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Bernard Sergent1
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1. Premières années d’études et rencontre avec Michel Bréal
Georges Dumézil est né à Paris le 4 1898.
L’histoire de sa famille est un exemple remarquable de la «noria sociale»
qu’offrit longtemps l’école. Son grand-père, petit artisan tonnelier en Gironde,
1 Chercheur au CNRS, il est l’auteur d’ouvrages concernant le monde indo-européen (L’homosexualité indo-européenne dans l’Europe ancienne, Payot, 1986; Les Indo-européens, Histoire, langues, mythes, Payot, 1995; Genèse de l’Inde, Payot, 1997; Celtes et Grecs, I, Le livre des héros, Payot, 1999), et plus particulièrement le domaine grec (L’homosexualité dans la mythologie grecque, Payot, 1984; Les trois fonctions indo-européennes en Grèce ancienne, I, De Mycènes aux Tragiques, Économica, 1998). Il collabore régulièrement aux revues
2
permet tout de même à son fils, Jean Anatole Dumézil (1857-1929), d’avoir
accès au lycée.
Le garçon – futur général – y apprend les langues vivantes et le latin; il
se passionne pour la poésie latine, passion qu’il transmet à son fils Georges, l’un
des deux enfants qu’il a de son épouse, née Marguerite Dutier (1860-1945).
Et ce fils sera l’un des plus grands savants français, le plus notable
mythologue (avec Claude Lévi-Strauss) de sa génération, professeur à l’École
pratique des hautes études, puis au Collège de France, et membre de l’Académie
française.
Le petit Georges est un bon élève. Il apprend le latin et le grec. Dès l’âge
de neuf ans, il est capable de lire l’Énéide – ce n’est pas le texte latin le plus
facile! Il fait également de l’allemand, et son père l’aide en lui faisant lire un
livre sur la mythologie grecque du grand antiquisant Berthold Georg Niebuhr
(1776-1831).
L’intérêt du jeune Dumézil pour la mythologie des peuples de l’Antiquité
remonte donc à ses premières années d’études.
Pourtant, ce qui va orienter définitivement la vie du futur savant se situe
un peu plus tard, au lycée, lorsqu’un de ses condisciples le présente à son grand-
père: Michel Bréal (1832-1915), l’un des maîtres de la linguistique française du
XIXe siècle. Le fondateur de la grammaire comparée est un Allemand, Franz Bopp
(1791-1867), auteur d’un monumental ouvrage traitant rigoureusement la
comparaison de la grammaire et du vocabulaire des langues de la famille indo-
européenne.
Et c’est Bréal qui traduisit cet ouvrage en français, faisant précéder son
édition (1866) de ce que Dumézil qualifiera plus tard de «lumineuse
introduction». Il comprend l’intérêt du jeune homme qu’on lui présente pour les
langues, lui offre son dictionnaire sanskrit-français, et lui conseille de s’adresser
à son successeur, Antoine Meillet (1866-1936), le plus important linguiste
français de la première moitié du XXe siècle. Dumézil n’est pas encore à
Ollodagos (Bruxelles), Revue de l’Histoire des Religions (Paris), Dialogues d’histoire
3
l’université qu’il a déjà appris le sanskrit – et, de surcroît, l’arabe – et lu tous les
ouvrages écrits jusqu’alors par Meillet.
2. Les études indo-européennes
La famille linguistique indo-européenne a été reconnue à partir du XVIIe
siècle, lorsqu’on remarqua que certaines langues d’Europe et d’Asie présentaient
des ressemblances dans le vocabulaire – ainsi les noms de nombres, ou ceux de la
parenté.
Au début du XIXe siècle, Bopp et le Danois Rasmus Khristian Rask
précisent les choses en étudiant systématiquement ces langues. Ils s’aperçoivent
alors que celles-ci – à savoir le latin, le grec, les langues germaniques, celtiques,
baltes, slaves, iraniennes et indiennes – présentent non seulement des
ressemblances de vocabulaire – dont le nombre croît considérablement dès qu’on
dispose de textes et de dictionnaires –, mais surtout des ressemblances
grammaticales, qui peuvent encore moins que le vocabulaire s’expliquer par le
hasard ou l’emprunt d’une langue à l’autre.
Ainsi est définie cette famille: l’apparentement de ces langues ne peut
s’expliquer que si elles proviennent toutes d’une langue commune, préhistorique,
disparue. On qualifie bientôt cette famille d’«indo-européenne», et l’«indo-
européen la langue disparue dont les autres sont issues.
Au milieu du XIXe siècle se fait jour l’idée que si une langue, ancêtre des
langues historiques, a existé, les hommes qui la parlaient disposaient d’une
civilisation, d’une religion. On tente alors de les reconstituer, par comparaison
des mythes et des rites des différents peuples de langue indo-européenne.
Mais, après un grand enthousiasme, il fallut en rabattre: à une exception
près, aucun nom de dieu ou de héros ne paraissait commun aux diverses langues
indo-européennes, les rites, les prêtres, avaient des noms différents; quant aux
ancienne (Besançon).
4
rites et aux mythes qu’on avait étudiés (telle l’origine du feu), ils se retrouvaient
ailleurs, et n’avaient donc rien de spécifiquement indoeuropéen.
L’explication indo-européenne du monde n’est qu’un des rêves de
l’humanité, et elle n’est pas, quant à son contenu, un rêve privilégié. Mais elle
l’est, quant aux conditions de l’observation […]: dans aucun autre cas, on n’a
l’occasion de suivre parfois pendant des millénaires, les aventures d’une même
idéologie dans huit ou dix ensembles humains qui l’ont conservée après leur
complète séparation. Le tableau que constituent ces créations quand on les
rapproche témoigne avant tout de la fertilité de l’esprit humain […]. (Georges
Dumézil, Mythe et épopée I)
3 Linguistique et mythologie
C’était mon tout premier début. […] Imaginez: dans les Annales du
musée Guimet! Un livre, qui a été très vite contesté. Et qui, je le proclame moi-
même, était plus que contestable. (Georges Dumézil, au sujet de sa thèse de
1924, Entretiens avec Didier Éribon)
À la fin du XIXe siècle, le bilan des études indo-européennes est négatif:
autant les études purement linguistiques progressaient, autant celles portant sur la
civilisation et sa religion présumée marquaient le pas.
Georges Dumézil est l’homme qui va retourner cette situation. En
attendant, il poursuit ses études. Le brillant élève du primaire et du secondaire est
aussi le premier de sa promotion à son entrée à l’École normale supérieure, en
1916. C’est une année de guerre. Comme la quasi-totalité des jeunes Français,
Dumézil est mobilisé en 1917, et sert comme officier d’artillerie. Démobilisé en
février 1919, il passe l’agrégation de lettres classiques en décembre, enseigne
dans un lycée, puis le quitte pour préparer sa thèse.
C’est alors que, sous la direction de Meillet, il entame la recherche qui va
ensuite le guider toute sa vie. Il est vrai qu’il a hésité: la physique l’avait
intéressé, et il s’est demandé un moment s’il n’allait pas faire des études dans le
5
tout nouveau domaine nucléaire… Mais les amours d’enfance l’emportent, et
Meillet lui procure les idées qui orienteront ses premières recherches: un certain
nombre d’équations linguistiques (c’est-à-dire de rapprochements entre des mots
de diverses langues indo-européennes) sont à contenu religieux ou mythique.
L’échec signalé n’est donc pas total. Au jeune Dumézil, dit Meillet, de reprendre
ces équations et, puisqu’il s’intéresse aux mythes, d’examiner si ceux où figure le
vocabulaire religieux ou mythique repéré présentent quelque ressemblance.
La thèse de Dumézil se fonde ainsi sur une équation linguistique notable:
la boisson d’immortalité s’appelle en Inde ancienne amrtâ, et la nourriture
d’immortalité, en Grèce ancienne, ambrosiâ. Les deux termes sont presque
identiques, et signifient la «non-mort. Dumézil étudie alors l’ensemble des
mythes qui parlent de la conquête d’une boisson d’immortalité dans le monde
indo-européen, et un livre remarquable est tiré de cette thèse en 1924: Le Festin
d’immortalité. Étude de mythologie indo-européenne2.
Dans ma thèse de 1924, j’avais tenté de reconstituer un cycle déjà indo-
européen de l’ambroisie, la boisson qui permet aux Dieux d’être immortels. Et
j’en avais fabriqué là où il n’y en a pas. Chez les Scandinaves, par exemple, qui
ne fournissent pas au philologue de boisson d’immortalité, j’avais promu la
bière à ce rang. […]
Mon livre était d’une grande maladresse. Je ne le relis jamais et
pourtant, je n’arrive pas vraiment à le regretter, parce que, de mon point de vue,
il n’a été que la première marche de l’escalier branlant, de l’échelle acrobatique
qui m’a conduit à la terrasse où, maintenant, je me pose. C’est en réfléchissant
sur les bêtises qu’on a dites — moi du moins — qu’on finit par découvrir des
probabilités. (Georges Dumézil, Entretiens avec Didier Éribon)
2 Le Festin d’immortalité. Étude de mythologie comparée indo-européenne, Annales du Musée Guimet, n° 34, Paul Geuthner.
6
4. Voyages: Turquie, Caucase, Suède
Curieusement, Meillet, qui a fourni le point de départ de la thèse, la
rejette – et ce n’est là qu’un des exemples si nombreux de la méfiance de certains
linguistes vis -à-vis de la mythologie.
