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CAPITAINES DE
L’IMPOSSIBLE
L’Expédition de Lewis et Clark
du Missouri au Pacifique
(1803-1806)
Eric Leblanc
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Capitaines de l'impossible de Eric Leblanc est mis à
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être obtenues en contactant l’auteur.
www.ericleblancauteur.wordpress.com
ISBN : 978-1517377045
© Eric Leblanc, 2015
© 2018 Eric Leblanc pour la présente édition
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CHAPITRE I
JEUX DIPLOMATIQUES
En 1803, les territoires explorés d’Amérique du Nord
ne s'étendaient guère plus loin à l'ouest que le fleuve
Mississippi.
Au-delà se trouvait une terra incognita sur laquelle
couraient les plus incroyables légendes. On y rencontrait,
disait-on, des Amazones chasseresses, des Indiens gallois
descendant du prince Madoc, un peuple de diables hauts de
cinquante centimètres et peut-être même les tribus perdues
d'Israël. Telles étaient les affirmations avancées par les
bonimenteurs de foire pour endormir les foules et vendre à
prix d'or leurs élixirs miracles.
Mais pour des hommes plus pragmatiques tels que
Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, l'Ouest,
ainsi que l'on désignait la partie inexplorée du continent,
représentait un vaste territoire aux richesses inexploitées et ne
devait aucun cas le rester. Le 20 juin 1803, il fit parvenir à son
secrétaire particulier, le capitaine Meriwether Lewis, un ordre
de mission lui enjoignant « d'explorer le Missouri et le
principal de ses affluents » et de découvrir si possible « le
mode de communication le plus direct et le plus praticable au
point de vue du commerce à travers le continent ».
Cet ordre officiel, Jefferson le mûrissait depuis des
armées, mais il lui avait fallu user des jeux diplomatiques les
plus subtils et des moyens financiers les plus colossaux pour
avoir la possibilité de le transmettre au jeune capitaine sans
risquer de déclencher une guerre avec trois nations
européennes. En effet, remonter le Missouri jusqu'à sa source,
puis de là redescendre vers l’océan qui bordait le continent à
l’Ouest, entraînerait les hommes qui accompliraient ce périple
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bien au-delà des frontières des jeunes États-Unis telles
qu'elles se présentaient en mars 1803, lorsque Jefferson donna
à Lewis, de manière officieuse, ses premières instructions
concernant la préparation d'une expédition à travers le
continent, depuis Saint-Louis sur le Missouri, jusqu'aux eaux
du Pacifique, à des milliers de milles de là.
Les problèmes territoriaux étaient depuis des années un
des freins majeurs à l'accomplissement des visées de
Jefferson. En 1783, pour couper l'herbe sous le pied à une
hypothétique expédition britannique, il avait tenté de
persuader George Rogers Clark de se lancer dans une
aventure devant le conduire du Mississippi à la Californie.
Mais le jeune homme ne s'était pas laissé convaincre et le
futur président avait dû prendre patience, dans l'attente d'une
nouvelle opportunité, pour la réalisation de son grand projet.
Neuf ans plus tard, un Français, André Michaux, se
porta volontaire lorsque Jefferson offrit une prime de 1000
guinées à l'homme qui remonterait le Missouri jusqu'à sa
source avant d'atteindre le Pacifique. Mais le manque de fonds
et la méfiance du gouvernement firent avorter le projet. Il
fallut encore dix années à Jefferson pour pouvoir envisager
une nouvelle expédition à travers le continent.
Présentant cette dernière comme une mission à but
exclusivement scientifique, il adressa une requête au
gouvernement espagnol par l'intermédiaire de l’ambassadeur
d'Espagne, le marquis de Casa Yrujo, lui demandant
l'autorisation pour les hommes de l'expédition de traverser la
Louisiane, qui couvrait alors plus du quart de la superficie des
actuels États-Unis, du Mississippi aux Montagnes Rocheuses
et des rives de l'Arkansas à la frontière canadienne. La
réponse d'Yrujo fut sans détour : son gouvernement, écrivit-il
à Jefferson, « ne manquerait pas de prendre ombrage d'un tel
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projet. »
Cependant, Jefferson ne s'avoua pas vaincu. Si la
Louisiane avait été abandonnée à l'Espagne par la France en
1763 par le Traité de Paris, pour mettre fin à la Guerre de 7
Ans, la conquête de l'Espagne par Napoléon avait permis en
1800 le retour de ce territoire sous la tutelle française. Et bien
que le transfert de souveraineté n'eût pas encore été effectué
lorsque Jefferson contacta Yrujo, le président ne tarda pas à
comprendre que l'interlocuteur auquel il devait s'adresser
n'était pas le roi d'Espagne, mais l'empereur de France.
N'ignorant pas que Napoléon avait un urgent besoin de fonds
pour mener à bien ses guerres de conquête européennes,
Jefferson entreprit immédiatement des négociations avec lui
pour l'acquisition de la Louisiane.
Un autre élément devait jouer en faveur des Américains
: bien qu'il fût alors en paix avec l'Angleterre, l'Empereur
savait que la guerre contre cet ennemi héréditaire reprendrait
immanquablement un jour ou l'autre. Et il savait que cette
guerre serait assez ardue à mener sur les océans et en Europe
pour ne pas risquer de la voir s'étendre jusqu'aux contrées
sauvages du Nouveau Monde comme cela avait été le cas un
demi-siècle plus tôt. Il accepta donc la proposition de
Jefferson, en exigeant en paiement de la Louisiane 23 millions
de dollars.
Le président, heureux de pouvoir ainsi doubler la
superficie de son pays et de rendre possible du même coup la
grande mission d'exploration dont il caressait le rêve depuis
tant d'années, paya rubis sur l'ongle la somme demandée, et le
30 avril 1803, les États-Unis entrèrent officiellement en
possession de la Louisiane. Le transfert de souveraineté
n'intervint que plus tard. Il fallut attendre le 9 mars 1804 pour
voir l'Espagne rendre à la France tous ses droits sur la
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Louisiane – que virtuellement elle ne possédait déjà plus
depuis des mois.
Les États-Unis, pour leur part, n'eurent pas à patienter
aussi longtemps. Le 10 mars au matin, la France reconnut leur
souveraineté absolue sur le territoire cédé par Napoléon,
devant une assistance qui comptait entre autres les capitaines
Meriwether Lewis et William Clark, mandatés par le président
Jefferson pour une mission d'exploration qui allait jouer un
rôle capital dans l'avenir de la nation américaine.
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CHAPITRE II
TOUTES VOILES VERS L’OUEST
Lewis, qui se trouvait alors dans sa vingt-neuvième
année, avait déjà derrière lui un solide passé de chasseur et de
soldat. En 1792, il avait tenté de prendre part à l'expédition
avortée du botaniste Michaux, mais n'avait pas été retenu à
cause de son jeune âge. Deux ans plus tard, il avait combattu
dans les rangs de la milice de Virginie lors de la Whiskey
Rebellion de Pennsylvanie. En 1801, se souvenant du
fougueux jeune homme qui s'était porté volontaire neuf ans
plus tôt, Jefferson avait engagé Lewis comme secrétaire
particulier. En dehors des qualités réelles du jeune officier
pour ce poste, le président voyait également dans cette
nomination le moyen de commencer à mettre en forme dans le
plus grand secret l'expédition qu'il projetait depuis vingt ans.
Avant même d'avoir reçu son ordre de mission, Lewis
entreprit la préparation du périlleux voyage. Il commanda à
l'arsenal militaire de Harpers Ferry les armes qui lui seraient
nécessaires (fusils à canon court, couteaux de chasse et pipes
tomahawks) ainsi qu'un prototype d’embarcation à armature
métallique de sa conception. Dans le même temps, il fit mettre
en chantier un bateau de soixante pieds à South West Point et
rassembla tous les articles qui devaient se révéler
indispensables lors de la traversée du continent, tant pour les
membres de l'expédition eux-mêmes que lors des rencontres
avec les Indiens.
Car les instructions du président Jefferson ne se
bornaient pas à la découverte d'une voie navigable du
Missouri au Pacifique, mais incluaient également l'étude des
tribus autochtones rencontrées en chemin et l'établissement
avec elles de relations favorables au commerce, à ces
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échanges qui déjà faisaient la fortune des marchands français
et anglais. Lewis avait également pour mission de persuader
les diverses nations indiennes de cesser de se faire la guerre –
les conflits permanents qui opposaient les tribus vivant le long
du Missouri étant un obstacle au développement des échanges
commerciaux.
Devant l'ampleur de la tâche qui l'attendait, Lewis fit
appel à un homme exceptionnel pour commander l'expédition
à ses côtés. Le 19 juin de 1803, il envoya un message
confidentiel au lieutenant William Clark, ami et ancien
compagnon d'armes, lui promettant le grade de capitaine s'il
acceptait de se joindre à l'aventure.
La famille Clark n'était pas étrangère au vieux rêve du
président Jefferson. En 1783, c'était au frère du jeune
William, George Rogers Clark, que le politicien avait fait
appel pour diriger l'expédition avortée vers la Californie. Quoi
de plus naturel que de s’adresser à son cadet, dont les états de
service sur la frontière n'avaient rien à envier à ceux de Lewis,
pour prendre avec lui le commandement de l'expédition à
laquelle plus rien ne semblait devoir faire obstacle avant son
départ.
Clark accepta avec joie.
En attendant que leur bateau puisse être mis à l'eau, les
deux hommes s'employèrent à recruter une troupe de
trappeurs et d'aventuriers, des individus rudes mais décidés,
prêts à affronter tous les dangers qu'un tel voyage pouvait leur
réserver. Quarante-sept hommes, dont certains étaient déjà des
vétérans de la frontière, comme Patrick Gass qui s'était battu
en Pennsylvanie et le métis George Drouillard, né d'un père
français et d'une mère pawnee, et d'autres qui n'allaient pas
tarder à devenir des figures légendaires de l'Ouest, comme
John Colter, qui s'illustrerait ensuite grâce à ses exploits
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comme trappeur.
Enfin, le 31 août 1803, le bateau commandé par Lewis
commença à remonter le Mississippi en direction de Saint-
Louis. Le 14 octobre, Clark embarqua à Clarksville avec sept
volontaires dont Joseph et Ruben Fields, deux frères
originaires du Kentucky dont les talents de chasseurs allaient
se révéler un atout inestimable pour l'expédition. Le 28
novembre, au terme d'un voyage de 1100 milles, soit 1770
kilomètres, le mille terrestre équivalent à 1609 mètres, le
bateau atteignit enfin Saint-Louis. Mais l'hiver était proche et
les deux capitaines durent remettre au printemps la remontée
du Missouri.
Ils installèrent leur camp à l'embouchure du cours
d’eau, recrutèrent les hommes qui leur manquaient encore et
s'employèrent à faire de leur troupe hétéroclite de trappeurs,
d'aventuriers, de bateliers, de coureurs des bois et de soldats
un groupe uni et discipliné qu’ils préparèrent à affronter les
hasards d'un voyage de 4000 milles à travers des plaines, des
montagnes et des déserts qu'aucun homme blanc n'avait
traversés avant eux.
Enfin, le 14 mai 1804, la mission d'exploration,
composée du bateau sorti des chantiers de South West Point et
de deux pirogues, entreprit la remontée du Missouri, sous les
yeux de la foule qui s'était rassemblée pour saluer son départ.
Après avoir gagné Saint-Charles, à sept milles en amont,
l'expédition attendit jusqu'au 20 mai le capitaine Lewis, retenu
à Saint-Louis par des problèmes de dernière minute.
Le 21 mai au matin, ils mirent à la voile et le véritable
voyage commença.
Mais les eaux du Missouri recelaient mille dangers : les
bancs de sable où le bateau risquait de s'échouer, les bois
flottants qui risquaient de couler les canoës, les tourbillons qui
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leur faisaient perdre un temps précieux, les îles très
nombreuses qu'il leur fallait contourner, les falaises abruptes
contre lesquelles les poussait le courant.
Le soir, lorsqu'ils s'arrêtaient pour camper, il leur fallait
encore prendre garde aux serpents qui hantaient les rives, aux
crues soudaines qui étaient toujours à redouter, aux
maraudeurs indiens qui, s'ils ne se manifestèrent pas,
demeuraient cependant une menace constante. De plus,
malgré leurs efforts de l'hiver précédent, les deux capitaines
eurent à régler durant les premières semaines du voyage des
problèmes de discipline, et plusieurs hommes furent
condamnés au fouet. Fort heureusement, au fur et à mesure
que l'expédition remonterait le fleuve, ces incidents devaient
se faire plus rares et même disparaître totalement.
