bibliotheque d'humanisme et renaissance tome v - 1944
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8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
1/407
BIBLIOTH?QUE D'
HUMANISME
ET
RENAISSANCE
TRAVAUX
&
DOCUMENTS
Tome V
LIBRAIRIE
E.DR02
25,
RUE
DE
TOURNON
PARIS,VIe
1944
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
2/407
BIBLIOTH?QUE
D
HUMANISME
ET
RENAISSANCE
PtUkation
non
p?riodique
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
3/407
Tirage limit?
? 360
exemplaires
ExemplaireN?
R?imprim?
avec
l'autorisation
e la
Librairie
roz S.A.
et
de
Mademoiselle
E.
Droz
par
Librairie
Droz S.A.
Slatkine
Reprints
Swets&
Zeitlinger
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
4/407
BIBLIOTH?QUE
D*
HUMANISME
ET
RENAISSANCE
TRAVAUX
& DOCUMENTS
Tome
V
LIBRAIRIE
E.DR02
25,
RUE
DE
TOURNON
PARIS
VIe
1944
-
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TRAVAUX
LES MOYENS D'EXISTENCE D'?RASME
I
Les
trente
premi?res
ann?es
de la
vie
d'?rasme
sont
sans
int?r?t
pour
l'histoire
de
ses ressources.
Malgr?
sa
naissance
irr?guli?re,
il
a une
enfance
prot?g?e
par
une
m?re
d?vou?e
et
tendre.
?lev?
dans
un
milieu
ais?,
puis
dans lesmeilleures ?coles, il n'a pas ? souffrir. A 18 ans,
il
entre
au
couvent
o?
toujours
et
pour
tous,
la
table
est
mise.
Il
n'en
sort,
?
26
ans,
que
pour
devenir le client
d'un
pr?lat,
Henri de
Berghes, ?v?que
de
Cambrai
et,
en
1495,
lorsque
cette
tutelle
lui fait
d?faut,
il
se
r?fugie
au
coll?ge
de
Montaigu,
comme
boursier.
Jusqu'?
Tage
de
29
ans,
?rasme
n'a
jamais
affront?
la vie
;
il
a
tou
jours
mang?
?
la
table
commune
;
il
n'a
jamais
eu
d'ar
gent ? lui.
*
*
*
Lorsqu'enfin,
?
30
ans,
il
essayera
de
voler
de
ses
propres
ailes,
comme
tous
les
intellectuels
sans
place,
il
cherchera
?
enseigner
ce
qu'il
sait,
en
l'occurrence,
le latin.
Des
appuis
consid?rables
dans les
milieux universitaires
lui
valent
des
?l?ves
riches,
?
peine
une
demi-douzaine
:
les deux fr?res Christian et Henri Northoff, fils d'un
gros
marchand
de
L?beck
qui
devinrent
eux-m?mes
des
-
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8
JEAN HOYOUX
marchands
Thomas
Grey,
Robert
Fisher,
appel?
plus
tard
?
de
hautes
destin?es
2,
et
William
Blount,
lord
Mountjoy.
Nous
ignorons
tout
des
le?ons
orales
qu'?rasme
a
pu
leur
donner
et
m?me
s'il
leur
en a
donn?.
Ce
qui
est
s?r,
c'est
qu'il
leur
a
fait
un
cours
par
correspondance
dont
il nous reste des fragments dans des lettres que trop de
biographes
ont eu
le
tort
de
prendre
au
s?rieux.
?tant
donn?e
l'horreur
d'?rasme
pour
l'enseignement,
nous
avons
m?me
les
meilleures
raisons de
croire
qu'il
n'a
gu?re
donn? de
le?ons,
qu'il
a
gagn?
ses
cachets
en
en
voyant
?
ses
?l?ves des
lettres,
qui
ne
sont
que
des
mo
d?les de
narration
et
de
style
?crits
sur
n'importe quel
sujet.
Il
pratique
d?j?
la
p?dagogie
qui
aboutira
aux
Colloques 3.
Uu
jour,
par
exemple
(f?vrier
1497),
il
raconte
?
Christian
Northof?
une
banale
sc?ne
de
rue
:
?
J'ai
vu
aujourd'hui
ma
servante
lutter
contre
une
forte
matrone
d'une
fa?on
bien
?nergique.
La
trompette
du
rassem
blement avait
sonn?
bien
avant
le
combat,
on
s'?tait
lanc?
1
D?j?
en
f?vrier
1498,
dans
la
suseription
d'une
lettre,
Erasme
qualifie
Christian
Northof?
de
?
mercator
Lubecensis
?, Allen,
Opus
EpistolarumDes.
Er
asmi
Roter
odami,
1.1,
p.
196,
ep.
70.
2
Si
les
origines
de
Grey
sont
peu
connues,
nous savons
que
Robert
Fisher
?tait
le cousin
de
Jean
Fisher,
futur
?v?que
de
Rochester.
Lui-m?me
fit
sa
carri?re
dans
l'Eglise,
nous
le
retrouvons
plus
tard
chanoine
?
Windsor.
Erasme
?crivit
pour
lui,
vers
1500,
une
para
phrase
sur
les
Elegantise
de Laurent
Valla,
travail
qui
ne
parut
qu'en
1531,
l'humaniste
l'ayant
repris
pour
lutter
contre
Gymnich
qui,
s'?tant
empar?
de
son
premier
manuscrit,
l'imprimait
?
Co
logne,
en
1529,
d'une
fa?on
frauduleuse,
et contre
Robert
?tienne
qui
?ditait
?
Paris,
en
1530,
l'ouvrage
vol? de
Gymnich,
apr?s
avoir
traduit
les
notes
allemandes
en
fran?ais.
3
Erasme
a
cependant
?crit
des
ouvrages
p?dagogiques,
tel
le
De
ratione studii
compos? pour
Thomas
Grey (Allen,
I,
p.
193,
ep. 66),
mais
dans la
lettre
?
Botzheim,
?crite
en
1523
(Allen,
I,
p.
9,
ep.
1),
Erasme
pr?tend qu'il
a
?crit
cet
ouvrage
en
l'honneur de
Petrus
Viterius,
trait
de
caract?re
dont
nous
aurons
bient?t
?
parler.
-
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MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 9
des
gros
mots
de
part
et
d'autre,
puis
on
s'?tait
s?par?
avec
une
rage
?gale,
personne
ne
s'avouant
vaincu. Cela
se
passait
dans
le
jardin
;
de
ma
chambre,
je
suivais
la
sc?ne
sans
rien
dire,
en
proie
?
une
bien douce
joie.
Mais voici
comment
les
choses
se
g?t?rent.
Ma
servante
revient
et
monte
pour
ar
ranger
le
lit
;
nous
parlons,
je
la
f?licite d'un
courage
qui
ne
faiblissait
pas
devant
les
coups
de
gueule,
mais
je
lui
dis
regretter que
la
vaillance
de,
ses
bras
n'?gal?t pas l'agi
lit?
de
sa
langue.
Car
hier,
cette
jument,
v?ritable
hercule,
avait
battu
?
coups
de
poings
la
pauvre
fille
qui
n'avait
m?me
pas
r?sist?.
?
Mais
tu
n'as
donc
pas
d'ongles
pour
te
laisser traiter
de
pareille
fa?on
?
?
Elle
me
r?pondit,
un
peu
g?n?e,
que
sa
force
n'?galait
pas
son
courage.
?
Mais
est-ce
que
tu
penses que
la
force
seule
joue
un
r?le ?
la
guerre.
La
ruse
ne
triomphe-t-elle
pas
partout
?
?
Et
comme
elle
me
demandait
ce
qu'il
fallait
faire
:
?
Il
faut,
quand
tu
la
rencontre
ras,
lui arracher
son
peigne
et
lui
sauter
aux
cheveux
?...
On
devine
sans
peine
le
r?sultat de
pareil
conseil,
pourtant
l'humaniste
ne
nous
fait
gr?ce
d'aucun
d?tail
:
On
accourut
et
on
retrouva
la
matrone
se
roulant ?
terre
avec ma
servante
et
c'est
?
grand
peine
qu'on
put
les
s?
parer
1
?.
Une
autre
fois
(4
f?vrier
1497),
?rasme
envoie
?
Montjoy
une
esp?ce
de r?daction
sur
l'hiver
et
les diffi
cult?s
des
voyages,
le
tout
relev?
de
mythologie
scolaire
:
?
Enfin
nous
sommes
arriv?s
et,
malgr?
tout,
sains
et
saufs.
Pourtant
les dieux
infernaux
et
c?lestes
?taient
contre
nous.