Dumézil n’a pas repris son enseignement au lycée, et vit de petits
emplois. Il est jeune marié lorsqu’il apprend que Meillet ne le soutient plus; par
ailleurs, un autre membre de son jury, Henri Hubert, lui explique qu’il n’y a pas
de place pour lui dans l’Université française.
Aussi accepte-t-il l’offre que lui fait en 1925 Jean Marx. Ce spécialiste
des romans arthuriens, moins hostile aux travaux d’un mythologue, lui propose
de rejoindre la Turquie pour y occuper le poste d’Histoire des religions que crée
alors Mustafa Kemal.
Le séjour en Turquie sera l’un des grands moments de la vie de Dumézil.
D’une part, il y apprend le turc, ce qui lui servira bien plus tard; d’autre part, il
peut se rendre en 1929 chez les survivants d’un peuple caucasien, les Oubykh,
repérés en 1912 par un voyageur allemand dans l’ouest de la Turquie, où ils
s’étaient réfugiés après avoir été vaincus par les Russes en 1860-1870. Il y étudie
leur langue. Enfin, il profite de sa situation pour faire un grand voyage au
Caucase. Là, il approfondit sa connaissance des divers peuples caucasiens, et
découvre l’étonnante tradition orale du seul d’entre eux qui était de langue indo-
européenne, les Ossètes. Il revient en Turquie, et plus tard en France, avec une
caisse entière de livres en russe ou dans les langues caucasiennes sur les langues,
traditions et coutumes du Caucase. C’est aujourd’hui un des fonds de
caucasologie les plus riches dans un pays occidental.
En 1931, il obtient le poste de lecteur de français à l’université
d’Uppsala, en Suède, ce qui lui permet de poursuivre ses études sur la religion
germanique ancienne et de bien apprendre une langue nordique.
7
5. Les Ossètes
À la suite de son voyage au Caucase, Dumézil va devenir le principal (en
fait, longtemps le seul) spécialiste français des langues caucasiennes.C’est lui qui
rédigera le chapitre sur les trois familles en lesquelles se répartissent ces langues,
dans la somme dirigée par Antoine Meillet et Marcel Cohen. Quant aux Ossètes,
ils fournissent un matériel majeur aux études mythologiques de Dumézil.
Occupant le centre du Caucase, ce sont les seuls descendants d’un grand
peuple, les Alains, une branche des Scythes, donc de langue iranienne. Dans leur
mythologie, un peuple légendaire, les Nartes, est une projection héroïque d’eux-
mêmes.
On distingue deux composantes dans ces mythes, dont Dumézil publiera
deux recueils: d’un côté, ils se rattachent au matériel folklorique commun à toute
l’Europe et à l’Asie occidentale – les héros combattent des ogres, des géants, des
dragons à sept têtes, etc. –; d’un autre côté, cette tradition plonge ses racines dans
l’ancienne religion scythique et, au-delà, dans la tradition indo-européenne
(Dumézil le montrera dans une série de livres ou d’articles3).
Il découvre ainsi un texte selon lequel les Nartes sont divisés en trois
familles, qui se différencient en forts, en riches, en intelligents. Cela rappelle
quelque chose au savant et, en 1930, il publie un article sur «La Préhistoire indo-
iranienne des castes»4. Car, en effet, aussi bien en Iran ancien qu’en Inde, on
connaît une division de la société en trois catégories (qui sont effectivement des
castes en Inde), qui correspondent à cette division ossète: ce sont les prêtres, les
guerriers et les possesseurs de troupeaux.
L’observation de ces ressemblances jouera un rôle fondamental dans
l’œuvre de Dumézil.
Les Bor(i)atæ étaient riches par le bétail (fons), les Alægatæ étaient fort
par l’intelligence (zund), les Æxsærtægkatæ étaient vaillants (bœhatær) et forts
3 Les Langues du monde, Klincksieck, 1952.
4 Journal Asiatique, CCXVI.
8
par les hommes (lœg). (Georges Dumézil, Mythe et épopée I)
6. 1938: les trois fonctions
En octobre 1937, j’avais repris à zéro le problème de Flamen-Brahman.
C’est lors de cet examen de conscience, de cette autocritique, qu’une évidence,
méconnue jusqu’alors, m’est apparue. Depuis près de cinquante ans je ne fais
que tirer les conséquences de cette découverte. (Georges Dumézil, Entretiens
avec Didier Éribon)
En 1933, Dumézil revient de Turquie: l’indianiste Sylvain Lévi (1863-
1935), qui avait beaucoup apprécié ses travaux, lui procure un poste à l’École
pratique des hautes études pour enseigner la «mythologie comparée indo-
européenne.
Parallèlement, Dumézil suit le cours de Marcel Granet sur la Chine
ancienne, et la méthode d’étude des textes de ce savant l’influencera beaucoup.
En 1935, Lévi et Meillet, redevenu favorable, le font nommer directeur d’études.
C’est en 1938, alors qu’il préparait un cours, que se situe la découverte
décisive. L’article de 1930 1 remarquait une parenté de conception entre les
Ossètes, les anciens Iraniens et les Indiens: découverte intéressante, mais qui ne
sortait pas du cadre indo-iranien.
La découverte de 1938 est de beaucoup plus grande ampleur. Il existait
dans la Rome ancienne une catégorie de prêtres appelés les flamines; trois d’entre
eux étaient appelés les flamines majeurs. Ils assuraient le culte de Jupiter, le plus
grand des dieux, de Mars, le dieu de la guerre, et de Quirinus, protecteur de la
collectivité et de la production agricole. Ce que remarque Dumézil, c’est que les
caractères définissant ces trois dieux correspondent à ceux des «castes indo-
iraniennes étudiées précédemment. Il l’expose aussitôt dans un article, «La
9
préhistoire des flamines majeurs5. Les trois fonctions indoeuropéennes – la
première: la souveraineté, le sacré, l’intelligence; la deuxième: la force, en
particulier celle des guerriers; la troisième: l’abondance, aussi bien celle produite
par le travail agricole que celle représentée par la collectivité – étaient
découvertes.
7. Mythologie germanique
Les traditions livrées par d’anciens textes islandais, les Edda, forment
l’un des ensembles majeurs de la tradition européenne médiévale. Dès son travail
de 1924 sur la boisson d’immortalité6, Dumézil avait étudié certains des mythes
des Edda, et montré, par leur parenté avec des mythes grecs, romains ou indiens,
que si leur mise par écrit datait du Moyen Âge, la matière mythique était
considérablement plus ancienne.
À la fin des années 1930, Dumézil travaillait à une sorte de manuel de la
religion germanique – il n’en existait pas en français – où il défendait cette thèse
de l’origine ancienne du matériel mythique des Edda, lorsque sa découverte de
1938 interféra avec la rédaction de l’ouvrage et l’amena à en modifier le plan. En
effet, si l’ensemble cohérent des trois fonctions (il parlera bientôt de la
trifonctionnalité, ou de la tripartition fonctionnelle) a été découvert grâce à des
matériels romain et indo-iranien, il apparaît alors qu’il se retrouve également
dans le domaine germanique.
Un texte témoignant des derniers temps du paganisme en Suède signale
qu’on adorait alors dans le temple d’Uppsala trois dieux: Thor, le plus puissant;
Wodan, qui dirige les guerres et fournit la vaillance; Fricco, muni d’un pénis
énorme et procurant aux hommes la paix et la volupté. Ces mêmes dieux se
5 Revue de l’histoire des religions, CVIII, repris dans Idées Romaines, Gallimard, 1986. 6 Voir fiche 3, Le Festin d’immortalité. Étude de mythologie comparée indo-européenne.
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retrouvent dans la Saga d’Egill: on invoque Odhinn (= Wodan) pour qu’il s’irrite
contre un roi qui a dépouillé Egill, Thôrr, pour le faire fuir, et Freyr (= Fricco) et
Njördhr pour qu’ils haïssent celui qui ravage les sanctuaires. Et tous les mythes
confirment ces définitions: Odhinn est bien le dieu souverain, maître de la magie
(comme Varuna, son homologue indien) et de la victoire, Thôrr est le fort, armé
d’un marteau, Freyr, avec son père Njördhr et sa sœur Freya, s’occupe de la
fécondité. La tripartition fonctionnelle est donc tout autant germanique, et les
mythes germaniques des Edda sont bien d’une grande antiquité.
8. Premières exploitations d’une découverte
Quand je suis rentré en France, en septembre 1940, j’ai rédigé Jupiter,
Mars, Quirinus, esquisse plutôt que programme de ce qui devait suivre, et dont je
n’entrevoyais que les grandes lignes. (Georges Dumézil, Entretiens avec Didier
Éribon)
Mythes et dieux des Germains7 paraissent en 1939. C’est l’année du
début de la Seconde Guerre mondiale. Dumézil est mobilisé; en raison de sa
connaissance du pays et de sa langue, on l’envoie en Turquie. Cela le sauve: il ne
fera pas partie du million et demi de prisonniers français de mai-juin 1940.
L’armistice amène sa démobilisation. Il revient en France.
Mais le nouveau régime le prive de son poste à l’École pratique des
hautes études, car il avait participé de 1936 à 1939 à une loge maçonnique, – et le
régime français de Pétain voulait évincer les francs-maçons, comme les juifs, du
service de l’État.
Dumézil vit alors en donnant des cours particuliers; c’est une école
catholique de Pontoise, Saint-Martin, qui le sauve en lui offrant d’assurer le
cours de latin. Un an plus tard cependant, l’historien antiquisant Jérôme
7 Mythes et dieux des Germains. Essai d’interprétation comparative, Librairie Ernest Lerouse.
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Carcopino (1881-1970), devenu ministre de l’Éducation nationale, lui rend son
poste. Par gratitude pour l’école Saint-Martin, Dumézil continuera jusqu’en 1947
à se rendre chaque mercredi matin à Pontoise pour y assurer son cours.
