies faisant référence à la guerre en Moyen Orient. Dernièrement, le chorégraphe s’attache
à des formes de chorégraphies performatives comme Heteropia qui invite le public à circuler
sur deux plateaux, d’un univers à l’autre. Il est donc important de retenir que Forsythe décline
sa danse entre classique et contemporain et qu’il revendique sa position haut et fort : « Le
vocabulaire n’est pas, ne sera jamais vieux. C’est l’écriture qui date. Je ne me pose pas la
question de savoir si je suis un chorégraphe classique, simplement il est plus aisé pour moi de
parler le langage classique »1 .
Les œuvres qui découlent du métissage classique et contemporain sont donc des
formes hybrides qui tentent à repousser les limites de chaque technique et de chaque
esthétique. Le cas particulier de William Forsythe montre bien que ces combinaisons peuvent
prendre plusieurs déclinaisons. D’un côté le langage classique peut être déstructuré,
désarticulant le corps dans une mise en scène et une atmosphère très contemporaine, et d’un
autre côté le langage moderne peut être prépondérant dans une pièce tout en conservant une
certaine rigueur et virtuosité classique. On peut supposer que le métissage entre tradition et
modernité propose des formes nouvelles, dont la classification s’avère difficile. Il n’est donc
pas véritablement question d’un nouveau genre. Ces nouvelles formes puisent dans les
possibles de la danse. De ce fait, elles prennent de multiples chemins et empruntent de
manière très différente les voies du passé et du présent. Il est donc indéniable que ces pièces
s’insèrent dans une démarche totalement contemporaine. En effet, comme l’œuvre de William
Forsythe, le métissage ne produit pas un style unique d’œuvres caractéristiques de ce
phénomène car différents moyens permettent d’opérer ce lien entre classique et moderne et il
en résulte des pièces totalement différentes. Ceci dépend donc de la posture du chorégraphe et
1 Propos de William Forsythe dans P. VERRIELE, Légendes de la danse, Une histoire en photos 1900 – 2000, Paris, Hors Collection, 2002, p. 68.
30
de la manière dont il envisage son art. Certains, comme Forsythe, se situent dans un langage
plus classique pour s’ouvrir à la modernité par des énergies de mouvements, une réflexion sur
le corps, une conscientisation du monde, une mise en scène qui touchent au contemporain.
Tandis que d’autres préfèrent partir d’une esthétique moderne pour exécuter un retour en
arrière avec des incursions de mouvements, de codes, de costumes, de musique, de
composition, de références classiques. D’autres encore, auront pour intérêt de repositionner
leur création par rapport à une autre œuvre, de réinventer et repousser les frontières du temps
en reprenant une œuvre de répertoire. Toutes ces manières de considérer la danse et sa
transversalité, entre classique et contemporain, soumettent l’art chorégraphique à l’invention
de nouvelles formes. L’objectif est donc de repenser le corps, le mouvement et l’esthétique.
Ceci s’insère naturellement dans la typologie de la danse contemporaine puisque celle-ci
englobe de multiples formes : minimalisme, académisme, postmoderne, afro-contemporain,
danse et vidéo, etc. Si l’on considère cette déclinaison, le mélange entre danse classique et
danse contemporaine entre totalement dans la catégorie de danse contemporaine. Par exemple,
William Forsythe, est mentionné dans de nombreux ouvrages traitant de danse
contemporaine comme celui de Philippe Noisette, Danse contemporaine mode d’emploi ou
bien comme celui de Rosita Boisseau, Panorama de la danse contemporaine. Cependant, la
classification de ces nouvelles formes soulève quelques interrogations. Il est en effet, difficile
de faire la part des choses entre classique, néoclassique et contemporain pour certains styles
de chorégraphes ou pour certaines œuvres.
1.1.3 Où projeter les frontières entre danse classique, danse néoclassique, et
danse contemporaine ? Comment opérer ces classifications ?
De manière rapide, comme expliqué dans le paragraphe précédent, les œuvres mêlant
classique et contemporain sont logiquement classées dans la catégorie de la danse
contemporaine. Cependant, il n’est pas vraiment aisé, que ce soit pour un novice ou pour un
amateur, de spécifier à quel genre de danse il a affaire. S’appuyant sur diverses esthétiques et
diverses techniques, ces œuvres remettent nécessairement en question les catégories qui se
sont dessinées au fil de l’histoire de la danse. Dans ce cas-là, pour dégager la notion de genre,
il semble intéressant de s’appuyer sur la supposition de Nathalie Heinich concernant l’art
contemporain : « L’art contemporain ne cesse de donner prise à des controverses, depuis une
31
dizaine d’années, à des polémiques récurrentes. Or l’essentiel de ce qui les motive me paraît
une acceptation erronée du terme “contemporain”. Celui-ci en effet gagnerait à être pris au
sens non pas d’un moment de l’évolution artistique, correspondant à une périodisation, mais
d’un “genre” de l’art, homologue de ce que fut la peinture d’histoire à l’âge classique »1. Si
cette assertion est transposée au milieu de la danse, il est facile de mettre en évidence trois
genres : la danse classique (dont le terme n’est utilisé que depuis les années 1930), la danse
néoclassique (dont l’invention est due à Serge Lifar également dans les années 1930) et la
danse contemporaine (qui s’inscrit à la suite de la danse moderne avec l’œuvre de Merce
Cunningham à la fin des années 1940). La danse oscille donc entre ces trois genres. Pourquoi
une œuvre de danse contemporaine empruntant à la danse classique n’est-elle pas
néoclassique ? Et pourquoi une pièce néoclassique n’est-elle pas obligatoirement
contemporaine ? Concorder parfaitement avec une classification artistique est d’autant plus
difficile que les chorégraphes jouent délibérément avec cette transgression des frontières.
C’est le cas notamment de William Forsythe, surnommé Billy dans le monde
chorégraphique. « Habile à jongler avec les concepts, brillant manipulateur des médias,
« Billy », comme on l’appelle, ne cache pas sa fascination pour l’illusion scénique :
« Bienvenue à ce que vous croyez voir », aime-t-il répéter non sans quelque démagogie. Que
croyons-nous voir ? L’œuvre d’un artiste génial ou le plus grand bluff de cette fin de siècle ?
Est-il classique, est-il moderne ? Il est en tout cas bien de son époque »2. Ici, force est de
constater que des spécialistes sont contraints de se poser la question sans même pouvoir y
répondre réellement, tant la tâche est difficile. Ceci convoque l’idée qu’en danse, il est aussi
difficile de caractériser une forme qu’un genre en général. Cependant, même la danse
classique peut-être considérée comme renouvelée, incluant de nouveaux codes comme
l’abandon de la narration ou l’utilisation d’énergie contemporaine. La catégorisation échappe
à l’art mais elle répond seulement à un besoin humain de rationalisation des choses. Certains
artistes revendiquent cette position et ne s’inquiètent en aucun cas de ces considérations lors
de leurs créations à l’image de Thierry Malandain qui ne s’encombre pas de ces exigences.
« Une des forces de Malandain, […] , est de ne pas se noyer dans des termes qui croient
résoudre l’évolution de l’art, et ne font en fait que le codifier aussi arbitrairement que ce
contre quoi il s’insurge : sur la sellette, l’éternel et vain, parfois même malsain, conflit entre
« classicisme » et « modernité ». Tout grand créateur que nous taxerions aujourd’hui de
classique a été moderne en son temps, et même si sa démarche consistait à un retour à des
1 N. HEINICH, Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain, Paris, L’Echoppe, 1999, p. 7. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 210.
32
normes oubliées depuis des siècles, comme la Renaissance se bâtit sur une utopie à l’antique,
comme le XIXème siècle reprit à son compte les chimères médiévales pour en habiller ses
propres fantasmes. Ordre et désordre, les deux finissant par s’inverser, cette alternance est
presque rythmique dans le va-et-vient de l’esprit humain. L’acceptation de cette balance
n’est-elle pas plus enrichissante – et aussi bien plus ardue – que la lutte permanente ? »1. Ce
trouble entre ordre et désordre, pose en effet problème. Il rend impossible la classification des
formes nouvelles. En effet, le nouveau est une connaissance qui se présente dans le désordre,
or le propre de la connaissance c’est aussi d’être ordonnée. En ce sens, une nouvelle
connaissance et par ce biais-là une nouvelle forme implique sa « remise en ordre », d’où le
besoin de classification. La connaissance du monde s’est toujours donnée dans un double sens
d’ordre et de désordre. Ceci a toujours gouverné la création (ordre ou désordre/tradition ou
nouveauté) et par le même biais la re-création (remise en ordre). Le nouveau est effrayant car
il se projette à l’encontre du durable, du stable et de la connaissance. Le nouveau est une
connaissance en désordre qui ne peut être acceptée, on lui préfère des œuvres d’art que
l’individu connaît déjà. Le besoin de classification répond nécessairement à cette peur du
nouveau. Dès l’appréhension d’une forme nouvelle, en l’occurrence d’une forme au
croisement du classicisme et du contemporain, le désir de classification s’impose pour ne plus
placer cette œuvre dans l’inconnu mais dans la connaissance et ainsi l’accepter en tant
qu’œuvre.
Dans la logique historique et la logique technique, la danse néo-classique se trouve
aux confins de la danse classique et de la danse contemporaine (cf. sous-partie 1.4 de la
postface). Cependant, même cette classification suscite des controverses et la polémique
repose sur un ensemble de stigmatisations. En effet, de nos jours, le mot néoclassique suppose
une démarche qui ne comporterait aucune valeur contemporaine. « En cela, la notion relève
de la stigmatisation idéologique plus que de l’analyse esthétique. On peut mesurer cette
stigmatisation dans la différence de traitement critique entre Neumeier et Forsythe. Si le
second est tenu pour créateur majeur et jamais stigmatisé de l’épithète “néoclassique”, le
premier reçoit facilement le qualificatif et est considéré avec une certaine condescendance »2.
Philippe Verrièle démontre clairement que le terme néoclassique accolé à un travail de
chorégraphe peut être péjoratif. Cette considération n’est pas remise en cause pour certains
1 J. THUILLEUX, A pas contés avec Thierry Malandain – Les dix ans de ballet Biarritz, Biarritz, Atlantica, décembre 2010, p. 35-36. 2 P. VERRIELE, « La Danse néoclassique », La Scène, Eté 2010- n°57 Paris, Millénaire Presse, p. 23.
33
artistes qui, comme William Forsythe, sont plus reconnus dans le milieu de la danse. L’idée
de néoclassicisme est donc très floue puisqu’elle confère une étiquette à certains et pas à
d’autres. Outre cette distinction le terme « néoclassique signifie que des chorégraphes
d’aujourd’hui pactisent avec les formes du classique, c’est-à-dire du passé, autant dire de
l’obscurantisme »1. Cette comparaison n’est pas sans rappeler l’expression « pactiser avec le
diable ». Ainsi, ce terme ne servirait que la résurrection de l’opposition et de l’affrontement
initiés lors de l’émergence de la danse contemporaine, où le terme néoclassique relevait plus
d’une esthétique que d’une idéologie. C’est ce que revendique Thierry Malandain dans
l’émission télévisuelle Métropolis : il affirme qu’il n’apprécie pas le terme néoclassique car il
« ne veut rien dire » et il met à la marge car « c’est une danse passéiste »2. Aujourd’hui, les
chorégraphes, comme Jiri Kylian ou Thierry Malandain, esquissant une esthétique
néoclassique, répondent nettement à une idéologie contemporaine. Leur classification au sein
de la danse contemporaine semble plus pertinente, non seulement parce qu’elle ne répond pas
à des critères de disqualification comme la danse néoclassique, mais aussi parce qu’elle
englobe une multitude de formes.
Opérer cette classification repose sur une réflexion qui est finalement donnée à ceux
qui touchent de près le monde chorégraphique. Cette logique fait également abstraction d’une
certaine catégorisation puisque la danse contemporaine foisonne de styles chorégraphiques
reflétant la personnalité artistique de chaque chorégraphe. Y intégrer l’ensemble de la création
actuelle revient à signifier que la classification de la danse en général est difficile, même si
l’on peut dessiner certains courants au sein de la danse contemporaine, chaque œuvre reste
particulière. Ceci répond à l’idée que l’art en lui-même ne peut se soumettre à un processus de
catégorisation tant il peut s’exposer sur des critères totalement inconstants et multiples. Le
« nulle étiquette »3 arboré par Thierry Malandain, semble être le mot de la fin concernant ce
problème qui s’impose autant aux initiés qu’aux novices. Cependant, il faut retenir que les
exigences de la visée spectaculaire, de la demande culturelle et institutionnelle, soutiennent
l’idée de classification par catégories qui est donc nécessaire pour répondre à certaines
nécessités, notamment pour les structures de diffusion, de production, pour certains esthètes et
critiques, pour l’institution et le public. Les parties de ce mémoire consacrées au public et à la
médiation culturelle reviennent sur ce sujet.
1 P. VERRIELE, « La danse néoclassique », La Scène, Eté 2010- n°57 Paris, Millénaire Presse, p. 23. 2 Propos de Thierry Malandain, Emission Métropolis – Arte, diffusée le 20 et 21 novembre 2010 : http://www.malandainballet.com/, Rubrique Actualité, Métropolis (consulté le 06/04/11). 3 J. THUILLEUX, A pas contés avec Thierry Malandain – Les dix ans de ballet Biarritz, Biarritz, Atlantica, décembre 2010, p. 38.
34
Conclusion
L’idée de métissage des œuvres suscitent de nombreuses interrogations. Certaines
peuvent trouver des réponses tandis que d’autres restent en suspens. C’est notamment le cas
de la classification des œuvres révélant un certain mélange entre contemporain et classique.
En effet, « les différentes façons de faire l’art ne s’échelonnent plus sur un axe unique, entre
pôle inférieur et supérieur, mais sur plusieurs axes »1. Toute catégorisation est le résultat d’un
processus auquel participent les acteurs culturels tels que les critiques, les programmateurs,
les amateurs, etc. faisant partie du monde de l’art. Cependant, à ce stade du mémoire, il est
important de retenir l’idée que l’art obéit à des hiérarchies variant dans le temps et selon les
contextes, et que dans certains cas la catégorisation, surtout en ce qui concerne l’art
contemporain, peut s’avérer difficile selon les époques, les formes, les forces artistiques en
présences, etc.
Le mariage opéré par certains chorégraphes peut prendre diverses formes selon leurs
intentions, leur style d’écriture, leurs sources d’inspiration, leur approche du mouvement, etc.
Ce phénomène s’est opéré dans un contexte propice au développement de ces nouvelles
formes. A tel point que ce ne sont pas seulement les artistes qui ont initié la porosité entre la
danse classique et la danse contemporaine. En effet, c’est tout un contexte qui a permis cette
adéquation. L’institution a également permis d’impulser ces intentions ainsi que les
programmateurs et autres diffuseurs. Cependant, la situation artistique de la danse
contemporaine lui a aussi été bénéfique. Elle s’est non seulement ouverte à d’autres formes
mais a aussi participé à la mise en valeur d’un patrimoine chorégraphique quelque peu oublié
pendant ses années glorieuses.
Différentes formes ont éclos de ces nouvelles intentions chorégraphiques. Certains
chorégraphes se sont investis à plusieurs reprises dans la relecture d’œuvres du répertoire
classique, tandis que d’autres ont totalement décortiqué la danse classique pour mieux la
réinvestir dans des formes plus contemporaines. Ces deux intentions participent au métissage
entre tradition et modernité, mais elles relèvent tout de même d’intentions et de symboliques
très différentes.
1 N. HEINICH, Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain, Paris, L’Echoppe, 1999, p. 9.
35
Chapitre 2 : Les ballets classiques revisités
Introduction
« Nombre des ballets ‘classiques’ du dix-neuvième siècle, du moins du 19ème siècle
français, se sont perdus. Il n’en demeure que des ombres. […] Parfois même, il ne nous en
reste que le titre. Généralement, les éléments qui perdurent sont l’argument, fixé ou non sur
l’objet éditorial qu’on appelle un livret, et la partition musicale. Parfois, une iconographie
plus ou moins précise et abondante peut évoquer les aspects visuels, qui contribuent, si l’on
veut, en partie, à l’élaboration d’un imaginaire du corps »1. Cette assertion de Laurence
Louppe démontre combien il est finalement impossible que les ballets classiques qui se
produisent sur scène à l’heure actuelle ne peuvent être en aucun cas identiques à ceux qui
étaient présentés lors de leur création. Certains ont échappé à cette perte grâce à la
transmission orale et conservent le plus important, c’est-à-dire le mouvement dansé, et
d’autres comme les ballets de Marius Petipa (cf. sous partie 1.2 de la postface) ont été
conservés à la fois par la transmission orale et par la notation. Cependant, l’interprétation de
ses œuvres est rarement réalisée dans une fidélité intégrale. Ainsi, le sens du propos peut
légèrement différer du sens initial. De plus, comme l’a souligné Brigitte Lefèvre lors de la
conférence à Montpellier Danse, le 31 mars 2011, ces ballets-là sont dansés par des individus
de la société actuelle. Ainsi, elle a affirmé qu’il faut toujours que des troupes conservent la
danse classique mais que les danseurs d’aujourd’hui sont des hommes et des femmes
totalement imprégnés du monde qui les entoure, avec leurs préoccupations et leurs envies.
Nécessairement leur interprétation, même si elle se veut fidèle au livret, sera conditionnée par
la société dans laquelle ils vivent. D’ailleurs, Brigitte Lefèvre s’est attachée à rappeler que les
techniques ont aussi évoluées, en ce sens que la technique corporelle a changé mais aussi le
chausson de pointe, les planchers de scène, les décors, etc. Ainsi, une œuvre classique donnée
sur scène, de nos jours, présente peut-être quelques mouvements originels mais elle est très
différente de celle qu’elle était lors de sa création. Une œuvre de danse est finalement en 1 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, Coll. Libraire de la Danse, p. 324.
36
évolution permanente parce qu’elle est dansée et remise en « forme » par des hommes et des
femmes de leur temps. Ceci revient à considérer nettement la notion dégagée par Serge Lifar :
celle d’auteur. Si l’on considère les propos précédents, plus qu’une recréation la reprise d’un
ballet classique tient plutôt de la création. C’est d’ailleurs ce même « auteur-chorégraphe »
qui a permis, en son temps, de reconquérir le public de l’Opéra de Paris.
Les chorégraphes de la danse contemporaine se sont emparés de cette notion d’auteur.
Ils la doivent donc à l’idée qu’aucun des ballets classiques n’ait pu être conservé dans sa
totalité et de ce fait chaque ballet est finalement un acte créatif à part entière. Toutefois, les
relectures ont donc été constantes en danse classique, en revanche la danse contemporaine s’y
intéressée beaucoup moins vite.
1.2.1 Un répertoire à l’épreuve de la danse contemporaine
Les grands ballets classiques ont finalement toujours été synonymes d’inspiration. C’est
également le cas pour les chorégraphes contemporains qui, désormais, n’hésitent plus à
s’attaquer aux grands « chefs-d’œuvre » de la danse, si bien que certaines reprises sont à leur
tour devenues des « chefs-d’œuvre » reconnus dans le monde entier. Ce phénomène s’est
considérablement accentué depuis une quinzaine d’année et n’est pas prêt de s’arrêter. La
danse contemporaine n’adapte plus ou ne propose pas nécessairement des variantes mais elle
réinvente, elle redonne un nouveau souffle à ces ballets et en propose une relecture. Toutes les
possibilités sont autorisées et contrairement à d’autres domaines artistiques où l’idée de
« remakes », peut déranger la chorégraphie ne s’est jamais souciée de ce genre
d’appropriation. « Dans un autre champ artistique que la danse, où le respect de l’auteur est
imposé par la tradition, la notion de “remake” peut exercer une ironie, décapante ou
neutralisante. Elle concourt précisément à ruiner la sacralité auctoriale, ou la vision
emphatique d’une origine de l’œuvre que de nombreux discours n’ont cessé de remettre en
cause, […] de telle effractions sont saines, intelligentes, porteuses d’une provocation aussi
plaisante que salutaire. Il n’en va pas de même du tout dans le champ chorégraphique, trop
fragile par absence d’une théorie véritable portant sur l’histoire des œuvres »1. Ce
phénomène de métissage entre tradition et modernité relève donc du fait que l’histoire de la
1 Ibid., p. 325.
37
Le Sacre du Printemps, Maurice Béjart © Channel Riviera
danse ne doit pas être lue de manière chronologique. C’est la même idée qui implique qu’une
chorégraphie doit être reçue au présent car sa présence sur scène est éphémère, en ce sens
qu’elle a été produite par des individus de leur temps.
Les premières relectures contemporaines sont antérieures à la seconde moitié du
XXème siècle avec en tête de file Le
Sacre du Printemps. Les deux
versions qui restent encore dans la
mémoire collective de la danse sont
celles de Maurice Béjart en 1959 et
celle de Pina Bausch, une quinzaine
d’années plus tard, en 1974. Par la
suite, il faut attendre les années
1980 pour que se dessine l’avenir
des « remakes ». La Giselle de Mats
Ek, en 1982, est l’une des premières
du genre à reprendre un ballet
romantique. Depuis, l’idée de « relookage » de la danse classique a pris beaucoup d’ampleur,
et ce, notamment, depuis la fin des années 1980. Maguy Marin marque les esprits avec sa
Cendrillon en 1985, dont la création se fait à l’Opéra de Lyon.
L’exploration du patrimoine artistique réinterroge alors des œuvres comme Le Lac des
Cygnes, Coppélia, Roméo et Juliette, Les Noces, La Mort du Cygne, etc. Autant de titres qui
résonnent plus ou moins dans la mémoire collective du public et des programmateurs. En
effet, cette profusion de relectures n’est pas seulement due au besoin des artistes de
réinterroger un passé et la danse contemporaine. Dès les années 1990, les budgets tendent à se
resserrer : « Obligation signifiée aux directeurs de théâtres et de scènes nationales de
présenter des budgets en équilibre. Ils programmeront donc volontiers des œuvres aux titres
plus connus que le nom de ceux qui les créent »1. Cette situation a sans aucun doute suscité
une émulation autour des relectures. On peut supposer que ce phénomène a également pris de
l’ampleur auprès des ballets de maisons lyriques, notamment lorsqu’ils se sont retrouvés dans
des situations financières difficiles. Outre ces faits contextuels, qu’est ce qui pousse les
chorégraphes à ouvrir la porte du répertoire classique et à en amorcer leur propre vision ?
1 A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 15.
38
Giselle, Mats Ek © Icare
« Les chorégraphes contemporains qui osent
s’approprier des pièces du répertoire classique ne sont pas
légion. Si leur nombre augmente, si l’inclination pour les
ballets et certaines partitions musicales s’accentue depuis
quelques années, l’entreprise reste gageure. Etrangement,
ceux qui y goûtent y reviennent. Attrait pour le livret et la
narration, pour la musique, pour les défis… Désir de se
dépasser, de se hisser à la hauteur des mythes de la
danse… »1. L’idée de départ est donc différente selon les
chorégraphes. Chacun à sa manière décide d’opérer la
relecture d’une œuvre. Cependant, la tâche n’en demeure
pas pour autant facile. Chacun choisit pour une raison ou
pour une autre de se tourner vers une production du
passé soit par méconnaissance, par réponse à une
commande, par intérêt pour la partition, pour réinterroger un thème, pour soulever les
problématiques que suppose la chorégraphie initiale ou par amour de la danse classique…
La première raison invoquée est la méconnaissance. C’est par exemple le cas de Maurice
Béjart pour son Sacre du Printemps et son Boléro. Il explique qu’il n’avait jamais vu ces
ballets. Il ajoute qu’il avait à peine entendu parler du Sacre2. Ici, c’est l’intérêt pour Stravinski
qui fût à l’origine de l’intention première tout comme Farid Berki. Issu de la danse urbaine, il
n’avait pas saisi l’ampleur de Petrouchka et ne savait pas que c’était une œuvre marquante du
répertoire. Ce qui l’intéressait relève de la gestuelle. Celle-ci proche du hip-hop, lui parlait
forcément. L’esthétique des Ballets Russes avec les pieds en dedans (contraire d’en dehors :
soit pieds parallèles) où les mouvements tout en angles ont totalement séduit Farid Berki.
La commande joue aussi un rôle important dans la création de relectures. Par exemple,
Angelin Preljocaj a répondu à la commande de l’Opéra de Lyon pour son Roméo et Juliette en
1990, comme l’année précédente, où il a créé Les Noces à la demande de la Biennale du Val-
de-Marne. L’institution est très friande de ce genre de commande et n’hésite pas à confier ce
genre de proposition à de nombreux chorégraphes. Par exemple, Michel Kelemenis a été
investi en octobre 2009 de la création de Cendrillon pour le Ballet du Grand Théâtre de
Genève. Cette adaptation du conte de Perrault n’a pas attendu la partition de Prokoviev et est
dansée dès 1822 à Londres. Ce n’est qu’en 1945 que celle-ci est adoptée comme musique de
1 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9. 2 A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 16.
39
Cendrillon, Maguy Marin
© Michel Cavalca
référence pour ce ballet au Bolchoï de Moscou. Depuis, nombreux sont ceux qui se sont
laissés emporter par les notes de Prokoviev : Frederick Ashton et Rudolph Noureev pour les
classiques, Maguy Marin et Jean Christophe Maillot pour les contemporains. La relecture de
Maguy Marin s’avère également être une commande de l’Opéra
de Lyon.
La partition joue aussi un rôle essentiel. C’est souvent elle qui
marque le chorégraphe et qui développe son envie de relecture. A
ce stade-là, Stravinski est presque inégalable et suscite les
appropriations du Sacre du Printemps, de l’Oiseau de Feu, de
Petrouchka, des Noces, etc. La musique fait parfois écho à une
envie mais aussi à une résonnance intime chez le chorégraphe.
C’est le cas d’Heddy Maalem pour qui la création du Sacre du
Printemps n’a pas été d’un pur hasard : « Aujourd’hui, Heddy
Maalem explique que c’est il y a quatre ans, alors qu’il se
trouvait à Lagos, au Nigeria, pour préparer ce qui allait devenir
Black Spring, qu’il a commencé à entendre en lui le Sacre du
Printemps de Stravinsky. Dans la clameur martelée de cette
mégapole de 12 millions d’habitants, New York africaine exhibant sans fard les traits
grotesques et sauvages de la modernité occidentale. À Lagos, le chorégraphe regardait d’un
œil stupéfait l’Afrique noire et le monde blanc faire naufrage, ensemble »1. Ce chorégraphe
n’a pas été tenté par la relecture pour le simple plaisir de revisiter le passé mais surtout parce
que son travail est traversé par la question de l’identité et du corps noir. Le Sacre du
Printemps est crée pour quatorze danseurs africains, en 2004. Dans une alternance qui lui est
propre, le chorégraphe qui excelle dans des formes plus minimalistes, comme des solos ou des
pièces courtes, se plonge à nouveau dans des problématiques qui lui sont chères. L’idée
principale n’est donc pas de rester totalement fidèle à la chorégraphie initiale. Il réinvente
totalement la cérémonie vouée au Sacrifice de l’Elue. Ici, il dédouble le maître de cérémonie
sous forme de jumeaux pour faire l’écho de ce pays qui l’a tant touché : il signe alors une
chorégraphie qui convoque l’Afrique dans ses traditions ancestrales et ses problématiques
contemporaines. Heddy Maalem n’est pas le seul à avoir été fasciné par cette partition. « La
musique révolutionnaire de Stravinski n’inspira pas moins de quatre-vingt chorégraphes,
dont Mary Wigman, Maurice Béjart, John Neumeier, Paul Taylor, Martha Graham et Pina
1D. CREBASSOL, Le Sacre du Printemps [en ligne], Disponible sur : http://www.heddymaalem.com/complements.php, (consulté le 08/04/11).
40
La Sacre du Printemps, Heddy Maalem © Patrick Fabre
Bausch »1. D’autres, comme
Maurice Ravel et son unique
Boléro, ou encore les partitions de
Piotr Ilitch Tchaïkovski, ont
contribué à ce phénomène de
relectures. Ces compositions
musicales détiennent l’avantage
d’être intemporelles.
Le thème suscite également des
envies plus que l’idée de reprendre
un ballet classique. Maurice Béjart utilise Casse-Noisette (1998) en mémoire de son enfance.
Cependant, il se trouve que ce ballet est un des chefs-d’œuvre du ballet romantique,
chorégraphié par Marius Petipa et Lev Ivanov, en 1892. Malgré le fait que Béjart ne fût pas un
adepte des relectures, il s’est attelé à la tâche. La musique est pratiquement le seul élément
qu’il a conservé. Le reste est le pur produit de ses souvenirs d’enfant. Son ballet est
totalement autobiographique et narre l’histoire d’un petit garçon qui perd sa mère à l’âge de
sept ans. Cependant, comme un collage dans son Casse-Noisette, Maurice Béjart insère le pas
de deux de la chorégraphie initiale de Marius Petipa. Toutefois le chorégraphe n’a pas créé
Casse-Noisette car le ballet originel l’inspirait. D’autres se trouvent au contraire investis de la
problématique que suscite la chorégraphie initiale et souvent ce sont les grands ballets du
répertoire classique, comme Le Lac des Cygnes ou Giselle, qui provoquent ce désir. En effet,
certains chefs-d’œuvre, empreints d’une symbolique universelle, interrogent souvent des
chorégraphes contemporains. Mats Ek, par exemple, enrichit l’histoire de Giselle : en
conservant la musique et l’argument, il signe une tragédie moderne. Il a été « stupéfait par les
possibilités que recevaient l’histoire. […] mais ces possibilités étaient partiellement
endormies »2. Il propose une chorégraphie qui utilise le corps de manière plus moderne pour
réveiller ces possibilités de thématiques et de contrastes (l’individuel contre le collectif,
l’amour, l’opposition entre bourgeoise et prolétariat, la folie, etc.). Bertrand d’At s’est arrêté
sur la problématique que posait en lui Le Lac des Cygnes. Le fait de voir et revoir l’œuvre, il a
eu quelque chose à en dire aussi. Et à l’image de la pensée de Mats Ek concernant Giselle,
Bertrand d’At trouvait que certaines possibilités n’apparaissaient pas.
1 J. MOATTI, R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p.44. 2 Propos de Mats Ek, Emission Les leçons de…– Arte, diffusée le 24 mars 2009, < http://www.arte.tv/fr/Les-lecons-de---/2535310.html >, (consulté le 08/04/11).
41
Enfin, d’après Brigitte Lefèvre1, certains artistes contemporains sont tout de même très
amoureux de la danse classique et de sa virtuosité. C’est le cas de Jérôme Bel et Raimund
Hoghe. Ce dernier est adepte des relectures : L’après midi d’un faune, Le Sacre du Printemps
ou encore le plus classique de tous les classiques, Le Lac des Cygnes, dont il qualifie la
musique de « si forte qu’on peut y voir à travers »2. L’idée est également que cette musique
reflète son travail puisqu’elle est construite de répétitions. En effet, le travail de Raimund
Hoghe repose sur l’idée de récurrence des mêmes gestes. Pour lui, ce ballet est également
dans son idéal de conception des œuvres puisqu’à l’image des chansons de Dalida ou de Piaf
qu’il insère dans ses œuvres, Le Lac des Cygnes est un ballet très populaire ou connu au
moins de nom.
Les initiatives des relectures sont donc diverses selon les envies et sensibilités des
chorégraphes. Ceci étant dit, il est intéressant de se tourner vers ce que produisent ces
recréations et de s’interroger sur les buts qu’elles poursuivent.
1.2.2 Des relectures aux intérêts multiples
L’idée première d’un remake est nécessairement basée sur une l’intention de détourner
une interprétation dansée offrant diverses possibilités de restructuration d’un ballet. Tout est
faisable, et la pièce peut-être totalement réinventée tout en restant fidèle à l’original. Pour Jan
Fabre « revenir à la source originelle du ballet, est une façon de lui redonner un sens fort ».3
L’important est de ne pas de trahir l’œuvre initiale mais de la traduire dans un langage
contemporain et de la rendre lisible aux spectateurs d’aujourd’hui. Ce travail revient à
dépouiller le ballet de ses éléments désuets ou incomplets pour mettre en exergue son propos,
« sa beauté », et son originalité. « Décaper » les surplus pour en dégager le caractère
intemporel : voilà l’intérêt nécessaire d’une relecture. Les chorégraphes s’attachent donc à
donner leur interprétation personnelle et à en révéler de nouveaux aspects esthétiques ou
symboliques. De plus, les héroïnes du ballet sont tout de même quasiment éternelles, elles ont
marqué l’histoire de la danse à jamais. Il semblerait qu’elles répondent encore aux attentes du
1 A. IZRINE. B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse. 2 P. NOISETTE, « Un lac, des cygnes », Danser, n°249 – décembre 2005, Paris, DDB Editions, p. 15. 3 Propos de Jan Fabre dans A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 17.
42
public de l’Opéra de Paris, du Royal Ballet, du Bolchoï ou de certains ballets de maisons
lyriques françaises comme le Ballet du Capitole, le Ballet de Nancy, etc. Cela prouve que la
danse classique attire toujours un public certain. Se rapprocher du répertoire classique offre
non seulement de multiples possibilités mais peut également relever du défi pour certains
chorégraphes. En effet, la relecture peut imposer quelques contraintes car elle soulève des
problématiques de conceptions différentes que celles d’une simple création. Certaines
données (musique, personnages, histoire, etc.) deviennent incontournables lorsque les
créateurs tiennent à les insérer dans leur production. A tout cela s’ajoute la nécessité d’opérer
un retour en arrière, de faire un travail sur le temps. Toutes ces caractéristiques sont facteurs
de créativité, d’autant plus que souvent ce sont des questionnements existentiels qui perdurent
dans ces œuvres. En effet, elles touchent aux grands mythes de l’humanité et leur symbolique
est souvent universelle. Dans la volonté de remettre au goût du jour un ballet classique, il y a
nécessairement l’envie de toucher un public large puisque les thématiques usuelles traversent
en grande partie chaque être humain : l’Amour, la Mort, le Bien, le Mal, la hiérarchie sociale
et/ou la hiérarchie sexuelle, etc.
L’avantage pour ces chorégraphes c’est donc que les possibilités de création soient
réinterrogées et qu’elles s’élaborent au regard d’un temps passé. Un choix s’impose à eux : ils
peuvent aussi bien décider de conserver les personnages ou aussi bien les supprimer. Par
exemple, le Lac des Cygnes de Raimund Hoghe fait resurgir par bribes des références au
ballet classique. La musique est un collage de différentes versions dirigées par Pierre
Montreux ou Léonard Bernstein. Toutefois, ce qui est très intéressant, c’est la manière dont la
chorégraphie épurée peut faire résonner la version classique. « Les apparitions fantômatiques
de quatre danseurs établissent une succession de relations où chacun peut être cygne et
prince dans un glissement de genre et une transposition des rôles »1. L’intérêt des relectures
se situe également au niveau de l’écriture. Certains vont tenter de détourner le langage
classique pour la réincarner dans un style moderne comme le fait Mats Ek dans Gisèle, ou Le
Lac des Cygnes. D’autres, en revanche, vont conserver une base de mouvements académiques
voire classiques comme Thierry Malandain. Ce dernier joue également avec la
démultiplication. Il s’amuse à détourner les codes du pas de deux classique comme dans son
Roméo et Juliette (2010). En effet, il transpose le moment incarné prévu par Berlioz pour le
duo des deux interprètes en neuf états amoureux. Neuf couples se succèdent donc pour
1 K. MONTAIGNAC, Compte rendu de l’article « Le Lac des cygnes démystifié, revu et corrigé », Jeu, n°117 – (4) 2005. p. 43, consultable sur : http://id.erudit.org/iderudit/24678ac (consulté le 14/03/11).
43
montrer différents moments : l’attente, la joie, l’absence, etc. Il avait déjà détourné La Mort
du Cygne par le biais de trois danseuses laissant voir à tour de rôle trois chorégraphies sur la
musique de Saint-Saïnt. La succession de ces trois interprétations laisse place à une quatrième
représentation avec la reprise de leur chorégraphie simultanément.
