chantal calatayud est psychanalyste, directrice de l
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Le livre " Le complexe d'Elmire "
de Chantal CalatayudDécouvrez gratuitement ici la version numérique
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Chantal Calatayud est psychanalyste, Directrice de l'Institut Français de Psychanalyse Appliquée (www.ifpa-france.com), Directrice de publication de Psychanalyse Magazine (www.psychanalysemagazine.com) et auteur de plusieurs ouvrages.
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Chantal Calatayud
Le complexe dâElmire
Sommaire
Prologue
Chapitre I Acte manqué
Chapitre II Besoin de punition
Chapitre III Couple dâopposĂ©s
Chapitre IV DĂ©pression
Chapitre V Eros
Chapitre VI Fantasme
Chapitre VII GĂ©nital (amour)
Chapitre VIII Hystérie
Chapitre IX Idéalisation
Chapitre X Jugement de condamnation
Chapitre XI Khan
Chapitre XII Libido
Chapitre XIII Masochisme
Chapitre XIV Narcissisme
Chapitre XV Objet
Chapitre XVI Perversion
Chapitre XVII Quantum dâaffect
Chapitre XVIII RĂ©paration
Chapitre XIX Surinvestissement
Chapitre XX Thanatos
Chapitre XXI Union Ë DĂ©sunion (des pulsions)
Chapitre XXII Viscosité de la libido
Chapitre XXIII Witz
Chapitre XXIV Xanthippe
Chapitre XXV Young (Edward)
Chapitre XXVI Zone hystérogÚne
Ăpilogue
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Le complexe dâElmire
Prologue
Comment expliquer certains de nos passages Ă lâacte que nous ne comprenons pas ? Comment sâexpliquer ceux que nous allons jusquâĂ regretter ? Que se passe-t-il Ă notre insu pour que nous nâarrivions pas Ă maĂźtriser nos pulsions destructrices, voire dĂ©vastatrices, qui nous laissent dans lâamertume et parfois mĂȘme dans la dĂ©tresse ?
LâidĂ©e de ce travail â que jâappelle donc Complexe dâElmire â repose sur ces questions qui nous laissent sans rĂ©ponse. Ceci dit, le personnage cĂ©lĂšbre du Tartuffe de MoliĂšre mâa aidĂ©e dans ma rĂ©flexion. Car, des Tartuffe, nous en avons toutes et tous croisĂ©s, rencontrĂ©s, frĂ©quentĂ©s (pour notre plus grand malheur ?). Et ce, aussi bien au plan personnel que professionnelâŠ
Tartuffe est donc le profil mĂȘme du reprĂ©sentant dĂ©moniaque de la manipulation. Il va se dĂ©guiser au point de sĂ©duire Orgon, personnage obstinĂ© et ĂŽ combien naĂŻf ! Tartuffe, pour mieux arriver Ă ses fins, fait mine dâune dĂ©votion hors norme. Pauvre Orgon qui sâen laisse conter, se faisant embobiner par cet homme sans scrupules qui arrive Ă lâembrigader en se transformant en son directeur de conscience ! MĂȘme Pernelle, la mĂšre dâOrgon, tombe dans le piĂšge. Fort heureusement, son Ă©pouse Elmire nâest pas dupe des agissements manipulateurs de Tartuffe : elle parviendra, in fine, Ă faire tomber le masque de lâhypocrite et Ă dĂ©nouer un scĂ©nario bien complexe.
Cependant, lâentre-deux de ce type de situation dans lequel le prĂ©dateur avance sous son masque sĂ©duisant entraĂźne le plus souvent des obstacles ou des drames qui sont confiĂ©s, en dernier recours, au psychanalyste⊠Dans ce genre dâimbroglio, le patient consulte puisquâil se sent dĂ©passĂ©, sous le joug dâune sorte de fatalitĂ© : Ă la fois incompris et impuissant. Pour autant, il a sa part de responsabilitĂ©sâŠ
Nous ne sommes plus au XVIIĂšme siĂšcle, bien entendu, mais les Tartuffe sâinfiltrent sempiternellement : est-ce le fruit dâun hasard si dĂ©vastateur que ça ? Ou y a-t-il matiĂšre Ă rĂ©flexion ? Quant Ă Elmire, au fil du temps, elle est devenue ElvireâŠ.
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Le complexe dâElmire
Chapitre I
Acte manqué
Quâil est facile de parler Ă un prĂȘtre ou Ă un psychanalyste ! Quâil est facile de confier Ă lâun ou Ă lâautre que son pĂšre a fait de la prison pour viol ou, pire, que câest un imbĂ©cile malheureux ! Il est encore plus aisĂ© dâavouer, dans ce genre de milieu feutrĂ©, que sa mĂšre avait un amant il y a longtemps, trĂšs longtemps⊠Alors que ce nâest pas vrai ! Ă confesse ou sur le divan, tout est permis. Et ça, Elmire le saitâŠ
Elle vient de quitter la petite Ă©glise qui lâa vue grandir. Comme chaque jeudi, elle est allĂ©e faire brĂ»ler un cierge, puis sâest agenouillĂ©e et a priĂ©. Et surtout, doutĂ©. De tout. Y compris du Seigneur quâelle respecte justement dans la mesure oĂč elle doute. Sorte de menace abstraite, implicite, il lui arrive de Lui demander pardon. Pourtant, son enfance ne lâa pas gĂątĂ©e et ça, il lui semble quâelle ne lâa pas choisi. Sauf que⊠Sauf quâil lui arrive aussi de croire en la rĂ©incarnation, au rĂȘve pascalien, Ă une possibilitĂ© de vies rĂ©currentes inscrites dans un magma atemporel. Aujourdâhui, comme chaque jeudi, elle file â aprĂšs son devoir spirituel â chez son psychanalyste. Deux rues plus loin. Comme dâhabitude, la salle dâattente est pleine du vide de ces deux mĂȘmes personnes qui attendent avant elle. Comme chaque semaine. Et qui passeront, comme Ă lâaccoutumĂ©, avant elle. Le salut discret brise fugacement un silence indiffĂ©rent. Les deux patients sont assis systĂ©matiquement au mĂȘme endroit. Elle, les yeux dans le vague. Lui, semblant absorbĂ© par une lecture rĂ©barbative : lâouvrage est gros, Ă©norme mĂȘme. Chaque jeudi, le livre semble diffĂ©rent. La toile dâaraignĂ©e au plafond, au-dessus du radiateur, balance lĂ©gĂšrement. Sa façon Ă elle de saluer Elvire ? PrĂ©tentieuse : se prendrait-elle Ă cet instant pour Colette et sa description parfaite de la bestiole venant chaque matin sâapproprier la tasse de chocolat chaud que lâĂ©crivain se prĂ©parait ? OĂč nâest-ce pas plutĂŽt « son » Tartuffe qui hante ses jours comme ses nuits ? Dans la sĂ©ance, son psy ne saura rien de sa rĂ©flexion du jour. Sâil la devine, elle lâen dissuadera. 57 euros la sĂ©ance (non remboursĂ©e) lây autorisentâŠ
Elvire nâa envie de rien sur lâinstant⊠Les revues people Ă disposition ne lui disent dĂ©cidĂ©ment rien : câest toujours la mĂȘme chose, pense-t-elle, toujours les mĂȘmes tĂȘtes â couronnĂ©es ou pas â, toujours les mĂȘmes histoires. Elle est sĂ»re que, pour la plupart, ces stars du showbiz devraient consulter un psy⊠Encore que ceux qui sont censĂ©s avoir fait une analyse ne lâenthousiasment pas, Ă en croire certains de leurs comportements ou de leurs agissementsâŠ
Le temps passe lentement. Si elle avait su, elle serait restĂ©e davantage dans la paroisse. Non, Ă la rĂ©flexion, rĂ©flĂ©chit-elle, car elle serait arrivĂ©e en retard Ă sa sĂ©ance et le psychanalyste le lui aurait fait remarquer⊠Câest dâailleurs bizarre cette sorte de remarques, pense-t-elle mi-amusĂ©e, mi-ironique, comment peut-il bien sây prendre pour Ă la fois Ă©couter lâinconscient de son analysant et guetter la sonnette ? Enfin, ce nâest pas le problĂšme dâElvire qui en a dâautres, bien plus graves Ă gĂ©rer⊠Quant Ă ses deux compagnons de salle dâattente qui continuent Ă jouir de cet immobilisme forcĂ©, estime-t-elle, il faudrait quâils lui donnent leur recette pour ne pas bouger dâun millimĂštre sur leur siĂšge. Dâailleurs, celui dâElvire grince et craque dĂšs quâelle tente le moindre changement de position. Et compte tenu du silence de mort (oui, oui !) qui rĂšgne dans la piĂšce surchauffĂ©e (bonjour les dĂ©penses dâĂ©nergie inutilesâŠ), elle nâose plus se hasarder au plus petit dĂ©placement dans son fauteuil. De toute façon, quand le psy lui demandera ce quâelle a Ă lui dire en ce jeudi 29 janvier, elle ne lui touchera mot de tout ce qui se dĂ©roule Ă lâinstant t dans sa tĂȘte. AprĂšs tout, si avant lâheure, ce nâest pas lâheure, aprĂšs lâheure, ce nâest plus lâheureâŠ
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La situation ne peut plus durer, elle est carrĂ©ment grotesque. Mais quâest-ce quâil fabrique avec son analysant ? Du reste, câest peut-ĂȘtre une analysante⊠Elvire a envie de partir. Mais que vont penser ces deux momies figĂ©es dans leur psychorigiditĂ© ? Et puis, elle sâen fiche : ce nâest pas parce quâils se voient toutes les semaines au mĂȘme endroit que ces deux⊠Ces deux quoi ?... Ces deux insignifiants ont quelque droit de regard sur elle. Tiens ! Insignifiant, un signifiant ? Ah, non, elle ne va pas sâĂ©puiser Ă dĂ©cliner les combinaisons phonatoires Ă la maniĂšre de Jacques Lacan et encore moins ses nĂ©ologismes auxquels personne ne comprend rien, hurle-t-elle muettement, soudain agressive mais â elle se fĂ©licite â tout en retenue : le siĂšge dâElvire fait du bruit, elle ne lâoublie pasâŠ
Bravo pour avoir fait le choix de sĂ©ances Ă durĂ©e variable, sâassĂšne-t-elle maintenant⊠Si au moins elle avait eu lâintelligence de consulter un freudien : 55 minutes et hop, au suivant ! Tout le monde est content, pas de retard dans la salle dâattente ; les revues ne sont pas consultĂ©es et restent propres ! Quant au psy, câest tout bĂ©nef pour lui aussi, regrette Elvire soudainement. Elle se ressaisit trĂšs vite, se disant que le hasard nâexiste pas⊠Jusque dans cette attente qui a sĂ»rement du sens⊠Mais sens pour sens, elle se convainc peu Ă peu quâelle va partir, ce sera un acte manquĂ©, dâaccord, mais qui aura du sens lui aussi : un vrai « discours rĂ©ussi » comme le lui rappellera Ă la sĂ©ance suivante son psy qui ne manquera pas de lui faire payer son absence⊠Câest un comble ! Mais câest dĂ©cidĂ©, elle se lĂšve⊠Le fauteuil craque⊠Ah non, câest la porte du bureau de lâanalyste qui sâouvre Ă ce mĂȘme instantâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre II
Besoin de punition
Jeudi 5 fĂ©vrier. Il a un peu neigĂ© la veille. Mais pas de quoi sâaffoler. Elvire se dirige dâune dĂ©marche plutĂŽt assurĂ©e chez son psy. Le moral au beau fixe. Elle a aujourdâhui lâhumeur joyeuse. Bien que son mari, Odon, lâait encore Ă©nervĂ©e ce matin en lui vantant pour une Ă©niĂšme fois les qualitĂ©s de son grand ami ThĂ©odore. Un vĂ©ritable Tartuffe selon elle. Dâailleurs, câest ainsi quâelle a baptisĂ© cet hypocrite ! Prudence, la belle-mĂšre dâElvire, malgrĂ© son prĂ©nom Ă lâessence protectrice, est de lâavis de son cher fils : ThĂ©odore serait un homme pieux, Ă la morale on ne peut plus convenable. Pourtant, ressasse Elvire, quelque chose lui dĂ©plaĂźt chez cet individu trop poli pour ĂȘtre honnĂȘte. Trop au lit pour ĂȘtre honnĂȘte, se met Ă Ă©grener lâĂ©pouse incomprise. Le psy lui fera sĂ»rement faire des liens avec cette lecture diffĂ©rente⊠Elle se trouve du reste devant lâhabitation de son thĂ©rapeute sans sâĂȘtre rendu compte du chemin parcouru. Tiens, les volets sont clos ? Elle sonne⊠Pas de rĂ©ponse⊠Elle se hasarde Ă sonner une seconde fois au risque que le professionnel de la psychĂ© lui souligne peu aimablement un rĂ©flexe abandonnique dans ce geste pourtant logique. LĂ©gitime mĂȘme ! La grosse porte ancienne reste dĂ©finitivement fermĂ©e. Elvire est sĂ»re quâelle a rendez-vous comme chaque jeudi Ă la mĂȘme heure rue MoliĂšre. Par acquit de conscience, et parce quâelle a un surmoi â ELLE â, elle cherche nerveusement son agenda dans son sac. Enfin dans sa valise, rage-t-elle, quâil faut absolument quâelle range dâailleurs. Enfin quand elle en aura le temps⊠Ăa y est⊠Elle attrape lâobjet, le fait tomber, le ramasse, lâouvre avec agitation, a du mal Ă trouver le jour concernĂ© et constate, effectivement, quâelle nâa rien notĂ© ! La mĂ©moire lui revient tout Ă coup : il lui avait dit quâil serait absent en ce 5 fĂ©vrier lorsquâelle avait pris sa sĂ©rie de rendez-vous. Et si câĂ©tait un acte manquĂ© de sa part, hein ? Le surmoi dâElvire la stoppe net Ă cet instant : ne lâavait-il pas prĂ©venue ?
Elvire prend le chemin du retour. Déçue ? Oui, elle se lâavoue. Elle voulait lui parler, lĂ , maintenant, tout de suite, de son Ă©poux et de ce lien â quâelle ne sent vraiment pas â qui unit son compagnon Ă ce⊠Tartuffe⊠Elle ralentit son pas. Elle nâest plus pressĂ©e et rĂ©flĂ©chit au prĂ©nom de son homme : Odon, câest dĂ©cidĂ©ment ridicule ! En plus de ça, il est nĂ© Ă Orgon, dans le Vaucluse. Odon/Orgon, ses beaux-parents ne se sont pas cassĂ© la tĂȘte⊠Ce qui ne lâĂ©tonne pas. Prudence ne passe-t-elle pas son temps Ă avoir peur. De tout. De rien. Alors, quant Ă se lancer dans un prĂ©nom original pour son fils, fallait pas y penser⊠De toute façon, songe Elvire, sa belle-mĂšre ne pense pas. Câest ainsi que son fi-fils chĂ©ri ne lui pose aucun problĂšme⊠Câest insensĂ©, soupire lâanalysante dĂ©pitĂ©e. Ceci Ă©tant, elle dĂ©cide dâinverser la vapeur : le psy absent, elle a Ă©conomisĂ© en cette journĂ©e ensoleillĂ©e 57 euros ! Quâelle va sâempresser dâinvestir autrement. Mais bien sĂ»r quâelle va le faire ! Un pâtit tour chez son libraire prĂ©fĂ©rĂ© et ce sera lâoccasion dâacheter « Lâamour et la haine » dâune anglaise, psychanalyste, une certaine Melanie ? Elvire cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment le nom de lâauteur. Encore un exemple qui vĂ©rifie bien que les psys lâabandonnent⊠Enfin, avec le titre, le commerçant trouvera lâouvrage. Personne nâest indispensable, se rĂ©jouit Elvire. Heureusement ! Si son mari pouvait penser la mĂȘme chose de son Tartuffe adorĂ©, ce serait le⊠pied ! Elle a osĂ© se le dire Ă elle, elle a osĂ© prononcer en son for intĂ©rieur ce terme « pied ». Mais rien de vulgaire ici. AprĂšs tout, nâest-elle pas un bipĂšde qui apprĂ©cie, tout en cogitant, lâusage de la marche ?
La librairie est ouverte. Bon, Elvire en a peut-ĂȘtre terminĂ© avec ses rĂ©sistances. Pas un chat dans la boutique, elle en profite pour flĂąner. Le libraire, toujours accroc aux fringues de marque, la salue gentiment. Il sait quâelle est capable de trouver ce quâelle cherche. Mais
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aujourdâhui, comme dirait sa fille Mariane, ça le fait pas ! Quelques brĂšves paroles Ă©changĂ©es avec le commerçant qui sâexcuse de ne pas avoir cette publication dont il connaĂźt lâauteur. Il part derechef lui commander cet excellent ouvrage de Melanie Klein. Elle lâaura dans quelques jours. Ce qui implique quâelle devra repasserâŠ
Repasser/Repassage: sa paniĂšre de linge lâattend Ă la maison et personne nây aura touchĂ© ! Elle quitte le magasin en se disant que ce nâest pas son jour mais quâĂ©nervĂ©e comme elle est, elle en profitera pour sâoccuper des chemises de son cher mari⊠Chemise, elle se rĂ©pĂšte le mot chemise⊠Elle a besoin dâun classeur, la papĂšterie se situe Ă cĂŽtĂ©, elle va faire cet achat quâelle remettait toujours Ă plus tard. Pourquoi ? Elle ne le sait pas mais ne continuera pas cette autoanalyse qui commence Ă la fatiguer ! Elle agrippe la poignĂ©e de la porte, regarde comme Ă son habitude furtivement Ă lâintĂ©rieur et dĂ©couvre la silhouette de ThĂ©odore ! Câen est trop, elle nâachĂštera pas « son » classeur, refusant de sâembarquer tout de go dans un dĂ©coupage linguistique de ce nom commun⊠Pourtant, elle ne peut sâempĂȘcher de sây hasarder : classe-heurts. Non, ce nâest plus possible ! Son moral nâest plus ce quâil Ă©tait une heure auparavant : au-paravent⊠Elvire se sent devenir folle. Elle ne parvient pas Ă arrĂȘter son mental. La psychanalyse ne la lĂąche pas. Câest effrayant ces dĂ©corticages qui se bousculent plus obsĂ©dants les uns que les autres ! Mais, finalement, elle est en train de faire le travail du psy⊠CarrĂ©ment Ă sa place ! Câest comme quand petite, sa meilleure copine parlait en classe et quâelle se faisait punir pour elle, Ă sa place⊠Pourquoi ce besoin de punition, victimise-t-elle, vidĂ©e de son Ă©nergie ?
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Le complexe dâElmire
Chapitre III
Couple dâopposĂ©s
Jeudi 12 fĂ©vrier. Deux fois que le psy rĂ©pond au tĂ©lĂ©phone. Elvire sait que les avis divergent dans cette profession. Il y a ceux qui rĂ©pondent pendant une sĂ©ance. Et ceux qui ne rĂ©pondent pas. Pour sa part, câest selon⊠Parfois, elle aimerait que lâhomme de sciences (ou de lettres ?) soit tout Ă elle. Elle trouve alors insupportable quâil rĂ©ponde. La parole lui est enlevĂ©e Ă elle qui paye ce moment prĂ©cieux. Tandis que celui ou celle qui est Ă lâautre bout du combinĂ© ne rĂšgle rien Ă cet instant. Ă part le prix de la communication. Encore heureux, pense-t-elle⊠à dâautres rencontres, Elvire trouve intĂ©ressant (câest le terme quâelle sâentend dire) ce qui est pour elle de lâordre dâun monologue : effectivement, seul le psy parle ! Le monde Ă lâenvers, fulmine-t-elle au bout de sa rĂ©flexion. Mais â elle le reconnaĂźt volontiers â le fait dâĂ©couter quelques bribes dâune conversation qui ne la regarde pas (ça, ça se discute !) lui permet de dĂ©clencher son imaginaire. Nâoccupe-t-elle pas alors la place de lâinterlocuteur invisible ? Le fameux miroir thĂ©orisĂ© par Lacan se situe sĂ»rement lĂ . Elle a lu quelque chose de cet ordre. Le psy vient de raccrocher son combinĂ©. Elle dĂ©cide brutalement de lui faire payer son absence rĂ©pĂ©tĂ©e because le combinĂ©. Pourquoi ce terme combinĂ© revient-il ici sans quâelle puisse le maĂźtriser, lui interdire lâaccĂšs Ă cette consultation ? CombinĂ© a sĂ»rement des choses Ă lui dire⊠Finalement, elle se dĂ©cide Ă lĂącher ce terme dĂ©suet, inhabituel pour elle, Ă©tranger mĂȘme Ă son vocabulaire. Au maĂźtre de le rĂ©cupĂ©rer aprĂšs tout. Dâautant que si Elvire ne parle pas, ce nâest pas lui qui y verra le moindre inconvĂ©nient. Nâest-il pas payĂ© pour que lâanalysant lui livre des sons, ou lui retire lesdits sons ? Le tĂ©lĂ©phone sonne Ă nouveau. Va-t-elle craquer cette fois ? Non, il faut mettre du sens sur tout. ParaĂźt-il. Du moins pour la psychanalyse. Donner du sens, donner du sens, martĂšle la petite voix intĂ©rieure dâElvire⊠Mais que vient-il de se passer, lĂ , tout de suite ? A-t-elle rĂȘvĂ© dans une confusion totalement libidinale ? Son psy vient de prononcer « combinĂ© ». Elvire sait que combinĂ© a Ă©tĂ© Ă©grenĂ© dans cet espace singulier. Câest sĂ»r, elle a toute sa tĂȘte Ă elle. Impossible, sâinsurge-t-elle, de se souvenir de lâentiĂšretĂ© de la phrase du psy car lorsquâil discourait, elle pensait Ă autre chose. Elle tente son coup â elle nâaime pas cette expression â, elle se fiche quoi quâil en soit de son « phrasĂ© » Ă cette seconde puisquâelle sâautorisera Ă lui dire, Ă son expert en transferts, quâil est curieux de penser au terme combinĂ© et de lâentendre prononcer par lui qui nâa rien Ă voir avec tout ça (Elvire ressent alors des picotements dans la gorge et se met justement à ⊠tousser !)⊠Et elle verra bien ce quâil lui rĂ©pondra⊠Ce sera sa question/piĂšge du jour ! Et tac ! Elle se ravise (nâa-t-elle pas toussotĂ© ?) et ne lui fera pas cet honneur : offrir Ă cet hĂ©ritier de Freud la possibilitĂ© de partager comme une intimitĂ© langagiĂšre. Elle nâoublie dâailleurs pas quâil faut absolument quâelle comprenne lâintĂ©rĂȘt que son mari, son Odon, accorde Ă ThĂ©odore dit Tartuffe⊠Le psy ne rĂ©pond pas Ă sa question. Elle sait quâelle insistera. Elle insiste Ă©videmment en fabriquant une association trĂšs emberlificotĂ©e. Il laisse passer. Il veut jouer Ă ce petit jeu, elle nâest pas pressĂ©e. Il faut bien quâil se dise Freud-bis quâavec ce quâelle subit dans son couple, elle nâa rien Ă en faire de son silence. Avec elle. Il Ă©tait bien plus bavard tout Ă lâheure au tĂ©lĂ©phone ! La salle dâattente doit se remplir. Encore une fois, Elvire nâest pas pressĂ©e⊠mais un tantinet agacĂ©e. Tout de mĂȘme. Elle poursuit, en dĂ©crivant un Tartuffe dont elle assure quâil avance masquĂ©. Continuez, balbutie le spĂ©cialiste de lâĂ©coute.