Durant les deux mois qui suivirent le départ de Saint-
Charles, les hommes envoyés à terre croisèrent de nombreuses
traces d'Indiens, qu’ils attribuèrent aux Osages, aux Sacs, aux
Pawnees et aux Ottos. En revanche, à l'exception de quelques
Sioux, Pawnees et Omahas descendant le fleuve pour vendre
leurs peaux à Saint-Louis, les Indiens demeurèrent invisibles.
Lorsque l'expédition passa près des premiers villages
pawnees et ottos, leurs occupants étaient partis chasser le
bison et les capitaines ne purent entreprendre le travail
d'ethnographie que leur avait confié Jefferson. Les seuls êtres
humains qu'ils aperçurent étaient des trappeurs français qui
descendaient eux aussi vers la ville pour y vendre leurs
fourrures.
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CHAPITRE III
ENFIN DES INDIENS !
S'ils ne rencontrèrent guère de leurs semblables durant
les premières semaines de voyage, Lewis et Clark purent en
revanche commencer à s'émerveiller de la diversité de la
faune et de la flore des régions qu'ils traversaient, répertoriant
chaque fois que cela leur était possible les nouvelles espèces
animales et végétales qu'ils découvraient, récoltant des
spécimens, prenant des notes, oubliant qu'ils étaient des
soldats pour devenir de véritables explorateurs.
Mais le 23 juillet, après avoir dépassé l'embouchure de
la Platte River, les capitaines repérèrent un village otto qui
semblait être occupé. Ils envoyèrent George Drouillard et
John Shields avec des présents pour inviter les chefs à venir
les voir, mais les deux hommes ne trouvèrent qu'un village
déserté. Néanmoins, en regagnant le campement de
l'expédition, qu'ils atteignirent deux jours plus tard, ils
croisèrent une piste fraîche : les Ottos ne pouvaient être loin.
Il fallut encore deux jours de patience à Lewis et Clark
avant que Drouillard, parti en reconnaissance, ne revienne
enfin avec un jeune Indien de la tribu des Missouris vivant
avec les Ottos. Enfin, ils allaient établir le contact avec les
indigènes.
Un Français du nom de La Liberté fut envoyé au camp
des Ottos avec le jeune Missouri, mais la délégation indienne
n'arriva pas au camp de l'expédition avant le 2 août. Le 3 au
matin, les capitaines firent parader leurs hommes, puis
reçurent les six Ottos et un marchand français qui les
accompagnait dans une grande tente dressée à la hâte. Le chef
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principal du village étant absent, ils remirent à ses envoyés
des présents à son attention – un drapeau, une médaille et des
vêtements – et leur donnèrent à chacun une médaille. Les
Indiens firent part aux capitaines de leurs besoins en armes et
munitions et leur demandèrent de servir de médiateurs entre
eux et les Omahas, ce qu'ils acceptèrent volontiers.
Dans l'après-midi, après avoir pris congé des Ottos,
Lewis et Clark se remirent en route. Quatre jours plus tard,
Moses B. Reed, un des engagés, disparut. Comme La Liberté,
le Français envoyé au camp des Ottos, n'était toujours pas
revenu lui non plus, les capitaines, afin d'endiguer cette vague
de désertions, envoyèrent Drouillard avec trois hommes pour
qu'il ramène les fugitifs. Puis ils poursuivirent leur chemin
vers l'amont.
Lorsqu'ils passèrent devant la sépulture du chef Oiseau
Noir, le 11 août, les explorateurs surent qu'ils venaient
d'entrer sur le territoire des Omahas. Mais le village près
duquel ils accostèrent le 13 août se révéla désert, et lorsque, le
17, le groupe de Drouillard revint avec Reed, les Omahas ne
s'étaient toujours pas montrés.
Alors qu'il recherchait La Liberté, Drouillard était
retourné jusqu'au village des Ottos et ramenait avec lui, à
défaut du déserteur qui après avoir été repris s'était de
nouveau enfui, les principaux chefs de cette nation, Petit
Voleur et Grand Cheval. Ces derniers expliquèrent aux
capitaines quelles étaient les raisons du conflit qui les
opposait à leurs voisins et qu'ils leur avaient demandé de
régler.
Des Missouris avaient été tués en tentant de voler des
chevaux aux Omahas, et lorsque leurs amis avaient décidé de
les venger, l'incident avait pris les proportions d'une guerre
intertribale. À présent, les Ottos, pris en tenailles entre les
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Omahas et les Pawnees, leurs ennemis traditionnels,
regrettaient et ne voulaient plus que la paix.
Malheureusement, les Omahas ne se montrèrent pas et les
capitaines durent reprendre leur route sans avoir pu rétablir
une bonne entente entre les deux tribus.
Le 20 août, après avoir mis en terre le sergent Floyd,
qui venait de mourir d’une péritonite, et pris congé des Ottos,
ils mirent à la voile pour poursuivre la remontée du fleuve.
Durant les jours qui suivirent, leur déception de n'avoir pu
rencontrer les Omahas se mua peu à peu en inquiétude à l'idée
de devoir bientôt rencontrer – peut-être même affronter – les
Sioux, à propos de l'agressivité desquels ils avaient recueillis
de nombreux témoignages à Saint-Louis.
Le 27 août, à l'embouchure de la James River, trois
Indiens apparurent sur la rive. Se jetant à l'eau, l'un d'eux
gagna le bateau à la nage. C'était un jeune Omaha, mais ses
deux compagnons étaient des Sioux yanktons, et après avoir
accosté, les capitaines apprirent d'eux qu'une importante
bande de cette tribu campait en amont. Durion, leur interprète,
leur ayant assuré que les Yanktons n'étaient pas dangereux, ils
envoyèrent trois hommes, dont Durion lui-même, avec les
Sioux pour qu'ils transmettent à leur chef une invitation à
venir rencontrer l'expédition à Calumet Bluffs. Là, ils
attendirent les Sioux durant deux jours.
Enfin, le 29 août, soixante-dix guerriers en compagnie
de Durion et du sergent Pryor apparurent sur la rive sud, où ils
dressèrent leur camp. Le lendemain matin, les capitaines
envoyèrent une des pirogues pour permettre aux chefs de
traverser, en compagnie de l'interprète et de son fils qui se
trouvait justement avec les Yanktons. Après lui avoir expliqué
le but de leur expédition et lui avoir fait part de leur désir de
voir les tribus indiennes vivre en paix, ils remirent au chef
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Weucha, appelé Le Libérateur par les Français, les présents
réservés aux chefs importants, à savoir un drapeau, une
médaille, un certificat et un uniforme. Leur ayant fait
comprendre qu'il désirait d'autres présents pour son peuple,
Weucha leur promit de faire la paix avec les Omahas et les
Pawnees, et les chefs secondaires firent de même.
Le 1er septembre, ayant laissé Durion et son fils avec
les Yanktons, l'expédition reprit sa progression, louvoyant
entre les îles et les bancs de sable. Rassurés par leur première
rencontre avec les Sioux, Lewis et Clark s'attelèrent de
nouveau à l'étude de la faune et de la flore de la région
comprise entre le territoire des Yanktons et celui des Tetons –
la branche des Sioux contre laquelle ils avaient été le plus
vivement mis en garde.
Mais les Indiens n'étaient pas le seul danger qui
menaçait les voyageurs.
Le 20 septembre au soir, ils installèrent leur camp sur
un vaste banc de sable au milieu du fleuve, pour se mettre à
l'abri des Sioux qui pouvaient surgir à tout moment. Au milieu
de la nuit, le sergent de garde, au comble de l'inquiétude, vint
réveiller le capitaine Clark : le banc de sable était en train de
s'effondrer. Prenant conscience de l'urgence de la situation,
Clark fit remonter les hommes dans les canoës et le bateau.
De tous les côtés, le fleuve gagnait sur leur campement Avant
même qu'ils aient atteint la rive, la bande de terre sur laquelle
ils se trouvaient quelques minutes plus tôt disparut sous les
eaux tumultueuses du Missouri.
Un désastre qui aurait pu mettre fin à l'expédition venait
d'être évité de justesse.
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CHAPITRE IV
EN TERRITOIRE SIOUX
Trois jours après l’incident du banc de sable, trois
Indiens gagnèrent le bateau à la nage : trois Tetons venant
d'un village de cent-quarante tentes installé en amont. Les
capitaines les renvoyèrent à leur camp, porteurs de présents
pour leurs chefs et d'une invitation à venir les rencontrer le
jour suivant.
Mais le lendemain, seuls cinq Indiens se présentèrent, et
encore étaient-ils précédés par John Colter, parti chasser à
terre, et dont le cheval avait été volé par de jeunes guerriers.
Après avoir fait état de cet incident, les capitaines reçurent les
cinq Tetons aussi cordialement que possible, compte tenu de
la tension issue des craintes des explorateurs et de l'agressivité
des Sioux.
La véritable délégation teton arriva le lendemain, en
armes, avec à sa tête deux chefs rivaux, Bison Noir et Le
Partisan. D'emblée, les capitaines considérèrent Bison Noir
comme le chef principal, ce qui ne manqua pas d'exacerber la
mauvaise humeur du Partisan et des chefs secondaires qui se
trouvaient là. Rapidement, le ton monta, chacun trouvant les
présents qu'il avait reçus insuffisants.
Clark invita alors les chefs à visiter le bateau, espérant
ainsi améliorer la situation. Mais à peine leur avait-on servi un
quart de verre de whisky que les deux chefs vidèrent la
bouteille et se firent plus agressifs encore. Clark les
raccompagna lui-même à terre à bord d'une des pirogues, afin
de ne pas les offenser en les chassant ouvertement du bateau.
Dès qu'ils eurent pris pied sur la rive, des guerriers
encerclèrent Clark et Pierre Cruzatte, qui remplaçait Durion
en tant qu'interprète, cependant que d'autres se saisissaient de
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la corde attachée à la proue du canoë pour l'empêcher de
repartir. Clark sortit alors son sabre, Lewis fit épauler les
hommes à bord du bateau, les occupants de la pirogue
levèrent leurs fusils et les Tetons bandèrent leurs arcs.
Le Partisan hésita un instant, puis ordonna à ses
guerriers de lâcher la corde. Clark et Cruzatte, encerclés, ne
pouvaient regagner l'embarcation, mais le capitaine envoya
les hommes chercher des renforts auprès de Lewis, et la
pirogue revint bientôt avec à son bord douze engagés prêts à
combattre si nécessaire. Devant une telle détermination, les
Tetons battirent en retraite, et Clark et ses hommes
remontèrent sur l’embarcation sans encombre.
Durant les jours qui suivirent, leurs relations avec les
Sioux furent moins conflictuelles.
Lors de la première rencontre avec les explorateurs, les
Tetons avaient compris que ces hommes blancs n'étaient pas
les mêmes que les marchands qu'ils pouvaient voler à leur
guise, aussi se conduisirent-ils ensuite de manière plus
amicale. Ils fumèrent avec les capitaines, leur offrirent des
femmes – que les officiers refusèrent – et les accueillirent
dans leur village.
Cependant, une telle attitude n'était qu'une façade, et les
Sioux n'abandonnaient pas l'espoir de détrousser l'expédition
et même de l'empêcher de repartir, protégeant ainsi le
monopole du commerce avec les Blancs qu'ils détenaient dans
la région.
Heureusement, Lewis et Clark n'étaient pas dupes et
leurs soupçons furent encore renforcés par les informations
fournies par un prisonnier omaha : les Tetons n'avaient pas
l'intention de les laisser remonter plus en amont du fleuve.
Le 28 septembre, lorsqu'ils tentèrent de faire quitter le
bord à Bison Noir et au Partisan pour pouvoir repartir, les
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deux chefs résistèrent. Finalement, Le Partisan descendit à
terre, mais ses guerriers vinrent s'asseoir sur la corde qui
retenait le bateau à la berge. Ne cachant pas leur colère, les
capitaines menacèrent de tirer sur les braves s'ils ne reculaient
pas.
Bison Noir s'interposa, affirmant que ses guerriers
désiraient seulement du tabac. Les capitaines en donnèrent
une carotte au chef, qui accepta finalement de quitter le bateau
et ordonna à ses guerriers de le laisser libre. Sans perdre de
temps, les soldats mirent à la voile, s'éloignèrent de la rive et
commencèrent à remonter le courant. Mais ils n'en avaient pas
fini avec les Sioux.
Dans la journée, le chef Taureau Médecine apparut sur
la rive et leur dit que le seul responsable de l'incident qui
venait de se produire était Le Partisan et qu'ils voulaient la
paix, puis il disparut. Le lendemain, ce fut Le Partisan lui-
même qui suivit le bateau depuis la rive, offrant des squaws
aux capitaines en signe d'amitié ; de nouveau, ils les
refusèrent. Le chef ne rebroussa chemin qu'à la tombée du
jour.