Outre la transposition d’un ballet, la recréation voue également une véritable passion à la
musique. L’intérêt est alors de calquer une danse d’aujourd’hui sur des partitions conçues à la
base pour la danse classique. C’est notamment ce que revendique Michel Kelemenis pour son
Cendrillon : « Le miroitement des écritures
chorégraphique et musicale devient une
alternative à la dépendance et éloigne le risque
de la redondance »1. Angelin Preljocaj, quant à
lui, s’est totalement imprégné des pulsations de
la partition de Serge Prokofiev pour son Roméo
et Juliette. Chez Maguy Marin, l’intérêt d’une
relecture se situe au croisement de l’exploration
du mouvement pour l’insérer dans un système
dramatique à la limite de la danse
contemporaine, du ballet et du théâtre. Dès lors,
elle peut s’offrir le luxe de traiter naïvement le
langage académique car elle resitue son
Cendrillon dans une maison de poupée.
Si ces recréations sont aussi nombreuses
depuis quelques années, ce n’est pas par hasard.
En effet, comme supposé plus haut, l’intérêt financier n’est pas des moindres. « Ne soyons pas
hypocrites, affirme Bertrand d’At. En tant que directeur, je sais très bien que “le Lac”
appâtera les spectateurs qui sont en attente d’un grand ballet classique. D’abord parce qu’ils
connaissent l’histoire, ensuite parce qu’en ces temps de « petites formes », ils ont envie de
voir du monde sur scène, du spectaculaire »2. Il s’agit là d’une réalité concrète qui oblige
malgré elle à réinterroger une programmation pour les diffuseurs ou à envisager d’autres
modalités de créations pour certains chorégraphes. Par exemple, Bertrand d’At, directeur de la
1M. KELEMENIS, Comment faire danser Cendrillon [en ligne], Disponible sur : < http://www.kelemenis.fr/spip.php?article532 >, (consulté le 08/04/11). 2A. IZRINE, « Lecture pour tous », Danser, n°229 - février 2004, Paris, DDB Editions, p. 17.
Cendrillon, Michel Kelemenis © Vincent Leprelse
44
danse du Ballet du Rhin, affirme que sa relecture du Lac lui permet de rééquilibrer son budget
mais aussi de fidéliser le public. En effet, un public conquis sera plus enclin à revenir voir une
création contemporaine dont le financement est alors rendu possible par le succès de la
réinterprétation du ballet classique.
Enfin, la question des relectures permet de mettre au jour un certain patrimoine et de
redonner une couleur plus actuelle au répertoire classique. Cependant, il est nécessaire de
remarquer que ce phénomène est rendue possible par la conservation de ce répertoire. En
effet, le ballet classique a pris récemment conscience de l’importance du répertoire dans le
sens où chaque œuvre est singulière et « indétrônable ». L’idée est donc d’effectuer un retour
en arrière conséquent pour remonter les ballets dans la conscience de leur époque de création.
La relecture des ballets classiques est quelque peu rendu possible par cette volonté très ferme
de conservation des chorégraphies classiques par la transmission du répertoire. En effet,
comme ces œuvres sont conservées, leurs relectures ne semblent pour la plupart pas altérer
l’originelle. Cette connaissance apportée par le respect du patrimoine permet la création de
pièces contemporaines qui ne portent en aucun cas atteinte au Lac des Cygnes initial ou à la
Giselle classique. Si auparavant, s’instaurait un effet d’accumulation, en ce sens que la
production de pièces chorégraphiques ne s’effectuait pas nécessairement dans une continuité
sans se préoccuper de ce qui avait déjà été fait, de nos jours, il y a une réelle conscience du
passé, et les relectures sont créées, la plupart du temps, après une recherche historique sur le
ballet original.
1.2.3 Etude de cas : 6 Giselles1
Cette pièce contemporaine, créée le 7 avril 2010, au Centre national de la danse à Pantin
est l’objet d’une commande du Ballet National de Marseille (BNM) à Olivia Grandville. Cette
chorégraphe a reçu une formation à l’école de l’Opéra de Paris qui lui a permis de faire partie
du corps de ballet, puis elle rejoint, dès 1989, la compagnie de Dominique Bagouet. Son
travail s’intéresse à la dimension polysémique de la danse. Pour le BNM, elle signe une pièce
qui met en jeu des références du ballet romantique. Elle a envisagé cette œuvre comme
l’occasion de mélanger le vocabulaire classique à sa gestuelle contemporaine.
1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue à l’Opéra de Marseille le 23 avril 2010.
45
6 Giselles, Olivia Grandville
© Pascal Delsey
Le titre énonce clairement le lien avec le ballet romantique. Giselle est, en effet,
l’emblème romantique du répertoire classique, c’est sans doute l’héroïne la plus populaire. Le
choix n’est pas anodin puisqu’Olivia Grandville travaille sur l’idée de corps de ballet et donc
questionne la tradition à travers un langage contemporain : « Au départ une commande :
travailler à partir d’un vocabulaire classique et utiliser la pointe. Pour moi une gageure que
d’avoir à retraverser cette technique, à accepter d’en remettre en jeu la forme très spécifique
de virtuosité sans faire de concessions quant aux qualités de mouvements et de présences que
je défends, et ce malgré cette tension verticale que génèrent inévitablement la pointe et
l’entraînement quotidien lié à cette pratique »1. Comme indiqué précédemment, la commande
a été à l’origine de ce métissage. L’envie d’Olivia Grandville s’est donc portée sur une mixité
modérée et bien équilibrée. L’enjeu étant bien évidemment de prendre une référence
historique de la danse classique dont les éléments romantiques sont largement représentatifs :
tutus blancs et chaussons de pointes. Ces deux
accessoires sont insérés dans la pièce plus de manière
poétique que pour développer des prouesses techniques.
Outre ces caractéristiques, la chorégraphe a choisi de
conserver l’image du solo de Giselle finissant le premier
acte du ballet original. Il s’agit du moment où l’héroïne
se meut dans l’espace, traversée par un moment de folie
unique dans l’histoire du ballet dont l’intensité
dramatique a été rarement égalée. L’intérêt d’Olivia
Grandville pour cette scène s’est porté sur la tradition
pantomimique du romantisme dansé. De plus, la perte
de raison de la jeune héroïne pose nécessairement
question et inspire la chorégraphe. « Dominée et rendue
folle par sa passion amoureuse, elle est condamnée à
devenir cette figure féminine fantômatique et séductrice, qui hante l’imaginaire masculin du
19e siècle (et au delà…) à l’aube de la découverte de l’inconscient et de la psychanalyse »2.
1O. GRANVILLE, 6 Giselles [en ligne], Disponible sur : < http://www.ballet-de-marseille.com/spip.php?rubrique344 >, (consulté le 10/04/11). 2 O. GRANVILLE, 6 Giselles d'Olivia Grandville les 23 et 24 Avril à l'Opéra de Marseille [en ligne], Disponible sur : < http://www.mecenesdusud.fr/blog/index.php?post/2010/04/6-Giselles-d-Olivia-Grandville-les-23-et-24-Avril-%C3%A0-l-Op%C3%A9ra-de-Marseille >, (consulté le 10/04/11).
46
6 Giselles, Olivia Grandville
© Pascal Delsey
Ici, Olivia Grandville fait référence aux wilis1, figures emblématiques du romantisme
(définition donnée à la sous partie 1.2 de la postface).
Olivia Grandville décline sa Giselle, à l’image de Thierry Malandain qui multiplie son
cygne agonisant, en six danseuses. Les interprètes arrivent en scène sur pointes et entrent
ensemble à l’image du corps de ballet classique. Les déplacements d’ouverture, uniquement
sur pointe, rythment le début. Elles exécutent des pas classiques, assez simples (échappés,
développés, battements, dégagés, ronds de jambe, etc.) mais de manière très saccadée. Sans
artifices, sans fioritures, ni lyrisme, les mouvements sont assez nets et secs. Le projet du corps
de ballet classique (apporter un ensemble scénique autour des premiers danseurs) est
transposé par l’exacerbation des positions arrêtées. L’intention ne va pas au-delà du geste. Ces
6 Giselles, pointes aux pieds, sont tout de même vêtues de
façon assez moderne : haut à capuche et shorts courts blancs.
Au fil de la pièce, le langage classique devient contemporain
et l’écriture chorégraphique tend vers l’abstraction à tel point
que la chorégraphe laisse une large part d’improvisation à ses
danseuses. Peu à peu, le plateau scénique se modifie en un
vaste salon d’essayage, chacune s’habillant et se déshabillant
selon les vêtements qu’elle trouve : aux costumes folkloriques
se mêlent les tutus blancs (courts et longs), tandis que des
vestes presque trop masculines s’imposent sur des jupes. Le
chausson de pointe n’est plus exclusif, certaines sont pieds
nus. Elles se laissent gagner par la folie et l’hystérie au fur et à
mesure qu’elles se vêtissent et se dévêtissent, comme si chaque tenue supplémentaire
confortait l’état de crise des Giselles. La fin de la pièce sonne comme un unisson. Les
danseuses, en débardeur et shorty blanc, retrouvent un ensemble beaucoup plus brutal que le
début de la pièce. La chorégraphie est alors tout à fait contemporaine, les mouvements jouent
sur les déséquilibres et le travail du poids du corps. Les appuis sont beaucoup plus ancrés dans
le sol. Dans cette transition vers la folie, les danseuses passent d’une gestuelle classique à une
gestuelle très contemporaine. Les deux sont mêlées lorsque chacune déambule sur scène pour
s’habiller ou se déshabiller avec les vêtements déposés sur le sol.
Ici, Olivia Grandville a choisi d’axer sa pièce sur ce qui a l’époque de la création de Giselle
était une véritable révolution dans un spectacle de danse : la folie de l’héroïne. Le caractère
1 Jeunes filles qui se retrouvent transformées en fantôme pour avoir trop dansé.
47
narratif, n’est pas du tout repris, ni même l’objet de sa perte de raison. L’esthétique classique
se mêle donc à l’esthétique contemporaine. Elle abandonne la musique originale pour un
montage signé Olivier Renouf dont la composition s’appuie sur Antonio Vivaldi, Henry
Cowell, Salvatore Sciarrino, Francis Poulenc, George Crumb, Domenico Scarlatti et PJ
Harvey. Le résultat dure une demi-heure et n’a pas été très bien reçu par quelques critiques :
« Quant à la pièce d’Olivia Grandville, elle débutait avec génie – ah ces filles en survêt
traversant sur pointes la scène – puis se perdait un peu en longueurs, et en références drôles,
mais pas exemptes, bizarrement, de clichés féminins (importance du déguisement, de
l’habillage/déshabillage, de l’échevelé…) »1. Voici, ici, une critique caractéristique qui ne
s’est pas souciée de mettre en perspective 6 Giselles avec l’histoire de la danse et qui est
restée en surface de la pièce. Et si « les clichés féminins » associés à Giselle n’étaient pas là
pour dénoncer un état sociétal, qui conditionnant les femmes actuelles, les plongerait dans une
folie (dépensière, hystérique, ridicule, etc.) ? Dans la salle, les connaisseurs ont su reconnaître
la folie de Giselle, mais, à l’évidence, ces derniers connaissent l’objet du ballet originel. Dans
une relecture telle que celle-ci, le piège est en effet que les références soient réservées à des
connaisseurs et qu’elles soient peut-être mal comprises par les autres. Mats Ek, avec sa
Giselle, a en revanche moins pris de risques. Il a conservé l’idée de la narration mais
transpose l’histoire. Le second acte de Giselle ne se déroule pas dans un cimetière, comme il
est d’usage dans les versions traditionnelles, mais dans un asile psychiatrique de femmes : les
malades en chemise de nuit et les infirmières en blouse blanche sont les wilis du XXème siècle,
et l’intraitable infirmière en chef, leur reine. Cette Giselle, réactualisée, a sans doute beaucoup
plus séduit le public, puisque narrative et par ce biais-là, peut-être plus accessible.
Conclusion
« Un grand ballet classique n’est pas un bibelot que l’on range sur une étagère pour
l’admirer sans y toucher. Il exige d’être pris en main, épousseté, tourné et retourné sous
toutes les coutures : comme héritage et comme actualité ; par les danseurs et par le public »2.
Dans son propos, fort de sens, Rosita Boisseau exprime ce qui vient d’être démontré. En effet,
1 C. BOURGUE, A. FRESCHEL, « Le Ballet National n’en finit pas de danser… », Zibeline, n°30 – du 20/05/10 au 17/06/10, Zibeline SARL, p. 28. 2 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9.
48
un ballet classique fait partie du patrimoine culturel de la danse. En aucun cas, il ne faut
l’exclure des réflexions actuelles. Il permet non seulement de mettre en regard un passé avec
un présent, mais aussi de dégager des œuvres des problématiques et questionnements sous-
jacents ou inexploités. Ces œuvres sont nécessairement fortes de sens, puisqu’elles revisitent
la tradition et la transpose dans un monde actuel. Chaque chorégraphe y déchiffre ce qu’il voit
selon son expérience, sa sensibilité, sa formation, etc… La création faisant l’objet d’une
relecture questionne également les danseurs, puisqu’ils sont aussi concernés par ce retour en
arrière. Le public, qui n’est en aucun cas homogène et qui n’a pas les mêmes références, doit
jouer avec ses connaissances. L’idée de relire une œuvre du répertoire implique
nécessairement ce genre de questionnements, même si parfois ce retour au passé peut se faire
par méconnaissance. Cette alliance permet également de mêler les techniques. Certaines
pièces sont entièrement contemporaines comme Le Lac des Cygnes de Raimund Hoghe ;
d’autres oscillent entre classique et contemporain, prévalant aux chorégraphes d’être assimilés
au néoclassique, comme Thierry Malandain et sa Mort du Cygne ; tandis que d’autres
composent leurs œuvres avec des coupures ou des évolutions du classique vers le
contemporain comme Olivia Grandville et ses 6 Giselles, etc. Là encore, l’idée de relecture
pourrait être soumise à réflexion car la chorégraphe n’a pas gardé le titre originel de la pièce,
cependant le thème, et le personnage de Giselle est démultiplié en six danseuses. Le projet de
relecture semble totalement opérant, ce qui n’aurait pas été le cas si la pièce avait eu un nom
complètement éloigné du ballet original et si la chorégraphe ne s’était pas clairement basée
sur le ballet classique.
49
Chapitre 3 : Les pièces contemporaines qui empruntent à la
danse classique
Introduction
Les relectures suscitent beaucoup plus le métissage entre tradition et modernité que les
créations contemporaines. Comme évoqué plus haut, elles imposent des contraintes même si
l’œuvre finale ne reste pas aussi libre qu’une pièce inventée dans l’élan d’inspiration du
chorégraphe.
A la lecture du premier chapitre de cette partie, il est évident que la danse
contemporaine englobe de multiples formes. Ces dernières ont ainsi pour habitude
d’emprunter des caractéristiques à d’autres domaines ou d’autres genres chorégraphiques. La
danse est devenue danse-théâtre, elle a profité des apports des arts plastiques ou vidéos pour
modifier l’espace scénique, elle s’est essayée à la fusion de la danse africaine et de la danse
contemporaine, elle s’est même confrontée aux arts martiaux. Les relectures ne sont donc pas
les seules chorégraphies qui laissent place à la danse classique dans leurs compositions.
Aujourd’hui de nombreux chorégraphes contemporains usent d’éléments techniques,
vestimentaires ou musicaux pour mêler leur esthétique à celle de la danse classique. Certaines
caractéristiques soulignent l’intérêt de nombreux artistes pour la tradition, tandis que d’autres
font le choix d’emprunter à l’esthétique classique pour compléter tout simplement le sens de
l’œuvre, ou pour user de références qui ne sont pas véritablement opérantes en danse
contemporaine.
Dans ces formes d’œuvres, la personnalité du chorégraphe joue également beaucoup :
parfois, il se dégage un réel intérêt pour la danse classique puisque certains d’entre eux se sont
déjà consacrés à réaliser des relectures de ballet du répertoire. Comme dans ces dernières, les
créations sont nécessairement personnelles, et à chaque chorégraphe, il existe de nouvelles
formes quasiment à chaque fois. Comment les artistes puisent-ils dans les ressources
classiques sans faire des relectures de ballet ? Quel bénéfice en retire la danse
contemporaine ?
50
1.3.1. Par quels moyens le classicisme s’intègre-t-il dans les pièces de danse
contemporaine ?
Il y a divers moyens qui permettent de mettre en œuvre le métissage entre classique et
contemporain car l’origine du mélange n’est pas récente. En effet, même si la danse
contemporaine s’est au départ positionnée en rejet de la tradition, elle s’est par la suite
rapprochée dans certaines périodes ou par certaines techniques (cf. sous partie 2.2 de la
postface : Merce Cunningham qui se sert de la technique classique pour son travail de jambe).
A l’image de l’impulsion des relectures qui a eu lieu dans les années 80, les chorégraphes
coordonnant la danse classique et la danse contemporaine se sont multipliés, l’idée étant de
s’adresser à l’œil et à l’émotion mais aussi à l’esprit.
Les chorégraphes choisissent parfois délibérément de prendre certaines références
dans la danse classique tandis que d’autres s’en inspirent pour jouer sur d’autres symboliques
(la féminité, la figure de la ballerine, la beauté masculine, etc.). Dans ces catégories d’œuvres
on retrouve ainsi Angelin Preljocaj, Michel Kelemenis, Thierry Malandain, Maguy Marin
mais aussi d’autres chorégraphes dont l’emprunt au classique ne semblerait pas évident de
prime abord comme Jérôme Bel ou encore Frédéric Flamand. Plusieurs possibilités et
propositions permettent de réaliser le rapprochement entre classique et contemporain comme
la composition de la pièce chorégraphique, la musique utilisée, l’appel à l’inconscient
collectif, la participation de danseurs à la formation classique ou la volonté de démontrer des
conventions classiques.
La composition de la pièce chorégraphique est un des premiers éléments qui semble proche de
l’agencement d’un ballet classique. Ce dernier débute souvent par une scène d’exposition tel
un bal où la plupart des danseurs et du corps de ballet se retrouvent sur scène, il présente
toujours un solo du héros et de l’héroïne, et un ou plusieurs pas de deux. La finale est
également récurrente, c’est la dernière partie du ballet classique. Angelin Prejlocaj avec son
Blanche Neige1, s’est amusé à jouer avec les codes de la danse classique car pour lui ces
caractéristiques lui permettaient d’instaurer un autre sens à son œuvre. Il reprend donc l’idée
de bal dans une scène d’exposition qui surélève Blanche Neige et son père. Au dessous, les
1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue le 1er mars 2009 à Odyssud (Blagnac).
51
danseurs sont alignés en quatre colonnes : ils dansent. L’héroïne et son père les regardent. Ici,
Angelin Preljocaj règle des conventions qui rendent compte d’un certain ordre social et d’un
certain ordre politique (à l’image du ballet de Cour). Comme dans le ballet classique, il met
en avant les personnages principaux en les surélevant mais, par cette configuration scénique,
il dénonce peut-être aussi l’ordre social dont les fossés sont de plus en plus contrastés.
Blanche Neige permet sans doute plus facilement ce genre de composition puisque c’est un
ballet narratif. En effet, le chorégraphe a tenu à mettre en image le conte des frères Grimm et
à en donner une vision beaucoup moins édulcorée que celle de Walt Disney. Il s’est
volontairement enfermé dans la contrainte de respecter l’histoire et d’y être fidèle du début à
la fin de sa création. C’est pourquoi l’inspiration de codes du ballet classique semble plus
directe. En effet, la construction du conte permet une composition chorégraphique qui
commence par une scène d’exposition, qui suscite la juxtaposition de plusieurs tableaux, qui
participe à l’élaboration de duos entre les deux amants et qui se termine par un ensemble final.
La narration semble donc parfaitement s’adapter aux conventions de création d’un ballet
classique. Peut-être qu’Angelin Preljocaj ne s’est pas obligatoirement calqué au modèle des
ballets classiques mais dans tous les cas, son Blanche Neige est composé de manière très
proche de cette conception.
La musique peut permettre de faire référence au ballet classique mais, comme la sélection
d’une composition ou d’une narration, ce
choix peut paraître totalement subtil. En
effet, certains artistes insèrent des
morceaux ou un ensemble de musiques qui
ont fait les beaux jours des ballets
classiques. Par exemple, Disgrâce de
Michel Kelemenis débute sur la musique de
Tchaïkovski du Lac des Cygnes. Ceci
étonne les artistes : « Comme chacun
précédemment, ils s’étonnent de l’entrée en
matière musicale, le final d’orchestre du Lac des cygnes, et de la présence de figures
hautement signifiantes »1. La gestuelle n’est pas sans rappeler l’allure dramatique du Lac,
quand les danseurs, un à un s’affaissent sur le sol.
1 M. KELEMENIS, Journal de Disgrâce [en ligne], Disponible sur : < http://www.kelemenis.fr/spip.php?article497 >, (consulté le 12/04/11).
Disgrâce, Michel Kelemenis © Agnès Mellon
52
Frederic Flamand s’est aussi plongé dans le répertoire classique pour chorégraphier une partie
de Métamorphoses1. A la musique originale de La Mort du cygne, il ajoute à gauche de la
scène un élément suspendu rond. A ce moment-là de la pièce, cette suspension permet la
diffusion simultanément à la musique, d’une archive vidéo présentant le solo original
classique. Les danseuses entrent sur scène avec des chaussures à talons, elles portent des
tuniques de couleur chair. Leurs jambes sont nues, elles sont dépouillées de tout artifice, à tel
point que le regard du spectateur ne se pose que sur leurs talons. Ici, le moment de grâce
s’installe pendant un court instant, il met en exergue la féminité dans toute sa splendeur et sa
douceur.
La danse classique ne fait pas seulement irruption de manière discrète dans les pièces
contemporaines. En effet, parfois certains chorégraphes optent pour des éléments qui touchent
directement l’inconscient collectif. Le chausson de pointe est de nos jours une référence
presque symbolique de la danse classique. Il est entré dans les représentations. Il est même
l’emblème avec le tutu de la danse classique. Ce dernier est donc tout naturellement réutilisé
en danse moderne et beaucoup de chorégraphes se jouent de son
image et l’intègre dans leurs créations. Frédéric Flamand laisse
par exemple ses danseuses, toujours dans Métamorphoses,
s’aventurer sur scène avec des pointes. Michel Kelemenis s’est
également amusé à créer une pièce, TATTOO, pour le Ballet
National de Marseille en 2007, où les danseuses portent des
chaussons de pointes verts. Par le costume gris sombre, qui
laisse apparaître toutefois quelques bribes de couleur vert clair,
le chorégraphe a choisi de mettre en avant le chausson en le
dénaturant et le démystifiant. Le costume peut également
prendre part dans certaines pièces contemporaines. Par exemple,
le tutu court est souvent repris et détourné : c’est notamment le
cas dans La Tentation d’Eve de Marie-Claude Pietragalla qui ne le vêt qu’à moitié (c'est-à-
dire qu’elle porte juste le plateau et ne couvre pas le haut de son corps avec le justaucorps) ou
qui le tient sur sa tête.
La matière du corps est aussi une manière de revenir à la danse classique. Angelin Preljocaj
s’est donc essayé à travailler avec des danseurs issus d’une formation totalement classique. Sa
1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue le 14 octobre 2010 à l’Opéra de Marseille.
TATTOO, Michel Kelemenis
© Agnès Mellon
53
dernière création, Suivront mille ans de calme1, mêle ses propres danseurs et des interprètes
du Bolchoï. Une première pour le chorégraphe dont les possibilités en termes de création sont
démultipliées. Le mélange des techniques et des technicités lui offre une matière exploitable
très dense. Il met en œuvre une chorégraphie très physique et parfois même impressionnante
rendue possible par la virtuosité des
danseurs. A la demande du Bolchoï,
Angelin Preljocaj s’était rendu dans
ce temple de la danse classique pour
transmettre une œuvre de son
répertoire. Mais lors de sa rencontre
avec les danseurs, le chorégraphe a
été fasciné par leur manière de
danser. Il leur a donc proposé de
créer une pièce exclusivement pour
eux. L’enrichissement s’est produit
au-delà de Suivront mille ans de calme puisque les danseurs, que ce soient ceux du Bolchoï ou
ceux de la compagnie française, ont travaillé ensemble.
La technique classique permet donc également de créer à l’image de ce que fait William
Forsythe des ballets totalement contemporains.
Karole Armitage élabore également de nouvelles
formes. Elle aime sortir la technique classique
de ses carcans pour développer un langage
totalement moderne. « Elle affirme sa volonté :
non pas une recherche d’avant-garde, mais
l’utilisation d’une technique vieille de quatre
cent ans pour la mise au jour d’un “ballet
moderne” »2. Rave3 est totalement à l’image du
travail de cette chorégraphe qui n’hésite pas à
changer de style musical (punk, techno, etc.) et à
s’entourer de plasticiens. Le corps est l’objet de
1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue le 17 novembre 2010 au Grand Théâtre de Provence. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 153. 3 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue au Théâtre de Castres lors de l’édition des Extravadanses (festival) de 2004.
Suivront mille ans de calme, Angelin Preljocaj © Michel Cavalca
Rave, Karole Armitage © Laurent Philippe
54
tous les possibles, elle le disloque et lui inflige les pires traitements. Associée au Ballet de
Lorraine, elle signe donc une pièce sur mesure aux allures de défilé déjanté ou de concert rock
halluciné. Les mouvements, en boucle, alternent avec des duos étirant les corps de ses
danseuses. Cette chorégraphie est un hymne à la joie de vivre qui a été recherchée et mise en
avant suite au choc du 11 septembre 2001. Joie de vivre qui se traduit par un jeu de couleurs
et de lumières vives dans un mouvement incessant qui rappelle ceux d’un peintre composant
sur sa toile. En effet, les danseurs sont très peu vêtus mais chacun d’entre eux est coloré par
une peinture sur l’ensemble du corps. Rave détourne la technique classique de manière à la
rendre totalement contemporaine.
La danse classique fait aussi une apparition dans certaines pièces contemporaines, notamment
pour mettre en regard le travail d’une danseuse du corps de ballet : Véronique Doisneau1.
C’est une œuvre totalement particulière que Jérôme Bel signe pour une ancienne danseuse de
l’Opéra de Paris. A l’heure de la retraite de cette dernière, il la met en scène dans une forme
inédite. C’est un véritable hommage qu’offre le chorégraphe à la danseuse, lui donnant
l’opportunité d’une confession. En effet, elle parle au public et raconte son histoire au ballet
en expliquant les difficiles conditions scéniques du corps de ballet. Elle est sur le point de
prendre sa retraite. Son monologue est entrecoupé de démonstrations. Le public assiste à une
forme totalement nouvelle : un bilan avant un départ en retraite d’une danseuse qui expose ses
préférences en matière chorégraphique. Certains instants dansés ne sont accompagnés que de
sa propre voix, elle chante la musique. Il y a un moment de la pièce qui est notamment très
marquant, lorsqu’elle reste immobile et enchaîne quelques postures sur scène pendant que
passe la musique du Lac des Cygnes. Elle parle en effet d’une très belle scène dans ce ballet
où l’ensemble du corps de ballet est réuni. Cependant, elle affirme que ce moment est horrible
à effectuer car il implique de gérer de très longues poses afin de mettre en valeur les premiers
danseurs. Ce moment, et cette œuvre en général, procèdent d’une réelle prise de conscience
du travail de corps de ballet et de sa difficulté. Le public est face à une seule danseuse et ne
peut pas s’empêcher de constater que la chorégraphie du corps de ballet est quelque chose de
très répétitif et très ingrat. Véronique Doisneau dégage également l’idée de souffrance du
corps, en ce sens qu’elle suppose l’engourdissement des muscles ainsi que la douleur
provoquée par la stabilité et la durée de certaines positions. Toutefois, le fait qu’elle soit seule
sur le plateau démontre que sans un ensemble cohérent cet enchaînement de mouvement n’a
1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vu sur Internet (cf. source dans la Bibliographie).
55
aucun intérêt. Il prend réellement forme en tant que décor humain, lorsque c’est un corps de
ballet qui l’exécute.
1.3.2. Quel est l’apport de ces éléments à la danse contemporaine ?
Le métissage entre classique et contemporain remet en jeu certains acquis et codes
hérités puis ensuite rejetés et permet dans un premier temps d’enrichir le vocabulaire des
chorégraphes. En effet, du fait de la diversité des techniques modernes et de la virtuosité de la
danse classique, les modalités d’écriture peuvent être totalement différentes et permettent de
décupler le langage dansé. C’est notamment le cas de Karole Armitage qui associe les pas
classiques à l’énergie moderne tout en faisant éclater les carcans instaurés par la tradition. En
ce sens, elle opère une mise en abyme de la danse classique pour la remettre en question.
C’est donc tout un héritage qui est remodelé et mis à plat.
Chaque chorégraphe décide de manipuler cet héritage, et ainsi ce patrimoine de
manière différente, mais l’intention reste pour la plupart commune. Il est évident que les
artistes contemporains n’ont de cesse d’interroger leur art et de ce fait, reprendre des éléments
de la danse classique semble évident dans cette démarche. Cependant, comme évoqué dans
l’introduction de ce mémoire, la danse contemporaine n’a pas toujours été en accord avec la
danse classique et s’est placée totalement en rupture. Petit à petit, elle s’est donc permis de
réintégrer des éléments techniques, vestimentaires ou de composition pour la remettre en
question. De plus, la danse classique est souvent associée à des « croyances ». Elle joue sur
des figures qui sont encore largement opérantes : la féminité, la beauté, l’élégance, la fragilité,
la grâce, etc. L’idée de certains chorégraphes repose sur ces présupposés liés à la danse
classique. Par exemple, le travail de Michel Kelemenis avec Disgrâce1 est intéressant car il
met en opposition certains clichés pour rendre la grâce masculine. En effet, le clin d’œil du
début à la musique du Lac des Cygnes dans une pièce qui se nomme Disgrâce, mettant en
scène cinq hommes en caleçon noir et chaussettes blanches, joue sur le contraste entre la
grâce dégagée par l’ensemble des ballets classiques et la disgrâce qui peut s’opérer entre cinq
danseurs d’horizons divers. Le chorégraphe pointe là une des particularités de la danse
contemporaine. Celle-ci peut être tellement abordée par diverses techniques que l’association
1 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue au Studio/Kelemenis lors de mon stage chez Kelemenis & Cie en première année de Master.
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Véronique Doisneau, Jérôme Bel
© Anna Van Kooij
de cinq danseurs différents peut confondre l’œuvre dans une certaine « disgrâce » et c’est sur
cette infime fragilité que joue Michel Kelemenis.
Ainsi, hormis la multiplication des possibilités d’écritures, l’assemblage et le
croisement des deux esthétiques permettent de remettre en
question à la fois la danse classique et la danse
contemporaine. Ceci passe par des mises à nu de références
pour les réinterroger. L’idée n’est donc pas de mettre en
avant un point plutôt qu’un autre, mais que cette mixité
entre tradition et modernité serve à l’expression du geste et
au langage chorégraphique pour en délivrer de nouvelles
formes. Il est indéniable que la conscience de création des
chorégraphes se porte beaucoup plus sur ces possibilités
d’assemblage. Il y a tout de même un respect des
chorégraphes contemporains envers la danse classique.
Certains ont donc compris l’intérêt de se retourner vers un
passé qui a tout naturellement construit leur danse
d’aujourd’hui. Au lieu de persister sur ce rejet, leur travail
dégage alors le meilleur des apports de la danse classique pour mettre en exergue certaines
références, certains codes inamovibles, et remettre en cause certains présupposés. Par
exemple, la pièce de Jérôme Bel pour Véronique Doisneau est emblématique en la matière. Sa
force symbolique s’est posée au-delà : en effet, Véronique Doisneau, était programmée juste
après le défilé annuel de la compagnie et de l’école de danse de l’Opéra de Paris. Le sens de
l’œuvre a donc été décuplé, car jouée dans l’institution même de la danse classique, juste
après la présentation de l’ensemble des danseurs dont la plupart font partie du corps de ballet.
Dans le respect du travail effectué, cette pièce démontre quand même le caractère ingrat et
invisible du travail d’une interprète au sein du corps de ballet. L’idée n’est sans doute pas de
dénoncer ce système immuable aux ballets classiques, mais surtout de faire prendre
conscience au public que la beauté d’une œuvre classique peut-être due parfois à un travail
infime mais très difficile et que la « gloire » et les applaudissements ne doivent pas être
accordés seulement aux étoiles.
Suivant les catégories décrites dans la partie précédente, force est de constater que la
danse classique n’enferme pas les œuvres contemporaines qui font appel à elle. En effet,
57
celles-ci n’ont pas toutes le même objectif : l’idée n’est pas de conforter la danse
contemporaine dans la production d’un académisme qui s’est dessiné sans que le classicisme
s’impose à nouveau. L’intérêt est de pouvoir faire des parallèles et des croisements, entre des
sensations, des techniques, des expressions, des rapports au corps totalement différents. Il y a
différentes manières de composer avec un patrimoine. Les relectures en sont finalement la
forme la plus directe. Indirectement, les artistes actuels peuvent également permettre de
mettre à jour un héritage. Plusieurs points d’entrées comme la musique, la composition, les
danseurs, les costumes, etc. offrent diverses manières de créations, les points d’ancrages
pouvant être tant historiques, que techniques, contextuels, etc., mais ils permettent une
ouverture d’appréhension de l’œuvre beaucoup plus grande. Le but est d’aller au-delà de la
tradition. Le jeu des chorégraphes peut être plus ou moins subtil dans l’insertion de
caractéristiques de la danse classique, cependant,
certaines références peuvent donner un tout autre
sens à la pièce. Encore faut-il avoir les codes de ces
références.
Certaines combinaisons peuvent donner une
toute autre couleur à la pièce. C’est notamment le
cas lorsque la compagnie de l’Opéra de Paris
interprète une œuvre résolument contemporaine.
Brigitte Lefèvre souligne que Le Sacre du
Printemps de Pina Bausch, dansé par les danseurs
de l’Opéra de Paris n’a pas la même texture que la
version donnée par la compagnie de la chorégraphe.
Les danseurs classiques donnent une autre fraîcheur
à la pièce, puisque formés à dominante classique, ils
interprètent nécessairement de manière différente
cette pièce que les propres danseurs de la compagnie de Pina Bausch. La matérialité de leur
corps peut donner donc une autre ampleur à ce Sacre du Printemps. La transmission de cette
pièce au répertoire d’une compagnie classique signe bien l’intérêt de métisser classique et
contemporain.
Au-delà de querelles initiées dès le début du XXème siècle, la tradition et la modernité
ne doivent pas s’opposer mais s’unir pour mieux se compléter. La danse est par essence le lieu
de l’éphémère et du vivant, à la frontière d’arts divers (arts plastiques, vidéos, musique, etc.)
il est nécessaire qu’elle retourne parfois à ses origines pour éviter de se perdre, pour pouvoir
Le Sacre du Printemps dansé par le Ballet de
l’Opéra de Paris, Pina Bausch ©Jacques Moatti
58
se ressourcer et pouvoir créer de nouvelles formes. Si certains dénoncent le fait que la danse
puisse prendre aujourd’hui des formes trop spectaculaires, d’autres s’en défendent. C’est le
cas d’Angelin Preljocaj, dont le parcours s’établit sans aucun tabou entre la narration et
l’abstraction. L’exemple de Blanche Neige est pour lui une certaine manière de retravailler les
fondements de sa danse, dont le rapport au conte et son intemporalité n’est pas sans rappeler
l’idée d’universalité liée à la danse classique. Cette dernière est parfois donc « boudée » et
sujet à controverse, mais cela n’empêche pas certains chorégraphes plus ou moins populaires
de revendiquer son impact. Marie Claude Pietragalla défend l’apport de la danse classique :
« Le mépris que la France a pour cette esthétique me dérange. C’est notre histoire qu’on
cherche à nier, une exception culturelle qu’on cherche à nier, une exception culturelle qui est
une référence partout à l’étranger »1. La chorégraphe est connue pour ses prises de positions
fermes, mais il n’en reste pas moins, qu’elle n’est pas la seule à revendiquer un héritage dont
chacun peut-être porteur. Ce point particulier est développé dans la partie 2 du mémoire (cf.
2.1.2). La danse classique est tout de même forte de ces quatre cents ans d’histoire, elle fait
partie d’un patrimoine inaliénable et composer avec elle est peut-être une forme d’ouverture
beaucoup plus intéressante que se positionner en rupture avec elle.