Elvire sent quâun rejet des hommes en gĂ©nĂ©ral la submerge en cette seconde. Paradoxalement. Un peu comme le jour de son accouchement. Mariane nâĂ©tait pourtant pas trĂšs grosse : 2 kg 710, se souvient-elle, retrouvant intact ce grand Ă©vĂ©nement de sa vie. « Ma »
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Mariane⊠Ah ! Câest quâelle ne la regrette pas, elle qui ne voulait pas ĂȘtre mĂšre. MĂšre/Maire : encore une bizarrerie de son inconscient. Mais captivante Ă plus dâun titre. Le Tartuffe â le sien â passe son temps Ă suggĂ©rer Ă Odon que celui-ci ne comprend rien Ă la politique et quâil devrait revoir sa copie ! Câest-Ă -dire quâil se rallie Ă ses idĂ©es toute thĂ©odoriennes⊠Elle lâexplique Ă son interlocuteur qui ne⊠rĂ©pond rien ! Elvire se bloque puis se braque. Elle se tait et son orifice buccal nâest pas prĂȘt de participer. La sonnette nâarrĂȘte pas de troubler le silence. Le psy paraĂźt imperturbable. Elle est sĂ»re quâil est vert de rage et quâil bout Ă lâintĂ©rieur. Le tĂ©lĂ©phone sonne. Elvire sursaute. Je vous remercie, rĂ©pond celui quâelle juge, lĂ , carrĂ©ment incompĂ©tent et qui est assis en face dâelle. Il raccroche, elle dĂ©croche : plus rien ne sortira de sa bouche. Une vraie carpe. Il pense sĂ»rement que le tĂ©lĂ©phone lâa perturbĂ©e. Elle sait quâil va culpabiliser. Tout Ă fait normal. Il a un surmoi lui aussi. Elvire considĂšre de facto que si le psy a cette capacitĂ© Ă sâautopunir, elle peut dĂšs lors enchaĂźner son rĂ©cit : Tartuffe est mis en piĂšces, Orgon vĂ©ritablement laminĂ©. Tout oppose ces deux hommes, rajoute lâanalysante. Tout le monde le pense. Le psy interrompt la sĂ©ance aprĂšs que son interprĂ©tation ait portĂ© sur pense/panse. Elvire accepte peu ou prou lâexplication, insatisfaite malgrĂ© tout. Le psy ne perd rien pour attendre. Elle sait dĂ©jĂ ce quâelle lui dira la prochaine foisâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre IV
DĂ©pression
Jeudi 19 fĂ©vrier. La femme de mĂ©nage est en vacances. MĂȘme si elle ne vient pas beaucoup â quatre heures par semaine â et mĂȘme si elle nâen fout pas une rame quand elle est lĂ , Elvire apprĂ©cie dâavoir les moyens pĂ©cuniaires de dĂ©lĂ©guer ce genre de tĂąches subalternes. La journĂ©e est chargĂ©e : vitres (non, elle ne les fera pas car la grisaille annonce la pluie), sanitaires (tout compte fait, ça pourra attendre le retour de la technicienne de surface), sols (oui mais un pâtit coup rapide dâaspirateur car Elvire Ă mieux Ă faireâŠ). Avant dâaller chez son psy, elle veut rĂ©flĂ©chir Ă ce binĂŽme Ă deux balles (câest son expression) que forment Odon et ThĂ©odore. Elle saisit une feuille de papier sur son bureau, pour tout Ă lâheure, aprĂšs avoir aspirĂ©. Elle y notera ce qui la choque. Le papier attire trĂšs vite lâattention dâElvire : il sâagit dâune publicitĂ© qui vante les mĂ©rites dâune entreprise de nettoyage qui propose ses services aux particuliers. Elvire sâassied dans le fauteuil placĂ© devant le bureau, lit attentivement le texte, bien tournĂ© pense-t-elle. Une belle indication, un vrai signe : elle tourne donc la feuille. CĂŽtĂ© verso, rien. Dubitative, elle revient au recto. DĂ©cidĂ©ment, elle se sent attirĂ©e par le rien du verso. Elle y retourne quand elle rĂ©alise que ThĂ©odore-Tartuffe est nĂ© un 27 janvier. Il est donc du signe du⊠Verseau ! Encore lui ? Une impression dĂ©primante assombrit davantage le moral de lâĂ©pouse malmenĂ©e. DĂ©niĂ©e, oui parfaitement, estime-t-elle. Elle devrait peut-ĂȘtre consulter un psychiatre. La psychanalyse nâest-elle pas en train de la perturber ? Au moins, un psychiatre câest un mĂ©decin. Avec un vrai diplĂŽme. Un diplĂŽme dâĂtat. Et puis il y a un Conseil de lâOrdre pour cette profession. Les patients y sont assurĂ©s dâun minimum de sĂ©curitĂ© et de compĂ©tences. Elvire sâenfonce dans les mĂ©andres de sa rĂ©flexion : si elle est honnĂȘte avec elle-mĂȘme, il lui est arrivĂ© dâentendre parler de façon extrĂȘmement nĂ©gative dâun psychiatre des alentours. Câest que la camisole chimique, comme on dit, ça ne fait pas toujours du bien. Elle se souvient ainsi de Prudence, sa belle-mĂšre qui, un temps, a eu recours Ă la pilule du bonheur. Je tâen ficherai moi de la pilule du bonheur, sâexaspĂšre Elvire, je ne lâai jamais vue aussi mal dans sa peau quâĂ ce moment-lĂ ! Et câest qui qui a assumĂ© ses pleurs incomprĂ©hensibles, mĂ©langĂ©s aux rires soudains tout aussi dĂ©placĂ©s, suivis dâabsences quâil fallait respecter religieusement ? Mais câest moi, se souvient la belle-fille, toujours accablĂ©e dâautant de responsabilitĂ©s⊠Encore moi, toujours moi⊠Eh bien, puisque câest comme ça, elle ne passera pas lâaspirateur, plus jamais ! Il pourra y avoir des moutons partout, rien Ă en cirer ! Câest le cas de le dire, sourit amĂšrement Elvire. Son psy lui aurait dit : Je ne vous le fais pas dire⊠Cirer, elle nâa pas besoin de son linguiste pour lui faire entendre ce terme, ambivalent, nâest-ce pas ? Par contre, elle ne passera pas non plus la cireuse. Elle est ramenĂ©e tout dâun coup Ă une de ses relations qui se glorifie que le mari de celle-ci lâappelle Cirette. Mon Dieu, sâoffusque lâanalysante, Mon Dieu que ce mot pourrait lâentraĂźner Ă franchir un cap rĂ©flexif limite aux yeux de la biensĂ©ance⊠De toute façon, câest le mouton de tout Ă lâheure qui refait surface. Est-ce ça le fameux retour du refoulĂ© postulĂ© par Freud, se questionne Elvire ? Elle a lu quelque part Ă ce sujet que le maĂźtre de la psychanalyse pouvait aussi utiliser lâexpression rejetons de lâinconscient⊠Elle abandonne rapidement sa rĂ©flexion thĂ©orique â trop thĂ©orique (elle ne va quand mĂȘme pas continuer tout le travail du psy quâelle verra dans la journĂ©e !) â pour revenir Ă mouton. Ă ses moutons. Elvire Ă©touffe un ricanement. En attendant, il peut y avoir de la bourre par terre dans la maison, elle nây touchera pas⊠La bourre/Labour : mais non, elle nâira pas sur ce terrain-lĂ , affirme-t-elle. Quand, Ă la vitesse de lâĂ©clair, son inconscient sâamuse Ă remplacer terrain par champ. Elvire sait que son psychisme se trompe : de mĂ©moire familiale, la profession dâagriculteur nâa jamais jailli dans sa filiation. Dâailleurs, Elvire nâa pas une Ăąme dâagricultrice ! DĂ©jĂ que passer lâaspirateur lâĂ©puise⊠Elle ne peut pas sâimaginer un seul instant faisant les vendanges. Elle revoit des tas de souvenirs de ces hommes et de ces femmes courbĂ©s, en plein hiver, pour ramasser des
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sarments⊠Câest curieux comme une seule petite lettre change tout. La voilĂ maintenant jonglant avec des mots quâelle nâavait pas prononcĂ©s depuis longtemps. Par exemple, de sarment Ă serment, seule la lettre « e » modifie complĂštement le sens. Pourtant, se ravise-t-elle, elle peut â si elle le dĂ©cide â lĂ , ici, sans lâautorisation de personne, sâamuser Ă faire Ă©voluer lâexpression faire un serment. Ceci Ă©tant, on peut aussi faire un serpent. Non, non, ce nâest pas tirĂ© par les cheveux ! Il suffirait quâelle sâempare du ruban Ă cadeaux quâelle avait achetĂ© pour ses paquets de NoĂ«l et restĂ© peu utilisĂ© (elle ne sait plus comment ça sâappelle mais cet oubli nâa aucune importance, se dĂ©culpabilise-t-elleâŠ) et elle fabriquerait un serpent. Elle nâaime pas les reptiles, ce qui la conforte dans le fait que, dĂ©cidĂ©ment, elle nâa pas la fibre agricole. En plus de ça, renchĂ©rit-elle, câest un mĂ©tier dâhomme et elle, elle se sent femme ! Bien quâelle nâait pas envie de passer lâaspirateur. Mais pourquoi ne demanderait-elle pas Ă Odon de le faire Ă sa place ? Il ne comprendrait pas et ThĂ©odore sâen mĂȘlerait⊠Ne surtout pas faire dâhistoires avec son mari est le commandement n° 1 car Tartuffe en profiterait ! Câest donc dĂ©cidĂ©, Elvire va passer lâaspirateur⊠Mais pourquoi rĂ©siste-t-elle ? RĂ©siste !, lui lance sa petite voix, qui lui rajoute que câest une chanson de Michel Berger interprĂ©tĂ©e par France Gall⊠Mais comment fait-elle France Gall pour supporter sa vie avec tous les grands malheurs quâelle a subis, se demande Elvire ? Quelle force de caractĂšre, quel courage !, reconnaĂźt-elle admirative⊠Peut-ĂȘtre suit-elle une psychanalyse ? Ăa fait quand mĂȘme du bien dâaller voir son psy chaque semaine, soupire Elvire⊠Mais que va-t-il penser dâelle lorsque, cet aprĂšs-midi, elle lui annoncera quâelle nâa pas trouvĂ© lâĂ©nergie de faire le mĂ©nage ?
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Le complexe dâElmire
Chapitre V
Eros
Jeudi 26 fĂ©vrier. Le psychanalyste invite Elvire Ă sâasseoir. Elle a du mal Ă retrouver la somme correspondant Ă lâacte symbolique du paiement. De temps en temps, elle jette un coup dâĆil en direction du thĂ©rapeute qui lui semble avoir un rictus au coin des lĂšvres. Câest quâil serait content quâelle ait oubliĂ© lâargent, rumine-t-elle : il pourrait lui dire que la sĂ©ance nâaurait pas lieu, quâelle serait due et quâelle la rĂšglerait la semaine prochaine⊠Mais elle ne lui fera pas cet immense plaisir ! SâĂ©chappe de son sac un bĂąton de brillant Ă lĂšvres qui roule sur le tapis Ă deux centimĂštres du pied gauche du psy⊠Va-t-il se baisser pour le ramasser ? Elvire scrute lâhomme qui reste impassible⊠Quel goujat, rage-t-elle. Elle fait semblant de retourner Ă son sac⊠Non, elle ne peut pas laisser lâobjet sur le sol. Elle se baisse, sâaccroupit, lance sa main en direction du bĂąton Ă lĂšvres, lâattrape fĂ©brilement⊠Le maudit objet retombe. Mais, mĂȘme pas honte ! Elle rĂ©ussit Ă sâemparer de son embellisseur, se rĂ©installe maladroitement dans le fauteuil⊠Re-coup dâĆil en direction du psy, toujours rivĂ© sur son siĂšge, avec un faux air intello, sâexaspĂšre lâanalysante. Elle lui trouve aujourdâhui un regard Ă la Tartuffe ! Il ne lui manquait plus que ça⊠Quâelle est bĂȘte, elle avait mis lâappoint dans sa poche. Elle sâacquitte pĂ©niblement de la sĂ©ance, le psy le lui fait remarquer. Il est nul par moments tout de mĂȘme, sâindigne-t-elle. Depuis le temps quâelle le frĂ©quente, elle a compris ce quâest une rĂ©sistance. Eh bien, ça tombe bien (et puis surtout ça rime !)⊠Elvire sent quâelle va Ă©clater de rire : elle Ă©clate de rire. Le psy va croire quâelle rit parce quâelle a eu du mal Ă retrouver ses esprits. Et il sera dans lâerreur. Elle rit parce que la semaine derniĂšre, elle voulait lui parler de sa rĂ©sistance Ă faire le mĂ©nage, quâelle ne lâa pas fait et quâaujourdâhui, alors quâelle nây pensait plus, son inconscient lui rappelle Ă sa façon quâelle doit en parler. Elle enchaĂźne avec le mot tapis qui lâamĂšne Ă mĂ©nage. Mais lĂ , plus aucun mot ne sort de sa bouche. Elle nâest quand mĂȘme pas frappĂ©e dâAlzheimer ! Le psy rompt le silence en lui demandant oĂč elle en est de son couple ? Nâimporte quoi, peste-t-elle â silencieusement bien entendu⊠Tout en se disant que Freud-bis sait ce quâil fait⊠Du moins lâespĂšre-t-elle⊠Elle sâentend lui rĂ©pondre que son couple irait bien si ThĂ©odore/Tartuffe ne sâinvitait pas chez eux de longue⊠Mais quâest-ce que câest que cette expression quâelle vient de prononcer ? De longue ? Jamais Elvire ne sâautorise un vocabulaire aussi ordinaire⊠Elle en revient Ă son ennemi n° 1, narrant que maintenant il a dĂ©cidĂ© dâĂȘtre carrĂ©ment le coach particulier de son mari⊠Un flot de paroles se bousculent, dominĂ© par une alternance de plaintes et de reproches⊠En plus, Odon accepte tout de ce piĂštre individu. ThĂ©odore dĂ©crĂšte quâĂ la maison, la nourriture est trop riche : le light est donc Ă lâhonneur ! Ă tous les repas. Toutefois, Elvire nâa pas lâintention de finir sous la coupe de lâignoble individu. DorĂ©navant, elle mangera en cachette. Elle sâempiffrera, se goinfrera avant de passer Ă table⊠Le psy nâintervient pas, ce qui Ă©tonne la patiente. Elle commence Ă envisager le divorce⊠Toujours mĂȘme attitude passive du psy, ce qui agace Elvire qui tente un Quâen pensez-vous ? Pas de rĂ©ponse⊠Elvire va craquer, elle le sent. Elle va insulter le thĂ©rapeute. Elle parvient toutefois Ă rĂ©primer sa folle envie de lui sauter au cou. Elle trouve le courage de le lui dire. Le psy juge lâexpression ambivalente. Elle admet bien volontiers quâon peut sauter au cou de quelquâun pour lâĂ©trangler mais Ă©galement pour lâembrasser. Bon, dâaccord, accepte Elvire, câest un transfert qui fait sens. Elle nâest pas complĂštement idiote et sait trĂšs bien que de lâamour Ă la haine, il nây a quâun pas. Dans la thĂ©orie psychanalytique, se hasarde-t-elle Ă demander, Eros, le Dieu amour, tient une place importante ? OĂč voulez-vous en venir ?, la questionne le spĂ©cialiste⊠Elle ne lui rĂ©pondra pas. Du moins, pas Ă ce genre dâinterrogations. De fait, bifurque-t-elle, habilement (ce qui la satisfait), feignant de sâamuser Ă rĂ©duire ThĂ©odore : elle assure (et se rassure) que lâami de son mari, tout envahissant quâil soit, lâest par son insignifiance⊠Elle capte dans les yeux du psy une sorte dâĂ©tonnement, ce qui lâencourage Ă
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poursuivre. Elle insiste longuement sur chaque phonĂšme : ThĂ©odore envahit au nom du vide, au nom du rien⊠Elle ressent son propos maladroit, insignifiant Ă son tour. Elle ne peut pas en rester lĂ . Elle dĂ©veloppe : ce pauvre type â ce Tartuffe â vient chercher auprĂšs dâOdon un peu de rĂ©confort car insipide comme il est, il a besoin dâune Ă©coute complaisante. Lâhomme de sa vie a une telle largesse de cĆur quâil supporte cette situation sans intĂ©rĂȘt. Fin de la sĂ©ance aprĂšs que lâinterprĂ©tation ait portĂ© sur un lien triangulaire subtil, apprĂ©cie Elvire : amour/argent/complexe dâinfĂ©rioritĂ©. Lâanalysante aime dĂ©cidĂ©ment beaucoup son analyste.
