balzac etude de femme

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HONORÉ DE BALZAC LA COMÉDIE HUMAINE ÉTUDES DE MŒURS SCÈNES DE LA VIE PRIVÉE ÉTUDE DE FEMME

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ÉTUDE DE FEMMEBalzac

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HONOREacute DE BALZAC

LA COMEacuteDIE HUMAINEEacuteTUDES DE MŒURS

SCEgraveNES DE LA VIE PRIVEacuteE

EacuteTUDE DE FEMME

DEacuteDIEacute AU MARQUIS JEAN-CHARLES DI NEgraveGRO

La marquise de Listomegravere est une de ces jeunes femmeseacuteleveacutees dans lrsquoesprit de la Restauration Elle a des principeselle fait maigre elle communie et va tregraves-pareacutee au bal auxBouffons agrave lrsquoOpeacutera  son directeur lui permet drsquoallier le pro-fane et le sacreacute Toujours en regravegle avec lrsquoeacuteglise et avec lemonde elle offre une image du temps preacutesent qui sembleavoir pris le mot de Leacutegaliteacute pour eacutepigraphe La conduite dela marquise comporte preacuteciseacutement assez de deacutevotion pourpouvoir arriver sous une nouvelle Maintenon agrave la sombrepieacuteteacute des derniers jours de Louis XIV et assez de monda-niteacute pour adopter eacutegalement les mœurs galantes des pre-miers jours de ce regravegne srsquoil revenait En ce moment elleest vertueuse par calcul ou par goucirct peut-ecirctre Marieacutee de-puis sept ans au marquis de Listomegravere un de ces deacuteputeacutesqui attendent la pairie elle croit peut-ecirctre aussi servir parsa conduite lrsquoambition de sa famille Quelques femmes at-tendent pour la juger le moment ougrave monsieur de Listomegraveresera pair de France et ougrave elle aura trente-six ans eacutepoquede la vie ougrave la plupart des femmes srsquoaperccediloivent qursquoellessont dupes des lois sociales Le marquis est un homme as-sez insignifiant  il est bien en cour ses qualiteacutes sont neacutega-tives comme ses deacutefauts  les unes ne peuvent pas plus luifaire une reacuteputation de vertu que les autres ne lui donnentlrsquoespegravece drsquoeacuteclat jeteacute par les vices Deacuteputeacute il ne parle jamaismais il vote bien  il se comporte dans son meacutenage commeagrave la Chambre Aussi passe-t-il pour ecirctre le meilleur mari deFrance Srsquoil nrsquoest pas susceptible de srsquoexalter il ne grondejamais agrave moins qursquoon ne le fasse attendre Ses amis lrsquoontnommeacute le temps couvert Il ne se rencontre en effet chez luini lumiegravere trop vive ni obscuriteacute complegravete Il ressemble agravetous les ministegraveres qui se sont succeacutedeacute en France depuis laCharte Pour une femme agrave principes il eacutetait difficile de tom-ber en de meilleures mains Nrsquoest-ce pas beaucoup pour unefemme vertueuse que drsquoavoir eacutepouseacute un homme incapablede faire des sottises  Il srsquoest rencontreacute des dandies qui ont

eu lrsquoimpertinence de presser leacutegegraverement la main de la mar-quise en dansant avec elle ils nrsquoont recueilli que des regardsde meacutepris et tous ont eacuteprouveacute cette indiffeacuterence insultantequi semblable aux geleacutees du printemps deacutetruit le germedes plus belles espeacuterances Les beaux les spirituels les fatsles hommes agrave sentiment qui se nourrissent en teacutetant leurscannes ceux agrave grand nom ou agrave grosse renommeacutee les gensde haute et petite voleacutee aupregraves drsquoelle tout a blanchi Elle aconquis le droit de causer aussi long-temps et aussi souventqursquoelle le veut avec les hommes qui lui semblent spirituelssans qursquoelle soit coucheacutee sur lrsquoalbum de la meacutedisance Cer-taines femmes coquettes sont capables de suivre ce plan-lagravependant sept ans pour satisfaire plus tard leurs fantaisies mais supposer cette arriegravere-penseacutee agrave la marquise de Listo-megravere serait la calomnier Jrsquoai eu le bonheur de voir ce pheacute-nix des marquises  elle cause bien je sais eacutecouter je lui aiplu je vais agrave ses soireacutees Tel eacutetait le but de mon ambition Nilaide ni jolie madame de Listomegravere a des dents blanches leteint eacuteclatant et les legravevres tregraves-rouges  elle est grande et bienfaite  elle a le pied petit fluet et ne lrsquoavance pas  ses yeuxloin drsquoecirctre eacuteteints comme le sont presque tous les yeux pa-risiens ont un eacuteclat doux qui devient magique si par hasardelle srsquoanime On devine une acircme agrave travers cette forme indeacute-cise Si elle srsquointeacuteresse agrave la conversation elle y deacuteploie unegracircce ensevelie sous les preacutecautions drsquoun maintien froid etalors elle est charmante Elle ne veut pas de succegraves et enobtient On trouve toujours ce qursquoon ne cherche pas Cettephrase est trop souvent vraie pour ne pas se changer un jouren proverbe Ce sera la moraliteacute de cette aventure que je neme permettrais pas de raconter si elle ne retentissait en cemoment dans tous les salons de Paris

La marquise de Listomegravere a danseacute il y a un mois envi-ron avec un jeune homme aussi modeste qursquoil est eacutetour-di plein de bonnes qualiteacutes et ne laissant voir que ses deacute-fauts  il est passionneacute et se moque des passions  il a du

talent et il le cache  il fait le savant avec les aristocrateset fait de lrsquoaristocratie avec les savants Eugegravene de Rasti-gnac est un de ces jeunes gens tregraves-senseacutes qui essaient detout et semblent tacircter les hommes pour savoir ce que portelrsquoavenir En attendant lrsquoacircge de lrsquoambition il se moque detout  il a de la gracircce et de lrsquooriginaliteacute deux qualiteacutes raresparce qursquoelles srsquoexcluent lrsquoune lrsquoautre Il a causeacute sans preacute-meacuteditation de succegraves avec la marquise de Listomegravere pen-dant une demi-heure environ En se jouant des capricesdrsquoune conversation qui apregraves avoir commenceacute agrave lrsquoopeacuterade Guillaume-Tell en eacutetait venue aux devoirs des femmesil avait plus drsquoune fois regardeacute la marquise de maniegravere agravelrsquoembarrasser  puis il la quitta et ne lui parla plus de toutela soireacutee  il dansa se mit agrave lrsquoeacutecarteacute perdit quelque argentet srsquoen alla se coucher Jrsquoai lrsquohonneur de vous affirmer quetout se passa ainsi Je nrsquoajoute je ne retranche rien

Le lendemain matin Rastignac se reacuteveilla tard resta dansson lit ougrave il se livra sans doute agrave quelques-unes de ces recircve-ries matinales pendant lesquelles un jeune homme se glissecomme un sylphe sous plus drsquoune courtine de soie de ca-chemire ou de coton En ces moments plus le corps estlourd de sommeil plus lrsquoesprit est agile Enfin Rastignacse leva sans trop bacirciller comme font tant de gens mal ap-pris sonna son valet de chambre se fit apprecircter du theacuteen but immodeacutereacutement ce qui ne paraicirctra pas extraordi-naire aux personnes qui aiment le theacute  mais pour expliquercette circonstance aux gens qui ne lrsquoacceptent que commela panaceacutee des indigestions jrsquoajouterai qursquoEugegravene eacutecrivait il eacutetait commodeacutement assis et avait les pieds plus souventsur ses chenets que dans sa chanceliegravere Oh  avoir les piedssur la barre polie qui reacuteunit les deux griffons drsquoun garde-cendre et penser agrave ses amours quand on se legraveve et qursquoon esten robe de chambre est chose si deacutelicieuse que je regretteinfiniment de nrsquoavoir ni maicirctresse ni chenets ni robe de

chambre Quand jrsquoaurai tout cela je ne raconterai pas mesobservations jrsquoen profiterai

La premiegravere lettre qursquoEugegravene eacutecrivit fut acheveacutee en unquart drsquoheure  il la plia la cacheta et la laissa devant luisans y mettre lrsquoadresse La seconde lettre commenceacutee agraveonze heures ne fut finie qursquoagrave midi Les quatre pages eacutetaientpleines