1.3.3. Etude de cas : Magifique2, Thierry Malandain
En France, un chorégraphe est très emblématique du métissage entre classique et
contemporain. Son travail suscite beaucoup de réflexion comme évoqué précédemment, il
n’est pas facilement classifiable (partie 1.1.3). C’est un artiste qui est de formation classique,
mais en tant que danseur, il a pu interpréter des pièces contemporaines. Pour lui, le classique
n’est pas une danse figée, à tel point que son répertoire est un joyeux mélange de tradition et
d’éléments de formes actuelles. Ses danseurs affirment que Malandain apporte une ouverture
au vocabulaire classique. Il fait évoluer une position, un costume, un mouvement en fonction
de son temps. Par exemple, ses costumes sont toujours très simples, proches de la nudité, ils
se plient à la faisabilité des mouvements permise par l’acquisition d’une technique virtuose.
Ainsi, le chorégraphe se ne s’arrête pas au langage classique mais se projette au-delà dans des
1 L. GOUMARRE, « Portrait : Marie Claude Pietragalla », Danser, n°274 – mars 2008, DDB Editions, p. 63. 2 L’analyse de cette œuvre emprunte aux sources citées et à mon étude personnelle après l’avoir vue à la salle Alizé (Muret) le 02 avril 2011.
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Magifique, Thierry Malandain
© Olivier Houeix, Didier Fioramonti
scénographies inventives, des costumes insolites, des jeux de lumières nécessaires, etc. A la
tête du centre Chorégraphique National de Biarritz depuis 1998, Thierry Malandain se défend
donc de ne jamais trahir un héritage. Son objectif est d’amener la danse au plus grand nombre.
Son langage est, indéniablement, beaucoup plus facile à appréhender et beaucoup plus lisible
pour certains publics, notamment les novices.
Il signe Magifique en 2009 pour dix huit danseurs. C’est une commande de l’Opéra de
Saint-Etienne. Cette pièce, outre une technique classique très poussée mais aussi réadaptée à
la manière de l’artiste, est chorégraphiée sur une musique qui fait directement référence aux
grands ballets classiques. En effet, Thierry Malandain choisit d’évoquer son enfance à travers
les compositions de Tchaïkovski. Ce dernier a signé les notes de trois ballets de référence :
Casse Noisette, La Belle au bois dormant et Le Lac des Cygnes. Magifique est donc composé
sur ces trois suites de Tchaïkovski. C’est une sorte de « best-of » de chacun des ballets, mais
en aucun cas l’œuvre de Thierry Malandain n’a pour but de donner à voir un extrait de ces
trois ballets classiques. Toutefois, la musique prend
une place prépondérante dans cette pièce car le
chorégraphe l’a découverte pendant son enfance : quoi
de plus enchanteur que les compositions de
Tchaïkovski pour l’imaginaire enfantin. Petit, il s’est
donc laissé emporter par ces notes de musique : les
princes côtoyaient les princesses, les forêts sombres
renfermaient des animaux maléfiques, etc… La
musique est alors une matière, un point de départ pour
une œuvre qui finalement n’est pas vouée à la
mémoire des trois ballets classiques. C’est sa mémoire
personnelle qui, en revanche, lui permet de faire
référence aux ballets, tout en les détournant grâce à ses
souvenirs d’enfance. La barre de l’échauffement classique à l’ouverture du rideau trône au
milieu de la scène, juste devant un grand miroir qui par la suite deviendra mobile. Ces deux
instruments indispensables à l’apprentissage de la danse classique sont le prétexte de jeu et
d’échange entre les danseurs. Peu à peu, la barre devient le lieu d’un baiser amoureux (peut-
être Aurore et son prince) ou se replie à la manière d’un ring de boxe. Le chorégraphe
s’amuse même à détourner le pas de deux classique en l’écrivant pour deux hommes. Les
costumes sont d’ailleurs asexués, de couleur chair, ils font naturellement appel à la nudité. La
60
Magifique, Thierry Malandain
© Olivier Houeix, Didier Fioramonti
scène devient le lieu d’une succession de souvenirs que la gestuelle de Thierry Malandain
vient sublimer ou, en tout cas, éclairer.
Pure, simple, limpide, il projette ses
mouvements au-delà de la gestuelle
classique mais il ne s’y restreint pas car il
la mêle à des propositions nettement
contemporaines. Il ne cherche pas la beauté
du geste, mais sa juste parole, s’inspirant de
la matière brute de la vie pour en dégager
des formes expressives et créatives. Le
corps des danseurs semble soumis à tous
les possibles, la virtuosité technique permet des prouesses empreintes de poésie. Ce ballet est
un jeu grandeur nature, il s’amuse de la barre mais aussi des miroirs pour cacher ou
démultiplier l’image des interprètes. La modernité de cette pièce relève aussi de ces
références aux ballets dont la musique envahit la scène. Le fameux pas de quatre du Lac des
Cygnes est dansé par quatre hommes dont seuls les pieds sont visibles au dessus d’un caisson
et bougent sur le rythme de la musique. Le baiser d’Aurore, La Belle au bois dormant, a lieu
sur la barre d’échauffement, tandis qu’Odette (Lac des Cygnes) déploie une gestuelle des
jambes en appui sur ses coudes.
Magifique fourmille donc de références à la danse classique : musique, ballets,
gestuelle, barre et miroir, etc. Toutefois, Thierry Malandain pousse sa chorégraphie pour faire
éclater les carcans de la danse classique. Il n’hésite pas à détourner les ballets traditionnels
avec une nette touche d’humour. Il permet aux corps de ses danseurs de transcender la
musique de Tchaïkovski. Il s’amuse de son rêve de petit garçon et fait défiler ses interprètes
comme lors du défilé de la compagnie et de l’école de l’Opéra de Paris. Parallèlement,
l’énergie déployée est très contemporaine quel que soit le mouvement, qu’il soit classique ou
contemporain. Le geste est respiré et s’étend au-delà des corps. Ces corps qui, comme en
danse contemporaine, ne sont pas homogènes : grands et petits se côtoient sur scène, tandis
que les danseuses ne sont en aucun cas à l’image de la ballerine filiforme mais sont des
femmes actuelles, contemporaines. Par ailleurs, son travail est réalisé sur l’instant, il
improvise les mouvements que les danseurs reproduisent, en ce sens que sa chorégraphie n’est
pas déjà écrite lorsqu’il va travailler avec ses interprètes. Cette pièce s’inspire de faits
enfantins mais ne raconte pas nécessairement l’histoire de son enfance, par des bribes
d’images qui parlent à chacun : course poursuite, parties de cache-cache, jeu avec les barres,
61
etc. Thierry Malandain signe ainsi une chorégraphie qui parle à chacun, qui fait appel à
l’imaginaire de son public, ce dernier ne doit pas nécessairement reconnaître les références
utilisées. Cependant, celles-ci permettent tout de même de mettre à nu et de réinterpréter un
patrimoine, pour celui qui en détient les clés. Le public ce soir-là est ravi1. Certains soulignent
la rigueur classique, tandis que d’autres s’attachent à l’inventivité du chorégraphe.
L’exemple de cette œuvre souligne bien la confusion qui peut régner dans sa
qualification. En effet, certains spectateurs ont « surtout apprécié la technique classique car
elle suppose une rigueur que l’on ne retrouve pas dans la danse contemporaine »2. Comme
expliqué plus haut, la classification d’une œuvre comme Magifique relève d’une grande
difficulté. Le public, ce soir-là, a assimilé ce qu’il a vu à du classique ou néo-classique, parce
qu’il s’est positionné sur une technique et une esthétique du mouvement qui est, en effet, très
proche du classique. Pourtant nombreux sont ceux, Thierry Malandain le premier, qui
défendent l’association du style du chorégraphe au néo-classicisme. Lors de cette
représentation, trois pièces étaient présentées. Force est de constater que les spectateurs ont vu
une danse très académique mais aussi très contemporaine, notamment dans L’Amour sorcier.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut associer de manière directe les deux autres pièces à la
danse classique ou néoclassique ! Cet exemple montre bien la complexité des formes qui
empruntent à la danse classique, d’autant plus que Thierry Malandain sublime souvent la
technique classique.
Conclusion
Le mélange entre classique et contemporain donne nécessairement et
incontestablement une multitude de formes. La modernité peut être développée de manière
très différente, à tel point qu’elle tisse sa toile aux confins de plusieurs arts et de plusieurs
techniques. Le langage dansé s’en retrouve épanoui, décuplé, inventif et créatif. Pour ce qui
est du métissage entre classicisme et contemporanéité, certains s’accordent à dire que les
formes qui en découlent restent toutefois très académiques. Cependant, comme énoncé plus
haut, ce fort retour à l’académisme ne s’est pas opéré par hasard et touche de nombreux
1 Magifique (2009), La Mort du Cygne (2002) et L’Amour sorcier (2008), salle Alizé, Muret (Haute Garonne), le 02 avril 2011. 2 Propos d’une spectatrice lors de la représentation du 02 avril 2011.
62
chorégraphes encore aujourd’hui. D’autres problématiques se soulèvent quand la danse
contemporaine touche à l’univers classique, en ce sens que réintégrer des éléments tels que la
musique, les mouvements, les costumes, etc., participent à remettre un patrimoine au goût du
jour et à en réinventer les limites ainsi que les possibilités. L’existence de ces formes
démontre que de nombreux chorégraphes opèrent un retour en arrière, non seulement pour
prendre conscience d’un passé technique, mais aussi pour mieux pouvoir appréhender la
danse d’aujourd’hui. L’idée est de s’imprégner du passé pour mieux le conjuguer avec le
monde actuel et mieux le transmettre aux générations futures. Car il s’agit bien de cela
aujourd’hui. La danse contemporaine cherche à laisser sa trace et dépasser son caractère
éphémère : certains chorégraphes, chacun à leur manière, ont donc pensé à la suite comme
Dominique Bagouet, Pina Bausch, Merce Cunningham, Maurice Béjart pour les disparus, ou
Angelin Preljocaj qui, lui, fait noter ses créations. Il y a une vraie prise de conscience du
patrimoine et de ce qu’il peut apporter de nouveau. L’histoire de la danse est ainsi remaniée et
réinventée, les siècles pouvant se rapprocher ou s’éloigner à la guise des chorégraphes. Ceci
confère finalement à la danse un pouvoir puissant de création, puisqu’il y a d’un côté les
artistes qui vont puiser dans le passé tout en étant traversés par des dimensions totalement
contemporaines, et d’un autre côté les chorégraphes qui se défendent d’entrer dans un certain
académisme pour créer en rejet radical de tous les aspects de la scène conventionnelle.
63
Conclusion
Il y a donc plusieurs manières de faire référence à la danse classique dans les pièces
contemporaines. Les chorégraphes opèrent des choix qui déterminent nécessairement leurs
créations mais aussi, bien souvent, leur écriture. En réponse à leur quête du mouvement, de la
conscience du corps, du sens du geste, ils se plongent plus ou moins volontairement dans le
bain de la tradition. Le but n’est pas de rester cantonné au passé mais bien évidemment de
servir la danse dans son évolution, de proposer des formes nouvelles. Ces dernières
réinterrogent alors la danse dans sa pratique, dans ses ambitions, dans son regard porté sur le
monde. Ces œuvres qui découlent du métissage entre classique et contemporain peuvent
prendre deux angles différents : elles investissent la scène sous formes de relectures de ballets
classiques, ou elles donnent à voir certains éléments de la danse classique (chaussons,
musique, chorégraphie, narration, etc.). Ces pièces restent pour autant connectées au monde
actuel. Par exemple, la Gisèle de Mats Ek, se retrouve transportée dans un hôpital
psychiatrique tandis que Matthew Bourne transpose son Lac des Cygnes dans un milieu
homosexuel constitué uniquement de danseurs. D’autres prennent le parti de proposer des
univers qui éloigneront le spectateur de son quotidien le temps de la pièce. Magifique est par
exemple, une invitation à un retour en enfance tout comme Blanche Neige d’Angelin
Preljocaj. Ce n’est pas pour autant que ces artistes s’adonnent uniquement à créer des pièces
oniriques. Thierry Malandain se revendique comme étant un artiste conscient du monde qui
l’entoure mais il s’offre parfois l’envie de laisser son public s’échapper de la réalité. Certains
s’accorderaient à dire que cette manière de fonctionner relèverait du divertissement. D’autres
préfèrent voir en ces intentions l’idée d’amener un large public à la danse.
Peut-être que la solution la plus sage serait d’appréhender ces œuvres comme étant
porteuse d’un patrimoine. Elles participent, avec plus ou moins de respect, à réveiller une
tradition. Ce système fait les beaux jours de l’académisme et ainsi de la danse contemporaine
car il suppose une création prolifique. Par rapport à ce phénomène, il est donc intéressant de
se pencher sur ce qu’implique la problématique du patrimoine. De quelle manière cette
régénérescence de la tradition s’opère sur le public ? En quoi la médiation culturelle peut-elle
jouer sur la réception de ces œuvres dans ce processus de « patrimonialisation » et
d’innovation ?
64
Partie 2
Un patrimoine réactualisé : pour quels publics et quelle médiation ?
65
Introduction
Une réflexion sur les formes chorégraphiques créées à la frontière entre la danse
classique et la danse contemporaine ne peut occulter la question du public. Ce dernier
interroge intrinsèquement des questions liées à la médiation culturelle. Les œuvres traitées
danse ce mémoire n’ont pas toutes des ambitions communes, mais à travers la partie
précédente, il est indéniable que ces dernières entretiennent un rapport plus ou moins direct
avec la notion de patrimoine. C’est un facteur qui mérite donc d’être pris en compte dans la
relation de ces pièces au public et dans leurs possibles médiations. Cependant, ce n’est pas la
seule problématique que soulève le métissage entre classique et contemporain. En effet,
comme évoqué plus haut, ces œuvres supposent des difficultés de classification, pourtant leurs
passages sur scène imposent naturellement aux acteurs culturels d’opérer certaines
catégorisations. Ces dernières ne doivent pas dénaturer l’œuvre mais ne doivent pas non plus
l’enfermer trop hâtivement dans un genre plutôt qu’un autre.
Outre ces interrogations, il est intéressant de se pencher sur la question des publics de
la danse, de mettre au jour leurs pratiques et de voir quels spectateurs seraient les plus
réceptifs à ces formes qui mélangent tradition et modernité. Un travail préalable est ainsi
nécessaire sur la connaissance des publics de la danse mais aussi sur la manière dont se
manifeste leur réception. Cette dernière reste particulière à la danse puisqu’elle met en jeu
autant les sensations corporelles que des modalités d’appréhensions cognitives. Ce passage
mène indéniablement à une réflexion sur la médiation culturelle, et plus particulièrement celle
de la danse. Comment la médiation culturelle peut-elle saisir ces nouvelles formes ? Y a-t-il
un axe particulier à dégager dans le cadre de ces œuvres ? Faut-il spécifier la particularité de
ces œuvres dans leur contribution à faire émerger un patrimoine ?
A l’heure où la danse classique fait les beaux jours de l’Opéra de Paris et de certains
ballets en province, où la définition de la danse néoclassique, toujours présente sur scène
grâce aux mêmes compagnies classiques reste difficile, et où la danse contemporaine a pris
une ampleur considérable, il semble intéressant de mettre en œuvre une réflexion sur la
médiation de ces œuvres qui finalement investissent le lien entre ces trois genres. Comment
peut-elle s’emparer de ces éléments pour instaurer un rapport sensible entre le public et ces
formes ? Faut-il nécessairement évoquer l’actualisation d’un patrimoine ? Autant de questions
qui méritent réflexion…
66
Chapitre 1 : Des formes chorégraphiques qui participent à la
patrimonialisation de la danse
Introduction
L’idée qui ressort de la première partie de ce mémoire suppose certaines questions. En
effet, les œuvres traitées dans ce mémoire offrent au public, explicitement ou implicitement,
un regard particulier sur l’histoire de la danse classique. Elles réactualisent un patrimoine qui,
comme le souligne Marie Claude Pietragalla, fait partie intégrante d’un passé commun et
d’une identité commune à la France. Outre ces réflexions, les chorégraphes opèrent un retour
au passé pour réaliser une introspection sur leurs pratiques, cependant les modalités de
création n’en sont pas pour autant réduites et les chorégraphes dispose d’une très grande
liberté par l’assemblage du classique et du contemporain. Comme évoqué précédemment, leur
volonté n’est pas de faire régresser l’évolution mais au contraire de déployer de manière
exponentielle de nouvelles formes qui viennent réinterroger la danse contemporaine.
Actuellement, les réflexions vont également dans le sens de ce phénomène. Ce n’est
pas anodin si Montpellier Danse a programmé une conférence nommé « Le Répertoire à la
pointe du contemporain ? ». De nombreux ouvrages manifestent cette même inquiétude,
tandis que certains auteurs signifient que c’est aussi peut-être le propre de la danse d’être un
art éphémère par excellence. Dans ce cas-là, faut-il aller à l’encontre de cette « fatalité » ? Les
œuvres faisant référence à la danse classique, que ce soient des relectures ou des pièces
contemporaines empruntant des éléments, restent peut-être une possibilité de conserver le
meilleur de l’héritage de la danse.
Il semble évident de traiter de la notion du patrimoine avant de s’intéresser à la
manière dont ces œuvres peuvent contribuer à la patrimonialisation de la danse. Ce point
permettra d’appréhender par la suite la question du public et de la médiation.
67
2.1.1 La notion de patrimoine et la question de la patrimonialisation
D’après Agnès Izrine1, la notion de patrimoine s’est développée au début du XXème
siècle. Elle est née en parallèle de l’avènement de la démocratie et de la naissance d’une
classe moyenne. D’autre part, la notion de répertoire existe depuis la seconde moitié du XXème
siècle. C’est donc à partir de ce moment-là que la danse se retrouve dans une perspective
d’ouverture au plus grand nombre.
Le sens du mot patrimoine va se construire petit à petit. Il vient du latin patrimonium
qui signifie « héritage du père ». Cette racine sous-entend l’idée de filiation et de
transmission : « Le patrimoine, au sens où on l’entend aujourd’hui dans le langage officiel et
dans l’usage commun, est une notion toute récente, qui couvre de façon nécessairement vague
tous les biens, tous les “trésors” du passé »2. Cette conception suscite divers degrés de
compréhension et différentes manières de l’envisager. Cet ouvrage consacré à La Notion de
patrimoine indique que cette conception peut être entreprise tant dans le domaine privé que
dans le domaine public. Ainsi, les auteurs consacrent des chapitres au fait religieux, au fait
monarchique, au fait familial, au fait national, au fait administratif et au fait scientifique. Le
patrimoine peut autant être individuel que collectif et consacré à divers objets. Ceci implique
qu’il est aussi bien matériel qu’immatériel supposant alors une prise en compte des biens
artistiques. L’élément déclencheur de cette considération est la Révolution Française. « Le
sens du patrimoine, c’est-à-dire des biens fondamentaux, inaliénables, s’étend pour la
première fois en France aux œuvres d’art, tantôt en fonction des valeurs traditionnelles qui
s’y attachent et qui les expliquent, tantôt au nom de ce sentiment nouveau d’un lien commun,
d’une richesse morale de la nation entière »3. Ainsi, la notion du mot patrimoine ne prend son
sens actuel qu’à partir de la Révolution Française et, avec la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen de 1789 naît l’idée que les biens nationaux appartiennent à tous. Dès
cette période, la création d’une liste des monuments à conserver et à détruire devient
primordiale. Plus tard, sous le Premier Empire, cette prise de conscience s’étend en province
et les préfets sont chargés de lister les monuments notables de leur circonscription et bientôt
l’Etat se superpose aux particuliers pour assurer la sécurité des biens, notamment les
1 A. IZRINE, B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse. 2 J.P. BABELON, A. CHASTEL, La Notion de patrimoine, Paris, Liana Levi, janvier 1995, p. 11. 3 Ibid., p. 58.
68
monuments mais aussi les œuvres d’art. Ces dernières font d’ailleurs preuve de toutes les
attentions puisque c’est également l’époque où naissent les premiers musées. Il y a donc un
réel désir de conservation pour l’intérêt commun, pour les générations futures : la restauration
prend ainsi naissance.
La notion de patrimoine est donc différente selon les pays et les régimes politiques
ainsi que les aléas de l’histoire. En France, aujourd’hui encore, il est implicitement
indispensable de conserver ces biens qui participent à la mémoire collective. Dès 1972,
apparaît avec l’UNESCO la notion de patrimoine mondial. Elle part du principe que les
humains ont des œuvres communes qu’il est capital d’entretenir. Ainsi, « par hypothèse […]
le concept de patrimoine peut s'articuler sous trois rubriques. La première constate ce qui du
passé mérite d'être conservé ; la seconde touche aux motivations qui conduisent à accepter le
passé ou à le rejeter ; la troisième, d'ordre pratique, concerne les modalités par lesquelles le
patrimoine a été progressivement apprécié, conservé et transmis »1. Outre ces
caractéristiques, la notion mérite d’être étendue, notamment lorsqu’elle touche le domaine
culturel. C’est le Conseil de l’Europe qui consacre cette réflexion, avec l’article 2 de la
convention dite de Faro : « Le patrimoine culturel constitue un ensemble de ressources
héritées du passé que des personnes considèrent, par-delà le régime de propriété des biens,
comme un reflet et une expression de leurs valeurs, croyances, savoirs et traditions en
continuelle évolution »2. Celui-ci peut alors être matériel ou immatériel. L’UNESCO œuvre
ainsi en faveur d’un patrimoine vivant et il se dégage donc une véritable conscience que le
patrimoine ne passe pas uniquement par la conservation des bâtiments historiques ou des
tableaux anciens. Il y a une réelle volonté de considérer cette notion, au-delà de la matérialité
des objets, pour envisager un ensemble de caractéristiques qui participent à la culture d’une
nation. La danse est donc nécessairement incluse dans cette considération. La preuve en est
que la notion de répertoire est devenue implicite pour certaines grandes compagnies,
notamment pour l’Opéra de Paris qui se donne pour mission la conservation et la diffusion
d’œuvres capitales du passé. Ce répertoire est donc constitutif d’un patrimoine, celui d’une
compagnie mais aussi celui qui admet la fabrication d’une mémoire collective avec ses
valeurs, ses croyances et ses savoirs. Ceci introduit l’idée d’une transmission dans la tradition
de certains savoir-faire, de certains pas, de certains mouvements, de certains agencements
1J.M. LENIAUD, « Patrimoine, art » [en ligne], Encyclopédie Universalis, Disponible sur : < http://www.universalis-edu.com.rproxy.univ-provence.fr:2048/encyclopedie/patrimoine-art/ > (consulté le 15/04/11). 2 Ibid.
69
scéniques, de certaines connaissances, etc. Le patrimoine contribue donc à donner une valeur
pérenne à certains objets. C’est notamment le cas de la danse classique. Elle est, comme le
mentionne Marie Claude Pietragalla, représentative de l’exception culturelle de la France, et
notamment grâce à la compagnie de l’Opéra de Paris, elle fait rayonner la France dans le
monde entier.
Le patrimoine est donc le résultat d’une prise de conscience humaine qui procède
d’une mise en réflexion du passé. Cette considération est tout de même propre au monde
occidental. De plus, elle est réellement le pur produit de l’humanité répondant à certains
besoins. De ce fait les processus de patrimonialisation ne répondent en aucun cas à un besoin
naturel : « Ils ne vont pas de soi. Ils expriment au contraire une affectation collective (sociale
donc) de sens ; laquelle découle d’un principe de convention. Ce dernier traduit un accord social
implicite (souvent territorialisé et institutionnalisé) sur des valeurs collectivement admises ;
témoignage tacite d’une indéniable identité partagée »1. Ainsi, la constitution d’un patrimoine
s’effectue à travers diverses démarches. Aujourd’hui, il y a un véritable engouement pour tout
ce qui est potentiellement patrimonial, à tel point que parfois, c’est la valeur symbolique qui
primera sur la valeur artistique de l’objet. Auparavant, certains critères entraient en compte
comme des canons esthétiques, des prouesses techniques, des contextes évènementiels, etc. La
crise de la modernité a donc enclenché le phénomène de patrimoine : « Pour qu’il y ait
patrimoine, il faut donc des processus (sociaux au sens complet du terme) de patrimonialisation,
soit des modalités bien précises de transformation d’un objet, d’une idée, d’une valeur en son
double symbolique et distingué, raréfié, conservé, frappé d’une certaine intemporalité (même s’il
est daté, paradoxe ?), soigneusement sélectionné… »2. Ainsi, certains facteurs, plus que d’autres
permettent de mettre au regard des éléments actuels avec un passé. La danse contemporaine peut
alors participer à la patrimonialisation de la danse au regard de cette citation.
1 G. DI MEO, « Processus et construction des territoires » [en ligne], Disponible sur : <http://docs.google.com/viewer?a=v&q=cache:8YLxS6JOChgJ:www.ades.cnrs.fr/IMG/pdf/GDM_PP_et_CT_Poitiers.pdf+patrimonialisation&hl=fr&gl=fr&pid=bl&srcid=ADGEESipGXIfj-_fFktoHLBUMFYwQWDvHVGZmdc8NtfBks846M4lG1uA2oujpie6aoHTe3nSY7gUmSmVkWHcHNwXfwqjmIq1vqnfdNmgnJZ2pqSpQI3Acx_O-im_GUOYlHaR7tlBEKZI&sig=AHIEtbRYfNve2Ik-a3EF80mKRobgLr1aWg >, (consulté le 18/04/11). 2 Ibid.
70
2.1.2 La danse contemporaine : une ouverture et une actualisation du
patrimoine chorégraphique
« La juxtaposition des différentes pièces classiques et contemporaines solidarise une
chaîne qui remonte le temps et ouvre une page de l’histoire de la danse. Plus question de
simplement connaître ses références : il s’agit de les vivre en direct, de les manipuler aussi
sur l’écran de son imagination. Le patrimoine devient alors une valeur sensible à savourer au
présent »1. Rosita Boisseau dans son Panorama des ballets classiques et néo-classiques pose
ainsi l’idée que la danse se donne au présent et se vit sur l’instant, n’échappant pas, toutefois,
à cette ferveur patrimoniale. Si pendant quelques temps le public français s’est totalement
désintéressé des œuvres du passé chorégraphique, la tendance s’inverse dès la moitié du
XXème siècle. Comme évoqué plus haut, le répertoire et sa transmission deviennent même les
préoccupations des chorégraphes contemporains qui cherchent à préserver leurs créations par
tous les moyens. La danse participe alors à la constitution d’une mémoire. « L’accélération du
temps, la vitesse, les mutations rapides qui sont le propre du XXème nous ont sans doute incités
à nous pencher sur notre passé avant qu’il ne soit trop tard »2. En parallèle, un nouveau
concept, dû à la naissance du Ministère des Affaires Culturelles en 1959, sous l’impulsion
d’André Malraux, apparaît. Il développe l’idée de démocratisation culturelle3 qui implique la
mise en avant d’œuvres de référence dont la visibilité doit être la plus large possible. Elles
doivent donc être portées sur scène au plus grand nombre. La pérennité des ballets est donc
devenue nécessaire : « Comme si le fameux « devoir de mémoire » avait envahi tous les
secteurs de notre société, et que la danse, longtemps considérée comme l’art de l’éphémère,
se devait brusquement de conserver ses traces ou de regarder en arrière »4. De plus, la danse
a souvent été considérée comme étant un art mineur. Ce n’est qu’à partir de 1981 qu’elle va se
poser en tant qu’art majeur, reconnue par l’institution.
1 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9. 2 A. IZRINE, « Le Répertoire, création du XXe siècle », Danser, n°308 – 2011, Paris, DDB Editions, p. 53. 3 Démocratisation culturelle : Notion, élaborée par André Malraux, à la création par décret le 24 juillet 1959 du Ministère des Affaires Culturelles, qui se traduit par la « mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent. ». Le fruit de cette volonté s’est porté sur la création des maisons de la culture visant à mettre directement le public en présence des œuvres et des artistes. 4 A. IZRINE, op. cit., p. 53.
71
Le répertoire est ainsi constitué d’œuvres qui ont « miraculeusement » survécues.
Grâce à certains artistes, notamment Marius Petipa, certains ballets classiques sont
aujourd’hui encore présents sur scène. Ces derniers ne sont en aucun cas identiques à leur
création, ils ont été transmis de génération en génération. Les chorégraphes ont ainsi adaptés
ces œuvres et ont permis l’avènement de la notion d’auteur en danse. Ceci résonne dans le fait
que la danse classique s’est finalement toujours réactualisée, sans jamais reproduire un ballet
à l’identique. C’est par exemple ce qu’explique Didier Deschamps, directeur sortant du CCN
de Nancy et futur directeur du Théâtre National de Chaillot. « La conservation, oui, le
conservatisme, non […]. Quand on prétend faire à l’identique une grande pièce du
répertoire, s’amuse-t-il, c’est soit une bêtise, soit de l’ignorance, soit un leurre, soit un
mensonge. […] Il y a des choses qu’on ne fait plus, ou même que l’on ne perçoit plus dans
une chorégraphie et qui, pourtant, étaient intéressantes à leur époque… Du coup, cela ouvre
de nouveaux champs de possibles »1.
Didier Deschamps décrit parfaitement ce que la conjugaison au passé suscite. La mise
en avant du patrimoine suppose des réflexions. A l’écoute du monde, la danse contemporaine
ne peut donc s’empêcher de le réinterroger. Les œuvres contemporaines qui empruntent à la
danse classique n’ont cependant pas pour ambition de conserver cette dernière. Pourtant, force
est de constater que ces œuvres enclenchent une autre manière de concevoir l’héritage
traditionnel cassant le principe de ballets éternels dont la forme et l’interprétation seraient
immuables. C’est par petites touches qu’agissent les chorégraphes actuels. Ce n’est pas pour
autant qu’ils occultent l’idée de transmission de certains mouvements, de certaines narrations,
de certaines musiques, etc. Toutefois cette transmission procède d’une alliance avec la
nouveauté.
La danse, selon la définition donnée dans la première sous-partie de ce chapitre,
montre divers procédés de patrimonialisation. Il y a donc la construction d’un répertoire qui
permet au public de retrouver des pièces anciennes. Dans un cadre donné, les ballets sont
remontés selon des critères très spéciaux et dans le respect le plus total de sa création
classique. « C’est en 2009 par exemple que certains spectateurs de l’Opéra de Paris ont eu la
chance de voir Troisième Symphonie de Gustav Mahler chorégraphiée en 1975 par John
Neumeier. Trente-quatre ans après sa création, cette rareté très décalée au regard de la
production actuelle pointe un fait somme toute banal mais qu’il vaut toujours de signaler :
1 Propos de Didier Deschamps dans A. IZRINE, « Le Répertoire, création du XXe siècle », Danser, n°308 – 2011, Paris, DDB Editions, p. 55.
72
l’histoire de la danse s’écrit en dehors de toute chronologie »1. Amener sur scène des œuvres
telles que celle-ci participe nécessairement à la patrimonialisation de la danse. En effet,
comme le dit Rosita Boisseau, l’idée, ici, est que des œuvres rares soientt présentées
actuellement et en ce sens, elles s’inscrivent dans une histoire. Le répertoire est donc
l’élément le plus propice à la construction d’un patrimoine de la danse. Plusieurs facteurs
sociaux évoqués au début de ce sous-chapitre ont permis l’avènement d’un souci du passé,
même en danse, d’autant plus que le public a l’impression d’effectuer un retour au passé, de
voir quelque chose qui a traversé le temps. En cela, il porte un vif intérêt aux ballets
classiques. Il est clair que les ballets qui fonctionnent encore sont cependant ceux qui
procurent toujours des sensations vives. Lorsqu’elle aborde Le Lac des Cygnes, Rosita
Boisseau affirme qu’ « il ouvre aussi des pistes de réflexion insoupçonnées selon les moments,
selon aussi les danseurs. La vision des interprètes se colore de nuances liées à l’époque et
distingue parfois les détails que l’on n’avait peut-être pas perçus ou différemment. Cette
capacité des œuvres majeures à sans cesse repousser leurs cadres aussi stricts soient-ils, en
reconduisant l’attente du public, explique sans doute leur longévité »2. Il est donc intéressant
de noter que l’intemporalité procède d’une interprétation à chaque fois nouvelle de l’œuvre.
Le répertoire qu’il soit classique ou contemporain est donc l’élément essentiel d’un processus
de patrimonialisation de la danse. Il reste la manière officielle de constituer un patrimoine qui
conserve les œuvres du passé et, instauré par de nombreuses compagnies, la danse ne peut y
échapper.
Des formes beaucoup plus indirectes participent également à la patrimonialisation de
la danse. Il y a bien évidemment des écrits, des peintures, des images, des vidéos, etc. Des
expositions peuvent recenser des costumes et des décors, d’autres des photographies. Des
centres de ressources bien documentés permettent de mettre en avant l’histoire de la danse
classique mais aussi contemporaine. Et puis, plus indirectement, les œuvres opérant le
métissage entre tradition et modernité sont des facteurs qui constituent peu à peu la rénovation
d’un patrimoine. Au-delà de renouveler des œuvres du passé, il permet la confrontation de
celles-ci à leurs homologues classiques, et ceci rend possible un chassé-croisé donnant une
dimension historique à la danse. Ces pièces réinvestissent les codes de la danse classique pour
en proposer une dimension totalement contemporaine. Par ce phénomène, elles participent
nécessairement au processus de patrimonialisation de la danse. Elles transforment l’objet et
1 R. BOISSEAU, Panorama des ballets classiques et néo-classiques, Paris, Textuel, novembre 2010, p. 9-10. 2 Ibid., p. 8.
73
font nécessairement appel à son double antérieur. Celui-ci devient alors un objet symbolique.
En ce qui concerne les relectures, même si les œuvres ne sont pas conservées à l’identique,
elles permettent cependant de raréfier et de distinguer le ballet originel. Elles conduisent alors
l’intemporalité de celui-ci. En effet, les pièces revisitées démontrent que les caractéristiques
des chorégraphies originales ont traversé le temps et sont toujours opérationnelles. Outre ces
créations dont l’intention repose en la réappropriation d’un objet préexistant, les pièces
contemporaines, par leurs références à la danse classique, mettent également en œuvre ce
processus de patrimonialisation. Elles revendiquent plus ou moins directement des positions
historiques qui sont ancrées dans les codes de l’esthétique traditionnelle. L’utilisation d’un
tutu, du chausson de pointe, de la musique d’un ballet de répertoire, d’une gestuelle classique,
met en avant un certain héritage constitué pendant près de quatre cents ans. Ces références
permettent le même retour au passé que suscitent les relectures. Elles remettent au jour le
patrimoine tout en le considérant comme rare et exceptionnel. A la lecture de la première
partie de ce mémoire, il est indéniable que les intentions des chorégraphes se posent dans
d’autres problématiques. Malgré ce fait, qu’ils le veuillent ou non, ces artistes, par la création
d’œuvres croisant la danse classique avec la danse contemporaine, initient la
patrimonialisation de la danse. Pas seulement parce qu’ils la mettent au goût du jour, mais
surtout par ce qu’ils impliquent un retour en arrière, ce qui permet de « sacraliser » l’œuvre, la
technique, le costume, la musique, etc. traditionnels.
Conclusion
Un sens aigu du patrimoine s’aiguise grâce à un contexte particulier dont l’existence a
permis l’émergence d’une considération notoire de l’héritage commun. Ainsi, pour qu’un
processus de patrimonialisation se détermine, il faut qu’une interaction dynamique et
dialectique d’acteurs se mette en place. C’est le cas en ce qui concerne les œuvres
chorégraphiques. Il y a d’un côté une réelle prise de conscience qui se traduit par la
constitution d’un répertoire, où chaque pièce est transmise au public de manière la plus
représentative du passé. D’un autre côté, se mettent en place des alternatives qui convoquent
l’héritage classique d’une autre façon. De manière évidente, les chorégraphes ne se
retranchent pas derrière cette idée de patrimonialisation de la danse, même s’ils sont de plus
en plus sensibles à dissimuler l’opposition entre classique et contemporain. Leurs
74
préoccupations en matière patrimoniale se composent surtout de la manière dont eux-mêmes
vont laisser une trace dans l’histoire de la danse. Cette perspective souligne une autre façon
d’engager la notion de répertoire. En effet, pour hisser leurs parcours chorégraphiques au
statut d’auteur en tant que tel, il faut proposer un vocabulaire particulier et se définir dans la
singularité. Ainsi, on peut assimiler les créations des artistes comme Merce Cunningham, Pina
Bausch, Trisha Brown ou encore Angelin Preljocaj comme étant constitutifs des répertoires de
leurs propres compagnies mais plus généralement d’un répertoire de la danse contemporaine.