Le 30 septembre, une importante troupe de Sioux les
observèrent un moment, ne se montrant ni très agressifs, ni
très amicaux. Trois jours plus tard, quelques chasseurs se
montrèrent, avant de disparaître comme ils étaient venus. Le 4
octobre, des guerriers surgirent sur la rive, et l'un d'eux tira en
avant du bateau. Puis ils mendièrent un peu de poudre, qu'ils
n'obtinrent pas, et repartirent.
Pendant trois jours encore, les explorateurs purent
observer les Tetons qui les suivaient sur la berge, réclamant
de temps à autre du tabac et de la nourriture. Une nourriture
qui d'ailleurs risquait de manquer bientôt à l'expédition si les
Indiens ne se faisaient pas moins menaçants et si des
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chasseurs ne pouvaient être débarqués à terre pour ramener de
la viande fraîche.
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CHAPITRE V
DIFFÉRENDS ET MANIGANCES
Finalement, les Sioux disparurent et les rives se
couvrirent des champs de maïs, de haricots et de pommes de
terre des Arikaras.
Le 8 octobre, les explorateurs aperçurent sur une île les
premiers membres de cette tribu, qui leur parurent beaucoup
plus amicaux que les Tetons qu'ils venaient de quitter. Le
lendemain, leurs principaux chefs, Kakawissassa, Pocasse et
Piahito rendirent visite aux capitaines, et acceptèrent de tenir
conseil le jour suivant.
Lewis et Clark leur tinrent le même discours qu'aux
Ottos et aux Sioux et leur remirent des présents, cependant
qu’ils se voyaient proposer des squaws, qu'ils refusèrent
comme à l'accoutumée, à la différence de York, le domestique
noir de Clark, qui ne se sentit pas le cœur de repousser les
gages d'affection que lui témoignaient les Indiennes.
Le 13 octobre, l'expédition quitta les Arikaras,
emmenant avec elle un chef et sa squaw, qui devaient les
guider jusqu'au territoire des Mandans.
Le 22 octobre, ils aperçurent un campement de Tetons
qu'ils supposèrent partis voler des chevaux aux Mandans : les
promesses de paix avaient été bien vite oubliées.
Deux jours plus tard, les capitaines s'arrêtèrent sur une
île où un chef mandan chassait avec quelques guerriers. Ils
fumèrent avec eux, et le chef arikara choisit de poursuivre sa
route en leur compagnie, ce qui conforta les capitaines dans
leur idée qu'il était possible d'établir une paix durable entre les
deux tribus.
Il leur fallut encore deux jours pour atteindre le premier
village mandan, jusqu'auquel ils furent escortés depuis la
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berge par de nombreux Indiens à cheval, venus assouvir leur
curiosité.
Une fois le Français René Jusseaume engagé comme
interprète, les capitaines rassemblèrent les principaux chefs
des Mandans, sous la conduite de Posecopsahe, ainsi qu'un
vieux chef minnetaree venu d'un village voisin situé sur la
Knife River. Ayant expliqué le but de leur voyage et distribué
les présents appropriés, ils insistèrent sur leur désir de voir
une paix durable s'établir entre les différentes tribus – le chef
arikara était toujours présent, et Caltahcota, le chef
minnetaree, leur avait fait part de ses craintes envers les
Shoshones.
Leurs efforts semblèrent porter leurs fruits deux jours
plus tard : Posecopsahe leur promit d'envoyer une délégation
chez les Arikaras pour fumer le calumet. Satisfaits de ce
succès, les explorateurs reportèrent leur attention sur
l'établissement de leur camp d'hiver à proximité du village
mandan.
Il leur fallut jusqu'au 20 novembre, trois semaines de
travail acharné, pour construire deux rangées de cabanes et
une palissade qu'ils baptisèrent Fort Mandan. L'ensemble
constituait une position aisément défendable contre
d'éventuels assaillants, et fit une forte impression sur les
Indiens et les trappeurs de passage. Pendant les travaux, un
Français du nom de Jean-Baptiste Charbonneau, accompagné
de ses deux squaws, se présenta aux capitaines dans l'intention
de se faire engager comme interprète. De nombreux Indiens
minnetarees l'accompagnaient.
Les Mandans les virent arriver avec méfiance. Durant
l'été, un Français ayant longtemps séjourné chez eux avait été
tué, et les Minnetarees, ainsi que les Sioux et les Assiniboins,
étaient impliqués de manière plus ou moins directe dans le
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meurtre. Si de tels différends étaient habituels, ils portaient
rarement à conséquences.
Les Minnetarees – également appelés Hidatsas – et les
Mandans étaient deux tribus si proches que dans le
gigantesque village de Metahaita cohabitaient paisiblement 2
500 Hidatsas et 1500 Mandans, sous la conduite du chef One
Eye, que les Français appelaient également Le Borgne.
Charbonneau et ses épouses venaient de ce village. Le
fait que sa plus jeune femme, Sacajawea, soit une Shoshone
joua autant en sa faveur que sa connaissance de la langue des
Minnetarees, auxquels il avait acheté ses femmes. La
traversée du territoire des Shoshones était un des obstacles
que l'expédition aurait à franchir au printemps, et Lewis et
Clark réalisaient que la présence de Sacajawea leur faciliterait
les choses.
Mais les Indiens et la nature hostile ne seraient pas les
seules barrières qui se dresseraient devant eux, et ils le
savaient.
Le 1er novembre, ils avaient confié à Hugh McCracken,
un trappeur de la North West Company, une lettre très
habilement tournée, adressée à Charles Chaboillez, visant à
s'assurer que les gens de la principale compagnie anglaise ne
leur feraient pas d'ennuis. Le 27 novembre, trois trappeurs de
cette compagnie arrivèrent à Fort Mandan, précédés par les
rumeurs qu'ils avaient fait courir sur une imaginaire alliance
entre les Sioux et les Américains contre les Mandans et les
Hidatsas.
Comme par hasard, Larocque, l'agent de la compagnie
pour ce secteur se trouvait dans les environs. Lewis l'avait
rencontré quelques jours plus tôt lors d'une reconnaissance.
Les capitaines lui firent comprendre qu'ils prendraient
rapidement ombrage de ses agissements s'il s'entêtait à essayer
28
de leur mettre les Indiens à dos.
Ils exprimèrent également aux Mandans et aux
Minnetarees leurs regrets de les voir se montrer trop amicaux
avec les trafiquants canadiens.
Larocque affirma qu'il ne cherchait nullement à nuire
aux Américains, puis s'en alla, emmenant son équipe de
marchands avec lui. Trois jours plus tard, un Mandan vint
trouver les capitaines et leur expliqua que des chasseurs de sa
tribu avaient été attaqués par un parti de guerriers sioux et
arikaras. Un homme avait été tué, deux autres blessés.
Lewis rassembla en hâte vingt-trois hommes et les
interprètes, puis se rendit avec sa troupe dans le village
mandan, offrant de prendre la tête d'une expédition punitive si
les Mandans et les Hidatsas unissaient leurs forces. Mais
l'épaisseur de la neige, le froid et le fait que les Arikaras,
malgré leurs promesses de paix, se soient joints aux Sioux
pour les attaquer, eurent vite raison du désir de vengeance des
Indiens et Lewis et ses hommes regagnèrent le fort à la nuit.
29
30
31
CHAPITRE VI
HIVERNAGE CHEZ LES MANDANS
La trêve que les Américains avaient espérée durable
entre les Mandans et leurs voisins du sud était brisée, moins
d'un mois après que des chefs des deux nations eussent fumé
le calumet de la paix.
Néanmoins, les capitaines plaidèrent de nouveau en
faveur de la paix lorsque six Cheyennes rendirent visite aux
Mandans début décembre pour leur proposer de fumer avec
eux.
Le 7 décembre, le chef Sheheke vint chercher Lewis et
l'invita à se joindre à ses guerriers qui partaient chasser le
bison non loin du village. Lorsque le capitaine arriva sur les
lieux avec quinze hommes, les Mandans avaient déjà
commencé la chasse, chevauchant au milieu des bisons sur
leurs rapides coursiers et décochant leurs flèches avec
précision.
Les explorateurs ne se firent pas prier pour se joindre au
massacre, qui se poursuivit durant trois jours. Mais le 11
décembre, le froid intense, davantage que le manque de gibier,
mit fin à la partie de chasse. En revenant au fort, plusieurs des
hommes avaient les extrémités gelées. Cependant, l'exaltation
de cette chasse était telle que plusieurs repartirent trois jours
plus tard à la recherche des bisons. Mais les animaux avaient
déserté les rives du fleuve et Lewis et ses chasseurs revinrent
bredouilles.
Le lendemain de leur retour, Hugh Heney, un employé
de la North West Company, arriva avec deux autres trappeurs,
porteur d'une lettre de Charles Chaboillez, qui leur proposait
de les aider dans la mesure du possible dans la poursuite de
leur voyage.
32
Durant deux jours, les capitaines mirent à profit les
connaissances d'Heney, l'interrogeant sur les régions qu'ils
traverseraient et les Indiens qu'ils rencontreraient. Le 18
décembre, après avoir répondu de bonne grâce à leurs
questions et avoir recueilli quelques informations sur la
cession de la Louisiane aux États-Unis par Napoléon, Heney
repartit vers le nord avec ses compagnons.
L'année 1804 se termina sans autre événement
marquant que d'abondantes chutes de neige et le retour d'un
parti de guerriers minnetarees partis voler des chevaux aux
Assiniboins dans leur village de la Mouse River, et 1805
commença dans l'allégresse, les hommes profitant largement
de la générosité des Mandans ainsi que de celle de leurs
femmes. Néanmoins, la nature studieuse des capitaines reprit
rapidement le pas sur les manifestations d'extravagance du
Jour de l'An.
Le 5 janvier, Clark entreprit d'établir une carte de la
région, avec l'aide de Sheheke et des informations recueillies
depuis deux mois. Quatre jours plus tard, les bisons refirent
leur apparition et la plupart des hommes participèrent à la
chasse, malgré le froid qui continuait à leur occasionner bien
des tourments, tout comme aux Mandans.
Le 13 janvier, Charbonneau et un autre homme
revinrent à demi gelés du camp des Minnetarees près de
Turtle Mountain et annoncèrent aux capitaines qu'un
marchand de l'Hudson Bay Company tentait de monter la tête
à One Eye contre les Américains. Le Borgne se laissait
convaincre d'autant plus facilement que les Mandans, désireux
de garder le monopole du troc avec l'expédition, avaient
affirmé aux Hidatsas que les Américains les tueraient s'ils
venaient au fort.
Le 16 janvier, les capitaines déjouèrent habilement ces
33
manigances en recevant avec de grands égards une délégation
d'Hidatsas et en plaidant de nouveau en faveur de la paix, non
seulement entre les Mandans et les Hidatsas, mais également
entre ces deux tribus et leurs voisins de l'ouest, les Shoshones,
que le chef Kagohami projetait d'attaquer au printemps – ce
qui risquait de mettre en danger l'expédition américaine ou au
moins de la priver de l’aide des Snakes, ou Serpents, le nom
donné aux Shoshones par les Blancs.
Durant les semaines qui suivirent, les Américains
s'employèrent à maintenir la paix entre les Mandans et les
Sioux, empêchant le chef Maubuk-sheahokeah de partir en
guerre contre cette tribu, et à user de diplomatie avec les
envoyés de la North West Company qui cherchaient d'une
façon ou d'une autre à être partie prenante dans l'expédition,
dont ils pressentaient l'importance capitale dans l'avenir de la
conquête du continent.
Pendant que Larocque et Mackenzie, son adjoint,
redoublaient d'efforts pour prendre part à la suite du voyage,
Lewis et Clark, désireux de préserver la souveraineté
américaine, se firent de plus en plus fermes : c'était seuls
qu'ils repartiraient vers l'ouest au printemps. Les agents de la
compagnie n'insistèrent pas davantage, mais restèrent
néanmoins dans les parages, espérant sans doute voir les
capitaines changer d'avis lorsque l'heure du départ se
rapprocherait.
Le 11 février, l'expédition accueillit un nouveau
membre : Sacajawea, la plus jeune épouse de Charbonneau,
mit au monde un garçon qui reçut le prénom de son père,
Jean-Baptiste, mais fut rapidement surnommé Pomp par les
Américains. Clark, qui ne tarda pas à concevoir pour l'enfant
une profonde affection, devint son parrain, et Pomp devint la
mascotte de l'expédition.
34
35
CHAPITRE VII
LE VOYAGE REPREND
Malgré la rudesse de l'hiver, la rareté du gibier et
l’amenuisement de leurs réserves de viande, les capitaines ne
perdaient pas de vue leur mission première : traverser le
continent jusqu'au Pacifique et découvrir une voie navigable
depuis Saint-Louis jusqu'à cet océan. Rien n'était plus
indispensable pour la réussite de cette entreprise que de
préserver les embarcations des glaces.