Quel ?pouvantable
chemin
Quel
Hercule
ou
quel Ulysse
n'ai
je
pas
le
droit de
m?priser
maintenant
? Junon
qui
harc?le
toujours
les
po?tes
luttait
contre
moi,
de
nouveau
elle
implo
rait
Eole
et
les
vents
s'acharnaient
contre
nous,
nous
com
battaient
de
toutes leurs
armes,
le
froid,
la
neige,
la
gr?le,
la
pluie,
le
brouillard...
de
tous
leurs
maux...
La
terre ?tait
cou
1
Allen,
I,
p.
170,
ep.
55.
-
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10
JEAN HOYOUX
verte
de
glace
qui
ne
formait
pas
une
surface
plane
mais
de
petites
?l?vations
pointues qui
?mergeaient
??
et
l?...
Les
arbres
paraissaient
rev?tus
d'un
manteau
glac?...1
?.
Beaucoup
d'auteurs
ont
pris
?
la
lettre
ces
belles
phrases
d'?rasme
et
les
citent
comme
preuve
de
sa
mi
s?re
et
de
son
courage.
De plus, inaugurant une m?thode qui lui est ch?re
et
qu'il
appliquera
plus
tard
dans les
Colloques,
il
bourre
ses
lettres
d'exercices
de
vocabulaire,
exprimant plusieurs
fois
la
m?me
id?e
avec
des
mots
diff?rents.
Citons
des
exemples
de
ces
jeux
litt?raires
:
?
Tu
parais
plus
pr?s
de
l'?l?gance
de
Timon
que
de
celle de
Cicer?n,
j'aimerais
cependant
mieux
que
tu
suives
Cicer?n.
La
beaut?
attique
est
beaucoup
meilleure. Tu
es
loin de
la
formeasiatique. La rhodienne n'est pas celle que tu cherches.
Tu
parais
rappeler
le
genre
punique
et
m?me
allobroge
quoique
ce
soit
de
tr?s
loin
et
qu'il paraisse
m?l? d'Arabe
et
d'Espagnol,
le
patois
de C?lin
y
cachant
son
dard...
2
?.
?
Quel
Cerb?re,
quel
Sphynx, quelle
Chim?re,
quelle
Tisi
phone,
quelle
larve
est
assez
mauvaise
pour
?tre
compar?e
?
ce
cauchemar
que
vient
de
nous
vomir
la
Gothie
?
Quel
scorpion,
quel
mille
pieds,
quel
serpent
venimeux
est
plus
dangereux
?...3
?
Je
t'appellerai
vaurien,
bourreau,
gibier
de
potence,
pen
dard,
sc?l?rat,
bandit,
monstre,
fain?ant, fumier,
fosse
?
purin,
peste,
malheur,
infamie,
fourbe,
dissipateur,
porte
de
prison,
prison,
honte
d'?cole,
compagnon
du
fouet,
et
si
je
pouvais
trouver
une
expression
plus
infamante
encore,
je
te
l'endosserais
tout de
suite,
en
plus
de
toutes
celles-l?...
4.
?
Dans
le
programme
id?al
trac?
par
le
professeur,
ses
?l?ves,
pour
se
perfectionner,
devaient
r?pondre
?
toutes
1
Allen,
I,
p.
224,
ep.
88
2
Allen, 1,
p.
169,
ep.
54.
3
Allen,
I,
p.
176,
ep.
58,
Paris,
juillet
1497,
? Thomas
Grey.
4
Allen,
I,
p.
96,
ep.
70,
Paris,
13
f?v.
1498,
?
Christian
Northof?.
-
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MOYENS
d'EXISTENCE d'?RASME 11
ses
lettres aussi
longuement
et
aussi
soigneusement
que
possible.
Mais
ils
n'en
faisaient
rien,
les
louanges
exces
sives
dont ils
sont
accabl?s
au
moindre
de
leur
billet1
alternant
avec
des
reproches
cinglants2
sont,
je pense,la
preuve
certaine
de leur
n?gligence.
En
plus
de
cet
enseignement
par
correspondance,
?rasme
prend
des
?l?ves
?
demeure,
chez
lui, pour
leur
donner
une
?ducation
compl?te.
C'est
le
syst?me
habi
tuel de
l'?poque
que
pratiquaient
sur
une
grande
?chelle
ce
James
Voecht
et
cet
Augustin
Caminade
dont
nous
parle
M.
Renaudet,
qui
avaient
des
Acad?mies
?
eux,
avec
leur
internat
et
leurs
pensionnaires
3.
Nous
ne
connaissons
que
deux
de
ses
?l?ves
pour
les
quels
il
?tait
un
v?ritable
pr?cepteur,
Henri
Northof?,
le
fr?re de
ce
Christian
Northof?
qui
suivait
les
cours
par
lettres,
et
un
inconnu de
L?beck,
amen?
du reste
par
Henri.
Avec
eux,
les
rapports
de
l'humaniste
sont
vraiment
?troits.
Il
les
a
aim?s d'un
amour
profond
et
tendre de
professeur.
Ils
logent
chez
?rasme,
et
man
gent
?
sa
table
;
quand
ils
tombent
malades,
ils
sont
soi
gn?s
par
le
ma?tre
qui
en
parle
toujours
comme
de
ses
petits
gar?ons
4.
Mais
ses
pr?f?rences
vont nettement
1
Allen,
I,
p.
169,
ep.
54,
Paris,
Printemps
1497,
? Christian
Northoi?
:
Ita
me
deus
omet,
haud
expectaram
abs
te
tantum
elegantiae,
vel
potius
eloquentiae
;
nom
elegantem
futurum
facile prospexi.
Quare
tuae
l?terae
voluptati
mihi in
primis
fuerunt.
Proinde
te
hortor
ut
isto
cursu
per
gas,
propediem
tui
pr
ceptoris
simillimus
evasurus.
2
Allen,
I,
p.
196,
ep.
70,13
f?v.
1498,
?
Christian
Northof?.
3
A.
Renaudet,
Pr?r?forme
et
Humanisme
?
Paris,
Paris,
1916,
pp.
287
et
398.
4Allen, I,
p.
215,
ep.
82, Paris, d?cembre 1498, ? un homme de
L?beck
:
Aegrotavit
graviter
nuper,
sed
convoluti
Dei
beneficio
et
medicorum
opera.
Fuit in
tutela
mea
complusculos
menses,
quibus
ei
-
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MOYENS
D'EXISTENCE
d'?RASME
13
Lorsque
Ton voit
?rasme
?
ce
point besogneux,
?
la
merci
de
tous et
m?me
d'un
seul
?l?ve,
on
est
effray?
de
la
rapidit?
et
de
la
violence
avec
laquelle
l'humaniste
rejette
comme
un
carcan
cet
enseignement qu'il
d?
teste,
ces
rab?chages
qui
l'assomment.
Au
printemps
de l'ann?e
1499,
Mountjoy
propose
?
?rasme
de
l'accompagner
en
Angleterre
et
celui-ci,
avec
un
m?pris
total
de
ses
?l?ves
et
de
sa
vie,
aban
donne
tout
et
y
va.
Avec
une
impr?voyance
inou?e,
il
s'installe
dans
ces vacances comme
dans
une
vie
d?fini
tive.
Dans
ce
pays
?tranger
o?
il est
uniquement
l'invit?
de
Mountjoy,
?rasme
se
sent
?
son
aise.
On
le
comprend
au
ton
de
ses
lettres. Certaines trahissent
un
enthou
siasme
qui
?tonne,
qui
?meut m?me.
?rasme
ne
songe
pas
au
lendemain,
il
se
croit devenu
un
homme
nouveau,
qui
peut
s'int?resser
?
la
chasse,
aux
chevaux
et
aux
femmes.
T?moin
cette
lettre
extraordinaire
?crite
?
Faustus Andrelinus
en
1499
et
unique
dans
toute
la
correspondance.
Tout
l'?picurisme
d'?rasme,
brusque
ment
d?brid?
apr?s
trente
ans
de contrainte
et
trois
ans
de
mis?re,
?clate enfin
avec une
joie
na?ve
:
?
Moi
aussi
je
fais
des
progr?s
en
Angleterre.
Cet
?rasme
que
tu
as
connu
jadis,
le
voil?
devenu
presque
bon
chasseur,
cavalier
passable,
homme
de
cour
habile,
sachant
saluer
et
sourire
avec
gr?ce
et
tout
cela
comme
malgr?
lui.
Si
tu
?tais
raisonnable,
tu
volerais
bien
vite
jusqu'ici.
Comment
un
homme
tel
que
toi
peut-il
supporter
de
vieillir
parmi
ces
?
merdas
gallicas
?...