― Cette femme me trotte dans la tecircte dit-il en pliant cetteseconde eacutepicirctre qursquoil laissa devant lui comptant y mettrelrsquoadresse apregraves avoir acheveacute sa recircverie involontaire Il croi-sa les deux pans de sa robe de chambre agrave ramages posa sespieds sur un tabouret coula ses mains dans les goussets deson pantalon de cachemire rouge et se renversa dans unedeacutelicieuse bergegravere agrave oreilles dont le sieacutege et le dossier deacutecri-vaient lrsquoangle confortable de cent vingt degreacutes Il ne prit plusde theacute et resta immobile les yeux attacheacutes sur la main doreacuteequi couronnait sa pelle sans voir ni main ni pelle ni do-rure Il ne tisonna mecircme pas Faute immense  Nrsquoest-ce pasun plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense auxfemmes  Notre esprit precircte des phrases aux petites languesbleues qui se deacutegagent soudain et babillent dans le foyer Oninterpregravete le langage puissant et brusque drsquoun bourguignon

Agrave ce mot arrecirctons-nous et placcedilons ici pour les ignorantsune explication due agrave un eacutetymologiste tregraves-distingueacute quia deacutesireacute garder lrsquoanonyme Bourguignon est le nom popu-laire et symbolique donneacute depuis le regravegne de Charles VIagrave ces deacutetonations bruyantes dont lrsquoeffet est drsquoenvoyer surun tapis ou sur une robe un petit charbon leacuteger principedrsquoincendie Le feu deacutegage dit-on une bulle drsquoair qursquoun verrongeur a laisseacutee dans le cœur du bois Inde amor indeburgundus Lrsquoon tremble en voyant rouler comme une ava-lanche le charbon qursquoon avait si industrieusement essayeacute deposer entre deux bucircches flamboyantes Oh  tisonner quandon aime nrsquoest-ce pas deacutevelopper mateacuteriellement sa penseacutee 

Ce fut en ce moment que jrsquoentrai chez Eugegravene il fit unsoubresaut et me dit  ― Ah  te voilagrave mon cher Horace De-puis quand es-tu lagrave 

― Jrsquoarrive― Ah Il prit les deux lettres y mit les adresses et sonna son do-

mestique― Porte cela en villeEt Joseph y alla sans faire drsquoobservations excellent do-

mestique Nous nous micircmes agrave causer de lrsquoexpeacutedition de Moreacutee

dans laquelle je deacutesirais ecirctre employeacute en qualiteacute de meacutede-cin Eugegravene me fit observer que je perdrais beaucoup agrave quit-ter Paris et nous parlacircmes de choses indiffeacuterentes Je necrois pas que lrsquoon me sache mauvais greacute de supprimer notreconversation

Au moment ougrave la marquise de Listomegravere se leva surles deux heures apregraves midi sa femme de chambre Caro-line lui remit une lettre elle la lut pendant que Caroline lacoiffait (Imprudence que commettent beaucoup de jeunesfemmes)

Ocirc cher ange drsquoamour treacutesor de vie et de bonheur  Agrave cesmots la marquise allait jeter la lettre au feu  mais il lui pas-sa par la tecircte une fantaisie que toute femme vertueuse com-prendra merveilleusement et qui eacutetait de voir comment unhomme qui deacutebutait ainsi pouvait finir Elle lut Quand elleeut tourneacute la quatriegraveme page elle laissa tomber ses brascomme une personne fatigueacutee

― Caroline allez savoir qui a remis cette lettre chez moi― Madame je lrsquoai reccedilue du valet de chambre de mon-

sieur le baron de RastignacIl se fit un long silence― Madame veut-elle srsquohabiller  demanda Caroline― Non

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

― lrsquoeacutedition Furne scanneacutee par Google Books  httpbooksgooglecom

Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

DEacuteDIEacute AU MARQUIS JEAN-CHARLES DI NEgraveGRO

La marquise de Listomegravere est une de ces jeunes femmeseacuteleveacutees dans lrsquoesprit de la Restauration Elle a des principeselle fait maigre elle communie et va tregraves-pareacutee au bal auxBouffons agrave lrsquoOpeacutera  son directeur lui permet drsquoallier le pro-fane et le sacreacute Toujours en regravegle avec lrsquoeacuteglise et avec lemonde elle offre une image du temps preacutesent qui sembleavoir pris le mot de Leacutegaliteacute pour eacutepigraphe La conduite dela marquise comporte preacuteciseacutement assez de deacutevotion pourpouvoir arriver sous une nouvelle Maintenon agrave la sombrepieacuteteacute des derniers jours de Louis XIV et assez de monda-niteacute pour adopter eacutegalement les mœurs galantes des pre-miers jours de ce regravegne srsquoil revenait En ce moment elleest vertueuse par calcul ou par goucirct peut-ecirctre Marieacutee de-puis sept ans au marquis de Listomegravere un de ces deacuteputeacutesqui attendent la pairie elle croit peut-ecirctre aussi servir parsa conduite lrsquoambition de sa famille Quelques femmes at-tendent pour la juger le moment ougrave monsieur de Listomegraveresera pair de France et ougrave elle aura trente-six ans eacutepoquede la vie ougrave la plupart des femmes srsquoaperccediloivent qursquoellessont dupes des lois sociales Le marquis est un homme as-sez insignifiant  il est bien en cour ses qualiteacutes sont neacutega-tives comme ses deacutefauts  les unes ne peuvent pas plus luifaire une reacuteputation de vertu que les autres ne lui donnentlrsquoespegravece drsquoeacuteclat jeteacute par les vices Deacuteputeacute il ne parle jamaismais il vote bien  il se comporte dans son meacutenage commeagrave la Chambre Aussi passe-t-il pour ecirctre le meilleur mari deFrance Srsquoil nrsquoest pas susceptible de srsquoexalter il ne grondejamais agrave moins qursquoon ne le fasse attendre Ses amis lrsquoontnommeacute le temps couvert Il ne se rencontre en effet chez luini lumiegravere trop vive ni obscuriteacute complegravete Il ressemble agravetous les ministegraveres qui se sont succeacutedeacute en France depuis laCharte Pour une femme agrave principes il eacutetait difficile de tom-ber en de meilleures mains Nrsquoest-ce pas beaucoup pour unefemme vertueuse que drsquoavoir eacutepouseacute un homme incapablede faire des sottises  Il srsquoest rencontreacute des dandies qui ont

eu lrsquoimpertinence de presser leacutegegraverement la main de la mar-quise en dansant avec elle ils nrsquoont recueilli que des regardsde meacutepris et tous ont eacuteprouveacute cette indiffeacuterence insultantequi semblable aux geleacutees du printemps deacutetruit le germedes plus belles espeacuterances Les beaux les spirituels les fatsles hommes agrave sentiment qui se nourrissent en teacutetant leurscannes ceux agrave grand nom ou agrave grosse renommeacutee les gensde haute et petite voleacutee aupregraves drsquoelle tout a blanchi Elle aconquis le droit de causer aussi long-temps et aussi souventqursquoelle le veut avec les hommes qui lui semblent spirituelssans qursquoelle soit coucheacutee sur lrsquoalbum de la meacutedisance Cer-taines femmes coquettes sont capables de suivre ce plan-lagravependant sept ans pour satisfaire plus tard leurs fantaisies mais supposer cette arriegravere-penseacutee agrave la marquise de Listo-megravere serait la calomnier Jrsquoai eu le bonheur de voir ce pheacute-nix des marquises  elle cause bien je sais eacutecouter je lui aiplu je vais agrave ses soireacutees Tel eacutetait le but de mon ambition Nilaide ni jolie madame de Listomegravere a des dents blanches leteint eacuteclatant et les legravevres tregraves-rouges  elle est grande et bienfaite  elle a le pied petit fluet et ne lrsquoavance pas  ses yeuxloin drsquoecirctre eacuteteints comme le sont presque tous les yeux pa-risiens ont un eacuteclat doux qui devient magique si par hasardelle srsquoanime On devine une acircme agrave travers cette forme indeacute-cise Si elle srsquointeacuteresse agrave la conversation elle y deacuteploie unegracircce ensevelie sous les preacutecautions drsquoun maintien froid etalors elle est charmante Elle ne veut pas de succegraves et enobtient On trouve toujours ce qursquoon ne cherche pas Cettephrase est trop souvent vraie pour ne pas se changer un jouren proverbe Ce sera la moraliteacute de cette aventure que je neme permettrais pas de raconter si elle ne retentissait en cemoment dans tous les salons de Paris