En ce sens que celui-ci participe, d’ores et déjà, à sa mémoire collective.
Il existe donc un répertoire contemporain qui s’insère nécessairement dans l’histoire
de la danse. Toutefois, celui-ci n’est pas encore revisité. C’est la question que pose en suspens
Agnès Izrine dans l’ouvrage La Danse dans tous ses états : « En passant, personne ne s’est
jamais demandé pourquoi les chorégraphes français se référeraient sans cesse à des œuvres
qui, par nature, leur échappent. Pourquoi revenir sans cesse au XIXème siècle plutôt que de
relire des œuvres du répertoire contemporain qui, en un sens, devraient les concerner
davantage ? »1. Justement, peut-être que le contexte de cette ferveur patrimoniale a suscité
des envies de relectures chez les chorégraphes. Il ne faut pas oublier qu’une porte avait été
entrouverte, et promettait la voie royale aux formes mêlant danse classique et danse
contemporaine : « Toujours est-il que le style de Forsythe vient donner des réponses à ceux
que la mort et sa forme édulcorée, l’arrêt, angoissent, ainsi qu’à ceux qui rêvaient en secret
de recentrer la danse du côté de ses racines classiques, avec tout ce que cela comporte de
performance et d’amour de l’idéal. […] De surcroît, ce type de danse va offrir une alternative
aux plus réfractaires au contemporain, réconciliant enfin « tous les publics », y compris ceux
qui craignaient que l’on ne se roule par terre »2.
1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états. Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 137. 2 Ibid., p. 137.
75
Chapitre 2 : La réception de la danse et ses publics
Introduction
Parler d’œuvres sans aborder la question des publics et de la réception semble
inconcevable. C’est dans son rapport au spectateur que l’œuvre prend tout son sens. Il est
indéniable que les œuvres parlent du monde mais s’adressent à ceux qui agissent à l’intérieur
de celui-ci. La danse implique une relation particulière. D’une part, elle fait partie du
spectacle vivant qui suppose la création d’un lien entre l’objet et l’individu de manière
éphémère en un temps donné. Il est unique car, par essence, le même spectacle ne sera, par
exemple, en aucun cas représenté à l’identique deux soirs de suite, et parce qu’ils se jouent
dans l’instant, les arts vivants supposent le caractère de l’unicité. D’autre part, la danse
s’expose au public d’une manière différente que le théâtre, ou le chant car elle ne fait pas
appel à lui de la même façon. Bien évidemment, toutes les formes de spectacle vivant font
appel à la présence du corps sur scène et à son expressivité. En revanche, la danse n’a pour
seul langage que l’utilisation du corps et ses possibilités de mouvements peuvent permettre à
un chorégraphe de dégager sa propre écriture donnant un sens à ses créations.
Le public n’est donc pas confronté de la même manière à une chorégraphie qu’à une
pièce de théâtre. La réception de la danse sera par conséquent différente de celle des autres
arts vivants car elle fait appel au spectateur à plusieurs niveaux. Avant de les énoncer, il est
important pour cette partie de déterminer comment se constitue un rapport esthétique à
l’œuvre pour en venir spécialement à l’objet chorégraphique. En ce sens, il est intéressant de
déterminer du mieux possible comment peuvent se constituer les publics de la danse. En
conséquence, l’intérêt de cette partie repose également sur les rapports que peuvent susciter
les œuvres de danse qui mêlent les univers du classique et du contemporain. Ces nouvelles
formes impliquent-elles des rapports différents avec le public ? Supposent-elles des relations
esthétiques particulières ?
76
2.2.1. De l’expérience esthétique à la réception de la danse
Toute œuvre d’art déploie diverses fonctions et suppose des configurations presque
uniques à chaque spectateur. Le rapport qu’il entretient avec un objet artistique est de l’ordre
de l’expérience esthétique qui induit deux manières et deux niveaux d’appréhension. Ici,
l’expérience esthétique sera donc comprise comme celle qui convoque aussi bien le champ
cognitif que le champ sensible de l’individu. Elle implique une mise en sens de ce dernier.
L’esthétique est en prise directe avec l’humain car elle peut faire appel à lui par divers
moyens. Jean Marie Scheaffer, dans son ouvrage Les Célibataires de l’Art, entreprend une
conception anthropologique de la relation esthétique à l’œuvre. Pour lui, « la conduite
esthétique […] est celle d’un fait anthropologique, d’une activité qui prend place tout
naturellement dans l’ensemble de nos conduites fondées sur notre relation cognitive au
monde »1. Cependant, on ne peut nier le fait que le lien qui s’établit entre un individu et une
œuvre suppose également une phase sensible. L’idée première est, bien entendu, que
l’expérience esthétique crée un trouble chez le spectateur. Si pendant un temps la philosophie
de l’art assimilait ce trouble à la Beauté, aujourd’hui, il est plus sage de la considérer comme
mettant à l’épreuve nos représentations du monde en ce sens que le rapport à l’art doit
questionner, interroger, donner un regard critique, susciter la réflexion sur le lien qu’entretient
l’individu au monde. Que l’expérience artistique soit agréable ou non, l’importance de ce
phénomène repose sur la façon dont l’art agit sur le sujet, qu’il participe au sensible et à la
connaissance, tout en venant modifier son rapport au monde. En effet, avant tout, l’expérience
relève d’une relation que le sujet entretient avec son environnement, l’objet sur lequel porte
son intérêt et la manière qu’il a de se concentrer, de porter son attention sur celui-ci. Il est
nécessaire de spécifier que « ce n’est pas l’objet qui rend la relation esthétique mais la
relation à cet objet qui rend celui-ci esthétique »2. L’expérience esthétique se situe ainsi au
cœur de la relation entre l’œuvre et celui qui la contemple. Ceci implique que la réception
esthétique peut conduire alors à une forme d’autonomie du jugement en ce sens que le sujet
porte un regard individuel sur l’œuvre à laquelle il est confronté. Ce dernier passe donc
nécessairement par sa cognition mais aussi par son appréhension sensible de l’objet culturel.
1 J.M. SCHAEFFER, Les Célibataires de l’Art – Pour une esthétique sans mythes, Paris, Gallimard, Coll. nrf essais, février 1996, p. 345. 2 P. GUISGAND, « Réception du spectacle chorégraphique : d’une description fonctionnelle à l’analyse esthétique » [en ligne], Disponible sur : < http://documents.univ-lille3.fr/files/espaces/pers/30/P6730/partage/Licence%20S4/Analyse%20chor%C3%A9graphique%204/R%C3%A9ception%20du%20spectacle%20chor%C3%A9graphique.pdf >, (consulté le 20/04/11).
77
Il doit mettre en œuvre une modification plus ou moins importante de notre rapport à l’œuvre.
A ce titre-là, Jean Marie Scheaffer signale que « le grand art n’est pas celui qui nous plaît
perceptuellement, mais celui qui nous dérange intellectuellement »1. De plus, l’expérience
esthétique ne peut pas non plus être totalement démantelée et détournée de connaissances ou
de pratiques antérieures de l’individu. Toutefois, celle-ci fait appel à la cognition et à la
faculté intellectuelle, mais il est indéniable qu’elle recouvre aussi une part
d’incontrôlable : « Parce que le monde réel, celui dans lequel nous vivons, est fait de
combinaison de mouvements et de points culminants, de ruptures et d’unions reformées,
l’expérience de l’être vivant est susceptible de posséder des qualités esthétiques. L’être vivant
perd et rétablit de façon récurrente l’équilibre qui existe entre lui et son environnement. Le
moment où il passe du trouble à l’harmonie est un moment de vie extrêmement intense »2.
Ainsi, généralement, le jugement qui découle de la relation entre l’objet artistique et le sujet
participe à sa connaissance du monde et donc à son appréhension.
La danse participe à cette relation esthétique particulière, mais elle peut susciter des
modes de réceptions uniques en leur genre. Elle « peut parler à l’imagination de chacun sans
passer par un discours explicatif. La perception d’un corps en mouvement déclenche des
ouvertures d’imaginaire, des cheminements intérieurs propres à chacun, et qu’il serait bien
impertinent d’aller contrôler, ou même orienter »3. A l’image de la réflexion de Laurence
Louppe, il devient évident que la réception de la danse passe plus facilement par le rapport
sensible que par l’intention intellectuelle. En revanche, elle doit engager des questions sur le
monde qui l’entoure.
Comme toute analyse esthétique, le jugement passe par des éléments qui sont presque
basiques, constituant un simple cadre de lecture. Entrent en jeu plusieurs « ingrédients » :
conception de l’espace scénique, proposition des décors et des costumes, univers sonore,
projection de lumières, temporalité de l’œuvre, formes corporelles, écriture chorégraphique,
qualités énergétiques, relations entre les danseurs, rapports aux objets, interprétation,
références à d’autres chorégraphes, œuvres ou techniques. Au-delà, pour les connaisseurs,
d’autres possibilités d’analyse peuvent avoir des intérêts. Quelques repères leur permettent là
encore de se constituer un jugement sur l’œuvre à laquelle ils sont confrontés. Les appuis des
1 J.M. SCHAEFFER, Les Célibataires de l’Art – Pour une esthétique sans mythes, Paris, Gallimard, coll. nrf essais, février 1996, p. 127. 2 J. DEWEY, L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 2010, p. 55. 3 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, mars 2004, coll. Libraire de la Danse, p. 12.
78
danseurs peuvent alors déterminer la manière dont le poids du corps est déplacé et comment la
gravité est ressentie. Les mouvements analysés seront alors les sauts, les élans, les élévations,
ou les portés. Ceci est mis en relief par l’intensité donnée aux gestes. On peut assimiler cette
dernière à la manière dont les flux d’énergies traversent le corps des danseurs. Le rythme est
également une valeur importante qui module les actions des interprètes et permet ruptures ou
accélérations, jeux de poids, distributions plus ou moins importantes d’énergies, successions
d’appuis qui permettent de mettre en avant un phrasé et des variations du déroulement
temporel. Celui-ci est indéniablement perçu par tous les spectateurs, même les moins avertis.
Le rythme suscite également un rapport à la musique, il induit que cette temporalité spécifique
soit plus ou moins en adéquation avec ce que lui apporte le support sonore. Au-delà de cette
conception, la musicalité du mouvement interagit à travers des formes. Ces dernières
supposent également une interprétation et c’est à ce stade-là, que la dimension affective entre
en jeu. Les danseurs incarnent ainsi ces formes, ce qui rend la perception de la chorégraphie
parfois plus difficile. En effet, l’interprétation est parfois totalement déconnectée de la forme
comme le veut la postmodern dance. Le corps se met finalement au diapason des états d’âme,
c’est ce qui, communément en danse contemporaine, s’assimile à des états de corps. Philippe
Guisgand prolonge la réflexion : « L’expression nous renvoie ici au double sens du terme
interprétation. Le danseur est interprète en rendant visible les formes corporelles choisies par
le chorégraphe, mais il doit également motiver son mouvement, retrouver les états qui ont
présidé à sa création, faire naître à nouveau les champs d’intensité qui permettent l’existence
du mouvement »1. Le geste du danseur est donc coloré d’un sentiment, d’un désir, d’une
sensation, d’une émotion. Outre ces éléments qui offrent un cadre au jugement esthétique
d’une chorégraphie, celui-ci passe également par des appréhensions qui échappent
naturellement au spectateur. La réception se trouve au cœur de sensations uniques à la danse.
De nombreux auteurs émettent des hypothèses quant à la relation entre le regardeur et
la pièce dansée et certains s’accordent à dire que lorsqu’un spectateur assiste à une pièce
chorégraphique, il s’effectue un dialogue entre le corps du danseur et le corps du spectateur.
Ces suppositions ne sont certes pas automatiques mais gagnent à être énoncées. « Le
mouvement de l’autre met en jeu l’expérience propre du mouvement de l’observateur :
l’information visuelle génère, chez le spectateur, une expérience kinésique (sensation interne
1 P. GUISGAND, « Réception du spectacle chorégraphique : d’une description fonctionnelle à l’analyse esthétique » [en ligne], Disponible sur : < http://documents.univ-lille3.fr/files/espaces/pers/30/P6730/partage/Licence%20S4/Analyse%20chor%C3%A9graphique%204/R%C3%A9ception%20du%20spectacle%20chor%C3%A9graphique.pdf >, (consulté le 20/04/11).
79
des mouvements de son propre corps) immédiate, les modifications et les intensités de
l’espace corporel du danseur trouvant ainsi leur résonance dans le corps du spectateur »1.
Ceci agit pour la danse classique mais notamment pour la danse contemporaine. Cette
dernière laisse en effet, de par la liberté de mouvement, beaucoup d’ouverture
d’interprétation. En voyant un corps se déplacer sur scène, il se peut que le spectateur soit
transporté dans la perte de son propre poids du corps. Cette transposition est d’autant plus
probable qu’en danse contemporaine, les corps des danseurs ne sont pas systématiquement
hors norme et ne font pas toujours appel à la virtuosité. L’expérience kinésique peut donc
s’établir comme toute expérience esthétique. La transposition corporelle, qui agit sur le
regardeur, est alors l’objet d’un trouble : ayant perdu la certitude de son propre poids,
l’observateur devient en partie le poids de l’autre. C’est un ressenti qui n’est en effet pas
vraiment commun. Philippe Guisgand prolonge la compréhension de cette sensation : « Mais
l’essentiel réside dans le fait que cette contamination kinesthétique du spectateur par le
danseur (qui fait que nous nous sentons « bougés » à la vue du mouvement) ouvre un monde
commun à l’acteur et à son public fondé sur le sentir ; dès lors, percevoir un mouvement,
c’est aussi être soi-même le mouvement. Et c’est ainsi que le mouvement fait sens »2. Cette
« transfusion » de corporéité n’est pas seulement vécue par le regardeur, c’est également un
élément important pour le danseur car il s’agit pour lui d’un partage dont son corps est le
principal objet. Pour Hubert Godard, « se joue une aventure politique (le partage du
territoire) »3. Ainsi, la signification du mouvement se joue autant à travers le corps du
danseur que celui du spectateur. Dans cette perception s’invite aussi un héritage acquis. La
réception de la danse, convoquant parfois le corps, peut également supposer la résonnance
d’un réseau complexe d’apprentissages et de réflexes qui déterminent la particularité du
mouvement de chaque individu ainsi que sa façon de percevoir les gestes des autres. La
perception et la réception de la danse peuvent donc agir, selon certains auteurs, sur le corps
des spectateurs même si ce phénomène n’entre pas toujours en jeu.
La réception de la danse agit de manière à la fois très simple mais aussi complexe sur
le spectateur. D’autant plus que l’expérience esthétique reste particulière à la danse et la
1 H. GODARD, Postface « Le geste et sa perception » dans I. GINIOT, M. MICHEL, La danse au XXe siècle, Larousse, Paris, octobre 2008, p. 210. 2 P. GUISGAND, « Réception du spectacle chorégraphique : d’une description fonctionnelle à l’analyse esthétique » [en ligne], Disponible sur : < http://documents.univ-lille3.fr/files/espaces/pers/30/P6730/partage/Licence%20S4/Analyse%20chor%C3%A9graphique%204/R%C3%A9ception%20du%20spectacle%20chor%C3%A9graphique.pdf >, (consulté le 20/04/11). 3 H. GODARD, op. cit., p. 210.
80
réception qui en découle n’en est pas moins simple. En effet, d’après Hans Robert Jauss,
créateur du concept de l’horizon d’attente (développé en sous partie 2.2.3), il faut réunir tous
les éléments qui participent à la réception, en ce sens qu’ils se réfèrent à l’histoire sociale,
l’histoire de l’art ou l’histoire personnelle de chacun. Ainsi, le rapport entre l’art et un
individu se construit selon « l’expérience de vie » de chacun en fonction de donnés liées au
sujet, à son époque et à l’œuvre. La réception est un phénomène propre à chaque être humain
qui se vit comme une expérience intériorisée, située aux frontières de plusieurs réalités
(individuelle, artistique, historique et sociale). C’est pourquoi, après avoir vu un spectacle, il
est parfois difficile pour un individu de dire ce qu’il a vu. En effet, il lui faut un temps de
digestion sur la manière dont son corps a vécu la chorégraphie et cette réception convoque
divers éléments qui permettent d’établir un jugement soumis à l’expérience esthétique de
l’individu. Bien évidemment, celle-ci est beaucoup plus parlante en ce qui concerne la danse
contemporaine. Certaines différences peuvent avoir lieu dans la réception de la danse
classique, mais il est intéressant d’aborder ce point dans la troisième sous-partie de ce chapitre
qui traite particulièrement des œuvres qui conjuguent classicisme avec contemporanéité. Entre
temps, il semble nécessaire de s’interroger sur les publics de la danse. Y-a-t-il un type de
public, pour un style d’œuvres ou au contraire ces derniers se mélangent-il ? Comment
intègrent-ils leurs pratiques dans le paysage chorégraphique actuel ?
2.2.2. Les publics de la danse
Avant de déterminer les publics de la danse, il est important de dégager la notion
même de public. Celle-ci interroge, d’après Antigone Mouchtouris, « sur l’être dans l’espace
public et sur la manière dont cet espace le façonne, dans une temporalité donnée »1. Elle
continue et affirme que « durant cette temporalité et dans une spatialité donnée, l’individu va
en effet se priver de son individualité pour pouvoir faire partie d’une unité qui lui permet
d’être en contact avec autrui. Les individus se rencontrent mais chacun d’entre eux est
distinct en lui-même et par soi. Cette unité se construit dans un instant et, par conséquent,
cette temporalité transforme un groupe d’individus en une unité : le public »2. Le public est
1 A. MOUCHTOURIS, Sociologie du public dans le champ culturel et artistique, Paris, L'Harmattan, 2003, coll. Logiques Sociales, p. 14. 2 Ibid., p. 14.
81
donc le fruit d’une cohésion spatio-temporelle qui est constitutive et qui construit du lien
social. L’ “unité” dont parle Antigone Mouchtouris, dans son ouvrage Sociologie du public
dans le champ culturel et artistique, est considérée comme porteuse de pratiques spécifiques.
La notion de public induit automatiquement un rapport à l’œuvre. Il s’établit une
relation entre les spectateurs eux-mêmes et l’œuvre ou l’objet culturel. Ce qu’il faut
également noter c’est le fait que « dans le secteur culturel et artistique, la complexité des
rapports qui peuvent être entretenus entre l’objet proposé – le lieu – et les convictions de la
personne dues à son éducation familiale et scolaire, sont réunies pour former les conduites
sociales d’un public dans la sphère publique »1. Il est donc important d’analyser un public en
tenant compte de ses différences. Ainsi, prendre en compte le public dans son ensemble
revient à le considérer dans son “unité” mais également dans sa diversité. C’est pour cela qu’il
est possible de parler “des publics”. Obligatoirement, le nombre important et la diversité de
propositions artistiques convoquent naturellement plusieurs publics. Si on les prend dans leur
dimension sociologique, chaque public peut correspondre à une ou plusieurs classes sociales,
une ou plusieurs catégories d’âge, une ou plusieurs préférences artistiques, une ou plusieurs
pratiques culturelles, etc.… Cependant, en tant qu’entité éphémère, un public est unique.
Pourtant, il est intéressant d’étudier des tendances pour avoir un ordre d’idée des spectateurs
de telle ou telle forme culturelle. Il faut quand même signaler que la plupart du temps, les
parcours culturels qui agissent dans la vie d’un individu peuvent être de plus en plus divers et
diversifiés. Ces derniers sont certes conditionnés par éléments intrinsèques à l’individu mais
dorénavant avec la multiplicité de l’offre artistique, une personne peut opérer un va et vient
parfois très « incohérent » dans ses pratiques. En effet, si la théorie de Bourdieu était opérante
il y a quelques années, il n’est pas sûr qu’elle soit encore d’actualité. Elle suppose l’existence
d’une appartenance de classe qui constitue la détention d’un capital social, un capital
économique et un capital culturel. L’individu pourvu d’un habitus de classe dispose alors
d’un niveau d’instruction qui correspond à sa catégorie d’appartenance, en ce sens que la
société impose un déterminisme social. Caricaturalement, ceci se traduit par le fait qu’un fils
d’ouvrier aura plus de chance de devenir ouvrier que cadre et inversement, un fils de cadre
sera plus probablement cadre dans sa profession future plutôt qu’ouvrier. Ainsi, d’après
Bourdieu, l’origine sociale est très importante et déterminante également dans les pratiques
culturelles. Le niveau d’études est aussi un élément déterminant. Pour lui, le niveau
d’instruction constitue une variable importante. Par exemple, à niveau de diplôme égal, la
1 Ibid., p. 78.
82
catégorie détenant des études dites classiques (latin) est très représentée dans le nombre de
visiteurs de musée. A cela, Bourdieu rajoute que l’amour de l’art vient en « pratiquant » et
c’est par ce biais-là que la famille est déterminante, puisque c’est elle, en tant qu’institution
socialisatrice, qui dès l’enfance, contribue à convoquer une aisance plus ou moins développée
avec le monde de l’art. Bien sûr, l’école ne fait que renforcer ces inégalités. Ainsi, l’accès à la
culture est réservé à une certaine classe cultivée, qui impose elle-même un modèle de culture
légitime. Toutefois, depuis la mise au point du concept bourdieusien, d’autres réflexions ont
été menées. En effet, la société française a connu de profondes mutations comme la
démocratisation scolaire et le renouvellement des élites. Philippe Coulangeon évoque une
modification active du mode de vie des élites tant dans leurs pratiques sociales que culturelles.
Il signale également le fait que se met en marche une « certaine déconnexion de l’univers
symbolique des classes supérieures et du domaine de la culture savante »1 développant un
éclectisme en matière de pratiques culturelles. Les conditions de production et de diffusion de
la culture se sont nettement améliorées et les français ont assisté à un élargissement de l’offre
institutionnelle, un essor des industries culturelles, des médias et des nouvelles technologies.
Autant d’éléments qui ont changé la donne en matière d’accès à la culture et de catégorisation
des publics en ce sens qu’il y a une réelle modification des modes d’accès à l’art et par
conséquence une diversification des univers culturels des français. L’outil d’analyse
conduisant à déterminer une culture populaire, une culture moyenne et une culture cultivée
n’est vraisemblablement plus opérant. Olivier Donnat remarque même que « chaque individu,
en réalité, intègre des éléments appartenant aux différents contextes vécus au cours de son
parcours biographique et réalise un agencement plus ou moins original en conservant la
marque des univers antérieurs qu’il a fréquentés, ou même simplement côtoyés »2. De
multiples influences agissent aujourd’hui sur chaque individu, en fonction des endroits où il a
vécu, des gens qu’il a rencontré, des études qu’il a faites, etc. Parallèlement à la modification
du monde de la culture et des parcours individuels de chacun par rapport à celui-ci, s’est
développée une diversité des propositions artistiques qui rendent le parcours des spectateurs
parfois très aléatoire. Certains auteurs n’hésitent pas à considérer ce phénomène comme le
produit de la société de consommation. Dans l’introduction de son ouvrage, Poétique de la
danse contemporaine, Laurence Louppe évoque qu’ « …un contact occasionnel avec un
1 P. COULANGEON, « Quel est le rôle de l’école dans la démocratisation de l’accès aux équipements culturels ? », [en ligne], Disponible sur : < http://www2.culture.gouv.fr/deps/colloque/coulangeon.pdf >, (consulté le 25/05/11), p. 11. 2 O. DONNAT, « Les Univers culturels des Français » [en ligne], Disponible sur : < http://id.erudit.org/iderudit/009583ar >, (consulté le 28/12/09).
83
spectacle, malgré la vivacité des perceptions qu’il peut susciter, risque de laisser le sujet à
l’écart de grandes richesses, plus enfouies. Et dont la connaissance, loin de le surcharger
d’informations inutiles, peut conduire à identifier au mieux ses propres réactions, à
comprendre l’acuité de certaines propositions, à ressentir plus profondément les résonances
de l’expérience esthétique »1. Elle semble évoquer le fait que le spectateur ne construit pas de
références, ni de lien particulier entre ce qu’il voit ; il serait juste, d’après elle, soumis à la
banalité de la “seule consommation d’un moment culturel”2.
Au regard du paragraphe précédent, le public d’aujourd’hui est très difficilement
saisissable. Cependant, certains chiffres parlent et les intentions des programmateurs ne sont
pas non plus prises au hasard. Le public de la danse a fait très rarement l’objet d’études.
Quelques indications peuvent être saisies de part et d’autre, entre les déclarations des
diffuseurs, ou les écrits sur la danse. Il faut tout de même noter le fait que « à la différence du
cinéma, des musées, et des lieux de patrimoine, le contact avec les arts vivants –théâtre,
concert, opéra, ballet – demeure très minoritaire, en France, comme dans la plupart des pays
voisins »3.
L’année 2010 a été « l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris »4 qui a établi
depuis quelques années un outil de recensement de ses spectateurs. Si l’année 2009 n’a pas
été très fructueuse en partie à cause de la crise, cette baisse de fréquentation ne s’est pas
réitérée. En effet, l’Opéra de Paris a vendu 12 000 places de plus en 2010, soit un total de
784 000. Brigitte Lefèvre note que les balletomanes sont au nombre de 350 000 spectateurs5.
Quel que soit le genre, les salles sont pleines : par exemple, à l’époque de Noël, entre Le Lac
des Cygnes à l’opéra Bastille et Le Sacre du Printemps de Pina Bausch au palais Garnier, la
compagnie de danse a réuni plus de 80 000 spectateurs. Il est intéressant de noter au passage,
la représentation de la danse contemporaine dans l’ancien bâtiment, alors que le ballet
classique avait lieu dans le bâtiment moderne. « En 2010, un seul des 13 programmes a
rempli la salle à 80% seulement, les autres atteignant 99 à 100% »6. Ceci démontre donc
1 Propos de Laurence LOUPPE dans M.C BORDEAUX, « Centre National de la Danse – Groupe de réflexion
Action culturelle en mouvement – Compte rendu de la journée du 1er décembre 2005» [en ligne], Disponible sur : < http://mutualise.artishoc.com/cnd/media/5/synthese_action_culturelle_en_mouvement_.pdf >, (consulté le 18/02/11), p. 8. 2 Ibid., p. 8. 3 P. COULANGEON, Sociologie des pratiques culturelles, Paris, La Découverte, coll. Repères, juin 2005, p. 102. 4 A. BAVELIER, « 2010, l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris », Le Figaro, Jeudi 17 février 2011, p. 30. 5 A. IZRINE. B. LEFEVRE, Conférence : Le Répertoire à la pointe du contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse. 6 A. BAVELIER, « 2010, l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris », Le Figaro, Jeudi 17 février 2011, p. 30.
84
qu’il y a un public pour la danse, notamment à l’Opéra. Celui-ci est particulièrement attiré par
la danse classique puisque la plupart des représentations du ballet sont issus du répertoire
classique. D’ailleurs, Brigitte Lefèvre se félicite de toucher une nouvelle génération. Quant à
Christophe Tardieu, directeur adjoint de l’Opéra de Paris, il réfléchit beaucoup plus en termes
sociaux : « Si le public du lyrique est surtout CSP +, celui de la danse est plus diversifié : on
y trouve Français, étrangers, Parisiens, provinciaux, et toutes les catégories de classes
sociales »1. Si ces propos semblent un peu utopistes, il n’en est pas moins convainquant que la
danse classique attire un public assez variable. Certes, la notoriété de l’Opéra de Paris doit
également jouer sur la venue des spectateurs.
Si la danse classique est généralement attractive, ce phénomène paraît un peu plus
compliqué pour la danse contemporaine. Plusieurs degrés de réception semblent impliquer
plusieurs genres de publics. Dans un premier temps, la danse contemporaine semble
véhiculer une image trop souvent négative et parfois ambigüe, due sans doute à une
méconnaissance trop grande. La danse contemporaine semble ainsi souffrir de sa diversité, ce
qui tend peut-être à flouer son image. Il se dégage donc une idée assez vague de ce que peut
être la danse contemporaine. La multitude de ses formes engendre nécessairement plusieurs
appréciations, plusieurs réceptions et donc sans aucun doute plusieurs publics. Toutes ces
pistes entreprises par la danse contemporaine font que, très souvent, il est difficile d’expliquer
à un profane en peu de mots ce que c’est. Ainsi, une réputation colle au corps de la danse
contemporaine. C’est ce qu’explique Philippe Noisette : « Si l’on s’en tient à la définition
répandue, à savoir que l’élitisme est le fait de favoriser une élite aux dépens de la masse, la
danse contemporaine peut faire figure d’accusée. Ainsi les rares études sur son public montre
qu’il est souvent d’un niveau d’études supérieures, citadin et…blanc »2. De manière un peu
caricaturale, l’auteur dresse un portrait du public de la danse, à l’image de celui de toutes les
formes de créations d’avant-garde, qui toutefois n’est pas à négliger. Certains s’accordent à
dire qu’il y aurait une ébauche de public, c’est-à-dire un petit noyau dur, les habitués et les
occasionnels3. Cependant, Philippe Noisette nuance son propos, vers quelque chose qui
semble plus logique : « En fait, il faut parler de publics (au pluriel donc), et le contemporain
n’a pas son pareil pour brasser large »4. Ceci revient à l’affirmation de Laurence Louppe qui
1 Propos de Christophe Tardieu dans A. BAVELIER, « 2010, l’année de tous les succès à l’Opéra de Paris », Le Figaro, Jeudi 17 février 2011, p. 30. 2 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 58. 3 F. THIRION, « Structure – conjoncture ; la danse contemporaine française interpellée, ou les méfaits de la cohabitation de deux sphères ; l’économique et l’artistiques » dans J.Y. PIDOUX, La Danse art du XXème siècle ?, Lausanne, Payot – Lausanne, 1990, p. 215. 4 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 58.
85
insinue que la danse contemporaine du fait de son ouverture peut parler à l’imaginaire de
chacun. S’ajoutent à cela les « tensions » relatives à l’opposition entre les créations qui
s’inscrivent totalement dans l’écriture du mouvement et celles qui dévoilent un discours
beaucoup plus conceptuel. En effet, cette opposition serait également ressentie dans le fait que
chaque catégorie attire un public plutôt qu’un autre. Ici, un certain élitisme peut entrer en jeu
pour des formes dont la sophistication conceptuelle les enferme dans une herméticité quasi-
immédiate. Celles-ci sont ainsi difficiles d’accès pour un public non averti. Parallèlement à ce
phénomène, la danse contemporaine par son institutionnalisation a gagné un terrain qu’elle
n’occupait pas auparavant. En effet, dès les années 1980, il y a eu une réelle volonté politique
pour que la danse contemporaine puisse enfin s’implanter sur le territoire français. Il s’est
développé une réelle cohabitation des formes dans le paysage chorégraphique. Poursuivant
cette impulsion et même si le budget de la danse est encore très modeste par rapport à l’art
lyrique et à la musique, la danse contemporaine a gagné en visibilité notamment par l’aide à la
création, à la diffusion, par la naissance d’entités importantes telles que le Centre national de
la danse ou les centres nationaux chorégraphiques (cf. postface sous partie 2.4). Cet intérêt
soudain pour la danse a conduit à aider certaines compagnies plus que d’autres, à
subventionner certains projets plus que d’autres, etc. et en réponse à ces financements de
nombreux artistes se sont ancrés dans un certain conformisme : celui de l’académisme. Et
c’est ce dernier qui faciliterait alors la diffusion de la danse contemporaine, même si certains
auteurs signalent que ceci conduit également à l’appauvrissement de la recherche
chorégraphique. Cependant, ce phénomène reste sans aucun doute à prouver.
L’élitisme associé à la danse contemporaine reste tout de même un problème qui pose
question. Nicolas Six titre alors un article dans Danser qu’il nomme « Peur du peuple ». Il
compare l’engouement suscité par la danse sportive et les battles de hip-hop. A tel point que
son sous-titre pose très nettement la situation : « Deux tiers des Français n’ont jamais vu de
danse classique ou de danse contemporaine. Mais la danse sportive ou les battles hip-hop
remplissent Bercy. Clientèle intello élitiste contre popu vulgaire ? »1. Il ne faut pas bien sûr
comparer ce qui est incomparable mais c’est vrai que si la danse contemporaine était
programmée à Paris Bercy, il n’est pas certain que la salle serait comble. Un seul a tenu le
pari : Maurice Béjart dans les années 1980. Les 12000 places reviennent à l’addition des
publics de l’Opéra Bastille et Garnier, des spectateurs du Théâtre du Châtelet et du Théâtre de
la ville. Ceci est encore un système d’alarme très caricatural mais les faits sont là et comme le
1 N. SIX, « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 30.
86
souligne Philippe Noisette : « la danse contemporaine n’est pas élitiste, elle est simplement
mal connue »1. Toutes les danses ne sont pas populaires et, ici encore, les chiffres le prouvent
notamment lorsque Nicolas Six, toujours dans le même article, annonce que sur l’ensemble
des créateurs actuels seulement trois chorégraphes contemporains attirent régulièrement : à
eux trois, Angelin Preljocaj, Philippe Decouflé et le duo Montalvo-Hervieu, réunissent 100
000 personnes. « Hélas, 100 000 spectateurs représentent un Français sur 600 »2. Au regard
de ces problématiques, il semble que certaines écritures chorégraphiques répondent plus aux
attentes du public que d’autres. Il est certes très important que des formes conceptuelles, qui
privilégient la recherche corporelle ou intellectuelle, existent, mais celles-ci ne peuvent
toucher qu’un public très restreint, alors que les spectacles beaucoup plus académiques
trouvent tout à fait leur légitimité. Derrière le problème du public se profile aussi et surtout la
question de l’accessibilité et de la lisibilité qu’ont les spectateurs des œuvres.
2.2.3. Quel public, quelle réception pour les œuvres du métissage entre classique
et contemporain ?
Si Nicolas Six met en avant les trois chorégraphes les plus attractifs du moment, il
explique également pourquoi. Il signale au passage qu’avec le décès de Maurice Béjart la
danse, et notamment la danse contemporaine, a perdu un grand ambassadeur. « Ses grands-
messes populaires faisaient du bien à la danse, en attirant un public nouveau »3. Il était, en
effet, très populaire, même chez les profanes et c’est ce que soutient notamment Angelin
Prejlocaj dans le même article. Il est d’ailleurs le premier à revendiquer que le populaire n’est
pas toujours péjoratif, notamment en ce qui concerne la danse contemporaine. Pour lui : « On
a tort d’opposer les gens très médiatisés et ceux qui travaillent dans les marges […]. Ils se
nourrissent mutuellement »4. Ainsi, si la forme de la danse contemporaine reste sans aucun
doute universelle, elle doit revoir sa copie au niveau de l’affrontement entre ses acteurs.
Cependant, d’après Nicolas Six, certains semblent très peu se soucier du déficit de popularité
de cet art. « Une partie des programmateurs et des journalistes partagent ce dédain pour les
1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 58. 2 N. SIX, « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 30. 3 Ibid., p. 30. 4 Ibid., p. 31.
87
créations qui séduisent le très grand public »1. Souvent les publics amateurs n’aiment pas non
plus que les œuvres deviennent populaires car, pour eux, l’élitisme est valorisant les classant
comme connaisseurs. Il peut donc exister une forme de repli de la part des publics experts, car
la popularisation d’une œuvre ou d’un art, les déclasse de la catégorie d’amateur/connaisseur.
Nicolas Six affirme également que de nombreux chorégraphes français préfèreraient être
reconnus en tant qu’intellectuels, plutôt qu’en tant qu’artistes rassembleurs. Ainsi d’après
Preljocaj, ce qui est trop gai ou trop populaire est inévitablement sanctionné. Il ne vante pas
non plus les mérites d’une danse de divertissement mais à trop vouloir séparer ce qui est
« noble » de ce qui est « vulgaire », le cloisonnement entre danse classique, danse jazz, et
danse néoclassique se renforce.