Les années de guerre lui laissent donc le temps de travailler. Il publie
alors de nombreux livres, de 1939 à 1948 – dans leur majorité chez Gallimard. Ils
composent deux séries, Les Mythes romains8, et Jupiter, Mars, Quirinus9 – dont
les titres révèlent l’importance soudainement prise par la matière proprement
romaine dans le travail de Dumézil, même si ces ouvrages sont toujours,
corrélativement, l’o ccasion d’une multitude de mises en parallèle entre données
romaines et données scandinaves, indiennes, celtiques, ou iraniennes.
9. Rome revisitée
C’est la découverte que Rome présentait une théologie et un sacerdoce
aux parentés indiennes et iraniennes (Dumézil comparait le nom même des
flamines à celui des brahmanes, les repré sentants de la première caste en Inde)
qui amène le savant à se pencher sur ses traditions. Il va dès lors de découverte
en découverte.
La première est que la tripartition fonctionnelle structure certains mythes.
D’abord, le plus important, celui de la fondation de la ville. C’est l’œuvre de
Romulus, fils du dieu Mars. Une guerre éclate peu après avec les voisins, les
riches Sabins, à la suite de l’enlèvement de leurs filles. Jupiter sauve les
Romains. La guerre se termine par une alliance; le chef sabin Titus Tatius vient à
Rome et y apporte ses dieux – qui tous ont à voir avec la fécondité. Ainsi,
8 Horace et les Curiaces, 1942; Servius et la Fortune. Essai sur la fonction sociale de louange et de blâme et sur les éléments indo-européens du cens romain, 1943; Tarpeia. Essai de philologie comparée indo-européenne, 1947. 9 Jupiter Mars Quirinus. Essai sur la conception indo-européenne de la société et sur les origines de Rome, 1941; Jupiter Mars Quirinus II. Naissance de Rome, 1944; Jupiter Mars Quirinus III. Naissance d’archanges, essai sur la formation de la religion zoroastrienne, 1945; Jupiter Mars Quirinus IV, explication de textes indiens et latins, 1948.
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Romulus a de son côté des dieux de première (Jupiter) et de deuxième (Mars)
fonctions, les Sabins ceux de la troisième.
C’est ensuite la dynastie des rois de Rome qui apparaît organisée par un
héritage conceptuel indo-européen. Dumézil, en même temps que les trois
fonctions, découvrait une partition de la sphère de la souveraineté en deux
aspects, nommés (d’après les données indiennes védiques) le versant Varuna et le
versant Mitra. Il constate alors que, parmi les rois de Rome antérieurs aux rois
étrusques, le premier, Romulus, se distingue du deuxième, Numa Pompilius,
comme Varuna de Mitra; le troisième, Tullus Hostilius, passe son règne entier en
guerres; le quatrième, Ancus Martius, enrichit la ville, fonde un port, gère sa cité
économiquement. Ainsi, les premiers rois de Rome illustrent successivement les
trois fonctions, la première étant distinguée en ses deux aspects (Romulus pour
l’aspect Varuna et Numa Pompilius pour l’aspect Mitra).
Et les parallélismes mythiques, que le XIXe siècle avait vainement
cherchés, se multiplient: les talismans du roi Numa ont leurs équivalents chez les
Celtes, les Scythes, dans l’Iran ancien; ce qui est raconté du deuxième roi
étrusque, Servius Tullius, trouve ses parallèles dans l’Inde ancienne, tant dans le
motif du cens que dans celui de la vache d’abondance; le héros Horatius Cocles
se livre, avec ses yeux ou encore son unique œil, aux mêmes grimaces que
l’Irlandais Cúchulainn ou le Scandinave Egill…
10. Théologie iranienne
Les textes religieux les plus anciens de l’Iran, réunis au IVe siècle de
notre ère en un ensemble, l’Avesta, mettent avant tout en scène un dieu
souverain, unique dans les tout premiers écrits, Ahura Mazdâ. Mais à ce dieu
sont joints des entités mal définies, les six Amecha Spenta, parfois appelés les
«archanges, dans le mazdéisme. Dumézil connaissait la religion perse depuis ses
premiers travaux: l’une de ces entités s’appelle Ameretãt, ce qui est l’équivalent
de l’amrtâ indienne, de l’ambrosiâ grecque – sa thèse de 1924 contenait un
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chapitre à son sujet. En 1945, il découvre que les noms, les emplois et, plus
tardivement, les éléments mis en rapport avec ces six entités permettent de voir
qu’elles se répartissent sur les trois fonctions: Vohu Mahah, la «Bonne Pensée»,
correspond au versant Mitra de la souveraineté, et Acha, l’«Ordre», à Varuna, car
le mot est identique au vieil indien Rita, ordre cosmique dont Varuna est le
garant; Xsathra, la «Puissance, est l’équivalent du ks.atriya, le «guerrier indien;
Armaiti, la «Pensée Pieuse, qui est la Terre, et la Mère des Iraniens; Haurvatãt,
l’«Intégrité, et Ameretãt, la «Non-Mort. Comme à Rome, la première fonction est
exprimée en ses deux aspects (Mitra-Varuna), et la troisième est représentée par
une pluralité de figures.
L’article de 1930 montrait l’accord de l’Inde, de l’Iran ancien, de la
tradition ossète, dans une tripartition de la société selon les mêmes critères.
«La Préhistoire des flamines majeurs» l’étendait à la théologie romaine.
Ce qui apparaît à présent, c’est que la Rome la plus ancienne, l’Iran le plus
ancien, ont utilisé le même cadre de pensée pour des mythes, des panthéons, des
organisations humaines. Encore une fois l’héritage indo-européen est là.
11. Fécondité de la trifonctionnalité
Dans les mythes et les littératures que j’étudie, ce qui m’a surtout
frappé, c’est l’incroyable diversité des variantes — proliférations et mutilations,
transferts et inversions, décentrages, osmoses etc. — qui se forment sur ce que je
simplifie en le présentant comme un schéma commun. (Georges Dumézil,
Entretiens avec Didier Éribon)
En fait, à partir de la découverte de 1938, Dumézil découvre deux ordres
de choses. D’une part, la multiplicité des organisations trifonctionnelles, non
seulement dans les mythes et les organisations des dieux ou des hommes, mais en
outre dans tous les ordres d’êtres, d’objets, de phénomènes concevables. D’autre
part, ce sont des pans entiers de mythologie commune qui se décèlent, d’un bout
à l’autre du domaine indo-européen – par exemple le mythe des origines de
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Rome a un parallèle rigoureux dans le mythe de la première guerre des dieux
dans l’Edda: le conflit oppose en effet un groupe de dieux, les Ases, parmi
lesquels se trouvent Odhinn et Thórr, et un autre groupe, les Vanes, qui est
composé avant tout de Freyr, de Njördhr, de Freya, c’est-à-dire des dieux de la
fécondité: comme à Rome, un mythe de fondation (de la société divine, ici)
oppose les deux premières fonctions à la troisième.
Quant aux triades divines organisées selon les trois fonctions, après
Uppsala et Rome, Dumézil en découvre à Iguvium, chez les Ombriens d’Italie
centrale, et à Lanuvium, dans le Latium.
Les mythes, les contes parfois, mettent souvent en scène des choix – le
Troyen Pâris doit choisir entre Héra, qui lui offre la souveraineté, Athéna, qui lui
propose la conquête, et Aphrodite, qui lui promet la plus belle femme du monde;
le roi iranien Feridûn fait choisir ses trois fils: Salm voulait de grandes richesses,
et obtient l’Empire romain; Tôz voulait la vaillance, et conquiert le Turkestan;
Éric, dévot de la loi et de la religion, hérite de l’Iran et de l’Inde… –, des fautes –
des dieux, des héros (Indra, Héraklès, le danois Starcatherus), commettent des
fautes qui se répartissent sur les trois fonctions –, des fléaux – selon un texte
gallois, le roi légendaire Lludd voyait son royaume affligé d’une race de «savants
qui entendaient tout, de deux dragons qui se battaient, d’un magicien voleur de
toutes les nourritures, et, de la même façon, les inscriptions royales du roi perse
Darios demandent à Ahura Mazdâ d’empêcher que n’apparaissent l’armée, la
mauvaise récolte et le mensonge.
Ce sont les mêmes «lieux géométriques » que j’étudie. Simplement ils
font des petits. Si vous voulez on commence par avoir une vue globale et confuse.
Et en précisant tel ou tel point, on en voit d’autres, jusqu’alors obscurs,
s’éclairer. Et d’autres problèmes surgissent. (Georges Dumézil, Entretiens avec
Didier Éribon)
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12. La Grèce est à part
La Grèce a choisi, comme toujours, la meilleure part: aux réflexions
toutes faites, aux relations préétablies des hommes et des choses que lui
proposait l’héritage de ses ancêtres du Nord, elle a préféré les risques et les
chances de la critique et de l’observation, elle a regardé l’homme, la société, le
monde avec des yeux neufs. (Georges Dumézil, Mythe et épopée I)
Les deux plus imposantes mythologies du monde indo-européen sont, et
de loin, celles de l’Inde et de la Grèce ancienne. Il était normal qu’elles aient
fourni, tout au long du XIXe siècle, les deux piliers de la comparaison
mythologique.