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Le complexe dâElmire
Chapitre VI
Fantasme
Jeudi 5 mars. Elvire achĂšve de raconter Ă son psy son Ă©nervement Ă la suite dâune Ă©mission littĂ©raire tĂ©lĂ©visĂ©e : selon elle, lâanimateur y faisait quasiment lâapologie dâun livre Ă©crit par un fils de collabo⊠Sans compter, complĂšte-t-elle, que le bouquin est publiĂ© chez un trĂšs grand Ă©diteur⊠Une honte de lâavis dâElvire ! Elle est toujours surprise, voire interrogative (mais nâest-ce pas un des axes dâune sĂ©ance de psychanalyse) que son Freud-bis ne rĂ©agisse pas Ă lâĂ©noncĂ© de ce qui lui semble ĂȘtre une histoire inadmissible. Parfaitement inadmissible, se rĂ©pĂšte-t-elle⊠à tous les coups, lâhomme au divan va lui dire â si elle martĂšle son indignation â quâelle est en projection. Donc elle choisit de faire une transition habile. Non pas un coq-Ă -lâĂąne, pas plus quâune volte-face puisquâelle sâentend dire que pire encore, dans cette mĂȘme Ă©mission intello (elle vient de dĂ©tacher les phonĂšmes avec un agacement non feint : in â tel â lo), un Ă©crivain â comme le fait dâailleurs ThĂ©odore â avait gardĂ© sa casquette Ă visiĂšre rivĂ©e sur son front. Câest une sĂ©ance courte quâelle a du mal Ă admettre malgrĂ© lâinterprĂ©tation indiscutable du psy. Le lien entre front et collaboration est indĂ©niable mais quant Ă expliquer quâElvire est en confusion fantasmatique parce quâelle a Ă©voquĂ© lâhorrible ami de son mari, elle nâapprĂ©cie pas⊠Elle se lĂšve pĂ©niblement du fauteuil, quitte le bureau songeuse mais sa dĂ©cision est prise sur lâinstant : elle ne parlera plus jamais de ThĂ©odore Ă lâanalyste ! Tartuffe lâimposteur sâest quand mĂȘme arrangĂ© inconsciemment pour sâinfiltrer, se hisser jusque dans sa sĂ©ance. Les inconscients communiquent, a postulĂ© le maĂźtre de la psychanalyse⊠Elvire imagine quâelle vient encore une fois dâen faire les frais. Dans la rue, il nây a pas Ăąme qui vive. Elle croise pourtant un homme, dâun certain Ăąge, petite soixantaine Ă©value lâanalysante, qui porte un chapeau⊠Câest rare de nos jours, constate-t-elle. Toutefois, avec le froid cinglant qui lui coupe littĂ©ralement le visage et lâhumiditĂ© quâelle sent glaciale dans ses cheveux, elle devrait se chapeauter elle aussi⊠Tiens, se chapeauter. On chapeaute quelquâun ou on se fait chapeauter, prĂ©cise la langue française. DĂ©cidĂ©ment, Tartuffe rĂŽde partout. MĂȘme dans les petites ruelles qui devaient ĂȘtre des coupe-gorge autrefois, sâangoisse-t-elle tout Ă coup. Sa colĂšre monte Ă nouveau, elle la sent explosive maintenant : nĂ©vrose de guerre, lui analyserait son psy⊠Mais câest bien ça, fulmine Elvire : ThĂ©odore recherche le conflit, il veut dĂ©truire son couple, il va voir Ă qui il a affaire avec elle. Elle va prendre les choses en main et ce boulet va dĂ©gager, continue-t-elle Ă fulminer. Quant Ă Odon, il va falloir quâil choisisse son camp dorĂ©navant et quâil dĂ©finisse bien qui est son vĂ©ritable alliĂ©, rage-t-elle. Câest aujourdâhui mĂȘme quâelle va mettre son plan Ă exĂ©cution car des munitions, elle en a, de quoi tenir le siĂšge le temps quâil faudra ! Il veut le feu, il lâaura ThĂ©odore-Tartuffe, se rĂ©jouit-elle, car câest la derniĂšre fois quâelle laissera ce tĂȘte-Ă -tĂȘte prĂ©cieux avec son psy perturbĂ© par lâodieux personnage qui vampirise Odon. La der des derâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre VII
GĂ©nital (amour)
Jeudi 12 mars. Ce matin, Elvire a suivi avec beaucoup dâattention un dĂ©bat Ă la radio sur un certain Reich, Wilhelm plus prĂ©cisĂ©ment de son prĂ©nom. En se dirigeant vers lâhabitation de son psychanalyste, elle essaie de se remĂ©morer les passages importants de cette discussion. Elle aimerait en parler avec lâhĂ©ritier de Freud. Bien sĂ»r, Reich nâĂ©tait pas prĂ©sent sur le plateau dâenregistrement car, si elle se souvient bien, il est dĂ©cĂ©dĂ© en 1957. Pas de gaffe Ă ce niveau-lĂ en sĂ©ance, pour ne pas courir le moindre risque de voir son complexe dâinfĂ©rioritĂ© majorĂ© par le sujet-supposĂ©-savoir, comme ironisait Jacques Lacan⊠Câest ainsi quâelle ponctue cette entrĂ©e en matiĂšre dont elle livrera la suite dans quelques minutes â ou dans quelques heures sâil y a du retard (non, lĂ elle exagĂšre, se sermonne-t-elle) â Ă celui quâelle frĂ©quente tous les jeudis aprĂšs-midi depuis⊠depuis⊠un certain temps ! Au diable lâavarice et les avaricieux, se rĂ©tracte-t-elle avec juste raison. Ah, lâinfluence correctrice du paiement ! Elvire se rappelle trĂšs bien son entretien prĂ©liminaire : le psy lui a demandĂ© de dire tout ce quâelle voulait (elle en doute un peu aujourdâhui⊠Mais bonâŠ), jusquâau moment oĂč il lui a transmis son diagnostic. Elle ne sait plus si ce terme â diagnostic â est correct re-situĂ© dans lâespace du divan. Câest plutĂŽt mĂ©dical comme nom et comme son psy nâest pas mĂ©decin Ă la base, elle opte plutĂŽt pour le mot interprĂ©tation. Ceci nâa que peu dâimportance maintenant dâailleurs. Et puis, elle est arrivĂ©e Ă destination. Elle pĂ©nĂštre dans la salle dâattente, vide. Une fois nâest pas coutume, pense Elvire⊠Elle rassemble Ă ce mĂȘme instant ses pensĂ©es en se demandant ce que vient faire dans ce silence cette phrase, non seulement dĂ©nuĂ©e de sens ici, mais â et câest bien plus grave â ce dicton (elle ne sait plus si dicton est convenable) lâempĂȘche de retrouver la teneur de lâĂ©mission sur Reich. Elle espĂšre malgrĂ© tout avoir le temps de tout remettre en ordre. Il sâagit dâun mĂ©decin autrichien, qui sâest destinĂ© progressivement Ă la psychanalyse. Elle croit se souvenir que câest Ă Vienne quâil a rencontrĂ© Sigmund Freud en 1920. Vienne, Vienne ? Elle connaĂźt les deux villes, lâAutrichienne et la Française. Elle a fait dans ces deux lieux gĂ©ographiques un excellent repas, dans les deux cas mariĂ©e et avec son Odon chĂ©ri⊠à lâĂ©poque, ce manipulateur de ThĂ©odore nâavait pas fait son entrĂ©e dans la famille, câĂ©tait le bon temps, regrette-t-elle⊠Elvire chasse brutalement lâombre de son Tartuffe dĂ©testĂ© et revient avec joie Ă Reich⊠Câest malgrĂ© tout un personnage compliquĂ© : il appartenait au parti communiste autrichien et il utilisait la classe ouvriĂšre pour vĂ©rifier ses travaux. Mais, se souvient Elvire, le plus important dans son Ćuvre est le lien quâil fait entre les problĂšmes psychologiques et les troubles sexuels. Si elle a bien compris ce que disait le journaliste, Reich prĂŽnait une sexualitĂ© libĂ©rĂ©e pour guĂ©rir les patients de leurs complexes. Peu Ă peu, le chercheur se serait dĂ©solidarisĂ© des postulats freudiens, tels la pulsion de mort ou lâĆdipe⊠Elvire est contente de retrouver Ă peu prĂšs Ă lâidentique ce quâelle pense avoir compris de la thĂ©orie reichienne. Ce qui lâencourage Ă poursuivre sa gymnastique mentale, dâautant que la porte du bureau du psy reste fermĂ©e, ce qui â pour une fois (elle est honnĂȘte avec elle-mĂȘme) â lâarrange plutĂŽt ! Ceci dit, elle ne se souvient absolument pas du moindre titre des ouvrages Ă©crits par Reich. Mais câest un dĂ©tail, se dit-elle⊠Lâhomme garde la rĂ©putation de sâĂȘtre attaquĂ© Ă la morale de lâĂ©poque et de ses interdits sexuels psychorigides. Alors lĂ , il ne sâest pas fait que des amis ! Finalement, surenchĂ©rit Elvire, dans une certaine couche de la sociĂ©tĂ©, les choses ont peu Ă©volué⊠A fortiori dans les milieux trĂšs religieux. Quoi quâil en soit, le commentateur a largement expliquĂ© que Reich sâest fait exclure aussi bien de la communautĂ© psychanalytique quâil frĂ©quentait que du parti communiste auquel il appartenait ! Elvire pense que Reich Ă©tait finalement un individualiste. Ăa nâengage quâelle, se murmure-t-elle. Pourvu quâelle arrive au bout de sa rĂ©vision, sâinquiĂšte-t-elle maintenant. Elle poursuit : le nazisme gronde et sĂ©vit et aprĂšs un sĂ©jour forcĂ© en Europe, Reich gagne les Ătats-Unis oĂč lĂ , enfin, il peut sâinstaller,
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bien dĂ©cidĂ© Ă continuer ses recherches, en 1939, croit-elle se souvenir. Oui, câest ça⊠Le point de repĂšre quâelle a eu tout Ă lâheure, lors de lâĂ©mission, câest quâil sâagit aussi de la date anniversaire de la naissance de sa marraine : elle a fait le lien, elle en est sĂ»re. Les travaux de Reich lui semblent bien complexes Ă Ă©noncer. Les mots lui reviennent. Il sâest intĂ©ressĂ© Ă une Ă©nergie vitale cosmique : non Ă©vacuĂ©e par lâorganisme, cette Ă©nergie le pollue, le dĂ©truit mĂȘme, pouvant se transformer en maladies graves comme le cancer. Dâailleurs, Reich sâest retrouvĂ© en prison pour avoir fait fabriquer et vendre un accumulateur de cette Ă©nergie. Mais comment sâappelle cette Ă©nergie ? La mĂ©moire dâElvire flanche Ă cet instant quâelle sait intuitivement capital. Elle se dĂ©sespĂšre⊠Elle a le terme sur le bout de la langue⊠Ăa commence par⊠ON⊠Non, par ORG⊠Son inconscient lui assĂšne abruptement : ORGONE. Et dire que Odon est nĂ© Ă ORGON ! Doit-elle en rire ou en pleurer ? Un rictus sâinstalle sur ses lĂšvres ; elle le sent figĂ© mais elle refuse en lâĂ©tat actuel des choses dâĂ©tablir le moindre rapprochement avec le terme lĂšvres qui renvoie au registre de la sexualitĂ© largement dĂ©veloppĂ© par Reich. Ă tort ? Elle nâen sait rien et ne se fera plus aucun commentaire Ă ce sujet. Elle saisit, sur fond de lassitude, une revue dont la couverture a Ă©tĂ© abĂźmĂ©e par quelquâindĂ©licat. La dĂ©chirure a enlevĂ© une partie dâun titre quâelle sâamuse Ă reconstituer pour se distraire et oublier que son mari a tentĂ©, lui aussi, de sâimmiscer dans sa sĂ©ance et quâelle rejette dorĂ©navant obstinĂ©ment ce genre de mĂ©lange libidinal. Elle dĂ©chiffre ce que lâinconscient du lecteur pas soigneux et peu scrupuleux a bien voulu abandonner : lyse se dĂ©tache⊠La porte de lâanalyste sâouvre, Elvire sursaute, le psy sâen rend compte et avant mĂȘme de la saluer lui dit ironiquement â du moins le perçoit-elle ainsi â quâelle avait eu peur⊠Nâimporte quoi, se dit-elle. Mais peur de quoi, franchement ? Le psychanalyste raccompagne son analysant et vient saluer Elvire. Elle est sĂ»re quâelle va lui parler dans sa sĂ©ance de sa sexualitĂ© avec Odon et il verra si elle a peur⊠Peut-ĂȘtre sera-t-il mal Ă lâaise, imagine-t-elle rapidement en sâasseyant. Reich lui a donnĂ© des ailes. Le psychanalyste devra assumer⊠Le tĂ©lĂ©phone sonne. Freud-bis ne rĂ©pond pas, câest bien la premiĂšre fois⊠Câest bien, la premiĂšre fois ? se rĂ©pĂšte-t-elle⊠Elle va enfin parler de sa toute premiĂšre fois, non pas avec Odon, car il est vrai quâavant Odon, il y a eu un certain WilliamâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre VIII
Hystérie
Jeudi 19 mars. Elvire sort de sa sĂ©ance de psychanalyse le cĆur lĂ©ger. Elle a parlĂ© Ă Freud-bis dâun article quâelle a lu dans un journal, article qui soulevait le fait que de plus en plus de Français changeaient de religion. Elle a fini par conclure que, bien que le contenu de ce dossier ait Ă©tĂ© intĂ©ressant, il Ă©tait peut-ĂȘtre tĂ©lĂ©guidĂ© par quelque intĂ©rĂȘt politique⊠Puis elle est passĂ©e par la-discutable-dĂ©magogie-tous-gouvernements-confondus, pour finalement se dire quâelle sâen moquait⊠Le psy lâa scansionnĂ©e sur Guy Moquet. Elle apprĂ©cie de constater que sa nĂ©vrose de guerre rĂ©siste moins. Câest dĂ©cidĂ©ment, pour Elvire, la perspective que ThĂ©odore va bien finir par battre en retraite⊠Elle vient de capter cette expression signifiante et a acquis une nouvelle certitude : lâennemi finira donc bien par se lasser dâessayer dâenjĂŽler ou dâenrĂŽler Odon⊠Ou les deux mon capitaine, se plaĂźt-elle Ă Ă©noncer⊠à propos de double, Elvire sent comme une envie irrĂ©pressible de se rendre dans une pĂątisserie proche, pour y prendre une tasse de thĂ© et des gĂąteaux. Elle hĂ©site : elle nâa pas vraiment envie dâĂȘtre seule attablĂ©e devant un Earl Grey brĂ»lant mais elle mangerait volontiers un ou deux gĂąteaux. Elle dĂ©cide alors de faire dâune pierre deux coups ! Elle achĂštera les gĂąteaux « et » goĂ»tera chez elle. Câest une excellente idĂ©e, pense-t-elle. Deux dames se font servir par la commerçante : curieux, Ă cette heure-ci, de demander des feuilletĂ©s Ă la saucisse, constate Elvire. Ă son tour maintenant, mais une valse hĂ©sitation commence Ă sâinstaller : prendra-t-elle un Ă©clair au chocolat ou une religieuse au cafĂ© ? La vendeuse se met en sĂ©duction. Elvire le perçoit. La vendeuse dit Ă la cliente quâelle a tout son temps⊠Ăa sonne faux, sâagace Elvire⊠Et si elle prenait un Ă©clair au cafĂ© et une religieuse au chocolat ? Câest ridicule, se dit Elvire⊠Elle se revoit alors enfant lorsque sa mĂšre lâamenait dans un salon de thĂ©, Ă la sortie de lâĂ©cole, certaines fois (pas toutes les fois, bien entendu !), pour y dĂ©guster des pĂątisseries. Sauf quâElvire nâen avait jamais vraiment envie, nourrie, gavĂ©e de la dĂ©pression de sa gĂ©nitrice qui, aprĂšs des annĂ©es de solitude, ne se remettait toujours pas de son divorce. TrompĂ©e, trahie par son mari, elle se repaissait de sa solitude. Seule elle Ă©tait, seule elle resterait⊠jusquâĂ sa mort. Finalement, se dit Elvire, sa mĂšre aurait dĂ» ĂȘtre religieuse⊠Zut, Ă©touffe Elvire⊠Mais son choix est quoi quâil en soit en train de sâaffiner. Elle ne prendra pas de religieuse â ni au chocolat â ni au cafĂ© â et il lui reste la possibilitĂ© dâacheter un Ă©clair⊠au chocolat ou au café⊠Elle dĂ©clenche son imaginaire pour enfin se dĂ©cider quand elle aperçoit deux merveilleux petits Saint-HonorĂ©. Elle a-do-re ce mets finement Ă©quilibrĂ©. Une vĂ©ritable alchimie de matiĂšres sucrĂ©es et de saveurs⊠La vendeuse, sĂ»rement un peu agacĂ©e, sâaffaire mollement Ă remettre en place des boĂźtes de berlingots, pas dĂ©placĂ©es du tout, histoire de faire comprendre Ă lâindĂ©cise que ça commence Ă bien faire. Entre soudain un livreur qui cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment, insiste-t-il, un boulanger. La commerçante raccompagne lâhomme jusque sur le trottoir et gesticule pour lui indiquer le magasin en question. Elle revient derriĂšre son comptoir en affirmant sur un ton aigrelet que Madame a pu ainsi faire son choix. Elvire, un peu gĂȘnĂ©e, dit que oui mais les mots liĂ©s au dĂ©sir du choix dâun gĂąteau ne sortent pas de sa bouche ! Elle sâentend bizarrement demander Ă son interlocutrice si elle pourrait, pour PĂąques, faire rĂ©aliser Ă son personnel un millefeuille pour douze personnes ! La pĂątissiĂšre, surprise, rĂ©pond par lâaffirmative. Elvire lui signifie quâelle repassera dans quelques jours confirmer sa commande car elle nâest pas sĂ»re aujourdâhui que ses invitĂ©s soient douze ou treize. Elle salue, transpirante, pour sortir rapidement en nage et se retrouver enfin libĂ©rĂ©e Ă lâair frais⊠Mais pourquoi a-t-elle autant de difficultĂ©s Ă choisir un gĂąteau ? Elle nâa quand mĂȘme plus trois ans⊠Elvire est carrĂ©ment larguĂ©e ! Dâaccord, cette scĂšne lâa une Ă©niĂšme fois ramenĂ©e Ă sa mĂšre mĂ©lancolique mais elle croyait tout de mĂȘme avoir un peu avancĂ© dans son analyse. Tout Ă ses rĂȘveries, Elvire se sent bousculĂ©e : elle se retrouve cĂŽte Ă cĂŽte avec sa fille, Mariane, qui lui dit que de ce pas, elle va
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sâacheter un pain au chocolat. Quâelle dĂ©gustera devant un chocolat chaud. Elvire fait mine de sourire en se disant que ça doit tenir de sa famille cette difficultĂ© Ă choisir. Si, si, se dĂ©culpabilise-t-elle : un pain au chocolat avec un chocolat chaud, câest nâimporte quoi ! Mariane est pressĂ©e, comme toujours⊠Elvire prend la direction de son domicile quand elle aperçoit le curĂ© de sa paroisse. Elle nâa pas trĂšs envie de lui parler. Surtout que lâhistoire de la religieuse est fraĂźche. Elle va faire comme si elle ne le voyait pas. Seigneur, pardonnez-moi, se signe-t-elle mentalement. RatĂ©, il sâapproche dâelle : Elvire sourit jaune et trouve â un peu mĂ©chamment â que Monsieur le curĂ© est en train de prendre une sacrĂ©e brioche ! Elle nâarrive pas Ă se dĂ©barrasser de son envie de gĂąteau. Alors, elle sâinsulte en pensĂ©es et se traite dâhystĂ©rique ! Parfaitement, elle est hystĂ©rique ! Elle en est persuadĂ©e devant le prĂȘtre, le reprĂ©sentant de Dieu sur terre. Et ça, câest une sacrĂ©e preuve. Elle pourrait mĂȘme le jurer sur la tĂȘte dâOdon (ce quâelle ne fera pas bien sĂ»r !). Elle pourrait le jurer car lui revient une phrase de son psy : LâhystĂ©rique a du mal Ă choisir, Ă renoncer⊠Câest le jour oĂč il avait eu la gentillesse de lui confier une sorte de postulat de Lacan, qui lui revient face Ă Monsieur le CurĂ© : Toute analyse est didactique⊠NâempĂȘche quâelle comprend pourquoi elle se trouve face Ă deux hommes Ă la maison qui ne seraient donc quâapparemment diffĂ©rentsâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre IX
Idéalisation
Jeudi 26 mars. Elvire est rĂ©veillĂ©e depuis 5 heures du matin. Elle tourne, elle vire, câest le cas de le dire, mais ce mot dâesprit qui touche Ă son prĂ©nom ne la fait pas rire. Si elle se lĂšve, elle va rĂ©veiller son mari. Ce qui serait non seulement trĂšs incorrect mais violent pour lâhomme qui dort Ă poings fermĂ©s. LĂ , elle exagĂšre un peu, se reprend-elle⊠Si elle le rĂ©veillait, il dĂ©marrerait sa journĂ©e un peu plus tĂŽt, câest tout ! Non, ce nâest pas tout, se rĂ©tracte-t-elle. Ă coup sĂ»r, il appellerait aux aurores ThĂ©odore car entre amis, la gĂȘne nâexiste pas, sâagace-t-elle⊠Elle balaie immĂ©diatement le spectre du Tartuffe honni dont elle a du mal Ă savoir sâil appartient fondamentalement au monde des ombres ou de la lumiĂšre. Mais Ă 5 heures 51 de lâaube, elle ne va pas se prendre la tĂȘte avec une question qui ne peut ĂȘtre vĂ©ritablement dĂ©battue que devant son psy. Dâailleurs, elle se retrouve â imaginaire aidant â dans la salle dâattente de celui-ci ! Lâimagination et les souvenirs, on nâa rien fait de mieux, constate-t-elle en soupirant dâaise. Elle Ă©prouve donc le besoin de voyager jusque dans cette salle dâattente. Dans lâidĂ©e, maintenant et de son lit, la piĂšce est vide. Elle est assise sur le siĂšge qui craque et commence Ă regarder les murs. Les gravures ont certainement Ă©tĂ© choisies par le maĂźtre des lieux avec soin mais surtout de façon psychanalytique. Prenons lâexemple de celle quâelle date, Ă lâinstant, du haut de ses songes, du XIXĂšme siĂšcle : elle reprĂ©sente une bergĂšre, trĂšs jeune â environ 12 ans â, deux moutons Ă proximitĂ© et un chien. Elvire a beau se creuser les mĂ©ninges, elle ne comprend pas la scĂšne vue dâun point de vue freudien⊠Elle passe⊠Le mobilier a dĂ©cidĂ©ment de lâallure : il fallait oser ce mĂ©lange dâancien, de rĂ©tro et de contemporain. Le psy dâElvire a incontestablement du goĂ»t ! Ce nâest pas son Odon qui serait capable dâagencer une simple salle dâattente de la sorte. MĂȘme sâil ne peut pas rĂ©ussir en tout, la dĂ©co nâest pas son fort ! Le lit craque car son mari vient de se retourner. Un regard en direction du rĂ©veil affiche 6 heures 10. Se lever, ne pas se lever ? Que ces interrogations sont pĂ©nibles, se rĂ©pĂšte Elvire. Ce quâelle aime dans la salle dâattente du psy â de « son » psy plus prĂ©cisĂ©ment â, câest quâil ait osĂ© mettre un bureau avec un fauteuil placĂ© devant. Si elle ne sây installe jamais, elle y a dĂ©jĂ vu des analysants le faire. Une fois mĂȘme, un homme tapait sur son ordinateur portable ?⊠Frappait sur son ordinateur portable ?⊠Jouait ?... Peu importe⊠Il se servait de son ordinateur dans ce lieu singulier que chaque analysant peut sâapproprier Ă sa guise. Câest du grand art de la part de lâhomme au divan, constate-t-elle admirative⊠Elvire est dâailleurs sĂ»re que chaque fois quâil pĂ©nĂštre dans la salle dâattente, avec une habiletĂ© sans nulle autre pareille, il vĂ©rifie les postures de ses patients, postures qui seront la base du travail de la sĂ©ance du jour⊠Quâest-ce quâelle aurait aimĂ© faire ce mĂ©tier ! Mais Elvire se dit que, dĂ©jĂ , elle a bien des problĂšmes Ă rĂ©gler, que les Ă©tudes pour en arriver Ă Ă©couter le discours de chacun â et non pas le langage ! â (le psy lui avait expliquĂ© la diffĂ©rence lors de lâentretien prĂ©liminaire), les Ă©tudes psychanalytiques donc devaient ĂȘtre bien compliquĂ©es⊠Et puis, surtout, elle nâaurait certainement pas la patience de supporter les histoires des uns et des autres une journĂ©e entiĂšre ! Elle est tout Ă coup amenĂ©e, par son inconscient, Ă se demander Ă quelle heure se lĂšve son psy le matin ? Dans un premier temps, elle verrait trĂšs bien quâil sorte du lit Ă 6 heures 20⊠Câest curieux, son rĂ©veil affiche prĂ©cisĂ©ment cet horaire ! Non, Ă la rĂ©flexion, il doit Ă©merger Ă 7 heures⊠Mais peut-ĂȘtre est-elle en confusion, se ravise-t-elle, car câest lâheure oĂč Odon essaie de sortir de dessous la couette ! Elle se trouve mĂ©prisante avec ce commentaire. Ceci dit, ce nâĂ©tait pas un hasard car couette la ramĂšne Ă la salle dâattente au mur de laquelle est accrochĂ©e une petite peinture dont elle se convainc quâil sâagit du portrait dâune fillette avec des couettes. Compte tenu de lâĂąge du psy, elle peut assurer que Freud-bis lâa fait volontairement. Elvire rĂ©flĂ©chit : Ă quelques mois prĂšs, il doit ĂȘtre de la gĂ©nĂ©ration de Sheila, la chanteuse aux⊠couettes ! Chanteuse cĂ©lĂšbre qui chantait « LâĂ©cole est finie ». Quel talent abrite son psy, pense Elvire,