La marquise de Listomegravere a danseacute il y a un mois envi-ron avec un jeune homme aussi modeste qursquoil est eacutetour-di plein de bonnes qualiteacutes et ne laissant voir que ses deacute-fauts  il est passionneacute et se moque des passions  il a du

talent et il le cache  il fait le savant avec les aristocrateset fait de lrsquoaristocratie avec les savants Eugegravene de Rasti-gnac est un de ces jeunes gens tregraves-senseacutes qui essaient detout et semblent tacircter les hommes pour savoir ce que portelrsquoavenir En attendant lrsquoacircge de lrsquoambition il se moque detout  il a de la gracircce et de lrsquooriginaliteacute deux qualiteacutes raresparce qursquoelles srsquoexcluent lrsquoune lrsquoautre Il a causeacute sans preacute-meacuteditation de succegraves avec la marquise de Listomegravere pen-dant une demi-heure environ En se jouant des capricesdrsquoune conversation qui apregraves avoir commenceacute agrave lrsquoopeacuterade Guillaume-Tell en eacutetait venue aux devoirs des femmesil avait plus drsquoune fois regardeacute la marquise de maniegravere agravelrsquoembarrasser  puis il la quitta et ne lui parla plus de toutela soireacutee  il dansa se mit agrave lrsquoeacutecarteacute perdit quelque argentet srsquoen alla se coucher Jrsquoai lrsquohonneur de vous affirmer quetout se passa ainsi Je nrsquoajoute je ne retranche rien

Le lendemain matin Rastignac se reacuteveilla tard resta dansson lit ougrave il se livra sans doute agrave quelques-unes de ces recircve-ries matinales pendant lesquelles un jeune homme se glissecomme un sylphe sous plus drsquoune courtine de soie de ca-chemire ou de coton En ces moments plus le corps estlourd de sommeil plus lrsquoesprit est agile Enfin Rastignacse leva sans trop bacirciller comme font tant de gens mal ap-pris sonna son valet de chambre se fit apprecircter du theacuteen but immodeacutereacutement ce qui ne paraicirctra pas extraordi-naire aux personnes qui aiment le theacute  mais pour expliquercette circonstance aux gens qui ne lrsquoacceptent que commela panaceacutee des indigestions jrsquoajouterai qursquoEugegravene eacutecrivait il eacutetait commodeacutement assis et avait les pieds plus souventsur ses chenets que dans sa chanceliegravere Oh  avoir les piedssur la barre polie qui reacuteunit les deux griffons drsquoun garde-cendre et penser agrave ses amours quand on se legraveve et qursquoon esten robe de chambre est chose si deacutelicieuse que je regretteinfiniment de nrsquoavoir ni maicirctresse ni chenets ni robe de

chambre Quand jrsquoaurai tout cela je ne raconterai pas mesobservations jrsquoen profiterai

La premiegravere lettre qursquoEugegravene eacutecrivit fut acheveacutee en unquart drsquoheure  il la plia la cacheta et la laissa devant luisans y mettre lrsquoadresse La seconde lettre commenceacutee agraveonze heures ne fut finie qursquoagrave midi Les quatre pages eacutetaientpleines

― Cette femme me trotte dans la tecircte dit-il en pliant cetteseconde eacutepicirctre qursquoil laissa devant lui comptant y mettrelrsquoadresse apregraves avoir acheveacute sa recircverie involontaire Il croi-sa les deux pans de sa robe de chambre agrave ramages posa sespieds sur un tabouret coula ses mains dans les goussets deson pantalon de cachemire rouge et se renversa dans unedeacutelicieuse bergegravere agrave oreilles dont le sieacutege et le dossier deacutecri-vaient lrsquoangle confortable de cent vingt degreacutes Il ne prit plusde theacute et resta immobile les yeux attacheacutes sur la main doreacuteequi couronnait sa pelle sans voir ni main ni pelle ni do-rure Il ne tisonna mecircme pas Faute immense  Nrsquoest-ce pasun plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense auxfemmes  Notre esprit precircte des phrases aux petites languesbleues qui se deacutegagent soudain et babillent dans le foyer Oninterpregravete le langage puissant et brusque drsquoun bourguignon

Agrave ce mot arrecirctons-nous et placcedilons ici pour les ignorantsune explication due agrave un eacutetymologiste tregraves-distingueacute quia deacutesireacute garder lrsquoanonyme Bourguignon est le nom popu-laire et symbolique donneacute depuis le regravegne de Charles VIagrave ces deacutetonations bruyantes dont lrsquoeffet est drsquoenvoyer surun tapis ou sur une robe un petit charbon leacuteger principedrsquoincendie Le feu deacutegage dit-on une bulle drsquoair qursquoun verrongeur a laisseacutee dans le cœur du bois Inde amor indeburgundus Lrsquoon tremble en voyant rouler comme une ava-lanche le charbon qursquoon avait si industrieusement essayeacute deposer entre deux bucircches flamboyantes Oh  tisonner quandon aime nrsquoest-ce pas deacutevelopper mateacuteriellement sa penseacutee 

Ce fut en ce moment que jrsquoentrai chez Eugegravene il fit unsoubresaut et me dit  ― Ah  te voilagrave mon cher Horace De-puis quand es-tu lagrave 

― Jrsquoarrive― Ah Il prit les deux lettres y mit les adresses et sonna son do-

mestique― Porte cela en villeEt Joseph y alla sans faire drsquoobservations excellent do-

mestique Nous nous micircmes agrave causer de lrsquoexpeacutedition de Moreacutee

dans laquelle je deacutesirais ecirctre employeacute en qualiteacute de meacutede-cin Eugegravene me fit observer que je perdrais beaucoup agrave quit-ter Paris et nous parlacircmes de choses indiffeacuterentes Je necrois pas que lrsquoon me sache mauvais greacute de supprimer notreconversation

Au moment ougrave la marquise de Listomegravere se leva surles deux heures apregraves midi sa femme de chambre Caro-line lui remit une lettre elle la lut pendant que Caroline lacoiffait (Imprudence que commettent beaucoup de jeunesfemmes)

Ocirc cher ange drsquoamour treacutesor de vie et de bonheur  Agrave cesmots la marquise allait jeter la lettre au feu  mais il lui pas-sa par la tecircte une fantaisie que toute femme vertueuse com-prendra merveilleusement et qui eacutetait de voir comment unhomme qui deacutebutait ainsi pouvait finir Elle lut Quand elleeut tourneacute la quatriegraveme page elle laissa tomber ses brascomme une personne fatigueacutee

― Caroline allez savoir qui a remis cette lettre chez moi― Madame je lrsquoai reccedilue du valet de chambre de mon-

sieur le baron de RastignacIl se fit un long silence― Madame veut-elle srsquohabiller  demanda Caroline― Non

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

― lrsquoeacutedition Furne scanneacutee par Google Books  httpbooksgooglecom

Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

La marquise de Listomegravere est une de ces jeunes femmeseacuteleveacutees dans lrsquoesprit de la Restauration Elle a des principeselle fait maigre elle communie et va tregraves-pareacutee au bal auxBouffons agrave lrsquoOpeacutera  son directeur lui permet drsquoallier le pro-fane et le sacreacute Toujours en regravegle avec lrsquoeacuteglise et avec lemonde elle offre une image du temps preacutesent qui sembleavoir pris le mot de Leacutegaliteacute pour eacutepigraphe La conduite dela marquise comporte preacuteciseacutement assez de deacutevotion pourpouvoir arriver sous une nouvelle Maintenon agrave la sombrepieacuteteacute des derniers jours de Louis XIV et assez de monda-niteacute pour adopter eacutegalement les mœurs galantes des pre-miers jours de ce regravegne srsquoil revenait En ce moment elleest vertueuse par calcul ou par goucirct peut-ecirctre Marieacutee de-puis sept ans au marquis de Listomegravere un de ces deacuteputeacutesqui attendent la pairie elle croit peut-ecirctre aussi servir parsa conduite lrsquoambition de sa famille Quelques femmes at-tendent pour la juger le moment ougrave monsieur de Listomegraveresera pair de France et ougrave elle aura trente-six ans eacutepoquede la vie ougrave la plupart des femmes srsquoaperccediloivent qursquoellessont dupes des lois sociales Le marquis est un homme as-sez insignifiant  il est bien en cour ses qualiteacutes sont neacutega-tives comme ses deacutefauts  les unes ne peuvent pas plus luifaire une reacuteputation de vertu que les autres ne lui donnentlrsquoespegravece drsquoeacuteclat jeteacute par les vices Deacuteputeacute il ne parle jamaismais il vote bien  il se comporte dans son meacutenage commeagrave la Chambre Aussi passe-t-il pour ecirctre le meilleur mari deFrance Srsquoil nrsquoest pas susceptible de srsquoexalter il ne grondejamais agrave moins qursquoon ne le fasse attendre Ses amis lrsquoontnommeacute le temps couvert Il ne se rencontre en effet chez luini lumiegravere trop vive ni obscuriteacute complegravete Il ressemble agravetous les ministegraveres qui se sont succeacutedeacute en France depuis laCharte Pour une femme agrave principes il eacutetait difficile de tom-ber en de meilleures mains Nrsquoest-ce pas beaucoup pour unefemme vertueuse que drsquoavoir eacutepouseacute un homme incapablede faire des sottises  Il srsquoest rencontreacute des dandies qui ont