Dumézil, d’abord, ne dérogea pas à cette règle: son premier livre
compare l’ambroisie à l’amrtâ, un autre la même année traite du mythe des
Lemniennes10, puis le troisième et le quatrième abordent, successivement, la
ressemblance entre les Centaures grecs et les Gandharva indiens et les mythes
grecs du dieu du Ciel, Ouranos, à la lumière des mythes et rites indiens
concernant Varuna11.
Mais la Grèce ne joue plus aucun rôle ni dans l’article de 1938, ni dans
les livres publiés de 1939 à 1945. La trifonctionnalité, la bipartition de la
souveraineté, les mythes de fondations opposant les fonctions entre elles, et les
innombrables motifs relevés en cours d’enquête sur les talismans royaux ou les
grimaces du guerrier, la vache d’abondance tuée par un roi et la femme ivre
d’or…, tout cela a été fourni et alimenté par les données indiennes, iraniennes
(ossète entre autres), romaines, germaniques, celtiques.
Dumézil est le premier surpris: la Grèce, qui par sa langue a tant fourni à
la grammaire comparée, et dont les textes sont si riches, est la province du monde
indo-européen qui contribue le moins à la comparaison.
10 Le Crime des Lemniennes. Rites et légendes du monde égéen, Paul Geuthner,
1924.
16
Ce n’est que plus tard que Dumézil, à la lumière des acquis, discernera
des cas de mythes où la tripartition fonctionnelle joue un rôle (le jugement de
Pâris, en 1953, le déroulement de la vie d’Héraklès, en 1956). Mais pour l’heure
il s’interroge sur cette étrange lacune. Il exprimera ainsi souvent l’idée qu’en
Grèce l’apparition de la pensée libre, sans sacerdoce dictant les dogmes, et où la
vérité jaillit de la discussion, a précocement évincé les cadres de pensée anciens.
La tripartition fonctionnelle paraissait appartenir à la pensée dans la préhistoire
de la Grèce, et non plus à celle de son histoire.
13. Des Veda au Mahâbhârata
Le quatrième volume de la série «Jupiter, Mars, Quirinus»12, en 1948,
est largement consacré à présenter la découverte d’un collègue suédois, Stig
Wikander (1908-1983): celui-ci, étudiant le Mahâbhârata, la plus importante
épopée indienne, observe que les héros de ce récit épique, appelés les Pandava,
sont les fils des dieux védiques dont Dumézil a précisément montré qu’ils
expriment les trois fonctions.
Le Rig-Veda est le plus ancien recueil d’hymnes de l’Inde; on y
mentionne un grand nombre de divinités. Et les travaux de Dumézil depuis 1938
avaient largement consisté en une étude de ses groupements divins. Il y avait
décelé le couple de dieux souverains, Varuna et Mitra, un couple de dieux de la
guerre, comprenant principalement Indra, et à côté de lui, plus violent, Vâyu, le
Vent; et, exprimant la troisième fonction, une pluralité de dieux (comme en Iran,
à Rome, en Scandinavie), au sein desquels se détache un couple fraternel, les
A´svina.
Wikander observe, dans un article publié en 1947, que, sur cinq Pandava,
11 Le Problème des Centaures. Étude de mythologie comparée indo-européenne,
Paul Geuthner, 1929; Ouranos-Varuna. Étude de mythologie comparée indo-européenne, Adrien Maisonneuve, 1934. 12 Jupiter Mars Quirinus IV, explication de textes indiens et latins.
17
les deux derniers, Nakula et Sahadeva, qui n’ont pas la même mère que les
autres, ont pour pères divins les A´svina; en ce qui concerne les trois autres,
Bhîma est fils de Vâyu, Arjuna est fils d’Indra, et seul l’aîné, Yudhis.t.hira, est
fils d’un dieu non védique, Dharma – mais le dharma est l’équivalent hindouiste
du Rta védique, dont Varuna était le garant. Le savant conclut: les trois fonctions
structurent le Mahâbhârata, quel que soit l’âge de cette épopée.
Dumézil discerne aussitôt l’importance de la découverte. Il traduit
l’article et le commente. Plus tard, ayant lu l’intégralité du Mahâbhârata, il en
livrera une analyse superbe dans la quasi-totalité du premier volume de Mythe et
épopée.
C’est seulement après 1945 que ma petite bombe de 1938 a fait un peu
de bruit. […] À Upsal, l’indianiste Stig Wikander, mon cadet de dix ans, trouva
dans mes analyses les données comparatives qui lui permirent d’expliquer la
structure et le sens du Mahâbhârata. (Georges Dumézil, Entretiens avec Didier
Éribon)
14. Structure: Mitra-Varuna
Mitra est le souverain sous son aspect raisonnant, clair, réglé, calme,
bienveillant, sacerdotal; Varuna est le souverain sous son aspect assaillant,
sombre, inspiré, violent, terrible, guerrier. (Georges Dumézil, Mitra-Varuna)
Dans son ouvrage sur les hymnes védiques, l’indianis te Abel Bergaigne
(1838-1888) avait mis en relief que deux figures divines ont, par rapport aux
autres divinités, une fonction dominante, qu’il appela «de souveraineté. L’une
des découvertes principales de Dumézil est que ce couple de dieux souverains
n’est pas limité à l’Inde ancienne, mais se retrouve, sous diverses formes, dans
une grande partie du monde indo-européen – ainsi avec les deux premiers rois de
Rome, ou en Iran, ainsi que chez les Germains, où, à côté du dieu principal,
Wodan-Odhinn, exis tait un dieu plus pacifique, Ziu/Tyr, garant de la justice.
En effet, c’est bien une typologie opposant un premier aspect Varuna,
18
violent, éloigné des hommes, et un second Mitra, pacifique, proche des hommes,
que Dumézil découvre dans des cultures autres que celle de l’Inde, mais comme
elle de langue indo-européenne.
Varuna a des affinités avec la guerre: son équivalent germanique,
Odhinn, apporte la victoire, et Romulus crée une sorte de police pour assurer son
pouvoir. Les moyens d’action de Varuna sont les liens et la mâyâ, c’est-à-dire la
magie que créent les formes, l’illusion: Odhinn est le dieu de l’Ivresse, il est le
dieu des Pendus, tandis que les policiers de Romulus sont les licteurs, «ceux qui
lient».
À l’inverse, Mitra, dont le nom signifie le «Contrat», s’occupe des
rapports négociés entre les hommes, comme Tyr s’occupe de la justice; il est
«plus prêtre», face au magicien Varuna; à Rome, Numa est le roi qui crée les
cultes et les prêtrises, il adore surtout Fides, déesse de la «Confiance. Mitra a
plus d’affinités avec la troisième fonction; quant au Sabin Numa, il prend ses
conseils auprès de la nymphe d’une source.
Des travaux ultérieurs révéleront d’autres exemples de cette bipartition,
tel, en Iran, le couple d’Amecha Spenta, avec Vohu Manah et Acha. Et les
continuateurs de Dumézil en découvriront des formes en Grèce, dans l’épopée
française…
L’opposition Mitra-Varuna est une structure, au même titre que la
tripartition fonctionnelle, et cette bipartition de la souveraineté en deux aspects
opposés et complémentaires est bien l’un des acquis du comparatisme indo-
européaniste mené par Dumézil: elle ne s’observe pas hors du domaine des
langues indo-européennes.
15. Structure: le borgne et le manchot
Dans une circonstance importante pour la société, à Rome pour la
société humaine, chez les Scandinaves pour la société divine, dans une situation
d’extrême péril, le salut est obtenu par des actions conjuguées, successives et
19
complémentaires de deux personnages, l’un borgne, […] et l’autre devenant
manchot […]. (Georges Dumézil, Entretiens avec Didier Éribon)
Un autre couple, moins tranché que le précédent mais qui, récurrent,
forme dès lors un ensemble structuré, est celui constitué d’un borgne et d’un
manchot. Il se relie d’ailleurs au précédent.
Selon l’Edda, Odhinn est borgne – il a donné son autre œil en échange de
la sagesse –, et Tyr est manchot – depuis qu’il mit sa main dans la gueule d’un
loup, et prêté alors un faux serment.
En Inde, ces affections se retrouvent chez d’autres divinités que Mitra et
Varuna, mais comme eux de la sphère de la souveraineté: Bhaga, proche de
Mitra, est aveugle (c’est lui qui répartit les biens entre les hommes); Savitr,
proche de Varuna, a des mains d’or – ce qui rappelle un mythe irlandais où le roi
des dieux, Nuadu, perd son bras droit, qui sera remplacé par un bras d’argent,
mais cela permet aux dieux de réaliser un accord avec leurs adversaires, tandis
que son successeur, Lug, se livre à une danse magique sur une jambe avec un
seul œil ouvert.
Enfin, le double motif se retrouve à Rome, séparé à la fois de la
souveraineté et du divin: lors de la guerre contre les Étrusques après la fondation
de la république, deux héros vont s’illustrer. D’une part, Horatius Cocles, qui est
borgne, va terroriser les ennemis, selon certains textes, avec son œil unique;
d’autre part, Mucius Scaevola (le «gaucher»), va effrayer le roi ennemi en prêtant
un faux serment qu’il authentifie en laissant sa main brûler au-dessus d’un feu.
16. Structure: le Feu et le Vent
À nouveau la comparaison entre l’Inde et Rome permet à Dumézil,
durant la fertile décennie 1940-1950, de découvrir un ensemble théologique
tellement systématique qu’il faut à nouveau parler de structure.
