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COLLECTION DE L'ECOLE FRANÇAISE DE ROME 9 JEAN-PIERRE CÈBE VARRON, SATIRES MÉNIPPÉES ÉDITION, TRADUCTION ET COMMENTAIRE ÉCOLE FKANÇAISE DE KOME PALAIS FAKNÈSE, ROME 1972

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Varro, Satires Menippees

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Page 1: (Collection de l'École Française de Rome) Jean-Pierre Cèbe-Varron, Satires Ménippées _ Volume 1 (Collection de l'École Française de Rome, 9) -École Française de Rome (1972)

COLLECTION DE L'ECOLE FRANÇAISE DE ROME

9

JEAN-PIERRE CÈBE

VARRON,

SATIRES MÉNIPPÉES

ÉDITION, TRADUCTION ET COMMENTAIRE

ÉCOLE FKANÇAISE DE KOME PALAIS FAKNÈSE, ROME

1972

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Dépositaire en France: Editions E. de Boccard

11 Eue de Médicis 75 PARIS (6e)

Dépositaire en Italie: « L'Erma » di Bretschneider

Via Cassiodoro, 19 000193 ROMA

TIPOGRAFIA S. ΡΙΟ Χ - VIA DEGLI ETRUSCHI, 7-9 - ROMA

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INTRODUCTION

Les Satires Ménippées de Varron n'ont pas eu un grand succès auprès des critiques de notre pays. Un seul d'entre eux, l'illustre Gaston Boissier, leur a consacré un essai de synthèse dans son Etude sur la vie et les ouvrages de M. T. Varron i1). Ce livre, aujourd'hui périmé (il date juste d'un siècle), ne ressemble que de loin à la somme qu'il aurait pu être en son temps: pour reprendre la cruelle mais juste formule d'A. Riese (2), c'est un traité de vulgarisation «elegans magis quam elaboratum», une sorte de dissertation rhétorique où sont compilées des trouvailles faites par d'autres, où tout est examiné à la hâte et « en vue cavalière ». Sans doute, ces pages de généralités bien construites et bien écrites ont du charme et offrent de quoi glaner. Mais elles laissent sans réponse et ne posent même pas la majorité des problèmes auxquels on se heurte quand on observe de près « la vie et les ouvrages » de M. Terentius Varrò. Les autres érudits français dont on relève les noms dans la bibliographie des Ménippées doivent être rangés, malgré la qualité de leurs publications, parmi les auteurs secondaires de cette bibliographie: la contribution précieuse mais réduite qu'ils apportent à la connaissance des satires varroniennes se limite à quelques articles traitant des sujets étroitement circonscrits (3).

(*) Pour tous les noms d'auteurs que nous citons dans cet avant-propos, cf. notre liste d'abréviations (infra, p. xix et suiv.).

Nous laissons de côté le mémoire qu'auraient publié à Paris, en 1911, F. Plessis et P. Lejay sous le titre La Ménipjyée de Varron: malgré nos efforts, nous n'avons pas réussi à nous le procurer; il ne se trouve dans aucune bibliothèque française ou européenne et semble bien ne pas exister en dehors des bibliographies qui le mentionnent; il ne figure d'ailleurs pas dans les bibliographies, irréprochables, d'H. Geller et de P. Lenkeit (Geller, p. 81 et suiv.; Lenkeit, p. 110 et suiv.); A. Scherbantin l'inclut dans la sienne, mais en spécifiant qu'il n'a pu le consulter (Scherbantin, p. x); et aucun critique, même parmi ceux qui le conservent dans leurs bibliographies, ne s'y réfère jamais.

(2) Eiese, p. 47. (3) Ce sont notamment L. Havet et P. Boy ancé dont il serait superflu de faire

ici l'éloge, tant ils sont connus par les études qu'ils ont produites dans la sphère principale de leur activité scientifique.

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VI INTRODUCTION

Eien de semblable à l'étranger: depuis les années 1850, les Ménip- pées y ont tenté de très nombreux chercheurs. Comme souvent, le mouvement part d'Allemagne: les plus anciens des grands commentaires dont nous aurons à nous servir — ceux de Meineke, d'Oehler, de Biese, de Vahlen, de Bücheier, de Norden — sont des produits de l'érudition germanique. C'est précisément pour informer le public français des résultats acquis vers 1860 par ces savants d'outre-Ehin que G. Boissier rédigea le volume dont il vient d'être parlé. Aux alentours de 1930, l'Italie se met elle aussi de la partie, rivalisant avec l'Allemagne qui, de son côté, poursuit la réalisation du dessein dont elle a pris l'initiative. Entre 1930 et 1960, aux noms précédemment cités s'adjoignent, pour l'Allemagne, celui d'H. Dahlmann (l'un des meilleurs « varroniens » de l'heure) et, pour l'école italienne, ceux de L. Eiccomagno, d'E. Bolisani et de F. Della Corte (nous ne mentionnons, volontairement, que les spécialistes les plus éminents; mais, comme on le verra par la bibliographie, il y en a beaucoup d'autres). L'unique synthèse moderne que nous possédions sur les Ménippées est de L. Eiccomagno; la première édition commentée digne de ce nom des Ménippées a été écrite par E. Bolisani; quant à F. Della Corte, il a largement collaboré à l'entreprise commune par une édition commentée et des monographies.

Grâce aux efforts ainsi déployés depuis plus de cent ans, notre documentation touchant les Ménippées s'est, faut-il le dire1?, considérablement enrichie. Mais il serait faux de prétendre que nous sommes arrivés au but et que la matière est épuisée. Il reste une bonne partie de la route à franchir pour approcher de cette fin: à preuve les thèses très remarquables que MM. Geller et Lenkeit ont tout dernièrement achevées sous la direction d'H. Dahlmann, l'article de ce même H. Dahlmann sur le Tithonus περί γήρως, et — · du moins osons-nous l'espérer — notre propre travail.

Ce travail fut entamé en octobre 1969 dans un « séminaire de maîtrise » qui réunissait autour de nous, à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines d'Aix-en-Provence, six de nos étudiants (x). Notre intention était d'imiter MM. Geller et Lenkeit, c'est-à-dire de scruter à la loupe toutes les bribes conservées des Ménippées; de les éditer avec un apparat critique aussi clair que possible, de les traduire, de dresser pour chacune d'elles un « état des questions » étoffé, sinon exhaustif, et d'en proposer un commentaire fouillé qui ne laissât pratiquement rien dans

(x) Mesdemoiselles J. Baudron, A. Bugnet, M. Grenet; Messieurs J. G. Crochet, M. Lussiana, J. P. Shiep.

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INTRODUCTION

l'ombre. Les satires Aborigines - Cms credo. . . étaient réservées aux cours et aux discussions collectives, pour lesquelles chaque étudiant était chargé de fournir des éléments déterminés à l'avance (l'un, par exemple, s'occupait de « l'expression » et de la bibliographie allemande, un deuxième de « la civilisation » et de la bibliographie italienne, et ainsi de suite). Les autres fragments, divisés en six parts à peu près égales, procuraient les sujets des six mémoires de maîtrise individuels à remettre en fin d'année. Il s'agissait en somme de faire concurrence aux grosses « éditions Hachette » d'autrefois, mais en accordant une plus grande place aux techniques de la philologie moderne et en réfléchissant sur tous les problèmes sans exception auxquels conduit, directement ou indirectement, l'analyse approfondie du texte. L'expérience se révéla féconde et plus captivante pour toute notre équipe que nous ne l'escomptions au départ. Nous publions ici une fraction des satires disséquées durant les séances de séminaire. Le reste du recueil suivra régulièrement, par fascicules, dans les mêmes conditions.