eu lrsquoimpertinence de presser leacutegegraverement la main de la mar-quise en dansant avec elle ils nrsquoont recueilli que des regardsde meacutepris et tous ont eacuteprouveacute cette indiffeacuterence insultantequi semblable aux geleacutees du printemps deacutetruit le germedes plus belles espeacuterances Les beaux les spirituels les fatsles hommes agrave sentiment qui se nourrissent en teacutetant leurscannes ceux agrave grand nom ou agrave grosse renommeacutee les gensde haute et petite voleacutee aupregraves drsquoelle tout a blanchi Elle aconquis le droit de causer aussi long-temps et aussi souventqursquoelle le veut avec les hommes qui lui semblent spirituelssans qursquoelle soit coucheacutee sur lrsquoalbum de la meacutedisance Cer-taines femmes coquettes sont capables de suivre ce plan-lagravependant sept ans pour satisfaire plus tard leurs fantaisies mais supposer cette arriegravere-penseacutee agrave la marquise de Listo-megravere serait la calomnier Jrsquoai eu le bonheur de voir ce pheacute-nix des marquises  elle cause bien je sais eacutecouter je lui aiplu je vais agrave ses soireacutees Tel eacutetait le but de mon ambition Nilaide ni jolie madame de Listomegravere a des dents blanches leteint eacuteclatant et les legravevres tregraves-rouges  elle est grande et bienfaite  elle a le pied petit fluet et ne lrsquoavance pas  ses yeuxloin drsquoecirctre eacuteteints comme le sont presque tous les yeux pa-risiens ont un eacuteclat doux qui devient magique si par hasardelle srsquoanime On devine une acircme agrave travers cette forme indeacute-cise Si elle srsquointeacuteresse agrave la conversation elle y deacuteploie unegracircce ensevelie sous les preacutecautions drsquoun maintien froid etalors elle est charmante Elle ne veut pas de succegraves et enobtient On trouve toujours ce qursquoon ne cherche pas Cettephrase est trop souvent vraie pour ne pas se changer un jouren proverbe Ce sera la moraliteacute de cette aventure que je neme permettrais pas de raconter si elle ne retentissait en cemoment dans tous les salons de Paris

La marquise de Listomegravere a danseacute il y a un mois envi-ron avec un jeune homme aussi modeste qursquoil est eacutetour-di plein de bonnes qualiteacutes et ne laissant voir que ses deacute-fauts  il est passionneacute et se moque des passions  il a du

talent et il le cache  il fait le savant avec les aristocrateset fait de lrsquoaristocratie avec les savants Eugegravene de Rasti-gnac est un de ces jeunes gens tregraves-senseacutes qui essaient detout et semblent tacircter les hommes pour savoir ce que portelrsquoavenir En attendant lrsquoacircge de lrsquoambition il se moque detout  il a de la gracircce et de lrsquooriginaliteacute deux qualiteacutes raresparce qursquoelles srsquoexcluent lrsquoune lrsquoautre Il a causeacute sans preacute-meacuteditation de succegraves avec la marquise de Listomegravere pen-dant une demi-heure environ En se jouant des capricesdrsquoune conversation qui apregraves avoir commenceacute agrave lrsquoopeacuterade Guillaume-Tell en eacutetait venue aux devoirs des femmesil avait plus drsquoune fois regardeacute la marquise de maniegravere agravelrsquoembarrasser  puis il la quitta et ne lui parla plus de toutela soireacutee  il dansa se mit agrave lrsquoeacutecarteacute perdit quelque argentet srsquoen alla se coucher Jrsquoai lrsquohonneur de vous affirmer quetout se passa ainsi Je nrsquoajoute je ne retranche rien

Le lendemain matin Rastignac se reacuteveilla tard resta dansson lit ougrave il se livra sans doute agrave quelques-unes de ces recircve-ries matinales pendant lesquelles un jeune homme se glissecomme un sylphe sous plus drsquoune courtine de soie de ca-chemire ou de coton En ces moments plus le corps estlourd de sommeil plus lrsquoesprit est agile Enfin Rastignacse leva sans trop bacirciller comme font tant de gens mal ap-pris sonna son valet de chambre se fit apprecircter du theacuteen but immodeacutereacutement ce qui ne paraicirctra pas extraordi-naire aux personnes qui aiment le theacute  mais pour expliquercette circonstance aux gens qui ne lrsquoacceptent que commela panaceacutee des indigestions jrsquoajouterai qursquoEugegravene eacutecrivait il eacutetait commodeacutement assis et avait les pieds plus souventsur ses chenets que dans sa chanceliegravere Oh  avoir les piedssur la barre polie qui reacuteunit les deux griffons drsquoun garde-cendre et penser agrave ses amours quand on se legraveve et qursquoon esten robe de chambre est chose si deacutelicieuse que je regretteinfiniment de nrsquoavoir ni maicirctresse ni chenets ni robe de

chambre Quand jrsquoaurai tout cela je ne raconterai pas mesobservations jrsquoen profiterai

La premiegravere lettre qursquoEugegravene eacutecrivit fut acheveacutee en unquart drsquoheure  il la plia la cacheta et la laissa devant luisans y mettre lrsquoadresse La seconde lettre commenceacutee agraveonze heures ne fut finie qursquoagrave midi Les quatre pages eacutetaientpleines

― Cette femme me trotte dans la tecircte dit-il en pliant cetteseconde eacutepicirctre qursquoil laissa devant lui comptant y mettrelrsquoadresse apregraves avoir acheveacute sa recircverie involontaire Il croi-sa les deux pans de sa robe de chambre agrave ramages posa sespieds sur un tabouret coula ses mains dans les goussets deson pantalon de cachemire rouge et se renversa dans unedeacutelicieuse bergegravere agrave oreilles dont le sieacutege et le dossier deacutecri-vaient lrsquoangle confortable de cent vingt degreacutes Il ne prit plusde theacute et resta immobile les yeux attacheacutes sur la main doreacuteequi couronnait sa pelle sans voir ni main ni pelle ni do-rure Il ne tisonna mecircme pas Faute immense  Nrsquoest-ce pasun plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense auxfemmes  Notre esprit precircte des phrases aux petites languesbleues qui se deacutegagent soudain et babillent dans le foyer Oninterpregravete le langage puissant et brusque drsquoun bourguignon

Agrave ce mot arrecirctons-nous et placcedilons ici pour les ignorantsune explication due agrave un eacutetymologiste tregraves-distingueacute quia deacutesireacute garder lrsquoanonyme Bourguignon est le nom popu-laire et symbolique donneacute depuis le regravegne de Charles VIagrave ces deacutetonations bruyantes dont lrsquoeffet est drsquoenvoyer surun tapis ou sur une robe un petit charbon leacuteger principedrsquoincendie Le feu deacutegage dit-on une bulle drsquoair qursquoun verrongeur a laisseacutee dans le cœur du bois Inde amor indeburgundus Lrsquoon tremble en voyant rouler comme une ava-lanche le charbon qursquoon avait si industrieusement essayeacute deposer entre deux bucircches flamboyantes Oh  tisonner quandon aime nrsquoest-ce pas deacutevelopper mateacuteriellement sa penseacutee 

Ce fut en ce moment que jrsquoentrai chez Eugegravene il fit unsoubresaut et me dit  ― Ah  te voilagrave mon cher Horace De-puis quand es-tu lagrave 

― Jrsquoarrive― Ah Il prit les deux lettres y mit les adresses et sonna son do-

mestique― Porte cela en villeEt Joseph y alla sans faire drsquoobservations excellent do-

mestique Nous nous micircmes agrave causer de lrsquoexpeacutedition de Moreacutee

dans laquelle je deacutesirais ecirctre employeacute en qualiteacute de meacutede-cin Eugegravene me fit observer que je perdrais beaucoup agrave quit-ter Paris et nous parlacircmes de choses indiffeacuterentes Je necrois pas que lrsquoon me sache mauvais greacute de supprimer notreconversation

Au moment ougrave la marquise de Listomegravere se leva surles deux heures apregraves midi sa femme de chambre Caro-line lui remit une lettre elle la lut pendant que Caroline lacoiffait (Imprudence que commettent beaucoup de jeunesfemmes)

Ocirc cher ange drsquoamour treacutesor de vie et de bonheur  Agrave cesmots la marquise allait jeter la lettre au feu  mais il lui pas-sa par la tecircte une fantaisie que toute femme vertueuse com-prendra merveilleusement et qui eacutetait de voir comment unhomme qui deacutebutait ainsi pouvait finir Elle lut Quand elleeut tourneacute la quatriegraveme page elle laissa tomber ses brascomme une personne fatigueacutee

― Caroline allez savoir qui a remis cette lettre chez moi― Madame je lrsquoai reccedilue du valet de chambre de mon-

sieur le baron de RastignacIl se fit un long silence― Madame veut-elle srsquohabiller  demanda Caroline― Non