Or, il se trouve que la diversité peut être très positive en matière d’image. En effet,
lorsque la danse contemporaine se joue des frontières artistiques, elle semble souvent plus
accessible et plus ouverte. Elle met nécessairement en avant d’autres codes et d’autres modes
de représentations qui parlent peut-être à un public plus large. Les œuvres qui s’insèrent sur le
métissage entre classique et contemporain sont de cette veine, faisant nécessairement appel à
de multiples références qui peuvent convenir à plusieurs publics. Inévitablement, elles
peuvent répondre aux attentes du public qui est sensible à la danse classique mais aussi à celui
qui aime la danse contemporaine. C’est en effet une forme qui peut répondre aux horizons
d’attentes de divers spectateurs. En ce sens que l’horizon d’attente, principe dégagé par Hans
Robert Jauss « n'est en rien un cadre préconstruit qui s'imposerait à tous : il est le produit de
sensibilités, de comportements, de modes de perception propres à une communauté
culturelle »2. Il énonce donc que les attentes du public sont conditionnées par le temps présent
et qu’en aucun cas elles ne sont figées dans un cadre spatio-temporel. En revanche, il est le
résultat du parcours culturel du spectateur. Ce dernier, avant n’importe quel spectacle,
développe cet horizon d’attente selon ses goûts, ses aspirations et ses considérations sur l’art,
et la danse en ce qui concerne ce mémoire. Chaque spectateur se crée une idée en fonction de
l’objet qu’il va voir. Un spectacle qui croise la danse classique avec la danse contemporaine
répondra nécessairement à davantage d’horizons d’attentes qu’un spectacle purement
moderne. D’un côté celui-ci peut convenir à ceux dont la sensibilité se réserve sur
l’expressivité du mouvement, et d’un autre côté il peut répondre à l’expectative de certains
1 Ibid., p. 31. 2 J. CAUNE. « La Médiation culturelle : une construction du lien social » [en ligne], Disponible sur : < http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Caune/Caune.pdf >, (consulté le 27/03/09).
88
qui recherchent certains codes ou certaines références au classicisme. Même si la danse
contemporaine a cherché à s’extraire du rang, aujourd’hui certains codes traditionnels sont
encore opérants. Quelques spectres sémiologiques agissent encore sur certains publics de la
danse : « En effet près de quatre siècles après « l’invention » du ballet classique, nous le
posons toujours comme l’opérateur central de la construction d’une normalité dansante. De
ce fait, l’image stéréotypée du corps dansant est au féminin (bien qu’inventé par des hommes
pour des hommes), attachée au schéma implicite de la beauté et de la grâce, une sorte d’être
au monde harmonique où la virtuosité s’impose »1. Ceci est en partie l’objet d’une mémoire
sociale dont le fort impact est le résultat de conventions. Ces dernières contribuent
obligatoirement à la fabrication des horizons d’attente portés par les spectateurs. Howard
Samuel Becker revendique que « chaque monde de l’art recourt à des conventions connues de
tous, ou presque tous, les individus pleinement intégrés à la société dans laquelle il
s’insère »2. Même si son analyse et ses travaux portent plus sur le phénomène de création,
cette problématique, mise en avant par Howard Samuel Becker, peut tout de même s’adapter à
la réception. Les conventions dont il parle peuvent faire partie de la vie quotidienne et, à ce
moment-là, participer à la compréhension des œuvres par la plupart des individus. Par
exemple, le ballet classique met en œuvre certaines conceptions comme le rapport amoureux
entre un homme et une femme. C’est un système qui répond à des acceptations connues de
chacun et donc la plupart des individus peuvent comprendre l’intrigue posée par de nombreux
ballets classiques. Les conventions peuvent en revanche faire appel à des sujets qui,
participant en tant que public, connaissent et reconnaissent les conventions propres au monde
de l’art dans lequel ils évoluent. En fonction de cette relation, le sociologue indique qu’il y a
des publics occasionnels et des publics avertis. A cela, il ajoute l’idée que ces derniers
détiennent souvent des conventions que les publics profanes ne soupçonnent même pas. Ce
phénomène serait déclenché par la suite de transformations novatrices. En effet, très souvent,
les artistes souhaitent innover. Ceci ne peut se faire sans échapper à un certain formalisme et
donc ne répondent plus aux conventions préétablies du monde dans lequel ils agissent. Par
cette démarche, ils ne répondent plus aux horizons d’attente de ceux qui ne se tiennent pas
« aux faits » de l’évolution du monde de l’art en question. Il y a là un décalage qui s’installe
entre public averti et public novice. « Les formes traditionnelles que les innovateurs
remplacent par autre chose sont précisément celles qui, aux yeux d’un public moins averti,
1 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », in S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 290. 2 H.S. BECKER, Les Mondes de l’Art, Paris, Flammarion, coll. Champs, février 2006, p. 64.
89
distinguent l’art de tout le reste. Ce public là ne va pas à un spectacle de danse pour voir des
gens courir, sauter ou tomber ; cela il peut le voir partout ailleurs. Il y va pour voir des
hommes et des femmes exécuter les mouvements difficiles et savamment codifiés qui font la
“vraie danse” »1. C’est également ce qu’affirme Betty Lefèvre : « les productions de la danse
contemporaine sont souvent mesurées à l’aune de la « vraie » danse c’est-à-dire le ballet
classique »2. Un public novice n’anticipe donc pas nécessairement la matérialité gestuelle
d’un saut, d’une course ou d’une chute. Il n’est pas apte à concevoir ce genre de mouvements
en dehors de leur réalité immédiate. Ces composants sont donc l’apanage d’un public
amateur.
D’après ces réflexions, les horizons d’attente de plusieurs publics peuvent être
« contentés » lorsqu’ils sont face à une œuvre de danse contemporaine qui usent d’éléments
ou de références classiques. En effet, le public qui ne détient pas les conventions du monde de
l’art des initiés peut-être convaincu par une relecture dont la chorégraphie est très écrite, ou
une forme proche du style de William Forsythe ou Thierry Malandain. Le public occasionnel
est sans doute plus habitué à exécuter un va-et vient entre classicisme et contemporain. Celui-
ci détient à minima les normes imposées par les deux techniques et peut être attiré par leur
mélange. Concernant le public averti, le métissage peut être intéressant s’il répond à des
conceptions et conventions sans doute très contemporaines. Véronique Doisneau de Jérôme
Bel (cf. sous partie 1.2.3) ou 6 Giselles (cf. sous partie 1.3.1) d’Olivia Grandville peuvent
certainement répondre aux horizons d’attentes de celui-ci. Dans tous les cas, ces œuvres
mettent en jeu des codes, des règles et des normes dont la réception interprétative sera
différente en fonction des conventions que détient le spectateur. En effet, le phénomène de
réception reste tout de même quelque chose d’individuel qui agit sur le sujet selon sa
sensibilité, sa connaissance du monde de l’art, son expérience du monde, etc. Il n’y pas de
réception type pour tel ou tel spectacle ou pour tel ou tel genre artistique. Au-delà de
l’expérience esthétique de chacun, se développe l’idée que « chaque œuvre en soi, par le seul
fait de se distinguer (tant soi peu) de toutes les autres, enseigne à son public quelque chose de
nouveau : un nouveau symbole, un nouveau mode de représentation, une nouvelle forme »3.
Dans cette perspective les possibilités de métissage de la danse contemporaine et de la danse
classique peuvent être exploitées de multiples manières. Ceci conduit inévitablement à
repousser les conventions présentes dans tel ou tel monde de l’art.
1 H.S. BECKERD, Les Mondes de l’Art, Paris, Flammarion, coll. Champs, février 2006, p. 72. 2 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », in S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 291. 3 H.S. BECKERD, op.cit., p. 86.
90
Le fait que la diversité tende à toucher plusieurs publics peut tout de même repousser
certains amateurs de danse contemporaine. Sous prétexte que la programmation de ces œuvres
n’a pour seul et unique but d’attirer un public important, certaines intentions de chorégraphes
sont donc dénigrées au profit de l’intellectualisme ambiant. S’instaure alors une
problématique entre art et divertissement. Cependant, comme le montre Nicolas Six dans son
article, une programmation plus éclectique dans certaines salles rendrait possible la réduction
des écarts de fréquentation. Selon lui, ceci permettrait de composer une programmation plus
démocratique et plus respectueuse de tous les publics. Il note, en effet, que les cadres voient
trois fois plus fréquemment de danse que les employés, et six fois plus que les ouvriers.
Dominique Hervieu, chorégraphe et co-directrice de Chaillot, conforte cette pensée : « il y a
des gens tolérants qui comprennent que c’est par la diversité des approches d’un art qu’on le
présente au mieux. Nous sommes dans une société très hétérogène. Il faut répondre à des
sensibilités très différentes »1. D’après l’auteur, il faudrait que les programmateurs déploient
plus d’initiatives semblables et plus en accord avec des publics autres que celui des initiés.
« Qu’ils cessent de programmer des pièces à destination exclusive des spectateurs issus de
leur milieu social. On aimerait qu’ils cessent de bâtir des programmations stratégiques,
visant à valoriser leur image aux yeux des professionnels de la danse »2. L’auteur n’hésite pas
à pousser le vice jusqu’à demander à ce que les diffuseurs aient le « courage » de défendre un
volet populaire dans leur programmation annuelle. Dans cette perspective, pour Nicolas Six,
les chorégraphes doivent aussi jouer le jeu à l’image du duo Montalvo-Hervieu ou comme
Angelin Prejlocaj qui alterne entre des œuvres populaires et des œuvres moins accessibles.
Cependant, tous les professionnels ne sont pas de cet avis et c’est là qu’entre en jeu la notion
de divertissement. C’est ce qu’explique Agnès Izrine, actuelle rédactrice en chef de Danser,
dans son ouvrage La Danse dans tous ses états. Elle ne partage pas l’avis de Dominique
Hervieu : « Utilisant des danseurs de haut niveau, rompus à tous les styles, poussant au
paroxysme l’amalgame de techniques en tout genre, et l’apport de métissages divers, ce
courant […] refait de la danse un « divertissement » destiné aux couches populaires. Les
représentants de cette nouvelle tendance s’appellent José Montalvo ou Blanca Li […] Les
directeurs de théâtre – sous couvert d’amener des spectateurs néophytes à la danse
contemporaine – ne s’y trompent pas et les programment pour combler le déficit que d’autres
1 Propos de Dominique Hervieu dans N. SIX. « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 32. 2 N. SIX. « Peur du peule », Danser, juillet-août 2010, n°300 Paris, DDB Editions, p. 32.
91
formes entraînent »1. Il est concevable que des spectacles conjuguant danse classique, danse
contemporaine, danse hip-hop, cirque, projections vidéos et autres arts en tout genre soient
assimilés à des propositions divertissantes suscitant l’attention de multiples publics. En
revanche, les formes qui assument le métissage entre danse contemporaine et danse classique,
au regard de la première partie de ce mémoire, ne revendiquent pas nécessairement cette
convocation des publics.
Les intentions des chorégraphes ne reposent pas principalement sur une volonté de
s’adresser à plusieurs publics. Cependant, comme évoqué plus haut dans ce sous-chapitre, et
contrairement aux propos d’Agnès Izrine, l’hybridation des œuvres entre tradition et
modernité peut convoquer plusieurs publics et répondre alors à divers horizons d’attente.
Toutefois un problème se pose. C’est celui qui convoque la normalisation de l’art et sa
catégorisation. Si dans la sous partie 1.1.3 de ce mémoire, il a été convenu que l’art échappait
à toute classification stable, durable, et homogène possible c’est notamment le cas à la vue de
ces œuvres, car le spectateur ne sait pas à quel genre il est confronté. En effet, il est
concevable que ces pièces contribuent à créer un trouble dans leur réception. Supposant
qu’elles soient d’ores et déjà difficiles à ranger dans un genre pour les critiques et
programmateurs, il est compréhensible que certains publics se questionnent à propos de ce
qu’ils voient. Ces interrogations semblent pertinentes. Toutefois, elles agissent généralement
sur des spectateurs occasionnels ou initiés. En revanche, au regard des réflexions posées en
début de cette sous-partie, il semblerait que le public néophyte ne soit pas intrigué par ce
processus visant à classifier l’œuvre. Il faut tout de même rester vigilant car la conception
d’une programmation demande souvent de mettre en lumière les genres qui la composent.
C’est pourquoi, malgré l’hypothèse émise en sous partie 1.1.3, il est tout à fait recevable que
la classification prenne sa place. En effet, elle semble obligatoire lorsqu’elle interroge la
notion de public et les programmations qui lui sont proposées. Comme évoqué dans la sous
partie 1.1.3, l’être humain ne peut s’empêcher de rationnaliser son existence et, par ce biais-là,
l’art. Ainsi, il est nécessaire au regard des attentes d’un public d’opérer une classification sur
ces œuvres. Le danger est, comme expliqué dans la partie 1 de ce mémoire, de catégoriser les
œuvres de manière trop hâtive et trop arbitraire. C’est alors aux programmateurs et aux
chorégraphes de veiller à ce que celle-ci soit la plus juste possible pour ne pas placer le public
en porte-à-faux avec les œuvres qu’il voit. Et la médiation dans tout ça ?
1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états. Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 137.
92
Conclusion
La question du public est relativement compliquée, d’autant plus que la danse est un
peu « l’enfant pauvre » des études statistiques et des analyses de publics. Il faut donc opérer
par bribes d’informations et par observations. Tous s’accordent à dire que la danse peut parler
à tous mais qu’elle est sujette à une idée d’élitisme. Certaines formes, sous couvert de troubler
les frontières entre divers arts, sont accusées de divertissements et attirent un public large.
Finalement, les œuvres qui convoquent danse classique et danse contemporaine suscitent
également moins de désintérêt que des œuvres conceptuelles. Elles sont peut-être un des
moyens d’attirer un public néophyte et de le faire accéder par la suite à des formes plus
contemporaines encore comme des spectacles conceptuels ou minimalistes. Ce n’est pas pour
cela qu’il faut dénigrer les pièces où la tradition converse avec la modernité, car elles sont
souvent qualitatives et réinterrogent le rapport au corps, la manière de penser la danse et sa
vision du monde. Elles problématisent également l’héritage chorégraphique de diverses
manières. Il est donc intéressant de considérer la part que peut jouer la médiation dans la
réception de ces œuvres. L’intérêt se pose nécessairement sur la notion d’hybridation qu’elles
convoquent. Betty Lefèvre en reprenant l’idée d’Umberto Eco explique que : « La danse
contemporaine, en tant qu’œuvre ouverte, va solliciter le spectateur avec d’autres symboles,
d’autres modes de présentations : en cela chaque présentation artistique participe d’une
éducation du public en l’obligeant à repenser les conventions »1. Le mot « d’éducation » du
public n’est peut-être pas très heureux mais en tout cas, la perspective d’amener un public
novice à la danse par des formes beaucoup plus dansées ou lisibles semble être un bon
compromis. C’est notamment le cas des pièces contemporaines qui empruntent à la danse
classique et des relectures de ballets car elles convoquent certaines références qui font appel à
des conventions implicites dans la mémoire collective de la société française. En ce qui
concerne les publics occasionnels et les publics initiés la médiation peut-elle là aussi répondre
à une sensibilisation en regard d’un certain trouble que peuvent créer ces œuvres ?
1 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », dans S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 293-294.
93
Chapitre 3 : La médiation culturelle : comment et pourquoi ?
Introduction
L’étude d’œuvres entretenant des rapports avec des spectateurs implique
nécessairement que l’on se questionne sur les effets qu’elles produisent sur le regardeur et sur
la manière dont celui-ci s’approprie ces œuvres. L’expérience esthétique est donc le fruit d’un
espace tant cognitif que sensible chez l’individu. La médiation se construit également dans le
rapport à l’œuvre participant à révéler la manière dont cette dernière peut s’insérer dans le
monde actuel. Elle repose sur la fabrication d’un lien entre l’œuvre et l’individu.
Généralement, l’intérêt de la médiation n’est pas d’enrichir la connaissance du spectateur
mais surtout de participer à la construction d’un rapport sensible et/ou cognitif entre lui et
l’œuvre. Au regard du chapitre précédent, il semble que la danse contemporaine a tout à
gagner de la médiation culturelle. En effet, même si d’après de nombreux auteurs, elle peut
parler à l’imaginaire de tous, la danse contemporaine reste le privilège de certains initiés. Le
but de la médiation n’est pas de faire du remplissage mais elle peut tout de même contribuer à
amener un public éloigné de la danse contemporaine. Si celle-ci développe une relation qui
fonctionne entre l’œuvre et le sujet, ce dernier sera par la suite sans doute plus enclin à se
diriger de lui-même vers une forme artistique.
Chaque œuvre suppose une médiation, en ce sens qu’elle agit seulement sur un objet
artistique et non sur un domaine artistique. Ainsi plusieurs formes de médiations artistiques
sont possibles. Elles sont souvent multiples et variées : discussions, rencontres, visites
guidées, ateliers, activités pédagogiques, etc. Le problème c’est que la médiation culturelle
reste tout de même assez vaste et sa définition est souvent très différente d’une structure
culturelle à l’autre. C’est pourquoi les manières de réaliser une médiation peuvent totalement
différer d’un endroit à l’autre, d’une politique de public à l’autre, etc. Il est donc très difficile
d’expliquer ce qu’est la médiation culturelle, tant elle reste une notion recouvrant diverses
manières d’appréhension du lien entre un public et une œuvre pour beaucoup de personnes du
milieu artistique.
94
2.3.1. La médiation culturelle et la danse
La définition de la médiation culturelle est une notion assez jeune. C’est peut-être un
des facteurs qui conditionne la difficulté de sa signification et de sa compréhension. « Depuis
plus de trente ans, les activités de médiation culturelle, qui visent à favoriser l’appropriation
collective des différentes formes d’art et de patrimoine, ont connu un essor continu dans
l’ensemble des domaines artistiques et culturels »1. Ainsi donc, la médiation culturelle s’est
développée depuis une trentaine d’années à tel point que son expansion a contribué à une
fragmentation de son appréhension et donc de sa définition.
Implicitement la question de la médiation pose la question de l’œuvre, du public et du
lien qui les unit. Ceci implique une étude des deux éléments. Il faut dégager en quoi l’œuvre
peut être intéressante et comment s’adresser à tel ou tel public. Aujourd’hui, la médiation
culturelle participe au constat de l’échec de la démocratisation culturelle et tente de réparer les
carences de cette dernière. Certaines structures se donnent donc pour objectif de rétablir une
proximité entre l’art et des publics dits « éloignés », « empêchés ». « La médiation repose sur
une interrogation sans cesse renouvelée sur la place, le rôle et la légitimité de l’institution
culturelle »2. Cette remise en question de la démocratisation culturelle passe aussi par la
manière dont ont été menées les politiques culturelles et sur le constat d’un certain
immobilisme au regard de quelques publics. Le constat s’avère difficile puisqu’il remet en jeu
toute une équité supposée entre les spectateurs. Un des enjeux de la médiation repose donc sur
le développement culturel et part du constat qu’il ne faut pas seulement mettre en place des
politiques tarifaires ou des évènements autour d’une œuvre ou d’un artiste. Elle revendique un
certain accompagnement du public. Elle insiste donc sur le fait qu’il y a encore aujourd’hui
des publics qui ne côtoient en aucun cas les lieux de l’art. Ainsi, elle remet en cause un
système qui considérait depuis toujours que l’œuvre permettait sa propre médiation. Cette
conception avait été initiée par le premier ministre des Affaires Culturelles, André Malraux,
impliquant l’idée que le lien entre le public et l’objet d’art naissait au simple contact avec
l’œuvre, à l’image de « l’immaculée conception ». « Méfiance, car la médiation renvoie à ce
qui a été banni du champ culturel : la reconnaissance de fonctions intermédiaires, faisant le
1 P. CHANTEPIE, « Avant Propos » dans N.AUBOUIN, F.KLETZ, O.LENAY, Médiation culturelle : l’enjeu de la gestion des ressources humaines [en ligne], Disponible sur : < http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/cetudes-2010-1.pdf >, (consulté le 25/04/11), p. 1. 2 M.C. BORDEAUX, « Culture pour tous – Acte du Colloque international sur la médiation culturelle – Montréal – Décembre 2008 » [en ligne], Disponible sur : < http://www.culturepourtous.ca/forum/2009/PDF/11_Bordeaux.pdf >, (consulté le 25/04/11).
95
lien entre monde de la culture et monde des publics, remettant en cause « l’aura » de l’œuvre
d’art et la croyance dans sa force communicationnelle »1.
La médiation relève donc du constat que la relation entre certains publics et certaines
œuvres ne sont pas automatiques, voire inexistantes. Elle met alors en œuvre divers dispositifs
qui permettent de rétablir certaines « injustices », carences. Par ce biais-là, elle permet la mise
en relation entre des mondes qui parfois sont totalement opposés. Son but est donc de
s’adresser à ses publics par des références qui sont constitutives dans chacun de ces mondes.
Ainsi, la relation à autrui dans la médiation est nécessaire, elle suppose un réel souci de l’être
humain. Le médiateur doit mettre en œuvre une analyse des spectateurs à qui il s’adresse pour
faire raisonner en lui des éléments qu’il connaît afin de le rendre disponible pour une
expérience sensible. Le but n’est pas non plus d’intégrer l’œuvre dans le monde de ceux qui
l’observent, mais il est nécessaire de trouver le juste milieu entre l’espace de l’art et l’espace
du regardeur. En ce sens, la médiation permet de mettre en exergue certains principes
universels que peuvent contenir les objets d’arts. Elle développe une capacité à remettre en
question l’art et ses pratiques tout en reliant ce questionnement aux problématiques actuelles.
Celle-ci s’inscrit dans la construction de l’espace public et du lien social. La médiation
culturelle ne s’insère en aucun cas dans une logique de communication, ni de consommation
de l’art, mais bien dans un souci de pratiques culturelles inexistantes ou incohérentes. Elle
s’intègre dans la sphère culturelle comme l’idée d’une sensibilisation. Cette dernière ne doit
pas « prêcher la bonne parole ». En effet, la difficulté de la médiation repose sur l’idée qu’elle
peut inciter et orienter le regard du spectateur. C’est la réserve qu’émet Jean Caune : « Il
convient également de réfléchir sur les médiations qui empruntent à l’expérience artistique sa
capacité d’influencer notre perception, de conditionner notre imaginaire, de mobiliser nos
émotions et notre implication affective »2. Une bonne médiation doit donner des pistes de
réflexions ou des accès divers au sensible, mais en aucun cas dicter la conduite esthétique du
sujet, en ce sens que celui-ci doit s’approprier lui-même l’œuvre à laquelle il est confronté.
C’est en cela que la médiation doit veiller, ne pas trop déborder sur l’espace sensible du
1 M.C. BORDEAUX, « Culture pour tous – Acte du Colloque international sur la médiation culturelle – Montréal – Décembre 2008 » [en ligne], Disponible sur : < http://www.culturepourtous.ca/forum/2009/PDF/11_Bordeaux.pdf >, (consulté le 25/04/11). 2 J. CAUNE, La Médiation culturelle : une construction du lien social [en ligne], Disponible sur : < http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2000/Caune/index.php >, (consulté le 27/03/2009).
96
spectateur. La médiation c’est ainsi « aérer, ouvrir le discours, la forme, le contenu pour que
d’autres puissent y inscrire les sens de leurs pratiques de spectateurs ou de participants »1.
La danse contemporaine n’est pas éloignée des pratiques de médiation. Pourtant Marie
Christine Bordeaux signale que l’idée même de médiation suscite, dans le monde du théâtre,
de vives réactions. « Le théâtre se pense comme un art intrinsèquement médiateur. […] Le
monde des arts vivants en général, et du théâtre en particulier, est globalement hostile à ce
qui lui paraît être un écran inutile et nuisible entre les artistes et le public »2. Contrairement à
cet état d’esprit, la danse contemporaine est plus sensible à l’idée de transmission qu’implique
la médiation. Moins soutenue par les pouvoirs publics, la danse contemporaine a trouvé là un
moyen de trouver sa place et d’exister. Les spectacles sont le lieu de discussions post-
représentations, de débats de présentation, de sensibilisation sur le parcours d’un artiste, de
conférences dansées, d’ateliers pratiques et pédagogiques, de répétitions ouvertes, etc. La
médiation est alors un moyen de créer des expériences auxquelles le spectateur n’aurait pas
accès sans elle. Ici encore, le débat peut se projeter dans ce qu’est de la médiation et qui n’en
est pas. Toujours est-il que des actions sont menées, qu’elles ont pour but de rapprocher des
publics avec la danse, notamment la danse contemporaine, et que ce sont tout de même des
efforts notoires. Ceci est le résultat du trouble définitionnel qui tourne autour de la notion de
médiation. En danse, cette dernière agit souvent entre le corps du danseur et le corps du
spectateur. Elle s’étend dans la pratique de la danse elle-même, l’idée est donc de faire
éprouver la danse par soi-même.
Les actions de médiation « multiplient […] les modes en présence de la danse pour
construire des publics, et on ne peut qu’être frappé par le jeu constant qui est fait entre
extraits dansés, séquences de films, archives, photographies, écoute de séquences musicales,
reconstitutions plus ou moins hasardeuses, pastiches, discours sur la danse, qui sont autant
de modes indirects de présence de cet art »3. La médiation se superpose donc au domaine
chorégraphique. La multiplicité des formes implique également un mise en réflexion de la
1 M.C BORDEAUX, « Centre National de la Danse – Groupe de réflexion Action culturelle en mouvement – Compte rendu de la journée du 24 avril 2007» [en ligne], Disponible sur : < http://mutualise.artishoc.com/cnd/media/5/synthese_action_culturelle_en_mouvement_.pdf >, (consulté le 18/02/11), p. 7. 2 M.C. BORDEAUX, « Culture pour tous – Acte du Colloque international sur la médiation culturelle – Montréal – Décembre 2008 » [en ligne], Disponible sur : < http://www.culturepourtous.ca/forum/2009/PDF/11_Bordeaux.pdf >, (consulté le 25/04/11). 3 M.C BORDEAUX, « Centre National de la Danse – Groupe de réflexion Action culturelle en mouvement – Compte rendu de la journée du 1er décembre 2005» [en ligne], Disponible sur : < http://mutualise.artishoc.com/cnd/media/5/synthese_action_culturelle_en_mouvement_.pdf >, (consulté le 18/02/11), p. 7.
97
danse et son accès pas seulement pour les publics empêchés. En effet, Laurence Louppe fait la
constat que « le spectateur de danse contemporaine, la plupart du temps, est appelé à
vagabonder d’une manifestation à une autre, sans qu’un fil continu le relie à un champ
permanent de références, ou, mieux sans doute, à un champ artistique susceptible de produire
et d’éveiller des sensations particulières, des pensées, des états de corps et de conscience, que
les autres arts ne lui donneront pas. Chaque chorégraphe contemporain, parfois chaque
œuvre chorégraphique, sont alors approchés, au hasard des programmations, comme un
évènement ponctuel, un rapide passage d’objet spectaculaire parmi d’autres »1. Il se dégage
là une idée de consommation du bien culturel sans nécessairement poser une réflexion sur
celui-ci. La médiation de la danse doit aussi participer à rendre les pratiques culturelles plus
intelligibles. Sans nécessairement éduquer les publics, la médiation culturelle se doit de
mettre en relation le sujet avec l’œuvre, tout en lui proposant une perception sensible et
problématique du monde, l’idée étant de construire et de déconstruire des représentations.
Pour cela, il suffit de faire prendre conscience au public de sa fréquentation du monde de l’art.
La médiation d’une œuvre peut participer à la mise en perspective de chaque pratique pour
établir des comparaisons et construire une pensée propre à chaque spectateur. La médiation ne
doit donc pas seulement être pensée dans l’objet d’amener des publics « empêchés » vers une
œuvre d’art, mais aussi dans le but de contextualiser une pratique artistique. Si le spectacle de
danse contemporaine engendre une certaine appréhension, la médiation peut contribuer à
engager un parcours personnel vers l’art.
L’initiative de la médiation doit ainsi se concentrer sur tous les publics. Elle doit amorcer ou
démultiplier les fonctions de l’art, c'est-à-dire susciter une expérience sensible entre l’œuvre
et le spectateur, convoquer et remettre en question les représentations des individus et mettre
en réflexion le monde et la perception du sujet.
2.3.2. Quelle médiation pour les œuvres entre classique et contemporain ?
Plusieurs points d’ancrages sont importants pour établir des actions de médiation sur
les relectures de ballets classiques ou sur les œuvres de danse contemporaine qui utilisent des
éléments de danse classique. En effet, comme vu précédemment ces pièces touchent à
1 L. LOUPPE, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, coll. La pensée en mouvement, mars 2004, p. 12.
98
diverses interrogations et problématiques qu’il serait intéressant de transmettre au public. La
médiation peut là aussi agir à plusieurs niveaux sur des publics novices ou sur des publics
amateurs et initiés. Ces œuvres permettent, comme évoqué au sous chapitre précédent, de
croiser des publics habitués à la danse classique et d’autres habitués à la danse contemporaine.
La médiation dispose là de divers publics sur lesquels travailler de manière différente.
Cependant, celle-ci doit toujours être attentive à éveiller la sensibilité du spectateur.
L’expérience esthétique en elle-même lui apportera la connaissance mais il est pourtant
difficile de maintenir cet horizon.
Ces œuvres touchent donc à un patrimoine. Elles le réinterrogent et le réactualisent par
une pensée et une écriture, celles du chorégraphe. Celui-ci donne à voir des éléments dont la
danse est plus ou moins directement héritière. La médiation doit se poser la question de ce
patrimoine. Puisque les artistes choisissent de le mettre en avant faut-il s’en emparer,
pourquoi et comment ? Comme l’explique ce mémoire, il y a deux types d’œuvres qui
conditionnent cette perception modernisée de l’histoire : les relectures et les pièces
contemporaines qui font référence par divers moyens à la danse classique. Celles-ci ne
s’appréhendent donc pas de la même manière et ne font pas sens auprès du public de la même
façon. Les relectures proposent clairement une vision différente ou totalement transposée dans
un autre univers. Bertrand d’At (cf. sous-partie 1.2.2) souligne le succès d’une relecture et
affirme que celle-ci fidélise son public. Ici, la médiation a peut-être un rôle à jouer. Elle peut
se placer soit dans l’expression du lien entre le ballet d’origine et la relecture, soit essayer
d’occulter totalement la pièce traditionnelle. Tout dépend de l’objectif que l’on place dans la
médiation et du public auquel elle s’adresse. En effet, c’est un point très important. Par
exemple, si l’intervention se fait sur des spectateurs novices ou « éloignés », il serait peut-être
intéressant d’insérer deux ou trois éléments historiques pour faire prendre conscience que la
relecture permet un passage entre le passé et le présent. Le chorégraphe n’opère pas ce lien
par hasard, c’est parce qu’il éprouve une certaine nécessité de réinterroger un patrimoine.
Intégrer dans la médiation quelques prises de conscience sur l’héritage de la danse permettrait
sans doute d’éclairer le propos de l’œuvre. L’idée ici n’est pas de baser toute la médiation sur
ce point, mais il est indéniable que certaines comparaisons ou explications en ce sens
pourraient participer à l’expérience sensible du regardeur.
Dans une autre perspective, il peut-être intéressant de mettre en avant le côté historique de
l’œuvre dans une médiation qui s’adresserait à un public féru de danse contemporaine. En
effet, celui-ci, habitué à voir des pièces beaucoup moins lisibles et beaucoup plus
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conceptuelles, n’est pas dans la nécessité de construire ses expériences esthétiques. L’idée ici
est que ce public connaisseur peut amplement comprendre et s’intéresser à une médiation qui
met en rapport l’héritage classique et la danse contemporaine. D’ailleurs, ce n’est pas parce
que l’objectif de la médiation sera de mettre l’accent sur l’histoire de la danse que celle-ci ne
peut pas participer à l’expérience sensible du spectateur. En effet, ce dernier faisant appel à
ses connaissances acquises grâce à la médiation, à ses expériences artistiques et esthétiques
précédentes et à sa sensibilité, pourra se laisser emporter par l’œuvre différemment.
Pour les publics habituels de la danse classique, la médiation pourrait jouer totalement en
contrepoids de cet héritage. En effet, celui-ci détient sans doute la plupart des clés historiques
de la danse classique et connaît certainement nombreuses histoires traitées dans les ballets
classiques. L’idéal de la médiation envers ces publics serait d’occulter totalement la partie
historique. Souvent, le public de la danse classique n’est pas toujours habitué des pièces
chorégraphiques contemporaines. Si c’est le cas, il s’intéresse souvent à des pièces très écrites
en matière de mouvements. L’intérêt de cette médiation serait alors de miser totalement sur la
danse contemporaine et parler nécessairement de la pièce remaniée. Le public est apte à faire
les passerelles lui-même entre passé et présent, toutefois la médiation doit lui apporter
quelque chose de nouveau. C’est en cela que son expérience sensible sera complète. Si la
médiation lui ouvre le chemin de l’œuvre dans sa modernité, le spectateur connaisseur de la
danse classique pourrait ainsi trouver un réel intérêt dans la relecture.
Ces trois exemples de construction de la médiation sont bien sûr quelques pistes de réflexions.
Cependant, il existe de multiples publics qui ont chacun leur particularité. De plus, il ne faut
pas oublier que l’unité qui constitue le public à un moment donné comporte une multitude
d’individu qui, chacun à leur manière, développe un rapport particulier avec l’œuvre. Ces
idées sont à prendre dans l’absolu, et il y a donc des pistes à développer sur le terrain en
fonction de l’œuvre, du public et de la structure dans laquelle elle est programmée. Les
relectures sont souvent la garantie de la venue du public, mais ce n’est pas pour autant que
leur médiation ne serait pas « efficace ».
Les œuvres empruntant à la danse classique par divers moyens vont bénéficier là aussi
de médiations très diverses. De la même manière que les relectures, à chaque œuvre
appartient sa problématique et plusieurs points d’ancrages sont possibles. La médiation peut
très bien s’établir sans se soucier des références à la danse classique. Tout dépend de la
manière dont le médiateur veut conduire ses actions et de la façon dont il souhaite positionner
l’œuvre. La danse classique et la danse contemporaine dans leur rapport d’opposition ou
100
d’inclusion/exclusion permettent de rendre visibles des perceptions jusque-là inéprouvées. La
réception s’en retrouve alors modifiée notamment lorsqu’il s’agit de la phase kinésique si
l’œuvre mêle les deux techniques. La médiation doit-elle nécessairement préparer le
spectateur à ces sensations ? Il est presque certain qu’un public de danse classique appréciera
l’écriture de Thierry Malandain ou de William Forsythe. Peut-être au contraire qu’un public
amateur de danse contemporaine trouvera cette danse un peu trop « léchée », sans grand
intérêt, etc. Le public de danse classique peut être amené à déceler la modernité dans la
gestuelle de ces chorégraphes par l’énergie ou la déstructuration du mouvement employées.
La médiation pourra donc se faire à un autre niveau en ce qui le concerne, en revanche peut-
être que les adeptes de la danse contemporaine seront sensibles à ce que la médiation les initie
en ce sens. Ceci dépend toujours du public auquel on s’adresse, puisqu’en effet chaque
spectateur doit être considéré dans son individualité, et celui-ci est peut-être tout à fait capable
de déceler la modernité d’une écriture telle que celle de Thierry Malandain ou de William
Forstythe.
Pour les pièces qui empruntent la musique de grands ballets classiques, il est peut-être
intéressant que la médiation joue sur cet atout sans trop s’y perdre non plus, sans trop rentrer
dans une explication contextuelle et historique, mais en replaçant la partition dans le monde
actuel et dans la manière dont le chorégraphe peut placer une gestuelle contemporaine dessus.
La médiation peut venir participer à développer l’expérience esthétique que procure
l’association de la musique de ballet classique et la création chorégraphique contemporaine.
Pour les pièces dont la référence musicale est accompagnée de références gestuelles, vidéo ou
autre, il est peut-être nécessaire que la médiation les insère. Certains chorégraphes s’amusent
à jouer sur le costume et notamment le chausson de pointes. C’est un élément qui est commun
dans la conscience collective de beaucoup et il reste très vite associé à la danse classique. Là
encore tout dépend du public qui participe à la médiation mais celle-ci devra veiller à la
mettre en avant de façon plus ou moins discrète. A chaque forme et à chaque chorégraphie se
déploie un travail de médiation particulier en fonction du public auquel on s’adresse.