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Ă©poustouflĂ©e⊠Car Elvire sait quâune psychanalyse nâest pas un enseignement. Du reste, elle sait aussi que dans cette discipline, on fait le distinguo entre enseignement et didactique. Câest comme ce fauteuil Starck qui trĂŽne dans la salle dâattente. Que personne nâaille sâimaginer que câest un pur hasard, gronde intĂ©rieurement Elvire. Elle a dĂ©couvert il y a quelques semaines, dans un magazine sĂ©rieux, un article sur la psychanalyse dans lequel les travaux dâun certain StĂ€rcke Ă©taient Ă©voquĂ©s et dĂ©veloppĂ©s. Elle en garde dâailleurs un souvenir compliquĂ©. Mais, lĂ encore, elle ne peut que sâincliner : elle a le meilleur psy de sa rĂ©gion, peut-ĂȘtre mĂȘme de France, sâaventure-t-elle⊠Ne dit-elle pas Ă lâidentique et Ă qui veut bien lâentendre que si elle a le choix, elle, Elvire, de rouler en 2 CV ou en MercĂ©dĂšs, elle opte pour la MercĂ©dĂšs ! Ce nâest pas un petit peu prĂ©tentieux comme exemple ? Dâaccord, câest ce que Monsieur le CurĂ© pourrait lui dire⊠Encore quâil soit bien content des dons extrĂȘmement gĂ©nĂ©reux quâelle fait Ă la paroisse⊠Si elle ne le regrette pas, ces gestes altruistes rĂ©currents â il faut le souligner de toute façon â la libĂšrent du poids de la religion. Elvire ne comprend pas ce que son inconscient induit lĂ mais le rĂ©veil sonne et Odon, croyant que sa tendre Ă©pouse dort, se lĂšve discrĂštement. Pour une fois, se dit-elle. Fois/Foi : stop avec lâĂ©glise, dâautant quâelle sây rendra tout Ă lâheure. Comme Ă lâaccoutumĂ©e. Elle retourne en pensĂ©es dans la salle dâattente. Son psy a moquettĂ© (fait moquetter ?) le sol. LĂ encore, on peut dire ce que lâon veut, lâanalyste raisonne en terme de confort. Elle comprend bien que les dalles de la paroisse ne puissent pas ĂȘtre moquettĂ©es mais, avec lâhiver rigoureux quâil y a eu, câĂ©tait hĂ©roĂŻque dâaller assister aux offices. Il faut quâelle parle aussi de ça dans sa sĂ©ance dâaujourdâhui. Mais elle ne se laissera pas faire par le psy : oui, convient Elvire, il y a quelque chose dâhĂ©roĂŻque Ă aller se geler hebdomadairement â voire plus â dans une Ă©glise qui nâest pas chauffĂ©e, tandis que la tempĂ©rature extĂ©rieure est en-dessous de zĂ©ro. Tiens, si elle avait Ă noter son psy, quelle note lui donnerait-elle ? Elvire convient que non seulement câest une question difficile mais parfaitement inconvenante. Elle laisse tomber ce sujet qui la met mal Ă lâaise quand elle entend un objet tomber sur le sol de la cuisine. A priori. Il est sĂ»r que la moquette de la salle dâattente, elle, amortit les bruits. Il y a un moment quâil a dĂ» lâamortir sa moquette, ironise-t-elle⊠VoilĂ , elle vient de tout comprendre : Odon a renversĂ© un objet, ça la met hors dâelle. Elle pense maintenant aux mains de son psy. Quand il vient la chercher dans la salle dâattente, elle est systĂ©matiquement attirĂ©e par sa gestuelle. Il a des phalanges magnifiques. Un jour quâelle en parlait devant ThĂ©odore, celui-ci se redressa sur ses ergots, grossier, en prĂ©cisant que lâhomme aurait fait de facto un excellent manuel ou un bon militaire ! Le Tartuffe sâest alors lancĂ© dans un monologue sur fond de rationalisations, toutes plus lamentables les unes que les autres. Elvire lâentend encore partir dans des explications sans intĂ©rĂȘt sur le terme phalange qui peut aussi, disait-il, renvoyer Ă une unitĂ© de combat dans lâarmĂ©e grecque⊠Ridicule ! ThĂ©odore est rĂ©ellement ridicule ! Le psy dâElvire est un grand psychanalyste, au propre comme au figurĂ©. De toute maniĂšre, elle nâaurait pas pu ĂȘtre analysĂ©e par un minable⊠Elle ose soudain un grand Ă©cart discursif : de minable Ă minet, il nây a quâun pas ! Eh pourquoi pas ? Elle ne quittera pas la salle dâattente comme ça. Elle sait quâelle nâen nâa pas fait le tour. Elvire est ainsi : elle aime finir ce quâelle a commencĂ©. Il y a deux mois environ, le chat du psy Ă©tait dans la salle dâattente lorsquâelle est arrivĂ©e. Quel symbole ! Elle est certaine que ce chat se trouvait lĂ pour quâelle sache dâores et dĂ©jĂ quâelle pouvait retomber sur ses pieds malgrĂ© ce fĂ©lin de ThĂ©odore ! Un vrai tigre, de pacotille, oui⊠Le tigre la renvoie au grand joueur de golf Tigger Woods, appelĂ© ainsi⊠et Ă la salle dâattente dans laquelle se trouvent rĂ©guliĂšrement des magazines de golf⊠La porte sâouvre. Odon vient embrasser sa femme en lui signalant quâil va lui emprunter sa voiture ce matin car sa Golf ne dĂ©marre pasâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre X
Jugement de condamnation
Jeudi 2 avril. Elvire entre dans le bureau du psy, Ă son invitation. Il lui dit de sâinstaller dans le fauteuil et sâabsente aprĂšs lui avoir demandĂ© de lâexcuser quelques instants. Quelques instants ?, vitupĂšre lâanalysante. Ăa fait au moins sept minutes ! Sans compter quâil est sorti avec son tĂ©lĂ©phone portable, se souvient-elle. Aurait-il des choses Ă cacher ? MĂšne-t-il une double vie ?, sâinterroge-t-elle⊠Sâil croit quâelle va mettre lâacte symbolique du paiement sur la table avant quâil ne rĂ©apparaisse, certainement pas ! Ce serait trop facile quâil induise implicitement que la sĂ©ance a commencĂ©. Et le chronomĂštre qui continue Ă avancer⊠Mais il est peut-ĂȘtre malade Ă la rĂ©flexion ? Ou aux toilettes ? Ou dans la cuisine en train de grignoter quelque chose en vitesse ? En vitesse, de la petite vitesse oui ! Il a dĂ» aller boire, se ravise la patiente impatiente⊠Ou prendre un cafĂ© ? Ou un thĂ© ? Au fait, boit-il du thĂ© ou du cafĂ© ? Il a une tĂȘte Ă prĂ©fĂ©rer le cafĂ©, conclut-elle⊠Le psy revient en sâexcusant mais, elle, ne lâexcuse pas. CrispĂ©e sur son siĂšge, elle sent quâelle lui fait une de ces tĂȘtes ! Câest alors quâil sâĂ©tonne quâelle nâait pas rĂ©glĂ© sa consultation⊠Non mais on rĂȘve, se dit-elle⊠Si elle lui faisait croire quâelle nâa pas eu le temps dâaller retirer lâargent nĂ©cessaire, par exemple, imagine-t-elle⊠Elle cherche son portefeuille quâelle ne trouve pas ! Câest bien fait, pense-t-elle ! Il ne sâattendait pas à ça Freud-bis aujourdâhui. Câest sĂ»r quâil peut rester stoĂŻque puisque de toute façon tout acte manquĂ© est dû⊠Ouf, elle trouve de quoi sâacquitter de sa sĂ©ance. La parole a dĂ©cidĂ©ment un prix, lui adresse-t-il Ă©nigmatique. Elvire se ressaisit sur lâinstant : ne sâest-elle pas promis de stopper toute recherche de conflit. Et puis, elle a des choses particuliĂšres Ă livrer. TrĂšs particuliĂšres. Son ton est hĂ©sitant mais elle tient absolument Ă raconter ce quâelle a vu dans la paroisse tout Ă lâheure. Elle rassemble son Ă©nergie et, telle une confidence, raconte quâelle est embĂȘtĂ©e de la scĂšne Ă laquelle elle a assistĂ© bien malgrĂ© elle. Certes, il nây a pas de hasard mais lĂ , elle a besoin dâĂȘtre aidĂ©e dans ses liens. Elvire se demande si, finalement, elle a raison de libĂ©rer un secret dâune telle ampleur. Elle se lance. Le psy lui apparaĂźt plus distant que dâhabitude, ce qui nâarrange pas son tourment, estime-t-elle⊠Bon, tandis quâelle sâapprĂȘtait Ă allumer un cierge comme chaque jeudi, son attention est attirĂ©e par des chuchotements qui venaient de la droite. Instinctivement, prĂ©cise lâanalysante, elle tourne sa tĂȘte en direction de ce quâelle pouvait assimiler Ă des murmures. Elle distingue immĂ©diatement deux silhouettes : en premier lieu, celle dâune femme, puis celle dâun homme. Elle nâen croit pas ses yeux car elle reconnaĂźt tout de suite les deux personnes. Elle hĂ©site Ă poursuivre, prise entre le marteau et lâenclume, sâentend-elle justifier⊠Elvire a lâimpression que le psy nâapprĂ©cie pas sa valse hĂ©sitation. Il est vrai quâelle a commencĂ© un rĂ©cit quâelle doit terminer au nom de la biensĂ©ance. Bien â sĂ©ance, rectifie-t-elle Ă voix basse. Elle admet trĂšs vite quâelle peut continuer : son inconscient lây encourage puisquâil lui fait comprendre que la sĂ©ance est bien⊠Pourtant, la patiente hĂ©site. Il sâagit quand mĂȘme dâune confidence sur la vie de la paroisse. Cette confidence ne concerne-t-elle pas davantage Monsieur le CurĂ© ? Pas sĂ»r, se ravise Elvire. Si le prĂȘtre avait Ă©tĂ© lĂ , tĂ©moin, OK, mais il nâĂ©tait pas là ⊠Elvire dĂ©marre un hoquet⊠Câest la premiĂšre fois quâun dĂ©sagrĂ©ment pareil vient parasiter son monologue. Mais ce nâest pas vraiment une affaire dâĂtat, se dit Elvire, tout Ă coup rassurĂ©e car elle a payĂ© sa sĂ©ance ! Lâhomme au transfert, comme elle se plaĂźt Ă le nommer parfois, a les sourcils qui frisent (câest le terme que son imaginaire vient de laisser passer)⊠Quand il est comme ça, le sourcil en bataille, câest quâil nâest pas content-content. Il nâest pas ravi le Monsieur ? Il attend la suite ?, ironise Elvire⊠Chacun son tour : tout Ă lâheure, quand il lâa abandonnĂ©e dans son bureau, pendant un temps suffisamment pĂ©nible pour que la mĂ©moire dâune durĂ©e dĂ©sagrĂ©able Ă©merge toujours maintenant, il ne sâest pas souciĂ© de lâĂ©tat psychologique de son analysante⊠Elle dĂ©cide toutefois de poursuivre, racontant quâelle retenait sa respiration dans lâĂ©glise car elle avait bel et bien reconnu les deux membres du
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couple⊠Le psy renvoie un air complĂštement dĂ©tachĂ© selon elle⊠Pourtant, elle est absolument certaine quâil est captivĂ© par son rĂ©cit. Nâest-ce pas une preuve de confiance quâelle lui adresse, une fois encore, avec un secret dâune telle ampleur, Ă©value-t-elle⊠MĂȘme sâil est liĂ© au secret professionnel â pas mĂ©dical, pro-fes-sio-nnel â, nuance importante pour elle⊠Son souffle est plus court, elle doit continuer. Elle continue : lâhomme tenait le visage de la femme entre ses mains et, elle, mettait ses mains sur les siennes⊠LâatmosphĂšre Ă©tait amoureuse, insiste-t-elle. Le psy ne bronche pas, ce qui agace Elvire qui ne comprend pas comment il fait pour ne pas participer. Dâailleurs, elle devrait rĂ©Ă©crire Colombo ou quelque chose comme ça. LĂ nâest pas le problĂšme sur cette sĂ©ance intime, se dit-elle. Elle ralentit le flot de ses paroles pour ajouter quâelle pense quâils se sont embrassĂ©s⊠Sur la bouche ! Le psy nâintervient pas. Elvire se sent un peu mal Ă lâaise mais elle nâa pas confiĂ© le plus important, le plus grave pour elle : doit-elle vĂ©ritablement annoncer lâidentitĂ© des deux individus qui pourraient aller faire ça ailleurs ? Est-ce un pĂ©chĂ© ?, interroge-t-elle le psy. Si pas de rĂ©ponse, pas de censure, interprĂšte-t-elle. Ă la hĂąte ? Non. Pas dâavis de Freud-bis, elle peut donc y aller : lâhomme, qui voulez-vous quâil soit ?, demande-t-elle Ă lâanalyste⊠qui ne rĂ©agit pas⊠Eh bien, ThĂ©odore pardi ! Et il embrassait qui ?, enchaĂźne-t-elle faussement choquĂ©e mais en jouissance : la femme du pharmacien de la pharmacie de lâĂ©glise⊠Enfin, son ancienne employĂ©e parce que celle-ci, il nây a pas si longtemps, nâĂ©tait quâune simple prĂ©paratrice, assĂšne-t-elle mĂ©prisante sans respirer⊠Elvire est dĂ©confite. Comment peut-on faire une chose pareille quand on est mariĂ©e ?, adresse-t-elle au psy, trĂšs interrogative⊠Quelle chose ?, obtient-elle en guise de rĂ©ponse ! Elvire pense quâil se moque dâelle. Elle sâen fiche car ce quâelle veut savoir câest si elle peut (si elle doit ?) en parler Ă Odon ? Elle attend lâavis du psy qui ne vient pas⊠Tout de mĂȘme, son mari croit que ThĂ©odore est un homme pieux, fidĂšle, rajoute-t-elle Ă son propos⊠Le psy se lĂšve en assurant Ă lâanalysante quâelle a parfaitement de quoi sâinterroger⊠Pas dâinterprĂ©tation vĂ©ritable ? Elvire commence Ă se demander si elle va continuer avec ce piĂštre castrateur en abus de pouvoirâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre XI
Khan
Jeudi 9 avril. Il nây a pas cinq minutes quâElvire sâest assise face Ă son pĂšre transfĂ©rentiel et voilĂ que le tĂ©lĂ©phone sonne dĂ©jĂ : câest insupportable, pense lâanalysante. Volontairement, elle dĂ©cide dâĂ©couter la conversation. Enfin, le monologue⊠Freud-bis veut quâelle fasse des liens, eh bien allons-y, se dit-elle un brin agressive. DĂ©jĂ quâil nâest jamais Ă©vident de traverser une sĂ©ance analytique, cet espace qui se veut neutre, rĂ©flĂ©chit Elvire, mais lorsque le psychanalyste est en plus didacticien, le tĂ©lĂ©phone sonne deux fois plus ! Ce sont ses statistiques Ă elle mais Elvire imagine, pour une fois narcissique, que ses calculs doivent ĂȘtre proches de la rĂ©alitĂ©. PassĂ©s ces quelques instants de recentrage sur soi, Elvire tend lâoreille en direction de son psy. Câest mal Ă©levĂ©, se ravise-t-elle, mais tant pis : elle va tendre non pas une oreille, mais ses deux oreilles ! Elle entend alors Freud-bis parler des travaux dâun certain Khan, sĂ»rement avec un de ses Ă©lĂšves-analystes, travaux qui datent de 1985 et qui expliquent que les besoins du moi lorsquâils ne sont pas reconnus trouvent une sorte de compensation dans la sphĂšre sexuelle⊠Elvire essaie de comprendre ce quâelle croit avoir perçu mais reste interrogative⊠Comme la communication est partie pour durer, elle ne veut pas se laisser dĂ©possĂ©der une fois de plus de son acte. Aussi choisit-elle de « travailler » sur ce certain Khan : mais trĂšs vite Khan la ramĂšne Ă canne, terme quâelle laisse tomber (le lien facile lâamuse intĂ©rieurement) car trop nĂ©gatif, se dit-elle⊠Dâailleurs ne prononce-t-on pas caner pour signifier cĂ©der, voire mourir, en jargon populaire⊠Elle passe et prĂ©fĂšre dĂ©cliner la ville de Cannes. Ce nâest pas le cĂ©lĂšbre Festival qui lâintĂ©resse mais un oncle maternel qui y avait une superbe villa⊠Elvire, perdue dans son imagination, sursaute lorsquâelle entend le psy conclure la communication avec un « Ă samedi »⊠Tiens, tiens, elle pourrait le scansionner le pro de la parole en lui disant : ça me dit⊠par exemple⊠Mais câest sans compter sur le professionnel du « divan » qui lui adresse un « Excusez-moi » conventionnel qui ne convient pas du tout Ă Elvire ! Elle sent quâelle est en train de passer en transfert nĂ©gatif. Câest toujours la mĂȘme chose : elle avait lâintention, aujourdâhui prĂ©cisĂ©ment, de parler de Mariane, sa fille compliquĂ©e. Eh bien elle nâen a plus envie. Câest curieux, sâentend-elle lancer dans sa sĂ©ance, alors quâelle ne voulait pas Ă©couter (mensonge, se dit-elle), elle a entendu le patronyme Khan, patronyme qui aurait pu la renvoyer Ă lâidĂ©e de mort⊠Pourtant, il nâen est rien. Effectivement, ajoute-t-elle, elle aurait eu envie de parler de sa fille mais envie lâa conduite Ă en vie⊠Le psy lâinvite Ă parler de ses dĂ©sirs, elle ne sait pas pourquoi⊠Peu importe⊠Elle se sent envahie par un Ă©nervement soudain et lui rĂ©pond quâil nây a rien de changĂ© : elle veut, elle dĂ©sire que ThĂ©odore dĂ©barrasse le plancher. Le plus vite possible. Elle Ă©touffe dans cette situation intenable. Oui, oui, elle le sait, il y a bien plus grave dans lâexistence mais elle a atteint ses limites⊠Qui supporterait cette espĂšce de coach inconsistant sous son toit ? Un exemple rĂ©cent, sâapplique-t-elle Ă raconter : pas plus tard quâhier, Odon nâa rien trouvĂ© de mieux que de demander Ă Tartuffe de lui indiquer la meilleure place pour installer un crucifix que sa mĂšre vient de lui donner⊠Dâune grande valeur, paraĂźt-il⊠Primo, continue Elvire, quâa Ă voir ThĂ©odore dans cette histoire de dĂ©co ? Secundo, la belle-mĂšre et ses cadeaux religieux, câest la louche de trop ! Le psy semble avoir sommeil : si, si, Elvire vient de constater quâil a Ă©touffĂ© rapidement un bĂąillement⊠Fine mouche, se plaĂźt-elle Ă se fĂ©liciter, elle va donc insinuer maintenant que ce quâelle raconte est inconsistant⊠Bien sĂ»r le psy ne moufte pas ! Elle fait silence. Un long silence. Un trĂšs, trĂšs long silence. Elle poursuit puisquâil ne sâagirait pas non plus, imagine-t-elle, que le roi de lâinterprĂ©tation sâendorme tout dâun coup sur le bureau ! Et boum, la tĂȘte dans lâagenda ! Elle Ă©clate de rire. Le psy ne daigne pas rĂ©agir⊠Elle se justifie : elle vient dâĂ©clater de rire (menteuse, culpabilise-t-elle) car le 9 avril, si elle a bonne mĂ©moire, câest le jour de la Saint Gautier et que sa belle-mĂšre parle toujours de la qualitĂ© de la viande que son boucher â Monsieur Gautier â lui vend. Le
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psy peut ne pas comprendre le lien avec le crucifix. Alors, elle enchaĂźne : crucifix la ramĂšne Ă crucifier qui la renvoie Ă sacrifice dâanimaux et Ă Brigitte Bardot⊠Dâaccord, sa belle-mĂšre nâa jamais ressemblĂ© Ă Brigitte Bardot ! SĂ»r que ça nâa jamais dĂ» ĂȘtre un top⊠sa belle-mĂšre⊠Scansion, lui assĂšne le psy, avec une interprĂ©tation bien alambiquĂ©e : Elvire aurait idĂ©alisĂ© sa belle-mĂšre jusque-lĂ et maintenant câest fini⊠Mais sa mĂšre aussi. Ce qui la laisse un peu dubitative tout de mĂȘme. Cependant, Ă la rĂ©flexion, Freud-bis a raison : elle abrĂ©agit en disant que, dâailleurs, elle trouve toujours les autres femmes plus jolies quâelle. Elle comprend alors subitement le lien avec Khan de tout Ă lâheure qui la ramĂšne Ă nouveau Ă Cannes la ville, qui la renvoie Ă son oncle maternel, chirurgien qui lorsquâil la voyait â enfant â lui disait en lâembrassant : Toi, il va falloir que je te recolle les oreilles⊠SĂ»r quâavec des rĂ©flexions comme ça, Elvire ne pouvait pas vraiment sâaimer⊠Ni aimer ?