Le 26 février, après des semaines d'efforts et plusieurs
tentatives infructueuses, ils parvinrent finalement à tirer les
pirogues et surtout le bateau sur la berge. Les difficultés qu'ils
éprouvèrent à manier ce dernier et la perspective des portages
qu'ils auraient à effectuer achevèrent de les convaincre que les
canoës des indiens étaient plus appropriés à la navigation sur
le Missouri. Aussi entreprirent-ils de construire de telles
embarcations pour être prêts à repartir dès que le dégel le leur
permettrait.
Il leur fallut un mois entier pour achever cette tâche.
Dans le même temps, Clark dressa avec l'aide des
Indiens et des trappeurs de la North West Company une carte
de la région qui s'étendait devant eux, jusqu'au cœur des
Rocheuses et à la frontière canadienne, repérant les cours
d'eaux et les territoires des principales tribus qu'ils
rencontreraient – Cheyennes, Assiniboins, Pieds-Noirs,
Shoshones, Têtes-Plates et Corbeaux.
Début avril, lorsque les pirogues furent prêtes et le
fleuve presque totalement libre des blocs de glace qui l'avaient
encombré jusque-là, les capitaines emballèrent soigneusement
les spécimens et les échantillons recueillis depuis une année,
ainsi que la première partie du journal de Clark, puis les firent
36
charger à bord du grand bateau. Alourdi par plus de cinquante
caisses, cages et tonneaux, ce dernier, avec quinze hommes à
son bord, repartit vers Saint-Louis le 7 avril, emportant les
dernières nouvelles de l'expédition que le monde civilisé
aurait avant longtemps.
Le même jour, les capitaines, qui prévoyaient dans une
lettre adressée au président Jefferson être de retour avant
l'hiver, recommencèrent à remonter le Missouri avec leur
flottille de huit canoës et les vingt-huit hommes qui leur
restaient, l'interprète Charbonneau, sa femme Sacajawea et
leur fils Pomp.
La région comprise entre les villages mandans et
l'embouchure de la Yellowstone se révéla une source
constante d'émerveillement pour les chasseurs. Les troupeaux
de bisons, d'antilopes et d'élans y abondaient, ainsi que les
castors, qui n'avaient jamais été chassés aussi loin en amont.
Pour les capitaines, elle fut aussi cause d'inquiétude lorsque le
vent se mit à souffler si fort qu'il leur fut impossible de
continuer à avancer et lorsque la rive s'effondra, manquant de
couler une des pirogues.
Les Minnetarees et les Assiniboins que les explorateurs
rencontrèrent se montrèrent pacifiques, mais ils ne
s'attardèrent pas dans leurs campements : ils luttaient à présent
contre un ennemi implacable, le temps.
Le 25 avril, ils atteignirent enfin l'embouchure de la
Yellowstone. Voyant en cet endroit le site idéal pour un
comptoir commercial, ils explorèrent les abords de la pointe
nord du Lac Sakakawea avant de poursuivre leur route.
Le 5 mai, près de la Milk River, Clark et Drouillard
virent pour la première fois l'animal qui allait devenir la
hantise des hommes de l'expédition : le grizzly. Il leur fallut
dix-sept balles pour venir à bout de la bête qui, mortellement
37
blessée, traversa la moitié du fleuve à la nage avant de se
laisser mourir sur un banc de sable. Ajoutée aux récits des
Indiens, une telle résistance finit de convaincre les
explorateurs que le grizzly constituait une menace aussi
dangereuse que d'éventuels guerriers hostiles.
Le 11 mai, William Bratton, parti chasser, fut poursuivi
jusqu'au camp par un de ces animaux, même après qu'il lui eût
perforé les poumons d'une balle tirée à faible distance. Trois
jours plus tard, un grand ours brun força quatre hommes à se
réfugier au milieu du fleuve, à bord d'un canoë. Pour échapper
à la fureur du même animal, deux autres durent se jeter à l'eau
après s'être débarrassé à la hâte de leur équipement, plongeant
d'une hauteur de sept mètres.
Le même jour, une des pirogues avait failli couler. Le
désastre fut évité de justesse, mais tous les médicaments
qu'elle contenait furent perdus.
Le 20 mai, l'expédition dépassa l'embouchure de la
Musselshell River.
Six jours plus tard, les capitaines, depuis le sommet
d'une colline, aperçurent au loin les cimes enneigées et les
crêtes déchiquetées des Montagnes Rocheuses. C'était là que
le Missouri prenait sa source. C'était de là également que la
Columbia s'élançait vers le Pacifique. Et c'était là qu'ils
espéraient rencontrer les Shoshones, le peuple de Sacajawea,
dont ils comptaient obtenir les chevaux indispensables à la
poursuite de leur voyage. Mais les seules traces des Indiens
qu'ils avaient vues depuis plusieurs semaines étaient des
campements abandonnés et des cabanes en ruines.
Le 3 juin, ils furent confrontés à un cruel dilemme : le
fleuve se séparait en deux bras, sans qu'il fût possible de
définir à coup sûr lequel était le véritable Missouri. Lewis
partit explorer la branche nord, qu'il remonta pendant deux
38
jours, avant de la baptiser Maria's River, ne la considérant pas
comme le bras principal du fleuve. Finalement, après bien des
hésitations et malgré l'avis contraire des hommes, ils
décidèrent que la branche sud, qui avait été explorée par
Clark, était celle qu'il leur fallait suivre.
Ils abandonnèrent dans des caches une des pirogues
ainsi que les marchandises et provisions qui ne leur
semblaient pas indispensables, puis reprirent leur progression.
Clark en canoë, avec le gros de la troupe, et Lewis à pied, à la
tête d'un petit groupe, avec pour mission de reconnaître au
plus vite les Grandes Chutes du Missouri, s'assurant ainsi
qu'ils avançaient dans la bonne direction.
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CHAPITRE VIII
AU-DELÀ DES GRANDES CHUTES
Le 13 juin, après deux jours de marche, les membres du
groupe de Lewis furent avertis par un bruit sourd et un
brouillard d'écume aperçu dans le lointain qu'ils touchaient au
but. Dans l'après-midi, ils atteignirent les Grandes Chutes.
Lewis coucha sur le papier une description émerveillée
du spectacle qui s'offrait à lui, commença une lettre qu'il
voulait faire parvenir à Clark, puis s'arrêta, réalisant que la
beauté du site n'avait d'égal que la difficulté qu'ils allaient
avoir à effectuer le portage de leurs pirogues en amont des
chutes.
L'exploration plus approfondie, ponctuée de
nombreuses péripéties, à laquelle il se livra le lendemain, finit
de le convaincre que le transport des embarcations par voie de
terre serait un calvaire : les abords du fleuve n'étaient que
falaises abruptes, sentiers sinueux jonchés de pierres
tranchantes comme des lames de rasoirs ou berges boueuses
menaçant sans cesse de s'effondrer. Lorsque Clark arriva deux
jours plus tard, tous les hommes s'attelèrent à la fabrication
d'un chariot rudimentaire destiné à rendre leur tâche moins
ardue. Dès que ce travail eut été accompli et qu'ils eurent
dissimulé dans un bosquet la pirogue blanche, à laquelle ils
comptaient substituer l'embarcation expérimentale de Lewis,
le portage commença.
Les capitaines divisèrent leurs hommes en plusieurs
équipes, certains s'affairant à l’assemblage de l'Experiment,
qui ne put finalement être utilisé, d'autres au transport des
canoës et des bagages, et d'autres enfin à la chasse.
Du camp de Portage Creek, situé en aval des chutes, au
camp de Willow Run, situé en amont, s'étendaient dix-huit
42
milles d'une piste difficile, couverte de cactus et de roches aux
arêtes coupantes, qui contraignirent les hommes à doubler
l'épaisseur des semelles de leurs mocassins pour se protéger.
Ils ne trouvèrent en revanche aucune parade contre les
moustiques qui accompagnaient les troupeaux de bisons et
durent subir leurs assauts répétés.
Les essieux du chariot rudimentaire se brisèrent à
plusieurs reprises, et le 29 juin, une averse de grêle d'une rare
violence, accompagnée de rafales de vent dévastatrices,
s'abattit sur la plaine, mettant en péril l'équipe qui effectuait le
portage ce jour-là. Le même jour, une crue soudaine faillit
noyer le capitaine Clark, qui sauva sa vie mais perdit tout
l'équipement qu'il portait – ses armes et, beaucoup plus grave,
le compas. Heureusement, ce dernier fut retrouvé plus tard
dans la boue de la berge.
Finalement, après vingt-quatre jours d'enfer, le « Grand
Portage », nom sous lequel il entrerait bientôt dans l’Histoire
et la légende, fut achevé.
Le 15 juillet, l'expédition se remit en route, se divisant
de nouveau en deux groupes, comme lors de la recherche des
chutes. Lewis resta avec les canoës et le gros de la troupe,
franchissant tantôt des rapides tumultueux, tantôt des étendues
d'eau presque stagnante ; Clark remonta le fleuve par voie de
terre, ses hommes s'épuisant sur un terrain difficile couvert de
figuiers de Barbarie, dont les épines perçaient les semelles des
mocassins et les jambières de cuir.
Peu à peu, ils s'enfonçaient vers le cœur des Montagnes
Rocheuses et du territoire des Shoshones. S'ils ne craignaient
pas ces Indiens grâce à la présence de Sacajawea, les
difficultés qu'ils éprouvèrent à les rencontrer ne furent pas
sans leur procurer de profondes inquiétudes. Dès le 16 juillet,
ils découvrirent des traces du passage des Shoshones. Durant
43
les semaines qui suivirent, ils dépassèrent plusieurs
campements abandonnés, mais les Indiens demeurèrent
invisibles.
Le 27 juillet, ils atteignirent finalement les Trois
Fourches du Missouri et décidèrent de s'y arrêter quelques
jours pour en étudier la géographie et permettre à Clark,
épuisé et souffrant d’une fièvre, de reprendre des forces. Les
diverses reconnaissances qu'effectua Lewis ne firent
qu'accroître l'inquiétude des capitaines : la région était la
moins giboyeuse et la moins boisée qu'ils eussent traversée
jusqu'à ce jour. S'ils ne trouvaient pas les Shoshones, dont ils
espéraient obtenir les chevaux nécessaires à la poursuite de
l'expédition, leur situation risquait de devenir critique.
Le 2 août, ils reprirent leur progression, Lewis avançant
en tête par voie de terre et Clark suivant avec les canoës. Le
lendemain, Clark découvrit sur la rive une empreinte récente
de mocassin indien : un Shoshone les avait observés, mais il
avait pris la fuite. Le 6 août, la crainte de ne pouvoir établir le
contact avec la tribu de Sacajawea fut reléguée au second plan
par le passage de rapides qui faillirent coûter la vie à l'un des
hommes et trois pirogues à l'expédition.
La profondeur et la largeur du fleuve ne cessaient de
diminuer, et les capitaines se rendaient compte qu'il allait
bientôt devenir impossible d'y naviguer.
Le 8 août, Sacajawea reconnut sur la rive une
configuration rocheuse que son peuple appelait Beaver Head –
la Tête de Castor. Elle confirma que la source du Missouri
était proche, et leur assura qu'ils y rencontreraient sans doute
les siens.
Fort de cette information, Lewis décida de pousser plus
en avant avec quelques hommes. Le lendemain, il découvrit
une piste indienne qu'il suivit durant deux jours. Lorsqu'elle
44
disparut, il obliqua vers le fleuve dans l'espoir de couper une
autre piste. Surgit alors à deux milles de distance un Shoshone
à cheval, qui s'arrêta au sommet d'une colline.
Le capitaine avança dans sa direction en lui adressant
des signes de paix, mais, alors qu'il n'était plus qu'à quelques
dizaines de mètres de lui, l'Indien, effrayé par Drouillard et
Shields qui convergeaient eux aussi dans sa direction, s'enfuit
à bride abattue.
Lewis décida alors de suivre sa piste, mais la perdit
après qu'une averse eût effacé les traces laissées par le cheval.
Cependant, un peu plus loin, ils découvrirent une nouvelle
piste, qu'ils suivirent durant deux jours. Le 12 août, ils
atteignirent la source du Missouri et le Great Divide, la Ligne
de Partage des Eaux, ce qui causa la plus grande émotion tant
au capitaine qu'à ses hommes : la première partie de leur
mission était accomplie.
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CHAPITRE IX
LE PARTAGE DES EAUX
Le lendemain de leur arrivée au Partage des Eaux, ils
aperçurent trois Indiennes qui s'enfuirent dès que Lewis tenta
d'approcher, mais furent finalement rejointes. Le capitaine
leur offrit quelques menus présents et parvint à obtenir
qu'elles les mènent à leur village.
A peine avaient-ils franchi deux milles dans cette
direction que soixante guerriers en armes surgirent devant
eux. Lewis distribua des cadeaux à quelques hommes, puis
donna un drapeau au chef, Cameahwait, en lui expliquant qu'il
symbolisait la paix entre les Américains et la nation shoshone.
