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CAMILLALÄCKBERG
LePrédicateur
romantraduitdusuédoisparLenaGrumbachetCatherineMarcus
ACTESSUD
CamillaLäckberg,2004
Titreoriginal:Predikanten
Éditeuroriginal:
BokförlagetForum,Stockholm
ActesSud,2009pourlatraductionfrançaise
àMicke
PrologueLajournéecommençadefaçonprometteuse.Ilseréveillatôt,avantlerestedelafamille,s’habilla
aussi discrètement que possible et réussit à filer sans se faire remarquer. Il emporta son casque dechevalieretl’épéedeboisqu’ilbrandittriomphalementpendantqu’ilcouraitsurlescentmètresséparantsamaisonde l’entréede labrècheduRoi. Il s’arrêtaun instantetobserva respectueusement la trouéeescarpée fendant le roc.Deuxmètres environ séparaient les parois et elles s’élevaient sur une bonnedizaine demètres vers le ciel où le soleil avait commencé son ascension. Trois gros blocs de pierreétaient restés coincés à mi-hauteur constituant un spectacle impressionnant. L’endroit avait une forced’attractionmagique sur un enfant de six ans, et le fait que la brèche duRoi soit territoire interdit larendaitd’autantplusattirante.
Lafailleavaitreçusonnomlorsd’unevisited’OscarIIàFjällbackaàlafindesannées1880,mais,decela,ilnesavaitrien,ous’enfichait,lorsqu’ils’introduisitlentementparmilesombres,sonépéedebois prête à l’attaque.En revanche, son papa avait raconté que les scènes du gouffre de l’Enfer dansRonya, fille de brigands avaient été tournées dans la brèche duRoi, et au cinéma il s’était senti toutexcitéenvoyantMattis,lechefdesbandits,lafranchiraugalopsursoncheval.Parfoisilvenaitjoueraubrigand ici,mais aujourd’hui il était chevalier. Chevalier de la Table ronde, comme dans le livre decoloriagequesagrand-mèreluiavaitoffertpoursonanniversaire.
Ilavançapasàpassur les rochersetsepréparaàaffrontercourageusementavecsonépée legrosdragoncracheurdefeu.Lesoleiln’arrivaitpasàpénétrerdanscecouloirétroitetlelieurestaitfroidetsombremêmeenété.Parfaitpour lesdragons.Bientôt il feraitgicler lesangdesagorge,etaprèsunelongueagonieledragons’écrouleraitmortàsespieds.
Ducoindel’œililaperçutquelquechosequiattirasonattention,unboutdetissurougequidépassaitd’unrocher.Sacuriositépritledessus,ledragonpouvaitattendre.Ilyavaitpeut-êtreuntrésorcachélà.Il prit son élan, sauta sur le bloc de pierre et regarda de l’autre côté.Un instant il faillit tomber à larenverse,iltanguaquelquessecondespuisretrouvasonéquilibreenbattantdesbras.Aprèscoup,ilnevoudrait pas reconnaître qu’il s’était affolé,mais sur l’instant il eut la plus grande frousse de ses sixannéesdevie.Unedameétaitembusquéelà,étenduesurledosetellelefixaitdesesyeuxécarquillés.Sonpremierréflexeluidictadefuir,avantqu’ellepuissel’attraperetcomprendrequ’iljouaiticialorsqu’il n’en avait pas le droit. Elle allait peut-être l’obliger à raconter où il habitait, le ramener à lamaison.MamanetpapaseraienthyperfâchésetdemanderaientcombiendefoisilsluiavaientdéjàditdenepasalleràlabrècheduRoisansêtreaccompagnéd’unadulte.
Maiscequiétaitétrange,c’estqueladamenebougeaitpas.Elleneportaitpasdevêtements,etuninstant il futgênéde regarderune femme toutenue.Le truc rougequ’il avaitvun’étaitpasunboutdetissu,c’étaitunsacposé justeàcôtéd’elle,mais ilnevoyaitpasdevêtements,nullepart.Bizarrederestertoutenue,alorsqu’ilfaisaitsifroidici.
Puisunepenséeimpossiblesurgitenlui.Ladameétaitpeut-êtremorte!C’étaitlaseuleexplicationqu’il pouvait trouver à son immobilité absolue. Cette idée le fit sauter en bas du rocher et lentementreculer vers l’ouverture de la faille.Après avoirmis quelquesmètres entre lui et la femmemorte, ilpivotasursestalonsetpritsesjambesàsoncoupourrentrerchezlui.Ilnesesouciaitplusdesavoirs’ilallaitsefairedisputeroupas.
Lasueurcollaitlesdrapscontresoncorps.Ericasetournaitetseretournaitdanssonlit,sansréussirà trouver une position confortable pour dormir. La nuit d’été lumineuse ne facilitait pas non plus lesommeiletpourlamillièmefoisellenotamentalementqu’elledevaitinstallerdesrideauxopaquesauxfenêtres,ouplutôtelleferaitensortequePatriks’enoccupe.
Sa respiration calme à côté d’elle lui donnait des envies demeurtre.Comment pouvait-il avoir letoupetderonflertranquillementalorsqu’ellepassaitsesnuitssansdormir?Aprèstout,c’étaitsonbébéaussi.Nedevrait-ilpas resteréveilléparsolidaritéouquelquechosecommeça?Elle le touchadansl’espoirqu’ilseréveille.Pasunmouvement.Elleletouchaunpeuplusfort.Ilgrogna,tiralacouvertureetluitournaledos.
Avecunsoupir,ellecroisalesbrassursapoitrineetfixaleplafond.Sonventres’arrondissaitcommeunénormeglobeterrestreetelleessayad’imaginerl’enfant,nageantdansleliquideamniotique,làdanslenoir.Peut-êtresuçantsonpouce.Maistoutcelaétaittropirréelpourfairesurgirdesimagesdebébédanssatête.Elleétaitauhuitièmemois,maisn’arrivaittoujourspasàréaliserqu’ilyavaitunenfantdanssonventre.Bon,çan’allaitsansdoutepastarderàdevenirtropréel.Ericaétaitdéchiréeentrelahâteetlacrainte.Elleavaitdumalàvoirau-delàdel’accouchement.Sielleétaitvraimenthonnête,elleavaitdumalàvoirplusloinqueleproblèmedenepluspouvoirdormirsurleventre.Elleregardaleschiffreslumineux du réveil. Quatre quarante-deux. Elle pourrait peut-être allumer la lumière et lire un petitmoment?
Troisheuresetdemieetunmauvaispolarplustard,elleétaitentrainderoulerhorsdulitpourseleverlorsquelasonneriedutéléphoneretentit.Enhabituée,elletenditlecombinéàPatrik.
—Allô.Savoixétaitlourdedesommeil.Oui,biensûr,ohlavache,oui,jepeuxyêtredansunquartd’heure.D’accord,onseretrouvelà-bas.
IlsetournaversErica.—Jedoisyaller.Alerteàbord.—Mais tuesenvacances. Iln’yapersonned’autrepours’enoccuper?Elleentenditcombiensa
voixétaitgeignarde,maisunenuitblanchen’étaitjamaisprofitableàl’humeur.—C’estunhomicide.Mellbergveutquejevienne.Ilyvaaussi.—Unhomicide?Oùça?—IciàFjällbacka.UngosseatrouvéunefemmemortedanslabrècheduRoicematin.Patrik s’habilla enquatrièmevitesse, de légersvêtementsd’été, puisqu’on était aumoisde juillet.
Avantdeseruerdehors,ilgrimpasurlelitetembrassaleventred’Erica,quelquepartàl’endroitoùelleserappelaitvaguementavoireuunnombril.
—ByeBébé.Soisgentilavectamaman,jeseraibientôtderetour.Ilposaunebiserapidesurlajouedesacompagneetpartit.Avecunsoupir,Ericas’extirpadulitet
enfilal’unedestentesquiluifaisaientofficedevêtements.Trèsbêtement,elleavaitluquantitédelivressurlagrossesseet,àsonavis, touslesauteursquiendécrivaientlesjoiesdevraientêtretraînéssurlaplace publique et roués de coups. Insomnies, articulations douloureuses, carences, hémorroïdes,transpirationettoutessortesdedérèglementshormonauxétaientplusprèsdelaréalité.Etcefeuintérieurqui était censé l’illuminer, elle n’en avait certainement pas ressenti la moindre foutue flamme. Engrommelant,elledescenditlentementl’escalierpouravalerlapremièretassedecafédelajournée.
LorsquePatrikarriva, l’activitébattaitsonplein.L’entréedelabrècheduRoiavaitétéferméepar
des rubans jaunes et il compta trois voitures de police et une ambulance. Le personnel techniqued’UddevallaavaitdéjàcommencésontravailetPatrikétaitsuffisammentavisépournepaspénétrersur
lelieuducrimeavecsesgrossabots.Ça,c’étaitl’erreurdesdébutants,cequin’empêchaitpassonchef,le commissaire Mellberg, de se balader parmi les techniciens. Du désespoir plein les yeux, ceux-ciregardaientseschaussuresetsesvêtementsdéposerdesmilliersdefibresetdeparticulessurleurlieudetravailsifragile.LorsquePatriks’arrêtadevantlerubanetfitsigneàMellberg,celui-cilevalecamp,àleurgrandsoulagement,etpassadel’autrecôtédubarrage.
—SalutHedström.LavoixétaitcordialevoirejoyeuseetPatriksursautadesurprise.Unesecondeilcrutmêmequeson
chefallaitleserrerdanssesbras,maiscelanerestaheureusementqu’unepenséeinquiétante.L’hommeparaissait totalement transformé ! Ça ne faisait qu’une semaine que Patrik était en congé, mais leMellbergqu’ilavaitenfacedeluin’étaitvraimentpaslemêmequifaisaitlagueulederrièresonbureauetgrommelaitquelesvacancesétaientunenotionàsupprimer.
MellbergsecouavigoureusementlamaindePatriketluitapadansledos.—Etcommentvatapoulepondeuse?C’estpourbientôt,non?—Pasavantunmoisetdemi,àcequ’ilsdisent.Patrikn’arrivaittoujourspasàcomprendrecequiavaitbienpudéclenchercesmanifestationsdejoie
delapartdeMellberg,maisilremisasacuriositéetessayadeseconcentrersurlaraisondesavenueencelieu.
—Qu’est-cequevousaveztrouvé?Mellbergfituneffortmonstrepourbarrerlecheminausouriresursonvisageetmontralesentrailles
ombragéesdelafaille.—Ungossedesixansestsortitôtcematinquandsesparentsdormaientencore,ilestvenuicijouer
auchevalierparmilesrochers.Etilatrouvéunefemmemorte.Onaétéavertisàsixheuresetquart.—Çafaitcombiendetempsquelestechniciensexaminentleslieux?—Ilssontlàdepuisuneheure.L’ambulanceestarrivéeenpremieretilsonttoutdesuiteconfirmé
qu’il n’était plus question d’intervenir médicalement. Depuis, les techniciens ont pu travailler à leurguise.Assezemmerdants,cesgars-là,jeteledis…Jesuisalléyjeterunpetitcoupd’œil,c’esttout,etilsm’onttraitédetouslesnoms.Maisjesupposequeçarendchiant,forcément,depassersesjournéesàquatrepattesàtraquerdesfibresavecunepinceàépiler.
Patrik reconnut là son supérieur hiérarchique. Ça, c’était davantage le jargon de Mellberg.D’expérience,ilsavaitcependantqueçaneservaitàriend’essayerdecorrigersesopinions.C’étaitplussimpledelaissertoutcelaentrerparuneoreilleetsortirparl’autre.
—Qu’est-cequ’onsaitdelavictime?—Rienpourl’instant.Environvingt-cinqans.Sonseulvêtement,sionpeutappelerçaunvêtement,
estunsacàmain,sinonelleestentièrementàpoil.Jolisnichons,d’ailleurs.Patrikfermalesyeuxetrépétasilencieusement,commeunmantraintérieur:«Ilpartirabientôtàla
retraite.Ilpartirabientôtàlaretraite…»Imperturbable,Mellbergpoursuivit:—Onn’apaspudéterminerdequoielleestmorte,maiselleestassezmalenpoint.Deshématomes
sur tout le corps et des coupures, de couteau probablement. Et puis, oui, elle est allongée sur unecouverturegrise.Lemédecin légisteesten trainde l’examiner,commeça j’espèrequenousauronsunavispréliminaireassezrapidement.
—Aucunedisparitiondefemmen’aétésignaléecesdernierstemps?Unefemmed’àpeuprèssonâge?
—Non, personne dans le coin. Seulement un vieux l’autre semaine,mais au bout du compte il enavaitseulementeumarred’êtrecoincédansunecaravaneavecsabourgeoiseet ils’était tiréavecune
jeunettequ’ilavaitrencontréeàLaGalère.Patrikvitquel’équipesepréparaitàtransférerlecorpsdansunsac.Lesmainsetlespiedsavaient
été entourés des sachets réglementaires, pour conserver toutes traces éventuelles. Les techniciensd’Uddevallaétaientdeshabituéset ils travaillaientavecdesgestesefficacespour introduire la femmedanslesac.Lacouvertureaussiseraitplacéedansunsacenplastiquepourunexamenultérieur.
Àleurexpressiondestupeuretàlafaçondontilssefigèrentaumilieudeleursmouvements,Patrikcompritquequelquechosed’inattenduvenaitdeseproduire.
—Qu’est-cequisepasse?—Vousn’allezpaslecroire,maisilyadesossementsici.Etdeuxcrânes.Àenjugerparlaquantité
d’os,jediraiseffectivementqu’onaaffaireàdeuxsquelettes.
1
ÉTÉ1979EllezigzaguaitconsidérablementsursonvéloenrentrantchezellecettenuitdelaSaint-Jean.La
fête avait été un peu plus intense que prévu, mais peu importe. Elle était adulte maintenant, ellepouvait fairecequ’ellevoulait.Lepluschouetteavaitétéd’êtredébarrasséede lapetite.Lamômeavecsescris,sasoifdetendresseetsademandecontinuelledequelquechosequ’elleétaitincapabledeluidonner.C’étaitbiensafautesielleétaitobligéed’habiterencorechezsamèreetsilavieillelalaissaitàpeinemettrelenezdehors,bienqu’elleaitvingtans.C’étaitunmiraclequ’elleaitpusortirpourlebaldecesoir.
Siellen’avaitpaseulebébéelleauraitpuhabiterseulemaintenantetgagnersavie,sortirquandelleauraitenvieetrentreràl’heurequ’ellevoudrait,sansêtrefliquéeenpermanence.Maisaveclamôme ce n’était pas possible. Elle aurait préféré la confier à quelqu’un, la faire adopter, mais lavieillen’étaitpasd’accordavecça,etmaintenantc’étaitàelled’assumer.Sisamèreavaittellementenviedegarderlapetite,ellen’avaitqu’às’enoccuperelle-même,non?
Lavieilleallaitfaireunedecesgueulesenlavoyantarrivercommeça,aupetitmatin.Sonhaleinepuaitl’alcooletdemainelleensubiraitlesconséquences.Maisçalevalait.Ellenes’étaitpasautantamuséedepuislanaissancedecefoutubébé.
Elletraversalecarrefourdelastationd’essenceetcontinuaunboutdecheminavantdetournerversBräcke.Ellefaillittomberdanslefossémaisréussitàredresserlevéloetellepédalaplusfortpour grimper le premier raidillon. Le vent balayait ses cheveux et la nuit d’été était parfaitementtranquille.Uninstantellefermalesyeuxetpensaàl’autrenuitd’étéclaire,quandl’Allemandl’avaitmiseenceinte.Çaavaitétéunenuitmerveilleuseet interdite,maisquinevalaitpas leprixqu’elleétaitobligéedepayer.
Soudain elle rouvrit les yeux. Quelque chose avait brutalement fait obstacle à son vélo et ladernièrechosequ’ellevitétaitlesolquiseprécipitaitverselleàunevitessevertigineuse.
DeretouraucommissariatdeTanumshede,Mellbergplongeadansdeprofondesréflexions,cequine
luiressemblaitguère.Assisenfacedesonchefdanslacuisine,Patriknonplusnedisaitpasgrand-chose.Luiaussiétaitentraindeméditerlesévénementsdelamatinée.Enfait,ilfaisaittropchaudpourboireducafé,mais ilavaitbesoind’unfortifiantetunalcooln’étaitpas trèsapproprié.Tousdeuxs’éventaientavecleurchemisepourserafraîchirunpeu.Laclimétaitenpannedepuisdeuxsemainesetilsn’avaientpasencoreréussiàtrouverquelqu’unpourlaréparer.Danslamatinée,c’étaitgérable,maisversmidilatempératureatteignaitdessommetspénibles.
—Qu’est-cequec’estquecemerdier?Mellbergsegrattapensivementleniddecheveuxenrouléssursatêtedestinéàdissimulersacalvitie.
— Aucune idée, pour tout te dire. Un cadavre de femme posé sur deux squelettes. Si quelqu’unn’avaitpasétéréellementtué,jetrouveraisqueçaressembleàuncanular.Desossementsvolésdansunlaboouuntrucdecegenre,maisilyalecadavredelafemme,etelleabeletbienétéassassinée.J’aientendulecommentaired’undestechniciens,ildisaitquelesossementsn’avaientpasl’aird’êtredelapremièrefraîcheur.Mais,évidemment,toutdépenddeleuremplacement.S’ilsontétéexposésàlapluieet au vent, ou s’ils étaient à l’abri. Il faut espérer que lemédecin légiste pourra estimer de quand ilsdatent.
—Oui,justement,quandest-cequetucroisqu’onaurasonpremierrapport?LefrontluisantdesueurdeMellbergsecouvritdeplispréoccupés.
—Sansdouteaucoursde la journée,ensuite il lui faudraprobablementdeux, trois jourspour toutrevoirendétail.D’icilà,onferaaveccequ’ona.Ilssontoù,lesautres?
Mellbergsoupira.—Göstaestencongéaujourd’hui.Encoreunedesesfoutuescompétitionsdegolf,jecrois.Ernstet
Martinsontpartisfaireunconstat.AnnikaestàTénériffe.Elles’estimaginéqu’ilallaitpleuvoircommed’habitudecetété.Pauvrepetite.C’estmochedenepaspassersesvacancesenSuèdequandilyfaituntempspareil.
Patrik jeta de nouveau un coup d’œil surpris àMellberg et s’interrogea sur cet inhabituel élan desympathie.Ilyavaitanguillesousroche,c’étaitévident.Maiscen’étaitpaslemomentderéfléchiràça.Ilsavaientdeschosesplusimportantesàrégler.
—Jesaisquetuesenvacancesjusqu’àlafindelasemaine,maistunepourraispasenvisagerderevenir nous filer un coup de main ? Ernst est totalement dépourvu d’imagination, etMartin n’a pasl’expériencequ’ilfautpourmeneruneenquête.Onauraitvraimentbesoindetonaide.
Lademandeétait tellement flatteusepoursavanitéquePatriks’entenditaccepterséance tenante. Ilsavaittrèsbienqu’ilallaitprendreunsavonenrentrantàlamaison,maisiljustifiasonchoixensedisantqu’il ne lui fallait qu’un quart d’heure pour rentrer si Erica avait besoin de lui. Par ailleurs, avec lacanicule,ilscommençaientàseportersurlesnerfs,touslesdeux,etceseraitpeut-êtreunbienfaits’iln’étaitplusàlamaison.
—Avanttoutechose,j’aimeraisvérifiersionasignaléladisparitiond’unefemme.Ilfaudralancerunerechercheassezlarge,disonsparexempledeStrömstadjusqu’àGöteborg.JedemanderaiàMartinouàErnstdes’enoccuper.Ilm’asemblélesentendrearriver.
—Ça,c’estbien,c’estformidable!Trèsbienraisonné,continuecommeça!
Mellberg avait fini son café, il se leva et tapota joyeusement l’épaule de Patrik.Celui-ci compritqu’ilferaittoutleboulotcommed’habitudetandisqueMellbergrécolteraitleslauriers,maisc’étaitunfait,etçanevalaitpluslapeinedeseprendrelatêtepourça.
Ensoupirant,ilmitsatasseetcelledeMellbergdanslelave-vaisselle.Toutindiquaitqu’iln’auraitpasàsesoucierd’indicesdecrèmesolaireaujourd’hui.
—Allezdebout,vouscroyezquec’estunefoutuepensiondefamilleici,oùonpeutresteraulit la
moitiédelajournée?Lavoixtraversad’épaissescouchesdebrouillardetrésonnadouloureusementcontresonosfrontal.
Johan ouvrit prudemment unœil,mais le referma aussitôt quand il rencontra la lumière aveuglante dusoleild’été.
—Putaindemerde…Robert,sonaînéd’unan,seretournadanssonlit.Iltiral’oreillersursatête,maiscelui-ciluifutbrutalementarrachéetilseredressaenmaugréant.
—Jamaisonpeutfairelagrassemat’danscettemaison.—Vous faites la grassematinée tous les jours, tous les deux, espèces de fainéants. Il est presque
midi.SivousarrêtiezdetraînerdehorstoutelanuitàfabriquerDieusaitquoi,vousnepasseriezpasvosjournées à dormir. J’ai besoinqu’onm’aideunpeupar ici.Voushabitezgratis et vousmangezgratis,alorsquevousêtesdeshommesadultes,lamoindredeschosesseraitdedonneruncoupdemainàvotrepauvremère.
SolveigHultsetenaitlesbrascroiséssursonbusteénorme.Elleétaitobèse,aveclapâleurdecellequinemetjamaisunpieddehors.Sescheveuxétaientsalesetpendaientenmèchessombresetgrassesdepartetd’autredesonvisage.
—Presquetrenteansquevousavezetc’estencorevotremèrequivousfaitvivre!Etçaseditdeshéros,ça!Commentvousavezlesmoyensd’allerfairelafêtetouslessoirs,j’aimeraisbienlesavoir?Vousnebossezpas,etjenevoisjamaislamoindrecontributionàlacaissecommune.Jevousledis,sivotrepèreavait été là, il auraitmis leholà !Est-cequevousavezeudesnouvellesde l’agencepourl’emploi?Çafaitdeuxsemainesmaintenantquevousdeviezyaller!
Ce fut au tour de Johan de poser l’oreiller sur son visage. Il essaya de faire barrage à l’éternelrabâchage,onauraitditundisque rayé,mais l’oreiller lui futarrachéaussitôtet il sevitobligéde seredresserdanslelit,lagueuledeboiscognantcommeunefanfaremilitairedanssoncrâne.
— J’ai débarrassé le petit-déjeuner depuis un bonmoment. Vous vous débrouillerez pour trouverquelquechosedanslefrigo.
L’énorme postérieur de Solveig dodelina quand elle sortit de la petite chambre que les frèrespartageaientetelleclaqualaportederrièreelle.Ilsn’osèrentpastenterlecoupdeserecoucher,sortirentunpaquetdecigarettesets’allumèrentuneclopechacun.Aucunproblèmepoursauterlepetit-déjeuner,maislacloperéveillaitlesespritsetchauffaitagréablementlagorge.
—Hé,pourun casse, c’était un sacré casse, hier…Robert rit et souffla des rondsde fuméedansl’air.Je te l’avaisdit,qu’ilsavaientdes trucsmaousseschezeux.Patrond’uneboîteàStockholm,pasétonnantqu’ilspuissentsepayerunluxepareil.
Johanneréponditpas.Contrairementàsongrandfrère,lescambriolagesneluidonnaientjamaisdemontées d’adrénaline. Que ce soit avant les raids ou après, il ressentait plutôt une grosse bouled’angoissefroidedansleventre.MaisilavaittoujoursobéiàRobertetilneluivenaitjamaisàl’espritqu’ilpourraitfaireautrement.
Ça faisait un bail qu’un cambriolage n’avait pas rapporté autant que celui de la veille. Les gens
avaientcommencéàseméfieretànepasgarderd’objetsdevaleurdansleursmaisonsdecampagne.Ilssemeublaientavecdesvieilleriesdontilsnesavaientpascommentsedébarrasser,oudestrouvaillesdeventesauxenchèresqui leurdonnaient l’impressiond’avoir réaliséune superaffairealorsqu’ellesnevalaientpasunclou.Mais,hier, les frèresavaientmis lamainsurune téléneuve,un lecteurDVD, uneconsoleNintendoetlacollectiondebijouxdelamaîtressedemaison.Robertallaittoutvendreparsescanauxhabituelsetçaleurprocureraitunebellesomme.Quinedureraitpastrèslongtemps.L’argentvolébrûlaitlespochesetauboutdequelquessemainesiln’enresteraitplus.Dépenséaujeu,danslesrestosoù ils banqueraient pour tout le monde et dans deux, trois petits trucs qu’ils allaient s’offrir. Johanregarda samontre hors de prix.Heureusement, sa vieille ne savait pas reconnaître un objet de valeurquandelleenvoyaitun.Sielleavaitsucombienellecoûtait,cettemontre,elleauraitrâléunmax.
Parfois, il avait l’impressionde tourner commeun écureuil dansune roue, pendant que les annéespassaient. Rien n’avait vraiment changé depuis qu’ils étaient adolescents et l’avenir lui apparaissaittoujoursaussibouché.Laseulechosequidonnaitunsensàsavieétait lesecret, l’uniquesecret,qu’ilavaitdissimuléàRobert.Uninstinctprofondémentenfouiluidisaitqueriendebonn’ensortiraits’ilseconfiaitàsonfrère.Robertenferaitquelquechosedesaleavecsescommentairesvulgaires.
Pendantunesecondeils’autorisaàpenseràelle,àladouceurdesescheveux,etàlapetitessedesamainquandillaprenaitdanslasienne.
—Ehtoi,arrêtederêver.Onadutafquiattend.Robertseleva,lacigarettependueaucoindelaboucheetsortitlepremierdelachambre.Comme
toujours,Johanlesuivit.Ilnepouvaitpasfaireautrement.Danslacuisine,Solveigoccupaitsaplacehabituelle.DepuisqueJohanétaitpetit,depuiscequiétait
arrivéàsonvieux,ill’avaitvueassisesursachaisedevantlafenêtre,lesdoigtstripotantnerveusementcequ’ilyavaitdevantellesurlatable.Danssespremierssouvenirs,elleavaitétébelle,maisaufildesansl’obésités’étaitinstalléeencouchesdeplusenplusépaissessursoncorpsetsestraits.
Elle avait l’air d’être en transe ; ses doigts vivaient leur propre vie, continuellement triturant etcaressant.Çafaisaitplusdevingtansqu’elles’occupaitdecessaloperiesd’albums,qu’ellelestriaitetretriait.Elleenachetaitd’autresetcollaitànouveaulesphotoset lescoupuresdepresse.Mieux,plussoigneusement.Iln’étaitpasbêteaupointdenepascomprendrequec’étaitsafaçonàellederetenirdestempsplusheureux,maisilfaudraitbienqu’elleréaliseunjourquecetteépoque-làétaitterminée.
LesphotosdataientdesannéesoùSolveigétaitbelle.LesommetdesavieavaitétésonmariageavecJohannesHult,leplusjeunefilsd’EphraïmHult,célèbreprédicateurévangéliqueetpropriétaireduplusrichedomainedelarégion.Johannesétaitbeauetfortuné,etelleétaitpauvre,certes,maislaplusbellefilledudépartement, tout lemonde ledisait.Et s’il fallaitd’autrespreuves, il suffiraitdemontrer lesarticlesdesoncouronnementdeMissÉtédeuxannéesdesuite,ellelesavait tousconservés.C’étaienteuxqu’ellebichonnaitettriaitsisoigneusement,chaquejourdepuisplusdevingtans,etlesnombreusesphotos en noir et blanc d’elle-même jeune.Elle savait que cette fille-là existait quelque part sous lesépaisseursdegraisse,etàtraverslesphotosellepouvaitlaretenir,mêmesiàchaqueannéequipassaitelleluiéchappaitencoreunpetitpeuplus.
Aprèsundernierregardpar-dessusl’épaule,Johanquittasamèredanslacuisineetemboîtalepasdesonfrère.CommeledisaitRobert,ilsavaientdutafquilesattendait.
Ericasedemandasiellen’allaitpassortirsepromener,maisréalisaquecen’étaitpeut-êtrepastrès
futédepartiraumoment lepluschaudde la journée,quandlesoleilétaitauzénith.Elles’étaitportéecommeuncharmeduranttoutelagrossesse,jusqu’àcequelacaniculeviennes’installer.Depuis,ellese
sentait comme une baleine en nage, cherchant désespérément un peu de fraîcheur. Patrik, queDieu lebénisse,avaiteulabonneidéedeluiacheterunventilateurqu’elletransportaitavecellepartoutdanslamaison.
Sur la véranda, la prise électrique était idéalement placée pour le ventilateur et elle pouvaits’allonger sur le canapé. Aucune position n’était confortable plus de cinqminutes et elle devait sanscesse se tourner dans tous les sens pour essayer d’en trouver une qui soit acceptable.Dans certainespostures, elle recevait un pied dans les côtes, ou bien quelque chose qui était probablement unemains’entêtaitàlaboxer,etelleétaitobligéedesedéplacerànouveau.Ellesedemandaitcommentelleferaitpoursupporterunmoisdeplusainsi.
Ils n’étaient en couple que depuis sixmois, elle et Patrik, quand elle était tombée enceinte,maisbizarrementcelaneleuravaitpasposélemoindreproblème.Ilsavaientunecertaineexpériencedelavietouslesdeux,ilssavaientcequ’ilsvoulaientettrouvaientqu’iln’yavaitaucuneraisond’attendre.C’étaitseulementmaintenant qu’elle commençait à se poser des questions et c’était un peu tard. Ils n’avaientpeut-êtrepasvécusuffisammentensembleauquotidienavantdeselancer?Commentleurrelationallait-ellerésisterauface-à-faceavecunnouveaupetitêtrequiexigeraittoutel’attentionqu’ilsavaientjusque-làconsacréel’unàl’autre?
Certes, l’amour fou et aveugle des premiers temps était passé et ils étaient maintenant dans unerelation plus réaliste, plus ordinaire, avec une vraie connaissance de leurs bons et mauvais côtésréciproques.Maissijamais,danslesillagedel’enfant,ilnerestaitquelesmauvaiscôtés?Combiendefois n’avait-elle pas entendu les statistiques sur tous ces couples qui faisaient naufrage pendant lapremièreannéedeviedupremierenfant?Mais,bon,çaneservaitàriendesefairedumauvaissangpourçamaintenant.Cequiétaitfaitétaitfaitet,quoiqu’ilensoit,aussibienellequePatrikattendaientl’arrivéedel’enfantavecchaqueparcelledeleurcorps.Ilfallaitjusteespérerquecetélandureraitpourlesaideràtraverserlegrandchamboulement.
Ellesursautaquandletéléphonesonnaetselevalaborieusementducanapépourallerrépondre.— Oui, allô ? Tiens, salut Conny. Oui, bien, merci, un peu trop chaud seulement quand on est
enceinte.Venirnousvoir?Oui,biensûr…venezprendrelecafé.Passerlanuit?Ben…Ericasoupiraintérieurement.Bond’accord.Vousarrivezquand?Cesoir!Oui,non,aucunproblème,biensûr.Jeferaileslitsdelachambred’amis.
Dégoûtée, elle raccrocha. Avoir une maison à Fjällbacka devenait un gros inconvénient en été.Subitement, tous lesmembres de la famille et toutes sortes d’amis surgissaient, alors qu’ils n’avaientdonné aucun signe de vie pendant les dix autresmois de l’année. En novembre, ça ne leur disait pasgrand-chose de venir,mais en juillet ils voyaient l’opportunité de loger gratuitement dans unemaisonavecvuesurlamer.Ericas’étaitcrueépargnéecetété,puisquelamoitiédumoisdejuilletétaitpasséesansquepersonnenesesoitmanifesté.EtvoilàmaintenantquesoncousinConnyappelaitpourdirequ’ilétaitdéjàenrouteavecfemmeetenfants.Rienquepourunenuit,elledevraitpouvoirlesupporter.Ellen’avaitjamaisétéspécialementcopineavecaucundesesdeuxcousins,maiselleétaittropbienélevéepourrefuserdelesrecevoir,mêmesic’étaitcequ’elleauraiteudemieuxàfaire,étantdonnélespique-assiettesquec’était.
Erica était tout de même contente d’avoir cette maison à Fjällbacka où elle et Patrik pouvaientaccueillirleursamis,qu’ilssoientinvitésounon.Aprèsladisparitionsubitedeleursparents,lemaridesasœuravaitessayéd’obtenirlaventeforcéedelamaison.MaisAnnaavaitfiniparenavoirassezdesmauvais traitementsphysiquesetpsychiquesqueLucas luifaisaitsubir.ElleavaitdivorcéetpossédaitmaintenantlamaisonenindivisionavecErica.CommeellehabitaitàStockholmavecsesdeuxenfants,PatriketEricaavaientpus’installeràFjällbackaetencontrepartieilspayaienttouslesfrais.Plustard,
ilsauraientàréglerceproblèmedefaçondéfinitive,maispourl’instantEricaétaitsimplementheureused’avoirencorelamaisonetd’yhabiteràl’année.
Elle jeta un regard sur la pièce et comprit qu’il lui faudrait se remuer si elle voulait recevoir safamillecorrectement.EllesedemandaquelleseraitlaréactiondePatrikdevantcetenvahissement,puiselleredressalatête.S’ilpouvaitlalaisserseuleicipourallerauboulotalorsqu’ilétaitcenséêtreenvacances, elle avait bien le droit d’accueillir du monde si elle voulait. Elle avait déjà oublié que,l’instantd’avant,elleavaittrouvéassezcommodedeneplusl’avoirdanslespattes.
ErnstetMartinétaienteffectivementderetourdeleurintervention,etPatrikcommençaparlesmettre
aucourantdel’affaire.Illesfitvenirdanssonbureauetilsselaissèrenttomberchacunsurunechaise.ErnstétaitécarlatedecolèrequecesoitPatrikquiaitétédésignépourmener l’enquête,maiscelui-cichoisitdel’ignorer.C’étaitàMellbergderéglerça,aupireilsedébrouilleraitsansl’aided’Ernstsisoncollèguerefusaitdecollaborer.
—J’imaginequevousêtesdéjàaucourantdecequis’estpassé.—Oui,onaentendu l’appelquandonétaitenvoiture.Martin,quiétait jeuneetenthousiaste,était
assisdroitcommeunisursachaise,uncarnetdenotessurlesgenouxetunstyloprêtàl’action.—UnefemmeadoncétéretrouvéeassassinéedanslabrècheduRoiàFjällbacka.Elleétaitnueet
paraissait avoir entre vingt et trente ans. Sous son corps, on a aussi trouvé deux squelettes humainsd’origine et d’âge inconnus. J’ai eu une estimation officieuse de la part de Karlström à la brigadetechnique, ilditqu’ilsn’étaientpasdelapremièrefraîcheur.Onrisqued’êtreassezdébordés,avecenplustouteslesbagarresentresoûlardsetlesivressesauvolantquinoustombentdessus.AnnikaetGöstasontenvacancestouslesdeux,etilnenousrestequ’ànousretrousserlesmanchessanseuxenattendant.Enréalité,moiaussi jesuisenvacancescettesemaine,mais j’aiacceptéderevenir travailler,etc’estdoncmoiquimèneraicetteenquête,puisquec’estlesouhaitdeMellberg.Desquestions?
Ils’adressaitsurtoutàErnst,quichoisitcependantdenepasentrerenconflit,àtouslescoupspourpouvoirensuitepleurnicherdanssondos.
—Qu’est-cequetuveuxquejefasse?Martinétaitcommeunchevalécumantd’impatiencedanssonboxetildessinaitdescerclesdansl’airau-dessusdesonbloc-notes.
— Je veux que tu commences par vérifier dans le sis les femmes qui ont été signalées disparuesdepuis, disons,deuxmois. Il vautmieuxgarderunemargepour cequi est du temps jusqu’à ceque lamédicolégalenousfournissedavantaged’infos.Maisjediraisqueledécèsestbienplusrécentqueça,ilremontepeut-êtrejusteàdeux,troisjours.
—Tun’espasaucourant?ditMartin.—Dequoi?—Schengenestenpanne.Ilfautqu’onsepassedesonsystèmed’information,onferacommeaubon
vieuxtemps.— Merde alors. Fallait que ça tombe pile en ce moment. Bon, chez nous, il n’y a pas eu de
disparitions signalées, d’après Mellberg et d’après ce que je savais avant de partir en vacances, jepropose donc que tu appelles tous les districts proches. Tu travailleras en cercles concentriques, encommençantparlemilieu,puistuélargis,tucomprendscequejeveuxdire?
—Maisoui,jusqu’oùveux-tuquej’aille?—Aussiloinqu’illefaut,jusqu’àcequetutrouvesquelqu’unquicorresponde.AppelleUddevalla
toutdesuiteaussi,ilstedonnerontunsignalementpréliminairequiteserviradebasederecherche.—Etmoi,qu’est-cequejefais?L’enthousiasmedanslavoixd’Ernstn’étaitpasdugenrecontagieux.
Patrikregardalesnotesqu’ilavaitprisesaprèssonentretienavecMellberg.—J’aimeraisquetucommencesparparleravecceuxquihabitentàproximitédelabrècheduRoi.
S’ilsontvuouentenduquelquechosecettenuit,outôtcematin.Lesiteestbourrédetouristesdanslajournée,çasignifiequelecorpsoulescorpssionveutpinailleryontforcémentététransportésdurantlanuitouà l’aube. Jepensequ’onpeutétablirqu’ils sontpasséspar lagrandeentrée,personnen’auraitmontétouteslesmarchesdepuislaplaceIngrid-Bergmanavecunetellecharge.Legaminl’atrouvéeverssixheuresdumatin,etmoijemeconcentreraissurunmomententreneufheuresdusoiretsixheuresdumatin.Pourmapart, j’ail’intentiond’allerjeteruncoupd’œilauxarchives.Ilyaquelquechoseaveccesdeuxsquelettesquimetravaille.J’ail’impressionquejedevraissavoircequec’estmais…Çanevousévoquerien?Rienquiremuevossouvenirs…?
Patrikécarta lesbrasetattenditune réponse, les sourcils levés,maisMartinetErnstne firentquesecouerlatête.Ilsoupira.Bon,alorsilneluirestaitqu’àdescendredanslescatacombes…
Ignorant qu’il ne rassemblait pas toutes les sympathies,même s’il aurait pu s’en douter en faisant
marcher ses méninges, Patrik était en train de farfouiller parmi de vieux papiers dans les domainessouterrainsducommissariatdeTanumshede.Lapoussièreavaitrecouvertlaplupartdesdossiers,maisunsemblantd’ordreyrégnaitheureusementencore.Ilnesavaitpasexactementcequ’ilcherchait,pourtantilétaitsûrqueçasetrouvaitlà.
Assisentailleursurlesolenciment,ilparcouraitméthodiquementlescartonsdedossiersl’unaprèsl’autre. Des décennies de destins humains passaient par sesmains et il était peu à peu frappé par lenombre de gens et de familles qui revenaient sans cesse dans les registres de la police.En voyant lemêmenomdefamillesurgirpourlaénièmefois, ilseditquelesactescriminelssemblaientparfoissetransmettredesparentsauxenfantsetmêmeauxpetits-enfants.
Sontéléphoneportablesonna,c’étaitErica.—Salutmachérie,toutvabien?Ilconnaissaitdéjàlaréponse.Oui,jesaisqu’ilfaitchaud.Essaie
deresterprèsduventilo,jenevoispasd’autresolution.Jevoulaistedire,onaunmeurtresurlesbras,là,etMellbergvoudraitquejemènel’enquête.Est-cequeçat’embêteraitbeaucoupsi jeretournaisauboulotpendantquelquesjours?
Patrik retint sa respiration. Il savait qu’il aurait dû l’appeler pour l’avertir qu’il serait peut-êtreobligédebosser,maisàlamanièrefuyantedesmâlesilavaitchoisiderepousserl’inévitableàplustard.D’unautrecôté,Ericaconnaissaitlesobligationsdesonmétier.LapériodeestivaleétaitlapluschargéepourlapolicedeTanumshede,etilsétaientobligésdeprendredetrèscourtscongésàtourderôle.Mêmeces quelques rares journées d’un seul tenant n’étaient pas garanties, tout dépendait du nombre d’étatsd’ébriété,debagarresetd’autreseffetsdérivésdutourismequelepostedevaitgérer.Etleshomicidesseretrouvaientenquelquesortesuruneéchelleàpart.
Elleditquelquechosequ’ilfaillitlouper.—Unevisite, tudis ?Qui ça ?Toncousin ?Patrik soupira.Non,qu’est-ceque tuveuxque je te
dise?Biensûrquej’auraispréféréqu’onseretrouvetouslesdeux,maissimaintenantilssontenroutejen’ypeuxrien.Ilsneresterontqu’unenuit?OK, jepasseraiacheterquelquescrevettesavantderentrer,commeçatun’auraspasàtemettreauxfourneaux.Jeserailàversseptheures.Bisous,ciao.
Ilglissal’appareildanssapocheetcontinuaàfeuilleterlecontenudescartonsdevantlui.Undossiermarqué « Disparus » attira son attention. Une personne ambitieuse avait réuni tous les rapports depersonnesdisparuesqui figuraientdans les enquêtesdepolice.Patrik sentit qu’il venait de trouver cequ’il cherchait. Ses doigts étaient pleins de poussière et il les essuya sur son short avant d’ouvrir le
dossierassezmince.Aprèsavoirfeuilletéetluunmoment,ilsutquesamémoirevenaitd’avoirlecoupdepoucedontelleavaiteubesoin.Ilauraitdûsesouvenirdecetteaffairetoutdesuite,enconsidérantlepetitnombredepersonnesdanscedistrictquiavaientréellementdisparusansqu’onlesretrouve.Uneffetdel’âge,sansdoute.Àprésent,ilavaitentoutcaslesrapportsdevantlesyeuxetilsentaitquetoutçanepouvaitpasêtreunhasard.Deuxfemmesportéesdisparuesen1979etjamaisretrouvées.DeuxsquelettesretrouvésdanslabrècheduRoi.
Ilremontaàlalumièreenemportantledossieravecluietleposasursonbureau.Leschevauxétaienttoutcequilaretenaitlà.D’unemainexpérimentée,elleétrillaénergiquementle
hongrebrun.L’activitéphysique,quiluipermettaitdedonnerlibrecoursàsafrustration,faisaitfonctiondesoupape.C’étaitvraimentchiant,d’avoirdix-septansetdenepasêtremaîtredesaproprevie.Dèsqu’elleseraitmajeure,ellesetireraitdecetroudemerde.Elleaccepteraitlapropositionduphotographequil’avaitabordéedanslarueàGöteborg.QuandelleseraitmannequinàParisetqu’ellegagneraituntasd’argent,elleleurdiraitoùilspourraientallerselafourrer,leurformationàlacon.Lephotographeavaitdit quepour chaqueannéequipassait savaleur comme topmodeldiminuait, et unande savie seraitperdu avant qu’elle puisse partir, seulement parce que son vieux faisait une fixation sur son avenir.Personnen’avaitbesoind’étudespourmarchersurlepodium,etensuite,quandelleauraitdisonsvingt-cinqansetqu’elleseraittropâgée,ellesemarieraitavecunmillionnaireetellen’auraitplusrienàfairede samenace de la déshériter.En un jour, elle pourrait dépenser en shopping l’équivalent de toute lafortunedesonpère.
Et son connard de frère n’arrangeait rien avec toute cette supériorité qu’il trimballait. D’accord,c’étaitmieuxd’habiterchezluietMarita,plutôtqu’àlamaison,maispastantqueça.Ilétait tellementparfait,cecon.Ilnefaisaitjamaisd’erreurs,alorsque,elle,toutétaitautomatiquementsafaute.
—Linda?Toujourspareil,mêmeicidansl’écurieilnelalaissaitpastranquille.—Linda?Lavoixsefitplusexigeante.Ilsavaitqu’elleétaitici,cen’étaitpaslapeined’essayerde
sedébiner.—Oui,merde,arrêtedemeharceler.Qu’est-cequ’ilya?—Tun’espasobligéedemeparlersurceton.Jetrouvequecen’estpastroptedemanderd’êtreun
peupolie.EllenefitquemarmonnerquelquesjuronsenréponsequeJacoblaissapasser.—T’espasmonpère,seulementmonfrère,t’aspenséàça?—J’ensuisbienconscient,oui,maistantquetuhabitessousmontoit,j’aiunecertaineresponsabilité
àtonégard.Parcequ’ilavaitdix-septansdeplusqu’elle,Jacobcroyaittoutsavoir,maisc’étaitfacilederouler
lesmécaniquesquandonétaitàl’abridubesoincommelui.LeurpèreavaitditetreditqueJacobétaitunfils dont on pouvait être fier. Il saurait gérer le domaine familial d’unemain sûre, si bien que Lindasupposait que l’ensemble allait lui revenir en héritage. En attendant, il pouvait se permettre de fairecomme si l’argent n’avait aucune importance pour lui, mais Linda le perçait à jour. Tout le mondeadmiraitJacobparcequ’iltravaillaitavecdesjeunesendifficulté,maistoutlemondesavaitaussiqu’ilfinirait par hériter dumanoir et d’unegrosse fortune, et alorsonverrait bien cequ’il resterait de sonintérêtpourlebénévolat.
Ellericanaenelle-même.SiJacobsavaitqu’ellefaisait lemurlesoir, ilpéteraitunplomb,ets’ilsavaitquiellevoyait,elleseprendraitunsavonmémorable.Onpouvait semontrersolidaireavec les
démunistantqu’ilsnesebousculaientpasdevantvotreporte.Jacobdisjoncteraits’ilapprenaitqu’ellevoyaitJohan,etilyavaitdesraisonstrèsenracinéesàcela.Johanétaitleurcousinetlaguerreentrelesdeuxbranchesde lafamilleduraitdepuisbienavant lanaissancedeLinda,ouimêmeavantqueJacobsoitné.Ellenesavaitpaspourquoi,seulementquec’étaitcommeça,etcelaajoutaitunpeudepimentàlasaucequandellefilaitlesoirleretrouver.Sanscompterqu’ellesesentaitbienaveclui.Ilétaitunpeuréservé,d’accord,maisilavaitdouzeansdeplusqu’elleetpossédaituneassurancequelesmecsdesonâgen’avaientquedans leurs rêves lesplus fous.Lefaitqu’ilssoientcousinsne lapréoccupaitpasdutout. Aujourd’hui, des cousins pouvaient se marier et, même si cela n’entrait pas dans ses projetsd’avenir, ellen’avait riencontre le faitdepeaufiner sonapprentissageavec lui, àconditionqueçasepasseensecret.
—Tuvoulaisquelquechoseout’esjustevenumesurveillercommeça,pourlefun?Jacobpoussaunprofondsoupiretposaunemainsursonépaule.Elleessayadereculer,maissamain
étaitlourde.—Jen’arrivepasàcomprendred’oùtutienstoutecetteagressivité.Lesjeunesavecquijetravaille
auraienttoutdonnépouravoirunemaisonetunejeunessecommelestiennes.Unpeudereconnaissanceetdematuritén’auraientpasétédetrop,tusais.Etoui,jevoulaisquelquechose.Lerepasestprêt,ceseraitbiensitupouvaistechangeretvenirmangeravecnous.
Ilrelâchalapriseautourdesonépauleetsortitdel’étable.Enmaugréant,Lindaabandonnal’étrilleetallasepréparer.C’estvraiqu’elleavaitfaim,malgrétout.
Martinavaitencorelecœurbrisé.Ilnesavaitpascombiendefoiscelaluiétaitdéjàarrivé,maisle
faitd’êtrehabituénerendaitpaslachosemoinsdouloureuse.Commetoujours,ilavaitcruqu’elleétaitfaitepourlui,cellequiposaitsatêtesurl’oreilleràcôtédelui.Biensûr,ilsavaitqu’elleétaitdéjàprise,maisdanssanaïvetéhabituelleilavaitcruêtreplusqu’undivertissementpourelleetilavaitpenséquelesjoursdesoncompagnonlégitimeétaientcomptés.Ilétaitloindesedouterqu’avecsaminecandideetson physique mignon il attirait les femmes mûres comme la confiture attire les mouches. Déjà bieninstalléesdansletrain-trainconjugal,ellesn’avaientaucuneintentiondequitterleursmarispourunflicsympadevingt-cinqans,maisellesn’hésitaientpasunesecondeàs’envoyerenl’airavecluiquandilfallaitsatisfairedésiretbesoind’affirmation.Martinn’avaitriencontreunerelationpurementphysique,il était même particulièrement talentueux dans ce domaine, mais il était aussi un jeune homme trèssentimental.LesbéguinstrouvaienttoutsimplementunbonterreauenMartinMolin.C’estpourquoisespetiteshistoiresseterminaienttoujoursdanslespleursetlesgrincementsdedents,lorsquelesfemmesleremerciaientetrentraientchezellesretrouverleurvie,ennuyeusepeut-être,maisstableetfamilière.
Ilpoussaunprofondsoupir,assislàdevantsonbureau,toutens’efforçantdesefocalisersurlatâchequi l’attendait. Les appels qu’il avait passés jusque-là s’étaient révélés infructueux,mais il restait denombreuxdistrictsdepoliceàcontacter.C’étaitbiensachancequelabasededonnéeseuropéennetombeenpannejustequandilsenavaientleplusbesoin.
Deuxheuresplustard,ilsepenchaenarrièreetlançasonstylocontrelemur,parpurdépit.Aucunedisparuequicorrespondeausignalementdelavictime.Qu’allaient-ilsfairemaintenant?
Cen’étaitvraimentpasjuste.Ilétaitplusâgéquecemorveuxetc’étaitluiquiauraitdûprendrela
directionde l’enquête,mais, bon, les grands talents étaient toujoursméconnusdans ce basmonde.Çafaisait des annéesqu’il s’appliquait à cirer les pompes à ce condeMellberg, et pour récolter quoi ?
ErnstnégocialesviragesdelaroutedeFjällbackabeaucouptropviteet,s’ilnes’étaitpastrouvédansune voiture de police, il aurait certainement vu bon nombre de doigts d’honneur dans le rétroviseur.Qu’ilsessaientdonc,cesputainsdetouristes,etilleurmontreraitdequelboisilsechauffait.
Allerfrapperchezlesvoisins,c’étaitunemissiondedébutant,pascelled’unhommeavecvingt-cinqans d’expérience professionnelle. C’était plutôt à ce gamin deMartin de le faire, et lui, Ernst, auraitpasséunmomentautéléphoneàbavarderaveclescollèguesdesautresdistricts.
Ilbouillonnaitintérieurement,maisc’étaitsonétatd’espritnatureldepuisqu’ilétaitenfant,rienquisortedel’ordinaire.Untempéramentcoléreuxquilerendaitplutôtinapteàunmétierimpliquanttantdecontactssociaux,mais,d’unautrecôté,ilinspiraitdurespectauxvoyous,quisentaientd’instinctqu’ErnstLundgrenn’étaitpasquelqu’unàquicherchernoisesiontenaitàsasanté.
Quand il traversa le bourg, on le suivit du regard et on le montra du doigt, et il comprit que lanouvelles’étaitdéjàpropagéeà travers toutFjällbacka. Ildut traverser laplaceIngrid-Bergmanàuneallured’escargotàcausedetouslesstationnementssauvages,etileutlasatisfactiondevoirsonpassagecauseruncertainnombrededépartsprécipitésde la terrasseducaféLePonton. Ilsavaient raison.Sileursvoituresétaientencorelààsonretour,ilseferaitunplaisirdegâcherlesvacancesdeceuxquisegaraient n’importe comment. Les faire souffler un peu dans le ballon aussi peut-être. Plusieursconducteurs étaient en trainde siroterunebière.Avecunpeudechance, il pourrait sansdoute retirerquelquespermisdeconduire.
Iln’yavaitpasbeaucoupd’emplacementspoursegarerdanslepetitboutderuedevantlabrècheduRoi, mais il fit un créneau serré et commença l’opération porte-à-porte. Comme de bien entendu,personne n’avait rien vu. Des gens qui en général notaient quand le voisin lâchait un pet chez luidevenaientsourdsetaveuglesquandlapolicedemandaitquelquechose.Cependant,Ernstétaitobligédele reconnaître, ils n’avaient peut-être réellement rien entendu. En été, le niveau sonore était tellementélevélanuit,avectouslesgensbourrésquirentraientchezeuxaupetitmatin,queleshabitantsavaientappris à filtrer les bruits pour conserver un bon sommeil nocturne. N’empêche que c’était sacrémentirritant.
Dansladernièremaisonilfitenfinunetouche.Pasunegrosseprise,certes,maispasnégligeablenonplus.Levieuxdanslamaisonlapluséloignéedel’entréedelabrècheduRoiavaitentenduunevoiturearriververstroisheuresdumatinquandilétaitallésesoulager.Ilputmêmepréciserl’heure,troisheuresmoinslequart,maisilnes’étaitpasdonnélapeinederegarderdehors,sibienqu’ilnepouvaitriendirenide lavoitureniduconducteur.Mais ilavaitété instructeurd’auto-écoleet,desvoitures, ilenavaitconduit dans sa vie. Il était totalement certain que ce n’était pas une voiture très récente, elle avaitprobablementquelquesannéesaucompteur.
Super, la seule chose qu’avaient donnée deux heures de porte-à-porte était que l’assassin avaitvraisemblablement amené les cadavres en voiture vers trois heures du matin, et qu’il conduisaitéventuellementunevoituredemodèleancien.Pasvraimentglorieuxcommerésultat.
En repassant sur la place, son humeur s’améliora notablement quand il aperçut de nouveauxstationnements sauvages aux places libérées juste avant. Chouette, il allait les faire souffler dans leballon,cespetitsrigolos,às’enpéterlespoumons!
Une sonnerie persévérante à la porte interrompit Erica alors qu’elle était en train de passer
l’aspirateur.Elletranspiraitabondammentetelleécartaquelquesmèchestrempéesdesonvisageavantd’ouvrirlaporte.Ilsavaientdûconduirecommedesdératéspourêtredéjàlà.
—Salutmagrosse!
Deux bras costauds la serrèrent dans un étau, elle n’était pas la seule à transpirer ! Le nezprofondémentenfouidansl’aisselledeConny,ellecompritqu’elle-mêmedevaitsentirlaroseetlelilascomparéeàlui.
Aprèss’êtredégagéedesonétreinte,elleditbonjouràBritta,lafemmedeConny,ensecontentantdeluiserrerpolimentlamain.Aprèstoutellesnes’étaientrencontréesqu’àquelquesraresoccasions.Brittaavaitunepoignéedemainhumideetmollequivousdonnaitl’impressiondeserrerunpoissonmort.Ericafrissonnaetmaîtrisasonenvied’allers’essuyerlamain.
—Waouh,quelventre!C’estdesjumeauxquetuaslà-dedansouquoi?Erica n’aimait pas du tout voir son corps commenté de cette façon, mais elle avait fini par
comprendre que la grossesse laissait le champ libre à tout un chacun pour avoir une opinion sur samorphologie et tâter son ventre d’une manière beaucoup trop familière. Il était même arrivé que deparfaits inconnus s’approchent et posent sans façon lamain sur son ventre. Elle se prépara à cela eteffectivementConnynetardapasàs’ymettre.
—Oh,mais c’est un petit joueur de foot que tu as là !Avec des coups de pied comme ça, c’estforcémentungarçon.Venezsentirça,lesenfants!
Erican’eutpaslaforcedeprotesteretellefutaussitôtattaquéepardeuxpairesdemainspleinesdeglacequitachèrentsatuniquedegrossesseblanche.Heureusement,LisaetVictor,duhautdeleurssixethuitans,sedésintéressèrentvitedelaquestion.
—Etqueditl’heureuxpère?Ilcomptelesjours,non?Connyn’attenditpaslaréponse,lesdialoguesn’étantpassonfort.—Ehoui, lavache, jeme rappellequandmespropresmorveux sontvenusaumonde.Une sacrée
expérience.Maisdis-luidenesurtoutpasregarderducôtéoùçasepasse.Çavousfaitperdretouteenviepourunbonboutdetempsaprès.
IlgloussaetdonnauncoupdecoudeàBritta.Elleréponditd’unregardacide.Ericaréalisaquelajournéeseraitlongue.PourvuquePatrikrentreàuneheuredécente!
PatrikfrappadoucementàlaportedeMartin.Ilétaitunpeujalouxdel’ordrequiyrégnait.Ledessus
desonbureauétaittellementproprequ’onauraitpul’utilisercommetabled’opération.—Çaavance?Tuastrouvéquelquechose?Lamine découragée deMartin le renseigna bien avant qu’il secoue la tête.Merde alors. Le plus
importantpourl’enquête,làtoutdesuite,étaitdepouvoiridentifierlafemme.Quelquepart,desgenssefaisaientdusoucipourelle.Ilyavaitforcémentquelqu’unquelquepartàquiellemanquait!
—Ettoi?Tuastrouvécequetucherchais?MartinindiquadelatêteledossierquePatriktenaitàlamain.—Jecrois,oui.Patrikavançaunechaiseets’assitàcôtédeMartin.—Regardeça.DeuxfemmesontdisparudeFjällbackaàlafindesannées1970.Jenecomprendspas
commentj’aifaitpournepasm’ensouvenirtoutdesuite,c’étaitàlaunedetouslesjournaux.Entoutcas,j’aitrouvélesdossiersquirestentdel’enquête.
Ledossierqu’ilavaitposésurlebureauétaitvraimentpoussiéreuxetPatrikvitàlamainagitéedeMartinqueçaledémangeaitdel’essuyer.Unregardappuyécalmatoutdesuitesesardeursdepropreté.Patrikouvritledossieretmontralesphotographiesquiservaientd’introduction.
—Ça,c’estSivLantin,elleadisparulejourdelaSaint-Jean1979.Elleavaitdix-neufans.L’autrefilles’appelleMonaThernblad,elleadisparuquinzejoursplustard,elleavaitdix-huitans.Aucunedes
deuxn’ajamaisétéretrouvée,malgréuneénormemobilisationavecbattues,hommes-grenouillesettoutlebataclan.IlsonttrouvélevélodeSivdansunfossé,maisc’esttout.EtdeMona,seulementunebasket.
—Oui,maintenantquetuledis,ilmesembleenavoirentenduparler.Ilyavaitunsuspect,non?Patrikfeuilletalespapiersd’enquêtejaunisetposasondoigtsurunnomtapéàlamachine.—JohannesHult.C’est sonpropre frère, tu te rends compte,GabrielHult, qui a appelé lapolice
pourdirequ’ill’avaitvuavecSivLantin,surlaroutedesafermeàBräcke,lanuitoùelleadisparu.—Onapris le tuyauausérieux?Jeveuxdire,dénoncersonfrèrecommesuspectd’unmeurtre, il
doityavoirpasmaldechosesderrièreunactepareil?—LaguerredanslafamilleHultduraitdepuisdesannéesettoutlemondeétaitaucourant.Àmon
avis,lesdéclarationsdeGabrielontétéaccueilliesavecuncertainscepticisme,maisilfallaitmeneruneenquêtequoiqu’ilensoit.Johannesaétéinterrogédeuxfois.Maisiln’yavaitaucunepreuve,àpartlesaffirmationsdesonfrère,c’étaitparolecontreparole,etonl’arelâché.
—Ilsetrouveoùaujourd’hui?—Jenesuispas sûr,mais jecroisqueJohannesHult s’est suicidépeude tempsaprès.Merde, il
aurait falluavoirAnnika icimaintenant,elleauraitpunousmettreà jour ledossierenmoinsdedeux.C’estplusquemaigre,cequ’onasouslamain,là.
—Tuasl’airassezcertainquelesdeuxsquelettessontbienceuxdeSivetMona?—Certainestungrandmot.Jemebasesurdesvraisemblances.Nousavonsdeuxfemmesdisparues
danslesannées1970etvoilàquesurgissentdeuxsquelettesquisemblentavoirquelquesannéessur ledos.Combiendechancesya-t-il,àtonavis,quecesoitunesimplecoïncidence?Jenesuispascertain,non,onnepourral’êtrequelorsquelemédecinlégisteseseraprononcé.Maisjeferaiensortequ’ilaitaccèsàcesdonnéesauplusvite.
Patrikjetauncoupd’œilàsamontre.—Merde, il fautque j’accélère.J’aipromisderentrer tôtaujourd’hui.Ona lecousind’Ericaqui
vient et je dois passer acheter des crevettes et des trucs pour ce soir. Tu peux envoyer ces infos aumédecinlégiste?EtfaislepointavecErnstdèssonretour,desfoisqu’ilauraittrouvéquelquechosedevalable.
La chaleur le frappa comme s’il heurtait un mur quand il sortit de l’hôtel de police et il prit ladirectionde sa voiture d’unpas rapide, pour gagner au plus vite unmilieu climatisé. Si la chaleur lemettaitàrudeépreuve,ilimaginaitaisémentcommentelledevaitpesersurErica,lapauvrechérie.
Pasdepotd’avoirdesvisiteursjustemaintenant,maisilcomprenaitqu’elleavaitdumalàdirenon.Cecidit,lafamilleFloodrepartiraitlelendemainetçaneferaitqu’unesoiréedeperdue.IlréglalaclimaumaximumetmitlecapsurFjällbacka.
—TuasparléavecLinda?Lainitournanerveusementsesmains.C’étaitungestequ’ilavaitapprisàdétester.—Iln’yapasgrand-choseàdire.Ellen’aqu’àfairecequ’onluidit.Gabrielne levamêmepas lesyeuxetcontinuacalmementsesoccupations.Son toncoupaitcourtà
tout, mais Laini ne se laissait pas réduire au silence si facilement.Malheureusement. Cela faisait denombreuses annéesmaintenant qu’il aurait préféré voir sa femme se taire plutôt queparler.Mais celaauraittenudumiraclecomptetenudesapersonnalité.
Poursapart,GabrielHultétaitcomptablejusqu’auboutdesongles.Iladoraitcomparerlescréditsetlesdébitspourarriveràunéquilibreenfind’exercice,etildétestaitcordialementtoutcequitouchaitauxsentimentsetnerelevaitpasdelalogique.Lanettetéétaitsoncredoet,malgrélachaleurestivale,ilétait
encostumeetchemise,certesentissuléger,maistrèsstricts.Sescheveuxchâtainss’étaientraréfiés,illescoiffaitenarrièreetn’essayaitcertainementpasdedissimulerlapartiedégarnieausommetducrâne.Lacerisesur legâteauétait les lunettesrondesquireposaientenpermanenceauboutdesonnezet luipermettaient de jeter un regard condescendant à son interlocuteur par-dessus la monture. Les bonscomptesfontlesbonsamis,c’étaitladevisequiluiservaitderègledevieetilauraitvraimentaiméquesonentourageaitlamêmephilosophie.Aulieudecela,onauraitditqu’ilsconsacraienttouteleurforceetleur énergie à ébranler son équilibre parfait et à lui rendre la vie difficile. Tout serait tellement plussimples’ilssuivaientsesconseilsaulieud’allerfaireuntasdebêtisesdeleurpropreinitiative.
Leprincipalsouciencemomentdanssavieétaitsafille.Jacobn’avaittoutdemêmepasétéaussidifficile quand il était ado ! Dans l’imaginaire de Gabriel, les filles étaient plus calmes et plusaccommodantesquelesgarçons.Alorsquemaintenantilsseretrouvaientavecunmonstresurlesbrasquidisaitnoirquandilsdisaientblancetquidefaçongénéralefaisaitdesonmieuxpourgâcherlaviedesonpère.Cettelubiestupidededevenirtopmodel,iln’endonnaitpascher.Biensûrqu’elleétaitmignonne,Linda,saufquemalheureusementelleavaitlecerveaudesamèreetellenetiendraitpasuneheuredanslemondeimpitoyabledelamode.
—Nous avons déjà eu cette discussion, Laini, et je n’ai pas changé d’avis depuis. Il est hors dequestionqueLindapartefairedesphotoschezunphotographedouteuxquiveut lavoirnue.Lindaferadesétudespouravoirunmétier,unpointc’esttout.
—Oui,maisdansunanelleauradix-huitansetelleferacequ’elleveut.Mieuxvautquandmêmelasoutenirmaintenant,plutôtquerisquerdelavoirdisparaîtrepourdebonl’annéeprochaine,tunetrouvespas?
—Lindasaitd’oùvientl’argent,etçam’étonneraitfortqu’elledisparaissesansêtreassuréequelasourcecontinueraàcouler.Etsiellepoursuitsesétudes,c’estexactementcequisepassera.J’aipromisde lui donner de l’argent tous lesmois à condition qu’elle ne s’arrête pas après le bac, et c’est unepromessequej’ail’intentiondetenir.Maintenantjeneveuxplusentendreparlerdeça.
Lainicontinuaàsetordrelesmains,maisellesavaitreconnaîtrequandelleavaitperduetellesortitdu cabinet de travail, les épaules basses. Elle referma doucement les portes derrière elle et Gabrielpoussaunsoupirdesoulagement.Cerabâchage luiportaitsur lesnerfs.Depuis toutescesannées,elledevrait le connaître suffisamment pour savoir qu’il n’était pas homme à changer d’avis une fois sadécisionprise.
Il retrouva sa satisfaction et son calme dès qu’il put reprendre ses écritures. Les logiciels decomptabiliténel’avaientjamaistenté,iladoraitavoirungrandcahierouvertdevantlui,avecdeschiffresminutieusementalignésqu’iladditionnaitenbasdechaquepage.Quand ileut terminé, il sepenchaenarrière,ravi.Ça,c’étaitunmondequ’ilcontrôlait.
UninstantPatriksedemandas’ils’était trompéd’endroit.Cecinepouvaitquandmêmepasêtre la
maisoncalmeettranquillequ’ilavaitquittéelematinmême.Leniveausonoreétaitbiensupérieuràcequi est autorisé dans la plupart des lieux de travail, et on aurait dit que quelqu’un y avait lancé unegrenade.Des affaires qui ne lui appartenaient pas gisaient éparpillées partout, et tous les objets de lapiècesemblaientavoirétédéplacés.Àenjugerparl’expressiond’Erica,ilauraitsansdoutedûêtrederetouraumoinsuneheureplustôt.
Interloqué, il compta deux enfants seulement et deux adultes et il se demanda comment ils s’yprenaientpour faireàeuxseulsautantdebruitque touteunehalte-garderie.La téléétaitalluméeet lachaîneDisneyhurlait àpleinvolume,unpetitgarçoncouraitderrièreune fillepluspetiteencoreet la
menaçaitavecunpistoletàeau.Lesparentsdesdeuxgarnementsétaient tranquillement installéssur lavéranda,ungrosbalèzeadressadessignes joyeuxàPatrik,maisnesedonnapas lapeinedese lever,celal’auraitobligéàabandonnerleplatdegâteauxsurlatable.
PatrikallarejoindreEricadanslacuisineetelles’effondradanssesbras.—Emmène-moiloind’ici,jet’enprie.J’aidûcommettreunpéchéeffroyabledansunevieantérieure
pourqu’onm’infligeça.Cesmômes,ilsnesontpashumains,cesontdepetitsdiablesdéguisésetConnyest–Conny.Safemmen’aquasimentpasouvertlaboucheetelleal’airtellementaigriqueçafaittournerlelait.Ausecours,ilfautqu’ilsrepartentvite!
Illaconsolaenluitapotantledos,satuniqueétaittrempée.— Va prendre une douche tranquillement, je vais m’occuper des invités un petit moment. Tu
dégoulinesdesueur.—Merci,tuesunange.Ilresteencoreducafé.Ilsensontàleurtroisièmetasse,maisConnyalaissé
entendrequ’ilprendraitbienuntrucpluscorsé,tupourraisvérifiercequ’onacommealcool.—Jem’enoccupe,machérie,allezouste,avantquejechanged’avis.Ilreçutunbisoudereconnaissance.—Jeveuxuneglace.VictorétaitvenuseglisserjustederrièrePatriketlemenaçaitdesonpistoletàeau.—Jesuisdésolé,onn’enapas.—T’asqu’àallerenacheter.LamineeffrontéedugaminmitPatrikhorsdelui,maisilfitdesonmieuxpouravoirl’airsympaet
ditaussigentimentquepossible:—Non,certainementpas.Ilyadesgâteauxlà-bassurlatable,çadevraitsuffire.—Jeveuxuneglaaaaace!!!Lemômehurlaitettrépignait,ilétaitécarlate.—Iln’yapasdeglace,jeviensdeteledire!LapatiencedePatrikétaitpresqueàbout.—UNEGLACE,UNEGLACE,UNEGLACE,UNEGLACE…Victor n’abandonnait pas si facilement.Mais les yeux de Patrik devaient signaler que les bornes
étaientdépassées,parceque legossese tutet recula lentementhorsde lacuisine.Puis,enpleurant, ilcourutrejoindresesparentsquineprêtaientaucuneattentionautumultedanslacuisine.
—PAPAAA,lemonsieurestméchant!JeveuxuneGLAAACE!Patrikessayadefairelasourdeoreilleetallasaluersesvisiteurs,enleurapportantducafé.Connyse
levaettenditlamainetPatrikeutdroitàlapoignéedemainfroideethumidedeBritta,luiaussi.—Victorestdansunephaseoùiltesteleslimitesdesavolonté.Onneveutpaslebrimerdansson
développementpersonnel,onlelaissetrouverparlui-mêmelalignededémarcationentresessouhaitsetceuxdesonentourage.
BrittaregardatendrementsonfilsetPatriksesouvintvaguementqu’Ericaavaitracontéqu’elleétaitpsychologue.Sic’étaitça,saconceptiondel’éducationd’unenfant,lepetitVictorallaitavoirunbesoincriant de ce corpsdemétier quand il serait grand.Connyne semblait guère avoir remarqué cequi sepassaitetilfittairesonfilsenluifourranttoutbonnementungrosboutdegâteaudanslabouche.Àenjugerparlesrondeursdel’enfant,laméthodedevaitêtreutiliséesouvent.Patrikfutquandmêmeobligédereconnaîtrequ’elleétaitefficaceetséduisantedanstoutesasimplicité.
Ericarevint,douchéeetbienplusdétendue,justequandPatrikavaitfinidepréparerlatable.Ilavaitaussi eu le temps d’aller chercher des pizzas pour les enfants après avoir réalisé avec beaucoup deluciditéquec’étaitlaseulefaçond’éviterunecatastrophetotalepourlerepas.
Toutlemondes’installaetEricafutsurlepointd’ouvrirlabouchepourdire«bonappétit,servez-vous » quandConny plongea ses deuxmains dans le grand bol de crevettes.Une, deux, trois grosses
poignéesatterrirentsursonassiette,iln’enlaissamêmepaslamoitié.—Mmm,j’adore.Là,vousallezvoirquelqu’unquisaitmangerdescrevettes.Connysetapafièrementleventreetattaquasamontagnedepetitscrustacés.Patrik,quiavaitservila
totalitédesdeuxkilosqu’ilavaitachetéshorsdeprix,soupiraetpritunetoutepetitepoignée.Ericafitdemême,lesdentsserrées,puisellepassaleplatàBrittaquiseservitdurested’unemineboudeuse.
Après le dîner raté, Erica et Patrik préparèrent la chambre d’amis et se retirèrent tôt, prétextantqu’Ericaavaitbesoindesereposer.PatrikmontraàConnyoùsetrouvaitlewhisky,puis,soulagé,montaaucalmedupremierétage.
Unefoisqu’ilsfurentinstallésdanslelit,Patrikracontasajournée.Ilyavaitlongtempsqu’ilavaitabandonnétoutetentativedegardersecrètessesoccupationsd’inspecteurdepolice,maisilsavaitaussiqu’Erica ne parlait à personne de ce qu’il lui confiait. Quand il en fut à l’épisode des deux femmesdisparues,illavitdresserl’oreille.
—Jesaisquej’aidéjàludestrucslà-dessus.Etvouspensezquecesontelles?—J’ensuisassezsûr.Sinonlacoïncidenceseraittropgrande.Dèsqu’onauralerapportdumédecin
légiste, on pourra réellement démarrer l’enquête,mais en attendant on est obligés de garder ouvertestouteslespistespossibles.
—Tun’aspasbesoind’aidepourallercreuserdanslesdocumentsdel’époque?Ellesetournaverslui,toutexcitée,etilreconnutl’ardeurdanssesyeux.—Non,non,non.Toi,tutecalmes.N’oubliepasquetuesenarrêtmaladie.—Oui,maismatensionétaitnormaleauderniercontrôle.Etjedeviensfolleàrestercommeçaàne
rienfaireàlamaison.Jen’aimêmepaspumeremettreàécrire.LelivresurAlexandraWijknerretrouvéemortedansunebaignoiregeléeavaitconnuungrandsuccès
commercialetavaitentraînéunautrecontratpourunnouveaulivrebasésurunmeurtreréel.Lebouquinavait demandé un énorme engagement de la part d’Erica, aussi bien sur le plan professionnel quesentimental,etdepuisquelemanuscritavaitétéenvoyéchezl’éditeur,enmai,ellen’avaitpaseulaforcedecommencerunnouveauprojet.Unetensiontropélevéeetunarrêtmaladieétaientvenuscouronnerletout et elle s’était résignée à attendre la naissance du bébé avant d’entreprendre quoi que ce soit denouveau.Maiscen’étaitpasdanssanaturederesteràlamaisonàsetournerlespouces.
—Non,maisécoute-moi,Annikaestenvacances,ellenepeutpaslefaire.Etcegenrederecherchen’estpasaussifacilequ’onpourraitlecroire.Ilfautsavoiroùchercher,etçajelesais.Laisse-moiquandmêmejeteruntoutpetitcoupd’œil…
—Non,c’esthorsdequestion.Avecunpeudechance,Connyetsahordepartentdemainmatin,etaprèstuvastecalmer,tuentends!Etmaintenanttutetais,parcequejevaisdiscuterunpeuavecBébé.Ondoitdresserlesgrandeslignesdesacarrièredefootballeur…
—C’estpeut-êtreunefille.—D’accord,alorsondirasacarrièredegolfeuse.Pourl’instantiln’yapasd’argentàsefairedans
lefootféminin.Ericasoupira,maissemitdocilementsurledospourfaciliterlacommunication.—Ilsserendentcomptederienquandtufaislemur?JohanétaitallongéàcôtédeLindaetluichatouillaitlevisageavecunbrindepaille.—Non,parceque,tucomprends,Jacobmefaitconfiance.Elleplissalefrontetimitaletonsérieux
deson frère.C’estun trucqu’ilachopédans touscesstagescréez-un-bon-contact-avec-les-jeunes.Lepire,c’estquelaplupartdesjeunessemblentmarcheràfondaussi,Jacobestleurdieu.Maisquandona
grandisanspère,onacceptepeut-êtren’importequiensuite.Arrête!D’ungesteirrité,elleéloignalapailledeJohan.—Quoi,jetetaquine,c’esttout!Ellevitqu’ilétaitblessé, sepenchaet l’embrassapourse fairepardonner.Cen’étaitpasson jour
aujourd’hui.Elleavaiteusesrègleslematin,etellenepourraitpasfairel’amouravecJohanpendantunesemaineetpuiselleenavaitpar-dessuslatêtedecohabiteravecsonfrèreparfaitetsafemmetoutaussiparfaite.
—Oh,siseulementl’annéepouvaitpasserplusvite,quejepuissemetirerdecefoututrou!Ilsétaientobligésdechuchoterpournepasêtredécouvertsdansleurcachettedugrenieràfoin,mais
elletapasurlesplanchesavecsonpoingpoursoulignersesmots.—T’espresséedem’abandonnerlàaussi,ouquoi?Elle semordit la langue en voyant lamine vexée de Johan. Si elle arrivait dans le grandmonde,
jamais elle n’aurait d’yeux pour quelqu’un comme lui, mais tant qu’elle devait rester ici il faisaitl’affaire,commedivertissementmaispasplus.Inutilecependantqu’ils’enrendecompte.Elleseroulaenboulecommeunpetitchatondemandeurdecâlinsetseserracontrelui.Ilneréagitpas,ellepritsonbrasetleposaautourdesoncorps.Commemusparleurproprevolonté,lesdoigtsdeJohancommencèrentàsepromenersurelleetellesouritintérieurement.Leshommesétaientsifacilesàmanipuler.
—Etsituvenaisavecmoi?Elleleditsachantpertinemmentqu’ilnepourraitjamaiss’arracheràFjällbacka,ouplusexactement
àsonfrère.Ilévitaderépondreàlaquestion.Ilditseulement:—T’enasparléavectonvieux,finalement?Qu’est-cequ’ilendit?—Qu’est-ceque tuveuxqu’ildise?Jesuissoussonautoritépendantunanencore,maisdèsque
j’auraidix-huitansiln’auraqu’àfermersagueule.Etçalerendfouderage.Parfoisj’ai l’impressionqu’ilvoudraitpouvoirnousinscriredanssesputainsdelivresdecompte.Jacobcrédit,Lindadébit.
—Quoi,crédit,débit?Lindaritdesaquestion.—C’estdestermesdecomptabilité,t’occupepas.—Jemedemandecommentçaauraitétésije…LesyeuxdeJohannevoyaientrienlorsqu’ilfixason
regardquelquepartderrièreelle,enmêmetempsqu’ilmâchouillaitunbrindepaille.—Àproposdequoi?—Simonvieuxn’avait pasperdu tout son fric.T’imagines, c’est nousqui aurionshabité dans le
manoiralors,ettoiettesparentsvousauriezétéobligésdevivredanslamaisondugardeforestier.—J’auraisaimévoirça.Mamanobligéedevivredecharité.Pauvrecommeunratd’église.Lindarejetasatêteenarrièreetritcordialement,etJohandutlafairetairepourqueçanes’entende
pasjusqu’àlamaisondeJacobetMarita,quin’étaitqu’àunjetdepierredelagrange.—Peut-êtrequemonvieuxauraitétéenvieencoreaujourd’hui.Etalorsmavieilleneresteraitpasà
reluquersesfoutusalbumsdephotosàlongueurdejournée.—Maiscen’étaitpasàcausedel’argentqu’il…—T’ensaisrien.Qu’est-cequet’ensais,toi,desesmotivations?Savoixmontad’uncranetdevintcriarde.—Toutlemondelesait.Lindan’aimaitpaslatournurequ’avaitprislaconversationetellen’osapasregarderJohandansles
yeux.Laguerrefamilialeettoutcequiytouchaitavaientétéjusque-là,commeselonunaccordtacite,unsujettabou.
—Tout lemondecroitsavoir,maispersonnenesaitquoiquecesoit.Et tonfrèrequihabitenotreferme,c’estduràavaler!
—Cequiestarrivéestarrivéetcen’estpaslafautedeJacob.C’estgrand-pèrequiluiadonnélaferme,etdeplusilatoujoursétélepremieràdéfendreJohannes.
Çaluifaisaitbizarrededéfendresonfrèrequ’enrèglegénéraleelles’efforçaitdedénigrer,mais,là,c’étaitlavoixdusangquiparlait.
Johansavaitqu’elleavait raisonet lacolère lequitta.Simplement,parfoisça faisait tellementmalquandLindaparlaitdesafamille,parcequeçaluirappelaitcequelui-mêmeavaitperdu.Iln’osaitpasleluidire,maisillatrouvaitsouventassezingrate.Elleetsafamille,ilsavaienttout,alorsquesafamilleàluin’avaitrien.C’étaittropinjuste!
Enmêmetemps,illuipardonnaittout.Jamaisiln’avaitaiméquelqu’unavectantd’ardeur,etrienquelavuedesoncorpsminceàcôtédusienl’embrasait.Parmoments,ilavaitdumalàcroirequ’unenanacommeelleveuillegaspillersontempsaveclui.Maisilétaitsuffisammentmalinpournepasperdredel’énergieàdouterdesabonnefortune.Non,ilessayaitd’ignorerlefuturetdejouirduprésent.Illatiraplusprèsdeluietfermalesyeuxenaspirantl’odeurdesescheveux.Ildéfit lepremierboutondesonjean,maisellel’arrêta.
—Jenepeuxpas,j’aimesrègles.Laisse-moifaire.Elleouvrit lepantalondeJohanet ils’allongeasur ledos.Derrièresespaupièresfermées, leciel
passadansunscintillement.Onavaitdécouvertlecorpsdelajeunefemmeseulementlaveille,maisl’impatiencetourmentaitdéjà
Patrik.Quelquepart,ilyavaitquelqu’unquisedemandaitoùelleétait.Quiseposaitdesquestions,sefaisait du souci, laissait errer ses pensées sur des chemins de plus en plus angoissés. Et ce qui étaitaffreux,c’estque,danslecasprésent,lespirescraintesavaientétéconfirmées.Plusquetout,ilvoulaitsavoirquiétaitcettefemme,pourpouvoiravertirceuxquil’aimaient.Rienn’étaitpirequel’incertitude,même pas la mort. Le travail de deuil ne pouvait pas commencer avant de savoir ce qu’on pleurait.Mentalement Patrik avait déjà endossé lamission de leur apprendre la nouvelle. Ça n’allait pas êtrefacile mais il savait que c’était une part importante de son travail, de soulager et de soutenir.Mais,surtout,detrouvercequiétaitarrivéàcellequ’ilsaimaient.
Lesappels téléphoniquesqueMartinavaitpassés laveilleavaientparadoxalement rendu le travaild’identificationbeaucoupplusdifficile.Ellen’étaitsignaléedisparuenullepartdanslesecteurprocheet,ducoup,ledomainederecherchesetrouvaitélargiàlaSuèdeentière,peut-êtremêmeàl’étranger.Uninstant,latâcheluiparutimpossible,maisilécartavitecettepensée.Encemoment,ilsétaientlesseulsdéfenseursdelafemmeinconnue.
Martinfrappadiscrètementàlaporte.—Tuveuxquejepoursuivecomment?Quej’élargisselecerclederecherche,ouquejecommence
aveclesdistrictsdesgrandesvilles,ou…?Illevalessourcilsetlesépaulesenungested’interrogation.Patrikressentittoutàcouplepoidsdelaresponsabilitédel’enquête.Danslefond,riennemotivait
unedirectionplutôtqu’uneautre,maisilfallaitbienqu’ilscommencentquelquepart.— Vérifie les districts des grandes villes. Göteborg, c’est déjà fait, alors passe à Stockholm et
Malmö.Onnedevraitpastarderàavoirlepremierrapportdelamédicolégaleetavecunpeudechanceilsnousenverrontuntrucsubstantiel.
—D’accord.Martinquittalapièceetsedirigeaverssonbureau.Lasonneriedelaréceptionlefitpivotersurses
talonsetilallaouvrirlaporteauvisiteur.Normalement,c’étaitlamissiond’Annika,maisensonabsenceilss’enchargeaienttous.
Lafilleavaitl’airinquiète.Elleétaitfrêle,avecdeuxlonguestressesblondesetunénormesacàdos.—Iwanttospeaktosomeoneincharge.Elle parlait anglais avec un fort accent et il aurait parié qu’il était allemand.Martin lui fit signe
d’entrer.Illançaendirectionducouloir:—Patrik,tuasdelavisite.Trop tard, il se dit qu’il aurait peut-être dû d’abord s’enquérir de ce qu’elle voulait,mais Patrik
pointaitdéjàlatêteparsaporteetlafilleétaitenrouteverslui.—Areyouthemanincharge?Uninstant,PatrikfuttentédelarenvoyerauprèsdeMellberg,quid’unpointdevuetechniqueétaitle
chefsuprême,maisilchangead’avisenvoyantsonexpressiondésespéréeetdécidadeluiépargnercetteexpérience-là.EnvoyerunejoliefillechezMellbergétaitcommeenvoyerunmoutonàl’abattoiretsesinstinctsnaturelsdeprotecteurprirentledessus.
—Oui,qu’est-cequejepeuxfairepourvous?répondit-ilenanglais.Il la fit entrer et lui indiqua la chaise devant son bureau. Avec une facilité surprenante, elle ôta
l’énormesacàdosetleposaavecprécautioncontrelemuràcôtédelaporte.—MyEnglishisverybad.YouspeakGerman?Patrik passa mentalement en revue ses vieilles connaissances d’allemand du lycée. La réponse
dépendaitdeladéfinitionqu’ondonnaitàspeakGerman. Ilpouvaitcommanderunebièreetdemanderl’addition,maisildevinaitqu’ellen’étaitpasicipourprendresacommande.
—Unpeud’allemand,répondit-illaborieusementdanslalanguematernelledelafilleetilagitalamainpoursignifier«commeci,commeça».
Elleparutsatisfaiteetparlalentementetdistinctementpourluidonnerunechancedecomprendrecequ’elledisait.Àsasurprise,Patrikserenditcomptequemêmes’ilnecomprenaitpas tous lesmots lecontexteétaitclair.
Elle se présenta comme Liese Forster. Elle était apparemment déjà venue au commissariat unesemaineauparavantpoursignalerquesonamieTanjaavaitdisparu.Elleavaitparléàuninspecteur,quilui avait dit qu’il la contacterait dès qu’il en saurait plus.Maintenant ça faisait une semaine qu’elleattendaitsansavoirdenouvelles.L’inquiétudeétaitécriteenlettresdefeusursafigureetPatrikprittrèsausérieuxcequ’elledisait.
Tanja etLiese s’étaient rencontrées dans le train en se rendant enSuède.Elles venaient toutes lesdeuxduNorddel’Allemagne,maisneseconnaissaientpasavant.Lasympathieavaitétéimmédiateetréciproque,Liesedisaitqu’ellessesentaientcommedessœurs.Liesen’avaitpasdeprojetsfixesquantàsonvoyageenSuède,c’estpourquoiTanjaluiavaitproposédel’accompagnerdansunepetite localitésurlacôteouest,Fjällbacka.
—PourquoiFjällbackaprécisément?demandaPatrikdanssonallemandtrébuchant.Laréponsetardaàvenir.C’étaitleseulpointqueTanjan’avaitpasdiscutéavecelledefaçonfranche
etclaire,etLiesereconnutqu’ellenesavaitpastrèsbien.Tanjaavaitseulementracontéqu’elleavaituntrucàyfaire.Unefoisqueceseraitfait,ellespourraientcontinuerleurvoyageàtraverslaSuède,maisilfallaitd’abordqu’ellecherchequelquechose,disait-elle.Lesujetavaitparusensible,etLiesen’avaitriendemandédeplus.Elleétaitsimplementcontented’avoirtrouvéunecompagnedevoyage,quellequefûtlaraisonpourlaquelleTanjavoulaitallerlà-bas.
EllesavaientdéjàséjournétroisjoursaucampingdeSälvikàFjällbackaquandTanjaavaitdisparu.Elleétaitpartielematinendisantqu’elleavaituntrucàfairedanslajournéeetqu’elleseraitderetour
dans l’après-midi. L’après-midi s’était transformé en soir, puis en nuit, et l’inquiétude de Liese avaitgrandideminuteenminute.Le lendemainmatin,elleavaitdemandé lecommissariat leplusprocheaubureaudutourisme,etonluiavaitréponduqu’ilsetrouvaitàTanumshede.Elles’yétaitrendue,onavaitprissadéposition,etmaintenantellevoulaitsavoircequis’étaitpassé.
Patrikétaitsidéré.Àsaconnaissance,ilsn’avaientpaseudedépositionconcernantunedisparitionetmaintenantilsentitunemassepesantes’accumulerdanslecreuxduventre.LaréponseàsaquestionsurlesignalementdeTanjavintvalidersescraintes.ToutcequeLieseracontaitsursonamiecorrespondaitàla jeune femme de la brèche du Roi, et lorsque, le cœur lourd, il montra une photo de lamorte, lessanglotsdeLieseconfirmèrentcequ’ildevinaitdéjà.Martinpouvaitcessersesappelstéléphoniquesàlarondeetquelqu’unauraitàrépondredufaitqueladisparitiondeTanjan’avaitpasétérapportéecommeilfallait.Ilsavaientgaspilléinutilementdenombreusesheuresprécieuses,etPatrikn’avaitaucundoutesurladirectionàprendrepourtrouverlecoupable.
IlétaitdéjàpartiautravaillorsqueEricaseréveillad’unsommeilquipourunefoisavaitétéprofondetdépourvuderêves.Elleregardasamontre.Neufheuresetaucunbruitneluiparvenaitd’enbas.
Uninstantplus tard, lecaféétait lancéetellecommençaàpréparer la tabledupetit-déjeunerpourelle et ses invités. Ils arrivèrent dans la cuisine l’un après l’autre, encore un peu endormis,mais ilsressuscitèrentrapidementens’attaquantaupetit-déjeuner.
—Alors,c’estbienàKosterquevousallezmaintenant?Ericaposalaquestionautantparpolitessequeparhâted’êtredébarrasséed’eux.Connyéchangeauncoupd’œilrapideavecsafemmeetdit:—Ehbien,Brittaetmoi,onenaparléhiersoiretonsedisaitquevuquemaintenantonest là,et
qu’ilfaitsibeau,oniraitbienfaireuntoursurunedesîlesparici,justepourlajournée.Vousavezunbateau,jecrois,non?
—Oui, effectivement… reconnut Erica à contrecœur.Mais je ne suis pas sûre que Patrik ait trèsenviede leprêter. Jeveuxdire, par rapport aux assurances et des trucs commeça… improvisa-t-ellerapidement. L’idée qu’ils restent plus longtemps que prévu, ne fût-ce que quelques heures, la faisaitfrissonnerdecontrariété.
—Non,maisonpensaitquetupouvaispeut-êtrenousdéposeràunendroitsympa,etont’appelleraitpourrentrer.
Surl’instant,ellenetrouvapasdemots,etConnypritcelacommeunaccordtacite.Ericafitappelauxpuissances supérieurespour lui instiller de lapatience et elle sepersuadaque c’était inutile d’enarriver à une confrontation avec la famille uniquement pour s’épargner quelques heures de leurcompagnie.Deplusellen’auraitpasàlesvoirpendantlajournéeet,avecunpeudechance,ilsseraientpartisquandPatrikrentreraitduboulot.Elleavaitdéjàdécidédepréparerquelquechosedespécialpourledîneretconcoctéunepetitesoiréecocooningentête-à-tête.Aprèstout,Patrikétaitenvacances.Etquisait combiende temps ilspourraient seconsacrermutuellementquand lebébé serait là–mieuxvalaitsaisirlesoccasionsavant.
QuandtoutelafamilleFloodeutfiniderassemblersesaffairesdebaignade,ilspartirenttousauport.Le bateau, une petite snipa en bois bleue, était bas et assez difficile d’accès depuis le quai deBadholmen, il fallutpasmaldegymnastiqueàEricapourydescendresoncorps informe.Aprèsavoirsillonné l’archipelpendantprèsd’uneheureà la recherched’un«rocherdésertou,mieuxencore,uneplage » pour ses visiteurs, elle trouva finalement une petite baie que les autres vacanciers avaientmiraculeusement loupée,puis elle rentra àFjällbacka.Ellene futpascapablede remonter sur lequaitouteseule,etelleduts’humilieretdemanderdel’aideauxtouristesquipassaient.
Trempéedesueur, fatiguéeet furieuseelle reprit lecheminde lamaison,mais justeavant leclub-
housedesplaisanciersellechangead’avisettournaàgaucheaulieudecontinuertoutdroitversSälviketlamaison.Elle s’engageaàdroite sur la routequi contournait lamontagne,passadevant le terraindesportetlecomplexeimmobilierdeKullenetallasegarerdevantlabibliothèque.Elledeviendraitfolleàresteràlamaisonsansrienàfairetoutelajournée.TantpissiPatrikprotestait,elleallaitluidonneruncoupdemainpoursesrecherches,qu’illeveuilleounon!
En arrivant au commissariat, Ernst se rendit dans le bureau de Hedström avec beaucoupd’appréhension.Patrikl’avaitappelésursonportableetluiavaitordonné,d’untonn’admettantaucuneréplique,deseprésenterimmédiatementauposte,etilavaittoutdesuitecomprisqu’ilyavaitpérilenlademeure. Il sonda samémoire pour essayer de trouver ce qu’il avait fait demal, mais fut obligé dereconnaîtreque l’éventaildesespéchésétait tropvaste.De fait, il étaitunmaîtredes raccourciset ilavaitélevélatricherieenart.
—Assieds-toi.Ilobéitdocilementàl’ordredePatriketaffichaunemineinsolentepourseprotégerdelatempêteà
venir.—C’estquoiqui est si urgent, bordel ? J’étais aubeaumilieud’uneaffaire et cen’estpasparce
qu’on t’a filé la responsabilité temporaire d’une enquête que tu peux te permettre de me donner desordrescommeça.
L’attaqueétait lameilleuredesdéfenses,maisàen jugerpar l’expressiondeplusenplusnoiredePatrikcen’étaitpaslabonnetactiquedanslecasprésent.
—Est-ceque tuaspris ladépositionconcernant ladisparitiond’une touristeallemande ilyaunesemaine?
Merde. Il avait oublié ça. La petite nana blonde était arrivée juste avant le déjeuner et il avaitsimplementfaitensortedesedébarrasserd’ellepourpouvoirpartirmanger.Laplupartdutempsiln’yavaitrienderrièrecesrapportsconcernantdescopinesdisparues.Engénéral,ellessetrouvaientraidespétéesdansunfosséquelquepart,oualorsellesétaientrentréesavecunmec.Putain.Ilsavaitqu’ilauraità lepayer.Bizarrequ’iln’aitpas fait le lienavec lananaqu’ils avaient trouvéehier,maisbon, c’estfaciled’êtreperspicaceaprèscoup.Maintenantils’agissaitdediminuerlesdégâts.
—Oui,si,si,ilmesemblequeoui.—Iltesemblequeoui?LavoixdePatrik,sicalmed’ordinaire,retentittelleunevoixdestentordanslapetitepièce.—Soittuasprisunedéposition,soittunel’aspasprise.Iln’yapasd’intermédiaire.Etsituaspris
cettedéposition,tul’asfoutueoù?Est-cequeturéalisesletempsquetuasfaitperdreàl’enquête?Patrikétaittellementfurieuxqu’ilenbafouillaitpresque.—Oui,biensûr,c’estmalheureux,maiscommentest-cequejepouvaissavoir…—Tun’aspasàsavoir,toutcequetuasàfaire,c’estaccomplircorrectementtonboulot!J’espère
quececinesereproduiraplusjamais.Etmaintenantonadesheuresprécieusesàrattraper.—Est-cequ’ilyaquelquechosequejepeux…Ernstrenditsavoixaussisoumisequepossibleetilpritunaircontrit.Intérieurement,ilpestad’avoir
été remis à sa place par un jeunot, mais puisque maintenant Hedström semblait avoir l’oreille deMellbergceseraitbêted’empirerleschosesdavantage.
—Tuenasassezfaitcommeça.Jecontinuerail’enquêteavecMartin.Tutechargerasdesaffairescourantes.Nousavonsladépositiond’uncambriolageàSkeppstad.J’enaiparléavecMellberget iladonnélefeuvertpourquetuyaillesseul.
Poursignalerquel’entretienétaitfini,PatriktournaledosàErnstetsemitàpianoterfrénétiquementsursonclavier.
Ernst partit enmaugréant.Ce n’était quandmêmepas la peine d’en faire tout un fromage, d’avoiroubliéd’écrireunseulpetitrapport.Quandl’occasionseprésenterait,ildiraitunmotàMellbergsurlapertinencedeconfierlaresponsabilitéd’uneenquêted’homicideàunepersonned’humeuraussiinstable.Oui,putain,ça,iln’allaitpaslerater.
Lejeuneboutonneuxdevantluiétaituncasd’étudedeléthargie.Onluiavaitinculquél’absurditéde
l’existencedepuisbelle luretteet ledécouragementétaitpeintsursa figure.Jacobenreconnaissait lessignes et il ne pouvait pas s’empêcher d’y voir un défi. Il détenait le pouvoir d’orienter tout à faitdifféremmentlaviedecegarçon,sitoutefoiscelui-cidésiraitvraimentêtreremissurledroitchemin.
Au sein de la congrégation, le travail de Jacob avec les jeunes était bien connu et très respecté.Nombreuses étaient les âmes brisées qui s’étaient retrouvées à la ferme d’accueil, pour en repartircitoyens productifs. Les subventions de l’État reposaient sur une base fragile et on s’efforçait deminimiser l’aspect religieux face au monde extérieur. Il existait toujours des mécréants pour hurler«secte»dèsquequelqu’unsortaitdeleurvisioncarréedelareligion.
Laplusgrandepartiedurespectdontiljouissaitvenaitcependantdesespropresmérites,mêmes’ildevaitadmettrequ’ilfallaitaussienattribuerunepartieàsongrand-père,quin’étaitautrequ’EphraïmHult,«lePrédicateur».Certes,songrand-pèren’avaitpasappartenuàcettecommunautéprécisément,mais sa réputation était telle le long de la côte du Bohuslän, qu’elle retentissait auprès de tous lesgroupements d’Églises réformées. L’Église suédoise voyait évidemment le Prédicateur comme uncharlatan, mais elle avait si peu d’audience que les groupes chrétiens libres n’en tenaient pasparticulièrementcompte.
Le travail avec les inadaptés et les marginaux emplissait la vie de Jacob depuis presque unedécennie,maisilneluiprocuraitplusautantdesatisfactionqu’auparavant.Ilavaitparticipéàlacréationde ce lieu d’accueil au bordd’undes lacs deBullaren,mais le travail ne comblait plus le vide aveclequel il avait vécu toute sa vie.Quelque chose luimanquait et la poursuite de ce « quelque chose »inconnul’effrayait.Lui,quipendantsilongtempsavaiteul’impressiond’êtresurunterrainstable,sentaitmaintenantlesoltanguerdangereusementsoussespieds,etilétaitépouvantéenpensantaugouffrequipouvaits’ouvriretl’avalercorpsetâme.Combiendefoisnes’était-ilpasréfugiéderrièresacertitudepour faire remarquer,pleindebonsens,que ledouteest lepremieroutildudiable,sans imagineruneseulesecondequ’unjourilallaitlui-mêmeseretrouverdanscetétat.
Ilselevaettournaledosàl’adolescent.Ilregardaparlafenêtredonnantsurlelac,maisilnevitquesonpropre reflet dans la vitre.Unhomme fort et en bonne santé.Ses cheveux châtains étaient coupéscourt,c’étaitMaritaquilesluicoupaitetellelefaisaitvraimentbien.Levisageétaitfinementdessinéavec des traits sensibles sans être efféminés. Il n’était ni frêle ni particulièrement musclé, plutôtnormalement constitué.Mais le plus grand atout de Jacob était ses yeux. Ils étaient bleus et pouvaientsembleràlafoisdouxetperçants.Cesyeuxl’avaientaidéàpersuaderdenombreusespersonnesdecequiétaitlebonchemin.Illesavaitetils’enservait.
Pasaujourd’huicependant.Sespropresdémonsl’empêchaientdeseconcentrersurlesproblèmesdesautresetilluiétaitplusfaciled’assimilercequedisaitlegarçons’iln’avaitpasàleregarder.Ilquittason refletdesyeuxet fixa le lacet la forêtqui s’étendaitdevant lui surdesdizainesdekilomètres. Ilpouvaitvoirl’airvibrerau-dessusdel’eau,tellementilfaisaitchaud.Desannéesdenégligenceavaientdélabré lagrandefermedeBullarenet ilsavaientpu l’acheteràbasprix,puis ilsavaientconsacrédenombreusesheuresdedurlabeuràlarénover.Riendeluxueux,maisc’étaitfrais,propreetagréable.Lereprésentantdelacommuneselaissaittoujoursimpressionnerparlamaisonetlesenvironsmagnifiques
etiltenaitdegrandsdiscourssurl’effetpositifquetoutcelaauraitsurlespauvresgarçonsetfillesàladérive. Jusqu’ici, ils avaient toujours obtenu les subventions nécessaires et l’activité avait bienfonctionnépendantcesdixannées.Sibienqueleproblèmen’existaitquedanssatête,àmoinsquecenefûtdansl’âme?
C’était peut-être le stress au quotidien qui l’avait poussé à choisir la mauvaise direction à uncarrefourdécisif.Iln’avaitpashésitéunesecondeàprendresasœurchezlui.Qui,sinonlui,seraitenmesurede soulager l’angoisseprofondede la jeune fille etdecalmer sonesprit rebelle ?MaisLindas’étaitrévéléeplusfortequeluidanslaluttepsychologique,ettandisquel’egodesasœurgrandissaitdejourenjour,ilsentaituneirritationperpétuellecreusertoutsonêtre.Parfoisilsesurprenaitàserrerlespoingset àpenserqu’ellen’était qu’une idiotedepetitedindequiméritait que sa famille sedétourned’elle.Maisunchrétiennedevaitpasraisonnerainsietlerésultatdechacunedecespenséesétaitdesheuresd’examendeconscienceetd’étudesbibliqueszélées,dansl’espoirdetrouverlaforce.
Extérieurement,ilétaittoujoursunrocdesécuritéetdeconfiance.Jacobsavaitquelesgensdesonentourageavaientbesoindeluicommed’unebéquille,etiln’étaitpasencoreprêtàsacrifiercetteimagede lui-même.Depuis qu’il avait vaincu lamaladie qui l’avait si sauvagement assailli dans ses jeunesannées,illuttaitpournepasperdrelecontrôledesonexistence.Maisrienquel’effortpourconserverlesapparencesusaitsesdernièresressourcesetlegouffres’approchaitàpasdegéant.Ironiedudestin,aprèstantd’années,laboucleseraitbientôtbouclée.Pendantuneseconde,l’annoncedesrésultatsluiavaitfaitcommettre l’impossible. Il avait douté.Cela n’avait duré qu’un instant,mais le doute avait formé unetoutepetitefissuredanslatramesolidequiavaitsoutenusavie,etcettefissurenefaisaitques’élargir.
Jacobrepoussasessombrespenséesetseforçaàseconcentrersurl’adolescentdevantluietsursapitoyable existence. Les questions qu’il lui posait venaient automatiquement, tout comme le sourired’empathiequ’ilréservaittoujoursàlanouvellebrebisgaleusevenantrejoindreletroupeau.
Encoreunjour.Encoreunêtrehumainabîméàréparer.Çanes’arrêtaitjamais.PourtantmêmeDieuavaitpusereposerauseptièmejour.
Aprèsêtrealléerechercherladélicieusefamillerosebonbonsurl’îlotdebaignade,Ericaattendait
impatiemment l’arrivée de Patrik. Elle guettait aussi le signal indiquant que Conny et les sienscommençaient à faire leurs bagages,mais il étaitmaintenant cinq heures et demie et ils nemontraientaucunsignedevouloirs’enaller.Elledécidad’attendreencoreunpetitmomentavantdeleurdemanders’iln’étaitpasbientôttempsdepartir,maislechahutdesenfantsluiavaitdonnéunebonnemigraine,etilnefallaitpasquel’attenteduretroplongtemps.Avecsoulagement,elleentenditlespasdePatriksurleperronetallal’accueillir.
—Bonjourchéri.Elledutsemettresurlapointedespiedspourpouvoirl’embrasser.—Salut.Ilsnesontpasencorepartis?Patrikparlaitàvoixbasseenessayantdejeteruncoupd’œil
danslesalon.—Non,etilsnesemblentpasenavoirl’intention.Qu’est-cequ’onvafaire?chuchotaEricaetelle
levalesyeuxaucielpourmarquersonmécontentement.—Ilsnepeuventtoutdemêmepasrestercommeçaunjourdeplussansnousledemanderd’abord?
Dis-moiquenon!—Situsavaiscombiendevisiteursmesparentsonteusenétépendantdesannéesetdesannées,ils
étaient juste supposés faire un saut puis ils restaient une semaine et s’attendaient à avoir le gîte et lecouvertetleservicequivaavec.Lesgenssontcomplètementfous.Etlepire,c’esttoujourslafamille.
Patrikeutl’aireffaré.
—Ilsnepeuventpasresterunesemaine!Ilfautfairequelquechose.Tunepeuxpasleurdirequ’ilsdoiventpartir?