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Le complexe dâElmire
Chapitre XII
Libido
Jeudi 16 avril. Elvire est sur son ordinateur depuis une heure. Pour une fois que son Odon-de-mari lui confie la responsabilitĂ© de trouver une destination de vacances pour le mois dâAoĂ»t, elle ne va pas se gĂȘner ! Câest ThĂ©odore qui va en faire une tĂȘte en apprenant quâil nâaura pas voix au chapitre sur ce sujet. Pour une fois. Du signe (appliquĂ©) de la Vierge, Elvire investit mĂ©thodiquement les sites appropriĂ©s quâelle passe en revue les uns aprĂšs les autres. Le Maroc ? Non, trop chaud Ă cette saison. LâEspagne ? Trop de monde. LâĂgypte ? Trop dangereux. Les Antilles ? Trop loin. Les lacs italiens ? Trop couru. La NorvĂšge ? Trop frais. La Russie ? Trop dĂ©moralisant. LâAutriche ? Trop⊠psychanalytique⊠Parfaitement, assume Elvire qui redoute que son autoanalyse la poursuive tandis quâenfin, elle vivra ces quelques jours loin de son domicile â et de Tartuffe â comme un nouveau voyage de noces ! La France ? Pas question, trop proche de son ennemi numĂ©ro 1 qui serait capable dâinfluencer Odon et de rappliquer en utilisant un prĂ©texte fallacieux. Alors ce sera la⊠Chine ! Dâaccord, dâaccord, reconnaĂźt avec beaucoup dâhonnĂȘtetĂ© Elvire, câest chaud et froid, couru, loin, dĂ©moralisant mais ce nâest pas psychanalytique ! Ce sera donc bel et bien la Chine. Un joli pĂ©riple Ă deux sans les⊠chinoiseries de ThĂ©odore ! Elvire sâagace dâavoir utilisĂ© un jeu de mot facile mais elle est fatiguĂ©e par le tintouin du quotidien. Elle manque dâailleurs bougrement dâĂ©nergie. Ah, toujours lui : le bougre qui ment, lâhorrible ThĂ©odore. Elvire remplace vite lâadverbe par bigrement et se sent mieux, soulagĂ©e mĂȘme. Comment se fait-il quâelle manque dâailleurs tant dâĂ©nergie ? Il faut quâelle pose tout Ă lâheure la question Ă son psy. Au mĂȘme titre quâelle envisage de lui parler du revirement de situation : Ă savoir que son cher Ă©poux lui a confiĂ© ce matin la difficile tĂąche de choisir une destination de vacances, sans passer par ThĂ©odore ! Quel progrĂšs ! Mais un nuage assombrit la piĂšce, un vrai nuage que tout le monde dans la rue pourrait constater mais qui lâassombrit aussi au figurĂ© â elle â si heureuse pourtant il y a quelques instants⊠Elvire comprend soudain quâun nuage cachant les rayons du soleil, Odon lui cache certainement quelque chose. Cette destination voyage quâil lui a confiĂ©e est sĂ»rement une attitude de sĂ©duction de sa part pour mieux lâendormir. Que fomentent encore les deux hommes dans son dos ? Ă voir aussi tout Ă lâheure avec Freud-bis⊠Quoi quâil en soit, cet Ă©tĂ© ce sera la Chine ou⊠rien dâautre ! Elvire est bien dĂ©cidĂ©e Ă aller jusquâau bout de son choix, combien mĂȘme devrait-elle se battre physiquement avec son mari⊠Non, nâexagĂ©rons pas, se reprend-elle. Mais, de toute façon, pas question quâelle se laisse faire et devienne, elle aussi, sous influence. Dâailleurs, en sortant de sa sĂ©ance de psychanalyse, Elvire ira acheter un guide sĂ©rieux et complet sur la Chine. Elle deviendra incollable sur le pays du sourire. Elle ne sait plus trĂšs bien si la Chine est prĂ©cisĂ©ment affublĂ©e de cette expression mais, pour elle, il sâagit dĂ©jĂ du pays du sourire. Un point câest tout ! Enfin, pas vraiment car, jusque-lĂ , elle ne sâest pas souciĂ©e des tarifs. Dont elle dĂ©cide de ne pas se prĂ©occuper dâautant quâaprĂšs tout, ce nâest pas son affaire. Lâargent est une histoire dâhomme ! Du moins conçoit-elle la vie ainsi. Ses problĂšmes ne lui laissant de toute maniĂšre aucun rĂ©pit, il nâest pas envisageable une seule petite seconde quâelle pense aux dĂ©sagrĂ©ments pĂ©cuniaires. Et puis, comme lui a dit son psychanalyste, lâargent nâest jamais que de lâĂ©nergie⊠Elle avait eu du mal du reste avec ce raisonnement mais il faut avouer que lâhomme au divan lui avait donnĂ© des explications didactiques pointues et⊠convaincantes ! Quâelle nâa certes pas retenues mais son inconscient â vĂ©ritable imprimante, dixit Freud-bis â a dĂ» tout bien enregistrer⊠Câest sĂ»rement le cas puisquâaujourdâhui, lâargent, elle nâen manque pas ! Par contre, elle manque dâĂ©nergie. Tant pis, Elvire nâa toujours pas fait sa toilette. Elle est en robe de chambre malgrĂ© lâheure avancĂ©e de la matinĂ©e mais il faut quâelle comprenne ce quâest lâĂ©nergie corporelle. Elle ne consultera pas Internet Ă ce sujet : elle doit trouver toute seule. Nâest-ce pas de son corps dont il sâagit ? Son inconscient ne lui facilite pas les choses : Ănergie la conduit tout droit Ă Leymergie, lâanimateur de tĂ©lĂ©. Elle ne retrouve
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pas son prĂ©nom. Elvire cherche, en vain. Elle implore Saint Antoine de Padoue et le regrette immĂ©diatement puisque le Saint Homme permet de retrouver les objets perdus et non pas les idĂ©es ! Elle se signe, quand le prĂ©nom de William sâimpose Ă elle. Et de William Ă Wilhelm, il nây a quâun pas. VoilĂ Elvire revenue Ă ce Reich et Ă lâĂ©mission de radio du mois dernier sur la pulsion sexuelle. Manquerait-elle, de fait, dâĂ©nergie sexuelle ? Et quel lien avec la Chine ? Elvire croit se souvenir que câest en Chine que les naissances sont rĂ©glementĂ©es. Un seul enfant par couple ! Elle nâose mĂȘme pas imaginer un seul instant les possibles interruptions de grossesse clandestines dues Ă cette loi fort discutable. Elle qui nâa quâune fille parce que le Seigneur en a dĂ©cidĂ© ainsi⊠Ce nâest pas faute dâavoir essayĂ© de mettre en route plusieurs enfants, se souvient-elle⊠Les voies du Seigneur sont impĂ©nĂ©trables, se console tant bien que mal Elvire. Elle se ressaisit tandis que les mentalitĂ©s chinoises la laissent maintenant dubitative. Bon, il faut bien lâadmettre : Elvire est obligĂ©e dâabandonner le souhait dâaller en Chine, tout simplement parce quâil semblerait quâune certaine morale de ce pays ne convienne pas Ă son engagement religieux. Elle est consciente quâelle devra Ă©claircir cette question avec son psy. Non, pour une fois ce sera avec Monsieur le Curé⊠Le tĂ©lĂ©phone sonne, la sortant brutalement de sa rĂ©flexion. Elle dĂ©croche et entend la voix de son mari. Il est heureux de lui annoncer quâelle nâa pas Ă mobiliser toute son Ă©nergie dans la recherche dâune destination vacances : il vient de voir ThĂ©odore qui lâa assurĂ© quâil faut impĂ©rativement quâils aillent en Chine cet Ă©té⊠Ăa tombe bien. Câest une confirmation pour lui qui en a le dĂ©sir depuis longtemps⊠DĂ©sir, dĂ©sir⊠Voyage, voyage⊠Puisque câest comme ça, Elvire ira chiner dorĂ©navant tous les dimanches Ă la brocante. LâIsle-sur-Sorgue, câest trĂšs chaud lâĂ©tĂ©, ce nâest pas dangereux, câest trĂšs couru, ce nâest pas dĂ©moralisant et câest Ă deux pas de chez son psy !
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Le complexe dâElmire
Chapitre XIII
Masochisme
Jeudi 23 avril. Elvire entre dans le bureau de son psychanalyste. Elle a une idĂ©e en tĂȘte : il faut absolument quâelle lui dise quâelle est nĂ©e un 11 septembre. Elle est convaincue que ce qui peut apparaĂźtre comme un dĂ©tail pour certains revĂȘt en fait une importance capitale. Tout Ă ses pensĂ©es, elle cherche distraitement la somme dâargent qui va lui permettre de demander Ă Freud-bis sâil est possible dâĂ©tablir un lien entre les dramatiques Ă©vĂ©nements amĂ©ricains du 11-Septembre et son jour de naissance Ă elle⊠Elvire cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment son porte-monnaie quâelle ne trouve pas ! Elle se sent blĂȘmir : câest toujours la mĂȘme chose se dit-elle, pour une fois quâelle a lâintention, le dĂ©sir et la volontĂ© de parler dâelle, son inconscient lui joue un bien mauvais tour⊠Comme dâhab, le psy est imperturbable. Il ne bouge pas. Il ne bronche pas. Pourtant, lâanalysante se rend bien compte quâil arbore un rictus satisfait. Elvire ne se laissera pas faire. Elle est sĂ»re dâavoir prĂ©parĂ© son portefeuille hier soir avant dâaller se dĂ©maquiller. Elle a mĂȘme fait le tour du canapĂ© discrĂštement pour gagner son bureau dans lequel se trouvait son sac Ă main car Odon sâĂ©tait endormi devant le match de foot⊠Le psy lui demande si elle a oubliĂ© lâacte symbolique du paiement. Elle ne lui rĂ©pond pas et continue Ă farfouiller de plus en plus nerveusement. Le psy qui, pourtant, en gĂ©nĂ©ral, ne lâouvre pas tant que ça (Pardon Seigneur, sâexcuse-t-elle mentalement pour avoir laissĂ© monter jusquâĂ son imaginaire un terme aussi vulgaire que ouvrir reliĂ© au mot bouche), le psy â donc â lui dit de prendre son temps. Bon, câest dĂ©cidĂ©, elle va assĂ©ner Ă lâhĂ©ritier de Freud quâelle va se lever et partir puisquâelle a commis un acte manquĂ© gravissiiiime en ne pouvant pas rĂ©gler sa sĂ©ance ! Mais elle va tout de mĂȘme lui livrer quâelle voulait parler de son 11 septembre Ă elle et quâelle est bien triste de ce qui lui arrive. Elle sâentend alors sur lâinstant lui avouer quâelle est dĂ©cidĂ©ment masochiste. Elle parle vite en exprimant Ă lâhomme au divan quâelle aurait aimĂ©, aujourdâhui, pouvoir Ă©voquer dans le transfert le lien avec le jour oĂč elle est nĂ©e et la catastrophe des Ătats-Unis. Elle arrĂȘte net son flot de paroles et raconte â avec un rythme beaucoup moins soutenu maintenant â quâelle rĂ©alise quâen cherchant dans son sac, tout Ă lâheure, ont dĂ©filĂ© mentalement des termes comme tour (mauvais), puis bouche (mot), puis gravissime avec le phonĂšme cime qui semblait rĂ©sonner comme un Ă©cho, alors quâentre-temps, il lui avait dit de prendre son temps Ă elle, bien entendu. Elle dĂ©marre lâinterprĂ©tation toute seule : tour = tower, bouche = Bush le PrĂ©sident des Ătats-Unis de lâĂ©poque du 11-Septembre, Gravi-cime = chose grave en haut des buildings, prendre son temps Ă elle = ne pas confondre un Ă©vĂ©nement symbolique avec sa propre destinĂ©e⊠Elvire est Ă©puisĂ©e mais se sent soulagĂ©e. Le psychanalyste se lĂšve en lui verbalisant : Ă jeudi. Elvire sait Ă cet instant que le psy trouve que son analyse avance bien car⊠je dis, reconnaĂźt-elle, enfin heureuse dâexister⊠sans plus aucune confusion identitaire possible.
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Chapitre XIV
Narcissisme
Jeudi 30 avril. ThĂ©odore sâest invitĂ© Ă dĂ©jeuner ! Il faut entendre par-lĂ que mĂȘme si Odon nâa pas prĂ©sentĂ© les choses de la sorte, Elvire nâest pas idiote du tout ! Autant dire que le Tartuffe « abhorrĂ© » (elle a failli penser « adorĂ© »⊠tiens, tiens⊠Non mais, il ne faut quand mĂȘme pas croire que tout embryon de lapsus a du sens, se rĂ©tracte Elvire), câest-Ă -dire lâhorrible individu a encore dĂ» entortiller son faible Ă©poux. Elvire imagine trĂšs bien les propos de ThĂ©odore : Cher ami, il est impĂ©ratif que je vous donne des conseils quant Ă votre voyage en Chine⊠Dâailleurs, ça pourrait ĂȘtre un autre sujet et concerner de potentiels placements bancaires par exemple. Quoi quâil en soit, il fait beau en cette matinĂ©e printaniĂšre, les fenĂȘtres sont ouvertes sur le jardin, les fleurs crĂ©ent une ambiance joyeuse et Elvire nâa aucunement lâintention de cuisiner ! Le mythe de Narcisse lâinterpelle depuis plusieurs mois et elle pense quâil faut le connaĂźtre, le dĂ©cortiquer lorsquâon est en analyse. Mais, sâinterroge-t-elle, « le » est mis pour qui ? Pour Narcisse ou pour ThĂ©odore ? Le tĂ©lĂ©phone sonne et rompt son interrogation⊠Quand on parle du loup⊠Tartuffe sâannonce dĂ©jĂ alors quâil est Ă peine 10 heures. Ou plus prĂ©cisĂ©ment sâexcuse-t-il (on y croit tous, pense Elvire), il ne pourra pas ĂȘtre lĂ avant 13 heures. Pas de problĂšme, lui rĂ©pond-elle sur un ton agacĂ©. Le repas ? Bonne aubaine, cet invitĂ© dâ« honneur » (Ah non, pas « donneur », se reprend-elle) mangera light et surgelĂ© ! Du taboulĂ© en boĂźte pour le monsieur et du couscous « congelĂ© » ! Non, lĂ , elle exagĂšre : certes, avec lui, elle pĂ©dale dans la semoule mais Odon serait contrariĂ© de mets aussi peu Ă©quilibrĂ©s. Finalement, ce sera taboulĂ© (toujours en boĂźte !), saumon fumĂ© (sous cellophane !), plateau de fromages, glace Ă la vanille (du congĂ©lo bien sĂ»r !) et biscuits (sous cellophane et en boĂźte !). Odon sâoccupera de choisir le vin. Pas dâapĂ©ritif car Ă 13 heures, ce nâest plus lâheure. Enfin, surtout parce quâElvire doit se rendre Ă la paroisse avant dâaller chez son psy. Nous sommes jeudi, ne lâoublions pas. Elle saura de toute façon rappeler tout cela Ă lâinvitĂ© surprise⊠Le mythe de Narcisse⊠Cet amour que lâon peut avoir pour soi⊠Le rĂȘve, imagine Elvire. Mais elle compte bien y parvenir grĂące Ă ses sĂ©ances de psychanalyse hebdomadaires. Internet lui livre des informations intĂ©ressantes. Câest en 1910 que Freud utilise le mot « narcissisme » pour la premiĂšre fois⊠au sujet des homosexuels⊠Elvire est dubitative tandis quâune citation du maĂźtre apparaĂźt sur son Ă©cran dâordinateur : « Les homosexuels se prennent eux-mĂȘmes comme objet sexuel ; ils partent du narcissisme et recherchent des jeunes gens qui leur ressemblent et quâils puissent aimer comme leur mĂšre les a aimĂ©s eux-mĂȘmes »⊠Un commentaire un peu plus loin prĂ©cise que Sigmund Freud a reçu quelques critiques sĂ©vĂšres Ă la suite de ce postulat. Elvire se dit que Freud Ă©tait dĂ©cidĂ©ment bien courageux avec des travaux plus quâavant-gardistes pour lâĂ©poque. Curieusement, elle a moins envie de continuer ses recherches sur le mythe de Narcisse : câest compliquĂ© et elle pense maintenant que ça ne lui apportera rien. Au pire, elle peut toujours demander Ă Freud-bis des explications sur ce sujet qui lui semble de plus en plus Ă©pineux, complexe. Câest le cas de le dire, sâamuse-t-elle. Encore que si elle pose la question Ă son psy, elle est quasiment sĂ»re quâil ne lui rĂ©pondra pas. Elvire se sent poussĂ©e Ă Ă©teindre carrĂ©ment son ordinateur. Elle ne comprend pas pourquoi mais sâexĂ©cute. Cette thĂ©orie sur le narcissisme lâa Ă©puisĂ©e. Et ce repas Ă midi qui ne lui dit vraiment rien. Pour retrouver un peu dâĂ©nergie, elle dĂ©cide de se faire un thĂ©. En prenant la tasse dans le placard, elle lâĂ©chappe. Lâobjet de porcelaine se casse, se brise mĂȘme en mille morceaux en touchant le sol. Elvire sent la colĂšre monter en elle. Elle se calme. Elle ramasse les morceaux en essayant de ne pas se faire mal. Elle commence par les plus gros, câest logique, estime-t-elle. Elle se coupe Ă lâindex droit. Le doigt se met Ă saigner de façon abondante. Direction la salle de bains, lâindex dans la bouche. Mon Dieu que le sang câest mauvais, gĂ©mit-elle. Le sparadrap nâest â comme toujours quand elle en a besoin â pas Ă sa place. Enfin, elle met la main dessus. Elle se dĂ©brouille comme elle peut pour se faire une
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« poupĂ©e ». Elle se sent mieux, sâassied sur le petit tabouret de plastique blanc, un peu « sonnĂ©e » tout de mĂȘme. Devant elle, elle dĂ©couvre un produit dâentretien laissĂ©, oubliĂ© par la femme de mĂ©nage. Comme Elvire ne croit pas au hasard, elle commence Ă dĂ©chiffrer les inscriptions sur le flacon. Visiblement, il sâagit dâune sorte de rĂ©current quâelle avait achetĂ© il y a plusieurs mois de cela. Elle se souvient trĂšs bien que ThĂ©odore sâĂ©tait invitĂ© le soir mĂȘme ! Il lâavait Ă©nervĂ©e en parlant des mĂ©rites de la phytothĂ©rapie. Car ThĂ©odore part du principe quâil sait tout sur tout ! Il avait mĂȘme expliquĂ© que sa fleur prĂ©fĂ©rĂ©e est la jonquille. Du reste, Odon sâest empressĂ© dâen faire mettre (« maĂźtre » ?) plein le jardin sous prĂ©texte que les explications de Tartuffe Ă©taient probantes. Surtout, et câest ce qui avait fini de convaincre son cher Ă©poux, son grand ami de parler des « Fleurs de Bach » qui utiliseraient de façon infinitĂ©simale les vertus de la jonquille. Elle se rappelle quâil sâagissait pour ThĂ©odore de dĂ©montrer Ă Odon que les Ă©lixirs floraux â et notamment lorsque des extraits de jonquille interviennent dans la composition â agissent sur les troubles de lâhumeur, comme la colĂšre, lâirritabilitĂ©, la honte⊠Dans un premier temps, Odon semblait rĂ©calcitrant : câest ainsi que son ami prĂ©fĂ©rĂ© a dĂ» dĂ©cliner tout son pseudo-savoir sur les plantes⊠Non, ce nâest pas possible : Elvire retrouve la conversation intacte. ThĂ©odore a insistĂ© sur le fait que la jonquille porte, Ă lâorigine, comme nom latin⊠Narcissus jonquilla. Et de conclure : « Les jonquilles sont des narcisses appartenant Ă la mĂȘme famille »âŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre XV
Objet