Puis ils se remirent en route et arrivèrent enfin au village, où
une hutte spéciale avait été construite à la hâte pour recevoir
les hommes blancs.
Ils fumèrent le calumet, pendant que Lewis expliquait à
Cameahwait le but de l'expédition, et que le chef lui faisait
part des démêlés de son peuple avec les Minnetarees de Fort
de Prairie, qui expliquaient la méfiance des Shoshones envers
les explorateurs, qu'ils avaient pris pour leurs ennemis. Fort
heureusement, leurs doutes furent rapidement balayés, et ils se
montrèrent si amicaux que Lewis décida d'attendre Clark dans
leur village.
Pendant ce temps, Clark et le reste de la troupe luttaient
contre le Missouri qui n'était pas prêt à livrer ses derniers
milles sans combattre. Les hauts-fonds, les rapides, les roches
aux arêtes acérées, les berges infestées de serpents à sonnettes
– Clark faillit être mordu à deux reprises – étaient autant
d'obstacles qui rendaient la progression des hommes et des
canoës des plus difficiles.
Le 15 août, conscient des difficultés que devait
47
rencontrer Clark, Lewis quitta le village shoshone avec ses
hommes, le chef Cameahwait et un parti de chasseurs, et
suivit le fleuve vers l'aval, à la recherche de gibier et surtout
du reste de l'expédition.
Deux jours plus tard, Clark ne se montrant toujours pas,
Lewis envoya Drouillard en reconnaissance avec un
Shoshone, et les deux hommes revinrent bientôt avec des
nouvelles qui causèrent un grand soulagement à Lewis : Clark
et les canoës arrivaient.
Dans l'après-midi, Sacajawea, Charbonneau et le
capitaine Clark apparurent sur la berge. Une Indienne qui
accompagnait les chasseurs reconnut en la jeune femme une
amie d'enfance et une ancienne compagne de captivité, et sa
présence acheva de convaincre les Shoshones des intentions
amicales des Blancs.
Sans perdre de temps, les capitaines organisèrent un
conseil durant lequel Sacajawea fit office d'interprète. Ils
expliquèrent à Cameahwait que s'il les aidait en leur procurant
des chevaux pour atteindre la Columbia, ils lui fourniraient en
retour des fusils et de la poudre pour combattre ses ennemis
minnetarees. Ayant constaté que Lewis tenait ses promesses,
le chef accepta d'échanger les montures nécessaires au
transport des hommes et des bagages au-delà du Partage des
Eaux, jusqu'au fleuve Columbia.
Pendant que Lewis s'affairait à la confection de selles
de bât et de harnais, Clark partit avec onze hommes,
Charbonneau, Sacajawea et les Shoshones en direction de leur
camp principal, sur une des branches du Columbia, afin d'y
acquérir des chevaux et de rechercher le bois nécessaire à la
construction de nouveaux canoës.
Deux jours plus tard, il atteignit le village et obtint du
chef local des informations qui suffirent à le persuader que la
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descente vers le Pacifique ne serait pas aussi facile qu'ils
l'avaient escompté. Aucune des rivières qui d'après les
Shoshones se jetaient dans le Lac Puant – l'océan – ne coulait
dans la direction voulue. Par ailleurs, lui dit également le chef,
la région qu'ils auraient à traverser n'était guère giboyeuse et
abritait des tribus hostiles qui avaient pour habitude de
détrousser les voyageurs.
Cependant, le 21 août, laissant derrière eux
Charbonneau, Sacajawea et Cruzatte, chargés d'acheter les
chevaux, ils poursuivirent leur route vers l'ouest avec un guide
shoshone. Remplaçant les clous par des lanières de cuir et les
planches par les pales des avirons, Lewis et son groupe
parvinrent à terminer la construction des selles de bât.
Le 24 août, après avoir laissé une partie de ses bagages
dans une cache et eu bien du mal à acquérir les chevaux
promis par les Shoshones, l'expédition se remit en route en
compagnie des Indiens, à la grande satisfaction de Lewis.
Six milles seulement furent couverts le premier jour de
voyage, mais cependant, deux jours plus tard, l'expédition
franchit le Partage des Eaux par la passe de Lemhi, suivant la
piste empruntée par Lewis quelques jours plus tôt. Puis ils
poursuivirent leur route vers l'ouest pour rejoindre Clark.
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CHAPITRE X
DES PRÉCIEUX ALLIÉS
Après avoir quitté le village shoshone, Clark s'était
heurté aux difficultés décrites par le chef : des montagnes aux
pentes abruptes, des sentiers jonchés de pierres aux arêtes
tranchantes, pas de gibier et des berges glissantes et
encaissées. Et pas de bois pour construire des canoës.
Le 24 août, épuisés et à court de vivres, Clark et ses
hommes firent demi-tour, après que l’officier eut dépêché
Colter à cheval pour qu'il fasse part à Lewis des possibilités
qui s'offraient à deux : tenter de gagner par voie de terre une
portion navigable du Columbia ou se séparer en deux groupes,
l'un à cheval, l'autre en canoë.
Colter atteignit le village shoshone le 26 août, peu de
temps avant Lewis. Averti par le messager de l'impossibilité
de descendre la rivière, le capitaine redoubla d'efforts pour
acquérir des chevaux, jusqu'au retour de Clark, trois jours plus
tard.
Après s'être concertés, les deux hommes décidèrent que
le mieux pour l'expédition était de traverser les Monts
Bitterroot en suivant la piste de Lolo jusqu'au Columbia.
Ils se mirent en route le 30 août, progressant sur le flanc
des montagnes et le long des crêtes, suivant la piste ancestrale
des Nez-Percés. Comme ils s'y attendaient, le gibier était rare
et le froid intense. À la pluie des premiers jours vinrent
bientôt se substituer le gel et la neige.
Le 4 septembre, ils atteignirent un camp d'Indiens têtes-
plates auxquels ils achetèrent des chevaux supplémentaires.
Après être restés deux jours dans ce village, ils repartirent,
suivant la rivière lorsqu'ils le pouvaient, mais étant le plus
souvent contraints de progresser le long des pentes glissantes.
51
Retardés par les chutes des chevaux, tenaillés par la faim, ils
atteignirent la rivière Lochsa le 14 septembre, après avoir
franchi le col de Lolo et ses sources chaudes.
Le 18 septembre, Clark partit en avant avec quelques
hommes, espérant qu'un détachement moins important serait
plus à même de débusquer le rare gibier de la région. Le
lendemain, il abattit un cheval dans une petite vallée et le
laissa suspendu à une branche pour le gros de la troupe.
Le jour suivant, après avoir franchi la dernière crête des
Monts Bitterroot, il pénétra dans une plaine plantée de pins,
qui marquait le début du territoire des Nez-Percés. Le même
jour, le chef Bras Brisé les accueillit cordialement dans son
village où ils purent se restaurer et se reposer à leur guise.
Il fallut encore deux jours d'efforts et de privations au
groupe de Lewis pour atteindre le village de Bras Brisé, dont
le chef principal, parti pêcher lorsque Clark était arrivé, était
revenu et se nommait Chevelure Emmêlée. Les informations
qu'il leur fournit convainquirent les capitaines qu'en
descendant la rivière Snake, sur laquelle ils se trouvaient
justement, ils atteindraient le Columbia.
Le 25 septembre, Clark et Chevelure Emmêlée partirent
à la recherche de troncs convenant à la construction de
pirogues. Sur la rive sud, alors qu'ils revenaient vers le camp,
ils trouvèrent dans un bois de pins les arbres qu'ils
cherchaient.
Le lendemain, l'expédition établit son camp dans le
bosquet, à pied d'œuvre pour la confection des embarcations.
Les travaux commencèrent le jour suivant et se poursuivirent
jusqu'au 5 octobre, date à laquelle le dernier canot fut achevé.
Il fallut encore deux jours aux membres de l'expédition pour
dissimuler les selles dans une cache et marquer au fer leurs
chevaux, dont les Nez-Percés avaient accepté la garde
52
jusqu'au printemps.
Enfin, le 7 octobre, ils mirent les pirogues à l'eau, les
chargèrent et entreprirent de descendre la Snake en direction
du Columbia – et du Pacifique.
Dès le premier jour de voyage, les rapides qui allaient
être leur lot jusqu'au Columbia firent leur apparition. Souvent,
un canot manquait de chavirer, ou un autre embarquait tant
d'eau qu'il semblait près de couler, mais aucun désastre de ce
genre ne se produisit.
Bientôt, les capitaines se rendirent compte qu'ils
progressaient plus rapidement que dans la première partie de
leur voyage : d'une part, ils avaient le courant avec eux et
d'autre part, ils ne s'arrêtaient plus pour chasser. Lorsqu'ils
furent las d'un régime composé essentiellement de saumon,
les hommes commencèrent à acheter aux Indiens des chiens,
ce qui ne leur valut guère d'estime de la part des Nez-Percés,
mais leur permit d'en finir avec les problèmes digestifs que
leur occasionnait l'excès de poisson.
Le 16 octobre, ils atteignirent le confluent du Columbia
et de la Snake. Enfin, ils avaient atteint le fleuve qui devait les
conduire jusqu'aux eaux du Pacifique.
53
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CHAPITRE XI
OCÉAN PACIFIQUE ET INDIENS BELLIQUEUX
Clark explora la Snake sur dix milles le 17 octobre, et le
lendemain, l’expédition entreprit la descente du Columbia,
dont les premiers rapides s'avérèrent aussi dangereux que
ceux de la Snake. Ils progressèrent rapidement jusqu'au 22
octobre, ne s'arrêtant que pour acheter des saumons, des
chiens et des racines aux Indiens wallulas, cayuses et
umatillas campés sur les rives du cours d'eau.
Mais une nouvelle barrière naturelle se dressa bientôt
devant eux : les Grandes Chutes du fleuve Columbia. Après
avoir effectué une reconnaissance avec l'aide d'un vieil Indien,
les capitaines décidèrent d'effectuer le portage sur la rive sud.
Durant quatre jours, ils affrontèrent rapides et
tourbillons, portèrent sur la berge tantôt leurs bagages, tantôt
leurs canots et guettèrent avec anxiété l'approche des Indiens
itaxluits, dont les Wallulas leur avaient dit de se méfier. Mais
cette tribu se montra amicale et le 29 octobre, l'expédition
quitta son territoire sans coup férir.
Après avoir dépassé une île appelée par les Indiens
Memaloose Alahee – le Pays des Morts – ils furent ralentis
par de nouvelles chutes, au pied desquelles se dressait un
autre cimetière indien. Le 3 novembre, enfin, ils franchirent
les derniers rapides et quittèrent cette région funeste.
Quatre jours plus tard, le 7 novembre, ils dressèrent leur
camp au pied d'une colline après avoir dépassé un vaste
village chinook. Depuis plusieurs jours, ils avaient tous
observé des signes évidents de la proximité de l'océan – les
vestes et pantalons de marins portés par quelques Indiens, le
flux et le reflux qui affectaient le fleuve – mais il régna sur le
bivouac ce soir-là une joie inhabituelle car, après dix-huit
55
mois de voyage, dans les dernières lueurs du crépuscule, il
leur avait été donné d'apercevoir le Pacifique.
Après avoir dormi, bercés par le grondement lointain
des vagues, ils reprirent leur progression le lendemain.
Mais cet océan si proche à présent et si longtemps
convoité se transforma bientôt en ennemi : la violence du
vent, de la pluie et des vagues les contraignirent à n'avancer
que d'un ou deux milles à la fois, profitant des courtes
accalmies offertes par la tempête pour démonter un
campement et en remonter un autre un peu plus loin.
Les Indiens eux-mêmes, qui n'avaient fait aucun
problème depuis que l'expédition avait quitté le territoire des
Sioux, devinrent moins amicaux. Les tribus de l'embouchure
du Columbia avaient la néfaste habitude de voler tout ce qui
pouvait l'être, ce qui occasionna d'extrêmes tensions entre eux
et les membres de l'expédition. À plusieurs reprises, Colter,
Shannon et Willard durent faire mine d'utiliser leurs armes
pour préserver leurs biens et même leurs vies.
Cependant, le 16 novembre, en dépit des éléments
déchaînés et des indigènes, l'expédition pénétra dans la Baie
de Haley et atteignit les eaux salées du Pacifique.
Après avoir dressé, à l'aide de planches prises dans un
village indien abandonné, un campement un peu plus
confortable que leurs bivouacs habituels, les capitaines
entreprirent d'explorer la côte pour trouver un endroit où
dresser leurs quartiers d'hiver.
Leurs rencontres avec les Clatsops et Cathlamahs qui
peuplaient la région eurent tôt fait de leur apprendre que ces
Indiens ne possédaient pas les qualités, qu'elles soient morales
ou physiques, de ceux qu'ils avaient rencontrés jusque-là.
