chap 1 concept du droit enjeux et difficultés

8
CHAPITRE 1 Concept du droit : enjeux et difficultés I – Définitions Ce terme est vague. Il n’y a pas de définition propre ; les juristes sont toujours à la recherche de la définition. Le mot définir signifie délimiter. Il faut donc délimiter la discipline de manière arbitraire pour obtenir quelque chose de précis. En droit, chaque mot est important, c’est-à-dire leur catégorie juridique. Les mots juridiques font ou défont des choses et ne racontent rien. Les mots peuvent aussi condamner. Ils tuent parfois. Ce n’est pas purement linguistique. Les mots sont chargés des réalités qu’ils entraînent. Parfois, on va même se battre pour les mots. Etymologiquement, le mot « droit » vient de la droiture, de rectitude essentiellement morale d’abord. Cela vient de la religion. Une autre étymologie se pose la question à savoir qu’est-ce qui est juridique. Un autre concept, plus grec que le droit littéraire (biblique), renvoie à tout ce qui touche à la justice qui est plus laïque, plus technique. Pour nous, ce qui est important c’est le concept du droit et celui de l’état. La figure dominante étant l’Etat, le droit précédait l’Etat. Il était soumis à l’Etat (fin Renaissance) (ex : droit nazi). Il y a des incertitudes polémiques. Il s’agit d’un choix profond en appelant quelqu’un droit ou non. C’est la seule discipline où l’on se bat pour les mots. Ce sont des choix de méthodes. Il y a une sorte de confusion entre l’objet et le sujet (≠ rupture cartésienne entre le sujet et l’objet). Les objets juridiques sont plus complexes que les naturels. Ils sont à facette, plusieurs aspects. Il y aura donc plusieurs définitions mais elles seront toutes complémentaires. La vérité est multiple car selon l’angle, nous aurions plusieurs définitions. II – Pluralité des regards sur le droit Introduction au droit public12/08/2022 Mr GRZEGORCZYCK 1

Upload: kelly

Post on 07-Jun-2015

658 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Université de Versaille St Quentin DROIT EUROPECOURS DE DROIT PUBLICANNEE 2008 2009LICENCE 1 PROMO 1

TRANSCRIPT

Page 1: Chap 1 Concept Du Droit Enjeux Et Difficultés

CHAPITRE 1 Concept du droit : enjeux et difficultés

I – Définitions

Ce terme est vague. Il n’y a pas de définition propre ; les juristes sont toujours à la recherche de la définition. Le mot définir signifie délimiter. Il faut donc délimiter la discipline de manière arbitraire pour obtenir quelque chose de précis.En droit, chaque mot est important, c’est-à-dire leur catégorie juridique. Les mots juridiques font ou défont des choses et ne racontent rien. Les mots peuvent aussi condamner. Ils tuent parfois. Ce n’est pas purement linguistique. Les mots sont chargés des réalités qu’ils entraînent. Parfois, on va même se battre pour les mots.

Etymologiquement, le mot « droit » vient de la droiture, de rectitude essentiellement morale d’abord. Cela vient de la religion.Une autre étymologie se pose la question à savoir qu’est-ce qui est juridique. Un autre concept, plus grec que le droit littéraire (biblique), renvoie à tout ce qui touche à la justice qui est plus laïque, plus technique.

Pour nous, ce qui est important c’est le concept du droit et celui de l’état. La figure dominante étant l’Etat, le droit précédait l’Etat. Il était soumis à l’Etat (fin Renaissance) (ex : droit nazi). Il y a des incertitudes polémiques. Il s’agit d’un choix profond en appelant quelqu’un droit ou non. C’est la seule discipline où l’on se bat pour les mots. Ce sont des choix de méthodes. Il y a une sorte de confusion entre l’objet et le sujet (≠ rupture cartésienne entre le sujet et l’objet). Les objets juridiques sont plus complexes que les naturels. Ils sont à facette, plusieurs aspects. Il y aura donc plusieurs définitions mais elles seront toutes complémentaires. La vérité est multiple car selon l’angle, nous aurions plusieurs définitions.