Il s’agit de la disposition des hymnes védiques, et de l’ordre des
opérations cultuelles romaines. Dans les uns et les autres, la divinité du Feu est
20
en position marquée: dans les hymnes, il arrive qu’Agni, le Feu, soit en tête
d’une invocation, mais le plus souvent il est à sa fin; à Rome, Vesta, la déesse du
Feu, est, selon Cicéron, celle des extrema: on lui sacrifie en dernier ou c’est par
elle qu’on achève les invocations. En Iran, Atar, le Feu, est parfois en tête
d’invocations collectives, plu s souvent en queue. Pour la Grèce, ajoutons
qu’Hestia, l’homologue de Vesta, est souvent en tête dans des invocations
semblables.
Mais si Vesta, Agni, Atar, sont plus souvent en queue qu’en tête, c’est
qu’une autre figure divine peut occuper la première place. Et cette localisation
n’est pas non plus laissée au hasard. En Inde, c’est souvent Vâyu, le Vent, qui
ouvre une invocation. On soupçonne qu’il en était de même de Vâta, son
homologue dans l’Iran ancien. À Rome, aucun dieu du Vent ne joue ce rôle, tenu
en revanche spécifiquement par un dieu, Ianus (Janus). Ianus n’est pas un dieu
vent: mais le propre du vent est de circuler, et le nom de Ianus repose sur une
racine signifiant «aller.
Ces conceptions se comprennent: l’invocation, le sacrifice, doivent être
portés jusqu’aux dieux, et il n’y a pas pour cela de meilleurs vecteurs que le vent
et le feu. Il n’empêche qu’en relevant comment on plaçait les divinités de ces
éléments à des places particulières, en concevant même un dieu spécifique des
commencements (Ianus), Dumézil découvrait une nouvelle originalité, car un
pareil couple opératoire du sacrifice ou de l’invocation n’est pas attesté en dehors
du monde indoeuropéen.
17. Les langues caucasiennes et le turc et le kitchua
Le Caucase du Nord et la côte merveilleuse par laquelle il aborde la mer
Noire et se prolonge fort avant vers le Sud, est un des plus intéressants
conservatoire de peuples et de langues qui subsiste sur la terre. (Georges
Dumézil, Mythe et épopée I)
En marge de sa grande œuvre my thologique, Dumézil a toujours
21
poursuivi des travaux de linguistique. C’est par les langues qu’il a commencé
précocement sa carrière et c’est en philologue qu’il a toujours abordé les textes.
La recherche linguistique proprement dite l’a moins retenu, mais il ne l’a pas
ignorée.
Spécialiste des langues caucasiennes, il retourne dans le Caucase en
1954, et le fera régulièrement, en été, jusqu’en 1972. Il y étudie différentes
langues, étant en plusieurs occasions le premier auteur occidental à le faire, et
particulièrement l’oubykh (langue originale de quatre-vingt-deux consonnes et
deux ou trois voyelles!) qui est en train de mourir. Il découvre Tevfik Esenc –
celui qu’on appellera plus tard «le dernier des Oubykh (1897/1902-1992), parce
que cet homme, par ailleurs illettré, avait une conscience aiguë de sa langue, de
ses sons, de ses subtilités –, qui va devenir l’auxiliaire précieux du savant, en
l’aidant à recueillir tout ce qui pouvait l’être dans une langue en perdition.
Ce travail avec les Oubykh, comme celui effectué avec des Tcherkesses,
donne lieu à de nombreuses publications.
Beaucoup moins connue est une série d’articles (quatre, de 1954 à 1957)
dans lesquels, après un voyage au Pérou au cours duquel Dumézil s’était
naturellement intéressé à la langue locale, le kicua, il remarquait une curieuse
ressemblance entre les six premiers noms de nombre de cette langue et leurs
équivalents en turc. Posant, à partir de ces rapprochements, les équations qui en
résultaient, il parvint à déceler tout un vocabulaire commun au kitchua et au turc.
Cette recherche n’a pas encore eu de suite.
18. Éclairs védiques sur Rome
[…] il suffit d’appeler l’Inde à témoigner: les hymnes du Rig Veda ne
décrivent pas de rites, mais donnent, en clair, les mythes. (Georges Dumézil,
Entretiens avec Didier Éribon)
En 1949, Dumézil est élu professeur au Collège de France où il crée une
chaire de «civilisation indo-européenne», avec l’appui du linguiste Émile
22
Benveniste (1902-1976) et de l’américaniste Claude Lévi-Strauss.
La méthode qui s’est révélée si fertile antérieurement continue d’être
utilisée dans les années 1950: la culture de la Rome primitive présente bien des
traits communs avec celle de l’Inde védique; mais autant l’Inde livre des
explications détaillées sur ses rites et ses dieux, autant Rome est muette, et ignore
souvent pourquoi elle accomplissait ses rites. La clef du travail de Dumézil
consistera à expliciter les données romaines par les text es indiens.
Rituels indo-européens à Rome13 (1954) montre comment certains vieux
rituels, mal compris des Romains, et à leur suite des spécialistes de Rome,
trouvent leur explication dans les Brâhmana. Ainsi, aux Fordicidia, les Romains
sacrifiaient, le 13 avril, une vache pleine. À cela l’Inde védique offre un
parallèle, avec le sacrifice de la «vache à huit pattes – c’est-à-dire, également,
pleine. Et non seulement elle expose avec un bien plus grand luxe de détails
comment s’opérait le sacrifice de vaches pleines, mais encore elle explique
pourquoi il fallait que ces vaches le soient. Et c’est de la même façon qu’est
éclairée l’opposition, à Rome, entre le temple rond de Vesta et les temples carrés
des autres dieux – formes qui sont celles, en Inde, de deux des trois feux du
sacrifice védique –, ou que le rituel romain d’october equus, cheval sacrifié en
octobre, est rapproché du rituel indien ancien appelé achvamedha, bien mieux
connu par les textes.
Déesses latines et mythes védiques14 (1956) applique un traitement
homologue à l’élucidation de quatre déesses latines, Mater Matuta, Angerona,
Fortuna Primigenia, Lua Mater. Pour la première, par exemple, déesse de
l’Aurore, comment s’explique qu’à l’occasion de sa fête, le 11 juin, les femmes
mariées portent les bébés de leurs sœurs, et fassent entrer une esclave dans le
temple de la déesse pour ensuite la chasser à coups de verges? En Inde védique,
explique Dumézil, Nuit et Aurore sont sœurs, Nuit enfante le Jour, et Aurore en
prend soin. Dès lors, aux Matralia, les femmes prennent l’enfant (le Jour) de leur
13 Rituels indo-européens à Rome, Klincksieck.
14 Déesses latines et mythes védiques, Bruxelles, Latomus.
23
sœur (la Nuit), mais lorsqu’il s’agit pour l’Aurore de chasser la Nuit, une esclave
est chargée de jouer le rôle de celle-ci.
19. Mythe et épopée
I. Le Mahâbhârata, Virgile, les Nartes
[…] comme introduction à l’ensemble de ce fatras, je conseillerais le
premier volume de Mythe et épopée. […] J’ai repris là, dans toute leur ampleur,
des analyses que j’avais proposées dans des articles ou dans de brèves études.
(Georges Dumézil, Entretiens avec Didier Éribon)
Dumézil prend sa retraite en 1968. Sa pensée a beaucoup évolué depuis
la découverte initiale de 1938. S’il avait alors tendance à penser qu’une
répartition sociale des rôles avait pu être à l’origine de la tripartition
fonctionnelle, il se rend compte qu’elle a été un système du monde, qui
permettait aux Indo-Européens d’analyser et de classer le monde. Par ailleurs,
très critique sur sa propre œuvre, rejetant même tous les travaux mythologiques
antérieurs à 1938, revenant souvent sur les sujets abordés, il décide de profiter de
sa retraite pour remettre au propre, trier le bon et le mauvais, et tirer les
conséquences de ses ouvrages depuis trois décennies.
La première synthèse est le gros volume constitué par le tome I de Mythe
et épopée15. Dumézil entend y faire le bilan définitif – il ne le sera pas! – sur
trois dossiers qui ont longuement retenu son attention: l’analyse du
Mahâbhârata, dans le prolongement de l’article de Stig Wikander de 1947, ici
considérablement augmentée, avec prise en compte de tous les principaux
personnages du poème; le mythe de la première composition ethnique de Rome,
à partir de trois composantes, selon ce qu’ont exposé Virgile et Properce, à
15 Mythe et épopée. L’Idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples
indo-européens, Gallimard, coll. «Bibliothèque des sciences humaines», 1968.
24
l’époque d’Auguste surtout; celui de la fondation de la ville et des premiers rois;
enfin le dossier ossète, celui de ces trois familles en lesquelles se répartissaient
les Nartes, avec examen de tous les mythes, par exemple ceux où les Forts
affrontent, pour les piller, les Riches, qui mettent ainsi en lumière les traits
caractéristiques des trois familles, dans toute leur richesse.
Une quatrième partie, “Epica minora”, revient sur les thèmes des trois
fléaux, en Inde, en Iran, etc., et du choix, soit proposé entre trois personnages (les
fils de Feridûn, les fils de Guillaume le Conquérant), soit triple et posé à un seul
personnage (Pâris, Dron.a dans le Mahâbhârata).