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

― lrsquoeacutedition Furne scanneacutee par Google Books  httpbooksgooglecom

Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

eu lrsquoimpertinence de presser leacutegegraverement la main de la mar-quise en dansant avec elle ils nrsquoont recueilli que des regardsde meacutepris et tous ont eacuteprouveacute cette indiffeacuterence insultantequi semblable aux geleacutees du printemps deacutetruit le germedes plus belles espeacuterances Les beaux les spirituels les fatsles hommes agrave sentiment qui se nourrissent en teacutetant leurscannes ceux agrave grand nom ou agrave grosse renommeacutee les gensde haute et petite voleacutee aupregraves drsquoelle tout a blanchi Elle aconquis le droit de causer aussi long-temps et aussi souventqursquoelle le veut avec les hommes qui lui semblent spirituelssans qursquoelle soit coucheacutee sur lrsquoalbum de la meacutedisance Cer-taines femmes coquettes sont capables de suivre ce plan-lagravependant sept ans pour satisfaire plus tard leurs fantaisies mais supposer cette arriegravere-penseacutee agrave la marquise de Listo-megravere serait la calomnier Jrsquoai eu le bonheur de voir ce pheacute-nix des marquises  elle cause bien je sais eacutecouter je lui aiplu je vais agrave ses soireacutees Tel eacutetait le but de mon ambition Nilaide ni jolie madame de Listomegravere a des dents blanches leteint eacuteclatant et les legravevres tregraves-rouges  elle est grande et bienfaite  elle a le pied petit fluet et ne lrsquoavance pas  ses yeuxloin drsquoecirctre eacuteteints comme le sont presque tous les yeux pa-risiens ont un eacuteclat doux qui devient magique si par hasardelle srsquoanime On devine une acircme agrave travers cette forme indeacute-cise Si elle srsquointeacuteresse agrave la conversation elle y deacuteploie unegracircce ensevelie sous les preacutecautions drsquoun maintien froid etalors elle est charmante Elle ne veut pas de succegraves et enobtient On trouve toujours ce qursquoon ne cherche pas Cettephrase est trop souvent vraie pour ne pas se changer un jouren proverbe Ce sera la moraliteacute de cette aventure que je neme permettrais pas de raconter si elle ne retentissait en cemoment dans tous les salons de Paris

La marquise de Listomegravere a danseacute il y a un mois envi-ron avec un jeune homme aussi modeste qursquoil est eacutetour-di plein de bonnes qualiteacutes et ne laissant voir que ses deacute-fauts  il est passionneacute et se moque des passions  il a du

talent et il le cache  il fait le savant avec les aristocrateset fait de lrsquoaristocratie avec les savants Eugegravene de Rasti-gnac est un de ces jeunes gens tregraves-senseacutes qui essaient detout et semblent tacircter les hommes pour savoir ce que portelrsquoavenir En attendant lrsquoacircge de lrsquoambition il se moque detout  il a de la gracircce et de lrsquooriginaliteacute deux qualiteacutes raresparce qursquoelles srsquoexcluent lrsquoune lrsquoautre Il a causeacute sans preacute-meacuteditation de succegraves avec la marquise de Listomegravere pen-dant une demi-heure environ En se jouant des capricesdrsquoune conversation qui apregraves avoir commenceacute agrave lrsquoopeacuterade Guillaume-Tell en eacutetait venue aux devoirs des femmesil avait plus drsquoune fois regardeacute la marquise de maniegravere agravelrsquoembarrasser  puis il la quitta et ne lui parla plus de toutela soireacutee  il dansa se mit agrave lrsquoeacutecarteacute perdit quelque argentet srsquoen alla se coucher Jrsquoai lrsquohonneur de vous affirmer quetout se passa ainsi Je nrsquoajoute je ne retranche rien

Le lendemain matin Rastignac se reacuteveilla tard resta dansson lit ougrave il se livra sans doute agrave quelques-unes de ces recircve-ries matinales pendant lesquelles un jeune homme se glissecomme un sylphe sous plus drsquoune courtine de soie de ca-chemire ou de coton En ces moments plus le corps estlourd de sommeil plus lrsquoesprit est agile Enfin Rastignacse leva sans trop bacirciller comme font tant de gens mal ap-pris sonna son valet de chambre se fit apprecircter du theacuteen but immodeacutereacutement ce qui ne paraicirctra pas extraordi-naire aux personnes qui aiment le theacute  mais pour expliquercette circonstance aux gens qui ne lrsquoacceptent que commela panaceacutee des indigestions jrsquoajouterai qursquoEugegravene eacutecrivait il eacutetait commodeacutement assis et avait les pieds plus souventsur ses chenets que dans sa chanceliegravere Oh  avoir les piedssur la barre polie qui reacuteunit les deux griffons drsquoun garde-cendre et penser agrave ses amours quand on se legraveve et qursquoon esten robe de chambre est chose si deacutelicieuse que je regretteinfiniment de nrsquoavoir ni maicirctresse ni chenets ni robe de

chambre Quand jrsquoaurai tout cela je ne raconterai pas mesobservations jrsquoen profiterai

La premiegravere lettre qursquoEugegravene eacutecrivit fut acheveacutee en unquart drsquoheure  il la plia la cacheta et la laissa devant luisans y mettre lrsquoadresse La seconde lettre commenceacutee agraveonze heures ne fut finie qursquoagrave midi Les quatre pages eacutetaientpleines

― Cette femme me trotte dans la tecircte dit-il en pliant cetteseconde eacutepicirctre qursquoil laissa devant lui comptant y mettrelrsquoadresse apregraves avoir acheveacute sa recircverie involontaire Il croi-sa les deux pans de sa robe de chambre agrave ramages posa sespieds sur un tabouret coula ses mains dans les goussets deson pantalon de cachemire rouge et se renversa dans unedeacutelicieuse bergegravere agrave oreilles dont le sieacutege et le dossier deacutecri-vaient lrsquoangle confortable de cent vingt degreacutes Il ne prit plusde theacute et resta immobile les yeux attacheacutes sur la main doreacuteequi couronnait sa pelle sans voir ni main ni pelle ni do-rure Il ne tisonna mecircme pas Faute immense  Nrsquoest-ce pasun plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense auxfemmes  Notre esprit precircte des phrases aux petites languesbleues qui se deacutegagent soudain et babillent dans le foyer Oninterpregravete le langage puissant et brusque drsquoun bourguignon

Agrave ce mot arrecirctons-nous et placcedilons ici pour les ignorantsune explication due agrave un eacutetymologiste tregraves-distingueacute quia deacutesireacute garder lrsquoanonyme Bourguignon est le nom popu-laire et symbolique donneacute depuis le regravegne de Charles VIagrave ces deacutetonations bruyantes dont lrsquoeffet est drsquoenvoyer surun tapis ou sur une robe un petit charbon leacuteger principedrsquoincendie Le feu deacutegage dit-on une bulle drsquoair qursquoun verrongeur a laisseacutee dans le cœur du bois Inde amor indeburgundus Lrsquoon tremble en voyant rouler comme une ava-lanche le charbon qursquoon avait si industrieusement essayeacute deposer entre deux bucircches flamboyantes Oh  tisonner quandon aime nrsquoest-ce pas deacutevelopper mateacuteriellement sa penseacutee 

Ce fut en ce moment que jrsquoentrai chez Eugegravene il fit unsoubresaut et me dit  ― Ah  te voilagrave mon cher Horace De-puis quand es-tu lagrave 

― Jrsquoarrive― Ah Il prit les deux lettres y mit les adresses et sonna son do-

mestique― Porte cela en villeEt Joseph y alla sans faire drsquoobservations excellent do-

mestique Nous nous micircmes agrave causer de lrsquoexpeacutedition de Moreacutee

dans laquelle je deacutesirais ecirctre employeacute en qualiteacute de meacutede-cin Eugegravene me fit observer que je perdrais beaucoup agrave quit-ter Paris et nous parlacircmes de choses indiffeacuterentes Je necrois pas que lrsquoon me sache mauvais greacute de supprimer notreconversation

Au moment ougrave la marquise de Listomegravere se leva surles deux heures apregraves midi sa femme de chambre Caro-line lui remit une lettre elle la lut pendant que Caroline lacoiffait (Imprudence que commettent beaucoup de jeunesfemmes)

Ocirc cher ange drsquoamour treacutesor de vie et de bonheur  Agrave cesmots la marquise allait jeter la lettre au feu  mais il lui pas-sa par la tecircte une fantaisie que toute femme vertueuse com-prendra merveilleusement et qui eacutetait de voir comment unhomme qui deacutebutait ainsi pouvait finir Elle lut Quand elleeut tourneacute la quatriegraveme page elle laissa tomber ses brascomme une personne fatigueacutee