II – Pluralité des regards sur le droit

La définition dépend de la perspective, du point de vue. C’est ce que l’on appelle la perspective méthodique. La vision de la chose dépend de la méthode. Le droit est un concept complexe : c’est un « four tout » avec :

- des règles de droit ;- des constitutions juridiques ;- des principes telle que la liberté ;- des actions telle que se marier ;- des motivations juridiques ;- des objets juridiques ; - des choses immatérielles telles que les dettes, les hypothèques, les instruments

financiers boursiers.C’est un ensemble non homogène, c’est-à-dire que le droit est de différentes origines, de différentes natures. Il est irréductible à tous les regards. Dans cet ensemble, on peut quand même en dégager deux points de vue : l’établissement d’une distinction entre le point de vue interne et externe, selon Hart.

Introduction au droit public 12/04/2023 Mr GRZEGORCZYCK

1

Page 2: Chap 1 Concept Du Droit Enjeux Et Difficultés

1) point de vue externe

C’est le regard qui ne voit que les actes et les actions des personnes sans l’influence des règles juridiques. Ce n’est pas un regard sur le droit lui-même mais plus sur les actes eux-mêmes. Vous êtes incapables de comprendre d’où vient cette autorité qui dicte la conduite de chacun. Ce n’est pas parce qu’il y a une régularité ou une règle. On observe le comportement et les conséquences des règles mais jamais les règles parce qu’on ne les connaît pas. C’est une pure description de la régularité des conséquences.

2) point de vue interne

On connaît les règles et on les accepte comme nôtre. On se place dans la situation d’un jouet. Il s’agit donc d’une acceptation. Elle doit être acceptée comme obligatoire. Les deux points de vue se rapprochent sans cesse. C’est pourquoi il y a un point de vue médiane : c’est celui où l’on se met à l’écart tout en comprenant les règles (ex : les scientifiques). Il y a des tensions entre ces deux points de vue. On est libre de choisir son point de vue.

3) différents regards en fonction des personnes

On en distingue quatre :

La plus fréquente des visions est celle d’un sujet du droit, qui ne connaît pas ou peu les règles. C’est à lui que s’adresse le droit. Il voit les actes de certains agents juridiques. Il en connaît un peu le fonctionnement. Il se centre sur leurs actes et les conséquences. Il sait que c’est une machine très complexe dont il peut se servir ou se faire punir. On peut agir avec. Ce n’est pas vraiment normatif (quand la règle est obligatoire). C’est une description d’une causalité. C’est purement pratique. Ici, c’est un sens dénormatif, utile, pratique. Il observe les effets du droit. Et, ce qui nous préoccupe ce sont les conséquences. La définition, utilisée en 1930 aux Etats-Unis dit que le droit est un ensemble de prévisions de ce que les organes officiels feront . Souvent, les avocats adoptent ce point de vue. Les conseils qu’ils donnent sont donc purement pratiques. Il s’agit donc d’un point de vue externe.

Ensuite, viens le point de vue de ce qu’on appelle le législateur. Ici, il s’agit d’un auteur de n’importe quelles normes : c’est donc un normalisateur. Ce sont ceux qui sont chargés d’édicter les normes. Il voit le droit en tant qu’instrument. Pour eux, la loi et le droit sont pratiquement identiques. Ils créent et précisent le contenu du droit. Paradoxalement, le regard est extérieur : il s’en fiche de la notoriété de la règle. Ce qui l’intéresse ce sont les finalités. Eux-mêmes peuvent être sujet. Ils raisonnent pour l’efficacité des règles. Ils ont un regard politique. On parle même de politique juridique qui est une politique faite par le droit. Le droit n’est donc plus l’ensemble des prévisions de ce que les organes officiels feront mais une sorte de politique juridique. Dans les années 40, toujours aux Etats-Unis, le droit est devenu une manipulation sociale, une technique sociale où l’on contrôle, manipule, oriente la société.

Puis, c’est au tour du point de vue du juriste fonctionnaire, de l’administrateur, du policier. Il existe alors deux types de règles : les règles qui s’adressent à lui et qui viennent d’en haut, et les règles qu’il créé pour les sujets. La condition de son travail est la légalité afin de fabriquer des normes. Sans lui, le travail législatif ne serait pas

Introduction au droit public 12/04/2023 Mr GRZEGORCZYCK

2

Page 3: Chap 1 Concept Du Droit Enjeux Et Difficultés

productif et vivant. Il insiste sur cette obéissance. Pour lui, le droit est quelque chose d’obligatoire, de normatif, ce qui fut critiqué après la deuxième guerre mondiale. Sans cette obéissance, ce serait l’échec de la juridiction. On accepte ces règles, on s’identifie. On utilise des règles normatives. On raisonne en tant que règles. La doctrine du juriste Kelsen est la plus fréquente. Beaucoup ont aussi raisonné comme ça. Pour eux, le droit est un ensemble de règles obligatoires et fonctionnelles.