Là où la médiation peut venir jouer un rôle, c’est dans l’appréhension du genre des
œuvres qui s’exposent à la frontière du classique et du contemporain. En effet, certaines
pièces peuvent créer de la confusion dans l’esprit des spectateurs. Peut-être qu’à ce niveau-là,
la médiation a un rôle à tenir en ce sens qu’elle pourrait participer à éclairer le trouble qui
s’instaure chez certains publics. Ce dernier agit également sur les critiques et sur les auteurs
de la danse. Comme évoqué dans la sous partie 1.1.3, ces pièces posent le problème de leur
101
classification. En effet, les difficultés rencontrées au regard de ces œuvres sont qu’elles se
situent aux croisements de diverses techniques et font référence de manière différente à
certaines époques distinctes. A partir de là, chacun se construit sa propre grille d’analyse
selon ses connaissances, et il peut vite se retrouver perdu. Sans expliciter de manière
inquisitrice, la médiation culturelle peut venir se confronter à cette confusion. Elle peut très
bien faire passer le message que le plus important dans la réception d’une œuvre, ce n’est pas
de savoir ce que l’individu voit, mais surtout ce qu’il regarde, ce que ça évoque chez lui.
L’important n’est donc pas de se concentrer sur le genre de danse qui est proposé mais surtout
de laisser parler et raisonner les sensations que provoque le mouvement sur scène dans le
propre corps de l’observateur. Il faudrait donc que la médiation s’impose en amont de ce
trouble. Cependant, on ne peut nier le fait que les programmations nécessitent souvent de
qualifier le style artistique qu’ils proposent. Comme expliqué plus haut (cf. sous partie 1.1.3),
les œuvres telles que les relectures ou celles qui empruntent des éléments ou références à la
danse classique ont tendance à être soit catégorisées sous l’esthétique du néoclassique ou celle
du contemporain. La pertinence voudrait qu’elles soient plutôt considérées comme
contemporaines que néoclassiques. Il faudrait donc que la médiation soit un moyen de faire
passer cette idée sans pour autant intellectualiser son propos. L’intérêt repose sur le fait que le
spectateur ne se retrouve pas confronté à un problème de classification alors que le but de
l’expérience esthétique, c’est de se laisser porter par l’œuvre. C’est en quelque sorte la
« sérénité » du spectateur à laquelle peut contribuer la médiation. En effet, elle peut lui éviter
des questions inutiles qui le détourneraient du sensible de l’œuvre. Il faut que son esprit soit
au moins libre de cette interrogation pour pouvoir apprécier l’œuvre à sa juste valeur, dans sa
matérialité corporelle, dans sa gestuelle et dans son écriture. Le but n’est pas d’essayer de
déchiffrer si tel ou tel mouvement est classique, néoclassique ou contemporain, mais surtout
d’être attentif à ce que disent ou ce qu’évoquent ces mouvements ou de se laisser transporter
par ces derniers pour les apprécier dans leur matérialité. Ceci ne va pas nécessairement de soi
et c’est en cela que la médiation peut-être utile.
En dernier lieu, il semblerait que ces œuvres soient un très bon outil pour un premier
accès à la danse contemporaine. En effet, ces formes sont sans aucun doute très lisibles pour
beaucoup de publics, en ce sens qu’elles peuvent répondre aux attentes d’un public plus ou
moins initié, voire novice. Elles sont donc, pour la plupart, plus faciles d’accès que des formes
minimes ou conceptuelles. Ces dernières sont un bon moyen de mener des publics
« éloignés » ou qui ne se sentent pas concernés par la danse contemporaine. La médiation peut
102
jouer un rôle en ce sens qu’en tissant le lien avec l’œuvre, elle peut désacraliser la danse
contemporaine. Le but est de montrer que celle-ci peut s’adresser à tous et qu’elle ne présente
pas nécessairement des formes « intellectuelles ». Ceci se base donc sur les « a priori » liés à
cet art et la médiation doit se fixer pour objectif de les déconstruire. Ces œuvres pourraient
être une porte d’entrée vers des formes par la suite plus difficiles d’appréhension. Une fois le
premier pas franchi dans une salle de spectacle, le second sera sans doute plus facile, le
troisième un peu plus… Le rejet que peut provoquer l’art contemporain peut être atténué par
l’approche d’œuvres peut-être plus faciles d’accès. Il faut admettre que certaines œuvres ne
s’adressent pas à tout le monde et la médiation culturelle a tout à gagner à orienter un individu
non amateur vers une forme plus lisible. Le rejet sera certainement moindre, voire inexistant,
si l’on sensibilise un public non initié.
Conclusion
Au regard de ce chapitre, la médiation semble nécessaire et l’art n’a rien à perdre à sa
mise en place. Finalement, elle est rendue possible sur tout types$ d’œuvre, quelle que soit sa
difficulté d’appréhension. Elle a pour but de favoriser la réception esthétique sans pour autant
trop la guider ou trop l’influencer. Ceci reste tout de même un point de vue car certains
considèrent que des visites guidées pures et simples seront de la médiation, tandis que
d’autres considèrent la médiation comme offrant un « passeport » (payant) avec un nombre de
spectacles à la clé. Ainsi, pour certaines structures, la médiation revendique une certaine
éthique, tandis que pour d’autres elle n’a pour intérêt que de faire du « remplissage ». Bien
évidemment, ces exemples sont des extrêmes et de nombreuses entités culturelles se placent
entre ces deux considérations. La médiation doit garder son côté de transmission dans le but,
certes de fidéliser un public, non pas parce que le tarif est plus attractif, mais car l’expérience
esthétique qu’il aura vécu aura été constructive pour lui.
La médiation de la danse semble aussi diverse et variée car elle est sans aucun doute
un des moyens d’effacer le sentiment d’incompréhension qui l’entoure. A juste titre, elle attire
tout de même un grand nombre de spectateurs, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si un
français sur six cent n’a jamais assisté à un spectacle de danse contemporaine, la médiation
peut nécessairement trouver sa place. Elle s’insère parfaitement dans le projet de la
démocratisation culturelle.
103
Toutefois même si la médiation est devenue une évidence pour un bon nombre
d’institutions et d’acteurs culturels, « la terminologie de médiateur ou de médiation est
rarement utilisée, et même souvent volontairement évitée au profit d’expressions comme :
action culturelle, action pédagogique, relation aux publics, action territoriale, animation
scientifique, action musicale, etc. La médiation apparaît comme un mot valise renvoyant à
une grande hétérogénéité d’activités »1. Ainsi, la médiation et son champ d’action sont très
fragmentés. Elle ne s’insère pas dans la société de la même manière selon la structure qui
l’initie, selon les publics auxquels elle s’adresse et la nature des relations qu’elle souhaite
entretenir avec eux. Le problème qui se pose donc, c’est que parfois, la médiation reste trop
en marge. Celle-ci fait belle figure de théorisation mais le terrain est totalement différent. Ceci
marque un manque de reconnaissance pour la profession même de « médiateur culturel », ce
qui rappelle donc le grand écart entre les discours des politiques culturelles et les pratiques.
Ces dernières « pourront s’approcher des ambitions théoriques affichées, lorsqu’elles
deviendront un véritable objet de gestion »2, c'est-à-dire lorsque la profession sera à minima
structurée.
1 N. AUBOUIN, F. KLETZ, O. LENAY, Médiation culturelle : l’enjeu de la gestion des ressources humaines [en ligne], Disponible sur : < http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/cetudes-2010-1.pdf >, (consulté le 25/04/11), p. 2. 2 Ibid., p. 11.
104
Conclusion
Les œuvres qui participent au métissage entre danse classique et danse contemporaine
suscitent plusieurs réflexions en matière de patrimoine et de son héritage. Qui dit héritage dit
transmission : il y a donc des chorégraphes qui remettent à jour ce patrimoine dont les
regardeurs peuvent s’emparer. Toujours est-il que ce phénomène nécessite parfois une
médiation s’adressant au public. Contrairement au théâtre, et même si elle se dit ouverte à
tous, la danse contemporaine est ouverte à cela par diverses activités. Elles permettent au
spectateur d’approcher ce domaine soit par des sensibilisations intelligibles de
compréhension, soit par un travail de sensations sur le corps.
La dimension patrimoniale de ces œuvres reste très importante car elles conjuguent un
passé au présent tout en pensant au futur. Proposant des formes inédites et plus lisibles, elles
sont une réelle porte d’accès pour des publics « éloignés ». Il ne faut en aucun cas les
déconsidérer comme étant des œuvres trop « simples ». Comme les autres, elles participent
tout autant à renouveler la pratique chorégraphique et l’interrogent d’une autre manière. Ce
n’est pas parce qu’elles usent de la diversité et que leur lisibilité est plus probante, qu’elles ne
comptent pas dans l’histoire de la danse. La médiation culturelle ne doit donc pas pour autant
s’en emparer automatiquement. Dans son objectif de « transmission », elle doit faire prendre
conscience des intérêts de ces œuvres. Dans cette perspective, il ne faut pas oublier que la
médiation a pour but de créer un lien entre un public et une œuvre afin que l’expérience
esthétique soit la plus épanouie possible comme la décrit Jean Caune dans son ouvrage Pour
une éthique de la médiation, Le sens des pratiques culturelles. « La culture esthétique ne se
limite pas au domaine de l’appréciation, pas plus qu’elle ne s’oppose à la culture
scientifique, qui se préoccupait seule de la compréhension. Il faut dépasser l’idée qui ne voit
dans l’activité esthétique qu’un moyen de loisir, de fuite devant la pesanteur du réel, de
résolution des tensions sociales et jamais une activité qui, en elle-même, apporte une
compréhension propre du monde. L’art n’est pas un « supplément d’âme » qui vient apporter
une plus-value immédiate à la connaissance […] . Une des conditions pour donner à la
culture esthétique cette fonction d’interprétation du monde de la relation interpersonnelle est
de ne pas la réduire au rapport à l’œuvre d’art et d’y inclure la formation de l’individu par
105
l’expression artistique. L’objectif est alors de penser la relation entre cognitif et affectif »1.
La médiation ne doit avoir aucune prétention. Son seul et unique but est donc de participer de
cette culture esthétique.
1 J. CAUNE, Pour une éthique de la médiation – Le Sens des pratiques culturelles, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1999, p. 104.
106
Conclusion générale
« Plus on y réfléchit, plus il semble particulièrement vain de vouloir apporter une
définition de la danse. Il faudrait reprendre une fois pour toutes les propositions de quelques
esthéticiens sur l’art en général et choisir pour la danse une lumière spéciale. Mais l’exemple
de ces mêmes esthéticiens est décourageant. A vouloir limiter on obscurcit et l’on parvient
seulement à reculer un peu plus la solution du problème, en admettant qu’il y ait une solution
et un problème »1. Dans le cas de ce mémoire, le problème de la danse serait donc comment
conserver le patrimoine de la danse classique, et peut-être que la solution, hormis la création
d’un répertoire, est le fait que ce soit la danse contemporaine qui permet la renaissance de la
tradition par divers moyens. Toutefois, ces œuvres peuvent aussi créer un trouble par la
difficulté de leur classification et la meilleure solution serait donc de catégoriser ces œuvres
dans le genre de la danse contemporaine pour répondre à un besoin de rationalisation
humaine. L’idéal serait de laisser parler ces œuvres sans préjugés, sans intention de
comparaison, sans projet de classification. Elles marquent une réactualisation de la danse et
par ce biais là, elles sont largement parlantes. Il suffit que le chorégraphe affirme une identité
qui lui est propre. L’exploration de tous les registres de création, des volontés d’expressions
des créateurs sont la meilleure manière d’exprimer leur art. Par la suite, « dès que les corps
s’exposent, la chorégraphie quitte son créateur et est soumise à la lecture du spectateur en
stimulant, entre autre, sa sensibilité à la différence (une réflexion éthique), provoquant ce
moment magique de l’échange où regardeurs et regardés respirent ensemble et se confrontent
à la complexité de nos comportements »2. La danse permet des expériences qui renvoient
directement ou indirectement à d’autres expériences, parfois celles de la vie de tous les jours,
mais elle permet aussi de se détacher de ce quotidien.
« Nombreux sont les spectateurs qui cherchent encore et toujours des codes d’accès à
un art plus proche de l’irrationnel que de la logique : non pour quadriller une œuvre mais
pour savourer les interstices, là où l’imaginaire de chacun a la liberté de se glisser pour
s’épanouir. Le plasticien Marcel Duchamp aimait à dire que c’est le spectateur qui fait
l’œuvre. A condition qu’il s’accorde ce droit, fasse confiance à ses perceptions, ouvre sans
complexe les vannes de son inconscient. Il ne s’agit pas de consommer, mais de jouir en
1 P. SOUPPAULT, « Terpsichore », dans M.C. PIETRAGALLA, Ecrire la danse, De Ronsard à Antonin Artaud, Paris, Séguier Archimbaud, janvier 2001, p. 144. 2 B. LEFEVRE, « L’Expérience de la réception du spectacle en danse contemporaine », dans S. GIREL (sous la dir. de), Sociologie des arts et de la culture – Un état de la recherche, Paris, L’Harmattan, août 2009, p. 298.
107
inventant sa vision propre »1. C’est dans ce sens-là que doit œuvrer la médiation car elle doit
donner la possibilité aux spectateurs de s’ouvrir à un univers qu’ils ne connaissent pas ou
peu : elle peut aussi bien amener un public novice qu’un public connaisseur. L’idée n’est pas
d’amener les spectateurs vers une réception qui serait identifiée comme « bonne » ou
« mauvaise », mais de les conduire vers un cheminement qui serait propre à chacun.
Les œuvres traitées dans ce mémoire intègrent une dimension particulière. En effet,
par leurs caractéristiques, elles permettent l’avènement de nouvelles formes qui sont chacune
créées à l’image de la sensibilité de leur auteur.
De tout temps, les grands ballets ont été repris. Leur transmission s’est faite par voie
orale mais leur ancrage est toujours resté dans le système classique et c’est finalement tard
que la danse contemporaine s’intéresse à ces ouvrages. Par sa rupture avec la tradition, elle a
marqué un besoin de s’en éloigner pour mieux l’analyser et mieux y revenir par la suite. Les
relectures sont donc multiples et variées dans leur façon de réinterroger à la fois la danse
classique mais aussi contemporaine. Elles impliquent un travail de recherche historique et
nécessitent une réflexion poussée pour retirer l’essence. Cette dernière est conservée par la
pièce contemporaine qui décuple donc les fonctions du ballet. Le spectateur assiste à des
œuvres totalement contemporaines dans la gestuelle, d’autres aiment mêler inlassablement la
technique classique et contemporaine, tandis que certaines s’amusent à insérer des fragments
de mouvements classiques ou des éléments comme les costumes ou les décors qui font
références au ballet originel.
D’un autre côté, la danse contemporaine n’a pas eu besoin de s’incarner dans une
reprise de ballet pour emprunter à la danse classique. Elle s’adonne avec plaisir à l’alliage des
sources classiques et de l’esthétique contemporaine. L’insertion de la danse classique se fait
par bribes ou très explicitement. Chaque ouvrage présente à sa manière un élément de la
danse classique. Selon son inspiration le chorégraphe choisit de mettre en avant une narration,
une musique de ballet, un costume, un chausson de pointe, etc. Dans ce cas-là aussi, la danse
classique est considérée comme productrice de création et assemblée à la danse
contemporaine, elle multiplie les possibilités de mouvements et d’expressions. Loin d’effacer
les valeurs de la modernité, elle l’invite à s’ouvrir à d’autres horizons. Que ce soit dans la
gestuelle, ou dans la portée symbolique, ces pièces contemporaines apportent un renouveau
certain à la danse. Elles mettent en regard des éléments qui originellement n’étaient pas faits
1 R. BOISSEAU, Panorama de la danse contemporaine, Paris, Textuel, septembre 2008, p. 5.
108
pour être associés : ils étaient, même à une certaine époque, pour beaucoup de chorégraphes,
antagonistes.
L’histoire de la danse a donc permis ce lien qui avait été brisé entre classicisme et
contemporanéité. A un moment donné, pour « survivre », la danse classique a eu besoin de se
moderniser, tandis que la danse contemporaine, sans être arrivée à saturation s’est ancrée dans
un certain conformisme et un certain académisme. Les expérimentations se tournent alors vers
la remise en jeu des codes sans les occulter mais en les transposant dans une esthétique et une
technique contemporaine. De nombreux chorégraphes excellent en la matière comme Maguy
Marin, Angelin Prejlocaj, William Forsythe, Thierry Malandain, Karol Armitage, Mats Ek,
etc. pour ne citer qu’eux. Il y a donc différentes manières de réinterroger le passé. Certains
utilisent la technique de la danse classique pour en développer des mouvements totalement
modernes, tandis que d’autres préfèrent détourner le propos de l’œuvre originale pour le
transférer dans un monde actuel. En général, ces œuvres ont tout de même la capacité de
traiter de thèmes universels et sont parfois plus lisibles, en ce sens qu’elles sont souvent plus
« dansantes » et moins conceptuelles. Elles « parlent » généralement plus que des œuvres
minimalistes. En tout cas, elles peuvent être le moyen d’amener des publics novices à la danse
et la médiation a, en effet, tout à gagner à travailler sur ce genre d’œuvres. Elle doit les
considérer tout d’abord comme des pièces contemporaines et axer son propos selon l’œuvre.
La mise en avant du patrimoine est très importante mais elle ne doit pas nécessairement
occulter le reste du propos de la pièce ou son intérêt. D’autant plus qu’en général, les
chorégraphes ne participent pas à la patrimonialisation de la danse volontairement ; si leurs
créations s’inspirent du classique, certains ne revendiquent pas la réactualisation d’un
patrimoine. Tout naturellement ces œuvres réinterrogent un passé de manière évidente, mais
souvent les artistes pensent d’abord leur création en ce qu’elles vont pouvoir amener de
nouveau à leur art mais aussi à leurs productions. Certains, comme Angelin Prejlocaj ou
Bertrand d’At, vont aussi se soucier du public en créant des œuvres qui s’inspirent de la danse
classique. Plus de 150 000 spectateurs ont vu Blanche Neige, tandis que Bertrand d’At est
certain de fidéliser un public avec sa relecture classique du Lac des Cygnes, afin que ce
dernier se rende à la présentation des pièces contemporaines données par son ballet.
Il y a donc différentes manières d’aborder les œuvres qui opèrent le métissage entre
danse classique et danse contemporaine. En effet, « une fois n’est pas coutume ». Même si il y
a certains intérêts communs ou certaines similitudes dans les pièces qui confrontent la
109
tradition à la modernité, chacune d’entre elles revendique une position unique face à un passé
dont tous les danseurs et chorégraphes sont, parfois malgré eux, les héritiers. La danse est en
perpétuel devenir, car chacune de ses productions est éphémère et que sa capacité à se
réinventer est infinie. De plus, son caractère créatif reste alors ineffaçable pour trois
catégories de personnes : le chorégraphe, les danseurs et les spectateurs. La danse laisse
naturellement une trace. En cela, le spectateur participe à son tour à sa mémoire. En effet, le
mode de réception kinésique enclenche une sensation qui s’infiltre chez le regardeur de
manière inconsciente pour toujours. Ainsi, il porte en lui des états de corps dont il s’est fait
siens et qu’il véhicule. Outre ce phénomène, le public est également un vecteur de
transmission de la danse. Par le seul fait de sa réception, celui-ci est par la suite tenté de
donner son avis et expliquer ses impressions sur telle ou telle forme et, par ce biais-là, il
participe à la création d’une mémoire collective puis à la construction d’un patrimoine vivant.
Les spectateurs peuvent alors avec la production de vidéos, d’articles, ou bien de
photographies, etc. contribuer au renforcement du patrimoine chorégraphique. En effet, l’idée
de transmission passe aussi par les images et les mots dont le seul but est de faire renaître un
évènement passé par un médium. Ce qu’il reste chez le spectateur sont des visions floues mais
son corps et son esprit conservent tout de même le sens premier de l’œuvre.
Au regard de ce paragraphe, il y aurait finalement trois manières de « conserver » la
danse mais certaines pratiques n’ont pas la même ambition. La constitution d’un répertoire a
été nécessaire à un moment donné de l’histoire de la danse en ce sens qu’elle a permis la
création d’un patrimoine chorégraphique classique. La danse contemporaine s’est aussi
tournée vers cette notion, surtout les chorégraphes. Certains, notamment ceux qui agissent
dans le secteur institutionnel ou ceux qui sont très renommés, cherchent absolument à
partager leur répertoire et à le prolonger dans la durée, voire même après leur mort. Tous les
moyens sont bons comme notamment la notation, la captation ou encore la délégation d’un
danseur à la tête de la compagnie. D’autre part, les pièces contemporaines qui réintroduisent
la danse classique permettent elles aussi la patrimonialisation de la danse, en ce sens qu’elles
réactualisent le répertoire. Par ce biais-là, elles remettent au goût du jour les attributs et codes
de la danse classique. Enfin, la danse peut être entreprise dans une mémoire collective qui
prend naissance dans les perceptions du public. Ainsi, « la mémoire de la danse est le lieu de
110
tous les possibles à partir de l’instant où on l’aborde à travers le surgissement de la trace
humaine, intime, sensible, rare des spectacles »1.
1 E. SEVERIN, Le Processus de patrimonialisation des œuvres chorégraphiques contemporaines, Mémoire -DESS « Développement culturel, et directions de projets », Université des Lumières Lyon II/ARSEC, année 1999/2000.
111
Postface
Panorama historique de la danse classique
et contextualisation de la danse contemporaine
112
Ces deux aperçus historiques et contextuels montrent en quoi les esthétiques
classiques et contemporaines ont su se remettre en question à différents moments de leurs
évolutions. Il est important de noter que cette postface est bien sûr sélective. En effet,
l’histoire de la danse est tellement complexe, diverse et étoffée que tous les chorégraphes
importants et novateurs n’ont pu être cités. Cette postface dresse un panorama rapide afin
d’éclairer le lecteur sur le propos de ce mémoire. En effet, il est nécessaire de prendre en
considération la manière dont la danse classique, la danse néo-classique et la danse
contemporaine se sont constituées. De manière évidente, l’avènement de la danse
contemporaine n’a pas pour autant relégué la danse classique « aux oubliettes ». Les scènes
actuelles présentent les trois esthétiques.
En France, la question de la modernité a traversé ces deux esthétiques. Naturellement,
elles s’en sont emparées chacune de manière différente. En effet, « les dix ans d’expansion
inouïe de la danse contemporaine en France (1982-1992) correspondent quasi exactement à
la mandature de Noureev (1983-1992) à l’Opéra de Paris, qui s’empressera de revisiter et
d’inscrire tous les chefs d’œuvre de Petipa à son répertoire (Don Quichotte, 1981,
Raymonda, 1983, le Lac, 1984, Casse-Noisette, 1985, la Belle au bois dormant, 1989, la
Bayardère, 1992) »1. Cependant, la frontière entre classique et contemporain qui s’était
fortement dessinée dès la naissance de la danse contemporaine s’est peu à peu décimée.
Comme évoqué précédemment, dès 1973, Carolyn Carlson est invitée à l’Opéra de Paris en
tant qu’étoile chorégraphe, tandis que Merce Cunningham crée pour la compagnie Un jour ou
deux. Dès lors, la danse contemporaine entre à l’Opéra de Paris. Noureev invite la compagnie
de Martha Graham en 1984 : cet évènement constitue un cas historique d’accueil d’une
compagnie moderne dans la plus vieille institution de la danse en France. Ceci marque
nettement la « trêve » entre les deux esthétiques, même si auparavant la danse contemporaine
ne s’est pas toujours positionnée à l’encontre de la danse classique. Ainsi, de nos jours, il
n’est pas rare de voir certains chorégraphes contemporains puiser quelques éléments de leur
inspiration dans la danse classique.
1 A. IZRINE, « Le Répertoire, création du XXe siècle », Danser, n°308 – 2011, Paris, DDB Editions, p. 54.
113
Chapitre 1 : De quelle manière la danse classique a permis la
création d’un répertoire ?
Introduction : La danse comme instrument du pouvoir
Comme évoqué précédemment, les origines de la danse classique et ainsi du ballet
remontent aux expressions originelles du mouvement qui consistaient en des rites, en des fêtes
civiles ou religieuses. Le moyen utilisé par les hommes pour attirer l’attention des dieux s’est
très vite porté vers l’utilisation de la danse. Cette dernière a pour intérêt de convoquer les
divinités afin de maîtriser les éléments qui dépassent la nature humaine. L’homme
paléolithique est confronté à des phénomènes sur lesquels il ne peut avoir de pouvoir. Il
s’adonne ainsi à des rites dansés pour provoquer la pluie ou réalise des danses solaires ou
lunaires. La danse est ensuite présente partout dans la civilisation grecque : rites religieux,
cérémonies civiques, fêtes, éducation des enfants, entraînement militaire, vie quotidienne, etc.
Elle permet également de rendre hommage aux dieux devant les temples. Il y a même des
danses consacrées à un dieu particulier, comme le culte de Dionysos qui est généralement
dansé. Peu de temps après le Moyen Age, la tradition continue à lier la danse à la religion.
Mais l’époque est sujette à des crises qui vont toucher les sensibilités et il s’amorce une prise
de conscience et une réflexion sur la vie et la mort : c’est l’ère des danses macabres. De ces
danses collectives ressort une longue maturation qui conduit la danse à s’ouvrir vers de
nouveaux horizons. Les danses de groupe tendent alors vers des danses de couples. En effet,
vers le XIIème siècle, la danse noble, à l’image de l’écart qui se creuse entre les classes, tend à
s’éloigner des danses populaires : il s’opère un refus du « corps collectif » (institué dans les
danses populaires) dans la volonté de raffinement entrepris par les couches aisées.
La véritable impulsion est donnée par les cours européennes à travers l’Europe
pendant la période de la Renaissance. C’est à cette époque-là qu’apparaît le maître à danser
qui, au service des princes et des rois, instaure des règles qu’il enseigne. Se développent ainsi
des techniques, des postures et des pas qui sont retracés dans des traités pour envisager le
ballet dans sa globalité. Ces derniers jettent alors les bases d’un art qui se veut être les
114
prémices de la danse classique. Le plus majeur d’entre eux a été écrit par Toinot d’Arbeau et
se nomme L’Orchésographie. Il décrit les danses de caractère et les pas de danse de cour du
XVème et du XVIème siècle. La danse devient alors, dans l’Italie du XIVème et XVème siècle, le
prétexte de fêtes à la gloire des princes, permettant de s’écarter du dogme religieux replaçant
l’homme au centre du monde. Les spectacles à l’italienne vont s’expatrier en France grâce à
Charles VIII et François 1er.
Déjà, le ballet de cour connaît la recherche de la virtuosité et de l’illusion scénique.
Petit à petit, l’influence du roi agit sur la danse par la création en 1570 de l’Académie de
musique et de poésie. La danse commence donc à s’intellectualiser par le lien qui s’établit
entre elle et la littérature. Le 15 octobre 1581, le Ballet comique de la reine est donné au
Louvre pour le duc de Joyeuse. L’art total prôné à cette époque est réalisé pour la première
fois en France par l’unité dramatique : musique, poésie et danse. Mais dès lors, le ballet entre
dans une dimension politique grâce à son apparence faste. D’une durée de dix heures, le
spectacle, auquel assiste plus d’un millier de personnes, a coûté une somme conséquente. A
partir de cet évènement, le ballet de cour est utilisé pour appuyer la justice et la puissance du
roi.
Celui qui use et utilise de cette association est bien évidemment Louis XIV. Il est
l’emblème même de ce lien qui unit pouvoir et danse. Le futur roi fait alors son apparition à
l’âge de treize ans, en 1651, dans Cassandre. Bon danseur, il développe et voue une vraie
passion pour cet art. Très vite, il devient même son instrument de règne et permet de le
symboliser en tant que Roi-Soleil. Tous les arts lui permettent de travailler son image. La
naissance des académies profite dès lors au classicisme tandis que le baroque italien est rejeté.
1.1 Les bases de la danse classique
L’année 1661 est fondatrice pour l’art de la danse et notamment le ballet classique.
Elle instaure l’Académie royale de danse sous la responsabilité de Pierre Beauchamp, alors
maître à danser du roi. Il fixe les règles et dès 1669, Raoul Feuillet instaure la première
notation chorégraphique. Celle-ci reste très schématique et ne décrit en aucun cas les
mouvements du haut du corps ainsi que ceux des bras. C’est finalement une danse stylisée et
épurée qui commence à entrer dans les théâtres. Dès lors, des artistes professionnels
commencent à intégrer les ballets de cour à l’effigie de Louis XIV. Ce qui fait la prospérité du
115
roi, c’est également la coopération de Beauchamp, de Lully et de Molière. La comédie ballet
est possible grâce à la réunion de ces trois personnes : le maître de ballet, le directeur de la
musique du roi et l’homme de théâtre.
L’apparition de la comédie ballet et la naissance de l’Académie royale permettent
l’avènement d’un professionnalisme qui ne fera que croître par la suite. On doit notamment à
Pierre Beauchamp les cinq positions qui définissent la base de la technique classique qui, plus
tard, participent à l’élaboration de la danse néoclassique, jazz et contemporaine. Il rend le
geste plus aiguisé, moins naturel.
Plus tard, la comédie ballet évite au ballet de se laisser absorber uniquement par l’opéra et la
volonté de Molière de la transposer au théâtre est d’une importance fondamentale. Déjà, avec
Les Fâcheux, Molière regrette que les moments dansés ne s’intègrent pas correctement dans la
comédie mais, dès Le Bourgeois gentilhomme, il coordonne de manière beaucoup plus
originale le ballet et le théâtre. La danse trouve une part intégrante à l’action.
Le ballet de cour est donc voué à disparaître dès lors que Louis XIV n’y danse plus. Ainsi, en
1673, la première scène de danse théâtrale prend beaucoup plus d’ampleur après quelques
années d’existence. C’est Lully qui s’empare de ce privilège après avoir mis Molière à l’écart.
Sa nouvelle association à Beauchamp, au librettiste Quinault, et au décorateur Vigarini
instaure un genre nouveau d’opéra pour lequel le ballet et « l’ouverture à la française » assoit
le professionnalisme de la danse. Cependant, elle n’est pas un art autonome et dépend
nécessairement du théâtre ou de l’opéra. Très vite considérée comme un divertissement, la
technique se développe comme une sorte d’exutoire. Désormais, l’Opéra de Paris se nomme
tel quel. Dès 1681, les femmes sont acceptées en son sein et la nouvelle scène à l’italienne
amène Beauchamp à parfaire sa danse. Très vite, l’en-dehors (position qui consiste en
l’ouverture des pieds vers l’extérieur partant de la hanche) conditionne fortement les
déplacements et mouvements dans l’espace. Cette posture inspire des sauts, des tours et
amène les cinq positions fondatrices, comme évoqué plus haut, de la danse classique. Les
enchaînements deviennent de plus en plus complexes et précis. Avec le déclin de Louis XIV,
la danse se projette à nouveau sur un retour à la sensibilité, au naturel et à la nostalgie. La
danse suit donc le passage de la tragédie lyrique à l’opéra ballet proposé par Jean-Philippe
Rameau dans Les Indes galantes. Ce dernier use pourtant des éléments techniques élaborés
auparavant pour permettre l’élévation et la virtuosité des corps. Dès que le ballet se déplace
sur scène, il gagne et assume la relation scène/salle. Ainsi, il devient un spectacle dans lequel
le roi n’est plus au centre. L’espace du public est nettement différencié de celui de la scène, à
tel point que la composition de la salle à l’italienne permet l’existence d’un parterre et d’un
116
niveau supérieur. Le XVIème siècle voit donc la construction de ces théâtres à l’italienne
permettant des jeux de perspective et d’illusion.
La danse est envisagée dans une globalité qui centralise alors le décor, la musique et la
danse. Dès cette période, le spectacle entre dans une vision frontale qui n’aura de cesse de
s’imposer jusqu’au XXème siècle. La symétrie et la hiérarchie s’installent très vite dans
l’espace. Le centre de la scène contribue à exposer les variations des solistes et personnages
principaux, c’est le lieu principal de l’action tandis que les extrémités permettent de dérouler
un fil conducteur beaucoup moins important. Ce système de convention s’impose très vite
dans le ballet conditionnant automatiquement le spectateur et lui confiant des clés de lecture
non négligeables. Cette habitude chorégraphique est encore d’usage de nos jours quel que soit
le style pratiqué. L’Europe devient alors le laboratoire d’un ballet de genre nouveau qui se
développe. L’Encyclopédie de Diderot évoque l’idée d’une nouvelle danse. C’est Noverre qui
incarne cette évolution. En désaccord avec l’esthétique de son temps, Jean Georges Noverre
sanctionne de façon virulente la danse dont il est le témoin : « Les ballets n’ont été jusqu’à
présent que de faibles esquisses de ce qu’ils peuvent être un jour. […] Je pense, Monsieur,
que cet art n’est resté dans l’enfance que parce qu’on en a borné les effets à celui des feux
d’artifice faits seulement pour amuser les yeux »1.Ces propos, intégrés dans sa Lettre sur la
danse de 1760, se revendiquent en opposition avec ce qui a été fait auparavant. Il se
positionne en faveur d’un art qui ne doit pas se limiter à la beauté et aux prouesses techniques.
Pour Noverre, la danse doit s’adresser directement à l’âme, ne plus être qu’une
illusion. Il prône alors un ballet d’action qui respecterait la vraisemblance et la vie. Il invente
une conception du ballet novatrice de manière réformatrice. Touché de manière très influente
par les idées de Diderot, Grimm, d’Alembert et Voltaire, Jean Georges Noverre évoque la
possibilité de l’expression d’une action pour la danse. La technicité initiée par les maîtres de
ballet précédents permet à Noverre de substituer à la danse un pouvoir de parole. Malgré cette
utilisation technique, il prône un retour au naturel pour éviter la symétrie et insérer un certain
désordre. Le corps est le lieu de l’expression et l’âme est nécessairement impliquée dans l’art
chorégraphique. La danse revendiquée se positionne finalement en opposition par rapport à ce
qui a été mis en place. L’utilisation des bras est privilégiée à celle des jambes, les
mouvements et les gestes deviennent conducteurs des sentiments et des passions. Son travail
sera cependant incompris, toutefois il entre en 1776 à l’Opéra de Paris. Dès lors, il fait face à
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 15.
117
des résistances, qu’elles soient portées par les chorégraphes ou par les danseurs. Ce nouveau
style n’est pas réellement adopté. On lui préfère la chorégraphie de Gaétan Vestris, mais on
doit tout de même à Noverre une introduction réussie de la pantomime et donc la production
d’une œuvre qui marque « la première émergence d’une dialectique qui constitue encore, de
nos jours, l’un des moteurs essentiels de l’évolution de la danse théâtrale »1. Il a donc élevé
ce qui n’était qu’un simple divertissement au rang de spectacle. Le chorégraphe obtient
également un statut équivalent à celui du musicien, du poète et du peintre.
1.2 Du Romantisme à l’académisme, la naissance d’un répertoire
La Révolution et ses apports novateurs dans la société de 1789 n’ont pas été à l’origine
d’un nouveau ballet. Mais s’il n’y a pas eu de remise en cause au niveau de la forme, le thème
des ballets devient plus contemporain. La danse se préoccupe des bourgeois, des paysans, et
des militaires : les classes moyennes sont fortement représentées. Le réalisme est, dès lors,
mis en scène par Jean Dauberval (élève de Noverre) dans La Fille mal gardée en juillet 1789.
L’histoire porte des personnages issus de la vie quotidienne de l’époque. Ce succès est
indépendant de la direction de l’Opéra de Paris, puisque deux ans auparavant, ce sont les
frères Gardel qui prennent la direction de l’Opéra pour une durée de quarante ans.
Le ballet du XIXème siècle prend une ampleur considérable dont l’impact sera
déterminant pour l’histoire de la danse. Outre l’avènement de la danse masculine, le XIXème
siècle est synonyme de la préparation de l’âge d’or du Romantisme. Cette période-là marque
l’histoire à jamais avec des personnages qui résistent à l’évolution du ballet. Giselle, créé le
28 juin 1841 est sans doute une des pièces les plus connue du répertoire classique. C’est une
réelle révolution puisque sur scène l’aboutissement des périodes antérieures se dévoile aux
yeux du public. C’est ainsi que le thème du surnaturel peut être traité plus facilement, car
depuis 1813 que Madamoiselle Gosselin s’est tenue en équilibre sur la pointe de ses pieds, la
technique de la danse féminine propose de plus en plus de mouvements virtuoses. Dès lors, la
marque de la danse classique est trouvée : « les pointes » supposent un travail technique de
surélévation permanente des danseuses. Giselle, emblème de l’époque romantique, incorpore
1 Ibid., p. 19.
118
Giselle, Interprétée par Elisabeth Morin
(Opéra National de Paris) © Jacques Moatti
aussi pour la première fois la dimension de folie d’un personnage. C’est un thème récurrent
depuis la Révolution dans les spectacles de boulevard. La danse commence donc à s’inspirer
d’autres arts, notamment aussi pour les décors. Par exemple, le roman amène le goût pour des
créations exotiques et empreintes d’univers étrangers.