Si
tu
connaissais
l'Angleterre
et
ses
charmes,
tu
accourrais,
des
ailes
aux
talons,
tu
souhaiterais
?tre
D?dale...
Il
y
a
ici
des
nymphes
aux
traits
divins,
gentilles
et
faciles,
bien
sup?rieures
?
vos muses.
Et
n'oublie
pas
qu'il
-
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14
JEAN HOYOUX
y
a
en
Angleterre
une
coutume,
que
nous ne
pouvons
pas
assez
louer,
qui
veut
que,
o?
qu'on
aille,
on
soit
re?u
par
des baisers.
Si
tu
prends
cong?,
on
t'embrasse. Si
tu
reviens,
on
t'accueille
par
des
baisers. Si
l'on vient
te
visiter,
on
t'embrasse. Si
l'on
te
quitte,
encore
des
baisers. Si
l'on
se
rencontre,
toujours
des
baisers.
O
Faustus,
si
tu
avais
go?t?
une
fois
combien
doux
et
parfum?s
sont
ces
baisers,
tu
voudrais
?tre
un
voyageur,
non
pas
dix
ans
seulement,
comme
Solon,
mais
pendant
la
vie
en
ti?re,
pour
la
passer
toute en
Angleterre
1 ?.
Au
surplus,
ne
nous
y
trompons
pas.
?rasme
n'est
pas,
ne
sera
jamais
un
?
mondain
?.
Son
euphorie
vient
sur
tout
de
ce
qu'il
jouit
de
bonnes
conditions
de
travail.
Son
intelligence,
pour
s'?panouir,
a
besoin
d'un
certain
confort.
En
Angleterre,
il
travaille
?norm?ment.
C'est
l'?poque
de la
premi?re
rencontre
avec
Thomas
More,
des discussions
passionn?es
avec
Colet
sur
la
Sueur de
Sang,
la
p?riode
de
pr?paration
des
Adages
et
du
Nou
veau
Testament.
*
Mais
apr?s
cette
accalmie
anglaise,
?rasme
revient
en
France
et
c'est
?videmment
la
mis?re
puisqu'il
n'a
plus
rien
pour
le
soutenir,
ayant
abandonn?, pour
suivre
Mountjoy,
ses
moyens
de
subsistance,
c'est-?-dire ses
?l?ves.
L'hiver
1500-1501
lui
est
surtout
p?nible.
Il
rassemble
ses
maigres
ressources,
fait
le
compte
de
ses
derniers
amis,
?crit
des
lettres
d?sesp?r?es
?
Batt
qu'il
avait
connu
secr?taire
municipal
de
Bergen
et
qui,
dans
l'entretemps,
est
devenu
pr?cepteur
du
jeune
Adolphe,
fils
de la
marquise
de Veere. Deux
jours
de
suite2,
il
re
1
Allen,
I,
p.
238,
ep.
103.
Allen,
I,
p.
320
et
p.
325,
ep.
138
et
139,
Orl?ans,
11
et
12
d?
cembre
1500.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
13/407
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
14/407
16
JEAN
HOYOUX
moins d'une chance
anormale,
d'une
carri?re
extraor
dinairement
rapide.
Elle
a
laiss?
?
?rasme
un
souvenir
particuli?rement
cruel
;
?
c'est le
temps,
dira-t-il
lui
m?me,
en en
parlant plus
tard,
o?
j'ai
tra?n?
mis?rable
ment
une
existence
inutile,
o?
je
n'ai
fait
que
vivre
sans
pouvoir
travailler
?
Et
il
sait
que
s'il
n'arrive
pas
?
se
procurer
des
ressources,
il
devra
rentrer
au
couvent.
Pendant
cette
p?riode
de
g?ne,
?rasme
loue
une
chambre
2
et,
pour
le
servir,
il
a
un
puer,
un
domes
tique
qu'il
ne
paye
peut-?tre
pas,
mais
qu'il
nourrit
et
qu'il
habille
3.
Il
n'a
pas
d'?curie,
ou
du moins
il
n'a
que
des
rosses.
Pour
voyager,
il
demande
?
Batt de
lui
en
voyer
des
chevaux
:
?
Je
ne
d?sire
pas,
?crit-il,
un
Buc?
phale
mais
je
voudrais
quand
m?me
une
monture
sur
laquelle
on
soit d?cent
?.
Puis
tout
de
suite,
il
demande
un
second
cheval
pour
son
valet,
car
il
a
l'intention
de
l'emmener
avec
lui
4.
Quand
il
a
un
peu
d'argent,
c'est
pour
acheter
des
livres
grecs.
La toilette
passe
apr?s
5.
?rasme
? cette
?poque
devait
?tre
tr?s
mal
habill?,
de
quoi
son
raffine
ment
souffrait
peut-?tre.
Entre
lui
et
son
puer,
c'est
la
vie
simple
de
ma?tre
?
valet
si
plaisamment
d?crite
dans
les
Colloques
:
1
Allen,
I,
p.
50,
Compendium
vitae Erasmi
:
vixit
verius
quam
studuit.
Le
texte
n'est
peut-?tre
pas
authentique
(cf.
R.
Crahay,
Humanisme
et
Renaissance,
t.
VI,
1939,
pp.
7
et
135)
mais
l'expres
sion
rend
exactement
le
sentiment
d'Erasme.
2
Allen, I,
p.
209,
ep.
80,
Paris,
29
nov.
1498,
? J. Batt
:
Cubiculi
locationem
persolvi.
3
Allen,
I,
p.
329,
ep.
139,
Orl?ans,
12 d?c.
1500,
?
J. Batt
:
De
veste
quod
scribis
nimis
contumeliose,
jac
ut
videbitur.
Mihi
tarnen
ridiculum videtur
puerum
alere
et
non
vestire.
?
Le
domestique qui
servait
Erasme
?tait,
en
1501
du
moins,
un
certain Louis
men
tionn?
dans
les
lettres
146,151,155,157,
etc.
4
Allen,
I,
p.
211,
ep.
80, Paris,
29
nov.
1498.
5
Allen,
I,
p.
288,
ep.
124,
Paris,
12 avril
1500,
?
J.
Batt.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
15/407
MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 17
?
Quel
ma?tre
imp?rieux
j'ai
l?,
dix
serviteurs
d?gourdis
?
ses
ordres
seraient
?
peine
assez.
?
Que
dis-tu
fain?ant ?
Rien
du
tout.
?
Est-ce
que
je
ne
t'entends
pas
murmurer
?
En
effet,
je prie.
?
Tu
dis,
je
crois,
ton Pater
? rebours.
La
?
pri?re
du ma?tre
?,
tu
la
dis ? l'envers.
Qu'est-ce
que
tu
grognes
au
sujet
de l'ordre
?
Je demande
que
tu
sois fait
g?n?ral
en
chef. Et
moi
que,
de souche
que
tu
es,
tu
sois
fait
homme
de
nouveau.
Suis-moi
jusqu'? l'?glise.
Cours ?
la maison
et
pr?pare
les
lits.
Mets-moi
tout
cela
en
ordre. Fais
que
toute
la
maison
brille.
Nettoie
le
vase
de
nuit.
?carte
des
yeux
ces
salet?s.
Peut-?tre certains
courtisans
viendront
me
voir.
Si
je
vois
quelque
chose
omis,
tu recevras
force
coups.
?
Je
connais
en
effet
ta
bont?.
?
Prends
donc
garde,
si tu
n'es
sage.
?
Mais
en
attendant,
aucune
mention
du
repas.
?
Voil?
ce
qu'il
a
dans
l'esprit
ce
fripon.
Je
ne
mange
pas
? la
maison,
c'est
pourquoi,
vers
10
heures,
viens
me
rejoindre
et
conduis
moi
l?
o?
je mangerai.
?
C'est
ce
que
tu te
proposes
en
effet,
mais ici, entre temps, je n'ai rien ?manger. ? Si tun'as pas de
quoi
manger,
tu
as
de
quoi
avoir
faim.
Personne
ne
peut
apaiser
sa
faim
en
je?nant.
?
Il
y
a
du
pain.
?Oui,
mais
tout
noir
et
plein
de
son.
?
Quel
homme
d?licieux
tu
fais.
Il
te
faudrait
du foin
si
on
te
donnait
une
nourriture
digne
de toi.
Est-ce
que
tu
me
demandes
pour
toi,
?ne,
un
plein chargement
de
g?teaux.
Si le
pain
te
d?go?tes,
?
d?faut
de
viande,
ajoutes-y
du
poireau
ou
de
l'oignon
1
?.
Ces
deux
ann?es 1500-1501
sont
pour
?rasme
les
pires
de
toutes
;
il
s'y
est
d?crit dans
sa
fameuse boutade
?
Guillaume
Hermans
:
?