Peut-être le jugement des capitaines était-il faussé par le fait
qu'ils avaient quitté le monde blanc depuis un an et demi et
56
qu'ils avaient tendance à l'idéaliser, ou bien peut-être que l'état
d'extrême pauvreté dans lequel se trouvaient les Clatsops les
contraignaient à se montrer malhonnêtes en affaires et à voler
ce qu'ils ne pouvaient obtenir par le troc. Toujours est-il que
dès l'arrivée de l'expédition sur la côte, ses relations avec les
Indiens furent tendues.
Le 5 décembre, après une expédition de chasse
harassante, Lewis revint au campement avec une bonne
nouvelle : il avait trouvé un site idéal pour l'établissement de
leur camp d'hiver. Une bande de terre giboyeuse, une source
d'eau douce, du bois en quantité, un endroit pour faire du sel
et un poste de guet pour observer l'océan. Dès que le temps le
leur permit, les capitaines déplacèrent leur campement et
entreprirent la construction du camp palissadé qui allait
devenir Fort Clatsop.
Durant les dernières semaines de l'année 1805, sans
cesse trempés par les averses continuelles de pluie et de grêle,
ils partagèrent leur temps entre la construction du fort et la
chasse, amassant peu à peu une importante réserve de viande
qui devait non seulement les nourrir durant l'hiver mais
également les aider durant leur voyage de retour au printemps
suivant.
Le 1er janvier 1806, les hommes saluèrent à la fois la
nouvelle année et l'achèvement des travaux par une salve
d'honneur. Mais déjà, le cantonnement à Fort Clatsop,
quoique sa construction fût à peine terminée, pesait aux
hommes : cet hivernage forcé sur la côte retardait d'autant leur
retour vers la civilisation.
Les Indiens avaient confirmé aux capitaines que des
bateaux venaient mouiller dans la baie, chaque année au
printemps, mais les semaines et les mois passaient sans
qu'aucune voile n’apparût à l'horizon.
57
Le 9 janvier, alors qu'il s'était rendu dans un village
tillamook près duquel s'était échouée une baleine, McNeal
manqua d'être tué par un Indien qui tentait de lui voler sa
couverture. Seule la présence de Clark et de quelques hommes
venus voir l'énorme cétacé lui évita de perdre la vie.
58
CHAPITRE XII
UN TROP LONG HIVER
Durant les semaines qui suivirent, les hommes
s'employèrent essentiellement à trois tâches : chasser, faire
bouillir de l'eau de mer pour en extraire le sel, préparer des
vêtements et des mocassins pour le retour. Les capitaines
espéraient avec le produit de leur chasse constituer une
réserve de viande pour le voyage, mais les daims et les élans
qu'ils réussirent à tuer parvinrent à peine à nourrir la troupe au
jour le jour.
Ayant épuisé la plus grande partie des marchandises
destinées au troc, ils ne pouvaient plus guère compter sur les
Indiens pour leur subsistance, et ils entretenaient d'ailleurs
avec eux de très mauvaises relations. Les vols et les
chapardages poussaient leur patience à bout, mais ils n'en
oubliaient pas pour autant la mission que leur avait confiée
Jefferson.
Lewis se livra à une étude sérieuse des tribus du littoral,
mais sans la passion qui avait été la sienne l'hiver précédent
dans les villages mandans. Pendant ce temps, Clark établit la
carte des régions qu'ils avaient traversées depuis le Missouri,
effectuant un travail d'une grande précision compte tenu des
moyens dont il disposait. Mais ces divers travaux ne rendaient
pas l'hivernage à Fort Clatsop moins exaspérant.
Cependant, toutes les informations qu'avaient pu
recueillir les capitaines concordaient : ce serait pure folie que
de tenter de franchir les montagnes avant le mois d'avril.
En février, plusieurs hommes tombèrent malades. Le
15, Gibson revint si affaibli d'une expédition de chasse que
ses camarades durent le transporter sur une civière. Le
59
lendemain, Bratton fut pris de violentes douleurs à la colonne
vertébrale. La semaine suivante, McNeal, Willard et le sergent
Ordway vinrent s'ajouter à la liste des invalides. Le 3 mars, ce
fut le tour de Lepage. Le 6, Hall se blessa sérieusement à la
cheville. Le 18, dans la nuit, Clark dut saigner Drouillard de
toute urgence, ce dernier ayant été pris de violentes douleurs.
Les capitaines en vinrent à penser que la monotonie de
la vie à Fort Clatsop n'était pas étrangère à tous ces maux.
Sans doute n'avaient-ils pas entièrement tort. Vint s'y ajouter
durant les premières semaines de mars un manque de
nourriture dû à la rareté croissante de gibier. Seul le troc de
racines et de poissons avec les Indiens permit à l'expédition de
ne pas connaître la famine. Leur médiocre alimentation ne fit
que retarder la guérison des malades – et du même coup le
départ vers l'est tant attendu.
Finalement, les capitaines décidèrent qu'ils devaient
repartir début avril, quoiqu'il arrive. Ils manquaient de canoës
et de marchandises pour en acheter aux Indiens, qui
réclamaient des prix hors de proportion en échange de leurs
embarcations. Las d'être ouvertement escroqués, les capitaines
adoptèrent une autre stratégie.
Un chef cathlamah, Comowool, leur ayant volé six
élans abattus au début de l'hiver, ils lui dérobèrent un canoë
durant la nuit du 18 au 19 mars, cependant qu'il dormait
tranquillement au fort. Pour la première fois, les capitaines
traitèrent les Indiens comme ils allaient l'être par tous les
hommes blancs qui les suivraient durant un siècle, prenant par
la ruse ce qu'ils ne pouvaient obtenir honnêtement.
Certes, les Cathlamahs s'étaient livrés durant l'hiver à
quelques larcins, mais ces derniers ne justifiaient pas le vol
délibéré commis par les explorateurs. De façon imperceptible,
un tournant venait d'être pris dans une direction qui allait
60
mener à une des plus longues guerres de conquête que
connaîtrait l'Histoire.
Mais les capitaines, conscient de leurs obligations
envers leurs hommes aussi bien que de leurs devoirs envers
les Indiens, n'ignoraient pas que pour le moral de la troupe, il
était indispensable que le voyage vers l'est commence à la
date prévue, et ce, coûte que coûte. Aussi le vol du canoë de
Comowool leur sembla-t-il un mal nécessaire et sans
conséquence.
De plus, un problème tout aussi grave que celui du
transport ne cessait chaque jour de s'amplifier : les élans, qui
constituaient la base de leur nourriture, avaient déserté la
région et les chasseurs devaient aller un peu plus loin à
chaque expédition et ramenaient à chaque fois un peu moins
de gibier.
Ne pouvant plus se permettre d'acheter des provisions
aux Cathlamahs, les capitaines décidèrent finalement
d'avancer la date du départ au 23 mars, espérant gagner au
plus vite une région plus giboyeuse. Quatre jours plus tard, ils
atteignirent un village skilloot dans lequel les habitants se
montrèrent particulièrement hospitaliers : ils offrirent à toute
la troupe un copieux repas composé de poisson séché et de
racines et échangèrent des provisions à un prix beaucoup
moins élevé que celui qu'exigeaient leurs voisins cathlamahs.
Cependant, même lorsqu'ils pratiquaient des prix
raisonnables, les Indiens ne pouvaient être la seule source
d'alimentation de l'expédition.
Ceux qu'ils croisèrent sur le fleuve le 1er avril
descendaient à la rencontre des saumons car toutes leurs
réserves étaient épuisées. Le lendemain, ils décidèrent donc
d'établir un camp permanent et de se consacrer à la chasse
jusqu'à ce qu'ils aient séché assez de viande pour se nourrir
61
jusqu'au pays des Nez-Percés et assez de peaux pour acquérir
de meilleures embarcations lors de leur remontée vers les
Grandes Chutes du Columbia. Il leur fallut une semaine pour
mener cette tâche à bien, et le 7 avril, ils se remirent en route
vers l'amont.
Après quatre jours de voyage, ils atteignirent le pays des
Wahclellahs, avec lesquels ils faillirent à plusieurs reprises en
venir aux dernières extrémités. Quelques guerriers
particulièrement agressifs jetèrent des pierres sur les hommes
qui hâlaient les canoës, en signe de défi, puis s'en prirent à
John Shields, tentant de le détrousser, ne battant en retraite
qu'après qu'il eût tiré son couteau de chasse pour se défendre.
Enfin, durant la nuit, ils volèrent Scannon, le chien du
capitaine Clark. L'officier les poursuivit avec quelques
hommes et dut les faire mettre en joue pour qu'ils rendent
l'animal.
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64
CHAPITRE XIII
À TRAVERS LES ROCHEUSES
Le 15 avril, les explorateurs passèrent devant
Memaloose Alahee – l'île qu'ils avaient dépassée le 29 octobre
de l'année précédente et qu’ils baptisèrent le Rocher du
Sépulcre.
Le lendemain, ils s'arrêtèrent près d'une série de
villages skilloots et eneeshurs et tentèrent d'y acheter des
chevaux. Les négociations durèrent jusqu'au 20 avril et Clark
ne parvint à acquérir que huit bêtes faméliques. Avec ces
montures, les capitaines purent progresser plus rapidement
vers les Grandes Chutes, qu'ils atteignirent le 21, après avoir
eu de nouveaux démêlés avec les Eneeshurs qui tentaient de
les dépouiller. À plusieurs reprises, Lewis en vint aux mains
avec des guerriers qui refusaient de rendre ce qu'ils avaient
dérobé.
Heureusement, en franchissant les chutes, ils quittèrent
le territoire de cette tribu peu hospitalière pour s'enfoncer dans
les plaines qui menaient à celui des Nez-Percés, où les
attendaient leur ami le chef Chevelure Emmêlée et les trente-
huit chevaux qu'ils lui avaient laissés en garde à l'automne.
Le 23 avril, ils rencontrèrent un Nez-Percé qui
remontait lui aussi le fleuve, en compagnie de sa femme, et
avec qui ils allaient voyager jusqu'au 1er mai. Quatre jours
plus tard, le 27, ils arrivèrent au village du chef wallawalla
Yellept, qui s'était montré très amical à l'automne. Ses
sentiments n'avaient pas changé et, après avoir permis aux
capitaines de rencontrer ses voisins yakimas, il offrit un
magnifique cheval blanc à Clark, qui le remercia en lui faisant
cadeau de son sabre.
Après une halte de deux jours, ils reprirent leur
65
progression, guidés par leur compagnon de voyage nez-percé
qui, avant de prendre congé d'eux, leur indiqua le meilleur
chemin pour rejoindre le camp de Chevelure Emmêlée. Le
niveau élevé des eaux de la rivière rendait inoffensifs les hauts
fonds qui les avaient ralentis à l'automne, et ils progressaient à
une excellente allure, compte tenu de la force et de la vitesse
du courant qu'ils devaient combattre.
Le 3 mai, ils atteignirent le village nez-percé du chef
Apash Wyakaikt. Il leur servit de guide durant deux jours,
puis partit en direction de la rivière Snake, après leur avoir
indiqué la voie à suivre. Le 7 mai, ils furent rejoints par le
propre frère de Chevelure Emmêlée, qui les guida jusqu'au
camp de chasse du chef qui leur avait rendu tant de services
quelques mois plus tôt.
Ils étaient à présent en vue des Montagnes Rocheuses,
qui se dressaient à l'est comme une infranchissable barrière
couverte de neige. Leurs amis nez-percés leur conseillèrent
d'attendre la mi-juin pour tenter la traversée : s'ils essayaient
de passer avant, leurs chevaux mourraient de faim ou se
noieraient dans les rivières en crue, et eux gèleraient dans le
blizzard et ne trouveraient aucun gibier.
À contrecœur, les capitaines acceptèrent donc de
patienter durant tout un mois près du village de Chevelure
Emmêlée. Ce dernier, se souvenant de leurs conseils, organisa
une conférence de paix qui rassembla les principaux chefs
nez-percés du versant occidental des Rocheuses :
Tunnachermotoolt, Neshnenpahkeeook, Yoompahkatim et
Hohastilpilp.
Pendant que les capitaines parlaient aux anciens, les
jeunes guerriers rassemblèrent les trente-huit chevaux laissés
à l'automne par l'expédition.
Le 13 mai, un camp permanent fut installé sur les rives
66
de la Kooskooskee, qui présentaient le triple avantage de ne
manquer ni d'herbe pour les chevaux, ni de bois pour les feux,
ni de gibier pour les chasseurs. Durant les semaines qui
suivirent, les hommes se consacrèrent essentiellement à la
chasse, au troc et au don de soins médicaux divers aux Nez-
Percés malades qui se présentaient à eux. Leur plus grande
réussite fut de guérir de paralysie un jeune chef en lui faisant
subir des séances de sudation répétées. Ce succès, ainsi que
les excellentes relations qu'ils entretinrent avec tous les
membres de la tribu, en particulier les jeunes femmes,
laissèrent aux Nez-Percés un excellent souvenir de
l'expédition, ainsi qu'un enfant aux cheveux blonds dont le
père était probablement Clark lui-même.