20. Mythe et épopée II et III. L’Inde, l’Iran, l’Irlande
Les tomes suivants de Mythe et épopée16 (1971, 1973) portent moins
bien leur nom: si le premier tome entendait effectivement étudier comment une
matière épique, c’est-à-dire littéraire, prolongeait ou adaptait d’anciens mythes,
la comparaison mythologique étant alors en amont, les volumes suivants étudient
des fragments d’épopées, ou des épopées perdues (c’est le cas de celles sur
Héraklès), et se livrent à la franche comparaison mythologique, pour la plus
grande joie de l’auteur et du lecteur. Dans l’un, on étudie un héros guerrier,
soumis à un roi mais éventuellement le tuant, et parfois triplement pêcheur (les
Indiens ´Si´supâla et Jarâsandha, le Scandinave Starkadhr, le Grec Héraklès), un
curieux sorcier (nommé Kavi Usan dans le Chah Nameh, Kâvya Uchsanas dans
le Mahâbhârata), ce qui en fait un personnage de la tradition commune indo-
iranienne, ou encore un personnage de roi coupable d’orgueil, sauvé par ses
enfants, en particulier sa fille (ce sont les Indiens Yayâti, Yima, Vasu Uparicara,
l’Irlandais Eochaid Feidlech; par ailleurs les noms des filles de Yayâti, Mâdhavî,
et de l’Irlandais, Medb, sont identiques: ils signifient «Ivresse»).
16 Mythe et épopée II. Types épiques indo-européens: un héros, un sorcier, un roi
et Mythe et épopée III. Histoires romaines, Gallimard, coll. «Bibliothèque des sciences humaines».
25
Moins «épique» encore, l’autre volume se penche sur un groupe
mythique et rituel constitué par les légendes romaine (du dieu Neptunus, avec sa
fête, les Neptunalia), irlandaise (du puits ordalique de Nechtan), et indo-iranienne
(du dieu appelé Apâm Napât, à la fonction également ordalique en Iran). La
«matière romaine» compose l’essentiel de ce tome: la recherche dumézilienne,
qui avait renvoyé les premiers temps de Rome de l’histoire à la mythologie,
pousse son étude jusqu’à la pleine époque historique, en montrant comment
l’organisation d’une biographie selon les trois fonctions tout autant que
l’influence d’une mythologie solaire ont pu informer, dans l’annalistique
romaine, l’image de personnages réels. Les hommes dont la comparaison
mythologique éclaire alors les vies, Camille, Coriolan, Publicola, ont vécu entre
le VIe et le IVe siècle avant J.-C.
Le problème de fond est ici plus «Histoire et mythe» que «Mythe et
épopée»!
21. Rome, toujours
Après la série Mythe et épopée, les grandes synthèses comparatives sont
finies, et le savant va désormais se consacrer, en une cadence soutenue, à l’étude
de points particuliers. Si particuliers qu’il s’agira souvent, dans les dernières
années, d’«Esquisses de mythologies, de pots -pourris d’études où le
regroupement thématique sera au mieux géographique, ou encore de grosses
monographies explorant un sujet donné.
Les Dieux souverains des Indo-Européens17 est un livre de synthèse que
Dumézil avait à cœur de longue date, et qui permet de faire le point sur l’un des
dossiers les plus rigoureux qu’il pouvait présenter: l’étude complète du couple
17 Les Dieux souverains des Indo-Européens, Gallimard, coll. «Bibliothèque des
sciences humaines», 1977.
26
Mitra-Varuna18 dans les différentes religions indo-européennes. Il laisse le soin
aux générations futures d’effectuer les synthèses sur les deuxième et troisième
fonctions, moins abouties…
Deux autres monographies, publiées respectivement en 1969 et 1975,
sont romaines. Idées romaines19 consacre trois cents pages à l’étude de notions
et de divinités romaines, ou à des problèmes de la tripartition fonctionnelle dans
cette même tradition. Fêtes romaines d’été et d’automne20 revient sur les
Neptunalia21 et autres fêtes saisonnières de Rome, et se poursuit par Dix
Questions romaines, où sont repris, réexaminés, des travaux antérieurs sur le
cheval d’octobre, la Fortune22, Camille23. Questions encore reprises, encore
examinées, dans plusieurs des «Esquisses des derniers ouvrages.
C’est ce que je ne traiterai pas et qui mériterait d’être traité. Le principe
de ces Esquisses est de formuler un problème et d’indiquer ce que je pense être,
hic et nunc, le principal élément de solution. (Georges Dumézil, Entretiens avec
Didier Éribon)
22. Des Ossètes aux Scythes
L’étude des Ossètes traverse la vie de Dumézil, et est en un sens au point
de départ de ce qu’il considérera comme la plus grande découverte de sa vie24. Si
l’on peut dire qu’elle trouve précisément son apogée dans la magistrale étude de
l’épopée ossète que constitue la troisième partie du premier tome de Mythe et
18 Voir fiche 4.
19 Idées romaines, Gallimard, coll. «Bibliothèque des sciences humaines», 1969.
20 Fêtes romaines d’été et d’automne, suivi de Dix questions romaines, Gallimard,
coll. «Bibliothèque des sciences humaines», 1975. 21 Voir fiche 9.
22 Voir fiche 8.
23 Voir fiche 20.
24 Voir fiches 5 et 6.
27
épopée25, une somme publiée dix ans plus tard – 1978: année de l’élection de
Dumézil à l’Académie française –, en partie réunion d’articles, propose, sous le
titre Romans de Scythie et d’alentour26, une merveilleuse analyse de l’ancienne
société et de la religion des Scythes à la lumière des traditions de leurs
descendants, les Ossètes.
L’analyse est donc une anamnèse: elle éclaire ce que nous savons sur les
Scythes – par le livre IV des Histoires d’Hérodote, surtout, et par d’autres
écrivains antiques, par l’archéologie, les décors de vases – grâce à l’immense
littérature orale des Ossètes. Là surtout se vérifie la qualité de cette tradition:
qu’il s’agisse du dieu de la guerre, de la déesse “Chauffante” et “Éclairante”, de
la “maladie de femme qui affectait les prêtres Enarées”, selon Hérodote, et qui
affecte le Narte Xaemyc, dans la légende ossète, du thème des fils d’aveugle, de
la neige de plumes ou d’ouate, des données sur les rituels funéraires ou sur le
chaudron du souverain, c’est non plus l’héritage indo-européen qui est mis le
plus souvent en lumière, mais bien, à l’intérieur d’une tradition culturelle
spécifique, la longue continuité culturelle allant des Scythes à un petit peuple du
Caucase.
23. Retour discret de la Grèce
D’autres dossiers plus urgents et plus prometteurs m’occupaient, et
l’abus de la référence grecque m’avait si souvent fourvoyé avant 1938 que j’ai
ensuite été trop prudent. Je suis heureux que mes cadets l’exploitent. (Georges
Dumézil, Entretiens avec Didier Éribon)
On signalait comment la Grèce manquait à l’appel, dans la comparaison
mythologique indo-européenne 1. Absente des premiers travaux postérieurs à
1938, elle fait une timide réapparition dans un article de 1953, dans lequel
25 Voir fiche 9.
26 Romans de Scythie et d'alentour, Payot, coll. "Bibliothèque historique".
28
Dumézil, dérogeant à sa règle de ne considérer que les plus anciens textes, mais
se pliant à l’évidence, signalait comment le choix de Pâris entre trois déesses ou
l’organisation de la cité idéale dans la République de Platon sont des exemples
parfaits de séries trifonctionnelles.
C’est peu: la Grèce ne figure toujours pas dans les grands ouvrages
suivants. Totalement absente (hormis pour le choix de Pâris et pour l’histoire
d’Héraklès) des trois tomes de Mythe et épopée, elle ne fera l’objet d’aucune
monographie. Elle est toujours «à part».
Ce sont surtout des hellénistes comme Lucien Gerschel, Jean-Pierre
Vernant, Francis Vian, Atsuhiko Yoshida, Bernard Sergent, qui décèlent peu à
peu, dans le mythe des races successives d’Hésiode, dans les légendes de Thèbes,
dans les traditions de Sparte ou dans l’Iliade des traitement trifonctionnels. Ceux-
ci révèlent, à Dumézil le premier, comment la tripartition fonctionnelle a pris des
formes originales, qu’il faut savoir discerner dans une matière grecque encore
plus complexe que les formules des hymnes védiques ou les sèches prescriptions
romaines.
Par la suite, les volumes d’«Esquisses 2 contiennent nombre de notules
sur des mythes grecs, sur les trois péchés du roi troyen Laomédon, sur la déesse
triple Hécate, sur Apollon, comparé à la déesse védique Vâc («Parole), sur les
moyens par lesquels Ulysse dompta Circé… Et surtout, Dumézil montre que si le
jugement de Pâris n’est pas raconté dans l’Iliade, où il ne fait l’objet que d’une
allusion, tout ce qui y est dit des trois déesses impliquées est conforme aux
propositions que chacune fait au berger.
Pour le reste, là encore, Dumézil laissait un chantier ouvert à d’autres
auteurs.
24. Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss
La France s’honore de posséder un autre très grand mythologue en la
personne de Claude Lévi-Strauss. On connaît l’œuvre de ce dernier: venu de la
29
philosophie à la sociologie, il s’est intéressé aux structures symboliques, et est
passé, pour les envisager, à la mythologie. Les quatre tomes de ses
Mythologiques (1964-1971) sont une des œuvres majeures du XXe siècle.
On s’est plu à rapprocher les deux savants – l’un et l’autre sont
«structuralistes» – ou à les opposer. En effet, leur champ d’étude et leurs
méthodes les opposent totalement: Dumézil a travaillé sur des textes de sociétés
anciennes, appartenant à la même famille linguistique, son but étant de
reconstituer une pensée commune à cette famille, le structuralisme étant pour lui
une méthode de travail; Lévi-Strauss travaille sur une littérature orale (les mythes
recueillis, principalement aux XIXe et XXe siècles, chez les peuples amérindiens),
contemporaine, appartenant à une multiplicité de familles linguistiques, son but
étant de comprendre les modes de fonctionnement de l’esprit humain, et le
structuralisme est pour lui une doctrine.