Si
tu
veux
te
repr?senter
?rasme
tel
qu'il
est,
n'imagine
pas
un
arrogant
ou un
f?tard,
mais
figure-toi
un
homme
triste,
afflig?,
m?pris?
de
tous
et
de
lui-m?me,
tr?s
malheureux,
pas
de
sa
faute,
mais
malheureux
quand
m?me
2.
?
Cette
p?riode
pass?e,
la
1
Er.
Coll.
F
am.
Lipsiae,
H
er
Ma,
Rabinus
Syrus,
?d.
Holtze,
t.
I,
p.
33.
2
Allen,
I,
p.
219,
ep.
83.
2
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
16/407
18
JEAN
HOYOUX
chance
tourne.
D'abord,
il
fait
un
long
s?jour
aux
Pays
Bas,
chez
la
marquise
de
Veere
puis
?
Saint-Omer. Par
tout,
il
est
re?u
chez des
amis.
En
1504,
il
fait
un
cours
de
rh?torique
?
l'Universit? de
Louvain,
c'est
l'?poque
o?
il
prononce
son
Pan?gyrique
?
Bruxelles,
en
l'honneur
de
Philippe
le Beau. Il
rentre
ensuite
?
Paris.
En
1505,
nous
le
retrouvons
dans
sa
bien aim?e
Angleterre
chez
Mountjoy.
A
Cambridge,
?rasme
rencontre
deux
jeunes
gar?ons
qui
devaient
quitter
l'?le
pour
aller
poursuivre
leurs
?tudes
?
Bologne.
C'?taient
les
fils
du
docteur
Baptiste
Boerio,
m?decin
g?nois
?tabli
en
Angleterre
et
au
service
du
roi. On
propose
?
?rasme
de
les
accompa
gner,
afin
de
diriger
leurs
?tudes.
Il
accepte
d'embl?e
et
r?alise
ainsi
son
r?ve
de
voyage
en
Italie.
Il
y
s?journe
deux
ans
sans
que
l'on
sache bien
ce
qu'il
y
fait,
car sa
correspondance
est
tr?s
rare
pendant
ces
ann?es
1506-1508. On
s'aper?oit
seulement
qu'il
corrige
les
?preuves
de
ses
Adages
chez
Aide
et
surtout
qu'il
y
d?couvre
le
moyen
de s'enrichir
car,
?
partir
de
ce
mo
ment,
et
pendant
les
trente
derni?res ann?es
de
son
existence,
il
ne
conna?tra
plus
que
la vie
large
et
ais?e.
Exposons,
comme
nous
l'avons
fait
pour
la
premi?re
partie,
la
situation
mat?rielle
de
l'humaniste
pendant
ces
trente
ann?es de
chance,
en nous
basant
sur
sa
corres
pondance
et
les
Colloques,
mais
faisons-le
avec
prudence,
car
la
litt?rature,
on
le
sait,
est
essentiellement
une
fonc
tion
de
compensation.
Or,
?rasme
adorait
le
confort,
la
vie
large,
ais?e,
d?barrass?e
de
tout
souci
d'argent.
Sa
jeunesse
besogneuse
lui avait laiss? un tr?s mauvais
souvenir.
Aussi
ne nous
?tonnons
pas
si
dans
les
Colloques
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
17/407
MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 19
on
trouve
inscrits
quelques
uns
de
ses
r?ves,
telle
la
mai
son
d'Eus?be,
dans le
Convivium
Religiosum,
ch?teau
entour?
d'un
jardin
d'agr?ment,
d'un
potager,
de
par
terres o?
l'on
cueille
des
herbes
m?dicinales,
de
pelouses
et
de
vergers.
Il
y
a
des
ruches
et
une
basse-cour
;
il
y
a
aussi
une
chapelle
pour
les
visiteurs
pieux.
Autour
de
l'habitation
court
une
galerie orn?e de fresques et de
mosa?ques
qui
racontent
l'?vangile,
l'histoire
ancienne
et
aussi
l'histoire
naturelle.
Une
magnifique
biblioth?que
domine
le
jardin
et
donne
acc?s
?
la
chapelle.
Chapelle,
jardin,
biblioth?que
:
ce
triptyque
symbolise
exactement
tout
l'?picurisme
?rasmien. Au
bout
de
la
propri?t?,
il
y
a
un
pavillon
o?
l'on
soigne
les
gens
atteints
de
maladies
contagieuses
:
voil?
l'utopisme.
Thomas
More,
d?cri
vant l'?le de Nulle-Part, y met aussi des cliniques d'iso
lement.
Mais
ce
qui
est
s?r,
c'est
qu'?rasme,
pendant
cette
p?riode,
ne
loue
plus
de
chambre,
mais
habite
des
mai
sons.
Rappelons
la
confortable
maison
du
Cygne,
?
Anderlecht,
o?
il
passa
quelques
mois
en
1521,
et
tout
le
charme
de
son
beau
jardin.
Une
?tude
r?cente
1
nous
apporte
des
renseignements
sur
la
fa?on
princi?re
dont
il
v?cut
?
Fribourg (1529-1535).
Le
conseiller
et
tr?sorier
Jacob
Villinger
lui
pr?ta
la
somptueuse
maison
?
zum
Weifisch
?,
un
v?ritable
palais
qui
avait
?t? b?ti
comme
r?sidence
pour
l'empereur
lui-m?me.
La
demeure
a
un
magnifique
encorbellement
et
un
portail
tr?s orn?
;
c'est
un
des chefs-d'
uvre
de
l'architecture
priv?e
du
gothique
tardif.
Apr?s
deux
ans,
les
choses
se
g?t?rent
;
il
y
eut
des d?m?l?s
entre
l'humaniste
et
le
conseil
com
1
Gerhard
Ritter,
Erasmus
und
der
deutsche
Humanistenkreis
am
Oberrhein,
1937,
Fribourg
en
Brisgau,
p.
6.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
18/407
20
JEAN
HOYOUX
munal
?
la
suite
de
quoi
on
l'invita
?
se
loger
ailleurs.
Il
acheta
alors
la
maison
?
zum
kindlein
Jesu
?
et
en
fit
une
demeure
des
plus
confortables.
Il
mourut,
on
le
sait,
?
B?le,
dans
la belle
maison
?
zum
Luft
?
qui
lui
avait
?t?
pr?t?e
par
Froben.
?rasme
vit
et
vit bien. A vrai
dire,
il
est
sur
ce
point
extr?mement discret, mais quelques mots, dans
sa corres
pondance,
permettent
de
juger
ce
que
fut
son
standard
de
vie.
Il
n'en
est
plus
maintenant
?
des
haridelles
que
l'on
a
honte de
monter,
il
poss?de
des ?curies
et
des
chevaux
de
prix
qui
le suivent
m?me
en
Angleterre.
A
Cambridge,
c'est
un
ami
de
l'endroit,
William
Gonell,
qui
en
prend
soin. L'humaniste
?crit
?
plusieurs reprises
pour
lui
exprimer
sa
satisfaction. Le 26 septembre 1513
:
?
Mon
cheval
me
revient
toujours
plus
facile
et
plus
alerte,
mon
cher
Gonell
;
rien
qu'?
le
voir,
je
comprends
?
quel
point
tu
le
soignes
1.
?
En
octobre
1513
:
?
Si
le
cheval
a
besoin
d'?tre
ferr?, fais-le,
car
je
pense
qu'il
aura,
d'ici
peu,
une
dure
?tape
?
fournir 2.
?
En
avril
1514
:
?
Tu
me
donnes
des
nouvelles
de
ma
monture
avant
m?me
de
me
dire
si
toi-m?me
tu
es en
bonne
sant?,
voil?
ce
qui
s'appelle
un
h?te aimable
3.
?
Et
le
28 avril
1514
:
?
Tu
m'annonces
des
choses
bien
agr?ables
au
sujet
de
mon
cheval,
cher
Gonell,
et
je
reconnais
bien
l?
ta
gentillesse
?
4.
Paroles d'amateur
de
chevaux, pour
qui
un
domestique
devient
un
personnage
important
par
le
seul
fait
qu'il
soigne
une
b?te favorite.
Le
menu
du
Convivium
religiosum,
repas
o?
l'on
1
Allen, I, p. 532, ep.
274.
8
Allen, I,
p.
534,
ep.
276.
3
Allen, I,
p.
555,
ep.
289.
4
Allen, I,
p.
561,
ep.
292.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
19/407
MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 21
mange
bien
sans
doute,
mais
sans
exc?s,
est
le
suivant
:
une
?paule
de
mouton,
un
chapon
et
quatre
perdrix,
sans
compter
les hors-d'oeuvres
et
les
desserts 1.