Jeudi 7 mai. Beaucoup de monde dans la salle dâattente de son psy lorsquâElvire ouvre la porte. Elle sâen fiche, elle sâen moque mĂȘme aujourdâhui car elle vient dâapprendre que Tartuffe sera absent une bonne quinzaine de jours. Un vrai bol dâair pour elle, respire-t-elle joyeusement. Elvire sâinstalle, regarde furtivement un homme quâelle nâa jamais rencontrĂ© jusquâici. Il semble ĂȘtre le pĂšre dâune petite fille quâil surveille attentivement et qui rĂ©pond au prĂ©nom de Jessica. Lâenfant joue avec un puzzle tels quâils sont vendus pour des bambins de 3/4 ans environ. Mais la fillette semble avoir 6 ans⊠Elvire reste interrogative. Sâagit-il dâune enfant handicapĂ©e mentale ? Mais que va-t-elle chercher lĂ , se reprend-elle ? Elle essaie de choisir une revue. Rien ne lâinspire vĂ©ritablement. DĂ©cidĂ©ment attirĂ©e par le comportement de Jessica, elle ne la quitte pas des yeux. Lâenfant est silencieuse. Comme son pĂšre qui, de temps en temps, si lâenfant le sollicite, lui adresse un sourire. Lâhomme doit avoir une petite quarantaine. Il est bien habillĂ©. Peut-ĂȘtre est-il veuf ? Ou divorcĂ© ? Sa femme lâa sĂ»rement quittĂ© pour quâil reporte son affection sur sa fille de la sorte. Elvire se dĂ©teste lorsque son imaginaire se dĂ©clenche ainsi. Mais elle nâarrive pas Ă arrĂȘter ses mauvais rĂ©flexes. Le puzzle donne lâimpression de permettre de reconstituer une ferme et ses animaux. Lâenfant a sĂ»rement un problĂšme psychologique grave. Ă son Ăąge, on nâen est plus lĂ ! Elvire se souvient de sa fille qui, toute petite, adorait jouer avec des pinces Ă linge en bois. Câest curieux que les enfants soient attirĂ©s par ce genre dâobjet, pense-t-elle, alors que souvent ils ont des tonnes de jouets Ă la maison. Lâheure tourne, le psy a beaucoup de retard, personne ne bronche, Elvire commence Ă sâimpatienter. Elle se met en autoanalyse pour faire passer le temps : objet la renvoie Ă objet du dĂ©lit, expression dont Elvire choisit de ne garder que des-lits. Elvire se rappelle quâelle dĂ©sire changer son sommier et son matelas car elle a des problĂšmes de dos. Elle transforme dos en do, la note de musique⊠Elle lĂąche ici son autoanalyse qui â selon elle â ne lui apporte rien. Le silence continue Ă rĂ©gner dans la salle dâattente. Elvire rĂ©alise que Jessica a terminĂ© son puzzle. Il sâagit bien de la reprĂ©sentation dâune ferme. Dâailleurs, lâenfant ferme la boĂźte avec soin et la donne Ă son pĂšre qui ne lui dit pas « merci ». Elvire pense quâil aurait dĂ» remercier sa fille. Mais de quoi au juste ? Peut-ĂȘtre est-elle sourde ou muette ? Nâimporte quoi, sâassĂšne Elvire, qui enchaĂźne en se souvenant quâĂ lâĂąge de Jessica elle nâa jamais eu de puzzle. Mais est-ce que ce genre de chose existait Ă lâĂ©poque ? Bonne question, dont elle nâattend pas la rĂ©ponse. Lui revient alors en mĂ©moire que sa grandâmĂšre lui disait toujours quâelle Ă©tait un amour. OĂč en est-elle dâailleurs sur ce plan avec Odon ? Mais il ne sâagit pas du mĂȘme amour, bien entendu ! Amour peut donner mourra : pas drĂŽle, soupire Elvire. Elle meurt maintenant dâennui dans cette piĂšce quâelle connaĂźt par cĆur. Curieux se dit-elle, par cĆur, la conduit Ă Parker. Elle croit se souvenir avoir reçu comme cadeau pour sa communion solennelle, de sa marraine, un stylo encre de la marque Parker, un trĂšs bel objet⊠La porte du bureau du psychanalyste sâouvre : le professionnel sâimmobilise poliment dans lâencadrement et invite Ă sortir une jeune femme devant laquelle se tient un petit garçon de 3 ans environ qui se prĂ©cipite dans les bras du pĂšre de Jessica. Le psychanalyste vient saluer lâhomme en lui lançant un chaleureux « Bonjour Monsieur ». Le mari de la patiente referme le magazine quâil tient dans ses mains. En gros titre apparaĂźt le nom de la cĂ©lĂšbre actrice⊠Sarah Jessica ParkerâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre XVI
Perversion
Jeudi 14 mai. Elvire prend son petit-dĂ©jeuner de façon dĂ©sabusĂ©e. Du moins câest ainsi quâelle voit les choses. Quâelle se voit Ă lâinstant « t ». Le rĂȘve quâelle a fait, sĂ»rement au petit matin, la laisse dubitative : elle se trouvait dans un chĂąteau quâelle connaĂźt bien, le chĂąteau de Boussac dans la Creuse, superbe et imposante bĂątisse du XVĂšme siĂšcle dans lequel a dormi Jeanne dâArc et bien plus tard George Sand. Dans une immense salle vide de ce mĂȘme chĂąteau et toujours dans ce mĂȘme rĂȘve, Elvire se revoit assise sur le sol, trĂšs poussiĂ©reux, devant un carton contenant des tas de prises de courant. Elle a beau essayer de faire lâanalyse de ce matĂ©riel onirique, rien de cohĂ©rent ne sâimpose Ă elle. Les tartines beurre-miel posĂ©es devant elle la laissent indiffĂ©rente, tout comme son incontournable thé⊠Câest dire si quelque chose dâimportant turlupine Elvire ! Dâaccord, si ce chĂąteau bĂ©nĂ©ficie aujourdâhui de tout le confort moderne et, bien entendu de lâĂ©lectricitĂ©, que viennent faire ces prises de courant dans son quotidien, se questionne-t-elle ? Ce matĂ©riel Ă©tait blanc. Rien dâĂ©tonnant ici pour des prises de courant ! Le carton, plus elle y rĂ©flĂ©chit, qui abritait lesdites prises, lui semble nâoffrir aucun intĂ©rĂȘt. Elvire nâa pas eu de problĂšme rĂ©cemment avec lâĂ©lectricitĂ© non plus⊠Quelques gorgĂ©es de thĂ© bues machinalement la ramĂšnent soudain au film pourtant ancien maintenant, « Le boulet », avec le superbe GĂ©rard Lanvin quâelle adore ! Elvire sourit puis se dit que câest un mari comme GĂ©rard Lanvin qui lui aurait fallu Ă©pouser pour ne jamais croiser la route de lâabominable ThĂ©odore. Câest Ă©vident que ce trĂšs grand acteur â ce monument mĂȘme â ne se laisserait jamais influencer par un Ă©nergumĂšne falot comme Tartuffe ! Toujours est-il, soupire Elvire, quâelle est mariĂ©e avec Odon et non pas avec GĂ©rard Lanvin. Donc autant passer Ă autre chose⊠Quoique, dans le film « Le boulet », elle se souvienne de courses poursuites incessantes et quâune femme â une espagnole â est faite prisonniĂšre⊠Elvire avance, elle en est persuadĂ©e maintenant : prise de courant peut renvoyer Ă prise en courant et dans un chĂąteau, il sâest certainement passĂ© des choses pas trĂšs jolies⊠Prise pourrait â par imaginaire interposĂ© â renvoyer Ă lâexpression populaire vulgaire, il faut bien quâElvire se lâavoue â qui ramĂšne Ă la sexualitĂ©, voire Ă la grossesse⊠Comme si une femme câĂ©tait une chienne⊠Prise en courant peut donc pousser lâanalyse jusquâau terme viol. Son raisonnement Ă©tonne tout de mĂȘme Elvire qui nâa jamais Ă©tĂ© violĂ©e⊠Dieu soit louĂ© ! Dâailleurs, ces violeurs, sâil ne tenait quâĂ elle, ne sâen tireraient pas aussi facilement que dans la sociĂ©tĂ© française qui, quoi quâil arrive, trouve toujours des circonstances attĂ©nuantes Ă ces horribles pervers. La perversion : voilĂ un sujet qui appartient au registre du champ psychanalytique, se dit Elvire. Mais, se questionne-t-elle, ces pervers violeurs frĂ©quentent-ils rĂ©ellement les psychanalystes ? Elle nâa pas la rĂ©ponse, ce qui ne lâennuie pas le moins du monde car elle veut absolument faire lâexĂ©gĂšse de son rĂȘve quâelle sent capital. Il nây a pas, selon Elvire, que de la perversion sexuelle. Si elle prend le cas de ThĂ©odore, elle sait que câest un pervers alors quâelle ne lâimagine pas du tout dĂ©river de façon fĂ©tichiste ou pĂ©dophile. NâempĂȘche, se ressaisit-elle, quâil est du genre voyeuriste. Peut-ĂȘtre pas au sens oĂč Freud lâentendait mais Elvire pourrait largement dĂ©montrer, Ă son propre psy par exemple, de quelles multiples façons lâignoble individu sâinfiltre chez elle par le trou de la serrure. Câest une mĂ©taphore certes mais Elvire nâa aucune confiance en ThĂ©odore, ce qui nâest pas nouveau, reconnaĂźt-elle⊠Ces digressions lâĂ©loignent considĂ©rablement de ce rĂȘve de prises de courant. Elvire sâen agace, ne touche pas ses tartines qui commencent dâailleurs Ă dĂ©fraĂźchir en cette chaude matinĂ©e du mois de mai⊠Le thĂ© est froid, elle ne le boira pas, comme quand elle est malade pense-t-elle⊠Des prises de courant dans un carton qui se trouve dans le chĂąteau de Boussac dans la Creuse ? Elle isole mentalement Boussac puisque son inconscient lui suggĂšre de creuser lĂ : de la boue dans un sac. Brrr, frĂ©mit Elvire, ça fait penser Ă une histoire criminelle⊠Elle abandonne vite cette piste. Le plus simple, câest certainement quâelle imagine les prises de courant de son domicile que la femme de mĂ©nage
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ne nettoie jamais ! Ă voir plus tard avec elle dâailleurs⊠Mais lĂ , ce nâest pas le moment. Elle se fixe sur les prises de courant prĂšs de son ordinateur. Elle reconnaĂźt que cet amas de fils Ă©lectriques sur le sol, qui ont pourtant tous leur fonction, nâest pas trĂšs esthĂ©tique mais comment pourrait-on faire aujourdâhui sans tĂ©lĂ©phone ? Impensable, se rassure-t-elle, oubliant dĂšs lors lâentrelacement des cĂąbles. Elle se lĂšve et se dirige vers son ordinateur qui lui signale quâil nây a pas de connexion Internet pour le moment⊠Elvire sent une colĂšre sourde monter en elle. Elle se calme et en conclut que ce nâest pas Internet qui va lui dĂ©coder son rĂȘve. Des prises de courant dans une vieille bĂątisse, ce ne doit quand mĂȘme pas ĂȘtre sorcier Ă comprendre, se reprend-elle. Elle dĂ©cide de passer par la forme de ces objets : ronds avec des trous⊠Sâimpose Ă Elvire â elle ne sait vraiment pas pourquoi â un crĂąne humain trĂšs, trĂšs vieux, au point quâil ne lui fasse pas peur en imagination. Pour crĂąner, sâil y en a un qui crĂąne, câest bien le Tartuffe, ricane-t-elle intĂ©rieurement. Pas plus tard quâhier soir, se remĂ©more-t-elle, Ă table, une demi-heure de son monologue Ă subir sur le film « Le dĂźner de cons »⊠Elvire sâeffondre, elle a envie de pleurer soudain comme une gamine trĂšs malheureuse et incomprise. Elle pleure, elle a envie de hurler que ThĂ©odore les prend vraiment â son mari et elle â pour des cons. Maintenant, il en arrive mĂȘme Ă les insulter chez eux avec ce type de lien grossier et suffisamment explicite. Prises de courant ? Ne parle-t-on pas de prise au cinĂ©ma ? Prise I, Prise II⊠Toujours le cinĂ©ma de ThĂ©odore qui la harcĂšle. MĂȘme si elle partait en courant, elle est sĂ»re quâil la rattraperait. Pourtant, toutes les solutions sont logĂ©es dans ce rĂȘve. Il faut quâElvire parvienne Ă lâanalyser : quitter son mari ? Non, Tartuffe serait trop content, il nâattend que ça ! Prises de courant ? Un autre courant, rĂ©flĂ©chit-elle ? La petite Creuse sâĂ©coule tranquillement Ă Boussac⊠Cette riviĂšre fait le charme â entre autres â de cette jolie bourgade. La Creuse, selon oĂč elle se trouve, peut donner Ă voir des courants assez animĂ©s. Rien Ă voir avec son rĂȘve. Elvire enrage. Prises de courant ? Courant peut se dĂ©composer aussi en rang court : mauvaise lignĂ©e Ă rattacher au chĂąteau mais lignĂ©e renvoie aussi Ă ligne et Ă pĂȘche. PĂȘche, câest le fruit mais le pĂ©chĂ©, câest aussi la faute. Que celui qui nâa jamais pĂȘchĂ©âŠ, se dit instinctivement Elvire⊠Ce qui voudrait donc signifier que ses perversions Ă elle consistent Ă aller systĂ©matiquement voir la paille dans lâĆil de ThĂ©odore. Elle ne se sent pas fiĂšre Ă cet instant. Prises de courant ? Elle nâest pas trĂšs douĂ©e en physique et encore moins en Ă©lectricitĂ© mais Elvire se dit que le courant passe si il y a un pĂŽle plus et un pĂŽle moins. Elle accepte Ă cette seconde que câest dans lâaltĂ©ritĂ© que lâĂȘtre humain avance. Dâaccord, mais pourquoi des prises de courant dans ce chĂąteau de Boussac ? Quand elle Ă©tait petite il y avait, croit-elle se souvenir, les tissus Boussac. Tisser la conduit Ă PĂ©nĂ©lope. Elle tente PĂ©nĂ©lope Cruz quâelle relie dans son autoanalyse Ă Almodovar, grand metteur en scĂšne qui traite souvent dans ses films du domaine des perversions. Finalement, Cruz et Creuse, voici deux termes pas si Ă©loignĂ©s que ça phonĂ©tiquement, constate Elvire, un peu soulagĂ©e Ă ce point prĂ©cis de sa rĂ©flexion. Lâactrice lâamĂšne Ă Espagne. Pagne lâamĂšne Ă son tour du cĂŽtĂ© de la sexualitĂ© cachĂ©e. Câest vrai que ça ne va plus du tout avec Odon de ce cĂŽtĂ©-lĂ depuis quelque temps. Prise en courant la renvoie maintenant du cĂŽtĂ© dâune sexualitĂ© rapide. Pourtant, Odon nâa jamais Ă©tĂ© un Ă©jaculateur prĂ©coce. Mais, dans le quotidien, il est speed. Speedy GonzalĂšs ? Toujours lâEspagne⊠Laisse le pagne⊠Elvire vient de rĂ©aliser quâelle ne veut jamais faire lâamour avec la lumiĂšre Ă©clairĂ©e. Odon le lui reproche tout le temps dâailleurs. Son exĂ©gĂšse est faite, incontournable : si elle veut sauver son couple â et lĂ , sâavoue-t-elle, rien Ă voir avec ThĂ©odore â, dĂ©sormais elle devra laisser la lumiĂšre allumĂ©e, câest-Ă -dire les appliques qui sont au mur, de chaque cĂŽtĂ© du lit. Câest bien ce que son inconscient lui suggĂšre : Applique !
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Chapitre XVII
Quantum dâaffect
Jeudi 21 mai. Curieux se dit Elvire, en se rendant chez son psy, que la lettre « Q » suive la lettre « P » dans lâalphabet. Ce qui entraĂźne PQ : papier cul ! Câest vrai quâelle a lâĂąme lĂ©gĂšre depuis quâelle accepte de faire lâamour la lumiĂšre Ă©clairĂ©e. Odon nâen revient pas ! Mais de lĂ Ă arriver Ă sâautoriser des expressions telles que papier cul, elle sâen Ă©tonne, dâautant quâelle nâen voit pas vraiment lâutilitĂ©. Papier hygiĂ©nique est un peu moins vulgaire. Tout Ă coup, Elvire entend crisser des pneus sur le bitume. Oh, lĂ , lĂ ! Lâinconscient se trouve dĂ©cidĂ©ment trĂšs libĂ©rĂ© car si elle se met Ă dĂ©composer le terme bitume : Ă tous les coups, elle va rougir. Dâailleurs, elle reconnaĂźt quâil sâavĂšre difficile pour elle de parler sexualitĂ© avec Freud-bis. Elle ne lui racontera jamais lâhistoire du rĂȘve des prises de courant. Nâa-t-elle pas tout bien analysĂ© ? Sans compter, encore une fois, que son Odon est en grande forme depuis quâelle nâĂ©teint pas la lumiĂšre pour sâenvoyer en lâair. Ăa rime, sâamuse-t-elle⊠Tout Ă lâheure, Ă la paroisse, elle a trouvĂ© Monsieur le CurĂ© pas dans son assiette. Maintenant quâelle sait et quâelle a pu constater par elle-mĂȘme que les inconscients communiquent, elle se demande si lâhomme dâĂ©glise ne sent pas quâelle est en train de sâĂ©veiller complĂštement aux plaisirs variĂ©s et quelque peu dĂ©bridĂ©s des rapports sexuels⊠Dâun autre cĂŽtĂ©, ça ne le regarde pas vraiment, se rassure-t-elle : nâest-elle pas mariĂ©e ? De fait, Odon et sa femme â câest-Ă -dire elle, Elvire â pratiquent encore bien ce quâils veulent, quand ils veulent, dans leur chambre Ă coucher ! Ce serait avec un amant, elle comprendrait quâon la juge mais, dans son cas, il nây a pas de quoi fouetter un chat ! Cette mĂ©taphore lâamĂšne Ă penser aux jeux sado-masochistes. Elle se souvient du superbe film « Belle de jour » avec Catherine Deneuve⊠Le scĂ©nario, pour lâĂ©poque â 1967 croit-elle se souvenir â Ă©tait osĂ©. Elvire avait dĂ©couvert dans ce mĂȘme film, prĂ©cisĂ©ment, que les fouets et autres scĂ©nettes perverses existaient⊠Maintenant, on appelle ça les jeux SM⊠Elle en arrive Ă trouver Ă©tonnant que les gens passent leur temps Ă sâadresser des SMS, dâautant quâelle sait que la lettre « S » renvoie au serpent, attribut phallique par excellence⊠Quant Ă Internet, cet outil de tous les dangers â pour les jeunes et les moins jeunes â analyse-t-elle sĂ©rieusement, il offre la possibilitĂ© de son cĂŽtĂ© de communiquer par MSN : Aime « S » haine, rĂ©flĂ©chit-elle en butant sur un pavĂ© relevĂ© par les racines dâun arbre, ou â et pourquoi pas ? â Messe haine⊠Elvire arrive chez le psy avec une moue plus que dubitative. Tant mieux, personne dans la salle dâattente. Dâailleurs, Freud-bis vient la chercher. Elle nâa mĂȘme pas eu le temps de sâasseoir. Ă tous les coups, il a un train Ă prendre, se moque Elvire en silence⊠Elle sâassied face Ă lui, aprĂšs quâil lây ait invitĂ©e⊠Elle met lâargent sur le bureau qui brille plus quâĂ lâaccoutumĂ© â le bureau, pas lâargent, ricane-t-elle intĂ©rieurement⊠Il ne lui dit pas merci. Comme dâhab ! Eh bien, quâil commence⊠Il dĂ©marre lâentretien par un sujet dâune banalitĂ© Ă pleurer en demandant Ă son analysante si la tempĂ©rature estivale ne la dĂ©range pas ! Ăa sent la lassitude chez le psy et vu le montant de ses honoraires, Elvire sent quâelle est dĂ©jĂ en transfert nĂ©gatif⊠Elle lui rĂ©pond du tac au tac quâelle est nĂ©e au soleil et quâenfin, elle est enchantĂ©e que le soleil soit au rendez-vous ! Scansion, lui dit le psy en expliquant que lâhomme â le soleil dans le transfert, prĂ©cise-t-il savamment â a pris enfin la place du Nom-du-PĂšre⊠Il ajoute les liens faits par dĂ©placement sur Monsieur le CurĂ© et les interdits de lâĂglise, notamment en matiĂšre de sexualitĂ©. Puis il passe par Louis XIV â le Roi Soleil, grand consommateur de femmes â, en faisant un petit dĂ©tour par RĂą et les Ăgyptiens⊠Câest avec une honnĂȘtetĂ© toute elvirienne que lâanalysante abrĂ©agit de façon hĂ©roĂŻque en avouant Ă Freud-bis que, depuis peu, elle accepte de faire lâamour avec la lumiĂšre Ă©clairĂ©eâŠ
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Chapitre XVIII
RĂ©paration