Comme on aura tôt fait de s'en apercevoir si on ne le sait déjà, il est peu d'études aussi difficiles que celle des Ménippées de Varron (x); mais, selon nous, il en est également peu d'aussi passionnantes: les lambeaux qui nous sont parvenus des cent cinquante livres de cette composition (2) tiennent sans cesse l'esprit en éveil car, étant très variés, ils font passer constamment d'un sujet à un autre — de l'histoire à la philosophie, puis à la religion, à la littérature, à la grammaire, etc. — et, au surplus, étant couramment sibyllins, ils obligent à résoudre quantité d'énigmes, petites ou grandes. De là une excellente et très formatrice gymnastique intellectuelle, qui développe sens critique et perspicacité; sans parler des connaissances diverses qu'elle fait acquérir, en particulier sur la personnalité et l'art de Varron, puisque ce dernier, G. Bois- sier l'a bien vu, se livre tout entier dans les Ménippées (3).

Sur un plan tout matériel, nous avions le choix, pour la présentation de l'ouvrage, entre deux formules. Nous pouvions soit emboîter

(!) Cf. Riccomagno, p. V. (2) Chiffre transmis par Saint Jérôme dans son catalogue des écrits varroniens.

Ce catalogue se trouve dans une lettre fragmentaire (à Sainte Paule) qui fut découverte en 1850 au début d'un manuscrit d'Origène: voir Boissier, p. 32 et suiv.; Della Corte 2, p. 149 et suiv. Pour A. Klotz (Hermes, 46, 1911, p. 1 et suiv.), Saint Jérôme l'avait pris chez Varron lui-même. Peut-être, mais comment le démontrer? Voir Dahlmann 1, col. 1182 et suiv.; C. A. Van Rooy, Studies in Classical Satire and Belated Literary Theory, Leyde, 1966, p. 56.

(3) Cf. Boissier, p. 98.

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VIII INTRODUCTION

le pas à MM. Geller et Lenkeit, qui, pour ainsi dire, font participer le lecteur à leur enquête, dont ils retracent le cheminement en une démarche « inductive » assez semblable, mutatis mutandis, à celle des auteurs de romans policiers; soit nous tourner vers les procédés bien au point de l'édition commentée traditionnelle. Nous avons préféré la deuxième solution: si elle n'offre pas, comme l'autre, le moyen de piquer la curiosité par un certain « suspens », elle permet une exposition plus nette, plus concise et mieux charpentée.

La lourdeur et la multiplicité de nos tâches nous ont empêché de donner à l'établissement du texte autant de soin que nous l'aurions voulu: nous n'avons pas eu le loisir de nous reporter aux manuscrits eux-mêmes. C'est regrettable. Mais y avons -nous tellement perdu? nous ne le pensons pas: il est clair qu'on ne saurait déchiffrer ces manuscrits mieux qu'un Eiese ou qu'un Lindsay (du reste, fait concluant, les lectures de Lindsay s'accordent avec celles des autres éditeurs de Nonius et celles de Eiese). Au contraire, des améliorations sont possibles et souhaitables en ce qui concerne la correction des passages altérés ou corrompus. Dans ce domaine où, pour réussir, il n'est pas indispensable de remonter jusqu'à la source, c'est-à-dire jusqu'aux manuscrits, nous croyons avoir fait œuvre utile, car nous proposons plusieurs leçons nouvelles que nous estimons supérieures à celles de nos devanciers. Les éditions que nous avons utilisées sont indiquées par notre liste d'abréviations (cf. infra, p. xix-xxi). Dans le nombre figurent, évidemment, le De compendiosa doc- trina établi par Lindsay et, pour les Ménippées proprement dites, l'édition fondamentale de Bücheier revue par Heraus.

Les problèmes de tout genre que soulèvent les satires auxquelles nous nous attaquons seront abordés à leur place, au fil de l'exégèse (*). Il en est deux pourtant que, vu leurs prolongements, nous avons intérêt à envisager dès maintenant, avant de nous lancer in médias res. Le premier a trait à l'ordre des citations dans le De compendiosa doctrina de Nonius: on en mesure l'importance quand on se souvient qu'environ 95 % des fragments de Ménippées varroniennes qui nous ont été transmis sont contenus dans ce dictionnaire. Le second, qui se passe de commentaire, est relatif à la chronologie des Ménippées.

(x) Ces rapides prolégomènes ne prétendent pas être une introduction en forme aux Ménippées de Varron. On trouvera de telles introductions dans la BE (Dahl- mann 1, col. 1268-1275) et dans le livre d'U. Knoche sur la satire romaine (Knoche, p. 34-36). On pourra consulter aussi Boissier, p. 1-98 et Bolisani, p. xiii-lx.

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INTRODUCTION

C'est à la brillante reconstitution de Lindsay, vérifiée par F. Della Corte et partiellement améliorée par Strzelecki (*), que nous devons de connaître les règles toutes mécaniques qui régissent l'ordre des citations de Nonius. Nous ne saurions mieux faire que de résumer l'analyse qui amena l'érudit anglais à énoncer sa fameuse loi (lex Lindsay) dont l'exactitude n'est plus discutée à présent.

Lindsay (2) commence par constater que l'arrangement des mots dans les vingt livres de Nonius n'est pas alphabétique. Il y a bien, dans les livres II-IV, des sections qui conservent la disposition des lettres de l'alphabet (section des A, des B, des C, etc.), mais, à l'intérieur de ces sections, les mots se succèdent d'une manière apparemment anar- chique (on a, par exemple, culotta, cytrus, caecuttiunt, cabalus, corda, et scenatilis, saperdae, surditatem, simplicitus, suscitabulum, similitas); de surcroît, il est permis de douter que l'organisation alphabétique, là où elle existe, soit de Nonius en personne: il convient plutôt de l'attribuer à un éditeur médiéval. En revanche, on se rend très vite compte que Nonius a laissé aux séries de mots recueillies dans son lexique l'agencement qu'elles avaient dans les sources d'où il les a tirées. Ainsi, presque au début du livre I, vient une série plautinienne où on ne remarque aucune entorse à la suite alphabétique des titres et à l'enchaînement normal des vers (Plaute, As., 172, 706, 892; Aul., 355, 422, etc.). Après cette série plautinienne, nous avons des emprunts à Lucrèce, où l'enchaînement normal des vers est pareillement respecté (Lucrèce, V, 515, 862, 1294, etc.).

Ayant dressé des listes complètes de mots et de références, puis contrôlé ces listes à l'aide des textes anciens qui nous ont été légués i

ntégralement ou presque — le poème de Lucrèce entre autres — , Lindsay est en mesure d'affirmer que « the order in which each item appears in each book is also the order in which it appeared in the pages of the author used » (3). Découverte essentielle, puisqu'elle nous rend capables de fixer d'une façon sûre et non par « guess-work » (4) la distribution des fragments d'oeuvres qui, telles nos Ménippées, ont en grande partie disparu. Imaginons trois fragments a 1, a 2 et a 3 cités par Nonius dans

(!) Cf. L. Strzelecki, Eos, 34, 1932-33, p. 113-129; Della Corte 5, p. 361-364. (2) Cf. Lindsay, Nonius, passim. (3) Lindsay, Nonius, p. 3 (cf. p. 35): «l'ordre dans lequel chaque citation ap

paraît dans chaque livre est aussi l'ordre dans lequel elle apparaissait dans les pages de l'auteur utilisé ».

(4) Lindsay, Nonius, p. 35.

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INTRODUCTION

un même ensemble varronien, p. 451, 1. 29, p. 452, 1. 4 et p. 452, 1. 8. Il importera de ne pas bouleverser leur ordre, qui est l'ordre authentique.