?rasme
ach?te
lui-m?me
ses
vins,
indice
d'un
connais
seur.
Ses
tonneaux
le
pr?occupent,
t?moins
les lettres
que
voici.
Le 7
septembre
1526
:
?
J'avais trois
tonneaux
de Bourgogne avec lesquels je comptais passer l'hiver.
Mais
pendant
que
j'en
bois
un,
voil?
qu'il
devient
pi
quette
;
j'ouvre
alors
les deux
autres
et
je m'aper?ois
qu'ils
sont
?galement g?t?s.
Tu
m'obligerais
beaucoup
si
tu
voulais
m'envoyer
un
gros
tonneau
de
rouge,
non
pas
du*
tout
?
fait
alcoolis?,
mais du
g?n?reux
quand
m?me,
assez
ancien
?videmment
2
?.
Le
1er
avril
1529
:
?
Pendant
que
je
t'?crivais
ceci,
un
messager
est venu
m'annoncer que le vin ?tait en chemin et qu'il serait ici
aujourd'hui
ou
demain.
D'apr?s
la lettre
d'?tienne
?
J?r?me
Froben,
j'ai
compris
que
le
camionneur n'avait
pas
?t?
pay?.
Il
demande
trois
couronnes,
je
les
lui
donnerai
bien volontiers.
S'il
demande
plus,
il
aura
autant
qu'il
faudra
3
?.
Le
3
mars
1531,
Jean
Choler,
vicaire
g?n?ral
de
l'?v?que
de
Coire,
lui
?crit
d'Augsbourg
:
?
Je m'?tonne
que
tu ne nous
aies pas
encore
donn? des nouvelles du
vin
que
nous
t'avons
envoy?
par
ces
charretiers
de
Fri
bourg qui
nous
apportent
d'ordinaire
le
n?tre,
et
par
les
quels
Jean
Baugartner
d'Augsbourg
exp?diait
quelques
tonneaux ?
Zasius 4.
?
Le
4
avril
1531,
?rasme
?crit
?
Antoine
Fugger
:
?
A
propos
du
tonneau
de vin
que
1
Er.
Coll.
Fam.
Lipsiae
:
Convivium
religiosum
;
?d.
Holtze,
t.
I,
p. 118.2
Allen,
VI,
p.
411,
ep.
1749,
?
Ferry
Carondelet.
3
Allen, VIII,
p.
124,
ep.
2139,
?
L?onard de
Gruy?res.
*
Allen,
IX,
p.
149,
ep.
2438.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
20/407
22
JEAN HOYOUX
m'as
envoy?
par
un
autre
convoyeur...1
?.
Et
le
6
avril
1531
?
L?onard de
Gruy?res
:
?
Aujourd'hui,
nous
avons
go?t?
le
vin
que
tu
nous
as
donn?...
2
?
Trois
lettres
en
un
mois,
trois
envois
de
vin
Il
consid?re la bi?re
comme
la
source
de
tous
les
maux,
l'ayant
toujours
accus?e,
les
rares
fois
o? il
en a
bu,
de
lui
avoir
amen?
des calculs
aux
reins
pour
le
reste
de
sa
vie
3.
Quant
?
l'eau,
pour
lui,
c'est
ce
que
boivent
les
chiens 4.
Or,
la
goutte
l'accabla
tr?s
t?t.
Elle
est
cruelle
ment
traduite dans le
portrait
de
D?rer
qui
nous
montre
un
?rasme
aux
doigts
tordus,
d?form?s,
qui
contrastent
si
curieusement
avec
la
beaut?
parfaite
d'un
vase
rempli
de
fleurs dessin?es
avec une
minutie
gracieuse.
Cette
goutte,
maladie douloureuse
qu'aggrave
la
trop
bonne
ch?re, ?rasme, par
une
aberration
opini?tre
et
d?con
certante,
la
soignait
avec
des ufs
battus
5
et
du
vin
d?licat. On
voit
son
id?e
:
le
vin
est
la
seule boisson
qui
ne
soit
pas
nocive,
tout
ce
que
l'on
peut faire,
dans
les
cas
graves,
c'est
y
ajouter
de
l'eau
sucr?e et
bouillie
ou
en
boire
de
l'autre
plus
d?licat,
mais
jamais
de
qualit?
inf?rieure. Le
bon vin
n'am?ne
pas
les
maladies,
c'est
la
bi?re
et
la
piquette qui
les
causent
6.
Habitu?
?
la bonne
ch?re,
?rasme
aime
les
beaux
v?te
ments et il est
loin
le
temps
o? il
devait choisir
entre
les
livres
et
les
habits.
Maintenant
quand
il
voyage,
deux
chariots
remplis
d'effets
le
pr?c?dent.
En
juillet
1529,
1
Allen,
IX,
p.
249,
ep.
2476.
2
Allen,
IX,
p.
250,
ep.
2479.
8
Allen,
I,
p.
549,
ep.
285,
?
William
Warham,
janvier
1514,
Allen,
I,
p.
552,
ep.
288,14
mars
1514,
?
Antoine
de
Berghes,allen,
VI,
p.
47,14
mars
1525,
?
Willibald
Pirckheimer.
4
Er.
Coll.
Fam.
Lipsiae
:
Convivium
Fabulosum
;
?d.
Holtze,
t.
I,
p.
306.
?
Quid
igitur
bibebat
Romulus
??
Idem
quod
bibunt
canes.
5
Allen, VI,
p.
169,
ep.
1610,
Baie,
septembre
1525,
? No?l Beda.
6
Allen, VI,
p.
422,
ep.
1759,
B?le,
octobre
1526,
?
Jean
Francis
et
VII,
p.
507,
ep.
2057,
B?le,
1eroctobre
1528,
? Er.
Schets.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
21/407
MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 23
?rasme
d?cide
de
quitter
Baie
pour
Fribourg
o? il
s?journera
six
ans
et
voici
sa
lettre
?
Willibald
Pirckhei
mer
:
?
J'avais
d?cid?
de
quitter
B?le,
mais
je
ne
savais
pas
si
je
devais le
faire
en me
cachant
ou
d'une
fa?on
ouverte.
Me
cacher
?tait
plus
s?r,
mais
l'autre
moyen
?tait
plus digne.
J'ai
pr?f?r?
le
digne
au
s?r,
D?j?,
j'avais
envoy? en avant deux chariots (plaustra) charg?s de
coffres
et
de
bagages
:
car
cela
il
n'y
avait
pas moyen
de
le
faire
en
secret
x.
?
Tout
?rasme
est
dans
cette
sorte
de
grandeur
o?
il
se
compla?t
na?vement.
Enfin,
il
vit dans
une
atmosph?re
de
luxe faite
de
mille
bibelots,
objets
futiles
et
pr?cieux,
vases,
coupes d'or,
sans
doute
cadeaux
pour
la
plupart
qui
flattaient
en en
tretenaient
ses
go?ts
de
grand
seigneur.
Citons, d'apr?s les lettres, quelques-uns de ces ca
deaux
:
des
gobelets
en
argent
(cyathos
arg?nteos)
que
lui
envoie
le
m?decin Henri
Afinius
au
mois
d'ao?t
1517
2
;
une
coupe
remplie
de
fruits
?trangers
(vasculum
fructuum
Barbaricorum)
que
lui
transmet,
en
janvier
1526,
Eras
mus
Schets
3
;
en
septembre
1526,
une
horloge
en
or,
une
cuiller
et
une
fourchette
en
or,
qui
lui
viennent de
Chris
tophe
de
Schydlowyetz,
chancelier
du
roi
de
Pologne
4
;
en juillet 1529, une pat?re ouvr?e et un anneau, dons de
Willibald
Pirekheimer,
un
vase
?
boire
(poculum)
mer
veilleux
de
forme
et
rehauss?
d'or
que
lui
offre
Antoine
Fugger
5
;
en
mars
1530,
une
coupe
en
argent,
cadeau
du
jeune
duc
de
Cl?ves
qui
le
remercie
de
lui
avoir
d?di?
le
De
pueris
statim
ac
liberaiiter
instituendis 6...
1
Allen,
VIII,
p.
232,
ep.
2196.
2
Allen,
III,
p.
60,
ep.
638.
8
Allen, VI, p. 246, ep. 1658.4
Allen,
VI,
p.
413,
ep.
1752.
5
Allen,
VIII,
p.
233,
ep.
2196.
6
Allen,
VIII,
p.
399,
ep.
2298.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
22/407
24
JEAN
HOYOUX
Si
on
offre
souvent
?
?rasme
des
vases,
des
coupes,
des
objets
pr?cieux
de
toutes
sortes,
il
doit,
de
son
c?t?,
donner
beaucoup.