Le public vient voir les ballets pour se plonger dans un
monde irréel et imaginaire. L’Opéra de Paris, fermé
sous l’influence de l’Eglise pendant l’Empire, ressort
d’autant plus fort de ces innovations qui font la
spécificité du ballet romantique. Ce style novateur est
aussi porteur d’un monde fantasmagorique. Bien avant
Giselle, La Sylphide dont la création a lieu le 12 mars
1832, marque l’avènement de la période romantique.
La chorégraphie est signée de Philippe Taglioni sur
une musique de Jean Schneitzhoeffer. Le livret
d’Adolphe Nourrit s’inspire d’un conte fantastique de
Charles Nodier : Trilby. Ce ballet expose le
tiraillement d’un jeune homme entre sa fiancée, dont
l’existence est bien réelle, et son attirance pour une fille
de son imagination. Là encore, le tutu long de tulle blanc qui fait l’emblème de la Sylphide et
plus tard des Willis1 devient alors caractéristique de la danse classique. Le décor permet
l’élévation des sylphides dans les airs. Déjà présent dans La Sylphide, le chausson de pointe
permet une avancée considérable dans le geste dont l’apogée se laisse alors voir quelques
années plus tard dans Giselle. Ce ballet « établit le règne de la ballerine, et fait d’elle dans le
même temps un être désincarné et impondérable, plus proche du fantôme que de la femme »2.
En revanche, ce thème surnaturel ne sera pas très prolifique dans l’histoire de la danse.
Lors de la chute du second empire, le ballet français tend à s’essouffler. Cependant un
spectacle prépondérant, encore aujourd’hui dans le répertoire, connaît un succès majeur avant
l’effondrement du style romantique. Coppélia, créé le 25 mai 1870 est chorégraphié par
Arthur Saint-Léon et Charles Nuitter avec ce qu’il reste du romantisme. Un renouveau est
nécessaire pour ramener l’attention du public qui s’est plutôt détourné vers l’opéra lyrique.
Cette période s’ouvre alors sur ce que l’histoire de la danse nommera l’académisme. Celui-ci
1 Jeunes filles qui se retrouvent transformées en fantôme pour avoir trop dansé. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 20.
119
vient directement d’un pays qui a et aura un rôle majeur dans la danse : la Russie. La figure
dominante du ballet devient alors Marius Petipa. Il aura une influence considérable dans le
monde de la danse. D’origine française, cet artiste exilé à Saint-Pétersbourg s’offre le
privilège de prolonger l’ère du romantisme dans cette partie du monde. Ce jeune danseur
marseillais est appelé par le Théâtre impérial Mariinski car l’usage en Russie depuis le XIXème
siècle est de faire appel à des chorégraphes français. A peine âgé de 29 ans, il commence ainsi
une carrière longue de soixante ans, dont la production permettra la naissance de près d’une
cinquantaine d’œuvre. Ces créations entrent dans l’ère du ballet académique et sa nomination
en tant que maître de ballet, en 1857, permet alors de remettre au goût du jour des œuvres
disparues du répertoire français. Sans lui, Giselle, pourtant chef-d’œuvre quelques années
auparavant, aurait disparu. En effet, l’Opéra de Paris ne représente plus cette œuvre qui fut
l’emblème de la période précédente, celle du romantisme. L’ère Petipa est synonyme de
virtuosité jamais atteinte jusque-là. Les pas et mouvements sont affinés pour servir les
histoires de conte de fée. Les étoiles sont particulièrement mises à l’honneur. La mimique
vient compléter le style général du ballet alors que le côté exotique est inséré par
l’intermédiaire des danses de caractères. Ce chorégraphe joue beaucoup sur le côté
spectaculaire de sa danse dont le résultat n’est pas nécessairement la production de chefs-
d’œuvre. Grâce au directeur du théâtre, une collaboration permet alors à Marius Petipa de
donner un élan à sa carrière. Son travail avec Tchaïkovski a marqué à jamais l’histoire de la
danse. Trois œuvres sont caractéristiques de cette période et font notamment partie
aujourd’hui du répertoire. Elles sont reprises à chaque saison par de nombreuses compagnies :
La Belle au bois dormant (1890), Le Lac des cygnes (1895), Casse-Noisette (1892). Son
influence, outre la création de ballets notoires, sera aussi très importante pour la suite dans la
formation de ses danseurs. Sa domination en terme d’académisme et son monopole sur
l’enseignement en Russie ont touché ceux qui seront plus tard à l’origine des Ballets Russes.
C’est d’ailleurs Nijinsky, Fokine, Karasarvina, et entre autre Pavlova, qui profiteront de la
brèche entrouverte par les nouvelles tendances. Marius Petipa, dépassé par cet élan se verra
dans l’obligation de quitter le théâtre Mariinsky en 1904, six ans avant sa mort, car ses
héritiers ont entamé une révolte contre le maître dont l’ambition marquera à jamais la danse.
120
1.3 Les Ballets Russes : une lueur de modernité
Un nom est à l’origine de la révolution provoquée par les Ballets Russes : Serge de
Diaghilev. C’est en tant qu’impresario avisé qu’il enclenchera le renouveau du ballet
classique. Son mécénat permet de faire naître une troupe dont le chorégraphe est Michel
Fokine. Avec les danseurs, ils vont permettre des spectacles éclatant la routine de
l’académisme. C’est une révolution qui s’enclenche. Le 19 mai 1909, au Théâtre du Châtelet à
Paris, Diaghilev tente un véritable pari. Dans un décor conçu par des peintres de renom (Alain
Bakst, Alexandre Benois, Nicolas Roerich), les danseurs évoluent sur scène dans une
technique superbe tout en développant une danse novatrice. C’est un véritable choc qui attend
les spectateurs ce soir-là. Dans une explosion de couleurs et de rythme se succèdent quatre
ouvrages : Cléopâtre, Le Festin, Le Pavillon d’Armide, Les Danses polovtsiennes, interprétés
par Pavlova, Nijinski, Rubinstein ou Bolm. Une révolution est en marche : dès cette
représentation le spectacle est un véritable triomphe. Un an plus tard, forte de ce succès, la
troupe des Ballets Russes revient avec un programme plus impressionnant : L’Oiseau de feu,
Carnaval et Schéhérazade. Ce programme est également accompagné de musiciens dont l’un
des jeunes interprètes n’est autre qu’Igor Stravinski. Chaque chorégraphie est déployée dans
un style propre. Michel Fokine défend l’idée que la danse ne doit aucunement entrer dans une
routine et fléchir sous la virtuosité gratuite. Il invente des mouvements qui se veulent
expressifs. Le langage dansé est directement issu du sujet traité et les rencontres que fait le
chorégraphe sont déterminantes pour les Ballets Russes. Son échange avec Isadora Duncan, la
danseuse « aux pieds nus » sera par exemple déterminant pour la création du ballet Eunice.
Plusieurs styles sont abordés : le genre grec, le genre oriental, le genre franco-viennois, et le
genre russe.
Il reste tout de même très attaché à l’école classique mais défend dans toutes ses pièces
l’alliance de l’expression au langage de corps. Dès lors, cette nouvelle conception ne sera pas
seulement appréciée à Paris mais viendra frôler les scènes de Monte-Carlo, Rome et Londres.
Ces ballets deviennent finalement plus européens que russes faisant appel à des artistes tels
que Jean Cocteau, Maurice Ravel, Georges Braque, George Rouault, Henri Matisse, José
Maria Sart, Manuel de Falla, etc. D’autant plus que leurs productions ne sont pas présentées
en Russie.
121
Avec ce succès notoire, un danseur est
particulièrement remarqué : Vaslav Nijinski. Il
incarne véritablement le renouveau russe. Il ne
s’embarrasse plus des conventions
traditionnelles. « En Nijinski, Diaghilev trouve
l’instrument de ses rêves, apte à emblématiser
ce que sa compagnie apporte de plus
détonnant : des chorégraphies courtes signées
Michel Fokine qui décapent la danse
classique ; des décors et des costumes
luxuriants de Bakst et de Benois qui tranchent sur le terne carton-pâte des routiniers du décor
théâtral »1 . Il entre petit à petit dans une démarche expérimentale. Son premier ballet,
L’Après-midi d’un faune, créé le 29 mai 1912, en référence au poème de Mallarmé, sur une
musique de Debussy use encore des décors de Bakst. Il déplace les mots du poème dans une
danse s’éloignant de l’académisme. Dès lors, le choc ne sera plus synonyme de succès. Cette
œuvre désoriente : elle n’a pas d’appui réellement narratif, aucune virtuosité n’est déployée, et
l’érotisme présent se dégage du personnage principal, le chorégraphe lui-même. Le public est
partagé, Michel Fokine horrifié par la laideur du spectacle. Cependant, ce spectacle marque
un pas important vers l’avènement de la danse contemporaine. Fokine se détache de la troupe
des Ballets Russes. Plus tard, Le Sacre du Printemps continuera cette rupture. La partition est
de Stravinski, deux actes composent le ballet : « L’Adoration de la terre » et « Le Sacrifice ».
Sous l’impulsion de la technique de l’eurythmie mise au point par Dalcroze, le spectateur
assiste à des mouvements dissociés car le rythme des jambes est différencié de celui du buste
et des bras. Nijinski s’est également attaché à complexifier la chorégraphie par rapport au
rythme de la partition musicale. Référence importante dans le monde de la danse et repris par
de nombreux chorégraphes encore de nos jours, Le Sacre du Printemps n’a pas pour autant
convaincu le public à l’époque de sa création.
« Dans la lignée des Ballets Russes, un suédois de Paris, Rolf de Maré, collectionneur
d’art, ose marier lui aussi les genres, les interprètes de formation classique avec les artistes
1 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 22.
L’Après midi d’un faune, Vaslav Nijinski © BNF
122
de tout horizon »1. Mais la suite des Ballets Russes est également synonyme de la naissance
de la danse néoclassique, avec la reprise de la troupe par le chorégraphe Serge Lifar.
1.4 L’avènement du néo-classique
Serge Lifar ne reste pas longtemps directeur du théâtre Mariinsky, il est appelé par le
directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché, en tant que directeur du ballet. Il impose alors
à la compagnie une discipline et une exigence technique importantes pour rénover et élargir le
répertoire. Le chorégraphe y ajoutera ses propres créations. Il réintègre la notion de
chorégraphe au sens d’auteur et rejette dès ses premières productions les éléments accordés au
peintre et au musicien pendant les Ballets russes. Un de ses premiers ballets, est d’ailleurs
rythmé par ses propres gestes sans aucune musique. Cette œuvre, Icare, est d’ailleurs le
prétexte de l’écriture d’un Manifeste du chorégraphe en 1935. Son style s’inspire de
l’Antiquité et Lifar s’attache à peaufiner de plus en plus sa signature alors que l’occupation
fait acte en France. Par exemple, Suite en blanc, en 1943, mélange musique orientale et pas
classiques, visant à dessiner les
qualités de l’étoile qu’il a
formée, tout en y insérant de
nouveaux mouvements. Il
conserve les chaussons de
pointes mais l’en-dehors
(expliqué précédemment : 1.1)
n’est plus nécessairement la règle,
et il invente de nouvelles
positions comme la sixième (pieds resserrés côte à côte de façon parallèle). Il refaçonne
l’académisme de manière à le rendre plus actuel par rapport à son temps. Ses œuvres sont à
l’origine de ce que l’on peut nommer le néo-classicisme. Cette expression est consacrée à des
œuvres qui se veulent être un savant mélange « de conservatisme et d’innovation »2. Malgré
1 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, Coll. Art Contemporain, 2010, p. 26. 2 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 45.
Suite en blanc par le Ballet de l’Opéra de Paris Serge Lifar © Icare
123
un esprit novateur, l’influence de Lifar fonctionnera encore longtemps sur la danse française
et sa mutation vers la danse moderne et contemporaine se fera plus tardivement qu’ailleurs.
En effet, le néo-classique ne remet aucunement en question l’héritage classique,
notamment en ce qui concerne la technique, mais s’inspire de thèmes reflétant l’époque dans
laquelle il s’insère. C’est une danse qui se développe en même temps que la danse moderne,
mais celle-ci ne remet pas en cause le langage dont elle est l’héritière. Comme suggéré
précédemment par Lifar, le néo-classique élabore sa propre esthétique en cherchant à mettre
sur scène des corps moins rigides avec plus de souplesse, moins figés pour obtenir des
déséquilibres. L’axe vertical s’en retrouve décalé. En France, comme aux Etats Unis, des
chorégraphes notoires vont s’imprégner de cette mouvance. Tous ces artistes semblent
nostalgiques de l’époque des Ballets Russes.
Des personnages qui ont fait la gloire de cette époque comme Boris Kochno (ancien
secrétaire de Diaghilev) et Jean Cocteau rencontrent le danseur Roland Petit pour donner
naissance aux Ballets des Champs-Elysées. Roland Petit en devient le chorégraphe et son
style acrobatique, composé de sauts et de chutes au ralenti sera parfaitement incarné par Jean
Babilée, notamment dans Le Jeune Homme et la Mort en 1946. Cette œuvre pose des
questions existentialistes oscillant entre les thèmes de la mort et
de l’amour, tandis que Zizi Jeanmaire, incarnera, quelque temps
après, d’une manière à la fois érotique et dramatique, Carmen,
personnage de l’opéra de Bizet. C’est un chorégraphe sensible à
l’air du temps qui impulse son art sur le devant de la scène, en
France comme à l’étranger. Il marque alors l’histoire de la danse
à jamais puisqu’il devient brièvement le chorégraphe d’une
troupe qui se compose d’un certain Gaston Berger, futur Maurice
Béjart. De plus, « Le Jeune Homme et la Mort demeure
aujourd’hui encore le ballet le mieux reçu, en France comme à
l’étranger, peut-être parce que chaque nouvelle génération peut
s’y retrouver »1.
Maurice Béjart parviendra, lui, à mener la danse néoclassique sur de nombreuses
scènes touchant un large public. Sa compagnie remplit encore les Zénith de France. Le
fondateur des Ballets de l’Etoile, puis des Ballets du XXème siècle, rend la danse populaire.
1 Ibid., p. 51.
Le Jeune Homme et la Mort,
Roland Petit @ Luciano Romano
124
Son esthétique se veut minimaliste et recourt au geste en tant que symbole. Il vêt ses danseurs
de tuniques qui dévoilent leur corps, ôtant toutes fioritures apparentées aux costumes. Son
choix de musique est également en rupture avec les conventions puisqu’il s’amuse à jongler
entre le groupe Queen et Mozart. Son travail le mènera à prôner un art total puisant son
inspiration dans le monde qui l’entoure. Il est à l’écoute de l’universalité et s’attache à rendre
sur scène, par une vision du corps primaire, l’ensemble des philosophies et croyances qui
traversent la civilisation planétaire. Sa danse est donc le résultat de mélange entre expression
africaine et danse classique, entre cirque et verbe du geste. Il fait finalement des incursions
dans la danse contemporaine grâce à des expérimentations visant à rendre un art total, avant
de revenir vers une mouvance plus néoclassique. Même s’il ne renouvelle pas nécessairement
son esthétique, Maurice Béjart reste un génie de la danse explorant les limites entre modernité
et classicisme, dont les œuvres les plus notoires sont encore aujourd’hui représentées sur les
scènes du monde entier. Certaines sont évocatrices du chorégraphe seulement par leurs noms :
Symphonie pour un homme seul (1955), Le Sacre du printemps (1959), Boléro (1961),
L’Oiseau de feu (1970), etc.
Plus que française, la danse néoclassique devient un phénomène européen et s’étend
également en Angleterre avec Frederick Ashton, en Allemagne avec Jonh Cranko ou au
Danemark dans la continuité de Bournonville.
Le lieu du néoclassicisme en danse reste tout de même les Etats-Unis. C’est un
français expatrié qui portera le flambeau et trouvera l’inspiration régénératrice de cette
esthétique : Georges Balanchine. Il se détache
totalement de la narration ou de l’intention
créatrice de l’argument. Le maître mot est alors
abstraction. Exilé à New York, il crée d’abord
Sérénade (1934) sur une musique de Tchaïkovski,
puis s’atèle à la naissance d’une école où il aura la
possibilité de façonner le corps de ses danseuses
selon ses exigences. Le style de celles-ci est
beaucoup plus glamour que romantique. « Jambes
interminables et buste plat, petite tête sur un long
cou, ces « merveilleux oiseaux glacés » sont des
instruments dociles dont l’entraînement forcené Sérénade, Georges Balanchine ©Paul Kolnik
125
permet de pousser sans cesse plus loin les distorsions du vocabulaire classique »1. Mister B.
entretient une esthétique épurée qui lui est propre ayant pour seul objet la danse. Cette
modernité assimilée à la danse classique lui prévaut de devenir chorégraphe du New York
City Ballet. Entre vitesse, petites batteries, énergie, syncopes, asymétries, dynamiques,
déséquilibres, sa danse se veut au paroxysme de la technique classique de la manière la plus
épurée possible. La relation musique/danse est très importante à ses yeux. Son alliance avec
Igor Stravinski marque cette volonté. De cette collaboration naîtra Agon (1957) : la
proposition et la composition de la danse pure, pour elle-même. De nombreux ballets
balanchiniens font aujourd’hui partie des saisons de compagnies dans le monde entier. Les
disciples du maître sont pour certains encore à l’œuvre ou l’ont été jusque dernièrement. En
France, le Ballet du Capitole, avec à sa tête Nanette Glushak jusqu’à la fin de la saison 2012,
met souvent en scène des œuvres de ce chorégraphe, tandis que l’Opéra de Paris programme
aussi régulièrement ses ballets.
Conclusion
L’héritage de la danse classique s’est donc constitué petit à petit, au fil du temps et de
l’évolution des techniques mais également des sociétés. Voyageant à travers les continents,
elle s’est développée grâce à des chorégraphes qui ont su la remettre en question. Forte de
quatre cents ans d’histoire, la danse classique a instauré des codes, des règles et des
conventions dont la pérennité dans le temps montre un fort ancrage dans les usages. Les cinq
positions, l’en-dehors, le chausson de pointe, la narration, la position frontale face au
spectateur sont des caractéristiques de l’esthétisme classique qui existent encore aujourd’hui.
Entre conservation et innovation, le ballet classique a parcouru un long chemin laissant la
trace de certains ballets emblématiques. Ces derniers font désormais partie d’un patrimoine
commun à des nombreuses compagnies à travers le monde. Ils constituent aussi une référence
pour un grand nombre de chorégraphes contemporains, avec d’un coté ceux qui s’y réfèrent et
s’en réclament, et de l’autre ceux qui se positionnent contre, comme le prescrit la
contemporanéité, entre les deux ceux qui cherchent à composer avec cette référence tout en la
renouvelant. La danse classique constitue un ensemble de propositions puisqu’à chaque
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 57.
126
époque correspond un chorégraphe, des interprètes. « Elle s’est ainsi formée d’ajouts
successifs dont aucun n’annule l’autre »1. Elle a pu se transmettre par voie orale (de
chorégraphes à interprètes, ou de danseurs à interprètes) ou par le biais de la reconstitution.
Cette dernière est « la vision d’une œuvre chorégraphique disparue du répertoire, remontée à
partir de témoignages, de recherches sur des documents d’époque et d’hypothèses fondées
historiquement. Cette démarche intervient lorsqu’il y a eu rupture dans la transmission orale,
conduisant à un oubli partiel ou total de l’œuvre »2 . La danse classique perdure notamment
grâce à ce système et ainsi ne se fige pas. En effet, comme le souligne Maurice Béjart, dans
La Danse art du XXe siècle ?, un ballet classique comme Giselle, par exemple, n’a
actuellement rien à voir avec le ballet qui a été créé à l’époque romantique. Il n’empêche que
ces ballets font aujourd’hui partie d’un répertoire, que l’on nomme plus exactement le
répertoire classique héritier des ces transmissions orales et de ces reconstitutions. Il suffit
alors aux interprètes de conjuguer tradition et modernité en empruntant un double
cheminement : celui d’un retour à la source même du ballet et celui de sa propre intériorité et
de ses propres valeurs. Ce qui réactualise le répertoire classique, c’est donc la façon dont il est
repris par les danseurs. Ils apportent ainsi leur “pierre à l’édifice” par ce qu’ils sont et par la
manière dont ils évoluent (notoriété, style…) dans le milieu de la danse et plus largement dans
le milieu artistique. Roland Petit avoue même dans ses entretiens avec Jean-Pierre Pastori3
qu’une chorégraphie évolue nécessairement avec ses interprètes.
En parallèle, comme une suite logique à la danse classique, s’est développée une
modernité revendiquée notamment par les Ballets Russes puis par la danse néoclassique. Les
premiers passionnent et désorientent à la fois le public, tandis que la seconde réinvente le
langage dansé et développe sa propre conception de la danse, s’inspirant de diverses formes
empruntées à la danse jazz, moderne ou encore folklorique. L’abstraction si chère à la danse
contemporaine est ainsi mise en exergue dans le néoclassique. C’est une mutation de
référentiel par une réactualisation du classicisme. Parallèlement à cette évolution, la danse
contemporaine s’est frayée un chemin petit à petit et a totalement bouleversé les codes.
1 E. ROUCHIER, N. LECOMTE dans P. LE MOAL (sous la direction de.), Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 1999, p. 700. 2 S. JACQ-MIOCHE dans P. LE MOAL (sous la direction de.), Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 1999, p. 782. 3 J.P. PASTORI, ROLAND PETIT - Rythme de vie – Entretiens avec Jean-Pierre Pastori, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, 2003, p. 57.
127
Chapitre 2 : L’apparition de la danse contemporaine et ses
effets dans le temps
Introduction : Les précurseurs
Comme la danse classique, la danse contemporaine s’est formée selon un processus au
long cours. Naturellement, le bouleversement esthétique qu’elle a engendré est le résultat de
plusieurs années de recherches (sur l’appréhension du corps, de la musique de l’espace…) et
de certaines études de précurseurs. Elle s’est ensuite développée dans divers endroits (lieux
publics, musées, friches, etc.), sous différentes formes (minimalisme, afro-contemporaine,
danse-théâtre, etc.). La façon de penser le corps réinterroge les pratiques de la danse classique
et, comme évoqué précédemment, apparaissent de nouvelles formes en rapport avec leur
temps, comme le néoclassique. Contrairement à ce style, la danse contemporaine se
positionne en premier lieu en rupture de tout carcan traditionnel. Elle réinvente le mouvement
et naît où finalement le lourd héritage du classicisme a peu marqué. Simultanément deux pays
sont traversés par cette tendance : les Etats-Unis et l’Allemagne.
Les précurseurs ont nécessairement influencé la vision de la danse en ce tout début du
XXème siècle. C’est au XIXème siècle qu’ils développent leur théorie. Ils ont chacun la
particularité de ne pas être issus du milieu chorégraphique. Delsatre, le français, « déduit que
l’intensité du sentiment commande l’intensité du geste »1. Ainsi, selon lui, un simple
mouvement peut se mettre au diapason de l’être total et le langage discursif serait alors
inférieur à ce que peut donner l’expression corporelle. Emile Jacques Dalcroze, suisse
d’origine, (évoqué précédemment : 1.4) soutient quant à lui que « le corps est un passage
obligé entre pensée et musique »2. Ainsi l’apprentissage de la musique nécessiterait un
apprivoisement du corps. Le rythme déterminerait donc le mouvement et son impulsion. Ces
découvertes mettent en exergue ce qui sera l’une des bases de la danse moderne puis
contemporaine : l’alternance de la contraction et du relâchement du corps.
1 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états. Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 36. 2 Ibid., p. 37.
128
Un autre avant-gardiste de la danse moderne mettra en œuvre une approche
rénovatrice du mouvement : Rudolf von Laban. Il l’étudie sous toutes ses formes. Son travail
reste encore aujourd’hui le plus développé en la matière. Il permet l’invention de la notation
du mouvement : il le décompose en quatre pôles (le poids - lourd, léger -, le temps - vif, lent -,
l’espace - direct, indirect -, le flux - libre, contrôlé) et isole la notion d’énergie qui se veut
essentielle à la danse moderne. Son écriture va permettre de retranscrire n’importe quel
mouvement et sera reconnu comme un outil extraordinaire par le milieu chorégraphique dès
sa mise au point en 1926. Dans la « labanotation », le mouvement est intimement lié à
l’espace et à l’exploitation de ligne verticale, horizontale et transversale. Contrairement à la
danse classique, il songe au mouvement comme trajet au lieu d’une juxtaposition de poses.
La naissance de la danse contemporaine est donc synonyme d’une mouvance du temps
où la modernité s’engage dans tous les domaines : industrialisation, technologies, découvertes
scientifiques, etc.… A l’image de ses précurseurs, elle s’est ainsi emparée de formes
totalement diverses en accord avec son/ses époque(s).
2.1 La modernité américaine et l’ouverture allemande
La danse, comme évoqué précédemment, ne se limite plus aux propositions
traditionnalistes. « Quand Isadora Duncan jette ses chaussons aux orties pour danser nu-
pieds, elle dit non à tout un mode de pensée. Plus question de se soumettre aux diktats de
chorégraphes, compositeurs, costumiers voire de librettistes »1. Sa danse doit être
l’expression d’une vie intérieure en communion avec le monde. En quête d’identité face à une
Europe prépondérante, Isadora devient très vite une personnalité charismatique qui dépasse
largement le milieu de la danse. Sa réflexion se porte sur le mouvement et elle ne s’attache
aucunement aux formes préétablies. Le langage gestuel devient libre de toutes contraintes,
c’est la musique, et seulement la musique, qui guide les pensées intérieures. Les sources du
mouvement deviennent alors son corps et la musique, délaissant toute technique quelconque.
Considérant l’Europe comme plus ouverte à la modernité, elle décide de s’y réfugier pour
présenter son travail dès 1897. Elle laisse donc une trace indélébile dans l’histoire de la danse
1 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 38.
129
comme l’a fait Loïe Fuller quelques années plus tôt. Cette dernière, dans les années 1880, fait
la découverte du pouvoir illusoire dans la manière d’évolution d’un costume par rapport à la
lumière qui l’éclaire. Ses solos travaillent cette conception et ses bras sont drapés par de
larges tissus. Ce système est prolongé par-delà ses membres supérieurs avec des bâtons de
bois. Elle joue donc des effets produits et anime ses mouvements face à la lumière.
L’innovation est telle qu’elle provoque un enthousiasme certain dans le monde des arts tout
entier et elle conquiert les scènes de l’Europe dès 1892. Bien avant l’apparition des Ballets
Russes, le pas en avant vers la modernité est donc bien enclenché. Sa danse reste surtout
spectaculaire, mais elle est à l’initiative de la mise en exergue du lien entre l’espace et le
mouvement. Elle dégage une poétique de la danse par le jeu provoqué entre le corps, l’espace
et la lumière. Ces principes sont novateurs et vont être fondateurs pour de nombreux
chorégraphes, elle est finalement visionnaire de l’insertion des jeux d’écran sur les scènes
actuelles.
Dans la lignée de la danse moderne américaine, après Doris Humphrey qui compose sa
première œuvre dans le silence, l’histoire de la danse a retenu Martha Graham. Cette dernière
s’oppose vivement à Isadora Duncan : « Je ne veux pas être arbre, fleur, vague ou nuage.
Dans le corps du danseur, nous avons, nous, public, non pas à rechercher une imitation des
gestes de tous les jours, ni des spectacles de la nature, ni
des étranges venus d’un autre monde, mais à retrouver un
peu de ce miracle qu’est l’être humain motivé, discipliné,
concentré »1. Sur des musiques
contemporaines (Debussy, Ravel, Satie, Prokoviev,
etc…), Martha Graham commence à chorégraphier
exclusivement au féminin, et dès ses jeunes années, elle
n’a de cesse de faire mûrir son art. Son œuvre constituée
de cycles touche aussi bien l’orientalisme, le style grec ou
le primitivisme. A la recherche donc de ses racines
identitaires, elle propose une technique qui lui est propre :
travail de la respiration, puissance dramatique du
mouvement, contact du sol, et le mouvement qui fait d’elle une danseuse connue dans le
monde entier, à savoir l’alternance de contraction/release (contraction/relâchement). Le
1 Propos de Martha Graham dans P. BOURSIER, Histoire de la danse en Occident, Paris, Seuil, 1978, p. 256.
Martha Graham © DITE/USIS
130
mouvement grahamien paraît continu. Les danseuses mises en scène sont des figures
dominatrices voire même castratrices. Interrogeant la condition de la femme par ce geste
alternatif du bas-ventre, elle « fait du bassin – à la fois centre du corps et zone privilégiée de
l’expression du désir – le moteur de tout mouvement »1. Basé sur une certaine frustration, son
travail choque, car la charge érotique qu’il comporte est presque effrayante. Le tragique est
toujours posé en contrepoint de l’érotisme ambiant. Pendant près de cinquante trois ans, sa
compagnie n’accueille donc que des femmes, et ce n’est qu’en 1938, qu’elle accepte des
hommes : Eric Hawkins et un certain Merce Cunningham. Elle couvre alors le corps de ses
danseuses mais dénude celui de ses danseurs pour rendre leur donner un effet athlétique. Elle
considère alors le costume comme le prolongement du corps. Ce qu’il faut retenir de Martha
Graham, c’est son incroyable talent d’interprète mais, surtout, la création d’une technique qui
sera reprise par les générations futures et touchera même la danse jazz.
L’Allemagne est fortement marquée par ces pionnières américaines et la fin de la
Première Guerre mondiale a contribué à l’essor d’un nouveau courant. L’expressionisme
allemand traverse ainsi tous les arts et devient le creuset d’expériences extrêmes et ouvertes.
La danse moderne allemande s’inspire notamment des travaux d’Emile Jacques Dalcroze et
de Rudolf von Laban. C’est une période un peu chaotique que
subissent les artistes. Cet expressionnisme se traduit par un
détachement du mouvement vers une sorte de paralysie, enfermé
dans le carcan des traditions, le mouvement serait voué à sa mort.
C’est en ce sens que Mary Wigman travaille et élabore une danse qui
se veut expressionniste. Artiste confrontée à la tragédie de la
Première Guerre mondiale, elle traduit son ressenti dans des gestes
violents emplis de désespoir. La montée du nazisme, qui résonne
comme un traumatisme, transparaît dans sa danse. A quelques
années près, ses préoccupations sont bien loin de celles de
l’académisme de la danse classique. Concernée par la création, elle
tente d’en décrire le processus et excelle dans sa forme la plus
minime : le solo. Les puissances invisibles qui l’animent, ramènent
la danse aux fonctions cathartiques qu’elle occupait dans les sociétés archaïques. C’est le cas
dans ses solos d’avant-guerre : Danse de la sorcière (1926), Danse de mort (1928) et
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 115.
Mary Wigman © The
Dance Collection _ The New
York public Library of the
Performing Arts
131
Invocation (1929). Ses œuvres recherchent donc la puissance de l’expression. Très tournée
vers ce qu’il se passe aux Etats-Unis, Mary Wigman fait connaître son art à travers toute
l’Allemagne mais sera contrainte de fermer son école de Dresde en 1940, sur instruction des
nazis. Elle ouvrira à nouveau une école à Berlin après la guerre, tandis que Kurt Jooss
décidera de s’enfuir dès 1934. Ses collaborations avec des personnes d’origine juive étant
écourtées par le pouvoir allemand, il continue à créer ses chorégraphies en Angleterre. Ses
ballets se veulent à la fois le reflet d’une époque, mais contrairement à tout ce qu’a pu
produire la danse moderne jusqu’à lui, il axe son travail sur un mélange de danse classique et
des principes élaborés par Laban.
Cette époque est également marquée par le Bauhaus. La danse allemande est donc
plurielle en ce début de XXème siècle. Cette école d’art et d’architecture instaure une
recherche de nouvelles formes et s’inspire de théorie. Oskar Schlemmer est une référence
pour ce courant qui interroge la relation entre l’homme et son environnement, exploitant les
nouvelles technologies, un art appliqué et reproductible. Le spectacle devient alors un terrain
d’expérimentation. Il est le résultat d’un alliage détonnant : entre couleurs, peinture, éclairage,
musique, acoustique, formes, etc… Ces caractéristiques peuvent autant faire référence au
spectacle « total », Schauspiel de Kandinsky ou au Ballet triadique de Schlemmer. C’est un
mouvement qui se veut « abstrait », tout en étant porté beaucoup plus sur l’impression
visuelle qui se dégage du mouvement que sur le mouvement lui-même. Le Bauhaus sera
également soumis à la dictature nazie et fermera ses portes en 1933.
La danse moderne se développe donc dans des pays dont l’influence classique n’a pas
été prépondérante. Elle continue son ascension, toujours dans ces pays fondateurs, avant de
venir influencer la France.
2.2 Merce Cunningham et les précurseurs de la post-modern dance
La danse moderne s’est donc concentrée sur le corps mais aux yeux de Merce
Cunningham, la dimension spectaculaire a quelque peu oublié l’essence même de la danse,
c'est-à-dire le mouvement. Tandis que de nombreuses œuvres modernes prennent encore une
forme narrative, le chorégraphe rejoint la même volonté que Georges Balanchine et rejette
132
l’idée qu’un ballet doive nécessairement raconter quelque chose. Il fait également le simple
constat que la relation préétablie au XVIIème siècle entre la scène et les spectateurs n’a
également pas été remise en cause. La musique est encore trop considérée dans sa relation à la
danse et les costumes respectent leurs significations. « Merce Cunningham fait le constat de
ces persistances d’un autre temps et, dès ses premières œuvres, fait basculer l’histoire du
spectacle vivant dans le XXème siècle »1. Il rend donc les codes et usages de la nouvelle danse,
la danse moderne, presque obsolètes et inscrit notamment la danse dans l’histoire de l’art
contemporain. La chorégraphie moderne est en décalage avec les autres arts d’avant-garde et
la danse n’est pas réellement le reflet de son époque.
Pendant sa formation, le jeune Merce rencontre le musicien John Cage. Cette dernière
sera le point de départ d’une longue carrière, puisque le futur chorégraphe se destinait à être
comédien. Sa traversée dans la compagnie de Martha Graham (1939-1945), en tant que
soliste, sera aussi déterminante pour son avenir. Dans un même temps, il travaille également
avec John Cage. Ce dernier propose comme principe que la musique est du bruit, soumise à
une composition qui se veut aléatoire. Merce s’empare alors cette conception pour la traduire
dans la danse et considère désormais le mouvement à l’état pur. Il insère dans ses
chorégraphies une part de hasard avec laquelle il joue jusqu’à la fin de sa carrière. Plusieurs
invitations au Black Mountain College plongent les deux collaborateurs dans une émulation
artistique qui leur permet de mettre en pratique leurs expériences dès 1948. Se met en marche
une autonomie de création, c'est-à-dire que chacun invente de son côté. Ceci oblige les
danseurs à ne pas évoluer sur un rythme s’imposant à eux, la danse existe par elle-même.
Cette période est également un moment important puisqu’elle lui permet de rencontrer les
plus grands peintres contemporains comme Robert Rauschenberg, Jasper Johns, etc. Dès lors,
Merce Cunningham repense l’espace scénique. Son constat se base sur l’idée que les ballets
classiques et modernes n’ont jamais remis en question la base de perspective et la symétrie
dont l’instauration sont dues aux ballets de cour.
Dès lors, il n’y a plus de hiérarchie dans le ballet, le centre de la scène n’est plus
l’endroit principal de l’action. Il reprend la théorie d’Einstein comme quoi, il n’y pas de point
fixe dans l’espace. Le mouvement est également diversifié, chaque danseur peut être dans une
temporalité distincte et faire un mouvement totalement différent des autres. Ses chorégraphies
sont donc extrêmement complexes. « Autant de conditions qui requièrent des spectateurs une
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 127.
133
autre façon de voir »1. Il appartient à chacun de poser son regard sur telle ou telle partie de la
scène ou sur son ensemble. Sa danse prend comme axe la colonne vertébrale et donne à voir
ses interprètes avec un torse et des
membres poussés en avant. Le corps se
retrouve fragmenté. Merce Cunningham
intègre des acquis de la technique
classique pour le travail des jambes. Son
style développe tout de même la
virtuosité et impose de véritables
tableaux vivants sur scène grâce à la
participation de Rauschenberg, Johns,
Warhol ou encore Duchamp. De ces
collaborations l’histoire de la danse
retient : Summerspace (1958), Witerbranch (1964), Walkaround Time (1968), etc. Il déplace
également la danse dans des endroits incongrus pour son époque. Ses Events seront présentés
dans des musées et chacun d’entre eux est unique puisque adapté à un espace unique.