Paradoxalement, le philologue Dumézil a fait œuvre anthropologique, en
étudiant la pensée et le système de valeurs d’un groupe humain donné (les Indo-
Européens), tandis que l’anthropologue Lévi-Strauss a fait œuvre philosophique,
en établissant des règles psychiques communes à toute l’humanité.
Pourtant, Dumézil et Lévi-Strauss ont éprouvé l’un pour l’autre une forte
estime et se sont toujours soutenus: le premier a aidé l’autre à entrer à l’École des
hautes études puis au Collège de France, le second a accueilli le premier à
l’Académie française.
Car, au-delà de l’intérêt commun pour les mythes, au-delà du
structuralisme en fait beaucoup moins ambitieux chez Dumézil que chez Lévi-
Strauss, il y avait la reconnaissance d’un sérieux, d’une rigueur et d’une
exhaustivité dans la documentation qui garantissaient l’avancée de la recherche –
quelque différents qu’aient été les résultats.
25. L’engagement politique et la critique de Dumézil
Dès que les produits d’une réflexion nouvelle sont mis en circulation, il y
30
a danger de mauvaise lecture. Et à tout prendre, peut-être vaut-il mieux que les
mauvaise lectures se manifestent très vite, pour qu’on puisse encore, de son
vivant, les rectifier. (Georges Dumézil, Entretiens avec Didier Éribon)
Au début des années 1920, un camarade de lycée, Pierre Gaxotte, fait
connaître à Dumézil Charles Maurras, le dirigeant du puissant mouvement
d’extrême droite l’Action française. Le jeune homme en subit l’ascendant, et en
est proche quelques années. Il s’en écarte en 1924, car, s’il accepte le
nationalisme de Maurras, il en refuse l’antisémitisme – son père avait été
dreyfusard.
Dans les années 1930, sous le pseudonyme de Georges Marcenay,
Dumézil rédige la chronique de politique internationale dans Le Jour, journal
nationaliste.
Dumézil a toujours été très discret sur cet engagement et il ne fut jamais
attaqué en France jusqu’en 1980. Il y eut bien des polémiques, parfois même
agressives, mais elles portaient sur son œuvre. Pourtant, à partir de 1980, divers
articles paraissent, sous les plumes de Carlo Ginzburg, d’Alain Schnapp, de Jean-
Paul Demoule… et c’est l’homme qu’on attaque.
Ces accusateurs tardifs soutiennent que Dumézil aurait découvert les
trois fonctions indo-européennes ou rédigé certains de ses livres – principalement
son livre de 1939 sur la religion germanique, prétendument disparu des
bibliothèques françaises – sous l’influence d’idées nazies. La source est en fait
italienne, et c’est l’antiquisant Arnaldo Momigliano27 qui, le premier, en 1963,
prend position contre Dumézil. Ses allégations, comme celles de ses
continuateurs, ont été réfutées par Didier Éribon dès 199228.
Mais pourquoi ces attaques ont-elles pris, pourquoi l’inanité des thèses
27 Curieux homme que ce Momigliano, actif fasciste dans les années 1930, devenu
démocrate à partir du moment où Mussolini prit des mesures contre les juifs – et qui suppose chez Dumézil la même versatilité que chez lui. La position de Momigliano a été explicitée par Marco García Quintela, Dumézil (1898-1986), Madrid, Ediciones del Orto, 1999. 28 Didier Éribon, Faut-il brûler Dumézil? Mythologie, science et politique, Paris,
Flammarion, 1992.
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de Momigliano a-t-elle séduit des esprits en Italie, en France, aux États-Unis? La
raison profonde est politique. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, et des
horreurs perpétrées par les nazis, au nom des «ancêtres» aryens, «indo-
germaniques», un vaste pan de l’opinion publique mondiale, certes ignorante des
questions de linguistique et de grammaire comparée, suspecte tout auteur qui
touche au dossier indoeuropéen.
Première erreur, la recherche de Dumézil est indépendante de ses idées
politiques, car il entreprend ses premières études linguistiques avant que la guerre
ne l’oriente comme beaucoup de Français vers le nationalisme.
Deuxième erreur, Dumézil commence sa thèse avant même l’apparition
des nazis; et l’article de 1938 sur les trois fonctions indo-européennes et, par
conséquent, le livre de 1939 ne font que prolonger l’article qu’il publie dès
193029, avant l’arrivée de Hitler au pouvoir (1933). De plus, si dans les années
1930 Georges Marcenay (Georges Dumézil) est bien un nationaliste français, il
est aussi farouchement anti-nazi: il approuve la fermeté de Staline face à Hitler,
et souhaite, comme une grande partie de la droite française de l’époque, un
rapprochement entre la France et l’Italie pour faire contrepoids à l’Allemagne.
Contrairement à ce que pensent certains, on peut être, comme Bréal (qui
était juif), Meillet (proche des communistes) et Dumézil, indo-européaniste sans
être nazi.
26. Mort et postérité du savant
Georges Dumézil est mort le 11 octobre 1986.
En fait la calomnie l’a tué. Dumézil avait répondu avec humour à
l’attaque de Momigliano, ironisant sur l’expression «ancêtres aryens» relevée par
l’universitaire italien – lui qui avait parlé des Indo-Européens comme de ses
«ancêtres», et n’avait jamais employé le terme aryen, sous la forme authentique
29 Voir fiche 5 et 6.
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Arya, que pour désigner les peuples d’Inde et d’Iran, qui s’appelaient eux-mêmes
ainsi. La multiplication des attaques à partir de 1980 l’étonna.
Bruce Lincoln, universitaire américain, se fit le porte-parole des critiques
de Dumézil, et les généralisa en soutenant que toutes ses théories provenaient de
son amitié pour Pierre Gaxotte et des idées de Charles Maurras. C’est ce qu’il
s’apprête à réaffirmer dans le Times Literary Supplement du 3 octobre 1986 à
l’occasion d’un compte rendu du dernier livre de Dumézil.
Ce dernier reçoit copie de l’article avant parution, et dès septembre un
échange de courriers s’engage entre Bruce Lincoln, Daniel Dubuisson et
Dumézil. Dans une lettre du 9 octobre, Dumézil remercie encore Dubuisson de
vouloir obtenir de l’Américain la modification de certains passages. Mais il est
trop tard: il reçoit l’article ce même jour.
Sa capacité de travail était intacte: il avait fondé peu auparavant, avec
Georges Charachidzé, la Revue des études géorgiennes et caucasiennes.
S’il n’a pas eu d’élèves, pas de «thésards», Georges Dumézil a exercé
une influence considérable sur ses contemporains.
Stig Wikander, Geo Widengren, Christian Guyonvarc’h, Louis Renou,
Jan De Vries, Jacques Duchesne-Guillemin, Jean de Menasce, Marijan Molé,
Émile Benveniste, Edgar Polomé, se sont inspirés de ses travaux dans leurs
propres recherches et ne manquent pas de signaler les cas de tripartition
fonctionnelle qu’ils rencontrent.
Ensuite l’enthousiasme persiste. On a déjà cité les hellénistes qui
s’inspirent de Dumézil et introduisent la Grèce dans le débat30. Pour l’Inde,
l’œuvre de Dumézil encourage la recherche de Jean Naudou sur la philosophie,
de Daniel Dubuisson sur le Râmayâna, inspire celle de Madeleine Biardeau sur
l’épopée indienne et à Oxford celle de Nick J. Allen. Joël Grisward ouvre
l’épopée médiévale au champ de recherche dumézilien et la recherche sur le
matériel romain est poursuivie, en France et en Belgique, par Robert Schilling,
Dominique Briquel, Jean Poucet, Frédéric Blaive et Jean-Luc Desnier. Alwyn et
30 Voir fiche 23.
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Brinley Rees, Claude Sterckx, montrent après Ch. Guyonvarc’h et Françoise Le
Roux l’utilité de l’approche «structurale» dumézilienne dans le domaine celtique,
tout comme encore Françoise Bader, Zoé Petre, Didier Pralon, pour le domaine
grec, tandis qu’Émilia Masson ouvre le dossier hittite. Enfin aux États-Unis,
après E. Polomé, Donald Ward, C. Scott Littleton, Dean A. Miller, Jaan Puhvel
et Udo Strutynski offrent des travaux inspirés par les découvertes de Dumézil, et
Gregory Nagy résout une question posée quarante-cinq ans plus tôt par ce
dernier: les trois tribus en lesquelles se répartissaient les Doriens de l’antiquité
grecque étaient bien trifonctionnelles.
Georges Dumézil ne voulait pas fonder d’école: sa recherche, pensait-il,
était à portée universelle. Ses mânes peuvent être tranquilles. Il n’y a pas d’école
dumézilienne mais un courant aux multiples canaux.