Comment procédait Nonius? Il établissait d'abord, en parcourant les ouvrages dont il disposait (des textes, probablement annotés, d'auteurs comme Plaute, Virgile, etc., et des glossaires ou lexiques: cf. infra, p. xn), des listes de mots notables. Ensuite, lors de la rédaction, il puisait dans ces listes les mots dont il avait besoin. Par exemple, au livre I, il prend chez Aulu-Gelle les lemmes infestus (Aulu-Gelle, IX, 12), maturare (Aulu-Gelle, X, 11), lictor (Aulu-Gelle, XII, 3), etc.; puis, abandonnant la liste « Aulu-Gelle » pour la liste « Cicéron, De officiis », il prélève dans celle-ci stig?natias (Cicéron, Off., II, 25), reserare (Cicéron, Off., II, 55), etc. «These items or lemmas », écrit justement Lindsay, «appear in his pages in the order in which they occur in the pages of the author from whom he culled them, that is to say in the order in which he had entered them in his rough lists » (*).

On obtient de la sorte des « author- sequences » (2), avec, pour chaque mot, une première citation ou citation maîtresse (« leading quotation ») qui est celle du passage ayant donné à Nonius son lemme (3). Cependant, ces «leading quotations» sont très souvent accompagnées de citations supplémentaires (« extra quotations »). C'est surtout le cas lorsque Nonius travaille de seconde main, d'après des glossaires qui lui offrent des listes de citations toutes faites (4). Mais cela se produit aussi quand il exploite les textes d'auteurs. Nous avons alors affaire à un phénomène de réminiscence: lisant une de ses propres listes, Nonius y tombe sur un mot qu'il se rappelle avoir rencontré dans une autre liste et déjà inséré dans son dictionnaire avec la citation correspondante («leading quotation »). Il revient en arrière et ajoute la nouvelle citation à la première. Ainsi, de la liste formée à partir de Cicéron, De republica, il extrait le mot portitores; il copie la phrase cicéronienne qui renferme ce substantif et un vers des Ménechmes de Plaute qui devait se trouver en note marginale dans son exemplaire du De republica. Plus tard, le mê-

i1) Lindsay, Nonius, p. 4: « ces articles ou lemmes apparaissent dans ses pages avec l'ordre qu'ils ont dans les pages de l'auteur chez qui il les a pris, c'est-à-dire avec l'ordre sous lequel il les avait introduits dans ses listes brutes ».

(2) « C'est-à-dire un groupe de mots pris à un auteur suivi par un groupe de mots pris à un autre auteur » (Lindsay, Nonius, p. 4; 106 η. Κ. Les « author-sequences » sont « une particularité commune dans les glossaires latins »).

(3) Cf. Lindsay, Nonius, p. 100. (4) Cf. Lindsay, Nonius, p. 103.

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INTRODUCTION XI

me mot portitores le frappe dans la liste « Cicéron, De officiis »: sous le vers des Ménechmes, il transcrit la proposition du De officiis (I, 150) qui contient portitores.

Comme toutes les lois littéraires, la lex Lindsay ne joue naturellement pas avec une rigueur mathématique. Son application est entravée par trois types d'« anomalies » que F. Della Corte, »'inspirant de Lindsay, a bien mis en évidence (*).

1° II arrive que, parmi les lemmes issus d'un ouvrage, se glissent des lemmes pris à un autre ouvrage. Cette irrégularité peut avoir deux causes: ou bien Nonius, par inadvertance, a recopié après une «extra quotation » quelques-uns des mots qui figuraient au-dessous d'elle sur la même liste (l'erreur aurait pu être décelée et corrigée; mais le De compendiosa doetrina ne fut pas revu avant publication, comme le montre la répétition de certains lemmes dans un même livre (2)); ou bien il a décalé une citation dans un désir de clarté: afin de mieux faire comprendre un mot bizarre, il a mis en tête, aussitôt après le lenirne, cette citation spécialement parlante, qui aurait dû, théoriquement, être placée plus loin dans la série des références.

2° Une deuxième infraction à la règle est due à ce que F. Della Corte nomme « attraction par affinité de sens » (3): un terme rare évoque à Nonius un autre terme qu'il n'hésite pas à introduire dans un contexte où il n'a en principe rien à faire. Exemple: tenus (= laqueus) entraîne inlicire (= inlaqueare).

3° Quelquefois enfin, les citations vont dans le mauvais sens: au lieu de descendre du début d'une œuvre vers sa fin, on remonte de la fin vers le début; le livre XXX de Lucilius précède le livre XXIX, qui précède le livre XXVIII, etc. (4). Cette progression rétrograde est explicable, s'agissant d'un compilateur comme Nonius: il faut considérer soit que celui-ci a déroulé son uolumen à l'envers, soit qu'il a pris ses fiches en commençant par la dernière.

Lindsay a un autre grand mérite: il a déterminé quelles étaient les sources de Nonius. Les citations des Ménippées de Varron sortent de plusieurs d'entre elles, principalement:

(M Cf. Della Corte ο, ρ. 355-358. (2) Cf. Lindsay, Nonius, p. 5. (3) Della Corte 5, p. 356. (4) Cf. Lindsay, Nonius, p. 101.

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INTRODUCTION

— Cinq glossaires: a) glossaire surtout consacré au théâtre de la Eépublique, en

particulier à Titinius (Gloss. I); b et g) glossaires dont le contenu est mal défini et dont l'exi

stence même est sujette à caution (Gloss. II et III); d) glossaire essentiellement composé au moyen de Varron, Epist.

et Res Hum. (Gloss. IV); e) glossaire alphabétique (Gloss. V).

— Deux glossaires spéciaux, dont les articles étaient disposés dans l'ordre alphabétique:

a) l'un consacré aux verbes (Alph. Verb.); b) l'autre aux adverbes (Alph. Adv.).

— Trois recueils de Ménippées rassemblant chacun une partie des satires (qui avaient été, à l'origine, publiées une par une, sous la forme de brochures indépendantes (*)):

a) l'un groupait toutes les satires à titre double (Varron I); b) un autre dix-huit satires à titre unique (Varron II); c) le troisième quatre de ces mêmes satires: Bimarcus, Manius,

Modius, et "Ονος λνρας (Varron III).

C'est ordinairement, on le devine, Varron I, II, et III qui nous offrent des séries de citations homogènes. Les autres sources, en général, n'ont que des fragments isolés qui, comme tels, échappent à la lex Lindsay. En effet, pour que cette lex puisse intervenir, il est nécessaire, on l'a vu, que deux passages ou fragments au moins à^une même pièce ou d'un même livre se suivent sans solution de continuité dans le De compendiosa doctrina (2).

Lindsay a enfin réussi à déterminer la succession de quatorze satires sur les dix-huit que compte Varron II. Repensé et mis au net par F. Della Corte (3), son tableau se présente ainsi:

H Cf. Della Corte 1, p. 56; Knoche, p. 35. (2) La continuité n'est évidemment pas rompue si une ou plusieurs «extra quo

tations» s'intercalent entre les deux textes considérés: ce sont ici les lemmes et les « leading quotations » qui comptent.

(3) Della Corte 1, p. 25.

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INTBODUCTION XIII

1 Marcipor 2 Andabatae 3 Mysteria 4 Agatho 5 Endymiones Quinquatrus Lex Maenia 6 Virgula diuina (entre 4 et 7) (entre 1 et 10) 7 Gerontodidascalos 8 Hercules tuam fldem Parmeno 9 Meleagri (entre 7 et 10)

10 Ταφή Μενίππου 11 Sesqueulixes Hercules Socraticus 12 Sexagessis (avant ou après 11) 1 3 Γνώθι σεαυτόν 14 Eumenides

Ce tableau serait très précieux si, comme F. Della Corte en est persuadé (x), la place des différentes compositions y était commandée par leur chronologie. Mais, on le constatera par l'étude de détail, rien n'est plus douteux.

Pour Varron I, F. Della Corte propose aussi un système de classement vraisemblable sur lequel nous ne nous étendrons pas davantage, car il n'a pas de conséquence pratique (2). Au dire de l'érudit italien, les satires de ce recueil étaient rangées selon un ordre alphabétique où était prise en considération l'initiale du mot grec qui venait immédiatement après περί ou qui était régi par περί: περί αιρέσεων, περί άρρενότητος, (...) περί γήρως, περί του γράφειν, περί θεών διαγνώσεως, περί διαθηκών, etc.