—Moi,pourquoic’estàmoideleleurdire?—Aprèstout,c’esttafamille.Erica fut obligée de reconnaître qu’il marquait un point. Alors, va pour le sale boulot. Elle alla
s’informerdesprojetsdesvisiteurs,maisellen’eutmêmepasletempsdeformulerlaquestion.—Qu’est-cequ’ilyaàdîner?Quatrepairesd’yeuxcurieuxsetournèrentverselle.—Euh…Erica perdit le fil tant elle fut surprise par cettemuflerie. Elle fit un rapide inventaire
mentalducongélateur.Desspaghettisbolognaise.Dansuneheure.ElleeutenviedesedonnerdescoupsdepiedauxfessesquandelleretournadanslacuisineoùPatrik
l’attendait.—Qu’est-cequ’ilsontdit?Ilspartentquand?Ericaneleregardapasdanslesyeux,elleditseulement:—Jen’ensaisrien.Maisilyauradesspaghettisbolognaisedansuneheure.—Tun’asriendit?Etillevaàsontourlesyeuxauciel.—Cen’estpassifacilequeça.Essaietoi-même,tuverras.Onn’auraqu’àserrerlesdentsunsoirde
plus. Je leur dirai demain. Commence plutôt à éplucher les oignons, je ne me sens pas la force deprépareràmangerpoursixtouteseule.
L’irritationlafitcrachercommeunchatetellecommençabruyammentàsortirdescasserolesetdesgamelles. Dans un silence pesant ils s’affairèrent un moment jusqu’à ce qu’elle n’arrive plus à secontenir.
—Jesuisalléeàlabibliothèqueaujourd’huietj’aisortiquelquesdocumentsquipourrontpeut-êtreteservir.C’estlà.
Ellemontradelatêtelatabledecuisine,oùétaientempiléesuneliassedephotocopies.—Maisjet’avaisditdenepas…—Oui,oui,jesais.Maismaintenantc’estfaitetc’étaitsympad’êtreoccupéeàquelquechoseplutôt
quederestericidésœuvréeentrequatremurs.Alorsarrêtedem’embêter.Patriksavaitquandilvalaitmieuxsetaire.Ils’installadevantlatableetcommençaàparcourirles
pagesdesyeux.Ils’agissaitd’articlesdejournauxsurladisparitiondesdeuxjeunesfillesetillutavecgrandintérêt.
—Waouh,c’estgénial!J’emporteraitoutçaaubureaudemainpourleregarderdeplusprès,maisçameparaîtsuper.
Ils’approchad’Erica,seplantaderrièreelleetentourasongrosventredesesbras.—Dis,jenevoulaispast’embêter.C’estsimplementquejemefaisdusoucipourtoietBébé.Ericaseretournaetl’enlaçatendrement.— Je sais.Mais je ne suis pas en porcelaine, tu sais.Autrefois les femmes travaillaient dans les
champsjusqu’àcequ’ellesaccouchentpratiquementsurplace,alors jedoispouvoirresterassisedansunebibliothèqueettournerdespagessansqu’ilm’arrivequoiquecesoit.
—Oui,d’accord,jesais.Siseulementonarrivaitàsedébarrasserdesparasites,onabesoindeseretrouver seuls tous les deux. Tu promets deme dire si tu veux que je reste un jour à lamaison. Lecommissariatsaitquejetravailledemapropreinitiativeetquec’esttoiquiaslapriorité.
—Jepromets.Aide-moimaintenant. J’espèreque lesmômessecalmerontunpeuquand ilsaurontmangé.
—J’aidumalàlecroire.Onferaitmieuxdedonneràchacununpetitverredewhiskyavantlerepaspourqu’ilss’endorment.Ileutunsouriretaquin.
—Alorslà,tuexagères!VaplutôtenservirunàConnyetBritta,aumoinsçalesmettradebonnehumeur.
Patriksuivitsonconseilenregardanttristementleniveaudesonmeilleurpurmaltquibaissaitàvued’œil.S’ilsrestaientencorequelquesjours,saréservedewhiskysprendraituncoupdansl’aile.
2
ÉTÉ1979Elleouvritlesyeuxaveclaplusgrandeprudence.Laraisonenétaitunmaldetêtecarabinéqui
l’élançait jusqu’aux racines des cheveux. Mais ce qui était étrange, c’est qu’elle ne vit aucunedifférence une fois ses yeux ouverts. L’obscurité était toujours compacte. Pendant un instant depanique,ellecrutqu’elleétaitdevenueaveugle.Peut-être lagnôlequ’elleavaitbue laveille !Elleavaitentendudeshistoires là-dessus,des jeunesquiétaientdevenusaveuglesenbuvantde l’alcooldistillémaison. Au bout de quelques secondes, elle comprit qu’elle voyait toujoursmais qu’elle setrouvaitdansunendroitdépourvude lumière.Elle leva lesyeuxpourvérifiersielleapercevaitdesétoiles,ouuncroissantdelune,maisréalisaimmédiatementquelesnuitsnedevenaientjamaisaussinoiresenété,etqu’elleauraitdûvoirladélicatelumièredesnuitsd’éténordiques.
Elletâtalesoloùelleétaitétendueetsaisitunepoignéedeterresablonneusequ’ellelaissafiltrerentrersesdoigts.Ilyavaituneforteodeurdeterreau,uneodeurdouceâtreetnauséabonde,etelleseditqu’elledevaitsetrouversousterre.Lapaniquelafrappa.Unesensationdeclaustrophobie.Sansêtre capable d’évaluer la taille de l’espace, elle eut quandmême la vision de murs qui lentements’approchaientd’elle,quil’enfermaient.Elleeutl’impressiondenepluspouvoirrespireretsemitàtriturer sagorge,puisellecessaet se forçaà respirerprofondémentet calmementpourdompter lapanique.
Il faisait froid et elle se rendit compte qu’elle était nue, à part sa petite culotte. Son corps luifaisaitmalàplusieursendroitsetelleserecroquevillaenfrissonnant.Lapaniquelaissaitmaintenantplaceàunepeursipuissantequ’ellelaressentaitjusquedanssesos.Comments’était-elleretrouvéeici?Etpourquoi?Quil’avaitdéshabillée?Laseuleconclusionàlaquelleelleparvenaitétaitqu’ellene voulait probablement pas connaître la réponse.Quelque chose demal lui était arrivé et elle nesavaitpasquoi,quelquechosequiensoidécuplaitlaterreurquilaparalysait.
Unraide lumièreapparutsursamainetelle levaautomatiquement lesyeuxverssasource.Unpetit rayonde lumière perçait dans le noir de velours, elle s’obligeaà semettre debout et cria ausecours.Aucuneréaction.Ellesemitsurlapointedespiedsetessayad’atteindrelasourcedelumièremaiscelle-ciétaitbeaucouptropéloignée.Alorsellesentitdesgouttestombersursonvisagerelevé.Desgouttesd’eauquisetransformèrentenunfiletetellesentittoutàcoupàquelpointelleavaitsoif.Elleréagitinstinctivementetouvritlabouchepouraspirerleliquide.Audébut,presquetoutpassaitàcôté,maisauboutd’unpetitmomentelletrouvalabonnetechniqueetbutavecavidité.Ensuiteellenevitplusqu’unbrouillardetlapiècesemitàtourner.Toutdevintobscur.
Lindaseréveillatôtpourunefoisetessayadeserendormir.LasoiréeavecJohans’étaitprolongée
tard, jusque dans la nuit pour être exact, et lemanque de sommeil lui donnait l’impression d’avoir lagueuledebois.LachambrequeJacobetMaritaluiavaientaménagéeétaitsituéejustesousletoitetlebruitdelapluiesurlestuilesétaitsifortqu’ilrésonnaitdanssestempes.
C’étaitlepremiermatindepuislongtempsoùelleseréveillaitdansunechambrefraîche.Lacaniculeavaitdurépresquedeuxmois,unrecord,c’étaitl’étélepluschauddepuiscentans.Lespremierstemps,elle avait apprécié l’ardeur du soleil,mais le charme de la nouveauté avait disparu depuis plusieurssemainesetseréveillerchaquematindansdesdrapstrempésdesueurluiétaitdevenudétestable.Leventfraisquis’infiltraitsouslespoutresdutoitfutd’autantplusdélicieux.Lindarejetalamincecouvertureetlaissasoncorpsprofiterdelatempératureagréable.Sansqueçaluiressemble,elledécidadeseleveravantquequelqu’unviennelachasserdulit.Çapourraitêtresympadenepasprendrelepetit-déjeunerseule,pourunefois.Elleentenditdesbruitsdanslacuisineetelleenfilauncourtkimonoetglissasespiedsdansunepairedepantoufles.
Sonarrivéematinale fut accueilliepardesmines surprises.Toute la familleétait réunie là, Jacob,Marita,WilliametPetra,etilsinterrompirentimmédiatementleurconversationàvoixbasseenlavoyantarriver.Elleselaissatombersurunedeschaiseslibresetcommençaàsepréparerunetartine.
—C’estbienquetuveuillesnoustenircompagniepourunefois,maisj’apprécieraisquetusoisunpeupluscouvertequandtudescends.Penseauxenfants.
Cette foutue hypocrisie de Jacob lui donnait envie de gerber. Pour l’agacer, elle laissa le mincekimonos’ouvrirunpeuetunseinsedevinerdansl’entrebâillement.Jacobdevintblancdecolère,maispouruneraisonouuneautreiln’eutpaslecouraged’engagerleshostilitésavecelle.WilliametPetralaregardèrent,fascinés,etelleleuradressaquelquesgrimacesquilesfirenthurlerderire.Danslefond,cesmômes étaient vraiment chouettes, il fallait l’admettre, mais avec le temps Jacob et Marita lesbousilleraient,àtouslescoups.Quandilsauraientterminéleuréducationreligieuse,ilneleurresteraitplusaucunejoiedevivre.
—Vous vous calmezmaintenant. Tenez-vous correctement à table quand vousmangez. Enlève tespieds de cette chaise, Petra, et assieds-toi comme une grande fille. Et tu fermes la bouche quand tumanges,William.Jeneveuxpasvoircequetumâches.
Leriredisparutdesvisagesdesenfantsetilss’assirentfigéscommedessoldatsdeplomb,leregardvidedirigédroitdevanteux.Lindasoupiraintérieurement.Parfoiselleavaitdumalàcomprendrequ’elleetJacobétaientdelamêmefamille.Onnepouvaittrouverfrèreetsœurplusdissemblables,elleenétaitpersuadée.Cequiétaitvachementinjuste,c’estquec’étaitlui,lepréférédeleursparents,ilslecitaienttoujours en exemple alors qu’elle ne trouvait jamais grâce à leurs yeux. Était-ce sa faute si elle étaitarrivéeenpetitedernièrenondésirée?SilamaladiedeJacob,tantd’annéesavantsanaissanceàelle,les avait rendus réticents à avoir d’autres enfants ?Bien sûr qu’elle en comprenait la gravité, il avaitfaillimourir,maisétait-ceuneraisonpourlapunir?Cen’étaitpasellequil’avaitrendumalade.
Jacob,mêmeguéri,avaitcontinuéàêtrechouchouté.C’étaitcommesileursparentsvoyaientchaquenouvelle journéede leur filscommeundondeDieu,alorsquesavieàellene faisaitque leurcausertracasetsoucis.Sansparlerdegrand-pèreetJacob.Ellecomprenaitparfaitementquelelienentreeuxavaitététrèsspécialaprèscequegrand-pèreavaitfaitpourJacob,maisçanedevaitpasêtreauxdépens
de ses autres petits-enfants.Grand-père étaitmort avant la naissance deLinda, et elle n’avait pas étéconfrontéeàsonindifférence,maisJohanavaitracontéqueRobertetluiavaienttoujoursétémisàl’écartdesesfaveurs,toutesonattentions’étaitfocaliséesurleurcousinJacob.Lindaauraitprobablementconnulamêmechosesigrand-pèreavaittoujoursétéenvie.
Toutecetteinjusticeluifitmonterdeslarmesbrûlantesauxyeux,maisellelesrefoulacommetantdefois auparavant.Elle n’avait pas l’intention de donner à son frère la satisfaction de la voir pleurer etd’endosserainsiunenouvellefoislerôledusauveurdumonde.Çaledémangeaitd’orienterlaviedesasœursur labonnevoie,maisellepréféreraitmourirquedevenirunecarpettecommelui.Lesgentillesfilles allaient peut-être au paradis,mais elle avait l’intention d’aller plus loin que ça, bien plus loin.Plutôtsombreravecperteetfracasquedesetraînerdanslaviecommesacouillemolledefrèrequetoutlemondeadorait.
—Tuasdesprojetspouraujourd’hui?J’auraisbesoind’unpeud’aideàlamaison.Maritapréparaitcalmementd’autrestartinespourlesenfants.C’étaitunefemmematernelle,avecun
visageordinaireetquelqueskilosdetrop.LindaavaittoujourspenséqueJacobauraitputrouvermieuxqueça.Lavisiondesonfrèreetdesabelle-sœuraulitsurgitdanssonesprit.Pardevoir,ilslefaisaientprobablementunefoisparmois,lalumièreéteinteetsabelle-sœurvêtued’unechemisedenuitintégralequilacouvraitdespiedsauxépaules.Cetteimagelafitpoufferetlesautreslaregardèrent.
—Réveille-toi,Maritat’aposéunequestion.Est-cequetupeuxdonneruncoupdemainàlamaisonaujourd’hui?Cen’estpasunepensiondefamilleici,tusais.
—Oui,oui, j’aientendu.Pas lapeinede leserinersansarrêt.Ehben,non, jepeuxpasdonnerdecoup de main aujourd’hui. Il faut que je… Elle chercha un bon prétexte. Il faut que je m’occupe deSirocco.J’aivuhierqu’ilboitaitunpeu.
Sonexcusefutaccueilliepardesregardssceptiques,et,prêtepourlabataille,Lindaaffichasaminelaplusbelliqueuse.Mais,àsasurprise,personnenelacontramalgrélemensongeévident.Lavictoire–etencoreunejournéedefarniente–luirevenait.
L’enviedesortirsouslapluieétaitirrésistible,levisagetournéverslecieletl’eauruisselantsurson
corps.Maisilyavaitcertaineschosesqu’onnepouvaitsepermettreentantqu’adulte,surtoutsionsetrouvaitsursonlieudetravail,etMartindutréprimersonimpulsionpuérile.Maisc’étaitquandmêmemerveilleux.Toutelachaleurétouffantequilesavaitcloîtréscesdeuxderniersmoisétaitrincée,balayéeenuneseulepluietorrentielle.Ilpouvaitensentirl’odeurparlafenêtrequ’ilavaitouverteengrand.Del’eauvenaitéclaboussersonbureausouslafenêtre,maiscommeilenavaitenlevétouslesdossiers,cen’étaitpasgrave.Çaenvalaitlapeinepoursentirlafraîcheur.
Patrikavaitprévenuqu’ilnes’étaitpasréveilléàl’heure.Pourunefois,Martinétaitlepremierauposte.L’atmosphèreaucommissariatavaitétélourdelaveilleaprèslarévélationdelabourded’Ernst,etc’étaitbondepouvoirresteraucalmemaintenantetréfléchirauxderniersévénements.Iln’enviaitpasàPatrik sa mission d’annoncer son décès à la famille de la jeune femmemorte. Mais lui aussi savaitpertinemmentque lacertitudeétait lepremierpasvers le travaildedeuilquiguérit. Ilétait toutà faitprobable qu’ils ne savaient même pas qu’elle avait disparu, et l’annonce viendrait comme un choc.Maintenant il s’agissaitde les retrouver etunedes tâchesdeMartinaujourd’hui étaitdecontacter sescollègues allemands. Il espérait pouvoir communiquer avec eux en anglais. Après avoir entendu soncollèguebafouiller en allemand tout au longde l’entretien avec l’amiedeTanja, il comprenait que cen’étaitpasPatrikquipourraitluivenirenaide.
Ilétaitsurlepointdesouleverlecombinépourappelerl’Allemagne,lorsqu’unsignalstridentleprit
de court.Sonpouls accéléraunpeuquand il comprit que c’était lamédico-légale àGöteborg et il setenditpourattrapersonbloc-notesdéjàcouvertdegribouillis.Enfait,lemédecinlégistedevaitfairesonrapportàPatrik,maiscommecelui-cin’étaitpasencorearrivé,Martinferaitl’affaire.
—Ondiraitqueçasedéchaînedansvotrebleddepuisquelquetemps.Le médecin légiste Tord Pedersen faisait allusion à l’autopsie d’Alexandra Wijkner qu’il avait
pratiquéeunanetdemiauparavant,etquiavaitmisenbranlel’unedestrèsraresenquêtesd’homicidequ’avaiteuàmenerlecommissariatdeTanumshedejusque-là.
—Oui,onpeutsedemandersiunesortedevirusnenousseraitpastombédessus.OnaurabientôtdépasséStockholmpourlesstatistiquesdemeurtres.
Le ton léger et humoristique était une manière pour eux, comme pour tous les professionnels quicôtoyaientlamortetlesmalheurs,desupporterleurtravailquotidien,maistousrestaientbienconscientsdelagravitédeleurtâche.
—Vousavezdéjàeuletempsdefairel’autopsie?Jevouscroyaisdébordéspartouscesgensquis’entretuentàcausedelachaleur?
—Oui,tuasraisonsurlefond.Onaconstatéquelesgenss’enflammentplusfacilementquandilfaitchaud,maisilyaeuuneaccalmiecesderniersjours,etonapus’occuperdevotreaffaireplusvitequeprévu.
—Dis-moitoutalors.Martinretintsarespiration.Biendeschosesconcernantl’enquêtedépendaiententièrementdecequelamédicolégaleavaitàoffrir.
—Oui,detouteévidencec’estuntypeparticulièrementantipathiquequevousavezsurlesbras.Lacausedelamortétaitassezsimpleàétablir,lafilleaétéétranglée,maisc’estcequ’onluiafaitavantdelatuerquiesttoutàfaitextravagant.
Pedersenfitunepauseetonauraitditqu’ilchaussaitunepairedelunettes.—Oui?Martinavaitdumalàdissimulersonimpatience.—Voyonsvoir…Vousl’aurezparfaxaussi…Hmmm.PedersenparcourutleslignesetMartinsentitsamainsurletéléphonedevenirmoitedesueur.—Oui,voilà.Quatorzefracturesàdesendroitsdifférents.Toutesfaitesavantlamortàenjugerpar
ledegrévariabledecicatrisation.—Tuveuxdire…—Jeveuxdirequequelqu’unacassélesbras,lesjambes,lesdoigtsetlesdoigtsdepiedsdecette
fillependantapproximativementunesemaine.—Lesfracturesontétéfaitesenuneseulefoisouenplusieurs,vouspouvezvoirça?—C’estcequej’aidit,nouspouvonsvoirquelesfracturesontdifférentsdegrésdecicatrisation,et
monavisdeprofessionnelestqu’ellesontétéfaitestoutaulongdecettepériode.J’aiétabliuneesquissedel’ordredanslequelj’estimequ’onlesluiainfligées.Çaseradanslefax.Elleavaitaussiuncertainnombredecoupuressuperficiellessurlecorps.Ellesaussiàdesstadesdecicatrisationvariables.
—Putain,quellehorreur!Martinneputretenircecommentairesortiducœur.—Jesuisbiend’accordavectoi.Ladouleuradûêtreabsolumentintolérable.LavoixdePedersenétaitsèche.Ilsméditèrentuninstantensilencesurlacruautédel’homme.Puis
Martinseressaisitetpoursuivit:—Vousavezrelevédestracessurlecorpsquipeuventnousêtreutiles?—Oui,nousavonstrouvédusperme.Sivousmettezlamainsuruncoupableprésumé,onpourrale
lieraumeurtreparl’ADN.Nousferonsévidemmentdesrecherchesdanslabanquededonnéesaussi,maisilestrared’avoirdestouchesparcebiais-là.Leregistreesttropmincepourl’instant.Onnepeutquerêverdujouroùl’ADNdetouslescitoyensnousseraaccessible,çanousfaciliteraleschoses.
—Oui, rêver est sans doute lemot.À tous les coups, ils invoqueront des restrictions à la libertéindividuellepournousmettredesbâtonsdanslesroues.
—Sicequiestarrivéàcettefemmenes’appellepasrestrictionàlalibertéindividuelle,alorsjenesaispasoùilfautallerchercher…
IlétaitrarequeletrèsobjectifTordPedersensoitaussiphilosophe,etMartincompritqu’ilavaitététouchéparlesortdelajeunefemme.Enprincipe,cen’étaitpasunechosequ’unmédecinlégistepouvaitsepermettre,s’ilvoulaitpréserversonsommeil.
—Tupeuxmedireapproximativementquandelleestmorte?—Oui, j’aireçulesrésultatsdesprélèvementsquelabrigadetechniqueafaitssurplace.Jelesai
comparésavecmespropresobservations,çamepermetdedonnerunefourchettedetempsassezfiable.—Jet’écoute.—Selonmonestimation,elleestmortelaveille,entresixetonzeheuresdusoir.Martinfutdéçu.—Tunepeuxpasfourniruneheureplusexactequeça?—C’estlapratiqueicienSuède,denepasdonnerdefourchetteplusserréequecinqheuresdansdes
cascommecelui-ci,etjenepeuxpasfairemieux.Maislafiabilitéestdequatre-vingt-dixpourcent,c’estdonctoutàfaitvalable.Enrevanche,jepeuxconfirmercedontvousvousdoutezprobablement,quelabrècheduRoin’estpaslelieuducrime,elleaététuéeailleursetelleyestrestéequelquesheuresavantd’êtredéplacée,leslividitéscadavériquesnousleconfirment.
—C’estdéjàça.Etlessquelettes?Qu’est-cequ’ilsontdonné?Patrikt’abienenvoyélesnomsdespersonnesauxquellesonpense?
—Oui,j’aireçuça.Etnousn’avonspastoutàfaitterminéencore.Cen’estpasaussisimplequ’onpourraitlecroiredetrouverdesdossiersdentairesdesannées1970,maisnoustravaillonsdessuspleinpot,etdèsqu’onensauraplusonvouscontacte.Maisjepeuxtedirequ’ils’agitdedeuxsquelettesdefemme,et l’âgea l’airdecorrespondre.Lesiliaquesd’unedesfemmesindiquentaussiqu’elleaeuunenfant,etçacolleeffectivementaveclesdonnéesdontondispose.Etleplusintéressantdetout–lesdeuxsquelettesprésententdesfracturessemblablesàcellesdelajeunefemmeassassinée.Entrenous,j’iraismêmejusqu’àdirequelesfracturesdestroisvictimessontpratiquementidentiques.
Martinfuttellementsidéréqu’illaissaéchappersonstylo.Qu’est-cequileurétaittombédessus?Unassassinsadiquequilaissaitpasservingt-quatreansentresesforfaits?Ilnevoulaitmêmepaspenseràl’alternative:quel’assassinn’avaitpasattenduvingt-quatreansetquetoutsimplementilsn’avaientpasencoretrouvélesautresvictimes.
—Ont-ellesététailladéesaucouteauaussi?— Il ne restait pas de matière organique, c’est donc plus difficile à dire, mais il y a quelques
égratignuressurlesosquipeuventindiquerqu’ellesontsubilemêmetraitement,oui.—Etlacausedelamort?—Commepour l’Allemande.Desosontétéenfoncésauniveauducouetçacorrespondbienaux
blessuresprovoquéesparstrangulation.Martinnotarapidementtoutenparlant.—Quoid’autre?—Seulementquelescorpsontprobablementétéenterrés,ilyadesrestesdeterresurlesossements
quipourrontpeut-êtrenousdonnerdesrenseignementsaprèsanalyse.Maisilvousfaudrapatienter.Ilyavaitde la terre surTanjaSchmidt aussi et sur la couverture sur laquelleelle reposait,nousallons lacompareravecleséchantillonsprissurlesossements.
Pedersenfitunepause,puisilreprit:
—C’estMellbergquidirigel’enquête?Une certaine inquiétude perçait dans sa voix. Martin sourit doucement sous cape mais il put le
rassurersurcepoint.—Non,c’estPatrikquienalaresponsabilité.Quantàsavoirquientireralagloiresionarriveà
résoudrel’affaire,çac’estautrechose…Ilsrirenttouslesdeuxducommentaire,maisc’étaitunrirequirestaitunpeucoincédanslagorgede
Martin.L’entretienavecTordPedersenterminé,ilsortitlefaxetlorsquePatrikarrivaill’avaitlujusqu’au
bout.Illuienfitunrésuméquilerendittoutaussipessimiste.Çapromettaitd’êtreunsacrémerdier!Annaétaitallongéeenbikinisurlepontduvoilieretselaissaitcuireausoleil.Lesenfantsfaisaient
lasiestedanslacabineetGustavétaitàlabarre.Depetitesgouttesd’eausaléel’éclaboussaientchaquefoisquel’avantdubateauretombaitdansl’eauetc’étaitmerveilleusementrafraîchissant.Siellefermaitlesyeux,ellepouvaitoubliersessoucispourunpetitmomentetimaginerquececiétaitsavraievie.
—Anna,téléphone.LavoixdeGustavlasortitdesaquasi-méditation,ilagitaitsontéléphoneportable.—C’estqui?—Iln’apasvoululedire.Merde alors.Elle comprit immédiatement qui l’appelait, et l’inquiétude lui noua le ventre, elle se
déplaçaprudemmentversGustav.—Anna.—C’étaitqui,celui-là?sifflaLucas.Annahésita.—Jet’avaisditquej’allaisfairedubateauavecuncopain.—Ettuessaiesdemefairecroireque,ça,c’étaituncopain?Commentils’appelle?—Çaneteregarde…Lucasl’interrompit.—ILS'APPELLECOMMENT,ANNA?Sarésistances’effritaitdesecondeensecondeenentendantlavoixdansl’appareil.Ellerépondità
voixbasse:—GustavafKlint.—Tiensdonc.Avecparticule,et tout.Le tondesavoixpassadunarquoisaumenaçant.Comment
oses-tuemmenermesenfantsenvacancesavecunautrehomme?—Noussommesdivorcés,Lucas,ditAnnaenposantunemainsursesyeux.—Tusaisaussibienquemoiqueçanechangerien.Tueslamèredemesenfantsetcelasignifieque
noussommesliéspourtoujours,toietmoi.Tuesàmoietlesenfantssontàmoi.—Alorspourquoiest-cequetuessaiesdemelesprendre?— Parce que tu es instable, Anna. Tu as toujours eu des problèmes avec les nerfs, et, très
franchement,jedoutedetacapacitéàt’occuperdemesenfantscommeilsleméritent.Regardecommentvousvivez.Tutravaillestoutelajournéeetilssontàlacrèche.Est-cequetutrouvesque,ça,c’estunebonneviepournosenfants,Anna?
—Maisilfautbienquejetravaille,Lucas.Ettuferaiscommentsic’étaittoiquiavaislagarde?Quis’occuperaitd’euxdanscecas?
—Ilyaunesolution,Anna,tulesaistrèsbien.
—Tuesfou?TupensessérieusementquejereviendraisavectoiaprèscequetuasfaitàEmma?Tuluiascassélebras,Lucas,nel’oubliepas.Sanscomptertoutcequetum’asfait,àmoi.
Lavoixd’Annadevintsuraiguë.Instinctivement,ellesutqu’elleétaitalléetroploin.—Cen’étaitpasmafaute!C’étaitunaccident!Tut’esobstinéeàmecontrariertoutletemps,sans
ça,jen’auraispaseubesoindem’emporteraussisouvent!C’était commedepisserdansunviolon.Çane servait à rien.Anna savait après toutes ses années
avec Lucas qu’il était persuadé d’avoir raison. Ce n’était jamais sa faute. Tout ce qui arrivait étaittoujourslafautedesautres.Chaquefoisqu’ill’avaitfrappée,ilavaitréussiàlarendrecoupable;ellen’étaitpasassezcompréhensive,pasassezaffectueuse,pasassezsoumise.
Lorsqu’elleavaitréussiàmobiliserdesressourcesinsoupçonnéespourmeneràbienledivorce,elles’était pour la première fois depuis de nombreuses années sentie forte et invincible. Enfin elle allaitpouvoir reconquérir savie.Elle et les enfants allaientpouvoir recommencerdepuis ledébut.Mais çaavaitétéunpeutropfacile.Lucasavaitréellementétéchoquéd’avoircassélebrasdesafillependantl’unedesescrisesdefureur,etils’étaitmontréplusaccommodantqu’ilnel’étaitenréalité.Laviedepatachonqu’ilavaitmenéeaprèsledivorce,durantlaquelleils’étaitappliquéàaccumulerlesconquêtesféminines,avaitpermisàAnnaetauxenfantsderesterenpaix.Maisalorsmêmequ’Annasesentaitsaineetsauve,Lucasavaitcommencéàenavoirmarredesanouvellevieetavaitmanifestéunregaind’intérêtpoursafamille.Quandlesfleurs,lescadeauxetlesdemandesdepardonsefurentavérésinopérants,ilavaitenlevé lesgantsdevelours. Ilexigeaitd’avoir lagardedesenfants.Pourcela, ilavançaitun tasd’accusationssansfondementcontreAnna,entreautresqu’ellen’étaitpasapteàêtremère.Riendetoutcelan’étaitvrai,maisLucassavaitêtrepersuasifetcharmantquandillevoulait,etelletremblaitdevantlapossibilitéqu’ilréussissedanssonentreprise.Ellesavaitaussiqu’enréalitécen’étaitpaslesenfantsqu’ilvoulait.Avoirdeuxenfantsenbasâgeàchargeétaitincompatibleavecsavieprofessionnelle,maisilespéraitfairesuffisammentpeuràAnnapourl’obligeràrevenir.Danslesmomentsdefaiblesse,elleétaitprêteàlefaire.Toutenréalisantquec’étaitimpossible.Ellesombreraitsielleretournaitaveclui.Elleessayadeseblinder.
—Lucas,cettediscussionnesertàrien.J’airefaitmavieaprèsledivorce,ettudevraisfairepareil.Oui,j’airencontréunhommeetiltefaudraapprendreàl’accepter.Lesenfantsvontbienetjevaisbien.Est-cequ’onnepourraitpasessayerdegérercecienadultes?
Son ton était suppliantmais le silence à l’autreboutdu fil fut compact.Elle comprit qu’elle avaitfranchi la limite.En entendant la tonalité indiquant queLucas avait tout bonnement raccroché, elle sutque,d’unefaçonoud’uneautre,elleallaitlepayer.Etcher.
3
ÉTÉ1979Lemalde tête infernal lapoussaà se labourer le visageavec lesdoigts.Ladouleurquand ses
ongles lui griffaient la peau était presque agréable comparée à l’atroce migraine et l’aidait à seconcentrer.
Ilfaisaittoujoursnuitnoire,maisquelquechosel’avaitsortiedesaléthargieprofonde.Unpetitrayon de clarté s’était montré au-dessus de sa tête et, comme elle fixait son regard sur lui, ils’élargissaitlentement.Peuhabituéeàlalumière,ellenevitpas,maiselleentenditquelqu’unpasserparlafentequis’étaitouverte,puisdescendreunescalier.Quelqu’unquis’approchaitdeplusenplusdans l’obscurité. La confusion l’empêchait de déterminer si elle devait ressentir de la peur ou dusoulagement.Lesdeuxsentimentssesuccédaientalternativementenelle.
Les derniers pas jusqu’à l’endroit où elle était blottie en position fœtale furent pratiquementsilencieux. Sans qu’aucunmot n’ait été prononcé, elle sentit unemain passer sur sa tête. Le gesteaurait peut-être dû la calmer, mais la simplicité du mouvement eut pour effet de serrer son cœurd’épouvante.
Lamainpoursuivitsaprogressionsursoncorpsetelletrembladanslenoir.Unesecondeelleseditqu’elledevraitopposerunerésistanceàl’étrangersansvisage.L’idées’enfuitaussivitequ’elleavaitsurgi.Lenoirétaittropsubjugant,etlaforcedelamainquilacaressaitpénétraitsapeau,sesnerfs,sonâme.Lasoumissionétaitsonseulchoix,ellelesavaitavecuneeffroyablelucidité.
Quandlamainabandonnalescaressesetcommençaàtordre,àforceretàtirer,çanelasurpritpas.D’uneétrange façon,elleaccueillit ladouleuravecgratitude.Unedouleurconcrèteétaitplusfacileàgérerquelaterreurdansl’attentedel’inconnu.
LedeuxièmeappeldeTordPedersenétaitarrivéquelquesheuresseulementaprèsquePatrikavait
parléavecMartin.L’identificationd’undessquelettesretrouvésdanslabrècheduRoiétaitterminée.Ils’agissaitbiendeMonaThernblad,l’unedesdeuxfillesdisparuesen1979.
PatriketMartinpassèrentenrevue toutes les informationsqu’ilsavaientcollectéespour l’enquête.Mellberg avait brillé par son absence, mais Gösta Flygare était de retour après une mission bienaccomplieaugolf.Iln’avaitcertespasgagné,maisàsagrandesurprise,etpoursonplusgrandbonheur,il avait fait un trou en un coup et s’était vu offrir le champagne au club-house.Cela faisait trois foismaintenantqueMartinetPatrikl’entendaientrépéterl’histoiredelaballequiavaitfilédirectementdansletrouseizeaupremiercoup,etilsnedoutaientpasqu’ilyenauraitd’autresavantlafindelajournée.Maiscen’étaitpastrèsgrave.IlsétaientcontentspourGösta,etPatrikluiaccordaunmomentderépitavant de l’embarquer dans l’enquête. Gösta s’était tout de suite mis en devoir d’appeler toutes sesconnaissancesdegolfpourleurfairepartduGrandÉvénement.
—Donc,nousavonsuneordurequibrise lesosdesnanasavantde les tuer,ditMartin.Etqui lestailladeaucouteau.
—Oui,ondirait.Àtouslescoups,ilyaunmotifsexuelderrièreça.Unignoblesadiquequis’exciteenfaisantdumalauxautres.IlsonttrouvéduspermesurTanja,çaledémontrebien.
—Est-cequetupeuxtechargerd’informerlafamilledeMona?Jeveuxdire,leurannoncerqu’onl’atrouvée?
Martineutl’airinquietetPatrikacceptadelefaire.—J’aipenséallervoirsonpèrecetaprès-midi.Samèreestmortedepuislongtempsetilneresteque
luiàmettreaucourant.—Commenttulesais?Tulesconnais?—Non,maisEricaestalléeàlabibliothèquehieretelleasortitoutcequelapresseaécritsurSiv
etMona.Cesdisparitionsont été régulièrement reprisespar les journaux, il y adeuxou trois ansparexemple,ilsontinterviewélesfamilles.Monan’adoncplusquesonpèreetSivn’avaitdéjàplusquesamèrequandelleadisparu.Elleavaitunepetite fille, jevais luiparleraussi–dèsquenousaurons laconfirmationquec’estbienSiv,ledeuxièmesquelette.
—Ceseraitquandmêmeunesacréecoïncidencesic’étaitquelqu’und’autre?—Oui,jecomptesurlefaitquec’estelle,maisonnepeutpasl’affirmeraveccertitude.Onadéjàvu
deschosesplusétrangesqueça.Patrikfeuilletalespapiersqu’Ericaluiavaitsortisetendisposaquelques-unsenéventaildevantlui
surlebureau.Ilavaitégalementouvertledossierdesanciennesenquêtesqu’ilétaitalléchercherdanslesarchivesàlacave,danslebutderapprochertouteslesinformationsqu’ilspossédaientsurladisparitiondesfilles.Beaucoupdecequeracontaientlesjournauxnefiguraitpasdanslesdossiersdel’enquête,sibienquelesdeuxsourcesseraientnécessairespouravoirunaperçuglobaldelasituation.
—Regardeça.Sivadisparuleweek-enddelaSaint-Jeanen1979etMonaquinzejoursplustard.Pouréclairciretordonnercesinformations,Patriksemitànotersurlepanneaud’affichagemural.—SivLantinaétévuevivantepourladernièrefoisrentrantchezelleàvéloaprèsavoirfaitlafête
avecsescopains.Letoutderniertémoignagerapportequ’ellequittelagrand-routeettourneendirectionde Bräcke. Il était alors deux heures dumatin, elle a été vue par le conducteur d’une voiture qui la
dépasse.Aprèscela,personnenel’anivue,nientendue.—SionfaitabstractiondesdiresdeGabrielHult,ajoutaMartin.—Oui,sionfaitabstractiondutémoignagedeGabrielHult,cequejetrouvepertinentjusqu’ànouvel
ordre. Patrik hocha la tête avant de poursuivre. Mona Thernblad a disparu quinze jours plus tard.Contrairement à Siv, elle a disparu en pleine journée. Elle quitte son domicile vers trois heures del’après-midi pour aller faire un jogging, et elle n’est jamais revenue. On a retrouvé l’une de seschaussuressurlaroutelelongdesonparcoursd’entraînementhabituel,maisc’esttout.
—Onapuétablirdesressemblancesentrelesfilles?Àpartleursexeetl’âge?Patrikneputs’empêcherdesourireunpeu.—Toi,tuastropregardéProfileràlatélé.Maistuvasêtredéçu.Sionaaffaireàuntueurensérie–
jesupposequec’estcequetuasentête–iln’yaentoutcaspasderessemblancesapparentesentreelles.Ilfixadeuxphotographiesennoiretblancsurletableau.—Sivavaitdix-neufans.Petite,bruneetplantureuse.Ellefaisaitpasmaldeconneries,çaacauséun
scandaleàFjällbackaquandelleaeuunenfantàdix-septans.Ellevivaitavec l’enfantchezsamère,mais d’après ce que racontent les journaux elle faisait tout le temps la bringue et n’appréciait pas deresteràlamaison.Monaparcontreestdécritecommeunefilledebonnefamillequiréussissaitbienàl’école,quiavaitbeaucoupd’amisetétaitaiméedetous.Elleétaitgrande,blondeetsportive.Dix-huitans,ellehabitaitencorechezsesparents,samèreétaitenmauvaisesantéetsonpèrenepouvaitpass’encharger tout seul.Personnenesembleavoireuquoiquecesoitdenégatifàdireà sonsujet.Laseulechosequecesfillesontencommun,donc,c’estqu’ellesontdisparutotalementsanslaisserdetracesilyaplusdevingtansetqu’ellessurgissentaujourd’huisousformed’ossementsdanslabrècheduRoi.
Martin appuyapensivement la tête contre samain.CommePatrik, il resta silencieuxunmoment etétudialescoupuresdejournauxetlesnotessurlepanneaud’affichage.Tousdeuxavaiententêtelejeuneâgedecesfilles.Ellesavaienttantdechosesàvivreencore,silemaln’avaitpascroiséleurchemin.EtensuiteTanja,dont ilsn’avaientque laphotoprisepostmortem.Elleaussiunefille jeuneavec laviedevantelle.Etmaintenantmorte,elleaussi.
Patriksortitdudossieruneépaisseliassedepapierstapésàlamachine.—Ilsavaientengagédegrosmoyenspourlesinterrogatoires.Desamisetlesmembresdesfamilles
ontétéentendus.Ilyaeuuneopérationporte-à-portedanslesecteuretlesvoyouslocauxaussiontétémissurlegril.Autotalunecentained’interrogatoiresontétémenés,àcequejevois.
—Résultat?—Rien.Rienavantqu’ilsaienteuletuyaudeGabrielHult.C’estlui-mêmequiaappelélapolice
pourraconterqu’ilavaitvuSivdanslavoituredesonfrère,lanuitdesadisparition.—Et?Celan’aquandmêmepassuffipourqu’onlesoupçonnedel’avoirtuée?—Non,quandlefrèredeGabriel,JohannesHultdonc,aétéinterrogé,ilaniéavoirparléavecelle,
oumêmel’avoirvue,maisfauted’unepisteplusbrûlanteonaquandmêmechoisideseconcentrersurlui.
—Etçaamenéoù?—Nulle part. Et peu de temps après, JohannesHult s’est pendu dans sa grange, et la piste s’est
franchementrefroidie,sijepuisdire.—C’estbizarrequ’ilsesuicidesiviteaprès.—Effectivement.Alors, si c’était réellement lui le coupable, c’est sonesprit qui a tuéTanja.Les
mortsnetuentpas…—Etc’estquoi,cetruc,unfrèrequiappellepourdénoncerquelqu’undesonpropresang?Qu’est-ce
quipeutbienpousseràfaireça?Martinplissalefront.Eh,maisjesuisbête.Hult–çadoitêtrelamême
famillequeJohanetRobert,noschersbraqueurstoujoursfidèlesauposte.—Oui,exact.Johannesétait leurpère.Maintenantque j’ensaisunpeuplussur la familleHult, je
comprendsmieuxpourquoiJohanetRobert sontsiassidusà la tâche. Ilsn’avaientquecinqet sixansquandJohanness’estpenduetc’estRobertquil’atrouvédanslagrange.Tuimaginesl’effetqueçapeutavoirsurungamindesixans.
—Oh,merde.Martinsecoualatête.Bon,ilmefautunpeuplusdecaféavantdecontinuer.Montauxdecaféineestdescendudanslerouge.Tuenveux?
PatrikhochalatêteetuninstantaprèsMartinrevintavecdeuxtassesdecafébrûlant.Pourunefois,letempspermettaitdesboissonschaudes.
Patrikcontinuasonexposé.—JohannesetGabrielsont lesfilsd’unhommedunomd’EphraïmHult,surnommélePrédicateur.
Ephraïm était un pasteur évangélique connu, ou de mauvaise réputation, au choix, à Göteborg. Ilorganisait degrands rassemblementspendant lesquels il laissait ses fils encorepetits entrer en transe,parler des langues incompréhensibles et guérir des malades et des infirmes. La plupart des gens leconsidéraientcommeunescrocetuncharlatan,maisilaentoutcastirélegroslotlejouroùuneadeptedesacongrégation,MargaretaDybling,fitdeluisonhéritier.Àsamort,ils’estretrouvéàlatêted’unefortuneconsidérableen liquiditésmaisaussisousformede terres,deboisetd’unmanoir imposantducôtédeFjällbacka.EphraïmasoudainementperdutouteenviederépandrelaparoledeDieu,ilestvenus’installericiavecsesfilset,depuis,lafamillevitsurl’argentdelavieille.
Lepanneaud’affichage étaitmaintenant rempli de gribouillages et de notes, et le bureaudePatrikjonchédepapiers.
—C’estvraiquelagénéalogie,c’esttrèsintéressant,maisquelrapportaveclesmeurtres?Tul’asdittoi-même,JohannesestmortplusdevingtansavantqueTanjasoitassassinéeetlesmortsnetuentpas.Martineutdumalàdissimulersonexaspération.
— C’est vrai, mais j’ai parcouru tous les documents de l’ancienne enquête et le témoignage deGabrielestlaseulechoseintéressante.J’avaisaussiespérépouvoirdiscuteravecErroldLind,quiétaitleresponsabledel’enquête,maisilestmortd’unecrisecardiaqueen1989,etcematériauesttoutcequenous avons. Si tu n’as pas unemeilleure idée, je propose qu’on commence par en découvrir plus surTanja,etparunentretienaveclesparentsencorevivantsdeSivetdeMona,aprèsonverrasiçavautlecoupd’entendreGabrielHultdenouveau.
—Oui,çasemblelogique.Jecommenceparquoi?—Tun’asqu’àcommencerparlesrecherchessurTanja.EtveilleàmettreGöstaauboulotàpartir
dedemainmatinaussi.Finiderigolermaintenant,ilamangésonpainblanc.—EtMellbergetErnst?Qu’est-cequetuveuxfaireaveceux?Patriksoupira.—Mastratégieestdelesteniràl’écartlepluspossible.Çasignifieraplusdeboulotpournoustrois,
maisjepensequ’onseragagnantsàlalongue.Mellbergestcontentquandiln’arienàfaireetdeplusilm’a en principe délégué son pouvoir. Ernst continuera à faire ce qu’il fait déjà, à prendre autant quepossible lesdépositions courantes.S’il a besoind’aide, on lui envoieGösta ; toi etmoi, ondoit êtredisponiblesunmaxpourmenerl’enquête.Compris?
—Yesboss.Martinhochalatêteavecardeur.—Alorsenroute!QuandMartineutquittésonbureau,Patriksetournaverslepanneaud’affichage,lesmainscroisées
derrière lanuqueet seplongeadansses réflexions.La tâchequi lesattendaitétaitardue, ilsn’avaientguèred’expérienceenmatièred’homicidesetilsentitunepousséededécouragementvenirébranlerson
moral.Restaitàespérerquecemanqued’habitudeseraitcompenséparleurenthousiasme.Martinjouaitdéjàlejeu,etilsemettraitenquatrepouréveillerFlygaredesonsommeildeBelleauboisdormant.Siensuite ilsarrivaientà tenirMellbergetErnstà l’écartdes investigations,Patrikpensaitqu’ilsavaientpeut-êtreunechancederésoudrelesmeurtres.Maiscettechanceétaitmince,d’autantplusmincequelapiste concernant deux des cas était refroidie, pour ne pas dire carrément congelée. Il savait que leurmeilleurechanceseraitdeseconcentrersurTanja,maisenmêmetempssoninstinctluidisaitquelelienentre lesmeurtresétait tellementfortet tangiblequ’ilfallait les instruireenparallèle.Ceneseraitpasfacilederanimerlavieilleenquête,maisilfallaitessayer.
Il vérifia une adresse dans l’annuaire, prit un parapluie et sortit, le cœur lourd. Certaines tâchesétaientassezmonstrueusesàaccomplir.
Lapluietambourinaitinlassablementsurlesvitreset,dansd’autrescirconstances,Ericaauraitsalué
lafraîcheurqu’elleapportait.Maislehasardetlafamilleparasitequ’ellehébergeaitenavaientdécidéautrementetelleétaitlentementmaissûrementpousséeverslalimitedel’exaspération.
Lesenfantscouraientpartoutcommedesfous,frustrésderesterenfermés,etConnyetBrittaavaientcommencé à se retourner l’un contre l’autre, tels des chiens aux abois. Ça n’avait pas encore pris latournured’uneengueuladedans les règles,mais lespiques allaient crescendoet avaient atteintunbonniveaudeharcèlement.Devieuxpéchésetautres tortsétaientremissur le tapisetEricaauraitpréféréallersecachersoussacouette.Mais,encoreunefois,sabonneéducationfaisaitobstacle,lamenaçantdudoigtetlaforçantàsecomporterdefaçonciviliséeaumilieuduchampdebataille.
AumomentoùPatrikpartaittravailler,elleavaitlorgnélaporteavecenvie.Iln’avaitpascachésonsoulagement de pouvoir se réfugier au commissariat, et un moment elle avait été tentée de tester lasoliditédesapromessederesteravecellesiellel’exigeait.Maisellesavaitqueceseraitdel’abuset,enbonnepetiteépousedévouée,elleagitalamainparlafenêtreàsondépart.
La maison était grande mais pas suffisamment pour que le désordre général ne vire pas aucapharnaüm.Elleavaitsortiquelquesjeuxdesociétépourlesenfants,sibienqu’ilyavaitdeslettresdeScrabblerépanduespartoutdanslesalon,pêle-mêleavecdesmaisonsdeMonopolyetdescartesàjouer.Ellesepenchapéniblementpourramasserlespetitspionsetessayerdemettreunsemblantd’ordredanslapièce.L’échangedemotssurlavérandaentreConnyetBrittasefaisaitdeplusenplusanimé,etellecommençaàcomprendrepourquoileursenfantsn’avaientpasplusdemanières.Avecdesparentsquisecomportaientcommedesgaminsdecinqans,ilnedevaitpasêtrefaciled’apprendrelerespectdesautresetdeleursbiens.Pourvuquecettejournéesoitbientôtfinie!Dèsqu’ilnepleuvraitplus,ellemettraitlafamilleFloodàlaporte.N’endéplaiseàlabonneéducationetàl’hospitalité,ilauraitfalluêtresainteBirgittaenpersonnepournepasexplosers’ilsdevaientresterencore.
Lagouttedetroparrivaaudéjeuner.Lespiedsgonflésetavecunedouleurlancinanteaubasdudos,elles’étaittenuedevantlesfourneauxuneheuredurantpourpréparerundéjeunerquiconvenaitàlafoisàl’appétitvoracedeConnyetauxgoûtsdifficilesdesenfants,etelletrouvaitqu’ellenes’enétaitpasmaltirée. Gratin demacaronis avec du cervelas, ça aurait dû convenir à tout lemonde,mais elle s’étaitlourdementtrompée.
—Beurk,jedétestelecervelas.C’estdégueu.Lisarepoussaostensiblementl’assietteetsecroisalesbras.—Dommage,parcequec’estaumenuaujourd’hui.Lavoixd’Ericaétaitferme.—Maisj’aifaaaiiim.Jeveuxautrechose.—C’estçaourien.Situn’aimespaslecervelas,tun’asqu’àmangerlesmacaronisavecduketchup.
Ericas’efforçadeparaîtredouce,alorsqu’ellebouillonnait.—C’estdégueu,lesmacaronis!Jeveuxautrechose.Ma-maaan!—Tun’auraispasautrechoseàluidonner,Erica?Brittacaressalajouedesapetiterâleuseetfutrécompenséeparunsourire.Sûredesavictoire,Lisa
exultaetelleexhortaEricaduregard.Maislesbornesétaientdépassées.Maintenant,c’étaitlaguerre.—Jen’aiqueça.Soittumangescequ’ilyadanstonassiette,soittunemangesrien.—Jet’enprie,Erica,tun’espasunpeusévèrelà?Conny,explique-luicommentonfaitàlamaison,
notrepolitiqueenmatièred’éducation.Onneforcepasnosenfantsàquoiquecesoit.Çaentraveraitleurdéveloppement.SiLisaveutautrechose,pournousc’estévidentqu’elledoitl’obtenir.Jeveuxdire,c’estunepersonneàpartentièreavecautantdedroitdes’exprimerquenousautres.Etqu’est-cequetudiraissionteforçaitàmangerdeschosesquetun’aimespas?Jenepensepasquetul’accepterais.
Britta fit la leçonavecsavoixdepsychologueetEricasentit subitementque lacoupeétaitpleine.Avec un calme glacial, elle prit l’assiette de l’enfant, la souleva au-dessus de la tête de Britta et larenversa. Lorsque les macaronis et la béchamel coulèrent sur ses cheveux et s’infiltrèrent sous sonchemisier,lastupeurcoupanetleflotdeparolesaumilieud’unephrase.
Dix minutes plus tard, ils étaient partis. Probablement pour ne plus jamais revenir. Elle seraitdésormaissurlistenoiredanscettebranchedelafamille,maismêmeaveclameilleurevolontédumondeEricanepouvaitpasdirequ’elleleregrettait.Ellen’avaitpashontenonplus,mêmesisoncomportementpouvaitaumieuxêtrequalifiédepuéril.Ç’avaitétéformidablecommesensation,dedonnerlibrecoursauxfrustrationsdecesdeuxderniersjours,etellen’avaitcertainementpasl’intentiondes’enexcuser.
Ellepensaitpasserlerestedelajournéesurlecanapéavecunbouquinetlapremièretassedethédel’été.Toutàcoup,lavieluisemblaitbeaucoupplusradieuse.
Bienquesavérandavitréenefûtpasspacieuse,lavégétationquis’yépanouissaitpouvaitrivaliseravec leplus exubérantdes jardins.Chaque fleur avait été tendrementobtenueàpartir d’unegraineoud’uneboutureet,caniculeaidant, l’atmosphèreétaitpresque tropicale.Dansuncoin,AlbertThernbladcultivait des légumes et rien ne pouvait se comparer à la satisfaction de cueillir ses propres tomates,courgettesetoignons.Ilyavaitmêmedesmelonsetduraisin.
LavillaétaitsituéesurlaroutedeDingle,à l’entréesuddeFjällbacka,elleétaitpetite,mitoyenneavec une autre mais fonctionnelle. Sa véranda apparaissait tel un superbe îlot de verdure parmi lesculturesplusmodestesdesautrespropriétaires.
C’est seulement lorsqu’il se trouvait ici parmi ses plantes que la maison de son enfance ne luimanquaitpas,lamaisonoùilavaitgrandietoùils’étaitensuitecrééunfoyer,avecsafemmeetsafille.Ellesn’étaientplus,nil’unenil’autre,etdanslasolitudesadouleurn’avaitfaitquecroîtrejusqu’aujouroùilavaitcomprisqu’illuifaudraitaussifairesesadieuxàlamaisonetàtouslessouvenirsincrustésdanslesmurs.
Bien sûr, lamaison d’aujourd’hui n’avait pas la personnalité de l’ancienne qu’il avait tant aimée,maisc’étaitaussigrâceàcecôténeutrequeladouleuravaitpus’atténuer.Àprésentl’anciennerestaitenluicommeunesortedevrombissementsourdetpermanentenarrière-fond.
LorsqueMonaavaitdisparu, il avaitpenséqueLinneaet lui allaientmourirdechagrin.Sa femmeavaitdéjàunesantéfragile,maiselles’étaitrévéléeplusrésistantequ’iln’avaitcru.Elleavaittenudixansdeplusavantdemourir,dixanspournepaslelaisserseulaveclechagrin,ilenétaitcertain.Chaquejourelleavaitluttépoursemaintenirdansunevieoùellen’étaitplusquel’ombred’elle-même.
Monaavaitétélalumièredeleurvie.Elleétaitarrivéequandtousdeuxavaientabandonnél’espoird’avoir un enfant, et il n’y en avait pas eu d’autres. Tout l’amour dont ils étaient capables s’étaitcristallisé dans la créature gaie et lumineuse dont le rire allumait de petits brasiers dans sa poitrine.
Qu’elleaitpusimplementdisparaîtrecommeçaluiparaissaitinconcevable.Àl’époque,ilauraittrouvénormalquelesoleilcessedebriller,quelecielluitombesurlatête.Maisriennes’étaitpassé.Lavieavaitcontinuécommed’habitudeà l’extérieurde leurdemeureendeuillée.Lesgensriaient,vivaientettravaillaient.MaisMonan’étaitpluslà.
Pendant longtemps, l’espoir les avait fait vivre. Elle se trouvait peut-être quelque part. Elle avaitpeut-êtrechoisidedisparaîtreetvivaituneviesanseuxquelquepart.Enmêmetemps,ilsconnaissaienttouslesdeuxlavérité.L’autrejeunefilleavaitdisparupeuavantetc’étaitunetropgrandecoïncidencepour qu’ils puissent se leurrer. De plus,Mona ne leur aurait pas sciemment causé une telle douleur.C’étaitunefillegentilleetadorablequis’efforçaittoujoursdeprendresoind’eux.
Le jour où Linnea étaitmorte, il avait reçu la preuve définitive queMona se trouvait au ciel. Lamaladieetlechagrinavaientdiminuésafemmeadorée,etcejour-là,lorsqu’ill’avaitvuelàdanslelit,ilavaitsuquelemomentétaitvenupourelledelequitter.Aprèsdesheuresdeveille,elleavaitserrésamainunedernièrefois,puisunsourires’étaitrépandusursonvisage.Lalumièrequis’étaitalluméedansles yeux deLinnea était une lumière qu’il n’avait pas vue depuis dix ans. Pas depuis la dernière foisqu’elle avait regardéMona. Elle avait fixé son regard quelque part derrière lui et avait rendu l’âme.Alorsilenavaitétésûr.Linneaétaitmorteheureuseparcequesafillel’accueillaitauboutdupassage.D’unecertainefaçon,celarendait lasolitudeplusfacileàporter.Maintenant lesdeuxêtresqu’ilavaitaimésleplusétaientréunis.Ilallaitpouvoirlesrejoindrebientôt.Ilavaithâtequecejourarrive,maisenattendant il était de son devoir de vivre sa vie du mieux qu’il le pouvait. Le Seigneur avait peud’indulgencepourceuxquiabandonnaientet iln’osaitpascompromettresaplaceauciel,auxcôtésdeLinneaetdeMona.
Uncoupfrappéàlaportel’arrachaàsesréflexionsmélancoliques.Ilselevapéniblementet,appuyésursacanne,ilpassaentrelesplantes,traversalevestibuleetouvritlaported’entrée.Unjeunehommesérieuxsetenaitlà,prêtàfrapperencoreunefois.
—AlbertThernblad?—Oui,c’estmoi.Maisjen’aibesoinderien,sic’estpourmevendrequelquechose.L’hommesourit.—Non,jenevendsrien.Jem’appellePatrikHedströmetjesuisdelapolice.J’auraisvouluvous
parlerunpetitinstant.Albertneditrienmaiss’écartapourlelaisserentrer.Ill’emmenasurlavérandaetindiqualecanapé.
Iln’avaitpasdemandécequil’amenaitlà.Cen’étaitpasnécessaire.Ilattendaitcettevisitedepuisplusdevingtans.
—Ellessontmagnifiques,vosplantes.Vousavezlamainverte,àcequejevois,ditPatrikavecunpetitrirenerveux.
AlbertneditrienmaisposaunregarddouxsurPatrik.Ilcompritquecen’étaitpasuneannoncefacileàfaire,maisl’inspecteurdepolicedevantluipouvaitêtretranquille.Aprèstoutescesannéesd’attente,c’étaitunebonnechosedesavoirenfin.Letravaildedeuilétaitdéjàfait.
—Oui,ehbien,c’estpourvousdirequenousavonsretrouvévotrefille.Patrikseraclalagorgeetrecommença:—Nousavonstrouvévotrefilleetnouspouvonsconfirmerqu’elleaétéassassinée.Alberthochasimplementlatête.Enmêmetemps,ilsentitunepaixenvahirsonesprit.Enfinilallait
pouvoirs’occuperdureposdeMona.Avoirunetombesurlaquelleserecueillir.Ilallaitl’enterreràcôtédeLinnea.
—Oùl’avez-voustrouvée?—DanslabrècheduRoi.
—LabrècheduRoi?Albertplissalefront.Commentçasefaitqu’onnel’aitpasretrouvéeplustôt?Ilyabeaucoupdemondequipasseparlà.
PatrikHedströmluiparlade la touristeallemandeassassinéeet luiditqu’ilsavaientprobablementtrouvé Siv aussi. Ils pensaient queMona et Siv y avaient été déposées au cours de la nuit, qu’ellesavaientreposéailleurspendanttoutescesannées.
Albert ne venait plus trop en ville, si bien que contrairement aux autres habitants deFjällbacka iln’avaitpas entenduparlerde l’assassinatde la jeuneAllemande.Lapremièrechosequ’il ressentit enapprenant cequi lui était arrivé fut unedouleur fulgurante au creuxduventre.Quelquepart quelqu’unallaitvivrelemêmeenferqu’ilsavaientconnu,luietLinnea.Quelquepart,ilyavaitunpèreetunemèrequi n’allaient plus jamais revoir leur fille. Cela jetait une ombre sur la nouvelle concernant Mona.Comparé aux parents de la fille morte, il était bien loti. Pour lui, la douleur avait eu le temps des’assourdiretdes’émousser.Eux,enrevanche,avaientencoredenombreusesannéesdecalvaireàvivre,etilsentitsoncœurseserrer.
—Onsaitquiafaitça?—Malheureusementnon.Maisnousallonstoutfairepourl’apprendre.—Voussavezsic’estlamêmepersonne?Lepolicierbaissalatête.—Non,nousnesavonsmêmepasça,mais tout l’indique.Ilyacertainessimilitudes,c’est toutce
quejepeuxdirepourl’instant.Patrikjetaunregardsoucieuxsurlevieilhommedevantlui.—Est-cequejepeuxappelerquelqu’un?Unepersonnequipourraitvenirvoustenircompagnie?—Non,iln’yapersonne.Sonsourireétaitdouxetpaternel.—Voulez-vousquej’appellelepasteur?—Nonmerci, je n’ai pas besoin d’un pasteur. Ne vous en faites pas, j’ai déjà vécu ce jour des
milliersdefoisenpensée.Jeveuxseulementrestertranquillementiciparmimesplantesetréfléchir.Jenesuisenmanquederien.J’aibeauêtrevieux,jesuissolide,voussavez.
De nouveau le même sourire doux. Il posa sa main sur celle de Patrik, comme si c’était lui quiconsolait.Etc’étaitpeut-êtrebienlecas.
—Sivouslevoulezbien,j’aimeraisvousmontrerquelquesphotosdeMonaetparlerunpeud’elle.Pourquevouscompreniezvraimentcommentelleétait.
Sanshésiter,PatrikhochalatêteetAlberts’enallaenboitillantchercherlesvieuxalbums.Pendantprès d’une heure, il montra des photos et parla de sa fille. C’était un des meilleurs moments depuislongtempsetilréalisaqu’ilauraitdûs’autoriserplussouventcegenred’incursionparmilessouvenirs.
Sur lepasde laporte, avant ledépartdePatrik, il luiglissaunedesphotosdans lamain.C’étaitMonalejourdesescinqans,ungrosgâteauaveccinqbougiesdevantelleetunsourirequiallaitd’uneoreille à l’autre. Elle était adorable avec des boucles blondes et des yeux pétillant de joie de vivre.C’étaitimportantpourluiquelespoliciersaientcetteimage-làsurlarétineencherchantl’assassindesafille.
Après le départ de l’inspecteur, il retourna s’asseoir sur la véranda. Il ferma les yeux et aspiral’odeur sucrée des fleurs. Il s’endormit et rêva d’un long tunnel oùMona et Linnea l’attendaient sousformed’ombres.Ileutl’impressionqu’ellesluiadressaientdessignesdelamain.
Laportedesoncabinetdetravails’ouvritbrutalement.Solveigseruadanslapièceet,derrièreelle,
ilvitLainiarriverencourant,agitantlesmainsdansungested’impuissance.
—Salopard!Espècedeputaindesalopard!Inconsciemment, il fitunegrimaceenentendant lechoixdemots. Il avait toujoursétéextrêmement
gênéquelesgensexprimentleurssentimentsdefaçongrossière,etiln’avaitaucuneindulgencepouruntellangage.
—Qu’est-cequisepasse?Solveig,tutecalmesmaintenant,ettuarrêtesdemeparlercommeça.Troptard,ilcompritqueletoncinglantquiluivenaitsinaturellementnefaisaitqu’échaufferSolveig
davantage.Onauraitditqu’elleétaitprêteà luisauterà lagorgeet ilprit laprécautiondeseréfugierderrièrelebureau.
—Mecalmer!Tudisquejedoismecalmer,espècedeconnardd’hypocrite!T’esqu’unecouillemolle!
Ilvitqu’elleprenaitplaisiràlevoirsursauteràchaquemotd’injure.LevisagedeLainipâlitencoreplusetSolveigbaissalavoixd’uncranmaisenyajoutantunetouchedeméchanceté.
—Qu’est-ce qu’il y a,Gabriel ? Pourquoi t’as l’air si gêné ?Autrefois tu aimais bien que je techuchotedescochonneriesàl’oreille,çatefaisaitbander.Tut’ensouviens,Gabriel?
—Iln’yaaucuneraisondesortirdevieilleshistoires.Tumeveuxquelquechoseenparticulieroutuessimplementsoûleetdésagréablecommed’habitude?
— Si je te veux quelque chose ? Tu te fous de ma gueule ? Figure-toi que je suis descendue àFjällbackaettusaisquoi?IlsonttrouvéMonaetSiv.
Gabrielsursautaetlastupeurvints’inscriresursafigure.—Ilsonttrouvélesfilles?Oùça?Solveigsepenchapar-dessuslebureau,appuyéesursesmains,desortequesonvisagen’étaitqu’à
quelquescentimètresdeceluideGabriel.—Dans labrècheduRoi.Avecune jeuneAllemandeassassinée.Et ilspensentquec’est lemême
assassin.Honteàtoi,GabrielHult!Honteàtoiquiasdésignétonproprefrère,lachairdetachair.Luiquiadûendosserlaculpabilitéauxyeuxdesgensalorsqu’iln’yavaitpaslamoindrepreuvecontrelui.Touscesdoigtspointésetleschuchotementsdanssondos,c’estçaquil’abrisé.Maistucomptaispeut-êtrelà-dessus,queçaseterminecommeça.Tusavaisqu’ilétaitfragile.Qu’ilétaitvulnérable.Iln’apassupportélahonteetils’estpenduetçanem’étonneraitpassic’étaitexactementcequetuespéraisquandtuasappelélapolice.Tun’asjamaissupportéqu’Ephraïml’aimeplusquetoi.
Solveig luiappuyaplusieursfoissur lapoitrineavecundoigtsidurqu’il reculaàchaquecoup.Ilavaitdéjàledoscontrelereborddelafenêtreetnepouvaitpass’éloignerdavantage.Ilétaitacculé.Desyeux, il essaya d’indiquer àLaini de faire quelque chose pour remédier à cette situation désagréable,maiscommed’habitudeellenefaisaitqueresterlesbrasballantsetlesyeuxécarquillés.
—MonJohannesétaittoujoursplusaiméquetoi,partoutlemonde,ettunel’aspassupporté,pasvrai ?Même lorsqu’il l’a déshérité, Ephraïm a quand même continué à préférer Johannes. Toi tu asobtenuledomaineetl’argent,maistun’asjamaissuobtenirl’amourdetonpère.Mêmesic’étaittoiquigérais le domainependant que Johannes faisait la fête.Et ensuite quand il t’a pris ta fiancée, c’est lagouttequiafaitdéborderlevase,pasvrai?C’estàcemoment-làquetut’esmisàlehaïr,hein,Gabriel?C’estàcemoment-làquetut’esmisàhaïrtonfrère?Oui,biensûr,c’étaitpeut-êtreinjuste,maisçanetedonnaitpasledroitdefairecequetuasfait.TuasgâchélaviedeJohannes,etlamienneetcelledesenfantsaussi.Tucroisquejenesaispascequ’ilsfabriquent,lesgarçons?Etc’esttafauteàtoi,GabrielHult.Enfin lesgensvontvoirqueJohannesn’apascommiscedont il aétéaccusépendant toutescesannées.Enfinonvapouvoirredresserlatête,lesgarçonsetmoi.
La fureur sembla enfin se tarir, et fit place aux larmes.Gabriel ne savait pas ce qui était le pire.Pendantuninstant, ilavaitvudanssacolèreunebrèveimagedel’ancienneSolveig.Labellereinede
beautéqu’il avait été fierd’avoir comme fiancée, avantque son frèrenevienne laprendre, selon sonhabitudedes’emparerdetoutcequ’ilconvoitait.Lorsqueleslarmesremplacèrentlacolère,Solveigsedégonflacommeunballonpercéetilvitdenouveaulaloquehumaineobèseetnégligéequipassaitsontempsàs’apitoyersurelle-même.
—Quetubrûlesenenfer,GabrielHult,encompagniedetonpère!Ellemarmonnalesmotsetdisparutensuiteaussivitequ’elleétaitarrivée.RestaientGabrieletLaini.
Poursapart,ilavaitl’impressiond’avoirétéfrappéparunegrenade.Ilselaissatombersurlachaisedebureauetlançaunregardmuetàsafemme.Leursyeuxexprimèrentunecompréhensionmutuelle.Devieuxossementsétaientlittéralementremontésàlasurface,etilssavaienttouslesdeuxcequecelaimpliquait.
Avec zèle et confiance,Martin s’attela à essayer de savoir qui était Tanja Schmidt, le nom sur le
passeport.Lieseleuravaitapportétouteslesaffairesdesonamie,etilexaminaminutieusementlesacàdos.Sonpasseport se trouvait toutau fond. Il avait l’air récentet comportaitpeude tampons.En fait,seulementdestamponsdutrajetentrel’AllemagneetlaSuède.Ellen’avaitprobablementjamaisdépassélesfrontièresdel’Allemagneavant,oualorselles’étaitfaitfaireunnouveaupasseport.
Laphotod’identitéétait remarquablementbonne,et il seditqu’elleavaitunair sympathique,bienqu’assez ordinaire. Des yeux marron et des cheveux châtains mi-longs. Un mètre soixante-cinq,constitutionnormale,selonlavagueformuleconsacrée.
Àpartcela,lesacàdosnerévélaitriend’intéressant.Desvêtementsderechange,quelqueslivresdepoche malmenés, des affaires de toilette et des sachets vides de sucreries. Globalement, rien depersonnel,cequ’iltrouvaunpeuétrange.Onemportebienaumoinsunephotodesafamilleoud’unpetitami,ouuncarnetd’adresses?Ilsavaienttrouvéunsacàmainprèsducorps.LieseavaitconfirméqueTanja avait un sac à main rouge. C’était probablement là-dedans qu’elle avait gardé ses affairespersonnelles.Entoutcas,ellesn’yétaientplus.Pouvait-ils’agird’unvol?Oubienl’assassinlesavait-ilprisesenguisedesouvenirs?IlavaitvusurDiscoverydansdesémissionssurles tueursensériequeceux-ci conservaient fréquemment des objets ayant appartenu à leurs victimes, comme une partie durituel.
Martinsereprit.Rienpourlemomentn’indiquaitqu’ilsavaientaffaireàuntueurensérie.Ilferaitmieuxdenepass’embarquersurcettepiste-là.
Il commençaànotercequ’il fallait faire.D’abord,contacter lapoliceallemande, l’appeldeTordPedersen l’avait interrompu tout à l’heure. Ensuite il faudrait qu’il ait un entretien plus détaillé avecLiese et enfin il demanderait àGösta d’aller au campingposer quelquesquestions.Voir si par hasardTanja avait parlé avec quelqu’un. Mais il valait peut-être mieux que ce soit Patrik qui confie cettemissionàGösta.C’étaitPatrikquiavaitautoritépourdonnerdesordresàGösta,paslui.Etleschosessedéroulaientdefaçonplussouplesionsuivaitscrupuleusementleprotocole.
Denouveauilcomposalenumérodelapoliceallemandeetcettefois-cisonappelaboutit.Ceseraitexagéré de dire que la conversation coula aisément,mais en raccrochant il était assez certain d’avoirréussiàbalbutiercorrectementtouteslesdonnéesimportantes.Ilsavaientpromisderappelerdèsqu’ilsauraient davantage d’informations. En tout cas, c’est ce que Martin pensait avoir compris. S’il étaitamenéà avoirbeaucoupde contacts avec les collègues allemands, il serait sansdouteobligéde faireappelàuninterprète.
En considérant le temps qu’il fallait pour obtenir ces informations de l’étranger, il regrettaitamèrementdenepasavoirunebonneconnexionInterneticiaubureau,commeill’avaitàlamaison.Pouréviter soi-disant le piratage, le commissariat ne disposait pas de l’ADSL. Il se promit de faire une
recherchedechezluisurTanjaSchmidtdansl’annuaireallemand,enespérantletrouverenligne.Maiss’il avait bonne mémoire, Schmidt était un des noms de famille allemands les plus courants, et seschancesétaientmaigres.
Dansl’attentedesinformationsd’Allemagnequiluipermettraientdeprogresser,ilpouvaittoutaussibiens’attaquerà la tâchesuivante.Lieseluiavaitdonnésonnumérodeportableet ilvoulaits’assurerqu’elleétaittoujourslà.Formellement,ellen’étaitpastenuederester,maiselleavaitpromisdenepass’enalleravantdeux,troisjours.
Sonvoyageavaitdûperdretoutsoncharme.D’aprèsletémoignagequ’elleavaitfourniàPatrik,lesdeuxfillesétaientdevenuestrèsprochesenpeudetemps.EtmaintenantelleseretrouvaitseuledansunetenteaucampingàFjällbacka,sacompagnedevoyageoccasionnelleassassinée.Peut-êtreétait-elleendanger aussi ? C’était un scénario auquel Martin n’avait pas pensé auparavant. Il vaudrait mieux entoucherdeuxmotsàPatrikdèsqu’ilseraitderetour.Onpouvaittrèsbienimaginerquel’assassinavaitvulesfillesaucampingetpouruneraisonouuneautreavaitfocalisésurelles.Mais,danscecas,commentexpliquer laprésencedesossementsdeMonaetdeSiv?MonaetéventuellementSiv,secorrigea-t-ilimmédiatement.Ilnefallaitjamaisconsidérercommecertaincequin’étaitquepresquecertain,l’undesintervenantsàl’écoledepoliceavaitditcela,etc’étaitunethèsequeMartins’appliquaitàsuivredanssonmétier.
Àlaréflexion, ilnepensaitpasqueLiesesoitendanger.Encoreunefois, ilsavaientaffaireàdesvraisemblances,ettoutportaitàcroirequec’étaituniquementlechoixregrettabledecettecompagnedevoyagequil’avaitmêléeàtoutça.
Malgré l’appréhension qu’il avait ressentie tout à l’heure, il décida de prendre le taureau par lescornesetd’essayerd’entraînerGöstadansdutravailconcret.Ilenfilalecouloirjusqu’àsonbureau.
—Gösta,jepeuxt’interrompre?Encore tout épaté par son exploit, Gösta était au téléphone et, pris en faute, il raccrocha
immédiatement.—Oui?—Patrik nous a demandé de faire un tour au camping de Sälvik. Je dois rencontrer la copine de
voyagedelavictimeet,toi,tudevaisposerdesquestionsauxcampeurs,ilmesemble?Göstagrognajustecequ’ilfallait,maisneremitpasenquestionlaprétenduerépartitiondestâches
faite par Patrik. Il prit son blouson et emboîta le pas à Martin jusqu’à la voiture. L’averse s’étaittransforméeenunelégèrebruine,etl’airétaitlimpideetfrais.Onavaitl’impressionquedessemainesdepoussièreetdechaleurétaientpartiesaveclapluieettoutparaissaitplusproprequed’ordinaire.
—Ilfautjusteespérerquecettepluien’étaitqu’unépisode,sinonjepeuxdireadieuaugolf.Göstamarmonna,maussade,dans lavoiture,etMartincompritquesoncollègueétaitsansdoute le
seulencemomentànepasapprécierunepetitepausedanslachaleurestivale.—Ben,moijetrouveçaplutôtsympa.Cettefoutuechaleurm’apresqueachevé.Etpenseàlacopine
dePatrik.Çadoitêtrevraimentchiantd’êtreenceintejusqu’auxyeuxenpleinété.J’auraisdumalàtenirlecoup,çac’estsûr.
Martinbavardait,sachanttrèsbienqueGöstaavaittendanceàêtred’unecompagniemorosequandlesujetdeconversationn’étaitpaslegolf.EtvuquelesconnaissancesdeMartinenlamatièreselimitaientàsavoirquelaballeétaitrondeetblancheetquelesgolfeurssereconnaissaientàleurpantalondeclownàcarreaux,ilsepréparaàteniruneconversationensolo.C’estpourquoiiln’enregistrapastoutd’abordlepetitcommentairedeGösta.
—Notrepetitaussiestnéundébutaoût,c’étaitunététrèschaud,commecelui-ci.—Tuasunfils,Gösta?Jenelesavaispas.
Martincherchadans ses souvenirscequ’il savait sur la familledeGösta.Sa femmeétaitdécédéequelquesannéesauparavant,maisiln’arrivaitpasàsesouvenird’unenfant.ToutsurprisiltournalatêteversGösta.Soncollèguenecroisapassonregard,ilfixaitsesmainsquireposaientsursesgenoux.Sansparaîtres’enrendrecompte,ilfaisaittournerl’allianceenorqu’ilportaitencore.IlnesemblaitpasavoirentendulaquestiondeMartin.Ilcontinuad’unevoixatone:
—Majbrittavaitpristrentekilos.Elleétaitcommeunebaleine.Ellenonplusn’arrivaitpasàbougeràcausedelachaleur.Verslafin,ellerestaittoutletempsàl’ombre,àhaleter.J’allaisluichercherdescarafesd’eau,sansarrêt,maisc’étaitcommearroserunchameau,elleavaittoujourssoif.
Il rit, un drôle de petit rire introverti, un peu tendre, etMartin réalisa queGösta s’était tellementengouffrédansl’alléedessouvenirsqu’enfaitilparlaittoutseul.Ilcontinua:
—Legarçonétaitparfaitquand ilestné.Grandetbeau,oui.Monportrait toutcraché,àcequ’ilsdisaient. Mais ensuite c’est allé très vite. Gösta faisait tourner son alliance de plus en plusfrénétiquement.J’étaislàaveceuxdanslasalledelamaternitéquandilacesséderespirer.Çaaétélebranle-basdecombat.Lesgensarrivaientencourantdepartout,etilsnousl’ontpris.Puisquandonl’arevu,ilétaitdanssoncercueil.L’enterrementétaittrèsbeau.Ensuite,lecœurn’yétaitpluspourenfaireunautre.Onavaitpeurqueçanerecommence.Onnel’auraitpassupporté,Majbrittetmoi.Etons’estcontentésl’undel’autre.
Göstasursautacommes’ilseréveillaitd’une transe. Il jetaunregard lourddereprochesàMartin,commesic’étaitsafautes’ils’étaitlaisséemporterparlesmots.
—Jeneveuxplusqu’onenparle,tuentends.Etvousautres,vousn’avezpasbesoindelecommenternonpluspendantlespausescafé.Çafaitquaranteansmaintenant,çaneregardepluspersonne.
Martinhochalatête.Ilneputs’empêcherdedonnerunepetitetapesurl’épauledeGösta.Levieuxgrogna,maisMartinsentitquandmêmequ’àcetinstantunpetitlienténusenouaitentreeux,àunendroitoùauparavantiln’yavaitqu’unmanqueréciproquederespect.Göstan’étaitpeut-êtrepaslemeilleurflicquelacorporationavaitsuproduire,maisçanevoulaitpasdirequ’ilmanquaitd’expérience.
Ilsfurenttouslesdeuxsoulagésd’arriveraucamping.Lesilenceaprèsdegrandesconfidencespeuts’avérerlourdetlescinqdernièresminutesenavaientétéchargées.
Göstapartitdesoncôté,lamineabattue,faireduporte-à-porteparmilescampeurs.Martindemandal’emplacementdelatentedeLiese,etcellequ’iltrouvaétaitminuscule.Elleétaitcoincéeentredeuxplusgrandes,etsemblaitencorepluspetiteparcomparaison.D’uncôté,unefamilleavecdepetitsenfantsquichahutaient et jouaient bruyamment et, de l’autre, un gars plutôt costaud qui sirotait une bière sousl’auvent.TousregardèrentMartinaveccuriosité.
Ilappeladoucement.LafermetureÉclairs’ouvritetunetêteblondeémergea.Deuxheuresplustard,MartinetGöstas’enallèrentsansrienavoirapprisdeplus.Liesen’avaitpas
pufournird’autresélémentsquecequ’elleavaitdéjàracontéàPatrikauposte,etlesautresvacanciersn’avaientrienremarquédenotableconcernantTanjaouLiese.
Mais quelque chose titillait Martin. Il avait vu un détail qu’il aurait dû enregistrer. Il cherchafébrilementparmilesimpressionsvisuellesducamping,maisl’élémentrestainsaisissable.Iltambourinairritésurlevolantetdutserésoudreàlaissertomber.
Leretoursefitdansunsilencetotal.Patrikespéraitqu’ilseraitcommeAlbertThernbladenvieillissant.Pasaussiseul,évidemment,mais
aussibeau.Albertnes’étaitpaslaisséalleraprèslamortdesafemme,cequiarrivesouventauxhommesâgésquandilsseretrouventseuls.Non,ilétaitbienhabilléavecchemiseetgilet,sescheveuxblancset
sabarbeétaientsoignés.Malgrésesdifficultésàmarcher,ilévoluaitavecdignité,latêtehaute,etàenjugerd’aprèslepeuquePatrikavaitvudelamaisonelleétaitpropreetbientenue.Lafaçondontilavaitréagiàlanouvellequ’ilvenaitd’apprendreétaitimpressionnanteaussi.Ilavaitvisiblementfaitlapaixavecsondestinetvivaitdumieuxqu’ilpouvait.
Les photos de Mona qu’Albert avait montrées à Patrik l’avaient secoué. Comme tant de foisauparavant,ilréalisaitquec’étaitbeaucouptropfacilederéduirelesvictimesdecrimesàunchiffredanslesstatistiques,oudeleurcolleruneétiquette,«partiecivile»ou«lavictime».Toujourslesmêmestermes,qu’ils’agissedelavictimed’unvolou,commemaintenant,d’unhomicide.Albertavaiteuraisondeluimontrer lesphotos.Cela luiavaitpermisdesuivreMonadepuis lenouveau-né jusqu’à lapetitefilleboulotte,del’écolièreàl’étudianteetjusqu’àlajeunefillejoyeuseetsainequ’elleétaitaumomentdesadisparition.
Maisilyavaituneautrefillesurlaquelleildevaitserenseigner.Ilconnaissaitsuffisammentlarégionpoursavoirquelesrumeurss’étaientdéjàemballéesetparcouraientlapetitevillecommel’éclair.Mieuxvalait les devancer et aller voir la mère de Siv Lantin, bien que l’identité de Siv ne fût pas encoreconfirmée. Il avait euquelquesproblèmespour la localiser,Gunne s’appelait plusLantin puisqu’elles’était remariée, ou mariée tout court. Après quelques recherches, il avait déniché son nouveaupatronyme,Struwer,etapprisqu’ilexistaitunerésidencesecondaireaunomdeGunetLarsStruwerdansNorraHamngatanàFjällbacka.LenomdeStruwerluisemblaitfamilier,maisiln’arrivaitpasàlesituer.
IleutlachancedetrouveruneplacedansleparkingencontrebasdurestaurantdesBainsetilfitlescentderniersmètresàpied.Enété,lacirculationétaitàsensuniquedansNorraHamngatan,maispendantsonbreftrajetilcroisatroisidiotsquiapparemmentnesavaientpaslirelespanneauxdesignalisationetquileforcèrentàseserrercontrelemurdepierrelorsqu’ilssetrouvèrentconfrontésauxvoituresvenantenface.Ah,cestypesenquatre-quatre,insupportables!Sanscompterqu’ilsvenaientprobablementtousdelarégiondeStockholmoùcegenredevéhiculestout-terrainn’avaitstrictementaucunsens.
Patrik avait envie de sortir sa plaque et de leur réciter la loi,mais il s’en abstint. S’ils devaientconsacrer du temps à apprendre les bonnes manières élémentaires aux touristes, ils ne feraientpratiquementplusqueça.
Enarrivantàlabonneadresse,unemaisonblancheauxboiseriesbleuessituéeàgauchedelarue,enfacedescabanesdepêcheursrougesquidonnaientàFjällbackasonaspectsicaractéristique,iltrouvalespropriétairesentraindedéchargerquelquessolidesvalisesd’uneVolvoV70dorée.Plusexactement,unhommed’uncertainâgeenvesteàdoubleboutonnagesortaitseullesvalises,ensoufflantbruyamment,tandis qu’une femme assez petite, lourdement maquillée, gesticulait à ses côtés. Ils étaient tous deuxbronzés,pournepasdiretannés,etsil’étén’avaitpasétésiensoleilléPatrikauraitplutôtpenséàdesvacancesàl’étranger.MaiscetteannéelesîlotsdeFjällbackaavaienttoutaussibienpuleurfournircebronzage.
Ils’approchad’euxethésitaunesecondeavantdeseraclerlagorgepourattirerleurattention.Ilssetournèrentverslui.
—Oui?LavoixdeGunStruwerétaitlégèrementtropaiguëetPatriknotauntraitmesquinsursonvisage.
—Jem’appellePatrikHedström,jesuisdelapolice.J’aimeraisvousparlerquelquesinstants.—Enfin!Ilétaittemps!Elleagitasesmainsauxonglesrougesetlevalesyeuxauciel.—Jenecomprendspascequ’ilsfontdel’argentdescontribuables!Onapassél’étéàvoussignaler
quedesgenssegarentsurnotreplacedeparking,sansjamaisavoirdevosnouvelles.C’estdel’abus!Bon,alorscommeçavousallezenfinvousenoccuper?Onapayétrèschercettemaisonetonestimeque
c’estànousd’utilisernotreplacedeparking,maisc’estpeut-êtretropdemander!Ellecalasesmainssur leshancheset fixaPatrikdroitdans lesyeux.Derrièreelle,sonmariavait
l’airdevouloirdisparaîtresousterre.Manifestement,ilnetrouvaitpastoutçaaussirévoltant.—Jeregrette,jenesuispasicipouruneinfractiondestationnement.Mais,avanttoutechose,ilfaut
d’abordque je vousdemande :Est-cequevotre nomde jeune fille estLantin, et aviez-vousune fillenomméeSiv?
Gunsetutimmédiatementetplaquasamainsursabouche.C’étaitsuffisantcommeréponse.Sonmariseressaisitlepremieretindiqualaported’entréequiétaitrestéeouverte.Pournepastenterlediableenlaissant lesvalisesdans la rue,PatrikensaisitdeuxetaidaLarsStruwerà lesporterdans lamaison,tandisqueGunlesprécédait.
Ilss’installèrentdanslapiècedeséjour,lecouples’assitcôteàcôtedanslecanapéetPatrikchoisitlefauteuil.Guns’accrochaitàLars,maissesgestesréconfortantsparaissaientassezmachinaux,commes’ilnefaisaitquecequelasituationexigeaitdelui.
—Qu’est-cequis’estpassé?Qu’est-cequevousavezappris?Çafaitplusdevingtans,commentavez-vous pu trouver quelque chose si longtemps après ? La nervosité faisait parler Gun sansdiscontinuer.
—Jevoudraissoulignerquenousnesommespasencoresûrs,maisilsepeutquenousayonsretrouvéSiv.
LamaindeGunvolaverssagorgeetcettefoiselleparutsansvoix.—Nous attendons encore l’identification définitive dumédecin légiste, continua Patrik,mais tout
porteàcroirequ’ils’agitdeSiv.—Maiscomment,où…?Ellebégayalesquestions.Lesmêmes,biensûr,quecellesqu’avaitposées
lepèredeMona.—UnejeunefemmeaétéretrouvéemortedanslabrècheduRoi.Aumêmeendroit,onatrouvéMona
Thernblad,etprobablementSiv.Ilexpliqua,commeill’avaitfaitàAlbertThernblad,quelesvictimesyavaientétédéposées,etque
lapolices’efforçaitmaintenantdedécouvrirquiavaitpucommettrecesmeurtres.Gunplaquasonvisagecontrelapoitrinedesonmari,maisPatriknotaqu’ellepleuraitavecdesyeux
secs.Ileutl’impressionquesesmanifestationsdechagrinétaientfaitesenpartiepourépaterlagalerie,maisçarestaituneimpressionplutôtvague.
LorsqueGuneutreprislecontrôle,ellesortitunpetitmiroirdepochedesonsacàmainetcontrôlasonmaquillageavantdedemander:
—Queva-t-ilsepassermaintenant?Quandpouvons-nousrécupérerladépouilledemapauvrepetiteSiv?
Sansattendrelaréponse,ellesetournaverssonmari:— Il faut qu’on organise un vrai enterrement pourma pauvre chérie, Lars. On pourrait avoir une
petiteréceptionensuitedanslasalledesfêtesduGrandHôtel.Peut-êtreunvraidînermême.Tucroisqu’onpourraitinviter…
Ellementionna lenomd’unedessommitésde lavieéconomique locale.Patriksavaitqu’ilétait lepropriétaired’unedesmaisonssituéesplusbasdanslarue.
Gunpoursuivit:—Jesuistombéesursafemmeàl’épiceried’Evaaudébutdel’étéetellem’aditqu’ilfautàtout
prixqu’onsevoie.Jepensequeçaleurferaitplaisirdevenir.Untond’excitationétaitvenuseglisserdanssavoixetuneridedemécontentementsurgitentreles
sourcils de sonmari. Tout à coup, Patrik sut où il avait déjà entendu leur nom. Lars Struwer était le
fondateur d’une des chaînes d’alimentation les plus importantes en Suède, mais il était à la retraitemaintenant,etlachaîneavaitétévendueàdesétrangers.Normalqu’ilspuissents’offrirunemaisonaussibiensituée,l’hommevalaitdesmillions.LamèredeSivavaitconnuunejolieascensionsocialedepuislesannées1970quandellevivaitétécommehiverdansunepetitebaraqueavecsafilleetsapetite-fille.
—Je t’enprie,ons’occuperadesquestionspratiquesplus tard. Il tefautunpeude tempsd’abordpourdigérercesnouvelles.
Illuijetaunregardpleindereproches,Gunbaissainstantanémentlesyeuxetsesouvintdesonrôledemèreéplorée.
Patrikregardaautourdeluidanslapièceet,malgrésonmessagesinistre,ilsentitleriremonterdanssa gorge. Lamaison était une parodie des intérieurs de vacanciers dont Erica avait l’habitude de semoquer. Toute la pièce était aménagée comme une cabine de bateau avec des thèmes marins, cartesmarinessurlesmurs,lampadaire-phare,rideauxauxdessinsdecoquillageetmêmeunvieuxgouvernailreconverti en tablebasse.Unexemplecriantde l’adagequiditque l’argentet lebongoûtne fontpasnécessairementbonménage.
—J’auraisaiméquevousmeparliezunpeudeSiv.JereviensdechezlepèredeMona,et ilm’amontrédesphotosdel’enfancedeMona.Est-cequejepourraiséventuellementvoirdesphotosaussidevotrefille?
Contrairement àAlbert qui s’était illuminé de pouvoir parler de ce qu’il avait eu de plus cher aumonde,Gunsetortillademalaisesurlecanapé.
—Ben,jenecomprendspasàquoiçaservirait.IlsontposéuntasdequestionsquandSivadisparuettoutçadoitbienexisterencorequelquepartdanslesvieuxpapiers.
—Biensûr,mais jevoulaisdiresurunplanpluspersonnel.Commentelleétait,cequ’elleaimait,quelsétaientsesprojetsetcegenredechoses…
—Sesprojets–ehbien,ellen’avaitpasbeaucoupdechoix.CetAllemandl’aengrosséequandelleavaitdix-septans,alorsjel’aisortiedel’école,cen’étaitqu’unepertedetempsdetoutefaçon.C’étaittroptard,etjen’avaispasl’intentiondem’occuperdesonmôme,çac’étaitsûretcertain.
LetonétaitméprisantetPatrikpensaensonforintérieur,envoyantlesregardsqueLarsjetaitàsafemme,que,de l’imagequ’il avaiteued’ellequand ils s’étaientmariés, ilnedevaitpas restergrand-chose. La fatigue et la résignation apparaissaient sur son visage creusé de rides de déception.Manifestementaussi,leurmariageenétaitaustadeoùGunnesedonnaitquesommairementlapeinedemasquer sa vraie personnalité. Peut-être au début s’était-il agi pour Lars d’un véritable amour, maisPatrikauraitpariéqueGunavaitsurtoutétéattiréeparlesmillionssurlecompteenbanque.
—Sa fille, oui, où se trouve-t-elle aujourd’hui ? Patrik se pencha en avant, curieux d’entendre laréponse.
Encoreunefoisdeslarmesdecrocodile.—Après ladisparitiondeSiv, jenepouvaispasm’occuperde lapetite toute seule.Cen’estpas
l’enviequimemanquait,maisj’avaisquelquesproblèmesfinanciersàcetteépoqueetm’occuperd’unepetitegamine,ehbiencen’étaitpaspossible.Alorsj’aiarrangélasituationdumieuxquej’aipuetjel’aienvoyéeenAllemagne,chezsonpère.Oui,bon,çaneluiapasfaittrèsplaisirdeseretrouveravecunemômesurlesbrascommeçad’uncoup,maisilétaitbienobligéd’accepter,aprèstoutilétaitlepèredel’enfant,j’avaisdespapiersquileprouvaient.
—AlorsellehabiteenAllemagneaujourd’hui?Unepetiteidéepritformedansl’espritdePatrik.Sepouvait-ilque…non,ceseraittropincroyable.—Non,elleestmorte.L’idéedePatrikdisparutaussivitequ’elleétaitapparue.
—Morte?—Oui,dansunaccidentdevoiturequandelleavaitcinqans.Ilnes’estmêmepasfendud’uncoupde
fil,l’Allemand.J’aiseulementreçuunelettreoùilécrivaitqueMatildaétaitmorte.Onnem’amêmepasdemandédevenir auxobsèques, un comble !Maproprepetite-fille et je n’aimêmepas assisté à sonenterrement.
Savoixtremblaitd’indignation.—Ilnerépondaitpasnonplusauxlettresquej’écrivaisquandelleétaitencorevivante,lagamine.
Vousnetrouvezpasqueçaauraitétélamoindredeschoses,qu’ilaideunpeulagrand-mèredesapauvrefilleorphelinedemère?Aprèstout,c’estmoiquiavaisveilléàcequesamômeaitdequoimangeretdesvêtementssur ledos lesdeuxpremièresannées.Etqu’est-ceque j’aiobtenucommeremerciementpourça?
Gunétaitentraindesortirdesesgondsdevanttouteslesinjusticesqu’onluiavaitinfligées,etellenes’apaisa que lorsque Lars posa sa main sur son épaule et la serra doucement mais résolument, pourl’inciteràsecalmer.
Patrik s’abstint de répondre. Il savait que sa réponsen’aurait pas été appréciée.Pourquoi donc lepère de l’enfant aurait-il dû lui envoyer de l’argent ?Nevoyait-elle pas l’absurdité de sa demande ?Apparemmentpas,puisquesesjouestannéesétaientécarlatesderage,bienquesapetite-fillefûtmortedepuisplusdevingtans.
IlfitunedernièretentativepourapprendrequelquechosedepersonnelsurSiv.—Vousn’avezpasdephotographies?—Ben,jenel’aijamaisspécialementpriseenphoto,maisjevaisvoircequejepeuxtrouver.Elles’éloignaetlaissaPatrikseuldansleséjouravecLars.Ilsnedirentrienpendantunmoment,puis
Larspritlaparole,àvoixtrèsbassepourqueGunn’entendepas.—Gunn’estpasaussifroidequ’elleenal’air.Elleaquelquestrèsbonscôtésaussi.C’est ça, pensa Patrik. L’affirmation deLars avait tout du plaidoyer d’un fou.Mais il faisait sans
doutecequ’ilpouvaitpourjustifierlefaitdel’avoirépousée.Ildevaitavoirunevingtained’annéesdeplusqueGunetiln’étaitpasaberrantdesupposerquesonchoixavaitétéessentiellementphysique.
D’unautrecôté,Patrik reconnutquesonmétier l’avaitpeut-être rendu tropcynique. Ilpouvait trèsbiens’agird’unréelamour,allezsavoir?
Gun revint,nonpas avecd’épais albumsdephotos commeAlbertThernblad,mais avecune seulepetitephotoennoiretblancqu’elletenditàPatrik.EllereprésentaituneSivadolescenteàl’airbraquétenantsafillenouveau-néedanslesbras,maiscontrairementàlaphotodeMonailn’yavaitaucunejoiesursonvisage.
—Bon,maintenantilfautqu’onretrouveunpeunosmarques.OnrevienttoutjustedeProvence,lafilledeLarshabitelà-bas.ÀlamanièredontGunprononçalemot«fille»,Patrikcompritqu’iln’yavaitpasdesentimentstendresentreelleetsabelle-fille.
Saprésencen’étantapparemmentplussouhaitée,ilpritcongé.—Etmercidemeprêterlaphoto.Jeprometsdevouslarendreenbonétat.Gun fit un geste négligent de lamain. Puis elle se souvint de son rôle et tordit son visage en une
grimace.— Faites-moi savoir dès que vous avez une confirmation, s’il vous plaît. Je voudrais tellement
pouvoirenfinenterrermapetiteSiv.—Biensûr,jevouscontacteraidèsquej’aidunouveau.Sontonétaitinutilementbref,maistoutcespectaclelemettaitvraimentmalàl’aise.QuandilressortitdansNorraHamngatan,lecielouvritsesvannesau-dessusdelui.Ilrestaimmobile
uninstantetlaissaledélugelaverlasensationpoisseusequeluiavaitdonnéesavisitechezlesStruwer.Maintenant il avaitbesoinde rentrerà lamaison,deserrerEricadanssesbrasetdesentir laviequipuisaitquandilposaitlamainsursonventre.Ilavaitbesoindesentirquelemonden’étaitpasaussicrueletmauvaisqu’ilsemblaitl’êtreparmoments.
4
ÉTÉ1979Il lui semblait être là depuis des mois. Mais elle savait que ça ne pouvait pas faire aussi
longtemps.Pourtant,chaqueheurepasséedansl’obscuritéétaitcommeunevieentière.Beaucoup trop de temps pour réfléchir. Beaucoup trop de temps pour sentir la douleur vriller
chaquenerf.Tropdetempspourréfléchiràtoutcequ’elleavaitperdu.Ouallaitperdre.Elle savaitmaintenantqu’ellenesortiraitpasd’ici.Personnenepourraitmettre finàune telle
douleur.Pourtantellen’avaitjamaissentidemainsplusdoucesquecellesdel’homme.Aucunemainne l’avait caressée avec tant d’amour et elle en voulait encore. Pas le contact abominable etdouloureux,maisceluiquivenaitaprès.Sionluiavaitfaitconnaîtreunteltoucherauparavant,toutauraitétédifférent,ellelesavaitdésormais.Lasensationlorsqu’ildéplaçaitsesmainssursoncorpsétait si pure, si innocente que l’émotion gagnait jusqu’au tréfonds d’elle-même, un endroit quepersonnen’avaitsuatteindrejusque-là.
Dansl’obscurité,ilétaitdevenutoutpourelle.Aucunmotn’avaitétéprononcéetellefantasmaitsur le son de sa voix. Paternel, tendre.Mais quand la douleur arrivait, elle le haïssait. Alors elleauraitpuletuer.Sielleavaitétéenétatdelefaire.
Robert le trouva dans la remise. Ils se connaissaient tellement bien et il savait que c’était là que
Johanseretiraitquandilvoulaitréfléchirenpaix.Entrouvantlamaisonvide,ilyétaitallédirectementetavaiteffectivementdécouvertsonfrère,assisparterre,lesgenouxremontésetlesbrasserrésautourdesesjambes.
Ils étaient si différents que parfois Robert avait du mal à comprendre comment ils pouvaientréellementêtre frères.Poursapart, ilétait fierdenepasavoirconsacréuneseuleminutedesavieàsongerauxconséquencesdesesactes,nimêmeàessayerde lesprévoir. Ilagissait,puisadviennequepourra.Qui vivra verra, voilà sa devise, les choses ne se laissaient pas influencer, alors pourquoi sebiler?Detoutefaçon,lavievousbaisaitd’unemanièreoud’uneautre,c’étaitdansl’ordredeschoses,pointbarre.
Johan,enrevanche,étaitbeaucouptropréfléchi,çaneluifaisaitaucunbien.Danssesraresinstantsdeclairvoyance,Robertressentaitunepointederegretquesonpetitfrèreaitchoisidemarchersursesmauvaises traces,mais,d’unautrecôté, c’étaitpeut-êtremieuxainsi.Sinon Johanaurait seulementétédéçu. Ils étaient les fils de JohannesHult et c’était comme si unemalédiction reposait sur toute cettefoutuebranchedelafamille.Iln’yavaitpasl’ombred’unechancequel’und’euxréussissequoiquecesoit,alorsàquoibonessayer.
Ilnel’avoueraitpas,mêmesouslatorture,maisilaimaitsonfrèreplusquetoutaumondeetileutuncoupaucœurenapercevantlasilhouettedeJohandanslapénombredelaremise.IlsemblaitperduàdixmillelieuesdanssespenséesetRobertreconnaissaitbienlatristessequiplanaitsurlui.C’étaitcommesiunnuagedemélancoliefondaitparfoissurJohanetl’acculaitdansunendroitsombreetaffreux,pendantdes semaines. Robert n’avait pas vu son frère comme ça de tout l’été,mais à présent il le ressentaitphysiquementenfranchissantlaporte.
—Johan?Iln’obtintpasde réponse.Robertavançaplus loindans l’obscuritéàpasde loup. Il s’accroupità
côtédesonfrèreetposalamainsursonépaule.—Johan,t’esencorevenuteplanquerici.Sonpetitfrèrehochaseulementlatête.QuandilsetournaversRobert,celui-cifutsurprisdevoirque
sonvisageétaitgonfléparlespleurs.L’inquiétudeledéchira.—Qu’est-cequ’ilya,Johan?Qu’est-cequ’ils’estpassé?—Papa.LerestedesesparolesfutnoyédansdessanglotsetRobertdutfaireuneffortpourentendre.—Commentça,papa,qu’est-cequetuessaiesdedire,Johan?Johanpritquelquesprofondesinspirationspoursecalmer,puisilrépondit:—Toutlemondevacomprendremaintenantquepapan’yétaitpourriendansladisparitiondeces
filles.Tucomprends,lesgensvontpigerquecen’étaitpaslui!—C’estquoicedélire?RobertsecouaJohan,maisilsentitsoncœurs’emballerdanssapoitrine.—Mamanestdescendueenvilleetelleaapprisqu’ilsonttrouvéunefilletuée,etenmêmetempsils
onttrouvélesnanasquiavaientdisparu.Tupiges?Unefilleaétéassassinéemaintenant.Là,cettefois,personnenevaquandmêmevenirdirequec’estnotrevieuxquiafaitlecoup?
Johan éclata d’une sorte de rire hystérique. Robert n’arrivait toujours pas à comprendre ce qu’ildisait.Depuislejouroùilavaittrouvésonpèredanslagrange,avecunnœudcoulantautourducou,ilavaitrêvéd’entendrecesmotsqueJohancrachaitàprésent.
—Tumefaispasmarcheraumoins?Faisgaffe,sinonjetefousmonpoingsurlagueule!Ilserralepoing,maisJohancontinuaàrirehystériquementetleslarmescoulaienttoujours.Robertse
rendit compte que cette fois c’étaient des larmes de joie. Johan se retourna et le serra dans ses bras,tellementfortqu’ileutdumalàrespirer,etquandilcompritenfinquesonfrèredisaitlavérité,Robertleserraenretourdetoutessesforces.
Enfin leur père serait blanchi. Enfin leurmère et eux allaient pouvoirmarcher la tête haute, sansentendreleslanguesdevipèrechuchoterdansleurdos.Ellesallaients’enmordrelesdoigts,cesfoutuescommères.Aprèsvingt-quatreansàrépandredessaloperiessurleurfamille,c’étaitleurtourmaintenantd’avoirhonte.
—Elleestoù,maman?Robert se dégagea de l’étreinte de Johan et l’interrogea du regard, celui-ci se mit à pouffer de
manièreincontrôléeetàbalbutierentrelescrisesderire.—Qu’est-cequeturacontes?Calme-toietparlenormalement.Elleestoù,maman,j’aidit?—ElleestchezoncleGabriel.Roberts’assombrit.—Qu’est-cequ’elleestalléefoutrechezcesalopard?—Luidire ses quatrevérités, j’imagine. J’ai jamais vumamanaussi enpétard.Elle a dit qu’elle
montait au domaine dire àGabriel ce qu’elle pensait de lui. Je crois qu’il a dû passer un sale quartd’heure.Tul’auraisvue,c’étaitincroyable.Elleétaittoutehérissée,ilmanquaitquelafuméesortantparlesoreilles,jeteledis.
L’imagedeleurmèrelescheveuxdressésetdesboufféesdefuméesortantdesoreillesfits’esclafferRobertaussi.Depuissilongtemps,illavoyaitcommeuneombrequisetraînaitenmarmonnant,etc’étaitdifficiledeselareprésenterenfurie.
—J’auraisbienaimévoirlatronchedeGabriel.Ett’imaginestanteLaini?Johan fitune imitation réussie,voixsuraiguë,mine inquièteet lesmainsqui se tordaientdevant sa
poitrine : «Mais Solveig, qu’est-ce qui te prend ?Maisma chère Solveig, c’est quoi cette façon deparler?»
Prisdefourire,lesdeuxfrèress’écroulèrentparterre.—Dis-moi,çat’arrivedepenserauvieux?LaquestiondeJohanlesramenaausérieuxetRobertrestasilencieuxunmomentavantderépondre.—Oui,biensûrqueçam’arrive.Maisj’aidumalàoublierlagueulequ’ilavaitcejour-là.Estime-
toiheureuxdenepasl’avoirvu.Ettoi,t’ypenses?—Souvent.Maisj’ail’impressionderegarderunfilm,situvoiscequejeveuxdire.Jemerappelle
qu’ilétaittoujoursdebonnehumeur,qu’ilsemarraitetdansaitetmelançaitenl’air.Maisjeleregardedel’extérieurenquelquesorte,commedansunfilm.