Il
semble
que
c'?tait
alors
l'usage.
Dans le
Convivium
religiosum,
Eus?be,
?
l'issue
du
repas,
fait
des
cadeaux
?
chacun de
ses
h?tes.
A
Timoth?e,
un
petit
volume
sur
parchemin
contenant
les Proverbes
de
Salomon
;
?
Sophron,
une
montre
qui
vient
des
confins
de
la
Dalmatie
;
?
Th?ophile,
un
Evangile
selon saint
Matthieu
;
?
Eulale,
les
Epitres
de saint
Paul
;
?
Chryso
glotte,
une
?critoire
et
des
plumes
;
?
Urane,
un
trait?
grec
de
Plutarque
;
?
N?phale,
une
montre
?rasme, quand
il
recevait,
devait
sacrifier
?
cet
usage
qu'il
d?crit si
bien
dans
les
Pieuses
Agapes.
Il
ne
nous
reste
malheureusement rien
de
tout
cela.
Tout
ce
que
nous
savons,
c'est
qu'un jour
l'humaniste
a
envoy?
un
anneau
d'or b?ni
par
le
roi
d'Angleterre
?
la
femme
d'Erasmus
Schets
en
s'excusant
de
ne
rien
avoir
trouv?
d'autre
2.
Il
lui
avait
donn?
auparavant
une
petite
licorne
qu'elle
avait
perdue.
Ces
quelques
signes
de
richesse
sont
diss?min?s dans
une
correspondance
aux
trois
quarts
litt?raire
o?
?rasme
parle
forc?ment
de
tout
autre
chose
que
de
ses
affaires
int?rieures.
Ils
nous
permettent
cependant
de
conclure
que
la
vie
d'?rasme
respire
un
luxe
tranquillement
magnifique.
N'oublions
pas que
cet
homme,
qui
n'?tait
ni
avare,
ni
?conome,
laisse
en
mourant
une
fortune
?va
lu?e
?
7.000
ducats.
Lui
qui,
dans
le
Convivium
Religio
sum,
?
s'indignant
de voir
des
sommes
excessives
con
sacr?es ?
l'embellissement de
monast?res
alors
que
trop
1
Er.
Coll.
Fam.
Lipsiae,
?d.
Holtze,
t.
I,
p.
135
et
suiv.
2
Allen,
VI,
p.
241,
ep.
1654, Bale,
24
d?cembre
1525.
?
Sur
ces
anneaux
magiques
b?nis
par
les
rois
d'Angleterre,
voir
M.
Bloch,
Les
rois
thaumaturges,
Strasbourg,
1924,
pp.
159-172.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
23/407
MOYENS
d'EXISTENCE
d'?RASME 25
de
chr?tiens,
temples
vivants
de
Dieu,
souffrent
de
pau
vret?, mentionne,
comme
l'exemple
le
plus
typique
de
ces
exag?rations,
le
cas
de
la Chartreuse
de
Pavie
qui
re?oit
des
legs
?normes
faisant
un
total
de 3.000 ducats
par
an,
?
consacrer
?
des constructions.
Somme
tellement
exag?r?e
que
les
moines,-ne
sachant
qu'en
faire,
d?mo
lissent
ce
qui
existe
et
le
r??difient, afin
de
se
conformer
?
la volont?
des
testateurs
1
?.
Et
qui,
dans
le
m?me
colloque
de
1522,
consid?re
un
legs
de
2.000
ducats
comme
tellement
fabuleux
que
ce
ne
peut
?tre
qu'une plaisan
terie
:
?
Timoth?e
:
Pieuse
chasse
:
Le
Christ
vous
aide,
en
lieu
et
place
de
Diane.
?
Eus?be
:
Cette
proie
me
sou
rirait
plus
qu'un
legs
de
2.000 ducats
2.
?
II
D'o?
?rasme
tire-t-il les
revenus
capables
de
lui
faire
mener
une
vie
aussi
large
?
Des
le?ons
? Il
n'en donne
plus.
Impossible
d'ailleurs
de
vouloir
expliquer
un
luxe
pareil
par
de
pauvres
ca
chets.
Est-ce
uniquement
des
pensions
qu'il
re?oit
?
C'est
l'opinion g?n?ralement admise. Les ?crivains vivent
parce
que
les
grands
s'occupent
d'eux
et
leur
servent
des
pensions.
On
cite
m?me
des
exemples
:
P?trarque
qui
a
v?cu
longtemps
?
la
remorque
des
Colonna.
Pourtant,
?rasme
n'a
pas
de
protecteur
officiel.
Mountjoy,
le
pre
mier
nom
qui
vient
?
l'esprit,
semble
ne
lui
avoir
fait
que
des
pr?sents
isol?s...
Pour
ne
pas
conclure
h?tivement,
sans
preuves
cer
1
Er.
Coll.
Fam.
Lipsiae,
?d.
Holtze,
t.
I,
p.
130.
2
Ibid.,
p.
140.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
24/407
26
JEAN HOYOUX
taines,
faisons
rapidement
le
compte
des
rentes
qu'on
a
pu
servir
?
?rasme.
En
dehors
des
dons
occasionnels
qu'on
fit
?
?rasme
au
d?but
de
sa
carri?re,
?
l'?poque
o? il
pouvait
les
rece
voir
encore sans
trop
de
g?ne
?
en
1511,
il
se
demande
si
son
?
M?c?ne
?
donnera
20 nobles
1
;
en
1514,
il
?crit
? Andr? Ammonius :
?
En s'en allant, l'?v?que de
Durham
m'a
donn?
six
nobles,
sans
que
je
lui
demande
rien,
et
c'est,
je
pense
la
quatri?me
fois
qu'il
le fait
2
?
;
citons
?galement
une
lettre
fort
tardive
de 1528
:
?
Je
t'envoie
100
pi?ces
d'or
de
Hongrie,
j'esp?re qu'elles
t'arriveront
rapidement.
D?s
que
tu
les
auras
re?ues,
veux-tu
faire
signe
?
l'?v?que
de
Cracovie,
de
cette
fa?on,
il
verra
que
je
n'ai
pas
?t?
n?gligent3.?
?
Les
bienfai
teurs de l'humaniste forment deux groupes : le groupe
anglais
et
le
groupe
belge.
William
Warharn
est
le
chef
du
groupe
anglais.
?rasme
para?t
avoir
connu
tr?s
t?t,
d?s
son
premier
s?jour
en
Angleterre,
cet
homme ?minent
appel?
suc
cessivement
aux
plus
hautes
situations,
master
of
the
rolls,
?v?que
de
Londres,
archev?que
de
Canterbury,
chancelier
d'Angleterre.
Il
lui
a,
en
tous
cas,
?crit
sou
vent
et
sur
un
ton
presque
amical.
L'archev?que
servait
?
l'humaniste
une
rente
annuelle
de
20
livres
sterlings,
contribution
modeste
peut-?tre
mais
qui
?tait
pay?e
avec
une
r?gularit?
extr?me,
puisque
nous
ne
trouvons
pas
une
seule r?clamation
dans
toute
la
correspondance
d'?rasme,
esprit
pourtant
grincheux.
Le
seul
reproche
que
l'on
pouvait
faire
?
l'archev?que
?tait
de
payer
?
terme
?chu.
Pour
prouver
la
r?gularit?
de
la
pension,
1
Allen,
I, p.
495, ep.
248,
?
Andr?
Ammonius.
2
Allen,
I,
p.
563,
ep.
295.
8
Allen,
VII,
p.
337,
ep.
1958,
de
Justus
Decius.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
25/407
MOYENS
d'EXISTENCE d'?RASME 27
rappelons
encore
cette
r?flexion
d'?rasme
?
William
Blount,
lord
Mountjoy,
en
1530,
alors
que
l'archev?que
avait
plus
de 80
ans
et
qu'on
annon?ait
sa
fin
prochaine
:
?
Les
nouvelles
de
l'archev?que
sont
mauvaises,
s'il
lui
arrive
malheur,
je
pense
que
les
pensions
seront
bien
finies
pour
moi
x.
?
Mais la rente arrivait souvent rogn?e ? cause des diff?
rences
de
change
et
des
commissions
que
pr?levaient
les
interm?diaires
entre
les
mains
desquels
elle
passait
2.
?
Je
n'en touche
plus
que
le
quart
?
?crit
?rasme
en
1530
8
'y
videmment,
il
exag?re,
mais
sa
boutade
doit
contenir
une
grande
part
de v?rit?
et,
tous
comptes
faits,
la
pension
de
Canterbury
lui
?tait
une
aide
m?diocre,
ainsi
d'ailleurs
que
l'autre
pension
anglaise,
une
rente
de 10 livres dont il ne parle presque jamais 4.