F. Della Corte ajoute que Varron I et Varron II ne se distinguaient pas uniquement par la présence ou l'absence des sous-titres, mais encore par la différence de leurs matières et de leurs visées: dans le premier corpus, écrit-il, « è appunto la presenza di un tale περί che ci induce a credere in un carattere alquanto sistematico e, in un certo senso, ad una edizione critica delle satire, poiché l'ordine alfabetico, la forma allusiva del titolo, illustrato subito dal sottotitolo esplicativo, il carattere più filosoiìco e teoretizzante di queste satire nel confronto, ad esempio, del secondo corpus, più polemico, moralistico e autobiografico, ci fanno prospettare una duplice ipotesi: ο che si debba ad un più tardo grammatico (vissuto se non proprio tra Gellio e Nonio, almeno tra Varrone e Gellio) questa edizione che sa appunto di attività grammaticale ο

(!) DeUa Corte 1, p. 49. (2) Della Corte 1, p. 51 et suiv.

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XIV INTRODUCTION

pure, meglio ancora, e come inclinerei a credere, che risalga a Varrone stesso 3a disposizione di queste satire dal duplice titolo in un unico armonico libro » (*). En fait, la dissemblance qu'on nous invite à découvrir entre les deux corpora nous paraît fictive. De plus, à nos yeux, la conjecture de F. Della Corte n'aurait vraiment une signification et du poids que si Varron avait personnellement choisi les sous-titres des satires qui en sont pourvues. Or cette hypothèse, jadis soutenue par certains auteurs, n'a plus aucun partisan — F. Della Corte lui-même la refuse (2) — depuis qu'A. Eiese (3) et d'autres, dont E. Bolisani (4), ont mis en lumière ses faiblesses: « Les titres (en latin pu en grec) », écrit E. Bolisani, « sont indubitablement de Varron en personne; en revanche, les sous-titres, tous en grec (5), (...) ont été probablement inventés par des grammairiens pour mieux définir l'argument. (...) Tandis que les titres, par leur caractère ordinairement railleur et burlesque ou étrange et capricieux (...), révèlent la paternité de l'imitateur de Ménippe, les sous-titres, par leur résonance plate, prosaïque, scolaire, dénotent la mentalité du vulgarisateur » (6). Cette solution est d'autant plus satisfaisante que:

1° elle est corroborée par les titres alternatifs de la comédie grecque. On lit à leur propos sous la plume de J.-M. Jacques: « les doubles titres sont un phénomène assez courant à toutes les époques de l'histoire de la comédie grecque. (...) La plupart du temps, le second titre, qu'il désigne ou non le même rôle, n'est autre qu'un sous-titre descriptif remontant aux auteurs de catalogues » (7).

2° dans la bibliothèque de Nonius, les Ménippées à sous-titre constituaient, comme nous l'avons remarqué, un volume à part. Les sous-titres sont sûrement dus au grammairien qui composa ce volume (8).

i1) Della Corte 1, p. 56. (*) Cf. Della Corte 4, p. 135. (3) A. Riese, Die Doppeltitel varronischer Satiren, dans Symb. philol. Bonn, in

hon. F. Bitschelii conlata, Bonn, II, 1867, p. 479 et suiv.; Riese, p. 43 et suiv. (4) Bolisani, p. xxvin-xxix. Voir aussi Riccomagno, p. 42-43; Dahlmann 1,

col. 1268. (δ) A la différence des Ménippées, les Logistorici ont un sous-titre latin. (e) Bolisani, p. xxvin-xxix. (7) J.-M. Jacques, Monandre, t. I2, Le Dyscolos, Les Belles Lettres, Paris, 1963,

p. 9-10. (8) Riese, p. 44; Della Corte 4, p. 135. Le titre général de l'ouvrage, Saturne

Menippeae, avait été, pense-t-on, choisi par Varron en personne: cf. Aulu-Grelle, II, 18, 7: Menippus (...) cuius libros M. Varrò in saturis aemulatus est quas alii cyni-

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INTRODUCTION XV

Eevenons à la lex Lindsay. Nous avons dit l'utilité qu'elle revêt pour nous. Mais il serait naïf de se figurer qu'elle nous met en état de replacer dans leur ordre originel tous les fragments, voire la majorité des fragments qui nous intéressent. En effet, répétons-le, elle ne vaut pas pour les citations isolées, qui sont, de beaucoup, le plus grand nombre (cf. supra, p. xn). Au demeurant, tout ce que nous réalisons grâce à elle, c'est un classement à l'intérieur des séries de citations d'une même satire; mais elle ne nous enseigne pas quelles étaient, dans la dite satire, les positions respectives de deux ou plusieurs de ces séries quand il y en avait deux ou plusieurs. Soient quatre citations des Euménides, se suivant deux à deux sans solution de continuité: a .1, p. 452, 1. 4; a 2, p. 452, 1. 8; b 1, p. 480, 1. 20; b 2, p. 480, 1. 22. La lex Lindsay nous autorise à garantir qu'a 1 était dans la pièce avant a 2 et b 1 avant b 2; mais elle ne nous apprend pas si la série a 1 - a 2 doit, dans la restitution, précéder ou non la série b 1 - b 2 i1). Comme, en outre, nous n'avons aucune idée de la dimension des satires et comme nous ignorons presque toujours la longueur des passages perdus qui s'étendaient entre deux fragments maintenant consécutifs, il nous faut avouer, résignés, avec H. Dahlmann: « Es ist unmöglich aus den Fragmenten auch nur eine Satire in ihrem Aufbau zu rekonstruiren » (2). Il nous est seulement permis de retrouver le squelette de certaines compositions. Si, ensuite, nous arrivons — plus d'une fois par « guess-work »! — à déceler le lien qui unissait leur titre aux thèmes fondamentaux des vestiges qui en restent, nous sommes dans le cas le plus favorable: nul ne peut s'avancer au-delà.

La chronologie des Ménippées continue de diviser les commentateurs. Les uns, acceptant la thèse de C. Cichorius, pensent qu'elles furent écrites entre 80 et 67 avant notre ère (3). Les autres prolongent plus ou moins cette période de rédaction: L. Eiccomagno la fait durer de 80 à 55 (4);

cas, ipse appellai Menippeas; B. L. Ullman, CPh, 8, 1913, p. 187 et suiv.; C. A. Van Rooy, op. cit., p. 56 et 83, n. 34.

(*) Autrement dit, l'ordre est mécanique dans les séries; mais la succession des séries est arbitraire: des fragments cités à la p. 344 de Nonius se trouvaient, dans l'œuvre d'où ils sont tirés, avant des fragments cités à la p. 9.

(2) Dahlmann 1, col. 1268: «d'après les fragments, il est impossible de rétablir la structure même d'une seule satire ». Cf. aussi Lenkeit, p. 91.

(3) En particulier H. Dahlmann (Dahlmann 1, col. 1268) et U. Knoehe (Kno- che, p. 35).

(4) Riccomagno, p. 102.

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XVI INTRODUCTION

E. Hirzel (*), F. Della Corte (2) et B. Mosca (3) la coupent en deux: 75-55, puis 45 et années suivantes; E. Bolisani l'étiré au maximum: 80-45 ou plus tard (4).