—Ouais,jevoisexactementcequetuveuxdire.Ils restaientallongéscôteàcôteà fixer leplafond, tandisque lapluie tambourinait sur la tôleau-
dessusd’eux.Johanditàvoixbasse:—Ilnousaimait,pasvrai,Robert?Robertrépondittoutaussisilencieusement:—Évidemmentqu’ilnousaimait,Johan,évidemment.
Elle entenditPatrik secouer unparapluie sur le perron et elle se hissa péniblement sur les coudes
pourseleverducanapéetallerl’accueilliràlaporte.—Salut?LetondePatrikétaithésitantetilregardaautourdelui.Ilnes’étaitbiensûrpasattenduàtrouverla
maisonaussicalme.Enfait,Ericaauraitdûluienvouloirunpeudenepasl’avoirappeléedetoutelajournée,maiselleétaittropcontentedelevoirrentreràlamaisonpoursemettreàbouder.Ellesavaitaussiqu’ilétaittoujoursjoignablesursonportableetellenedoutaitpasnonplusqu’ilavaitpenséàelledesmilliersde foisaucoursde la journée.Telleétait laconfianceentreeuxet c’étaitmerveilleuxdepouvoirs’yfier.Ilchuchota:
—Ilssontoù,Connyetlesbandits?—Brittaaprisuneassiettedecervelasetmacaronissurlatête,etensuiteilsn’avaientplusenviede
rester.Lesgenssonttoutdemêmeingrats,tunetrouvespas?Elles’amusaitdelamineconfonduedePatrik.—J’ai pétéunplomb tout simplement. Il y aquandmêmedes limites à respecter. Jepensequ’on
n’aurapasd’invitationdececôté-làde la famillepour lesiècleàvenir,mais jene le regrettepas.Ettoi?
—Ohnon,certainementpas.Tuasréellementfaitça?Tuluiasrenverséunplatsurlatête?—Jetejure.Toutemabonneéducations’estenvoléeparlafenêtre.Jen’iraiplusauparadis.—Mmm,maistuesunpetitboutdeparadistoi-même,alorstun’enaspasbesoin…Il la taquina en lui mordillant le cou, juste là où il savait qu’elle était chatouilleuse, et elle le
repoussaenriant.—Jeprépareduchocolatchaud,ettumeraconterasleGrandAffrontement.Patriklapritparlamain
etl’emmenadanslacuisine,oùill’aidaàs’asseoir.—Tuasl’airfatigué,dit-elle.Commentçasepasse?Ilmélangealechocolatinstantanéaveclelaitetsoupira.—Bof,çapeutaller,maissansplus.Heureusementquelestechniciensonteuletempsdetoutratisser
sur le lieuducrimeavant lapluie.Sionlesavait trouvéesaujourd’huiaulieud’avant-hier, ilnenousseraitpasrestégrand-choseàexaminer.Mercid’ailleurspourtouslesdocumentsquetuassortis.Çam’avraimentservi.
Ils’installaenfaced’elleenattendantquelechocolatsoitchaud.—Ettoi,commentvousalleztouslesdeux,Bébéettoi?—Onvatrèsbien.Notrefuturpetitjoueurdefootachahutécommed’hab’,maisj’aieuunesuper
journéeaprèsledépartdeConnyetBritta.C’étaitpeut-êtrecequ’ilmefallaitpourarriveràmedétendreetlireunpeu–unebandedecousinscomplètementcinglés.
—Tu veux que j’essaie de rester à lamaison demain ? Je pourrais peut-être faire du boulot ici,commeçaaumoinsjeseraitoutprèsdevous.
— Tu es adorable, mais je suis très bien, vraiment. Il est plus important que tu te consacresentièrementàtrouverl’assassinmaintenant,avantquelapisterefroidisse.Tuverras,danspeudetempsjevaisexigerquetusoisàmoinsd’unmètredemoi.
Ellesouritetluitapotalamain.Puisellecontinua:— En plus j’ai l’impression qu’on va avoir une crise d’hystérie collective sur les bras. J’ai eu
plusieurscoupsdefildanslajournée,desgensquiessaientdemesoutirerdesrenseignementssurvotreenquête–etjenedisrien,évidemment,puisquejenesaisrien.Apparemmentl’officedetourismeareçu
pasmald’annulations,etunegrandepartiedesplaisanciersadéjàlevél’ancrepourallers’abriterdansd’autresports.Alors,sivousn’avezpasdéjàsentilespressionsdusecteurtouristique,vousferiezmieuxdevousypréparer.
Patrik hocha la tête. C’était exactement ce qu’il avait craint. L’hystérie allait se répandre ets’amplifier jusqu’à ce qu’ils aient quelqu’un à mettre sous les verrous. Pour une localité commeFjällbackaquivivaitdutourisme,c’étaitunecatastrophe.Ilserappelaunmoisdejuilletquelquesannéesplus tôtoùquatreviolsavaientétécommisavantqu’ilsn’arriventàcoincer lecoupable.Les touristesavaient préféré émigrer dans les stations voisines, Grebbestad ou Strömstad, et les commerçants duvillageenavaientbavétoutel’année.Unmeurtrecréeraitunesituationencorepire.Heureusement,c’étaitauchefdegérercegenredequestions.IllaissaitgénéreusementàMellbergtouslesappelstéléphoniquesdecegenre.
Patriksefrottalaracinedunez.Unemigrainecarabinéeétaitenroute.Ilfutsurlepointdeprendreunantalgiquequandilserappelaqu’iln’avaitpasmangédetoutelajournée.Mangerétaitundesespéchésmignons, il ne s’en privait jamais, ce dont témoignait un début de relâchement autour de la taille. Iln’arrivait pas à se rappeler avoir déjà oublié un repas, encoremoins deux. Il était trop fatigué pourpréparerquelquechosedeconsistantetilsefitquelquestartinesavecdufromageetdelapâtedepoissonqu’iltrempadanslechocolatchaud.Commed’habitude,Ericaexprimaunlégerdégoûtàlavuedecettehérésiegastronomique,maispourPatrikc’étaitabsolumentdivin.Troistartinesplustard,lemaldetêten’étaitplusqu’unmauvaissouvenir.
—Dis,sioninvitaitDanetsacopineceweek-end?Onpourraitfairedesgrillades.Ericafronçalenezetpritunairpeuenthousiaste.—Quandmême, tuneluiaspasdonnélamoindrechance,àMaria.Combiendefoisest-cequetu
l’asrencontrée?Deux?—Oui,oui, jesais.Maiselleest tellement…Ericacherchalemotjuste…ellen’aquevingtetun
ans.—Ellen’yestpourrien.Sielleestjeunejeveuxdire.Jesuisd’accord,elleparaîtunpeucruchepar
moments,mais,quisait,elleestpeut-êtreseulementtimide?EtpourDan,çavautlecoupdefaireunpetiteffort.Jeveuxdire,ill’aquandmêmechoisie.Aprèssondivorced’avecPernilla,c’estnormalqu’ilaitrencontréquelqu’un.
— Je te trouve terriblement tolérant tout à coup, dit Erica sur un ton renfrogné, mais elle dutreconnaîtrequePatrikn’avaitpastort.Commentçasefaitquetusoissimagnanime?
—J’aitoujoursétémagnanimequandils’agitdenanasdevingtetunans.Ellesonttantdequalitésmerveilleuses.
— Ah oui, comme quoi ? dit Erica avant de réaliser que Patrik la faisait marcher. Arrête. Bond’accord,tuasraison.Biensûrqu’onvainviterDanetsateenager.
—Ehdisdonc!—Oui,bon,DanetMARIA.Çaserasympa,j’ensuissûre.Jepeuxressortirlamaisondepoupéede
manièce,commeçaelleauradequois’occuperpendantquenous,lesadultes,onmange.—Erica…—JeVAISarrêter.J’aidumalàm’enempêcher,c’esttout.C’estcommeunesortedetic.—Vilainefille,viensplutôtparicimefaireuncâlin.Elle lepritaumotet ilsseblottirentensemblesur lecanapé.C’étaitgrâceàçaqu’ilarrivaitàse
confronteràlafacesombredel’humanitédanssontravail.Ericaetlebébé,l’idéequ’ilpourraitpeut-êtrecontribuer,neserait-cequ’untoutpetitpeu,àrendrelemondeplusrassurantpourl’enfantquiétaitdansleventred’Ericaetdontilsentaitlescoupsdepiedcontresamainposéesurlapeautendue.
Dehors,leventtombaitenmêmetempsquelecrépuscule,etlacouleurducielpassadugrisauroseflamboyant.Demain,lesoleilseraitprobablementderetour.
LesprévisionsdePatrikausujetdusoleilserévélèrentexactes.Lelendemain,c’étaitcommes’iln’y
avaitpaseulamoindregouttedepluie,etversmidilebitumefumait.Martintranspiraitbienqu’ilsoitvêtuseulementd’unbermudaetd’untee-shirt,maisçadevenaitpresqueunétatnaturel.Lafraîcheurdelaveilleluisemblaitunrêveseulement.
Martin hésitait quant à la marche à suivre dans son travail. Patrik était avec Mellberg dans sonbureau,etMartinn’avaitpaseuletempsdelevoir.Lapoliceallemandepouvaitlerappeleràn’importequelmomentetilavaitpeurdelouperquelquechoseàcausedeseslacunesenallemand.Lemieuxseraitde commencer dès maintenant à chercher quelqu’un qui pourrait servir d’interprète, dans uneconversation à trois.Mais à qui demander de l’aide ? Jusque-là, ils avaient surtout fait appel à desinterprètesassermentésparlantleslanguesbaltes,etlerusseetlepolonais,pourréglerdesproblèmesdevoituresvoléesdestinéesàcespays-là,maisjamaisilsn’avaienteubesoind’aideenallemand.Ilsortitl’annuaireetfeuilletaunpeuauhasard,incertaindecequ’ilcherchait.Unerubriqueluidonnauneidée.Compte tenu du nombre de touristes allemands qui affluaient à Fjällbacka chaque année, l’office detourismeavaitforcémentquelqu’unparmisesemployésquimaîtrisaitlalangue.Toutexcité,ilcomposalenuméro,eteutunevoixdefemmeplaisanteauboutdufil.
—OfficedetourismedeFjällbacka,bonjour,Piaàl’appareil.—Bonjour, iciMartinMolin du commissariat deTanumshede. J’aurais voulu savoir si vous avez
quelqu’unchezvousquisedébrouilleenallemand?—Oui,j’imaginequec’estmoi.Pourquoi?Lavoixparaissaitdeplusenplusagréableàchaqueseconde,etMartinsuivituneimpulsion.—Est-cequejepourraisvenirparlerunpeuavecvous?Vousavezletemps?—Biensûr.Jeparsdéjeunerdansunedemi-heure.Sivousvousmettezenroutetoutdesuite,onpeut
mangerensembleaucaféLePonton?—C’estparfait.Onsevoitdansunedemi-heurealors.Toutragaillardi,Martinraccrocha.Iln’étaitpastrèssûrdecequiluiavaitpriscommelubie,maisil
avaittrouvésavoixtellementsympa.Unedemi-heureplustard,unefoissavoituregaréedevantlaQuincaillerieGénéraleetalorsqu’ilse
frayait un chemin parmi les vacanciers sur la place Ingrid-Bergman, il sentit son enthousiasme serefroidir.Cen’estpasunrancard,c’estuneaffairedepolice,sedit-il,maisilserait incontestablementtrèsdéçusiPiadel’officedetourismeserévélaitpeserdeuxcentskilosetavoirdesdentsdelapin.
Ilmontasurlaterrasseetlacherchaduregard.Àunetabletoutaufond,unefilleenchemisierbleuluifitsigne,elleavaitlefoulardbarioléaulogodel’officedetourismeautourducou.Illaissaéchapperunsoupirdesoulagement,suiviimmédiatementd’unsentimentdetriomphed’avoirbiendeviné.Piaétaitjolieàcroquer.Grandsyeuxmarronetcheveuxchâtainsbouclés.Unsourire joyeuxavecdes fossettescharmantes.Çaallaitêtreundéjeunerautrementchouettequed’avalerunesaladedepâtesfroidesavecHedströmdanslacuisineduposte.Iln’avaitriencontreHedström,maisonnepouvaitpaslequalifierdecanon!
—MartinMolin.—PiaLöfstedt.Lesprésentationsexpédiées,ilscommandèrentchacununesoupedepoisson.—Onadelachance.C’estLeHarengquiestauxfourneauxcettesemaine.
EllevitqueMartinnecomprenaitpascequ’ellevoulaitdire.—ChristianHellberg.Cuisinierde l’annéeen2001.Ilestd’ici,deFjällbacka.Tuverrasquandtu
aurasgoûtésasoupe.Elleestdivine.Ellefaisaitdegrandsgestesenparlant,etMartinsepritàlaregarderavecfascination.Piaétaittrès
différentedesfillesqu’ilvoyaitengénéral,voilàpourquoic’étaitsisympadesetrouvericiavecelle.Ilfutobligédeserappelerquecen’étaitpasundéjeunerprivé,maisundéjeunerdetravailetqu’ilavaitquelquechoseàluidemander.
—J’avouequecen’estpas tous les joursqu’onadesappelsde lapolice. J’imaginequec’estausujetdescadavresdanslabrècheduRoi?
La question était posée comme une constatation brève, sans la moindre envie de sensationnel, etMartinconfirmaenhochantlatête.
—Oui,c’estexact.Lafilleétaitunetouristeallemande,vous…tulesaissansdoutedéjà,etonvaavoirbesoind’aidepourlalangue.Tucroisquec’estdanstescordes?
—J’aifaitdeuxansd’étudesenAllemagne,jepensequeçaneserapasunproblème.La soupe arriva et, après l’avoir goûtée,Martin ne put qu’être d’accord avec le jugement de Pia.
Divine,effectivement. Il fitdesonmieuxpour ladégustersansbruits,maisdutabandonner. Ilespéraitqu’elleavaitvuZozolaTornade.«Lasoupe,ças’lapeavecdubruit,sinononpeutpassavoirquec’estd’lasoupe.»
Une légère brise passait entre les tables de temps à autre et dispensait quelques secondes defraîcheur.Tousdeuxsuivirentduregardunmagnifiquecotreàl’anciennequiavançaitpéniblement,toutesvoiles dehors. Il n’y avait pas assez de vent pour les voiliers aujourd’hui, si bien que la plupartmarchaientaumoteur.
—C’estbizarre…Piafitunepauseetavalauneautrecuilleréedesoupeavantdecontinuer:—Cettefilleallemande,Tanja,c’estçasonnom?Elleestvenuenousvoiràl’officedetourismeily
aunesemaineenvironpourqu’onl’aideàtraduiredesarticlesdejournaux.L’intérêtdeMartinfutaussitôtéveillé.—C’étaitquoicommearticles?—Desreportagessurlesfillesqu’ilsontretrouvéesenmêmetempsqu’elle.Surleurdisparition.De
vieuxarticlesqu’elleavaitphotocopiés,delabibliothèquej’imagine.Martinenlaissatombersacuillèredanslebol.—Elleaditpourquoi?—Non,ellen’ariendit.Etjen’aipasdemandénonplus.Enfait,onn’estpassupposéfairecegenre
de chose pendant nos heures de bureau,mais c’était aumilieu de la journée, les touristes étaient touspartissurlesrocherssebaigneretc’étaittrèscalme.Enplusçaparaissaittellementimportantquej’aieupitiéd’elle.Çaaquelquechoseàvoiraveclemeurtre?J’auraispeut-êtredûappelerpouravertir…
ElleparaissaitinquièteetMartinsedépêchadelacalmer.Pouruneétrangeraison,çaledérangeaitqu’ellesesentemalàl’aiseàcausedelui.
—Non,tunepouvaispassavoir.Maisc’estbienquetul’aiesracontémaintenant.Ilspoursuivirentledéjeunerenparlantdesujetsplusagréables,etlapausedéjeunerdePiafutvite
terminée. Elle dut rejoindre précipitamment le petit cabanon où était logé l’office de tourisme, pourpermettreàsacollèguedefilermangeràsontour.AvantqueMartinaitletempsdedireouf,elleavaitdisparu,aprèsunaurevoirbeaucouptroprapide. Ilavait failli luidemanders’ilspouvaientserevoir,sansréussiràformulerlaquestion.Ilretournaàsavoitureenmaugréantetpestantcontrelui-même,maissur la routede retouràTanumshedesespenséesglissèrentverscequePiaavait raconté.Ainsi,Tanja
avaitdemandéqu’onluitraduisedesarticlessurlesfillesdisparues.Pourquoiest-cequ’elles’intéressaitàelles?Quiétait-elle?Quellieninvisiblelesreliaitelle,SivetMona?
Lavieétaitbelle.Lavieétaitmêmetrèsbelle.Iln’arrivaitpasàserappelerquandl’airavaitétési
pur,lesodeurssifortesetlescouleurssiéclatantes.Lavieétaitvéritablementbelle.MellbergcontemplaHedströmenfacedelui.Beaugarçon,etbonflic.Oui,ilnel’auraitpeut-êtrepas
exprimédanscestermes-làauparavant,maismaintenantilsaisissaitl’occasion.Ilétaitimportantquelescollaborateurssesententappréciés.Unbonchefdispensecritiqueet louangeavec lamêmefermeté, ilavaitlucelaquelquepart.Ilavaitpeut-êtreétéunpeutropgénéreuxaveclacritiquejusque-là,ilvoulaitbienlereconnaîtremaintenantqu’ilyvoyaitclair,maiscesontdeschosesauxquellesonpeut toujoursremédier.
—Commentavancel’enquête?Hedströmluiexposalesgrandeslignesdutravailaccompli.— Excellent, excellent. Mellberg hocha la tête avec bonhomie. Oui, j’ai reçu quelques appels
désagréables aujourd’hui. Ils tiennent absolument à ce que cette affaire soit rapidement résolue pourlimiterleseffetsnégatifssurletourisme,commeilsl’ontsibiendit.Maisnetelaissepasimpressionnerparça,Hedström.Jelesaipersonnellementassurésqu’undenosmeilleursélémentstravaillejouretnuitpourcoffrerlecoupable.Alors,toi,tucontinuessurtalancée,turestesperformant,etmoijemechargedeshuilescommunales.
HedströmluijetaunregardbizarrequeMellbergluirenditavecunlargesourireenprime.Ehoui,sicegarçonsavaitceque…
Lepointde la situationavecMellbergavaitprisunebonneheureeten retournantdanssonbureau
PatrikessayadetrouverMartin,maisilnelevoyaitnullepart.Ilsaisitl’occasionpourallers’acheterunsandwich sous cellophane chezHedemyrs, qu’il avala ensuite vite fait avec une tasse de café dans lacuisineducommissariat.IlvenaitdeterminerquandilentenditlespasdeMartindanslecouloir,illuifitsignedelamaindelesuivredanssonbureau.
— Tu as remarqué quelque chose d’anormal avecMellberg ces temps-ci ? demanda Patrik pourcommencer.
—Àpartlefaitqu’ilneseplaintplus,necritiqueplus,qu’ilsourittoutletemps,qu’ilaperdudupoidsetqu’ilaabandonnésesvêtementsdesannées1980pourpasserauxannées1990–rien,réponditMartinavecunsourirequisoulignal’ironiedesesparoles.
— C’est louche, tout ça. Enfin, je ne m’en plains pas. Mais quand même, il ne se mêle pas del’enquêteetaujourd’huiilm’afaittantdecomplimentsquej’enairougi.Ilyauntruclàqui…
Patriksecoualatête,maisilslaissèrentlàleursréflexionssurlenouveauBertilMellberg,conscientsqu’il y avait des questions autrement plus pressantes à traiter. Pour certaines choses, mieux valaitsimplementseréjouiretnepassecasserlatête.
Martin raconta la visite stérile au camping et qu’ils n’avaient rien tiré de plus deLiese.Quand ilrenditcomptedecequePiaavaitditausujetdeTanja,qu’elles’étaitprésentéepoursefairetraduiredesarticlessurMonaetSiv,Patrikdressal’oreille.
—Jesavaisqu’ilyavaitunlien!Maislequel?Ilsegrattalatête.—Qu’ontditlesparentshier?Lesdeuxphotosqu’AlbertetGunavaientdonnéesàPatrikétaientposéessurlatable,illespritetles
tenditàMartin.IldécrivitlesrencontresaveclepèredeMonaetlamèredeSiv,etilneputdissimulersonantipathiepourcettedernière.
—Çaaquandmêmedûêtreunsoulagementpoureuxquelesfillesaientétéretrouvées.Tuimaginesle calvaire, passer toutes ces années sans savoir où elles étaient. Ceux qui l’ont vécu disent quel’incertitudec’estpirequetout.
—Oui,maintenantilfautseulementespérerquePedersenconfirmeraqueledeuxièmesqueletteestbienSivLantin,sinononvaseretrouvercommedesconslebecdansl’eau.
—C’estvrai,maisjesuissûrqu’onpeutsansproblèmepartirdecettehypothèse.Toujoursriensurl’analysedelaterresurlesossements?
— Non, malheureusement. Et la question est de savoir ce que ça peut nous fournir commerenseignements. Ilspeuvent avoir étéenterrésn’importeoùetmêmesion saitdequel typede terre ils’agit,ceseracommechercheruneaiguilledansunemeuledefoin.
—Moi,jemetsmesespoirsdansl’ADN.Unefoisqu’onauramislamainsurunsuspect,ilnoussuffitdecomparersonADNaveccequ’onaetonsauratoutdesuitesic’estlabonnepersonne.
—Lehic,c’estdetrouverlapersonneenquestion.Ilsméditèrentcelaensilencependantuninstantjusqu’àcequeMartinrompelamorositéenselevant.—Non,onn’avanceàriencommeça.Ilfautretourneraucharbonmaintenant.IllaissaunPatriktrèspréoccupéderrièresonbureau.L’ambianceaudînerétaittrèstendueetdense.Riend’inhabituelensoidepuisqueLindahabitaitici,
mais aujourd’hui l’air était carrément à couper au couteau. Son frère avait seulement rendu comptebrièvementdelavisitedeSolveigchezleurpère,etiln’avaitpastrèsenviedes’étendrelà-dessus.Cequin’empêchaitpasLindadelerelancer.
—Cen’estdoncpasoncleJohannesquiatuélesdeuxnanas.Papadoitsesentircommeunemerde,jeveuxdiredénoncercommeçasonproprefrèrealorsqu’ons’aperçoitmaintenantqu’ilétaitinnocent.
—Tais-toi,neparlepasdechosesquetuneconnaispas.Tout lemonde autour de la table sursauta.Ça arrivait très rarement, pour ne pas dire jamais, que
Jacobhausselavoix.MêmeLindaeutuninstantdefrayeur,maiselleserepritetcontinuadeplusbelle:—Et pourquoi d’ailleurs est-ce que papa a cru que c’était oncle Johannes ? Personne neme dit
jamaisrien.Jacob hésita une seconde mais réalisa qu’elle ne cesserait pas ses questions, et il se décida à
satisfairesacuriosité.Aumoinspartiellement.—Papaavul’unedesfillesdanslavoituredeJohannes,lanuitoùelleadisparu.—Etcommentçasefaitqu’ilétaitsurlesroutes,papa,enpleinenuit?—Ilétaitvenumevoiràl’hôpitaletilavaitdécidéderentreràlamaisonplutôtquedepasserlanuit
là-bas.—C’esttout?C’esttoutcequ’ilyaeu?C’estpourçaquepapaadénoncéJohannes?Jeveuxdire,
ilpeutyavoiruntasd’autresexplications,ilavaitpulaprendreenstop,non?—Peut-être.Mais Johannes anié avoirne serait-cequ’aperçucette fille ce soir-là et il a affirmé
qu’ilétaitchezluientraindedormirdanssonlit.—Etgrand-père,qu’est-cequ’iladit?Ilnes’estpasfâchéquandGabrieladénoncéJohannesàla
police?Lindaétaitfascinée.Elleétaitnéeaprèsladisparitiondesfillesetelleneconnaissaitdel’histoire
quelesbribesqu’onluiavaitracontées.Personnen’avaitvoululuidirecequis’étaitréellementpasséet
presquetoutcequeluiracontaitsonfrèreétaitnouveaupourelle.Jacobréponditavecunreniflementdemépris:
—Sigrand-pères’estfâché?Oui,onpeutledirecommeça.Sanscompterquecesjours-làilétaithospitalisé,pourmesauverlavie,etilaétéfurieuxquepapaagisseainsi.
Les petits étaient déjà sortis de table. Sinon leurs yeux auraient brillé en écoutant comment leurarrière-grand-pèreavaitsauvélaviedeleurpère.Ilsavaiententenducettehistoire-làmaintesetmaintesfoisetilsnes’enlassaientjamais.
Jacobpoursuivit:—Ilétaitmanifestementfurieuxaupointd’envisagerderefairesontestamentetdedésignerJohannes
seulhéritier,maisiln’apaseuletemps,Johannesestmortavant.S’iln’étaitpasmort,nousaurionspeut-êtrehabitélamaisondugardeforestieràlaplacedeSolveigetdesgarçons.
—Maispourquoiest-cequepapadétestaittantJohannes,c’étaitsonfrèremalgrétout?—Ça, je ne le sais pas vraiment. Papa n’a jamais été très disert sur le sujet,mais grand-père a
raconté certaines choses qui peuvent sans doute l’expliquer. Grand-mère est morte à la naissance deJohannes et après ça grand-père emmenait ses deux fils quand il sillonnait la côte ouest et tenait sesofficeset sesprédications.Grand-pèrem’a racontéqu’ilavaitcompris très tôtqu’aussibienJohannesque Gabriel avaient le don de guérir, et après chaque office il les faisait intervenir pour guérir desinfirmesetdesmaladesparmilesfidèles.
—Papafaisaitça?Ilguérissaitdesgens,jeveuxdire?Ilsaitlefaireencore?Lindaétaitbouchebéedestupeur.Laported’unetoutenouvellepiècedansl’histoiredesafamille
venait de s’ouvrir et elle osait à peine respirer de crainte que Jacob ne se renferme et ne refuse departagersonsecret.Ellesavaitquegrand-pèreetluiavaienteudesliensparticuliers,surtoutaprèsquelamoelleosseusedegrand-père s’était révélée compatiblepourunegreffe sur Jacob,qui était atteintdeleucémie,maiselleignoraitquegrand-pèreluiavaitracontétantdechoses.Biensûr,ellesavaitquelesgensappelaientgrand-pèrelePrédicateur,etelleavaitaussientendudesrumeurscommequoiiltenaitsafortune d’une escroquerie, mais elle avait considéré toutes ces histoires sur Ephraïm comme desracontars exagérés. Elle était toute petite quand il était mort, si bien que pour elle il n’était qu’unvieillardrigidesurdesphotosdefamille.
Jacobeutuneébauchedesourireenpensantàsonpèrecommeguérisseurdemaladesetd’estropiés.—Non,çam’étonneraitqu’ilsacheencorelefaire.Etjepensequ’iladûrefoulertoutça.D’aprèsce
quedisaitgrand-père,ilarrivesouventqu’onperdelecontactavecledonquandonatteintlapuberté.Onpeutleretrouver,maiscen’estpasfacile.JepensequeniGabrielniJohannesnejouissaientencoredecettecapacitéaprèsavoirfranchil’adolescence.Sipapadétestait tantJohannes,c’estsansdouteparcequ’ils étaient sidifférentsde tempérament. Johannesétaitunvrai tombeur, trèsbeau,pleindecharme,maisilétaitd’uneirresponsabilitédésespérante.Ilsavaienttouslesdeuxreçuunegrossesommed’argentduvivantdegrand-père,maisiln’afalluquequelquesannéesàJohannespourdilapiderlasienne.Çaarendugrand-père fou furieuxet il a rédigéun testamentoùpresque toutdevait revenir àGabriel alorsqu’auparavantsafortunedevaitêtrepartagéeenpartségalesentreeux.Maiscommejel’aidit,s’ilavaitvécuunpeupluslongtemps,ilauraiteuletempsdechangerd’avisencoreunefois.
—Maisilyaforcémenteuplusqueça,papan’apaspuhaïrJohannesàcepoint-làseulementparcequ’ilétaitplusbeauetpluscharmeurquelui!Personnenevadénoncersonfrèreàlapolicepourça!
—Non,évidemment,jediraisquelagouttequiafaitdéborderlevase,c’estqueJohannesapiquélafiancéedepapa.
—Quoi?PapaétaitavecSolveig?Lagrossevache!—Tun’aspasvudesphotosdeSolveigàcetteépoque?C’étaitunebeauté,unevraiepinup,etpapa
et elle étaient fiancés. Puis un jour elle est simplement venue dire qu’elle était tombée amoureuse deJohannesetqu’ellepréféraitsemarieraveclui.Jepensequeçal’acomplètementbrisé,papa.Tusaisàquelpointildétesteledésordreetlesdrames.
—Oui,çaadûlefaireflipperunmax.Jacobselevadetablepourmarquerquelaconversationétaitterminée.—Assezdesecretsdefamillepouraujourd’hui.Maismaintenanttucomprendspourquoilesrelations
sontélectriquesentrepapaetSolveig.Lindapouffa.— J’aurais donné n’importe quoi pour être une petite souris dans un coin quand elle est venue
engueulerpapa.Ah,lecirquequeçaadûêtre!—Oui,cirqueestsansdoutelemotjuste,ditJacobenesquissantunsourire.Maisessaied’afficher
uneattitudeplussérieusequandtuverraspapa,tuserasgentille.J’aidumalàcroirequ’ilapprécieralecôtéhumoristiquedetoutça.
—Oui,oui,jeseraiunegentillefille.Elle rangea son assiette dans le lave-vaisselle, remercia Marita pour le repas et monta dans sa
chambre.C’étaitlapremièrefoisdepuislongtempsqueJacobetelleavaientriensemble.Ilpouvaitêtreassezchouettequandils’ymettait,pensaLinda,enfaisanthabilementabstractiondufaitqu’elle-mêmen’avaitpasétéspécialementdesmieuxlunéescesdernièresannées.
EllesoulevalecombinépouressayerdejoindreJohan.Àsagrandesurprise,elleserenditcomptequ’ellesesouciaitréellementdesavoircommentilallait.
Lainiavaitpeurdunoir.Unepeurterrible.Malgrétouteslessoiréesqu’elleavaitpasséesàlamaison
sansGabriel,ellenes’étaitjamaishabituée.Avant,Lindaaumoinsétaitavecelle,etauparavantJacobaussi,maismaintenantelleétaitcomplètementseule.EllesavaitqueGabrielétaitobligédevoyager,maisellenepouvaitpass’empêcherderessentirde l’amertume.Cecin’étaitpas laviedontelleavait rêvéquandelles’étaitmariéepourledomaineetl’argent.Nonpasquel’argententantquetelfûtsiimportant.C’était la sécurité qui l’avait attirée. La sécurité que représentait le côté ennuyeux de Gabriel et lasécuritéd’avoiruncompteenbanquebiengarni.Elleavaitvouluuneviedifférentedecelledesamère.
Gamine,elleavaitvécudanslaterreurdescrisesd’ivrogneriedesonpère.Ilavaittyrannisétoutelafamille et fait de ses enfants des êtres assoiffés d’amour et de tendresse.Des trois, il ne restait plusqu’ellemaintenant,sonfrèreetsasœuravaientsuccombéauxténèbresqu’ilsportaienteneux.Elle-mêmeétaitl’enfantdumilieuquin’étaitnicecinicela.Seulementpeurassuréeetfaible.Pasassezfortepoursedébarrasserdesonanxiété,ellelalaissaitsimplementcouversouslescendresd’annéeenannée.
L’insécurité n’était jamais aussi tangible que lorsqu’elle déambulait le soir dans les piècessilencieuses.C’estalorsqueluirevenaientleplusnettementàl’espritl’haleinepuante,lescoupsetlescaressesclandestinesdesnuitsdesonenfance.
EnépousantGabriel,elleavaitréellementcruavoirtrouvélacléquiouvriraitl’écrinsombredanssapoitrine.Mais ellen’était pas stupide.Elle savait qu’ellen’était qu’un lot de consolation.Une femmequ’ilprenaitàlaplacedecellequ’ilvoulaitpar-dessustout.Maispeuimportait.D’unecertainefaçon,c’étaitplusfacileainsi.Pasdesentimentspourvenirperturberlasurfaceimmobile.Seulementunemorneprévisibilitédansuneenfiladeinfiniedejoursquis’ajoutaientauxjours.Elleavaitpenséquec’étaittoutcequ’ellesouhaitait.
Trente-cinqansplus tard,elle savaitcombienelle s’était trompée.Quoidepireque la solitudeauseind’uncouple,etc’étaitcelaqu’elleavaitobtenuendisantouiàGabriel. Ilsavaientvécudesvies
parallèles.S’étaientoccupésdudomaine,avaientélevéleursenfantsetparlédelapluieetdubeautempsfauted’autressujetsdeconversation.
Elleétaitseuleàsavoirqu’àl’intérieurdeGabrielexistaitunautrehommequeceluiqu’ilaffichaittouslesjoursdevantsonentourage.Ellel’avaitobservéaufildesans,l’avaitétudiéencachetteetelleavait lentement appris à connaître l’hommequ’il aurait pu être.Elle était surprise par l’élanque celaéveillaitenelle.C’étaitenfouisiprofondémentenluiqu’ilnelesavaitcertainementpaslui-même,maisderrièrelafaçadeennuyeuseetcontrôléesetrouvaitunhommepassionné.Ellevoyaitbeaucoupdecolèreaccumulée,mais il avait sansdouteautantd’amouràdonner, si seulementelle avait été capablede lefaireéclateraugrandjour.
Même lorsque Jacobavait étémalade, ils avaient été incapablesde se rejoindre. Ils étaient restéscôteàcôteàcequ’ilspensaientêtresonlitdemort,maissanssavoirseconsolermutuellement.EtelleavaitsouventeulesentimentqueGabrielauraitpréféréqu’ellenesoitpaslà.
LaréservedeGabrielpouvaitengrandepartieêtreimputéeàsonpère.EphraïmHultétaitunhommeimpressionnantettousceuxquiavaientétéencontactavecluiserangeaientforcémentdansl’undesdeuxcamps:amisouennemis,personnenerestait indifférentdevantlePrédicateur.Lainicomprenaitàquelpointcelaavaitdûêtredifficiledegrandiràl’ombred’untelhomme.Sesfilsétaienttrèsdifférentsl’unde l’autre. Johannesétait restéungrandenfantpendant toute sa courtevie,un jouisseurquiprenait cequ’ilvoulaitetnes’arrêtaitjamaissuffisammentlongtempspourvoirlestracesduchaosqu’ilavaitcréé.Gabriel avait choisi la direction opposée. Elle savait combien il avait eu honte de son père et deJohannes,deleursgestessiamples,deleurfacultédebrillercommedespharesdanstouslesdomaines.Poursapart,ilvoulaitdisparaîtredansunanonymatquimontreraitclairementàl’entouragequ’iln’avaitrienencommunavecsonpère.Gabrielcherchaitlarespectabilité,l’ordreetlajusticepar-dessustout.IlneparlaitjamaisdesonenfancepasséeparmontsetparvauxavecEphraïmetJohannes.Malgrétout,elleenconnaissaitcertainsaspectsetsavaitcombienilétaitimportantpoursonmaridecachercettepartiedesonpassé,quirimaitsimalavecl’imagequ’ilvoulaitdonnerdelui-même.EphraïmavaitsauvélaviedeJacobetcelaavaitsuscitédessentimentscontradictoireschezGabriel.Lajoied’avoirtrouvéunmoyendetriompherdelamaladieavaitététroubléeparlefaitquelesauveurétaitsonpère,chevalierenarmurerutilante,etpaslui-même.Ilauraittoutdonnépourêtrelehérosdesonfils.
LesrêveriesdeLainifurentinterrompuesparunbruitvenududehors.Ducoindel’œil,ellevituneombre,puisdeux,quipassaientfurtivementdanslejardin.Lapeurlasaisitdenouveau.Elletâtonnapourattraperletéléphoneeteutletempsdesecréerunebellepaniqueavantdeletrouveràsaplacesurlechargeur.Lesdoigtstremblants,ellecomposalenumérodeGabriel.Soudain,unevitrevolaenéclatsetellepoussauncrienvoyantuncaillouatterrirparterredansunepluiedemorceauxdeverre.Uneautrepierrevintbriserl’autrevitreetelleseprécipitaensanglotantdansl’escalierpourmonters’enfermeràclédans lasalledebains.Àboutdenerfs,elleattenditd’entendre lavoixdeGabrieldans l’appareil.Ellen’obtintquel’annoncemonocordedurépondeur,etelleperçutlapaniquedanssaproprevoixquandellelaissaunmessageconfus.
Tremblantdetoutsoncorps,ellerestaassiseparterre,lesbrasserrésautourdesesgenoux,àguetterlesbruitsdel’autrecôtédelaporte.Toutétaitsilencieuxmaintenantmaisellen’osaitpasremuer,nefût-cequ’unpetitdoigt.
Aumatin,elleétaitencorelà.La sonnerie du téléphone réveilla Erica. Elle regarda l’heure.Dix heures et demie dumatin. Elle
avaitdûserendormiraprèsavoirpassélamoitiédelanuitensueuràsetourneretseretournerdansle
lit,sanstrouverdepositionconfortable.—Allô.Savoixétaitpleinedesommeil.—SalutErica,pardon,jeteréveille?—Oui,maisçanefaitrien,Anna.Jenedevraispasêtreaulitàcetteheure-cidetoutefaçon.—Si,si,profitedusommeiltantquetupeux.Ensuitetun’enverrasplustroplacouleur.Commenttu
vas?Erica saisit l’occasionde seplaindreunpetitmoment de toutes les épreuvesde la grossesse à sa
sœur,quisavaitexactementdequoielleparlaitaprèsavoireuelle-mêmedeuxenfants.—Mapauvre…Laseuleconsolation,c’estqu’onsaitqueçanevapasdureréternellement.Comment
çasepasseavecPatrikàlamaison?Vousnevousportezpastropsurlesnerfs?Jemerappelleque,moi,j’avaissurtoutenviequ’onmefichelapaixlesdernièressemaines.
—Oui,c’estvrai,j’aifaillipéterunplomb,jel’avoue.Tucomprendsquejen’aipasspécialementprotestéquandilaétéobligédereprendreleboulotàcausedecemeurtre.
—Unmeurtre?Qu’est-cequis’estpassé?Erica parla de la jeune Allemande qui avait été tuée et des deux filles disparues qu’ils avaient
retrouvées.—Maisc’esthorrible!Ilyeutdelafrituresurlaligne.—Vousêtesoùmaintenant?Çasepassebienàbord?— Oui, c’est super. Emma et Adrian adorent ça, ils ne vont pas tarder à être des navigateurs
accomplissijelaissefaireGustav.—Gustav,oui.Vousvousensortezcomment?Ilestmûrpourêtreprésentéàlafamillebientôt?—Figure-toiquec’estpourçaquejet’appelle.OnestàStrömstadetonpensaitdescendreversle
sud.Disfranchementsitunelesenspas,maissinononavaitl’intentiondes’arrêteràFjällbackademainetdevenirvousvoir.Ondortsurlebateau,onnevousdérangerapas.Dis-moisiçateposeunproblème.Maisj’aitellementenviedevoirtongrosventre.
—Net’inquiètepaspourmoi,çameferaitsuperplaisirdevousvoir!Detoutefaçon,demainilyaDanetsacopinequiviennent,onsefaitunegrillade,etonn’aqu’àajouterquelquesmorceauxdeviandesurlegril.
—Chouette,alorsjeverraienfinl’agnellequeleloupachoisie.—Écoute,Patrikn’arrêtepasdemedired’êtregentille,etilnefautpasquetoiaussitut’ymettes…—Oui,jesais,maisçademandequandmêmeunecertainepréparation.Ilfautqu’onsebriefesurla
musiquequekiffentlesdjeunsencemomentetlesfringuesquimarchentetsionpeuttoujoursmettredugloss parfuméou si c’est totalement ringard.Voilà ce qu’onva faire : toi tu vas voir surMTV, etmoij’achèteraiunmagazinepeoplepourjeteruncoupd’œilsurlespagestendance.EtStarlet,onletrouvetoujours,tucrois?Çaneseraitpasmalnonplus.
Ericasetenaitleventretellementelleriait.—Arrête, jevaismourir.Etd’ailleurs, tu feraismieuxde te taire jusqu’àcequ’onaitvuGustav,
c’estpeut-êtreunvéritableboudin,lui?—Ben,boudinn’estpeut-êtrepaslemotquej’emploieraispourGustav.Erica entendit que sa blague avait heurté Anna. Tout de même, que sa sœur soit à ce point-là
susceptible!—Ilfautquetusachesquejem’estimeheureusequ’unhommecommeGustavdaignemêmeregarder
dansmadirection,mèredivorcéeet tout. Iln’aque l’embarrasduchoixparmi les fillesde lahauteetpourtantc’estmoiqu’ilchoisit,jetrouvequeçaenditlongsurlui.Jesuislapremièrenanaavecquiil
sortquinefigurepasdanslenobiliaire,etjenemeplainspasvraimentdemonsort.Ericaaussitrouvaitqueçaendisaitlongsurlui,maismalheureusementpasdanslemêmesensquesa
sœur.Annan’avaitjamaiseubeaucoupdejugeoteconcernantleshommesetlamanièredontelleparlaitdeGustavl’inquiétaitunpeu.Ericadécidapourtantdenepaslecondamneravantdel’avoirvu,etespéraquesescraintess’avéreraientinfondées.
Ellelançajoyeusement:—Vousserezlàquand?—Versquatreheures,çateva?—Çamevasuper.—Àdemainalors,bisous,ciao.Après avoir raccroché, Erica se sentit tracassée. Quelque chose de forcé dans la voix d’Anna
l’amenaitàsedemandercequ’ilenétaitréellementdesarelationaveccefantastiqueGustavafKlint.Elleavaitétésicontente lorsqueAnnaavaitdivorcédeLucasMaxwell, lepèredesenfants.Anna
avaitmêmecommencédesétudesd’histoirede l’art, son rêvede toujours,etelleavaiteu laveinedetrouver un emploi à mi-temps à la salle des ventes de Stockholm. C’était là qu’elle avait rencontréGustav.IlétaitissudelatrèsgrandenoblessesuédoiseetpassaitsontempsdansleHälsinglandàgérerlapropriétéfamiliale,quiavaitunjourétéofferteàsonancêtreparGustaveVasaenpersonne.Safamillefréquentaitlafamilleroyale,etsisonpèreavaitunempêchement,c’étaitGustavlui-mêmequirecevaitl’invitationàlachasseannuelleduroi.AnnaavaitsolennellementracontétoutceciàErica,quiavaittropvu de rejetons désœuvrés de la haute à Stockholm pour ne pas ressentir une certaine inquiétude. Ellen’avait jamais rencontréGustav, et il était peut-être complètement différent des riches héritiers qui, àl’abri de leur façade d’argent et de titres, se permettaient de se comporter commedes porcs dans lesboîtesdenuitdelacapitale.Demainellesauraitàquois’entenir.EllecroisalesdoigtspourqueGustavsoitd’untoutautregenre.Iln’yavaitpersonneàquiellesouhaitaitautantdebonheuretdestabilitéqu’àAnna.
Elle brancha le ventilateur et se demanda comment passer sa journée. La sage-femme lui avaitexpliquéque l’ocytocine, l’hormoneproduitepar l’organismeà l’approchede l’accouchement,créedepuissants instincts de nidification chez les femmes enceintes. Cela expliquait pourquoi, ces dernièressemaines, Erica s’était frénétiquement consacrée à trier, numéroter et cataloguer presque tout dans lamaison, comme si c’était une question de vie ou demort. Elle faisait une fixation sur l’idée que toutdevaitêtreprêtavant l’arrivéedubébé,etmaintenantelleapprochaitdustadeoù ilne lui restaitplusgrand-choseàranger.Lespenderiesétaienttriées, lachambred’enfantaménagée, l’argenterieastiquée.Laseulechosequi restaità faireétaitdemettrede l’ordredans tout le fatrasde lacave.Aussitôtdit,aussitôtfait.Ensoufflant,elleselevaetpritrésolumentleventilateursouslebras.Ilvalaitmieuxqu’ellesedépêcheavantquePatrikneviennelaprendreenflagrantdélit.
Il s’était accordé cinq minutes de pause pour manger une glace dehors au soleil devant le
commissariat,lorsqueGöstapointalatêteparl’unedesfenêtresouvertesetl’appela.—Patrik,ilyauncoupdefil,là,jepensequetudevraisleprendre.Il léchavivementcequirestaitdesonMagnumetentra.Enentendantquiétaitauboutdufil, il fut
quelque peu surpris. Après une brève conversation, pendant laquelle il griffonna quelques notes, ilraccrochaetditàGösta:
—Quelqu’uns’amuseàcasserlesfenêtreschezGabrielHult.Tuviensavecmoi,onvajeteruncoupd’œil?
GöstaparutétonnéquePatrikluidemandeàluiplutôtqu’àMartin,maisilacquiesça.Unmomentplustard,alorsqu’ilsremontaient l’alléed’accès, ilsnepurents’empêcherdesoupirer
d’envie.LarésidencedeGabrielHultétaitunmagnifiquemanoir.Ilscintillaitcommeuneperleblanchedans laverdureet lesaulnesquibordaient l’allée s’inclinaient respectueusementauvent.Patrik seditqu’EphraïmHultavaitdûêtreunfichtrementbonprédicateur,pours’êtreretrouvéenpossessiondetoutceci.
Même le crépitement du gravier sous leurs pieds quand ils s’avancèrent jusqu’à l’escalier avaitquelquechosedeluxueux,etPatrikétaittrèscurieuxdevoirl’intérieurdelamaison.
CefutGabrielHultenpersonnequiouvrit laporte.PatriketGöstas’essuyèrentsoigneusement lespiedssurlepaillassonavantd’entrerdanslevestibule.
Tout en parlant, Gabriel les précéda dans une grande et belle pièce, avec de hautes fenêtres quilaissaiententrerunmaximumdesoleil.Unefemmeauvisageinquietétaitassisedansuncanapéblancetelleselevapourlessaluer.
—LainiHult.Mercid’êtrevenussirapidement.ElleserassitetGabrielfitungesteverslecanapéopposé.GöstaetPatriksesentirentdéplacésdans
celieu.Nil’unnil’autren’avaitprislapeinedes’habillerparticulièrementbienpourallerauboulot,ilsétaient en short. Au moins, Patrik avait un tee-shirt correct, alors que Gösta portait une chemisesynthétique à manches courtes avec unmotif vert menthe, qui faisait assez ringard. Le contraste étaitd’autantplusfrappantavecletailleurdelinécrudeLainietlecostume-cravatedeGabriel.Ildoitêtreennage,seditPatriketilespéraitpourGabrielqu’iln’étaitpasobligédesebaladerhabillécommeçatoutletempsdanslachaleurdel’été.Mais,d’unautrecôté,c’étaitdifficiledesel’imaginerdansunetenueplus décontractée. Il n’avait pas l’air de transpirer dans son costumebleumarine, alors quePatrik secouvraitdesueurrienqu’àlapenséedeporteruntrucpareilàcetteépoquedel’année.
—Votremarinousabrièvementracontécequis’estpassé,maisvouspourriezpeut-êtredévelopperunpeu?
PatrikadressaunsourirerassurantàLainitoutensortantsonpetitbloc-notesetunstylo.Ilattendit.—Oui,donc,iln’yavaitquemoiàlamaisonhiersoir.Gabrielestsouventenvoyageetjepassepas
maldenuitstouteseule.PatrikremarquadelatristessedanssavoixetilsedemandasiGabrielHults’enétaitaperçuaussi.
Ellecontinua:—Jesaisquec’est idiot,mais j’ai terriblementpeurdunoir,et jemecantonneengénéralàdeux
piècesquandjesuisseule,machambreetlesalontéléquicommuniquent.Patriknotaqu’elledisait«ma»chambreetilneputs’empêcherdesefairelaréflexionquec’était
bien malheureux que des personnes mariées ne dorment même pas ensemble. Cela ne leur arriveraitjamais,àEricaetlui.
—J’étaissurlepointd’appelerGabrielquandj’aivuquelquechosequibougeaitdehors.Laseconded’aprèsl’unedesfenêtresdupetitcôtéavoléenéclats,àgauchedel’endroitoùjemetenais.J’aieuletempsdevoirquec’étaitunegrossepierre,puisuneautreestarrivéequiacassél’autrevitre.Ensuitej’aiseulemententenduunbruitdecourseetj’aidistinguédeuxombresquidisparaissaientendirectiondelaforêt.
Patriknotaquelquesmotsclés.Göstan’avaitpasouvert labouchedepuis leurarrivée,àpartpourdiresonnomquandils’étaitprésenté.Patrikl’interrogeaduregardpourvoirs’ilyavaitquelquechosequ’il voulait éclaircir, mais il resta muet à étudier ses ongles en détail. J’aurais tout aussi bien puemmenerunseauàglace,pensaPatrik.
—Est-cequevousavezlamoindreidéed’unmotifpossible?
LaréponsefusadelapartdeGabrieletilsembladevancerLaini:—Non,riendeplusqu’unebonnevieilleconvoitise.Depuisledébut,lesgensontmaldigéréquele
domainesoitànous,ilsnousregardentdetraversetaufildesansonaeuàsubirquelquesincidentsdelapart d’ivrognes. Des bêtises de gamins et ça en serait resté là cette fois-ci aussimaismon épouse ainsistépourinformerlapolice.
IllançaunregardmécontentàLainiquipourlapremièrefoismontraqu’elleétaitbienenchairetenosetluidécochaunregardfurieuxenretour.Cemouvementdedéfisemblaallumeruneétincelleenelleet,sansunregardpoursonmari,elleditcalmementàPatrik:
—JetrouvequevousdevriezavoiruneconversationavecRobertetJohanHult,lesneveuxdemonmari,etleurdemanderoùilsétaienthiersoir.
—Laini,ça,c’étaitvraimentinutile!—Tun’étaispaslàhiersoir,ettuignoresl’effetqueçafait,despierresquivolentautourdetoiet
qui brisent les fenêtres. J’aurais pu être blessée.Et tu sais aussi bien quemoi que c’étaient ces deuxcrétinsquiétaientlà!
—Laini,ons’étaitmisd’accord…Ilparlait lesmâchoires serréeset sesmusclesétaient tendusàl’extrême.
—TUt’esmisd’accord!Elle se tournaversPatrik, encouragéepar sapropreaudace, sipeuhabituelle, etpoursuivit sur sa
lancée:—Jene les ai pasvus, c’est vrai,mais jepeux jurerque c’étaient Johan etRobert.Solveig, leur
mère,estvenueicidanslajournéeetelles’estcomportéedefaçonfranchementdésagréableetcesdeux-là,cesontdevraiespetitesfrappeset…Oui,vouslesavezaussibienquemoi,j’imaginequevousavezeupasmalàfaireaveceux.
EllegesticulaitendirectiondePatriketdeGöstaquinepouvaientqu’acquiescerenhochantlatête.Ilsavaienteffectivementétéconfrontésauxdeuxvoyousdefrères,avecunerégularitéeffrayante,depuisqu’ilsétaienttoutpetits.
Laini toisaGabriel du regard pour voir s’il osait la contredire,mais il se contenta de hausser lesépaulesavecrésignation,commepourindiquerqu’ils’enlavaitlesmains.
—Quelleétaitlaraisondecettealtercationavecleurmère?demandaPatrik.—Oh,c’estunepersonnequin’apasvraimentbesoind’uneraison,ellenousatoujourshaïs.Cequi
lui a fait perdre la tête hier, c’était la nouvelle des filles retrouvées dans la brècheduRoi.Avec sesfaiblescapacitésintellectuelles,elleenadéduitquec’étaitlapreuvequeJohannes,sonmari,avaitétéinjustementaccusé,etellemettaitçasurlecomptedeGabriel.
L’émotion renforça l’éclat de sa voix et, la paume tournéevers le haut, elle indiqua sonmari, quisemblaitavoirmentalementquittélaconversation.
—Oui,j’ailulesvieuxdossiersdel’époqueoùlesfillesavaientdisparuetj’aivuquevousaviezsignalévotrefrèrecommesuspectàlapolice.Pourriez-vousm’endireunpeuplus?
IlyeutuntressaillementàpeinevisiblesurlevisagedeGabriel,unetoutepetiteindicationquelaquestionl’incommodait,maissavoixparutcalme.
—C’étaitilyatantd’années.Sivousmedemandezsijepersisteàdirequec’estbienmonfrèrequej’aivuavecSivLantin,alorslaréponseestoui.J’avaisétévoirmonfilsàl’hôpitald’Uddevalla,ilavaituneleucémieàcetteépoque,etjerentraisàlamaison.SurlaroutedeBräcke,j’aicroisélavoituredemonfrère.J’aitrouvéçaunpeuétrange,qu’ilsoitsurlesroutesaumilieudelanuit,etj’aibienregardé.Sur le siège passager j’ai vu la fille, la tête appuyée sur l’épaule demon frère.On aurait dit qu’elledormait.
—Commentsaviez-vousquec’étaitSivLantin?—Jenelesavaispas.Maisjel’aireconnuedèsquej’aivusaphotodanslejournal.Parcontreje
voudrais souligner que je n’ai jamais dit quemon frère les a tuées, je ne l’ai jamais traité d’assassincommelesgensd’iciessaientdelefairecroire.Toutcequej’aifait,c’étaitrapporterquejel’aivuavecla fille, choseque j’estimaisêtredemondevoirdecitoyen.Celan’avait rienàvoir avecunéventuelconflitentrenous,niavecunevengeancecommecertains l’ontprétendu.J’airacontécequej’aivu,etj’ai laisséà lapolice le soind’en tirer lesconséquences.Et, apparemment, ilsn’ont jamais trouvédepreuvescontreJohannes,sibienquetoutecettediscussionmeparaîttotalementinutile.
—Maisqu’est-cequevousavezcru,vous?PatrikregardaGabrielaveccuriosité.Ilavaitdumalàcomprendrequ’onpuisseêtrescrupuleuxaupointdedénoncersonproprefrère.
—Jenecroisrien,jem’entiensauxfaits.—Maisvousconnaissiezbienvotrefrère.Pensez-vousqu’ilauraitétécapabledetuer?—Monfrèreetmoin’avionspasgrand-choseencommun.Parfoisjem’étonnaisquenousayonsles
mêmesgènes, tantnousétionsdifférents.Vousmedemandezsi je lecroiscapablede tuerquelqu’un?Gabriel écarta les bras. Je n’en sais rien. Je ne connaissais pas suffisammentmon frère pour être enmesurederépondreàcettequestion.Etdeplusellesemblesuperfluedésormais,étantdonnélatournuredesévénements,n’est-cepas?
Sur ce, il considéra la discussion comme close et se leva. Patrik et Gösta captèrent ce messagequelquepeugrossieretprirentcongé.
—Qu’est-cequetuendis,onvademanderauxdeuxvoyousoùilsétaienthiersoir?La question était purement formelle, Patrik avait déjà pris la direction de la maison de Johan et
Robert sans attendre la réponse de Gösta. L’inconsistance de son collègue durant l’entretien l’avaiténervé.Qu’est-cequ’ilfaudraitpoursecouercevieuxcroûton?Certes,iln’allaitpastarderàpartiràlaretraite,maispourl’instantilétaitencoreenserviceetsupposéfairesonboulot.
—Bon,qu’est-cequetupensesdetoutça?L’irritationdanslavoixdePatrikétaitmanifeste.—Jepensequejenesaispasquellealternativeestlapire.Soitnousavonsunassassinquiatuéau
moins trois filles en vingt ans mais nous n’avons pas la moindre idée de qui c’est. Ou alors c’étaitréellementJohannesHultquiatorturéettuéSivetMonaetmaintenantquelqu’unlecopie.Pourcequiestdelapremièrehypothèse,ondevraitpeut-êtrevérifierlesregistresdesprisons.Est-cequequelqu’unestrestébouclépendant tout le lapsde tempsqui sépare lesdisparitionsdeSivetMonaet lemeurtredel’Allemande?Çapourraitexpliquerl’interruption.
LetondeGöstaétaitpensifetPatrikleregardaavecsurprise.Levieuxn’étaitpasaussiperdudanslesvapesqu’ilavaitcru.
—Çadevraitêtrefacileàvérifier.IlsnesontpasnombreuxenSuède,ceuxquisontrestésboucléspendantvingtans.Tut’enchargesquandonseraderetourauposte?
Göstahochalatêteetsecontentaensuitederegarderlepaysageparlavitrelatérale.La route qui menait à l’ancienne habitation de garde forestier était en fort mauvais état. À vol
d’oiseauladistanceétaittrèscourteentrelarésidencedeGabrieletLainietlapetitebicoquedeSolveigetlesgarçons.Maisellesemblaitinfinieentermesdeniveaudevie.Leterrainavaittoutd’undépôtdeferrailleur.Outre un fatras indéfinissable, trois épavesdevoiture à différents stades dedélabrement yavaient été déposées n’importe comment. De toute évidence, les membres de cette famille étaientincapablesdejeterquoiquecesoit.Patriksoupçonnaqu’enfarfouillantunpeuilstrouveraientaussipasmald’objetsvolésdanslesmaisonsdesenvirons.Maisilsn’étaientpasvenuspourça.Ilfallaitclasserlespriorités.
Vêtud’unecombinaisondetravailcrasseused’unbleu-grisdélavé,Robertsortitd’uneremiseoùil
bricolait une des épaves. Sesmains étaient couvertes de cambouis et il s’étaitmanifestement frotté levisage.Toutenvenantàleurrencontre,ils’essuyalesmainssurunvieuxchiffon.
—Qu’est-cequevousvenezfoutreici?Sic’estpourfouiller,jeveuxvoirlemandatavantquevoustouchiezàquoiquecesoit.
Letonétaitdésinvolte.Etpourcause,ilsétaientdevieillesconnaissancesdepuispasmald’années.Patriklevalesmainsenungesteapaisant:
— Du calme. On n’est pas là pour fouiller quoi que ce soit. On aimerait simplement causer unmoment.
Robertlesregardaavecméfiance,maishochalatête.—Etonaimeraitcauseràtonfranginaussi.Ilestlà?Àcontrecœur,Roberthochadenouveaulatêteetbraillaendirectiondelamaison:—Johan,onalavisitedesflics.Ilsveulentnouscauser!—Onpourraitpeut-êtreentrers’asseoir?Sansattendrelaréponse,PatriksedirigeaverslaporteavecGöstasursestalonsetRobertn’eutpas
d’autrechoixquedelessuivre.Ilnesedonnapaslapeined’enleversacombinaisondetravail,nideselaverlesmains.Depuisdeprécédentsraidsàl’aubeici,Patriksavaitquelacrassefaisaitcorpsavectoutdanslamaison.Unjour,autrefois,labicoqueavaitsansdouteétéagréable,malgrésapetitesse.Maisdesannéesdenégligenceavaient fait qu’aujourd’hui tout semblait à l’abandon.Lepapierpeint était d’unecouleur marron et triste, les lés étaient décollés et pleins de taches. En plus de la saleté, on avaitl’impressionqu’unemincepelliculedegraisserecouvraittout.
LesdeuxinspecteurshochèrentlatêteversSolveigquimanipulaitsesalbumsdevantlatablebancaledelacuisine.Sescheveuxchâtainspendaientenmèchestristesetlorsqu’elleécartalafrangedesesyeuxd’ungestenerveux,sesdoigtsdevinrenttoutgraisseux.Inconsciemment,Patriks’essuyalamainsursonshortavantdes’asseoirduboutdesfessessurunedessimpleschaisesenbois.Johan,laminerenfrognée,sortit d’une petite chambre et se laissa tomber à côté de son frère et samère sur la banquette.À lescontemplerainsi,Patrikvitnettementlaressemblanceentreeux.L’anciennebeautédeSolveigsubsistaitcommeunéchosurlevisagedesgarçons.PatrikavaitentendudirequeJohannesavaitétébelhomme,etsi ses fils redressaient ledos, ilsne seraientpasmalnonplus.Àprésent, uneapparencedemollesseflottaitsurleurspersonnes,unesorted’émanationlégèrementgluante.Malhonnêtetéseraitsansdoutelebonmot.Danslamesureoùl’onpouvaitqualifierunvisagedemalhonnête,cettedescriptioncollaitdumoinsavecRobert.PatriknourrissaitencorequelqueespoirpourJohan.Quandilss’étaientcroiséspourdesaffairesdepolice,lebenjaminavaittoujoursdonnél’impressiond’êtremoinsendurciquesonfrère.Parmoments,Patrikavaitpudevineruneambivalenceenlui,uneincertitudequantàlaviequ’ils’étaitchoisiedanslesillagedeRobert.DommagequeRoberteûttantd’influencesurlui,Johanauraitpuêtretotalementdifférent.Maisc’étaitcommeça.
—Qu’est-cequevousvenezfoutreici?Johanposalamêmequestionbraquéequesonfrère.—Onvoudrait savoir cequevous fabriquiezhier soir.Vousn’étiezpas chezvotreoncle et votre
tanteparhasard,àvousamuseràlancerdescailloux?—Non,pourquoionauraitfaitça?Onestrestésàlamaisontoutelasoiréehier,pasvrai,maman?TousdeuxsetournèrentversSolveigetellefitouidelatête.Elleavaitmomentanémentreferméles
albumsetécoutaitattentivementl’entretienentresesfilsetlespoliciers.—Oui,ilsétaienticitouslesdeuxhier.Onregardaitlatéléensemble.Unesoiréeenfamille,c’était
trèschouette.Ellenesedonnamêmepaslapeinededissimulersonironie.—EtJohanetRobertnesontpassortisunpetitmoment?Disonsverslesdixheures?
—Non,ilsnesontpassortisuneminute.Sontmêmepasallésauxchiottes,simamémoireestbonne.Toujourslemêmetonironiqueetsesfilsneseprivèrentpasdericaner.— Alors comme ça quelqu’un leur a cassé des carreaux hier soir ? Je suppose qu’ils ont eu la
pétochelà-bas?Lericanementsetransformaenunefranchehilarité.—Ben,votretanteseulement.Gabrieln’étaitpaslàhier,Lainiétaitseuleàlamaison.Ladéceptionselutsurleursfigures.Ilsavaientévidemmentespéréflanquerlatrouilleaucoupleetil
neleurétaitpasvenuàl’espritqueGabrielpourraitêtreabsent.—J’aientendudirequevousaussi,Solveig,vousavezfaitunepetitevisitechezeuxaumanoirhier.
Ilparaîtqu’ilyaeudesmenaces.Vousavezdescommentairesàfairelà-dessus?—Ahouais,ilsontditquejelesaimenacés?Solveigricana.Maisjen’airienditquin’étaitpas
justifié. C’est Gabriel qui a dénoncémonmari comme assassin. C’est Gabriel qui l’a tué, tout aussisûrementques’ill’avaitpendului-même.
UnmuscletressaillitsurlevisagedeRobertquandilentenditmentionnerlafaçondontsonpèreétaitmortetPatriksesouvintd’avoirluquec’étaitRobertquiavaitdécouvertsonpèreaprèssonsuicide.
Solveigcontinuasaharangue:—Gabriel a toujourshaï Johannes. Il était jalouxde lui depuisqu’ils étaient tout petits. Johannes
était tout cequeGabrieln’était pas, et il le savait.Ephraïm favorisait toujours Johanneset jepeux lecomprendre.Oui, je sais, on ne doit pas faire de distinction entre ses enfants – elle hocha la tête endirectiondesesfilsàcôtéd’ellesurlabanquette–maisGabrielétaitfroidcommeunpoissonalorsqueJohannesdébordait devie. Je suisbienplacéepour le savoir, j’ai été la fiancéede l’unet ensuitedel’autre. C’était impossible d’allumer les ardeurs de Gabriel, impossible. Il était toujours vachementcorrectetilvoulaitattendrequ’onsoitmariés.Çameportaitsurlesnerfs.Etpuissonfrèreacommencéàme tourner autour, et là c’était autre chose. Ces mains-là pouvaient être partout à la fois et il vousenflammaitrienqu’envousregardant.
Elle gloussa et regarda devant elle sans rien voir, comme si elle revivait les nuits torrides de sajeunesse.
—Putain,tagueulemaman!Ledégoûtselisaitnettementsurlevisagedesfrères.Ilsnevoulaientpasentendrededétailssurle
passé amoureux de leur mère. Patrik eut la vision d’une Solveig nue, son corps obèse chaloupantvoluptueusement,etilclignalesyeuxpours’endébarrasser.
—Alors quand j’ai entendu qu’ils avaient trouvé cette fille assassinée et en même temps Siv etMona,jesuisalléeluidiresesquatrevérités.Iladétruitnotrevie,àJohannesetàmoietauxgarçonsparpurejalousieetmalveillance,maintenantlavéritévaenfinsauterauxyeuxdesgens.Ilsvontavoirhonteetcomprendrequ’ilsontécoutélemauvaisfrèreetj’espèrequeGabrielbrûleraenenferàcausedesespéchés!
Elle était dans lamême rage que la veille et Johan posa unemain sur son bras, à la fois pour lacalmeretpourl’avertir.
—Bon,quellequ’ensoit laraison,onnepeutpasmenacerlesgenscommeça!Etonn’apasnonplusledroitdebalancerdespierresparlesfenêtres!
PatrikpointaundoigtsurRobertetJohan,indiquantqu’ilnecroyaitpasuninstantautémoignagedeleurmèrequiparlaitd’unesoiréetéléenfamille.Ilssavaientqu’ilsavaitetillesprévenaitainsiqu’ilallaitlesgarderàl’œil.Ilsnefirentquemarmonneruneréponse.Solveigcependantétaitencoreécarlatedefureuretelleignoral’avertissementdesonfils:
— D’ailleurs, ce n’est pas seulement Gabriel qui devrait avoir honte ! Quand est-ce qu’on varecevoirlesexcusesdelapolice?Vousn’arrêtiezpasdevenirmettrelebordelcheznousàLaMétairie,
etàchercherJohannespourinterrogatoire,vousfaisieztoutpourlepousserverslamort.Ilseraitpeut-êtretempsmaintenantdeprésentervosexcuses?
Pourladeuxièmefois,cefutGöstaquipritlaparole:—Avantque soitdéterminéexactement cequi est arrivéà ces trois filles,personneneprésentera
d’excusespourquoiquecesoit.Et jusqu’àcequ’onaitvulafindecettehistoire, j’aimeraisquetutecomportescorrectement,Solveig!
LafermetédanslavoixdeGöstasemblaitvenird’unendroitinsoupçonné.Plustard,danslavoiture,Patrikdemandatoutétonné:
—Vousvousconnaissez,Solveigettoi?—Connaître,c’estungrandmot,grognaGösta.Ellealemêmeâgequemonpetitfrèreetellevenait
pasmal cheznousquand j’étaisgamin.Quandelle estdevenueadolescente, tout lemondeconnaissaitSolveig.C’étaitlaplusbellefilledelarégion,jetejure,mêmesionadumalàlecroirequandonlavoitaujourd’hui.Oui,queldommage.Quelavieaitétésivacheavecelleetsesfils.EtjenepeuxmêmepasluidonnerraisonetdirequeJohannesestmortinnocent.Merde,onnesaitrienderien!
Il secoua la tête avec regret, puis de frustration se frappa la cuisse avec le poing. Patrik eutl’impressiondevoirunoursseréveillerd’unlongsommeild’hibernation.
—Tuvérifieslesprisonsalors,auretour?—Oui,jel’aidéjàdit,oui!Jenesuispasgâteuxaupointdenepascomprendreuneinstructionla
première fois qu’on me la donne.Merde alors, recevoir ses ordres d’un morveux tout juste sorti duberceau…Göstaregardatristementdevantlui.
Fatigué,Patrikseditqu’ilrestaitencoreducheminàfaire.Àl’approchedusamedi,Ericacommençaàseréjouird’avoirPatrikàlamaisondenouveau.Ilavait
promisdeprendresonweek-endetàprésentilsétaientenroutepourlesrochersdel’archipelàborddeleurpetitcanotenbois.Ilsavaienteulachancedetrouverunbateaupresqueidentiqueàceluiqu’avaiteuTore, le père d’Erica. Elle ne pouvait pas imaginer en avoir un autre. La voile ne l’avait jamaisparticulièrement attirée, bien qu’elle ait pris quelques cours. Un in-bord en plastique avanceraitcertainementbeaucoupplusvite,maisquiétaitpresséàcepoint?
Lebruitdumoteurluiévoquaitsonenfance.Petite,elleavaitsouventdormidansleminusculecarré,bercée par le martèlement soporifique du moteur. En général, elle préférait aller se mettre à l’avantsurélevé,devantlesvitres,maisdanssonétatprésentmoinsgracieuxellen’osapaslefaireets’installasurl’undesbancsderrièrelesvitresprotectrices.Patriktenaitlabarre,sescheveuxchâtainsébouriffésparleventetlesourirecolléauvisage.Ilsétaientpartistôtpourarriveravantlesvacanciersetl’airétaitfraisetlimpide.Depetitesgicléesd’embrunsvenaientrégulièrementinonderlebateauetEricapouvaitsentir legoûtde l’air salé.Elleavaitdumalàconcevoirqu’elleportait enelleunpetit êtrequidansquelquesannéesallaitêtreinstalléàl’arrière,àcôtédePatrik,équipéd’unencombrantgiletdesauvetageorangemunid’ungrandcol,commeelle-mêmetantdefoisavecsonpère.
Sesyeuxcommencèrentàlapicoterausouvenirdesonpèrequin’allaitjamaisrencontrersonpetit-filsousapetite-fille.Samèrenonplus,maiscommecelle-ciavaittoujoursététrèsdistanteavecsesdeuxfilles,Ericavoyaitmalcommentdespetits-enfantsauraientéveilléenellelessentimentsaffectueuxd’unegrand-mère.D’autantplusqu’elleavaittoujoursétéd’uneraideurpeunaturellequandellerencontraitlesenfants d’Anna, se contentant de les serrer maladroitement dans ses bras lorsque la situation etl’entourage semblaient l’exiger.L’amertume surgit denouveau enErica,mais elle la contint.Dans sesmoments de pessimisme, elle avait peur que lamaternité ne se révèle aussi pesante pour elle qu’elle
l’avaitétépourElsy.Qued’uncoupellenese transformeensamèrefroideet inaccessible.Lamoitiélogique de son cerveau disait que c’était ridicule de penser ainsi,mais la peur ne connaissait pas delogique. D’un autre côté, Anna était une mère chaleureuse et aimante pour Emma et Adrian, alorspourquoiErica ne le deviendrait-elle pas ?Elle essayait ainsi de se raisonner.En tout cas, elle avaitchoisi le bon père pour son enfant, pensa-t-elle en regardant Patrik. Son calme et sa confiancecontrebalançaientsapropreinstabilitécommepersonnen’avaitsulefaireauparavant.Ilseraitunsuperpapa.
Ilsdébarquèrentdansunepetitebaieprotégéeetétalèrentleursdrapsdebainsurlesdalleslisses.Çalui avait manqué, quand elle habitait Stockholm, l’archipel y était tellement différent. Avec tous sesarbresetsavégétation,ilavaituncôtédésordonnéetenvahissant.Unjardininondé,ironisaientsouventleshabitantsdelacôteouestavecmépris.Encomparaison,leurarchipelétaitsipurdanssasimplicité.Legranitroseetgrisréfléchissaitlesscintillementsdel’eauetsedétachaitsuruncielsansnuagesdansuneharmonieàvouscouperlesouffle.Depetitesfleursdescrevassesconstituaientl’uniquevégétation,etdanscetuniversarideleurbeautéserévélaitpleinement.Ericafermalesyeuxetsesentitglisserdansunsommeilbienfaisant,ausonduclapotisdel’eauetdubateauquibattaitdoucementcontresonamarre.
LorsquePatriklaréveillaendouceur,ellenesuttoutd’abordpasoùelleétait.Laviolencedusoleill’aveugla quelques secondes, et Patrik était comme une ombre au-dessus d’elle. Une fois qu’elle eutretrouvésesrepères,elleréalisaqu’elleavaitdormipendantdeuxheuresetellesentitqu’unpetitcaféseraitlebienvenu.
Ils le prirent dans de grands quarts, accompagné de petits pains à la cannelle. C’était lemeilleurendroit pour un goûter, et ils savouraient ce moment. Erica ne put s’empêcher d’entamer le sujet deconversationtabou.
—Commentçaavanceréellement?—Couci-couça.Unpasenavantetdeuxenarrière.LesréponsesdePatrikétaientlaconiques.Iltenaitmanifestementàcequelemalquiimprégnaitson
métier ne vienne pas envahir la quiétude ensoleillée.Mais la curiosité d’Erica était trop vive et ellecherchaàenapprendreunpeuplus.
—Etlesarticlesquej’aitrouvés,ilsvousontservi?VouscroyezquetoutçaaquelquechoseàvoiraveclafamilleHult?OuJohannesHultasimplementeulamalchancedes’ytrouvermêlé?
Patriksoupiraenserrantlequartentresesmains.—Sijelesavais.ToutelafamilleHultmeparaîtunfichuniddeguêpesetjepréféreraisnepasavoir
àfarfouillerdanslesrelationsqu’ilsontentreeux.Ilyauntrucpastrèscatholique,maisjenesaispassiçaaunrapportaveclesmeurtres.C’estpeut-êtrejustequejen’aipasenviedeconstaterquelapolices’esttrompée,etqu’ilsontpousséuninnocentàmettrefinàsesjours.Cecidit,letémoignagedeGabrielétaitlaseulepistepertinenteàl’époque,aprèsladisparitiondesfilles.Pourtantonnepeutpasfocaliseruniquement sur elles, on doit ratisser large. Mais je préfère ne pas en parler. En ce moment j’ail’impressionquej’aisurtoutbesoindedéconnecterdetoutcequitoucheàl’affaire,etdepenseràautrechose.
Ericahochalatête.—Jeprometsdeneplusposerdequestions.Tuenveuxunautre?Ilpritlepetitpainsanshésitation.Ilspassèrentencoreunbonmomentsurl’îlot,àlireausoleil,avant
qu’ilsoitl’heurederentreretdepréparerlesgrillades.Auderniermoment,ilsavaientdécidéd’inviteraussilepèredePatriketsafemme,sibienque,sanscompterlesenfants,ilyauraithuitadultesànourrir.
Gabrieltournaittoujoursenrondleweek-end,quandilétaitsupposésedétendreetnepastravailler.Le problème était qu’il ne savait pas quoi faire quand il ne travaillait pas. Le travail était sa vie. Iln’avaitpasdeviolond’Ingres;passerdutempsavecsafemmenel’intéressaitpasetsesenfantsvolaientde leurspropresailes,mêmesi lestatutdeLindapouvaitencoresediscuter.Sibienqu’il s’enfermaitsouvent dans son bureau, le nez dans la comptabilité. Les chiffres, voilà ce qu’il aimait dans la vie.Contrairement aux humains avec leur sentimentalité et leur irrationalité exaspérantes, les chiffressuivaientdesrèglesfixes.Ilpouvaittoujoursleurfaireconfianceetilsesentaitàl’aisedansleurmonde.Pasbesoind’êtreungéniepourcomprendred’oùluivenaitcettesoifd’ordreetd’organisation,Gabriellui-mêmel’attribuaitàsonenfancechaotique,maisiln’estimaitpasqu’ilyavaitlieudes’eninquiéter.Ça fonctionnait et ça lui avait bien servi, l’origine de ce besoin avait donc peu d’importance, voireaucune.
Ilessayaitd’écarterdesonespritleserrancessurlesroutesdutempsduPrédicateur.Maisquandilrepensait à son enfance, c’était toujours ainsi que surgissait l’image de son père. Un personnageeffroyableetsansvisagequiremplissaitleurjournéed’hystériques,hurlantsetdélirants.Deshommesetdes femmesquiessayaientde les toucher, Johanneset lui.Quivoulaient lesagripperavec leursmainsgriffuespourqu’ilsatténuentladouleurphysiqueoupsychiquequilestourmentait.Quicroyaientqueluietsonfrèreavaientlaréponseàleursprières.UncanaldirectversDieu.
Johannesavaitadorécesannées-là.Ils’étaitépanouidansl’attentiondupublicets’étaitvolontiersmisenavant.ParfoisGabriell’avaitprissurlefait,contemplantsesmainsavecfascination,lesoirquandilsétaientcouchés,commepouressayerdevoird’oùvenaientcesmiraclesmerveilleux.
AlorsqueGabrielavait ressentiune immensegratitude lorsque ledonavaitcessé,Johanness’étaitdésespéré. Il n’arrivait pas à se faire à l’idée que maintenant il n’était qu’un garçon ordinaire, sansqualitéparticulière,pareilàn’importequi.IlavaitpleuréetsuppliélePrédicateurdel’aideràretrouverledon,maisleurpèreavaitexpliquésèchementquecettevie-làétait terminéemaintenant,qu’uneautreallaitcommenceretqu’insondablesétaientlesvoiesduSeigneur.
QuandilsavaientemménagédanslemanoirprèsdeFjällbacka,lePrédicateurétaitdevenuEphraïmauxyeuxdeGabriel,etnonpère,et ilavaitadorécettenouvelleviedès lepremier instant.Pasparcequ’ilétaitplusprèsdesonpère–Johannesavaittoujoursétélefavorietcontinuaitàl’être–maisparcequ’il avait enfin trouvé un foyer. Un endroit où rester et autour duquel organiser son existence. Deshorairesàrespecter.Uneécoleoùaller.Iladoraledomaineaussietilrêvaitdepouvoirlegérerseulunjour.Ilsavaitqu’ilseraitunmeilleurrégisseurqu’EphraïmetqueJohannes,et lesoir ilpriaitquesonpèrenefassepaslabêtisededonnerledomaineàsonfilspréféréquandilsseraientgrands.ÇaluiétaitégalqueJohannesreçoivetoutl’amourettoutel’attention,siseulementlui,Gabriel,recevaitledomaine.
Ses vœux avaient été exaucés. Mais pas de la manière qu’il s’était figurée. Dans son mondeimaginaire,Johannesavaittoujoursétélà.Cen’étaitqu’aprèssamortqueGabrielavaitcomprisàquelpoint il avait besoin de ce frère insouciant, pour s’inquiéter de lui et s’irriter contre lui. Pourtant iln’avaitpuagirautrement.
Il avaitmalgré toutdemandéàLainide tairequ’ils soupçonnaient JohanetRobertd’avoir jeté lespierressurleursfenêtres.Celal’avaitlui-mêmeétonné.Avait-ilcommencéàperdresonsensdelaloietde l’ordre, oubien se sentait-il inconsciemment responsabledu sort de la famillede son frère ? Il nesavaitpas,maisaprèscoupilétaitreconnaissantàLainid’avoirchoisides’opposeràluietdetoutdireàlapolice.Celaaussil’avaitsurpris.Àsesyeux,sonépouseétaitplusunpantindésarticuléetgeignardqu’unêtrehumainavecunevolontépropre,etilavaitétésidéréparl’âpretédesontonetparledéfiqu’ilavaitludanssesyeux.Celal’inquiétait.Avectoutcequis’étaitpassécettesemaine,ilavaitl’impressionque l’ordre autour de lui s’écroulait. Pour un homme qui détestait le changement, c’était une vision
effrayantedufutur.Gabrielseréfugiaencoreplusloindansl’universdeschiffres.Lespremiersinvitésarrivèrentàl’heure.LarsetsafemmeBittanfurentlààquatreheurespile,avec
desfleursetunebouteilledevin.LepèredePatrikétaittrèsgrandavecunegrossebedainealorsquesafemmeétaittoutepetiteetrondecommeunballon.Maislesrondeursluiallaientbienetlespattes-d’oieautourdesesyeuxtémoignaientqu’ellen’étaitpasavaredesourires.EricasavaitquePatriktrouvaitplusfaciledefréquenterBittanquesapropremère,beaucoupplusstricteetanguleuse.Ledivorceavaitétéassezdifficile,maisavecletempsils’étaitétablisinonuneamitié,aumoinsuntraitédepaixentreLarsetKristina,etilsarrivaientmêmeàseretrouverensembledanscertainescirconstances.Leplussimplerestaitcependantdelesinviterséparément.
Unquartd’heureplustard,DanetMariaarrivèrent.Ilsavaientjusteeuletempsdes’installerdanslejardin et dedirebonjour àLars etBittanqu’Erica entendit les crisd’Emmadans lamontée.Elle allaaccueillirAnnaetsesenfantsetelleputenfinsaluerlenouvelhommedesasœur.
—Bonjour,raviedefaireenfintaconnaissance!ElletenditlamainàGustavafKlint.Commepourconfirmersespréjugésdèslapremièreimpression,
ilressemblaitexactementauxautresminetsdelahautequifréquentaientlesquartiershuppésdeStureplanàStockholm.Cheveuxchâtainscoupésaucarréetcoiffésenarrière.Chemiseetpantalondansunstyledécontracté trompeur – Erica en connaissait à peu près le prix – et le pull obligatoire noué sur lesépaules.Elledutseforcerànepaslejugertropvite.Ilavaitàpeineouvertlabouchequ’intérieurementellevomissaitdéjàsonméprissurlui.Pendantuneseconde,ellesedemandaavecinquiétudesicen’étaitpas de la pure jalousie qui lui faisait sortir les griffes dès qu’il était question de gens nés avec unecuillèred’argentdanslabouche.Elleespéraitsincèrementqueteln’étaitpaslecas.
—Etcommentvalebébédesatata?Tuesgentilavectamaman?Annagazouillaetposasonoreillecontreleventred’Ericapourécouterlaréponse,elleritetserra
EricapuisPatrikdanssesbras.Ilsallèrentrejoindrelesautresdanslejardinetlesprésentationsfurentfaites. Les enfants pouvaient enfin se défouler en courant sur la terre ferme, pendant que les adultesbuvaientunverredevin,oudeCocapourErica.Commetoujours,leshommess’assemblaientautourdubarbecuepourmettreenavantleurcôtéviriltandisquelesfillesdiscutaientdeleurcôté.Erican’avaitjamaiscompriscephénomène.Deshommesquientempsnormalaffirmaientignorertotalementcommentonfaitcuireunmorceaudeviandedansunepoêledevenaientdesvirtuosesaccomplisquandils’agissaitdecuireàpointuneviandesurunbarbecue.Onpouvaitàlarigueurconfierleslégumesetlessaucesauxfemmes,etellesfaisaientaussil’affairepourapporterdesbières.
—MoonDieuuu,cequevousêtesbienici!Mariaenétaitdéjààsondeuxièmeverredevin,alorsquetouslesautresavaientàpeinetrempéles
lèvresdansleleur.—Merci,oui,ons’yplaît.Ericaavaitdumalàmontrerdavantagequ’unesimpleattitudedebienséanceenverslacopinedeDan.
Ellen’arrivaitpasàcomprendrecequ’il lui trouvait,surtoutcomparéeàPernilla,sonex-femme,maiselledevinaitquec’étaitencoreundecesmystèresdeshommesquelesfemmesn’arriventpasàsaisir.Laseule chose qu’elle pouvait en conclure, c’était qu’il n’avait pas choisiMaria pour sa conversation.Apparemment elle éveilla l’instinctmaternel deBittan qui s’occupa beaucoup d’elle, ce qui permit àAnnaetEricadeparlerunpeu.
—Ilestbeaunon?Tuterendscomptequ’unmeccommeças’intéresseàmoi?AnnajetaunregardadmiratifsurGustav.Ericaregardasajoliepetitesœuretsedemandacomment
quelqu’un commeAnna pouvait à ce point-là perdre confiance en elle. Autrefois elle avait été forte,indépendante et libre,mais lesmauvais traitements qu’elle avait subis pendant ses années avecLucasl’avaientbrisée.Ericadutréprimeruneenviedelasecouer.ElleregardaEmmaetAdrianquicouraientcommedesfousdanslejardinetc’étaituneénigmepourellequesasœurneressentepasplusdefiertéetd’amour-propreenvoyantlesenfantsmagnifiquesqu’elleavaitmisaumondeetélevés.Endépitdetoutcequ’ilsavaientvécudurantleurcourtevie,ilsétaientjoyeuxetsolides.Etça,c’étaituniquementgrâceàAnna.
—Jen’aipasencoreeu le tempsdeparler avec lui,mais il semble sympa. Je te feraiun rapportdétaillé quand j’aurai fait plus ample connaissance.On dirait que ça s’est bien passé, d’être enferméensemblesurunpetitvoilier,alorsc’estbonsigne,jesuppose.
Sonsourireluiparaissaitrigideetfaux.—Passipetitqueça,ritAnna.IlaempruntéunNajad400àuncopain,onpeutycaserunrégiment.Leurconversationfutinterrompueparl’arrivéedesgrilladessurlatable.Leshommessoufflèrentet
s’installèrentpourmanger,satisfaitsd’avoiraccomplilavariantemodernedelachasseaumammouth.—Alorslesfilles,onpapote?Dan entouraMariade sonbras et elle seglissa tout prèsde lui en roucoulant.Leur câlinprit une
tournurefranchementtorrideet,mêmesidenombreusesannéess’étaientpasséesdepuisqu’EricaetDanavaientétéensemble,ellen’appréciapasvraimentlespectacledeleursbaisersamoureux.Gustavaussieutl’airtrèsréprobateur,maisiln’échappapasàEricaqueducoindel’œililsaisissaitl’occasiondeplongersonregarddansleprofonddécolletédeMaria.
—Lars,vas-ydoucementaveclasauce,tun’esquandmêmepasobligéd’inondertonsteakcommeça!Penseàtoncœur,tusaisquetudoissurveillertonpoids.
—Benquoi,jesuisfortcommeuncheval!Ça,c’estrienquedumuscle,claironnalepèredePatrikense tapant leventre.EtEricam’aditqu’elleutilisede l’huiled’olive,etçac’estbonpour lasanté.C’estécritpartout,l’huiled’oliveestbonnepourlecœur.
Erica réprima son envie de faire remarquer que dix centilitres dépassaient largement la quantitéconsidéréecommebénéfique.Ilsavaientdéjàeucettediscussionplusd’unefoisetLarsétaitdevenutrèsdoué pour assimiler uniquement les conseils de diététique qui lui convenaient. La nourriture était sagrandejoiedanslavieetilvoyaittoutetentativedeluiimposerdesrestrictionscommeuneatteinteàsapersonne.Bittan s’était résignée depuis longtemps,mais elle essayait quandmême de faire remarquerdiscrètementcequ’ellepensaitdeseshabitudesalimentaires.Touteslestentativesdelemettreàladièteavaientcapotédufaitqu’ilmangeaitendoucedèsqu’elleavait ledos tourné.Ensuite ilprenaitunairstupéfaitdevantsonpoidsquinebaissaitpasalorsque,affirmait-il,ilnegrignotaitpasplusqu’unlapin.
Mariaavaitcesséd’explorer labouchedeDanavecsa langueet regardaitmaintenantGustavavecfascination.
—TuconnaîtraispasE-Type?demanda-t-elle.Tusais,undesmecsdelabandedeVicky,Danm’aditquetuvoyaislafamilleroyale,etjemesuisditquetul’avaispeut-êtrerencontré?Cemec-là,ilesttrop!
Gustavparaissaitépoustoufléquequelqu’unpuisseestimerpluscooldeconnaîtreE-Typequeleroi,maisilseressaisitetréponditbrièvementàMaria:
—Jesuisunpeuplusâgéque laprincesseVictoria,maismonpetit frère laconnaîtassezbien,etMartinErikssonaussi.
—C’estqui,MartinEriksson?ditMaria,l’airconfuse.Gustavsoupiraprofondément,maisconsentitquandmêmeàrépondreaprèsunebrèvepause:—E-Type.
—Ahbon.Cool.Elleriteteutl’airterriblementimpressionnée.MonDieu,pensaErica,est-cequ’ellelesaaumoins,
lesvingtetunans?Onauraitplutôtditdix-sept.Mais,biensûr,elleétaitmignonne,mêmeEricadutlereconnaître.Elleregardatristementsesappasalourdisetconstataqu’étaitsansdouteterminéepourellel’époqueoùlestétonspointaientenl’aircommeceuxdeMaria.
Cenefutpeut-êtrepasleurrepasleplusréussi.EricaetPatrikfirentdeleurmieuxpouralimenterlaconversation,maisDanetGustavauraienttoutaussibienpuvenirdedeuxplanètesdifférentesetMariaavaitbubeaucouptropdevinenbeaucouptroppeudetempsetdutallervomirauxtoilettes.
LeseulquitenaitlaformeétaitLars,etilengloutissaitavecapplicationtouslesrestes,enignorantsuperbementlesregardsassassinsdeBittan.
À huit heures du soir, tout le monde était parti, et Patrik et Erica se retrouvèrent seuls avec lavaisselle.
Ilsdécidèrentdel’attaquerplustardetdes’installerconfortablementavecunverre.—Mmm,commej’auraisaiméboireunpeudevin.Ericajetaunregardmornedanssongobeletde
Coca.—Oui,aprèsunrepascommecelui-làjecomprendsquetuenauraiseubesoin.Bonsang,comment
onafaitpourréunirunebandeaussihétéroclite?Àquoionpensait?Ilritensecouantlatête:—TuconnaîtraispasE-Type?PatrikminaudapourimiterlavoixdeMariaetEricaneputs’empêcherdepouffer.—Mondieu,maisc’estcooool!IlcontinuaavecsavoixdefaussetetEricadutlaisserlibrecoursau
rirequimontaitenelle.—Mamamanditquecen’estpasgravesionestunpeubête,siseulementonestbeeelle!Ilinclinalatêteaveccoquetterie,etEricahaletaensetenantleventre:—Arrête,jen’enpeuxplus!Cen’étaitpastoiquimedisaisquejedevaisêtresympa?—Oui,oui, jesais.Maisc’estdifficiledenepassemoquerd’elle.Ilrepritsonsérieux.Dis-moi,
qu’est-cequetupensesdeceGustav?Ilnemeparaîtpasdespluschaleureux.Tucroisvraimentqu’ilestbonpourAnna?
Lerired’Ericas’arrêtanetetellefronçalessourcils.—Non,jesuisassezinquiète.Toutvautmieuxqu’unhommequifrappesafemme,pourrait-onpenser,
etc’estvrai,mais j’aurais simplement…Ellehésitaetcherchasesmots. J’aurais simplement souhaitémieuxqueçapourAnna.Tuasvusaminequandlesenfantsfaisaientduchahutetcouraientpartout, iln’étaitpas contentdu tout. Jepariequ’il estd’accordpourvoir les enfants, à conditiondenepas lesentendre,etça,c’esttoutlecontrairedecequ’ilfautàAnna.Elleauraitbesoindequelqu’undegentil,dechaleureux,d’aimant.Quelqu’unquilaferaitsesentirbien.Quoiqu’elledise,jevoisbienquecen’estpaslecasmaintenant.Maiselleleditelle-même,qu’elleneméritepasplus.
Devanteux,lesoleilétaitentraindesecouchercommeunebouledefeudanslamermais,pourunefois,labeautédelasoiréeétaitgâchée.L’inquiétudepoursasœurpesaitsurEricaetlaresponsabilitéluiparaissaitparfoistellementgrandequ’elleavaitdumalàrespirer.Siellesefaisaitautantdesoucipoursasœur,commentallait-ellepouvoirassumeraussilaresponsabilitéd’uneautrepetitevie?
Elleappuyalatêtecontrel’épauledePatriketlaissalecrépusculelesenvelopper.Le lundi commença avec de bonnes nouvelles. Annika était de retour de vacances, bronzée et
appétissante.Bienreposéeaprèsavoirbeaucoupbatifoléaulitetbubeaucoupdevin,elleavaitreprissa
placeàlaréceptionetelledécochaunsourireétincelantàPatrik.D’habitudeilhaïssaitleslundismatin,maisenvoyantAnnika la journée luiparut toutdesuitebeaucoupplus facileàsupporter.Elleétaitenquelque sorte l’axeautourduquel le resteducommissariat tournait.Elleorganisait, elledébattait, elleengueulaitetencourageait,selonlesbesoins.Quelquesoitleproblème,onpouvaitêtresûrderecevoirunmotaviséetconsolateurdesapart.MêmeMellbergavaitcommencéàlarespecteretnesepermettaitplus lesmains aux fesses et les regards appuyés qui avaient étémonnaie courante quand il venait deprendresonposte.
Patrikétaitlàdepuisuneheureseulement,quandAnnikavintfrapperàsaporte,levisagegrave.—Patrik,j’aiuncoupleiciquiveutsignalerladisparitiondeleurfille.Ilsseregardèrentetchacunsutcequepensaitl’autre.Annika les fit entrer, et leur indiqua les fauteuils en facedubureaudePatrik.Levisage rongépar
l’inquiétude,ilsseprésentèrentcommeBoetKerstinMöller.—Jenny,notrefille,n’estpasrentréehiersoir.C’était lepère, petit homme râbléd’unequarantained’années, quiprenait laparole.Enparlant, il
tripotanerveusement sonbermudabariolé, le regard fixé sur le bureau.Le fait bien tangibled’être aucommissariat en train de signaler la disparition de leur fille semblait faire éclore la panique en eux.L’émotionétranglasavoix,etsafemme,elleaussipetiteetboulotte,pritlerelais.
—On est au camping deGrebbestad et Jennydevait aller àFjällbacka vers sept heures avec descopines. Elles sortaient, je ne sais pas où, et Jenny avait promis d’être de retour à une heure. Elless’étaientarrangéesavecquelqu’unpourqu’illesramèneetpouryallerellesdevaientprendrelebus.
Savoixaussidevintrauqueetelledutfaireunepauseavantdepouvoircontinuer.—Quandonnel’apasvuerentrer,ons’estinquiétés.Onafrappéchezunedesfillesavecquielle
étaitsortie,onl’aréveilléeetsesparentsaussi.EllenousaditqueJennyn’étaitjamaisvenueaurendez-vousàl’arrêtdebusetellesavaientcruqu’elleavaitlaissétomber.Onacomprisqu’ilavaitdûsepasserquelquechosedegrave.Jennyneferaitjamaisça.Elleestfilleunique,etellefaittoujourstrèsattentiondenousprévenirsielleestenretard.Qu’est-cequiapusepasser?Onaentenduparlerdelafillequ’ilsonttrouvéedanslabrècheduRoi,vouscroyezque…
Icisavoixsebrisaetelleéclataensanglotsdésespérés.Sonmarilaconsolaenl’entourantdesonbras,maisleslarmesluivenaientaussiauxyeux.
Patrikétaitinquiet.Trèsinquiet,maisilessayadenerienenmontrer.—Jenepensepasqu’ilyaitlieudefairedetelsparallèlespourl’instant.Putain,cequejepeuxêtreaustère,sedit-il,maisilavaitdumalàgérercegenredesituation.Alors
quesagorgesenouaitdecompassiondevantl’angoissedecesgens,ilnepouvaitpassepermettred’ycéder,etsaseuledéfenseétaitunepolitessetrèsadministrative.
—Commençonsparquelquesdonnéessurvotrefille.Elles’appelledoncJenny.Elleaquelâge?—Dix-septans,bientôtdix-huit.Kerstinpleuraittoujours,levisagecontrelachemisedesonmari,sibienquecefutluiquifournitles
réponses.À laquestionde savoir s’ils avaientunephoto récented’elle, lamèrede Jenny s’essuya levisageavecunmouchoirenpapieretsortitunephotoscolaireencouleurdesonsacàmain.
Patrik prit délicatement la photo et l’examina. Une adolescente typique, avec un peu trop demaquillageetuneexpressionlégèrementrebelledanslesyeux.Ilsouritauxparentsetessayadeparaîtretrèsconfiant.
—Joliefille,j’imaginequevousêtesfiersd’elle.Ils hochèrent tous les deux la tête, avec ferveur, et un petit sourire parut même sur le visage de
Kerstin.
—C’estunefillebien.Mais,évidemment,lesadospeuventêtredifficiles.Ellenevoulaitpasvenirenvacancesavecnouscetteannée,bienqu’onparteaveclacaravanechaqueétédepuisqu’elleesttoutepetite, mais on l’a suppliée, on lui a dit que c’était probablement le dernier été où on pouvait fairequelquechoseensemble,etelleacédé.
QuandKerstin réalisa ce qu’elle était en train de dire, elle s’effondra de nouveau et sonmari luipassaunemainrassurantesurlescheveux.
—Vousleprenezausérieux,n’est-cepas?Onaentendudirequelapolicelaissetoujourss’écoulervingt-quatreheuresavantdelancerlesrecherches,maisvousdeveznouscroirequandonditqu’ils’estpasséquelquechose,autrementellenous l’auraitdit.Ellen’estpasdugenreànous laissercommeçadansl’incertitude.
DenouveauPatrikessayad’avoirl’airaussicalmequepossible,maisenluilespenséesfusaiententoussens.L’imageducorpsnudeTanjadanslabrècheduRoisurgitetileutdumalàlachasser.
—Nousn’attendonsjamaisvingt-quatreheures,çac’estdanslesfilmsaméricains,maisavanttoutechosevousdevezcesserdevousinquiéter.MêmesijevouscroissurparolequandvousditesqueJennyestunefilletrèssage,j’aidéjàvucegenredechosesarriver.Ellesrencontrentquelqu’un,ellesoublientl’heure,oublientoùelles se trouvent,oublientqu’à lamaisonmamanetpapa s’inquiètent.Çan’a riend’inhabituel. Nous allons commencer à enquêter dès maintenant. Laissez un numéro où on peut vousjoindreàAnnikaàlaréceptionenpartant,jevouscontacteraidèsquenousavonsdunouveau.Etfaites-noussavoirsivousavezdesinformations,ousiellefinitparrentrer,vousserezgentils.Çavafinirpars’arranger,vousverrez.
Quand ils furent partis, Patrik se demanda s’il n’avait pas trop promis. Il avait une sensationdouloureuseaucreuxduventrequin’auguraitriendebon.IlregardalaphotodeJennyqu’ilsluiavaientlaissée.Pourvuqu’ellesoitjusteparties’éclaterunpeu!
IlselevaetallavoirMartindanssonbureau.Ilvalaitmieuxlancerlesrecherchesimmédiatement.Silepireétait arrivé, iln’yavaitpasuneminuteàperdre.D’après le rapportdumédecin légiste,Tanjaavaitvécuenvironunesemaineencaptivitéavantdemourir.Lecompteàreboursavaitcommencé.
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ÉTÉ1979Ladouleuretl’obscuritéfaisaients’écoulerletempsenunbrouillarddépourvuderêves.Jourou
nuit,vieoumort,aucuneimportance.Mêmelespasau-dessusd’elleetlacertitudedumalquiallaits’ensuivrenepouvaientamenerlaréalitéàpercercenidobscur.Lebruitd’osqu’oncassesemêlaitauxcristourmentésdequelqu’un.Peut-êtrelessiens.Ellenesavaitpastrèsbien.
Le plus difficile à supporter était la solitude. L’absence totale de sons, de mouvements et decontact sur sapeau. Jamais elle n’avait pu imaginerque l’absencede contact humainpouvait êtreaussiterrible.Elledéfiaittoutedouleur.Elletransperçaitsonâmeteluncouteauetdéclenchaitdescrisesdetremblementsdanstoutsoncorps.
L’odeurdel’étrangerétaitdevenuefamilièremaintenant.Pasdésagréable.Pascommeelleauraitpuimaginerl’odeurdelamalveillance.Aucontraire,elleétaitfraîcheetrempliedepromessesd’étéet de chaleur. Rendue plus nette encore par le contraste avec les effluves sombres et humides quiemplissaient continuellement ses narines, qui l’entouraient comme une couverture mouillée etgrignotaientmorceauparmorceaulesderniersrestesdecellequ’elleavaitétéavantdeseretrouverici.C’estpourquoielleaspiraitavidementlesémanationschaudesquisurgissaientquandl’étrangervenaitprèsd’elle.Pouvoirinspirerpourquelquessecondesleparfumdelaviequisepoursuivaitlà-haut quelque part valait la douleur qu’il fallait subir. En même temps, cela éveillait en elle dessentimentsassourdissantsdemanque.Ellen’étaitpluslapersonnequ’elleavaitétéetcettepersonne,qu’elle ne serait plus jamais, lui manquait. C’était un adieu douloureux, mais nécessaire poursurvivre.
Autrement,cequilatourmentaitleplusiciétaitlapenséedesafille.Pendanttoutesacourtevie,elleluiavaitreprochéd’êtrenée,maismaintenant,autoutderniermoment,ellecomprenaitquesonenfantavaitétéundonduciel.Lesouvenirdesbrassouplesautourdesoncou,oudesgrandsyeuxquil’avaientregardée,cherchantavidementquelquechosequ’ellen’avaitpassudonner,lapourchassaitmaintenantdansdesvisionsenTechnicolor.Elleavaitdevantlesyeuxchaquepetitdétaildesafille.Chaquetachederousseur,chaquecheveu,lepetitépisurlanuque,exactementlemêmequelesien.Elle fit une promesse solennelle à Dieu. Si elle échappait à cette prison, elle rendrait à la petitechaqueseconded’amourmaternelqu’ellen’avaitpaseue.Si…
—Tunesorspashabilléecommeça!—Jesorshabilléecommejeveux,c’estpastesoignons!Mélaniedéfia sonpèredu regard,et il ladéfiaen retour.Le sujetde leurdisputeétait toujours le
même:lesvêtements,oulepeudevêtements,qu’elleportaitpoursortir.Certes, les habits qu’elle avait choisis étaient chiches en tissu, Mélanie était obligée de le
reconnaître,maisellelestrouvaitsympas,etsescopiness’habillaientexactementcommeça.Elleavaitdix-sept ansmaintenant, elle n’était plus une gamine, et ce qu’ellemettait ne regardait qu’elle. Avecmépriselletoisasonpère,àquilacolèreavaitfaitprendreuneteinterougeâtrejusqu’àlanuque.Putain,quellehorreurdedevenirvieuxetcon.SonshortAdidasbrillantétaitpassédemodedepuisdeslustresetsachemisebarioléeàmanchescourtesétaitd’un ringardachevé.Sabrioche, résultatde tropdechipsdevantlatélé,menaçaitdefairesauterquelquesboutons.Lacerisesurlegâteau,c’étaientsessandalesaffreuses en plastique. Elle avait honte de se montrer avec lui et elle détestait rester dans ce foutucamping,ettoutl’été,enplus.
Quand elle était petite, elle avait adoré passer les vacances en caravane au camping. Il y avaittoujoursuntasd’enfantsavecquijoueretilspouvaientsebaigneretcourirlibrement.MaismaintenantelleavaitsescopainschezelleàJönköpingetlepiredetoutavaitétéd’êtreobligéedequitterTobbe.Commeellen’étaitplus làpoursurveillerses intérêts, ilallaitsûrementfairedesconneriesaveccettefoutue Madde, qui le collait sans arrêt comme un sparadrap, et si jamais ça arrivait, elle faisait lapromessesolennelledehaïrsesparentsjusqu’àlafindesesjours.
C’étaittropnasedesetrouvercoincéecommeçadansuncampingàGrebbestad,etpourcouronnerletout ils la traitaientcommesielleavaitcinqans.Ellen’avaitmêmepas ledroitdechoisirelle-mêmecomments’habiller.Ellerejetalatêteenarrièred’unmouvementdedéfietajustalehaut,quin’étaitpasbeaucoupplusgrandqu’unsoutien-gorgedebikini.Lemini-shortenjeanmoulaitsesfesses,enréalitécen’étaitpastrèsagréable,maislesregardsqu’ilprovoquaitchezlesmecsvalaientbienledésagrément.Letop,c’étaientleschaussuresàsemellescompenséesimmensesquiajoutaientaumoinsdixcentimètresàsonmètresoixante.