« Merce Cunningham, par sa technique, son studio de danse autant que par sa
compagnie, a influencé des générations successives d’artistes. A quatre vingt-dix ans, il
signait, au printemps 2009, Nearly Ninety, pièce d’une vitalité contagieuse »2.
Les années 1960 voient apparaître la post-modern dance. Dans la lignée de
Cunningham, des artistes se réunissent pour former le Judson Dance Theater en 1962 à
New-York au sein de la Judson Church. Des personnalités qui vont marquer le monde de la
danse sont présentes : Yvonne Rainer, Trisha Brown, Lucinda Childs, Steve Paxton, Simone
Forti et Judith Dunn. Cette époque marque un pas de plus dans la danse contemporaine.
Même si dans un premier temps cette dénomination leur permet juste de se distinguer des
modernes, ce mouvement chorégraphique va se révéler comme une véritable révolution. C’est
donc un état d’esprit qui se veut en rupture avec le ballet classique mais aussi la danse
moderne.
En effet, la modern dance s’est institutionnalisée et s’est finalement refermée sur elle-même,
s’adressant presque uniquement à une élite intellectuelle. Malgré l’apport incontestable qu’a
1 Ibid., p. 130. 2 P. NOISETTE, Danse contemporaine mode d’emploi, Paris, Flammarion, coll. Art Contemporain, 2010, p. 204.
Walkaround Time, Merce Cunningham © James Klisty
134
amené Merce Cunningham, les postmodernes lui reprochent d’avoir participé à cet élitisme
conservant l’idée d’une certaine virtuosité technique et d’y avoir réintégré certains éléments
de la technique classique. Les postmodernes vont réutiliser les acquis qui correspondent à
leurs idées et se détacher de tout superflu. C’est ce que revendique Yvonne Rainer : « Non au
spectacle, non à la virtuosité, non aux métamorphoses, au magique, aux faux-semblants, non
au charme […] non aux émotions »1. Ils investissent le concept des happenings et des events.
Des dispositifs réalisés grâce à la collaboration de plasticiens, de poètes et de musiciens,
permettent à Yvonne Rainer de réaliser une critique des conventions esthétiques. Steve Paxton
se tourne quant à lui vers les arts martiaux et assimilera la danse au contact-improvisation.
Trisha Brown travaille le mouvement en remettant en question certains fondamentaux. Sa
danse ne contient plus de centre mais le corps entier est traversé par une fluidité, une mobilité,
une gravité : il n’y pas une partie du corps plus importante qu’une autre. Lucinda Childs,
quant à elle, se projette dans une danse minimaliste. Elle explore alors le pouvoir de la
répétition du mouvement. La mise en avant d’une géométrie permet de rendre visible la
construction de l’espace et du temps. Quelques temps plus tard, Lucinda Childs réinvestira la
danse classique, et notamment ses pas (glissés, sautés, etc.) pour jouer sur des combinaisons
d’enchaînements de plus en plus complexes.
Ce groupe fonctionne de manière communautaire et non hiérarchique. Cette
caractéristique est valable entre chorégraphes et interprètes mais aussi entre danseurs et
publics. Fautes de moyens, les postmodernes donnent leur premier concert de danses d’abord
au Living Theater en 1961, puis à la Judson Church l’année suivante. Mais c’est dans des
espaces inattendus que les postmodernes vont trouver leur place : toits, lofts, galeries d’art,
parois de bâtiments, et donnent alors un sens complet à la performance.
2.3 L’Allemagne d’après-guerre : le règne de Pina Bausch
Pays vaincu de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a vu la danse s’associer au
parti du national-socialisme, notamment lors des fêtes liées aux Jeux Olympiques en 1936
avec la participation de Mary Wigman et Rudolf von Laban. Il est donc difficile pour le
milieu chorégraphique expressionniste de trouver sa place dans un pays qui subventionne plus
1 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 107.
135
facilement la danse classique. Trois femmes vont tenter de s’imposer dans ce style qu’elles
veulent voir perdurer : Susanne Linke, Reinhild Hoffman et Pina Bausch.
Une « ancienne » réussit à tirer son épingle du jeu en 1957 par l’adaptation d’un
magnifique Sacre du Printemps. Ballet symbolique de l’avant-gardisme russe, il devient
finalement l’occasion de conjuguer modernité et classicisme. Puisque c’est l’époque qui le
veut, Mary Wigman entoure sa danseuse principale d’un corps de ballet classique. Deux ans
plus tard, c’est Maurice Béjart qui signera le sien.
Kurt Jooss de retour en Allemagne prend la direction de la Folkwang Hoschule, à
laquelle se sont relayés les trois nouveaux protagonistes de la danse à sa tête. La figure
majeure de cette époque restera tout de même Pina Bausch. C’est un élément majeur de la
danse contemporaine qui se révèle rapidement en tant que chorégraphe. Ses ballets
déclenchent des soubresauts artistiques et lui valent une reconnaissance rapide. Elle réinvente
le spectacle de danse en touchant à la fois à la revue, l’opérette ou au happening.
Profondément ancrées dans les réalités du monde qui est le sien, ses créations blâment
l’enfermement de l’humanité dans les systèmes sociaux qui imposent des stéréotypes et
l’hypocrisie. Dès ses débuts, des œuvres abondamment puissantes, mais aussi très austères
marquent les esprits : Im Wind der Zeit (1969), Nachnull, etc…
Son Sacre du printemps ose faire danser ses interprètes sur de la
terre fraîche maculant leur corps au fur et à mesure de la
représentation. Celle-ci a lieu en 1975, deux ans après sa
nomination à la tête du Ballet de Wuppertal. Le style de la
chorégraphe a su dès lors s’imposer dans le temps alliant beauté
lyrique, théâtralité, fluidité, etc… Petit à petit, elle crée un
nouveau langage souvent constitué à partir de l’introspection de
ses danseurs. « Contrairement à l’opinion répandue, l’approche
de Pina Bausch n’a pourtant rien d’un travail théâtral. Si ses
danseurs, rigoureusement entraînés par un cours classique
quotidien, manipulent sur scène le langage, chantent, offrent des
situations et des actions, et dansent finalement très peu le plus
souvent, Pina Bausch refuse pourtant de créer des
Pina Bausch dans Café Mûller
© Guy De Lahaye
136
personnages »1. Ses danseurs sont le reflet d’une humanité, et plus qu’une interprétation, Pina
Bausch propose dans chacune de ses œuvres quelque chose de l’ordre de la représentation. Le
corps est seulement le prétexte de tous les autres moyens expressifs. Lui seul est finalement
porteur de sens, puisqu’aucun autre sens n’est donné par une linéarité narrative. La banalité de
certains mouvements est transposée dans un contexte tout à fait illusoire (danseuse prenant un
bain tout en faisant la vaisselle, hommes en smoking pataugeant dans l’eau jusqu’à mi-corps).
La scénographie est extrêmement forte et les costumes porteurs du style de Pina Bausch. Tout
est fait pour déstabiliser le spectateur et l’emmener dans des situations à l’extrême des
conventions. « La critique sociale qui se développe dans ces longs spectacles, souvent
sombres, touffus, répétitifs, mais d’une force renversante, revêt de multiples aspects […] En
s’attaquant aux codes de la danse et du théâtre, Pina Bausch rompt avec la narration, fait
éclater le récit »2. Elle n’hésite pas à se mettre en scène dans la dérive de ses danseurs : Café
Müller (1978), mais elle devient au fil du temps à la fois plus douce et plus inquiète avec ses
personnages.
2.4 Le cas particulier de la France
C’est mai 68 qui marque les débuts timides de la danse contemporaine en France.
C’est un art presque marginal qui va s’imposer petit à petit. Cependant, dès le départ, elle ne
trouve pas réellement sa place, sauf auprès d’un nombre assez restreint de spectateurs. La
danse se trouve « d’un côté bloquée par une élite dont les origines se situent souvent dans une
bourgeoisie qui a tendance à se replier sur les valeurs « sûres », de l’autre, confrontée au
désintérêt des classes populaires qui ne se sentent pas concernées par un art élitaire et peu
diffusé, la danse a bien du mal à sortir du carcan technique et d’une esthétique classique »3.
Les Ballets Russes restent donc la référence en matière de modernité. La danse classique a
bien tenté de se renouveler mais elle n’a en aucun cas remis en cause la technique, ni
l’esthétique mais seulement les thèmes des ballets. Le rapport scénique reste toujours le même
mais on ne peut en aucun cas enlever à Roland Petit ou Maurice Béjart d’avoir su amener un
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 170-171. 2 J.P. PASTORI, La Danse – Des Ballets russes à l’avant-garde, Paris, Gallimard, Coll. Découvertes Gallimard, juin 2009, p. 81. 3 A. IZRINE, La Danse dans tous ses états, Paris, L’Arche, novembre 2002, p. 67.
137
nouveau public, qui n’était pas habitué des scènes de danse classique, dans des salles de
spectacles.
Certaines tentatives isolées ont bien tenté d’importer la danse moderne dans
l’Hexagone. Très tôt un duo se forme, constitué de Françoise et Dominique Dupuy, tandis
que Jacqueline Robinson, ayant étudié la danse auprès de Mary Wigman, ouvre un studio à
Paris dans les années 1950 et que Karin Waehner, disciple également de Wigman, s’installe
en France. C’est à peine si dans les années 1960, la venue de Merce Cunningham est
remarquée dans le studio des Dupuy. L’élément déclencheur est donc incontestablement le
phénomène de mai 1968. Proches des étudiants, les danseurs de l’Opéra de Paris sont prêts à
entendre ce que les étudiants revendiquent. En théorie, tout « devient possible », il n’y a plus
de contraintes et toutes les manières d’expression qui se veulent être originales peuvent être
créées. La remise en question de certains danseurs classiques conduit le Ministère de la
Culture à les suivre pour la création du Ballet Théâtre contemporain. Quarante cinq danseurs
sont réunis pour faire découvrir des créations contemporaines françaises et étrangères dont la
réalisation est rendue possible par la participation de plasticiens et de musiciens. Dans cet
élan vers la modernité plusieurs danseurs de l’Opéra vont choisir la voie de la danse
contemporaine : Michel Descombey en 1969, suivi de près par Brigitte Lefèvre (actuelle
directrice de la danse à l’Opéra de Paris) et Serge Garnier dont l’union permettra la création
du Théâtre du Silence à La Rochelle. Le nouveau directeur de l’Opéra de Lyon, ancien
danseur de Béjart, Vittorio Biagi, porte l’ambition de s’ouvrir au contemporain. Cependant, la
notion de modernité reste encore bien abstraite et ne remet pas totalement en question le
langage gestuel prodigué par la danse classique. Les créateurs n’ont, en effet, pas encore
intégré le fait que la danse moderne a ses propres techniques et philosophies. Très vite, leurs
possibilités de création s’épuisent. Le succès de la modernité arrive alors par la venue de
danseurs américains : Alwin Nikolaïs, Peter Goss ou encore Carolyn Carlson. Dès lors, la
modernité est assimilée à la technique et au renouvellement du langage corporel.
L’apprentissage passe également par l’improvisation et la composition. Cette danse vient
investir les scènes françaises mais surtout des endroits tels que des galeries de peinture, des
maisons pour tous, des MJC, des gymnases ou des parkings… A cette époque-là, peu de lieux
peuvent accueillir la danse à proprement parler car ils ne sont pas prévus pour cet art. Ceci
étant, Carolyn Carlson, par exemple, marque très vite les esprits. Engagée au sein de la
compagnie Anne Béranger, en tant que soliste et chorégraphe en 1971, elle fait forte
impression au futur directeur de l’Opéra de Paris. Cette rencontre sera signée, en 1973, par la
proposition d’un solo Density 21,5 sur la scène de la plus vieille institution chorégraphique de
138
France. Son succès lui vaut d’être embauchée « comme étoile-chorégraphe, titre spécialement
créé pour elle »1. La danse contemporaine fait donc son entrée au sein du symbole même de
la danse classique. Certains réfractaires laissent entendre leurs voix mais malgré cela, elle
devient vite une référence imposant son propre style inspiré de diverses sources littéraires.
De nombreuses vocations sont suscitées mais celles-ci ne trouvent aucun projet très
formateur en France et sont obligées de s’exiler aux Etats-Unis pour apprendre. Dans le même
temps, Merce Cunningham commence à se faire connaître dans l’Hexagone. Le fait que ce
dernier ait mis en place une technique très codifiée correspond à la fois aux danseurs et aux
spectateurs. Le manque d’enseignement tourne aussi certains danseurs vers l’école Mudra,
fondée par Maurice Béjart à Bruxelles. Des futurs grands noms de la danse contemporaine y
passent pendant les années 1970 : Maguy Marin, Dominique Bagouet, Hervé Robbe, etc.
Cette absence française sera comblée en 1978 par la création du Centre National de Danse
Contemporaine à Angers (CNDC). C’est donc la première école professionnelle de danse
contemporaine, rendue possible par la création d’une infrastructure adaptée. L’impulsion est
donnée par le Ministère de la Culture et appuyée par la Ville. A sa tête, l’un des plus grands
chorégraphes américains de cette époque : Alvin Nikolaïs. Il y prolonge ainsi le courant initié
par Carolyn Carlson. Il va former les futurs chorégraphes des années 1980. Une autre
institution voit le jour au cours de cette période. Née 10 ans plus tôt, en 1968, son influence
devient de plus en plus marquante au fil des années : le concours de Bagnolet. Au début très
amateurs, les candidats deviennent de plus en plus professionnels et le concours voit défiler
des chorégraphes comme Dominique Bagouet, Karine Saporta, Maguy Marin, Dominique
Boivin, François Vernet, Jean Claude Galotta, Régine Chopinot, Philippe Découflé, Mathilde
Monnier, Angelin Preljocaj, etc. pour ne citer qu’eux. La plupart de ceux qui sont passés par
ce concours sont restés gravés dans la pierre historique de la chorégraphie et le concours de
Bagnolet donne finalement pendant vingt ans la température de la danse en France.
« Rapidement, il devient la carte de visite indispensable, chaque année apportant sa nouvelle
« cuvée » sur le marché »2. Inadapté à l’évolution de la société et de la culture en France, le
concours prend fin en 1986.
Les années 1980 sont synonymes d’institutionnalisation et le ministère Lang n’est pas
pour rien dans cette étape de la danse française. Dès 1981, des mesures sont prises en faveur
de la danse. La France devient un terreau propice au développement d’une danse
contemporaine de qualité. Le langage chorégraphique est de mieux en mieux appréhendé par
1 I. GINIOT, M. MICHEL, La Danse au XXe siècle, Paris, Larousse, octobre 2008, p. 178-179. 2 Ibid., p. 184.
139
des compagnies qui ont gagné en assurance. Les spectateurs se laissent prendre au jeu. La
création est prolifique et cette danse s’empare autant de la rigueur que du plaisir des formes
pures. Elle est alors en osmose avec la fin de siècle et devient prétexte à exprimer la confusion
d’une époque. L’institutionnalisation contribue à cette explosion de styles poussant tout de
même à mettre en avant les formes spectaculaires. Malgré une diversité apparente, la
codification de certains styles permet vite de caractériser le travail de tel ou tel chorégraphe.
Le langage se standardise et même s’académise. Ceci pose la question du clivage initié dès le
début du siècle par les précurseurs et les sensibilités modernes, entre la danse classique et la
danse contemporaine. Cette distanciation est-elle aussi prégnante ? Ce qui est à retenir, c’est
notamment le fait que la danse contemporaine française est héritière non seulement d’une
tradition théâtrale riche, mais aussi d’espaces symboliques chargés d’histoire où la danse
classique a notamment laissé des traces. La théâtralité se laisse alors ressentir par l’émotion
sous-jacente au langage, étant le reflet d’une intériorité. La recherche du mouvement reste
tout de même primordiale pour certains chorégraphes : Odile Duboc, Daniel Larrieu et
Dominique Bagouet.
Comme évoqué précédemment, sans une assise institutionnelle forte, la structuration
du champ chorégraphique français n’aurait peut-être pas pu être aussi rapide et effective.
Même si certains s’accordent à dire que la danse contemporaine reste encore aujourd’hui le
parent pauvre du milieu du spectacle, une véritable politique a permis son essor dans les
années 1980. La combinaison entre décentralisation et prise en considération de l’Etat permet
de dégager un premier maillage du territoire. L’implantation de compagnies et des principaux
chorégraphes français en région, en référence au modèle théâtral permet la naissance des
Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN). La sédentarisation de ces compagnies est donc
permise par la combinaison des financements de l’Etat, la Ville, la Région et/ou le
Département. Ces évènements permettent la fidélisation d’un public qui s’élargit petit à petit.
Aujourd’hui 19 Centres Chorégraphiques sont implantés sur l’ensemble de l’Hexagone. Ce
système unique en France est beaucoup envié par les milieux chorégraphiques étrangers.
Ainsi, la reconnaissance de jeunes artistes s’est accélérée par cette institutionnalisation qui
permet également l’ancrage de la danse dans un professionnalisme certain. Quelques années
plus tard la promotion de la danse contemporaine sera prolongée par la création des Centres
de Développement Chorégraphique. Le premier est créé à Toulouse en 1995 et aujourd’hui, ce
réseau dénombre huit structures qui travaillent ensemble au soutien des artistes et à la
diffusion de la danse contemporaine.
140
Les années 1980 ont déclenché une effervescence en matière de création et de
développement chorégraphique. Les décennies suivantes ont continué dans cette lancée tout
en observant un certain retour en arrière et effaçant les clivages instaurés par la danse
moderne entre classique et contemporanéité (voir Partie 1).
Conclusion
Ce chapitre dresse un panorama rapide de la construction de la danse contemporaine.
Son histoire est tellement prolixe que cette partie se concentre sur les points essentiels de sa
construction ainsi que sur les éléments nécessaires à la compréhension des parties suivantes.
Les années 1990 et 2000 sont quant à elles traitées dans la première partie de ce mémoire
puisque le propos de ce mémoire touche finalement à de nombreuses créations de la fin du
XXème siècle. Les œuvres précédant ces décennies ne sont pas pour autant exclues du propos
ci-présent.
En conclusion, il est indéniable qu’aujourd’hui la danse contemporaine se traduit en
diverses techniques et esthétiques repoussant très souvent les limites du possible. Elle investit
de nouveaux espaces tout en s’institutionnalisant. Le public, quelque peu réticent au début et
surtout constitué d’intellectuels, s’élargit au fur et à mesure que cette danse vient à sa
rencontre et s’implante sur le territoire. Complexe et diversifiée, la danse contemporaine
recouvre finalement divers courants se partageant entre danse moderne/modern dance et danse
postmoderne/post modern dance. Ainsi, même dans sa dénomination la danse contemporaine
pose problème. Outre une classification difficile, certains auteurs s’accordent à assimiler les
deux courants précédant la danse contemporaine, tandis que d’autres préfèrent les distinguer
de l’objet d’étude de cette partie. A la vue de l’historique présenté ci-dessus, il est évident que
ces trois courants sont porteurs d’une certaine modernité mais si chacun d’entre eux est
considéré comme étant une nouvelle forme d’art, alors leur distinction n’est pas anodine.
Outre cette supposition, il est évident que cette confusion persiste car chacun de ces styles se
base sur des thèmes, techniques, ou revendications qui peuvent parfois être proches.
La danse contemporaine est aujourd’hui très diversifiée et hétéroclite et ceci rend
difficile sa catégorisation, d’autant plus qu’elle est à l’écoute du monde qui l’entoure, et en
propose une réflexion. Son inspiration vient de multiples et diverses références.
141
Annexes
142
Version : Maurice Béjart, création 1959 © François Paolini
Annexe 1 : Déclinaison photographique des relectures du Sacre du Printemps
Argument original : « Dans la Russie primitive et païenne, vieillards, adultes et adolescents
se préparent à célébrer le retour du printemps. Le grand rituel se déroule en deux temps :
« L’Adoration de la Terre », traduite par les rondes, les danses et les transes des garçons et
des filles, en groupes séparés. Puis « le Sacrifice », d’une élue que la communauté offre au
dieu Iarilo. Cette adolescente, glorifiée par tous, doit danser jusqu’à succomber
d’épuisement »1.
Livret : Igor Stravinski et Nicolas Roerich – Musique : Igor Stravinski – Chorégraphie : Vaslav Nijinski –
Création : Théâtre des Champs-Elysées le 29 mai 1913.
1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 44.
Version originale, Vaslav Nijinski © Roger Viollet
Version : Pina Bausch, création 1975 © Ulli Weiss
143
Version : Angelin Preljocaj, création 2001
© Jean Barak
Version Heddy Maalem, création 2004 © Patrick Fabre
144
Annexe 2 : Déclinaison photographique des relectures de Giselle
Argument original : « Giselle, jeune paysanne au cœur fragile, aime Albrecht qui lui jure
fidélité. Elle danse en son honneur, faisant fi des remontrances de sa mère qui lui rappelle
l’histoire des wilis, ces jeunes filles transformées en fantôme pour avoir trop dansé.
Amoureux éconduit par Giselle, le garde-chasse Hilarion découvre qu’Albrecht n’est autre
que le duc de Silésie, fiancé à la fille du duc de Courlande. Devant tous il révèle l’identité de
son rival. Giselle en perd la raison et s’effondre sans vie.
Venus, tour à tour, se recueillir, le soir sur la tombe de Giselle, Hilarion et Albrecht sont la
proie des wilis et de leur reine, l’implacable Myrtha, qui les condamne à danser jusqu’à la
mort. Sortant de sa tombe, Giselle, nouvelle wilis, tente en vain d’intervenir. Albrecht ne sera
sauvé que par les premières lueurs de l’aube qui font rentrer les wilis dans leurs tombes »1.
Livret : Théophile Gautier, Vernoy de Saint-Georges, Jean Coralli, Musique : Adolphe Adam, Chorégraphie :
Jules Perrot, Jean Coralli, Création : Opéra de Paris le 28 juin 1841
1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 16.
Version classique interprétée par Laëtitia Pujol (Ballet de l’Opéra de Paris) © Jacques Moatti
145
Version Mats Ek, création 1982
@ Jean-Pierre Maurin
Version Garry Stewart, création 2008 © Chris Hertzfeld
Version Olivia Grandville © Agnès Mellon
146
Annexe 3 : Déclinaison photographique des relectures du Lac des Cygnes
Argument original : « La nuit, chassant près d’un lac, le prince Siegfried découvre une jeune
princesse Odette, qui, métamorphosée avec ses amies cygnes le jour, retrouve sa forme
première la nuit. Seul un amour absolu la délivrera du pouvoir maléfique de Rothbart.
Subjugué par sa grâce et sa beauté, Siegfried lui jure fidélité éternelle. Le lendemain, au bal
donné par sa mère pour fêter sa majorité, le prince se parjure, abusé par Odile, fille de
Rothbart, qui prend l’apparence d’Odette.
Quand il se rend compte de son erreur, Siegfried, désespéré, court retrouver Odette
mortellement blessée par cette trahison. Il la supplie de lui pardonner et tente de l’arracher
aux griffes de Rothbart. Le prince et le mauvais génie s’affrontent en un combat mortel où
tous deux périssent. Tandis que les âmes d’Odette et Siegfried se rejoignent dans l’au-delà,
les princesses-signes retrouvent leur forme humaine, délivrées du sortilège »1.
Livret : V.P Beguitchev, Vassili Gueltzer – Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski – Chorégraphie nouvelle
version : Marius Petipa (acte I et III) et Lev Ivanov (acte II et IV) – Création : Théâtre de Mariinski de Saint-
Petersbourg le 27 janvier 1895.
1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 34.
Version classique © Jacques Moatti
Version Mats Ek, création 1987 © Lesley Leslie-Spinks
147
Version Matthew Bourne, création 1995 ©Bill Cooper
Version Raimund Hoghe, création 2005 © Laurent Philippe
148
Annexe 4 : Déclinaison photographique des relectures de Roméo et Juliette
Argument original : « Dans une Vérone ensanglantée par les incessants combats entre deux
familles ennemies, les Capulet et les Montaigu, le fils de ces derniers, Roméo, s’introduit
masqué avec ses amis Mercutio et Benvolio, au bal des Capulet. Il tombe amoureux de leur
fille, Juliette, elle-même conquise par cet inconnu. Les deux jeunes gens s’avouent leur
passion sur le balcon de Juliette et décident de se marier secrètement. Frère Laurent bénit
leur union dans l’espoir de réconcilier les deux familles. Mais Tybalt, le belliqueux cousin de
Juliette, tue Mercutio. Roméo le venge aussitôt, et pour ce crime est banni de Vérone. Juliette,
qui refuse d’épouser le fiancé que ses parents lui imposent, absorbe un puissant somnifère qui
lui donne l’apparence de la mort.
Croyant sa femme réellement morte, Roméo, désespéré, se tue sur sa tombe. Juliette se
réveille trop tard et se poignarde sur le corps de son époux »1.
Livret : Serge Prokofiev et Léonide Lavrovski d’après Shakespeare, Musique : Serge Prokofiev,
Chorégraphie : Léonide Lavrovski, Création : Théâtre de Lenningrad le 11 janvier 1940
1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 100.
Version Angelin Prejlocaj, création 1990 © Gérard Ansellem
Version classique © Jacques Moatti
149
Version Sasha Waltz, création 2007 © Bernd Uhlig
Version Thierry Malandain, création 2010 © Olivier Houeix
150
Annexe 5 : Déclinaison photographique des relectures de Cendrillon
Argument original : « Cendrillon, souffre-douleur de sa belle mère et de ses deux sœurs, se
désole de ne pouvoir les accompagner au bal donné par le prince. Elle se console en valsant
avec son balai. Une pauvre femme charitablement accueillie par Cendrillon, se révèle être
une bonne fée qui transforme les haillons de la jeune fille en robe de bal et une citrouille en
carrosse, pour la mener chez le prince. Mais Cendrillon doit impérativement revenir avant
minuit. Reine de la fête, au grand dam de ses sœurs qui ne peuvent la reconnaître, Cendrillon
danse avec le prince et oublie l’heure. Aux douze coups de minuit, elle s’enfuit en perdant
dans sa hâte un soulier. Le prince s’en empare et commence un long périple autour du monde
pour retrouver sa belle inconnue. Quand il parvient enfin chez Cendrillon, celle-ci laisse
tomber de sa poche l’autre soulier, à la stupéfaction de ses sœurs et à la grande joie du
prince.
Pour étoffer le conte de Perrault, Prokofiev a imaginé de brillants divertissements dans
chacun des trois actes : les quatre Saisons, avec les fées Printemps, Eté, Automne et Hiver qui
apprêtent Cendrillon pour le bal ; les douze Heures, qui surgissent de la pendule aux douze
coups de minuit ; les danseuses espagnoles, orientales et russes, rencontrées au cours du
voyage du prince »1.
Livret : Nicolaï Volkov d’après Charles Perrault, Musique : Serge
Prokoviev, Chorégraphie : Rostislav Zakharov, Création : Théâtre
Bolchoï de Moscou le 15 novembre 1945.
1 J. MOATTI. R. SIRVIN, Les Grands ballets du répertoire, Paris, Larousse, 1998, p. 102.
Version classique © Laurent Philippe
151
Version Christophe Maillot, création 1999 © Marie-Laure Brianne
Version Maguy Marin, création 1985 © Marin Gerrad
Version Michel Kelemenis, création 2009 @ Vincent Lepresle
152
Bibliographie
153
Ouvrages
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Dossiers de presse
∗ MELY, Christophe. Le BNM à l’Opéra de Marseille les 23 et 24 avril 2010 [en ligne],
Disponible sur < http://www.mecenesdusud.fr/blog/public/DP-Opera2010.pdf >.
∗ MALANDAIN BALLET BIARRITZ. Magifique [en ligne], Disponible sur :
< http://www.malandainballet.com/assets/pdf/fr/Magifique.pdf >.
o La Mort du Cygne [en ligne], Disponible sur :
< http://www.malandainballet.com/assets/pdf/fr/MortCygne.pdf >.
o Roméo et Juliette [en ligne], Disponible sur :
< http://www.malandainballet.com/assets/pdf/fr/RomeoJuliette.pdf >.
Œuvres chorégraphiques
∗ BROWN, Trisha, Early Works, années 1960 (Compagnie Trisha Brown).
o Opal Loop-Cloud Installation # 72503, 1980.
o Set and Reset, 1983.
o If you couldn’t see me, 1994.
o L’Amour au théâtre, 2009.
∗ CHILDS, Lucinda, Tempo Vicino, 2010 (Ballet National de Marseille).
∗ GRIGOROVITC, Yuri, Casse Noisette, Retransmission Cinéma Pathé, 2010 (Ballet du
Bolchoï).
∗ MAALEM, Heddy, Mais le diable marche à nos côtés, 2010 (Compagnie Heddy Maalem).
∗ MALANDAIN, Thierry, Les Nuits d’Eté, 2010 (Ballet National de Marseille).
o La Mort du Cygne, 2002 (Ballet National de Biarritz).
159
o L’amour sorcier, 2008 (Ballet National de Biarritz).
o Magifique, 2009 (Ballet National de Biarritz).
∗ GRANDVILLE, Olivia, 6 Giselles, 2010 (Ballet National de Marseille).
∗ PIETRAGALLA, Marie-Claude, Marco Polo, 2008 (Pietragalla Compagnie).
∗ PRELJOCAJ, Angelin, Suivront mille ans de calme, 2010 (Ballet Preljocaj).
o Blanche Neige, 2008.
∗ KELEMENIS, Michel, Disgrâce, 2009 (Kelemenis & cie).
∗ FLAMAND, Frédéric. Métamorphoses, 2007 (Ballet National de Marseille).
Œuvres chorégraphiques – DVD, Internet
∗ BEL, Jérôme, Véronique Doisneau, (Opéra National de Paris) [en ligne], Disponible sur :
<http://www.youtube.com/watch?v=OIuWY5PInFs>, (consulté le 15/03/2010).
∗ PETIT, Roland, Le jeune homme et la mort, 1946 (Opéra National de Paris).
∗ PETIT, Roland, Carmen, 1949 (Opéra de Paris).
∗ MARIN, Maguy, Cendrillon, 1989 (Opéra de Lyon).
∗ PRELJOCAJ, Angelin, Roméo et Juliette, 1990 (Opéra de Lyon).
∗ PRELJOCAJ, Angelin, Le Parc, 1994 (Opéra National de Paris).
Emissions de télévision
∗ Emission Métropolis – Arte, diffusée le 20 et 21 novembre 2010 :
<http://www.malandainballet.com/>, Rubrique Actualité, Métropolis (consulté le
06/04/11).
∗ Emission Les leçons de…– Arte, diffusée le 24 mars 2009, < http://www.arte.tv/fr/Les-
lecons-de---/2535310.html >, (consulté le 08/04/11).
Conférences
∗ ADOLPHE, Jean-Marc, Conférence autour de Trisha Brown et de son œuvre, Toulouse,
08/02/2010, CDC Toulouse.
∗ IZRINE, Agnès. LEFEVRE, Brigitte. Conférence : Le Répertoire à la pointe du
contemporain ?, Montpellier, 31/03/2011, Montpellier Danse.
160
Entretiens
∗ Avec Dominique Thouroude, Titulaire du CA de danse classique, ancienne soliste du
Ballet du Capitole.
∗ Avec Latifa Sabri, Chargée de la programmation du festival Les Extravadanses à Castres
(Tarn).
161
Table des matières
Remerciements ......................................................................................................................... 2
Sommaire .................................................................................................................................. 3
Introduction générale ............................................................................................................... 4
Partie 1. Entre classique et contemporain : une frontière poreuse.............................. 9
Questions et notions préalables ........................................................................................ 10
Introduction ...................................................................................................................... 17
Chapitre 1. Les prémices des œuvres : de la création au métissage des genres............. 20
Introduction ...................................................................................................................... 20
1.1.1 Les intentions et les motivations des chorégraphes............................................ 21
1.1.2 Quelles formes artistiques découlent de ce métissage ? ..................................... 26
1.1.3 Où projeter les frontières entre danse classique, danse néoclassique, et danse
contemporaine ? Comment opérer ces classifications ? ................................................... 30
Conclusion ........................................................................................................................ 34
Chapitre 2. Les ballets classiques revisités .................................................................... 35
Introduction ...................................................................................................................... 35
1.2.1 Un répertoire à l’épreuve de la danse contemporaine ........................................ 36
1.2.2 Des relectures aux intérêts multiples .................................................................. 41
1.2.3 Etude de cas : 6 Giselles ..................................................................................... 44
Conclusion ........................................................................................................................ 47
Chapitre 3. Les pièces contemporaines qui empruntent à la danse classique ................ 49
Introduction ...................................................................................................................... 49
1.3.1. Par quels moyens le classicisme s’intègre-t-il dans les pièces de danse
contemporaine ? ............................................................................................................... 50
1.3.2. Quel est l’apport de ces éléments à la danse contemporaine ? ........................... 55
1.3.3. Etude de cas : Magifique, Thierry Malandain .................................................... 58
162
Conclusion ........................................................................................................................ 61
Conclusion ........................................................................................................................ 63
Partie 2. Un patrimoine réactualisé : pour quels publics et quelle médiation ? ....... 64
Introduction ...................................................................................................................... 65
Chapitre 1. Des formes chorégraphiques qui participent à la patrimonialisation de la
danse………………………………………………………………………………………..66
Introduction ...................................................................................................................... 66
2.1.1 La notion de patrimoine et la question de la patrimonialisation ........................ 67
2.1.2 La danse contemporaine : une ouverture et une actualisation du patrimoine
chorégraphique ................................................................................................................. 70
Conclusion ........................................................................................................................ 73
Chapitre 2. La réception de la danse et ses publics ....................................................... 75
Introduction ...................................................................................................................... 75
2.2.1. De l’expérience esthétique à la réception de la danse ........................................ 76
2.2.2. Les publics de la danse ....................................................................................... 80
2.2.3. Quel public, quelle réception pour les œuvres du métissage entre classique et
contemporain ? ................................................................................................................. 86
Conclusion ........................................................................................................................ 92
Chapitre 3. La médiation culturelle : comment et pourquoi ? ....................................... 94
Introduction ...................................................................................................................... 94
2.3.1. La médiation culturelle et la danse ..................................................................... 95
2.3.2. Quelle médiation pour les œuvres entre classique et contemporain ? ................ 98
Conclusion ...................................................................................................................... 103
Conclusion ...................................................................................................................... 105
Conclusion générale ............................................................................................................... 107
Postface. Panorama historique de la danse classique et contextualisation de la danse
contemporaine .............................................................................................................. 112
Chapitre 1. De quelle manière la danse classique a permis la création d’un répertoire ? 114
163
Introduction : La danse comme instrument du pouvoir ................................................. 114
1.1 Les bases de la danse classique ............................................................................ 115
1.2 Du Romantisme à l’académisme, la naissance d’un répertoire ........................... 118
1.3 Les Ballets Russes : une lueur de modernité........................................................ 121
1.4 L’avènement du néo-classique ............................................................................. 123
Conclusion ...................................................................................................................... 126
Chapitre 2. L’apparition de la danse contemporaine et ses effets dans le temps ......... 128
Introduction : Les précurseurs ........................................................................................ 128
2.1 La modernité américaine et l’ouverture allemande.............................................. 129
2.2 Merce Cunningham et les précurseurs de la post-modern dance ......................... 132
2.3 L’Allemagne d’après-guerre : le règne de Pina Bausch ...................................... 135
2.4 Le cas particulier de la France ............................................................................. 137
Conclusion ...................................................................................................................... 141
Annexes ................................................................................................................................. 142
Annexe 1 : Déclinaison photographique des relectures du Sacre du Printemps ............ 143
Annexe 2 : Déclinaison photographique des relectures de Giselle ................................ 145
Annexe 3 : Déclinaison photographique des relectures du Lac des Cygnes .................. 147
Annexe 4 : Déclinaison photographique des relectures de Roméo et Juliette ................ 149
Annexe 5 : Déclinaison photographique des relectures de Cendrillon .......................... 151
Bibliographie ......................................................................................................................... 153
Table des matières ................................................................................................................ 162