Le
groupe
belge
est
constitu?
par
Charles-Quint.
La
pension
que
l'empereur
sert ?
l'humaniste
correspond
?
une
place
de
conseiller
?
la
cour,
qu'il
d?tenait
depuis
1515
5
et ?
laquelle
?tait
attach?
un
revenu
de
200
flo
rins
ou
300
livres.
Cette
contribution
plus importante
?tait
incapable
toutefois
de
le
faire
vivre
m?me
petite
ment.
Elle
?tait
d'ailleurs
pay?e
on
ne
peut plus
irr?
guli?rement.
La
charge
cr??e
et
donn?e
par
Charles-Quint
n'avait
pas
?t?
ratifi?e
par
les
organismes
officiels,
d'o?
des diffi
cult?s
pour
en
obtenir
le
r?glement.
Cette
pension
qui
n'?tait
inscrite
sur
aucun
budget r?gulier,
?rasme
n'en
1
Allen,
VU,
p.
396,
ep.
2295.
?
Allen,
VI,
p.
110,
ep.
1583,
juillet
1525,
? Erasmus
Schets.
8
Allen,
VIII,
p.
458,
ep.
2332,
?
Christophe
de Stadion.
4
Simple allusion dans la lettre 2332
:
E duabus Angliae pen
sionibus
debentur
quotannis
plus
minus
ducenti
floreni,
sed
ea
pecunia
per
negociatores
ad
me
pervenit
accisa.
6
Allen, II,
p.
161,
note
18.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
26/407
28
JEAN HOYOUX
obtenait
le
paiement
qu'?
force
de
r?clamations
et
de
pri?res.
Pas
moyen
d'envoyer
de
protestations
par
la
fili?re
administrative
;
il
fallait
supplier
l'empereur
qui
parfois payait
sur sa
cassette
personnelle1,
mais
en
g?n?
ral,
accordait
peu
d'attention
?
?rasme.
Les 300 livres
furent
pay?es
une
seule
fois
en
entier
? ?rasme, et alors, comble de malchance, Barbirius lui
en
d?tourna le
tiers
2.
Pour
les
autres
ann?es,
il
re?ut
des
avances
plus
ou
moins
consid?rables
au
prix
de
plaintes
nombreuses
dont
est
remplie
la
correspondance.
25
f?
vrier
1525
:
?
On
me
doit
plus
de
3
ans.
Il
m'avait
pro
mis
un
paiement
extraordinaire,
j'ai
re?u
de
bonnes
pa
roles,
mais
rien
de
plus
3.
?
30 octobre
1525
:
?
La
pen
sion
de
l'Empereur, je
n'ai
aucun
espoir
de la
toucher
si je ne rentre pas. Ici la vie est ch?re, les rentr?es ? peu
pr?s
nulles.
Tu
(Pierre
Barbirius)
passes
ton
temps
?
me
promettre
des
tas
d'or...
un
peu
de
terre
ferait
mieux
mon
affaire4.
?
24
d?cembre
1525
:
?
Je
t'envoie
(?
Eras
mus
Schets)
Charles
Hartus,
mon
tr?s
fid?le
ami
et
famulus
qui
va
en
Angleterre
y
recueillir
le
peu
d'argent
(pecuniolas)
de
mes
pensions.
Car
l'Empereur
ne
me
donne
rien
;
en
revanche,
on
m'arrose
d'eau
b?nite
de
cour
5
;
?
29 avril 1526
:
?
Aucun espoir de pension 6.
?
1er
septembre
1527
:
?
Aucune
chance
de
toucher
la
pen
1
Allen,
VI,
p.
35,
ep.
1553,
24
f?v.
1525,
?
Maximilien
Transsyl
vain
;
Allen, VI,
p.
36,
ep.
1554,
24
f?v.
1525,
? Jean
Alemannus
;
Allen,
VIII,
p.
225,
ep.
2192,
7
juillet
1529,
?
Antoine
Fugger.
2
Allen, III,
p.
52,
ep.
628,
23
ao?t
1517,
? Beatus
Rhenanus.
Remarquons qu'?
cette
?poque,
Erasme
para?t
heureux d'avoir
touch?
son
argent,
ce
n'est
que
plus
tard
qu'il
accusera
Barbirius
de
l'avoir
vol?
:
Allen, VI,
p.
440,
ep.
1769,
d?cembre
1526,
?
Erasmus
Schets.
3
Allen, VI, p. 36, ep. 1554,
?
Jean
Alemannus.
4
Allen, VI,
p.
183,
ep.
1621.
5
Allen,
VI,
p.
241,
ep.
1654.
6
Allen,
VI,
p.
327,
ep.
1700,
?
M. Gattinara.
-
8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944
27/407
MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 29
sion
de
l'empereur
si
je
ne
rentre
pas.
Par deux
fois
ila
ordonn?
qu'on
me
fasse
un
paiement
extraordinaire,
mais
on
lui
ob?it
quand
il
commande de faire
rentrer
de
l'ar
gent,
non
quand
il
ordonne d'en laisser sortir *.
?
7
juillet
1529
:
?
La
pension
de
l'Empereur
n'a
plus
?t?
pay?e
depuis
7
ans
;
on
m'a
fait
souvent
de
belles
promesses,
mais on n'a jamais rien envoy?. L'Empereur a ?crit
plus
d'une
fois
d'Espagne
pour
qu'on
me
paie,
mais
Mar
guerite
a
dict?
cette
loi
:
Que
je
rentre
en
Brabant
et
des
montagnes
d'or,
plus
grandes
que
celles
qu'on
a
jamais
vues
en
Perse
m'attendent,
mais
pas
de
pen
sion
2.
?
?rasme
n'est
presque pas
aid?
par
les
pensions
qu'il
re?oit
;
ce
n'est
donc
pas
l?
qu'il
faut
chercher
le
secret
de
sa
richesse consid?rable.
Mais
?rasme
est
un
?crivain
et
les
?crivains vivent
de
leur
plume.
Actuellement,
le
ro
mancier
passe
un
contrat
avec
son
?diteur
qui
lui
aban
donne
un
certain
pourcentage
sur
la
vente
de
ses
livres.
Le
livre
est
un
capital
appartenant
?
l'auteur
et
sur
le
quel
on
lui
paye
une
rente.
Cette
propri?t?,
c'est
le
droit
d'auteur.
Mais
au
xvie
si?cle,
le
droit
d'auteur
n'est
qu'un
mythe.
Caminade,
par
exemple,
vole
les
Colloques,
d'?rasme
3
;
en
1513,
Froben
r?imprime
sans
autorisa
tion
l'?dition
aldine
des
Adages4"
et
parvient,
peu
apr?s,
?
employer,
sans
?tre
inqui?t?
lemoins du
monde,
un
ma
1
Allen,
VII,
p.
157,
ep.
1871.
2
Allen, VIII,
p.
225,
ep.
2192.
3
Bibliotheca
Belgica,
t.
VIII,
2e
s?rie,
nov.
1518.
4
Allen, I,
p.
521,
introduction
? la
lettre
269.
-
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30
JEAN
HOYOUX
nuscrit
amplifi?
et
corrig?
de
la
m?me
uvre,
subtilis?
par
lui d'une
fa?on
malhonn?te.
?
Il
a
imprim?
?
B?le
quel
ques-uns
de
mes
Adages
?
?crit
?rasme
?
Ammonius,
?
la
copie
de l'?dition aldine
est si
bien faite
qu'il
faut
vrai
ment
de
bons
yeux
pour
faire la
diff?rence
1.
?
A
son
tour,
Froben
est
bient?t victime
de
cette
ind?li
catesse
courante.
?rasme,
saisi
de
cette
nouvelle
affaire
et
oblig?
de
s'y
int?resser,
puisqu'il
s'agit
encore
une
fois
d'un de
ses
livres,
ne
peut,
pour
d?fendre
Froben,
que
composer
une
pr?face
qui
indiquera
au
lecteur la
bonne
foi
de
l'imprimeur
b?lois.
Lettre du
mois de
juillet
1517,
adress?e
?
Jean Froben
:
?
Badius
a
imit?
ton
uvre...
Pour
lutter
contre
lui,
ajoute
cette
pr?face
?
tes exem
plaires
:
Jean Froben au lecteur honn?te : ?En imprimant des livres,
j'ai
toujours
eu en vue
l'int?r?t des bonnes
?tudes
et
non
pas
le
mien
propre,
j'ai
toujours
voulu
pour
mes uvres
l'assenti
ment
de l'?lite
et
non
pas
de la foule. Si
tous
les
imprimeurs
agissaient
comme
cela
..