—Tantquenouspayons legîte et le couvert, c’est aussi nousquidécidons etmaintenant tu serasgentillede…
OnfrappaàlaporteetMélaniesaisitcerépitetallaouvrir.Ellesetrouvafaceàunhommebrundanslestrente-cinqans,etelleseredressamachinalementenbombantlapoitrine.Unpeutropâgépoursongoûtpeut-être,maisilavaitl’airsympa,etçapouvaittoujoursénerversonvieux.
—Jem’appellePatrikHedström,jesuisdelapolice.Pourrais-jeentrerunpetitmoment?C’estausujetdeJenny.
Mélanies’écarta,justeunpeu,pourluilaisserlepassageetilfutobligédeseserrercontresoncorpspeuvêtupourpouvoirentrer.
Aprèsavoirfaitlesprésentations,ilss’installèrentautourdelapetitetable.—Est-cequejedoisallercherchermafemmeaussi?Elleestàlaplage.— Non, ça ne sera pas nécessaire, c’est avecMélanie que je voudrais échanger quelques mots.
Commevouslesavezpeut-être,BoetKerstinMöllerontsignaléladisparitiondeleurfilleJenny,etilsontditquevousaviezrendez-vouspouralleràFjällbackahier,c’estexact?
Imperceptiblement, elle tira sur le haut pour dégager le décolleté et humecta ses lèvres avant derépondre.Unflic,c’étaitcarrémentsexy.
—Oui,ondevaitseretrouveràl’arrêtdebusversseptheurespourprendrelebusdeseptheuresdix.OnavaitrencontrédesgarçonsdeTanumStrand,etonavaitdécidéd’allervoirs’ilsepassaitquelquechoseàFjällbacka,onn’avaitpasdeprojetsprécis.
—MaisJennyn’estjamaisvenue?—Non,j’aitrouvéçabizarre.Onseconnaîtpastrèsbien,maiselleparaissaitassezsérieusecomme
nana et ça m’a étonnée qu’elle vienne pas. Je peux pas dire que j’ai été spécialement déçue, c’étaitsurtout elle quime collait et çame faisait rien d’être seule avecMicke et Fredde, les deuxmecs deTanumStrand.
—Enfin,Mélanie!Elleréponditparunœilnoirauregardfurieuxdesonpère.—Quoi,c’estpasmafautesijel’aitrouvéechiante.J’ysuispourriensielleadisparu.Àtousles
coups,elles’estcasséepourrentrerchezelleàKarlstad.Elleparlaitd’unmecqu’ellearencontré,etàmonaviselleferaitmieuxdelaissertombercesfoutuesvacancesencaravaneetd’allerlerejoindre.
—Net’avisesurtoutpasdefaireunechosepareille!CeTobbe…Patriksevitobligéd’interrompreladisputeentrepèreetfilleetilfitunpetitgestedelamainpour
attirerl’attention.Ilsseturent,heureusement.—Tun’asdoncpaslamoindreidéedelaraisonpourlaquelleellen’estpasvenue?—Non,paslamoindre.—Tusaissiellevoyaitquelqu’und’autreiciaucamping,quelqu’unàquielleapuseconfier?Comme par inadvertance, Mélanie frôla Patrik avec sa jambe nue et elle se régala de le voir
sursauter.Lesmecsétaienttellementprimaires.Peuimportaitleurâge,ilsn’avaientqu’unechoseentête,ilsuffisaitdelesavoirpourlesmenerparleboutdunez.Ellefrôlasajambeencoreunefoisetellevitlasueur commencer à perler sur sa lèvre supérieure. Mais c’est vrai qu’il faisait assez chaud dans lacaravane.
Ellelelaissamarinerunpeuavantderépondre.—Ilyaunesorted’abrutiqu’ellevoyaiticichaqueétédepuisqu’elleétaitpetite.Unevraietêtede
nœud, ce mec, mais elle était pas non plus spécialement cool elle-même, alors je suppose qu’ilss’entendaientbien,touslesdeux.
—Tusaiscommentils’appelle,oùjepeuxletrouver,peut-être?—Sesparentsontlacaravanedeuxtravéesplusloin.C’estcelleavecl’auventrayémarronetblanc
ettouslespotsdegéraniumdevant.PatrikremerciaMélaniedesonaideet,lesjouesenfeu,sefrayaunpassagedevantelle.Elle essaya de prendre une pose séductrice à la porte en lui disant au revoir. Son père avait
recommencé sa rengaine,mais elle faisait la sourde oreille.De toute façon, rien de ce qu’il disait nevalaitlecoupd’êtreentendu.
Patrik s’en alla rapidement, en sueur pas seulement à cause de la chaleur écrasante. Ce fut un
soulagement de sortir de la petite caravane exiguë et d’affronter le tohu-bohu dehors. Il s’était senticommeunpédophilequand la fille luiavaitcollé sespetits seinsenpleine figure,et lorsqu’elleavaitcommencé à lui faire du pied il n’avait pas su où semettre, tellement c’était gênant. Elle n’avait pasgrand-chosecommevêtementnonplus.Àpeuprèsl’équivalentd’unmouchoirrépartisurlecorps.Dansunéclairdelucidité,ilréalisaquedansdix-septansceseraitpeut-êtresafillequis’habilleraitainsien
soupirantaprèsdeshommesplusâgés.Lapenséelefitfrissonneretilsemitàespérerqueceseraitunfils.Lesadolescents,ilsavaitaumoinscommentilsfonctionnaient.Cettejeunefilleluiavaitfaitl’effetd’un extraterrestre, avec ses tonnes de maquillage et ses gros bijoux clinquants. Il n’avait pas pus’empêcherde remarquerqu’elleportait unanneauaunombril. Il commençaitpeut-être àdevenir tropvieux,maisilnetrouvaitcertainementpascelasexy,enaucuncas.Ilpensaitplutôtaurisqued’infectionetdemauvaisecicatrisation. Ilgardaitencore le souvenircuisantde l’engueuladedesamèrequand ilétaitarrivéàlamaisonavecuneboucled’oreille,etilavaitpourtantdix-neufans.Ilavaitdûl’ôterillico,etiln’avaitjamaisosépousserl’audaceplusloinqueça.
Ils’égaratoutd’abordparmilescaravanesdisposéespresqueàtouche-touche.Commentpouvait-onpasserdesonpleingrédesvacancesentasséscommedessardines?D’unautrecôté,ilcomprenaitquepourbeaucoupc’étaitdevenuunstyledevie.Cequilesattiraitétaitjustementlacompagniedesautrescampeurs qui revenaient chaque année. Certaines caravanes ne pouvaient plus guère porter ce nomtellement on leur avait ajouté d’auvents sur tous les côtés et elles s’étaient transformées en de petiteshabitationspermanentesquirestaientàlamêmeplaced’annéeenannée.
PatrikfinitpartrouverlacaravanequeMélanieavaitdécriteetilvitungarçongrandetdégingandé,levisagepleind’acné,assissurlepasdelaporte.Ileutpitiédeluienvoyantleséruptionsblanchesetrouges qu’il n’avaitmanifestement pas pu s’empêcher de gratter, et dont il garderait certainement descicatrices.
Lesoleill’aveuglaitetildutsefairedel’ombreaveclamain.Seslunettesdesoleilétaientrestéesaubureau.
—Salut, je suisde lapolice. Jeviensdeparler avecMélanie là-bas, ellem’adit que tu connaisJennyMöller,c’estexact?
Legarçonsecontentadehocherlatêtesansriendire.Patriks’assitdansl’herbeàcôtédeluietilvitque,contrairementàlaLolitaàquelquescaravanesdelà,cegarçonavaitl’airsincèrementsoucieux.
—Jem’appellePatrikHedström,ettoi?—Per.Patriklevalessourcilspourmarquerqu’illuifallaitplusqueça.—PerThorsson.Ilétaitoccupéàarracherdel’herbeparpoignéesentières,nerveusementetobstinément.Sanslever
lesyeux,ilajouta:—C’estmafautes’illuiestarrivéquelquechose.Patriksursauta:—Commentça?—C’estàcausedemoiqu’ellealoupélebus.Onseretrouveicichaqueétédepuisqu’onestpetits
etons’esttoujoursbienmarréensemble.Maisdepuisqu’ellearencontrél’autrechipie,là,Mélanie,elleest devenue vachement distante.C’est queMélanie par-ci,Mélanie par-là, etMélanie dit ceci et j’enpasse.Avantc’étaitpossibledeparlerdechosessérieusesavecJenny,deschosesqui importent,alorsquemaintenantc’estplusquemaquillageetfringuesetcegenredeconneries,etellen’amêmepasosédireàMélaniequ’ellemevoit,parcequeMélanietrouveapparemmentquejesuistarte.
Ilarrachait l’herbedeplusenplusvite,unepetite surfacede terrenuese formaitprogressivementautourde lui.L’odeurdegrillades flottait, lourde,au-dessusde leurs têtesetPatriksentit sonestomaccrier.
—Lesadolescentessontcommeça.Çapasse,jet’assure.Ellesfinissentparredevenirfréquentables.Patriksourit,puisilretrouvasonsérieux.Maiscommentça,c’esttafaute?Tusaisoùelleest?Ilfautquetucomprennesquesesparentssontterriblementinquiets…
Perfitnondelamain.—Jen’aiaucune idéede l’endroitoùellepeutse trouver, jesaisseulementqu’elleadûavoirun
grospépind’unefaçonoud’uneautre.Jamaisellenes’absenteraitcommeça.Etcommeelledevaitfairedustop…
—Dustop?Pouralleroù?Quandest-cequ’elleafaitdustop?—C’estpour çaquec’estma faute.Per exagérait sonarticulationenparlant àPatrik, commes’il
s’adressaitàunpetitenfant.J’aicommencéàl’embêterjustequandelledevaitpartirretrouverMélanieau bus. J’en ai simplement eumarre d’être le bon copain uniquement quand cette pétasse deMélanien’étaitpasaucourant,etj’aichopéJennypourluidirecequej’enpensais.Çaluiafaitdelapeine,maisellenem’apas contredit, elle a tout encaissé sansmoufter.Auboutd’unmoment elle a seulementditqu’elleavaitloupélebusetqu’elleseraitobligéedefairedustoppourFjällbacka.Puiselles’estcassée.
PerlevalesyeuxdesoncarrédésherbéetregardaPatrik.SalèvreinférieuretremblaunpeuetPatrikvitqu’illuttaitfébrilementpouréviterl’humiliationdesemettreàpleurer,iciparmitouslescampeurs.
— Voilà pourquoi c’est ma faute. Si je n’avais pas commencé à lui remonter les bretelles pourquelquechosequitoutcomptefaitn’aaucuneespèced’importance,elleauraiteuletempsdeprendrelebusetilneseseraitrienpassé.Elleadûtombersurunputaindemaladementalenfaisantdustopetc’estàcausedemoi.
Sa voix monta d’une octave et se rompit comme s’il était en train de muer. Patrik secouavigoureusementlatête.
—Cen’estpas tafaute.Etnousnesavonsmêmepass’ilestarrivéquoiquecesoit.C’estcequenousessayonsdedéterminer.Aprèstout,elles’estpeut-êtrejusteoffertunpeudebontempsetnevapastarderàrefairesurface.
Letonsevoulaitrassurant,maisPatrikentendaitcombiençasonnaitfaux.Ilsavaitquel’inquiétudequ’il lisait dans les yeux du garçon existait aussi dans les siens. À l’intérieur de leur caravane àseulement une centaine de mètres de là se trouvaient lesMöller, qui attendaient leur fille. Avec unesensationglacéeaucreuxduventre,PatrikseditquePerpouvaitavoirraisonetqu’ilsattendaientpeut-êtreenvain.Quelqu’unavaitprisJennyenstop.Quelqu’undontlesintentionsn’étaientpasbonnes.
AlorsqueJacobetMaritaétaientàleurtravailetlesenfantschezleurnounou,LindaattendaitJohan.
C’était la première fois qu’ils se verraient à l’intérieur du corps de logis de LaMétairie au lieu dugrenieràfoindanslagrangeetLindatrouvaitçaexcitant.Savoirqu’ilsseretrouvaientclandestinementsousletoitdesonfrèredonnaitdupimentàleurrendez-vous.EnvoyantlaminedeJohanquandilentra,ellecompritqu’êtrederetourdanscettemaisonéveillaitdetoutautressentimentsenlui.
Iln’yétaitpasrevenudepuisqu’ilsavaientdûquitterleslieuxaprèslamortdeJohannes.D’unpaslent, Johan fit le tour de lamaison, du séjour, de la cuisine etmêmedes toilettes.C’était comme s’ilvoulait aspirer chaque détail. Beaucoup de choses avaient changé. Jacob avait bricolé et peint et lamaisonn’étaitpluscommedanssessouvenirs.Lindalesuivait,sursestalons.
—Çafaitlongtempsquetun’espasvenuici.Johanhochalatêteetpassalamainsurlereborddelacheminéedansleséjour.—Ça fait vingt-quatre ans. Je n’avais que cinq ans à l’époque. Il a fait beaucoup de travaux ici,
Jacob,non?—Oui,tusais,ilabesoinquetoutsoittellementparfait.Ilesttoutletempsentraindebricoleret
réparer.Ilfautquetoutsoitnickel.Johan ne répondit pas. C’était comme s’il se trouvait dans un autre monde. Linda commença à
regretterdel’avoirinvité.Elles’étaitseulementimaginéeunmomentàbatifoleraulit,pasunvoyageàtravers de tristes souvenirs d’enfance. Elle préférait ne pas penser à cet aspect de la personnalité deJohan,auxsentimentsetauvécuquinel’incluaientpas.Ilavaitsemblésiensorceléparelle,presqueenadoration,etc’était laconfirmationdecettepassionqu’ellevoulaitvoir,pas l’hommeadultepensifetruminantquiparcouraitlamaison.
Elleletiraparlebrasetilsursautacommes’ilémergeaitd’unrêve.—Onmonte?J’aimachambresouslescombles.Johan la suivit docilement dans l’escalier. Ils passèrent par le premier étage, mais quand Linda
commençaàgrimper l’escalier raidequimenaitaugrenier,Johans’attarda.C’est iciqueRobertet luiavaientleurschambresalors,etcelledeleursparentss’ytrouvaitaussi.
—Attends,jereviens.Ilyauntrucquejeveuxvérifier.Il ne prêta pas attention auxprotestations deLinda, et il ouvrit d’unemain tremblante la première
porteducouloir.Celledesachambredepetitgarçon.C’était toujoursunechambredegarçon,maisàprésent les jouets et les vêtements deWilliam étaient éparpillés partout. Il s’assit sur le lit et essayad’évoquerlapiècequiavaitétélasienne.Auboutd’unmomentilselevaetpassadanslachambred’àcôté,quiavaitétécelledeRobert.Elleétaitencoreplustransformée.Maintenantelleétaitoccupéeparunepetitefille,avecduroseetdutulleetdespaillettespartout.Ilenressortitpresqueimmédiatement.Leboutducouloirl’attiracommeunaimant.Denombreusesnuits,ilavaitmarchésurletapisquesamèreavaitposé là, pour allerouvrir laporteblancheet seglisserdans le lit de sesparents.Là, il pouvaitdormirensécurité,sanscauchemarsetsansmonstressouslelit.Depréférence,ilseserraitcontresonpèreetdormaittoutprèsdelui.IlvitqueJacobetMaritaavaientconservélevieuxlitsomptueux,cettechambreétaitcellequiavaitlemoinschangé.
IlsentitleslarmeslebrûlersoussespaupièresetillesrefoulaavantdesetournerversLinda.Ilnetenaitpasàsemontrersivulnérabledevantelle.
—T’asbientôtfinitesvérif,ouquoi?Yarienàvolerici,sic’estcequetucrois.Sa voix avait un ton méchant qu’il n’avait jamais entendu auparavant. La colère s’alluma en lui
commeuneétincelle.Lapenséedetoutcequiauraitpuêtresoufflasurl’étincelleetilsaisitbrutalementlebrasdeLinda.
—C’estquoicesconneries?C’estçaquetupenses,quejevérifies’ilyaquelquechoseàpiquer?T’es vraiment barrée, toi.Dis-toi que j’habitais ici bien avant ton frangin, et s’il n’y avait pas eu tonsaloparddepèreLaMétairieseraittoujoursànous.Alorstulafermes,pigé?
Pendantuneseconde,Linda restabouchebéede stupeurdevant la transformationde Johansidouxhabituellement,puiselledégageavivementsonbrasetcracha:
—Hé,c’estpaslafautedemonpèresitonpèreétaitunjoueurets’ils’estruiné.Etquoiquemonpèreaitpufaire,c’étaitpassafautenonplussiletienétaitunlâchequis’estsuicidé.C’étaitsonchoix,devousquitter,ettupeuxpasmettreçasurledosdemonpère.
Larageformaitdestachesblanchesdanssonchampdevision.Ilserralespoings.Lindaavaitl’airsiminceet si frêlequ’il seditqu’ilpourrait lacasserendeux,mais il se forçaà respirerprofondémentpoursecalmer.D’uneétrangevoixsifflanteildit:
—Ilyabeaucoupdechosesque jepeuxetque jeveuxmettre sur ledosdeGabriel.Tonpèreagâchénosviesparpurejalousie.Mamanatoutraconté.Quetoutlemondeadoraitpapa,qu’ilstrouvaientGabrielrabat-joiecommec’estpaspermiset,ça,ill’apassupporté.Maismamanestmontéeaumanoirhierpour luidiresesquatrevérités.Dommageseulementqu’elle luiaitpasaussi filéunerouste,maisj’imaginequ’elleasurtoutpaseuenviedeletoucher.
Lindaricanademépris.
—Àuneépoqueilfaisaitparfaitementl’affaireentoutcas.Çamefaitgerberdepenseràluiavectacradinguedemère,maisqu’est-cequetuveux,c’étaitcommeçajusqu’àcequ’ellesedisequeçadevaitêtreplusfaciledesoutirerdufricàtonpèrequ’aumien.Alorselleachangédemec.Ettusaiscommentonappellecesfemmes-là?Desputes!
Despostillonsgiclèrent à la figurede Johan lorsqueLinda,qui étaitpresqueaussigrandeque lui,crachacesmots.Depeurd’être incapabledesecontrôler,Johanrecula lentementvers l’escalier.Par-dessustout,ilauraitaiméposersesmainsautourducoumincedeLindaetleserrer,seulementpourlafairetaire,maisaulieudecelails’enfuit.
Confusedevoirlasituationluiéchappertoutàcoupetencolèredenepasêtrecapabled’avoirledessus,Lindasepenchapar-dessuslabalustradeetcriaderrièrelui:
—Tire-toi,connarddeloser,detoutefaçont’étaisbonqu’àuneseulechose.Etmêmeàça,t’étaispasspécialementbon.
Elleterminaenpointantlemajeurenl’air,maisilétaitdéjàentraindepasserlaporteetnevitrien.Lentement elle baissa le doigt et, avec la rapidité de changement d’humeur si caractéristique des
jeunes,elleregrettadéjàcequ’ellevenaitdedire.Maisc’estaussiqu’ill’avaitmisedansuneputainderage!
Lorsque le faxd’Allemagnearriva,Martinvenait de raccrocher après avoirparlé àPatrik.SavoirqueJennyavaitprobablementétépriseenstopnevenaitpasaméliorerleschoses.N’importequiauraitpulafairemonterdanssavoiture,etàprésentilsnepouvaientqu’attendrequequelqu’unaitvuquelquechose.LapresseavaitharceléMellberg,et,aveclacouverturemédiatiquequelanouvelleallaitdetouteévidenceconnaître,Martinespéraitvoirsemanifesterquelqu’unquiauraitaperçuJennymonterdansunevoiture.Avecunpeudechanceilsréussiraientàtrierlesvraiespépitesdelamassed’appelsfrauduleux,desappelsdedétraquésetdegensquisaisissaientl’occasiondefairedescrassesàunennemi.
Annikaluiapportalefax,brefetconcis.Ildéchiffratantbienquemallesquelquesphrasesetcompritqu’ilsavaientretrouvéunex-marideTanja,pourl’instantlemembredesafamilleleplusproche.CelaétonnaMartinqueTanja,si jeune,soitdéjàdivorcée,mais ladonnéeétait là,noirsurblanc.Aprèsuninstant d’hésitation et une rapide concertation avec Patrik sur son portable, il composa le numéro del’officedetourismedeFjällbackaetsouritinvolontairementenentendantlavoixdePiaàl’autreboutdufil.
—Salut,c’estMartinMolin.Lesilencequis’ensuivitduraunesecondedetrop.—LecommissariatdeTanumshede.Il était furieux d’être obligé de préciser qui il était. Pour sa part, il serait capable de donner la
pointuredePiasipouruneraisonouuneautreonl’exigeaitdelui.— Oui, salut, pardon. Je suis nulle pour retenir les noms, ça passe mieux avec des visages.
Heureusement,avecleboulotquej’ai.Qu’est-cequejepeuxfairepourtoiaujourd’hui?Parquoivais-jecommencer,seditMartin,mais ilseremémora la raisondesonappeletsereprit
immédiatement.—JedoispasserunappelimportantenAllemagneetjen’osepasfaireconfianceàmonpauvredeux
sur cinq en allemand. Est-ce que tu pourrais participer à une conversation à trois pour servird’interprète?
Laréponsefusatoutdesuite.—Aucun problème. Il faut seulement que je demande àma collègue de s’occuper de la boutique
pendantcetemps.Ill’entenditparleravecquelqu’undanslefond.
—C’estréglé.Çafonctionnecomment?Tumerappelles,c’estça?—Oui,jeterappelle,resteprèsdutéléphone,çanedevraitprendrequequelquesminutes.Exactement quatre minutes plus tard, il avait Peter Schmidt, l’ex-mari de Tanja, et Pia en ligne
simultanément.Parprécaution,ilcommençaparprésentersescondoléancesets’excusad’êtreobligédeledérangerdansdesitristescirconstances.Lapoliceallemandel’avaitdéjàinformédelamortdesonex-épouse,sibienqueMartinn’eutpasàlefaire,maisiln’étaitquandmêmepasàl’aised’appelersipeu de temps après l’annonce de sa mort. C’était un des aspects les plus difficiles de sonmétier etheureusementunévénementassezraredanssonquotidienpolicier.
—Quesavez-voussurlevoyagedeTanjaenSuède?Piatraduisitaisémentlaquestionenallemand,puislaréponsedePeterensuédois.—Rien.Onnes’estmalheureusementpasséparésbonsamis,sibienqu’aprèsledivorceonnes’est
pratiquement pas parlé,mais du temps de notremariage elle n’avait jamaismentionné qu’elle voulaitallerenSuède.Ellepréféraitdesvacancesausoleil,enEspagneouenGrèce.J’auraisplutôtpenséquepourellelaSuèdeétaitunpaystropfroid.
Froid, c’est ça, pensaMartin en regardant par la fenêtre les vapeurs qui montaient de l’asphaltebrûlant.Oui,oui,etdesoursblancsquisebaladentdanslesrues,pendantquetuyes…Ilpoursuivit:
—Ellen’adoncjamaisditqu’elleavaitquelquechoseàfaireenSuède,ouquelqu’unàrencontrer?Rienconcernantunlieuquis’appelleFjällbacka?
La réponsedePeter fut négative encore, etMartin ne trouva riendeplus à demander. Il ne savaittoujours pas ce queTanja était venue faire en Suède.Une dernière question surgit dans son esprit aumomentoùilallaitremercieretraccrocher:
—Y a-t-il une autre personne que nous pouvons interroger ?La police allemande vous a indiquécommeseulparent,maisilyapeut-êtreuneamieou…?
—Vouspourriezessayerdecontactersonpère.IlhabiteenAutriche.C’estsansdoutepourçaquelapoliceicinel’apastrouvédanslesregistres.Attendez,j’aisonnumérodetéléphonequelquepart.
Martin entenditPeter farfouiller et déplacer des objets.Aubout d’unmoment, il fut de retour.Piacontinuaàtraduireetprononçatrèsdistinctementleschiffresqu’illisait.
—Jenesuispassûrqu’ilseraenmesuredevousapprendrequoiquecesoit,luinonplus.Ilyadeuxans,peuaprèsnotredivorce,ilyaeuunvraiclashentreTanjaetlui.Ellen’apasvouludirepourquoi,etjenepensepasqu’ilssesontparlédepuis.Maisonnesaitjamais.Passez-luimonbonjour.
L’entretien n’avait pas donné grand-chose, mais Martin le remercia de son aide et dit qu’il lecontacteraitdenouveaus’ilavaitd’autresquestions.Piarestaenligneetluidemandas’ilvoulaitappelerlepèredeTanjatoutdesuite,danscecasellepouvaitaideràtraduire.
Les sonneries retentirent mais dans le vide. Apparemment il n’y avait personne à la maison.L’allusiondel’ex-marideTanjaàunedisputeentreelleetsonpèreavaitcependantéveillélacuriositédeMartin.Àquel sujetunpère etune fillepouvaient-ils sedisputerqui soit suffisammentgravepourqu’ils rompent complètement le contact ?Est-ce que cela avait un rapport avec le voyage deTanja àFjällbackaetavecsonintérêtpourladisparitiondesdeuxfilles?
Plongé dans ses réflexions, il en oublia Pia qui était toujours au bout du fil et il la remerciaprécipitammentpoursonaide.Elleétaitd’accordpourl’aideràappelerlepèredeTanjalelendemain.
En ruminant,Martin regarda longuement la photo de Tanja à lamorgue.Qu’est-ce queTanja étaitvenuechercheràFjällbacka,etqu’avait-elletrouvé?
Lentementetensedandinant,Ericaavançaitlelongdespontonsflottants.Ilétaittrèsraredevoirdes
emplacements libres pour les bateaux à cette époque de l’année. Habituellement, les voiliers étaientamarrésàcouple,parfois troisbateauxmêmebordàbord.Mais lemeurtredeTanjaavaitéclairci lesrangsetpoussébeaucoupdeplaisanciersàgagnerd’autresports.EricaespéraitvivementquePatriketsescollèguesboucleraientcetteenquêterapidement,sinonl’hiverseraitrudepourtousceuxquifaisaientleurchiffred’affairespendantlesmoisd’été.
Anna et Gustav avaient cependant choisi d’aller à contre-courant et de rester quelques jourssupplémentairesàFjällbacka.QuandEricavitlevoilier,ellecompritpourquoiellen’avaitpasréussiàlespersuaderdevenirdormiràlamaison.Ilétaitmagnifique.D’unblancimmaculéavecunpontenteck,etassezgrandpourpouvoirabriterdeuxfamillesdeplus,iltrônaitauboutduponton.
Annaagitaunemainjoyeuseenvoyantsasœurapprocheretellel’aidaàmonteràbord.Ericaétaithorsd’haleineetAnnaluiservittoutdesuiteungrandverredeCocaglacé.
—C’estvraiqu’onenamarrequandletermeapproche.Ericalevalesyeuxauciel.— Tu n’imagines pas à quel point. Mais je suppose que c’est ainsi que la nature nous rend
impatientesd’accoucher.Siseulementiln’yavaitpascettefichuechaleurpar-dessuslemarché.Elles’essuyalefrontavecuneserviette,maissentitaussitôtdenouvellesperlesdesueurseformeret
coulerlelongdesestempes.—Mapauvre.Annasouritaveccompassion.Gustav sortit du carré et salua poliment Erica. Il était vêtu de façon tout aussi impeccable que la
dernière fois et sesdentsblanches étincelaientdans sonvisagebronzé. Il s’adressa àAnna surun tonmécontent:
—Tun’astoujourspasdébarrassélepetit-déjeunerenbas.Jet’aipourtantditqu’ilfautunminimumd’ordreàbord.C’estindispensablesionveutqueçafonctionne.
—Oh,pardon.Jem’enoccupetoutdesuite.Le sourire disparut duvisaged’Anna et, le regardbaissé, elle se dépêchade s’engouffrer dans le
carré.Gustavs’assitàcôtéd’Erica,unebièreglacéeàlamain.—Lavieàborddevientimpossiblesionnemaintientpasunordreparfait.Surtoutaveclesenfants,
autrementonnes’ensortpas.Ericasedemandapourquoiilnedébarrassaitpaslepetit-déjeunerlui-même,sic’étaitsiimportant.
Aprèstout,ilneparaissaitpasmanchot.L’atmosphèreétaitunpeutendueetEricaserenditcomptequ’ungouffreétaitentraindes’ouvrir,dû
àleursoriginesetleurséducationsdifférentes.Ellesesentitobligéederomprelesilence.—Ilestvraimentmagnifique,cebateau.—Oui,unevraiebeauté.Gustavdébordaitdefierté.Jel’aiempruntéàunami,maisçam’adonné
enviedesauterlepasetd’enacheterun.Silencedenouveau.Ericaappréciaqu’Annarevienne.Elles’assitàcôtédeGustavetposasonverre.
Unerided’irritationseformaentrelessourcilsdeGustav.—Jepréféreraisquetuneposespasleverrejustelà.Çalaissedestracessurlebois.—Pardon.Lavoixd’Annasefitfluetteetsoumise.Ellerepritvivementleverre.Gustavdéplaçasonattentionde
lamèreàlafille.—Emma.Ilnefautpasquetujouesaveclavoile,jetel’aidéjàdit.Allez,va-t’endelà.Lafilled’Anna,quin’avaitquequatreans,fitlasourdeoreilleetl’ignoratotalement.Gustavétaitsur
lepointdeseleverlorsqueAnnabondit.—Jelaprends.Ellen’apasdût’entendre.
L’enfanthurladecolèrequ’onl’emporteetsemitensuiteàbouderquandAnnalafitveniraveclesadultes.
—T’esbête.EmmavisaletibiadeGustavpourluidonneruncoupdepiedetEricasouritendouce.Gustavsaisit
lapetiteparlebraspourlaréprimanderetEricavituneétincelles’allumerdanslesyeuxd’Anna.EllearrachalamaindeGustavettiraEmmacontreelle.
—Tunelatouchespas!Illevalesmainsenungested’apaisement.—Excuse-moi,maistesenfantssontdevraiesterreurs.Ilfautbienquequelqu’unleurapprenneles
bonnesmanières.—Mes enfants sont parfaitement bien élevés,merci, et jem’occupemoi-mêmede leur éducation.
Allez,onvaacheterdesglacesmaintenant.Ellehochalatêteendirectiond’Ericaquifutplusquecontented’avoirsasœuret lesenfantspour
elleunpetitmoment,sansmonsieurJ’me-la-pète.EllesmirentAdriandanslapoussetteetEmmasautillagaiementdevantelles.
—Dis-moi franchement, tu trouvesque j’en fais trop?Après tout, il l’a seulementattrapéepar lebras.Jeveuxdire,jesaisqueLucasm’arenduetropprotectriceaveclesenfants…
Ericapritsasœursouslebras.—Jene trouveabsolumentpasquetusois tropprotectrice.Personnellement j’estimequetafillea
uneexcellenteperceptiondesgensettuauraisdûlalaisserluidonnercecoupdepied.—Alorslà,jetrouvequec’esttoiquiexagères.Finalement,cen’étaitpassiterriblequeça,safaçon
deréagir.Quandonn’apasl’habitudedesenfants,c’estnormaldes’emporterunpeu.Ericasoupira.Uninstantelleavaitcruquesasœurallaitenfinfairepreuved’unpeudecranetexiger
qu’elle-mêmeet les enfants soient traités correctement,maisLucas avait bien accompli son travail desape.
—Commentçasepassepourlagarde?Annaeutd’abordl’airdevouloirignorerlaquestion,maisréponditensuited’unevoixbasse:—Çasepassetrèsmal.Lucasadécidéd’utilisertouslescoupsbasqu’ilconnaît,etlefaitquej’aie
rencontréGustavlemetencoreplusenrage.—Mais il n’a rien de solide ! Je veux dire, qu’est-ce qu’il peut évoquer qui ferait de toi une
mauvaisemère?Siquelqu’unadebonnesraisonsdepriverl’autredelagarde,c’estbientoi!—Oui,maisLucassemblecroireques’iltrouveunmaximumd’argumentsilyenauraforcémentun
quiseralebon.—Etladépositionquetuasfaitecontrelui,pourmauvaistraitementsàenfant?Çadevraitpeserplus
lourdquetoutcequ’ilpourrainventer,non?Annaneréponditpasetunepenséedésagréablesurgitdanslatêted’Erica.—Tun’asjamaisfaitdedéposition,c’estça?Tum’asmentienmeregardantdanslesyeux,tudisais
quetuporteraisplaintemaistunel’asjamaisfait.Sasœurn’osapasaffrontersonregard.—Maisréponds,bonsang!C’estça?J’airaison?Lavoixd’Annadevintrevêche.—Oui,tuasraison,chèregrandesœur.Maistun’aspasàmeblâmer.Tun’étaispasàmaplaceettu
nesaispascequec’estdetoujoursvivredanslapeurdecequ’ilpourrafaire.Sij’avaisportéplainte,ilm’auraitpourchassée jusqu’aubout. Jemesuisditqu’ilnous foutrait lapaix si jen’allaispasvoir lapolice.Etçasembleavoirfonctionné,non?
—Oui,jusque-là,maismaintenantçanefonctionneplus.Enfin,merde,Anna,ilfautquetuapprennesàvoirunpeuplusloinqueleboutdetonnez!
—C’estfacilepourtoidedireça!Toiquieslàentoutesécurité,avecuncompagnonquit’adoreetquineteferaitjamaislemoindremal,toiquiasuntasdefricàlabanquedepuislelivresurAlex.C’estvachementfacilepourtoideparler!Tunesaispascequec’estqu’êtreseuleavecdeuxenfantsettrimertouslesjourspourlesnourriretleshabiller.Toutsepassetoujourstellementbienpourtoi.Etnevapascroirequej’aipasvucommenttuasprisGustavdehaut.Tut’imaginesquetusaistout,maismerde,tusaisquedalle!
Anna ne donna aucune chance à Erica de répondre à son attaque, elle partit seulement en courantpresqueendirectiondelaplace,avecAdriandanslapoussetteetentenantfermementEmmaparlamain.Sur le trottoir,Ericaresta lagorgenouée,sedemandantcommentçaavaitpudérailleràcepoint.Ellen’avaitrienvouludemal.Laseulechosequ’ellevoulait,c’étaitqu’Annaaitlaviequ’elleméritait.
Jacob fit la bise à samère et donna une poignée demain formelle à son père.Leur relation avait
toujoursétételle.Distanteetcorrecteplutôtquechaleureuseetcordiale.C’étaitbizarrederegardersonpèrecommeunétranger,maisc’étaitladescriptionquicorrespondaitlemieux.Biensûrqu’onluiavaitracontécommentsonpèreavaitveilléàsonchevetàl’hôpitaljouretnuit,avecsamère,maisJacobn’engardaitqu’unvaguesouvenir,commeembrumé,etcelanelesavaitpasrapprochésdavantage.Ilavaitétéplusproched’Ephraïm,qu’ilconsidéraitdavantagecommeunpèrequecommesongrand-père.Depuisqu’Ephraïmluiavaitsauvélavieenfaisantundondemoelleosseuse,l’hommeétaitnimbédel’auréoled’unhérosauxyeuxdeJacob.
—Tunetravaillespasaujourd’hui?Samèreparaissaitaussi inquiètequed’habitude. Jacobsedemandaitquelspouvaientbienêtre les
dangersqu’ellevoyaitpointeràtouslescoinsderue.Elleavaitvécutoutesaviecommesiellefaisaitdel’équilibreaubordd’ungouffre.
— J’avais pensé y aller un peu plus tard aujourd’hui. Et bosser plus ce soir. Je voulais d’abordpasserprendredevosnouvelles.J’aientenduparlerdesfenêtrescassées.Maman,pourquoitunem’aspasappelé,moi,plutôtquepapa?J’auraispuêtrelàenunriendetemps.
Lainisouritavecamour.—Jenevoulaispast’inquiéter.Lesémotions,cen’estpasbienpourtasanté.Ilneréponditpas,maissouritdoucement,unsourireintroverti.Elleposasamainsurlasienne.—Jesais,jesais,maislaisse-moiagiràmafaçon.Onn’apprendpasàunevieilleguenonàfairela
grimace.—Tun’espasvieillemaman,tuesencoreunevraiejeunette.Elle rougit, toute ravie.Ces échanges entre eux n’étaient pas nouveaux et il savait qu’elle adorait
entendrecegenredecommentaires.Etillesluioffraitvolontiers.Ellen’avaitpasdûs’amuserbeaucoupaucoursdetoutescesannéesavecsonpère,lescomplimentsn’étaientpaslepointfortdeGabriel.
Gabrielhennitavecimpatiencedepuissonfauteuil.Ilseleva.—Bon,maintenant la police est en tout cas allée voir tes vauriens de cousins, et avec un peu de
chance ilsse tiendrontàcarreaupendantquelque temps.Tuas le tempsde jeteruncoupd’œilsur lescomptes?
Jacob déposa un baiser sur lamain de samère, hocha la tête et suivit son père dans son bureau.Gabrielavaitcommencédepuisplusieursannéesàinitiersonfilsauxaffairesdudomaineetlaformationsepoursuivaittoujours.Ilvoulaits’assurerque,lejourvenu,Jacobseraitcapabledeprendrelarelève.
Heureusement, Jacob avait une aptitude naturelle à la gestion d’un domaine agricole et il savait sedébrouilleraussibienaveclestâchesadministrativesquepratiques.
Aprèsêtrerestéspenchésensemblesurleslivresunmoment,Jacobs’étiraetdit:—J’avaisl’intentiondemonterregarderunpeulachambredegrand-père.Çafaitunmomentqueje
n’ysuispasallé.—Hmmm,quoi,oui,vas-y.Gabrielsetrouvaitloindanslemondedeschiffres.Jacob grimpa l’escalier au premier étage et se dirigea lentement vers la porte quimenait à l’aile
gauchedumanoir.C’estlàquegrand-pèreEphraïmavaitvécujusqu’àsamortetJacobyavaitpassédenombreusesheuresdanssonenfance.
Ilentra.Toutétaitintact.Jacobavaitdemandéàsesparentsdeneriendéplacerouchangerdanscettepartie de la maison, et ils avaient respecté son souhait, bien conscients du lien unique qui le liait àEphraïm.
Lespièces témoignaientd’unecertainepuissance,avecuneambiancemasculineetfeutrée.Ellessedistinguaientnettementdel’aménagementclairdurestedumanoiretpourJacobc’étaittoujourscommed’entrerdansunautremonde.
Il s’assit dans le fauteuil en cuir devant une des fenêtres et posa les pieds sur le tabouret.C’étaitcommeçaqu’Ephraïmétait assis quand Jacobvenait lui rendrevisite.Pour sapart, il restait toujoursaccroupi par terre devant lui comme un chiot, à écouter dans une sorte de recueillement les histoiresd’antan.
Les récits des assemblées évangéliques l’avaient passionné. Ephraïm décrivait avec beaucoupd’inspirationl’extasesur lesvisagesdesgenset leur totaleconcentrationsur lePrédicateuretsesfils.EphraïmavaitunevoixdestentoretJacobn’avaitjamaisétésurprisqu’elleensorcelleautant.Cequ’ilpréférait,c’étaitquandgrand-pèreparlaitdesmiraclesqueGabrieletJohannesaccomplissaient.Chaquejouravaitapportéunnouveaumiracle,etpourJacobc’étaitabsolumentmerveilleux.Ilnecomprenaitpaspourquoisonpèrenevoulaitjamaisparlerdecettepériodedesavie,oui,pourquoiilsemblaitmêmeenavoirhonte.Avoir lacapacitédeguérir,desoulager lesmaladesetderemettresurpied les infirmes!Quelchagrinilsavaientdûressentirlejouroùcedonleuravaitétéenlevé!D’aprèsEphraïm,ilavaitdisparu du jour au lendemain. Gabriel avait haussé les épaules, tandis que Johannes avait été audésespoir.IlsuppliaitDieulesoirdeleluirendreetdèsqu’ilvoyaitunanimalblesséilseprécipitaitetessayaitderessusciterlafacultéqu’ilavaitpossédée.
Jacobn’avaitjamaiscomprispourquoiEphraïmriaitd’unedrôledefaçonenparlantdecetteépoque.CelaavaitdûêtreunegrandedéceptionpourJohannes,etunhommequiétaitaussiprèsdeDieuquelePrédicateurauraitdûlecomprendre.MaisJacobadoraitsongrand-pèreetneremettaitjamaisenquestioncequ’ildisait,nilamanièredontilledisait.Àsesyeux,songrand-pèreétaitinfaillible.Illuiavaitsauvélavie.Pasenimposantlesmains,soit,maisenfaisantdondesoncorpsàJacobetenluiinsufflantainsiunevienouvelle.
Mais, le plus extraordinaire, c’étaient les paroles par lesquelles Ephraïm terminait toujours seshistoires.Aprèsunsilencethéâtral,ilregardaitsonpetit-filsdroitdanslesyeuxetdisait:
—EttoiJacob,tuasaussiledonentoi.Quelquepart,loinlà-dedans,ilattendd’apparaîtreaugrandjour.
Jacobadoraitcesmots.Il n’avait jamais réussi,mais grand-père avait dit que la force se trouvait là, et cela lui suffisait.
Pendant samaladie, il avaitessayéde fermer lesyeuxetde la fairevenir,pourpouvoir seguérir lui-même,maisquandilbaissaitlespaupièresilnevoyaitquedesténèbres,lesmêmesquil’enserraientàprésentdansunétaudefer.
Peut-êtreaurait-ilputrouverleboncheminsigrand-pèreavaitvécupluslongtemps.IlavaitapprisàGabrieletàJohannes,alorspourquoin’aurait-ilpaspuluiapprendreaussi?
Lecripuissantd’unoiseauau-dehorsletiradesessonges.L’obscuritéluiserradenouveaulecœuret ilsedemandasicelapouvaitaller jusqu’à lefairecesserdebattre.Cesderniers temps, lanoirceurétaitarrivéeplusfréquenteetplusdensequejamais.
Il remonta les jambessur le fauteuiletpassasesbrasautourdesesgenoux.Si seulementEphraïmavaitétéici.Ilauraitpul’aideràtrouverlalumièrequiguérit.
—Nouspartonsdel’hypothèsequeJennyMöllern’apasdisparudesonpleingré.Nousaimerions
avoir l’aide du public et nous vous demandons instamment de nous signaler si vous l’avez vue, et enparticulierdansunevoitureouprèsd’unevoiture.Selonlesdonnéesdontnousdisposons,elleauraitfaitdustoppourFjällbackaettouteslesobservationsàcesujetsontduplusgrandintérêt.
Avecgravité,Patrikregardachacundesjournalistesdroitdanslesyeux.Enmêmetemps,Annikafitcirculer la photographie de Jenny, et elle allait veiller à ce que tous les journaux y aient accès pourpublication.Cen’étaitpastoujourslecas,maisàcestadelapressepouvaitleurêtretrèsutile.
À la grande surprise de Patrik, Mellberg lui avait proposé de diriger la conférence de presseorganiséeàlahâte.Lui-mêmerestaenretraitdanslapetitesallederéunionducommissariatetobservaPatrikquitenaitledevantdelascène.
Plusieursmainsétaientlevées.—Est-ceque la disparitionde Jenny aun rapport avec lemeurtre deTanjaSchmidt ?Avez-vous
trouvéquelquechosequireliecemeurtreaveclescorpsdeMonaThernbladetSivLantin?Patrikseraclalagorge.—Premièrement, l’identificationdeSivn’est pas encore confirmée, alors j’apprécieraisquevous
n’enparliezpasdansvosarticles.Pour le reste, jenepeuxpas fairedecommentaire surcequenousavonsdéduitoupas,pourdesmotifstechniquesliésàl’enquête.
Les journalistesmurmurèrent demécontentement d’avoir à buter encore et toujours sur desmotifstechniquesliésàl’enquête,maisilss’obstinèrentquandmêmeàl’interpeller.
—LestouristesontcommencéàdéserterFjällbacka.Ont-ilsraisondes’inquiéterpourleursécurité?—Iln’yaaucuneraisondes’inquiéter.Noustravaillonsd’arrache-piedpourrésoudrecesaffaires,
maispourl’instantnotreprioritéestderetrouverJennyMöller.C’est toutcequejepeuxvousdire.Jevousremercie.
Ilquittalapiècesouslesprotestationsdesjournalistes,maisducoindel’œililvitqueMellbergs’yattardait.Pourvuquel’énergumènen’aillepasdiredesbêtisesmaintenant.
IlallatrouverMartinets’assitsurleborddesonbureau.—C’estcommedeplongerlamaindansunnœuddevipères,jetejure.—Saufqu’encemomentilspeuventnousêtreutiles.—Oui,ilyaforcémentquelqu’unquiavuJennymonterdansunevoiture,sielleabienfaitdustop
commel’aditcejeune.AvectoutelacirculationsurlaroutedeGrebbestad,çatiendraitdumiraclesipersonnen’avaitrienremarqué.
—Onadéjàvudeschosesplusétrangesqueça,soupiraMartin.—Tun’astoujourspasréussiàjoindrelepèredeTanja?—Jen’aipasréessayé.Jepensaislefairecesoir.Ilestprobablementauboulot.—Oui,tuasraison.TusaissiGöstaavérifiédanslesprisons?—Oui,c’est incroyable,mais il l’a fait.Rien.Personnen’est restécoffrépendant toutce tempset
jusqu’àmaintenant.Maiscen’étaitpasunepistevraimentsérieuse.Jeveuxdire,onpeutzigouillerleroi,de toute façononse retrouvedehorsquelquesannéesplus tardpourbonneconduite.Etonobtientunepermissionauboutdequelquessemainesseulement.Énervé,Martinlançasonstylosurlebureau.
—Allez,nesoispascynique.Tuesbeaucouptropjeunepourça.Aprèsdixannéesdanslemétier,tupourrascommenceràtesentiramer,jusque-làcontinueàêtrenaïfetàavoirconfiancedanslesystème.
—Oui,l’ancêtre.MartinfitunsalutmilitaireparesseuxetPatrikselevaenriant.—Parailleurs,dit-il,onnepeutpaspartirdel’hypothèsequeladisparitiondeJennyaitunrapport
avec lesmeurtres de Fjällbacka. Il faut que tu demandes à Gösta de vérifier si un violeur aurait étérelâché ces jours-ci. Demande-lui de vérifier tous ceux qui ont été condamnés pour viols, violencesaggravées envers des femmes et ce genre de crimes, quelqu’un qui serait connu pour opérer dans larégion.
—L’idéeestbonne,maisçapeuttoutaussibienêtrequelqu’unvenud’ailleurs,untouriste.—C’estvrai,maisilfautqu’oncommencequelquepartetc’estundébutquienvautunautre.Annikapassalatête.—Excusez-moidevousdéranger,messieurs,maistuaslelaboauboutdufil,Patrik.Jetepassela
communicationici,outupréfèreslaprendredanstonbureau?—Passe-ladansmonbureau,maisdonne-moitrentesecondespouryarriver.Son cœur semit à battre plus vite. Attendre un appel du Laboratoire central était un peu comme
attendrelepèreNoël.Onnesavaitjamaisquellessurprisesontrouveraitdanslespaquets.DixminutesplustardilretournadanslebureaudeMartin,maisilrestaàlaporte.—Onvientd’avoir laconfirmationque ledeuxièmesqueletteestbienceluideSivLantin,comme
prévu.Etl’analysedelaterreestterminée.Onpeuttenirquelquechosedesolidelà.Martinsepenchaenavant,toutouïe,etjoignitlesmains.—Nemelaissepassurlegril.Qu’est-cequ’ilsonttrouvé?—Premièrement,c’est lemême typede terresur lecorpsdeTanja, sur lacouvertureoùelleétait
posée et sur les ossements. Cela démontre qu’à unmoment aumoins elles se sont trouvées aumêmeendroit.Ensuiteilsontisoléunengraisdanslaterrequiestutiliséuniquementparlesagriculteurs.Ilsontmêmeréussiàtrouverlamarqueetlenomdufabricant.Et,cerisesurlegâteau–iln’estpasvenduenmagasin mais directement par le fabricant et ce n’est pas une des marques les plus courantes sur lemarché.Ilfautquetuleurpassesuncoupdefildare-dare,tuleurdemandesdesortirleslistesdesclientsquiontachetéceproduit,etonvaenfinpouvoiravancer.Tiens,çac’estlenomdel’engraisetceluidufabricant.Lenumérodevraitfigurerdanslespagesjaunes.
Martinagitalamainpourlecalmer.—Jem’enoccupe.Jetetiensaucourantdèsquej’aiobtenuleslistes.—Super.Iltambourinalégèrementsurlemontantdelaporte.—Tiens,j’ypense…Patrikétaitdéjàrepartidanslecouloiretilfitvolte-faceenentendantlavoixdeMartin.—Oui?—Ilsontditquelquechoseàproposdel’ADN?—Ilsy travaillentencore.C’est leLabocentralqui fait cesanalyses-là,et ilyaapparemmentun
sacréembouteillagepourcegenredetests.C’estlasaisondesviols,tucomprends.Martinpoussaunsoupirdedécouragement.Ilcomprenaittrèsbien.C’étaitundesavantagesdesmois
d’hiver.Beaucoupdevioleurstrouvaientqu’ilfaisaittropfroiddehorspourbaisserleurpantalon,alorsqu’enétériennelesenempêchait.
Patrikretournadanssonbureauenfredonnant.Enfinilsavaientunepiste.Mêmesielleétaitmince,ilsavaientaumoinsquelquechosedeconcretpouravancer.
Ernst s’offrit un hot-dog avec de la purée sur la place de Fjällbacka. Il s’assit sur un des bancs
donnantsurlameretsurveillad’unœilméfiantlesmouettesquiluitournaientautour.Siellesenavaientl’occasion, elles lui piqueraient la saucisse, et il ne les quittait pas du regard une seule seconde.Saloperiederatsvolants!Enfant,ils’étaitamuséàattacheruneficelleàunpoissonentenantfermementl’autreboutdelaficelle.Unefoisquelamouetteavaitenglouti lepoissonentouteconfiance,Ernstseretrouvaitavecuncerf-volantvivant,voletantautourdelui,complètementpaniqué.Unautredesestoursfavorisavaitétédepiquerdelagnôlemaisonàsonpèreetd’ytremperdesboutsdepainqu’illançaitensuiteauxmouettes.Çalefaisaittoujoursmourirderiredelesvoircomplètementdésorientéessurdesailesinstables.Iln’osaitpluscegenredebêtises,mêmes’ilenavaitencorebienenvie.Desputainsdevautours,voilàcequ’ellesétaient,cesbestioles.
Ilaperçutunvisagefamilier.GabrielHultdanssaBMWs’arrêtaitauborddutrottoirdevantlekiosqueRelais.Ernstseredressasursonbanc.Ils’étaittenuinformédel’enquêtesurlesmeurtresdesfilles,parpurdépitd’enavoirétéexclu,etilétaitaucourantdutémoignagedeGabrielcontresonfrère.Peut-être,seulementpeut-être,pensaErnst,yavait-ilencoredeschosesàtirerdecefoutuprétentieux.RienquelapenséedudomaineavectouteslesterresdontGabrielHultétaitlepropriétairelefitsaliverdejalousieetilsesentiraitmieuxs’ilpouvaitlecoincerunpeu.Ets’ilavaitlamoindrepetitechancedetrouverdunouveaupourl’enquêteetdeclouerlebecàcefoutuHedström,ceseraitunputaindebonus.
Iljetalerestedesonhot-dogdanslapoubellelaplusprocheetpartitnonchalammentendirectiondelavoituredeGabriel.LaBMWargentéescintillaitausoleilet ilneputs’empêcherdepasserunemainenvieuse le longdu toit.Merdealors,c’estunecaissecommeçaqu’il lui fallait. Il retiravivementsamain lorsqueGabriel sortit du kiosque, un journal à lamain. Il regarda Ernst avecméfiance, adossécommeill’étaitàlaportedupassager.
—Excusez-moi,mais,ça,c’estmavoiture.—Eneffet,oui.ErnstLundgren.DucommissariatdeTanumshede.Ernstmitdans le tonautantd’insolencequ’il osait.Valaitmieux inspirerdu respectdès ledépart.
Gabrielsoupira.—Qu’est-cequ’ilyamaintenant?JohanetRobertontencorefaitdesbêtises?Ernstricana.—Probablement,sijelesconnaisbien,cesvoyous,maispourl’instantonnem’ariensignalé.Non,
j’aiquelquesquestionsausujetdecesfemmesquenousavonstrouvéesdanslabrècheduRoi.Ilhochalatêteendirectiondel’escalierenboisquiygrimpaitlelongdelaparoirocheuse.
—Qu’est-ce que vous imaginez que je pourrais vous dire là-dessus ? Ce n’est quandmême pasencorecettevieillehistoireavecmonfrère?J’aidéjàréponduauxquestionsd’undevoscollègues.Çafaitunbailmaintenant,etlesévénementsdecesderniersjoursapportentbienlapreuvequeJohannesn’yétaitpourrien!Regardezça!
Gabrieldéplialejournalqu’ilavaittenucoincésouslebrasetlebranditdevantErnst.LauneétaitoccupéeparunephotodeJennyMöller,àcôtéd’unephotod’identitéflouedeTanjaSchmidt.Letitre,commedebienentendu,étaitracoleur.
—Vousvoulezdirequemonfrèreestsortidesatombepourfaireça?LavoixdeGabrieltremblad’émotion.Vousavezl’intentiondeperdrecombiendetempsàfarfouillerdansmafamillependantquelevraicoupablecourtlesrues?Laseulechosequevousavezcontrenousestuntémoignagequej’aifourni
ilyaplusdevingtans.J’étaissûrdemoiàcemoment-là,c’estvrai,maisquevoulez-vous,c’était lanuit,jerevenaisduchevetdemonfilsmourantetjemesuispeut-êtretoutsimplementtrompé!
Il fit le tour de la voiture d’un pas indigné, s’arrêta devant la portière du chauffeur et actionna latélécommandedesfermeturescentralisées.Avantdemonterdanslavoiture,illançaàErnstunedernièretiradeénervée.
—Siçacontinue,jevaiscontacternosavocats.J’enaiassezdevoirlesgenssedévisserlatêteàforce deme regarder depuis que vous avez trouvé les filles, et je n’ai pas l’intention de vous laisserranimerlesragotsautourdemafamille,seulementparcequevousn’avezriendemieuxàfaire.
Gabriel claqua la portière et partit sur les chapeaux de roues. Il remontaGalärbacken à une tellevitessequelespassantsfurentforcésdeseplaquercontrelesmurs.
Ernstgloussa.GabrielHultavaitpeut-êtredel’argent,maisentantqueflicErnstavaitlepouvoirdeflanquerdudésordredanssonpetitmondeprivilégié.Lavieluiparutbienmeilleuretoutàcoup.
— Nous sommes face à une crise qui concerne tout le canton. Stig Thulin, l’homme fort de la
commune de Fjällbacka, fixaMellberg droit dans les yeux,mais celui-ci n’eut pas l’air spécialementimpressionné.
—Oui,jel’aidéjàdit,àtoicommeàtousceuxquionttéléphoné,ontravailleàpleintempssurcetteenquête.
—Je reçoisdesdizainesd’appels tous les joursde lapart de commerçantsqui s’inquiètent, et jecomprendsleurinquiétude.Tuasregardélescampingsetlesportsparici?Çanedéteintpasseulementsur lecommercedeFjällbacka, cequien soi aurait été suffisammentembêtant.Avec ladisparitiondel’autrefille,lestouristesdésertentleslocalitésvoisinesaussi.Grebbestad,Hamburgsund,Kämpersvik,même jusqu’à Strömstad, tous commencent à en ressentir les effets. Je veux savoir ce que vous faitesconcrètementpourdénouerlasituation?
Des rides d’agacement étaient maintenant apparues sur le front distingué de Stig Thulin, quid’ordinaireaffichaitunsourireColgate.Ilétaitlepremierreprésentantdelacommunedepuisplusdedixans, et il avait aussi la réputation d’un vrai coureur de jupons. Mellberg était obligé d’avouer qu’ilcomprenait lapropensionqu’avaientlesfemmesàsuccomberàsoncharme.IlfallaitadmettrequeStigThulinétaitparticulièrementbienpoursonâge,aveclecharmepoivreetselduquinquacombinéàdesyeuxbleuspolissons.
Mellbergaffichaunsourirerassurant.—Tusaisaussibienquemoi,Stig,quejenepeuxpasaborderlesdétailsdenotretravaildanscette
enquête, mais tu dois me croire sur parole quand je dis qu’on mobilise toutes nos ressources pourretrouverlafilleMölleretceluiquiacommiscescrimesépouvantables.
—Maisavez-vousréellementlacapacitédemeneruneenquêtedecetteenvergure?Est-cequevousnedevriezpasdemanderdesrenfortsde…jenesaispas,moi…deGöteborg,parexemple?
LasueurperlaitsurlestempesgrisonnantesdeStig.Saplate-formepolitiquereposaitsurledegrédesatisfactiondescommerçants,et l’agacementqu’ilsavaientmanifestécesderniers joursn’augurait riendebonpourlesprochainesélections.Ilsesentaitcommeuncoqenpâtedanslescouloirsdupouvoir,etilsavaitquesesconquêtesfémininesétaientengrandepartiedictéesparsanotoriétépolitique.
LefrontdeMellberg,qu’iln’avaitpasaussidistingué,seplissaaussi.—Onn’aabsolumentpasbesoind’aidedanscetteaffaire,jepeuxtel’assurer.Etjedoisdirequeje
n’appréciepasquenotrecompétencesoitainsimiseendoute.Iln’yajamaiseudeplaintesconcernantnotre façonde travailleret jenevoisaucuneraisonpourquecegenredecritiquesans fondementsoit
formuléeàcestadedel’enquête.Grâceàunebonneconnaissancedesessemblables,quiluiavaitétébienutiledanslesméandresde
lapolitique,StigThulincompritqu’ilétaittempsdereculer.Semettrelapolicelocaleàdosneservaitpassesintérêtsetilprituneprofondeinspirationavantdedire:
—Oui.C’étaitsansdouteunpeuprématuréd’avancercegenredequestions.Évidemmentquevousavez notre entière confiance.Mais je tiens quandmême à souligner qu’il est fondamental de résoudrel’affaireauplusvite!
Mellberg hocha seulement la tête en guise de réponse et, après les habituelles phrases deremerciement,l’hommefortdelacommunesedépêchadequitterlecommissariat.
Elle s’observad’unœil critiquedans lemiroir enpiedque sesparentsavaient finalementaccepté
d’accrocher dans la caravane pour mettre fin à son harcèlement. Pas mal.Mais deux kilos en moinsseraientencoremieux.Mélanierentraleventrepourvoir.Maisoui,c’étaittoutdesuitemieux.Ellenevoulaitplusvoiruneoncedegraisseetdécidaquepourlessemainesàvenirellenemangeraitqu’unepommeaudéjeuner.Samèrepouvaitdirecequ’ellevoulait,elledonneraitn’importequoipournepasdeveniraussigrosseetdégueuqu’elle.
Aprèsavoirajustésonstringunedernièrefois,ellepritsonsacdeplageetsondrapdebainetelles’apprêtait à sortir lorsqu’on frappa à la porte. C’était sûrement les potes qui venaient lui proposerd’allersebaigner.Elleouvrit.Laseconded’après,ellefutpropulséeenarrièreetallaheurterducoccyxcontrelapetitetable.Ladouleurluivoilalesyeuxetelleeutlesoufflecoupé.Unhommefitirruptionetellecherchadanssonsouvenirsiellel’avaitdéjàvu.Ilparaissaitvaguementfamiliermaislechocetladouleur luibrouillèrent les idées.Unepenséesurgit cependant immédiatement, cellede Jennyetde sadisparition.Lapaniqueachevad’éliminercequiluirestaitdelucidité,etelles’effondraparterre,sansdéfense.
Mélanieneprotestapaslorsqu’il la tirapar lebraset lapoussavers le lit.Maisquandilsemitàarrachersonsoutien-gorge,laterreurluidonnadelaforceetelleassénauncoupdepiedendirectiondel’entrejambede l’homme.Elle rata sa cible et toucha la cuisse, et la réponse fusa immédiatement.Uncoupdepoingatterritdanslebasdesondosaumêmeendroitoùlatablel’avaittouchéeetdenouveauelle eut le souffle coupé.Elle s’affaissa sur le lit et capitula.Face à lapuissancede l’hommeelle sesentitminusculeetdésarmée,etsurvivredevintsonuniquepensée.Ellesepréparaàmourir.DelafaçondontelleétaitsûremaintenantqueJennyétaitmorte.
Ilyeutunbruitetl’hommeseretournaalorsqu’ilvenaitdebaisserlestringdubikini.Avantqu’iln’aiteuletempsderéagir,quelquechoses’abattitsursatêteetavecunsonrauqueiltombaàgenoux.Avantde sombrerdans l’inconscience,Mélanievit cegrandploucdePer, unebattedebase-ball à lamain.
—Meeerde,j’auraisdûlereconnaître!Martintrépignadefrustrationetgesticulaendirectiondel’hommemenottéqu’onpoussaitàl’arrière
d’unevoituredepolice.— Comment est-ce que tu aurais pu le reconnaître ? Il a pris au moins vingt kilos derrière les
barreauxetenplusilestdevenublond.Mêmesamèrenel’auraitpasreconnu.Etavecça,tuasseulementvusatroncheenphoto.
Patrik essaya de calmerMartin de sonmieux,mais il avait l’impression de parler à un sourd. Ils
étaientdevantlacaravanedeMélanieetsesparents,etunefouledecurieuxs’étaitforméeautourd’eux.Mélanieavaitdéjàététransportéeenambulanceàl’hôpitald’Uddevalla.Patrikavaitréussiàjoindrelesparents au centre commercial de Svinesund et, encore sous le choc, ils étaient partis directement àl’hôpital.
—Jel’aieuenfacedemoi,Patrik.Jepensemêmequeje luiaifaitunsignedela tête.Iladûsemarrercommeunebaleinequandonestpartis.Enplus, sa tenteétait justeàcôtédecelledeTanjaetLiese.Bordeldemerde,çadevraitêtreinterditd’êtreconàcepoint!
Il se frappa le front pour souligner ses paroles et sentit l’angoisse s’accumuler et grandir dans sapoitrine.Lejeudiaboliquedu«si»avaitdéjàcommencéàletarabuster.SiseulementilavaitreconnuMårtenFriskJennyseraitavecsesparentsencemoment.Siceci,sicela.
Patriksavaitparfaitementcequisejouaitdansl’espritdeMartin,maisilignoraitquelsmotsutiliserpouratténuercetourment.Àsaplace,ilauraitprobablementraisonnédelamêmefaçon,mêmes’ilsavaitquecegenrede reprochesn’avaitpas lieud’être. Il aurait étéquasiment impossiblede reconnaître levioleurarrêtépourquatreviolscinqansplus tôt.Àcetteépoque-là,MårtenFriskn’avaitquedix-septans,unadolescentbrunet frêlequiavaitutiliséuncouteaupour forcer sesvictimesà se soumettre.Àprésent c’était un colosse aux cheveuxblonds quimanifestement estimait que sa propre force suffisaitpour lerendremaîtrede lasituation.Patrikdevinaaussiquedesstéroïdes,assezfacilesàseprocurerdans les pénitenciers du pays, jouaient un rôle dans la métamorphose physique de Mårten, et ils nedevaientcertainementpascalmersonagressivitéinnée,aucontraire, ils transformaientdesbraisestoutjustefumantesenunbrasierinfernal.
Martin désigna le jeune homme mal à l’aise qui restait à l’écart du centre des événements et serongeaitnerveusementlesongles.L’anxiétéétaitinscriteengrosseslettressursafigure.Apparemmentilnesavaitpass’ilallaitêtrequalifiédehérosoudecriminelparlebrasdelajustice.Delatête,PatrikfitsigneàMartindelesuivre,etils’approchadujeunehommeangoissé.
—PerThorsson,c’estça?Ilhochalatête.PatrikexpliquaàMartin.—C’estuncopaindeJennyMöller.C’estluiquim’aapprisqu’elledevaitfairedustopàFjällbacka.PatriksetournadenouveauversPer.—C’estunesorted’exploitquetuviensd’accomplirlà.Commentest-cequetusavaisqueMélanie
étaitentraindesefairevioler?Perfixalesol.—J’aimeobserverlesgensquiviennentici.Celui-là,jel’airemarquétoutdesuitequandilamonté
satente,l’autrejourQuelquechosedanssafaçondefrimerdevantlespetitesnanas.Ildevaitsetrouvercoolavecsesbrasdegorille.J’aivucommentilreluquaitlesmeufs.Surtoutquandellesn’avaientpasbeaucoupdevêtementssurledos.
—Etaujourd’hui?Impatient,Martinessayaitdel’aideràenvenirauxfaits.Lesyeuxtoujoursbaissés,Percontinua:—J’aivuqu’ilregardaitlesparentsdeMélaniepartiretensuiteilestrestéàattendreunmoment.—Combiendetemps?demandaPatrik.Perréfléchit.— Peut-être cinq minutes. Ensuite il s’est dirigé, d’un pas décidé je dirais, vers la caravane de
Mélanie,etj’aipenséqu’ilallaitpeut-êtreessayerdeladraguer,maisquandelleaouvert,ils’estjetésurelleetalorsjemesuisditputaindemerde,çadoitêtreluiquiafaitdisparaîtreJenny,jesuisalléchercherunebattelà-bas,lesmômesvenaientdefaireunepartie,etjeluiaitapésurlatêteavec.
Iciilfutobligédes’arrêteretdecherchersarespirationetpourlapremièrefoisillevaleregardetfixaPatriketMartin.Ilsvirentquesalèvreinférieuretremblait.
—Jevaismetrouverdanslamerdeàcausedeça?Parcequejel’aiassommé,jeveuxdire?Patriklecalmaenposantunemainsursonépaule.— Je pense pouvoir te promettre qu’il n’y aura pas de suites pour toi. Comprends-moi bien, on
n’encourageévidemmentpaslapopulationàagirainsi,maislefaitestquesitun’étaispasintervenuilauraiteuletempsdeviolerMélanie.
Lesoulagementfitlittéralements’affaisserPer,maisilseredressarapidementetdit:—Est-cequeçapeutêtreluiqui…pourJenny,jeveuxdire…?Iln’arrivaitmêmepasàprononcerlesmotsetPatrikfutàcourtdeparolesrassurantes.—Jenesaispas.Est-cequetuasremarqués’ilregardaitJennydecettemanière-là?Perréfléchitfébrilement,maissecouafinalementlatête.—Jenesaispas.Jeveuxdire,illefaisaitprobablement,ilreluquaittouteslesnanasquipassaient,
maisjenepeuxpasdires’illaregardait,elle,plusparticulièrement.IlsremercièrentPeretlerendirentàsesparentsquisefaisaientdumauvaissang.Puisilsprirentle
cheminducommissariat.Là, derrière les barreaux, se trouvait peut-être celui qu’ils cherchaient si désespérément. Sans se
rendrecomptequ’ilsavaientlemêmegeste,MartinetPatrikcroisaientlittéralementlesdoigtspourqu’ilensoitainsi.
Dans la salle d’interrogatoire, l’ambiance était électrique.Lapenséede JennyMöller les stressait
tousdansleurardeuràextirperlavéritédeMårtenFrisk,maisilssavaientaussiquecertaineschosesnevenaientpasenlesforçant.Patrikmenaitl’interrogatoire,etpersonnen’avaitétésurprisqu’ildemandeàMartind’yassister.Aprèsavoirexpédiélaprocédureobligatoireaveclesdonnéespersonnelles,ladateetl’heure,pourlecomptedumagnétophone,ilscommencèrentleurtravail.
—TuesarrêtépourtentativedeviolsurMélanieJohansson,tuasuncommentaireàfaire?—Putain,ouais!Mårten était assis paresseusement penché en arrière sur la chaise, l’un de ses énormes biceps
reposantsurledossier.Ilétaitenvêtementsd’été,débardeuretshort,unminimumdetissupourexposerunmaximumdemuscles.Sescheveuxdécolorésétaientunpeutroplongs,lafrangen’arrêtaitpasdeluitombersurlesyeux.
—J’airienfaitqu’ellevoulaitpasquejefasse,etsielleditautrechosec’estqu’ellement!Onavaitfixérendez-vousquandsesparentspartaientfairelescoursesetonvenaitjustedecommenceràs’amuserun peu quand l’autre con arrive avec sa batte de base-ball.D’ailleurs je voudrais porter plainte pourviolences.Vousavezqu’àlenoterdansvoscarnets,là.Ilmontralesblocs-notesdevantPatriketMartin,etricana.
—Onparleradeçaplustard,pourl’instantilestquestiondesaccusationsquisontportéescontretoi.Le ton bref de Patrik contenait tout le mépris que l’homme éveillait en lui. Dans sonmonde, les
hommesquis’attaquaientauxjeunesfillesfaisaientpartiedelapireespèce,toutenbasdel’échelle.Mårten haussa les épaules comme s’il s’en fichait totalement. Les années de prison l’avaient bien
formé.Ladernièrefoisqu’ils’étaittrouvédevantPatrik,c’étaitunadolescentdedix-septans,maigreetpeusûrdelui,quividaitsonsacetreconnaissaitlesquatreviolspresquetoutdesuite.Maintenantilavaitapprisdesgrands,etsatransformationphysiquecorrespondaitbienàsatransformationmentale.Cequiétait resté intact, par contre, était sa haine des femmes et sa façon de s’attaquer à elles. À leur
connaissance, cela s’étaitmanifesté en viols brutaux, pas en homicides,mais ce qui inquiétait Patrik,c’estquelaprisonavaitpucauserplusdemalquecequ’ilspouvaientimaginer.Est-cequeMårtenFriskavaitsautélepasdevioleurentueur?Danscecas,oùsetrouvaitJennyMölleretquelrapportyavait-ilaveclamortdeMonaetdeSiv?Àl’époqueoùellesavaientétéassassinées,MårtenFriskn’étaitmêmepasné!
Patriksoupiraetpoursuivitl’interrogatoire.—Disonsqu’ontecroit.Ilrestequandmêmeuneénormecoïncidencequinouscausedessoucis,le
faitquetutetrouvesaucampingdeGrebbestadquandunefilledunomdeJennyMöllerdisparaîtetquetu étais au camping de Sälvik à Fjällbacka quand une touriste allemande a disparu, qu’on a ensuiteretrouvéeassassinée.Ta tente étaitmême juste à côtéde celledeTanjaSchmidt et sa copine.Unpeutroublant,ànotreavis.
Mårtenpâlitvisiblement.—Non,déconnezpas,j’airienàvoiravecça.—Maistusaisdequellefilleonparle?Àcontrecœur,ildit:—Oui,biensûr,j’aivulesdeuxgouinesdanslatenteàcôtédelamienne,maislesbrouteusesm’ont
jamaisfaitbanderetenplusellesétaientunpeutropvieillesàmongoût.Destronchesdebonnesfemmes,touteslesdeux.
Patrik pensa au visage de Tanja sur la photo d’identité, peut-être assez quelconque mais sisympathique,et il réprimal’impulsionde lancersonbloc-notesà la figuredeMårten.Sonregardétaitglacéquandilfixal’hommeenfacedelui.
—EtJennyMölleralors?Dix-septans,mignonne,blonde.Exactementdanstesgoûts,non?Des perles de sueur commencèrent à apparaître sur le front deMårten. Il avait de petits yeux qui
cillaientavecrégularitéquandildevenaitnerveuxetmaintenantilclignaitfrénétiquementdespaupières.—J’airien,RIENàvoiravecça.Putain,jel’aipastouchée,jelejure!Il lançalesbrasenl’aird’unmouvementsupposésignalerqu’ilétait innocentet,malgrélui,Patrik
eutl’impressiond’entendreuneintonationdevéritédanssavoix.SoncomportementquandilsparlaientdeTanjaetdeJennyétaittoutautrequelorsqu’ilsl’avaientquestionnésurMélanie.Ducoindel’œil,ilvitqueMartinaussiavaitl’airhésitant.
—Bon,jeveuxbienreconnaîtrequelameufaujourd’huiétaitpeut-êtrepastoutàfaitd’accord,maisilfautmecroire,pourlesdeuxautres,j’aipaslamoindreidéedequoivousparlez.Jelejure!
LapaniquedanslavoixdeMårtenétaitmanifesteet,aprèss’êtreconsultésdesyeux,MartinetPatrikdécidèrent de mettre fin à l’interrogatoire. Malheureusement, ils croyaient Mårten sur parole. Celasignifiaitquequelquepartailleursquelqu’undétenaitJennyMöller,siellen’étaitpasdéjàmorte.EtlapromessequePatrikavaitfaiteàAlbertThernbladdetrouver l’assassindesafillesemblatoutàcouptrès,trèsdifficileàtenir.
Göstaétaitangoissé.C’étaitcommesiunepartiedesoncorps,engourdiedepuis longtemps,s’était
brusquementranimée.Sontravail l’avaitremplid’indifférencependantsi longtempsquec’étaitbizarrederessentirquelquechosecommeunengagement.IlfrappadoucementàlaportedePatrik.
—Jepeuxentrer?—Comment?Heu,oui,biensûr.Patriklevadistraitementlesyeuxdesatabledetravail.Gösta entra, l’air penaud, et s’assit sur la chaise des visiteurs. Il ne dit rien, et au bout d’un long
momentPatrikdutluivenirenrenfort.
—Bon?Tuvoulaismedirequelquechose?Göstaseraclalagorgeetétudiaminutieusementsesmainssursesgenoux.—J’aireçulalistehier.—Quelleliste?Patrikfronçalessourcils.—Celleavecdesvioleursducoinquiontétélibérésdeprison.Iln’yavaitquedeuxnoms,dontl’un
étaitceluideMårtenFrisk.—Etc’estpourçaquetufaiscettetête?Göstalevalesyeux.L’angoissefutlàdenouveau,commeunegrosseballeduredanssonventre.— Je n’ai pas fait mon boulot. J’avais l’intention de vérifier les noms, où ils étaient, ce qu’ils
faisaient,allerlesvoiretavoirunmotaveceux.Maisj’aiglandé.C’estlavéritévraie,Hedström.J’aiglandé.Etmaintenant…
Patrikneréponditpasetattenditpensivementlasuite.—Maintenant, il neme reste qu’à avouer que si j’avais faitmon boulot cette gamine aujourd’hui
n’aurait peut-être pas été attaquée, presque violée, et on aurait aussi eu la possibilité de poser desquestionssurJennyunjourplustôt.Quisait,çaferapeut-êtreladifférenceentrelavieetlamortpourelle.Hierelleétaitpeut-êtrevivanteetaujourd’huielleestpeut-êtremorte.Etçaparcequej’aipasétéfoutudebougermonculetdefairemonboulot!Ilsefrappalacuisseaveclepoingpoursoulignersesparoles.
Patrikobservaunmomentdesilence,ilsepenchaensuitepar-dessuslebureauetjoignitsesmains.Letondesavoixétaitconfiant,pasréprobateurcommeGöstaavaitpenséqu’illeserait.Illevalesyeux,surpris.
—C’estvraiquetontravail laisseàdésirerparmoments,Gösta,onlesait touslesdeux.Maiscen’est pas àmoi d’entamer cette question avec toi, c’est le chef qui doit gérer ça.En ce qui concerneMårtenFrisket le faitque tune l’aiespasvérifiéhier, tupeux l’oublier.Premièrement, tune l’auraisjamaislocaliséaucampingaussivite,ilt’auraitfalluaumoinsdeux,troisjours.Deuxièmement,jepense,malheureusement,quecen’estpasluiquiaenlevéJennyMöller.
—Maisjecroyaisquec’étaitpratiquementétabli.GöstaregardaPatrik,perplexe.—Oui,c’estbiencequej’avaiscruaussi.Jenesuispastoutàfaitcertain,maisniMartinnimoi
n’avonseucetteimpressionpendantl’interrogatoire.— Merde alors ! Gösta médita la nouvelle en silence. L’angoisse ne l’avait quand même pas
totalementabandonné.Ilyaquelquechosequejepeuxfaire?—Commejeledisais,onn’estpasentièrementsûrs,onafaitunprélèvementdesangsurFriskqui
établiradéfinitivements’ilestnotrehommeoupas.L’échantillonestdéjàpartiaulabo,onaexpliquéqueçaurge,maisceseraitbiensitupouvaisleurmettreunpeulapression.Sicontretouteattentec’estlui,chaqueheurepourraavoirsonimportancepourlafilleMöller.
—Comptesurmoi,jem’enoccupe.Jevaislestannercommeunpitbull.Patriksouritàlamétaphore.S’ildevaitcomparerGöstaàunchien,ceseraitplutôtunvieuxbeagle
fatigué.Danssaferveurdebienfaire,Göstabonditdelachaiseetsortitdelapiècecommes’ilavaitlefeu
auxfesses.Lesoulagementdenepasavoircommislagrandefautequ’ilavaitcrufaireluidonnaitdesailes. Il se promit de travailler plus dur que jamais à partir demaintenant, peut-être même quelquesheuressupcesoir!Ahnon,c’estvrai,ilavaitréservépourunparcoursàcinqheures.Bah,ilpourraittoujourslesfaireunautrejour,lesheuressup!
Elle détestait être obligée d’entrer dans la crasse et le fatras. C’était comme entrer dans un autremonde.Avecprudenceelleenjambadevieuxjournaux,dessacs-poubellesetDieusaitquoiencore.
—Solveig?Pasde réponse.Elleserrasonsacàmaincontresoncorpsetentraplus loindans levestibule.La
voilà.L’aversionl’inondaitlittéralement.Ellehaïssaitcettefemmeplusqu’ellen’avaitjamaishaïquiquecesoit,ycomprissonpère.Enmêmetemps,elleavaitbesoind’elle.Cettepenséesuscitaittoujoursenelleunesorted’écœurement.
UnsourireilluminalevisagedeSolveigquandellevitLaini.—Tiens,tiens,qu’est-cequejevois?Ponctuellecommed’habitude.Onpeutvraimentcomptersur
toi,Laini.Ellerefermal’albumquilatenaitoccupéeetfitsigneàLainides’asseoir.—Jepréféreraisteledonnertoutdesuite,jesuisunpeupressée…—AllonsLaini,tuconnaislesrèglesdujeu.D’abordonprenduncafé,sanssepresser,etensuiteon
passeaurèglement.Ceseraitde lagoujateriedenepasproposerquelquechoseàboirequand j’aidubeaumondequivientmevoir.
Larailleriedégoulinaitdesavoix.Lainiétaitassezaviséepournepasprotester.Cettedansesinistre,elles l’avaientdanséemaintesetmaintes foisaufildesans.Elleépoussetauncoinde labanquettedecuisineetneputs’empêcherdefaireunegrimacededégoûtens’asseyant.Enrentrantchezelleaprèsunevisiteici,ellesesentaittoujourssalependantdesheures.
Solveigselevapéniblementetrangeasoigneusementsesalbums.EllesortitdeuxtassesébréchéesetLainidutréprimerlegested’essuyerlasienne.Ensuiteilyeutaussidepetitssablés,secsetbrisés,etSolveigluiditdeseservir.Ellepritunpetitboutdebiscuitetpriaintérieurementpourquelavisitesoitbientôtterminée.
—Pasvraiqu’ons’amusebien,hein?SolveigtrempaavecdélectationsonbiscuitdanslecaféréchaufféetregardamalicieusementLaini,
quisetutpourtouteréponse.—Quipourraitcroirequel’unedenoushabiteunmanoiretl’autreuneremisedemerde,alorsqu’on
estlàcommedeuxvieillescopines,pasvrai,Laini?Laini ferma lesyeuxensedisantque l’humiliationseraitbientôt terminée. Jusqu’à la foisd’après.
Elleserralesmainssouslatableetserappelapourquoielles’exposaitàceci,encoreetencore.—Tu sais ce quime cause souci, Laini ? Solveig parla la bouche pleine et de petitesmiettes de
biscuittombaientsurlatable.C’estquetunousenvoieslesflics.Tusais,Laini,jecroyaisqu’onavaitunaccord,toietmoi.Maisquandlaflicaillesepointeicietprétendquelquechosed’aussigrotesque,jemeposeforcémentdesquestions.Alors,commeça,mesgarçonsauraientcassédescarreauxchezvous?
Lainineputquehocherlatête.—Jetrouvequejeméritedesexcusespourça,tun’espasdemonavis?Parceque,onl’aexpliquéà
lapolice,lesgarçonssontrestésicitoutelasoirée.Ilsn’ontdoncpaspulancerdescaillouxlà-hautaumanoir.
SolveigpritunegorgéedecaféetbranditsatasseendirectiondeLaini.—Allez–j’attends.—Jeteprésentemesexcuses.J’aidûmetromper.SonregardétaitpleindedéfiquandilcroisaceluideSolveig,maissabelle-sœursemblasatisfaite.—Bon,voilàunechosede réglée.Cen’étaitpas sidifficilequeça?Alorsonvapouvoir régler
l’autrepetiteaffaireaussi?Ellesepenchasurlatableetseléchaleslèvres.Lainipritàcontrecœurlesacàmainsursesgenoux
etensortituneenveloppe.Solveigl’attrapaaveccupiditéetcomptascrupuleusementlecontenuavecses
doigtsgraisseux.—Lecompteestbon.Commed’habitude.Oui,jel’aitoujoursdit,toit’esvraimentréglo,Laini.Toi
etGabriel,vousêtesvraimentréglotouslesdeux.Avecl’impressiond’êtreunhamsterquitourneàl’infinidanssaroue,Lainiselevaetsedirigeavers
laporte.Unefoisdehors,ellerespiraàfondl’airfraisdel’été.Avantdeclaquerlaportederrièreelle,Solveiglança:
—C’esttoujoursunplaisirdetevoir,Laini.Onremetçalemoisprochain,d’accord?Laini ferma les yeux et se força à respirer calmement. Parmoments, elle se demandait si l’enjeu
valaitvraimenttoutça.Puis elle se rappela la puanteur de l’haleine de son père tout près de son oreille et pourquoi la
sécuritédelaviequ’elles’étaitcrééedevaitàtoutprixêtresauvegardée.Biensûrqueçalevalait.Dèsqu’ileutfranchilaporte,Patrikvitquequelquechoseclochait.Ericaétaitassisesurlavéranda,
lui tournant ledos,mais toutdanssonattitude indiquaitqueçan’allaitpas.L’inquiétudeprit ledessuspendantunesecondeavantqu’il réalisequ’elle l’auraitappelésur leportables’ilyavaitunproblèmeaveclebébé.
—Erica?Ellesetournaversluietilvitquesesyeuxétaientrougesdepleurs.Enquelquesenjambées,ill’avait
rejointeets’étaitassisàcôtéd’ellesurlecanapéenrotin.—Mais,machérie,qu’est-cequ’ilya?—JemesuisdisputéeavecAnna.—Etc’estquoicettefois?Il connaissait très bien tous les coins et recoins de leur relation compliquée et les raisons qui les
menaientsansarrêtsurdestrajectoiresdecollision,maisdepuisqu’AnnaavaitrompuavecLucasellessemblaientavoirconcluunesortedepaixprovisoire.
—Ellen’ajamaisportéplaintecontreLucaspourcequ’ilafaitàEmma!—Merde,c’estpasvrai!— Si, etmaintenant que Lucas a entamé une procédure pour la garde des enfants, je croyais que
c’était ça, la cartemaîtressed’Anna.Mais ellen’a rien contre lui, alorsque lui va fignolerun tasdemensongescommequoiAnnan’estpasunebonnemère.
—Oui,maisiln’aaucunepreuvedanscesens.—Non, nous, on le sait.Mais imagine qu’il lui balance suffisamment demerde pour qu’elle soit
quandmême salie. Tu sais comme il sait bien s’y prendre. Je ne serais absolument pas surprise s’ilréussissaitàcharmerlesjugesetmettretoutlemondedanssapoche.SiAnnadevaitperdrelesenfants,ellecraquerait.
Au désespoir, Erica appuya le visage sur l’épaule de Patrik, qui l’entoura de son bras et l’attiracontreluipourlacalmer.
—Onvapaslaissernotreimaginations’emballercommeça.C’étaitstupidedelapartd’Annadenepasporterplainte,maisd’unecertainemanière jepeux lacomprendre.Lucasamontréplusd’une foisqu’iln’estpasunenfantdechœur,etc’estnormalqu’elleaiteupeur.
—Oui,jesupposequetuasraison.Maiscequim’aleplusrévoltée,c’estqu’ellem’aitmentitoutcetemps.Maintenantaprèscoup,jemesenstrahieaussi.Chaquefoisquejeluiaidemandéoùçaenétait,elleaesquivéendisantqu’àStockholmlapoliceatellementdeboulotqu’illeurfautuntempsfoupourexaminer toutes les plaintes.Oui, tu sais aussi bien quemoi ce qu’elle disait.Et ce n’étaient que des
mensonges.Et,d’uneétrangefaçon,elleréussittoujoursàmemettreçasurledos.Ericasentitmonterunenouvellecrisedepleurs.
—Allonsmachérie.Calme-toimaintenant. Ilne fautpasqueBébéait l’impressiond’arriverdansunevalléedelarmes.
Elleneputs’empêcherderireunpeu,etelles’essuyalesyeuxavecsamanche.—Écoute-moimaintenant, dit Patrik. ParfoisAnna et toi, vous avez plus une relationmère-enfant
qu’unerelationdesœursetc’estçaquivousjouedestourssansarrêt.Tut’esoccupéed’Annaàlaplacedevotremère, et elle,maintenant, elle a cebesoinde se libérerde toi.Tucomprendsceque jeveuxdire?
—Oui, je sais, hoqueta-t-elle.Mais je trouve tellement injuste d’être punie parce que jeme suisoccupéed’elle.
—Tun’espasentraindeteprendrepourunemartyre,là?Patrikécartaunemèchedufrontd’Erica.Vousallez résoudreçacommevousavez toujours tout résolu,et je trouvequecette fois-ci tupourraisbienprendresur toipourêtreplusgénéreuse.Çanedoitpasêtre très facilepourAnnaencemoment.Lucasestunadversairepuissantet,trèssincèrement,jecomprendstrèsbienqu’ellesoitterrorisée.Penseunpeuàçaavantdet’apitoyersurtoi-même.
EricasedégageadesbrasdePatriketleregardalessourcilsfroncés.—Tun’espascenséêtredemoncôté?—Jesuistoujoursdetoncôté,machérie,toujours.Illuicaressalescheveuxetsemblatoutàcoupàdesmilliersdekilomètresdelà.—Pardon–jesuislààchialersurmesproblèmes–commentçasepassepourvous?—Houlà,nem’enparlepas.Aujourd’hui,çaaétéunevraiejournéedemerde.—Maistunepeuxpasdonnerdedétails,renchéritErica.—Exactement.Maiscommejedisais,çaaétéunejournéedemerde.Ilsoupiralourdementmaisse
ressaisit.Etsionsefaisaitunepetitesoiréesympaentête-à-tête?J’ail’impressionqueçanousferaitdubienàtouslesdeux.Jefilechezlepoissonnieracheterquelquespetitstrucs,tun’asqu’àmettrelatable.Qu’est-cequet’endis?
Ericaacquiesçaetlevalatêtepourunbisou.Ilavaitvraimentdebonscôtés,lepèredesonenfant.—Prendsdeschipsaussietlasaucemexicaine,tusais.Fautquej’enprofitemaintenantquejesuis
grossedetoutefaçon!—Àvosordres,chef!Agacé,Martintapotasonstylosurlatable.L’irritationétaitdirigéecontrelui-même.Lesévénements
delaveilleluiavaienttotalementfaitoublierd’appelerlepèredeTanjaSchmidt.Çaméritaituncoupdepied au cul. Sa seule excuse était d’avoir pensé que ce n’était plus très important du moment qu’ilsavaient coincéMårten Frisk. Il n’allait probablement pas réussir à le joindre avant le soir,mais rienn’empêchaitd’essayer.Ilregardal’heure.Neufheures.Ildécidadevérifierd’abordsiM.Schmidtétaitchezlui,avantd’appelerPiaetdeluidemanderdeservird’interprète.
Ilentendit sonner,une fois,deux, trois,quatreet ilétait sur lepointde raccrocher lorsqu’unevoixpleinedesommeilréponditaprèslacinquièmesonnerie.Gênédel’avoirréveillé,Martinréussittantbienquemalàexpliquerenallemandquiilétaitetàdirequ’ilallaitlerappeleraussitôt.LachanceétaitavecluietPiaréponditimmédiatementàl’officedetourisme.Ellefutd’accordpourl’aiderencoreunefoisetquelquesminutesplustardillesavaittouslesdeuxauboutdufil.
—Jevoudraiscommencerparvousprésentermescondoléances.
L’hommeleremerciapolimentpoursasollicitude,maisMartinentendaittrèsnettementàtraverssesparoleslechagrinquipesaitsurlaconversation.Ilhésitasurlamarcheàsuivre.LadoucevoixdePiatraduisaittoutcequ’ildisait,maispendantqu’ilréfléchissaitonn’entendaitqueleurrespiration.
—Savez-vousquiafaitçaàmafille?Lavoix tremblait légèrementetPian’avaitpasbesoinde traduire.Martincomprenaitquandmême
cela.—Pasencore.Maisnousallonsletrouver.ToutcommePatrik,quandilétaitenfaced’AlbertThernblad,Martinsedemandas’ilnepromettait
pastrop,maisilétaitsimplementobligéd’essayerd’atténuerlechagrindel’hommedelaseulefaçonquiétaitensonpouvoir.
— Nous avons parlé avec la compagne de voyage de Tanja et elle dit que Tanja est venue àFjällbackapouruneraisonprécise.Nousavonsposélaquestionàsonex-mari,maisilnevoyaitpasdutoutpourquoi.Est-cequevousavezuneidée?
Martinretintsonsouffle.Unlongsilences’ensuivit,presqueinsupportable.EnsuitelepèredeTanjacommençaàparler.
Lorsqu’il finit par raccrocher, Martin se demanda s’il devait vraiment en croire ses oreilles.L’histoireétait tropfantastique.Maiselleavaitmalgrétoutuntonmanifestedevéritéet ilcroyaitàceque disait le père de Tanja. Juste au moment de raccrocher à son tour, Martin réalisa que Pia étaittoujoursenligne.Enhésitant,elledemanda:
—Tuasappriscequetuvoulais?Jecroisquej’aitoutbientraduit.—Jesuispersuadéquetoutaétéparfaitementtraduit.Etoui, j’aiappriscequejevoulais.Jesais
quejen’aipasbesoindeteledire,mais…—Jesais,jenedoisenparleràpersonne.Jeprometsderesterbouchecousue.—C’estbien.Etd’ailleurs,jepensais…—Oui?Avait-ilbienentendu,était-ceunsoupçond’espoirdanslavoix?Maislecouragelequittaetilsentit
aussiquelemomentétaitmalchoisi.—Non,rien.Onenparlerauneautrefois.—D’accord.Il eut l’impression de percevoir une déception dans la voix de Pia,mais sa confiance en lui était
encore en tropmauvais état après son dernier chagrin d’amour pour croire qu’il ne se faisait pas desidées.
AprèsavoirremerciéPiaetraccroché,sespenséesglissèrentcependanttoutdesuiteversdeschosesplus sérieuses. Ilmit rapidement aupropre lesnotesqu’il avait prisespendant la conversation et allatrouverPatrikdanssonbureauaveclacopie.Enfinilstenaientuneouverture.
Ils étaient tous deux sur la réserve quand ils se retrouvèrent. C’était la première fois depuis leur
rendez-vousdésastreuxàLaMétairieetchacunattendaitde l’autrequ’il fasse lepremierpasversuneréconciliation.Commec’était Johanquiavait appeléetqueLindaavait assezmauvaiseconsciencevusonrôledansladispute,ellepritlaparole.
—Écoute,j’aiditpasmaldeconneriesl’autrejour.Jeregrette.Maisçam’amisetellementenrogne.Ils se trouvaientà leurpointde rencontrehabitueldans legrenierà foinet leprofildeJohanétait
commetaillédanslegranitlorsqueLindaleregardait.Puisellevitsestraitss’adoucir.—Bof,laissetomber.Moiaussi,j’ysuisalléunpeufort.C’estseulementque…Ilhésitaetchercha
lesbonsmots.C’estseulementquec’étaitdifficilederevenirdanslamaison,avectouslessouvenirsetcestrucs-là.Çan’avaitpasgrand-choseàvoiravectoi.
Enobservanttoujoursunecertaineprudencedanssesmouvements,Lindavintseblottirderrièreluietl’entouradesesbras.Leurprisedebecavaiteucecidepositif:elleavaitmaintenantdurespectpourlui.Ellel’avaittoujoursconsidérécommeungarçon,quelqu’unquiétaitpenduauxjupesdesamèreetauxbasques de son grand frère,mais ce jour-là elle avait aussi vu un homme.Cela l’attirait.Ça l’attiraiténormément.Elleavaitégalementaperçuuntraitdangereuxetcelaaussilerendaitplusattirant.Ilavaitréellementfaillis’attaqueràelle,ellel’avaitvudanssesyeux,etmaintenantqu’elleétaitassiselajouecontresondos,lesouvenirlafitvibrer.C’étaitcommevolertoutprèsd’uneflamme,suffisammentpouren sentir la chaleur, mais avec assez de contrôle pour ne pas se brûler. Si quelqu’un maîtrisait cetéquilibre-là,c’étaitbienelle.
Elle laissa sesmains sepromenervers l’avant.Avidement et avec exigence.Ellepouvait toujourssentirunecertainerésistanceenlui,maiselleavaitlarassurantecertitudequec’étaitellequidétenaitlepouvoirdansleurrelation.Relationquireposaitavanttoutsurdesrapportsphysiques,etelleestimaitquedans ce domaine-là les femmes avaient le dessus, et elle plus particulièrement. Un avantage qu’elleutilisait à présent.Avec satisfaction, elle se rendit compte que la respiration de Johan se faisait plusrapideetquesarésistancecommençaitàfondre.
Lindasedéplaça,etlorsqueleurslanguesserencontrèrentellesutqu’elleétaitsortievictorieusedelalutte.Elleétaitencoredanscetteillusionlorsqu’ellesentitJohansaisirsescheveuxd’unemainfermeetluitirerlatêteenarrièrepourpouvoirlaregarderdudessus,droitdanslesyeux.Silebutétaitdefaireensortequ’ellesesentefaibleetvulnérable,cefutréussi.Uninstantellevitlamêmelueurdanssesyeuxquependantleurdispute,etellesedemandamalgréellesisavoixporteraitunappelausecoursjusqu’aubâtimentprincipal.Probablementpas.
—Ilfautquetusoisgentilleavecmoi,tusais.Sinonunpetitoiseauirapeut-êtresifflerauxflicscequej’aivuicil’autrejour.
LesyeuxdeLindas’écarquillèrent.Savoixsortitdansunchuchotement.—Tuneferaispasça?Tuaspromis,Johan.—D’après ce que disent les gens, une promesse de quelqu’un de la famille Hult ne signifie pas
grand-chose.Tudevraislesavoir.—Ilnefautpasfaireça,Johan.Jet’enprie,tupeuxmedemandern’importequoi.—Booon,c’estqu’ilsontraisonalors,lesliensfamiliauxsontlesplusfortsaprèstout.—Tudistoi-mêmequetun’arrivespasàcomprendrepourquoimonpèreafaitçaàoncleJohannes.
Ettuseraisprêtàfairelamêmechose?La voix de Linda était suppliante. La situation lui avait totalement échappé et, perplexe, elle se
demandacommentelleavaitpuseretrouverdansunetellepositiond’infériorité,alorsqu’audépartelleavaitlecontrôle.
—Pourquoi je ne le ferais pas ?Onpourrait peut-être dire que c’est un karma.La boucle qui serefermeenquelquesorte.Johaneutunsourireméchant.Maistumarquespeut-êtreunpointlà.Disonsquejemetairai.Maisn’oubliepasqueçapeutchangeràtoutmoment,ettuferasmieuxd’êtregentilleavecmoi–machérie.
Ilcaressasonvisage,toutenmaintenantsaprisedouloureuse.Puisilpoussasatêteencoreplusbas.Elleneprotestapas.L’équilibreétaitdéfinitivementébranlé.
6
ÉTÉ1979Ellefutréveilléepardespleurs.Danslenoir,elleeutdumalàlocaliserleson,maisellesetraîna
lentementjusqu’àsentirdutissuetquelquechosequibougeaitsoussesdoigts.Lepaquetparterre,unefille,semitàhurlerdeterreur,maisellelacalmaavecdeschutenluicaressantlescheveux.Elleétaitbienplacéepoursavoircommentlaterreurvousdéchireavantqu’unsourdabandonneviennelaremplacer.
Elleavaitconsciencequec’étaitégoïste,maisellenepouvaits’empêcherdeseréjouirden’êtreplusseule.Il luisemblaitqueçafaisaituneéternitéqu’ellen’avaitpaseulacompagnied’unautreêtrehumain,maisen fait ilnedevait s’agirquedequelques jours.C’étaitdifficiledeconserver lanotiondutempsicidansl’obscurité.Letempsn’existaitquelà-haut.Danslalumière.Ici,ilétaitunennemiquivousmaintenaitdanslaconscienced’uneimprobablevie.
Lespleursdelafilletaris,arrivaleflotdequestions.Ellen’avaitpasderéponsesàdonner.Aulieudecela, elle essayad’expliquer l’importancede se laisseraller,denepas lutter contre lemalobscur.Maislafillenevoulaitpascomprendre.Ellepleuraitetdemandait,ellesuppliaitetpriaitunDieuenlequelelle-mêmen’avaitjamaiscruunseulinstant,saufpeut-êtrependantunecourtepériodedesonenfance.Maispourlapremièrefoisellesemitàespérers’êtretrompée,àespérerqu’ilexistaitvraimentunDieu.Sinon,quelleseraitlaviedelapetite,sansmèreetsansDieuversquisetourner?C’étaitpoursonenfantqu’elleavaitcédéàlapeur,qu’elles’yétaitlaisséecouler,etlamanièrederésister de la nouvelle venue commença à la mettre en colère. Encore et encore elle essayaitd’expliquerqueçaneservaitàrien,maislafillenevoulaitpasécouter.Ellen’allaitpastarderàluitransmettresonardeurbelliqueuse,etl’espoirseraitrapidementderetouretlarendraitvulnérable.
Elle entendit la trappe s’ouvrir et les pas s’approcher.Vivement elle repoussa la fille qui avaitposé sa tête sur sesgenoux.Peut-êtreaurait-ellede la chance,peut-être s’enprendrait-il à l’autreplutôtqu’àellecettefois-ci.
Lesilenceétaitassourdissant.LebavardagedeJennyquiremplissaitd’ordinairetoutl’espacedela
caravaneavait cessé. Ils étaient assis l’unen facede l’autre à lapetite table, chacunenfermédans sabulle.Chacunplongédanssonpropremondedesouvenirs.
Dix-septannéessedéroulaientdevantleursyeuxcommedansunfilm.Kerstinsentitlepoidsdupetitcorpsnouveau-nédeJennydanssesbras,qu’inconsciemmentelletenaitcommeunberceau.Lenourrissongrandissaitet,aveclerecul,c’étaitpassésivite.Tropvite.Pourquoiavaient-ilsgaspillétantdetempsprécieux dernièrement à se chamailler et se disputer ? Si elle avait su ce qui allait se produire, ellen’auraitpasditunseulmotdetraversàJenny.Assiselà,lecœurbrisé,ellesejuraquesitoutrentraitdansl’ordrejamaisplusellen’élèveraitlavoixcontresafille.
Boétaitlerefletduchaosquirégnaitenelle.Enquelquesjoursseulement,ilavaitprisunedizained’années et son visage s’était résigné et creusé de rides. Cette période aurait dû les rapprocher, ilsauraientdûs’épaulerl’unl’autre,maislaterreurlesparalysait.
SesmainssurlatableétaientagitéesdemouvementsinvolontairesetBolesjoignitdansunetentatived’arrêter les tremblements, mais les rouvrit aussitôt en se rendant compte qu’on pourrait croire qu’ilpriait. Il ne voulait pas faire appel aux puissances suprêmes. Cela l’obligerait à reconnaître ce qu’iln’osaitencoreaffronter.Ils’accrochaitauvainespoirquesafilleétaitseulementpartiepouruneaventureirréfléchie.Mais,danslefonddesonêtre,ilsavaitquetropdetempss’étaitécoulépourquecelasoitvraisemblable. Jenny était bien trop prudente, trop affectueuse pour leur causer sciemment une telleangoisse.Biensûrqu’ilsavaientconnudescrises, surtoutaucoursdesdeuxdernièresannées,mais ils’étaitquandmêmetoujourssentirassuréparlasoliditédeleursliens.Ilsavaitqu’ellelesaimaitetlaseule réponsepossibleàsonabsenceprolongéeétait terrifiante.Quelquechoseétaitarrivé.Quelqu’unavait faitdumalà leurJennyadorée. Il rompit lesilence.Savoixcédaet il futobligédese racler lagorgeavantdepouvoircontinuer.
—Tuveuxqu’onrappellelapolicepourvoirs’ilsontdunouveau?Kerstinsecoualatête.—Onadéjàappelédeuxfoisaujourd’hui.Ilsnoustiendrontaucourants’ilsapprennentquoiquece
soit.—Mais,merde,onnepeutpasrestercommeçasansrienfaire!Ilselevaavecbrusquerieetsecognalatêtedanslerangementau-dessus.—Putaiiiin, c’est troppetit ici !Pourquoion l’a forcéeàvenir avecnousdansce foutucamping,
alorsqu’ellen’enavaitpasenvie!Siseulementonl’avaitlaisséeavecsescopainsaulieudel’obligeràresterenferméeiciavecnousdanscecagibiàlacon!
Ils’enpritaurangementauquelils’étaitcognélatête.Kerstinlelaissafaireet,lorsquesacolèresetransformaenpleurs,elleselevasansunmotetleserradanssesbras.Ilsrestèrentlongtemps,longtempsensilence,enfinréunisdansleurterreuretdansundeuilqu’ilsavaientdéjàcommencéàanticiper,mêmes’ilsessayaientdes’accrocheràl’espoir.
Kerstinsentaitencorelepoidsdunourrissondanssesbras.Cettefois, lesoleilbrillait tandisqu’ilremontaitNorraHamngatan.Ilhésitaunesecondedevantla
porte.Mais le devoir prit le dessus et il frappa résolument deux coups. Personne n’ouvrit. Il essayaencoreunefois,avecencoreplusdedétermination.Toujourspasderéponse.Évidemment, ilauraitdûtéléphoneravantdevenir.MaisilavaitréagiimpulsivementlorsqueMartinétaitvenuluifairepartdecequelepèredeTanjaavaitraconté.Ilregardaautourdelui.Unefemmeétaitentraindes’occuperdesesplantesdevantlamaisonvoisine.
—Excusez-moi,vousnesauriezpasoùsontlesStruwer?Leurvoitureestlà,alorsj’aipenséqu’ilsétaientchezeux.
Elleinterrompitsonactivitéethochalatête.—Ilssontàlacabane.Ellepointalapetitepelledeplantationqu’elleavaitàlamainendirectionde
l’unedescabanesdepêcheursrougesdonnantsurlamer.Patrik la remerciaetdescenditunpetitescalierenpierrequimenaitaucabanon. IlaperçutGunen
maillotdeuxpiècesallongéedansunechaiselonguesurleponton,entraindecuireausoleil.Ilnotaquesoncorpsétaitaussibronzéquesonvisage,etaussifripé.Certainsn’avaientmanifestementrienàfairedurisquedecancerdelapeau.Ils’éclaircitlagorgepourattirersonattention.
—Bonjour, jesuisdésolédevousdérangercommeçaenpleinematinée,mais j’auraisvouluvousparler.
Patrikavaitadoptésontonformel,commetoujoursquandilavaitdetristesnouvellesàannoncer.Ildevait jouer son rôle de policier, oublier l’être humain, c’était la seule solution pour pouvoir ensuiterentrerchezluietdormirsursesdeuxoreilles.