― Caroline allez savoir qui a remis cette lettre chez moi― Madame je lrsquoai reccedilue du valet de chambre de mon-

sieur le baron de RastignacIl se fit un long silence― Madame veut-elle srsquohabiller  demanda Caroline― Non

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

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Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

talent et il le cache  il fait le savant avec les aristocrateset fait de lrsquoaristocratie avec les savants Eugegravene de Rasti-gnac est un de ces jeunes gens tregraves-senseacutes qui essaient detout et semblent tacircter les hommes pour savoir ce que portelrsquoavenir En attendant lrsquoacircge de lrsquoambition il se moque detout  il a de la gracircce et de lrsquooriginaliteacute deux qualiteacutes raresparce qursquoelles srsquoexcluent lrsquoune lrsquoautre Il a causeacute sans preacute-meacuteditation de succegraves avec la marquise de Listomegravere pen-dant une demi-heure environ En se jouant des capricesdrsquoune conversation qui apregraves avoir commenceacute agrave lrsquoopeacuterade Guillaume-Tell en eacutetait venue aux devoirs des femmesil avait plus drsquoune fois regardeacute la marquise de maniegravere agravelrsquoembarrasser  puis il la quitta et ne lui parla plus de toutela soireacutee  il dansa se mit agrave lrsquoeacutecarteacute perdit quelque argentet srsquoen alla se coucher Jrsquoai lrsquohonneur de vous affirmer quetout se passa ainsi Je nrsquoajoute je ne retranche rien

Le lendemain matin Rastignac se reacuteveilla tard resta dansson lit ougrave il se livra sans doute agrave quelques-unes de ces recircve-ries matinales pendant lesquelles un jeune homme se glissecomme un sylphe sous plus drsquoune courtine de soie de ca-chemire ou de coton En ces moments plus le corps estlourd de sommeil plus lrsquoesprit est agile Enfin Rastignacse leva sans trop bacirciller comme font tant de gens mal ap-pris sonna son valet de chambre se fit apprecircter du theacuteen but immodeacutereacutement ce qui ne paraicirctra pas extraordi-naire aux personnes qui aiment le theacute  mais pour expliquercette circonstance aux gens qui ne lrsquoacceptent que commela panaceacutee des indigestions jrsquoajouterai qursquoEugegravene eacutecrivait il eacutetait commodeacutement assis et avait les pieds plus souventsur ses chenets que dans sa chanceliegravere Oh  avoir les piedssur la barre polie qui reacuteunit les deux griffons drsquoun garde-cendre et penser agrave ses amours quand on se legraveve et qursquoon esten robe de chambre est chose si deacutelicieuse que je regretteinfiniment de nrsquoavoir ni maicirctresse ni chenets ni robe de

chambre Quand jrsquoaurai tout cela je ne raconterai pas mesobservations jrsquoen profiterai

La premiegravere lettre qursquoEugegravene eacutecrivit fut acheveacutee en unquart drsquoheure  il la plia la cacheta et la laissa devant luisans y mettre lrsquoadresse La seconde lettre commenceacutee agraveonze heures ne fut finie qursquoagrave midi Les quatre pages eacutetaientpleines

― Cette femme me trotte dans la tecircte dit-il en pliant cetteseconde eacutepicirctre qursquoil laissa devant lui comptant y mettrelrsquoadresse apregraves avoir acheveacute sa recircverie involontaire Il croi-sa les deux pans de sa robe de chambre agrave ramages posa sespieds sur un tabouret coula ses mains dans les goussets deson pantalon de cachemire rouge et se renversa dans unedeacutelicieuse bergegravere agrave oreilles dont le sieacutege et le dossier deacutecri-vaient lrsquoangle confortable de cent vingt degreacutes Il ne prit plusde theacute et resta immobile les yeux attacheacutes sur la main doreacuteequi couronnait sa pelle sans voir ni main ni pelle ni do-rure Il ne tisonna mecircme pas Faute immense  Nrsquoest-ce pasun plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense auxfemmes  Notre esprit precircte des phrases aux petites languesbleues qui se deacutegagent soudain et babillent dans le foyer Oninterpregravete le langage puissant et brusque drsquoun bourguignon

Agrave ce mot arrecirctons-nous et placcedilons ici pour les ignorantsune explication due agrave un eacutetymologiste tregraves-distingueacute quia deacutesireacute garder lrsquoanonyme Bourguignon est le nom popu-laire et symbolique donneacute depuis le regravegne de Charles VIagrave ces deacutetonations bruyantes dont lrsquoeffet est drsquoenvoyer surun tapis ou sur une robe un petit charbon leacuteger principedrsquoincendie Le feu deacutegage dit-on une bulle drsquoair qursquoun verrongeur a laisseacutee dans le cœur du bois Inde amor indeburgundus Lrsquoon tremble en voyant rouler comme une ava-lanche le charbon qursquoon avait si industrieusement essayeacute deposer entre deux bucircches flamboyantes Oh  tisonner quandon aime nrsquoest-ce pas deacutevelopper mateacuteriellement sa penseacutee 

Ce fut en ce moment que jrsquoentrai chez Eugegravene il fit unsoubresaut et me dit  ― Ah  te voilagrave mon cher Horace De-puis quand es-tu lagrave 

― Jrsquoarrive― Ah Il prit les deux lettres y mit les adresses et sonna son do-

mestique― Porte cela en villeEt Joseph y alla sans faire drsquoobservations excellent do-

mestique Nous nous micircmes agrave causer de lrsquoexpeacutedition de Moreacutee

dans laquelle je deacutesirais ecirctre employeacute en qualiteacute de meacutede-cin Eugegravene me fit observer que je perdrais beaucoup agrave quit-ter Paris et nous parlacircmes de choses indiffeacuterentes Je necrois pas que lrsquoon me sache mauvais greacute de supprimer notreconversation

Au moment ougrave la marquise de Listomegravere se leva surles deux heures apregraves midi sa femme de chambre Caro-line lui remit une lettre elle la lut pendant que Caroline lacoiffait (Imprudence que commettent beaucoup de jeunesfemmes)

Ocirc cher ange drsquoamour treacutesor de vie et de bonheur  Agrave cesmots la marquise allait jeter la lettre au feu  mais il lui pas-sa par la tecircte une fantaisie que toute femme vertueuse com-prendra merveilleusement et qui eacutetait de voir comment unhomme qui deacutebutait ainsi pouvait finir Elle lut Quand elleeut tourneacute la quatriegraveme page elle laissa tomber ses brascomme une personne fatigueacutee

― Caroline allez savoir qui a remis cette lettre chez moi― Madame je lrsquoai reccedilue du valet de chambre de mon-

sieur le baron de RastignacIl se fit un long silence― Madame veut-elle srsquohabiller  demanda Caroline― Non

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

― lrsquoeacutedition Furne scanneacutee par Google Books  httpbooksgooglecom

Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

chambre Quand jrsquoaurai tout cela je ne raconterai pas mesobservations jrsquoen profiterai

La premiegravere lettre qursquoEugegravene eacutecrivit fut acheveacutee en unquart drsquoheure  il la plia la cacheta et la laissa devant luisans y mettre lrsquoadresse La seconde lettre commenceacutee agraveonze heures ne fut finie qursquoagrave midi Les quatre pages eacutetaientpleines

― Cette femme me trotte dans la tecircte dit-il en pliant cetteseconde eacutepicirctre qursquoil laissa devant lui comptant y mettrelrsquoadresse apregraves avoir acheveacute sa recircverie involontaire Il croi-sa les deux pans de sa robe de chambre agrave ramages posa sespieds sur un tabouret coula ses mains dans les goussets deson pantalon de cachemire rouge et se renversa dans unedeacutelicieuse bergegravere agrave oreilles dont le sieacutege et le dossier deacutecri-vaient lrsquoangle confortable de cent vingt degreacutes Il ne prit plusde theacute et resta immobile les yeux attacheacutes sur la main doreacuteequi couronnait sa pelle sans voir ni main ni pelle ni do-rure Il ne tisonna mecircme pas Faute immense  Nrsquoest-ce pasun plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense auxfemmes  Notre esprit precircte des phrases aux petites languesbleues qui se deacutegagent soudain et babillent dans le foyer Oninterpregravete le langage puissant et brusque drsquoun bourguignon

Agrave ce mot arrecirctons-nous et placcedilons ici pour les ignorantsune explication due agrave un eacutetymologiste tregraves-distingueacute quia deacutesireacute garder lrsquoanonyme Bourguignon est le nom popu-laire et symbolique donneacute depuis le regravegne de Charles VIagrave ces deacutetonations bruyantes dont lrsquoeffet est drsquoenvoyer surun tapis ou sur une robe un petit charbon leacuteger principedrsquoincendie Le feu deacutegage dit-on une bulle drsquoair qursquoun verrongeur a laisseacutee dans le cœur du bois Inde amor indeburgundus Lrsquoon tremble en voyant rouler comme une ava-lanche le charbon qursquoon avait si industrieusement essayeacute deposer entre deux bucircches flamboyantes Oh  tisonner quandon aime nrsquoest-ce pas deacutevelopper mateacuteriellement sa penseacutee 