Enfin, le dernier regard est celui du juge. Il a un double regard : d’un côté, il y a les règles qui s’imposent à lui et de l’autre, celles formulées de manière imprécise. Le juge se rend compte que ces règles ne correspondent à aucun cas. C’est pour cela que les juges sont utiles. Parfois, ils sont paranoïaques : à quoi bon tout ce travail législatif ? On doit juger la situation concrète par rapport à un modèle. Plus il y a de lois et de normes, plus il y a le choix pour régler un cas juridique. Ce qui complique le travail du juge. Les règles sont des instruments d’application du droit pour obtenir une sanction juste, applicable. Le but du travail du juge est de rendre la justice. « Je suis une bouche de la loi » disait Montesquieu, ce qui est faux aujourd’hui. Il doit protéger la paix, la justice sociale. C’est la défense de certaines valeurs sociales qui représente le travail du juge. Il créé constamment du droit en fonction des valeurs sociales. Le droit est donc un ensemble de valeurs sociales et le regard du juge est interne et externe, ce qui fait de son point de vue, un point de vue complexe et complet. Après la Révolution française, le juge applique la loi. Robespierre disait que « il faut abandonner ce système de jurisprudence ». Il faut donc qu’il y ait un système juridique et que les juges soient cohérents. On parle aussi de la jurisprudence des valeurs sociales et plus des normes.

On obtient donc quatre définitions du mot « droit », toutes plus intéressantes les unes que les autres. Tout dépend du point de vue. Il y aura toujours une coloration idéologique, philosophique, juridique, politique. La définition la plus fréquente est celle qui définit le droit comme un ensemble de règles émanant de l’autorité publique et assortie de sanctions. Elle est partiellement vraie. Il y a des incertitudes chez Hart : qu’est-ce que le droit ? Cette question a été posée par les scientifiques et non les profanes. Certaines règles posent l’indemnisation des victimes, la pratique du droit, la nomination des organes juridiques. Hart répond : « oui, nous savons ce qu’est le droit et cela dépend des cas ».

Remarque : la vision qui se rapproche le plus de la vision anglo-saxonne est celle du juge. On commence à mettre le juge au centre du droit.

4) différents sens de la question sur la définition du mot « droit »

Hart dit : si nous savons vaguement, pourquoi poser la question ? Les gens veulent savoir trois choses différentes :

La question est fondée sur une difficulté, une incertitude. Quelle est la différence entre le droit et la force ? Où sont les points communs ? Voilà la véritable question qui se cache derrière l’initiale.

La question d’obligation n’est pas seulement juridique. Il y a aussi le côté moral, professionnel, social… Il y a ce problème de morale. Dans la morale, apparaît le terme de justice, de droit, de devoir, d’obligation. Qu’est-ce qui a de commun et de différent entre le droit et la morale ?

Introduction au droit public 12/04/2023 Mr GRZEGORCZYCK

3

Page 4: Chap 1 Concept Du Droit Enjeux Et Difficultés

Il y a plusieurs types de règles sociales. Certaines ont un auteur et d’autres viennent de la société. Certaines sont impératives et d’autres non. Toutes les règles juridiques ne sont pas obligatoires ? Quelle est la nature de ces règles ? Le droit est un jeu social réglé. Le droit est d’abord un ensemble de règles ou un ensemble d’actes ? Est-ce que c’est donc un ensemble de règles de la réalité sociale ?

III – Délimitation du concept de droit par rapport aux concepts voisins

1) relation entre le droit et la force

La force est un fait social. Certains juristes et philosophes (notamment Kant) disent qu’il y a une différence entre les faits et le droit. Il existe une relation étanche avec ce qui est et ce qui doit être. La norme en fait partie : Hart fait la distinction entre ce qui est obligé et ce qui est une obligation. La contrainte n’est pas une obligation. Derrière l’obligation, il y a des normes qui viennent essentiellement de l’Etat. L’Etat a le monopole de la violence légitime. Les droits sans force ne peuvent exister mais la force ne peut pas constituer à elle seule le droit. La force est au service du droit nécessairement. Il y a des règles sans sanction. Weber dit : « il est interdit de se faire justice soi-même ». Le droit est essentiellement un facteur de la pacification. Cette force utilisée par l’Etat est donc organisée et permanente. Il y a une question qui subsiste : quelle force doit régir ? Le droit est lié au phénomène d’autorité qui est accepté et reconnu. La force qui n’est pas reconnue comme légitime, ne fondera jamais un fondement durable.