La pièce maîtresse du dossier est le texte des Académiques (Ac. Post., I, 8) où Cicéron prête à Varron ces paroles: «In Ulis ueterïbus nostris, quae Menippum imitati, non interpretati, quadam Mlaritate conspersimus, quo facilius minus dodi inteïlegerent iucunditate quadam, ad legendum inuitati, multa admixta ex intima philosophia, multa dicta dialectice ». Il est manifeste, comme le fait observer C. Cichorius (5), que, pour un esprit non prévenu, les mots ueterïbus nostris veulent dire qu'au moment où Varron est censé les prononcer (46 avant J.-C), les Ménippées ont été depuis longtemps composées et publiées. Si on adopte cette in

terprétation, la phrase signifie: « Dans cet ouvrage que j'ai écrit autrefois et où, imitant Ménippe sans le traduire, j'ai répandu un certain enjouement pour en faciliter l'intelligence aux personnes peu instruites, les invitant à me lire par une certaine gaieté, j'ai mêlé à beaucoup de passages la philosophie la plus profonde, beaucoup obéissent aux lois de la dialectique ». Si on rejette la conjecture de Cichorius et si on veut que les Ménippées aient occupé Varron jusqu'en 46 ou plus tard, on doit opter entre deux partis:

— ou bien on récuse purement et simplement le témoignage de Cicéron;

— ou bien on déclare qu'il est usuellement mal compris. C'est en particulier l'attitude d'E. Bolisani (6) qui prétend que tout le monde avant lui a commis un contresens sur ueteribus. Cet adjectif, si on l'en croit, signifierait non pas « (cet ouvrage) que j'ai écrit autrefois », mais « (cet ouvrage) depuis longtemps commencé » (sur ce sens de uetus, cf. Cicéron, Plane, I; AU., XVI, 16; Am., XIX, 67, etc.). En sorte que le texte des Académiques nous engagerait bien à situer le début des Ménippées dans un passé lointain, mais ne nous apporterait aucun indice pour dater leur achèvement.

0) Hirzel, p. 453. (2) Della Corte 1, p. 49 et 57; Della Corte 5, p. 161, η. 51. (3) Mosca, p. 41. (4) Bolisani, p. xlvii et suiv. (5) Cicliorius, p. 208. (e) Bolisani, p. xlviii.

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INTRODUCTION XVII

La première de ces solutions ne vaut rien: Cichorius a pleinement raison de dire qu'il est inconcevable que Cicéron ait fait tenir à Varron, dans un dialogue qui lui est dédié, des propos mensongers sur ses propres satires. Par conséquent, l'information de Cicéron ne peut être révoquée en doute.

En dépit de son ingéniosité, la théorie d'E. Bolisani n'est pas plus recevable: la signification qu'il confère à ueteribus n'est pas celle qui vient spontanément à la pensée, et, s'il était dans le vrai, la phrase de Cicéron offrirait une singulière ambiguïté; en second lieu, s'il était dans le vrai, les verbes de Cicéron seraient au présent (conspergimus, intel- legant) plutôt qu'au passé (conspersimus, intelleger ent).

Quelque déception qu'on doive en éprouver, il faut donc renoncer à voir dans un fragment de la Κοσμοτορύνη (225 Buch.) une allusion à la bataille de Thapsus et, dans un fragment du Περί εξαγωγής, une allusion au suicide de Caton (411 Buch.); refuser de considérer le Τρικά- ρανος comme une Ménippée; se ranger aux vues, parfaitement sensées, de Cichorius et placer avec lui la rédaction des Ménippées entre 80 et 67 (x).

(*) Nous ne mentionnerons que pour mémoire la doctrine de J. C. Orelli et J. G. Baiter (M. Tulli Ciceronis opera quae supersunt omnia, VII, 2 (Onomasticon Tul- lianum), Zurich, 1838, p. 577), qui soutiennent que Varron était tout jeune (adolescens) quand il écrivit les Ménippées: au moment où il les mit en chantier, il connaissait si bien les systèmes philosophiques grecs et faisait preuve, dans tous les domaines, d'un savoir et d'une expérience si vastes qu'il ne pouvait avoir moins de trente à trente- cinq ans.

Voici, d'après Cichorius, les dates principales de la biographie de Varron: 116: naissance. 90 (?): Varron triumuir capitalis. 91-88: participation à la guerre sociale. 86(?): questure. Vers 84-82: séjour à Athènes. 78-76: campagne en Illyrie. 76(75)-71: campagne en Espagne (contre Sertorius). 71: retour à Rome. 70: tribunat de la plèbe. 68: preture. 67: campagne contre les pirates, sous les ordres de Pompée. 66: proconsulat en Asie. 59: Varron membre de la commission des uigintiuiri agris dandis adsignandis

iwdicandis. 50-49: guerre civile. Varron chef militaire (pompéien) en Espagne. 47: Varron bibliothécaire en chef de l'Etat.

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XVIII INTRODUCTION

II faut encore rejeter l'hypothèse d'E. Bolisani (x), pour qui les Ménippées philosophiques remonteraient à l'âge mûr de Varron, tandis qu'il aurait écrit plus tard et jusque dans sa vieillesse celles qui touchent à la politique et, généralement, à l'actualité. Nous n'en dirons pas davantage sur ce problème, renvoyant au commentaire de détail pour l'examen des questions de date que posent les différentes satires.

Avant de clore ce préambule, fixons rapidement notre doctrine sur un dernier point. Certains critiques du XIXe siècle s'étaient fait un jeu d'ôter aux Ménippées pour les attribuer à d'autres ouvrages tel ou tel fragment, telle ou telle pièce. Cette manière d'agir n'a pratiquement plus cours: il est aujourd'hui assuré que, dans l'immense majorité des cas, les textes traditionnellement regardés comme appartenant aux Mé- nippées leur appartiennent bien en réalité (2). Aussi étudierons-nous toutes les satires qu'on trouve dans l'édition de Bücheler-Heräus en les disposant suivant l'ordre alphabétique des titres et en nous bornant à changer quand c'est nécessaire la succession de leurs fragments. Nous exclurons seulement de notre recueil, pour la raison que nous venons d'énoncer, le Τρικάρανος, dont nous n'avons d'ailleurs gardé que le titre.

43: Varron échappe aux proscriptions et abandonne la vie politique pour se consacrer à ses savants travaux.

27: mort. Si ce tableau est exact, la plupart des Ménippées furent rédigées hors de Eome,

dans les camps militaires. Ce n'est nullement invraisemblable, étant donné les propriétés de l'œuvre.

0) Bolisani, p. xlix. (2) Cf. Bolisani, p. xxx; Della Corte 1, p. 78 (mais seulement pour Varron I

et Varron II: cf. supra, p. xii; a\i sujet de Varron III, F. Della Corte est, comme on le verra, d'un autre avis).

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

Pour les périodiqxies, les abréviations adoptées sont, selon l'usage, celles de Γ Année Philologique. Les auteurs souvent cités le sont parfois sous leur nom seul.

Alph. Verb. : cf. supra, p. xn. Alph. Adv. : cf. supra, p. xm. Bignone : E. Bignone, Le « satire menippee » di Varrone, dans Studi di filosofia

greca in on. Β. Mondolfo, Bari, 1950, p. 321-344. Boissier : G. Boissier, Etude sur la vie et les ouvrages de M. T. Varron, Paris,

1861. Bolisani : E. Bolisani, Varrone menippeo, Padoue, 1936. Boyancé 1 : P. Boyancé, Les « Endymions » de Varron, dans REA, 41, 1939,

p. 319-324. Boyancé 2 : P. Boyancé, Sur la théologie de Varron, dans BEA, 57, 1955, p. 57-84. Boyancé 3 : P. Boyancé, Lucrèce et Vépicurisme, Paris, 1963. Brunetti : Frammenti minori (de Varron), trad, e annot. da Brunetti, Venise,

1874. Buch. : F. Bücheler, Petronii saturae, adiectae sunt Varronis et Senecae sa-

turae similesque reliquiae, 6e éd., revue par Heraus, Berlin, 1922 (8e éd., 1963).

Bücheler : F. Bücheler, Bemerkungen über die varronischen Satiren, dans BhM, 14, 1859, p. 419-452 = Kleine Schriften, I, Leipzig-Berlin, 1915, p. 169-198; et Über Varros Satiren, dans BhM, 20, 1865, p. 401-403 = Kleine Schriften, I, Leipzig-Berlin, 1915, p. 534-580.

Cèbe : J.-P. Cèbe, La caricature et la parodie dans le monde romain antique, Paris, 1966.