Finalement, le 10 juin, le camp fut déplacé jusqu'au
pied des Rocheuses, dans les Quamash Flats. Ils restèrent là
quatre jours, complétant leur provision de viande et récoltant
des racines comestibles, puis le 15 juin, ils se lancèrent à
l'assaut des montagnes.
Ils franchirent vingt-deux milles le premier jour. Le
lendemain, ils campèrent sur les rives de la Hungry Creek. La
neige rencontrée en basse altitude n'augurait rien de bon pour
le reste de la traversée, et les capitaines le savaient. Le 17, ils
tentèrent de progresser davantage vers l'est, mais dans l'après-
midi, ils durent rebrousser chemin. La neige était trop épaisse
et masquait entièrement la piste ; avancer plus loin aurait été
pure folie.
Pour la première fois depuis son départ, l'expédition dut
battre en retraite.
Laissant derrière eux leurs bagages, ils regagnèrent leur
camp des Quamash Flats, qu'ils atteignirent le 21 juin. Deux
Nez-Percés rencontrés en chemin acceptèrent d'y demeurer
avec eux. Les capitaines avaient envoyé Drouillard et
67
Shannon chercher des guides au camp de Neshnenpahkeeook,
mais s'ils revenaient seuls, les deux Indiens pourraient remplir
ce rôle. Cependant, le 23, les deux émissaires revinrent avec
trois jeunes guerriers qui étaient d'accord pour accompagner
les explorateurs jusqu'aux chutes du Missouri.
Le lendemain, ils reprirent le chemin des crêtes. Aucun
signe n'était visible, l'herbe était rare, et sans l'aide des Nez-
Percés, l'expédition n'aurait sans doute pas réussi à sortir de
l'enchevêtrement de collines et de ravins à travers lequel ils
progressèrent durant cinq jours.
Enfin, le 29 juin, la crête s'abaissa lentement et vint
mourir dans la plaine qui bordait la Kooskooskee. Lorsqu’ils
l’eurent traversée, ils la suivirent jusqu'aux sources chaudes
de Lolo, où ils se baignèrent au pied des rochers. Après avoir
franchi la barrière des neiges, les hommes, les officiers et les
guides indiens avaient bien mérité ce moment de détente.
Le lendemain, ils dressèrent leur camp sur Traveller's
Rest Creek, le point où ils avaient prévu de se séparer, Lewis
gagnant les Grandes Chutes du Missouri par voie de terre, à
travers le pays pied-noir, puis remontant la Maria's River
jusqu'à son embouchure, pendant que Clark explorerait les
rivières Jefferson et Yellowstone.
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69
70
CHAPITRE XIV
DU SANG SUR LA PRAIRIE
Il fallut aux capitaines deux jours pour préparer leurs
expéditions respectives.
Lewis emmènerait avec lui neuf hommes jusqu'au
Missouri. Là, il en laisserait trois – Thompson, Goodrich et
McNeal – avant de remonter la Maria's River avec les six
autres – Drouillard, les frères Fields, Gass, Werner et Frazer.
Clark gagnerait la Yellowstone, puis la remonterait avec sept
hommes et Sacajawea jusqu'à son embouchure, où il attendrait
Lewis, pendant que les trois hommes restants iraient
directement chez les Mandans avec les chevaux et tenteraient,
avec l'aide d'Alexander Henry, d'organiser le voyage à
Washington d'une délégation de chefs sioux.
Le 3 juillet, les deux groupes se mirent en route.
Les Nez-Percés accompagnèrent Lewis durant une
journée puis, après l'avoir mis sur la piste du Missouri, prirent
congé de lui pour rejoindre leurs amis shallees. Le groupe
suivit la Clark's River, puis la Medicine River, et franchit le
Partage des Eaux le 7 juillet, donnant ainsi son nom actuel à la
« Lewis and Clark Pass » – la Passe de Lewis et Clark.
Quatre jours plus tard, ils arrivèrent en vue des White
Bear Islands – les Îles de l’Ours Blanc – toute proches des
Grandes Chutes. Les rives du fleuve leur apparurent couvertes
de bisons, et les chasseurs réussirent à tuer onze de ces
animaux, dont la viande constituait une réserve de nourriture
providentielle et les peaux un matériau idéal pour la
construction des canoës nécessaires à la suite du voyage.
Le 12 juillet, Drouillard dut repartir en arrière à la
recherche de sept chevaux qui avaient disparu. Il revint quatre
jours plus tard et annonça qu'il avait remonté la piste des bêtes
71
jusqu'à un campement indien abandonné, mais n'avait pas
poursuivi les voleurs car ces derniers avaient trop d'avance sur
lui.
Lewis décida alors de laisser six hommes sur le
Missouri, pour défendre les canoës et les bagages contre
d'éventuels maraudeurs indiens, et de n'en emmener que trois
avec lui pour explorer la Maria's River.
Il partit le 16 août avec Drouillard et les frères Fields.
Le 17, la présence d'un bison blessé sur la Teton River
confirma leurs craintes : les Pieds-Noirs rôdaient dans les
parages. Néanmoins, ils continuèrent à avancer. Le lendemain
soir, ils atteignirent la Maria's River. Ils la remontèrent durant
quatre jours, puis établirent leur camp dans un bosquet de
peupliers, au pied des montagnes. Ils y restèrent jusqu'au 26,
puis repartirent vers le sud-est.
Alors qu'ils avançaient dans cette direction, suivant un
petit cours d'eau, des Indiens à cheval apparurent au sommet
d'une colline. Lewis s'approcha d'eux en leur adressant des
signes de paix, cependant que leur chef faisait de même.
Après avoir serré la main du capitaine, il salua également les
frères Fields, pendant que Lewis serrait les mains des autres
guerriers. Le capitaine demanda à un des Indiens d'aller
chercher Drouillard en compagnie de Reuben Fields, puis
fuma quelques temps avec le chef.
Finalement, ils décidèrent de camper ensemble près de
la rivière et partirent dans cette direction. En chemin, ils
rencontrèrent Drouillard, Fields et le guerrier qui les
accompagnait. La troupe gagna bientôt une plage de sable qui
s'étendait au pied d'une falaise abrupte. Conscient du danger
que représentaient ces Pieds-Noirs, Lewis prit le premier tour
de garde, ne passant le relais à Drouillard qu'une fois tous les
Indiens endormis. Reuben Fields releva Drouillard, puis alla
72
se coucher lorsque son frère Joseph vint prendre la dernière
garde.
À l'aube, les Pieds-Noirs se rassemblèrent autour du
feu, tenant un conseil des plus suspects. Soudain, l’un d’eux
s'empara des fusils des deux frères et les autres firent mine de
voler ceux de Lewis et Drouillard. Joseph Fields bondit sur
ses pieds, réveilla son frère et ils se lancèrent à la poursuite du
voleur. Lorsqu'ils le rattrapèrent, Reuben tira son poignard et,
dans le combat qui s'ensuivit, transperça le cœur de l'Indien,
qui s'écroula raide mort.
Au même moment, la voix de Drouillard retentit :
« Bon Dieu, ne touche pas à ce fusil ! ».
Ouvrant les yeux, il venait de voir un Pied-noir se saisir
de son arme. Son cri éveilla Lewis, qui, le voyant se battre
avec l'Indien, voulut prendre son fusil. Mais il n'était plus là.
Bondissant sur ses pieds, le capitaine tira son pistolet et mit en
joue le guerrier qui s'enfuyait avec son arme. Prudemment,
l'homme reposa le fusil à terre, car Drouillard était parvenu à
reprendre son arme et les frères Fields l'avaient eux aussi mis
en joue.
Cependant, les Pieds-Noirs ne s'avouaient pas vaincus.
N'ayant pas réussi à voler les armes, ils se rabattaient
sur les chevaux. Voyant cela, Lewis se lança à leur poursuite,
les contraignant à abandonner douze de leurs propres bêtes.
Mais ils avaient emmené les chevaux de l'expédition et le
capitaine ne l'entendait pas de cette oreille. Après leur avoir
crié qu'il allait tirer s'ils ne faisaient pas demi-tour, il mit sa
menace à exécution.
Il toucha au ventre un guerrier, qui riposta malgré sa
blessure. La balle passa juste au dessus de la tête de l'officier,
qui battit en retraite faute de pouvoir recharger son arme.
De retour au camp, il fit brûler les armes que les Pieds-
73
Noirs avaient laissées derrière eux, prit quatre de leurs
chevaux pour remplacer ceux qui lui avaient été volés, reprit
le drapeau des États-Unis qu'il avait offert au chef principal,
mais laissa au cou du chef mort la médaille qui lui avait été
donnée la veille.
À leur retour, les frères Fields annoncèrent que les
Pieds-Noirs s'étaient enfuis, mais Lewis supposa qu'ils allaient
revenir en force, aussi pressa-t-il ses hommes. Ils
chevauchèrent jusqu'à deux heures du matin, parcourant une
distance considérable. Malgré leurs courbatures et le manque
de sommeil, ils reprirent leur course à l'aube.
74
75
CHAPITRE XV
LA ROUTE DU RETOUR
Lewis et ses hommes atteignirent le Missouri dans la
matinée et, après avoir suivi son cours sur une quinzaine de
milles, s'arrêtèrent comme convenu à l'embouchure de la
Maria's River, où ils retrouvèrent non seulement Gass et les
cinq hommes qui étaient censés les y attendre, mais également
le sergent Ordway et son détachement qui, après s'être séparé
du capitaine Clark aux Trois Fourches, avait descendu le
fleuve en canoë.
Tous embarquèrent rapidement et ils gagnèrent l'île où
ils avaient laissé les grandes pirogues l'été précédent. La
pirogue rouge n'était plus utilisable, mais plusieurs hommes
embarquèrent à bord de la pirogue blanche qui n'avait subi
aucun dommage. La descente du fleuve put dès lors se faire
dans de meilleures conditions.
Après avoir dépassé celles de la Musselshell et de la
Milk River, le groupe de Lewis atteignit l'embouchure de la
Yellowstone le 7 août. Clark y avait laissé une note à
l'intention de Lewis, lui indiquant qu'il poursuivait la descente
jusqu'à un lieu de campement plus propice que l'embouchure,
où le gibier était rare et les moustiques insupportables.
Clark aurait pu être rejoint sans encombre si Lewis,
parti chasser à terre, n'avait été victime de la maladresse de
Cruzatte, qui lui tira involontairement dans les fesses, mais
sans le blesser gravement. Après avoir craint à un moment
qu'il ne s'agisse d'une embuscade tendue par les Indiens, le
capitaine finit par comprendre ce qui s'était réellement passé.
Il n'en tint pas rigueur au malheureux Cruzatte qui, totalement
mortifié, reconnut finalement son erreur.
Malgré cet incident, ils rejoignirent le groupe de Clark
76
le 12 août, après avoir rencontré Joseph Dickson et Forest
Hancock, deux trappeurs en route vers l'ouest, les premiers à
suivre la piste qu'ils avaient ouverte au prix de tant d'efforts.
Pendant que Lewis s'avançait dangereusement en pays
pied-noir, Clark avait lui aussi eu sa part de démêlés avec les
Indiens. Durant les trois jours qui suivirent leur départ de
Clark's River, ils virent de nombreuses traces des Shoshones,
mais ne purent en apercevoir aucun. Le 7 juillet au matin, cinq
de leurs chevaux manquaient, et il leur fut impossible de les
retrouver – ce qui n'aurait pas été le cas si les bêtes s’étaient
seulement dispersées.
Le lendemain, ils atteignirent la cache où ils avaient
entreposé marchandises et canoës à l'aller. Il leur fallut deux
jours pour tout remettre en état, et le 10 juillet, ils repartirent,
après que Clark eut décidé de scinder son groupe en deux.
Le sergent Ordway accompagné de neuf hommes
devaient descendre la rivière en pirogue, pendant que Clark et
le reste des hommes voyageraient par voie de terre. Mais,
constatant que les canoës progressaient plus vite que les
chevaux, Clark changea ses plans et confia au sergent Pryor le
rôle de conduire ses chevaux, pendant que lui et son groupe
navigueraient sur le fleuve.
Quatre jours plus tard, ils arrivèrent aux Trois Fourches
du Missouri.
