blanche aubrac
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B L A N C H E A U B R A C
P H O T O G R A P H I E S D E V I N C E N T B E N G O L D
P R É F A C E D ’ A L A I N B O U L D O I R E S
O n ne rencontre pas l’Aubrac par hasard.
Les routes que nous empruntons habituellement ne nous
mènent pas jusqu’ici. Il faut faire un détour.
Ce paysage n’est pas un décor, une composition, une fiction. Il est un sen-
timent soudé par le réel, une chose vue et vécue, un lien indéfectible entre
soi et l’environnement. Il ne peut laisser indifférent celui qui l’accueille en
lui, sollicitant à coup sûr sa rêverie.
L’Aubrac se déploie dans un dépouille-
ment lunaire balayé par les vents, sublimé
par le regard. Au cœur des régions volca-
niques du Massif Central, ce vaste espace
étendu sur trois départements (Aveyron,
Cantal et Lozère) et deux régions (Au-
vergne-Rhône-Alpes et Occitanie) ne se
laisse pas enfermer par nos bizarreries
administratives. Il forme une espèce de
bout-du-monde dénudé et suspendu, une
haute terre à la chevelure rebelle qui ap-
pelle au renoncement. Lorsqu’on s’élève vers le calme lointain de ces mon-
tagnes, au bout du chemin, l’altitude se mue en élévation spirituelle. La
terre, renforcée par le ciel, offre une sensation à la fois d’espace infini et de
retour sur soi, comme si l’ampleur déployée devant soi provoquait irrésisti-
blement l’isolement, le ressourcement.
L’enfant qui est en nous s’élance alors sur cette mer intemporelle, quitte la
pesanteur et la banalité austère des hommes. Il vole l’enfant. Il s’arrache à
la terre pour mieux l’épouser. Il court, déploie son âme à perdre haleine.
Il accepte son vertigineux envol ; il se projette à perte de vue ; il retrouve
l’horizontalité animale. C’est une plongée dans la nature, une nature ban-
cale, irrationnelle, rude, travaillée, cabossée par le temps.
Le plateau de l’Aubrac est une montagne
horizontale, un paradoxe. En s’offrant
à ces horizons, le promeneur quitte le
temps. Ses pas s’effacent. Il n’existe plus
que l’immensité face à lui. On ne se re-
tourne pas dans l’Aubrac, on avance, sans
ancrage. La marche devient alors une his-
toire, celle que l’on écrit en toute liberté,
au gré de ses fantaisies.
Très loin du découpage mesquin en par-
celles que les hommes ont imposé aux
pâturages, l’ample terroir respire en har-
monie. Du regard surgit alors une émotion intense, la gorge se noue et l’on
ressent physiquement ce vaste espace dans lequel tout le corps est projeté.
Car on n’observe pas ces étendues désertes, on s’y immerge comme on
plonge dans un océan. Dès lors se joue une relation intime qui fonctionne
comme une étreinte démesurée.
B L A N C H E A U B R A CP H O T O G R A P H I E S D E V I N C E N T B E N G O L D
P R É F A C E D ’ A L A I N B O U L D O I R E S
Ce paysage n’est pas un décor, une compo-
sition, une fiction. Il est un sentiment soudé
par le réel, une chose vue et vécue, un lien in-
défectible entre soi et l’environnement. Il ne
peut laisser indifférent celui qui l’accueille en
lui, sollicitant à coup sûr sa rêverie.
Dans cette lumière blanche du plateau, il y a comme un parfum de fin du
monde, loin de tout. Comme si l’on avait touché du bout des doigts à l’uni-
versalité intemporelle ; expérience dont l’attraction impérieuse, le charme
irrépressible nous envoûte encore et encore à chaque passage.
Tels des traits d’union entre la terre et le ciel, les blocs de basaltes semblent
en prière, en attente, les pieds plantés au sol, la tête ailleurs, de nulle part,
simplement posés dans l’herbe folle. Ils nous invitent à penser avec notre
corps, à être à l’écoute de ses mouvements, à se souvenir de sa disposition
à vivre l’instant. En suivant du regard ces blocs de lave parsemés, telle une
ponctuation cosmique, on peut être partout à la fois. Alors, une impres-
sion de liberté absolue s’impose à soi, une sorte d’invitation permanente
à l’étonnement.
Quand le soleil paraît sur une crête, il semble que cette lumière donne
corps à une nouvelle ébauche de soi. C’est alors que prend tout son sens
le mouvement de l’être singulier. Oui, ce vaste plateau est un lieu de soli-
tude où se défriche les esprits ouverts sur son tapis blanc ou vert. Ce mor-
ceau de terre, moucheté de millions de fleurs, a donc la vertu de l’épure.
Comment ne pas avouer sa fascination face à un tel prodige ! Le lieu est
accueillant aux promeneurs égarés, aux naufragés de la modernité. Le
brouillard, telle une enveloppe fine, embrasse la lumière qu’elle dissémine
en un éclair. Dans cette atmosphère de gouttelettes, dans ce splendide
paysage, l’Aubrac s’éveille aux êtres bienveillants, elle saisie le regard pour
le conduire au sein de son immensité.
Ce qui est en nous est là, décuplé. La fureur de l’orage traverse ce grand
large telle une sombre vague qui balaye en creux nos branches de colère.