27. Repères biographiques
Je ne souhaite pas qu’on « manuélise » ce que j’ai fait: un manuel ne
garde que des résultats en oubliant la démarche qui les a produits. Or, dans nos
études, ce qui est fécond, ce qui peut inspirer, fût-ce en évocation, de plus jeunes
chercheurs, c’est l’histoire des cheminements avec ses aventures. […]
À supposer que j’aie eu totalement tort, mes Indo-Européens seront
comme les géométries de Riemann et de Lobatchevsky: des constructions hors du
réel. Ce n’est déjà pas si mal. Il suffira de me changer de rayon dans les
bibliothèques: je passerai dans la rubrique « roman ». (Georges Dumézil,
Entretiens avec Didier Éribon)
Aux objections de principe qui me sont faites, j’ai des réponses fortes,
décisives. J’ai envie de dire au Seigneur « nunc dimittis servum tuum, puisque tu
m’as permis de voir ma petite part de vérité ». Et en même temps je sais, parce
que c’est une loi sans exception, je sais que cette œuvre, dans cinquante, peut-
être dans vingt, dans dix ans, n’aura plus qu’un intérêt historique, qu’elle sera,
en mettant les chose au pis, ruinée, en mettant les choses au mieux — ce qui est
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mon espérance — élaguée, retaillée, transformée. Transformée selon quel
modèle? Si je le devinais, je commencerais l’opération moi-même. (Georges
Dumézil, Discours de réception à l’Académie Française)
1898 Naissance de Georges Dumézil, à Paris, le 4 mars.
1916 Premier au concours d’entrée à l’École normale supérieure.
1919 Agrégation de lettres classiques.
1920 Georges Dumézil débute la rédaction de ses thèses principale et complémentaire.
1921 Séjour à Varsovie.
1924 Soutenance de thèses: Le Festin d’immortalité et Le Crime des Lemniennes.
1925 Georges Dumézil se rend en Turquie comme professeur à l’université d’Istanbul. Il occupe ce poste jusqu’en 1929. Découverte du monde caucasien.
1929 Le Problème des Centaures, second grand livre de mythologie comparée indo-européenne.
1931 Georges Dumézil devient lecteur de français à l’université d’Uppsala et séjournera en Suède jusqu’en 1933.
1933 Il obtient grâce à Sylvain Lévi un poste à l’École pratique des hautes études où il enseigne la «mythologie comparée indo-européenne». Jusqu’en 1938 il suit les cours de sinologie de Marcel Granet et rédige des articles politiques dans le journal Le Jour.
1938 Découverte de la «tripartition fonctionnelle», et publication de l’article fondateur, «La Préhistoire des flamines majeurs».
1941 Georges Dumézil est expulsé de l’enseignement pour franc-maçonnerie. De 1941 à 1949 publication des deux séries Les Mythes romains et Jupiter-Mars-Quirinus.
1949 Élection au Collège de France. Il intitule sa chaire «Civilisation indo-européenne».
1952 À partir de cette date, et jusqu’en 1972, Georges Dumézil effectue des séjours réguliers en Turquie et dans le Caucase pour étudier les langues caucasiennes. Jusqu’en 1968, hormis deux livres de synthèse (Les Dieux des Indoeuropéens, 1952, et l’Idéologie tripartite des Indo-européens, 1958), il publie d’innombrables articles sur des points particuliers de l’héritage trifonctionnel chez les différents peuples indo-européens.
1968 Georges Dumézil prend sa retraite. De 1968 à 1972, à l’invitation de Jaan Puhvel et Mircea Eliade, il part enseigner à Los Angeles et Chicago et publie, de 1968 à 1973, les trois tomes de Mythe et épopée.
1978 Élection à l’Académie Française et publication de Romans de Scythie et
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d’alentour.
1979 De 1979 à 1986 paraissent encore de nombreux livres, largement des Esquisses de mythologie.
1986 Georges Dumézil fonde avec Georges Charachidzé la Revue des études géorgiennes et caucasiennes. Il meurt le 11 octobre, à Paris.
28. Bibliographie sélective
Ouvrages essentiels de Georges Dumézil
La date et l’éditeur de l’édition originale sont, s’il y a lieu, portées entre
crochet. Pour une bibliographie complète et commentée se reporter à l’ouvrage
d’Hervé Coutau-Bégarie, L’œuvre de Georges Dumézil, Catalogue raisonné,
Economica, 1998.
Apollon sonore et autres essais. Esquisses de mythologie, Gallimard, 1982.
Contes lazes, Travaux et mémoires de l’Institut d’Ethnologie, XXVII, 1937.
La Courtisane et les seigneurs colorés et autres essais, 25 esquisses de mythologie, Gallimard, 1983.
Le Crime des Lemniennes, [Librairie Paul Geuthner, 1924] Macula, 1998.
Déesses latines et mythes védiques, collection Latomus, vol. XXV, Bruxelles, 1956.
Les Dieux des Germains, Gallimard, 1959.
Les Dieux des Indo-Européens, PUF, 1952.
Les Dieux souverains des Indo-Européens, Gallimard, [1977] 1993.
Du mythe au roman. La Saga de Hadingus (Saxo Grammaticus, I, V-VIII) et autres essais, [PUF, 1953] Gallimard, 1997.
Le Festin d’immortalité. Étude de mythologie comparée indo-européenne, Annales du Musée Guimet, n° 34, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1924.
Fêtes romaines d’été et d’automne, suivi de Dix questions romaines, Gallimard, [1975], 1986.
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L’Héritage indo-européen à Rome. Introduction aux séries «Jupiter Mars Quirinus» et «Les Mythes romains», Gallimard, 1949.
Heur et malheur du guerrier, Aspects mythiques de la fonction guerrière chez les Indo-Européens, [PUF, 1969] Flammarion, 1996.
Horace et les Curiaces, Gallimard, 1942.
Idées romaines, Gallimard, [1969] 1986.
Jupiter Mars Quirinus I, Essai sur la conception indo-européenne de la société et sur les origines de Rome, Gallimard, 1941.
Jupiter Mars Quirinus II, Naissance de Rome, Gallimard, 1944.
Jupiter Mars Quirinus III, Naissance d’archanges, essai sur la formation de la religion zoroastrienne, Gallimard, 1945.
Jupiter Mars Quirinus IV, explication de textes indiens et latins, PUF, Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses, n° 52, 1948.
Légendes sur les Nartes, suivies de cinq notes mythologiques, Bibliothèque de l’Institut Français de Léningrad, n° 11, Paris, Institut d’Études Slaves, 1930.
Le Livre des héros. Légendes sur les Nartes, traduit de l’ossète, avec une introduction et des notes de Georges Dumézil, Gallimard/Unesco, 1989.
Loki, [Maisonneuve, 1948] Flammarion, 1995.
Mariages indo-européens, suivi de Quinze questions romaines, Gallimard, [1979] 1988.
Mitra-Varuna, Gallimard, [1940] 1948.
Mythes et dieux de la Scandinavie ancienne, recueil posthume d’articles, édition établie et préfacée par François-Xavier Dillmann, Gallimard, 2000.
Mythes et dieux des Germains: essai d’interprétation comparative, Librairie Ernest Leroux, 1939.
Mythe et épopée I, L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, Gallimard, [1968] 1993.
Mythe et épopée II, Types épiques indo-européens: un héros, un sorcier, un roi, Gallimard, [1971] 1986.
Mythe et épopée III, Histoires romaines, Gallimard, [1973] 1990.
Mythe et épopée I, II et III, Gallimard, 1995.
37
L’oubli de l’homme et l’honneur des dieux, Gallimard, 1985.
Ouranos-Varuna, Essai de mythologie comparée indo-européenne, Maisonneuve, 1932.
«La Préhistoire des flamines majeurs», Revue de l’Histoire des Religions, 1938.
«La Préhistoire indo-iranienne des castes», Journal Asiatique, 1930.
Le Problème des Centaures, Annales du Musée Guimet, t. 41, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1929.
La Religion romaine archaïque, Payot, [1966] 2000.
Rituels indo-européens à Rome, Klincksieck, 1954.
Romans de Scythie et d’alentour, Payot, [1978] 1988.
Le Roman des jumeaux, esquisses de mythologie, édition posthume par Joël Grisward, Gallimard, 1995.
Servius et la Fortune: Essai sur la fonction sociale de louange et de blâme et sur les éléments indoeuropéens du cens romain, Gallimard, 1943.
Tarpeia. Essai de philologie comparée indo-européenne, Gallimard, 1947.
«Les trois fonctions dans quelques traditions grecques», Hommage à Lucien Febvre, Armand Colin, t. II, 1953.
Le troisième souverain. Essai sur le dieu indo-iranien Aryaman et sur la formation de l’histoire mythique de l’Irlande, Maisonneuve, 1949.
Les préfaces et autres textes «théoriques» de Dumézil ont été réunis par
Hervé Coutau-Bégarie sous le titre: Georges Dumézil, Mythes et dieux des Indo-
Européens, Flammarion, 1992.
Ouvrages sur Dumézil et son œuvre
Bernard Sergent. «Paroles en œuvre: Georges Dumézil», La Mandragore, Revue des littératures orales, n° 1, 1997.
C. Scott Littleton. The New Comparative Mythology. An Anthropological Assessment of the Theories of Georges Dumézil, University of California Press, 1973.
Didier Éribon. Faut-il brûler Dumézil? Mythologie, science et politique, Flammarion, 1992.
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Françoise Desbordes. «Le comparatisme de Georges Dumézil. Une Introduction», Georges Dumézil, Cahiers pour un temps, Jacques Bonnet et Didier Pralon (sous la dir. de), Centre Georges Pompidou - Pandora Éditions, 1981.
Georges Dumézil et Didier Éribon. Entretiens avec Didier Éribon, Gallimard, 1987.
Huguette Fugier. «Quarante ans de recherches dans l’idéologie indo-européenne: la méthode de Georges Dumézil», Revue d’histoire et de philosophie religieuse, n° 45, 1965.
John Scheid. «Georges Dumézil et la méthode expérimentale», Opus II, Rome, 1983.
Marco V. García Quintela. Dumézil, Une Introduction, préface de Christian J. Guyonvarc’h, Éditions Armeline, 2001.