Cichorius : C. Cichorius, Bömische Studien, Leipzig, 1922. Dahlmann 1 : H. Dahlmann, BE, suppl. VI, s. v. M. Terentius Varrò, 1935, col.

1172 et suiv. Dahlmann 2 : H. Dahlmann, Varros Schrift « De poematis » und die hellenisch-r

ömische Poetik, dans Akad. d. Wiss. u. d. Lit. Wiesbaden, Jahrgang 1953, n° 3.

Dahlmann 3 : H. Dahlmann, Bemerkungen zu Varros Menippea Tithonus περί γήρως, dans Stud, zur Textgesch. und. Textkritik, Festschrift Jachmann, Cologne, 1959, p. 37-45.

Dahlmann 4 : H. Dahlmann, Studien zu Varros « de poetis », dans Akad. d. Wiss. u. d. Lit. Wiesbaden, Jahrgang 1962, n° 10.

Dahlmann 5 : II. Dahlmann, Zu Varros Literaturforschung besonders in « De poetis », Fondation Hardt, Entretiens, IX, Vandœuvres-Grenève, 1962, p. 3-30.

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XX LISTE DES ABRÉVIATIONS

Della Corte 1: F. Della Corte, La poesia di Varrone Reatino ricostituita, dans Mem. d. R. Accad. di scienze di Torino, 2e sér., 69, 2e partie, 1937-1939.

Della Corte 2: F. Della Corte, La filologia latina dalle origini a Varrone, Turin, 1937.

Della Corte 3: F. Della Corte, Rileggendo le Menippee, dans GIF, 1, 1948, p. 69-76. Della Corte 4: F. Della Corte, Varronis Menippearum fragmenta, Turin, 1953. Della Corte 5: F. Della Corte, Varrone. Il terzo gran lume romano, Gênes, 1954. Della Corte 6: F. Della Corte, Varrone metricista, Fondation Hardt, Entretiens,

IX, Vandœuvres-Genève, 1962, p. 144-172. Geller : H. Geller, Varros Menippea « Parmeno », diss. Cologne, 1966. Gloss. I, II,

III, IV, V : cf. supra, p. xii. H a vet 1 : L. H a vet, Observations critiques sur les Ménippées de Varron, dans

RPh, nouv. sér., 6, 1882, p. 70-72. Havet 2 : L. Havet, Varroniana, dans RPh, nouv. sér., 7, 1883, p. 176-187,

193-196. Havet 3 : L. Havet, RPh, nouv. sér., 8, 1884, p. 5 et suiv. Highet : G. Highet, The Anatomy of Satire, Princeton, 1962. Hirzel : R. Hirzel, Der Dialog, I, Leipzig, 1895. Hodgart : M. Hodgart, La satire, trad. P. Frédérix, Paris, 1969. Knoche : U. Knoche, Die römische Satire, 2e éd., Göttingen, 1957. Krahner : L. H. Krahner, De Varronis philosophia, Friedland, 1846. Lenkeit : P. Lenkeit, Varros Menippea « Gerontodidascalos », diss. Cologne,

1966. Lindsay : W. M. Lindsay, Nonius Marcellus, De compendiosa doctrina, Leipzig,

1903. Lindsay, : W. M. Lindsay, Nonius Marcellus' Dictionary of Republican Latin,

Nonius réimpr. anastat. de l'éd. de 1901, Hildesheim, 1965. Marzullo : A. Marzullo, Le satire menippee di M. T. Varrone, la commedia

caica e i sermones, dans Atti e mem. delV Accad. di Modena, 5e sér., 15, 1957, p. 280-347.

Meineke : A. Meineke, De Varronis saturis, Marburg, 1845. Mosca : Β. Mosca, Satira filosofica e politica nelle « Menippee » di Varrone,

dans Annali d. R. Scuola Norm. Sup. di Pisa, Bologne, 1937, p. 41-77.

Mras : K. Mras, Varros menippeische Satiren und die Philosophie, dans N JA, 33, 1914, p. 390-420.

Müller 1 : L. Müller, De re metrica poetarum latinorum libri, S* Pétersbourg et Leipzig, 1, 1861, 2, 1894.

Müller 2 : L. Müller, Nonii Marcelli compendiosa doctrina, Leipzig, 1888. Norden 1 : E. Norden, In Varronis saturas menippeas observationes selectae, dans

Neue Jahrb., suppl. 13, 1892, p. 265 et suiv., et Varroniana, dans RhM, 48, 1893, p. 348 et suiv., 529 et suiv. = Kleine Schriften zum klassischen Altertum, Berlin, 1966, p. 1-114.

Norden 2 : E. Norden, Antike Kunstprosa, I, Leipzig, 1898. Norden 3 : E. Norden, P. Vergilius Maro, Aeneis, Buch VI, Berlin, 1927. Oeliler : F. Oehler, M. T. Varronis saturarum Menippearum reliquiae,

burg et Leipzig, 1844.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS XXI

Oltramare : A. Oltramare, Les origines de la diatribe romaine, Lausanne, 1926 (cet ouvrage contient, de la p. 43 à la p. 65, un catalogue des thèmes de la diatribe cynique auquel nous renverrons dans notre commentaire par la formule «thème 1, 2, 3, etc. Oltramare»).

Otto : A. Otto, Die Sprichwörter und Sprichwörtlichen Redensarten der mer, Leipzig, 1890.

Otto, : R. Haussier, Nachträge zu A. Otto Sprichwörter..., Hildesheim, Nachträge 1968.

Paroem. : E. Leutsch - G. Schneidewin, Corpus paroemiographorum graecorum, reprod. de Ted. de 1839, Hildesheim, 1965.

Riccomagno : L. Riccomagno, Studio sulle satire Menippee di M. Terenzio Var- rone R., Alba, 1931.

Riese : A. Riese, Μ. Τ er enti Varronis saturarum Menippearum reliquiae, Leipzig, 1865.

Roeper : Th. Roeper, M. Terenti Varronis Eumenidum reliquiae, Dantzig, 1858. Scherbantin : A. Scherbantin, Satura Menippea. Die Geschichte eines Genos, diss.

Graz, 1951. Vahlen 1 : L. Vahlen, In M. Ter. Varronis Sat. Men. reliquias coniectanea, Leipzig,

1858. Vahlen 2 : L. Vahlen, Analecta noniana, Leipzig, 1859. Vahlen 3 : Ein Varronisches Satirenfragment, dans Zeitschr. f. d. österr. Gymnas

ien, 12, 1861 = Ges. philol. Schriften, I, Leipzig et Berlin, 1911, p. 528 et suiv.

Varron I, II, III : cf. supra, p. xii.

Witke : C. Witke, Latin Satire, Leyde, 1970. Woytek : E. Woytek, Sprachliche Studien zur Satira Menippea Varros, Wiener

Studien, Beiheft 2, Vienne, Cologne, Graz, 1970.

Parmi les abréviations courantes, il faut relever: DA :

Ernout-Meillet :

Ernout-Thomas : Marouzeau,

Stylistique ; RE :

Thés. l. L. : Walde- Hof mann :

Daremberg-Saglio-Pottier, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Paris, 1877-1919. A. Ernout - A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 1939. A. Ernout - F. Thomas, Syntaxe latine, Paris, 1951.

J. Marouzeau, Traité de stylistique latine, Paris, 1946. Pauly-Wissowa- Kroll, Real-Encyclopädie der Massischen Altertumwissenschaft, Stuttgart, 1894- .... Thesaurus linguae Latinae, Leipzig, 1900- .... A. Walde-J. B. Hofmann, Lateinisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, I, 1938, II, 1954.

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GONSPEGTVS SIGLORVM

CHARISIVS, Artis grammaticae libri V Godd.: Ν : Neapolitanus I\r A 8, saee. X.

C : Cauchii ex deperd. codice excerpta, η : Neapolitanus IV A 10, saec. XV-XVI.