—Oui,biensûr.Laréponseavait toutd’unequestion.Un instant, jevais justeallermecouvrirunpeu.
Patriks’assitdevantunetableenattendantetsepermitpendantunesecondedejouirdupaysage.Leport était plus vide que d’habitude,mais lamer scintillait et lesmouettes circulaient effrontément au-dessusdespontonsàlarecherchedenourriture.Celapritdutemps,maisGunfinitparsortirducabanon,elleavaitmisunshortetundébardeuretLarsétaitavecelle.IlsaluaPatrikd’uneminegraveets’installaàlatableavecsafemme.
—Qu’est-cequis’estpassé?VousavezattrapéceluiquiatuéSiv?LavoixdeGunétaitimpatiente.—Non,cen’estpaspourçaquejesuisici.Patrikfitunepauseetsoupesasesmots.Ilsetrouveque
cematinnousavonsparléaveclepèredelajeuneAllemandeassassinée.Denouveauunepause.Gunlevalessourcils.—Oui?PatrikprononçalenomdupèredeTanjaetilnefutpasdéçudelaréactiondeGun.Ellesursautaet
chercha sa respiration. Lars la regarda, perplexe, car il n’était pas suffisamment au courant pourcomprendrelelienentrecespersonnages.
—Mais,ça,c’estlepèredeMatilda.Qu’est-cequevousracontez?Matildaestmorte,non?C’était difficile de s’exprimer avec tact. Mais si on voulait voir les choses froidement, sa tâche
n’étaitpasd’êtrediplomate.Patrikdécidadetoutsimplementdirecequ’ilenétait.—Ellen’étaitpasmorte.Ilvousamenti.D’aprèscequ’ildit,ilavaitapparemmenttrouvéquevotre
demandedecompensationavait commencéàdevenirunpeu,commentdire,pénible.C’estpourquoi ilavaitinventéunehistoiredisantquevotrepetite-filleétaitmortedansunaccident.
—Maislafillequiestmorteicis’appelaitTanja,pasMatilda?demandaGun.—Apparemmentilenaprofitépourchangersonprénomaussi.Maisiln’yaaucundoute,Tanjaest
votrepetite-fille.Pourunefois,GunStruwerdemeuramuette.PuisPatrikvitqueçacommençaitàbouillonnerenelle.
Larsessayadeposerunemainsursonépaulepourlacalmer,maisellesedégagead’unesecousse.
—Maisilseprendpourqui,cesalaud!T’asentendu,Lars,ilestquandmêmegonflé!Ilm’amenti,iladitquemapetite-filleétaitmorte,lachairdemachair,qu’elleétaitmorte!Pendanttoutescesannées,elles’estportéecommeuncharme,alorsquemoij’aicruquemapauvrechérieétaitmorte,d’unemortatroce ! Et il a le culot de dire qu’il a fait ça parce qu’il me trouvait pénible, t’as entendu, Lars !Seulementparcequejedemandaismondû,etvoilàquejedevienspénible!
Encoreune fois,Lars essayade la calmer,mais elle se secouadenouveaupour se libérer de sonbras.Elleétaittellementhorsd’ellequedesbullesdesaliveseformaientauxcommissuresdeseslèvres.
—Jevaisluidirecequej’enpense,moi!Vousavezsonnumérodetéléphone,vousserezgentildemeledonner,merci,etilverradequelboisjemechauffe,cetenfoirédeChleuh,ilverracequejepensedetoutecettehistoire!
Intérieurement,Patrikpoussaunprofondsoupir.Ilpouvaitcomprendrequ’ellesoitrévoltée,maisellepassait d’après lui totalement à côté du point capital. Il la laissa se démener un moment, puis ditcalmement:
— Je comprends que ça peut être difficile à entendre,mais c’est bien votre petite-fille que nousavonstrouvéeassassinéeilyaunesemaine.EnmêmetempsqueSivetMona.Alors jesuisobligédevousdemander:n’avez-vouseuaucuncontactavecunefillequidisaits’appelerTanjaSchmidt?Ellen’apascherchéàvousjoindred’unefaçonoud’uneautre?
Gunsecouaviolemmentlatête,maisLarseutl’airpensif.Ilditlentement:—Onareçuplusieurscoupsdetéléphone,quelqu’unquisetaisaitauboutdufil.Tut’ensouviens,
n’est-cepas,Gun?C’étaitilyadeux,troissemainesetonacruquec’étaitquelqu’unquivoulaitnousharceler.Vouspensezquec’étaitpeut-être…?
—C’esttrèspossible.Patrikhochalatête.Sonpèreluiatoutavouéilyadeuxans,etelleasansdoute trouvé qu’après ça il était difficile de prendre contact avec vous. Elle est aussi allée à labibliothèquefairedescopiesdesarticlessurladisparitiondesamère,etonpeutimaginerqu’elleétaitvenueicipouressayerd’apprendreexactementcequiluiétaitarrivé.
—Mon pauvre petit cœur. Gun venait de comprendre ce qu’on attendait d’elle et maintenant leslarmesdecrocodilecoulaientàflots.Direquemapetitechérieétaitenvie,qu’elleétaitlà,toutprèsdenous.Siseulementonavaitpularencontreravant…Maisquiest-cequimefaitçaàmoi?D’abordSivetensuitema petiteMatilda.Une pensée la frappa subitement.Vous pensez que je suis en danger ?Quequelqu’unchercheàm’atteindre?Est-ceque j’aibesoind’uneprotectionpolicière?LesyeuxdeGunerraiententrePatriketLars,désorientés.
—Jenepensepasquecesoitnécessaire.Nousnepensonspasquelesmeurtresaientunlienavecvousenquoiquecesoit,etjenem’inquiéteraispassij’étaisvous.Patriknesutrésisteràlatentation:Deplus,l’assassinsembleseconcentrersurdesfemmesjeunes.
Ilregrettaimmédiatementetselevapourmarquerquel’entretienétaitterminé.— Je suis vraiment désolé de vous apporter de telles nouvelles. Mais je vous serais très
reconnaissant de m’appeler si vous vous rappelez autre chose. Pour commencer, on va vérifier cettehistoired’appelstéléphoniques.
Avantdepartir,iljetaunderniercoupd’œilenvieuxsurlamer.GunStruwerétaitlapreuvecriantequelesbonneschosesn’arriventpasseulementàceuxquilesméritent.
—Qu’est-cequ’elleadit?Martin prenait un café avec Patrik dans la cuisine du poste. Comme d’habitude, la cafetière était
restéealluméetroplongtemps,maisilss’étaientfaitaugoûtderéchaufféetilsl’avalèrentsansproblème.—Cen’estpasbiendedireça,maismerde,quelleconne,cettefemme.Cequil’aleplusrévoltée,ce
n’estpasd’avoirratétantd’annéesdelaviedesapetite-fille,oudesavoirqu’elleaétéassassinée.Non,
elleétaitulcéréequelepèreaittrouvéunemanièresiefficacedeluisucrersondédommagement.—C’estvraimentincroyable.Ilsméditaient lamesquinerie de l’être humain dans une atmosphère d’abattement.Le commissariat
était remarquablementsilencieux.Mellbergnes’étaitpasencoremontré, il semblait s’offrirunebonnegrassematinée,etGöstaetErnstétaientpartisàlachasseauxpiratesdelaroute.Oupourledireplusclairement,ilss’offraientunepausequelquepartsuruneairedestationnementenespérantquelespiratesallaientvenirseprésenteretdemanderàêtreemmenésautrou.«Dutravailpréventif»,disaient-ils.Etils n’avaient pas entièrement tort.Aumoins le parking où ils se trouvaient était-il sécurisé tant qu’ilsrestaientgaréslà.
—Qu’est-cequetucroisqu’elleétaitvenuechercherici?Ellen’aquandmêmepasvoulujouerlesdétectivesetessayerdetrouvercequiétaitarrivéàsamère?
Patriksecoualatête.—Non,jenepensepas.Maisjepeuxconcevoirqu’elleaiteuenviedesavoircequis’étaitpassé.
Ellevoulaitpeut-êtrevoirdesespropresyeux.Tôtoutard,elleauraitprobablementpriscontactaveclagrand-mère. Mais j’imagine que la description qu’en avait faite son père n’était pas spécialementflatteuse,etjecomprendsqu’elleaithésité.QuandonauralesrelevéstéléphoniquesdesStruwer,jeneseraispasétonnéqu’ondécouvreque lesappelsenquestionontétépassésd’unecabineàFjällbacka,pourquoipasdecelleducamping?
—Mais comment ça se fait qu’elle s’est retrouvéedans labrècheduRoi enmême tempsque lesrestesdesamèreetdeMonaThernblad?
—Toutes les hypothèses se valent sans doute,mais la seule chose que j’arrive à imaginer, c’estqu’elleadû tombersurquelquechose,ouplusexactementsurquelqu’unquiétaitmêléd’unefaçonoud’uneautreàladisparitiondesamèreetdeMona.
—Si c’est ça, ça élimine automatiquement Johannes, ditMartin.Lui, il est bien à l’abri dans unetombeaucimetièredeFjällbacka.
Patriklevalesyeux.—Qu’est-cequ’onensait?Est-cequ’onpeutêtresûr,absolumentsûr,qu’ilestréellementmort?—Turigoles?Martinrit.Ils’estpenduen1979.Difficiled’êtreplusmortqueça!UnecertaineexcitationseglissadanslavoixdePatrik.—Jesaisqueçapeutparaîtreincroyable,maisécouteça:Imaginequelapoliceavaitcommencéà
s’approcherunpeutropdelavérité,etqueçasentaitleroussipourlui.C’estunHult,etilsaitmobiliserdegrossessommesd’argent,neserait-cequeparlebiaisdesonpère.Quelquespots-de-vinpar-ci,par-là,etvoilàcommentonseretrouveavecunfauxcertificatdedécèsetuncercueilvide.
Martinpartitd’ungrandéclatderire.—Maparole, tuescomplètement siphonné !OnestàFjällbacka,pasdans leChicagodesannées
1920!Tuessûrquetun’espasrestéunpeutroplongtempssurleurponton,àcroirequetuasattrapéuneinsolation.C’estsonfilsquil’aretrouvé!Commentpourrait-onpousserunenfantdesixansàraconterdetelsmensonges?
—Jen’ensaisrien,maisj’ail’intentiondeletrouver.Tuviensavecmoi?—Tuvasoù?Patriklevalesyeuxaucieletarticulaavecunsoinexagéré.—CauserunpeuavecRobert.—Commesionn’étaitpassuffisammentdébordéscommeça,soupiraMartintoutenselevant.Àla
porte,ilserappelaquelquechose.Etl’engrais?J’avaisl’intentiondem’enoccupermaintenantavantledéjeuner.
—DemandeàAnnikadelefaire,lançaPatrikpar-dessusl’épaule.Martins’arrêtaàl’accueiletlaissatouslesrenseignementsnécessairesàAnnika.C’étaitassezcalme
àsonposteetellefutcontented’avoirquelquechosedeconcretàfaire.Martinsedemandaits’ilsnegaspillaientpasun tempsprécieux.L’hypothèsedePatrik luisemblait
vraiment tiréepar les cheveux, trop farfeluepour avoirunancragedans la réalité.Mais c’était lui, leboss,danscetteaffaire…
Annika se jeta sur sa tâche.Elle avait euquelques journées fébriles, puisque c’était elle qui avait
coordonnéetorganisélesbattuespourretrouverJenny.Maislecalmeétaitrevenumaintenant,aprèstroisjoursderecherchesinfructueuses,etcommelamajoritédestouristesavaitquittélarégionenraisondesévénementsdecettedernièresemaine,lestandardducommissariatobservaitunsilencelugubre.Mêmelesjournalistesavaientcommencéàsedésintéresserdel’affaireauprofitd’autresfaitsdiversracoleurs.
Elle regarda le bout de papier où elle avait noté les informations de Martin, puis chercha dansl’annuaire.Aprèsavoirétébaladéeparmilesdifférentsservicesdel’entreprise,ellefinitparobtenirlenomduchefdesventes.Onlamitenattenteettandisquelamusiqued’ambiancesedéversaitdanssonoreille, elle semit à rêver à la semaine passée en Grèce, qui semblait à présent infiniment loin. Enrentrant, elle s’était sentie reposée, forte et belle. Mais elle avait rapidement été happée parl’effervescenceducommissariatetleseffetsdesvacancess’étaientdéjàestompés.Avecnostalgie,ellerevoyait les plages de sable blanc, l’eau turquoise et de grands bols de tzatziki. La divine nourritureméditerranéenneleuravaitfaitprendredeuxbonskilos,àsonmarietelle,maiscen’étaitpasgrave.Ilsacceptaient leurs rondeurs commeune réalité de la vie et vivaient dans une indifférence heureuse auxconseilsderégimesdesmagazines.Quandilsseserraientl’uncontrel’autre, leursformess’adaptaientparfaitementetilsdevenaientunegrandeetchaudevaguedechairondoyante.Etilsnes’enétaientpasprivéspendantleursemainedevacances…
Lessouvenirsd’Annikafurentbrutalementinterrompusparunevoixmasculinemélodieuse,àl’accenttypiquedeLysekilplusausudsurlacôte.OnracontaitquecertainssnobsdeStockholmimitaientcetteprononciationsiparticulièredesiparcequ’ilsvoulaientmontrerqu’ilsétaientassezfortunéspouravoirunemaisondecampagnesurlacôteouest.Ellenesavaitpasdansquellemesurecetteaffirmationétaitvraie,maisl’histoireétaitsavoureuse.
Annikaannonçacequ’elleavaitsurlecœur.—Oh,c’estexcitant,fitl’homme.Uneenquêtedemeurtre.Entrenteansdemétier,c’estlapremière
foisquej’aiàmerendreutilepourcegenredechose.Je suis contente d’égayer ta journée, pensa Annika vertement, mais elle garda pour elle son
commentaire,cen’étaitpaslemomentderefrénersonardeuràluifournirdesinformations.Parfois, lasoifdesensationneldel’hommedelaruetouchaitàlamorbidité.
—Onauraitbesoinquevousnoussortiezlalistedesclientsquiontachetévotreengrais,leFZ-302.—Aïe,çanevapasêtrefacile.Onacessédelecommercialiseren1985.C’étaitunproduitsuper,
mais la nouvelle réglementation sur l’environnement nous a obligés à arrêter la production.Malheureusement,soupiralourdementlechefdesventes,commes’ilregrettaitquelesoucidepréserverlanaturesoitvenumettreuntermeàlavented’unproduitquimarchaitbien.
—Maisj’imaginequ’ilvousresteungenrededocument?tentaAnnika.—Oui, ilmefautvérifieravecl’administration, ilestfortprobablequ’ilrestequelquechosedans
lesvieillesarchives.Jusqu’en1987onarchivaittoutmanuellement,maisensuiteonaétéinformatisés.Etjenepensepasqu’onaitjetéquoiquecesoit.
—Vousnevousrappelezpasparhasardquiachetait…–ellevérifiasursonpapier–votreproduitFZ-302icidanslarégion?
—Ohnon,çafaittroplongtemps,j’aidumalàm’ensouvenircommeça,debutenblanc.Beaucoupd’eauacoulésouslespontsdepuis.
—Bon,jen’imaginaispasnonplusqueçaseraitaussifacile.Combiendetempsilvousfaudrapourtrouvercetteliste?
Ilréfléchituninstant.—Ben,sijepassevoirlesfillesàl’administrationavecungâteauetquelquescompliments,jepense
quevousaurezuneréponseenfindejournéeouauplustardtôtdemainmatin.Est-cequeçaira?C’étaitplusrapidequecequ’Annikaavaitoséespérerquandilavaitévoquédevieillesarchives,et
ellel’enremercia.Ellerésumasonappelàl’attentiondeMartinetlaissalanotesursonbureau.—Hé,Gösta?—Oui,Ernst.—Elleestpasmallavie,toutcomptefait,non?Ils étaient assis autour d’une des tables de pique-nique d’une petite aire de stationnement près de
Tanumshede. Ilsn’étaientpasdesamateursdanscedomaine,et ilsavaienteu laprévoyancedepasserprendre un thermos de café chez Ernst et d’acheter un gros sachet de brioches à la boulangerie deTanumshede.Ernstavaitdéboutonnésachemised’uniformeetexposaitausoleil sapoitrineblancheetcreuse.Ducoindel’œil il louchaitsurunebandedefillesd’unevingtained’annéesquisedéfoulaientavecforcecrisetéclatsderire.
—Tais-toi donc et boutonne ta chemise.Tuvois le topo si un collèguepassait ?Onest supposésavoirl’airdetravailler.
Gösta transpirait dans son uniforme. Il n’avait pas l’audace d’Ernst pour mépriser comme lui lerèglementetn’osaitpasouvrirsachemise.
—Hé,lâche-toiunpeu.Ilssonttousentrainderechercherlameufquiadisparu.Toutlemondesefoutbiendecequ’onfait.
Göstas’assombrit.—Elle s’appelle JennyMöller. Pas « lameuf ». Et on devrait y être aussi d’ailleurs, au lieu de
reluquerdesfillescommedevieuxpédophileslubriques.Ilhochalatêteendirectiondesfillespeuvêtuesquelquestablesplusloin,dontErnstsemblaitavoir
dumalàdétacherleregard.—Putainalors,cequet’esdevenuvertueux.D’habitudetuteplainspasquandjetesorsdelamine.
Medispasquetuasvirécroyantsurtesvieuxjours?Ernsttournaleregardverslui,sesyeuxs’étaientétrécisendeuxfentesinquiétantes.Göstasefitplus
petit.C’étaitpeut-êtreuneconnerie,cegenredecommentaires.Ilavaittoujourseuunpeupeurd’Ernst.Illui rappelait trop lesmecsde l’écolequi l’attendaientà la sortiedescours. Ilsavaienteu lenezpoursentirsesfaiblessesettirerprofitsansscrupuledeleursupériorité.GöstaavaitdéjàvucequiarrivaitàceuxquiserebiffaientcontreErnst,etilregrettasesparoles.Ilmarmonnaquelquechoseenréponse.
—Bah,jemesuislaisséemporter.C’estsimplementquej’aidelacompassionpoursesparents.Ellen’aquedix-septans,lamôme.
—Detoutefaçon,aucommissariatilsneveulentpasdenotreaide.MellbergnefaitquelécherleculàceconnarddeHedström,vasavoirpourquoi,alorsjen’aipasl’intentiondefairedesputainsd’effortsinutilement.
Ilparlait surun ton tellement fortet fielleuxque les filles se retournèrentpour les regarder.Göstan’osapaslefairetairemaisilbaissalui-mêmelavoixenespérantqu’Ernstsuivraitsonexemple.Ilnes’aventurapasàdireàquiétaitlafautes’ilneparticipaitpasàl’enquête.ErnstavaittrèsàpropospassésoussilencesanégligencederapporterladisparitiondeTanja.
—Moi,jetrouvequeHedströmfaitdubonboulot.Molinaussiatravaillédur.Etilfautbienledire,moijen’aipascontribuéautantquej’auraisdû.
Ernsteutl’airdenepasencroiresesoreilles.—C’est quoi ces conneries, Flygare ! T’es en train de prétendre que deux gamins qui n’ont pas
l’ombredenotreexpérienceseraientcapablesdefaireunmeilleurboulotquenous?Quoi?C’estçaquet’esentraindedire,ducon!
Si Gösta avait réfléchi un peu avant de parler, il aurait sûrement pu prévoir l’effet que soncommentaireallaitavoirsurl’egoblesséd’Ernst.Maintenantilluifallaitfairemarchearrièreillico.
—Ben, cen’est pas exactement ceque jevoulais dire. J’ai seulementdit que…non, évidemmentqu’ilsn’ontpasnotreexpérience.Etilsn’ontpasvraimenteuderésultatsencore,alors…
—Exactement, renchérit Ernst, plus satisfait. Ils n’ont pas su démontrer quoi que ce soit encore,alors…
Soulagé, Gösta put souffler. Son désir de faire preuve d’un peu de force de caractère s’étaitrapidementenvolé.
—Bon,qu’est-cequet’endis,Flygare?Onseprendunautrep’titcafé?Göstahochaseulementlatête.Celafaisaittellementlongtempsqu’ilvivaitsouslaloidelamoindre
résistancequec’étaitdevenuunesecondenaturechezlui.Martin regardaaveccuriositéautourde luiquand ils s’arrêtèrentdevant lapetitemaison. Iln’était
jamaisalléchezSolveigetsesfilsauparavant,etilcontemplalecapharnaümavecfascination.—Commentest-cequ’onpeutvivrecommeça?IlsdescendirentdelavoitureetPatrikécartalesbras.—Oui,çadépassemonentendement.Lesdoigtsmedémangentdemettreunpeud’ordreici.Ilsfrappèrentetdespastraînantssefirententendre.Solveigétaitprobablementàsaplacehabituelle
àlatabledelacuisineetellenesepressaitabsolumentpaspourvenirouvrir.—C’estquoiencore?Pouvezpaslaisserleshonnêtesgenstranquilles?MartinetPatrikéchangèrentunregard.LesparolesdeSolveigétaientcontreditesparlalongueurdu
casierjudiciairedechacundesesfils.—Onvoudraitvousparlerunpeu.EtàJohanetRobertaussi,s’ilssontlà.—Ilsdorment.Demauvaisegrâce,elles’écartapourleslaisserentrer.Martinn’arrivapasàdissimulerunegrimace
dedégoûtetPatrik luidonnauncoupdecoude. Il secomposarapidementunvisageet suivitPatriketSolveigdanslacuisine.Elleleslaissapourallerréveillersesfils,qui,exactementcommeellel’avaitdit,dormaientdansleurchambrecommune:
— Debout les gars, les flics sont encore venus fouiner. Quelques questions, à ce qu’ils disent.Magnez-vous,commeçaonpourralesmettreàlaportevitefait.
Elle se souciait commed’uneguignede savoir siPatrik etMartin entendaient ce qu’elle disait, etrevint calmement dans la cuisine s’asseoir à sa place. Encore à moitié endormis, Johan et Robertarrivèrentenslip.
—C’est quoi ce harcèlement ? Vous allez nous casser les couilles comme ça pendant longtemps
encore?Robertétaittrèscool,commed’habitude.Johanlescontemplaparendessousettenditlamainpour
attraper le paquet de cigarettes sur la table. Il en alluma une et jongla nerveusement avec le paquetjusqu’àcequeRobertluicrached’arrêter.
MartinsedemandacommentPatrikallaitabordercettequestionsensible.Ilétaittoujoursconvaincuqu’ils’étaitlancédansuncombatcontredesmoulinsàvent.
—Nousavonsquelquesquestionsconcernantlamortdevotremari.SolveigetsesfilsregardèrentPatrikaveclaplusgrandesurprise.—LamortdeJohannes?Pourquoi?Ils’estpenduetiln’yapasgrand-chosed’autreàendire,àpart
quec’étaientdesgenscommevousquil’yontpoussé!Énervé,Robertessayadefairetairesamère.IlregardaPatrikd’unœilfuribond.—Qu’est-cequetucherches là?Ellearaison,mamère.Ils’estpenduetc’est toutcequ’ilyaà
dire.—Nousvoulonssimplementquetoutsoitabsolumentclair.C’esttoiquil’astrouvé?Robertfitouidelatête.—Oui,etc’estunevisionquejetrimballeraitoutemavie.—Est-cequetupourraisraconterexactementcequis’estpassé,cejour-là?—Jecomprendsvraimentpaspourquoi,fitRobert,bourru.— J’apprécierais quand même que tu le fasses, dit Patrik en essayant de l’amadouer. Après un
momentd’attente,ileutunhaussementd’épaulesindifférent.—Bon,sic’estlegenredechosesquitefaitbander…Commesonfrère,ilallumaunecigaretteetlafuméecommençaàenvahirlapetitecuisine.—J’étaisrentrédel’écoleetjesuissortidanslacourpourjouer.J’aivuquelaportedelagrange
étaitouverte,çam’aintriguéetjesuisallévérifier.Commetoujours,ilfaisaitassezsombrededans,laseulelumièreétaitcellequipassaitparlesplanchesdesmurs.Çasentaitlefoin.
Robertsemblaitavoirdisparudanssonmonde.Ilpoursuivit,enhésitant:—Ilyavaitquelquechosequiclochait.Jen’arrivepastropàledécrire,maisj’aisentiquequelque
choseétaitdifférent.Johan contempla son frère, fasciné. Martin eut l’impression que c’était la première fois qu’il
entendaitlerécitdétaillédujouroùsonpères’étaitpendu.— J’ai avancé encore un peu plus loin, poursuivit Robert. Je faisais semblant d’être sur la trace
d’Indiens.Toutdoucementjemesuisdirigéverslegrenieràfoinetlàj’aivuqu’ilyavaitquelquechosepar terre. Jemesuisapproché.C’étaitpapaet j’ai été toutcontent. J’ai cruquec’étaitun jeu.Que jedevaism’approcherdeluietqu’ilallaitsautersursespiedsetcommenceràmechatouillerouuntruccommeça.Robertavala.Mais ilnebougeaitpas.Je l’ai touchéunpeuavec lepied,mais ilétait toutimmobile.Puis j’aivuqu’ilavaitunecordeautourducou.J’ai levélesyeuxet j’aivuqu’ilrestaitunboutdecordeautourdelapoutre.
Lamainquitenaitlacigarettetremblait.MartinjetaunregardprudentsurPatrikpourvoircommentilréagissaitàcerécit.Pourlui,Robertn’inventaitpas.SadouleurétaittellementtangiblequeMartineutl’impressionqu’ilpourraitlatoucher.Ilvitquesoncollèguepensaitlamêmechose.Découragé,Patrikdemanda:
—Qu’est-cequetuasfaitensuite?Robertsoufflaunronddefuméeenl’airetleregardas’effaceretdisparaître.—Je suis allé cherchermaman,évidemment.Elle estvenuevoir, elle ahurléàme fairepéter les
tympansetensuiteelleaappelégrand-père.
Patriktiqua:—Paslapolice?—Non,j’aiappeléEphraïm,ditSolveigengrattantnerveusementlanappe.C’estlapremièrechose
quim’estvenueàl’esprit.—Lapolicen’estjamaisvenueici?—Non,Ephraïms’estoccupédetout.IlaappeléleDrHammarströmquiétaitlemédecindedistrict
àcetteépoque-là.IlestvenuexaminerJohannes,puisilaétabliuncertificatsurlacausedelamort,jenesaispascommentças’appelledéjà,etilaveilléàcequelespompesfunèbresviennentlechercher.
—Maisaucunpolicier?insistaPatrik.—Non,jeviensdeledire.Ephraïms’estoccupédetoutça.LeDrHammarströmasûrementparlé
aveclapolice,maisilsnesontjamaisvenusvoiricientoutcas.Pourquoiilsauraientfaitça?C’étaitunsuicide!
Patriknesedonnapaslapeined’expliquerqu’ilfauttoujoursfairevenirlapolicesurleslieuxd’unsuicide.EphraïmHultetceDrHammarströmavaientapparemmentdécidédeleurpropreinitiativedenepascontacterlapoliceavantquelecorpssoitemporté.Laquestionétaitdesavoirpourquoi.Entoutcas,ilseurentlesentimentqu’ilsn’iraientpasplusloinqueça.MaisMartineutuneinspiration:
—Vousn’avezpasvuunefemmedanslesecteur?Vingt-cinqans,brune,taillemoyenne.Robertrit.Plusaucunetracedutonsérieuxquesavoixavaitprisavant.—Vulenombredenanasquipassentici,faudraitêtreunpeuplusprécis.Johanlesobservaattentivement.IlditàRobert:—Tul’asvueenphoto.Ilveutparlerdelananadanslejournal.L’Allemandequ’ilsonttrouvéeavec
lesdeuxautres.Solveigeutuneréactionexplosive.—C’est quoi ces insinuations à la con?Pourquoivoulez-vousqu’elle soit venue ici ?Vous avez
l’intentiondenoustraînerdanslaboueencore?D’abordvousaccusezJohannesetmaintenantvousvenezposerdesquestionsquimettentencausemesfils!Sortezd’ici!Jeneveuxplusvousvoir!Allezvousfairefoutre!
Elles’étaitlevéeetlesmitlittéralementàlaporteenlespoussantdesoncorpsvolumineux.Robertrit,maisJohaneutl’airpensif.
QuandSolveigrevint,essoufflée,aprèsavoirclaquélaportedetoutessesforcesderrièreMartinetPatrik, Johan retournadans la chambre sans unmot. Il tira la couverture sur sa tête et fit semblant dedormir.Ilavaitbesoinderéfléchir.
Sans poser de questions, Gustav avait été d’accord pour appareiller rapidement et il la laissait
tranquilleàl’avant,lesbrasserrésautourdesesgenoux.Ilavaitacceptésesexcusesavecuneaurademagnanimité et promis de les amener, elle et les enfants, à bord du grand voilier luxueux, jusqu’àStrömstad,d’oùilspourraientprendreletrainpourrentreràStockholm.Annasesentaitmisérable.
Toute savien’étaitqu’un foutuchaos.L’injusticedesparolesd’Erica lui fitmonterdes larmesdecolère, à laquelle se mêlait la tristesse suscitée par ces éternels conflits entre elles. Tout était sicompliquéavecErica.Ellenepouvaitjamaissecontenterd’êtrejusteunegrandesœur,deseulementlasouteniret l’encourager.Non,desonproprechef,elleavaitadoptélerôledemamansanscomprendrequecelanefaisaitqu’augmenterleregretd’avoireuunemèreaussidistante.
ContrairementàErica,Annan’avait jamaisblâméElsypour l’indifférencequ’elle témoignaitàsesfilles.Entoutcas,elleavaittoujourscruprendrecelaavecphilosophie.Maisàlamortdesesparents,
disparus dans un accident de voiture, elle avait réalisé qu’elle avait tout le temps espéré voir Elsys’adouciretfinirparacceptersonrôledemère.CelaauraitpermisaussiàEricaden’êtrequ’unesœur.Maislamortdeleurmèrelesavaitpiégéesdansleurspersonnagesetaucunedesdeuxnesavaitcomments’en défaire. Des périodes d’une paix tacite étaient immanquablement remplacées par des guerres deposition,etchaquefoisunepartiedesonâmeétaitdéchirée.
Enmêmetemps,Ericaetlesenfantsétaienttoutcequiluirestaitmaintenant.Mêmesiellen’avaitpasvoululereconnaîtredevantErica,ellevoyaitbienGustavtelqu’ilétait,superficieletgâté.Pourtant,ellen’avait pas su résister à la tentation, c’était unbaumepour la confiance en soi de semontrer avecunhommecomme lui.Àsonbras,elledevenaitvisible.Lesgenschuchotaientet sedemandaientquielleétaitetlesfemmesregardaientavecenvielesbeauxvêtementsdemarquedontGustavlacouvrait.Mêmesur l’eau, lesplaisanciers se retournaientpouradmirer lemagnifiquevoilier, et elleavait ressentiunefiertéidioteàêtreallongéesurlepontdansuneposedécorative.
Pourtant, dans ses moments de lucidité, elle avait honte en réalisant que c’étaient les enfants quipayaientlesfraisdesonbesoind’affirmation.Ilsavaientétésuffisammentmalmenéspendantlesannéesavecleurpèreet,mêmeaveclameilleurevolontédumonde,AnnanepouvaitpasaffirmerqueGustavétaitunbonsubstitut.Ilétaitfroid,maladroitetimpatientaveclesenfantsetellehésitaitàlelaisserseulaveceux.
Parfois,elleétaittellementjaloused’Ericaqueçaluidonnaitdesnausées.Alorsqu’elle-mêmeétaitaubeaumilieud’unelutteavecLucaspourlagardedesenfants,qu’elleavaitdumalàjoindrelesdeuxbouts et qu’elle entretenait une relation amoureuse qui sonnait creux, il fallait avoir l’honnêteté dereconnaîtrequ’Ericaavaittoutd’uneMadoneenceinte.L’hommequ’Ericaavaitchoisicommepèrepourson enfant était exactement le type d’homme qu’il fallait àAnna pour être heureuse,mais que par uncomportement innéd’autodestructionelle rejetaitchaquefois.Lefaitaussiqu’Erican’avaitplusaucunsouci financier et qu’elle jouissait d’une certaine célébrité ravivait la rivalité entre elles et faisait sepointerlespetitsdémonsdelajalousie.Annanevoulaitpasêtreaussimesquine,maisilétaitdifficilederésisteràl’amertumequandellevoyaitsapropreviepeinteexclusivementengris.
LescrisexcitésdesenfantssuivisparunhurlementdeGustavl’arrachèrentàsonauto-apitoiementetellerevintà laréalité.Elleserralavestedequartplusprèsdesoncorpsetretournavers l’arrièredubateauenlongeant lafilièredesécurité.Aprèsavoircalmélesenfants,ellepritsurelled’adresserunsourireàGustav.Mêmesilejeuétaitminable,ilfallaitjoueraveclescartesqu’onavaitenmain.
Commetantdefoisauparavantcesdernierstemps,elleerraitsansbutdanslagrandemaison.Gabriel
étaitpartipourencoreunautredesesvoyagesd’affairesetelleétaitseule.LarencontreavecSolveigluiavaitlaisséunsalegoûtdanslabouche,etl’étatdésespérédelasituationlafrappaencore.Jamaiselleneseraitlibre.LemondecrasseuxettordudeSolveigcollaitàellecommeunemauvaiseodeur.
Elles’arrêtadevantl’escalierquimenaitàl’étagedel’ailegauche.L’étaged’Ephraïm.Lainin’yétaitpas montée depuis qu’Ephraïm était mort. De son vivant, elle n’y allait guère non plus. Cela avaittoujours été le domaine de Jacob, et exceptionnellement de Gabriel. Là-haut, Ephraïm recevait leshommesenaudience,commeunseigneurféodal.Danssonmonde,lesfemmesn’étaientquedesombres,dontlatâcheétaitdeplaireetdes’occuperduservice.
D’un pas hésitant, elle grimpa l’escalier. Elle marqua un arrêt devant la porte, puis l’ouvritrésolument.Toutyétaitcommedanssessouvenirs.Uneodeurmasculineflottaittoujoursdanslespiècessilencieuses.C’était ici que son fils avait passé tant d’heures de son enfance.Elle avait été tellementjalouse.Ni elle niGabriel n’avaient réussi à soutenir la comparaison avec grand-pèreEphraïm. Pour
Jacob, ils n’étaient que desmortels ordinaires et ternes, alors qu’Ephraïm avait le statut de divinité.Quandilétaitmortbrutalement, lastupeuravaitétélapremièreréactiondeJacob.Ephraïmnepouvaitquand même pas simplement disparaître comme ça, du jour au lendemain. Il avait été une forteresseimprenable,unfaitétablietinébranlable.
Elleenavaithonte,maisàsamortlesoulagementavaitétésonpremiersentiment.Etaussiunesortedejoietriomphaledevoirquesonbeau-pèren’avaitpassuvaincrelesloisdelanature.IlétaitarrivéàLainid’endouterparfois.L’hommesemblaitsicertaindepouvoirmanipuleretinfluencerDieului-même.
Sonfauteuilétaittoujoursdevantlafenêtre,avecvuesurlaforêt.ToutcommeJacob,ellenerésistapas à la tentation de s’y asseoir et, pendant un bref instant, elle eut l’impression de sentir l’espritd’Ephraïmdanslapièce.Pensivement,ellelaissasesdoigtscourirsurlesdessinsdutissu.
LeshistoiressurlesdonsdeguérisonquepossédaientGabrieletJohannesavaientinfluencéJacob.Elle n’avait pas aimé cela. Parfois il revenait avec une expression proche de la transe.Ça lui faisaittoujourspeur.Alorselleleprenaitdanssesbras,fort,etserraitlatêtedesonfilscontreellejusqu’àcequ’ellelesentesedétendre.Quandellelerelâchait,toutétaitredevenunormal.Jusqu’àlafoissuivante.
Maislevieuxétaitmortetenterrédepuislongtemps.Heureusement.—Tupensesréellementqu’elletientlaroute,tathéorie?QueJohannesn’estpasmort?—Jene saispas,Martin.Mais, encemoment, je suisprêt à saisir tous les fétusdepailleque je
trouve.Admetsquandmêmequec’estunpeubizarrequelapolicen’aitjamaispuvoirJohannessurlelieudusuicide.
—Oui,biensûr,maisçavoudraitdirequelemédecinetlecroque-mortétaientdemèche,ditMartin.—Cen’est pas si farfeluque ça.Rappelle-toi qu’Ephraïmétait unhomme très fortuné.L’argent a
déjàachetédesservicesplusimportantsqueça.Jeneseraispasétonnénonpluss’ilsseconnaissaientplutôt bien. Des hommes en vue dans le village, sûrement actifs dans la vie associative, Lions, clubcitoyen,etcegenredetruc.
—Maisdelààaiderquelqu’unsoupçonnédemeurtre?—Passoupçonnédemeurtre,soupçonnéd’enlèvement.D’aprèscequej’aicompris,EphraïmHult
étaitégalementunhommetrèshabile.Illesapeut-êtrepersuadésqueJohannesétaitinnocent,maisquelapolicecherchaitàlecoinceretquec’étaitlaseulefaçondelesauver.
—Enfin,quandmême.TucroisqueJohannesauraitabandonnésafamilledecettefaçon?Deuxfilsenbasâge?
—N’oubliepascommentJohannesaétédécritentantqu’individu.Unjoueur,unhommequisuivaittoujourslaloidelaparesse.Quinesesouciaitpastropdesrèglesnidesengagements.S’ilyaquelqu’unqui aurait été prêt à sauver sa propre peau aux dépens de sa famille, c’est bien Johannes. C’estexactementlui!
Martinétaittoujourssceptique.—Maisoùilseraitallépendanttoutescesannéesalors?PatrikregardaattentivementdanslesdeuxdirectionsavantdeprendreàgaucheversTanumshede.Il
dit:—Àl’étrangerpeut-être.Lespochespleinesdufricdepapa.Tunesemblespastrèsconvaincuparla
pertinencedemathéorie?—Non, c’est lemoinsqu’onpuissedire.Martin rit.Àmonavis, tu es complètement à côtéde la
plaque,mais d’un autre côté jusqu’ici rien dans cette affaire n’a été vraiment normal, alors pourquoipas?
Patrikredevintsérieux.—Jevois tout le tempsJennyMöllerdevantmoi.Retenueparquelqu’unqui la tortureau-delàde
l’imaginable.C’estpourellequej’essaiedesortirdessentiersbattusetdepenserdifféremment.Onnepeutpassepermettred’êtreaussiconformistesqued’habitude.Onn’apasassezdetempspourça.Ilfautqu’onenvisagemêmel’impossible.Ilsepeut,c’estmêmeprobable,quecenesoitqu’unelubieabsurdedemapart,maisiln’yarienquimeprouvelecontraire,etjedoisàlapetiteMöllerdelevérifier,mêmesiçameferapasserpourunbarjototal.
MartincomprenaitunpeumieuxleraisonnementdePatrik.Etilétaitmêmeenclinàreconnaîtrequ’ilavaitpeut-êtreraison.
—Maiscommentest-ceque tuvaspouvoir imposeruneexhumation surdesbasesaussi floues, etaussivite?
Patrikpritunairconvaincupourrépondre:—Del’obstination,Martin,del’obstination.Ils furent interrompus par la sonnerie de son portable. Il répondit uniquement parmonosyllabes et
Martin essayait de deviner le sujet de la conversation. Après une minute seulement, Patrik reposal’appareil.
—C’étaitqui?—C’étaitAnnika.Lelaboaappeléausujetdel’échantillond’ADNqu’onaprissurMårtenFrisk.—Oui?Martinretintsarespiration.Ilsouhaitaitdetoutsoncœurqu’ilssesoienttrompés.Quece
soitl’assassindeTanjaqu’ilsavaientderrièrelesbarreaux.—Çanecorrespondpas.Lespermequ’onatrouvésurTanjanevientpasdeMårtenFrisk.Martinréalisaqu’ilavaitretenusonsouffleetilexpiralentementl’airdesespoumons.—Merdealors.Maiscen’estpasvraimentunesurprise,n’est-cepas?—Non,maisonpouvaittoujoursespérer.Ils observèrent un silence maussade un moment. Puis Patrik laissa échapper un profond soupir,
comme pour rassembler ses forces devant la tâche qui se dressait devant eux telle une montagnegigantesque.
—Bon,alorsilneresteplusqu’àobtenircetteexhumationenuntempsrecord.Patrik prit son téléphone portable et s’exécuta. Il allait falloir être plus persuasif qu’il ne l’avait
jamaisétédanssacarrière,alorsqu’iln’étaitpasdutoutsûrdelui,loins’enfallait.Lemorald’Ericaétaitauplusbas.L’inactivitélafaisaiterrersansbutdanslamaison,ramassantun
truc par-ci, arrangeant un truc par-là. La dispute qu’elle avait eue avecAnna couvait dans son espritcommeunegueuledeboisetdégradaitencoredavantagesonhumeur.Deplus,elles’apitoyaitunpeusurelle-même. D’accord, en un certain sens elle avait approuvé que Patrik retourne travailler, mais ellen’avait pas pensé qu’il serait aussi absorbé. Même quand il était à la maison son esprit était enpermanence accaparé par l’enquête. Elle avait beau comprendre l’importance de ce qu’il faisait, unepetitevoixminableenellesouhaitaitégoïstementqu’ilfocaliseunpeuplussonattentionsurelle.
ElleappelaDan.Avecunpeudechance, il serait chez luiet aurait le tempsdepasserprendreuncafé.Safilleaînéerépondit,sonpèreétaitsortienbateauavecMaria.Typique.Toutlemondeétaitprisparsesaffairesalorsqu’elleétaitlààseroulerlespoucessursongrosventre.
Letéléphonesonnajustequandellevenaitderaccrocheretellesejetadessusavecunetelleaviditéqu’ellefaillitlefairetomberdesatablette.
—EricaFalck.
—Oui,allô.JechercheàjoindrePatrikHedström.—Iltravaille.Jepeuxvousaider,oujevousdonnesonnumérodeportable?L’hommeàl’autrebouthésita.— Pour tout vous dire, c’est la mère de Patrik qui m’a donné votre numéro. Nos familles se
connaissentdepuislongtempsetladernièrefoisquej’aiparléavecKristinaellem’aditdenepashésiterà téléphoneràPatriksinouspassionspar là.Etcommenousarrivons justeàFjällbacka,mafemmeetmoi,jemesuisditque…
UneidéelumineusefitsoncheminenErica.Lasolutionàsesproblèmesd’occupationétaitlà,toutetrouvée,devantelle.
—Maisveneznousvoir!Patrikrentreverscinqheures,commeçaonluiferalasurprise.Etonauraletempsdefaireconnaissance!Vousétiezdescopainsd’enfance,c’estça?
—Eh bien ça serait vraiment super ! Oui, on passait pasmal de temps ensemble quand on étaitjeunes.On ne s’est pas trop vus depuis qu’on est adultes. C’est toujours pareil, le temps file à touteallure.Ilrit,unpetitgloussement.
—Alorsilestgrandementtempsd’yremédier.Vouspouvezêtrelààquelleheure?Ellel’entenditéchangerquelquesmotsavecquelqu’un.— On n’a rien de spécial au programme, on pourrait venir tout de suite, si ça ne pose pas de
problème?—Non,aucun,àtoutdesuitealors.Ericasentitl’enthousiasmereveniràlaperspectivederomprelaroutine.Elleleurdonnaunerapide
descriptiondu chemin et se dépêchad’aller préparer du café.Quandon sonna à la porte, elle réalisaqu’ellen’avaitmêmepasdemandéleurnom.Bon,commeçailscommenceraientpardesprésentations.
Troisheuresplustard,elleétaitauborddeslarmes.Elleessayaitdeclignerdesyeuxetdemobilisersesdernièresressourcespourparaîtreintéressée.
—L’aspectleplusintéressantdemontravailestdesuivreleflotdesCDR.Commejeledisais,CDR,c’estpourcalldatarecord,c’est-à-direlesdétailssurletempsqu’onpasseautéléphone,ladestinationdes appels et ainsi de suite. Lorsqu’on valorise les CDR, ils deviennent une source fabuleused’informationssurlecomportementdenosclients…
Erica avait l’impression qu’il parlait depuis une éternité. Jörgen Berntsson était intarissable ettellementrasoirqu’Ericaenpleuraitpresque,etsafemmeletalonnaitdeprès.Pasparcequ’elletenaitlemême genre d’exposés interminables et totalement dépourvus d’intérêt que son mari, mais parce quedepuisqu’elleétaitarrivéeellen’avaitpasditunmotàpartsonnom.
QuandelleentenditlespasdePatriksurleperron,elleselevaprécipitammentducanapépourallerl’accueillir.
—Onadelavisite,chuchota-t-elle.—C’estqui?Luiaussichuchota.—Undetescopainsd’enfance.JörgenBerntsson.Etsafemme.—Ohnon,dis-moiquec’estuneblague.Ungémissementluiéchappa.—Malheureusementpas.—Merde,commentilaatterriici?Sesentantpriseenfaute,Ericaluiavoua:—C’estmoiquilesaiinvités.Çadevaitêtreunesurprisepourtoi.—Tuasfaitquoi?ditPatrikunpeutropfortetilbaissalavoix:Pourquoitulesasinvités?— Je m’embêtais. Erica fit un grand geste avec les bras. Et il disait qu’il était un vieux copain
d’enfanceàtoi,alorsj’aipenséqueçaallaittefaireplaisir!
—Est-cequetuaslamoindreidéedunombredefoisoùonm’aforcéàjoueravecluiquandonétaitpetits?Etiln’étaitabsolumentpasplusdrôleàl’époque.
Ilsréalisèrentqu’ilsétaientrestéstroplongtempsdanslevestibulepourqueçaparaissenormaletilsrespirèrentàfondtouslesdeuxpoursedonnerdelaforce.
—Bendisdonc,quellesurprise!Salut!EricafutimpressionnéeparlestalentsdecomédiendePatrik.Poursapart,ellesecontentad’afficher
unpâlesourireenretrouvantJörgenetMadeleine.Uneheureplus tard,elleétaitprêteàse fairehara-kiri.Patrikavaitduretardpar rapportàelleet
réussissaitencoreàparaîtrerelativementintéressé.—Alors,commeça,vousêtesdepassage?— Oui, on pensait monter le long de la côte. On est allés voir une vieille copine de classe de
MadeleineàSmögenetunpoteàmoiàLysekil.Lemeilleurdedeuxmondes.Êtreenvacancesetrenouerdevieillesamitiésenmêmetemps.
Ilbalayaungraindepoussièreimaginairesursonpantalonetéchangeauncoupd’œilavecsafemmeavantdesetournerversEricaetPatrik.Enfait,iln’avaitpasbesoind’ouvrirlabouche.Ilssavaientcequ’ilallaitdire.
—Maintenantqu’onavucommec’estchouettechezvous–etgrand–,dit-ilenappréciantleséjourduregard,onpensaitvousdemanders’ilseraitpossiblederesterunenuitoudeux?C’estvraiquec’estpratiquementimpossibledetrouverunechambred’hôtel.
Pleinsd’espoir ils regardaientPatriketErica.Erican’avaitpasbesoind’être télépathepoursentirlesondesvengeressesquePatrikluienvoyait.Maisl’hospitalitéétaituneloinaturelle.Iln’yavaitpasmoyendes’ysoustraire.
—Biensûr.Vouspouvezvousinstallerdanslachambred’amis.—Super!Etvousverrez,onvabiensemarrerensemble!Oùenétais-jed’ailleurs?Oui,quandona
récoltésuffisammentd’infostiréesdesCDRpourprocéderauxanalysesstatistiques,on…La soirée se déroula comme dans un brouillard. Cela dit, ils en apprirent énormément sur les
techniquesdetélécommunication.Les sonneries retentissaient.Pasde réponse.Seulement le répondeurde sonportablequi répétait :
« Salut, c’est Linda. Laissez-moi unmessage après le bip, et je vous rappellerai dès que possible. »Johanavaitdéjàlaisséquatremessagesetellenel’avaittoujourspasrappelé.Enhésitant,ilcomposalenumérodeLaMétairie.IlespéraitqueJacobseraitauboulot.Lachancefutaveclui.C’estMaritaquirépondit.
—Bonjour,est-cequeLindaestlà?—Oui,elleestdanssachambre.C’estdelapartdequi?Ilhésitaencore.MaisMaritanereconnaîtraitprobablementpassavoix,mêmes’ildisaitsonnom.—C’estdelapartdeJohan.Il l’entendit poser le combiné et monter l’escalier. Il pouvait visualiser l’intérieur de la maison
beaucoupplusnettementàprésentqu’ill’avaitrevueaprèstantd’années.Auboutd’unmoment,Maritafutderetour.Maintenantsavoixétaitplusprudente.—Elleditqu’elleneveutpasteparler.Est-cequejepeuxdemanderdequelJohanils’agit?—Merci,ilfautquej’yaillemaintenant.Ilsedépêchaderaccrocher.Dessentimentscontradictoiresledéchiraient.Jamaisiln’avaitaimépersonnecommeilaimaitLinda.
Quandilfermaitlesyeux,ilpouvaittoujoursrevivrelasensationdesapeaunue.Enmêmetemps,illahaïssait.Laréactionenchaîneavaitcommencéquand ilsenétaientvenusauxmainsàLaMétairie.Lahaineetlavolontédelablesseravaientétésifortesqu’ilavaiteudumalàlesmaîtriser.Commentdeux
sentimentsaussicontradictoirespouvaient-ilscoexister?Ilavaitpeut-êtreétéidiotd’imaginerqu’ilsavaientquelquechoseencommun.Quec’étaitdavantage
qu’unjeupourelle.Assisprèsdutéléphoneilsesentitstupideetcesentimentalimentait lacolèrequibrûlait en lui. Mais il y avait une chose qu’il pouvait faire pour l’amener à partager le sentimentd’humiliationquelui-mêmeéprouvait.Elleallaitregretterd’avoircruqu’ellepouvaitletraitern’importecomment.
Ilallaitracontercequ’ilavaitvu.JamaisPatrikn’auraitimaginéqu’ilpourraitapprécieruneexhumationcommeunepausebienvenue.
Mais, après la pénible et interminable soirée de la veille, même ça lui paraissait une véritabledistraction.
Mellberg,Martin etPatrikobservaient en silence la scènemacabrequi sedéroulait devant eux aucimetièredeFjällbacka.Àseptheuresdumatin,latempératureétaitencoreagréable,mêmesilesoleilétait levédepuisunbonmomentdéjà.Deraresvoiturespassaientsurlaroutedevantlecimetièreet,àpartlegazouillisdesoiseaux,leseulbruitqu’onentendaitétaitceluidespellesdanslaterre.
Tous les trois vivaient une expérience nouvelle. Une exhumation était un événement rare dans lequotidiend’unpolicier,etilss’étaienttousdemandécommentcelasepassaitenpratique.Est-cequ’onfaisaitvenirunepetitepellemécaniquequiôtaitlescouchesdeterrejusqu’aucercueil?Oubienfaisait-onappelàuneéquipede fossoyeursprofessionnelsquiexécutaientmanuellementcette tâche lugubre?Cette dernière alternative était la plus proche de la réalité. Les mêmes personnes qui creusaient lestombes pour les inhumations contribuaient maintenant à exhumer le cadavre. Les dents serrées, ilsenfonçaientrégulièrementleurspellesdanslaterre,sansunmot.Qu’auraient-ilspudire?Commenterlesmatchsdelaveilleàlatélé?Lebarbecueduweek-end?Non,lesérieuxdel’instantposaitunelourdechapedesilencesur leur travailquisepoursuivrait jusqu’àceque lecercueilpuisseêtresortidesonrepos.
—T’essûrdesavoircequetufais,Hedström?Mellbergavaitl’airsoucieuxetPatrikpartageaitsoninquiétude.Ilavaitusédetoutesacapacitéde
persuasion–ilavaitdemandé,menacéetsupplié–pourfairetournerplusvitequejamaislesrouagesdelajusticeafind’obtenirl’autorisationd’ouvrirlatombedeJohannesHult.Maislesoupçonn’étaitencorequ’unsentiment,riendeplus.
Patrikn’étaitpascroyant,mais l’idéededéranger lapaixd’une tombe le troublaitmalgré tout.Laquiétudeducimetièreavaitquelquechosedesacréetilespéraitqu’ilsallaienttrouverunebonneraisond’avoirimportunélesmortsdansleurrepos.
—StigThulinm’apasséun coupde fil hier de lamairie et il n’était pas très content, tu sais, ditMellberg.L’undeceuxquetuasharceléshierautéléphonel’arappelépoursignalerquetuétaisenpleindélire.Tuavaisparléd’uneconspirationentreEphraïmHultetdeuxdeshommeslesplusrespectésdeFjällbacka. Apparemment tu avais aussi évoqué des pots-de-vin et Dieu sait quoi encore. Il étaitvachementénervé.Ephraïmabeauêtremort,leDrHammarströmvitencoreetlecroque-mortaussi,etsilesgensapprennentqu’onaccusedesinnocents,ehben…
Mellberg écarta les bras. Il n’avait pas besoin de terminer sa phrase. Patrik connaissait lesconséquences. D’abord il prendrait le savon de sa vie et ensuite il serait la risée éternelle ducommissariat.
Mellbergparaissaitliredanssespensées.—Donc,tuasvachementintérêtàavoirraison,Hedström!
IlpointaunpetitdoigtboudinésurlatombedeJohannesetpiétinad’inquiétude.Letasdeterreavaitgrandi,ilmesuraitunbonmètredehauteur,etlasueurbrillaitsurlefrontdeceuxquicreusaient.Ilsnedevaientpasêtretrèsloinmaintenant.
L’humeurdeMellbergétaitmoinsbonnecematinquecesderniers jours.Etçanesemblaitpas liéseulementàl’heurematinaleetàlatâchedésagréable.Ilyavaitautrechose.Lecaractèredecochonquiétait une composante permanente de sa personnalité, et qui s’était envolé pendant quelques semainesremarquables,étaitderetour.Iln’avaitpasencoreatteintsapleinepuissance,maisçan’allaitpastarder.Depuis son arrivée, Mellberg n’avait fait que rouspéter, râler et se plaindre. Paradoxalement, celaparaissaitnettementplusfacileàgérerquesacourtepériodedebonhomie.Plushabituel.Mellberglesplantalà, toujoursenjurant,pourallercirerlespompesàl’équipequiarrivaitenrenfortd’Uddevalla.Martinchuchotaducoindelabouche:
—J’ignorecequiluiétaitarrivémais,entoutcas,c’estterminémaintenant.—Qu’est-cequetucroisquec’était?—Uneconfusionmentalemomentanée,réponditMartin,toujoursenchuchotant.—Hier,Annikaaentenduunedrôlederumeur.—Quoi?Raconte!—Ilestpartitôtavant-hier,tutesouviens…—Çan’arienderévolutionnaire.—Non,évidemment.MaisAnnikal’aentenduappelerArlanda.Etilsemblaitterriblementpresséde
s’yrendre.—L’aéroport?Ildevaitallerchercherquelqu’un?Entoutcas,iln’apasprisl’avion,puisqu’ilest
toujoursici.Martineutl’airaussiconfonduquePatrik.Etaussicurieux.—Jenesaispasplusquetoicequ’ildevaityfaire.Maislemystères’épaissit…L’un des hommes devant la tombe leur fit signe. Tout en gardant une certaine réserve, ils
s’approchèrentdugrandtasdeterreetregardèrentdansletrou.Uncercueilbrunavaitétédégagé.—Voilàvotregars.Onvouslesort?Patrikfitouidelatête.—Maissoyezprudents.Jepréviensl’équipe,ilsprendrontlarelèvedèsquevousl’aurezmonté.Il alla voir les trois techniciens d’Uddevalla, qui s’entretenaient avec Mellberg. Une voiture de
l’entreprise de pompes funèbres s’était avancée jusque dans l’allée gravillonnée et, hayon ouvert, setenaitprêteàtransporterlecercueil,avecousanscadavre.
—Ilsontpresqueterminémaintenant.Onouvrelecercueilici,ouvouslefaitesàUddevalla?Lechefdel’unité technique,TorbjörnRuud,neréponditpasdirectementàPatrik, ilcommençapar
demanderàlaseulefemmedel’équiped’allerprendredesphotos.IlsetournaalorsversPatrik:—Jepensequ’onouvriralecouvercleici.Situasraisonetqu’onnetrouveriendanslecercueil,
l’affaireestréglée.Sic’estmonscénarioquise joue,etc’est leplusprobable,c’est-à-direqu’ilyaiteffectivementuncadavredans le cercueil,on l’emporteàUddevallapour identification.C’estbiencequevousvoulez?
Sa moustache de morse montait et descendait pendant qu’il regardait Patrik dans l’attente d’uneréponse.Celui-cihochalatête.
—Oui, s’ilyaquelqu’undans lecercueil, j’aimeraisavoiruneconfirmationàcentpourcentquec’estbienJohannesHult.
—Çavapouvoirsefaire.J’aidemandéqu’onmetrouvesondossierdentairedèshier,commeçatun’auraspasàattendrelaréponsetroplongtemps.Puisqueçaurge…
Ruudbaissa leregard.Ilavait lui-mêmeunefillededix-septanset iln’avaitpasbesoinqu’onluiécrive en lettres de feu sur le mur l’importance d’agir vite. Il suffisait d’imaginer ne fût-ce qu’unesecondelaterreurdanslaquelledevaientvivrelesparentsdeJennyMöller.
En silence ils attendirent pendant que le cercueil était lentement remonté de la tombe. Bientôt, lecouvercledépassaleniveaudusol,Patriksentitsesmainstremblerlégèrement.D’icipeuilssauraient.Ducoindel’œil,ilremarquauneagitationunpeuplusloindanslecimetière.Iltournalatêtepourmieuxvoir.Merdealors.ParlagrilleducôtédelacasernedespompiersilvitSolveigarriveràtoutevapeur.Incapabledecourir,elleavançaitentanguantcommeunnaviredanslahoule,capdroitsurlatombeoùlecercueilétaitmaintenantvisibledanssatotalité.
—Qu’est-cequevousêtesentraindefoutre,espèced’enfluresdemesdeux?Les techniciens d’Uddevalla, qui n’avaient jamais auparavant été en contact avec Solveig Hult,
sursautèrent,frappésparcelangageordurier.Patrikréalisa,maistroptard,qu’ilsauraientdûprévoirçaetorganiseruneformedebarrage.Ils’étaitditquel’heurematinaledel’exhumationsuffiraitpourtenirlesgensàdistance.MaisSolveign’étaitévidemmentpasn’importequi.Ilallaàsarencontre.
—Solveig,vousnedevriezpasvoustrouverici.Patriklapritdoucementparlebras.Ellesedégageaviolemmentetcontinuasonchemin.—Alorsvousn’abandonnezjamais!MaintenantilvousfautaussidérangerJohannesdanssatombe!
Ilvousfautàtoutprixcontinueràgâchernosvies!Avantquequelqu’unn’aiteuletempsderéagir,Solveigfutdevantlecercueiletsejetadessus.Elle
hurlacommeunematroneitaliennependantunenterrementetmartelalecouvercleavecsespoings.Tousétaientcommefigés.Personnenesavaitquoifaire.PuisPatrikrepéradeuxpersonnagesquiarrivaientencourantdumêmecoinqueSolveig.JohanetRobertsecontentèrentdeleurjeterdesregardshaineuxavantdes’occuperdeleurmère.
—Nefaispasça,maman.Viens,onrentreàlamaison.Toutlemondeétaitpétrifié.Danslecimetière,onn’entendaitquelehurlementdeSolveigetlesvoix
suppliantesdesesfils.Johanseretourna.—Ellen’apasdormidelanuit.Depuisquevousl’avezprévenuedecequevousalliezfaire.Ona
faitcequ’onapupour laretenir,maisellenousaéchappé.Espècesdesalauds,çanevadoncjamaiss’arrêter!
Sesparolesétaientcommeunéchoàcellesdesamère.Un instant, ils sesentirent toushonteuxdecettesaleoccupationqu’ilsavaientétéobligésd’entreprendre.Pourtant, ilsdevaientmenerà termecequ’ilsavaientcommencé.
Torbjörn Ruud fit un signe du menton à Patrik et ils s’avancèrent pour aider Johan et Robert àéloignerSolveigducercueil.Onauraitditqu’elleavaitépuisésesdernièresforcesetelles’effondrasurlapoitrinedeRobert.
—Faitescequevousavezàfaire,maisfoutez-nouslapaixensuite,ditJohan,sanslesregarderdanslesyeux.
Lesdeuxfilsemmenèrent leurmèreentreeuxendirectionduportailducimetière.C’est seulementlorsqu’ilseurentcomplètementdisparuqu’onbougeadenouveau.Personnenecommental’incident.
—Vous avez l’impression qu’il y a quelqu’un dedans ? demanda Patrik aux hommes qui avaientsoulevélecercueil.
—Difficileàdire.Lecercueillui-mêmepèse.Parfoisilyaaussidelaterrequis’infiltre.Laseulefaçondesavoir,c’estdel’ouvrir.
L’instantnepouvaitplusêtrerepoussé.Laphotographeavaitpristouteslesphotosnécessaires.Avecdesmainsgantées,Ruudetsescollèguessemirentàl’œuvre.
Lentementlecouvercleducercueilfutouvert.Tousretinrentleurrespiration.Annika rappela à huit heures pile. Ils avaient eu tout l’après-midi de la veille pour chercher dans
leursarchivesetilsdevraienttoutdemêmeavoirtrouvéquelquechosemaintenant.Elleavaitraison.—Queltiming!OnvientjustederetrouverlalistedesclientsduFZ-302.Maismalheureusementje
n’aipasdebonnesnouvelles.Oupeut-êtrequec’enestune, justement.Onn’aqu’unclientdansvotrepérimètre,RolfPersson,ilesttoujoursclientd’ailleurs,maispaspourceproduit,évidemment.Jevousdonnesonadresse.
AnnikanotalesrenseignementssurunPost-it,déçuedenepasavoirobtenuplusdenomsqueça.Unpeumaigre,unseulclientàcontrôler,maislechefdesventespouvaitavoirraison,c’étaientpeut-êtredebonnesnouvelles.Unseulnompourraitsuffire,aprèstout.
—Gösta?Toutenrestantassise,elleroulasachaisedebureaujusqu’àlaporte,pointalatêtedanslecouloiret
appela.Pasderéponse.Elleappelaencoreunefois,unpeuplusfort,etfutrécompenséeparlatêtedeGöstaquiapparutdanslecouloir.
—J’aiunemissionpourtoi.Onvientd’avoirlenomd’unpaysanducoinquiutilisaitl’engraisqu’ilsonttrouvésurlesfilles.
—Ondevraitpeut-êtred’aborddemanderàPatrik?Gösta était récalcitrant. Il n’était pas encore complètement éveillé, il avait passé le premier quart
d’heuredevantsonbureauàbâilleretàsefrotterlesyeux.—Patrikestàl’exhumationavecMellbergetMartin.Onnepeutpaslesdérangerpourlemoment.Tu
saispourquoiçapresse.Tantpis,onnesuivrapaslesrèglescettefois-ci,Gösta.Même en temps normal, il était difficile de résister à Annika quand elle voulait vraiment obtenir
quelque chose, etGöstadut bien reconnaître que cette fois-ci elle avait tout à fait raisond’insister. Ilsoupira.
—Mais n’y va pas tout seul, ditAnnika.Ce n’est pas un simple bouseux qui distille sa gnôle endoucequ’oncherche,ne l’oubliepas.PrendsErnstavec toi.Ellemurmura toutbaspourqueGöstanel’entendepas:Qu’ilserendeunpeuutilepourunefois,cebranleur.Puisellelevalavoixdenouveau.Etprofitez-enpourbienexaminer le lieu.Sivousvoyezlemoindretrucsuspect,vousfaitescommesiderienn’était,puisvous revenez ici faireun rapport àPatrik, et ce seraà luidedéciderde la suitedesévénements.
—Çaalors, jenesavaispasque tuétaispasséedesecrétaireàchefde lapolice,Annika.C’étaitpendant tes vacances peut-être ? fit Gösta, acerbe. Mais il n’osa pas le dire suffisamment fort pourqu’Annikal’entende.Çaauraitétécondepousserl’audacejusque-là.
Derrière sa vitre,Annika sourit, ses lunettes de soleil commed’habitude tout aubout dunez.EllesavaitexactementquellespenséeshargneusesrebondissaiententrelesoreillesdeFlygare,maiscelaluiétaitassezégal.Ilyavaitbellelurettequ’elleavaitcesséderespectersesopinions.Ilfallaitseulementespérer qu’il s’attellerait à son boulotmaintenant et ne le ferait pas foirer.Ernst et lui en binôme, çapouvaitêtreunecombinaisondangereuse.Maisellen’avaitpaslechoix,elledevaitcomposeraveccequ’elleavaitsouslamain.
Ernst n’apprécia pas d’être tiré du sommeil. Il espérait profiter d’un bonmoment sous la couette
pendantquesonpatronétaitoccupéailleurssanspouvoirvérifiersaprésenceaubureau,etlasonnerie
stridentevintdéfinitivementcontrecarrersesprojets.—Putain,qu’est-cequisepasse?Devantlaporte,Göstaavaitbloquésondoigtsurlasonnette.—Fautqu’onbosse.—Çapeutpasattendreuneheure?ditErnstavechumeur.—Non,ilfautqu’onailleentendreunpaysanquiaachetéleproduitquelestechniciensonttrouvé
surlescadavres.—C’estcetenfoirédeHedströmquiadécidéça?Etiladitquemoijedevaist’accompagner–je
croyaisquej’étaisbannidesafoutueenquête?Göstasedemandas’ildevaitmentiroudirecequ’ilenétait.Ildécidadedirelavérité.—Non,HedströmestàFjällbackaavecMolinetMellberg.C’estAnnikaquinousl’ademandé.—Annika?Ernstpoussaunricanementvulgaire.Depuisquandest-cequ’onprendnosordresd’une
foutuesecrétaire,toietmoi?Nan,nan,sic’estcommeça,jevaisretournerpioncerencoreunmoment.Toujours en rigolant, il s’apprêta à fermer la porte au nez deGösta. Un pied entre la porte et le
chambranlel’enempêcha.—Écoute,jepensequ’onvaquandmêmeallervérifiercettehistoire.Göstasetut,puisilusaduseul
argument qu’il savait qu’Ernst écouterait.Tuvois lamine deHedström si on résout l’affaire, tous lesdeux?Quisait,iltientpeut-êtrelafilledanssaferme,lecul-terreux.ÇateplairaitpasdevenirannoncerçaàMellberg?
Lalueurquipassasur levisaged’ErnstLundgrenconfirmaquel’argumentavait faitmouche.Ernstentendaitdéjàleslouangesdesonchef.
—Attends,jem’habille.Onseretrouveàlavoiture.Dixminutesplustard,ilsroulaientendirectiondeFjällbacka.LafermedeRolfPerssonétaitsituée
unpeuausuddudomainede la familleHult,etGöstaneputs’empêcherdesedemandersic’étaitunhasard.Aprèss’êtretrompéderouteunefois,ilsfinirentpartrouveretilssegarèrentdanslacour.Pasunchatenvue.Ilsdescendirentdelavoitureetinspectèrentleslieuxtoutenmontantverslamaison.
C’étaitune fermecomme toutes lesautres fermesde la région.Unegrangeenboispeinteen rougesituéeàun jetdepierrede lamaison,blancheavecdesencadrementsdefenêtrebleus.Malgré toutcequ’écrivaient les journaux sur la manne des subventions de l’Europe qui pleuvaient sur les paysanssuédois,Gösta savaitque la réalitéétait toutautre.Une irrémédiablevétustéplanait sur lesbâtiments.Manifestement, les propriétaires faisaient de leur mieux pour les entretenir, mais la peinture avaitcommencéàs’écailleraussibiensurlamaisonquesurlagrangeetunsentimentdiffusd’abandoncollaitauxmurs.Ilsmontèrentsousl’auventdevantl’entrée,oùlesmenuiseriesajouréesavecamourindiquaientque la maison avait été construite avant que la modernité n’ait sacralisé les notions de vitesse etd’efficacité.
—Entrez.Lavoixcrépitanted’unepetitevieillesefitentendreetilsessuyèrentsoigneusementleurspiedssurle
paillassondevantlaporteavantd’entrer.LeplafondbasobligeaErnstàbaisserlatête,maisGösta,quin’avait jamais fait partiedu clubdesgrands et imposants, putpasser sans avoirpeurde seblesser lecrâne.
—Bonjour,noussommesdelapolice.NouscherchonsRolfPersson.Lavieille,quiétaitentraindepréparerunpetit-déjeuner,s’essuyalesmainssuruntorchon.—Uninstant, j’vaisaller l’chercher.Ilestentraindepiquerunroupillon,voyez-vous.Voilàc’qui
arrivequandond’vientvieux.Ellegloussaetquittalapièce.GöstaetErnstregardèrentautourd’eux,nesachantpastropquoifaire,puis ilss’assirentdevant la
table.CettecuisinerappelaitàGöstalamaisondesonenfance,mêmesilecouplePerssonn’avaitguèrequ’unedizained’annéesdeplusque lui-même.Lavieille luiavait sembléassezâgéeaupremiercoupd’œil,maisàyregarderdeplusprèssesyeuxfaisaientplusjeunesquesoncorps.Résultatd’uneviededurlabeur.
Ilsutilisaient toujoursunfourneauàboispourcuisiner.Lesolétaitcouvertd’unlinoetdissimulaitprobablementunparquetmagnifique.Lajeunegénérationadoraitlesremettreenétat,maispourGöstaetlesPerssonleparquetétaitencoreunrappeltropfortdelapauvretédeleurenfance.Lelino,quandilfutintroduit,étaitlesignequ’ons’étaitaffranchidelaviemisérabledesparents.
Le lambris desmurs était usé,mais éveilla quandmêmedes souvenirs sentimentaux.Gösta ne putrésisterà l’impulsionde laisser son indexcourirdans lecreuxentre les lamellesdeboiscomme il lefaisaitdanslacuisinedesesparentsquandilétaitpetit,etlasensationfutlamême.
Seulletic-tactranquilled’unehorlogerésonnaitdanslacuisine,maisaprèsunmomentilsentendirentdesmurmuresdanslapièced’àcôté.Unedesvoixs’emportait,alorsquel’autresuppliait.Auboutdequelques minutes, la vieille revint avec son mari. Lui aussi paraissait plus âgé que ses probablessoixante-dixans,etlefaitd’êtreréveillédesasiesten’étaitpasàsonavantage.Sescheveuxétaienttoutébouriffésetdes ridesde fatigue traçaientdeprofonds sillons sur ses joues.Lavieille retournaà sonfourneau.Ellegardaitlesyeuxbaissésetseconcentrasurlegruauqu’elletouillaitdanslacasserole.
—Etqu’est-cequipeutbienamenerlapoliceici?LavoixétaitautoritaireetGöstaremarquaquelavieillesursauta.Ilcommençaàdevinerpourquoi
ellesemblaitbeaucoupplusvieillequesonâge.Ellefitdubruitaveclacasseroleetsonmarirugit:—Maisarrêteça,bonsang!Tucontinuerasplustard!Laisse-noustranquillesmaintenant!Ellecourbalefrontetretiravivementlacasseroledufeu.Sansunmot,elleleslaissadanslacuisine
ets’enalla.Göstaeutenviedelasuivrepourluidireunmotaimablequiluiferaitsansdoutedubien,maisils’enabstint.
Rolf Persson se versa un verre de gnôle et s’assit. Il ne demanda pas à Ernst et Gösta s’ils envoulaientetdetoutefaçonilsn’auraientpasosédireoui.Aprèsl’avoirbuculsec,ils’essuyalaboucheavecledosdelamainetlesexhortaduregard.
—Bon?Alors,qu’est-cequevousvoulez?ErnstjetaunregardenvieuxsurleverrevideetcefutGöstaquipritlaparole.—Est-cequevousaviezl’habituded’utiliserunengraisquis’appelait…,ilconsultasonbloc-notes,
FZ-302?LepaysanPerssonritcordialement.—C’estpourçaquevousmetirezdemasieste?Pourdemanderquelengraisj’utilise?Ehbenmon
cochon,onpeutvraimentdirequelapolicen’apasgrand-choseàfairedenosjours!—Nousavonsdebonnesraisonsdevousposercettequestion.Etnousaimerionsavoiruneréponse.
Göstan’étaitpasd’humeuràplaisanteretsonaversionpourl’hommeserenforçaitdeminuteenminute.—Oui,oui,iln’yapasdequois’exciter.Jen’airienàcacher.Ilritdenouveauetseservitunautre
verre.Ernstseléchalesbabines,lesyeuxrivéssurleverre.Àenjugerparl’haleinedeRolfPersson,ce
n’était pas le premier verre de la journée.Compte tenu des vaches à traire, cela devait déjà faire unmomentqu’ilétaitdebout.Encomptantgénéreusementetavecunpeudebonnevolontéonpouvaitdirequecedevaitêtrel’heuredudéjeunerpourRolfPersson.Maismêmeencalculantainsic’étaitunpeutôtpourboiredel’alcool,del’avisdeGösta.
—Jel’aiutiliséjusquevers1984,1985,jecrois.Ensuiteilyaeuuneadministrationécoloàlaconquiaestiméqu’ilpouvaitavoirun«effetnégatifsurl’équilibredelabiodiversité».Ilparlaitd’unevoix
forteenmimantlesguillemetsenl’airaveclesdoigts.Etalorsilafalluchangerpourunengraisdixfoismoinsbienetdixfoispluscher.Desconnards,jevousledis,tousautantqu’ilssont.
—Pendantcombiendetempsl’avez-vousutilisé?—Ben, pendant unedizaine d’années peut-être. J’ai sans doute les dates exactes dansmes livres,
maisilmesemblebienquec’étaitverslemilieudesannées1970.Pourquoiest-cequeçavousintéressetant?IlregardaErnstetGöstaenplissantdesyeuxméfiants.
—C’estenrapportavecuneenquêtequenousmenonsencemoment.Göstaneditriendeplus,maisilvitquelepaysanyvoyaitclairsoudain.—Çaaquelquechoseàvoiraveclesfilles,c’estça?LesfillesdelabrècheduRoi?Etcetteautre
fillequiadisparu?Etvouscroyezquej’aiquelquechoseàvoiravecça?Hein,c’estçaquevousvousêtesmisentête?Faitesgaffeàcequevousdites!
Ilseleva,ettanguaunpeusursesjambes.RolfPerssonétaitunhommeimposant.Aucundesdégâtsphysiquesdusàl’âgenesemblaitl’avoiratteintetsesbrasétaientmusclésetfortssouslachemise.Ernstlevalesmainsensigned’apaisementetsemitdebout,luiaussi.C’étaitdansdesmomentscommeçaqueLundgrenpouvaitserévélerutile,pensaGöstaavecgratitude.Ilvivaitpourcegenredesituations.
—Onsecalmemaintenant.Nousavonsunepisteetnouslasuivons,ilyad’autrespersonnesàquinous rendonsvisite.Vousn’avezaucuneraisondevoussentirvisé.Maisnousaimerions jeteruncoupd’œilici.Seulementpourpouvoirvousrayerdelaliste.
Lepaysansemblaméfiant,puisilhochalatête.Göstasaisitl’occasiondedemander:—Est-cequejepeuxvousdemanderd’utiliservostoilettes?Savessie laissaitàdésireret lebesoinavaitgrandi jusqu’àdeveniruneréelleurgencemaintenant.
RolfPerssonfitunsignedumentonendirectiond’uneporte.LorsqueGöstarevintdestoilettes,ErnstetRolfPerssonavaientl’airdevieuxcopains.—Eh oui,merde, ils se gênent plus, les gens, ils vous voleraientmême votre chemise.Qu’est-ce
qu’onpeutfaire,nous,lesgenshonnêtescommevousetmoi…Prisenfaute,Ernsts’interrompit.Unverrevidedevantluirévélaitqu’ilavaitfiniparsefaireoffrirlecoupdegnôleconvoité.
Unedemi-heureplustard,Göstapritsoncourageàdeuxmainsetengueulasoncollègue.—Tupuesl’alcool,c’estinfect.CommenttupensespasserdevantAnnikaavecunehaleinepareille?— Bof, t’inquiète. T’es pire qu’une vieille maîtresse d’école, toi. Je me suis envoyé une petite
rincette, c’est tout, jevoispasoùest leproblème.Etça se faitpasde refuserquandonvous inviteàboire.
Göstasecontentadesoufflerbruyamment,sansfaired’autrescommentaires.Ilsesentaitabattu.Unedemi-heuredebaladesurlesterresdupaysann’avaitapportéaucunrésultat.Aucunetracenid’unefille,ni d’une tombe récemment creusée, et lamatinée paraissait gaspillée.Ernst et le paysan avaient eu letemps de sympathiser pendant le courtmoment oùGösta s’était absenté et ils n’avaient pas arrêté debavarder pendant la visite de la ferme. Personnellement, Gösta pensait qu’il aurait été davantageapproprié demaintenir plus de distance avec un éventuel suspect dans une enquête d’homicide,maisLundgrensuivaitcommed’habitudesespropreslois.
—Iln’arienditdeconsistant,cePersson?Ernstsouffladanssamaincourbéeetrenifla.Ilignorad’abordlaquestionetdit:—Écoute,Flygare,arrête-toiparlà,jevaism’acheteruneboîtedepastillespourlagorge.Dansunsilencemaussade,Göstas’arrêtaàlastation-serviceOKQ8etattenditdanslavoiturependant
qu’Ernstcouraitacheterdequoimasquersonhaleine.C’estseulementlorsqu’ilfutassisdanslavoitureànouveauqu’ErnstréponditàlaquestiondeGösta.
—Non,ons’estplantésenbeauté.Maislegarsestvachementsympaentoutcas,jepeuxjurerqu’il
n’arienàvoiraveccettehistoire.Nan,c’estunehypothèsequ’onpeutéliminertoutdesuite.Cetrucavecl’engrais,c’estsansdouteunefaussepiste.Cesputainsdetechnicienslégistes,ilssontassissurleurculdansunlabotoutelajournéeàfairedesanalysesàlamords-moilenœud,alorsquenoussurleterrainonvoitàquelpointleursthéoriessontridicules.L’ADNetdescheveuxetdesengraisetdesempreintesdepneuettoutescesfoutaisesqu’ilsremuent.Nan,riennevautunebonneracléebienplacéeaubonendroit,avecçaonobtientcedontonabesoin,jetelediscommejelepense,Flygare.
Il serra le poing pour illustrer ses propos et, satisfait d’avoir montré qu’il savait parfaitementcommenton faitdubonboulotde flic, il se laissaaller contre l’appuie-tête et ferma lesyeuxunpetitmoment.
Göstapoursuivit larouteversTanumshedesansdireunmotdeplus.CequepensaitErnstétaitunechose,luin’étaitpasaussicertain.
La nouvelle était aussi arrivée jusque chezGabriel. Tous trois observaient le silence autour de la
tabledupetit-déjeuner,chacunplongédanssesréflexions.Àleurgrandesurprise,Lindaétaitarrivéelaveille au soir avec son sac et était allée se coucher sans unmot dans son ancienne chambre qui étaittoujoursprêtepourelle.
Enhésitant,Lainirompitlesilence.—Jesuiscontentequetusoisrentrée,Linda.Lindamurmurauneréponse,leregardfixésurlatartinequ’elleétaitentraindesepréparer.—Parleplusfort,Linda,c’estmalpolidemarmonnercommetufais.Gabrielreçutuncoupd’œilassassindeLaini,maiscelaneluifaisaitnichaudnifroid.C’étaitchez
luiici,etiln’avaitpasl’intentiondeprendredesgantsaveclagaminerienquepourleplaisirincertaindel’avoiràlamaisonpendantquelquesjours.
— J’ai dit que je suis là seulement pour une nuit ou deux, ensuite je retourne à La Métairie.Simplementunpetitchangementd’air.Là-basilsn’arrêtentpasavecleursbondieuseries.Ilsharcèlentlesmômes,c’estfranchementdéprimant.Çafoutlesjetons,desmômesquinefontqueparlerdeJésus…
—Oui,jeleluiaidit,àJacob,quejelestrouveunpeutropstrictspeut-êtreaveclesenfants.Maisçapartd’unbonsentiment.EtlafoiestimportantepourJacobetMarita,ilfautqu’onlerespecte.Jesaisparexemplequeçarévolte terriblementJacobde t’entendre jurercommeça.Cen’estvraimentpasunlangageconvenablepourunejeunefille.
Énervée,Linda leva lesyeuxauciel.Elleavaitseulementvoulus’éloignerdeJohanunmoment, iln’oseraitjamaisappelerici.Maisleurrabâchagecommençaitdéjààluiportersurlesnerfs.Toutcomptefait,elleretourneraitpeut-êtrechezlefrangindèscesoir.Ici,l’ambianceétaitvraimentinsupportable.
—Jesupposequevousavezparlédel’exhumation,chezJacob.Tonpèrel’aappelépourl’informertoutde suitehierquand lapolice l’a contacté.A-t-ondéjà entendudesbêtisespareilles !Que tout çaseraitunemachinationd’EphraïmpourfairecroirequeJohannesétaitmort,jen’aijamaisrienentendudeplussaugrenu!
Desmarbrures rougess’étaient forméessur lapeaublancheducoudeLaini.Ellen’arrêtaitpasdetripotersoncollierdeperlesetLindadutréprimeruneenviedesejetersurelle,d’arracherlecollieretdeluifourrersesfoutuesperlesdanslabouche.
Gabriel s’éclaircit la gorge et semêla de la conversation avec une voix autoritaire.Cette histoired’exhumationlemettaitmalàl’aise.Elledéstabilisaitsonéquilibreetsoulevaitdelapoussièredanssonmondeordonné,ettoutcelaluidéplaisaitfortement.Pasunseulinstantilnecroyaitquelesaffirmationsdelapoliceétaientfondées,maiscen’étaitpasça,leproblème.Cen’étaitpasnonplusl’idéequelapaix
de la tombe de son frère soit dérangée qui l’irritait, même si cette pensée n’était pas très agréable,évidemment.Non,c’étaitledésordrequetoutelaprocédurereprésentait.Lescercueilsétaientfaitspourêtre enterrés, pasdéterrés.Les tombesqui avaientun jour été creuséesdevaient être respectées et lescercueils qui avaient été fermés devaient rester fermés. C’est comme ça que ça devait être. Débit etcrédit.Del’ordre.
—Oui, je trouve assez remarquable que la police ait le droit d’agir ainsi de sa propre initiative.J’ignorequelscoupstordusilsontfaitspourobtenirl’autorisation,maisj’ail’intentiond’allerjusqu’aubout,croyez-moi.OnnevittoutdemêmepasdansunÉtatpolicier.
Encoreunefois,Lindamurmuraquelquechosedanssonassiette.—Pardon,qu’est-cequetuasdit,moncœur?ditLaini.—J’aiditquevousdevriezpeut-êtrepenseruntoutpetitpeuàSolveig,RobertetJohan,àcequ’ils
doiventvivreencemoment?Vousvousrendezcomptedecequeçadoitleurfairequ’onouvrecommeçalatombedeJohannes?Maisnon,laseulechosequevoustrouvezàfaire,c’estpleurersurvotrepropresort.Pensezunpeuauxautrespourunefois!
Ellelançalaserviettesursonassietteetquittalatable.LesmainsdeLainipartirenttoutesseulesverslecollierdeperlesetelleparaissait sur lepointdesuivresa fille.UnregarddeGabriel laclouasurplace.
—Oui,entoutcasonsaitd’oùelletientcecaractèrehystérique.Sontonétaitaccusateur.Lainineditrien.— Quel culot de dire que nous ne pensons pas à Solveig et aux garçons. Bien sûr que ça nous
concerne,mais d’un autre côté ils ontmontré tant de fois qu’ils ne veulent pas de notre sympathie, etcommeonfaitsonlitonsecouche…
Parfois Laini haïssait son époux. Il était là, si satisfait de lui-même, et mangeait son œuf de bonappétit. Dans son for intérieur, elle s’imagina avançant vers lui, prenant son assiette et la plaquantlentementsursapoitrine.Aulieudecela,ellecommençaàdébarrasserlatable.
7
ÉTÉ1979Elles partageaient la douleur à présent. Comme deux sœurs siamoises, elles se serraient l’une
contre l’autredansunesymbiosecomposéed’amouretdehaine.D’unepart,nepasêtreseuledansl’obscuritécréaitunsentimentdesécurité.D’autrepart,dudésird’échapperaumal jaillissaitunehostilité,uneenviequeladouleursoitdestinéeàl’autreàlaprochainevenuedel’homme.
Elles ne parlaient pas beaucoup. Leurs voix résonnaient de façon trop lugubre ici dans lesténèbresaveugles.Lorsquelespass’approchaient,chacunepartaitdesoncôté,ellesabandonnaientlesbrasetlapeaudel’autrequiavaientétéleurseuleprotectioncontrelefroidetlenoir.Alorstoutce qui comptait était d’esquiver la douleur et elles s’affrontaient dans une lutte pour que ce soitl’autrequiseretrouveentrelesmainsdel’êtremalveillant.
Cettefois-ci,ellegagnaetelleentenditlescriscommencer.D’unecertainefaçon,c’étaitpresquetout aussi horribled’être celle qui était épargnée.Lebruit desosqui sebrisaient était biengravédanssamémoireetelleressentitdanssonproprecorpschaquecridel’autrefille.Ellesavaitaussicequivenaitaprèslescris.Alorslesmainsquiavaienttorduetvrillé,percéetblessé,setransformaient,etseposaientchaudesettendreslàoùladouleurétaitlaplusforte.Elleconnaissaitmaintenantcesmains-làaussibienquesespropresmains.Ellesétaientgrandeset fortes,doucesetsansaspérités.Les doigts étaient longs et sensibles comme ceux d’un pianiste, et bien qu’elle ne les eût jamaisvraimentvusellepouvaitlesimaginertrèsnettement.
Lescriss’intensifiaientmaintenantetelleauraitvoulupouvoirleverlesbraspourseboucherlesoreilles.Maisilspendaientmousetinutilisableslelongdesontorseetrefusaientdeluiobéir.
Quand les cris eurent cessé et que la petite trappe au-dessus de leurs têtes fut ouverte puisrefermée,ellesetraînasurlesolfroidethumideverslasourcedeshurlements.
Letempsdeconsolerétaitvenu.
Quand le couvercle du cercueil glissa sur le côté, il y eut un silence total.Malgré lui, Patrik se
retournapourguetterl’égliseavecinquiétude.Ilnesavaitpastropcequ’ilattendait.Unéclairvenuduclocher qui viendrait les frapper au beaumilieu de leur occupation blasphématoire.Mais rien de teln’arriva.
Lorsqu’ilvitlesquelettedanslecercueil,sagorgesenoua.Ils’étaittrompé.—Etvoilà,Hedström.Maintenanttunousasfoutusdansunsacrémerdier.Mellbergletoisaavecregretetcetteseulephrasedonnal’impressionàPatrikquesatêteétaitposée
surlebillot.Sonsupérieurhiérarchiqueavaitraison.C’étaitunsacrémerdier.—Onl’emporteavecnousalors,pourdéterminersic’estlebongars.Maisjepensequ’iln’yaura
pasbeaucoupdesurprises.Àmoinsquetun’aiesaussidesthéoriessurdescorpssubstituésoudestrucscommeça…
Patriksecouaseulementlatête.Iln’avaitquecequ’ilméritait.Lestechniciensfirentleurboulotetunmomentplustard,quandlesossementsfurentenroutepourGöteborg,PatriketMartinmontèrentdanslavoiturepourretourneraucommissariat.
—Tuauraispuavoirraison.Cen’étaitpassidélirantqueça.LavoixdeMartinétaitcompatissante,maisPatriksecouadenouveaulatête.—Non,c’esttoiquiavaisraison.C’étaituncomplotfranchementtropsurprenantpourêtrecrédible.
J’imaginequejevaisavoiràvivreavecçaunbonboutdetemps.—Oui,comptes-y,ditMartin.Maispose-toilaquestion:est-cequetuauraisputeregarderdansla
glacetouslesjourssi tunel’avaispasfaitetsi tuavaisappristroptardquetuavaisraisonetqueçaavaitcoûtélavieàJennyMöller?Aumoins,tuasessayéetmaintenantilfautqu’oncontinueàtravaillersur toutes les idées qui nous viennent à l’esprit, délirantes ou pas. C’est notre seule chance de laretrouveràtemps.
—Sicen’estpasdéjàtroptard,ditPatriktrèssombre.—Tuvois,voilàexactementcomment ilne fautpaspenser.Onne l’apasencoreretrouvéemorte,
doncelleestenvie.Iln’yapasd’alternative.— Tu as raison. Simplement, je ne sais pas quelle direction prendre. Où doit-on chercher ? On
revienttoutletempsàcettefoutuefamilleHultmaisiln’yajamaisriendeconcretàsuivre.—OnalelienentrelesmeurtresdeSiv,MonaetTanja.—Etriennenousditqu’ilyaunlienavecladisparitiondeJenny.—Non, reconnutMartin.Mais en fait ça n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? Le principal, c’est
qu’onfaittoutcequ’onpeutpourtrouverl’assassindeTanjaetceluiquiaenlevéJenny.Onverrabiensic’estlamêmepersonneounon.Maisonfaittoutnotrepossible.
Martin souligna chaque mot dans cette dernière phrase en espérant que ses paroles feraient leurchemin.IlcomprenaitbienpourquoiPatrikseflagellaitaprèsl’exhumationratée,maisencemomentilsnepouvaientpas sepermettred’avoirunmeneurd’enquêtequin’avaitplus confianceen lui. Il devaitcroireencequ’ilsfaisaient.
À peine rentrés au commissariat, ils furent hélés par Annika, qui brandit le téléphone, une mainplaquéesurlemicrophone.
—Patrik,c’estJohanHult.Ilinsistepourteparlertoutdesuite.Tuleprends?
Il fitouide la têteet sedirigeavers sonbureaud’unpas rapide.Unesecondeaprès, le téléphonesonna.
—PatrikHedström.Ilécoutaattentivement,glissaquelquesquestionsetfilajusqu’aubureaudeMartinavecuneénergie
retrouvée.—Viensavecmoi,Molin,ilfautqu’onailleàFjällbacka.—Maisonenrevientjuste.Pourquoifaire?—Onvas’entretenirunpeuavecLindaHult. Jepensequ’onaquelquechosed’intéressantqui se
profile,quelquechosedetrès,trèsintéressant.Ericaavaitespéréqu’àl’instardelafamilleFloodilsauraientenviedefaireunesortieenmerdans
lajournée,ainsielleenauraitétédébarrassée.Surcepoint,ellesetrompaittotalement.—On n’aime pas trop lamer,Madeleine etmoi. On préfère rester dans le jardin, comme ça on
pourratetenircompagnie.Lavueesttellementbelle.Jörgenjetaunregardenjouésurlesîlotsetsepréparaàpasserunejournéeausoleil.Ericaeutdumal
à réprimerun rire. Il avait unede cesdégaines.Blanc commeuncachetd’aspirine et avec l’intentionmanifestedelerester.Lacrèmesolairedontils’étaitenduitdelatêteauxpiedslerendaitencoreplusblanc,sonnezétaitcouvertd’unegadouefluoprotectionrenforcéeetungrandchapeaudesoleilvenaitcomplétersonlook.Aprèsavoirconsacréunedemi-heureàtouscespréparatifs,ilsoupirad’aiseetselaissatomberàcôtédesafemmedansunedeschaiseslonguesqu’Ericas’étaitsentietenuedeleursortir.
—Ah,çac’estletop,pasvraiMadde?Il commença à s’assoupir et Erica se disait qu’elle allait saisir l’occasion de s’échapper un petit
moment,lorsqu’ilrouvritunœil:—Tuleprendraismalsijetedemandaisquelquechoseàboire?Ungrandverredegrenadineserait
lebienvenu.EtpourMadeleineaussi.HeinMadde?Safemmehochaseulement la têtesansmêmelever lesyeux.Àpeine installée,elles’étaitplongée
dansunlivresurlafiscalité,etcommesonmariellesemblaitavoirunepeurpaniquedeseretrouveruntant soit peu hâlée. Un pantalon et une chemise à manches longues empêchaient efficacement toutbronzage. Elle aussi avait un chapeau de soleil et un nez fluo. Apparemment, on n’était jamais assezprévoyant.Côteàcôtecommeça,onauraitditdeuxextraterrestresquiauraientatterrisurlapelouse.
Ericarentraàpaslentspréparerlesirop.Tout,n’importequoi,pourvuqu’ellesoitdispenséedeleurconversation.C’étaitsanscontestelesgenslesplusennuyeuxqu’elleaitjamaisrencontrés.Silaveilleausoironl’avaitlaisséechoisirentrepasserlasoiréeaveceuxetregardersécherdelapeinture,lechoixauraitétéfacile.Àl’occasionellediraitdeuxmotsàlamèredePatrikausujetdesonempressementàcommuniquerleurnumérodetéléphone.
Patrikavaitlachancedepouvoirs’échapperauboulot,lui.Maisellevoyaitqu’ilétaitfatigué.Ellenel’avaitjamaisvuaussiatteint,aussipresséd’obtenirdesrésultats.Jamaisauparavantnonplusl’enjeun’avaitétéaussiimportant.
Elleauraitvoulupouvoirl’aiderdavantage.Aucoursdel’enquêtesurlamortdesonamieAlex,elleavaitpuvenirenaideàlapoliceàplusieursreprises,maiselleavaitunlienpersonnelaveclavictime.Àprésent,elleétaitentravéeparlevolumedesoncorps.Leventreetlachaleurconspiraientpourlaforcer,pourlapremièrefoisdesavie,àresterinactive.Deplus,elleavaitl’impressionquesoncerveaus’étaitbloquédansunesorted’attente.Toutessespenséesallaientvers l’enfantet l’effortherculéenquiallaitêtreexigéd’elledansunprocheavenir.Sonesprits’obstinaitàrefuserdeseconcentrersurautrechoseet
elles’émerveillaitdesmamansquitravaillaientjusqu’àlaveilledel’accouchement.Elleétaitpeut-êtredifférente,maisaufuretàmesurequelagrossesseprogressaitelleavaitétéréduite–ouélevée,selonlafaçondevoir–àunorganismedereproductiondestinéàcouveretnourrir.Chaquefibredesoncorpsavaitpourbutdemettrel’enfantaumondeetlesintrusenétaientd’autantpluspénibles.Ilsdérangeaienttoutsimplementsaconcentration.Ellen’arrivaitpasàcomprendrequelefaitd’êtreseuleàlamaisonaitpul’énerverautant.Àprésent,lasolitudeluiapparaissaitcommeleparadisabsolu.
Ensoupirant,ellepréparaunegrandecarafedegrenadine,yajoutadesglaçonsetl’apportaauxdeuxMartiensdehorssurlapelouse.
UnerapidevérificationàLaMétairieleurappritqueLindan’étaitpaslà.Maritaeutl’airperplexeen
voyantlesdeuxinspecteursdepolice,maiselleneposapasdequestiondirecteetlesenvoyaseulementaumanoir.Pourladeuxièmefoisenpeudetemps,Patrikremontalalongueallée.Encoreunefois,ilfutfrappéparlabeautédel’endroit.Àcôtédelui,Martinaussienétaitbouchebée.
—Merdealors,quelsveinards!—Oui,certainsontdelachance,ditPatrik.—Etilsnesontquedeuxàhabitercettegrandemaison?—TroissioncompteLinda.—Ehben,çaexpliquepourquoiilyapénuriedelogementsenSuède,ditMartin.Cettefois-ci,cefutLainiquiouvritlaportequandilssonnèrent.—Qu’est-cequejepeuxfairepourvous?Yavait-ilunsoupçond’inquiétudedanssavoix?Patrikseledemanda.—OnchercheLinda.OnestallésàLaMétairie–ilendésignaladirectiondelatête–maisvotre
belle-filleaditqu’elleétaitici.—Qu’est-cequevous luivoulez?GabrielarrivaderrièreLainiquin’avait toujourspasouvert la
portesuffisammentpourlesfaireentrer.—Onaquelquesquestionsàluiposer.—Personneneposeradequestionsàmafillesansquejesachedequoiils’agit.Gabrielbombaletorseetsepréparaàdéfendresadescendance.AumomentoùPatriks’apprêtaità
argumenter,Lindasurgitaucoindumanoir.Elleportaitdesvêtementsd’équitationetsemblaitsedirigerversl’écurie.
—C’estmoiquevouscherchez?Patrikhochalatête,soulagédenepasavoiràs’engagerdansuneconfrontationdirecteavecsonpère.—Oui,onaquelquesquestionsàteposer.Onrestelà,dehors,outupréfèresqu’onrentre?Gabriell’interrompit.—C’estquoicettehistoire,Linda?Tuasfaitquelquechosequenousdevrionssavoir?Ilesthorsde
questionquelapolicet’interrogesansnotreprésence,sache-le!Linda,quitoutàcoupeutl’aird’unepetitefillepeureuse,hochalatête.—Jepréfèrequ’onrentre.Passivement,ellesuivitMartinetPatrikdanslasalledeséjouret,sanslemoindreégardpourletissu
blanc,selaissatomberdanslecanapéavecsesvêtementsquipuaientlecheval.Lainineputs’empêcherdefroncerlenez.Lindaluilançaunregardpleindedéfi.
—Çateva,sionteposedesquestionsenprésencedetesparents?Siçaavaitétéuninterrogatoiredanslesrègles,onn’auraitpaspuleurrefuserd’êtreprésents,puisquetun’espasencoremajeure,maispourl’instantonaimeraitjusteposerquelquesquestions…
Gabrielsemblaitprêtàse lancerdansunenouvelleargumentationàcesujet,maisLindanefitquehausserlesépaules.Uninstant,Patrikeutaussil’impressiondevoirunesorted’assouvissementvenirsemêleràlanervosité.Maisildisparutaussitôt.
—Onvientd’avoirunappeldeJohanHult,toncousin.Est-cequetusaiscequ’ilavaitànousdire?Elle secontentadehausserdenouveau lesépauleset semit à tripoter lebordde sesonglesavec
indifférence.—Vousvousêtesrencontréscesdernierstemps,n’est-cepas?Patrikavançaitsurdesœufs.Johanluiavaitexpliquécertaineschosessurleurrelationetilsupposait
quelanouvellen’allaitpasêtretrèsbienaccueillieparGabrieletLaini.—Benoui,ons’estvusunpeu.—Qu’est-cequec’estquecesconneries?AussibienLainiqueLindasursautèrent.ToutcommeJacob,Gabrieln’utilisaitjamaisdegrosmots.
Ellesneserappelaientpasl’avoirjamaisentendulefaire.—Quoi?Jevoisquijeveux.C’estpasàtoidedécider.Patrikintervintavantquelasituationnedérapecomplètement:—Çanenousintéressepasdesavoirquandvousvousêtesvus,niàquellefréquence,ça,tupeuxle
garderpourtoiencequinousconcerne,maisilyaunrendez-vousquinousintéresseparticulièrement.Johanaditquevousvousêtesvusunsoirilyaunequinzainedejours,augrenieràfoindeLaMétairie.
LevisagedeGabriels’empourpradecolère,maisilneditrienetattenditimpatiemmentlaréponsedeLinda.
—Oui, c’est possible. On s’y est retrouvés plusieurs fois, alors je ne peux pas dire exactementquand.
Elletripotaittoujourssesonglesavecunegrandeconcentrationetneregardaitaucundesadultesquil’entouraient.
MartinrepritlefillàoùPatriks’étaitarrêté.—Cesoir-là,vousavezvuquelquechosedeparticulier,d’après Johan.Tunesais toujourspasà
quoionfaitallusion?—Puisquevoussemblezlesavoir,vouspouvezpeut-êtremeledireplutôt?— Linda ! Ne rends pas les choses pires qu’elles ne le sont par ton insolence. Maintenant sois
gentillederépondreauxquestionsdel’inspecteur.Situsaisdequoiilparle,alorstuledis.Maissic’estquelquechoseauquelce…voyout’amêlée,alorsjevais…
—Arrête,tusaisquedallesurJohan.Avectonhypocrisie,tu…—Linda…LavoixdeLaini l’interrompit,commeunavertissement.Necompliquepas leschoses.
Faiscequedittonpèreetrépondsauxquestions,ensuiteonparleraduresteentrenous.Aprèsunmomentderéflexion,Lindaparutprendresamèreaumotetpoursuivitd’unairboudeur:—JesupposequeJohanaditqu’onavulanana.—Quellenana?Lepointd’interrogationétaitmanifestesurlevisagedeGabriel.—L’Allemande,cellequiaététuée.—Oui,c’estcequeJohannousadit,confirmaPatrik,puisilattenditensilencequeLindacontinue.—JenesuispasdutoutaussisûrequeJohanquec’étaitbienelle.Onavusaphotodanslesjournaux
etc’étaitassezressemblant,j’imagine,maisildoityavoiruntasdefillescommeça.Etqu’est-cequ’elleseraitvenuefaireàLaMétairie?Cen’estpastoutàfaitunlieutouristique,non?
Martin et Patrik ignorèrent sa question. Ils savaient parfaitement ce qu’elle était venue faire à LaMétairie.Suivrelaseulepistepossibleautourdeladisparitiondesamère–JohannesHult.
—OùsetrouvaientMaritaetlesenfantscesoir-là?Johanaditqu’ilsn’étaientpasàlamaison,mais
ilnesavaitpasoùilsétaient.—IlsétaientpartispasserquelquesjourschezlesparentsdeMarita.— Jacob etMarita font ça de temps en temps, expliqua Laini. Quand Jacob a besoin de pouvoir
bricolerenpaixsurlamaison,ellepartquelquesjourschezsesparentsaveclesenfants.Commeçailsvoient leurs grands-parents maternels un peu aussi. Nous, on habite tellement près, on peut les voirpratiquementtouslesjours.
—Disonsquetunesaispassic’étaitTanjaSchmidt,maisest-cequetupeuxdécrirelafillequetuasvue?
Lindahésita.—Brune,taillemoyenne.Cheveuxauxépaules.Commen’importequi.Pastropmignonne,ajouta-t-
elleaveclasupérioritédecellequisesaitnéeavecunphysiqueavantageux.—Etelleétaithabilléecomment?Martin sepenchaenavantpouressayerdecapter le regardde
l’adolescente.Iléchoua.—C’est-à-dire,jenem’ensouvienspastrop.C’étaitilyaquinzejoursetlanuitavaitcommencéà
tomber…—Essaie.Martinl’incitaàfaireuneffort.—Styleunjean,jecrois.Untee-shirtmoulantetunpull.Unpullbleuetuntee-shirtblanc,jecrois,à
moinsquecenesoitlecontraire?Etpuis,oui,unsacrougeenbandoulière.PatriketMartinéchangèrentdesregards.EllevenaitdedécrireexactementlesvêtementsqueTanja
portaitlesoiroùelleavaitdisparu.Etletee-shirtétaitbienblancetlepullbleu,paslecontraire.—Àquelmomentdelasoiréel’avez-vousvue?—C’étaitasseztôtjecrois.Verssixheures.—TuasvusiJacobl’afaitentrer?—Personnen’aouvertquandelleafrappéàlaporteentoutcas.Ensuiteelleacontournélamaison
etalorsonnepouvaitpluslavoir.—Vousavezvusielleestrepartie?—Non,larouten’estpasvisibledelagrange.Etcommejeviensdeledire,jenesuispasaussisûre
queJohanquec’estcettenana-làqu’onavue.—As-tu une idée de qui ça pouvait être d’autre ? Je veux dire, il ne doit pas y avoir beaucoup
d’étrangersquiviennentfrapperàlaporteàLaMétairie?Encoreunhaussementd’épaulesindifférent.Aprèsunmomentdesilence,ellerépondit:—Non, jenevoispasqui çapourrait être.Peut-êtrequelqu’unquivoulait vendrequelquechose,
qu’est-cequej’ensais?—MaisJacobn’apasfaitallusionàcettevisiteensuite?—Non.EllenedéveloppapasdavantagesaréponseetaussibienPatrikqueMartinréalisèrentqu’elleétait
beaucouppluspréoccupéeparcequ’elleavaitvuquecequ’ellenevoulaitlaisserentendredevanteux.Peut-êtreaussidevantsesparents.