Le vent murmure à nos oreilles tout l’éclat et le charme de la tempête
glissant sur cette terre déployée. Avec l’Aubrac, nous avons rendez vous
avec le sublime ouvert sur la vie et les imaginaires qui l’habitent. Sur les
chemins de terre, pas à pas, le marcheur trouve les racines de ses souve-
nirs, mais à condition qu’il accepte de suspendre son attente, qu’il ad-
mette l’exil, l’errance, le lâcher prise. Et au bout de la route, quoi qu’il en
coûte, il retrouve le plaisir, l’exaltation profonde d’un étrange sentiment
noyé dans une lumière lunaire d’où renaît l’espoir. Un sentiment de joie
déboule alors et vous traverse de part en part. Le regard se trouble, happé
par les songes qui par-devant soi se projettent sur la toile bleutée du ciel.
Il faut savoir se hisser vers ce lendemain illusoire, cette quiétude ultime et
dérisoire.
Le jaune, le noir, le bleue se côtoient au loin, mais aussi le rose, le gris et le
prune qui composent une galerie de couleurs où domine la pâle lumière,
cette lueur qui respire la vie sauvage de la montagne. Les longues ombres
s’y installent parfois, des arbres ou des nuages, mouvants ou statiques sur
la pente ample où glissent les yeux du spectateur médusé. Tout commande
la contemplation, cette halte qui n’est pas un repos, mais un voyage nourri
de l’air vif et généreux de l’altitude, tel un torrent d’eau fraîche, qu’avec
la main, on porte à ses lèvres. Gorgé de ce luxueux breuvage, de l’air, de
l’eau, il faut si peu, l’attention se porte plus haut, plus loin encore, là où la
terre respire ses parfums profonds. Soutenue par le vent, l’odeur du foin
en marche vers les étoiles, effleure nos sens et s’accroche à nos mèches de
cheveux comme un don fait au visiteur qui retourne sur ses pas.
Des vastes étendues ensoleillées, enivrée et comblée de l’éclatante blan-
cheur, toute visitation se mue en félicité inexpugnable que le souvenir ex-
hume à chaque retour. Les plateaux de l’Aubrac, piquetés de burons et
de troupeaux, forment un immense terrain de jeu pour nos rêves buco-
liques. Le lien sentimental avec cette paisible tranquillité marque à jamais,
comme si la nudité de ces terres corrigeait le trop-plein de nos paysages
urbains, comme si cette nudité exposée contrebalançait tous les écrans
de notre quotidien. Offerte et dévêtue, la montagne séduit le cœur de ses
herbeuses caresses.
L’Aubrac a ses humeurs, mais, quelle qu’elles soient, on aime s’y tenir.
C’est certainement un élément de sa séduction. Au clair de sa compagnie,
on ne connaît pas l’ennuie. Le haut plateau parle, se livre sans retenue.
Les photographies de Vincent Bengold témoignent de cette vision sous la
forme d’impressions visuelles. Il nous offre des panoramas qui technique-
ment n’en sont pas, bien que les vastes étendues occupent tout l’espace
de son cadre. Il a choisi les chemins de crête pour un face-à-face direct
et fraternel avec la terre de ce pays-là. Plus que d’une exposition de pho-
tographie, il est question d’une sorte de chemin de la vie, une route de
liberté où le temps, loin d’être figé par l’image, se projette étonnamment
dans l’espace photographique.
Alain Bouldoires
Vincent BengoldVit et travaille à Bordeaux.
Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles après l’école des Beaux Arts de Marseille, Vincent Bengold est entré au Patri-moine Photographique du Ministère de la Culture à Paris. Après avoir travaillé sur des fonds patrimoniaux prestigieux (Société d’histoire du groupe Renault, Jacques Henri Lartigue, Le Corbusier et Pierre Mendes France) il fonde le studio de création Pixels & Grains d’Argent.Directeur artistique associé depuis 19 ans du festival « Itinéraires des Photographes Voyageurs » avec Nathalie Lamire-Fabre à Bordeaux il enseigne la photographie et son histoire ainsi que le design graphique à l’IUT Bordeaux Montaigne et à l’ICART.
Poursuivant une recherche personnelle autour de la mémoire des lieux, à la manière d’un Georges Perec, il s’attache à « laisser, quelque part un sillon, une marque, une trace ou quelques signes… ».Ses photographies réalisées en Italie, Egypte, Andalousie (Le Monde est une étude)…ou plus récemment dans les Landes (Fragile) ou l’Aubrac (Blanche Aubrac), impliquent le spectateur dans de subtils jeux d’ombres et de lumière… jusqu’à suspendre le temps à la force de l’image.
[email protected]+33 662 853 841www.vincent.bengold.fr
Alain Bouldoires
Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communi-cation à l’Université Bordeaux Montaigne, Alain Bouldoires est membre du laboratoire MICA (Médiations, Informations, Communication, Arts). Rédacteur en chef de la Revue des Méthodes Visuelles, il œuvre au dé-veloppement des pratiques de l’image dans les techniques d’enquête en sciences humaines et sociales. Il a dirigé plusieurs programmes de recherche concernant la construction numérique de soi, les médias d’initiative populaire, le phénomène du slam ou le blasphème en Eu-rope. Enseignant à l’IUT Bordeaux Montaigne, il est attaché au décloi-sonnement des disciplines et des spécialités.
Son ancrage familial en Aubrac a certainement nourri l’écriture qui accompagne cette exposition. Cependant, il fallait le regard du pho-tographe pour la révéler. Le dialogue texte-image qui se met alors en place nous fait entrer dans l’épaisseur photographique d’une profon-deur insoupçonnée.
Exposition déjà produite25 pièces en caisses américaines en bois clairFormat 40x50cmTirages pigmentaires sur papier fine art achive, contrecollés sur dibond
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