Ce fut en ce moment que jrsquoentrai chez Eugegravene il fit unsoubresaut et me dit  ― Ah  te voilagrave mon cher Horace De-puis quand es-tu lagrave 

― Jrsquoarrive― Ah Il prit les deux lettres y mit les adresses et sonna son do-

mestique― Porte cela en villeEt Joseph y alla sans faire drsquoobservations excellent do-

mestique Nous nous micircmes agrave causer de lrsquoexpeacutedition de Moreacutee

dans laquelle je deacutesirais ecirctre employeacute en qualiteacute de meacutede-cin Eugegravene me fit observer que je perdrais beaucoup agrave quit-ter Paris et nous parlacircmes de choses indiffeacuterentes Je necrois pas que lrsquoon me sache mauvais greacute de supprimer notreconversation

Au moment ougrave la marquise de Listomegravere se leva surles deux heures apregraves midi sa femme de chambre Caro-line lui remit une lettre elle la lut pendant que Caroline lacoiffait (Imprudence que commettent beaucoup de jeunesfemmes)

Ocirc cher ange drsquoamour treacutesor de vie et de bonheur  Agrave cesmots la marquise allait jeter la lettre au feu  mais il lui pas-sa par la tecircte une fantaisie que toute femme vertueuse com-prendra merveilleusement et qui eacutetait de voir comment unhomme qui deacutebutait ainsi pouvait finir Elle lut Quand elleeut tourneacute la quatriegraveme page elle laissa tomber ses brascomme une personne fatigueacutee

― Caroline allez savoir qui a remis cette lettre chez moi― Madame je lrsquoai reccedilue du valet de chambre de mon-

sieur le baron de RastignacIl se fit un long silence― Madame veut-elle srsquohabiller  demanda Caroline― Non

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

― lrsquoeacutedition Furne scanneacutee par Google Books  httpbooksgooglecom

Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

Ce fut en ce moment que jrsquoentrai chez Eugegravene il fit unsoubresaut et me dit  ― Ah  te voilagrave mon cher Horace De-puis quand es-tu lagrave 

― Jrsquoarrive― Ah Il prit les deux lettres y mit les adresses et sonna son do-

mestique― Porte cela en villeEt Joseph y alla sans faire drsquoobservations excellent do-

mestique Nous nous micircmes agrave causer de lrsquoexpeacutedition de Moreacutee

dans laquelle je deacutesirais ecirctre employeacute en qualiteacute de meacutede-cin Eugegravene me fit observer que je perdrais beaucoup agrave quit-ter Paris et nous parlacircmes de choses indiffeacuterentes Je necrois pas que lrsquoon me sache mauvais greacute de supprimer notreconversation

Au moment ougrave la marquise de Listomegravere se leva surles deux heures apregraves midi sa femme de chambre Caro-line lui remit une lettre elle la lut pendant que Caroline lacoiffait (Imprudence que commettent beaucoup de jeunesfemmes)

Ocirc cher ange drsquoamour treacutesor de vie et de bonheur  Agrave cesmots la marquise allait jeter la lettre au feu  mais il lui pas-sa par la tecircte une fantaisie que toute femme vertueuse com-prendra merveilleusement et qui eacutetait de voir comment unhomme qui deacutebutait ainsi pouvait finir Elle lut Quand elleeut tourneacute la quatriegraveme page elle laissa tomber ses brascomme une personne fatigueacutee

― Caroline allez savoir qui a remis cette lettre chez moi― Madame je lrsquoai reccedilue du valet de chambre de mon-

sieur le baron de RastignacIl se fit un long silence― Madame veut-elle srsquohabiller  demanda Caroline― Non

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

― lrsquoeacutedition Furne scanneacutee par Google Books  httpbooksgooglecom

Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

― Il faut qursquoil soit bien impertinent  pensa la mar-quise

Je prie toutes les femmes drsquoimaginer elles-mecircmes le com-mentaire

Madame de Listomegravere termina le sien par la reacutesolutionformelle de consigner monsieur Eugegravene agrave sa porte et si ellele rencontrait dans le monde de lui teacutemoigner plus que dudeacutedain  car son insolence ne pouvait se comparer agrave aucunede celles que la marquise avait fini par excuser Elle voulutdrsquoabord garder la lettre  mais toute reacuteflexion faite elle labrucircla

― Madame vient de recevoir une fameuse deacuteclarationdrsquoamour et elle lrsquoa lue  dit Caroline agrave la femme de charge

― Je nrsquoaurais jamais cru cela de madame reacutepondit lavieille tout eacutetonneacutee

Le soir la comtesse alla chez le marquis de Beauseacuteant ougraveRastignac devait probablement se trouver Crsquoeacutetait un same-di Le marquis de Beauseacuteant eacutetant un peu parent agrave monsieurde Rastignac ce jeune homme ne pouvait manquer de ve-nir pendant la soireacutee A deux heures du matin madame deListomegravere qui nrsquoeacutetait resteacutee que pour accabler Eugegravene desa froideur lrsquoavait attendu vainement Un homme drsquoespritStendalh a eu la bizarre ideacutee de nommer cristallisation letravail que la penseacutee de la marquise fit avant pendant etapregraves cette soireacutee

Quatre jours apregraves Eugegravene grondait son valet dechambre

― Ah ccedilagrave  Joseph je vais ecirctre forceacute de te renvoyer mongarccedilon 

― Plaicirct-il monsieur ― Tu ne fais que des sottises Ougrave as-tu porteacute les deux

lettres que je trsquoai remises vendredi Joseph devint stupide Semblable agrave quelque statue du

porche drsquoune catheacutedrale il resta immobile entiegraverement ab-sorbeacute par le travail de son imaginative Tout agrave coup il sou-

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

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Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

rit becirctement et dit  ― Monsieur lrsquoune eacutetait pour madamela marquise de Listomegravere rue Saint-Dominique et lrsquoautrepour lrsquoavoueacute de monsieur

― Es-tu certain de ce que tu dis lagrave Joseph demeura tout interdit Je vis bien qursquoil fallait que

je mrsquoen mecirclasse moi qui par hasard me trouvais encore lagrave― Joseph a raison dis-je Eugegravene se tourna de mon cocircteacute

― Jrsquoai lu les adresses fort involontairement et― Et dit Eugegravene en mrsquointerrompant lrsquoune des lettres

nrsquoeacutetait pas pour madame de Nucingen ― Non de par tous les diables  Aussi ai-je cru mon

cher que ton cœur avait pirouetteacute de la rue Saint-Lazare agravela rue Saint-Dominique

Eugegravene se frappa le front du plat de la main et se mit agravesourire Joseph vit bien que la faute ne venait pas de lui

Maintenant voilagrave ougrave sont les moraliteacutes que tous lesjeunes gens devraient meacutediter Premiegravere faute  Eugegravenetrouva plaisant de faire rire madame de Listomegravere de la meacute-prise qui lrsquoavait rendue maicirctresse drsquoune lettre drsquoamour quinrsquoeacutetait pas pour elle Deuxiegraveme faute  il nrsquoalla chez madamede Listomegravere que quatre jours apregraves lrsquoaventure laissant ain-si les penseacutees drsquoune vertueuse jeune femme se cristalliserIl se trouvait encore une dizaine de fautes qursquoil faut passersous silence afin de donner aux dames le plaisir de les deacute-duire ex professo agrave ceux qui ne les devineront pas Eugegravenearrive agrave la porte de la marquise  mais quand il veut passerle concierge lrsquoarrecircte et lui dit que madame la marquise estsortie Comme il remontait en voiture le marquis entra

― Venez donc Eugegravene  ma femme est chez elleOh  excusez le marquis Un mari quelque bon qursquoil soit

atteint difficilement agrave la perfection En montant lrsquoescalierRastignac srsquoaperccedilut alors des dix fautes de logique mon-daine qui se trouvaient dans ce passage du beau livre desa vie Quand madame de Listomegravere vit son mari entrantavec Eugegravene elle ne put srsquoempecirccher de rougir Le jeune ba-

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

― lrsquoancienne eacutedition du groupe Ebooks Libres et Gra-tuits  httpwwwebooksgratuitsorg