—Puis-jedemandercequevouscherchez?Jevouslerépète,toutçacommenceàressembleràduharcèlementàrencontredemafamille.Commes’ilnevoussuffisaitpasdedéterrermonfrère!Qu’enest-ild’ailleurs?Lecercueilétaitvide,ouquoi?
LetondeGabrielétaitrailleuretPatrikneputqu’accepterlacritiquesous-entendue.—Ilyavaitquelqu’undanslecercueil,oui.ProbablementvotrefrèreJohannes.—Probablement,reniflaGabrieletilcroisalesbrassursapoitrine.—EtmaintenantvousallezvousattaquerànotrepauvreJacobaussi?
Effarée, Laini regarda son mari. C’était comme si elle comprenait maintenant seulement lesconséquencesdesquestionsdelapolice,etellesemitàsetripoterlagorge:
—Non,vousnepenseztoutdemêmepasqueJacob…!—Onnepenserienpourl’instant,maisonahâtededéterminerlesdéplacementsdeTanjaavantsa
disparition,etJacobpeutêtreuntémoinimportant.—Untémoin!Entoutcasvousfaitescequevouspouvezpourprésenterleschosesjoliment,jedois
vousleconcéder.Maisn’imaginezpasuneseulesecondequ’onvouscroit.Vouscherchezàterminercequevosincapablesdecollèguesontcommencéen1979,etpeuimportequivouscoincerez,pourvuquece soit un Hult, n’est-ce pas ? D’abord vous envisagez l’hypothèse de dingues que Johannes seraittoujours en vie et se serait mis à tuer des filles après une interruption de vingt-quatre ans, ensuitelorsqu’ilserévèleêtrebeletbienmortdanssoncercueil,vousvousattaquezàJacob.
Gabrielselevaetmontralaporte.—Sortez d’ici ! Je ne veuxplus vous revoir chezmoi sans lesmandats nécessaires et sans notre
avocat.Enattendant,vouspouvezallezvousfairefoutre!Les jurons sortaient deplus enplus facilementde sabouche et il avait de la salive aux coinsdes
lèvres.PatriketMartinsavaientreconnaîtrequandleurprésencen’étaitplussouhaitéeetilsquittèrentlapièce.Quandlaported’entréeserefermalourdementderrièreeux,ladernièrechosequ’ilsentendirentfutlavoixdeGabrielquihurlaàsafille:
—Ettoi,qu’est-cequetuesalléefaireencorecommeconneries?—C’estdansleseauxlespluscalmes…—Oui, jamais je n’aurais cru que de telles braises couvaient sous cette apparence de calme, dit
Martin.—Celadit, dansun certain sens, je peux le comprendre.Vude son côté…LespenséesdePatrik
filèrentdenouveauverslefiascomonumentaldelamatinée.—N’ypenseplus,jetedis.Tuasfaitdetonmieuxetmaintenantt’arrêtesdepleurersurtoi-même,
ditMartinassezsèchement.Patrikleregarda,surpris.Martinsentitsonregardethaussalesépaulespours’excuser:—Jesuisdésolé.Lestresscommenceàavoirmapeauàmoiaussi,jesuppose.—Non, non.Tu as entièrement raison.Lemoment n’est pas bien choisi pourm’apitoyer surmoi-
même. Il lâcha la route des yeux une seconde et regarda son collègue. Et ne t’excuse jamais d’êtresincère.
—D’accord.Lesilencefutpesantuninstant.Quandilsdépassèrent legolfdeFjällbacka,Patrikditpouralléger
l’ambiance:—Tunevaspasbientôtprendretacarteverte?Commeçaonpourrasefaireunparcoursensemble.—Tuoseraisfaireça?Martinluiadressaunsouriretaquin.Jesuispeut-êtreuntalentquis’ignore,
attention,jepourraistedamerlepion.—Çam’étonnerait.C’estunasdugreenquetuasenfacedetoi.—Oui,bon,entoutcasilnefautpastroptraîner,sinonçaserabientôttroptard.—Commentça?Patrikeutl’airsincèrementsurpris.—Tul’aspeut-êtreoublié,maistuasunmômequiarrivedansquelquessemaines.Iln’yauraplus
beaucoupdetempsensuitepourtechangerlesidées,tusais.— Oh, il y a toujours des solutions. Ça dort beaucoup, ces petites choses-là, et je pense qu’on
trouveratoujoursuncréneau.Ericacomprendtrèsbienquej’aibesoind’avoirmestrucsàmoidetempsentemps.C’estcequ’ons’estditquandonadécidédefaireunbébé,quec’étaitàconditiondeconserverdutempsetdel’espacepournousaussietpasêtreseulementdesparents.
QuandPatrikfutarrivéàlafindesaphrase,Martinavaitleslarmesauxyeuxtellementilriait.Ilfitentendreungloussementensecouantlatête.
— Oh oui, vous aurez certainement énormément de temps à vous. Ça dort beaucoup, ces petiteschoses-là,singea-t-il,etçalefitrireencoreplus.
Patrik,quisavaitquelasœurdeMartinavaitcinqenfants,eutl’airunpeuinquietetilsedemandacequeMartinconnaissaitquelui-mêmeauraitloupé.Mais,avantd’avoirletempsdeleluidemander,sontéléphoneportablesonna.
—Hedström.—Bonjour,c’estPedersen.Jetedérange?—Non,pasdutout.Attendssimplementquejetrouveunendroitpourmegarer.IlsétaiententraindedépasserlecampingdeGrebbestadetleursvisagess’assombrirent.Patrikroula
encoresurquelquescentainesdemètres,jusqu’auparkingdupontoùils’arrêta.—Çayest,jesuisgaré.Vousaveztrouvéquelquechose?IlneputdissimulersonexaltationetMartinl’observa,impatient.Unflotdevacancierspassadevant
lavoiture,entrantetsortantdesboutiquesetdesrestaurants.—Ouietnon.Ons’apprêteàfaireunexamenplusapprofondi,maisvulescirconstancesj’aipensé
quetuapprécieraisd’entendrequetonexhumationprécipitéen’apasétéinutile.—C’estvraique jesuisalléunpeuviteenbesogne. Jemesensassezcon,alorssi tuasquelque
chose,inutiledetedirequeçam’intéresse.— Premièrement, le dossier dentaire nous certifie que le gars dans le cercueil est bel et bien
JohannesHult,aucundoutelà-dessus.Enrevanche,ajoutalemédecin,et ilnerésistapasàlatentationd’observerunepausepourunplusbeleffet,direqu’ilestmortparpendaisonesttotalementabsurde.Sondécèsprématuréestplutôtdûàuncoupviolentqu’ilaprissurlanuque.
—Putain,redis-le-moi!MartinsursautatellementPatrikcriafort.Commentça,uncoupviolent?Onl’acognéavecunemassue,c’estçaquetuessaiesdemedire?
—Quelquechosedans legenre.Mais il est sur lebillard, là,dèsque j’en saisunpeuplus, je terappelle.Avantdel’avoirexaminédeplusprèsjenepeuxriendire.
—Mercid’avoirappelésivite.Etrappelle-moidèsquetuensaisdavantage.Patrikrefermatriomphalementsonportable.—Qu’est-cequ’iladit,qu’est-cequ’iladit?Martinbégayaitpresqued’impatience.—Quejenesuispastotalementunimbécile.—Oui,jesupposequ’ilfautunmédecinpourconstaterunechosepareille,maisàpartça?ditMartin
sèchement.—IladitqueJohannesaétéassassiné.Martinsepenchaetsepritlevisagedanslesmainsavecundésespoirfeint.—Merdealors,là,jedémissionnedecettefoutueenquête.Çafriselafolietoutça!Tudisdoncque
leprincipalsuspectdeladisparitiondeSivetMona,oudeleurmortcommeonlesaitmaintenant,alui-mêmeétéassassiné?
—C’estexactementceque jedis.Et siGabrielHultcroitqu’il lui suffitdegueuler très fortpournous obliger à arrêter de farfouiller dans leur linge sale, il se goure complètement. Ce qu’on vientd’apprendreprouveque la familleHultdissimulequelquechose.L’und’eux sait commentetpourquoiJohannesHultaététué,etjepariequeçaaquelquechoseàvoiraveclesmeurtresdesfilles!Ilsefrappa
lapaumeavecsonpoingetsentitqueledécouragementdelamatinées’étaitmuéenénergierenouvelée.—J’espèreseulementqu’onpourrarésoudretoutçaàtemps,pourJennyMöller,ditMartin.Soncommentairefit l’effetd’unseaud’eaufroidesurla têtedePatrik.Ilnefallaitpasqu’il laisse
l’instinctdecompétitionprendreledessus.Ilnedevaitpasoublierlebutdeleurenquête.Ilsrestèrentunmomentàcontemplerlespassants.PuisPatrikredémarralavoitureetcontinuaverslecommissariat.
KennedyKarlsson pensait que tout avait commencé avec son prénom.C’était la seule chose qu’iltrouvaitàinvoquer.D’autresmecspouvaientavoirdebonnesexcuses,commeparexempledesparentsquibuvaientetlesfrappaient.Pourlui,c’étaitleprénom.
Sa mère avait passé quelques années aux États-Unis après l’école. Autrefois, c’était un petitévénementquandquelqu’undelarégionserendaitauxUSA,etengénéralonrestaitlà-bas.Maisaumilieudesannées1980,quandsamèreétaitpartie,unbilletpourlesStatesnesignifiaitplusunallersimple.Lesjeunesquis’enallaientenvilleouàl’étrangerétaientnombreux.Laseulechosequin’avaitpaschangé,c’étaient les langues qui se déliaient pour dire que ça ne pourrait jamais bien se passer. Pour ce quiconcernaitsamère,lesmauvaiseslanguesavaienteuraison,enuncertainsens.Aprèsquelquesannéessurlenouveaucontinent,elleétaitrevenueenceintedelui.Iln’avaitjamaisconnusonpère.Mais,mêmeça,cen’étaitpasunebonneexcuse.Avantsanaissance,samères’étaitmariéeavecChrister,etilavaitétéaussibonqu’unvraipapa.Non,c’étaitcettehistoiredeprénom.Ilsupposaitqu’elleavaitvoulusefaire remarquer etmontrer que, bien qu’elle fût revenue au pays dans une situation peu enviable, elleavaitquandmêmevisitélevastemonde.Et,lui,ilenseraitlerappelconstant.Sibienqu’elleneloupaitjamaisuneoccasionderaconterquesonfilsaînéétaitnomméd’aprèsJohnF.Kennedy,«puisquedurantses années aux usa elle avait tant admiré cet homme ». Il se demandait pourquoi dans ce cas elle nel’avaitpasbaptiséJohntoutsimplement.
Christeretsamèreavaientdonnéunemeilleurechanceàsesfrèresetsœur.Poureux,Emelie,MikaeletThomasavaientfaitl’affaire.Debonsnomssuédoisordinaires,quiledifférenciaientencoreplusdelaportée.QuesonpèrebiologiquesoitunNoirnevenaitpasaméliorerleschoses,maisKennedynepensaitpasquec’étaitçaquilerendaitdifférentdesautres.C’étaitseulementcefoutunom,ilenétaitsûr.
Ils’étaitréjouid’alleràl’école.Ils’ensouvenaitnettement.L’excitation,lajoie,l’empressementdecommencerquelquechosedenouveau,devoirunnouveaumondes’ouvrir.Iln’avaitfalluqu’unjouroudeux pour le faire déchanter. Et c’était la faute à ce putain de nom. Il comprit vite sa douleur d’êtredifférent.Unnombizarre,descheveuxbizarres,desvêtementsdémodés,peuimporte.Çamontraitqu’onétaitdifférent.Danssoncas,lesautresestimaientqu’ilseprenaitpourquelqu’unaveccenomoriginal,etils avaient considérécelacommeunecirconstanceaggravante.Commesi c’était luiqui l’avait choisi.S’il avait pu choisir, il se serait appelé Johan, ou Oskar, ou Fredrik. Quelque chose qui lui donnaitautomatiquementaccèsaugroupe.
L’enferdespremiersjoursenprimairen’avaitfaitquecontinuer.Lespiques, lescoups,l’exclusionl’avaientamenéàconstruireunmurautourdelui,solidecommedugranit,etbientôtlesactessuivirentsespensées.Toutelacolèrequ’ilavaitaccumuléederrièrelemursemettaitàsuinterpardepetitstrousquidevenaientdeplusenplusgrands,jusqu’àcequetoutlemondepuisselavoir,sacolère.Alorsilfuttrop tard. Il avait gâché l’école et la confiance de sa famille, et ses amis n’étaient pas du genreconvenable.
Poursapart,Kennedys’étaitrésignédevantlesortquesonprénomluiavaitréservé.Sursonfrontétaittatouélemot«problème»etlaseulechosequiluirestaitàfaireétaitderépondreauxattentes.Unefaçondevivreassezfacile,maisparadoxalementdifficileaussi.
Toutcelaavaitchangélorsqueàcontrecœurilétaitarrivéaulieud’accueildeBullaren.Ils’étaitfaitarrêterpourunmalencontreuxvoldevoiture,et leséjour iciétaituneconditionassortieàsapeine. Il
avaitdécidéd’opposerlemoinsderésistancepossiblepourpouvoirdégagerdelàauplusvite.EnsuiteilrencontraJacob.EtparJacob,ilrencontraDieu.
Àsesyeux,lesdeuxsevalaient.Celanes’étaitpaspassécommeparmiracle.Iln’avaitpasentenduunevoixdestentorvenued’en
haut,nivuunéclairfrappantlesoldevantluicommepreuvedeSonexistence.C’étaitplutôtaufildesheurespasséesàdiscuteravecJacobqu’ilavaitgraduellementvusedessinerl’imageduDieudeJacob.Commeunpuzzlequilentementproduitl’imagereprésentéesurlaboîte.
Audébut, ils’étaitcabré. Ilavait fuguéet faitdesconneriesavecsespotes.Picoléàs’enpéter lecrâneets’étaitfaitpiteusementramener,pourcroiserlelendemain,avecunegueuledeboiscarabinée,leregarddouxdeJacobquibizarrementsemblaittoujoursdépourvudereproches.
Il s’était plaint à Jacob de cette histoire de nom, selon lui à l’origine de tous ses faux pas.AlorsJacobavaitréussiàluiexpliquerquesonprénométaitunechosepositive,uneindicationdeladirectionque devait prendre sa vie. C’était un don qu’il avait reçu, expliquait Jacob. Se voir doté, dès lanaissance,d’uneidentitéaussiuniquesignifiaitforcémentqueDieul’avaitchoisiparmitantd’autres.Cenomlerendaitspécial,pasbizarre.
Avec lavoracitéd’unaffaméà la tabledudîner,Kennedyavait aspiré tous lesmots.Lentement ilavaitréaliséqueJacobavaitraison.Sonnométaitundon.IlfaisaitdeluiunêtrespécialetmontraitqueDieuavaitunplanparticulierpourKennedyKarlsson.Ets’ilavaitappriscelaàtemps,c’étaitgrâceàJacobHult.
Jacob avait paru soucieux dernièrement, et cela tracassaitKennedy. Il avait forcément entendu lesragotssursafamilleetseslienssupposésaveclesfillesassassinées,etilcroyaitcomprendrelaraisondel’inquiétudedeJacob.Lui-mêmeavaiteuàaffronterlamalveillanced’unesociétéquiflairaitlesang.Maintenantc’étaitapparemmentlafamilleHultquiétaitlegibier.
IlfrappadoucementàlaportedeJacob.Illuiavaitsembléentendredesvoixénervées,etquandilouvritlaporteJacobétaitentrainderaccrocherletéléphone,levisageravagé.
—Commentçava?—Quelquesproblèmesfamiliauxseulement.Net’enfaispas.—Tesproblèmessontmesproblèmes,Jacob.Tulesais.Tuneveuxpasmeraconter?Tupeuxme
faireconfiance,commejet’aifaitconfiance.Jacobsefrottalesyeuxd’ungestelasetsetassa.—C’est tellement stupide commehistoire.À cause d’une bêtise qu’a faitemon père il y a vingt-
quatreans,lapoliceestalléeimaginerquenoussommesmêlésaumeurtredecettetouristeallemande,tusais,lesjournauxenontparlé.
—Maisc’estterrible.—Oui,etladernièrechoseendate,c’estqu’ilsontexhumémononcleJohannescematin.—Maisc’estterrible!Ilsontviolésasépulture?Jacobeutunsourireencoin.Unanauparavant,Kennedyauraitdit«sépul-quoi-putain-demerde?».—Malheureusement,oui.Toutemafamilleenpâtit.Maisonnepeutrienfaire.Kennedy sentit la vieille colère monter dans sa poitrine. Mais il la supportait mieux maintenant.
Désormais,c’étaitlacolèredeDieu.—Maisvousnepouvezpasporterplainte?Pourharcèlementouuntruccommeça?Denouveaulesouriredeguingois,affligé,deJacob.—Toi,avectonexpériencedelapolice,tuneveuxquandmêmepasmefairecroirequeçaaboutità
quelquechose?Non, évidemment. Son respect des flics était mince, pour ne pas dire inexistant. Si quelqu’un
comprenaitlafrustrationdeJacob,c’étaitbienlui.Il ressentaitune immensegratitudeenversJacobde l’avoirchoisi, luientre tous,pourpartagerses
peines.EncoreunprésentdontilallaitremercierDieudanssaprièredusoir.Kennedyétaitsurlepointd’ouvrirlabouchepourledireàJacob,lorsquelasonneriedutéléphonelecoupadanssonélan.
—Excuse-moi.Jacobsoulevalecombiné.En raccrochant quelques minutes plus tard, il était encore plus pâle. Kennedy avait compris que
c’était le père de Jacob qui appelait et il avait fait de gros efforts pour ne pasmontrer qu’il écoutaitavidement.
—Ils’estpasséquelquechose?Jacobenlevalentementseslunettesetlesposa.—Maisdisquelquechose,qu’est-cequ’ilvoulait?Kennedynepouvaitpasdissimulersonangoisse.—C’étaitmonpère.La police est venue poser des questions àma sœur.Mon cousin Johan les a
appeléspourdirequ’elleet luiontvucette fillequiaétéassassinée,chezmoi.Justeavantqu’ellenedisparaisse.Seigneurviens-moienaide.
—QueleSeigneurtevienneenaide,chuchotaKennedyenécho.Ils s’étaient réunis dans le bureau de Patrik.C’était serré,mais avec un peu de bonne volonté ils
avaient réussi à tous se caser.Mellberg avait offert d’utiliser le sien, trois fois plus spacieux que lesautresbureaux,maisPatriknevoulaitpasdéménagertoutcequ’ilavaitaffichéaumur.
Letableaud’affichageétaitcouvertdeboutsdepapieretdenotesetaumilieuilyavaitlesphotosdeSiv,Mona, Tanja et Jenny. Patrik était àmoitié assis sur son bureau. Tout lemonde était là,Martin,Mellberg, Gösta, Ernst et Annika, tous les cerveaux du commissariat de Tanumshede réunis pour lapremièrefoisdepuisunbonboutdetemps,ettousobservaientPatrik.Ilsentitsubitementlepoidsdelaresponsabilitépesersursesépaulesetilsemitàtranspirer.Ilavaittoujoursdétestésetrouveraucentre.Savoirquelesautresattendaientavecimpatiencecequ’ilallaitdireluidonnaitdesfourmisdanstoutlecorps.Ils’éclaircitlagorge.
—Ilyaunedemi-heure,TordPedersendelamédico-légaleaappelépourdirequel’exhumationdecematinn’étaitpastotalementinutile.
Ici, il fit une pause et s’autorisa à ressentir une certaine satisfaction de ce qu’il venait de leurannoncer.Laperspectived’être lariséedesescollèguespendantdesmoisne l’avaitpasspécialementréjoui.
—L’examenducadavredeJohannesHultmontrequ’ilnes’estpaspendu.Toutindiquequ’ilareçuuncoupviolentàl’arrièredelatête.
Unbrouhaha traversa l’assemblée.Patrikcontinua,bienconscientquemaintenant il avait lapleineattentiondetous.
—Nousavonsdoncencoreunmeurtresurlesbras,mêmes’ilnedatepasd’hier.Etj’aitrouvéqu’ilétaittempsqu’onseréunissepourfairelepoint.Avez-vousdesquestions?Non?Bon,alorsondémarre.
Patrikcommençaparexposertoutcequ’ilssavaientdeSivetMona,dontletémoignagedeGabriel.Il poursuivit avec la mort de Tanja et l’autopsie montrant qu’elle avait exactement le même type deblessuresqueSivetMona,etqu’elles’étaitavéréeêtrelafilledeSiv,puislesaffirmationsdeJohanquisoutenaitavoirvuTanjachezJacobàLaMétairie.
Göstafitentendresavoix:—Et JennyMöller ? Jene suispasdu toutpersuadéqu’il y ait un lien entre sadisparitionet les
meurtres.
Tous lesyeux se focalisèrent sur laphotode l’adolescenteblondequi leur souriait sur lepanneaud’affichage.CeuxdePatrikaussi.
—Jesuisd’accordavectoi,Gösta,dit-il.Pourl’instant,cen’estqu’unethéorieparmid’autres.Maislabattuen’apasdonnéderésultatet lavérificationdesvioleursconnusde larégionnousaseulementmenés sur la fausse piste deMårten Frisk. Tout ce qu’on peut faire maintenant, c’est espérer que lapopulationviendraànotrerescousse,quequelqu’unavuquelquechose,etoncontinueraàtravailleravecl’hypothèse que c’est la même personne qui a tué Tanja et enlevé Jenny. Est-ce que ça répond à taquestion?
Göstahochalatête.Laréponsesignifiaitenprincipequ’ilsnesavaientrien,etçaconfirmaitàpeuprèscequ’ilpensait.
—D’ailleurs,Gösta,Annikam’aditquevousêtesallésvérifiercettehistoired’engrais.Qu’est-cequeçaadonné?
ErnstréponditàlaplacedeGösta.—Quedalle.Lepaysanavecquionaparlén’arienàvoiravectoutça.—Maisvousavezquandmêmejetéuncoupd’œilchezlui,pourêtresûrs?demandaPatrikquinese
laissaitpasconvaincreparlesaffirmationsd’Ernst.—Oui,évidemment.Etcommejeviensdeledire,onn’atrouvéquedalle,ditErnstavechumeur.PatrikinterrogeaGöstaduregardetcelui-cihochalatêtepourconfirmer.—Tantpis.Alorsilfautqu’onréfléchisseàuneautrefaçondepoursuivrecettepiste.Entre-temps,
on a reçu un témoignage de quelqu’un qui a vu Tanja peu de temps avant sa disparition. Le fils deJohannes,Johan,m’aappelécematinpourdirequ’ilavaitvuunefilleàLaMétairie,et ilestsûrquec’étaitTanja.Sacousine,Linda,lafilledeGabrieldonc,étaitaveclui,etMartinetmoisommesallésluiparler dans lamatinée. Elle confirme qu’ils ont vu une fillemais elle n’est pas aussi persuadée quec’étaitTanja.
—Est-cequ’onpeutfaireconfianceautémoin?AveclecasierdeJohanetlarivalitédanslafamille,çanemeparaîtpastrèspertinentdesefieràcequ’ildit,non?ditMellberg.
—Oui,çameposeunsouciaussi.IlnousfaudraattendredevoircequevadireJacobHult.Maisjetrouveintéressantque,d’unefaçonoud’uneautre,onenreviennetoujoursàcettefamille.Oùqu’onsetourne,ontombesurlafamilleHult.
Lachaleurmontavitedanslapetitepièce.Patrikavaitouvertunefenêtre,maisçaneservaitpasàgrand-chose,puisquedehorsilfaisaittoutaussichaud.Annikaessayad’obtenirunpeud’airens’éventantavecsonbloc-notes.Mellbergs’essuyalasueurdufrontaveclamainetlevisagedeGöstaavaitprisuneinquiétanteteintegrisesouslebronzage.Martinavaitdéboutonnélehautdesachemise,cequipermitàPatrikdenoteravecunecertainejalousiequecertainsavaientdutempsàconsacreràlasalledesport.SeulErnstavaitl’airtotalementépargné.Ildit:
—Ehbien,moientoutcas,jemiseraissurundecesfoutusvoyous.Cesontlesseulsquiontdéjàeuaffaireàlapolice.
—Àpartleurpère,rappelaPatrik.—Exact,àpartleurvieux.Cequiprouvebienqu’ilyaquelquechosedepourridanscettebranche-
làdelafamille.—EtlefaitqueladernièrefoisqueTanjaaétévue,c’étaitàLaMétairie?D’aprèssasœur,Jacob
étaitàlamaisonàcemoment-là.Est-cequeçaneledésigneraitpaslui,plutôt?Ernstsouffla.—Etquic’estquiledit,quelananayétait?JohanHult.Non,moijenecroiraispasunmotdece
qu’ildit,cegars-là.
—Quandest-cequetupensesqu’onpourraparleravecJacob?demandaMartin.—J’avaispenséque,toietmoi,oniraitdirectementàBullarenaprèscetteréunion.J’aiappelépour
vérifier,ilyestaujourd’hui.—TunepensespasqueGabriell’aappelépourl’avertir?ditMartin.—Sansaucundoute,maisonn’ypeutrien.Onverrabiencequ’ildira.—EtlefaitqueJohannesaétéassassiné,qu’est-cequ’onenfait?poursuivitMartin,obstiné.Patriknevoulutpasreconnaîtrequ’ilnesavaitpastrèsbien.Çafaisaittropdechosesàdémêleren
mêmetemps,etilavaitpeurque,enfaisantunpasenarrièrepouravoirunevued’ensemble,l’immensitédelatâcheneleparalyse.Ilsoupira.
—Prenons leschosesuneparune.Onne ledirapasàJacob.Jeneveuxpasqu’ilaillemettreaucourantSolveigetlesgarçons.
—L’étapesuivanteestdoncdeleurparler?—Oui,j’imagine.Quelqu’unaunemeilleureidée?Silence.Personnenesemblaitavoirdepropositionàfaire.—Etnous,qu’est-cequ’onvafaire?GöstarespiraitlourdementetPatriksedemanda,inquiet,s’iln’étaitpasentraindefaireuninfarctus.—Annikadisaitquelapopulationafournipasmalderenseignementsdepuisqu’onademandéqu’ils
mettentlaphotodeJennyàlaunedesjournaux.Elleafaituntridecequisembleleplusintéressant,etjeproposequ’Ernstettoivouscommenciezàéplucherlaliste.
Patrikespéraitnepasfaired’erreuren laissantErnst réintégrer l’enquête,mais il fallait luidonnerunedeuxièmechance.C’étaitlaconclusionàlaquelleilétaitarrivéaprèsavoirconstatéqu’Ernsts’étaitapparemmenttenuàcarreauquandilavaitvérifiéavecGöstalapistedel’engrais.
— Annika, je voudrais que tu rappelles l’entreprise qui a vendu le produit pour leur demanderd’élargirlepérimètredesclients.Certes,j’aidumalàcroirequelescorpsaientététransportéssurunegrandedistance,maisçapeutvaloirlecoupdelevérifier.
—Pasdeproblème.Annikaagita lebloc-notesavecencoreplusdevigueur.Desgouttesde sueurperlaientsursalèvresupérieure.
Aucune tâche ne fut donnée àMellberg. Patrik se rendait compte qu’il avait dumal à donner desordresàsonsupérieuretilpréféraitaussinepaslevoirsemêlerdutravailquotidiendel’enquête.Maisil était obligé de reconnaître que Mellberg avait fait un boulot étonnamment efficace pour tenir leshommespolitiquesàdistance.
Ilavaittoujoursuncomportementétrange.Engénéral,lavoixdeMellbergdominaitlargementtouteslesautres,alorsquelàl’hommeétaittoutsilencieuxetsemblaitévoluerdansunautremonde.Lagaietéqui les avait tant intrigués pendant quelques semaines était remplacée par un silence encore plusinquiétant.Patrikdemanda:
—Bertil,tuasquelquechoseàajouter?—Quoi?Pardon?Mellbergsursauta.—As-tuquelquechoseàajouter?répétaPatrik.—Ah,oui.Ilseraclalagorgeenvoyanttouslesregardsdirigéssurlui.Euhnon,jenepensepas.Tu
semblesavoirlasituationsouscontrôle.AnnikaetPatrikéchangèrentunregard.D’habitude,elleétaitparfaitementaucourantdetoutcequise
tramait au commissariat,mais à présent elle haussa simplement les sourcils pour signifier qu’elle nonplusn’avaitpaslamoindreidée.
—Desquestions?Non?Bon,alors,auboulot.Ilsquittèrent tousavecsoulagement lapiècesurchauffée,pouralleressayerdedénicheruncoinde
fraîcheurquelquepart.SeulMartins’attarda.—Onpartquand?—Ondéjeuned’abord.—D’accord.Tuveuxquej’aillenousacheterquelquechose?—Oui,ceseraitsympa,commeçaj’aurailetempsdepasseruncoupdefilàErica.—Fais-luiunebisedemapart,lançaMartindepuislaporte.Patrikcomposalenumérodechezlui.Ilespéraqu’Erican’avaitpasététotalementassomméeparces
raseursdeJörgenetMadde…—Çaal’airvachementisolé.Martinregardaautourdelui,ilnevoyaitquedesarbres.Çafaisaitunquartd’heurequ’ilsroulaient
surdepetitesroutesforestièresetilsedemandas’ilsnes’étaientpastrompés.—T’inquiètepas,jesaiscequejefais.Jesuisvenuiciunefoisdéjà,quandundesmecsavaitpété
unplomb,jeconnaislechemin.Patrikavaitraison.Peuaprès,ilsarrivèrentàlaferme.—Pasmalcommeendroit.— Oui, ils ont bonne réputation. En tout cas ils ont toujours affiché une belle façade.
Personnellement,jesuisunpeusceptiquequandilyatropdebondieuseries,maisçan’engagequemoi.Mêmesil’intentionestgénéreuseaudépartdanstoutescescongrégationsévangéliques,tôtoutardellesattirent fatalement des gens bizarres. Elles offrent une solidarité et un vrai sentiment de famille et çaséduitceuxquiontl’impressionden’êtrechezeuxnullepart.
—Tusaisdequoituparles,ondirait?— Ben, ma frangine s’est retrouvée avec de drôles de gens à un moment donné. La période de
l’adolescenceoùonsecherche,tusais.Cen’estpasallétroploinetelles’enesttiréesansdégâts.Maisj’aiapprissuffisammentsurleurfonctionnementpourêtresceptique,c’estmieuxpourmasantémorale.Celadit,jen’aijamaisrienentendudenégatifsurcequisepasseici,etjesupposequ’iln’yaaucuneraisondecroirequ’ilsnesontpasréglo.
—Oui,quoiqu’ilensoit,çan’entrepasdanslecadredenotreenquête,ditMartin.Cela ressemblait à une mise en garde, et c’était un peu le sens qu’il voulait y mettre aussi.
Habituellement, Patrik était trèsmaître de lui,mais il avait eu un tonméprisant qui inquiétait un peuMartinetilsedemandacommentallaitsepasserl’interrogatoiredeJacobHult.
CefutcommesiPatrikavaitludanssespensées.Ilsourit.—Ne t’inquiètepas.C’estseulementundemeschevauxdebataille,çan’a rienàvoiravecnotre
mission.Patrik se gara et ils descendirent de la voiture.Le lieubouillonnait d’activité.Desgarçons et des
fillessemblaienttravailleraussibiendehorsqu’àl’intérieur.Touticiétaitidylliqueàsouhait.MartinetPatrik frappèrent à la porte. Un grand adolescent ouvrit. Tous les deux eurent un sursaut. Ils lereconnurent,maisuniquementgrâceauregardsombre.
—SalutKennedy.—Qu’est-cequevousvoulez?Letonétaithostile.NiPatrikniMartinnepurents’empêcherdeledévisager.Envoléslescheveuxlongs,envolésaussi
lesvêtementsnoirsetlapeaumalsaine.Legarçonquisetenaitdevanteuxétaitsipropreetsoignéqu’ilscintillait littéralement.Mais il avait toujours lemême regard hostile que chaque fois qu’ils l’avaientarrêtépourvolsdevoitures,détentiondedrogueetautresjoyeusetés.
—Tuasl’aird’allerbien,Kennedy.Patriksefitamical.Ilavaittoujoursplaintcegarçon.Kennedynedaignapasluirépondre.Aulieudecela,ilrépétasaquestion:—Qu’est-cequevousvoulez?—OnveutparleràJacobHult.Ilestlà?Kennedyleurbloqualepassage.—Etpourquoi?—Çaneteregardepas.LavoixdePatrikrestaitamicale.Alorsjeteleredemande:est-cequ’ilest
là?—Vous avez intérêt à arrêter de le harceler. Lui et sa famille. Je suis au courant de ce que vous
essayezdefaire,c’estignoble.Maisvousaurezvotrechâtiment.Dieuvoittoutetilvoitdansvoscœurs.MartinetPatrikéchangèrentunregard.—Oui,net’inquiètepaspourça,Kennedy.Maintenantilvaudraitmieuxquetutepousses.L’intonationdePatrikétaitdevenuemenaçanteet, aprèsunmomentd’affrontement,Kennedy recula
pourleslaisserentrer,àcontrecœurvisiblement.— Merci, dit Martin sèchement et il suivit Patrik qui s’avançait dans le vestibule, il paraissait
connaîtrelechemin.—Sonbureausetrouvetoutauboutducouloirsimessouvenirssontexacts.Kennedyleuremboîtalepas,telleuneombresilencieuse.Martinfrissonnadanslachaleur.Ilsfrappèrentàlaporte.Jacobétaitassisderrièresatabledetravail.—Jacob,lesflicssontlà,annonçaKennedyenserrantlespoings.— Tiens, tiens. Le bras long de la justice. Vous n’avez donc pas de véritables criminels à
pourchasser?Merci,Kennedy,tupeuxnouslaisserunmoment.Sansunmot,Kennedyobéitàl’ordreetsortitenrefermantlaporte.—Jesupposequevoussavezpourquoionestlà?Jacobôtaseslunettesdesoleiletsepenchaenavant.Ilavaitl’airravagé.—Oui,monpèrem’a appelé il y a uneheure environ. Ilm’a raconté unehistoire abracadabrante
commequoimonchercousinauraitaffirméqu’ilavuchezmoilafillequiaétéassassinée.—Est-cevraimentunehistoireabracadabrante?fitPatrikenobservantattentivementJacob.—Biensûrqueoui. Il tambourinaavec les lunettes sur lebureau.Pourquoi serait-ellevenueàLa
Métairie?Sij’aibiencompris,c’étaitunetouriste,etnotrefermeestsituéebienendehorsdessentierstouristiques. Et en ce qui concerne le prétendu témoignage de Johan…Oui, à ce stade vous êtes aucourantdenotresituationfamiliale,malheureusementSolveigetsafamillesaisissenttouteslesoccasionsquiseprésententpourcalomnierlanôtre.C’esttriste,maiscertainespersonnesn’ontpasDieudansleurcœur…
—Çasepeut.Patriksouritobligeamment.Maisilsetrouvequenoussavonspourquoielleauraitpuavoir une raison de venir àLaMétairie. Il sembla percevoir une lueur d’inquiétude dans les yeux deJacob.Ilpoursuivit:Ellen’étaitpasàFjällbackaentantquetouriste,maispourcherchersesracines.Etpeut-êtrepourensavoirunpeuplussurladisparitiondesamère.
—Samère?ditJacob,déconcerté.—Oui,TanjaétaitlafilledeSivLantin.Leslunettesdesoleiltombèrentdesamainsurlebureau.Sastupéfactionétait-elleréelleoufeinte,se
demandaMartin,quilaissaitlesoinàPatrikdemanierlaparolepourpouvoirseconcentrerentièrementsurlesréactionsdeJacobdurantl’entretien.
—Ehbien, pourdesnouvelles !Mais je ne comprends toujourspaspourquoi cela l’auraitmenéechezmoi?
—Commejeledisais,ellesemblaitvouloirserenseignersurcequiétaitarrivéàsamère.Etcommevotreoncleétaitlesuspectprincipaldelapolice,alors…Ilneterminapaslaphrase.
—Tout cela ressemble àdes spéculations sansqueueni tête.Mononcle était innocent,maisvousl’avezquandmêmepousséà lamortavecvos insinuations.Etcommeiln’estplus là,vousessayezdecoincerunautred’entrenousàlaplace.Jemedemandequelleépinevousavezdanslecœurquivousdonnecebesoindedétruirecequed’autresontconstruit?Est-cenotrefoietlajoiequenousytrouvonsquivousgênent?
Jacobs’étaitmisàparlercommes’ilprêchaitetMartincomprenaitpourquoic’étaitunprédicateursiapprécié.Lesmodulationsdesavoixavaientquelquechosedetoutàfaitensorcelant.
—Nousfaisonsnotreboulot,c’esttout.LetondePatrikétaitbrefetildutsemaîtriserpournepasmontrersonaversiondevantcequ’iltenait
pourdubaratindecul-bénit.Néanmoins,ilfutobligéd’admettrequeJacobdégageaitquelquechosedeparticulierquandilparlait.Desêtresfaiblespouvaientfacilementse laisserabsorberparcettevoixetêtreattirésparsonmessage.Ilpoursuivit:
—VousaffirmezdoncqueTanjaSchmidtn’estjamaisvenueàLaMétairie?Jacobfitungrandgestedesmains.—Jejurequejen’aijamaisvucettefille.Ilyaautrechose?Martin pensa à l’informationquePedersen leur avait donnée.Que Johannesne s’était pas suicidé.
C’était unenouvellequipourrait sansdoute ébranler Jacob.Mais il savait quePatrik avait raison. Ilsauraient àpeine le tempsdequitter lapièceque le téléphone sonnerait chez lesautresmembresde lafamilleHult.
—Non, jepensequenousenavons terminé.Mais iln’estpas impossiblequenousrevenionsplustard.
—Jen’enseraispasétonné.Jacobavaitperdusontondeprédicateuretsavoixétaitdenouveauégaleetcalme.Martinfutsurle
pointdeposersamainsurlapoignéelorsquelaportes’ouvritsansunbruitdevantlui.Kennedys’étaittenuensilencedel’autrecôtéetill’ouvritpileaubonmoment.Ilavaitforcémentécouté,lefeunoirquibrûlaitdanssesyeuxbalayaittoutehésitationlà-dessus.Martinfutobligédereculerdevantlahainequ’ilylisait.Jacobavaitdûluiparlerdavantagede«œilpourœil»quede«tuaimerastonprochain».
L’atmosphère autour de la petite table était tendue.Mais depuis la mort de Johannes elle n’avait
jamaisétéspécialementgaie.—Quandest-cequeçavas’arrêter,toutça!Solveigpressalamaincontresapoitrineetgémit.Onse
retrouvetoujoursdanslamerde.C’estcommesilesgensimaginaientqu’onestlààattendrelescoupsdepied!Tout lemondevaapprendreque lapoliceadéterréJohannes! Ilsvontsemettreà jaserencoreplus!Quandilsonttrouvécettedernièrefille,j’aicruqu’ilsallaientenfinarrêterdenousbaverdessus,etvoilàquetoutrecommence.
—Putain,t’asqu’àleslaisserjaser!Qu’est-cequeçapeutnousfoutre,cequiseracontedansleschaumières ? dit Robert en écrasant sa cigarette avec tant de violence que le cendrier se renversa.Solveigretiravivementlesalbumsdephotos.
—Robert!Faisattention!Çapeutfairedestachessurmesalbums.—J’enaimarredetesalbums!Touslesjours,t’eslààlestripoter,tesphotosàlacon!T’aspas
pigéquecetemps-làc’estfini!Yacentansdeça,ettoit’esencorelààsoupireretàtournerlespagesdetesputainsd’albums.Papaestmort!Tun’esplusunereinedebeauté.Maisregarde-toi!
Robertprit lesalbumset les jetapar terre.Solveigpoussauncri et s’accroupitpour ramasser les
photosquis’étaientéparpilléessurlesol.Celanefitqu’accroîtrelacolèredeRobert.IgnorantleregardsuppliantdeSolveig,ilsepencha,ramassaunepoignéedephotosetcommençaàlesdéchirerenmillemorceaux.
—Non,Robert,non,pasmesphotos!Jet’enprie,Robert!LabouchedeSolveigétaitcommeuneplaiebéante.
—T’esplusqu’unevieilleobèse!Etpapas’estpendu!Ilseraittempsquetuconnectes!Johan,quiétaitrestécommefigédevantlascène,selevaetsaisitfermementlepoignetdeRobert.Il
ouvritdeforcelesdoigtsquiserraientconvulsivementlesmorceauxdephotographiesetforçasonfrèreàécouter:
—Maintenanttutecalmes.T’esentraindefaireexactementcequ’ilsveulent,tuvois?Ilsveulentqu’onse retourne lesunscontre lesautrespourque la famillesedéchire.Maisonvapas leurdonnercettesatisfaction,t’entends!Onrestesolidaires.Maintenantt’aidesmamanàramassersesalbums.
LafureurdeRoberts’affaissacommeunballonquisedégonfle.Ilsepassalamainsurlesyeuxetregardaavecconsternationledésordreautourdelui.Solveiggisaitparterrecommeungrostasmoudedésespoir, elle sanglotait en laissant s’échapper de petits bouts de photos entre ses doigts. Ses pleursétaientunvraicrève-cœur.Roberttombaàgenouxàcôtéd’elleetlapritdanssesbras.Tendrement,ilécartaunemèchegrassedesonfrontetl’aidaàseremettredebout.
—Pardon,maman,pardon,pardon,pardon.Jevaist’aideràlesrecoller,tesphotos.Pourcellesquisontdéchirées,c’estfoutu,maisilyenapastantqueça.Regarde,laplussympa,ellen’arien.Regarde-toi,commetuétaisbelle.
Il luimontra une photo. Solveig enmaillot de bain une pièce tout à fait décent avec un ruban luibarrant la poitrine : «Reine demai 1967».Elle était belle. Ses pleurs se transformèrent en sanglotshoquetés.Elleluipritlaphotoetsonvisages’illumina.
—Oui,j’étaisbelle,pasvraiRobert?—Oui,maman,t’étaisbelle!Laplusbellefillequej’aijamaisvue!—Tulepensesvraiment?Ellesouritaveccoquetterieetluicaressalescheveux.Ill’aidaàs’asseoir.—Oui,jelepense.Croixdebois,croixdefer.Uninstantplustard,toutétaitramasséetSolveigétaitdenouveauentraindefeuilletersesalbums,
heureuse.JohanfitsigneàRobertdesortir.Ilss’assirentsurleperrondevantlamaisonetallumèrentunecigarette.
—Merde,Robert,c’estpaslemomentdepéterunboulon.Robertraclalegravieraveclepied.Ilneditrien.Qu’yavait-ilàdire?Johanavalalafuméeetlalaissaensuitevoluptueusementfiltrerentreseslèvres.—Ilfautsurtoutpasqu’onentredansleur jeu.C’estsérieux,cequejeviensdedire.Ilfautqu’on
restesolidaires.Robertnedittoujoursrien.Ilavaithonte.Uncreuxs’étaitformédanslegravierdevantlui.Iljetason
mégotdansletrouetlecouvritdeterre,unemesureensoiassezinutile.Toutautourd’eux,lesolétaitjonchédevieuxmégots.Auboutd’unmoment,iltournaleregardversJohan.
—Dis-moi,cettehistoirecommequoit’auraisvulafilleàLaMétairie.Ilhésita.C’estvrai?Johan tiraunedernièreboufféede sacigarette, et jeta lemégotpar terre, lui aussi. Il se leva sans
regardersonfrère.
—Putainoui,évidemmentquec’estvrai.Puisilentradanslamaison.Robert restadehors.Pour lapremière foisde savie, il sentitungouffre se formerentre lui et son
frère.Çaluifichaitlatrouille.L’après-midipassadansuncalmetrompeur.Tantqu’iln’avaitpasobtenudavantagededétailssurles
restesexhumésdeJohannes,Patrikévitaittouteactionprématurée,etrestaitenattenteducoupdefil.Netenantpasenplace,ilallavoirAnnikahistoiredepasserletempsenbavardantunpeu.
—Vousvousensortez,decettehistoire?Commed’habitude,elleleregardapar-dessusseslunettes.—Bof,lacaniculen’arrangepasleschoses.Il notaunagréable courantd’air dans lebureaud’Annika.Ungrandventilateurbourdonnait sur sa
tabledetravailetPatrikfermalesyeuxd’aise.—Pourquoijen’aipaspenséàça,moi?J’enaiachetéunpourEricaàlamaison,pourquoiest-ce
quejen’enaipasachetéunpouriciaussi?Dèsdemainmatin,jem’enoccupe.—Erica,oui,commentva-t-elle?Lapauvre,çadoitêtrepéniblepourelleaveccettechaleur.—Oui,avantqu’elleaitleventilo,elleafaillidevenirdingue.Elledortmal,elleadescrampesaux
mollets,etellenepeutpassecouchersurleventre,enfin,tusais,touscestrucs-là.—Ben,non,jenepeuxpasvraimentdirequejesais,ditAnnika.Patrik se renditcomptedecequ’ilvenaitdedire.Annikaet sonmarin’avaientpasd’enfantset il
n’avait jamais osé demander pourquoi. Ils ne pouvaient peut-être pas en avoir et dans ce cas il avaitvraimentmislespiedsdansleplatavecsoncommentaireinconsidéré.
—Net’inquiètepas.C’estunchoixqu’onafait.Onn’ajamaisressentil’envied’avoirdesenfants.Onanoschiens,cesonteuxquiprofitentdenotreaffection.
—Ouf,j’aieupeurd’avoirfaitunegaffe.Patriksentitlacouleurrevenirsursesjoues.Quoiqu’ilensoit, c’est assez fatigant pour tous les deux,même si évidemment c’est Erica qui souffre le plus. Onvoudraitbienvoirçaseterminer,maintenant.Etenplusonaétéunpeuenvahiscesdernierstemps.
—Envahis?Annikahaussalessourcils.—Lafamilleetlessoi-disantamisquitrouventqueFjällbackaenjuilletc’estuneidéeformidable.—Etilsveulentprofiterdel’occasiondevousavoirtoutàeuxunpetitmoment,c’estça?ironisa
Annika.Ehoui,jeconnaislebaratin.Onavaitcemêmeproblèmedeparasitesaudébutquandonvenaitd’acheternotremaisondecampagne,puisonenaeumarreetonlesaenvoyéspaître.Onn’apaseudeleurs nouvelles depuis,mais ce ne sont pas vraiment des gens qui vousmanquent.Les vrais amis, ilsviennentaussiennovembre.Lesautres,tut’enpassessanslemoindreproblème.
—C’estvrai,maisplusfacileàdirequ’àfaire.Ericaaeffectivementmislapremièrefournéeàlaporte,maisencemomentonsefarcit ladeuxièmeenfeignant l’hospitalitéparpolitesse.EtmapauvreEricaquiestlàtoutelajournéeàleurservice,soupiraPatrik.
—C’estpeut-êtreàtoidetemontrerl’hommedelasituationetd’arrangertoutça?—Moi?PatrikjetaunregardfroissésurAnnika.—Oui,siEricaestentraindesetueràlatâchealorsquetoi tuesàl’abri ici toutelajournée, tu
pourrais peut-être faire preuve d’autorité pour qu’elle retrouve un peu de calme. Ça ne doit pas êtrefacilepourelle.Ellequiesthabituéeàmenersabarquetouteseule,aveclagrossesseelleestclouéeàlamaisonàseregarderlenombrilpendantque,toi,tucontinuesàvivrecommed’habitude.
—Jenel’avaispasvucommeça,ditPatrik,etilsesentaitassezcrétin.—C’estbiencequejemesuisdit.Cesoir,tuvaslesmettreàlaporte,teschershôtes,quoiquele
bonvieuxLuthertechuchoteàl’oreille.Puistut’occuperasdelafuturemèrecommeilfaut.Est-cequetu
parles avec elle au moins, tu lui demandes comment elle se sent, seule comme ça à la maison ? Jesupposequ’ellenedoitpastropsortir,aveccettechaleur?
—Non…Patrikn’enavaitpresqueplusdevoix.C’étaitcommesiunrouleaucompresseurétaitpassésurlui.Il
avaitlagorgenouéed’angoisse.Pasbesoind’êtreungéniepourcomprendrequ’Annikaavaitraison.Unmélanged’égoïsmebornéetdesa tendanceàse laisserabsorberpar leboulot luiavait fait totalementnégliger lasituationd’Erica. Il laconnaissaitpourtant trèsbien, ilsavaitàquelpointc’était importantpourelled’êtreactive.Maiscelaavaitdûl’arrangerdeseleurrerainsi.
—Allez,rentredoncunpeuplustôtt’occuperdetacompagne.—Maisj’attendsunappel.SaréponsefusamachinalementetleregardqueluijetaAnnikaluiindiquaquecen’étaitpaslabonne.—Tuveuxdirequetontéléphoneportablenefonctionnequ’entrelesmursducommissariat?Assez
limitécommepérimètre,jeveuxdires’ilestsupposéêtrevraimentportable?—Oui,gémitPatrik,ausupplice.Ilbonditdelachaise.Bon,jemecassechezmoialors.S’ilyades
appels,tuesgentilledemelesfairesuivresurleportable…Annikaleregardacommes’ilétaitcomplètementabrutietilsortitdelapièceàreculons.S’ilavaiteu
unbonnet,ill’auraittenuàlamain–etilauraitfaitdescourbettesaussi…Pourtant,desévénementsimprévusallaientl’empêcherdepartiravantencoreunebonneheure.Ernst était en train d’explorer le rayon gâteaux chez Hedemyrs. Il avait d’abord pensé aller à la
pâtisserie,maisilyavaitunetellequeuequ’ilavaitpréféréserendreaulibre-service.Aubeaumilieududilemmequiconsistaitàchoisirentredespetitspainsàlacannelleetdeséclairs
auchocolat, sonattention futattiréepardu raffutà l’étage. Il reposa lesgâteauxetallavoircequi sepassait.Legrandmagasinétaitrépartisurtroisniveaux.Aurez-de-chausséesetrouvaientlerestaurant,lekiosqueàjournauxetlalibrairie,aupremierétagel’alimentationetàl’étagesupérieurlesvêtements,leschaussuresetlaboutiquecadeaux.Deuxfemmesétaiententraindesedisputerunsacàmainauxcaissesdu deuxième étage. L’une avait un badge épinglé sur la poitrine indiquant qu’elle faisait partie dupersonnel,tandisquel’autreparaissaitsortirtoutdroitd’unfilmrussedesérieB:minijupe,basrésille,débardeurtailledouzeansetsuffisammentdemaquillagepourressembleràunepalettedepeintre.
—No,no,mybag!criait-elled’unevoixstridentedansunanglaisapproximatif.—Jevousaivueprendrequelquechose, répondit lavendeuse,elleaussienanglaismaisavecun
accentsuédoistrèsnet.Elleeutl’airsoulagéeenvoyantErnst.—Dieusoitloué,ilfautarrêtercettefemme.Jel’aivuepasserdanslesrayonsetmettredesarticles
danssonsacetelleessayaitdepartiravectoutça.Ernstn’hésitapas.Endeuxgrandesenjambées, il futprèsde lavoleuse supposéeet laprit par le
bras.Commeilneparlaitpasunmotd’anglais,ilnesedonnapaslapeinedeposerdequestions.Illuiarrachabrutalementlegrossacàmainetvidatoutbonnementsoncontenuparterre.Unsèche-cheveux,unrasoirélectrique,unebrosseàdentsélectriqueet,pouruneétrangeraison,uncochonencéramiqueavecunecouronnedefleurssurlatêtesedéversèrentdusac.
—Qu’est-cequetudisdeça,hein?ditErnst.Lavendeusetraduisitenanglais.Lafemmesecouaseulementlatêteavecl’airdeneriencomprendre.Elledit:—Iknownothing.Speaktomyboyfriend,hewillfixthis.Heisbossofthepolice!—Qu’est-cequ’elledit?sifflaErnst.Çal’agaçaitd’êtreobligédesefaireaiderparunefemmepour
comprendrecequ’ondisait.
—Elleditqu’ellenesaitrien.Etquevousdevezparleravecsonpetitami.Elleditqu’ilestchefdelapolice!
Leregardconfusde lavendeuseallad’Ernstà lafemme,quiavaitmaintenantunsourire triomphalauxlèvres.
—Ohqueoui,ellevapouvoirparleraveclapolice.Etonverrasiellecontinueàdirecegenredeconnerie.«Petitamiquiestchefdelapolice.»C’estunechansonquifonctionnepeut-êtreenRussie,ouquelquesoitlefoutuendroitd’oùtuviens,mapetitedame,maisiciçaneprendpas,cria-t-il,levisageàseulementquelquescentimètresdeceluide la femme.Ellenecomprenaitpasun traîtremot,maiselleavaitl’airmoinssûred’elle.
Ernst la tira brutalement hors dumagasin et dans la rue jusqu’au poste de police. Elle se laissaitlittéralement traîner derrière lui sur ses talons hauts et les gens dans leurs voitures ralentirent pourobserverlascène.Annikaouvritdegrandsyeuxquandilpassaentrombedevantl’accueil.
—Mellberg!Ilsefaisaitentendredanstoutlecommissariat.Patrik,MartinetGöstapointèrentlenez.Ernstappela
encoreunefoisendirectiondubureaudeMellberg.—Mellberg,viensvoirparlà,jetienstafiancée!Il gloussa tout seul.Cette fille allait en avoir pour ses frais.Un silence inquiétant régnait dans le
bureau deMellberg et Ernst se demanda si le boss avait eu le temps de sortir pendant les quelquesminutesoului-mêmes’étaitabsentépouracheterdesgâteaux.
—Mellberg?appela-t-ilunetroisièmefois,maintenantunpeumoinsenthousiasméparsonprojetdefaire avaler son mensonge à la femme. Au bout d’une très longue minute, où Ernst se tenait dans lecouloir,unemainfermeautourdubrasdelafemmeetlesyeuxdetousdirigéssureux,Mellbergfinitparsortirdesonbureau.Leregardbaisséetleventrenoué,Ernstréalisaquel’affairen’allaitpeut-êtrepastourneraussibienqu’ill’avaitescompté.
—Beeertil!LafemmesedégageaetcourutversMellbergquisefigeadanssesmouvementscommeunchevreuil
devantlespharesd’unevoiture.Commeellemesuraitvingtcentimètresdeplusquelui,l’effetfutpourlemoinscomiquelorsqu’ellese jetaàsoncou.Ernstétaitbouchebée. Il luisemblaitque lesolallaitsedérobersoussespiedsetilsevoyaitdéjàplanchersursalettrededémission.Avantd’êtreviré.Aveceffarementilcompritqueplusieursannéesdeflagorneriezéléevenaientd’êtreréduitesànéantparuneseuleinitiativemalheureuse.
LafemmelâchaMellbergetseretournapourpointerundoigtaccusateursurErnst,quitenaittoujourslesacàmain,l’airpenaud.
—This brutalman put his hands onme !He say I steal !Oh,Bertil, youmust help your poorIrina!
Mellbergluitapotamaladroitementl’épaule,gestequiexigeaitqu’illèvesamainàpeuprèsàhauteurdesonproprenez.
—Yougohome,Irina,OK?Tohouse.Icomelater.OK?Sonanglaispouvaitaumieuxêtrequalifiéd’hésitant,maisellecompritqu’illuidisaitderentreràla
maisonetellen’appréciaitpas.—No,Bertil.Istayhere.Youtalktothatman,andIstayhereandseeyouwork,OK?Il secouafermement la têteet lapoussadevant luiavecdétermination.Ellese retourna, inquièteet
dit:—ButBertil,honey,Irinanotsteal,OK?Puiselletortilladesfessespoursortirsursestalonsaiguillesaprèsunderniercoupd’œilmalveillant
endirectiond’Ernst.Celui-cifixaittoujourslesoletn’osaitpasrencontrerleregarddeMellberg.—Lundgren!Dansmonbureau!Auxoreillesd’Ernst,çasonnaitcommeleJugementdernier.Docilement,ilsuivitMellberg.Dansle
couloir,tousceuxquiavaienttendulatêtepourvoircequisepassaitrestaientbouchesbées.Maintenantilssavaiententoutcasàquoiétaientduestouteslesrécentessautesd’humeurdeMellberg…
—Tuvasmefaireleplaisirderacontercequis’estpassémaintenant,ditMellberg.Ernstacquiesçad’un faiblehochementde la tête.Lasueurcoulait sur son frontetcen’étaitplusà
causedelachaleur.Ilracontal’altercationchezHedemyrsoùilavaitvucettefemmesebattreavecunevendeusepourle
sacàmain.D’unevoixtremblanteilracontaaussicommentilavaitdéversélecontenudusacettrouvéuncertainnombred’articlesquin’avaientpasétépayés.Puisilsetutetattenditleverdict.Àsasurprise,Mellbergsepenchaenarrièredanssonfauteuilavecunprofondsoupir.
—Oui,jemeretrouvedansunsacrémerdier.Ilhésitauninstant,ouvrituntiroiretsortitunebrochurequ’illançasurlatabledevantErnst.—Ça,c’estcequej’attendais.Pagetrois.Sa curiosité éveillée, Ernst prit ce qui ressemblait à un annuaire de lycée avec les photos et les
donnéespersonnellesdesélèves,et l’ouvrit.Lespagesétaient rempliesdephotosdefemmes,avecdebrèves indications de taille, de poids, de couleur des yeux et de passe-temps favoris. Subitement ilréalisa ce qu’était Irina. Une « épouse par correspondance ». Bien qu’il n’y eût pas beaucoup deressemblanceentre l’Irinaqu’ilavaitvueetsonportraitdans lecatalogue.Elleyavaitaubasmotdixannées, dix kilos et un kilo demaquillage enmoins. Sur la photo elle était belle et innocente et elleregardaitl’objectifavecunlargesourire.Lesyeuxd’ErnstallèrentduportraitàMellbergquifitungrandgesteaveclesbras.
—Tuvois,ça,c’estcequej’attendais.Ons’estécritpendantunanettupeuximaginerquej’étaispressédelafairevenirici,celle-là.Ilhochalatêteendirectionducataloguesurlesgenouxd’Ernstetsoupira.Puiselleestarrivée.Tuparlesd’unedouchefroide.Ettoutdesuiteçaaété:«Bertil,monchéri,achète-moici,achète-moiça.»Jel’aimêmepriseenflagrantdélitdefouillermonportefeuille.Oui,jetejure,unvraimerdier.
Il se tapota le nid de cheveux sur son crâne et Ernst nota que leMellberg qui se souciait de sonapparenceavaitdisparu.Maintenantsachemiseétaitdenouveausale,etlesrondsdetranspirationsouslesbrasgrandscommedessoucoupes.C’étaitrassurantenquelquesorte.Leschosesétaientrentréesdansl’ordre.
—Jetefaisconfiancepournepasallercrierçasurtouslestoits.MellberglevaundoigtversErnstquisecoualatêteavecempressement.Pasunmotnefranchiraitses
lèvres.Unsoulagementlesubmergea,aprèstoutilneseraitpasviré.—Alors on pourrait oublier ce petit incident ? Je vaism’occuper de gérer ça comme il faut.Un
retoursimpleparlepremiervol.Ernstselevaetsortitdelapièceavecforcecourbettes.—Etpuistudirasàtescollèguesd’arrêterleurspotinsetdeseremettreauboulot.ErnstaffichaungrandsourireenentendantletoncassantdeMellberg.Lechefétaitremontéenselle.S’ilavaiteudesdoutessurl’exactitudedesparolesd’Annika,ilsfurentbalayésdèsqu’ileutfranchi
la porte. Erica se jeta littéralement dans ses bras et il vit ses traits tirés par la fatigue. Lamauvaiseconsciencel’assaillitdenouveau.Ilauraitdûêtreplusàl’écoute,plusattentif.Aulieudecela,ils’était
enterrédansletravailencoreplusqued’habitude,etl’avaitlaisséeerrercomplètementdésœuvréeentrequatremurs.
—Ilssontoù?chuchota-t-il.—Danslejardin,chuchotaEricaenretour.OhPatrik,jenesupporteraipasdelesavoiriciunjour
deplus.Ilssontrestésvisséssurleursfessestoutelajournéeàattendrequejelesserve.Jen’enpeuxplus.
Elles’effondradanssesbrasetilluicaressalatête.—Net’inquiètepas,jem’encharge.Jesuisdésolé,jen’auraispasdûtravaillerautantcettesemaine.—Jet’avaisditquej’étaisd’accord.Ettun’avaispasvraimentlechoix,marmonnaEricatoutcontre
sapoitrine.Malgré sa mauvaise conscience, il reconnaissait qu’elle avait raison. Comment aurait-il pu faire
autrement,alorsqu’unejeunefilleavaitdisparu,peut-êtreretenuedeforcequelquepart.Mais,enmêmetemps,Ericaetl’enfantetleursantédevaientpasserenpremier.
—Jenesuispasseulaucommissariat.Jepeuxdéléguerpasmaldechoses.Mais,pourcommencer,onaunproblèmeplusurgentàrésoudre.
Ilsedégageadesbrasd’Erica,prituneprofondeinspirationetsortitdanslejardin.—Salut.Çasepassebienpourvous?JörgenetMadeleinetournèrentleurnezfluoversluiethochèrentgaiementlatête.Unpeumonneveu,
queçasepassebienpourvous,pensaPatrik,avecquelqu’unàvotreservicetoutelajournée.Vouscroyezsansdoutequec’estunfoutuhôtelici.
— Écoutez, j’ai résolu votre problème. J’ai appelé un peu partout pour vérifier. Beaucoup detouristesontquittéFjällbackaetilyadeschambreslibresauGrandHôtel,maisvoussemblezavoirunbudgetassezserré,c’estpeut-êtretropcherpourvous?
Jörgen etMadeleine, qui avaient eu l’air inquiets pendant une seconde, abondèrent dans son sens.Oui,c’étaitunpeutropcher.
— J’ai aussi appelé le gîte d’étape surValö, dit Patrik et il vit avec satisfaction leur air soudainsoucieux.Etfigurez-vous–euxaussiontdelaplace.C’estchouette,non?Bonmarché,propreetsympa,quedemanderdeplus?
Ilfrappadesmainsavecunenthousiasmeexagéréetdevançalesprotestationsqu’ilvitseformersurleurslèvres.
—Jepensequ’ilvaudraitmieuxcommenceràfairevosbagagestoutdesuite,jeveuxdire,leferrypourl’îlepartdansuneheure.
Jörgencommençaàdirequelquechose,maisPatriklevatoutdesuitelamainpourl’arrêter.—Non,non,nemeremerciepas.C’étaitsipeu,justequelquescoupsdefilàdonner.Avecungrandsourire,ilentraretrouverEricaquiavaittoutsuiviparlafenêtredelacuisine.Ilsse
tapèrentdanslamainetdurentseretenirpournepasrire.—Bien joué,chuchotaEricaavecadmiration.Jenesavaispasque jevivaisavecunchampionen
machiavélisme!— Il y a beaucoup de choses que tu ignores à mon sujet, ma chérie, dit-il. Je suis un être très
complexe,tusais…—Ahoui?Moij’aitoujourspenséquetuétaisd’unesimplicitéconfondante,letaquina-t-elleavec
unsourire.—Situn’avaispascettegrosseboulequigênelepassage,jetemontreraistoutdesuiteoùelleen
est,ma simplicité.Patrik joua le séducteuret il sentit les tensions se relâcher commeaprèsdepetiteschamailleriesd’amoureux.Puisilredevintsérieux.
—Tuaseud’autresnouvellesd’Anna?Lesourired’Ericadisparut.—Non,aucune.Jesuisdescenduevoirauponton,maislebateaun’yétaitplus.—Tucroisqu’elleestrentréechezelle?—Jenesaispas.Soitelleyest,soitilscontinuentleurcabotagelelongdelacôte.Maistusaisquoi,
jem’enfiche.J’enaimarre,elleesttellementsusceptible,ellesemetàbouderdèsquejedisquelquechosequineluivapas.
EllesoupiraetfutinterrompueparJörgenetMadeleinequi,minesrenfrognées,passèrentpourallerramasserleursaffaires.
Unmomentplustard,lorsquePatrikeutaccompagnélesvacanciersrécalcitrantsauferrydeValö,ilss’assirentsurlavérandaetjouirentdelaquiétuderetrouvée.Soucieuxdebienfaireetavecunsentimentd’avoirpasmaldechosesàrattraper,Patrikmassalespiedsetleschevillesgonflésd’Ericaquisoupirad’aise. Il repoussa loin dans un coin de sa tête la pensée des filles assassinées et de JennyMöllerdisparue.Ilfallaitbienquel’âmeprenneunpeudereposdetempsentemps.
L’appelarrivalematin.Poursoulignersarésolutiondemieuxs’occuperdesacompagne,Patrikavait
prissamatinéeetilsétaiententraindepetit-déjeuneraucalmedanslejardinlorsquePedersenappela.Avecunregardd’excuseàErica,Patrikseleva,etelleluifitsigned’yaller,avecunsourire.Elleavaitdéjàl’aird’allerbeaucoupmieux.
—Oui,tuasquelquechosed’intéressant?ditPatrik.—Oui,c’estlemoinsqu’onpuissedire.D’abord,encequiconcernelacausedelamortdeJohannes
Hult,mapremièreobservationétaitcorrecte.Johannesnes’estpaspendu.Situdisqu’onl’aretrouvéparterre avecunnœudcoulant autourducou, c’estque la cordea été ajoutéeaprès samort. Il a reçuunviolentcoupmortelàl’arrièredelatêtefrappéavecunobjetdur,pasarrondi,maisplutôttranchant.Ilaaussiunemeurtrissureàlamâchoire,quipeutêtrelerésultatd’uncoupaussi.
—Onpeutdoncêtresûrqu’ils’agitd’unhomicide?demandaPatriklamaincrispéesurlecombiné.—Oui,ilestimpossiblequ’ilaitpus’infligerunetelleblessurelui-même.—Etsamortremonteàquand?—Difficile à dire.Mais il est resté enterré longtemps. Je dirais qu’il a bel et bien dûmourir à
l’époqueoùonacruqu’il s’étaitpendu. Iln’apasétémisdans la tombeplus tard, si c’est ceque tuessaiesd’insinuer,ditPedersenavecuntonamusé.
PatrikréfléchitensilenceàcequePedersenvenaitdedire,puisunepenséevintlefrapper:—Tudisaisquetuavaistrouvéautrechose.C’estquoi?—Oh,tuvasapprécier.Onaunestagiaireicipendantl’étéetelleestplusqueconsciencieuse.Ellea
eul’idéedefaireuntestd’ADNsurJohannes,maintenantquedetoutefaçonilétaitdéterré,sijepuisdire,etdecompareravecleséchantillonsdespermesurTanjaSchmidt.
—Oui?Patriks’entenditrespireravecforce.—Tuvas pasme croire, on a trouvéuneputain de correspondance !Le salopardqui a tuéTanja
SchmidtestdelamêmefamillequeJohannesHultsanslemoindredoutepossible!Patrikn’avaitjamaisauparavantentenduletrèscorrectPedersenutiliserdegrosmots,maisàprésent
ilétaitprêtàfairepareil.Putain!Quandileutretrouvésesesprits,ildit:—Vouspouvezvoirquelestledegrédeparenté?Soncœurbattitlachamade.—Oui,onestentraindevérifier.Maispourçailnousfautdavantagedematérieldecomparaison,
alorstamissionmaintenantseradefairepréleverdeséchantillonsdesangsurtouslesmembresconnus
delafamilleHult.—Tous?ditPatriketilsesentitdéfaillirrienqu’àlapenséedelaréactionduclanàcetteintrusion
dansleurvieprivée.Il remercia Pedersen pour l’information et retourna à la table du petit-déjeuner où Erica trônait
commeunemadone,lachemisedenuitblanchegonfléeparsesformesarrondiesetlescheveuxblondslibres.Ellecontinuaitàluicouperlesouffle.
—Vas-y, vas-y. Elle lui fit signe de la main de s’en aller et il lui posa une bise sur la joue enremerciement.
—Tuasquelquechoseàfaireaujourd’hui?demanda-t-il.—Undes avantagesdesvisiteurs exigeants, c’est quemaintenant jeme régale à l’idéedene rien
faire pendant toute une journée.Autrement dit, je vais passer la journée à glander.Bouquiner dans lejardin,grignoterunpeu.
—Çamesembleunbonplan.Jevaisessayerderentrertôtaujourd’huiaussi.Jeserailàauplustardàquatreheures,promis.
—Oui,oui,faisaumieux.Turentrerasquandtupeux.Filemaintenant, jevoisbienquetunetiensplusenplace.
Ellen’eutpasbesoindelediredeuxfois.Ilseprécipitaaucommissariat.Quand il arrivavingtbonnesminutesplus tard, les autres étaient en traindeboire le café.Pris en
défaut,ilréalisaqu’ilarrivaitsansdouteavecbeaucoupplusderetardqueprévu.—SalutHedström,tuasoubliéderéglertonréveilouquoi?Ernst, dont la confiance en soi était totalement restaurée depuis la veille,mit juste ce qu’il fallait
d’insolencedansleton.—Non, jediraisqu’ils’agitplutôtd’unepetitecompensationpourtoutesmesheuressup.Ilfallait
aussi que jem’occupedema compagne, ditPatrik avecun clin d’œil àAnnika, qui avait déserté sonposteàl’accueilunpetitmoment.
—Oui,jesupposequeçafaitpartiedesprivilègesdupatron,depouvoirs’octroyerunematinéepar-cipar-làpourfairelagrassemat’.Ernstneputs’empêcherderenvoyerlaballe.
—C’estvraiquejesuisresponsabledecetteenquête,maisjenesuispasunpatronpourautant,fitremarquerPatrikavecdouceur.
Lesregardsqu’AnnikajetaàErnstn’étaientpasaussidoux.—Et en tant que responsable de l’enquête j’ai du nouveau – et une nouvellemission, poursuivit
Patrik.Il leurfitpartdeceque luiavaitapprisPedersenetpendantunpetitmoment l’atmosphèredans la
cuisinedupostedepolicedeTanumshedefuttriomphale.— Bon, ça veut dire qu’on a restreint le champ à quatre personnes possibles, dit Gösta. Johan,
Robert,JacobetGabriel.—Oui,etn’oublionspasàquelendroitTanjaaétévuepourladernièrefois,ditMartin.—D’aprèsJohanentoutcas,rappelaErnst.C’estluiquil’affirme,ilfautlegarderentête.Pourma
part,j’aimeraisavoiruntémoinunpeuplusfiabled’abord.—Oui,maisLindaditaussiqu’ilsontvuquelqu’uncesoir-là,alors…PatrikmitfinàladiscussionentreErnstetMartin.—Peuimporte,dèsquenousauronsfaitdestestsADNà touslesmembresdelafamilleHult,nous
n’aurons plus besoin de spéculer. Nous saurons. Et j’ai déjà appelé pour obtenir les autorisations
nécessaires.Toutlemondesaitpourquoiçapresse,etj’attendslefeuvertduprocureurd’unmomentàl’autre.
Ilseversaunetassedecaféets’installaavecsescollègues.Ilposasontéléphoneportableaumilieudelatableetpersonneneputs’empêcherd’yjeteruncoupd’œildetempsàautre.
—Qu’est-cequevousavezpenséduspectacled’hier?Ernstgloussa,ilavaitdéjàoubliésapromessedenepasdivulguerlesconfidencesdeMellberg.Àce
stade, tout lemondeavaitentenduparlerde lafiancéeparcorrespondancedeMellberg.Çafaisaituneéternitéqu’ilsn’avaientpaseuunragotpareilàsemettresousladent,etlàilstenaientquelquechoseàcommenterenlongetenlargepourunbonboutdetemps.
—Unsacré show,quandmême! ritGösta.Sionestàcepointenmanqued’une femme,qu’on lacommandesurcatalogue,ilnefautpasvenirseplaindreensuite.
—J’auraisvouluvoirsaminequand ilestallé lachercherà l’aéroportetqu’ilacomprisqu’ellen’étaitpasàlahauteurdesesattentes.
Annikaritcordialementdudésastre.Riredumalheurdesautresneparaissaitpasaussiaffreuxquandc’étaitMellbergquiétaitlacible.
—Oui,jedoisdirequ’ellenes’estpasendormiesurseslauriers,rigolaErnst.Elleafilédroitaumagasinremplirlesac.Etc’étaitsurtoutl’étiquetteduprixqu’elleregardait,pastellementl’objetenlui-même,semble-t-il.Tiens,àproposdevoler,qu’est-cequevousditesdeça.Persson,levieuxqu’onestallés voir hier,Gösta etmoi, il nous a dit qu’un connard venait régulièrement lui piquer de son foutuengrais.Après chaque livraison, il se rendait comptequ’ilmanquait plusieurs sacs.Putain, ceque lesgenspeuventêtreradins,allerpiquerdessacsdemerde,hein?Unemerdehorsdeprixapparemment,maisquandmême…Ilsefrappalesgenouxenriantauxéclats.Ehoui,oncroitrêver,dit-iletilessuyaunelarme.Puisilréalisaqu’unsilencedemorts’étaitforméautourdelui.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ? La voix de Patrik était lourde de menaces. Ernst avait déjàentenduceton-là,quelquesjoursplustôt,etilcompritqu’ilavaitencorefaitunegaffe.
—Ben,ilm’aracontéquequelqu’unluivolaitrégulièrementdessacsd’engrais.—EtenconsidérantqueLaMétairieestlafermelaplusproche,tunet’espasditquecelapouvait
avoirsonimportancecommeinformation?Lavoixétaittellementglacialequ’Ernstsentitlefroidluipicoterlapeau.Patriktournaleregardvers
Gösta.—Tul’asentenduaussi,Gösta?—Non,lefermieradûleluidirequandjem’étaisabsentéauxtoilettesquelquesminutes.Iljetaun
regardnoirsurErnst.—Jen’yaipaspensé,maugréaErnst.Merdealors,onpeutpasavoirtoutentêtenonplus.—C’estpourtantexactementcequ’ilfaudrait.Maisonenreparleraplustard,laquestionmaintenant
estdesavoircequeçasignifiepournous.Martinlevalamain,commes’ilétaitàl’école.—Est-cequejesuisleseulàpenserqu’ons’approchedeplusenplusdeJacob?Premièrement,ona
untémoignage,mêmesilasourceestdouteuse,disantqueTanjasetrouvaitàLaMétairiepeuavantsadisparition.Deuxièmement,l’ADNsurlecorpsdeTanjaindiquequelqu’undelafamilledeJohannes,et,troisièmement,dessacsd’engraisontdisparud’unefermequisetrouveêtre,littéralement,laplusprochedeLaMétairie.C’estsuffisant,jetrouve,pourlecueilliretavoirunpetitentretienavecluietpourallerjeteruncoupd’œilsursesterres.
PersonnenedittoujoursrienetMartincontinuasonargumentation:—Tul’asdittoi-même,Patrik,çaurge.Onn’arienàperdreàjeteruncoupd’œiletàserrerlavisà
Jacob.C’est seulement en ne faisant rien qu’on peut perdre.Bien sûr, on aura une réponse claire dèsqu’onaurapucomparerlesangdetoutelafamilleavecl’ADN trouvé,maisenattendantonnepeutpasresteràseroulerlespoucesici.Ilfautfairequelquechose!
Patrikfinitparprendrelaparole:—Martinaraison.Onasuffisammentdedonnéespourqueçavaillelecoupdeluiparler,etçane
peutpasfairedemaldejeteruncoupd’œilàLaMétairieparlamêmeoccasion.Voicicequ’onvafaire:Göstaetmoi,onvachercherJacob.Martin, tucontactesUddevallaet tudemandesdurenfortpouruneperquisitionàLaMétairie.Demandedel’aideàMellbergpourobtenirlesautorisations,etveillebienàcequ’ellesconcernenttouslesbâtimentsdelaferme,passeulementlamaisond’habitation.OnferanosrapportsàAnnikaaufuretàmesure.OK?Desquestions?
—Oui,commentonfaitpourlesprisesdesang?ditMartin.—Oui,merde,jelesaioubliées.Onauraitvraimentbesoindepouvoirsecloner.Patrikréfléchitun
instant.Martin, tu peux t’en occuper aussi ?Martin hocha la tête. Bien, appelle le centremédical deFjällbackaaussiet faisvenirquelqu’unquipourra faire lesprélèvements.Et tu faisgaffeàceque lestubes soient correctement étiquetés et envoyés dare-dare à Pedersen.Allez, on y va. Et n’oubliez paspourquoiçapresse!
—Etmoi,qu’est-cequejefais?Ernstentrevitunechancederentrerengrâcedenouveau.—Turestesici,ditPatriketilnegaspillapasdavantagedesaliveàdiscuter.Ernst marmonna quelque chose mais il savait quand il valait mieux ne pas la ramener. Il allait
cependantentoucherunmotàMellbergunefoisquetoutçaseraitterminé.Cen’étaitquandmêmepasgravissimeàcepoint-là.Personnen’estparfait,putaindemerde!
Maritasentaitsoncœurpalpiter.Leculteenpleinairétaitmerveilleux,commed’habitude,etc’était
sonJacobquiétaitaucentre.Droitetfortetsûrdecequ’ildisait,ilprêchaitlaparoledeDieu.Beaucoupde personnes se trouvaient réunies là. Outre la plupart des jeunes de la ferme d’accueil – certainsn’avaientcependantpasencorevulalumière,etavaientrefusédevenir–,unecentainedefidèlesétaientvenus.Ilsétaientassisdansl’herbe,leregardfixésurJacob,deboutàsaplacehabituellesurlerocher,dos tourné au lac. Tout autour d’eux, les bouleaux se dressaient hauts et denses, ils fournissaient del’ombrequandlachaleurétaitécrasanteetleursmurmuresvenaientaccompagnerlavoixmélodieusedeJacob.Parfoiselleavaitdumalàcomprendresonbonheur.Cethomme,quetoutlemonderegardaitavectantd’admirationdanslesyeux,l’avaitchoisie,elle.
Ellen’avaitquedix-septansquandellel’avaitrencontré.Jacobenavaitvingt-troisetilavaitdéjàlaréputationd’unhommefortàlacongrégation.Unpeugrâceàsongrand-père,dontlacélébritédéteignaitsurlui,maislaplusgrandepartieétaitquandmêmedueàsonproprerayonnement.Douceuretintensitéétaient l’étrange combinaison qui lui donnait cette force d’attraction à laquelle personne ne pouvaitéchapper. Ses parents et elle étaient membres de la congrégation depuis longtemps et ils ne rataientjamais un service.Dès la première fois où elle avait participé à un service de JacobHult, elle avaitressentiunfrémissementd’excitation,commesiellesavaitquequelquechosedegrandallaitsepasser.Etcefutlecas.Ellen’avaitpaspulequitterduregardetsesyeuxétaientrestéssuspendusàsabouched’oùruisselaitlaparoledeDieu.QuandleregarddeJacobavaitcommencéàcroiserlesien,elleavaitenvoyédesprièresàDieu.Desprièresfébriles,suppliantes,implorantes.Elle,quiavaitapprisqu’onnedevait jamais rien quémander pour soi dans ses prières, demandait maintenant quelque chose d’aussifrivolequ’unhomme.C’étaitplusfortqu’elle.Toutensentantlabrûluredesflammesdupurgatoireàlapoursuitedelapécheresse,elleavaitfébrilementcontinuésesprièresetnes’étaitarrêtéequelorsqu’elle
avaitétésûrequ’ilavaitlaissésonregardreposersurelleetl’avaittrouvéeàsongoût.En réalité elle ne comprenait pas pourquoi Jacob l’avait choisie pour épouse.Elle savait que son
physiqueétaitquelconqueetqu’elleétaitsilencieuseetintrovertie.Maisill’avaitvoulueet,lejourdeleurmariage,elles’étaitpromisdenejamaisréfléchiràçanideremettreenquestionlavolontédeDieu.Illesavaitmanifestementdistinguésparmitousetilavaitvuquecelaseraitbon,commelerestedesacréation, et elledevait se contenterdecette explication.Peut-êtreunêtre aussi fortque Jacobavait-ilbesoind’unepartenairefaiblequinerésisteraitpas.Ouquelquechosecommeça.
Lesenfantsassisparterreàcôtéd’ellecommençaientàsetortillerd’impatience.Maritalesfittaireavecsévérité.Ellesavaitqueçalesdémangeaitdecouriretdejouer,maisilsauraientletempspourçaplustard,àprésentilsdevaientécouterleurpèrequandilprêchaitlaparoledeDieu.
— C’est lorsque nous rencontrons des difficultés que notre foi est mise à épreuve. Mais c’estégalementainsiqu’elleserenforce.Sansrésistance,lafois’affaiblitetnousrendrassasiésetparesseux.Alors nous ne tardons pas à faire fausse route. Personnellement, j’ai eu à affronter des épreuves cesderniers temps, vous le savez sans doute. Ma famille aussi. Des forces maléfiques semblent vouloiréprouver notre foi. Je le dis, elles sont condamnées à l’échec. Car ma foi ne fait que grandir et serenforcer.Elleatantgrandiquelesforcesdumaln’ontaucunepossibilitédem’atteindre.GloireàDieuquimedonneunetellepuissance!
Illevalesmainsverslecieletl’assemblées’exclama«Alléluia»,lesvisagesrayonnantdejoieetdeconviction.MaritaaussilevalesmainsverslecieletremerciaDieu.LesparolesdeJacobluifirentoublierlesdifficultésdecesdernièressemaines.ElleavaitconfianceenluietelleavaitconfianceenleSeigneuret,siseulementilsétaientensemble,riennepourraitlesébranler.
Jacobterminaleculteunmomentplustard,etdesgroupesdegensvinrentl’entourer.Toutlemondevoulaitluiserrerlamain,leremercieretluitémoignersonsoutien.Toussemblaientavoirbesoindeletoucherpourainsirecevoirunepartiedesoncalmeetdesaconvictionafindel’emporteraveceux.Tousvoulaientunepartiedelui.Maritarestaitenretrait,danslacertitudetriomphalequeJacobétaitàelle.Parfoisellesedemandait,fautive,sic’étaitunpéchéderessentiruntelbesoindepossédersonmari,devouloirlegardertoutentierpourelle,maiselleécartaittoujoursrapidementcegenredepensées.C’étaitmanifestementlavolontédeDieuqu’ilssoientensemble,alorsçanepouvaitpasêtremauvais.
Quandlafouleautourdeluisefutdispersée,ellepritlamaindesenfantsetallaàsarencontre.Elleleconnaissaitsibien.Ellevitlafatigueapparaîtredanssesyeuxetchassercequil’avaitremplipendantleservice.
—Viens,onrentre,Jacob.—Pasencore,Marita.J’aideux,troischosesàfaired’abord.—Rienque tunepourraspas fairedemain. Je te ramène à lamaisonmaintenant, il faut que tu te
reposesunpeu,jevoisbiencommetuesfatigué.Ilsouritetpritsamain.—Commetoujours,tuasraison,machèreetsisageépouse.Jevaisjustecherchermesaffairesau
bureau,etonyva.Ils avaient commencé à remonter vers la ferme lorsqu’ils virent deux hommes s’approcher d’eux.
D’abordlesoleillesempêchadevoirquic’était,maisensuiteJacobpoussaungémissementd’irritation.—Etqu’est-cequevousvoulezencore?LeregardperplexedeMaritaallaitdeJacobauxhommesjusqu’àcequ’ellecomprenne,àenjuger
parletondeJacob,qu’ilsdevaientêtredelapolice.Ellelesdévisagead’unœilhaineux.C’étaienteuxquiavaientcausétantdesoucisàJacobetlafamilledernièrement.
—Onvoudraitvousparlerunmoment,Jacob.
—Qu’est-cequ’ilpeutbienyavoirdeplusàdire,que jen’aipasdéjàdithier? Ilsoupira.Bon,autantqu’onenfinisse.Allonsdansmonbureau.
Lespoliciersnebougèrentpas.Embarrassés,ilsregardèrentlesenfants,etMaritacommençaàflairerquelquechose.Instinctivement,elleserralesenfantscontreelle.
—Pasici.Onvoudraitvousparlerauposte.C’étaitleplusjeunedesdeuxinspecteursquiparlait.L’autresetenaitunpeusurlecôtéetregardait
Jacob, laminegrave.La terreurplanta sesgriffesdans lecœurdeMarita.C’étaientvéritablement lesforcesdumalquis’approchaient,exactementcommeJacobl’avaitditdanssonprêche.
8
ÉTÉ1979Elle comprit que l’autre fille n’était plus. De son coin dans l’obscurité elle avait entendu son
derniersoupir,et, lesmains jointes,ellepria frénétiquementDieud’accueillirsacamaradedans ladétresse. En un certain sens, elle l’enviait. Elle l’enviait parce qu’elle était débarrassée de lasouffrance.
La fille était déjà là quand elle-même s’était retrouvée en enfer. Tout d’abord la terreur l’avaitparalysée,mais lesbrasde l’autreautourd’elleet soncorpschaud luiavaientprocuréunétrangesentimentdesécurité.Enmêmetemps,ellen’avaitpastoujoursétégentille.Laluttepoursurvivrelesavaitobligéesàs’approchermaisaussiàseséparer.Contrairementàl’autrefille,elleavaitconservél’espoir, et elle savaitquecelle-ci l’avaitparfoishaïepour ça.Mais commentpourrait-elle laisserl’espoirs’enaller?Toutesavieelleavaitapprisquechaquedifficulté,siinconcevablesoit-elle,avaitsasolution,alorspourquoicelle-ciserait-elledifférente?Ellevoyait levisagedesonpèreetdesamèreetconservaitsereinementlacertitudequ’ilsallaientbientôtlaretrouver.
Ellelaplaignait,cetteautrefille.Savieavaitétésivide.Dèsqu’elleavaitsentisoncorpschauddans le noir elle avait compris qui elle était, même si dans la vraie vie, celle d’en haut, elles nes’étaientjamaisparlé.Parunaccordtaciteellesnes’appelaientpasnonplusparleurprénom.Celaauraittropressembléàlanormalitéetnil’unenil’autren’auraitétécapabledesupporterunfardeaupareil.Maiselleavaitparlédesonenfant.C’étaitlaseulefoisoùsavoixs’étaitunpeuanimée.
Joindrelesmainsetprierpourcellequin’étaitplusavaitexigéuneffortpresquesurhumain.Sesmembresneluiobéissaientplus,maisenrassemblantlesdernièresforcesquiluirestaientelleavaitréussiàjoindresesmainsrécalcitrantesenquelquechosequiressemblaitàungestedeprière.
Patiemmentelleattendaitdanslenoiravecsadouleur.Maintenantcen’étaitplusqu’unequestiondetempsavantqu’ilslaretrouvent,mamanetpapa.Bientôt…
—Bon d’accord, je vais vous suivre au poste.Mais après, ça suffit ! Vous entendez ! dit Jacob,
agacé.Ducoindel’œil,MaritavitKennedys’approcher.Elleavaittoujourséprouvédel’aversionpourlui.
Quand il regardait Jacob, il y avait dans ses yeux quelque chose de désagréable qui se mêlait àl’adoration.MaisJacobl’avaitréprimandéequandelleluiavaitfaitpartdesessentiments.Kennedyétaitunenfantmalheureuxquicommençaitenfinàressentirlapaixenlui.Cedontilavaitbesoinmaintenant,c’étaitd’amouretdesollicitude,pasdeméfiance.Pourtant l’inquiétudene laquittaitpasvraiment.UngestedeJacobfit reculerKennedy,contresongré,et il retournavers lamaison.Ondiraitunchiendegardequiveutdéfendresonmaître,pensaMarita.
Jacobsetournaverselleetpritsonvisageentresesmains.—Rentre avec les enfants. Il n’y a pas de problème. Tout ce qu’ils veulent, ces policiers, c’est
ajouterunpeudeboissurlebûcheroùilsvontbrûlereux-mêmes…Il sourit pour adoucir ses paroles,mais elle serra les enfants contre elle. Ils les regardaient avec
inquiétude, elle et Jacob. À la manière des petits, ils sentaient que quelque chose venait dérangerl’équilibredeleurmonde.
Leplusjeunedesinspecteursdepolicerepritlaparole.Cettefois-ciileutl’airunpeuembarrasséenparlant.
— Je vous conseillerais de ne pas rentrer avec les enfants avant ce soir. Nous…, il hésita, nousallonsprocéderàuneperquisitionchezvouscetaprès-midi.
—Qu’est-cequevousmanigancez?Jacobétaittellementhorsdeluiqu’ileutdumalàarticuler.Maritasentitlesenfantsréagiravecinquiétude.Ilsn’étaientpashabituésàentendreleurpèreleverla
voix.—Onvousledira,maisquandonseraarrivésaucommissariat.Onpeutyallermaintenant?Jacobfinitparhocherlatêteavecrésignation,etpournepasalarmerdavantagelesenfantsilleurfit
unpetitcâlin,embrassaMaritasurlajoueetpartitencadrédesdeuxinspecteurs.Marita resta figéeà regarder lavoitureemmener Jacob.Ducôtéde lamaison,Kennedyobservait.
Sesyeuxétaientnoirscommelanuit.Aumanoirégalement,l’agitationétaitàsoncomble.—J’appellemonavocat!C’estinsensétoutça!Nousfairedesprisesdesangetnoustraitercomme
devulgairescriminels!Gabriel était tellement furieuxque samain sur lapoignéedeporte tremblait.En facede lui sur le
perron,MartinréponditcalmementauregarddeGabriel.Derrièreluisetenaitlemédecindedistrict,leDr Jacobsson, qui transpirait abondamment. Son corps volumineux était peu adapté à la températureambiante élevée, mais la cause première de la sueur sur son front était qu’il trouvait la situationextrêmementdésagréable.
— Faites, faites, ditMartin, mais n’oubliez pas de lui décrire en détail les documents dont nousdisposons,etvotreavocatvousdiraquenoussommesdansnotrepleindroit.Ets’iln’arrivepasdanslequartd’heure,noussommeshabilités,étantdonnélecaractèreurgentdel’affaire,àexécuterlemandaten
dehorsdesaprésence.Martin parlait sciemment un langage aussi administratif que possible. Il se dit que c’était
probablementlalanguequiatteignaitlemieuxGabriel,etçafonctionna.Demauvaisgré,Gabriellesfitentrer.IlpritlespapiersqueMartinluiavaitmontrésetsedirigeadirectementversletéléphone.Martinfitsigned’entrerauxdeuxpoliciersvenusenrenfortd’Uddevallaetsepréparaàattendre.Gabrielparlaautéléphoneengesticulantavecagitation,etquelquesminutesplustardilrevintdanslevestibule.
—Ilseralàdansdixminutes,dit-ild’untonrenfrogné.—Bien.Oùsontvotrefemmeetvotrefille?Ondoitleurfaireunprélèvementaussi.—Àl’écurie.—Tupeuxallerleschercher?ditMartinàl’undesagentsd’Uddevalla.—Biensûr.C’estparoù?—Ilyaunpetit sentierdevant l’ailegauche.Vous le suivezetvous trouverez l’écuriedeuxcents
mètresplus loin.Malgrédesgestesqui indiquaientclairementcequ’ilpensaitde la situation,Gabrielessayaitdesauverlesapparences.Suruntonguindé,ilajouta:Jesupposeque,vousautres,vouspouvezentrerenattendant.
Ensilenceetmalàl’aise, ilsétaientassissurleboutdesfessesaubordducanapédansleséjour,lorsqueLindaetLainiarrivèrent.
—C’estquoicettehistoire,Gabriel?L’agentdepolicelà,ilditqueleDrJacobssonvanousfaireuneprisedesang!Dis-moiquec’estuneplaisanterie!
Linda,quiavaitdumalàdétacherlesyeuxdujeunehommeenuniformequiétaitvenuleschercherdansl’écurie,étaitd’unautreavis.
—Cool!—Malheureusementilssemblenttoutàfaitsérieux,Laini.J’aiappelémaîtreLövgren,ilseralàd’un
momentàl’autre.Etavantça,pasquestiondefairelemoindreprélèvement.—Maisjenecomprendspaspourquoivoustenezàfairetoutça?Lainiavaitl’airperplexe,pourtant
ellesemaîtrisait.—Jeregrette,onnepeutrienvousdirepourdesraisonstechniquesliéesàl’enquête.Maistoutaura
sonexplicationsouspeu.Gabrielétaitentraind’étudierlesautorisationsdevantlui.— Je vois là que vous êtes aussi autorisés à faire des prélèvements sur Jacob et Solveig et les
garçons.Était-ce une impression ouMartin vit-il une ombre passer sur le visage deGabriel ? La seconde
d’après,onfrappauncouplégeràlaporteetl’avocatentra.Unefoislesformalitésrégléesetquel’avocateutexpliquéàGabrieletsafamillequelapoliceavait
touteslesautorisationslégales,lemédecinprocédaauxprisesdesang.D’abordGabriel,puisLaini,qui,àlasurprisedeMartin,semblaitêtrelapluscalmed’entreeux.IlnotamêmequeGabrielavaitregardésafemmeavec stupeur,mais aussi avecunecertaineapprobation.LeDr Jacobssonprélevaendernier lesangdeLinda,quiavaitengagéunintensecontactvisuelaveclejeunebrigadier.Martinsesentitobligédelemettreengardeenusantd’unregardsévère.
—Voilà,c’est fait.Lemédecinse levapéniblementet ramassa les tubes. Ilsétaientsoigneusementétiquetésaveclenomdechacunetfurentrangésdansuneglacière.
—VousallezchezSolveigmaintenant?demandaGabriel.Subitementilaffichaunsourirenarquois.Veillezàmettrevoscasquesetsortirvosmatraques,jenelavoispasvouslaisserprendresonsangsansrésistance.
—Jepensequ’onsauragérerlasituation,ditMartinsèchement.Iln’aimaitpaslalueursarcastique
danslesyeuxdeGabriel.—Bon,nevenezpasdireensuitequejenevousaipasavertis…gloussa-t-il.Lainiluicracha:—Gabriel,comporte-toienadulte!Stupéfaitd’êtrecorrigécommeunmômeparsafemme,Gabrielsetutetserassit.Ill’observacomme
s’illavoyaitpourlapremièrefois.Martinpartitavecsescollèguesetlemédecinetilsserépartirentdansdeuxvoiturespourserendre
chezSolveig.IleutunappeldePatrikpendantletrajet.—Salut,commentças’estpassépourvous?—Commeprévu,ditMartin.Gabrielestsortidesesgondsetaappelésonavocat.Maisonaobtenu
cequ’onvoulait,etonvachezSolveigmaintenant.J’imaginequeçanevapassepasseraussifacilementlà-bas…
—Probablementpas.Faisattentionseulementqueçanedégénèrepas.—Oui,oui,jevaisdéployertoutemadiplomatie.Net’inquiètepas.Etvous,commentçasepasse?—Sansproblèmes.IlestavecnousdanslavoitureetonarrivebientôtàTanumshede.—Bonnechancealors.—Àvousaussi.Martinmit finà laconversation justeaumomentd’arriverdevant lamasuredeSolveigHult.Cette
fois-ci,ledélabrementnelefrappapasautant,puisqu’illeconnaissait.Maisilsedemandaquandmêmecommentonarrivaitàvivredecettefaçon.Pauvre,d’accord,maisonpeutquandmêmeveilleràcequecesoitpropreetordonnéautourdesoi.
Ilfrappaàlaporteavecunecertaineappréhension.Maismêmedanssonimaginationlaplusdébridéeiln’auraitpasprévul’accueilquiluiétaitréservé.Paf!Unegifleatterritsursajouedroiteetlasurpriseluicoupalesouffle.Ilsentit,àdéfautdelevoir,lespoliciersderrièreluiseraidirpourentrerenforce,maisillevaunemainapaisantepourlesstopper.
—Ducalme,ducalme.Onn’enestpasàutiliserlaforceici,n’est-cepasSolveig?dit-ild’unevoixdouceàlafemmedevantlui.Ellerespiraitfortmaisparutsecalmerausondesavoix.
—Comment osez-vousvousmontrer ici après avoir déterré Johannes !Ellemit lesmains sur seshanchesetbloquaefficacementl’entréedelamaison.
—Jecomprendsquevousayeztrouvéçadifficileàsupporter,Solveig,maisnousfaisonssimplementnotreboulotetjepréféreraisvousvoircoopérer.
—Qu’est-cequevousvoulezmaintenantalors?cracha-t-elle.—J’aimeraisentrerunmoment,jevaisvousexpliquer.Ilsetournaversleshommesderrièreluietdit:—Attendeziciuninstant.Solveigetmoi,onvad’aborddiscuterunpeu.Il entra tout bonnement et referma la porte derrière lui. Solveig fut tellement désarçonnée qu’elle
reculaetlelaissaentrer.Martinmobilisatoussestalentsdediplomateetluiexpliquaminutieusementlasituation.Auboutd’unmoment,sesprotestationsdiminuèrentetquelquesminutesaprèsilrouvritlaportepourfaireentrersescollègues.
—Ilfautfairevenirvosfilsaussi,Solveig.Ilssontoù?—Ils se terrentprobablementderrière lamaisonenattendantde savoirpourquoivousêtes ici. Je
supposequ’ilscommencentàenavoirmarredevoirvossalestronches,euxaussi.Elleritetouvritunefenêtrecrasseuse.
—Johan,Robert,amenez-vous!Laflicailleestderetour!Ilyeutdumouvementdanslesbuissons,puisJohanetRobertarrivèrentsanssepresser.Méfiants,ils
regardèrentlegroupequisebousculaitdanslapetitecuisine.—C’estquoimaintenant?—Maintenantilsveulentnotresangaussi,fitSolveig,constatantsimplementlesfaits.—Merdealors,vousêtescomplètementfêlés.Jamaisdelaviequejevousdonneraidemonputain
desang!—Robert,nefaispasd’histoires,ditSolveigfatiguée.J’aiparléavecl’inspecteuricietj’aipromis
qu’il n’y aurait pas de problèmes. Alors vous vous asseyez et vous la fermez. Plus vite on seradébarrassésd’eux,mieuxçavaudra.
Au grand soulagement de Martin, ils obéirent à leur mère. La mine renfrognée, ils regardèrentJacobsson sortir une seringue. Après avoir fait la prise de sang à Solveig aussi, il rangea commeprécédemment lesprélèvementsbienétiquetésdans laglacièreetexpliquaquepour lui le travailétaitterminé.
—C’estpourquoifaire,toutça?demandaJohan,parpurecuriosité.Martin fournit la réponsequ’ilavaitdéjàservieàGabriel.Puis il se tournavers leplus jeunedes
deuxpoliciersd’Uddevalla:—IlfaudraquetuaillesàTanumshedechercherl’autreprélèvementetquetufilesensuitedirectà
Göteborgavectoutça.LejeunehommequiavaitdraguéLindaunpeutropostensiblementhochalatête.—Jem’enoccupe.Deuxhommessontenrouted’Uddevallapourvousassisterdans…–ilsetutet
regarda un peu hésitant Solveig et ses fils qui écoutaient attentivement le dialogue –…dans l’autreaffaire.Ilsvousretrouveront…–ilfitencoreunepauseembarrassée–…àl’autreendroit.
—Bien,fitMartin.IlsetournaversSolveig.Merciàvous,ons’envamaintenant.Uninstant,ilenvisageadeleurparlerdeJohannes,maisiln’osapass’opposeràl’ordreformelqu’il
avaitreçu.Patriknevoulaitpasqu’ilssoientaucourantpourl’instant,etilenresteraitlà.Devantlamaison,ils’arrêtauninstant.Sionfaisaitabstractiondelabicoquedélabrée,desépaves
de voitures et de tout le fatras qui s’accumulait là, ils avaient un environnement de toute beauté. Ilespéraitseulementqu’ils levaientdetempsentempslesyeuxdeleurdénuementpouradmirerlecadredivindanslequelilsvivaient.Maisilendoutait.
—Bon,alorsdirectionLaMétairiemaintenant,ditMartin.Ilregagnalavoitured’unpasdécidé.Unetâcheaccomplie,uneautrel’attendait.IlsedemandacommentçasepassaitpourPatriketGösta.
—Àvotreavis,pourquoiêtes-vousici?ditPatrik.IlétaitassisàcôtédeGösta,enfacedeJacob,
danslapetitepièceprévuepourlesinterrogatoires.Jacoblescontemplacalmement,lesmainsjointessurlatable.— Comment voulez-vous que je le sache ? Il n’y a aucune logique dans tout ce que vous avez
entrepris contrema famille, et j’imagineque tout cequ’ily a à faire, c’est se soumettre et essayerdegarderlatêtehorsdel’eau.
—Vousvoulezdirequevouscroyezsincèrementquelapoliceapourmissionprioritairedetracasservotrefamille?Etquelseraitnotremotif?Patriksepenchaenavant,avidedeconnaîtrelaréponse.
—Lemaletlamalveillancen’exigentpasdemotif,réponditJacobtoujoursaveclemêmeaplomb.Maisqu’est-cequej’ensais,vousavezpeut-êtrelesentimentdevousêtreridiculisésavecJohannesetmaintenantvousessayezdevoustrouverunejustification.
—Commentça?ditPatrik.—Jeveuxdirequevousavezpeut-êtrel’impressionquesivousarrivezànouscoincercettefois-ci
c’estquevousaviezraisonpourJohannesàl’époque.—Vousnetrouvezpasçaunpeutiréparlescheveux?—Quedois-jecroire?Jesaisseulementquevousvousêtescolléssurnouscommedessangsueset
quevousrefusezdelâcherprise.MaseuleconsolationestqueDieuvoitlavérité.—TuparlesbeaucoupdeDieu,mongarçon,ditGösta,quiàsonâgen’hésitaitpasàtutoyerJacob.
Est-cequetonpèreestaussicroyantquetoi?LaquestionsemblaembarrasserJacob,exactementcommeGöstal’avaitvoulu.—Lafoidemonpèresesituequelquepartaufonddelui.Maissa…,ilsemblaitréfléchiràquelmot
choisir.SarelationcompliquéeavecsonproprepèreareléguélafoienDieuausecondplan.Pourtantelleexisteenlui.
—Sonpère,oui.EphraïmHult.LePrédicateur.Tuavaisunlientrèsprocheaveclui.Göstaconstataitplusqu’ilnequestionnait.
—Jenecomprendspaspourquoicelapeutvous intéresser,maisoui,grand-pèreetmoiétions trèsproches.Jacobserraleslèvres.
—Ilvousasauvélavie?ditPatrik.—Oui,ilm’asauvélavie.—Qu’a pensé votre père d’une telle situation, que c’était son père à lui avec qui il avait une…
relation compliquée, ce sont vosmots, qui était enmesure de vous sauver la vie, et pas lui-même ?poursuivitPatrik.
—Toutpèrea envied’être lehérosde son fils, je suppose,mais jenepensepasqu’ilvoyait leschoses ainsi. En fin de compte, grand-père m’a sauvé la vie et papa lui en est resté éternellementreconnaissant.
—EtJohannes?QuelleétaitsarelationavecEphraïm–etavecvotrepère?—Jenecomprendspasquelleimportanceçapeutavoir?Ças’estpasséilyaplusdevingtans!—Onenestconscients,maisonapprécieraitquandmêmequeturépondesànosquestions,ditGösta.La façade calme que Jacob se donnait avait commencé à se fissurer, il se passa lamain dans les
cheveux.—Johannes…Oui, papa et lui avaient sansdoute quelquesproblèmes,maisEphraïm l’aimait. Ils
n’étaientpasparticulièrement liés,maiscettegénération-làétait sansdoutecommeça. Ilne fallaitpasmontrersessentiments.