Ordway entreprit de descendre le fleuve pendant que
Clark obliquait vers l'est avec les chevaux pour gagner la
Yellowstone. Deux jours plus tard, le 15 juillet, il franchit la
passe de Bozeman et arriva en vue de la Roche Jaune, comme
l'appelaient les trappeurs français. Durant cinq jours encore, le
groupe de Clark dû suivre la Yellowstone par voie de terre,
avant de trouver des arbres assez gros pour permettre la
construction de pirogues.
77
Ils les découvrirent juste à temps, car dans la nuit du 19
au 20 juillet, vingt-quatre de leurs chevaux disparurent. De
nouveau, malgré les recherches menées par Charbonneau,
Shannon et Bratton, les bêtes manquantes demeurèrent
introuvables. Quelques jours plus tôt, ils avaient aperçu des
signaux de fumées qu'ils avaient attribués aux Corbeaux : la
disparition de leurs montures leur confirma qu'ils ne s'étaient
pas trompés.
Le 23 juillet, Charbonneau découvrit un mocassin usé
et un morceau de tunique non loin du camp : non contents de
leur avoir volé la moitié de leurs chevaux, les Corbeaux
rôdaient encore dans l'espoir de leur dérober les autres. Le
sergent Pryor fut chargé de conduire les chevaux au plus vite
jusqu'aux villages mandans pour les mettre en sécurité.
Après avoir pris cette mesure d'urgence, Clark fit
charger les deux canots que ses hommes venaient de
construire et commença à descendre la Yellowstone. Le 25
juillet, il dépassa une formation rocheuse semblable à une tour
qu'il baptisa en l’honneur du jeune fils de Sacajawea
Pompey's Pillar – le Pilier de Pompey – qui servirait de repère
à bien des convois dans les décennies à venir.
Deux jours plus tard, il campa à l'embouchure de la Big
Horn River, dont l'un des affluents, la Little Big Horn, devait
devenir tristement célèbre soixante-dix ans plus tard.
Le 3 août, après avoir affronté les ours et les loups qui
rôdaient sur les berges et dû éviter les troupeaux de bisons qui
traversaient la rivière, Clark et son groupe arrivèrent à la
jonction de la Yellowstone et du Missouri, où ils installèrent
leur camp, dans l'intention d'y attendre le capitaine Lewis et le
sergent Ordway. Mais les moustiques et le manque de gibier
les contraignirent à continuer à descendre le fleuve.
Le 8 août, ils virent arriver de curieux canoës, qu'ils
78
supposèrent être ceux de Lewis, mais il n'en était rien. Il
s'agissait de Pryor et de ses hommes, qui s'étaient fait voler
tous les chevaux par les Corbeaux et avaient dû poursuivre
leur voyage dans des embarcations circulaires semblables à
celles des Mandans, qui s'étaient révélées d'une grande
fiabilité. Outre les maraudeurs corbeaux, ils avaient eu à
affronter les loups après que l'un de ces derniers eut mordu le
sergent à la main.
Le 11 août, Clark rencontra les trappeurs Dickson et
Hancock, qui devaient croiser Lewis le lendemain. Ils lui
apprirent que Pierre Durion était parti pour Washington avec
une délégation de Yanktons, mais aussi que les Mandans et
les Hidatsas étaient en guerre contre les Arikaras et les
Assiniboins.
Les promesses de paix n'avaient pas été tenues bien
longtemps.
Les pensées de Clark auraient pu être assombries par
cet échec s'il n'avait été rejoint le lendemain par Lewis et
Ordway, auxquels il ne manquait aucun homme malgré les
dangers qu'ils avaient rencontrés.
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CHAPITRE XVI
RETOUR À SAINT-LOUIS
Deux jours seulement après avoir effectué leur jonction,
Lewis et Clark arrivèrent au village mandan du chef Chat Noir
et envoyèrent Charbonneau convier les chefs minnetarees à
venir les rencontrer, espérant les convaincre, comme les chefs
mandans, de les accompagner à Washington.
Les Minnetarees arrivèrent le lendemain, mais se
montrèrent tout aussi réticents que leurs voisins à descendre le
fleuve, étant persuadés que les Sioux les tueraient lorsqu'ils
traverseraient leur territoire. Finalement, après deux jours de
négociations, le chef Sheheke accepta d’accompagner la
troupe avec sa femme et son fils.
Les capitaines, même s'ils refusaient de céder à un trop
grand optimisme, savaient que leur mission était presque
terminée.
Aussi, lorsque le 16 août John Colter vint leur
demander la permission de quitter l'expédition pour rattraper
Dickon et Hancock et se joindre à eux pour la saison de
chasse, ils acceptèrent, à la condition qu'il n'y ait pas d'autre
départ avant Saint-Louis. Les autres engagés donnèrent leur
parole et Colter prit direction de l’Ouest.
Lorsqu'ils repartirent le lendemain, les capitaines
laissèrent derrière eux trois autres membres de l'expédition :
Charbonneau, Sacajawea et le petit Pomp. Le Français
préférait rester chez les Minnetarees pour passer l'hiver avec
eux plutôt que de regagner Saint-Louis. Clark, qui s'était
beaucoup attaché à la mère et à l'enfant, en conçut un grand
regret, mais il ne parvint pas à faire changer d'avis le trappeur.
Le 21 août, ils croisèrent trois marchands français qui
leur apprirent de funestes nouvelles : sept cents Sioux peints
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en guerre se dirigeaient vers le territoire des Mandans et des
Hidatsas pour les attaquer et seuls les Arikaras désiraient
rester en dehors du conflit. Ils attendaient le retour de leur
chef parti à Washington. Malheureusement, ce dernier ne
pourrait jamais revenir car il était mort en route. Par chance
pour les capitaines, la nouvelle n'était pas encore parvenue
aux villages arikaras.
Après avoir pris congé des trafiquants, ils accostèrent
près d'un village où un chef cheyenne campait avec sa bande.
Ils lui firent cadeau d'une médaille et fumèrent avec lui.
Cependant, malgré tous leurs efforts, il refusa de les
accompagner dans l'Est, trouvant leur « médecine » trop
puissante. Ils s'entretinrent ensuite avec le chef arikara Yeux
Gris, mais lui aussi refusa de venir avec eux.
Ils repartirent le 23 août à l'aube. Trois jours plus tard,
ils dépassèrent l'embouchure de la rivière Teton. Passé ce
point, ils se trouvaient en territoire sioux, aussi se tinrent-ils
sur leurs gardes.
Pendant quatre jours, ils avancèrent sans voir aucun
signe des Indiens, puis, soudain, le 30 août, vingt cavaliers
apparurent au sommet d'une colline. Quelques instants plus
tard, quatre-vingt-dix guerriers en armes sortirent d'un bois
sur la rive opposée, conduits par le chef Bison Noir.
Ces Sioux étaient sans doute les mêmes que ceux contre
qui ils avaient failli se battre deux ans plus tôt.
Durant toute la journée et le début de la soirée, les
guerriers les provoquèrent de façon plus ou moins ouverte, les
invitant à venir se battre, mais les capitaines poursuivirent
leur route. Le lendemain, ils avaient quitté le territoire des
Tetons, et deux jours plus tard, celui des Yanktons.
L'épreuve des Sioux passée, plus rien ne pouvait les
arrêter jusqu'à Saint-Louis. Le 4 septembre, ils dépassèrent
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l'embouchure de la Sioux River, le 6, Pelican Island et le 8,
Council Bluffs. Le 9 septembre, après qu'ils eurent franchi
l'embouchure de la Platte River, le courant se fit plus rapide.
Durant les deux semaines qui suivirent, il ne se passa
pas un jour sans qu'ils ne croisassent un marchand ou un
trappeur en route vers l'ouest. Bientôt, ils purent camper près
d'établissement civilisés. Tous ceux qu'ils rencontraient
étaient si heureux de leur retour qu'on ne cessait de faire
passer la cruche à la ronde pour fêter l'événement.
Enfin, le 23 septembre, après avoir été retardés
quelques jours par le mauvais temps, ils arrivèrent en vue de
Saint-Louis.
Les hommes saluèrent la ville par une salve, avant
d'être accueillis triomphalement par les habitants.
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CHAPITRE XVII
LE TEMPS DE LA CONQUÊTE
Le jour même de leur retour à Saint-Louis, les
capitaines s'installèrent chez Pierre Chouteau, qui leur avait
fourni un entrepôt pour leurs bagages et les avait cordialement
invités à loger chez lui, et commencèrent à rédiger leur
rapport préliminaire.
Leur mission était accomplie.
Ils avaient affirmé la souveraineté des États-Unis sur
ses nouveaux territoires, porté le message de paix de Jefferson
à plus de cinquante tribus indiennes, découvert des centaines
de cours d'eau et autant d'espèces animales et végétales.
Chaque membre de l'expédition, engagé ou volontaire,
avait montré le meilleur de lui-même, face aux éléments
déchaînés, à la nature sauvage et aux Indiens hostiles.
Mais ils n'avaient pu trouver le légendaire Passage du
Nord-Ouest qui aurait permis de relier l'Atlantique au
Pacifique, car un tel passage n'existait pas sous ces latitudes.
Ils n'étaient pas non plus parvenus à n'avoir avec les
Indiens que des relations pacifiques.
En laissant au cou du chef pied-noir abattu la médaille
qu'ils lui avaient donnée, ils avaient désigné tous les trappeurs
américains comme des ennemis potentiels, non seulement
pour les Pieds-Noirs, mais aussi pour les Corbeaux, les
Shoshones et toutes les tribus qui risquaient de voir leur mode
de vie bouleversé par l'arrivée de ces nouveaux venus qui
allaient changer l'ordre économique de l'Ouest.
Dickson, Hancock et Colter n'étaient que les premiers.
L'expédition de Lewis et Clark, si elle n'avait pas donné
vie au rêve de Jefferson – une voie navigable traversant d'un
océan à l'autre les terres de milliers d'Indiens pacifiques ou
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pacifiés sans violence – était cependant un immense succès.
Ce formidable exploit humain avait ouvert aux
générations à venir la voie vers un vaste pays aux richesses
infinies et avait forgé un esprit qui allait être la force vive de
toute une nation durant un siècle, mais qui allait également
conduire à l'anéantissement presque total d'un peuple entier.
Le temps de l'exploit était passé.
À présent venait celui de la conquête.
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87
BIBLIOGRAPHIE
LA PISTE DE L'OUEST
Journal de la première traversée du continent nord-
américain, I
(Meriwether Lewis / William Clark – PHEBUS, PARIS,
1993)
Edition préparée et présentée par Michel Le Bris
LE GRAND RETOUR
Journal de la première traversée du continent nord-
américain, I
(Meriwether Lewis / William Clark – PHEBUS, PARIS,
1993)
Edition préparée et présentée par Michel Le Bris
THE AMERICAN FRONTIER
Pioneers, settlers & cowboys 1800 – 1899
(William C. Davis/ Russ A. Pritchard – SMITHMARK, NEW
YORK, 1992)
ART OF THE GOLDEN WEST An illustrated History
(Alan Axelrod – ABBEVILLE PRESS, NEW YORK, 1990)
88
ICONOGRAPHIE
Page 6
Portrait de Thomas Jefferson
Gilbert Stuart - 1805-1807.
Avec l’aimable autorisation du Bowdoin College Museum of
Art de Brunswick, Maine, États-Unis.
Page 49
Great Falls of Yellowstone
Thomas Moran, Huile sur toile, 1898, collection privée.
Page 79
Médaille de la paix du Président Jefferson.
John Mathias Reich, 1801.
Page 91
Pièce commémorative de cinq cents créée en 2004 pour le
bicentenaire de l’expédition.
Pages 11, 12, 18, 24, 33, 34, 38, 43, 44, 50, 54, 58, 67, 68, 73,
74, 80, 85, 86, 92
Détails de la carte établie en 1814 pour le premier récit publié
de l’expédition par Paul Allen, History of the Expedition
Under the Command of Captains Lewis and Clark : To the
Sources of the Missouri, Thence Across the Rocky Mountains
and down the River Columbia to the Pacific Ocean.
Bibliothèque du Congrès.
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I ................................................................................................................ 5
CHAPITRE II .............................................................................................................10
CHAPITRE III ............................................................................................................15
CHAPITRE IV ............................................................................................................21
CHAPITRE V ..............................................................................................................25
CHAPITRE VI ............................................................................................................31
CHAPITRE VII ...........................................................................................................35
CHAPITRE VIII .........................................................................................................41
CHAPITRE IX ............................................................................................................46
CHAPITRE X ..............................................................................................................50
CHAPITRE XI ............................................................................................................54
CHAPITRE XII ...........................................................................................................58
UN TROP LONG HIVER ..........................................................................................58
CHAPITRE XIII .........................................................................................................64
CHAPITRE XIV .........................................................................................................70
CHAPITRE XV ...........................................................................................................75
CHAPITRE XVI .........................................................................................................80
CHAPITRE XVII ........................................................................................................83
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................87
ICONOGRAPHIE .......................................................................................................88