― lrsquoeacutedition Furne scanneacutee par Google Books  httpbooksgooglecom

Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

  • Eacutetude de femme
  • Colophon

ron observa cette rougeur subite Si lrsquohomme le plus mo-deste conserve encore un petit fonds de fatuiteacute dont il nese deacutepouille pas plus que la femme ne se seacutepare de sa fatalecoquetterie qui pourrait blacircmer Eugegravene de srsquoecirctre alors diten lui-mecircme  ― Quoi  cette forteresse aussi  Et il se posadans sa cravate Quoique les jeunes gens ne soient pas tregraves-avares ils aiment tous agrave mettre une tecircte de plus dans leurmeacutedaillier

Monsieur de Listomegravere se saisit de la Gazette de Franceqursquoil aperccedilut dans un coin de la chemineacutee et alla verslrsquoembrasure drsquoune fenecirctre pour acqueacuterir le journaliste ai-dant une opinion agrave lui sur lrsquoeacutetat de la France Une femmevoire mecircme une prude ne reste pas long-temps embarras-seacutee mecircme dans la situation la plus difficile ougrave elle puisse setrouver  il semble qursquoelle ait toujours agrave la main la feuille defiguier que lui a donneacutee notre megravere Egraveve Aussi quand Eu-gegravene interpreacutetant en faveur de sa vaniteacute la consigne don-neacutee agrave la porte salua madame de Listomegravere drsquoun air passa-blement deacutelibeacutereacute sut-elle voiler toutes ses penseacutees par unde ces sourires feacuteminins plus impeacuteneacutetrables que ne lrsquoest laparole drsquoun roi

― Seriez-vous indisposeacutee madame  vous aviez fait deacute-fendre votre porte

― Non monsieur― Vous alliez sortir peut-ecirctre ― Pas davantage― Vous attendiez quelqursquoun ― Personne― Si ma visite est indiscregravete ne vous en prenez qursquoagrave mon-

sieur le marquis Jrsquoobeacuteissais agrave votre mysteacuterieuse consignequand il mrsquoa lui-mecircme introduit dans le sanctuaire

― Monsieur de Listomegravere nrsquoeacutetait pas dans ma confi-dence Il nrsquoest pas toujours prudent de mettre un mari aufait de certains secrets

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

COLOPHON

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  • Eacutetude de femme
  • Colophon

Lrsquoaccent fermeacute et doux avec lequel la marquise prononccedilaces paroles et le regard imposant qursquoelle lanccedila firent bienjuger agrave Rastignac qursquoil srsquoeacutetait trop presseacute de se poser danssa cravate

― Madame je vous comprends dit-il en riant  je doisalors me feacuteliciter doublement drsquoavoir rencontreacute monsieurle marquis il me procure lrsquooccasion de vous preacutesenter unejustification qui serait pleine de dangers si vous nrsquoeacutetiez pasla bonteacute mecircme

La marquise regarda le jeune baron drsquoun air assez eacuteton-neacute  mais elle reacutepondit avec digniteacute  ― Monsieur le silencesera de votre part la meilleure des excuses Quant agrave moi jevous promets le plus entier oubli pardon que vous meacuteritezagrave peine

― Madame dit vivement Eugegravene le pardon est inutile lagraveougrave il nrsquoy a pas eu drsquooffense La lettre ajouta-t-il agrave voix basseque vous avez reccedilue et qui a ducirc vous paraicirctre si inconve-nante ne vous eacutetait pas destineacutee

La marquise ne put srsquoempecirccher de sourire elle voulaitavoir eacuteteacute offenseacutee

― Pourquoi mentir  reprit-elle drsquoun air deacutedaigneuse-ment enjoueacute mais drsquoun son de voix assez doux Mainte-nant que je vous ai grondeacute je rirai volontiers drsquoun stra-tagegraveme qui nrsquoest pas sans malice Je connais de pauvresfemmes qui srsquoy prendraient ― Dieu  comme il aime  di-raient-elles La marquise se mit agrave rire forceacutement et ajoutadrsquoun air drsquoindulgence  ― Si nous voulons rester amis qursquoilne soit plus question de meacuteprises dont je ne puis ecirctre ladupe

― Sur mon honneur madame vous lrsquoecirctes beaucoup plusque vous ne pensez reacutepliqua vivement Eugegravene

― Mais de quoi parlez-vous donc lagrave  demanda monsieurde Listomegravere qui depuis un instant eacutecoutait la conversationsans en pouvoir percer lrsquoobscuriteacute

― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

mrsquoexpliquer monsieur par quel hasard mon nom a pu setrouver sous votre plume Il nrsquoen est pas drsquoune adresse eacutecritesur une lettre comme du claque drsquoun voisin qursquoon peut pareacutetourderie prendre pour le sien en quittant le bal

Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

Paris feacutevrier 1830

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Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

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  • Eacutetude de femme
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― Oh  cela nrsquoest pas inteacuteressant pour vous reacutepondit lamarquise

Monsieur de Listomegravere reprit tranquillement la lecturede son journal et dit  ― Ah  madame de Mortsauf estmorte  votre pauvre fregravere est sans doute agrave Clochegourde

― Savez-vous monsieur reprit la marquise en se tour-nant vers Eugegravene que vous venez de dire une imperti-nence 

― Si je ne connaissais pas la rigueur de vos principes reacute-pondit-il naiumlvement je croirais que vous voulez ou me don-ner des ideacutees desquelles je me deacutefends ou mrsquoarracher monsecret Peut-ecirctre encore voulez-vous vous amuser de moi

La marquise sourit Ce sourire impatienta Eugegravene― Puissiez-vous madame dit-il toujours croire agrave une

offense que je nrsquoai point commise  et je souhaite bien ar-demment que le hasard ne vous fasse pas deacutecouvrir dans lemonde la personne qui devait lire cette lettre

― Heacute quoi  ce serait toujours pour madame de Nucin-gen  srsquoeacutecria madame de Listomegravere plus curieuse de peacuteneacute-trer un secret que de se venger des eacutepigrammes du jeunehomme

Eugegravene rougit Il faut avoir plus de vingt-cinq ans pourne pas rougir en se voyant reprocher la becirctise drsquoune fideacute-liteacute que les femmes raillent pour ne pas montrer combienelles en sont envieuses Neacuteanmoins il dit avec assez de sangfroid  ― Pourquoi pas madame 

Voilagrave les fautes que lrsquoon commet agrave vingt-cinq ans Cetteconfidence causa une commotion violente agrave madame deListomegravere  mais Eugegravene ne savait pas encore analyser unvisage de femme en le regardant agrave la hacircte ou de cocircteacute Leslegravevres seules de la marquise avaient pacircli Madame de Lis-tomegravere sonna pour demander du bois et contraignit ainsiRastignac agrave se lever pour sortir

― Si cela est dit alors la marquise en arrecirctant Eugegravenepar un air froid et composeacute il vous serait difficile de

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Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

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Eugegravene deacutecontenanceacute regarda la marquise drsquoun air agrave lafois fat et becircte il sentit qursquoil devenait ridicule balbutia unephrase drsquoeacutecolier et sortit Quelques jours apregraves la marquiseacquit des preuves irreacutecusables de la veacuteraciteacute drsquoEugegravene De-puis seize jours elle ne va plus dans le monde

Le marquis dit agrave tous ceux qui lui demandent raison dece changement  ― Ma femme a une gastrite

Moi qui la soigne et qui connais son secret je sais qursquoellea seulement une petite crise nerveuse de laquelle elle profitepour rester chez elle

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Merci agrave ces groupes de fournir gracieusement leur tra-vail

Si vous trouvez des erreurs merci de les signaler agraveericmullerefelenet Merci agrave Fred Coolmicro Patricec etNicolas Taffin pour les erreurs qursquoils ont signaleacutees

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COLOPHON

Ce volume est le dixiegraveme de lrsquoeacutedition EacuteFEacuteLEacute de la Comeacute-die Humaine Le texte de reacutefeacuterence est lrsquoeacutedition Furne vo-lume 1 (1842) disponible agrave httpbooksgooglecombooksid=ZVoOAAAAQAAJ Les erreurs orthographiques et ty-pographiques de cette eacutedition sont indiqueacutees entre cro-chets  laquo accomplissant [accomplisant] raquo Toutefois les or-thographes normales pour lrsquoeacutepoque ou pour Balzac (laquo col-leacutege raquo laquo long-temps raquo) ne sont pas corrigeacutees et les capitalessont systeacutematiquement accentueacutees

Ce tirage au format PDF est composeacute en Minion Pro eta eacuteteacute fait le 28 novembre 2010 Drsquoautres tirages sont dispo-nibles agrave httpefelenetebooks

Cette numeacuterisation a eacuteteacute obtenue en reacuteconciliant ― lrsquoeacutedition critique en ligne du Groupe International de

Recherches Balzaciennes Groupe ARTFL (Universiteacute deChicago) Maison de Balzac (Paris)  httpwwwparisfrmuseesbalzacfurnepresentationhtm

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