Jeudi 28 mai. Il pleut. Il a plu toute la nuit. Il pleut encore. Câest toujours quand elle a des tas de choses Ă faire Ă lâextĂ©rieur quâil fait un temps de cochon, se lamente Elvire. Il fait froid en plus⊠Ăa lui donnerait presquâenvie de ressortir le sapin de NoĂ«l et de lâinstaller dans le salon pour le dĂ©corer, rage-t-elle ! Elvire nâaime pas quand elle devient excessive. Elle va aller prendre un bain bien chaud, parfumĂ© aux huiles essentielles. Pour se calmer et se rĂ©chauffer. Elle ouvre les robinets de la baignoire : pas dâeau ! Elle se dirige vers la vasque : pas dâeau ! Le bidet : pas dâeau ! Lâhorreur pour Elvire qui, en plus, voulait se laver les cheveux. Comme tous les jeudis⊠Elle remet son peignoir et se prĂ©cipite pour joindre Odon au tĂ©lĂ©phone. Il ne rĂ©pond pas. Câest vrai quâil avait un rendez-vous important. Pas question de lui laisser le moindre message, ça le perturberait. Elle cherche Ă joindre un plombier : tous indisponibles ! Sa fille ? Elle ne comprend rien au bricolage⊠Reste⊠Non, quand mĂȘme pas ! Reste⊠Non, non et non ! Elle nâappellera pas Ă son secours ThĂ©odore, ce trĂšs vilain Tartuffe. Encore quâil lui en fait tellement voir quâelle pourrait lâutiliser, juste histoire dâinverser la tendance⊠Non, lâabominable sâincrusterait davantage encore. Elvire se prĂ©cipite dans la cuisine. Les robinets refusent de couler. Elle ne va quand mĂȘme pas faire sa toilette avec de lâeau minĂ©rale⊠Certainement pas quand on sait que dans certains coins de lâAfrique, lâeau â et bien sĂ»r davantage encore lâeau potable â manquent⊠Sa petite voix, celle quâelle appelle la tentatrice, lui suggĂšre Ă nouveau de tĂ©lĂ©phoner Ă ThĂ©odore⊠Non, sĂ»rement pas ! Elle prĂ©fĂšre encore aller Ă lâĂ©glise, et chez le psy, pas lavĂ©e⊠Enfin, elle prĂ©fĂšrerait⊠De toute façon, elle sait trĂšs bien quâelle ne peut pas se prĂ©senter devant Dieu, dans Sa Maison, sans ĂȘtre lavĂ©e au propre⊠Tout dâun coup, Elvire se dit quâelle perd son temps Ă raisonner de la sorte. Il lui faut ĂȘtre efficace. Pourquoi cette coupure dâeau ? Rien nâavait Ă©tĂ© signalĂ© Ă ce sujet par la ville. Pas dâeau, rĂ©flĂ©chit Elvire. En structure inversĂ©e, on peut entendre dopa : quand elle Ă©tait petite, sa mĂšre lui achetait le shampooing de la marque « Dop ». Dâaccord, il y a un petit lien mais un petit lien de rien du tout et toujours pas dâeau qui jaillisse du mĂ©langeur. Pourtant, les choses semblent sâagiter : un bruit glougloutant se fait entendre dans la tuyauterie. Qui sâarrĂȘte tout aussi net⊠Elvire sent le dĂ©sespoir monter en elle. Sa petite voix intĂ©rieure, plus mielleuse, plus aguicheuse que tout Ă lâheure, lui re-propose les services de ThĂ©odore⊠Non, plutĂŽt sentir mauvais ! Elle se reprend immĂ©diatement en se disant que ce manque dâeau lui fait imaginer nâimporte quoi. Pas dâeau ? Pas dâeau ? Un Ă©lĂ©ment lui revient : sa famille lui a souvent racontĂ© que lorsquâelle a commencĂ© Ă parler et quâelle faisait une bĂȘtise pour laquelle les adultes lui demandaient de sâexcuser, nâarrivant pas Ă prononcer le « R » de pardon, elle disait padon, soit pas de don⊠Rien Ă voir, fulmine Elvire. Pour la troisiĂšme fois, la petite voix lui assĂšne lâidĂ©e de tĂ©lĂ©phoner Ă ThĂ©odore qui nâest certes pas Ă©crasĂ© de travail. Elle sây refuse obstinĂ©ment mais pourtant pas totalement sur lâinstant. Elle se dit que le prĂ©nom de son grand ennemi va peut-ĂȘtre lui livrer la solution. ThĂ©odore : spontanĂ©ment, sâimpose Ă Elvire thĂ©, suivi de eau, puis de dort. Elle essaie dâassocier ces trois propositions phonĂ©tiques : lâeau du thĂ© dort. Elle sent Ă nouveau la colĂšre gronder en elle car lâinterprĂ©tation pertinente ne vient pas. Elle sâassied sur la chaise de la cuisine, celle quâelle prĂ©fĂšre, face Ă la grande fenĂȘtre qui donne sur le jardin, continuant son autoanalyse : dort thĂ© lâeau. Elvire trouve que son inconscient se moque carrĂ©ment dâelle maintenant. ThĂ©odore repasse en imagination. Elle se dit quâil lui met une de ces pressions au quotidien celui-lĂ ! Pression dont elle se passerait volontiers⊠Elle rĂ©alise toutefois quâon parle de pression de lâeau⊠Elvire sait quâelle approche de la comprĂ©hension refoulĂ©e, masquĂ©e⊠Elle continue : ThĂ©odore⊠Dort lâeau thé⊠Mais oui, dorloter⊠Dorloter ThĂ©odore ? Dâaccord, dit-elle au Seigneur en pensĂ©es, en Lui demandant Ă la fois de la pardonner â mais Ă condition que lâeau revienne⊠Les canalisations Ă©mettent soudain un bruit rassurant. Le miracle aurait-il lieu, ici, Ă la minute, se dit fĂ©brilement Elvire
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qui nâose plus bouger ? Le bruit de lâeau semble se faire plus Ă©vident, plus prĂ©sent. Elle se lĂšve mĂ©ticuleusement et se dirige vers la robinetterie quâelle actionne sans trop y croire. Quelques gouttelettes envoyĂ©es par jets mouillent son visage et son peignoir. Le bruit devient celui dâune machine qui a beaucoup attendu pour se remettre en marche. Un filet dâeau couleur de rouille sâĂ©chappe du robinet. Au bout de quelques instants, une eau claire et limpide coule Ă volonté⊠Elvire pleureâŠ
![Page 36: Chantal Calatayud est psychanalyste, Directrice de l](https://reader035.vdocuments.pub/reader035/viewer/2022081404/6292e194c8e5f9651765f017/html5/thumbnails/36.jpg)
Le complexe dâElmire
Chapitre XIX
Surinvestissement
Jeudi 4 juin. Le psy est en train de partir dans une de ses tirades favorites qui ont lâart de faire perdre le fil, constate amĂšrement Elvire. Tout ça parce quâelle a eu le malheur â oui, oui ! â de lui dire en dĂ©but de sĂ©ance quâelle a vu Ă la tĂ©lĂ©vision, la veille, une Ă©mission sur le titre de psychothĂ©rapeute remis en question. Elle trouve quâil se la joue supposĂ©-savoir⊠et quâil ne comprenne pas quâelle ne lui a pas demandĂ© de lui faire un cours, câest tout de mĂȘme terriblement narcissique de sa part. Dâaccord, câest un peu sa partie mais il dĂ©passe les limites. Dâailleurs, elle ne lâĂ©coute plus vraiment, tout en rĂ©alisant quâelle ferait mieux de lâĂ©couter car elle a payĂ© sa consultation quâil ne se gĂȘnera pas dâencaisser malgrĂ© son monologue. Tiens, elle va jouer au psy : elle isole au hasard â enfin façon de « penser » â un mot que Freud-bis prononce : « Voilà », conclut-il ! Elvire est interloquĂ©e : Vois là ⊠Sauf quâelle nâa rien Ă©coutĂ© ! Une seule solution sâimpose Ă elle : faire silence. Elle se tait. Lui aussi. Puis elle sâentend bredouiller que, de toute façon, cette histoire de titre de psychothĂ©rapeute ne la concerne pas. La rĂ©ponse lapidaire de lâhomme au divan ne se fait pas attendre. Basiquement, de maniĂšre puĂ©rile, infantile, juge Elvire, il lui rappelle que ce nâest quand mĂȘme pas par pure coĂŻncidence ou simple fatigue quâelle a lancĂ© ce sujet. Il ajoute quâil lui parle⊠Elvire reste collĂ©e au fauteuil (du cuir qui tient chaud ! Encore un sujet de mĂ©contentement possible, Ă mettre dans un coin de son inconscient, se dĂ©fend-elle de façon anticipatoire). Le psy pourrait ĂȘtre plus clair ! Il est ambivalent. Il lui parle : le sujet du titre de psychothĂ©rapeute ou le psychanalyste quâelle a en face dâelle ? Quoi quâil en soit, elle ne lâa pas Ă©coutĂ©. Tiens, se ravise-t-elle rapidement, est-ce Ă dire que je nâai pas Ă©coutĂ© Freud-bis sur une interprĂ©tation prĂ©alable, combien mĂȘme serait-elle ancienne, et que lâinconscient de lâhomme au divan lâa devinĂ© ? Elle sâen moque, ne parle plus, lui non plus⊠Mais elle a payĂ© ! Il ne faut pas quâelle oublie quâavec lâargent de ses sĂ©ances hebdomadaires, elle pourrait sâen acheter des choses qui lui feraient plaisir⊠ĂnervĂ©e, elle continue en osant demander Ă lâhomme de lâart si les sĂ©ances de psychothĂ©rapie sont moins chĂšres que les sĂ©ances de psychanalyse⊠La rĂ©ponse du psy tombe comme un couperet : il la scansionne sur « chĂšres » pour amener lâinterprĂ©tation jusquâà « chaire » et Ă Monsieur le CurĂ©. Elvire est « aux anges » â tout Ă coup â grĂące Ă ce que lui livre lâexplication : elle continue inconsciemment Ă se dĂ©tacher des interdits psychorigides de lâĂglise et autres mea-culpa. DĂ©cidĂ©ment, songe-t-elle ravie, lâhistoire de la lumiĂšre Ă©clairĂ©e lors du « devoir conjugal » (ça rĂ©siste un peu encore toutefois, sâavoue-t-elle en pensant Ă cette expression maladroite de « devoir conjugal ») a levĂ© bien des rĂ©sistancesâŠ
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Chapitre XX
Thanatos
Jeudi 11 juin. Elvire nâa pas voulu faire un acte manquĂ©. MalgrĂ© son induration sur sa mĂąchoire infĂ©rieure gauche et ses douleurs dâoreille, elle nâa pas annulĂ© sa sĂ©ance dâanalyse. Par contre, elle nâest pas allĂ©e Ă la paroisse et nâa pas prĂ©venu Monsieur le Curé⊠Ce qui est surprenant, dit-elle Ă son psychanalyste, câest que câest bien une des rares fois oĂč elle nâa pas respectĂ© son engagement religieux hebdomadaire sans prĂ©venir lâhomme dâĂglise. Et ce, sans culpabilitĂ© aucune⊠Lâhomme au divan laisse passer⊠Elvire poursuit en se plaignant de la difficultĂ© Ă obtenir rapidement un rendez-vous chez le dentiste. Elle ajoute quâil sâagit dâun mĂ©tier oĂč lâargent « coule » facilement. Le psy lui rappelle que cette profession requiert compĂ©tences, savoir-faire et sens des responsabilitĂ©s. Lâanalysante rĂ©torque du tac au tac quâil y en a beaucoup dâautres qui nĂ©cessitent les mĂȘmes qualitĂ©s et qui gĂ©nĂšrent beaucoup moins de bĂ©nĂ©fices⊠Elle complĂšte par une association libre trĂšs dĂ©veloppĂ©e sur les chercheurs scientifiques, jusquâĂ citer Pierre et Marie Curie qui, selon Elvire, ne devaient pas avoir de parc immobilier tel que certains dentistes quâelle connaĂźt bien ! Le psy lui rĂ©pond que lâargent ne rĂ©sout pas tout⊠Elvire est furieuse, se disant que Freud-bis nâest sĂ»rement pas Ă la soupe populaire Ă voir la frĂ©quentation de sa salle dâattente⊠Et ses retards⊠Mais ça, câest une autre histoire, constate-t-elle. Si lâargent, effectivement, ne rĂ©sout pas tout, câest un moyen bien pratique, ajoute-t-elle maintenant sur un ton se voulant convainquant. Ă la rĂ©ponse du psy, Elvire sent monter en elle une colĂšre Ă©norme, surtout lorsquâen dĂ©tachant calmement ses syllabes, il lui assĂšne quâencore faut-il en faire bon usage⊠DĂ©cidĂ©ment, il cherche Ă la rĂ©duire Ă cet instant, Ă la prendre pour une gamine. La colĂšre est toujours lĂ , prĂȘte Ă jaillir, mĂȘme si Elvire sait pertinemment que le psychanalyste nâa pu lui donner cette rĂ©ponse quâen sâĂ©tayant sur une ambivalence langagiĂšre proposĂ©e par son propre inconscient Ă elle⊠Elle ne se laissera pas faire. Elle expulse brutalement que tout cela est bien subjectif⊠« Bon usage », « Bon usage »⊠On nâest quand mĂȘme pas Ă lâĂ©glise ici, vocifĂšre-t-elleâŠ. Le psy est dâaccord sur le principe, tout en lui rĂ©torquant que si lâon prend comme exemple certaines cĂ©lĂ©britĂ©s qui sont Ă lâabri du besoin et qui vivent dans de superbes endroits, ça ne les empĂȘche pas de se dĂ©truire⊠Elvire pense que Freud-bis doit lire la presse people et que sâil continue, il deviendra de plus en plus superficiel. Il y a quand mĂȘme des cĂ©lĂ©britĂ©s Ă©quilibrĂ©es, enchaĂźne-t-elle de plus en plus hors dâelle⊠Qui choisissent souvent de vivre cloĂźtrĂ©es, ironise lâhomme au divan⊠Elle se souvient Ă ce moment prĂ©cis que ThĂ©odore avait racontĂ©, lors dâun Ă©niĂšme repas oĂč il sâĂ©tait invitĂ©, que SĆur Dominique â rendue cĂ©lĂšbre par sa chanson â avait Ă©tĂ© exploitĂ©e par les religieuses⊠Aussi avait-elle quittĂ© son ordre pour vivre une passion avec son amie â car elle Ă©tait homosexuelle â et finir par se suicider. Elle expose cette douloureuse histoire au psy qui lui re-souligne quâil maintient que lâargent a aussi sa face cachĂ©e⊠Elvire nâen peut plus et, en haussant la voix, lui rĂ©torque quâheureusement quâil nây a pas de clochard dans la piĂšce car, sâil entendait ce type de raisonnement, il serait furieux⊠Le psy ne relĂšve pas⊠Elvire a du mal Ă se calmer⊠Sa douleur dentaire se rĂ©veille mais elle ne se plaindra pas Ă cet interlocuteur borné⊠Dâabord, a-t-elle vraiment besoin de lui ? Il nâest ni son mari, ni dentiste. Et câest dâun dentiste dont elle aurait besoin Ă lâinstant « t »⊠Elle dĂ©cide de changer habilement de sujet de conversation. Lui Ă©chappe ainsi que communiquer nâest dĂ©cidĂ©ment pas facile sur des thĂšmes aussi chauds que ceux qui touchent les mĂ©dias⊠La scansion se fait sur chauds⊠Show⊠LâinterprĂ©tation sur langue Ă©trangĂšre, la rage de dent Ă©tant lĂ pour montrer Ă Elvire que sa rage dedans repose douloureusement sur une rĂ©sistance Ă accepter la parole de lâhomme, donc du pĂšre fantasmatique⊠Elvire est dâaccord, ajoutant dans une superbe abrĂ©action quâelle est souvent en colĂšre aprĂšs Dieu et quâelle en souffre⊠Le psychanalyste lui propose de commencer la prochaine sĂ©ance sur cette induction⊠si elle en a le dĂ©sir, bien entenduâŠ
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Chapitre XXI
Union - DĂ©sunion (des pulsions)
Jeudi 18 juin. Elvire se rĂ©veille en pensant Ă Freud-bis. Il lui a proposĂ©, lors de sa derniĂšre sĂ©ance, de commencer par sa relation au Seigneur. Ă Dieu, plus exactement⊠à Dieu⊠Adieu⊠Elvire se dit quâelle voit venir les choses : cinq minutes dâentretien et scansion sur Adieu. Et puis quoi encore ? Ă 57 euros la consultation, câest trop facile ! De toute façon, Monsieur le CurĂ© fait parfaitement lâaffaire lorsquâil sâagit de spiritualité⊠Dâailleurs, lorsquâelle aura terminĂ© son analyse, elle consacrera le temps de ses sĂ©ances Ă la paroisse, dĂ©cide catĂ©goriquement Ă cet instant Elvire. Que son psy nâimagine du reste pas une seule seconde quâelle va finir sa vie en face-Ă -face avec lui ! Ce nâest pas parce quâil est toujours satisfait du travail effectuĂ© quâelle est contente, elle â Elvire â, de voir lâhomme au divan toutes les semaines. Monsieur le CurĂ©, câest diffĂ©rent. Dâabord, câest gratuit ! Enfin, presque, se ravise Elvire, car elle fait des dons rĂ©guliers, trĂšs rĂ©guliers mĂȘme, reconnaĂźt-elle⊠un peu amĂšrement⊠Mais câest elle qui le dĂ©cide. Alors que chez le psy, câest lui qui impose « lâacte-symbolique-du-paiement », comme il aime Ă le rappeler, interprĂšte ironiquement Elvire. De fait, quant Ă lui parler de sa relation Ă Dieu, si il ne lâa pas encore comprise aprĂšs toutes ces annĂ©es passĂ©es dans son bureau, câest son histoire. DĂ©cidĂ©ment, Elvire se jure de ne pas commencer sa sĂ©ance en parlant du Seigneur. Le tĂ©lĂ©phone sonne⊠Câest justement Monsieur le CurĂ©, au bout du fil, qui annonce Ă Elvire quâil ne sera pas lĂ cet aprĂšs-midi⊠Un impondĂ©rable, rajoute-t-il inutilement, pense-t-elle. Mais elle sâentend lui rĂ©pondre que ça nâa pas dâimportance, ils se verront Ă la messe dimanche de toute façon⊠Elvire brĂ»le de rajouter « dimanche, sâil nây a pas dâimpondĂ©rable, bien sĂ»r⊠» ! Mais ce serait grossier et mal venu. Et surtout mal vĂ©cu par le prĂȘtre. Elvire rĂ©alise quâelle aura un « trou » dans son emploi du temps dâaujourdâhui avant de se rendre chez Freud-bis⊠Ce qui la laisse interrogative. Le tĂ©lĂ©phone sonne Ă nouveau. Sâaffiche le nom de ThĂ©odore. Elle ne rĂ©pond pas. Et toc !, se dit-elle trĂšs fiĂšre de cette nouvelle attitude⊠Peut-ĂȘtre est-ce en lien avec lâannulation de Monsieur le CurĂ© ? Peu importe, aucune culpabilitĂ© ne vient perturber lâhumeur dâElvire. Si elle ne voit pas le PĂšre Raoul, ce nâest pas pour Ă©couter les jĂ©rĂ©miades de son Tartuffe dĂ©testĂ© ! Et re-toc !, se rassure-t-elle⊠Tout Ă coup, Elvire ne se sent pas trĂšs bien⊠Elle Ă©prouve le besoin de sâasseoir : elle nâa jamais verbalisĂ© Ă son psy que Monsieur le CurĂ© se prĂ©nomme comme son pĂšre, câest-Ă -dire son gĂ©niteurâŠ
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Le complexe dâElmire
Chapitre XXII
Viscosité de la libido
Jeudi 25 juin. Face Ă son psychanalyste, Elvire se demande pourquoi elle ne lui a jamais prĂ©cisĂ© que Monsieur le CurĂ© et son pĂšre avaient en commun ce prĂ©nom de Raoul⊠Elle poursuit son monologue en insistant sur le fait quâelle nâaime pas du tout ce prĂ©nom⊠Alors quâelle constate que si elle trouve le prĂ©nom de RenĂ© un peu dĂ©modĂ© â que dâaucuns taxent certainement dâingrat Ă porter â, elle aime RenĂ©. Le psy stoppe immĂ©diatement la sĂ©ance sur cette expression en lui prĂ©cisant deux choses, fondamentales selon lâanalysante : tout dâabord, Freud-bis lui signifie quâelle sort du magma filial, sâinscrivant davantage encore dans une position libidinale vrai-self avec cette perspective de renaissance (RenĂ© â « Renais », lui suggĂšre son inconscient sur cette ambivalence langagiĂšreâŠ) et puis, lâhomme au divan interprĂšte brillamment (oui, oui pense Elvire) que dans son hĂ©ritage transgĂ©nĂ©rationnel Ă elle, il y a dĂ» avoir un RenĂ© enfant de remplacement⊠Elvire sent une Ă©motion lâenvahir⊠A-t-elle seulement racontĂ© Ă son psy, lors de lâentretien prĂ©liminaire, que son cher mari Ă©tait une sorte dâenfant de remplacement ? Odon, effectivement, est en rĂ©alitĂ© le second de la fratrie car avant sa naissance, ses parents avaient eu un petit garçon dĂ©cĂ©dĂ© Ă lâĂąge de 4 ans, emportĂ© par une tumeur cĂ©rĂ©brale brutale. Odon avait 3 ans et, aux dires de la belle-mĂšre dâElvire, Odon enfant rĂ©clamait beaucoup son frĂšre disparu⊠Elvire comprend soudain pourquoi son Ă©poux a dĂ©veloppĂ© cette amitiĂ© solide avec ThĂ©odore : ThĂ©o-dort⊠Elle demande Ă son psy si elle est dans la bonne direction : Odon est restĂ© inconsciemment fixĂ© Ă cette pĂ©riode douloureuse de sa vie oĂč il a cru que son grand frĂšre dormait pour toujours alors quâil Ă©tait mort. Le psychanalyste est tout Ă fait dâaccord avec cette analyse, lui rajoutant quâon ne choisit pas son entourage par hasard, quel quâil soit, citant â pour conclure â Sigmund Freud : Les nĂ©vroses sâattirent et se complĂštent⊠Elvire ressent maintenant une joie immense la submerger : elle ne verra plus jamais ThĂ©odore comme un Tartuffe⊠Elle se le promet.