Mais
maintenant,
beaucoup
n'?coutent
que
leur
soif
d'argent
et
se
moquent
des ?tudes.
Sachant combien
peu
nombreux
sont
les
vrais connaisseurs
de
livres,
les
?diteurs
ne
tentent
les
lecteurs
que
par
le
bas
prix
de
leurmarchandise...
2
?
On se rend compte du ton g?n?ral : il s'agit d'argu
ments
d'ordre
sentimental
et
non
pas
de
droit
qu'on
exige.
Comme
on
vole les
ouvrages
et
les
manuscrits
d'?rasme,
?
plus
forte
raison
traduit-on
ses
livres
sans
qu'il
l'ait
autoris?,
bien
mieux,
?
son
insu.
Quand
il
l'apprend
par
1
Allen, 1,
p.
547,
ep.
283,
21
d?cembre
1513.
?
J'imagine
que
Froben s'?tait
appliqu?
?
imiter
les
caract?res de
l'?dition aldine
parce que celle-ci ?tait plus renomm?e, se vendait mieux et non pas
pour
dissimuler
la
fraude.
2
Allen,
III,
p.
13,
ep.
602.
-
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MOYENS
d'EXISTENCE
d'?RASME
31
hasard,
il
ne
songe pas
?
s'en f?cher.
En
1525,
J?r?me
Emser
le
pr?vient
candidement
:
?
Ta
paraphrase
de Jean
a
?t?
tr?s
bien
traduite
par
un
de
mes
amis
dans
notre
langue (l'allemand),
nous
l'avons
imprim?e
cet
hiver1?.
Le
17
mai
1527,
?rasme
?crit
de B?le
?
Jean
Lasky
:
?
Il
para?t
que
Y
Enchiridion
a
?t?
traduit
chez les
Espagnols
en
langue vulgaire,
au
grand
scandale des
moines 2.
?
Le
15
mars
1528,
?
Alfonso
Vives
:
?
Je
ne
savais
pas
que
l'archidiacre Alcorano
avait traduit Enchiridion 3.
?
Le 13 novembre 1527
:
?
Je
ne
sais
pas
si
ceux
qui
tra
duisent
mes
ouvrages
en
espagnol
ont
en
vue mon
in
t?r?t
;
mais
ce
que
je
sais,
c'est
qu'ils
accumulent
contre
moi
bien
de la
haine
4.
?
Les
historiens
qui
ont
?tudi?
les
droits d'auteur
dans le
pass? n'ont gu?re fait
remonter
leurs investigations plus
haut
que
le
xvne
si?cle.
Pour
l'?poque
qui
nous
occupe,
ils
se
bornent
?
citer
les
faits
qu'ils
ont
pu
r?unir et
qui
sont
loin
de
circonscrire
la
question.
Tout
ce
qu'ils
peu
vent
?tablir c'est
que
la
propri?t?
litt?raire,
?
l'?poque
d'?rasme,
n'existait
pas,
et
que
le
privil?ge,
lorsqu'il
apparut,
?tait
fait
pour
prot?ger
les
imprimeurs,
non
les
auteurs.
Voici
ce
que
dit J.
de
Borchgrave
5
:
?
Au
d?but,
sous
le
r?gne
de Louis
XII,
le
privil?ge
?tait
exceptionnel.
Ses
rares
titulaires
?taient
les libraires-?di
teurs,
?
l'exclusion des
auteurs
et
la
reproduction
des
ou
vrages
anciens
en
?tait
l'objet
presque
exclusif.
C'est
ainsi
que
l'on
vit,
en
1507,
accorder
?
Antoine
V?rard
le
privil?ge
1
Allen,
VI,
p.
29,
ep.
1551.
2
Allen,
VII,
p.
66,
ep.
1821.
3
Allen, VII, p. 355, ep.
1968.
*
Allen,
VII,
p.
244, ep.
1904.
5
J. de
BoncuGKA\E,Evolution
historique
du
droit
d'auteur,Bruxelles
1916,
p.
11.
-
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32
JEAN
HOYOUX
d'imprimer
les
Ep?tres
de saint
Paul,
traduites
en
fran?ais
par
un
Docteur
en
Th?ologie
;
et,
plus
tard,
en
1516,
?
Jean
de
Lagarde,
libraire
de
l'Universit?
de
Paris,
le
privil?ge
de
l'impression
des
Coutumes
de
France.
Ailleurs,
on
avait
vu
d?j?
le
S?nat
de
Venise
conc?der des
privil?ges
ayant
un
r?el
caract?re de
protection
industrielle. C'est
ainsi
que,
en
1469,
il
avait
accord? ? Jean
de
Spire
un
privil?ge
de
librairie
pour
avoir
?
par
ses
soins
et
ses
?tudes,
introduit
dans l'illustre Cit? de Venise l'art
d'imprimerie
?
et,
en
1495,
?
Aide
Manuce,
un
privil?ge
pour
l'usage
exclusif des caract?res
italiques
dont
il
?tait
l'inventeur
et
aussi,
pour
le
r?compenser
de
cette
invention,
le
privil?ge
d'imprimer
les
uvres
d'Aris
tote.
Dans
tous
les
cas,
l'?rudition
de
l'imprimeur,
son
m?rite,
et
son
habilet?
professionnelle
constituaient
le
titre
d?termi
nant
l'octroi
du
privil?ge
;
et
le
but de
celui-ci,
tout
en
assurant
?
l'ouvrage
la
reproduction
la
plus
soign?e,
n'?tait
autre
que
d'indemniser
l'imprimeur
de
ses
frais
et
avances
et
de
le
r?com
penser de son initiative ?.
Et
plus
r?cemment,
Nicola
Stolfi
?crit1
:
?
Aux
premiers
temps
de
l'imprimerie,
la
protection
s'orienta
naturellement
vers
l'?diteur.
On
ne
voulait
pas
tant,
en
effet,
publier
de
nouveaux
livres, que
mettre
?
la
port?e
de
tous
l'immense
tr?sor
des
cultures
grecques
et
la
tines
que
les humanistes
du
temps
portaient
si
haut...
Les
privil?ges
et
les
monopoles
n'avaient
?videmment
de
va
leur
que
dans
les
pays
ou
les
provinces qui
les
conf?raient.
Tel
fut, par
exemple,
le
fameux
privil?ge
accord? le 25
f?
vrier
1496
par
la
R?publique
de
Venise
?
Aide
Manuce
pour
l'?dition
des
auteurs
grecs
?.
Lorsque
nous
disons
qu'un
humaniste
vit
de
la vente
de
ses
livres,
gardons-nous
donc
de
prendre
la
formule
au sens
moderne.
Aucun
?diteur
ne
lui
envoyait
le
re
lev?
annuel
des
pourcentages
qui
lui
?taient
d?s. En
re
1
Nicola
Stolfi,
Il
Diritto di
Autore,
tome
I,
p.
Ill,
3e
?dition,
Milan,
1932.
-
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MOYENS
d'EXISTENCE
d'?RASME
33
vanche,
il
connaissait
un
proc?d?
bien
plus
simple,
qu'?rasme
lui-m?me
d?finit
comme
ceci
:
?
Si
vous
ne
parvenez
pas
?
vendre
un
ouvrage,
offrez-le
aux
Grands,
en
voyageant,
vous en
retirerez
beaucoup
de
profit,
plus
m?me
que
si
vous
l'aviez
vraiment
vendu
l.
?
Cela
?tait
possible
parce
que
les
auteurs
recevaient
de
l'imprimeur
un
certain nombre
d'exemplaires
dont
ils
pouvaient
disposer
?
leur
guise.
Cette
stipulation,
qui
figure
encore,
mais
en
ordre
secondaire,
dans les contrats
modernes,
?tait
essentielle
dans
ceux
du
xvie
si?cle
2.
Comme
nous
le
verrons
ci-dessous,
le
nombre
d'exem
plaires
que
recevait
un
?rasme
?tait
beaucoup
plus
?lev?
que
ce
qu'un
auteur
re?oit
de
nos
jours.
Cependant,
m?me
la
vente
de
ces
livres n'e?t
pu
le
faire
vivre
s'il
n'y
avait
joint
la
m?thode
qu'il
r?sume
dans
son
mot ?
Cuthbert
Tunstall,
?
savoir
:
utiliser le livre
comme
ca
deau
qui
sera
largement
r?mun?r?.
Pratiquement,
voici comment
les
auteurs
s'y
pre
1
Allen,
III,
p.
424,
ep.
886,
Louvain,
22
octobre
1518,
?
Cuthbert
Tunstall
:
Opus
quoniam
vendi
non
potest,
donat
magnatibus
obam
bulans,
atque
ita charius
vendi