2) Relation entre le droit et la morale

Le droit injuste est-il du droit ? Hart s’est posé cette question. Saint Thomas d’Aquin dit : « la loi injuste n’est pas une loi ». Hart dit qu’il y a deux concepts (large et étroit) : la conception étroite défend que le droit est officiel et injuste et la conception large annonce que si ça émane de l’Etat, c’est encore du droit. Il préfère la conception large car qui décide de l’injustice de telle ou telle règle ? Tout l’ordre juridique peut être contesté au final. Il est vrai que tout en droit n’est pas moral et vis versa. Quelle morale est à la base du droit ? Quelque part, la loi injuste ne peut pas prétendre à la légitimité. Ce n’est qu’une oppression.

IV – Oppositions doctrinales

1) Querelle entre la théorie positiviste et jusnaturaliste

Cette querelle est multiséculaire. Cela fait vingt cinq siècles que cela dure. Qu’est-ce que le positivisme ? C’est juridique. Seul droit est le droit posé par la volonté humaine. Ils disent : il n’y a pas d’autre chose que cela. Le jusnaturaliste dit : le droit posé est bien du droit. Mais, ce n’est pas le seul. Il défend un certain dualisme. Il y a aussi un droit naturel qui vient de la volonté de dieu (religion), de la nature et de la raison humaine, de la société. Quand ce conflit oppose le positivisme et le naturel, c’est le naturel qui l’emporte. Le non-respect des droits naturels engendre une sanction. Le droit naturel est universel et même dans l’histoire. Le positivisme ne l’est pas. Chaque système s’est créé son propre critère de justice. Pour le positivisme, c’est un système infralégal alors que pour le naturel, il est supralégal. Pour les naturalistes, la loi est matérielle et injuste. Une loi est une loi parce qu’elle sanctionne. Le positivisme reconnaît une certaine conception du droit alors que pour les naturalistes, la loi se

Introduction au droit public 12/04/2023 Mr GRZEGORCZYCK

4

Page 5: Chap 1 Concept Du Droit Enjeux Et Difficultés

révèle dans la nature humaine (cette opposition provoqua une bataille depuis 25 siècles, c’est-à-dire depuis Socrate).

2) Droit réaliste

On a essayé d’échapper à cette opposition. Finalement, le droit est ce que font les organes. C’est une fabrication constante et pratique et des prévisions des organes. Ce qui est important c’est ce que feront les organes. C’est la théorie du réalisme qui consiste à regarder le fonctionnement de tous les organes pour ainsi regarder dans l’avenir. On peut ainsi établir un jugement stratégique. Les réalistes ne sont jamais les partisans du droit naturel.

IV – Polysémie conceptuelle

1) droit au sens objectif

C’est le droit en vigueur, c’est un système valide. Il est indépendant du sujet, il s’y impose ; il fonctionne dans une société. Il s’applique à toute une population.

2) droit au sens subjectif

C’est le droit du sujet. C’est le droit de chacun. « J’ai le droit à … ». Ce concept est apparu tardivement (fin du Moyen-âge) car il était incompréhensible puisque le droit représentait une relation entre des personnes. Il existe avec force à la fin du XVII° siècle. Les gens réclament leurs droits au roi. On déclare ses droits. La première conception est donc naturaliste. Ensuite, on va imposer ses droits de première génération et on va demander à l’Etat de fonder de nouvelles prestations. Cette conception est donc prestationnelle (deuxième génération). En 1946, on adopte toute une série de droit (préambule de la Constitution). On assiste même aujourd’hui au droit de la troisième génération. On multiplie les titulaires du droit subjectif. Il n’y a pas de droit sans obligation de prestations derrière. L’Etat trop sollicité menace les libertés. Il donne mais peut reprendre : c’est ce que la loi protège. Ce n’est pas seulement philosophique.

Introduction au droit public 12/04/2023 Mr GRZEGORCZYCK

5