Edd. : Keil, Grammatici Latini, I. Bar-wick, 1925.

M AC ROB I VS, Saturnalium libri VII Codd.: A : Anglicus uel Cantabrigiensis 260.

Β : Bambergensis M. L. V. 5 n° 9, saec. IX. F : Florentinus Laurent. Plut. 90 sup. 25, saec. XII. Ν : Neapolitanus V Β 10, saec. IX. Ρ : Parisinus 6371, saec. XI. R : Vaticanus Reginensis 2043, saec. X. Τ : Matrit. Escoriai Q. 1. 1., saec. XV.

Edd. : Eyssenhardt2, 1893. Willis, 1963.

NONIVS, De compendiosa doctrina libri XX Nous reproduisons ici les sigles de Lindsay. Tous les manuscrits de Nonius dé

rivent d'un unique archétype perdu en minuscules, qui devait dater à peu près du VIIIe siècle de notre ère.

Godd.: A a : in lib. IV fous codd. Gen. et B, in lib. V-XX, fous codd. H et PE. Β : Bernensis 83, saec. X. BA : in lib. I-III fons codd. G. (et PE fort.) et corr. H2 L3, in üb. IV

fons cod. G et corr. H2 L3 Gen.2 Cant.2 PE2, in lib. V-XX fons cod. G et corr. H2 L3 Ρ2 Ε2.

Bamb.: Bambergensis M. V. 18, saec. X-XI. Bern. 347, 357: Bernenses 347 et 357 olim cum Paris. 7665 coniuncti. CA fons codd. Paris. 7666, Lugd., Bamb., Turic. Cant.: Cantabrigiensis, saec. IX. DA : fons codd. Paris. 7665 (cum Bern. 347 et 357) Montepess. Oxon. E : Escorialensis M III, 14, saec. X. F : Florentinus, saec. IX. G : Gudianus, saec. X. Gen.: Genevensis 84, saec. IX. H : Harleianus (Mus. Brit. 2710), saec. IX-X. L : Lugdunensis (Voss. Lat. fol. 73), saec. IX. Lugd.: Lugdunensis (Voss. 4to 116), saec. X-XI. Montepess.: Montepessulanus (212), saec. IX-X.

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CONSPECTVS SIGLORVM XXIII

Oxon.: Oxoniensis, saec. X. Ρ : Parisinus (lat. 7667), saec. X. Paris. 7665: Parisinus (lat. 7665), saec, X. Paris. 7666: Parisinus (lat. 7666), saec. X. Turic: fragmentum Turicense (79 b), saec. X. E1, E2, E3, L1, L2, L3, P1, P2, P3, etc. eorumdem librorum manus primas,

secundas, tertias significant. Edd. : Edd. princ: 1) in libris III, IV-XX, 1470; 2) in libro III, 1511.

Aldina: éd. de Nonius par Aldina, Venise, 1513. Bentinus: nouv. éd. Aldina, Venise, 1526. Carrie- : L. Carrio, Anticae leetiones, Anvers, 1576. Gerlach-Koth: éd. de Nonius, Bale, 1842. Junius: éd. de Nonius, Anvers, 1565. Laurenberg: antiquarius, Lyon, 1622. Lindsay: éd. de Nonius, cf. supra, p. xx. Meineke: cf. supra, p. xx. Jos. Mercerus: éd. de Nonius, Paris (1), 1583, Paris (2), ou Sedan, 1614. L. Müller: cf. supra, p. xx (Müller 2). Oehler: cf. supra, p. xx. Onions: éd. de Nonius, lib. I-III, Oxford, 1895. Popma: ad Varronem, 1589. Quicherat: éd. de Nonius, Paris, 1872. Kiese: cf. swpra, p. xx. Eoeper: cf. swpra, p. xxi. Scaligeri Scaligeri marginalia in exemplaribus Nonii apud bibliothecas

Lugdunensem et Bodleianam. Turnebus : Adversariorum libri XXX, Paris, 1565. Vahlen: cf. supra, p. xxi (Vahlen 1).

PRISCIANVS, Institutionum grammaticarum libri XVIII Codd.: A

Β D G H Κ L Ρ R

Amienensis, saec. X-XI. Bambergensis M IV 12, saec. IX. Bernensis 109, saec. IX-X. Sangallensis, saec. IX. Helberstadiensis M 59, saec. X. Caroliruhensis 223, saec. IX. Lugdun. Batav. 67, saec. IX. Parisiensis 7930, saec. IX. Parisiensis 7496, saec. IX.

Ed. : Keil, Grammatici Latini, II-III (Hertz).

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RÉPARTITION DES LIVRES DE NONIVS

La pagination est celle de l'édition de Mercier (cf. supra, p. xxni: Jos. Mercerus), à laquelle nous nous référerons comme c'est la coutume.

I. De proprietate sermonum, p. 1-68. II. De inhonestis et noue ueterum dictis per litteras, p. 68-190. III. De indiscretis generibus per litteras, p. 190-232. IV. De uaria signification sermonum per litteras, p. 232-421. V. De differentia similium signi fieationum, p. 421-448. VI. De inpropriis, p. 448-467. VII. De contrariis generibus uerborum, p. 467-482. Vili. De mutata declinatione, p. 482-495. IX. De numeris et casibus, p. 495-502. X. De mutatis coniugationibus, p. 502-509. XI. De indiscretis aduerbiis, p. 509-517. XII. De doctorum indagine, p. 517-532. XIII. De genere nauigiorum, p. 532-536. XIV. De genere uestimentorum, p. 536-543. XV. De genere uasorum uel poculorum, p. 543-548. XVI. De genere calciamentorum, p. 548. XVII. De colore uestimentorum, p. 548-550. XVIII. De generibus ciborum uel potionum, p. 550-552. XIX. De genere armorum, p. 552-556. XX. De propinquitate, p. 556-557.

Notre ami P. Veyne a bien voulu lire ce travail en manuscrit. Qu'il trouve ici l'expression de notre reconnaissance pour son aide et ses excellents avis. Nous remercions aussi très vivement notre ami G. Vallet, Directeur de l'Ecole Française de Rome, qui a aimablement accepté de faire paraître notre étude dans la Collection publiée par l'Ecole dont il a la charge.

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ABORIGINES

Περί άν&ρώπων φύσεως

Les Aborigènes Sur la nature de l'homme

I 1 (4)* itaque breui tempore magna pars in desiderium pupa-

rum et sigillorum ueniebat c'est pourquoi on voyait bientôt une grande partie d'entre eux se mettre à désirer poupées et figurines

II 2 (2) grandit tepido lacté satur mola mactatus

porcus rassasié de lait tiède, nourri de farine, le porc grogne

III 3 (3) mugit bouis ouis balat equi hinniunt gallina

pipat le bœuf mugit, la brebis bêle, les chevaux hennissent, la poule glousse

* Les chiffres entre parenthèses qui figurent en face du texte latin correspondent aux numéros des fragments dans l'édition Bücheier- Heraus.

1 Nonius, p. 156, 1. 19: PVPAE et PVPI: Varrò Aboriginibus περί ανθρώπων φύσεως: « itaque. . . ueniebat ».

2 Nonius, p. 114, 1. 23: GrRVNNIRE dicuntur porci quod eorum proprium uocis est. Varrò Aboriginibus π.ά.φ. : «grundit... porcus».