—Est-cequ’ilssedisputaientbeaucoup,votrepèreetJohannes?—Sedisputaient,sedisputaient,c’estbeaucoupdire.Ilsavaientleursdifférends,maisc’estcourant
entrefrères…—D’après ce que disent les gens, c’était plus que des différends. Certains affirment même que
Gabrielhaïssaitsonfrère.Patrikmitlapression.—Lahaineestungrandmotqu’onnedoitpaslanceràlalégère.Certes,papan’avaitsansdoutepas
dessentimentstrèstendrespourJohannes,maiss’ilsavaientbénéficiédeplusdetemps,touslesdeux,jesuissûrqueDieuseraitintervenu.Unhommenedoitpass’opposeràsonfrère.
— J’imagine que vous faites allusion à Abel et Caïn. C’est intéressant que ce soit cet épisodebibliqueprécisémentquivousvienneàl’esprit.Çaallaitdoncsimalqueçaentreeux?
— Non, absolument pas. Après tout, papa n’a pas tué son frère, n’est-ce pas ? Jacob semblaitretrouverunepartieducalmequ’ilavaitperduetiljoignitdenouveausesmainscommepourprier.
—Tuenessûr?LavoixdeGöstaétaitpleinedesous-entendus.LeregardperplexedeJacoballaitdel’unàl’autre.—Dequoivousparlez?Johanness’estpendu,toutlemondesaitça.
—Ben,leproblèmeestque,enexaminantlesossementsdeJohannes,nousavonstrouvéautrechose.Johannesnes’estpassuicidé.Ilaététué.
Lesmainsjointessurlatablesemirentàtrembler.Jacobessayadeparler,maisaucunmotnesortaitdesabouche.PatriketGöstasepenchèrentenarrière,deconcert,etobservèrentJacobensilence.Pourlemoins,ilsemblaittomberdesnues.
—CommentaréagivotrepèreenapprenantlamortdeJohannes?—Je, je… jene saispas trop,balbutia Jacob. J’étais encorehospitalisé.Puisunepensée luivint
commeunéclair :Vousessayezd’insinuerquepapaaurait tuéJohannes?L’idée le fîtpoufferde rire.Vousêtescinglés.Monpèreaurait tuéson frère…Non,maisc’estn’importequoi ! Il éclatad’un rirefranc.NiGöstaniPatrikn’eurentl’airamusé.
—Vous trouvezqu’ilyadequoi rire,quevotreoncle Johannesait étéassassiné.Vous trouvezçamarrant?ditPatriksuruntonmesuré.
Jacobsetutimmédiatementetinclinalatête.—Non,évidemmentquenon.Simplement,c’estarrivécommeunchoc…Illevalesyeux.Maisalors
jecomprendsencoremoinsbienpourquoivousvoulezmeparler. Jen’avaisquedixansà l’époqueetj’étaisà l’hôpital,alors jesupposequevousnevoulezpasprétendreque,moi, j’ysuismêlé. Ilajouta«moi»poursoulignercombieniltrouvaitl’idéesaugrenue.C’estpourtantassezévident,cequiadûsepasser. Celui qui a réellement tué Siv etMona a dû être content, quand vous avez désigné Johannescomme coupable, et pour qu’il ne puisse jamais être réhabilité il l’a tué enmaquillant son crime ensuicide.L’assassinsavaitcommentlesgensallaientréagir.Ilsprendraientcelacommeunepreuvedesaculpabilitéaussicrianteques’ilavaitfaitdesaveuxécrits.Etc’estprobablementlamêmepersonnequiatuél’Allemande.Çasetient,non?dit-ilavecempressement.Sonregardscintilla.
—Uneassezbonnethéorie,ditPatrik.Pasmaldutout,sionfaitabstractiondufaitquenousavonscomparé l’empreinte génétique de Johannes avec un échantillon d’ADN provenant du sperme qu’on aretrouvésurlecorpsdeTanja.EtnousavonsdécouvertqueJohannesestdelamêmefamillequeceluiquiatuéTanja.Ilattendituneréaction.Iln’yeneutpas.Jacobnebougeapasd’unpoil.
— Si bien qu’aujourd’hui, poursuivit Patrik, nous avons fait des prélèvements de sang à tous lesmembres de la famille, et nous allons les envoyer, y compris celui que nous avons fait sur vous enarrivant ici, àGöteborgpour une analyse comparative.Ensuite, nous sommes assurés d’avoir noir surblanclenomdel’assassin.Alorsneserait-cepasaussibienderacontercequevoussavez,Jacob?Tanjaaétévuechezvous,l’assassinestdelafamilledeJohannes–cesontdescoïncidencesassezétranges,vousnetrouvezpas?
Levisagede Jacobchangeait sanscessedecouleur.Tantôtpâle, tantôt assombri, etPatrikpouvaitvoirsesmâchoiressecrisper.
—Cetémoignage-làn’estquedupipeau,etvouslesavez.Johanavoulumecoincer,c’esttout,parcequ’ildétestemafamille.Etpourcequiestdesprélèvementsdesangetd’ADNet toutça,vouspouvezfairetouslesprélèvementsquevousvoulez,maisunechoseestsûre,c’estquevousmeprésenterezvosexcusesquandvousaurezvospu…derésultats!
— Je promets de m’excuser personnellement, répondit Patrik calmement, mais en attendant j’ail’intentiond’insisterpourobtenirlesréponsesdontj’aibesoin.
Il aurait voulu que Martin et son groupe aient eu le temps de finir la perquisition avant qu’ilsinterrogentJacob,maisc’étaitunecoursecontrelamontreet ilsétaientobligésdefaireaveccequ’ilsavaient. Ce qu’il aurait voulu savoir entre tout, c’était si les analyses de la terre de La Métairiemontraient des traces de FZ-302. Il espérait que Martin pourrait le renseigner bientôt sur des tracesphysiqueséventuellesdeTanjaoudeJenny,maislesanalysesdeterreprendraientdutemps,vuqu’elles
nepouvaientpassefairesurplace.IlétaitassezsceptiqueaussiquantàlapossibilitédetrouvervraimentquelquechoseàlafermedeJacob.Aurait-ilétépossibledecacherettuerquelqu’unsansqueMaritaoules enfants le voient ?Spontanément, il sentait que Jacobdans le rôle de suspect principal, ça collaitbien,maiscettequestion-làprécisémentledérangeait.Commentfait-onpourcacherunêtrehumaindanslelieuoùl’onhabite,sanséveillerlessoupçonsdesafamille?
CommesiJacobavaitpuliredanssespensées,ildit:—J’espèrevraimentquevousn’allezpasmettrelamaisonsensdessusdessous.Maritavadevenir
follesiellerentreettrouvelamaisonenvrac.—Noshommesfontattention,ditGösta.Patrikregardasontéléphone.PourvuqueMartinappellebientôt.Johans’étaitretirédanslaremisepouravoirlapaix.LaréactiondeSolveig,d’abordàl’exhumation
etensuiteauxprélèvementsdesang,luiavaitdonnélachairdepoule.Ceseffusionsdesentiments,c’étaittroppourluietilavaitbesoinderesterseulunmomentetderéfléchiràtoutça.Lesolencimentsousluiétaitdur,maisd’une fraîcheuragréable. Il serra lesbrasautourdeses jambes remontéesetappuyasajouesurungenou.Là,maintenant,Lindaluimanquaitplusquejamais,maisaumanquesemêlaitencorelacolère.Peut-êtrequeçanechangeraitjamais.Ilavaitaumoinsperduunepartiedesanaïvetéetreprislecontrôlequ’iln’auraitjamaisdûlâcher.Pourtant,Lindaétaitcommeunpoisondanssonâme.Soncorpsjeuneetfermeavaitfaitdeluiunidiotbredouillant.Ilavaitcettenanadanslapeauetils’envoulaitàmort.
Ilsavaitqu’iln’étaitqu’unrêveur.C’étaitpourçaqu’ils’étaitperduainsiavecLinda.Bienqu’ellesoitbeaucoup trop jeune, tropsûred’elle, tropégoïste. Il savait trèsbienqu’ellene resterait jamaisàFjällbackaetqu’ilsn’avaientpasl’ombred’unavenirensemble.Maislerêveurenluiavaitquandmêmeeudumalàl’accepter.Àprésent,ilétaitrenseigné.
Il se promit de s’améliorer. Il allait essayer de devenir comme Robert. Féroce, dur, invincible.Robertretombaittoujourssursespieds.Riennesemblaitl’atteindre.Johanl’enviait.
Ilentenditunbruitderrièreluietseretourna,certainquec’étaitRobert.Desmainsautourdesoncouluicoupèrentlesouffle.
—Nebougepasoujet’étrangle.Johan reconnut vaguement la voixmais il n’arrivait pas à la situer. Lorsque la prise autour de sa
gorgesedesserra,ilfutviolemmentpropulsécontrelemur.Ilrepritsarespirationenhaletant.—Putain,qu’est-cequetufous?Johanessayadeseretourner,maisquelqu’unletenaitd’unemain
fermeetplaquasonvisagecontrelemurfroidenbéton.—Tagueule.Lavoixétaitimpitoyable.Johanenvisagead’appeleràl’aide,maisilsavaitqu’ilétaittroploindela
maisonpourêtreentendu.—Qu’est-ce que tu veux,merde ?Lesmots étaient difficiles à articuler avec lamoitié du visage
coincéecontrelemur.—C’quejeveux?Tuvaspastarderàl’apprendre.Quand l’attaquant annonça son exigence, Johan ne comprit tout d’abord rien. Mais lorsqu’on le
retournaetqu’ilsetrouvafaceàfaceavecsonassaillant,toutdevintclair.Uncoupdepoingdroitdanslafigureluiappritquec’étaitsérieux.Maissonespritrebelleseréveilla.
—Va te faire foutre, balbutia-t-il. Sa bouche était lentement en train de se remplir de sang. Sespenséescommençaientàs’embrumer,maisilrefusaitdefairemarchearrière.
—Tuferascequejedis.—Non,bredouillaJohan.Alors les coups commencèrent à pleuvoir. Ils lui tombèrent dessus avec une régularité mesurée
jusqu’àcequel’obscuritétotalel’envahisse.C’était un lieu de viemerveilleux.Martin ne put s’empêcher de se faire cette réflexion lorsqu’ils
commencèrentleurperquisitiondanslamaisondeJacobetdesafamille.Lescouleursétaientdouces,lespiècesdégageaientde lachaleuretde la tranquillité, avecune touchecampagnarde,desnappesen linblanc et des rideaux légers qui volaient au vent. Le genre d’intérieur qu’il aurait bien aimé avoir. Etmaintenantilsétaientobligésdedérangercettesérénité.Avecméthode,ilsparcouraientchaqueparcelledelamaison.Personneneparlait, ilstravaillaientensilence.Martinseconcentrasurleséjour.Cequiétaitfrustrant,c’estqu’ilsignoraientcequ’ilscherchaient.Mêmes’ilstombaientsurunetracedesfilles,Martinn’étaitpascertainqu’ilssauraientlareconnaître.
Pour la première fois depuis qu’il avait commencé à soutenir si fermement que Jacob était leurhomme, ilcommençaàdouter. Ilétait impossibled’imaginerquequelqu’unvivantdansunlieucommecelui-ci,entourédetantd’harmonie,puisseassassinerquelqu’un.
—Çamarchecommentpourvous?cria-t-ilauxpoliciersàl’étage.—Rienpourl’instant,lançal’und’euxenréponse.Martinsoupiraetcontinuaàouvrirdestiroirsde
commodesetàretournertoutcequipouvaitl’être.—Jesorsm’attaqueràlagrange,dit-ilaupolicierd’Uddevallaquiavaitparticipéàlarechercheau
rez-de-chaussée.La grange était d’une fraîcheur charitable. Il comprit pourquoi Linda et Johan l’avaient choisie
commelieuderendez-vous.L’odeurdefoinchatouillaitsesnarinesetvéhiculaitdessouvenirsdesétésde son enfance. Il grimpa l’échelle du grenier et regarda par les interstices entre les planches.Effectivement, d’ici on avait une bonne vue sur lamaison, exactement comme Johan avait dit. Ça nedevaitpasêtreunproblèmedereconnaîtrequelqu’unàcettedistance.
Martinredescendit.Lagrangeétaitvideàpartquelquesvieuxoutilsagricolesquirouillaientdansuncoin.Ilnepensaitpasqu’ilyavaitquoiquecesoitàtrouverici,maisilallaitquandmêmedemanderàl’undes autres d’y jeter un coupd’œil aussi. Il sortit de la grange et regarda autour de lui.Àpart lamaisonprincipaleetlagrange,ilnerestaitàfouillerqu’unepetiteremisedejardinetunecabanedejeu,et il avait peu d’espoir d’y trouver quelque chose. Toutes deux étaient trop petites pour abriter unepersonne,maisparacquitdeconscienceilslesvérifieraientquandmême.
Lesoleilbrûlaitsursoncrâneetilétaitensueur.Ilretournaverslamaison,maissonenthousiasmedudébutdelajournéecommençaitàtomber.Ilsesentitdécouragé.JennyMöllersetrouvaitquelquepart.Maiscen’étaitpasici.
Patrikaussiavaitcommencéàperdrecourage.Auboutdedeuxheuresd’interrogatoire,ilsn’avaienttoujours rien obtenu de Jacob. Il paraissait sincèrement choqué d’apprendre que Johannes avait étéassassiné,ilrépétaitquelapoliceharcelaitsafamilleetqu’ilétaitinnocentetilrefusaitobstinémentdedireautrechose.PlusieursfoisPatriklorgnaletéléphoneportablequiobservaitunsilencemoqueursurlatabledevantlui.Ilavaitdésespérémentbesoind’avoirdebonnesnouvelles.Lesprélèvementsdesangneleurdonneraientpasderéponseavantlelendemainmatinauplustôt,il lesavait,sibienqu’ilavaitmissonespoirenMartinetl’équipequiperquisitionnaientLaMétairie.Maisl’appeln’arrivaqu’àquatreheures de l’après-midi, et Martin rapporta, résigné, qu’ils n’avaient rien trouvé et qu’ils allaientabandonner.PatrikfitsigneàGöstadesortiravecluidelasalled’interrogatoire.
—C’étaitMartin.Ilsn’ontrientrouvé.—Rien?L’espoirdanslesyeuxdeGöstas’éteignit.—Non,quedalle.Donc,ilsembleraitqu’onn’aitpasd’autrechoixquedelerelâcher.Merdealors!
Patrik donna un coup de poing dans lemur,mais se reprit rapidement. Bon, ce n’est que temporaire.Demainj’aurailecompterendudeséchantillonsdesangetalorsonpourrapeut-êtrelecueillirpourdebon.
—Oui,maispenseàcequ’ilpourrafaired’icilà.Ilsaitcequ’onacontreluimaintenantet,sionlelaissecourir,ilpeutallertoutdroitacheverlafille.
—Oui,maisbordeldemerde,qu’est-cequetuproposesalors?LafrustrationdePatriksemuaencolère,maisilréalisal’injusticedes’enprendreainsiàGöstaet
s’excusaimmédiatement.—Jevaissimplementfaireunedernièretentativepouravoiruneréponseconcernantleséchantillons
avantqu’onlelâche.Siçasetrouve,ilsontdégotéquelquechosequipeutnousêtreutiledèsmaintenant.Ilssaventpourquoiçaurgeetilssaventquec’estuneprioritéabsolue.
Patrikalladanssonbureauetcomposalenumérodelamédicolégaleàpartirdesontéléphonefixe.Ilconnaissaitlenuméroparcœurdésormais.Devantlesfenêtres,lacirculationgrondaitcommed’habitudesouslesoleild’étéet,uninstant,ilenvial’insouciancedesvacanciersquipassaientdansleursvoituresbondées.Ilauraitaimépouvoirêtreaussiinsouciantqu’eux.
— Salut Pedersen, c’est Patrik Hedström. Je voulais juste vérifier si vous aviez trouvé quelquechose,avantqu’onrelâchenotresuspect.
—Jet’aiditqu’onneseraitpasprêtsavantdemainmatin.Etsachequ’onyauraconsacréunnombreconsidérabled’heuressupplémentaires.Pedersenparaissaitstresséetirrité.
—Oui,jesais,maisjevoulaisquandmêmevérifier.UnlongsilenceindiquaquePedersenmenaitprobablementunelutteinterneaveclui-mêmeetPatrik
seredressasursachaise.—Vousaveztrouvéquelquechose,c’estça?—Cen’estqueprovisoire.Ilfautqu’oncoupeetqu’onrecoupelesrésultatsavantd’avoirledroitde
faire un rapport, sinon les conséquences peuvent être catastrophiques. De plus, les tests doivent êtrerefaitsensuiteauLabocentral,notreéquipementn’estpasaussisophistiquéqueleleuret…
—Oui,oui,interrompitPatrik,jelesais,maisencemomentc’estlavied’unejeunefillededix-septansquiestenjeu,ets’ilyauncontexteoùtupeuxtranquillementcontournerlesrègles,c’estbiencelui-ci.Ilretintsarespirationetattendit.
—Oui,maistraitecetteinformationavecprudence,tunesoupçonnespaslesemmerdesquej’auraissi…Pedersenneterminapaslaphrase.
—Tuasmaparole,dis-moicequevousavezmaintenant.Letéléphoneétaitdevenutoutglissantdesueuràforcedeleserrercommeilfaisait.
—NousavonsévidemmentcommencéparanalyserlesangdeJacobHult.Etnousavonstrouvédeschosesintéressantes,provisoiresbienentendu,avertitPedersenencoreunefois.
—Oui?—D’aprèsnotrepremiertest,JacobHultnecorrespondpasàl’échantillondespermeretrouvésurla
victime.Patriklaissalentementl’airs’échapperdesespoumons.Iln’avaitmêmepasétéconscientderetenir
sarespiration.—Queldegrédecertitude?—Commejel’aidit,nousdevonsfaireletestplusieursfoispourêtreentièrementsûrs,maisenfait
cen’estqu’uneformalitépour lesbesoinsde la justice.Dis-toique tupeuxêtresûrque le résultatestjuste,ditPedersen.
—Merde alors. Oui, ça donne un autre éclairage à l’affaire. Patrik n’arrivait pas à masquer ladéception dans sa voix. Il avait été tellement persuadé que Jacob était celui qu’ils cherchaient.Maintenantilsétaientderetouràlacasedépart.Enfin,presque.
—Etvousn’avezpastrouvédecorrespondanceaveclesautreséchantillons?—Nousn’ensommespasencore là.Nousavonssupposéquevousvouliezqu’onseconcentresur
JacobHultetc’estcequenousavonsfait.C’estpourquoinousn’avonseuletempsdefairequ’uneseuleautrepersonneàpart lui.Maisdemaindans lamatinée jevaisêtreenmesurede te renseigner sur lesautres.
—Jemeretrouvedoncavecungarsdanslasalled’interrogatoirequejedoisallerlibérer.Etàquijedoisdesexcusesenplus,soupiraPatrik.
—Bon,ilyaencorequelquechose.—Oui?ditPatrik.Pedersenhésita.—Ledeuxièmeéchantillonqu’onaeuletempsdevérifierestceluideGabrielHult.Et…—Oui,ditPatrik,plusimpatientencore.—D’après notre analyse de leur structure d’ADN respective, Gabriel ne peut pas être le père de
Jacob.Patriksefigeasursachaise,ilneditrien.—Tuesencorelà?—Oui, je suis là.Simplement, jenem’yattendaispas.T’es sûr ?Puis il compritquelle serait la
réponseet ildevançaPedersen :C’estprovisoireetvousallez faired’autres testsetainsidesuite, jesais,tun’aspasbesoindeleredire.
—Est-cequeçapeutavoirunesignificationpourl’enquête?—Encemoment,toutaunesignification,etc’estévidentqueçavanousservir.Millemercis.Perplexe,Patrik restaunmomentà réfléchir, lesmainsnouéesderrière lanuqueet lespiedssur le
bureau.Le résultat négatif de l’échantillonde Jacob les obligerait à réviser leur raisonnement. Il n’endemeuraitpasmoinsquel’assassindeTanjaétaitdelafamilledeJohannes,etmaintenantqueJacobétaithorsjeu,ilnerestaitplusqueGabriel,JohanetRobert.Maismêmesicen’étaitpasJacob,Patrikétaitprêt à parier que l’homme savait quelque chose. Tout au long de l’interrogatoire il avait senti qu’ilessayaitdesedérober,qu’il luttaitdurpourmaintenirquelquechoseenfoui.L’informationqu’ilvenaitd’obtenirdePedersenpourraitpeut-être leurdonner l’avantagedont ilsavaientbesoinpour lesecouersuffisammentetlefaireparler.Patrikôtasesjambesdelatableetseleva.IlracontabrièvementàGöstacequ’ilvenaitd’apprendre,etilsretournèrentensembledanslasalled’interrogatoire,oùJacobsecuraitlesonglesd’unairennuyé.Ilss’étaientrapidementmisd’accordsurlatactiqueàemployer.
—Combiendetempsallez-vousmegarderici?—Onaledroitdevousgarderpendantsixheures.Mais,commeonvousl’adit,vouspouvezfaire
venirunavocatàtoutmoment.Est-cequeçavousintéresse?—Non,ceneserapasnécessaire,réponditJacob.Celuiquiestinnocentn’abesoind’autredéfenseur
quesafoienDieuquiarrangetout.— Bon, alors, vous devriez avoir tout ce qu’il vous faut. Vous et Dieu, on dirait que vous êtes
«commeça»,ditPatrikenlevantlamainavecl’indexetlemajeurintimementserrés.—Noussavonsoùnousensommesl’unavecl’autre,réponditJacobsuruntonbref.Etj’aipitiéde
ceuxquin’ontpasDieudansleurvie.
—Alorstuaspitiédenouspauvresmalheureux,c’estçaquetudis?fitGösta,amusé.—C’estdutempsperdudediscuteravecvous.Vousavezfermévoscœurs.PatriksepenchaversJacob.—C’estintéressanttoutça,Dieuetlediableetlepéchéettoutletoutim.Etvosparents,quelleest
leurpositionlà-dessus?Est-cequ’ilsvivent,eux,selonlescommandementsdeDieu?—Pères’estpeut-êtreéloignéunpeudenotrecommunautéévangélique,maissafoiresteintacteet
aussibienluiquemèrecraignentDieu.—Enêtes-voussûr?Jeveuxdire,qu’est-cequevoussavezréellementdelafaçondontilsvivent?—Qu’est-cequevousinsinuez?Jeconnaistoutdemêmemespropresparents!Qu’est-cequevous
avezconcoctéencorepourlestraînerdanslaboue?LesmainsdeJacobtremblèrentetPatrikressentitunecertainesatisfactiond’avoirréussiàébranler
soncalmeimperturbable.—Jeveuxsimplementdirequevousnepouvezpassavoircequisepassedanslaviedesautres.Vos
parentspeuventtrèsbienavoirdespéchéssurlaconsciencedontvousignoreztout,n’est-cepas?Jacobselevaetsedirigeaverslaporte.—Çasuffitmaintenant.Soitvousm’arrêtez,soitvousmelaissezpartir,maisjenevaispasécouter
vosmensongespluslongtemps!—Savez-vous,parexemple,queGabrieln’estpasvotrepère?Jacobs’arrêtanet,lamaintenduepoursaisirlapoignéedeporte.Ilseretournalentement.—Qu’est-cequevousavezdit?—J’aidemandésivoussaviezqueGabrieln’estpasvotrepèrebiologique.Jeviensdeparleravec
le responsable des échantillons de sang que vous avez tous fournis et il n’y a aucun doute possible.Gabrieln’estpasvotrepère.
ToutecouleuravaitdésertélevisagedeJacob.Manifestement,ilétaitstupéfié.—Ilsontanalysémonsang?dit-ild’unevoixtremblante.—Oui,etj’avaispromisdem’excusersijemetrompais.Jacobleregardaintensément.—Jem’excuse,ditPatrik.Votre sangnecorrespondpasavec l’ADN quenous avons trouvé sur la
victime.Jacobs’affaissacommeunballoncrevé.Ilserassitlourdement.—Alorsqueva-t-ilsepassermaintenant?—VousêtesrayédelalistedessuspectsdumeurtredeTanjaSchmidt.Maisjepensetoujoursque
vous nous cachez quelque chose. Vous avez l’occasionmaintenant de raconter ce que vous savez. Jetrouvequevousdevriezlasaisir,Jacob.
Ilsecouasimplementlatête.—Jenesaisrien.Jenesaisplusrien.Jevousenprie,laissez-moipartirmaintenant.—Pasencore.Onveutparleravecvotremèred’abord,avantquevousne lefassiez.Parceque je
supposequevousavezquelquespetitesquestionsàluiposer?Jacobfitouidelatête.—Maispourquoivoulez-vousluiparler?Çan’arienàvoiravecvotreenquête?Patrikrépétacequ’ilavaitditàPedersen.—Encemomenttoutaquelquechoseàvoiravecl’enquête.Vouscachezquelquechose,jesuisprêtà
parierunmoisdesalairelà-dessus.Etnousavonsl’intentiondetrouvercequec’est,quelsquesoientlesmoyensqu’ilfaudraemployer.
OnauraitditquetouteenviedelutteravaitquittéJacob,ilnesutquehocherlatêteavecrésignation.
Lanouvellesemblaitl’avoirmisdansunétatdechoc.—Gösta,peux-tufairevenirLainiici?—Ilmesemblequ’onn’apasd’autorisationd’amener?fitGösta,maussade.—ElleestsûrementaucourantquenousdétenonsJacobicipourinterrogatoire,alorsçanedevrait
pasêtretrèsdifficiledelafairevenirdesonpleingré.PatriksetournaversJacob.—Onvavousapporterquelquechoseàmangeretàboire,puisvousattendreziciqu’onaitfinide
parleravecvotremère.Ensuitevouspourrezlavoir.D’accord?Jacob fit oui de la tête, totalement apathique. Il semblait profondément plongé dans ses propres
pensées.C’estavecdessentimentstrèsdiversqu’AnnaintroduisitlaclédanslaserrurechezelleàStockholm.
Avoirpus’évaderunpeuavaitétémerveilleux,tantpourellequepourlesenfants,maiscelaavaitaussimisunesourdineà sonenthousiasmepourGustav.Pourêtre toutà fait franche,elleavait trouvéassezfatigant d’être enfermée sur un voilier avec quelqu’un de si rigide. L’inquiétait aussi ce drôle de tonqu’avait la voix deLucas la dernière fois qu’ils avaient parlé au téléphone.Malgré tous lesmauvaistraitementsqu’illuiavaitinfligés,ilavaittoujoursdonnél’impressiond’avoirlecontrôleabsoludelui-mêmeetdelasituation.Maintenantelleavaitpourlapremièrefoisentenduunenotedepaniquedanssavoix. Comme s’il se rendait compte qu’il n’était plus maître de ce qui pouvait arriver. Elle était aucourant des rumeurs disant qu’il avait des problèmes au travail. Il s’était emporté lors d’une réunioninterne,àuneautreoccasionilavaitinjuriéunclientet,demanièregénérale,ilcommençaitàmontrerdessignesd’unecertaineconfusionmentale.EtcelaeffrayaitAnna.Çal’effrayaitterriblement.
Quelquechosen’allaitpasaveclaserrure.Laclérefusadetourner.Aprèsavoiressayéunmoment,ellecompritquelaporten’étaitpasferméeàclé.Elleétaitpourtantsûreetcertainedel’avoirferméeenpartantunesemaineauparavant.Elleditauxenfantsderesterlàsurlepalier,puiselleouvritdoucementlaporte.Elleeutlesoufflecoupé.Sonappartement,lepremierquin’étaitqu’àelleseule,dontelleétaitsifière,étaitdétruit.Ilnerestaitpasunseulmeubleintact.Toutétaitcasséetsurlesmursonavaittaguéengrosseslettresnoires,commedesgraffiti,«SALEPUTE».Ellemitlamaindevantlaboucheetsentitleslarmesluimonterauxyeux.Ellen’avaitpasbesoinderéfléchirdeuxfoispoursavoirquiluiavaitfaitça.Ce qui avait traversé son esprit depuis qu’elle avait parlé avec Lucas était maintenant devenu unecertitude.Leschosesavaientcommencéàdéraperpourlui.Maintenantlahaineetlacolèrequiavaienttoujoursétélà,souslesapparences,avaientfiniparfaires’effondrerlabellefaçade.
Annareculasurlepalier.Ellepritsesdeuxenfantsetlesserratoutprèsd’elle.Instinctivement,elleeutenvied’appelerErica.Puiselleseditqu’ilfallaitqu’elles’ensortetouteseule.
Elleétaitsicontentedesanouvelleexistence.Elles’étaitsentiesiforte.Pourlapremièrefoisdesavie,ellesedébrouillaitseule.Ellen’étaitqu’elle-même,nilapetitesœurd’Erica,nilafemmedeLucas.Rienqu’elle.Àprésent,toutétaitdétruit.
Ellesavaitcequ’elleseraitobligéedefaire.Lechatavaitgagné.Lasourisn’avaitplusqu’unseulendroitoùseréfugier.N’importequoipournepasperdrelesenfants.
Elle abandonna la partie. Il pouvait faire ce qu’il voulait d’elle. Mais une chose était sûre. S’iltouchaitdenouveauàl’undesenfants,elleletuerait.Sanslamoindrehésitation.
Çan’avaitpasétéunebonnejournée.Gabrielavaitsimalréagiàcequ’ilappelaitl’abusdepouvoir
delapolicequ’ils’étaitenfermédanssoncabinetdetravailetrefusaitd’ensortir.LindaétaitretournéeavecleschevauxetLainirestaseuledanslecanapéduséjouràfixerlemurenface.LapenséedeJacobquiétait encemoment interrogéaucommissariatemplit sesyeuxde larmesd’humiliation.En tantquemère,elleressentaitunbesoindeledéfendrecontrelemal,qu’ilsoitenfantouadulte,et,mêmesiellesavait trèsbienqu’ellen’enétaitpas responsable,elleavait l’impressiond’avoiréchoué.Laquiétudeétaitseulementdérangéeparletic-tacdel’horlogeet lesonmonotonel’avaitpresqueplongéedansunétatsecond.Ellesursautaenentendantuncoupfrappéàlaporte,etc’estpleined’appréhensionqu’elleallaouvrir.Elleavaitl’impressionquecestemps-ci,chaquefoisquequelqu’unvenait,c’étaitpourunemauvaisesurprise.EllenefutdoncpasétonnéeoutremesurelorsqueGöstaseprésenta.
—Qu’est-cequevousvoulezencore?—Nousavonsbesoindevotreaidesurquelquespoints.Aucommissariat.—Vousdéteneztoujoursmonfils?Göstaacquiesçaensetortillant,malàl’aise.Ils’étaitattenduàunflotdeprotestations,maisLainise
contentadehocherlatêteetlesuivitsurleperron.—Vousneprévenezpasvotremari?—Non,futlaseuleréponseetill’observaattentivement.Pendantunebrèveseconde,ilsedemanda
s’ilsn’avaientpasmistropdepressionsurlafamilleHult.Puisilserappelaquequelquepartdansleurimbrogliofamilialsetrouvaientunassassinetunefilledisparue.Lalourdeporteenchêneserefermaet,telleuneépousesoumise,ellesetintàquelquespasderrièreGöstapourrejoindrelavoituredepolice.Avantdemonter,LainiémitlesouhaitdeprendresaproprevoitureetGöstaluiaccordacettefaveur.Illasuivitdeprèstoutaulongdutrajet.Lesoleilétaitentraindesecoucheretcoloraitleschampsenrouge.Maislabeautédelanatureétaitlecadetdeleurssoucis,àl’uncommeàl’autre.
Patrikeutl’airsoulagédelesvoirarriver.PendantqueGöstafaisaitl’aller-retour,ilavaitpasséle
tempsàarpenterlecouloirdevantlasalled’interrogatoireensouhaitantardemmentpouvoirliredanslespenséesdeJacob.
—Bonjour,fit-ilavecunbrefhochementdela têteàLaini.Cen’étaitpaslapeinedeseprésenterencore une fois, et se serrer la main paraîtrait beaucoup trop obséquieux. Ils n’étaient pas ici pouréchanger des politesses. Patrik s’était demandé, un peu inquiet, comment Laini allait supporter leursquestions.Elleavaitparusi fragile, si frêle,avec lesnerfsà fleurdepeau. Il s’aperçut trèsvitequ’iln’avait aucun souci à se faire. Arrivant là, derrière Gösta, elle avait l’air résignée, mais calme etmaîtressed’elle-même.
CommelecommissariatdeTanumshedenedisposaitqued’uneseulesallepour les interrogatoires,ilss’installèrentdanslacuisine.Aucundesdeuxnesavaitcommentdémarrer,maisàleurgrandesurpriseLainilesdevança.
—Vousaviezdoncdesquestionsàmeposer.— Ouii, dit Patrik. Nous venons d’avoir certaines informations et nous ne savons pas très bien
commentlesgérer.Niquelleplaceleurdonnerdansl’enquête.Peut-êtreaucune,maisencemomentletempsesttellementcomptéquenousnepouvonspasnouspermettredeprendredesgants.Jenevaisdoncpastournerautourdupot.
Patrikrespiraàfond.Lainicontinuadesoutenirsonregard,impassible,maisenregardantsesmainssur la table,qu’elleavait jointescommepouruneprière,Patrikvitque sesarticulationsétaient toutesblanches.
—Nousavonsreçuunpremierrésultatpréliminairedel’analysedevosprélèvementsdesang.
Cette fois, il vit que sesmains commençaient à trembler et il se demanda combien de temps elleréussiraitàconserversoncalmeapparent.
—Premièrement,jepeuxvousdirequel’ADNdeJacobnecorrespondpasàl’ADNquenousavonstrouvésurlavictime.
Devantlui,Lainis’effondra.Sesmainstremblèrentdemanièreincontrôléeetilcompritqu’elleétaitvenue au poste de police prête à accueillir la nouvelle que son fils avait été arrêté pourmeurtre. Lesoulagementéclaira sonvisageet elledutdéglutirplusieurs foispourempêcher les sanglotsd’éclater.Commeellenedisaitrien,ilpoursuivit.
—Enrevanche,nousavonstrouvéunebizarrerieencomparantlesempreintesgénétiquesdeJacobetdeGabriel.L’analysedémontreclairementqueJacobnepeutpasêtrelefilsdeGabriel…Letonqu’ilemployaitfaisaitdesonaffirmationunequestionetilattenditlaréaction.MaislesoulagementdesavoirJacobblanchisemblaitavoirôtéunpoidsdesapoitrine,etellen’hésitaqu’unesecondeavantdedire:
—Oui,c’estexact.Gabrieln’estpaslepèrebiologiquedeJacob.—Quiest-ce,danscecas?—Jenevoispasenquoicelaconcernelesmeurtres.SurtoutmaintenantqueJacobestinnocenté.—Commejevousl’aidéjàdit,letempsnousestcomptéetnousnepouvonspasnouspermettrece
genredeconsidérations,alorsj’apprécieraisquevousrépondiezàmaquestion.—Nousnepouvonsévidemmentpasvousforcer,ditGösta,maisunejeunefilleestportéedisparue
ettouteinformationnousestutile,mêmecellequivoussembledénuéed’intérêt.—Est-cequemonmarival’apprendre?Patrikhésita.—Jenepeux rienpromettre,mais jenevois aucune raisondenousprécipiter pour le lui dire. Il
hésita.MaisJacobestaucourant.Ellesursauta.Sesmainsseremirentàtrembler.—Qu’est-cequ’iladit?Savoixn’étaitplusqu’unchuchotement.—Jenevaispasvousmentir.Ça l’a secoué.Et il sedemandeévidemment aussiqui est sonvrai
père.Le silence se fit compact autourde la table,maisGösta etPatrik attendirent calmementqu’elle se
décideàparler.Auboutd’unmoment,laréponsearriva,toujoursdansunchuchotement:—C’estJohannes.Savoixdevintplusforte.JohannesestlepèredeJacob.Cela sembla l’étonner de pouvoir dire cette phrase à voix haute sans qu’un éclair n’arrive du
firmament pour la tuer sur-le-champ.Le secret était devenu de plus en plus lourd et difficile à porterchaqueannée,etmaintenantc’étaitpresqueunsoulagementdelaisserlesmotss’écouler.Ellecontinuaàparler,rapidement.
—Nousavonseuunebrèveaventure.Jen’aipassuluirésister.Ilétaitcommeuneforcedelanaturequivenaittoutbonnementseservirdecequ’ildésirait.EtGabrielétaitsi…différent.
Lainihésitasurlemotàchoisir,maisPatriketGöstaauraientpuleluiglisser.— Gabriel et moi avions déjà essayé de faire un enfant depuis quelque temps et, quand on a
découvertquej’étaisenceinte,ilaétéfoudejoie.Jesavaisquel’enfantpouvaitêtresoitdeGabriel,soitdeJohannes,maismalgrétouteslescomplicationsquecelaentraîneraitjesouhaitaisardemmentqu’ilsoitdeJohannes.Unfilsdeluipourraitdevenir–magnifique!Ilétaitsivivant,sibeau,si–vibrant!
Ses yeux se mirent à briller et elle sembla rajeunie tout d’un coup de dix ans. Elle avaitmanifestement été amoureuse de Johannes. Penser à leur aventure, tant d’années auparavant, la faisaitencorerougir.
—Commentavez-voussuquec’étaitl’enfantdeJohannes,etpasceluideGabriel?
—Jel’aisudèsquejel’aivu,àl’instantoùonmel’amisausein.—EtJohannes,ilsavaitquec’étaitsonfilsetpasceluideGabriel?—Ohoui.Etill’aimait.Jen’étaisqu’undivertissementmomentanépourJohannes,mêmesij’aurais
aiméqu’ilensoitautrement,maisavecsonfilsc’étaitdifférent.IlvenaitsouventquandGabrielétaitenvoyage, pour le regarder, et jouer avec lui. Jusqu’à ce que Jacob soit assez grand pour risquer d’enparler,alors il adûarrêter. Ildétestaitvoir son frèreélever sonpremier-né,mais iln’étaitpasprêtàabandonnerlaviequ’ilmenait.Etiln’étaitpasnonplusprêtàabandonnerSolveig.
—Etcommentétaitvotreviealors?demandaPatrik,sincèrementpeiné.Ellehaussalesépaules.—Audébut, c’était l’enfer.Devivre si près de Johannes et Solveig, d’assister à la naissance de
leursfils,lesdemi-frèresdeJacob.Maisj’avaismonfils,etensuite,plusieursannéesplustard,j’aieuLindaaussi.Etçapeutparaîtreinvraisemblable,mais,letempsaidant,j’aicommencéàaimerGabriel.Pasdelamêmefaçonquej’aimaisJohannes,maissansdouted’unefaçonplusréaliste.Johannesn’étaitpasunhommequ’onpouvaitaimerdeprèssanssombrer.MonamourpourGabrielestplusinsipide,maisplusfacileàvivre.
—Vousn’avezpaseupeurquecelasesachequandJacobesttombémalade?demandaPatrik.—Non,j’avaisàcraindredeschosesautrementplusgraves,ditLaini,acerbe.SiJacobmourait,plus
rien n’aurait eu d’importance, surtout pas de savoir qui était son vrai père. Sa voix s’adoucit. MaisJohannesétaittellementinquiet.IlétaitdésespérédesavoirJacobmaladeetdenerienpouvoirfaire.Ilnepouvaitmêmepasmontrersapeuraugrandjour,nepouvaitpasveilleràsescôtésàl’hôpital.C’étaitdifficilepourlui.
Lainiallaseperdredansuneépoquerévolue,puissursautaetseforçaàrevenirauprésent.GöstaselevapourseservirunetassedecaféettenditlacafetièreversPatrikquihochalatêtetandisqueLainidéclinal’offre.Enserasseyant,Göstademanda:
—N’yavait-ilvraimentpersonned’autrequiflairaitquelquechose,ouquisavait?Vousnevousêtesjamaisconfiéeàquelqu’un?
IlyeutunelueursévèredanslesyeuxdeLaini.—Si,dansuninstantdefaiblesse,JohannesaparlédeJacobàSolveig.Duvivantdesonmari,elle
n’apasoséexploiterça,maisaprèslamortdeJohanneselleacommencéparfairedepetitesallusionsquisesontensuitetransforméesenexigencesaufuretàmesurequesaboursesevidait.
—Ellevousfaitchanter?ditGösta.Lainihochalatête.—Oui,çafaitvingt-quatreansquejelapaie.—Commentavez-vouspulefairesansqueGabriels’enrendecompte?Parcequej’imaginequ’il
s’agitdegrossessommes?—Çan’apasétéfacile,dit-elle.MaismêmesiGabrielesttatillonsurlacomptabilitédudomaine,il
n’ajamaisétéavareavecmoi,etilm’atoujoursdonnél’argentquej’aidemandé,pourleshopping,etpour leménageau sens large.PourpouvoirpayerSolveig, j’ai été économeet je lui aidonné laplusgrandepartie.Maisjesupposequemaintenantjen’aipasd’autrechoixquedeledireàGabriel,commeçaleproblèmeavecSolveigserarésolu.
ElleaffichaunsourirenarquoismaisretrouvavitesonsérieuxetregardaPatrikdroitdanslesyeux.—Cettehistoireaaumoinsentraînéquelquechosedebon,c’estquejenemesoucieplusdeceque
diraGabriel,mêmesiçam’arongéependanttrente-cinqans.Leplusimportantpourmoi,cesontJacobetLinda,etlaseulechosequicompteencemoment,c’estqueJacobaétéinnocenté.Jenemetrompepaslà-dessusaumoins?Ellelesexhortatouslesdeuxduregard.
—Oui,ilsembleeffectivementqu’ilsoitinnocent.
—Pourquoiest-cequevous legardez icialors?Est-ceque jepeuxpartirmaintenantetemmenerJacobavecmoi?
—Oui,allez-y,ditPatrikcalmement.Maisnousaimerionsquandmêmevousdemanderunservice.Jacobsaitquelquechosesurl’affairequinousoccupeet,neserait-cequepoursapropretranquillité,ilestimportantqu’ilnousparle.Restezuninstantaveclui,discutezdetoutça,maisessayezdelepersuaderdenepastairecequ’ilsait.
Lainisouffla.—Jelecomprends,voussavez.Pourquoidevrait-ilvousaideraprèstoutcequevousluiavezfait,à
luietàsafamille?—Parcequeplusvitenousauronsrésolul’affaire,plusvitevouspourrezcontinueràvivrevosvies.Patrik ne voulait pas lui révéler que les analyses avaient aussi démontré que le coupable faisait
malgrétoutpartiedelafamilleHult,etilétaitdifficilepourluideparaîtrepersuasif.C’étaitleurcartemaîtresseetiln’avaitpasl’intentiondel’abattreavantqueçasoitabsolumentnécessaire.Enattendant,ilespéraitqueLainilecroyaitquandmêmesurparoleetarrivaitàsuivresonraisonnement.Ellehochalatêteetfinitparluiaccordercequ’ildemandait.
—Jevaisfairecequejepeux.Maisjenesuispascertainequevousayezraison.JenepensepasqueJacobensacheplusquen’importequid’autre.
—Onfiniraparl’apprendretôtoutard,réponditPatrikassezsèchement.Vousyallezalors?Elle se rendit d’un pas hésitant jusqu’à la salle d’interrogatoire. Gösta se tourna vers Patrik, les
sourcilsfroncés:—PourquoituneluiaspasditqueJohannesavaitététué?— Je ne sais pas. Patrik haussa les épaules. J’ai le sentiment que plus j’arrive à embrouiller les
chosespourcesdeux-là,mieuxçavaut.JacobvaledireàLaini,etçavaprobablementladéstabiliseraussi.Etpeut-être,peut-être,quel’und’euxs’ouvriraalors.
—TupensesqueLainiaussicachequelquechose?demandaGösta.—Jenesaispas,ditPatrikdenouveau,maistun’aspasvusonexpressionquandonaditqueJacob
étaitrayédelalistedessuspects?C’étaitdel’étonnement.—J’espèrequetuasraison,ditGöstaetilsefrottalevisagedansungestedelassitude.Lajournée
avaitétélongue.—Attendonsqu’ilsaientdiscutéunpeuensemble,ensuiteonpourra rentrermangerunmorceauet
dormirunpeu.Ilfautqu’onprennedesforces,sinononserabonàrien,ditPatrik.Ilss’installèrentpourattendre.Elleentenditunbruitdehors,maisensuitetoutredevintsilencieux.Solveighaussalesépaulesetse
concentradenouveausursesalbums.Aprèslesdéferlementsdesentimentsdecesderniersjours,c’étaitbon de reposer dans la sécurité des photographies vues et revues. Elles ne changeaient jamais, à larigueurdevenaient-ellesunpeupluspâlesetjauniesavecletemps.
Elleregardal’horlogedelacuisine.C’estvrai,lesgarçonsallaientetvenaientàleurguise,maiscesoirilsavaientpromisderentrerpourmanger.RobertdevaitapporterdespizzasdechezCapitaineFalcket elle sentit la faim commencer à lui tordre le ventre. Peu après elle entendit des pas sur le gravierdehorsetselevapéniblementpourmettrelatable.Justedesverresetdescouverts,lesassiettesétaientinutiles.Ilsmangeraientdirectementsurlecarton.
—Ilestoù,Johan?ditRobertenposantlespizzasetencherchantsonfrèredesyeux.—Jepensaisquetulesavais.Çafaitdesheuresquejenel’aipasvu,ditSolveig.—Ildoitêtredanslaremise,jevaislechercher.—Dis-luidesedépêcher,jen’aipasl’intentionderesterlààl’attendre,lançaSolveigderrièreluiet
ellecommençaàouvriravidementlescartonsdepizzaspourrepérerlasienne.—Johan?Robertappelaavantmêmed’êtrearrivéàlaremise,maissansobtenirderéponse.Bon,ça
nesignifiaitpeut-êtrerien.ParfoisJohandevenaitsourdetaveuglequandilseterraitlà.—Johan?Ilélevaletond’uncran,maisn’entenditquesaproprevoixdanslesilenceambiant.Irrité, ilarracha laportede la remise,prêtàengueulersonpetit frèredes’abandonnerainsiàdes
rêveries.Maisiloubliavitesesintentions.—Johan!Merdealors!Sonfrèregisaitparterreavecunegrandeflaquerougesouslatête.IlfallutunesecondeàRobertpour
comprendrequec’étaitdusang.Johannebougeaitpas.—Johan!Savoixdevintuneplainteetunsanglotmontaitdanssapoitrine.Iltombaàgenouxàcôté
ducorpsmalmenédeJohanetfitcourirsesmainssurluisanstropsavoirquoifaire.Ilvoulaitaidermaisnesavaitpascomment,etilavaitpeurd’aggraverlesblessuress’iltouchaittropfort.Ungémissementdesonfrèrelefitréagir.Ilsereleva,lesgenouxpleinsdesang,etcourutàlamaison.
—Maman,maman!Solveigouvritlaporteetplissalesyeux.Sesdoigtsétaienttoutpoisseux,saboucheluisantedegras,
manifestementelleavaitcommencéàmangeretçal’énervaitd’êtredérangée.—C’estquoi toutce foutu ramdam?Puisellevit les tachesde sangsur lesvêtementsdeRobert.
Qu’est-cequ’ils’estpassé?C’estJohan?Ellecourutverslaremiseaussivitequesonembonpointleluipermettait,maisRobertl’arrêtaavant
qu’ellen’arrive.—N’entre pas. Il vit, mais quelqu’un lui a filé une putain de dérouillée. Il a l’air mal en point,
appellel’ambulance,vite.—Qui…?sanglotaSolveigetelletombacommeunpantindésarticulédanslesbrasdeRobert.Ilse
dégagea,exaspéré,etlaforçaàtenirdebouttouteseule.—Ons’enfout.Pourl’instantils’agitdefairevenirdessecours.Vatéléphonertoutdesuite,moije
retourneavecJohan.Etappellelecentremédicalaussi,l’ambulanceatoutlechemind’Uddevallaàfaire,ellemettradutemps.
Illançasesordresavecl’autoritéd’ungénéraletSolveigréagitauquartdetour.ElleretournaàlamaisonencourantetRobert,rassuré,sedépêchaderevenirauprèsdesonfrère.
Quand leDr Jacobsson arriva, ni l’unni l’autre ne parlèrent des circonstances dans lesquelles ilss’étaientdéjàrencontréscemêmejour,ilsn’ypensèrentmêmepas.Robertlaissalaplace,soulagéquequelqu’undecompétentprennelasituationenmain,etilattenditfébrilementleverdict.
—Ilvit,maisilfautl’ameneràl’hôpitalauplusvite.L’ambulanceestenroutesij’aibiencompris?—Oui,fitRobertd’unevoixfaible.—Vadoncluichercherunecouverture.Robertn’étaitpasbête,ilcomprenaitbienquelademandedumédecinvisaitsurtoutàleteniroccupé,
mais il était content d’avoir quelque chose de concret à faire et obéit immédiatement. Il fut obligéd’écarterSolveigdelaportedelaremiseoùellepleuraitensilence,toutsoncorpssecouédesanglots.Iln’avaitpasassezdeforcespourlaconsoler.Ilétaitsuffisammentoccupéàgarderlui-mêmesoncalme,ellen’avaitqu’àsedébrouillercommeellepouvait.Auloinilentenditunesirène.Jamaisauparavantiln’avaitétéaussiheureuxdevoirungyropharebleuapparaîtreparmilesarbres.
Lainirestaunedemi-heureavecJacob.Patrikauraitaiméécouteràlaporte,maisildutprendreson
mal en patience. Seul son pied qu’il n’arrêtait pas de bouger témoignait de sa nervosité. Gösta avait
commelui regagnésonbureaupouressayerde travaillerunpeu,maisc’étaitdifficile.Patriknesavaitpas tropcequ’il attendait exactementde toutecettecharade.Pourvu seulementqueLainipuissed’unefaçon ou d’une autre appuyer sur le bon bouton pour faire parler Jacob. Mais peut-être allait-il serefermerdavantage.Commentsavoir?C’étaitbienleproblème.Parfoisonavaitbiendumalàexpliquercertainesréactions,alorsqu’audépartonavaitpourtantbienpesétantlesrisquesquelesgainséventuels.
Çal’agaçaitd’êtreobligéd’attendrelelendemainmatinpouravoirlesrésultatsdesanalyses.Ilauraitvolontiers travaillé toute lanuit surdespistesquipourraientconduirevers Jenny, si seulement ilyenavaiteu.Aulieudecela,lesanalysesdesangétaienttoutcequ’ilsavaientpourl’instant,etilétaitobligéd’admettrequ’ilavaitcomptéénormémentsurlaconcordancedel’échantillondeJacob.Maintenantquetoutecette théories’étaitécroulée, il se retrouvaitavecunefeuilleblanchedevant lui,et ilsétaientderetour à la case départ. Là, dehors quelque part, Jenny était retenue, et il avait l’impression qu’ils ensavaientmoinsmaintenantqu’audébut.Leseulrésultatconcretjusque-làétaitd’avoirpeut-êtreréussiàfairevolerenéclatsunefamilleetd’avoirrepéréunmeurtrevieuxdevingt-quatreans.Àpartcela–rien.
Pour lacentièmefois il regardasamontreet tambourinadepetitssolosfrustréssur lebureauavecsonstylo.Peut-être,peut-êtrequ’encemomentJacobétaitentrainderaconteràsamèredesdétailsquirésoudraienttoutd’unseulcoup.Peut-être…
Unquartd’heureplus tardilsutquecettebataille-làétaitperdue.Enentendant laportedelasalled’interrogatoire s’ouvrir, il bondit de son fauteuil et alla à leur rencontre. Il se retrouva face à deuxvisages fermés.Des yeux durs comme des pierres le regardèrent, remplis de défi, et il comprit à cetinstantprécisquesiJacobcachaitquelquechoseilnerévéleraitriendesonpleingré.
—Vousavezditquejepouvaisemmenermonfilsenpartant,réponditLainid’unevoixglaciale.—Oui,ditPatrik.Iln’yavaitriendeplusàajouter.Maintenant,toutcequileurrestaitàfaireétaitce
qu’il avait suggéré à Gösta. Rentrer chez eux, manger et dormir un peu. Avec un peu de chance, ilsallaientpouvoirtravailleravecdesbatteriesrechargéeslelendemain.
9
ÉTÉ1979Elle se faisait du souci pour sa mère malade. Son père aurait bien du mal à s’occuper d’elle.
L’espoirqu’on laretrouveétait lentementréduitànéantpar la terreurderesterseuledans lenoir.Sanslapeaudoucedel’autre,l’obscuritéluiparaissaitencoreplusnoire.
L’odeuraussilatourmentait.L’odeurdouceâtre,nauséabondedemortéclipsaittouteslesautres.Mêmecellede leursexcrémentsdisparaissaitdans la suavité immonde,et elleavait vomiplusieursfois,desrenvoisaigresdusàsonventrevide.Maintenantellecommençaitàsouhaiterlamort.Celaluifaisaitpluspeurquetoutlereste.Lamortcommençaitàlacourtiser,àchuchoter,àproposerdemettrefinàladouleuretàl’épouvante.
Elleguettaitcontinuellementlespasau-dessus.Lebruitquandlatrappes’ouvrait.Lesplanchesqui étaient retirées et puis de nouveau les pas lents qui descendaient l’escalier. Elle savait que laprochaine foisqu’elle lesentendrait serait ladernière.Soncorpsnesupporteraitpasdavantagededouleuret,toutcommel’autrefille,ellecéderaitàl’appeldelamort.
Justeàcemoment-là,commesurcommande,elleentenditlesbruitstantredoutés.Terrifiée,ellesepréparaàmourir.
Çaavaitétémerveilleuxd’avoirPatrikàlamaisonplustôtqued’habitudelaveilleausoir.Maisles
circonstances l’empêchaient de se sentir aussi heureuse qu’elle l’aurait aimé. Enceinte, Erica pouvaitpour la première fois comprendre l’inquiétude d’unemère et elle souffrait avec les parents de JennyMöller.
Tout à coup elle se sentit coupable d’avoir été si joyeuse toute la journée. Depuis le départ desvisiteurs,lapaixétaitrevenue,etelleavaiteutoutloisirdebavarderaveclepetitêtrequis’agitaitenelle,de faireune siesteetde lireunbouquin.Elleavait aussibravé le raidillondeGalärbackenpouralleracheterdebonnespetiteschosesàmangerainsiqu’ungrossachetdebonbons.Pourlessucreries,ellen’avaitpaslaconsciencetranquille.Lasage-femmeluiavaitsévèrementfaitremarquerquelesucren’étaitpasbonpourlesfemmesenceintes,qu’ingurgitéengrandesquantitésilpouvaitfairedel’enfantànaîtreunpetitdroguéausucre.Certes,elleavaitmarmonnéaussiqu’il fallaitvraimentde trèsgrandesquantités, mais ses paroles tournaientmalgré tout dans la tête d’Erica. Sur le frigo était affichée unelonguelistedetoutcequ’ilétaitinterditdemanger,etelleavaitparfoisl’impressionquec’étaitmissionimpossibledemettreaumondeunenfantenpleinesanté.Certainspoissonsétaienttotalementproscrits,tandisqued’autresétaientautorisés,maisseulementunefoisparsemaine,etensuiteilfallaitsavoirs’ils’agissaitdepoissonsdemeroud’eaudouce…Sansparlerdudilemmedufromage.Ericaadoraittoutessortesde fromageet elle avaitmémorisé ceuxqu’ellepouvait ounepouvait pasmanger.À songrandregret,lesbleussetrouvaientsurlalistedesinterditsetellefantasmaitdéjàsurl’orgiedefromageetdevinrougequ’elleferaitdèsqu’elleauraitfinid’allaiter.
Elleétait tellementplongéedanssesrêveriesderipaillequ’ellen’entenditmêmepasPatrikentrer.Ellesursautadefrayeur,etilfallutunbonmomentavantquesonrythmecardiaqueredeviennenormal.
—OhmonDieu,cequetum’asfaitpeur!—Pardon,jenel’aipasfaitexprès.Jepensaisquetum’entendrais.Ils’installaàcôtéd’elledanslecanapéetellefutsurpriseenvoyantsatête.—Mais,Patrik, tues toutgris. Il s’estpasséquelquechose?Unepenséeglaçante la frappa.Vous
l’aveztrouvée?—Non.Patriksecoualatête.C’esttoutcequ’ilditetEricaattenditcalmementlasuite.Auboutd’unmoment,ilparutenétatde
continuer.—Non,onnel’apastrouvée.Aucontraire,onamêmereculéaujourd’hui,j’ail’impression.Subitement,ilsepenchaenavantetenfouitsonvisagedanssesmains.Ericas’approchaplusprèsde
lui, l’entouradesesbrasetappuya la jouecontresonépaule.Ellesentit,plusqu’ellen’entendit,qu’ilpleuraitensilence.
—C’est dégueulasse, elle a dix-sept ans. Tu te rends compte.Dix-sept ans et il y a un putain demalade qui s’imagine qu’il peut faire ce qu’il veut d’elle. On cavale comme des foutus idiotsincompétentsalorsqu’elleestpeut-êtreentraind’endurerlespireshorreurs.Commentest-cequ’onapucroirequ’onseraitcapablesdemeneruneenquêtedecetteenvergure?Nous,d’habitude,onn’aquedesvolsdevélosetdesbricolesdecegenre!Quelest l’idiotquinousapermis–quim’apermis!–demenercettefoutueenquête!Ilouvritgrandeslesmains.
—Personnen’auraitpulefairemieuxquevous,Patrik!Qu’est-cequetucroisquiseraitarrivés’ils
avaientenvoyéuneéquipedeGöteborg, c’estbienàçaque tupenses,non? Ilsneconnaissentpas lecoin,ilsneconnaissentpaslesgensetilsnesaventpascommentçafonctionneici.Ilsn’auraientpaspufaireunmeilleurboulotquevous.Etvousn’avezpasétéentièrementseuls,mêmesic’estl’impressionquetuas.N’oubliepasqu’Uddevallaaenvoyédeshommesquionttravailléavecvousetorganisédesbattues, pour ne prendre qu’un seul exemple. Tu disais toi-même l’autre soir que ça avait très bienfonctionné,votrecollaboration.Tuasdéjàoublié?
Ericaluiparlaitcommeàunenfant,maissanscondescendance.Ellevoulaitsimplementêtreclaireetçasemblaitfairesonchemin,carPatriksecalmaetelleputsentirsoncorpssedétendre.
—Oui,jesupposequetuasraison,dit-ilavecréticence.Onafaittoutcequ’onapu,maisçasembletellementperdud’avance.Letempsfileetmoijesuislà,àlamaison,pendantqueJennyestpeut-êtreentraindemourir,àcettesecondeprécise.
LapaniquemontadenouveaudanssavoixetEricaserrasonépaule.—Chut,tunepeuxpastepermettredepensercommeça.Ellelaissaunenotedesévéritéseglisser
danssavoix.Ilnefautpasquetut’écroulesmaintenant.S’ilyaunechosequetuluidois,àelleetàsesparents,c’estdegarderlatêtefroideetdecontinueràtravailler.
Ilneréponditpas,maisEricavitqu’ilécoutaitcequ’elledisait.—Sesparentsm’ontappelétroisfoisaujourd’hui.Quatrehier.Tucroisquec’estparcequ’ilssont
surlepointd’abandonnertoutespoir?—Non,jenepensepas,ditErica.Jepenseseulementqu’ilsontconfianceenvousetenvotretravail.
Etencemoment,tontravail,c’estdeprendredesforcespouraffronteruneautrejournéederecherchesdemain.Vousnegagnezrienàvousépuisertotalement.
PatriksouritenentendantEricarépéterlesproposmêmesqu’ilavaittenusàGösta.Ilsavaitpeut-êtreaprèstoutdequoiilparlaitdetempsentemps.
Il lapritaumot.Bienqu’iln’aitpasvraimentd’appétit, ilmangeacequ’Ericaluiavaitpréparéetdormitensuited’unsommeil léger.Danssesrêves,unejeunefilleblondeluiéchappaitsansarrêt.Ellearrivaitsuffisammentprèspourqu’ilpuisselatoucher,maisaumomentoùilétaitsurlepointdetendresamainetdelasaisirelleéclataitd’unriremoqueurets’échappait.Quandlasonnerieduréveilletiradusommeil,ilétaitfatiguéettrempéd’unesueurfroide.
Àcôtédelui,EricaavaitpasséunegrandepartiedelanuitàréfléchiràAnna.Sidanslajournéeelleavaitétédéterminéeànepasfairelepremierpas,àl’aubeellefuttoutaussisûrequ’elledevaitappelersasœurdèsqu’ilferaitgrandjour.Quelquechosen’allaitpas.Ellelesentait.
L’odeurd’hôpitalluifaisaitpeur.Leseffluvesdedésinfectantsavaientquelquechosededéfinitif,tout
commelesmurstristesetlesœuvresd’artstandard.Aprèsunenuitblanche,Solveigavaitl’impressionquetouslesgensautourd’ellebougeaientauralenti.Lefroufroudesvêtementsdupersonnels’amplifiaitdanssesoreilles jusqu’àdépasser lebrouhahagénéralisé.Elles’attendaitque lemondes’effondresurelleàtoutmoment.LaviedeJohanétaitsuspendueàunfiltrèsmince,lemédecinl’avaitannoncéavecgravitéaupetitmatinetelleavaitdéjàcommencéàpenseraudeuil.Quepouvait-ellefaired’autre?Toutcequ’elleavaiteudanslavies’étaitécouléentresesdoigtscommedusablefinetavaitétédisperséparle vent. Rien de ce qu’elle avait essayé d’agripper ne lui était resté. Johannes, la vie à LaMétairie,l’avenirdesesfils–toutavaitétéréduitànéantetl’avaitenferméedanssonmondeàelle.
Maismaintenantellenepouvaitplusfuir.Paslorsquelaréalités’imposaitsousformedevisions,debruitsetd’odeurs.Laréalité,qu’encemomentilsétaiententraindetaillerdanslecorpsdeJohan,étaittropostensiblepourqu’onpuisselafuir.
Elle avait rompu avecDieu il y avait belle lurette,mais à présent elle priait comme si sa vie endépendait. Elle récita toutes les paroles pieuses dont elle se souvenait depuis son enfance, fit despromessesqu’ellenepourraitjamaistenir,enespérantquelabonnevolontésuffirait,aumoinsjusqu’àcequeJohanaituntoutpetitavantagequilemaintiendraitenvie.Àcôtéd’elle,Robertétaitencoresouslechoc. Par-dessus tout, elle aurait voulu se pencher pour le toucher, le consoler, être mère.Mais tantd’années étaient passées et toutes les occasions s’étaient perdues.Maintenant ils étaient comme deuxétrangerscôteàcôte,unisseulementparl’amourqu’ilsportaientaujeunehommedansleblocopératoire,muetstouslesdeuxdansleurcertitudequ’ilétaitlemeilleurd’entreeux.
Unpersonnagefamilierarrivaauboutducouloir.Lindafrôlaitlesmurs,nesachantpasquelaccueilluiseraitréservé,maistouteenviedechamaillerieavaitquittéSolveigetsonfilsaînéaprèslescoupsqu’avait reçus Johan. En silence, elle s’assit à côté de Robert et attendit un instant avant d’oserdemander:
—Commentva-t-il?Papam’aditquetuavaisappelécematin.—Oui, j’aipenséqueGabrieldevaitêtremisaucourant,ditSolveig, le regard toujoursperduau
loin,onestmalgrétoutdelamêmefamille.J’aitrouvéqu’ildevaitsavoir…Elles’absorbaitdanssonmondeetLindahochaseulementlatête.Solveigcontinua:—Ilssonttoujoursentraindel’opérer.Nousn’ensavonspasplus…saufqu’ilpeutmourir.—Maisquiafaitça?ditLinda,fermementdécidéeànepaslaissersatanteseretirerdanslesilence
avantd’avoirobtenuuneréponseàsaquestion.—Onnesaitpas,ditRobert.Mais,quiquecesoit,ilvalepayer,cesalopard!Il frappa violemment la main sur l’accoudoir et se réveilla un court instant de son état de choc.
Solveigneditrien.—Qu’est-cequetuesvenuefoutreici,d’ailleurs,ditRobertenréalisantcombienc’étaitétrangeque
lacousinequ’ilsn’avaientjamaisspécialementfréquentéesoitvenueàl’hôpital.—Je…on…je…Lindabégayaencherchant lesmotspourdécrire la relationentreelleet Johan.
Elleétait surprisedeconstaterqueRobertn’étaitpasaucourant.Certes,Johan luiavaitassurénepasavoirparlédeleurrelationàsonfrère,maiselleavaitpenséqu’ilavaitquandmêmeditquelquechose.LefaitqueJohanaitvoulugardersecrèteleurhistoiremontraitclairementl’importancequ’elleavaitdûavoirpourlui,etcetterévélationl’emplitdehonte.
—On…s’estpasmalvus,Johanetmoi.Ellevérifiasoigneusementsesonglesparfaitementfaits.—Commentça,vousvousêtesvus?Robertlaregarda,perplexe.Puisilcompritetsemitàrire.Ah
bon,vousavez,jeveuxdire…d’accord…Ehben,disdonc.Ils’emmerdepas,monfrangin!Puislerirerestabloquédans sagorgequand il se rappelapourquoi il était là et sonvisage reprit sonexpressionbouleversée.
Lesheurespassèrentetilsrestèrentassislà,touslestrois,enrangd’oignonsdanslasalled’attente.À chaque bruit de pas dans le couloir ils guettaient avec angoisse unmédecin en blouse blanche quiviendraitleurdonnerleverdict.Sansprêterattentionauxautres,chacund’euxpriait.
Lorsque Solveig avait appelé tôt le matin, il avait lui-même été surpris par la compassion qu’il
ressentait.Laguerre entre les deuxbranchesde la famille avait duré si longtempsque l’hostilité étaitdevenuecommeunesecondenature,maisquandilappritdansquelétatsetrouvaitJohan,touteanciennerancœur s’évanouit. Johan était le fils de son frère, la chair de sa chair et c’était la seule chose quicomptait.Pourtant,alleràl’hôpitalluisemblaitassezdéplacéethypocrite,etilavaitsugréàLindad’yaller.IlluiavaitmêmepayéuntaxipourUddevalla,bienqued’ordinaireilestimâtquesedéplaceren
taxiétaitlecombleduluxe.Complètementdésemparé,Gabrielrestaitdevantsagrandetabledetravail.Lemondeentiersemblait
sensdessusdessousetçanefaisaitqu’empirer.Ilavaitl’impressionquelepointculminantétaitarrivéces dernières vingt-quatre heures. Jacob qui avait été cueilli pour interrogatoire, la perquisition à LaMétairie,toutelafamillequidevaitsubirdesanalysesdesangetmaintenantJohanàl’hôpital,entrelavieetlamort.Ilavaitconsacrésavieàconstruireunesécuritéquiétaitentraindes’effondrerdevantsesyeux.
Danslemiroirsur lemuropposéilvitsonvisagecommesic’était lapremièrefois.Enuncertainsens,c’étaitbienlecas.Ilvitcombienilavaitvieillienquelquesjours.Leregardalerteavaitdisparu,les soucisavaientcreusédes ridessur sonvisageet sescheveuxhabituellementsibiencoiffésétaientébouriffésetternes.Gabrielfutobligédereconnaîtrequ’ilétaitdéçudelui-même.Ils’étaittoujoursvucommeunhommequisortaitgrandidesdifficultés,quelqu’unenquilesautrespouvaientavoirconfiancequanddesennuisseprésentaient.Aulieudecela,c’étaitLainiquis’étaitmontréelaplusfortedesdeux.Ill’avaitpeut-êtretoujourssu,aprèstout.Elleaussil’avaitpeut-êtretoujourssu,maisl’avaitlaissévivredans son illusion sachant qu’il serait plus heureux ainsi.Une sensation de chaleur vint le remplir.Unamour tranquille.Quelque chosequi était resté enterré là profondément sous sonmépris égocentrique,maisquiavaitmaintenant trouvéuneoccasiondepercer.Peut-êtrequequelquechosedebienpourraitsortirdecedésastre.
Uncoupfrappéàlaporteinterrompitsesréflexions.—Entrez.Lainientradoucementetilremarquadenouveaulechangementquis’étaitopéréenelle.Disparule
visagenerveuxetlesmainsquisetordaientd’angoisse,elleparaissaitmêmeplusgrande,ellesetenaitplusdroite.
—Bonjourmachérie.Biendormi?Ellefitouidelatêteets’assitdansl’undesdeuxfauteuilsréservésauxvisiteurs.Gabriell’observa
attentivement.Lescernessoussesyeuxvenaientcontrediresaréponse.Pourtantelleavaitdormipendantplusdedouzeheures.Hierquandelleétait rentréeaprèsêtrealléechercherJacobaucommissariat, ilavaitàpeineeuletempsdeluiparler.Elleavaitseulementmurmuréqu’elleétaitfatiguée,puiselleétaitalléesecoucher.Quelquechosesetramait, ilpouvait lesentirmaintenant.Laininel’avaitpasregardéuneseulefoisdepuisqu’elleétaitentréedanslapièce,ellenefaisaitqu’observerseschaussuresavecbeaucoupd’intérêt.L’inquiétudegranditenlui,maisilfallaitd’abordqu’ilracontecequiétaitarrivéàJohan.Elleréagitavecsurpriseetcompassion,maiscefutunpeucommesilesmotsnel’atteignaientpasvraiment.Quelquechosedesiprofondoccupaitsespenséesquemêmelepassageà tabacdeJohannepouvaitl’endétourner.Maintenanttouslesvoyantsd’alarmeclignotaientenmêmetemps.
—Ils’estpasséquelquechose?Ils’estpasséquelquechoseaucommissariathier?J’aiparléavecMarita hier soir, ellem’a dit qu’ils avaient relâché Jacob et alors la police ne peut quandmême pasavoir…Ilnesavaitpastrèsbiencommentpoursuivre.Lespenséesfusèrententoussensdanssatêteetilrejetalesexplicationslesunesaprèslesautres.
—Non,Jacobesttotalementinnocenté,ditLaini.—Maisc’estfantastique,cequetudislà!Ils’illumina.Comment…qu’est-cequia…?Lainiavaittoujourslamêmeexpressionsévère,etellenecroisatoujourspassonregard.—Avantd’enparler,ilyaautrechosequetudoissavoir.Ellehésita.Johannes,il,il…Gabrielremuaitd’impatiencesursachaise.—Oui,bon,qu’est-cequ’ila,Johannes?C’estausujetdecettemalheureuseexhumation?—Oui,onpourraitdireça.
UnenouvellepausedonnaenvieàGabrieldelasecouerpourl’obligeràparler.Puisellerespiraàfondetdébitatoutenunflottellementrapidequ’ilentendaitàpeinecequ’elledisait:
—IlsontditàJacobqu’ilsavaientexaminélesossementsdeJohannesetconstatéqu’ilnes’étaitpassuicidé.Qu’ilavaitétéassassiné.
Gabriel laissa tombersonstylosur lebureau.Il regardaLainicommesielleavaitperdularaison.Ellecontinua:
— Oui, je sais que ça paraît totalement insensé, mais apparemment ils sont absolument certains.Quelqu’unatuéJohannes.
—Ilssaventqui?futlaseulechosequ’iltrouvaàdire.—Biensûrquenon,réponditvertementLaini.Ilsviennentdedécouvrirlesfaitsetavectoutesces
annéesquiontpassé…Elleouvritgrandeslesmains.—Ehbien,pourdesnouvelles !Maisparle-moide Jacob. Ils se sontexcusés?demandaGabriel
avecmesquinerie.—Iln’estplussoupçonné,donc.Ilsontréussiàprouvercequenoussavionsdéjà.—Oui,cen’estpasvraimentunesurprise,cen’étaitqu’unequestiondetemps.Maiscomment…?— Les prélèvements de sang. Ils ont comparé le sien avec des substances que le coupable avait
laisséesetçanecorrespondaitpas.—Oui,j’auraispuleleurdiredèsledépart.Cequej’aieffectivementfait,sijenemetrompe!dit
Gabrielpompeusementetilsentitungrosnœudsedéfaireenlui.Maisalorsonvasablerlechampagne,Laini,etjenecomprendspaspourquoitufaisunetelletête.
Ellelevalesyeuxetleregardadroitenface.—Parcequ’ilsontaussieuletempsd’analysertonsang.—Oui,maisiln’atoutdemêmepaspucorrespondre,ditGabrielenriant.—Non,pasavecceluidumeurtrier.Mais…ilnecorrespondaitpasnonplusavecceluideJacob.—Quoi,qu’est-cequetuveuxdire?Commentça,ilnecorrespondaitpas?Dequellemanière?—Ilsonttoutdesuitevuquetun’espaslepèredeJacob.Lesilencequisuivitfutexplosif.Gabrielaperçutdenouveausonvisagedanslemiroiretcettefois-ci
ilnesereconnutpaslui-même.C’étaitunétrangerquileregardait,labouchebéeetlesyeuxécarquillés.Laini avait l’air d’être débarrassée de tous les problèmes qui avaient pesé sur ses épaules et son
visagerayonnait.Ilreconnutlesoulagement.Ilpensafugacementcombiencelaavaitdûêtredurpourelledeporteruntelsecretpendanttantd’années,maisensuitelafureuréclatadanssapleinepuissance.
—C’estquoicesfoutaises?hurla-t-iletLainisursauta.—Ilsontraison,tun’espaslepèrebiologiquedeJacob.—Etc’estquialors,merde,lepèredeJacob?Silence.Lentement,lavéritéluiapparut.Ilchuchotaetretombacontreledossierdelachaise.—Johannes.Lainin’eutpasbesoindeleconfirmer.Subitementtoutdevintlimpidepourluietilmauditsapropre
stupidité.Denerienavoirvu.Lesregardsvolés,lasensationquequelqu’unétaitvenuchezluiquandiln’étaitpaslà,laressemblanceparfoispresquehallucinantedeJacobavecJohannes.
—Maispourquoi…?—Pourquoij’aieuuneaventureavecJohannes,tuveuxdire?LavoixdeLainiavaitprisuntonfroid
etmétallique.Parcequ’il était tout ceque tun’étaispas. J’étaisun secondchoixpour toi,uneépousechoisiepourdesraisonspratiques,quelqu’unquiétaitcenséresteràsaplaceetveilleràcequetaviesoitcommetul’avaisvoulue,aveclemoinsdegrincementspossible.Toutdevaitêtreorganisé,logique,rationnel… sans vie ! Sa voix s’adoucit. Johannes ne faisait rien qu’il n’avait pas décidé de faire. Il
aimait quand il voulait, haïssait quand il voulait, vivait quand il voulait… Être avec Johannes étaitcommecôtoyeruneforcedelanature.Luimevoyait,ilmevoyaitréellement,ilnefaisaitpasjustequemecroiseravantdepartirpouruneautreréuniond’affaires.Chaquerendez-vousd’amouravecluiétaitcommemourirpuisrenaître.
Gabriel trembla en entendant la passion dans la voix de Laini. Puis celle-ci s’estompa et elle lecontemplaaveclucidité.
—Jeregrettevraimentdet’avoirtrompéencequiconcerneJacobpendanttoutescesannées,crois-moi,jeregretteréellement,etjetedemandepardondetoutmoncœur.Mais–jen’aipasl’intentiondedemanderpardond’avoiraiméJohannes.
Impulsivement,ellesepenchaenavantetposasesmainssurcellesdeGabriel.Ilrésistaàl’enviedelesretireretlalaissafairepassivement.
—Tuavaistantd’occasions,Gabriel.Jesaisqu’ilyaentoibeaucoupdecequidéfinissaitJohannes,maistunelelaissespassortir.Onauraitpuavoirdebellesannéesensemble,etjet’auraisaimé.D’unecertainemanière, j’y suis arrivéemalgré tout,mais je te connais suffisamment pour savoir aussi qu’àpartirdemaintenanttunepourrasjamaismelaisserteprouvermonamour.
Gabrielneréponditpas.Ilsavaitqu’elleavaitraison.Toutesavieils’étaitbattucontrel’ombredesonfrèredanslaquelleilvivaitetlatrahisondeLainil’atteignaitdanscequ’ilavaitdeplusvulnérable.
IlserappelalesnuitsoùLainietluiavaientveilléauchevetdeleurfilsmalade.Ilauraitvouluêtreleseul aux côtés de Jacob pour que son fils voie combien les autres, y compris Laini, étaient sansimportance.DanslemondedeGabriel,ilétaittoutcedontJacobavaitbesoin.C’étaienteuxdeuxcontretouslesautres.C’étaitpresquecomique.Enréalité,ilavaitétélepouilleuxdujeu.C’étaitJohannesquiavaitledroitdeveillerJacob,detenirsamain,dedirequetoutallaits’arranger.EtEphraïmquiavaitsauvé la vie de Jacob. Ephraïm et Johannes. Éternelle complicité à deux que Gabriel n’avait jamaisréussiàpercer.Àprésent,elleparaissaitinsurmontable.
— Et Linda ? Il connaissait la réponse mais se sentait obligé de demander. Ne fût-ce que pourenvoyerunepiqueàLaini.
—Lindaesttafille.Tupeuxêtrerassurélà-dessus.Johannesestleseulamantquej’aieuaucoursdenotremariageetjesuisprêteàensupporterlesconséquencesmaintenant.
Uneautrequestionletourmentaitencoreplus.—Est-cequeJacobestaucourant?—Jacobestaucourant.Elleseleva.RegardatristementGabrieletdittoutbas:—Jevaisfairemesbagagesdanslajournée.Avantcesoir,j’auraidisparu.Ilnedemandapasoùelleirait.Çan’avaitaucuneimportance.Rienn’avaitplusd’importance.Ilsavaientagidansladiscrétion.Niellenilesenfantsnepouvaientvoirquelapoliceétaitvenue.En
mêmetemps,quelquechoseavaitchangé.Quelquechosed’intangiblemaispourtantlà.Unsentimentqueleurfoyern’étaitplusl’endroitrassurantqu’ilavaitétéauparavant.Toutdanslamaisonavaitététouchépardesmainsétrangères,quiavaienttournéetretournéetregardé.Cherchéquelquechosedemal–chezeux!Certes,lapolicesuédoisefaisaitpreuved’ungrandtact,contrairementauxdictaturesetauxÉtatspoliciers qu’elle avait vus aux informations à la télé, mais pour la première fois de sa vie elle eutl’impressiondecomprendrecommentçadevaitêtredevivresouslacontrainte.Elleavaithochélatêteetplaint les gens qui connaissaient la menace permanente d’une intrusion dans leur foyer. Pourtant ellen’avait jamaisvraiment compris à quel point on se sentait sale et combien la peur était grande face àl’inconnuquipouvaitarriveràtoutmoment.
Jacobluiavaitmanquédanslelitcettenuit.Elleauraitaimél’avoiràcôtéd’elle,lamaindesonmari
danslasiennecommeuneassurancequetoutallaitredevenircommeavant.Maisquandelleavaitappelélecommissariatlaveilleausoir,onluiavaitditquesamèreétaitvenuelechercheretellesupposaqu’ilavait dormi chez ses parents. Il aurait pu la prévenir, mais en formulant cette pensée elle se fit desreprochesetseditquec’étaitunraisonnementmesquin.Sonmari faisait toujourscequiétait lemieuxpoureux,etsielleétaitoutréeparlavenuedespolicierschezelle,ellenepouvaitmêmepasimaginerceque Jacob avait dû ressentir d’être enfermé au commissariat et obligé de répondre à toutes sortes dequestionsimpossibles.
Avec des gestes lents, Marita débarrassa le petit-déjeuner des enfants. En hésitant, elle prit letéléphoneetcommençaàfairelenumérodesesbeaux-parents,puiselleseravisa.Jacobétaitsansdouteentrainderécupéreretellenevoulutpasledéranger.Ellevenaitjustederaccrocher,quandletéléphonesonnaetelleosaespérerunesurprise.Sur l’écranducombinéellevitque l’appelvenaitdumanoiretellerépondittoutecontente,persuadéequec’étaitJacob.
—BonjourMarita,c’estGabriel.Elle fronça les sourcils.Elle reconnut àpeine lavoixde sonbeau-père. Il parlait commeunvieil
homme.—BonjourGabriel.Commentçavachezvous?Letonenjouémasquaitsoninquiétude,maiselleattenditavecimpatiencequ’ilcontinue.L’idéeque
quelque chose ait pu arriver à Jacob la frappa soudain,mais avant qu’elle eût le temps de poser unequestion,ildemanda:
—Dis-moi,Jacobestdanslesparages?—Jacob?MaisLainiestalléelechercheràTanumshedehier.J’étaispersuadéequ’ildormaitchez
vous?—Non,iln’estpasvenuici.Lainil’araccompagnéchezvoushiersoir.Lapaniquedanssavoixcorrespondaitàcellequ’elleressentait.—Maisoùest-ilalors?Maritaplaqualamainsursaboucheetluttapournepasselaisserenvahir
parl’angoisse.—Iladû…Ildoitêtre…Gabrielnetrouvapasdemots,etcelanefitqu’augmentersoninquiétude.S’iln’étaitpaschezlui,ni
chezeux,iln’yavaitpasbeaucoupd’autrespossibilités.Uneterriblepenséelefrappa.—Johanestàl’hôpital.Ilaétéagresséetsérieusementbattuchezluihier.—OhmonDieu,commentilva?—Ilsnesaventpass’ilvasurvivre.Lindaestàl’hôpital,ellenouspréviendradèsqu’elleensaura
unpeuplus.Maritaselaissatombersurunechaisedecuisine.Sagorgesenouaitetelleavaitdumalàrespirer.—Tucroisque…—Non,toutdemêmepas.LavoixdeGabrielfutàpeineaudible.Maisquiferait…Puistousdeuxréalisèrentqueleursinquiétudesreposaientsurlefaitqu’unassassinétaitenliberté.
Lesilencequisuivitcetteconstatationétaittonitruant.—Appellelapolice,Marita.J’arrivetoutdesuite.Puisilraccrocha.Denouveau, il se retrouvaitunpeubêtederrièresonbureau. Il se forçaitàessayerde trouverune
occupationaulieuderesteràfixerletéléphone.Sondésirderecevoirlesrésultatsdesanalysesdesangl’empêchaitdepenseràautrechose.Letempssetraînaitàuneallured’escargot.Ildécidaderattraperleretard qu’il avait pris dans la partie administrative et sortit des papiers.Une demi-heure plus tard, il
n’avaittoujoursrienfait,ilrestaitsimplementàregarderdanslevide.Lemanquedesommeilsefaisaitsentir.Ilpritunegorgéedecafédelatassedevantlui,maisgrimaçadedégoût.Lebreuvageavaiteuletempsderefroidir.Latasseàlamain,ilselevapourallerchercherducaféchaudlorsqueletéléphonesonna.Ilsejetadessustellementvitequ’ilrenversalatassesurlebureau.
—PatrikHedström.—Jacobadisparu!Ilétait tellementsûrquec’était lamédicolégalequiappelaitqu’ilfallutunesecondeàsoncerveau
pourretrouversesrepères.—Pardon?—C’estMaritaHultàl’appareil.Monmariadisparudepuishiersoir!—Disparu?Patrikn’arrivaittoujourspasàsuivre.Lafatiguefaisaitfonctionnersonespritàpetitevitesseetde
mauvaisgré.—Iln’estpasrentréhiersoir.Etiln’apasdormichezsesparentsnonplus.Etaveccequiestarrivé
àJohan,onpeut…Maintenantilpédalaitvraimentdanslachoucroute.—Attendez,attendez,n’allezpassivite.Qu’est-cequiestarrivéàJohan?—IlesthospitaliséàUddevalla.Tabasséàtelpointquecen’estpassûrqu’ilsurvive.Etsilamême
personnes’enétaitpriseàJacob?Luiaussiestpeut-êtreblessé,quelquepart.La panique dans sa voix augmenta, et à présent le cerveau de Patrik avait rattrapé son retard. À
Tanumshede,ilsn’avaientpasentenduparlerdeviolencesàl’encontredeJohanHult,çadevaitêtreleurscollèguesàUddevallaquiétaientchargésde l’affaire. Il fallaitqu’il lescontacte immédiatement,maisd’abordildevaittranquilliserlafemmedeJacob.
—Marita, jesuissûrqu’iln’est rienarrivéàJacob.Mais j’envoiequelqu’unchezvouset jevaiscontacterlapoliceàUddevallapourmerenseignersurJohan.Jeneprendspasàlalégèrecequevousdites,mais je ne pense pas qu’il y ait de raison de s’inquiéter à ce stade. Il arrive qu’une personnechoisissedenepasrentrerchezelle,pourdesraisonsquiluiappartiennent,nousicionlevoitsouvent.EtJacobétaitcertainementbouleverséaprès l’interrogatoirequ’ilasubihier, ilavaitpeut-êtrebesoinderesterseulunmoment,qu’est-cequej’ensais?
—Jacobne s’absenterait jamais sansmedireoù ilva. Il fait toujours trèsattentionàcegenredechoses.
—Jevouscroissurparole,etjeprometsqu’onvas’yattelertoutdesuite.Jevousenvoiequelqu’un,d’accord?Est-cequevouspouvezessayerdejoindrevosbeaux-parentspourqu’ilsviennentchezvous,commeçaonpourraleurparlerenmêmetemps.
—Jepensequec’estplusfacilesic’estmoiquivaischezeux,ditMarita,quisemblaitsoulagéequelapolicefassequelquechosedeconcretettoutdesuite.
—Entendu alors, dit Patrik et il raccrocha après l’avoir exhortée de sonmieux une dernière foisd’essayerdenepasenvisagerlepire.
Sapassivitéétaitcommeenvolée.Malgrécequ’ilavaitditàMarita, luiaussiétaitenclinàcroirequeladisparitiondeJacobétait toutsaufnormale.Deplus,siJohanavaitétévictimedeviolencesoud’unetentatived’homicide,ilyavaitvraimentdequois’inquiéter.IlcommençaparappelersescollèguesàUddevalla.
Un instant plus tard, il avait appris tout ce qu’ils savaient sur l’agression, c’est-à-dire pas grand-chose.Que Johan avait été passé à tabac la veille au soir et qu’il se trouvait entre la vie et lamort.CommeJohanlui-mêmen’avaitpasencorepudirequiétaitsonagresseur,lapolicen’avaitaucunepiste.
IlsavaientparléavecSolveigetRobert,maisni l’unni l’autren’avaitvuquiquecesoitprèsde leurmaison.Unmoment,PatrikavaitsoupçonnéJacob,maiscelaserévélaviteuneidéehâtive.L’agressiondeJohanavaiteulieupendantqu’ilsavaientJacobauposte.
Patrikhésitasurlamarcheàsuivre.Ilyavaitdeuxtâchesàaccomplir.D’unepart,iltenaitàcequequelqu’unserendeàl’hôpitalàUddevallapourparleravecSolveigetRoberthistoiredevérifiers’ilssavaientquelquechosemalgrétout.D’autrepart,ildevaitenvoyerquelqu’unaumanoirvoirlafamilledeJacob.Aprèsunebrèvehésitation,ildécidad’allerpersonnellementàUddevalla,etd’envoyerMartinetGösta aumanoir.Mais, juste aumoment où il se levait, le téléphone sonna de nouveau. Cette fois-cic’étaitbienlamédicolégale.
Avecbeaucoupd’appréhension,ilsepréparaàentendrecequelelaboavaitàdire.Ilsallaientpeut-être obtenir lemorceau du puzzlemanquant dans laminute qui suivrait.Mais jamais,même dans sonimaginationlaplusdébridée,iln’auraitpuconcevoirunetelleréponse.
LorsqueMartin etGösta arrivèrent aumanoir, ils avaient passé tout le trajet à discuter de ce que
Patrikavaitdit.Ilsnecomprenaientpasnonplus.Maislemanquedetempsneleurpermettaitplusdeseperdre en conjectures. La seule chose qu’ils pouvaient fairemaintenant était de labourer tête baissée,avecobstination.
Devantl’escalierdel’entréeprincipaleilsfurentobligésd’enjamberdeuxgrossesvalises.Martinsedemanda qui partait en voyage. Il y avait plus de bagages qu’il n’était nécessaire à Gabriel pour unvoyaged’affaires,etlatouchefémininedesvaliseslefitmisersurLaini.
Cettefois-ci,onnelesfitpasentrerdanslesalonmaisdansunecuisineàl’autreboutdelamaison,viaunlongcouloir.C’étaitunepièceoùMartinsesentittoutdesuiteàl’aise.Lesalonétaitbeau,certes,mais il était aussi assez impersonnel. Le bien-être planait sur toute la cuisine, avec sa simplicitécampagnardeauxantipodesdel’éléganceétouffantequiflottaitsurtoutledomaine.Danslesalon,Martins’étaitsenticommeunploucalorsqu’iciileutenviederemontersesmanchesetdecommenceràtouillerdansdegrossesmarmitesfumantes.
Devantuneénormetabledecuisinerustique,Maritaétaitassisecoincéecontrelemur.Onauraitditqu’ellecherchaitduréconfortdansunesituationeffrayanteetimprévue.Àdistance,Martinentenditdescrisd’enfantsquijouaient,et,parlesfenêtresquidonnaientsurlejardin,ilvitlesdeuxenfantsdeJacobetMaritacourirsurlagrandepelouse.
Ils se saluèrent tous d’un simple hochement de tête, puis s’assirent à table avec Marita. Martintrouvaitl’atmosphèrequirégnaitétrange,maisiln’arrivaitpasàcernercequiclochait.GabrieletLainis’étaientassisaussiloinl’undel’autrequ’ilspouvaientetilnotaqu’ilsfaisaienttrèsattentiondenepasseregarder.Ilpensaauxvalisesdevantlaporte.PuisilréalisaqueLainiavaitdûparleràGabrieldesonaventureavecJohannes,etdufruitquienavaitrésulté.Pasétonnantquel’atmosphèresoitsitendue.Etlesvalises trouvèrent aussi leur explication.La seule chosequimaintenaitLaini audomaineétait leurinquiétudecommunepourJacob.
—Commençonsparledébut,ditMartin.QuidevousavuJacobledernier?Lainifitunpetitsignedelamain.—Moi.—Etc’étaitquand?poursuivitGösta.—Vershuitheuresdusoir.Aprèsl’avoirrécupéréchezvous.Ellehochalatêteverslespoliciersqui
luifaisaientface.—Etvousl’avezconduitoù?ditMartin.
— Je l’ai déposé juste devant l’allée d’accès de LaMétairie. J’ai proposé demonter jusqu’à lamaison,maisilm’aditquecen’étaitpaslapeine.C’estunpeucompliquédefairedemi-touretcommeiln’yaqu’unecentainedemètresjen’aipasinsisté.
—Etilallaitcomment?continuaMartin.Elle lorgna vers Gabriel. Tout le monde savait ce dont ils parlaient, mais personne ne voulait
l’évoquer ouvertement. Martin se dit que Marita ignorait probablement encore la situation familialemodifiéedeJacob.Maisilluiétaitmalheureusementimpossibledeprendredesgantsencemoment.Illeurfallaittouslesfaitsmaintenantetilsnepouvaientpassepermettredefairedessous-entendus.
—Ilétait…Lainicherchalebonmot.Ilétait…pensif.Jediraisqu’ilétaitcommeenétatdechoc.Intriguée,MaritaregardaLaini,puislespoliciers.—Dequoivousparlez?PourquoiJacobaurait-ilétéenétatdechoc?Qu’est-cequevousluiavez
faithier?Gabrielm’aditqu’iln’étaitplussurlalistedessuspects,alorspourquoiserait-ilenétatdechoc?
Seulsquelques tressaillements sur levisagedeLaini témoignèrentde la tempêtede sentimentsquifaisaitrageenelle,etelleposacalmementsamainsurcelledeMarita.
—Jacobaapprisunenouvellebouleversantehier,machérie.J’aifaitquelquechoseilyadetrèsnombreusesannées,quej’aiportéenmoidepuis.Etgrâceàlapolice,Jacobenaétéinforméhiersoir.Elle jeta un regard fielleux surMartin et Gösta. J’ai toujours pensé le lui dire,mais les années sontpasséessiviteetjesupposequej’attendaisquelabonneoccasionseprésente.
—L’occasiondefairequoi?ditMarita.—L’occasionderaconteràJacobquec’estJohannes,etpasGabriel,quiestsonpèrebiologique.Gabrielfitunevilainegrimaceettressaillit,commes’ilrecevaituncoupdecouteaudanslapoitrine.
Maissonexpressionchoquées’étaitenvolée.Sonesprit intégrait lechangementetcen’étaitplusaussidifficileàentendrequelapremièrefois.
—Ce n’est pas vrai !OhmonDieu, ça a dû le briser.Marita regardaLaini etGabriel, les yeuxécarquillés.Puiselles’effondra.
Enentendantsoncommentaire,Lainisursautacommesielleavaitreçuunegifle.—Cequiestfaitestfait,dit-elle,àprésentleplusimportantestderetrouverJacob,ensuite…ensuite
ilseratoujourstempsdenousoccuperdureste.—Laini a raison, ditGabriel.Quoi quemontre l’analyse de sang, Jacob restemon fils dansmon
cœur,etilfautqu’onleretrouve.— On va le retrouver, dit Gösta. Ça n’a rien d’étonnant qu’il veuille s’isoler un moment pour
réfléchiràtoutça.MartinétaitreconnaissantàGöstadesavoiràtoutmomentfairepreuved’unpaternalismerassurant.
Là,ilvenaitbienàpropospourcalmerleurinquiétude,etMartincontinuasereinementsesquestions:—Iln’estdoncjamaisrentré?—Non,ditMarita.Lainim’avaitappeléejusteavantqu’ilspartentducommissariat,sibienqueje
savais qu’ils étaient en route. Mais ensuite, quand je ne l’ai pas vu venir, je me suis dit qu’il étaitprobablementrentréavecLainipourdormirchezeux.D’accord,çaneluiressemblepasdefaireça,maisd’unautrecôtéonatousététellementmisàl’épreuvecesdernierstemps,luicommetoutelafamille,quej’aipenséqu’ilavaitpeut-êtrebesoindevoirsesparents.
Toutendisantcederniermot,ellejetaunregardencoinsurGabriel,maisilnefitqueluiadresserunsourirepâle.Ilfaudraitdutempsàtoutlemondeavantdetrouversesrepèresdanscettenouvelledonne.
—Commentavez-voussucequiestarrivéàJohan?demandaMartin.—Solveigaappelétôtcematin.
—Jecroyaisquevousétiez…enmauvaistermes?ditMartinprudemment.—Oui,onpourraitdireçacommeça.Maislafamille,c’estlafamille,jesuppose,etquandillefaut
vraiment…Gabriel laissa lesmotsmourir tout seuls. Linda est avec eux en cemoment. Johan et elleétaientplusprochesquecequenouscroyions,onvientdel’apprendre.Gabriellaissaéchapperunpetitrireétrange,amer.
—Vousn’avezrienapprisdeplus?demandaLaini.Göstasecoualatête.—Non, aux dernières nouvelles son état est stationnaire.Mais PatrikHedström est en route pour
Uddevallaencemoment,onverrabiencequ’ilauraànousdireensuite.S’ilyaduchangement,dansunsensoudansunautre,vouslesaurezaussivitequenous.Lindavousappelleraimmédiatement,jeveuxdire.
—Bon,alorsjepensequenousavonstoutcequ’ilnousfaut,ditMartinenselevant.—Vous croyez que c’est celui qui a tué l’Allemande qui a aussi essayé de tuer Johan ?La lèvre
inférieuredeMaritatremblalégèrement.Savéritablequestionétaitsous-entendue.—Nousn’avonsaucuneraisondelecroire,ditMartinaimablement.Jesuiscertainquenousn’allons
pas tarder à savoir ce qui s’est passé. Je veux dire, Johan etRobert évoluent dans des cercles assezdouteux,etilestplusqueprobablequec’estdececôté-làqu’ilfautchercher.
— Et que faites-vous maintenant pour chercher Jacob ? continua Marita obstinément. Vous allezorganiserunebattuedanslesecteur?
— Non, ce n’est pas prioritaire. Très sincèrement, je pense qu’il s’est retiré quelque part pourréfléchirà…lasituation,etqu’ilnevapastarderàrefairesurface.Etlameilleurechosequevousayezàfaire,c’estderesteràlamaison,etnousappelerdèsqu’ilrentre.D’accord?
Personneneditmotetilsprirentcelacommeuneacceptation.Ilsnepouvaientréellementpasfairegrand-chosepourlemoment.Enrevanche,Martindutadmettrequ’ilétait loinderessentirlaconfiancequ’il avait essayé de communiquer à la famille de Jacob.C’était une drôle de coïncidence que Jacobdisparaisse le soirmêmeoù soncousin, frèreoucedont il convenaitdequalifier Johan, était victimed’uneagressionsauvage.
Revenudanslavoiture,illeditàGöstaquihochalatête.Luiaussiressentaitaucreuxduventrequetoutn’allaitpasbien.Descoïncidencessiétrangesseproduisaientenfaitassezrarementetunpoliciernedevaitpass’yfier.Nerestaitplusqu’àespérerquePatrikauraitunpeuplusd’informations.
10
ÉTÉ2003Elleseréveillaavecunmaldetêtelancinantetunesensationcollantedanslabouche.Jennyne
comprenaitpasoùellesetrouvait.Ladernièrechosedontellesesouvenaitétaitd’avoirfaitdustopetd’être montée dans une voiture, et maintenant elle était là, subitement propulsée dans un universsombreetétrange.Ellen’avaitpaspeur.Elleavaitl’impressionquecen’étaitqu’unrêveetqu’elleallaitseréveilleràtoutmomentetdécouvrirqu’elleétaitdanslacaravanefamiliale.
Au bout d’unmoment, la certitude fit lentement son chemin, ceci était un cauchemar dont ellen’allaitpasseréveiller.Pousséeparlapanique,ellecommençaàtâteràl’aveuglettedansl’obscuritéet,audernierboutdemurqu’elletoucha,ellesentitdesplanchesenboissouslesdoigts.Unescalier.Ellelegrimpamarcheaprèsmarcheens’aidantdesesmains.Brusquement,ellesecognalatête.Unplafondmitfinàsonascensionauboutdequelquespasetlasensationdeclaustrophobiedevintaiguë.Elleestimaqu’ellepouvaitsetenirdebout,toutjuste,lapiècen’étaitpasplushautequeçaetqu’iln’yavaitpasplusdedeuxmètresentrelesmurs.Terrorisée,elleappuyasurlesplanchesenhautdel’escalier, et sentit qu’elles bougeaient un peu, mais elles étaient loin de céder. Elle entendit uncliquetismétalliqueetcompritqu’ilyavaitprobablementuncadenasdel’autrecôté.
Aprèsencorequelquestentativesd’ouvrirlatrappe,elleredescendit,désespérée,ets’assitsurlesol en terrebattue, recroquevillée sur elle-même.Desbruits depas résonnèrent au-dessusd’elle etellesedéplaçad’instinctaussiloinqu’elleleput.
Lorsquel’hommes’approchaellereconnutsonvisagedanslapénombre.Ellel’avaitvuquandill’avaitfaitmonterdanslavoitureetcelal’affola.Ellepouvaitl’identifier,ellesavaitquellevoitureilconduisaitetellecomprenaitquejamaisilnelarelâcheraitvivante.
Ellesemitàhurlermaisilluiplaquadoucementlamainsurlaboucheenessayantdelacalmer.Quandil l’eutpersuadéedenepascrier, ilôtasamainetcommençaàladéshabiller.Il touchasesbrasetsesjambes,avecunplaisirmanifeste,presqueavecamour.Elleentenditsarespirationsefairedeplusenpluslourdeetserralespaupièrespourbarrerlecheminàlapenséedecequiallaitvenir.
Après,ils’excusa.Puisladouleurarriva.
La circulation d’été était tuante. L’irritation de Patrik avait grandi au fur et à mesure que les
kilomètresdéfilaientsurlecompteur,etenentrantsurleparkingdel’hôpitald’Uddevalla,ils’obligeaàrespireràfondpoursecalmer.Engénéral,ilnes’emportaitpasainsijusteparcequequelquescaravanesoccupaienttoutelarouteouparcequedesconducteursenvacancesprofitaientdupaysagesanssesoucierde la queuequi se formait derrière eux.Mais la déception causéepar les résultats des analyses avaitcontribuéàréduireconsidérablementsonniveaudetolérance.
Ilavaiteudumalàencroire sesoreilles. Iln’yavaitaucunADN correspondantà l’échantillondespermeprélevésurlecorpsdeTanja.Ilavaitétésipersuadéquelesrésultatsallaientleurapprendrelenomdel’assassin,qu’iln’avaitpasvraimentreprissesespritsaprèsunetellesurprise.Quelqu’undelafamille de JohannesHult avait tuéTanja, c’était un fait incontournable.Mais ce n’était aucunde ceuxqu’ilsconnaissaient.
Énervé,ilcomposalenuméroduposte.Annikaavaitcommencéunpeuplustardqued’habitudeetilavaitattenduavecimpatiencequ’ellearrive.
—Salut,c’estPatrik.Excuse-moidetestresser,maisest-cequetupeuxessayerdetrouver,leplusvitepossible,s’ilexisted’autresmembresdelafamilleHultparici.JepensenotammentàdesenfantsadultérinsdeJohannesHult.
Ill’entenditnoteretilsecroisalesdoigts.Toutindiquaitquec’étaitsondernierrecours,etilespéravraimentqu’elleallaittrouverquelquechose.Sinon,toutcequ’illuirestaitàfaireétaitdes’asseoiretdesegratterlatête.
Il dut reconnaître qu’il aimait bien la théorie qui lui était venue à l’esprit pendant le trajet pourUddevalla.Que Johannes ait dans la région un fils dont ils ne savaient rien. En considérant ce qu’ilsavaientapprissursafaçondevivre,çanesemblaitpasimpossible,plutôttrèsvraisemblablemême,àlaréflexion.CelapourraitaussiêtreunmotifdumeurtredeJohanneslui-même,pensaPatriksansvraimentsavoircommentnouertouslesboutsdefil.LajalousieétaitunexcellentmotifdemeurtreetlafaçondontJohannes avait été tué correspondait très bien avec cette théorie-là. Un meurtre impulsif, sanspréméditation.Unaccèsdecolèreetdejalousiequiavaitdégénéré.
MaisquelrapportaveclesassassinatsdeSivetdeMona?C’étaitlemorceaudepuzzlequ’iln’avaitpas encore réussi à placer, peut-être les renseignements qu’Annika allait trouver les aideraient-ils àavancersurcettepiste-là.
Ilclaqualaportièredelavoitureetsedirigeaversl’entréeprincipale.Aprèsavoircherchéunpeu,ilfinit par trouver le bon service grâce à l’aide de quelques agents hospitaliers aimables. Les troispersonnesqu’ilcherchaitétaientdanslasalled’attente.Telsdesoiseauxsurunelignetéléphonique,ilsétaientassiscôteàcôte,silencieuxetleregarddanslevide.Maisilvitunelueurs’allumerdanslesyeuxdeSolveigquandellel’aperçut.Elleselevapéniblementpourdandineràsarencontre.Elleavaitl’airdenepasavoirfermél’œildelanuit,cequiétaitsansdoutelecas.Sesvêtementsétaientfroissésetelledégageaituneâcreodeurdesueur.Lesmèchesgrassesdesescheveuxétaientbizarrementemmêléesetdes cernes sombres s’étaient formés sous ses yeux. Robert avait l’air tout aussi fatigué, sans le côtédéfraîchideSolveigcependant.SeuleLindaparaissaitenforme,elleavaitleregardlimpideetelleétaitassezpimpante.Elleignoraitencorequesonfoyerfamilialétaitentraindevolerenéclats.
—Vousl’avezattrapé?SolveigtiraunpeusurlebrasdePatrik.