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Chapitre XXIII
Witz
Jeudi 2 juillet. Elvire vient de quitter le cabinet de son psychanalyste lâhumeur joyeuse. La sĂ©ance sâest bien passĂ©e car elle a compris que la colĂšre contre tout interlocuteur nâest jamais quâune colĂšre contre soi. Elle le savait mais, lĂ , elle lâa senti corporellement⊠Dâailleurs, elle apprĂ©cie la lĂ©gĂšretĂ© qui lâaccompagne. ArrivĂ©e devant la paroisse, quelques personnes regroupĂ©es attendent visiblement lâheure dâun enterrementâŠ. Il fait horriblement chaud et les tenues endeuillĂ©es donnent lâimpression que le thermomĂštre grimpe davantage encore, pense Elvire. Elle se ravise Ă ce stade de ses cogitations en supposant quâelle est peut-ĂȘtre la seule Ă imaginer que le noir â la couleur â fait monter le mercure par un jeu dâillusion. Mercure ? La bonne aubaine sourit intĂ©rieurement Elvire : Envoyer sa mĂšre en cure ! Elvire a bien du mal Ă retenir un Ă©clat de rire, se disant en parallĂšle, quâavec sa gĂ©nitrice, le psy aurait du fil Ă retordre ! En revanche, elle constate que sa mĂšre sâhabille toujours en noir⊠Elle ne peut supposer un seul instant que cette sainte femme ait pu un jour ĂȘtre amoureuse dâun homme de couleur. Dâautant quâĂ y regarder de plus prĂšs, sa mĂšre est plutĂŽt du genre raciste. Quoi quâil en soit, elle ne va quand mĂȘme pas psychanalyser celle qui lâa mise au monde ! DĂ©jĂ parce que ça ne se fait pas et puis, surtout, parce quâelle nâen a pas la compĂ©tence. Quant Ă rĂ©flĂ©chir en cette torride journĂ©e dâĂ©tĂ© Ă la mort, certainement pas ! Elvire a de plus en plus envie de rire : un homme passe sur sa bicyclette, elle le trouve un peu ridicule â Une femme pousse un enfant dans une poussette, elle trouve que lâenfant a dĂ©jĂ une tĂȘte dâaffreux jojo ! Tant pis si le Seigneur nâest pas content. Mais pour une fois quâelle a envie de rire, de sâamuser, elle ne retiendra pas ses pulsions ! ArrivĂ©e devant chez elle, un Africain, accompagnĂ© de celle qui pourrait ĂȘtre son Ă©pouse, lui demande oĂč se trouve la rue des Loges. En guise de rĂ©ponse, Elvire Ă©touffe un sourire, se ressaisit au bout de quelques instants, lui indique tant bien que mal la direction et aprĂšs les remerciements dâusage et le couple Ă©loignĂ©, pouffe quasiment de rire nerveusement. Elvire se le reproche mais son fou rire redouble. Elle a bien vu quâil y avait un lien entre le deuil, le noir et la race africaine mais elle ne comprend pas ce qui la conduit Ă perdre le contrĂŽle dâelle-mĂȘme au point dâen ĂȘtre quasiment grossiĂšre et irrespectueuse vis-Ă -vis de cet Ă©tranger. Câest Ă©trange, dâailleurs se dit-elle⊠En ouvrant sa porte, son chat Titus est dans lâentrĂ©e et il est vrai quâil a un pelage noir ! Elle nâĂ©prouve pas le besoin de rire, ce qui la laisse interrogative⊠Titus reste imperturbable mais Elvire le sait sauvage. Tout comme elle se dit que son chat nâest pas lĂ par hasard Ă cette seconde. Rapidement, elle dĂ©cide de mettre en place une structure inversĂ©e : elle transforme le chat en chĂąle. Sa grandâmĂšre maternelle, Jeanne, avait souvent un chĂąle noir sur ses Ă©paules quâelle avait tricotĂ© elle-mĂȘme. Jeanne avait perdu son pĂšre Ă la guerre et nâavait plus jamais quittĂ© la couleur noire. Elle avait optĂ© pour vivre au nom du deuil. Autrement dit, survivre. Il y avait longtemps quâelle nâavait pas pensĂ© Ă Jeanne⊠Jeanne Ă©tait une mamy sĂ©vĂšre mais Elvire reconnaĂźt quâelle a fait siens un grand nombre de ses principes. Ne serait-ce que tous ceux qui touchent Ă la biensĂ©ance. Cette dame ne badinait pas avec la politesse et finalement, elle avait raison. Elvire se souvient que sa grandâmĂšre avait lâart du cadeau. Ă son entrĂ©e en sixiĂšme, elle lui avait offert une petite trousse de couture en tapisserie dâAubusson quâelle a toujours gardĂ©e. Elle lui a appris le point de croix. Point de croix : Elvire est ravie â dĂ©cidĂ©ment, quelle belle journĂ©e ! â dâauthentifier quâelle ne porte plus sa croix⊠Elle constate Ă©galement que voici plusieurs mois quâelle ne met plus la petite croix qui lui avait Ă©tĂ© offerte pour sa premiĂšre communion⊠Belle abrĂ©action, se fĂ©licite Elvire qui se dirige dans la cuisine pour se laver les mains car Elvire a ce rĂ©flexe. Elle se lave les mains dans la cuisine quand elle rentre chez elle. LâĂ©vier nâest pas net puisquâon peut y deviner les traces des pattes de Titus. Il a dĂ» avoir soif, pourtant il avait de lâeau Ă disposition dans son rĂ©cipient, vĂ©rifie tout de mĂȘme Elvire⊠Elle fera des pĂątes ce soir, sâamuse-t-elle maintenant⊠Câest bon les pĂątes et pas fatiguant Ă cuisiner⊠Lui vient soudainement lâexpression mener une vie de patachon⊠Ce nâest pas dans sa nature Ă elle et ça ne lâintĂ©resse pas du tout de mener une vie dissolue ou de critiquer
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des individus qui brĂ»lent la chandelle par tous les bouts⊠Elvire allume la radio : il sâagit visiblement dâune Ă©mission humoristique oĂč les mots dâesprit fusent dans tous les sens. Elle nâen revient pas : tout Ă lâheure, lors de sa sĂ©ance de psychanalyse, Freud-bis lui a parlĂ© des travaux de Freud sur les mots dâesprit dont il lui a prĂ©cisĂ© quâen jargon professionnel, on appelle ça Witz⊠Elvire ne croit pas Ă cette coĂŻncidence et continue Ă Ă©couter attentivement le contenu de cette Ă©mission. Elle reconnaĂźt la personnalitĂ© de Raymond Devos dans un de ses cĂ©lĂšbres sketches quand entre Odon qui lui demande ce quâelle fait. Elvire rĂ©pond dans un lapsus quâelle Ă©coute DĂ©vot⊠Son mari ne saisit pas le lapsus et lui demande de quelle Ă©mission religieuse il sâagit. Elvire Ă©clate de rire en rĂ©alisant son lapsus et prĂ©cise quâun sketch de Devos est sur les ondes. Odon acquiesce et repart de la piĂšce, tout Ă ses pensĂ©es. Comme dâhabitude, soupire Elvire qui sâempresse dâĂ©teindre la radio. Mais elle pense Ă ce mĂȘme instant quâelle doit aller se faire faire une mammographie, câest-Ă -dire une radio des « saints », Ă©clate-t-elle de rireâŠ
![Page 42: Chantal Calatayud est psychanalyste, Directrice de l](https://reader035.vdocuments.pub/reader035/viewer/2022081404/6292e194c8e5f9651765f017/html5/thumbnails/42.jpg)
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Chapitre XXIV
Xanthippe
Jeudi 9 juillet. Freud-bis a sĂ»rement fait exprĂšs de mettre la clim Ă fond, pense Elvire. Elle se dit quâelle en a assez de ces espĂšces dâhystĂ©risations quâil utilise pour mieux la faire parler ! On nâest pas chez le psychothĂ©rapeute dont la profession â elle le sait â consiste Ă suggĂ©rer ! Eh bien, une fois encore, elle fera semblant⊠De ne pas avoir froid⊠Elle ne veut surtout pas entrer dans le jeu libidinal du psychanalyste. StoĂŻque, pourtant sans la moindre plainte, Elvire a lâimpression de manquer dâimagination. Elle voudrait briser ce silence car lâacte-symbolique-du-paiement trĂŽne devant elle⊠Enfin, câest ainsi quâelle envisage les choses ici mĂȘme. Toujours est-il que trĂŽne la pousse Ă raconter Ă lâhomme au divan quâelle a toujours Ă©tĂ© intriguĂ©e par un certain discours de Platon, le philosophe. Il parle de façon nĂ©gative de Xanthippe, la femme lĂ©gitime de Socrate quâil dĂ©crit â lâĂ©pouse â comme odieuse, acariĂątre, mais Platon de chercher Ă expliquer que cet horrible personnage nâa pas Ă©tĂ© confiĂ© Ă lâĂ©poux pour rien : câest ainsi que Socrate a pu dĂ©velopper patience et persĂ©vĂ©rance⊠Elvire se lance alors dans une explication sur le temps : VĂšme siĂšcle avant JĂ©sus-Christ pour Socrate et avec le Christ et le miracle du mendiant aveugle, un peu le mĂȘme scĂ©nario, se plaĂźt Ă ajouter lâanalysante : effectivement, quand le Fils de Dieu est questionnĂ© sur cette sorte dâinjustice qui concerne lâanomalie congĂ©nitale du mendiant aveugle, Il rĂ©pond que ni les parents du handicapĂ© ni le handicapĂ© ne sont responsables du fait quâil ne voie pas⊠Ce handicap nâest lĂ que pour que le Seigneur exprime Sa Manifestation⊠Elvire est heureuse de ce lien et, pour la premiĂšre fois, sâentend avouer Ă son psy quâelle est fiĂšre dâelle ! Bien sĂ»r, il ne souligne rien⊠Ce qui ne la dĂ©courage pas pour autant. AprĂšs avoir repris le binĂŽme philosophie/spiritualitĂ©, lâanalysante sâentend expulser quâelle devient, elle aussi, patiente⊠Câest elle qui sâauto-scansionne. Elle nâa plus besoin dâinterprĂ©tation maintenant, reconnaĂźt-elle⊠Elle saisit alors que sâentendre et comprendre sont indissociables dâune rĂ©elle individuation.
![Page 43: Chantal Calatayud est psychanalyste, Directrice de l](https://reader035.vdocuments.pub/reader035/viewer/2022081404/6292e194c8e5f9651765f017/html5/thumbnails/43.jpg)
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Chapitre XXV
Young (Edward)
Jeudi 16 juillet. Elvire se sent ravie dâavoir relu « Les Nuits » du cĂ©lĂšbre poĂšte anglais Young. Edward de son prĂ©nom. Elle croit se souvenir quâil est nĂ© au XVIIĂšme siĂšcle. PoussĂ©e par son inconscient, elle vĂ©rifie sur Internet. Effectivement, naissance en 1683, dĂ©cĂšs en 1765. Alors quâelle a tant de choses Ă faire, elle continue ses recherches jusquâau moment oĂč son attention se fixe sur un autre Young : Brigham Young plus exactement. Ce chef religieux, nĂ© en AmĂ©rique en 1801, dirigeait la secte des mormons dans lâUtah. Aucun lien apparent avec son poĂšte chĂ©ri, songe Elvire qui se met Ă rĂ©flĂ©chir aux membres de cette secte : certes, ils sont chrĂ©tiens mais polygames ! TrĂšs peu pour moi, se rassure-t-elle ! La chrĂ©tientĂ©, elle est dâaccord mais quant Ă la polygamie, certainement pas ! Câest la porte ouverte Ă tout et nâimporte quoi, renchĂ©rit-elle pratiquement Ă haute voix. Elle prĂ©fĂšre se laisser aller du cĂŽtĂ© de Jung, le grand psychanalyste qui lui, au moins, ne devait pas badiner avec les interdits et autres transgressions⊠Câest ce quâElvire aime dans la discipline freudienne : les limites, lâordre, la loi⊠Un peu comme chez Monsieur le Curé⊠Dâailleurs, quand on ne transgresse pas, quelle Ă©conomie dâĂ©nergie, insiste-t-elle ! De toute façon, croyance ou pas, religion ou pas, elle se sait trop paresseuse pour avoir un amant. Quand elle lit la presse people chez le coiffeur â enfin, quand elle jette un rapide coup dâĆil sur ce type de revue, se rassure-t-elle soudain â, elle se demande comment font toutes ces cĂ©lĂ©britĂ©s pour passer de lâun Ă lâautre⊠DĂ©jĂ quâelle se sent trahie par le binĂŽme ThĂ©odore-Odon ! Elvire est tout Ă coup trĂšs mĂ©contente dâelle-mĂȘme : nâavait-elle pas promis â ne sâĂ©tait-elle pas promis â de ne plus juger Odon⊠Cet aprĂšs-midi, en sĂ©ance, il est impĂ©ratif quâelle re-travaille cet axe avec son psyâŠ. Elvire se lĂšve pour aller se prĂ©parer car lâheure tourne. Elle accroche alors un magazine, plutĂŽt de contenu politique, qui tombe par terre. La quatriĂšme de couverture se retrouve sous les yeux dâElvire. Une publicitĂ© vante les mĂ©rites de cosmĂ©tiques anti-Ăąge ! Quelle ineptie, pense-t-elle ! MĂȘme si le mannequin est superbe, il renvoie une image trĂšs, trĂšs jeune⊠Elvire Ă©tablit un lien entre Young le poĂšte, lâAngleterre et la traduction française qui signifie jeune⊠Lien trop facile, se dit-elle⊠Elle poursuit son association dâidĂ©es et arrive Ă jeĂ»ne. Elvire jeĂ»ne, bien entendu, lors du CarĂȘme⊠Car aime, se dit-elle. Quel bonheur dâĂȘtre en adĂ©quation avec lâamour prĂ©conisĂ© par la religion et celui mis en exergue par la psychanalyse. Elvire se retrouve Ă se rĂ©pĂ©ter : Aime ton prochain comme toi-mĂȘme⊠Finalement, comme le lui a souvent rĂ©pĂ©tĂ© son psychanalyste, le narcissisme est un vecteur paradoxalement essentiel du respect de lâautre⊠Selon Elvire, la boucle est en train de se boucler : Edward Young nâa-t-il pas Ă©crit un « PoĂšme sur le jour du jugement dernier » quâil avait fait tout particuliĂšrement pour la reine Anne⊠Anne, Ăąne, se rassoit Elvire tout Ă ses pensĂ©es. Mais alors, ça y est, câest fait, câest lĂ , accessible : elle ne se fera plus prendre pour une idiote et ne prendra plus jamais personne pour idiote ou idiot⊠Quelle libĂ©ration, se dit-elle, que dâĂȘtre en paix avec soi et avec les autres.
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Le complexe dâElmire
Chapitre XXVI
Zone hystérogÚne
Jeudi 23 juillet. Elvire raconte Ă son psychanalyste le rĂ©veil dâune douleur quâelle connaĂźt bien sur le trajet de lâĂ©pisiotomie quâelle a subie lors de la naissance de sa fille. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive compte tenu de lâĂąge de son enfant maintenant adulte et, dâautre part, Mariane Ă©tant venue au monde un 20 fĂ©vrier, elle ne peut Ă©tablir aucun lien⊠Lâhomme au divan sâempare de son agenda quâil compulse. Lâanalysante pense quâil devient de plus en plus grossier. Si ce quâelle lui livre Ă cet instant prĂ©cis ne lâintĂ©resse pas, quâil le lui dise et elle en finira avec lui, gronde-t-elle intĂ©rieurement⊠Freud-bis referme son agenda, la fixe droit dans les yeux et lui demande si elle sâintĂ©resse aux Saints du jour⊠Elvire rĂ©pond par la nĂ©gative⊠Le psy lui apprend alors que le 23 juillet correspond Ă la Sainte Brigitte et le 20 fĂ©vrier Ă la Sainte AimĂ©e⊠Il pose un silence quâElvire rompt en (se) rĂ©pĂ©tant : Brigitte AimĂ©e⊠Ou, rajoute-t-elle le regard perdu au loin : Aimer Brigitte⊠Elle continue en prĂ©cisant que Brigitte la renvoie Ă Bardot et quâelle, Elvire, nâest ni actrice, ni un dĂ©fenseur acharnĂ© des animaux. Elle les aime beaucoup mais craint toujours de les transformer en leaders. Lâanalysante insiste sur le fait quâun animal doit rester Ă sa place. Elle a vu une Ă©mission Ă la tĂ©lĂ©vision sur ce sujet. Le vĂ©tĂ©rinaire affirmait quâun animal, quel quâil soit, souffre lorsquâil est rangĂ© au stade humain⊠Elle est tout Ă fait dâaccord avec cette thĂ©orie, conclut-elle⊠Le silence du psychanalyste semble particuliĂšrement long Ă Elvire. Elle le brise en lui racontant un souvenir dâenfance : elle devait avoir cinq ou six ans quand elle a appris que sa tante Jeanine Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ©e en mettant au monde un petit garçon qui nâa pas vĂ©cu⊠Ses parents voulaient le prĂ©nommer Christian. Tiens dit Elvire, Brigitte Bardot a Ă©tĂ© mariĂ©e Ă Christian Vadim⊠Et puis, câest curieux car hier soir, elle a servi en dessert une tropĂ©zienne. Elvire sâĂ©nerve, hausse le ton en rajoutant que cette piste ne la mĂšnera nulle part⊠Le psychanalyste reste silencieux. Mais pourquoi cette douleur au niveau de son Ă©pisiotomie, interroge-t-elle sans attendre de rĂ©ponse ? Elle poursuit : quand elle a accouchĂ©, elle est tombĂ©e sur une sage-femme qui Ă©tait une vraie peau de vache⊠Quand elle Ă©tait petite, elle avait dans sa chambre une peau de mouton en guise de descente de lit. Elle ne lâaimait pas cette descente de lit, insiste-t-elle avec pertinence. Quelle idĂ©e sa mĂšre avait-elle eue avec cet achat ridicule ? Un mouton, câest gentil⊠Un enfant ne peut pas comprendre ce genre dâobjet, combien mĂȘme fut-ce un cadeau, dit-elle doucement⊠Lâhistoire du mouton la ramĂšne au « Petit Prince »⊠Sans intĂ©rĂȘt, sâexclame-t-elle ! Son inconscient lui propose maintenant la piste du Prince William, puis du Prince Harry, puis de la Princesse Diana⊠Ridicule, se reproche-t-elle en silence quâelle laisse durer, le psy aussi⊠Elle se reprĂ©sente maintenant Londres, dĂ©cidĂ©ment rien de rare, prĂ©cise-telle Ă haute voix⊠Bridge, Tower : Elvire en a assez de toutes ces banalitĂ©s langagiĂšres⊠Pourquoi cette douleur, sâinterroge-t-elle encore ? Un orage violent Ă©clate qui la fait sursauter. Lorsquâelle a accouchĂ©, il neigeait⊠Neiger : gĂȘner⊠murmure-t-elle⊠Oui, oui, elle se souvient trĂšs bien : elle Ă©tait trĂšs gĂȘnĂ©e au moment de la naissance de sa fille car le gynĂ©cologue avait appelĂ© Ă ses cĂŽtĂ©s deux jeunes internes auxquels il expliquait les difficultĂ©s de lâaccouchement. Aujourdâhui, rage-t-elle, elle ne lâaccepterait pas ! Mais gĂȘner la ramĂšne tout Ă coup Ă genĂȘt, puis Ă jeĂ»ner et enfin Ă je nais⊠Pas de doute, la scansionne le psychanalysteâŠ
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Le complexe dâElmire
Ăpilogue
Sigmund Freud, avec beaucoup de courage, a dĂ©montrĂ© notre entiĂšre responsabilitĂ© dans les situations que nous traversons. Nos relations personnelles ou professionnelles ne sont donc pas le fruit du hasard. Si les Tartuffe existent encore, sâils existeront toujours, il est bien Ă©vident quâils ont de multiples choses Ă nous dire. Elvire nâa pu naĂźtre Ă elle-mĂȘme quâĂ partir du moment oĂč elle a rĂ©alisĂ© que les jugements quâelle dirigeait contre son entourage nâĂ©taient que les simples projections, les banals ressentiments quâelle entretenait contre sa propre personne. Une vraie rancĆur en dâautres termes.
Jâai construit cet ouvrage en utilisant le principe de lâabĂ©cĂ©daire car lâĂȘtre (« lettre ») humain se doit dâavancer chaque jour en ayant pour charge de traverser un miroir Ă chaque fois diffĂ©rent. Lâessentiel consistant Ă en retirer un enseignement certes subjectif mais qui a pour sens de le bonifier⊠Il ne sâagit pas ici dâune morale mais, au contraire, de lâopportunitĂ© de pouvoir constater que le devenir de lâHomme â pour quâil sâaccomplisse â passe par lâĂ©quilibre de lâamour de soi. De ce juste narcissisme dĂ©coule une belle satisfaction qui rend le quotidien plus supportable, plus acceptable. Lâindividu est douĂ© dâintelligence⊠à lui de bien sâen servir sâil veut que le bonheur ne lâĂ©vite pas. Sâauto-gĂ©rer, voilĂ un projet noble qui abrite une certitude : les complexes sâenvolent et lâĂ©panouissement est au rendez-vous. Des mots ? Non, sĂ»rement pas car les maux sâattĂ©nuent aussi pour disparaĂźtre ou alors, câest quâils sont lĂ pour davantage de messages Ă nous livrer.
Ce choix de vie peut paraĂźtre difficile. Le plus simple et le plus efficace consiste ici Ă ne pas baisser les bras : chaque journĂ©e nous apporte son lot dâĂ©lĂ©ments positifs pour mieux nous encourager et nous signaler que nous sommes dans la bonne direction. Elvire a trĂšs bien restituĂ© les embĂ»ches quâelle a rencontrĂ©es en chemin mais en les franchissant une Ă une, malgrĂ© incomprĂ©hensions et colĂšres parfois, elle en est arrivĂ©e Ă un constat probant : ne soyons pas distraits Ă nous-mĂȘme, occupons-nous de nous, nous sommes tellement intĂ©ressants ! Notre vie est un vĂ©ritable livre ouvert. LittĂ©rature dâexcellente qualitĂ©, les mĂ©taphores sây bousculent Ă chaque page, les tournures de style rivalisent, le suspens y est prĂ©sent et le dĂ©nouement survient sans aucune exceptionâŠ
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LâauteurPsychanalyste de formation philosophique et linguistique, art-thĂ©rapeute, psychogĂ©nĂ©alogiste, didacticienne, Directrice de l'Institut Francais de Psychanalyse AppliquĂ©e, Chantal Calatayud est lâauteur d'autres livres dont « Raconte-moi la psychanalyse » (Ăditions Villon), « Apprendre Ă pardonner - L'approche psychanalytique » (Ăditions Jouvence), « S'aimer tel que l'on est » (Ăditions Jouvence), « Accepter l'autre tel qu'il est » (Ăditions Jouvence), « Vivre avec ses peurs » (Ăditions Jouvence), « Le conte psychanalytique, une chance de plus : l'histoire de Fleur » (Ăditions Villon - Collection « Vivre heureux tout simplement... »), « Ce quâil faut savoir pour ĂȘtre soi : sortir du mensonge » (Ăditions Dervy), « Les secrets de la longĂ©vitĂ© d'un couple » (Ăditions Villon - Collection « Vivre heureux tout simplement... »), « T'es pas mon pĂšre ! » (Ăditions Villon - Collection « Vivre heureux tout simplement... »).Chantal Calatayud est Ă©galement Directrice de publication de Signes et sens magazine, Ă©ditĂ© par la sociĂ©tĂ© Psychanalyse magazine.
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