—Jeregrette,maisnousnesavonstoujoursrien.Qu’est-cequelesmédecinsvousontdit?Robertsecoualatête.—Ilssont toujoursen trainde l’opérer. Ilsontparléd’uncaillotquicomprime lecerveau.Si j’ai
biencompris,ilsluiouvrenttoutlecrâne.M’étonneraitqu’ilsytrouventuncerveau.—Robert ! s’exclama Solveig en se retournant,mais Patrik comprit qu’il essayait de cacher son
inquiétudeenplaisantant.C’étaituneméthodequiengénéralmarchaitbienpourluiaussi.Patrikselaissatombersurunsiège.Solveigserassit.
—Quiapufaireçaàmonpetitgarçon?Ellesebalançasursachaise.J’aivucommentilétaitquandilsl’ontemporté,onauraitditquelqu’und’autre.Quedusang,partout.
Lindasursautaetfitunegrimace.Robertnebronchapas.Enregardantdeplusprèssonjeannoiretsonpull,Patrikvitqu’ilsétaienttoujourscouvertsdusangdeJohan.
—Vousn’avezrienentendu,rienvu,hiersoir?—Non, fit Robert, agacé.On l’a déjà dit aux autres flics, combien de fois est-ce qu’il faudra le
répéter?— Je suis vraiment désolé,mais je suis obligé de poser ces questions. Je vous demande d’avoir
encoreunpeudepatience.La compassion dans sa voix était réelle. Être policier était un boulot difficile, surtout dans des
momentscommecelui-ci,oùilfallaitfaireintrusiondanslaviedegensquiavaientdeschosesautrementplusimportantesentête.MaisilreçutuneaideinattenduedelapartdeSolveig.
—Collaboreaveceux,Robert.Ilfautqu’onfassetoutnotrepossiblepourlesaideràtrouverceluiquiafaitçaànotreJohan,tudevraislecomprendre.EllesetournaversPatrik.
— Il m’a semblé entendre quelque chose, un peu avant que Robert m’appelle. Mais on n’a vupersonne,niavantniaprèsl’avoirretrouvé.
Patrikhochalatête.PuisilditàLinda:—Ettun’aspasparhasardvuJacobhier?—Non,ditLinda,interloquée.J’aidormiaumanoir.IldevaitêtrechezluiàLaMétairie,j’imagine.
Pourquoi?—Ilparaîtqu’iln’estpasrentréhiersoir,alorsj’aipenséquetul’avaispeut-êtrevu?—Non,jenel’aipasvu.Maisvérifiezavecmamanetpapa.—C’estdéjàfait.Euxnonplusnel’ontpasvu.Tunevoispasd’autresendroitsoùilauraitpualler?—Non,ceseraitoù?Cettefois,Lindacommençaàavoirl’airinquiète.Puisunepenséesemblala
frapper.Est-cequ’ilapuallerdormiràBullaren?C’estvraiqu’ilnel’ajamaisfaitauparavant,mais…Patriksefrappalacuisseaveclepoing.A-t-onidéed’êtrebouchéàcepoint-là?Ilsavaientoubliéla
ferme d’accueil de Bullaren. Il s’excusa et alla téléphoner à Martin pour qu’il aille vérifierimmédiatement.
En revenant dans la salle d’attente, il vit que l’ambiance avait changé. Pendant qu’il parlait avecMartin, Linda avait appelé ses parents avec son téléphone portable.Maintenant elle le regardait avectouteladéfianced’uneadolescente.
— Qu’est-ce qu’il se passe en fait ? Papa m’a dit que Marita vous a appelés pour signaler ladisparitiondeJacobetquelesdeuxautresflicssontvenusleurposeruntasdequestions.Papaétaitsuperinquiet.EllesetenaitdevantPatrik,lesmainssurleshanches.
—Iln’yaaucuneraisondes’inquiéterpourl’instant,répéta-t-il,lamêmerengainequ’avaientservieGöstaetMartinaumanoir.Tonfrèreveutprobablementjustequ’onlelaissetranquilleunmoment,maisnoussommesobligésdeprendrecegenredechosesausérieux.
Lindaleregardaavecméfiance,maissemblas’encontenter.Puiselleditàvoixbasse:
—Papam’aditaussipourJohannes.Quandest-cequevousavezl’intentiondeleleurdire?Elle fitungestede la têteendirectiondeRobertetSolveig.Patrikneput s’empêcherde regarder
avecfascinationlacourbequedécrivaientseslongscheveuxblondsdansl’air.Puisilserappelasonâgeetsesermonna;aprèstoutilseraitbientôtpèredefamille.
Ilréponditluiaussiàvoixbasse:—Onattendraencoreunpeu.L’occasionestmalchoisiemaintenant,vul’étatdeJohan.—Là, vous vous trompez, dit Linda calmement.C’est exactementmaintenant qu’ils ont besoin de
nouvellespositives.Etcroyez-moi,jeconnaissuffisammentJohanpoursavoirquedanscettefamillelefait que Johannes ne s’est pas suicidé sera considéré commeune bonne nouvelle.Alors si vous ne leracontezpasmaintenant,c’estmoiquileferai.
Saletédegaminerebelle!MaisPatrikétaitdisposéàluidonnerraison.Ilavaitpeut-êtreattendutroplongtempspourleleurdire.Ilsavaientledroitdesavoir.
Ilfitsignequeouietseraclalagorgeens’asseyant.—Solveig,Robert,jesaisquevousn’étiezpasd’accordavecl’exhumationdeJohannes.Robertbonditcommeunefusée.—Merdealors,t’escomplètementsiphonné,toi!Tuvaspasremettreçasurletapis!Tupensespas
qu’onaassezdesouciscommeça?—Assieds-toiRobert,rugitLinda.Jesaiscequ’ilvavousdireet,crois-moi,çavavousfaireplaisir
del’entendre.Stupéfaitderecevoirdesordresdesafrêlecousine,Roberts’assitetsetut.Patrikcontinua,sousles
regardsméfiantsdeSolveigetRobert.—Nous avons laissé unmédecin légiste examiner… euh… la dépouille… et il a trouvé quelque
chosed’intéressant.—D’intéressant?reniflaSolveig.Tuparlesd’unvocabulaire.—Oui,bon,ilfautm’excuser,maisiln’yapasdefaçoncorrectepourdirecequej’aiàannoncer.
Johannesnes’estpassuicidé.Ilaétéassassiné.Solveigcherchasarespiration.Robertrestacommefigé,incapabledebouger.—Quoi,qu’est-cequevousdites?SolveigsaisitlamaindeRobertetillalaissafaire.—Jedisexactementcela.Johannesaététué,iln’apasmisfinàsesjours.Les larmes recommencèrentàcoulerdesyeuxdeSolveig,déjà rougispar lespleurs.Puis toutson
grandcorpssemitàtrembleretLindajetaunregardtriomphalsurPatrik.C’étaientdeslarmesdejoie.— Je le savais, dit-elle. Je savais qu’il n’aurait jamais fait une chose pareille. Et les gens qui
prétendaient qu’il s’était suicidéparcequ’il avait tué ces filles. Ils vont le regrettermaintenant.C’estsûrementceluiquiatuélesfillesquiaaussituémonJohannes.Ilsdevrontramperdevantnouspournousprésenterleursexcuses.Toutescesannéesqu’ona…
—Maman, arrête ça, ditRobert irrité. Il n’avait pas l’air d’avoir vraiment compris ce quePatrikvenaitdedire.Ilfaudraitsansdouteunmomentpourqueçafassesonchemin.
—Qu’est-cequevousallezfairemaintenantpourarrêtersonmeurtrier?ditSolveigimpatiemment.Patrikhésita.—Ben,çaneserapassifacilequeça.Pasmald’annéesontpasséet iln’yaplusaucunepièceà
convictionpournousguider.Maisnousallonsévidemmentfairedenotremieux,c’esttoutcequejepeuxpromettre.
—Oui,c’estbiencequejepensais,reniflaSolveig.Vousn’avezqu’àconsacrerautantdetempsàarrêterl’assassindeJohannesquevousavezconsacréàlecoinceràl’époque,commeçailn’yaurapasdeproblème.Etj’exigeencoreplusd’excusesmaintenantdevotrepart!
EllemenaçaPatrikavecledoigtetilréalisaqu’ilvalaitsansdoutemieuxpartiravantquelasituationnedégénère.IléchangeaunregardavecLindaetelleluifitdiscrètementsignedepartir.Illuiadressaunedernièrerecommandation:
—Linda,situasdesnouvellesdeJacob,prometsdenousappelertoutdesuite.Maisjepensequetuasraison.IldoitsetrouveràBullaren.
Ellehochalatête,maisl’inquiétudedemeuraitdanssesyeux.Ils s’engageaient tout juste sur le parking du commissariat lorsquePatrik les appela.Martin reprit
aussitôtlaroute,endirectiondeBullaren.Lethermomètreavaitcommencéàgrimperdenouveauaprèsunematinéede fraîcheur charitable et il augmenta la ventilationd’un cran.Gösta tira sur le col de sachemiseàmanchescourtes.
—Siseulementcettefoutuechaleurpouvaits’arrêter.—Hé,quandtuessurlegolfj’imaginequetuteplainsmoins,ritMartin.—Ahmais c’est complètement différent, dit Gösta, sans rire. Le golf et la religion étaient deux
chosesquineprêtaientpasà laplaisanteriedanssonmonde.Unebrèveseconde,Gösta regrettadeneplus faire équipe avec Ernst. Certes, c’était plus productif de travailler avec Martin, mais il dutreconnaître qu’il aimait l’ambiance flegmatique du travail en binôme avec Lundgren, bien plus qu’iln’avait cru.Ernst avait sesmauvais côtés, en revanche il ne protestait jamais siGösta se sauvait uneheureoudeuxtaperquelquesballesauterraindegolf.
L’instantaprès,ilrevitlaphotodeJennyMölleretfutprisd’unemauvaiseconscienceaiguë.Enunebrève seconde de clairvoyance, il réalisa qu’il était devenu un vieux con aigri, d’une ressemblanceeffrayanteavecsonproprepèresursesvieuxjours,ets’ilcontinuaitainsi,ilseretrouveraitcommelui,seul dans une maison de retraite à radoter sur des offenses imaginaires. Mais sans enfants qui sesentiraientobligésdevenirlevoirdetempsentemps.
—Qu’est-cequetuenpenses,ilestlàounon?dit-ilpourcoupercourtàsespenséesdésagréables.Martinréfléchit,puisildit:—Non,entoutcasçam’étonneraitfort.Maisçavautlecoupdevérifier.Ilsarrivèrentdanslacouretfurentànouveauétonnésparlascèneidylliquequis’étendaitdevanteux.
La ferme semblait éternellement inondée d’une douce lumière de soleil qui accentuait joliment lecontrasteentrelerougedesbâtimentsetlebleudulacderrière.Commelafoisd’avant,desadolescentss’affairaient partout, totalement absorbés par leurs tâches. Les mots qui vinrent à l’esprit de Martinétaientvaillant,sain,hygiénique,propre,national,etlacombinaisondecesmotsluidonnaitunelégèrechair de poule. L’expérience lui disait que lorsqu’une chose paraissait trop bien c’est qu’elle l’étaitprobablementaussi…
—Çafaitunpeujeunessehitlériennetoutça,tunetrouvespas?ditGöstaenmettantdesmotssurlemalaisedeMartin.
—Sansdoute.Maistuyvaspeut-êtreunpeufort.Nedistribuepascegenredecommentairestropgénéreusement,ditMartinsèchement.
Göstaeutl’airblessé.—Pardon,fit-ild’untongrincheux.Jenesavaispasquetuétaisdelapolicedesmots.D’ailleurs,ils
n’accepteraientpasdesgenscommeceKennedyicisic’étaituncampnazi.Martinchoisitd’ignorerlecommentaireetsedirigeaverslaported’entrée.L’unedesanimatriceslui
ouvrit.—Oui,c’estpourquoi?
L’animositédeJacobàl’égarddelapoliceavaitapparemmentdéteint.—NouscherchonsJacob.GöstaboudaitencoreetcefutMartinquipritlecommandement.—Iln’estpasici.Essayezchezlui.—Vousêtessûrequ’iln’estpasici?Onaimeraitjeteruncoupd’œil.Avecréticence,lafemmesepoussapourlaisserentrerlesdeuxpoliciers.—Kennedy,lapoliceestrevenue.IlsveulentvoirlebureaudeJacob.—Onconnaîtlechemin,ditMartin.Lafemmel’ignora.D’unpasrapide,Kennedyarriva.Martinsedemandas’ilavaitunesorted’emploi
permanentdeguideàlaferme.Oualorsilaimaittoutsimplementmontrerlecheminauxgens.Sans rien dire, il précéda Martin et Gösta dans le couloir jusqu’au bureau de Jacob. Ils le
remercièrent poliment et ouvrirent la porte, pleins d’espoir. Aucune trace de Jacob. Ils entrèrent etcherchèrent un indice quimontrerait que Jacoby avait passé la nuit, une couverture sur le canapé, unréveil,n’importequoi.Maisiln’yavaitrien,etilsressortirent,déçus.Kennedylesattendait,calmement.Il leva lamainpourécarterdescheveuxquipendaientdevantsesyeux.Martincaptaunregardnoiretinsondable.
—Rien.Quedalle,ditMartindanslavoiturequandilsretournèrentversTanumshede.—Non,ditGöstatrèslaconique.Martinlevalesyeuxauciel.Göstafaisaitapparemmenttoujourslagueule.Bon,c’étaitleproblème
deGösta,paslesien.LespenséesdeGöstaétaientcependantcomplètementailleurs.Ilavaitvuquelquechosependantleur
visite à la ferme, mais ça lui échappait sans cesse. Il essaya de ne pas y penser pour laisser soninconscienttravaillerlibrement,maisc’étaitaussiimpossiblequedenepaspenseràungraindesablesouslapaupière.Ilavaitvuuntrucetçaauraitdûlemettresurunepiste.
—Qu’est-cequeçadonne,Annika?Tuastrouvéquelquechose?Elle secoua la tête. Le physique de Patrik l’inquiétait. Trop peu de sommeil, trop peu de repas
cuisinésettropdestressavaienteuraisondesonbronzagepournelaisserqu’unemauvaiseminegrise.Soncorpsparaissaitsurlepointdes’affaissersousunfardeauénormeetonn’avaitpasbesoind’êtreungénie pour comprendre quel était ce fardeau. Elle aurait aimé pouvoir lui dire de distinguer sessentimentsprivésdesavieprofessionnelle,maiselley renonça.Elleaussi ressentait lapressionet ladernièrechosequ’ellevoyaitlesoiravantdefermerlesyeuxétaitl’expressiondésespéréedesparentsdeJennyMöller,quandilsétaientvenussignalerladisparitiondeleurfille.
—Commenttuvas?secontenta-t-ellededireenregardantPatrikpar-dessusleborddeseslunettes.—Commentveux-tuallerdansdescirconstancespareilles?Ilpassa impatiemment lesmainsdans
sescheveuxenlesdécoiffantcommesurunecaricaturedeprofesseurFoldingue.— Comme une merde, j’imagine, dit Annika franchement. Elle n’avait jamais été très forte pour
enrober lesmots. Quand quelque chose était merdique, ça sentait lamerdemême si on l’inondait deparfum,telleétaitsadevise.
—Oui,quelquechosedanscegenre.Patriksourit.Maisn’enparlonsplus.Tun’asrientrouvédanslesregistres?
—Non,jesuisdésolée.L’étatcivilnementionnepasd’autresenfantsdeJohannesHult,et iln’yapasdesmassesd’endroitsoùchercher.
—Est-cequ’ilpourraitavoirdesenfantsquandmême,quin’auraientpasétédéclarés?Annikaleregardacommes’ilétaitunpeuarriéréetrenifla:
—Oui,heureusementiln’existepasdeloiquiobligelamèreàrévélerquiestlepèredesonenfant,donc,biensûrqu’ilpeutyavoirdesenfantsdeluisouslarubrique«pèreinconnu».
—Etlaisse-moideviner,ilyenauncertainnombre…— Pas nécessairement. Tout dépend de jusqu’où tu veux étendre la recherche géographiquement.
Sache seulementque lesgensdans ce coinont toujours été très respectables.Et rappelle-toi qu’onneparle pas des années 1940, Johannes a dû être au sommet de sa formedans les années 1960, 1970, àl’époque ce n’était pas une si grande honte que ça d’avoir un enfant sans être mariée. Il y a eu despériodesdanslesannées1960oùc’étaitmêmeconsidérécommeunavantage.
Patrikrit.—Sic’està lagénérationWoodstockquetufaisallusion, jecroisquele flowerpoweret l’amour
librenesontjamaisarrivésàFjällbacka.—N’ensoispassisûr,c’estdansleseauxlespluscalmes,etc.tusais,ditAnnika,contented’avoir
su alléger un peu l’ambiance. Ces derniers jours, on se serait cru dans un établissement de pompesfunèbresplutôtquedansunpostedepolice.MaisPatrikretrouvavitesonsérieux.
—Théoriquement, tu pourrais donc établir une liste des enfants dans…disons l’agglomération deTanum,quisontdepèreinconnu?
—Oui,jelepourrais,etnonseulemententhéorie,maisdanslapratiqueaussi.Maisçaprendraunmoment,l’avertitAnnika.
—Fais-leaussivitequepossible.—Commenttuvast’yprendrepourtrouversurcettelisteceuxquipourraientavoirJohannescomme
père?—Jevaiscommencerparposerlaquestionpartéléphone.Siçanefonctionnepas,ehbienjeverraià
cemoment-là.Laportedel’accueils’ouvritetMartinetGöstaentrèrent.PatrikremerciaAnnikapoursonaideet
allalesaccueillir.Martins’arrêta,alorsqueGöstaentradirectementdanssonbureau,lesyeuxrivésausol.
—Neposepasdequestions,ditMartinensecouantlatête.Patrikplissalefront.Desconflitsparmilepersonnelétaientladernièrechosedontilsavaientbesoin
encemoment.LesgaffescommisesparErnstsuffisaient.Martinlutdanssespensées.—Riendegrave,t’inquiètepas.—D’accord.Onseprenduncaféenfaisantlebilan?Martinhochalatête,ilsallèrentdanslacuisineseverserchacununetasseets’installèrentdepartet
d’autredelatable.—VousaveztrouvédestracesdeJacobàBullaren?demandaPatrik.—Non,rien.Apparemment,iln’yestpaspassé.Ettoi,qu’est-cequetuasobtenu?Rapidement,Patrikparladesavisiteàl’hôpital.—Mais tuarrivesà comprendre, toi,pourquoi l’analysen’a riendonné?Onsaitqueceluiqu’on
chercheestde lafamilledeJohannes,maiscen’estniJacob,niGabriel,niJohan,niRobert.Etvu legenred’échantillondontondispose,ilnepeutguères’agird’unedesfemmes.Tuasuneidée?
—Oui,j’aidemandéàAnnikad’essayerdetrouverdesrenseignementssurunéventuelenfantnatureldeJohannesdanslarégion.
— Ça paraît plausible. Avec un gars comme lui, ce serait plutôt invraisemblable qu’il n’ait pasquelquesbâtardspar-ci,par-là.
—Etl’hypothèseselonlaquellel’agresseurdeJohanseseraitmaintenantattaquéàJacob,qu’est-cequetuenpenses?demandaPatrikensirotantdoucementlecafébrûlant.
—Ceseraitindéniablementunecoïncidenceremarquable.Tuenpensesquoi,toi?— Pareil. Que c’est une sacrée coïncidence si ce n’est pas la même personne. On dirait que le
bonhommeatotalementdisparudelasurfacedelaterre,luiaussi.Personnenel’avudepuishiersoir.Jedoisreconnaîtrequejesuisinquiet.
—Toi,tuastoujourseulesentimentqueJacobcachaitquelquechose.C’estpourçaqu’illuiseraitarrivéunpépin?ditMartinhésitant.Est-cequequelqu’unapuavoirventdesavenueaucommissariatetcroirequ’ilaracontédestrucsquelapersonneenquestionneveutpasvoirdivulgués?
—Peut-être,ditPatrik.Maisc’estça,leproblème.Toutestpossibleencemomentetnousn’avonsque des spéculations. Il compta sur ses doigts. Nous avons Siv et Mona, qui ont été tuées en 1979,Johannestuéen1979,Tanjatuéemaintenant,vingt-quatreansplustard,JennyMöllerquiaétéenlevée,probablementenfaisantdustop,Johanquiaétévictimedeviolencesgraveshiersoir,etpeut-êtremêmetué,selonl’issue,etJacobquiadisparusanslaisserdetraces.Chaquefois,lafamilleHultsembleêtreledénominateurcommun,etpourtantnousavonsdespreuvesqu’aucund’euxn’estcoupabledelamortdeTanja.EttoutindiquequeceluiquiatuéTanjaaaussituéSivetMona.Patrikécartalesmainsenungested’impuissance.C’estunmerdierpaspossible.Et,nous,onyestplongésjusqu’aucou,etonnetrouveraitpasnospropresculsmêmeavecdeslampesdepoche!
—Toi,tuasencoretropludetoutecettepropagandeanti-police,souritMartin.—Bon,etalorsqu’est-cequ’onfaitmaintenant?ditPatrik.Jesuisàcourtd’idées.Le tempssera
bientôtécoulépourJennyMöller,sicen’estpasdéjàfaitdepuisplusieursjours.Brusquement,ilchangeadesujetpours’arracheràsondésarroi.—Etcettenana,çayest,tul’asinvitée?—Quellenana?ditMartinquiessayadeprendreuneexpressionneutre.—Allez,allez,tusaisdequijeveuxparler.—SituparlesdePia,tutetrompes.Ellen’afaitquenousaideravecunpeud’interprétariat.—Ellenousaaidésavecunpeud’interprétariat,singeaPatrikd’unevoixdefaussetenremuantla
têted’uncôtéà l’autre.Allez,quitte lebancde toucheet reviensdans lematch.Rienqu’àentendre tavoixquand tuparlesd’elle, c’est évidentque tuypenses.Mais ellen’est peut-êtrepas tout à fait tongenre.Jeveuxdire,aprèstout,ellen’estpaspriseailleurs.Patriksouritpouradoucirsataquinerie.
Martinsemobilisapouruneréponsemordantelorsqueletéléphonesonna.Patrikrépondit.Martinessayad’entendrequic’était. Il s’agissaitdesanalysesdesang,probablementquelqu’undu
labo,ça,ilarrivaitàlecomprendre.LescommentairesdePatriknelerenseignèrentpasbeaucoup.—Commentça,bizarre?Ahoui?Bon.Putain,c’estpasvrai?Maiscommentilpeut…D’accord.
Oui.Martin dut réprimer une envie d’intervenir. L’expression de Patrik indiquait que quelque chose
d’importantétaitentraindesepasser,maisils’entêtaitàrépondreseulementparmonosyllabes.—Sijecomprendsbien,vousavezdoncétabliexactementquellessontleursrelationsdeparenté.PatrikhochalatêteversMartinpourluimontrerqu’ilessayaitdeluifournirquelquesinformations
surlecontenudelaconversation.—Maisjenevoistoujourspascommentçapeutcoller…?Non,c’esttotalementimpossible.Ilest
mort.Ildoityavoiruneautreexplication.Non,merdealors,c’esttoi,l’expert.Écoutecequejedisetréfléchis.Ildoityavoiruneautreexplication.
Ilavaitl’aird’attendrequelapersonneàl’autreboutréfléchisse.Martinchuchota:—Qu’est-cequ’ilsepasse?Patriklevaundoigtdevantsabouche.Apparemmentonluifournissait
uneformederéponse.—Cen’estpasdutouttiréparlescheveux.C’estmêmetoutàfaitpossible.
Sonvisages’éclaira.MartinputvoirlesoulagementserépandrecommeuneondedanslecorpsdePatrikalorsquelui-mêmeétaitentraindecreuserdessillonsdanslatableavecsesongles.
—Merci!Ungrandputaindemerci!PatrikrefermasontéléphoneetsetournaversMartin,levisageencoreilluminé.—JesaisquitientJennyMöller!Ettunevaspasencroiretesoreilles!L’opérationétaitfinie.OnavaitemmenéJohanensallederéveil,couvertdetuyauxetperdudansson
propremonded’obscurité.Robertétaitassissur le litet lui tenait lamain.Solveig lesavait laissés,àcontrecœur,pourallerauxtoilettes,etilavaitsonfrèrepourluitoutseulunmoment,puisqueLindan’yavaitpasétéadmise.Ilsnevoulaientpastropdemondeenmêmetempsautourdulit.
L’épaistuyauquientraitdanslabouchedeJohanétaitbranchésurunappareilquilaissaitéchapperune sorte de sifflement. Robert dut faire un effort sur lui-même pour ne pas prendre le rythme durespirateur. C’était comme s’il voulait aider Johan à respirer, n’importe quoi pour se débarrasser dusentimentd’impuissancequimenaçaitdel’envahir.
Aveclepouce,ilcaressalapaumedeJohan.Ileutl’idéed’essayerdevoircommentétaitsalignedevie,maisilnesavaitpasbienlaquellec’était.Johanavaitdeuxligneslonguesetunecourte,etRobertespéraquec’étaitplutôtlalignedecœurquiétaitlapluscourte.
Lapenséed’unmondesansJohanétaitvertigineuse.Ilsavaitquelaplupartdutempsc’étaitluiquiparaissait le plus fort des deux, le chef.Mais la vérité était que sans Johan il n’était qu’un tout petitmerdeux.IlyavaitunetendresseenJohandontilavaitbesoinpourresterhumain.Tantdedouceurl’avaitabandonnéquandilavaittrouvésonpèremortet,sansJohan,laduretéprendraitledessus.
Ilcontinuaà fairedenombreusespromesses làauchevetdeson frère.Lapromesseque toutallaitchangersi seulementJohanpouvait resteravec lui. Ilpromitdeneplus jamaisvoler,dese trouverunboulot,d’essayerd’employersavieàquelquechosedebon,ouiilpromitmêmedesefairecouperlescheveux.
Cettedernièrepromessefutdonnéeavecappréhension,maisàsagrandesurpriseellesemblafaireladifférence.UntremblementlégercommeuneplumedanslamaindeJohan,unlégermouvementdel’indexcomme s’il essayait de rendre la caresse de Robert. Pas plus,mais c’était tout ce qu’il lui fallait. IlattenditimpatiemmentleretourdeSolveig.IlavaithâtedeluiapprendrequeJohanallaits’ensortir.
—Martin,ilyaunmecautéléphonequiditqu’iladesinformationssurl’agressiondeJohanHult.
AnnikapassalatêteparlaporteetMartinseretourna.—Bordel,jen’aipasletempspourlemoment.—Jeluidemandederappeler?ditAnnikasurprise.—Non,merde,non, je leprends.Martinseruadanslebureaud’Annikaet luiprit lecombinédes
mains.Aprèsavoirécoutéattentivementunmomentetposéquelquesquestions,ilraccrochaetsortitencourant.
—Annika,ilfautqu’onyailletoutdesuite,Patriketmoi.TrouveGöstaetdemande-luidem’appelersurmonportable,immédiatement.EtErnst,oùilest?
—GöstaetErnstsontallésdéjeunerensemble,maisjelesappellesurleursportables.—Bien.Martins’enallaencourant,etPatrikarrivaseulementquelquessecondesplustard.—TuaspujoindreUddevalla,Annika?Ellelevaunpouceenl’air.
—Çabaigne,ilssontenroute.—Super!Ilseretournapourpartir,maisseravisa.Et,aufait,lalistedeceuxquin’ontpasdepère,
tupeuxlalaissertomber.Puisellelevitdisparaîtreluiaussid’unpasrapidedanslecouloir.L’énergieaucommissariatétait
montéeàuntelniveauqu’onpouvaitlaressentirphysiquement.Patrikluiavaitfaitunbrefcompterendude ce qui se passait et elle sentit sesmains et ses jambes picoter d’excitation.C’était une délivranced’avoirenfinuneouvertureetàprésentchaqueminutecomptait.ElleagitalamainendirectiondePatriketMartinquipassèrentdevantlavitredanslecouloiretdisparurentdehors.
— Bonne chance, lança-t-elle, sans être sûre qu’ils l’entendent. Elle se dépêcha de composer lenumérodeGösta.
—Ehoui,Gösta,c’estunecalamité.Nousvoilà,toietmoi,pendantquelesjeunesloupsgouvernent.Ernst avait entamé son sujet favori et Gösta dut reconnaître que ça commençait à être fatigant de
l’écouter.Mêmes’ilavaitdéjàrouspétécontreMartin,c’étaitsurtoutparamertumedesevoircorrigerparquelqu’unquin’avaitpaslamoitiédesonâge.Aveclerecul,ilcomprenaitquecen’étaitpassigravequeça.
Ilsavaientpris lavoiturepourallerdéjeunerauTélégrapheàGrebbestad.L’offrederestaurantsàTanumsheden’étaitpastrèsgrande,sibienqu’onenavaitvitefaitletour,etGrebbestadn’étaitqu’àunedizainedeminutes.
Soudain le téléphonedeGösta,qu’ilavaitposésur la table,semitàsonner,c’était lestandardducommissariat.
—Merde,nerépondspas,laisse-lesonner.Tuasbienledroitdemangerenpaixunmoment.Ernsttendit lamainpour couper le portabledeGösta,maisun regardde son collègue l’arrêtanet dans songeste.
Lerestaurantétaitbondéetcertainsconvivesbraquèrentdesyeuxirritéssurceluiquiosaitprendreune conversation dans un lieu public. Gösta rendit les regards et répondit d’une voix plus haute quenécessaire.Quandileutterminélaconversation,ilposaunbilletsurlatable,selevaetditàErnst:
—Onaduboulot.—Çanepeutpasattendre?Jen’aimêmepaseumoncafé,ditErnst.—Tuleprendrasauposteplustard.Onpartcueillirunmec.Pourladeuxièmefoiscejour-là,GöstaserenditàBullaren,cettefois-cienconduisantlui-même.Il
informaErnstdecequ’Annikaavaitraconté,etlorsqueauboutd’unedemi-heureilsarrivèrent,unjeuneadolesattendaiteffectivementauborddelaroute,àquelquedistancedelaferme.
Ilsarrêtèrentlavoitureetdescendirent.—C’esttoi,Lelle?ditGösta.Lemechochalatête.Ilétaitgrandetfort,avecunenuquedetaureauetdespoignesénormes.Comme
faitpourêtrevideurdeboîtedenuit,pensaGösta.Ouhommedemain,commedanslecasprésent.Unhommedemainavecuneconscience,cependant,àcequ’ilsemblait.
—Tunousasappelés,alorsont’écoute,continuaGösta.—Oui,ilvaudraitmieuxpourtoiquetutemettesàtabletoutdesuite,ditErnstsuruntonbelliqueux
etGösta l’avertit d’un regard sévère.Cettemissionn’aurait pas besoin d’exhibitions de virilité de sapart.
—Oui,commej’aiditàlameufauposte,Kennedyetmoi,onafaituneconneriehier.Uneconnerie,pensaGösta.Ehbien,legarçonnebrillaitcertainementpasparsamodestie.
—Ahoui?—Onl’acognéunpeu,lemec,celuiquiestdelafamilledeJacob.—JohanHult?—Oui,jecroisbienqu’ils’appellecommeça.Johan.Lavoixsefitaiguë.Jelejure,jesavaispas
queKennedyallaitl’amochercommeça.Ilavaitditqu’ildevaitseulementcauseraveclui,etl’intimiderunpeu.Pasl’artillerielourde.
—Maisilafaitautrement,donc.Göstaessayadesemblerpaternaliste.Sanstropdesuccès.—Oui,ilapétéunplomb.Ilarrêtaitpasd’enrajouterdestonnessurJacob,qu’ilestgénialettoutça
etqueJohanluiavaitfoutuquelquechoseenl’air,ilavaitracontédescraquesetKennedyvoulaitqu’ilavoue,etquandJohanaditnon,alorsKennedyapétéunboulonets’estmisàletabassergrave.
Iciilfutobligédes’arrêterpourcherchersarespiration.Göstapensaitavoirsuiviàpeuprès,maisiln’étaitpasentièrementsûr.C’étaittoutdemêmequelquechose,quelesmômesd’aujourd’huinesachentpasparlercorrectement!
—Et toi,qu’est-ceque tu faisaispendantce temps-là?Tuarrachais lesmauvaisesherbesdans lejardin?ditErnstrailleur.Encoreunautrecoupd’œild’avertissementdelapartdeGösta.
— Je le tenais, dit Lelle tout bas. Je le tenais par les bras pour l’empêcher de rendre les coups,commentjepouvaissavoirqueKennedyallaitdéraillercommeça?Putain,merde,commentjepouvaislesavoir?IlregardaentreGöstaetErnst.Qu’est-cequivasepassermaintenant?Jepourraiplusresteraufoyer?Jevaisretournerenprison?
Legrandduràcuireétaitsurlepointdesemettreàpleurer.IlressemblaitàunpetitgarçonpeureuxetGöstan’eutpasd’effortsàfairepoursemblerpaternel,çavinttoutnaturellement.
—Ons’occuperadeçaplustard.Ças’arrangera.Encemoment,leplusimportant,c’estqu’onpuisseparleravecKennedy.Tupeuxsoitattendreicipendantqu’onvalechercher,soitresterdanslavoiturependantqu’onluiparle.Tuchoisis.
—Jeresteraidanslavoiture,ditLelleàvoixbasse.Detoutefaçon,lesautresvontapprendrequec’estmoiquil’aibalancé.
—Trèsbien,allons-yalors.Ils firent en voiture les derniers centmètres jusqu’à la ferme. Lamême femme qui avait ouvert à
GöstaetMartinlematinouvritdenouveau.Sonirritationavaitaugmentédequelquesdegrés.—Et qu’est-ce que vous voulez encore ? Bientôt on sera obligés d’installer un portillon pour la
police.Bon sang, qu’est-ce qu’il ne faut pas voir !Après les bonnes relations qu’on a eues avec lesautoritéstoutaulongdesannées,alors…
Göstal’interrompitenlevantunemain.Ilpritunairterriblementgravepourdire:—Onn’apasletempsdediscutermaintenant.OnvoudraitparleravecKennedy.Immédiatement.LafemmeréagitautonsérieuxetappelatoutdesuiteKennedyQuandelleseremitàparler,savoix
étaitplusdouce.—Qu’est-cequevousluivoulez,àKennedy?Ilafaitquelquechose?— Vous aurez tous les détails en temps voulu, dit Ernst brutalement. En ce moment, notre seule
missionestd’amenerlegarsaupostepourparleraveclui.Onaaussilebalèze,Lelle.Kennedy sortit de l’ombre. Avec un pantalon sombre, une chemise blanche et des cheveux bien
coiffés, il ressemblait à un pensionnaire d’un internat anglais, pas à un ex-méchant d’un foyer derééducation.La seulechosequidérangeait le tableauétait leséraflures sur les jointuresde sesmains.Göstajuraintérieurement.C’étaitcelaqu’ilavaitnotéladernièrefoisetdontilauraitdûsesouvenir.
—Enquoipuis-jevousêtreutile,messieurs?Lavoixétaitbienmodulée,maispeut-êtreunpeutrop.Onserendaitcomptequ’ilfaisaituneffortpourbienparler,cequienôtatoutl’effet.
—OnaparléavecLelle.Tucomprendssansdoutequ’ilfaudraquetunoussuivesauposte.Kennedy inclina la têtedansuneacceptationsilencieuse.S’ilyavaitbienunechosequeJacob lui
avait apprise, c’était qu’ondoit être capable de supporter les conséquences de ses actes pour trouvergrâceauxyeuxdeDieu.
Iljetaundernierregarddésoléautourdelui.Lafermeallaitluimanquer.Ilsétaientassisl’unenfacedel’autre,ensilence.MaritaétaitpartiechezelleàLaMétairieavecles
enfantspourattendreJacob.Lesoiseauxgazouillaientdehors,maisdanslamaisontoutétaitcalme.Lesvalisesétaienttoujoursposéesenbasdel’escalierextérieur.Laininepouvaitpaspartiravantd’êtresûrequeJacobétaithorsdedanger.
—TuaseudesnouvellesdeLinda?demanda-t-elled’unevoixhésitante.ElleavaitpeurdedérangerlatrêvemomentanéeentreelleetGabriel.
—Non,pasencore.—PauvreSolveig,ditGabriel.Lainipensaà toutescesannéesdechantage,maiselleétaitquandmêmedesonavis.Unemèrene
peutqueressentirdelasympathiepouruneautremèredontl’enfantaétéblessé.—TupensesqueJacobaussi…Lesmotsrestèrentcoincésdanssagorge.Dansungesteinattendu,GabrielposasamainsurcelledeLaini.—Non,jenepensepas.Tuasentenducequedisaientlespoliciers, ils’estsansdoutejusteretiré
quelquepartpourréfléchiràtoutça.Etilenadeschosesauxquellesréfléchir.—Oui,effectivement,ditLainiavecamertume.Gabrielneditrien,maisgardasamainsurlasienne.Celalaconsolainfinimentetelleréalisatoutà
coup que c’était la première fois en tant d’années que Gabriel lui témoignait une telle tendresse. Lachaleurserépanditdanssoncorps,maisellesemêlaaussitôtavecladouleurdelaséparationimminente.Ellen’avaitaucuneenviedelequitter.Elleavaitprislesdevantspourluiépargnerl’humiliationdelamettre à laporte,mais tout à coupelle sedemanda si elle avaitbien fait.Ensuite il ôta samainet lemomentfutpassé.
—Tusais,maintenantaveclerecul,jepeuxdirequej’aitoujourssentiqueJacobressemblaitplusàJohannes qu’à moi. Je voyais cela comme une ironie du destin. Pour le monde extérieur, Ephraïmparaissait sansdouteplusprochedemoiquede Johannes.Pèrevivait ici avecnous, c’estmoiqui aihérité du domaine et tout ça.Mais ce n’était pas vrai. S’ils se chamaillaient tant, c’était dans le fondparcequ’ilsseressemblaient.Parfoisonauraitditqu’EphraïmetJohannesétaientuneetmêmepersonne.Etmoi,j’étaistoujoursexclu.QuandJacobestnéetquej’aivutantderessemblanceavecmonpèreetmon frère en lui, c’était comme si ça m’ouvrait une possibilité d’entrer dans leur communauté. Sij’arrivaisàm’attachersolidementmonfilsetàapprendreàleconnaîtreàfond,j’avaisl’impressionquejeconnaîtraisaussiEphraïmetJohannes.Jeferaispartiedelacommunauté.
—Jesais,ditLainidoucement,maisGabrielnesemblaitpasl’entendre.Sonregardallaseperdredanslelointainparlafenêtre,etilcontinua:
—J’enviaisJohannesquicroyaitréellementaumensongedepèrecommequoinousavionsledondeguérir.Tuimagineslaforcequecettecroyancedevaitfournir?Voirtesmainsetvivredanslacertitudequ’ellessontlesoutilsdeDieu.Voirdesgensseleveretmarcher,rendrelavueauxaveuglesetsavoirque c’est grâce à toi.Moi, je ne voyais que le spectacle. Je voyais mon père dans les coulisses, ildirigeait,ilmettaitenscène,etjedétestaischaqueminute.Johannes,lui,nevoyaitquelesmaladesdevantlui.IlnevoyaitquesoncheminversDieu.Quandlepassageaétéfermé,iladûressentirénormémentde
peine.Etjeneluiaitémoignéaucunesympathie.Non,j’étaisauxanges.Enfinnousallionsdevenirdesgarçonsordinaires, Johannesetmoi.Enfinnouspouvionsnous ressembler.Maisçane s’estpaspassécommeça.Johannesacontinuéàensorceler,tandisquemoi…Savoixs’étouffa.
—TuastoutcequeJohannesavait.Maistun’aspasosé,Gabriel.C’estça,ladifférenceentrevous.Mais,crois-moi,c’estlà,quelquepart.
Pourlapremièrefoisdeleurviecommune,ellevitdeslarmesdanssesyeux.MêmelorsqueJacobavaitfaillimourir,iln’avaitpasoséselâcher.Ellepritsamainetillaserrafort.
—Jenepeuxpaspromettrequejepourraipardonner,ditGabriel.Maisjepeuxpromettred’essayer.—Jesais.Crois-moi,Gabriel,jesais.ElleposalamaindeGabrielcontresajoue.D’heureenheure,l’inquiétuded’Ericagrandissaitetellepritlaformed’unedouleursourdeenbasdu
dos.Toutelamatinéeelleavaitessayéd’appelerAnna,surlefixeetsurleportable,maissansréponse.En appelant les renseignements, elle avait obtenu le numéroduportable deGustav,mais tout ce qu’ilavaitpudire,c’estqu’ilavaitdéposéAnnaetlesenfantsàUddevallalaveilleetqu’ilsyavaientprisletrain.IlsauraientdûarriveràStockholmdanslasoirée.ÇaénervaitEricaqu’ilnesemblepaslemoinsdumondeinquiet.Ilsebornaàavancertoutuntasd’explicationslogiques,dugenrequ’ilsétaientpeut-être fatiguésetavaientdébranché le téléphone,qu’iln’yavaitplusdebatterieauportableouqu’Annan’avait peut-être pas payé les factures du téléphone.Ces commentaires firent bouillirErica et elle luiraccrochaaunez.Siellen’avaitpasétésuffisammentinquièteavant,ellel’étaitmaintenant.
Elleessayad’appelerPatrikpourluidemanderconseil,ouaumoinstrouverduréconfort,maisilnerépondaitnisurleportableniaucommissariat.ElleappelalestandardetAnnikaditseulementqu’ilétaitpartienmissionetqu’ellenesavaitpasquandilallaitrevenir.
Erica continua frénétiquement à téléphoner. La sensation sourde ne voulait pas la quitter. Juste aumomentoùelleétaitsurlepointd’abandonner,quelqu’unréponditsurleportable.
—Allô?Unevoixd’enfant.Emma,pensaErica.—Bonjourmachérie,c’esttanteErica.Dis-moi,vousêtesoù?—ÀStockholm,zézayaEmma.Est-cequelebébéestarrivé?—Non,pasencore,souritErica.Emma,est-cequetupeuxmepassertamaman?Emma ignora la question. Pour une fois qu’elle avait la chance incroyable de réussir à chiper le
téléphonedesamèreetderépondreàunappel,ellen’avaitpasl’intentiondelerendreaussivite.—Tusaisquoooiii?ditEmma.—Non,jenesaispas,ditErica,mais,machérie,onparleradeçaplustard,pourl’instantj’aimerais
vraiment,vraimentparleravectamaman.—Tusaisquoooiii?répétaEmmaobstinément.—Non,quoi?soupiraEricafatiguée.—Onadéménagé!—Oui,jesais,ilyaquelquetempsdéjà.—Non,aujourd’hui!ditEmmatriomphalement.—Aujourd’hui?—Oui,onestretournéshabiterchezpapa.Lapiècesemitàtournerautourd’Erica.Avantd’avoirletempsdedirequoiquecesoit,elleentendit
Emmaannoncer:—Bon,salut,jevaisjouermaintenant.Puisellen’eutplusquelatonalité.Effondrée,elleposalecombiné.
PatrikfrappaavecdéterminationàlaportedeLaMétairie.Maritavintouvrir.—BonjourMarita.Nousavonsunmandatdeperquisition.—Maisvousêtesdéjàvenusunefois?dit-elle,l’airperplexe.— Il y a du nouveau. J’ai une équipe avecmoi,mais j’ai demandé aux hommes d’attendre sur le
cheminquetuaiesletempsdepartiraveclesenfants.C’estinutilequ’ilsvoientlesagentsdepolice,çapeutleseffrayer.
Marita hocha la tête sans riendire.L’inquiétudepour Jacob avait eu raisonde son énergie et ellen’eut même pas la force de protester. Elle se retourna pour aller chercher les enfants, mais Patrikl’interrompitavecunenouvellequestion:
—Ya-t-ild’autresbâtimentssurvosterresqueceuxqu’onvoitd’ici?Ellesecoualatête.—Non,lesseulsbâtimentssontnotremaison,lagrange,laremiseàoutilsetlacabanedejeux.C’est
tout.Patrikhochalatêteetlalaissapartir.Unpetitquartd’heureaprès,iln’yavaitpluspersonnedanslamaison.Ilspouvaientcommencerles
recherches.Patrikdonnaquelquesbrèvesinstructionsdanslesalon.— Nous sommes déjà venus une fois ici sans rien trouver, et cette fois-ci il faudrait faire plus
minutieusementencore.Quandjevousdisdechercherpartout,jeveuxréellementdirepartout.S’ilvousfautarracherdesplanchesdusoloudescloisons, faites-le.S’ilvous fautcasserdesmeubles,vous lefaites,c’estcompris?
Tousacquiescèrentdelatête.L’ambianceétaitsombre,maistonique.Patrikleuravaitdonnéunbrefaperçudel’évolutiondel’affaire,avantd’entrer.Àprésent,ilsn’avaientqu’uneseuleenvie:démarrer.
Après une heure de travail sans résultat, on aurait dit unemaison frappée par un cataclysme.Toutavait été déplacé et démonté.Mais rien qui leur permettait de progresser. Patrik aidait dans le salonlorsqueGöstaetErnstarrivèrentetouvrirentdegrandsyeux.
—C’estquoi,cebordel?fitErnst.Patrikignoralaquestion.—Commentças’estpasséavecKennedy?—Bien,ilaavouésansproblèmeetilestcoffrémaintenant.Putaindemorveux.Patriksecontentadehocherlatête,stressé.—Qu’est-cequ’ilsepasseicialors?Onal’impressiond’êtrelesseulsàneriensavoir.Annikan’a
rienvoulunousdire,seulementqu’ondevaitvenirterejoindreetquetunousmettraisauparfum.—Jen’aipasletempsdevousmettreaucourantmaintenant,ditPatrikimpatiemment.Pourl’instant,
ilfautvouscontenterdesavoirquetoutindiquequec’estJacobquitientJennyMölleretondoitàtoutprixtrouverquelquechosequinousmontreoùillaséquestre.
—Maiscen’estpasluiquiatuél’Allemande,ditGösta.L’analysedusangavaitbienmontréque…Ileutl’airperplexe.
—Si,c’estprobablementluiquiatuéTanja,ditPatrikdeplusenplusirrité.—Maisquiatuélesautresfillesalors?Ilétaitbeaucouptroppetitàl’époque…—Non,cen’étaitpaslui.Maisonparleradeçaplustard.Onabesoindevotreaidemaintenant.—Qu’est-cequ’oncherchealors?demandaErnst.—Lemandat de perquisition est posé sur la table de la cuisine. Les choses qui nous intéressent
particulièrementysontmarquées,ditPatriketilrepritsonexamendelabibliothèque.
Le temps passait et ils ne trouvaient toujours rien d’intéressant. Patrik commençait à sentir soncourage défaillir. Et s’ils faisaient chou blanc ?Après le salon, il avait poursuivi avec le cabinet detravail,sansrésultat.Ilseforçaàrespireràfond,lesmainssurleshanches,toutenparcourantlapiècedes yeux. Elle était petite, mais ordonnée. Des étagères avec des chemises et des classeurs,soigneusement étiquetés.Aucune feuille depapier n’encombrait le grand secrétaire ancien, et dans lestiroirstoutétaitrangé.Pensivement,Patriklaissasonregardrevenirausecrétaire.Unerides’étaitforméeentresessourcils.Secrétaireancien.Iln’avaitpasloupéuneseuleémissionduTourdesantiquairesàlatéléetlevieuxmeubleluiévoquaitd’embléedescompartimentssecrets.Pourquoin’yavait-ilpaspenséauparavant? Il commençaavec lapartiequi surplombait leplateau, lapartieavec toutpleindepetitstiroirs. Il lesexploraavec lesdoigtset,enarrivantaudernier, ilexultaensentantquelquechose.Unepetite tigemétallique céda lorsqu’il appuya dessus.Avec un petit clic, la paroi s’écarta et une cacheapparut.Sonpoulss’accéléra.Ilvitunvieuxcarnetdenotesencuirnoir.Ilmitlesgantsdecaoutchoucqu’il avait dans sa poche et, précautionneusement, sortit le carnet. Il en lut le contenu en sentantl’épouvantemonterenlui.MaintenantçadevenaiturgentderetrouverJenny.
Ilsesouvintd’avoirvuunelettreenfouillantlesecrétaire.Ilouvritlebontiroiretlatrouvaaprèsavoirfarfouilléunpeu.Lelogoducentrehospitalierd’Uddevallaenhautdanslecoingaucheindiquaitl’expéditeur.Patriksurvolaleslignesetlutlenomenbasdelapage.Puisilsaisitsontéléphoneportableetappelalecommissariat.
—Annika,c’estPatrik.Jevoudraisquetuvérifiesuntrucpourmoi.Ilexpliquabrièvement.IlfautquetuparlesàunDrZoltanCzaba.Dansleservicedecancérologie,ouic’estça.Rappelle-moidèsquetuasquelquechose.
Le temps s’était étiré, interminable, devant eux. Plusieurs fois par jour, ils avaient appelé le
commissariatdansl’espoird’avoirdesnouvelles,maisenvain.LorsquelevisagedeJennyétaitapparusurlesmanchettesdesjournaux,leurstéléphonesportablesavaientcommencéàsonner,sansarrêt.Desamis,desmembresdelafamille,desimplesconnaissances.Tousétaientconsternés,maisessayaientdufond de leur propre inquiétude d’instiller de l’espoir àKerstin et àBo. Plusieurs avaient proposé deveniràGrebbestadpourqu’ilsne restentpasseuls,mais ilsavaientdécliné lesoffres,gentimentmaisfermement.Illeursemblaitqu’alorsçadeviendraittropévidentquequelquechosen’allaitpas.S’ilssecontentaientderestericidanslacaravaneàattendre,assisfaceàfaceàlapetitetable,Jennyallaittôtoutardpasserlaporteettoutallaitredevenirnormal.
Et ils restaientdoncainsi, jouraprès jour, enfermésdans leurangoisse.Aujourd’huiavait étéplusdouloureux que les autres jours. Toute la nuit, Kerstin avait fait des cauchemars. En sueur, elle avaitbougé sans arrêt dans le lit, tandis que des images difficiles à interpréter défilaient devant ses yeux.Plusieursfois,ellevitJenny.Quandelleétaitpetite,surtout.Chezeux,surlapelousedevantlamaison.Surlaplaged’uncamping.Maiscesvisionsétaienttoutletempsremplacéespardesimagessinistresetétrangesqu’ellenecomprenaitpas.Ilfaisaitfroidetsombreetenpériphérieunesilhouettesedessinaitqu’ellen’arrivaitpasàsaisir,bienquedanssonrêveelles’yévertuât,encoreetencore.
Le matin au réveil, le découragement s’était installé dans son cœur. Pendant que les heuress’ajoutaientauxheuresetquelatempératuremontaitdanslacaravane,ellerestaitensilencefaceàBoetessayaitdésespérémentdeseremémorerlasensationdupoidsdeJennydanssesbras.Mais,commedansle rêve,elleavait l’impressionqueJennyétait justehorsdesaportée.Ellese rappela lasensation,sifortependanttoutecetteattente,maisellen’arrivaitplusàlaressentir.Lentementlacertitudes’installaenelle.Ellelevalesyeuxdelatableetregardasonmari.Puiselledit:
—Elleestpartiemaintenant.Ilneremitpasenquestionsesparoles.Dèsqu’elleeutprononcécesmots, ileut laconvictionque
c’étaitlavérité.
11
ÉTÉ2003Lesjoursseconfondaientcommedansunbrouillard.Ellesouffraitd’unemanièrequ’ellen’avait
pascruepossibleetnecessaitdepestercontreelle-même.Siellen’avaitpasétéassezstupidepourfairedustop,cecineseraitjamaisarrivé.Mamanetpapal’avaientditetredittantdefois,qu’onnedevaitjamaismonteravecdesinconnus,maiselles’étaitsentieinvulnérable.
Cela paraissait si loinmaintenant.Elle essaya d’évoquer la sensation encore une fois, pour enjouirunebrèveseconde.Cettesensationquerienaumondenepouvaitl’atteindre,quelemalpouvaits’abattresurd’autresmaispassurelle.Quoiqu’ilarrive,jamaisellenepourraitlaressentirencore.
Elle était allongée sur le côté et grattait la terre avec samain tendue. L’autre bras était horsd’usageetelleseforçaàremuerlebrasvalidepourmaintenirlacirculationdusang.Ellerêvaitdesejetersurlui,telleunehéroïnedefilm,etdelemaîtriserquandildescendrait,del’abandonnersansconnaissance par terre et de s’enfuir, dehors, rejoindre les gens qui s’étaient mobilisés pour lachercher.Mais c’était impossible, ce n’était qu’un rêvemerveilleux. Ses jambes ne la supportaientmêmeplus.
Lavielaquittaitlentement,etelleeutlavisiond’unsuintementquicoulaitdanslaterresouselleet alimentait les organismes qui s’y trouvaient. Des vers de terre et des larves qui aspiraientavidementsonénergievitale.
Lorsque les dernières forces l’abandonnèrent, elle pensa qu’elle n’aurait jamais l’occasion des’excuser d’avoir été si désagréable ces dernières semaines. Elle espérait qu’ils comprendraientquandmême.
Ill’avaittenuedanssesbrastoutelanuit.Elleétaitdevenuedeplusenplusfroide.L’obscuritéqui
lesentouraitétaitcompacte.Ilespéraqu’elleavaittrouvél’obscuritéaussirassuranteetconsolatricequelui.C’étaitcommeunegrossecouverturenoirequilerecouvrait.
Pendantuneseconde,sesenfantsluivinrentàl’esprit.Maiscetteimage-làluirappelatroplaréalité,etill’écarta.
Johannesavaitmontrélechemin.Lui,JohannesetEphraïm.C’étaitunetrinité,ill’avaittoujourssu.Ils partageaient un don auquel Gabriel ne participerait jamais et c’est pourquoi il ne pourrait jamaiscomprendre. Lui, Johannes et Ephraïm. Ils étaient uniques. Ils étaient plus près de Dieu que tous lesautres.Ilsétaientparticuliers.Johannesl’avaitécritdanssoncarnet.
Cen’étaitpasunhasards’ilavaittrouvélecarnetnoirdeJohannes.Quelquechosel’avaitguidéverslui,l’avaitattirécommeunaimantverscequ’ilconsidéraitcommeunlegsdeJohannes.Ilavaitétéémupar le sacrifice que Johannes n’avait pas hésité à faire pour sauver sa vie. Si quelqu’un pouvaitcomprendrecequeJohannesavaitvouluatteindre,c’étaitbienlui.Quelleironiedeserendrecomptequecela avait été inutile. C’était son grand-père Ephraïm qui était devenu son sauveur. Il était peiné parl’échecdeJohannesetregrettaitquelesfillessoientmortes.MaisluiavaitplusdetempsqueJohannes.Iln’allait pas échouer. Il allait essayer encore et encore jusqu’à ce qu’il trouve la clé de sa lumièreintérieure.Cellequegrand-pèreEphraïmavaitditqu’ildissimulaitaussienlui.ToutcommeJohannes,sonvéritablepère.
Avecregret,Jacobcaressalebrasfroiddelafille.Ilnepleuraitpasparcequ’elleétaitmorte.Ellen’étaitqu’unsimpleêtrehumainetDieuluidonneraituneplaceparticulièrepours’êtresacrifiéepourlui,elleseraitl’unedeséluesdeDieu.Unepenséelefrappa:Dieus’attendaitpeut-êtreàuncertainnombredesacrificesavantdeluipermettredetrouverlaclé.Celaavaitpeut-êtreétépareilpourJohannes.Ilnes’agissaitpasd’unéchec, simplement leurSeigneur s’attendait àd’autrespreuvesde leur foi avantdemontrerlechemin.
Lapenséeéclairal’espritdeJacob.Çadevaitêtreça.Poursapart, ilavait toujourseuplusdefoidansleDieudel’AncienTestament.LeDieuquiexigeaitdessacrificesdesang.
Unechoseécorchaitsaconscience.ÀquelpointDieusemontrerait-ilclémentenversluiquin’avaitpassurésisteràlatentationdelachair?Johannesavaitétéplusfort.Iln’avaitjamaisététenté,etJacobl’admiraitpourcela.Quandlui-mêmeavaitsentilapeaudouceetchaudecontrelasienne,quelquechosedeprofondémentenfoui s’était réveillé.Pourunbref instant, lediable s’était emparéde lui et il avaitcédé.Maisilavaitregrettéaprès,siamèrementqueDieuavaitdûlevoir,non?Dieuquisavaitregarderdans le fond de son cœur devait quand même voir qu’il regrettait sincèrement, et lui pardonner sespéchés.
Jacobberçalafilledanssesbras.Ilécartaunemèchedecheveuxquiétaittombéedevantsonvisage.Elleétaitbelle.Dèsqu’ill’avaitvuefairedustopauborddelaroute,lepoucelevé,ilavaitsuqu’elleétaitcellequ’ilfallait.Lapremièreavaitétélesignequ’ilattendait.Pendantdesannées,ilavaitlulesparolesdeJohannesdanslecarnetetenavaitétéfasciné,etlorsquelafilleavaitsurgidevantsaporteetposédesquestionssursamère,lejourmêmeoùilavaitreçuleVerdict,ilavaitsuquec’étaitunsigne.
Nepasavoirtrouvéledonavecl’aidedecettefille,celanel’avaitpasdécouragé.Johannesn’avaitpas réussi avec sa mère. L’important était qu’avec elle il s’engageait sur la voie qui lui était
inévitablementdestinée.Marchersurlespasdesonpère.Les déposer ensemble dans la brèche du Roi avait été une façon de le proclamer au monde.
D’annoncerqu’ilpoursuivaitdésormaiscequeJohannesavaitentamé.Ilsedoutaitbienquepersonnenepourraitcomprendre.Mais ilsuffisaitqueDieucomprenneetvoiequecelaétaitbon,commeilestditdanslaBible.
S’illuiavaitfalluunepreuvedéfinitive,ill’avaiteuehiersoir.Lorsqu’ilsavaientcommencéàparlerdesrésultatsdesanalysesdesang,ilavaitsu,avecunecertitudetotale,qu’onallaitl’enfermercommeuncriminel.Iln’avaitpaspenséàça,queparlafautedudiableilavaitlaissédestracessurlecorps.
Maisilluifutdonnéderireàlafacedudiable.Àsagrandesurprise,lespoliciersluiavaientsignifiéquelesanalysesl’innocentaient.C’étaitlapreuvefinalequ’illuifallaitpoursepersuaderqu’ilétaitsurlabonnevoieetqueriennepouvaitl’arrêter.Ilétaitparticulier.Ilétaitprotégé.Ilétaitbéni.
Lentementilcaressadenouveaulescheveuxdelafille.Ilseraitobligéd’entrouveruneautre.Ilnefallutquedixminutespourqu’Annikalerappelle.—Tuavaisraison.Jacobadenouveauuncancer.Mais,cettefois-ci,cen’estpasuneleucémie,c’est
unetumeurimportanteaucerveau.Ilsaitqu’iln’yarienàfaire,c’estbeaucouptropavancé.—Quandest-cequ’ilareçuleverdict?Annikaregardalesnotessurleblocdevantelle.—LejourdeladisparitiondeTanja.Patriks’assit lourdementsur lecanapédusalon. Il savaitmaintenant,mais ilavaitquandmêmedu
malàycroire.Cettemaisonrespiraitunetellepaix,unetellesérénité.Iln’yavaitaucunetracedumaldontiltenaitlapreuveentresesmains.Seulementunenormalitétrompeuse.Desfleursdansunvase,desjouetsd’enfantséparpillésdans lapièce,un livreencoursde lectureouvertsur la tablebasse.Pasdecrânes,pasdevêtementséclaboussésdesang,pasdeciergesnoirsallumés.
Au-dessus de la cheminée était même accroché un tableau de Jésus montant au ciel après sarésurrection,nimbéd’uneauréole,desgensenprièreau-dessousdelui,leregardtournéverslehaut.
Comment pouvait-on justifier la plus maléfique des actions en arguant qu’on avait obtenu carteblanchedeDieu?Maisilnefallaitpeut-êtrepass’étonner.Aufildessiècles,desgensavaientététuéspar millions au nom de Dieu. Ce pouvoir-là avait quelque chose d’attirant qui enivrait l’homme etl’égarait.
Patriks’arrachaàsesréflexionsthéologiquesetserenditcomptequesonéquipeétaitentraindeleregarderdans l’attented’autres instructions. Il leur avaitmontré cequ’il avait trouvé, et chacun luttaitmaintenantpournepaspenserauxhorreursqueJennyétaitpeut-êtreentraindevivreencetinstant.
Leproblèmeétaitqu’ilsignoraienttotalementoùellesetrouvait.Enattendantqu’Annikarappelle,ilsavaientpoursuivileursrecherchesencoreplusfébrilement.Patrikavaitappelélemanoirpourdemanderà Marita, Gabriel et Laini s’ils pouvaient imaginer un endroit où Jacob se trouverait. Il avait sansménagementécartélesquestionsqu’ilsposaientenretour.Iln’yavaitpasdetempspourçamaintenant.
Ilébouriffasescheveuxdéjàpasmalendésordre.—Putain, où est-ce qu’il peut bien être ? dit-il, frustré.On ne peut pas passer toute la région au
peigne fin, centimètre par centimètre. Et il peut très bien la retenir près de la ferme de Bullaren, ouquelquepartentrelesdeux?Bordeldemerde,qu’est-cequ’onfaitmaintenant?
Martin ressentait la même impuissance et ne dit rien. La question de Patrik était de celles quin’exigentpasderéponse.Puisunepenséelefrappa:
—C’estforcémentquelqueparticiautourdeLaMétairie.Ilyacestracesd’engrais.Jepenseque
JacobautilisélemêmeendroitqueJohannes,etalorsc’estpluslogiquequeçasepasseparici.— Tu as raison, mais aussi bien Marita que ses beaux-parents disent qu’il n’y a pas d’autres
bâtimentssurleursterres.D’accord,ilpourraits’agird’unegrotteouquelquechosecommeça,maisest-cequetusaiscombiend’hectareslafamilleHultpossède?C’estcommechercheruneaiguilledansunemeuledefoin.
—Oui,maisSolveigetsesfilsalors?Tuleurasposélaquestion?Eux,ilsonthabitéicietilssontpeut-êtreaucourantd’unendroitqueMaritaneconnaîtpas?
— Là, on tient peut-être quelque chose. Il n’y a pas une liste de numéros de téléphone dans lacuisine?Lindaasonportableavecelle,etavecunpeudechancejepourraislesjoindreparelle.
Martin alla vérifier et revint avec une liste où le nom de Linda était méticuleusement noté. Avecimpatience,Patrikécoutalessonneries.Auboutdecequiluiparutuneéternité,Lindarépondit.
—Linda,c’estPatrikHedström.J’auraisbesoindeparleravecSolveigouRobert.—IlssontavecJohan.Ils’estréveillé!ditLindafolledejoie.Lecœurserré,Patrikpensaquecette
joie-làallaitbientôtdésertersavoix.—Vachercherl’unoul’autre,c’esttrèsimportant!—D’accord,lequeldesdeuxest-cequetupréfères?Patrikréfléchit.Quiconnaîtmieuxqu’unenfantlepérimètreoùilhabite?Lechoixfutévident.—Robert.Il l’entendit poser le portable et aller le chercher. C’était probablement interdit d’introduire un
téléphoneportable dans les chambres, ça risquait de déranger l’équipement électronique,Patrik eut letempsdepensercelaavantd’entendrelavoixgravedeRobertauboutdufil.
—Oui,c’estRobert.— Salut, c’est Patrik Hedström. J’aimerais que tu nous aides. C’est terriblement important, se
dépêcha-t-ildedire.—Oui,d’accord,c’estquoi?—Est-cequetusaiss’ilyad’autresbâtimentssurlesterresautourdeLaMétairie,àpartceuxquise
trouventimmédiatementautourdelamaison?Bon,pasforcémentunbâtimentd’ailleurs,plutôtunebonnecachette,situvoiscequejeveuxdire.Maiselledoitêtrerelativementgrande.Suffisammentpourabriteraumoinsdeuxpersonnes.
Il entendit littéralement les points d’interrogation s’amonceler dans le cerveau deRobert,mais augrandsoulagementdePatrikilneremitpasenquestionlebien-fondédesadémarche.Aulieudecela,uneréponsehésitantefitsoncheminaprèsunmomentderéflexion:
—Ben, la seule chosequimevient à l’esprit, c’est levieil abripour le casoù ily aurait eudesbombardements.Ilsetrouvedanslaforêt,pastrèsloin.Onjouaitlà-basquandonétaitpetits,Johanetmoi.
—EtJacob,ditPatrik,illeconnaît?—Oui,onafaitlaconneriedeleluimontrerunjour.Etilestallédirectementrapporteràpapaqui
nousainterditd’yretourner.Ildisaitquec’étaitdangereux.Finid’yjouer.PourJacobaussi.Ehoui,ilatoujoursétévachementvertueux,celui-là,ditRobertsarcastiquementensesouvenantdeleurdéception.Patrikseditquevertueuxn’étaitpaslemotqu’onassocieraitavecJacobdorénavant.
Ilremerciarapidementaprèss’êtrefaitdécrirel’itinérairepouryaller,puisilraccrocha.—Jepensesavoiroùilssont,Martin.Rassembletoutlemondedehorsdanslacour.Cinqminutes plus tard, huit brigadiers sérieux étaient regroupés au soleil.Quatre deTanumshede,
quatred’Uddevalla.—OnadesraisonsdecroirequeJacobHultsetrouveunpeuplusloindanslaforêt,dansunancien
abriantiaérien.IlyretientprobablementJennyMölleretonnesaitpassielleestmorteouvivante.C’estpourquoi on doit agir comme si elle était en vie et gérer la situation avec une extrême prudence.Ons’approchera doucement de l’abri et on l’encercle dès qu’on l’a trouvé. Et en silence, dit Patriksévèrement en baladant son regard et le laissant reposer un peu plus sur Ernst. On aura dégainé nosarmes,maispersonnenefaitquoiquecesoitsansmonordreformel.Est-ceclair?
Toushochèrentgravementlatête.—Uneambulanceestenrouted’Uddevalla,maisellenevapasvenir jusqu’iciaveclegyrophare,
elles’arrêteraavantl’alléed’accès.Lesbruitsrésonnentloindanslaforêtetonneveutpasqu’ilnousentende.Dèsqu’onauralasituationenmains,onappelleralepersonnelsoignant.
—Est-cequ’onnedevraitpasavoiruninfirmieravecnous?ditl’undesinspecteursd’Uddevalla.Çapeutêtreurgentunefoisqu’onl’auratrouvée.
—Tuasentièrementraison,maisonn’apasletempsdelesattendre,ditPatrik.Encemomentilestplus important de localiser Jenny, et avec un peu de chance d’ici là l’ambulance aura eu le tempsd’arriver.Bon,onyvamaintenant.
Robert avait expliqué qu’ils devaientmonter dans la forêt derrière lamaison pour rejoindre, unecentaine de mètres plus loin, le sentier qui menait à l’abri. Il était quasiment invisible si on ne leconnaissaitpasetPatrik faillit le rater.Lentement ilsavancèrentvers lacibleet,auboutd’environunkilomètre,ileutl’impressiond’apercevoirquelquechoseentrelesfeuilles.Sansunmot,ilseretournaetfitsigneauxhommesderrièrelui.Ilsencerclèrentl’abri,dansleplusgrandsilencepossible,maisilétaitdifficiledenepasfairedebruitdutout.Patrikfaisaitunegrimaceàchaquecrissementetilespéraitquelesmursépaislesfiltreraient.
Ildégainasonarmeetvitducoindel’œilqueMartinavaitfaitdemême.Ilsavancèrentsurlapointedespiedsetessayèrentd’ouvrirlaporte.Elleétaitferméeàclé.Merde,qu’allaient-ilsfairemaintenant?Ilsn’avaientaucunéquipementdeserrurieraveceuxet leseulchoixqui leurrestaitétaitdepersuaderJacobdesortirdesonpleingré.Remplidecraintes,Patrikfrappaàlaporte,puissedéplaçavivementsurlecôté.
—Jacob.Onsaitquetueslà.Ilfautquetusortes!Pasderéponse.Ilessayaencore.—Jacob,jesaisquetun’aspasvoulufairedemalauxfilles.TuasseulementfaitcequeJohannes
faisait.Sorsmaintenant,etonparleradetoutça.Ilserendaitcompteàquelpointc’étaitplat.Ilauraitpeut-êtredûfaireunstagedegestiondeprises
d’otage,ouaumoinsfairevenirunpsychologueaveceux.Mais,fautedemieux,ildevaitsecontenterdesespropresidéessurlafaçondes’adresseràunpsychopatheplanquéàl’intérieurd’unabriantiaérien.
Àsagrandesurpriseilentenditlaserrurecliqueterlaseconded’après.Lentementlaportes’ouvrit.Martin et Patrik, qui étaient postés de part et d’autre de la porte, échangèrent un regard. Tous deuxlevèrentleurpistolet, tendusàl’extrême.Jacobsortit.IlportaitJennydanssesbras.Elleétaitdetouteévidencemorte et Patrik put sentir la déception et le chagrin balayer les cœurs des policiers qui setenaientàprésententièrementvisibles,leursarmespointéessurJacob.
Illesignora.Ildirigeasonregardverslehautetparlacommes’ils’adressaitauciel.—Jenecomprendspas.Jesuispourtantélu.Tudevaismeprotéger.Ileutl’airaussiconfonduque
s’ilavaittrouvélemondesensdessusdessous.Pourquoim’as-TusauvéhiersijenetrouvepasgrâceàTesyeuxaujourd’hui?
PatriketMartinseregardèrent.Jacobsemblaitêtretotalementailleurs.Maiscelalerendaitd’autantplusdangereux.Ilétaitimpossibledesavoircequ’ilallaitfaire.Ilsmaintinrentleursarmesdirigéessurlui.
—Poselafille,ditPatrik.JacobavaittoujourslesyeuxlevésverslecieletinterpellaitsonDieuinvisible.—JesaisqueTuauraisfiniparm’octroyerledon,maisilmefallaitplusdetemps.Pourquoiest-ce
queTuTedétournesdemoimaintenant?—Pose la fille et lève les bras en l’air ! dit Patrik d’une voix un peu plus autoritaire. Toujours
aucuneréactiondeJacob.IltenaitJennydanssesbrasetilneparaissaitpasarmé.Patriksedemandas’ilnedevaitpassejetersurluipourdébloquerlasituation.Iln’yavaitpaslieudes’inquiéterpourlajeunefille,ilétaitdéjàtroptard.
Ilavaitàpeinepensécelaqu’unegrandesilhouettearrivadelagauche,debiaisderrièrelui.Ilfuttellementprisdecourtquesondoigttressaillitsurladétenteetqu’ilfaillitenvoyeruneballesurJacobouMartin.Souslechoc,ilvitlegrandcorpsd’ErnstpasserentrombedroitsurJacobquis’effondraparterre.Jennytombadesesbrasetatterrit justedevant lui,avecunhorriblebruitmou,commeunsacdefarinequ’onbalanceparterre.
Letriomphepeintsurlafigure,ErnsttorditlesbrasdeJacobdanssondos.Ilnerésistapas,maisilsemblaittoujoursaussistupéfait.
—Etvoilàletravail,fitErnstetillevalesyeuxpouraccueillirlesacclamationsdupeuple.ToutlemondesetintfigéetlorsqueErnstvitlenuagenoirquis’accumulaitdevantlevisagedePatrikilréalisaqu’encoreunefoisilavaitagisansdiscernement.
PatriktremblaittoujoursaprèsavoirétésiprèsdetirersurMartinetildutseraisonnerpournepasmettre ses mains autour du cou d’Ernst et l’étrangler lentement. Mais ils régleraient ça plus tard. Àprésentilétaitplusimportantdes’occuperdeJacob.
Gösta sortit une paire demenottes et les passa à Jacob. Avec l’aide deMartin, il le releva sansménagementpuisilinterrogeaPatrikduregard.Celui-cisetournaversdeuxdespoliciersd’Uddevalla.
—Ramenez-leàLaMétairie.J’arrive.Veillezàcequelesambulancierstrouventlecheminjusqu’icietdites-leurd’apporterunecivière.
IlssemirentenrouteavecJacob,maisPatriklesarrêta.—Attendezuninstant,jevoudraisleregarderbienenface.Jeveuxvoiràquoiressemblentlesyeux
dequelqu’unquiestcapabledefaireunechosepareille.IlhochalatêteendirectionducorpsinanimédeJenny.
Jacobcroisasonregardsansremords,maistoujoursaveclamêmeexpressionconfuse.IldévisageaPatriketdit:
—N’est-ce pas étrange ?Hier soirDieu a fait unmiracle pourme sauver, et aujourd’hui Il vouslaissemeprendre?
Patrikessayadevoirdanssesyeuxs’ilétaitsérieuxousic’étaitunjeupouressayerdes’épargnerlesconséquencesdesesactes.Leregardqu’ilrencontraétaitlissecommeunmiroiretilcompritquecequ’ilvoyaitc’étaitdelafolieàl’étatpur.Fatigué,ildit:
—Cen’étaitpasDieu.C’étaitEphraïm.Tuaspasséletestdel’analysedusangparcequeEphraïmt’avait fait donde samoelle osseusequand tu étais enfant.Cela signifie que tu as reçu son empreintegénétiquedanstonsang.C’estpourquoitonéchantillonnecorrespondaitpasavecl’ADNquenousavonsprélevésurles…traces…quetuaslaisséessurTanja.Nousnel’avonscomprisquelorsquelesexpertsdulaboontcartographiévosrelationsfilialesetqueparadoxalementtonsangdémontraitquetuétaislepèredeJohannesetdeGabriel.
Jacobnefitquehocherlatête.Puisilditdoucement:—Maisn’est-cepasunmiracle,dites?Ensuiteonl’emmenaàtraverslaforêt.
Martin,Gösta etPatrik restèrent devant le corpsde Jenny.Ernst s’était dépêchédepartir, penaud,avec les policiers d’Uddevalla et il ferait sans doute tout son possible pour rester invisible pendantquelquetemps.
Tous les trois auraient voulu avoir une veste pour couvrir Jenny. Sa nudité était si obscène, sihumiliante. Ilsvirent lesblessuressursoncorps.Lesblessuresquiétaient identiquesàcellesqu’avaitprésentéesTanja.Probablementlesmêmesqu’avaienteuesSivetMonaquandellesétaientmortes.
Malgré sanature impulsive, Johannes avait étéunhommeméthodique.Dans soncarnetdenotes ilavaitminutieusementnotélesblessuresqu’ilinfligeaitàsesvictimes,pourensuiteessayerdelesguérir.Il s’yprenaitcommeunscientifique.Lesmêmesblessuressur lesdeux,dans lemêmeordre.Peut-êtrepoursedonnerl’impressionqu’ils’agissaitjustementd’uneexpériencescientifique.Uneexpérienceoùellesétaientdesvictimesregrettables,maisnécessaires.NécessairespourqueDieuluirendeledondeguérir qu’il avait eu enfant.Ledonqui lui avait fait défaut tout au longde sa vie adulte et qu’il étaitdevenusiindispensablederaviverlorsquesonpremier-né,Jacob,étaittombémalade.
C’étaitunhéritagecalamiteuxqu’Ephraïmavaitlaisséàsonfilsetàsonpetit-fils.L’imaginationdeJacob avait étémise en branle par les récits d’Ephraïm sur les guérisons que pratiquaientGabriel etJohannesdansleurenfance.Ephraïmavaitlaisséentendrequ’ilentrevoyaitaussiledonchezsonpetit-filsetcelaavaitdonnénaissanceàdesidéesquiavaientétéalimentéesparlamaladiedontilavaitfaillimourir.PuisJacobavait trouvé lescarnetsdeJohanneset,àen jugerpar l’étatdespagesfeuilletéesàoutrance, il y était revenu encore et encore. Une coïncidence malheureuse avait voulu que Tanja seprésenteàLaMétairiepourposerdesquestionssursamère lemême jouroùJacobavaitapprisqu’ilallaitmourir,etmaintenantlespolicierssetrouvaientlàentraindecontemplerlecadavredeJenny.
QuandelleavaitglissédesbrasdeJacob,elleétaittombéesurlecôtéetonauraitpucroirequ’elleseblottissaitenpositionfœtale.Étonnés,MartinetPatrikvirentGöstadéboutonnersachemiseàmanchescourtes.Ilexposaunpoitrailblancetglabre,puissansunmotilétalasachemisesurJennyenessayantdecacherlepluspossibledesanudité.
—C’estpasbienderesterlààreluquerlapetitealorsqu’elleestnuecommeunver,grogna-t-iletilsecroisalesbrassurlapoitrinepourseprotégerdelafraîcheurquirégnaitsouslesarbres.
Patriks’accroupitetpritspontanémentlamainfroidedeJennydanslasienne.Elleétaitmorteseule,maisellen’auraitpasàattendreseule.
L’essentieldel’agitationavaitmisquelquesjoursàsecalmer.PatrikétaitavecMellberget toutce
qu’il voulait c’était que ce soit terminé. Son supérieur avait demandé un compte rendu de l’affaire etmêmesiPatrikconnaissaitsamotivation–pouvoirraconterdesanecdotessursaparticipationàl’affaireHult–celaneletouchaitpasoutremesure.AprèsavoirpersonnellementannoncélamortdeJennyàsesparents,ilétaitincapabled’associergloireoucélébritéàl’enquête,etilcédaitgénéreusementcettepart-lààMellberg.
—Maisjenecomprendstoujourspascetrucaveclesang,ditMellberg.Patriksoupiraetexpliquapourlatroisièmefois,encorepluslentementmaintenant:—Quand il était atteint de leucémie, Jacob a reçu un don de moelle osseuse de son grand-père
Ephraïm.Celasignifieque,aprèsledon,lecorpsdeJacobs’estmisàproduiredusangaveclemêmeADN que le donateur, c’est-à-dire Ephraïm. Autrement dit, Jacob a l’empreinte génétique de deuxpersonnesdans son corps.L’ADN de son grand-père dans le sang et le sien dans les autres parties ducorps.C’estpourquoinousavonsobtenu leprofilgénétiqued’Ephraïmenanalysant le sangde Jacob.Commel’ADNqueJacobavait laissésursavictimeétaitsousformedesperme,ilprésentaitsonprofil
génétiqued’origine.Donc, lesprofilsnecorrespondaientpas.Selon leLabocentral, lavraisemblancestatistiquepourqu’unetellechoseseproduiseesttellementinfimequ’elleestpresqueimpossible.Maisseulementpresque…
Mellbergsemblaitenfinavoircomprisleraisonnement.Ilsecoualatête,stupéfait.—C’estpasloindelascience-fiction,toutça.Qu’est-cequ’onnedoitpasentendre,Hedström!Oui,
jedoisdirequ’onafaitunputaindebonboulotdanscetteaffaire.LechefdelapoliceàGöteborgm’aappelépersonnellementhier. Ilm’aremerciépournotreexcellentefaçondegérer toutça,et jen’aipuqu’êtred’accordaveclui.
Patrik eut du mal à voir ce qu’il y avait d’excellent là-dedans, puisqu’ils n’avaient pas réussi àsauver la fille, mais il choisit de ne pas faire de commentaires. Certaines choses étaient ce qu’ellesétaient,iln’yavaitqu’àl’accepter.
Cesderniersjoursavaientétélourds.Onpourraitdirequ’ils’étaitagid’untravaildedeuil.Ilavaitcontinuéàmaldormir,tourmentépardesimagesquelesesquissesetlesnotesdanslecarnetdeJohannesavaientsuscitées.Ericaétait restéeprèsde lui, inquiète,et ilavaitsentiqu’elleaussise tournaitetseretournaitlanuitdanslelit.Maisiln’avaitpaseulaforcedesetendreverselle.Ilfallaitqu’iltraversetoutceladelui-même.
Mêmelesmouvementsdel’enfantdansleventred’Erican’avaientpasréussiàréveillerlasensationde bien-être qu’ils lui avaient toujours procurée auparavant.C’était comme si on lui avait subitementrappelécombienlemondelà-dehorsétaitdangereuxetcombienleshommespouvaientêtremauvaisoufous. Comment allait-il pouvoir protéger un enfant contre ça ? Il restait donc à l’écart d’Erica et del’enfant.Àl’écartdurisquedevivreunjourladouleurqu’ilavaitvuesurlesvisagesdeBoetKerstinMöller quand il leur avait annoncé, la gorge nouée, que Jenny était morte. Comment un être humainpouvait-ilsurvivreàunetelledouleur?
Dans ses moments nocturnes les plus sombres il avait même envisagé de se sauver. Prendre sescliques et ses claques et se casser. Loin de la responsabilité et des obligations. Loin du risque quel’amourpourl’enfantnedevienneunearmeappuyéesursatempequisedéchargeraitlentement.Lui,quiavait toujours été le devoir personnifié, envisageait sérieusement pour la première fois de sa vie des’abandonneràlalâcheté.Enmêmetempsilsavaitqu’Ericaavaitbesoindesonsoutienmaintenantplusque jamais. Le fait qu’Anna et les enfants étaient retournés vivre avecLucas l’avait désespérée. Il lesavait,maisilétaitquandmêmeincapabledefaireungesteverselle.
Devantlui,leslèvresdeMellbergcontinuaientàremuer.—Oui,jenevoisaucuneraisonpournepasobteniruneaugmentationdenotreprochainbudget,vula
publicitéquenousadonnée…Blablabla, pensa Patrik. Des mots remplis d’absurdité. Argent, gloire, augmentation de budget et
louangesdessupérieurs.Unecomptabilitédelaréussitedénuéedesens.IlressentitlebesoindeprendresatassedecaféetdelentementrenversersoncontenusurlecrânedeMellberg.Seulementpourlefairetaire.
—Oui,ettacontributionserabienévidemmentmiseenavant,ditMellberg.Jel’aiditaupatron,quetum’asétéd’unsoutienincroyabledanscetteenquête.Maisnemerappellepasquej’aiditçaquandilseraquestiond’augmentationdesalaire,gloussa-t-ilavecunclind’œilàPatrik.LaseulechosequimechagrineestlapartieconcernantlamortdeJohannesHult.Vousn’aveztoujoursaucuneidéedequil’aassassiné?
Patrik secoua la tête. Ils en avaient parlé à Jacob, mais il paraissait aussi sincèrement ignorantqu’eux.Cethomicide-làétaittoujoursmarquénonrésoluetsemblaitdevoirlerester.
—Oui,ceseraitvraimentlacerisesurlegâteausivouspouviezdémêlerçaaussi.Çaneferaitpasde
mald’avoirlesfélicitationsdujuryaussienplusdu20sur20,pasvrai?ditMellberg.Puisilrepritsonsérieux.J’aiévidemmentprisactedevotrecritiqueducomportementd’Ernst,maisenconsidéranttouteslesannéesqu’ilapasséesdanslecorpsdepolicejetrouvequenousdevrionsnousmontrergénéreuxettireruntraitsurcepetitincident.Jeveuxdire,ilnes’estrienpassédegraveaprèstout.
Patriksesouvintdelasensationdanssondoigtsurladétente,avecMartinetJacobdanslalignedemire. Lamain qui tenait la tasse de café se mit à trembler. Commemue par sa propre volonté, ellecommençaàleverlatasse,etlentementl’approcherducrânegarnideMellberg.Elles’arrêtaaumilieudugestelorsqu’onfrappaàlaporte.C’étaitAnnika.
—Patrik,ontedemandeautéléphone.—Tunevoispasqu’onestoccupés,grondaMellberg.—Jepensequ’ilvavouloirprendrecettecommunication,ditAnnikaenlançantunregardappuyéà
Patrik.Illaregarda,confondu,maisellerefusadedirequoiquecesoit.Enarrivantdanslebureaud’Annika,
ellemontralecombinésurlebureauetsortitdiscrètementdanslecouloir.—Maismerde,Patrik,pourquoitun’aspasbranchétonportable!Ilregardaletéléphonependudanssonétuiàsaceintureetcompritqu’ildevaitêtredéchargé.—Jen’aiplusdebatterie.Pourquoi?IlnecompritpaspourquoiçamettaitEricahorsd’elle.Elle
pouvaittoujourslejoindreparlestandard.—Parcequeças’estmisenroute.Tun’aspasrépondusurtonfixeetensuitetunerépondaispassur
leportablenonplusetalors…Ill’interrompit,confus.—Quoi,quoi?Qu’est-cequis’estmisenroute?—L’accouchement,imbécile.Letravailacommencéetj’aiperduleseaux!Ilfautquetuviennesme
chercher,ilfautyallermaintenant!—Maisçanedevaitêtrequedanstroissemaines!Ilsesentaittoujoursaussidéconcerté.—Apparemmentlebébénelesaitpas,puisqu’ilarrivemaintenant!ditEricaetelleraccrocha.Patrikrestaitfigé,tenanttoujourslecombiné.Unsourireidiotétaitapparusurseslèvres.Sonenfant
étaitenroute.Leurenfant,àluietErica.Les jambes en coton, il courut à la voiture et tira plusieurs fois sur la poignée de la portière.
Quelqu’unluitapotal’épaule.DerrièreluisetenaitAnnikaaveclesclésdelavoitureàlamain.—Çamarcheramieuxsituessaiesaveclacléd’abord.Il lui arracha le trousseau et, après un rapide signe d’au revoir, il mit les gaz et prit la route de
Fjällbacka. Annika contempla les traces de pneu noires qu’il avait laissées sur le goudron, puis elleretournaenriantàsonposteàl’accueil.
12
AOÛT1979Ephraïm était préoccupé. Gabriel continuait obstinément à affirmer que c’était Johannes qu’il
avaitvuaveclafilledisparue.Ilrefusadelecroire,maisenmêmetempsilsavaitqueGabrielétaitledernieràmentir.Pour lui, lavéritéet l’ordreétaientplus importantsque sonpropre frère, et c’estpourquoiEphraïmavaitdumalànepasentenircompte.Ceàquoiils’accrochaitétaitqueGabrielavaitpumalvoir.Que la faible lumièrede lanuitavait trompésesyeuxetqu’ilavaitété induitenerreur par des ombres, ou quelque chose comme ça. Il convenait lui-même que c’était tiré par lescheveux.MaisilconnaissaitaussiJohannes.Sonfilsinsouciant,irresponsablepourquilavien’étaitqu’unjeu,ilneseraittoutdemêmepascapabledetuerquelqu’un?
Appuyésursacanne,ilmarchaitsurlaroutequireliaitlemanoiràLaMétairie.Enfaitiln’avaitpasbesoind’unecanne,saconditionphysiqueétaitaussibonnequecelled’unjeunehomme,estimait-il, mais il trouvait que ça faisait élégant. La canne et le chapeau lui donnaient l’aspect d’unpropriétaireterrien,etilaimaits’enservir,enabusermême.
Il était peiné de voir que, chaque année,Gabriel s’éloignait davantage de lui. Gabriel pensaitqu’il favorisait Johannes, il le savait, et c’était peut-être vrai, s’il était vraiment sincère avec lui-même. Simplement, Johannes était tellement plus facile à côtoyer. Son charme et son ouvertured’espritpermettaientdeletraiteravecunecertaineindulgence,etEphraïmsesentaitalorspatriarchedanslevraisensdumot.Johannesétaitquelqu’unqu’ilpouvaitcorrigeravecrudesse,quelqu’unquiluidonnaitl’impressiond’êtreindispensable,nefût-cequepourluimaintenirlespiedssurterre,avectouscesjuponsquiluicouraientaprès.AvecGabriel,c’étaitdifférent.IlregardaittoujourssonpèreavecundédainquiamenaitEphraïmàletraiteravecunesortedesupérioritéfroide.Ilsavaitquelafaute lui incombaitàplusieurs titres.Àchaqueservicequ’ilcélébrait,avec l’assistancedeses fils,Johannes avait toujours été plein d’enthousiasme, alors que Gabriel se rétrécissait, se ratatinait.Ephraïml’avaitvuetilendossaitcetteresponsabilité,maisilavaitagipourlebiendesesfils.QuandRagnbildétaitmorte,ilsn’avaientdisposéquedesonbaratinetdesoncharismepouravoiràmangertousles joursetdequoisevêtir.C’étaitunheureuxhasardqu’untel talent luiaitétérévéléetquecette folle de veuve, laDybling, lui ait légué son domaine et sa fortune.Gabriel feraitmieux d’enapprécier davantage les conséquences, au lieu de perpétuellement lui reprocher son enfance«épouvantable».Lavéritéétaitques’iln’avaitpaseuletraitdegénied’utiliserlesgarçonsdanssesoffices ils n’auraient pas eu tout ce qu’ils avaient aujourd’hui. Personne n’avait résisté aux deuxpetitsgarçonscharmantsquipar lagrâcedeDieuavaient reçu ledondeguérir lesmaladeset lesinfirmes. Avec le magnétisme et la faconde dont il jouissait lui-même, à eux trois, ils avaient étéimbattables. Il savait qu’il était une légende vivante dans le monde évangélique et cela l’amusaiténormément.Iladoraitaussicenomflatteur,ouinjurieux,onpouvaitlevoircommeonvoulait,quelesgensluidonnaient.LePrédicateur.
Il avait cependant été très surpris de voir la déception de Johannes en apprenant qu’avecl’adolescenceilavaitperdusondon.Ephraïmn’avaiteuaucunmalàmettreuntermeàlasupercherieetpourGabrielc’étaitvenucommeungrandsoulagement.MaisJohannesl’avaitregretté.Ephraïmavait toujours pensé leur révéler que tout cela n’avait été qu’une invention de sa part et que lespersonnesqu’ils«guérissaient»étaientdesgensàquiilavaitdonnéunepetitepiècepourparticiperauspectacle.Mais,aufildesans,ils’étaitmisàhésiter.ParfoisJohannesavaitsemblésifrêle.C’est
pourquoi Ephraïm se faisait tant de souci avec cette histoire de la police et leur interrogatoire deJohannes. Il était plus fragile qu’il ne paraissait et Ephraïm craignait qu’il n’en pâtisse. Alors ils’étaitditqu’ilallaitfaireunepromenadejusqu’àLaMétairieetparlerunpetitmomentavecsonfils.Tâterunpeuleterrainpourvoircommentcelui-cigéraitlasituation.
Un sourire apparut sur les lèvres d’Ephraïm. Jacob était encore à l’hôpital, mais il était tiréd’affaire.Iladoraitsonpetit-fils.Illuiavaitsauvélavie,cequilesunissaitàtoutjamaisparunlienparticulier.En revanche, iln’étaitpasaussi crédulequ’ils le croyaient.Gabrielpensait sansdoutequeJacobétaitsonfils,maislui,Ephraïm,avaitvucequisedéroulaitsoussesyeux.IlétaitévidentqueJacobétait le filsdeJohannes,çase lisaitdanssesyeux.Bon, toutçan’étaitpassesaffaires.Maislegarçonétait lajoiedesesvieuxjours.Biensûrqu’ilaimaitaussiRobertetJohan,maisilsétaientsipetitsencore.Cequ’ilaimaitlepluschezJacobétaitsespetitesréflexionsintelligenteset,surtout, l’ardeurqu’ilmettait à écouter leshistoiresde songrand-père. Jacobadorait entendre lesrécits de l’enfance de Gabriel et Johannes quand ils voyageaient avec lui. « Les histoires deguérison»,disait-il.«Papi,raconteleshistoiresdeguérison»,disait-ilchaquefoisqu’ilmontaitlevoir,etEphraïmn’avaitriencontrelefaitderevivrecetteépoque-là.Parcequ’ils’étaitbienamusé.Etçanepouvaitpasfairedemalaugarçons’ilbrodaitunpeu.Ilavaitprisl’habitudedeterminersesrécitsavecunepause théâtrale,puisdepointerun index tordusur lapoitrinedeJacobetdedire:«EttoiJacob,tuasaussiledon.Quelquepartenfouientoi,ilattendd’êtresortiàlalumière.»Lepetitétaitassisàsespieds,lesyeuxécarquillésetlabouchegrandeouverte,etEphraïmadoraitvoirsafascination.
Ilfrappaàlaportedelamaison.Pasderéponse.Toutétaittranquille,apparemmentSolveigetlesgarçonsn’yétaientpasnonplus.Engénéral,onlesentendaitàdeskilomètresàlaronde.Ilyavaitdubruit dans la grange et il alla voir. Johannes était en train de bricoler quelque chose sur lamoissonneuse-batteuse et n’entendit pas Ephraïm arriver avant qu’il soit juste derrière lui. Ilsursauta.
—Enpleinboulot,àcequejevois.—Oui,cen’estpasletravailquimanqueici.—J’aientenduquelapoliceestvenuetechercherencore,ditEphraïmquiavaitpourhabitudede
nepastournerautourdupot.—Oui,ditJohannessèchement.—Qu’est-cequ’ilsvoulaientsavoircettefois?—EncoredesquestionsparrapportautémoignagedeGabriel,évidemment.Johannescontinuaità
s’occuperdelamachineetneregardapasEphraïm.—Tusaisquecen’estpasl’intentiondeGabrieldetenuire.—Oui,jesais.Ilestcommeilest.Maislerésultatestlà.—C’est vrai. Ephraïm se balança sur les talons, incertain de la façon dont il allait continuer.
C’est bon de voirie jeune Jacob bientôt sur pied, pas vrai, lança-t-il pour rester sur un sujet deconversationneutre.UnsourireilluminalevisagedeJohannes.
—C’estmerveilleux.C’est comme s’il n’avait jamais étémalade. Il se redressa et regarda sonpèredroitdanslesyeux.Jet’enseraiéternellementreconnaissant,papa.
Ephraïmhochalatêteetsecaressalamoustache,satisfait.Johannespoursuivit,avecprudence:—Papa,si tun’avaispaspusauverJacob.Tucroisque…Ilhésita,puispoursuivitrésolument,
commepournepasavoirletempsdechangerd’avis.Tucroisquej’auraispuretrouverledon?PourpouvoirguérirJacob,jeveuxdire?
LaquestionfitreculerEphraïmdesurprise.Ilréalisaaveceffroiquel’illusionqu’ilavaitcréée
était plus grande que voulue. Ses remords et sa culpabilité allumèrent une étincelle de colère et ils’emportaviolemmentcontreJohannes.
—Commentpeux-tuêtrestupideàcepoint-là,mongarçon?Jecroyaisqu’unjouroul’autretuseraisassezadultepourcomprendrelavéritésansquej’aiebesoindetel’écrirenoirsurblanc!Riende tout çan’était vrai ! Ils n’étaient pasmaladespourde vrai, ceuxque vousavez«guéris »– ilmarquadesguillemetsdansl’air–toietGabriel,aucun!Ilsétaientpayés!Parmoi!
Ilcrialesmotsetpostillonnaenmêmetemps.Pendantunesecondeilsedemandacequ’ilvenaitdefaire.LevisagedeJohannesétaitdevenublanc.Ilchancelacommes’ilavaitbuet,unbrefinstant,Ephraïmcrutquesonfilsétaitvictimed’unesorted’attaque.PuisJohanneschuchota,tellementbasqueças’entendaitàpeine:
—Alorsj’aituélesfillespourrien.Toutel’angoisse,toutelaculpabilité,touslesremordsexplosèrentenEphraïmetl’attirèrentdans
unprofondtrounoir,oùilluifalluttoutsimplementtrouverunexutoireàladouleur,d’unefaçonoud’uneautre.SonpoingpartitetatterritsurlementondeJohannesdetoutesaforce.AuralentiilvitJohannes,lastupéfactionpeintesurlevisage,tomberenarrière,contrelamoissonneuse-batteuse.Unbruit sourd résonna dans la grange lorsque la tête de Johannes heurta la surface métallique.Épouvanté, Ephraïm regarda Johannes qui gisait sans vie par terre. Il tomba à genoux et essayadésespérémentdesentirunpouls.Rien.Ilapprochasonoreilledelabouchedesonfilsenespérantentendreneserait-cequeleplusfaibledessouffles.Toujoursrien.Lentement,ilréalisaqueJohannesétaitmort.Frappéparlamaindesonproprepère.
Sapremièreimpulsionfutd’allerchercherdusecours.Puisl’instinctdesurviepritledessus.CarEphraïmHult était avant tout un hommequi s’acharnait à survivre.En appelant à l’aide, il seraitobligéd’expliquerpourquoiilavaitfrappéJohannes,etcelanedevaitenaucuncasêtrerévélé.LesfillesétaientmortesetmaintenantJohannesaussiétaitmort.Dansuncertainsensbiblique, justiceavait été faite. Pour sa part, il ne désirait aucunement passer ses dernières années derrière lesbarreaux. Ce serait un châtiment suffisant de vivre le reste de sa vie en sachant qu’il avait tuéJohannes. Résolument il se mit à préparer le travail pour maquiller son crime. Heureusement,certainespersonnesluidevaientencorequelquesservices.
Ils’aperçutqu’ilsetrouvaitassezbiendanssanouvellevie.Lesmédecinsluiavaientdonnésixmois
àvivre,etilpouvaitaumoinslespasseraucalme.BiensûrqueMaritaetlesenfantsluimanquaient,maisils venaient le voir toutes les semaines, et entre leurs visites il passait le temps à prier. Il avait déjàpardonnéàDieudel’avoirabandonnéauderniermoment.MêmeJésussursacroixavaitdemandéàDieupourquoiill’abandonnait,luisonfilsunique.SiJésuspouvaitpardonner,Jacoblepouvaitaussi.
Lejardindel’hôpitalétaitl’endroitoùilpassaitleplusclairdesontemps.Ilsavaitquelesautresprisonniers l’évitaient. La plupart étaient aussi condamnés pourmeurtre,mais pour une raison ou uneautre ils pensaient qu’il était dangereux. Ils ne comprenaient pas. Il n’avait pas pris plaisir à tuer cesfilles,etilnel’avaitpasfaitpourlui.Ill’avaitfaitparcequec’étaitsondevoir.Ephraïmavaitexpliquéqu’il était spécial, tout comme Johannes.Élu.C’était son devoir de bien gérer l’héritage et ne pas selaisseremporterparunemaladiequis’entêtaitàvouloirl’exterminer.
Etiln’allaitpascapitulerencore.Ilnepouvaitpascapituler.CesdernièressemainesilavaiteulacertitudequelamanièredontJohanneset luiavaientprocédédevaitêtreerronée.Ilsavaientessayédetrouverunefaçonpratiquederécupérerledon,maiscen’étaitpeut-êtrepascommeçaqu’ilfallaitfaire.Ilsauraientsansdoutedûcommencerparcherchereneux.Lesprièresetlecalmeicil’avaientaidéàseconcentrer.Parétapes,ilavaitsuatteindrel’étatméditatifoùilsentaitqu’ilapprochaitduprojetorigineldeDieu.Ilsentaitquel’énergiecommençaitàl’emplir.Encesmoments,toutsonêtrefrémissaitd’attente.Ilallaitbientôtpouvoircommenceràrécolterlefruitdesanouvelleconnaissance.Biensûrquecelaluifaisaitregretterencoredavantaged’avoirsacrifiédesviesinutilement,maisuneguerresedéroulaitentrelebienetlemalet,decepointdevue,lesfillesavaientétédesvictimesnécessaires.
Lesoleildel’après-midileréchauffaitsursonbancdansleparc.Laprièred’aujourd’huiavaitétéparticulièrement fortifiante et il eut l’impression de faire de la concurrence au soleil.En regardant samain,ilvitunmincerayondelumièrequil’entourait.Jacobsourit.Çavenaitdecommencer.
Àcôtédubanc, ilaperçutunpigeonmort.L’oiseauétaitcouchésur le flancet lanatureavaitdéjàcommencésonœuvrepourletransformerenpoussière.Ilgisaitraideetsaleavecdesyeuxcouvertsduvoiledelamort.Ilsepenchaenavantetl’étudiaattentivement.C’étaitunsigne.
Jacob se leva et s’accroupit à côté de l’oiseau. Il l’observa tendrement. Sa main rougeoyaitmaintenantcommesiunfeubrûlaitàl’intérieurdesesarticulations.Entremblant,ilapprochadupigeonl’index de samain droite et le laissa reposer légèrement sur le plumage abîmé.Rien ne se passa. Ladéception menaçait de l’envahir, mais il s’obligea à rester à l’endroit où les prières le menaienthabituellement.Auboutd’unmoment, lepigeontressaillit.Untremblementdanslapattesuivit.Ensuitetoutarrivaenmêmetemps.Lesplumesretrouvèrent leurbrillance, levoileblancquicouvrait lesyeuxdisparut,lepigeonseredressasursespattesetd’unpuissantcoupd’aileils’envolaversleciel.Jacobsouritavecsatisfaction.
Parunefenêtrequidonnaitsurlejardin,leDrStigHolbrandobservaitJacobHultencompagniedeFredrikNydin,unmédecinquifaisaitunepartiedesoninternatenpsychiatrielégale.
—Ça,c’est JacobHult.C’estuncasàpart ici. Ila torturédeuxfillespourensuiteessayerde lesguérir.Ellessontmortesde leursblessureset ilestcondamnépourassassinat.Lesexpertspsychiatresl’ontjugéirresponsableetdeplusilaunetumeuringuérissableaucerveau.
—Il lui restecombiende temps?demandaFredrikNydin. Ilcomprenaitbienquec’était tragique,
maisneputs’empêcherdetrouvertoutcelaimmensémentexcitant.—Environsixmois. Ilprétendqu’ilvapouvoirseguérir lui-mêmeet ilpasse leplusgrosdeson
tempsàméditer.Onlelaissefaire.Ilnefaitdemalàpersonnependantcetemps-là.—Maisqu’est-cequ’ilestentraindefabriquer,là?—Oui,çaneveutpasdirequ’iln’apasuncomportementbizarreparfois.LeDrHolbrandplissales
yeuxetfitdel’ombreavecsamainpourmieuxvoir.Ilmesemblequ’ilestentraindelancerunpigeonenl’air.Bon,cen’estpasgrave,ilestdéjàmort,lepauvre,dit-ilsèchement.
Puisilspassèrentaupatientsuivant.
FIN
Remerciements
REMERCIEMENTSToutd’abordjetiensàremerciermonmariMickequi,fidèleàsonhabitude,faitpassermonécriture
avant toutechose. Ilestmonpremier fan.Sans toi, jen’auraispaspugérerenmême temps lebébéetl’écriture.
UngrandmerciaussiàmonagentMikaelNordin,ainsiqu’àBengtetJennyNordindeBengtNordinAgency,quin’onteudecessedefaireconnaîtremeslivresàunlargepublic.
Les policiers du commissariat de Tanumshede et leur chef Folke Åsberg méritent une citationspéciale.Nonseulementilsontprisletempsdeliremonmanuscritetdelecommenter,maisilsontaussiacceptéavecbonhomiequejeplacequelquesagentsdepoliceparticulièrementincompétentssurleurlieudetravail.Danscecasprécis,noussommesvraimentloindelaréalité!
UnepersonneaeuunrôleinestimablependantletravailduPrédicateur;ils’agitdemarédactriceetéditriceKarin LingeNordh, qui avec uneminutie bien plus grande que celle que j’ai été capable demobiliserapassé lemanuscrit aucribleet aavancéquelquespointsdevuepertinents.Ellem’aaussiappris l’expression précieuse « quand t’es pas sûre – enlève le passage ». Globalement, j’ai étéformidablementaccueillieparmanouvellemaisond’édition,Forum.
GunillaSandinetIngridKampåsm’ontétéd’ungrandsoutienpendantletravailsurcelivre,commesur leprécédent.MartinetHelenaPerson,mabelle-mère,GunnelLäckbergetÅsaBohmanont reluetcommentémonmanuscritavecbeaucoupdegentillesse.Merciàtous.
Pour finir, je voudrais adresser un remerciement particulier à Berith et Anders Torevi, qui nonseulementontprisenchargeladiffusiondeLaPrincessedesglacesavecbeaucoupd’amabilitémaisontaussiprisletempsdelireetdecommenterlemanuscritduPrédicateur.
Tous les personnages et événements sont inventés. Fjällbacka et ses environs sont cependantauthentiques,mêmesidetempsentempsj’aiprisquelqueslibertésencequiconcerneleslieux.
CAMILLALÄCKBERG-ERIKSSON.Enskede,le11février2004.
www.camillalackberg.com