3 Nonius, p. 156, 1. 23: PIPAEE proprie gallinae dicuntur. Varrò Aboriginibus π.ά.φ.: «mugit... pipat».

περί ] πεψι H L p. 82 πρι H L p. 114 \\ ανθρώπων ] αν·9·ρωπον G L p. 156 ανο- ρωπων Η2 L p. 171 ανορωυτων Η L p. 114 ανέρωτων G L p. 82 απνερωιων Η p. 82 \\ φύσεως ] φυσεος G L p. 114 φύσεων G p. 82 || 2 grunnit Della Corte || tepido corr. Junius: laepido H lepido codd. cett. || 3 bos Lachmann (Ind. led. Berol. hi- beni., 1849, p. 4)

J.-P. CËBE 1

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Ì ABORIGINES

IV 4 (1) ita sublimis speribus

iactato nomina at uolitantis alio s nitens trudito ainsi, exalté par tes espérances, fais valoir tes noms, mais ef

force-toi d'en repousser d'antres qui se pavanent

V 5 (5) sed neque uetulus canterius quam nouellus melior nec

canitudini cornes uirtus mais il n'est pas vrai qu'une vieille rosse vaille mieux qu'une jeune et que les têtes chenues soient toujours vertueuses

4 Nonius, p. 171, 1. 25: SPEREM ueteres spem dixerunt (...) Varrò Abori- ginibus π.ά.φ.: «ita... trudito».

5. Nonius, p. 82, 1. 18: CANITVDINEM pro canitie Varrò Aboriginibus π.ά.φ.: « sed. . . uirtus ».

4 sublimes Popma || superibus G || iactato ] iacta te Preller (Ann. litt. Ienens., 1847, p. 625) Forcellini natato Popma \\ nomina at scripsi: nomina tuo codd. pier. Lindsay (cruce inter nomina et tuo interposita) nominatiuo G1 no men ac Vahlen (Vah- len 2, p. 40) omnia ac Biese homines at Buch. Della Corte nomina uolitantis Boli- sani nomine nati uolitantis Forcellini maria Popma || uolitantis ] uoluntatis H1 E1 uolitantibus Della Corte || alios nitens Preller (Ann. litt. Ienens., 1847, p. 625) Biese Bolisani: altos nitens HL Lindsay Buch. Della Corte animos altos Onions altos montes Popma || 5 uetullus H1

Le titre de la satire indique que Varron y traitait des primitifs. En effet, le mot Aborigines désigne, comme on sait, les habitants « préhistoriques » du Latium (!). Parfois, par antonomase, il est synonyme de Romani (2). Mais, dans notre texte, il garde manifestement sa valeur ordinaire. Pour Varron, les Aborigènes étaient des autochtones d'abord

(*) Cf. Paulus ex Festo, p. 19: fuit enim gens antiquissima Italiae, « c'était en effet le peuple le plus ancien d'Italie»; Salluste, Cat., VI, 1: Vrbem Bomam (...) condidere atque habuere initio Troiani (...) cumque eis Aborigines, genus hominum agreste, sine legibus, sine imperio, liberum atque solutum, « la ville de Rome eut pour fondateurs et pour premiers habitants les Troyens; (...) à ceux-ci se joignirent les Aborigènes, peuplade agreste, sans lois, sans gouvernement, vivant dans une anarchie totale » (trad. A. Ernout); Justin, XLIII, 1, 3: Italiae cultores primi Aborigines fuere, « les premiers habitants de l'Italie furent les Aborigènes ».

(2) Cf. Saufeius, Hist. Bom. Fragm., 1.

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ABORIGINES

installés dans la région de Eieti (Béate), berceau de sa famille i1). Comme lui, plusieurs écrivains insistent sur l'indigénat de ces antiques occupants du territoire italien (2). D'autres, en revanche, mettent Aborigines en relation avec le verbe errare, comme Festus et Aurelius Victor, qui écrivent, le premier: « (on dit) qu'ils furent appelés Aborigènes en raison de leurs longues courses errantes », le second: « d'autres prétendent qu'ils ont été surnommés d'abord Aberrigines . . . puis Aborigines parce qu'ils arrivèrent là en marchant à l'aventure » (3).

(1) Varron, L. L., V, 53: Aborigines ex agro Eeatino, «les Aborigènes issus du territoire de Réate ».

Varron distribuait l'histoire en trois grandes périodes: cf. Censorinus, De die natali, XXI, 1 (qui se réfère au De gente populi Romani de Varron): primum ab ho- minum principio ad cataclysmum priorem, quod propter ignorantiam uocatur « ade- lon », secundum a cataclysmo priore ad Olympiadem primam, quod, quia multa in eo fabulosa referuntur, « mythicon » nominatur, tertium a prima Olympiade ad nos, quod dieitur « historicon », quia res in eo gestae ueris historiis continentur, « la première va du début de l'humanité au premier déluge: en raison de notre ignorance à son sujet on l'appelle « inconnue »; la seconde va du premier déluge à la première Olympiade: comme beaucoup d'événements fabuleux lui sont attribués, on la nomme ' mythique '; la troisième s'étend de la première Olympiade à notre époque: on la dit ' historique ' parce que les faits qui s'y sont produits sont renfermés dans de véritables ouvrages d'histoire ». C'est dans le second âge, l'âge mythique, qu'il faut placer les Aborigènes.

Sur la légende du roi des Aborigènes Aventinus qui aurait donné son nom à l'Aventin, cf. Servius, ad Verg., Aen., VII, 657. Varron n'y croyait pas (cf. Servius, loc. cit., qui renvoie au De gente populi Romani). Sur l'expulsion des Aborigènes par Evandre, cf. Servius, ad Verg., Aen., VIII, 51: Euander exilio, non sponte, compulsus uenit ad Italiam et, pulsis Aboriginibus, tenuit loca in quibus nunc Roma est, et modicum oppidum fundauit in monte Palatino, sicut ait Varrò, « c'est en banni et non de son propre mouvement qu'Evandre vint en Italie et, après avoir chassé les Aborigènes, il occupa les lieux où maintenant se trouve Rome et fonda une modeste place- forte sur le Palatin, comme le dit Varron » (le texte de Varron était dans les Anti- quitates rer. hum.).

(2) Cf. notamment Lydus, Mag., I, 22: των λεγομένων Άβοριγίνων και αυτοχθόνων της χώρας, « de ceux que l'on appelle Aborigènes et qui sont autochtones dans le pays»; Gloss.: aborigo: αυτόχθων; Aborigines: αυτόχθονες, «aborigo: autochtone; Aborigines: autochtones »; Pline, N. H., IV, 120; Servius, ad Verg., Aen., VIII, 328.

(3) Festus, p. 266: eosque multo errore nominates Aborigines; Aurelius Victor, IV, 2: Alii uolunt eos quod errando ilio uenerint, primo Aberrigines, post (...) Aborigines cognominatos . Cf. aussi Paulus ex Festo, p. 19: Aborigines appellati sunt quod errantes conuenerint in agrum qui nunc est populi Romani, « ils furent appelés Aborigines parce qu'en marchant à l'aventure ils vinrent se rassembler dans le territoire qui est maintenant celui du peuple romain »; Denys d'Haï., I, 10. Pour les étymo-

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4 ABORIGINES

Le sujet ainsi choisi par Varron n'était, de son temps déjà, ni exceptionnel ni nouveau: l'intérêt pour la vie primitive est attesté de bonne heure dans l'antiquité grecque. Par exemple, les auteurs de l'Ancienne Comédie se plaisaient à instituer des parallèles entre les mœurs des premiers âges et celles de leur époque (x). Ils eurent par la suite, on va le voir, de nombreux continuateurs.

Ce retour vers le passé de son pays était, sans nul doute, pour Varron, l'occasion de stigmatiser, à la manière des Cyniques, les pratiques de ses contemporains et, plus généralement, ce qu'on nomme la « civilisation »: l'aversion pour le présent corrompu et l'admiration pour les maiores est, nul ne l'ignore, son idée force, le soubassement de tout son édifice intellectuel et moral; il les exprime non seulement dans les Mé- nippées, mais dans tous ses ouvrages: Antiquitates rerum humanarum, Res rusticae, etc. (2). Nous essaierons de montrer, par l'analyse des fragments conservés, que les Aborigines n'étaient pas uniquement un tableau de l'existence archaïque, voire primitive, mais une critique des méfaits de la civilisation; que Varron ne se contentait pas d'y peindre un monde idyllique, un paradis terrestre, comme l'assure un commentateur italien (3), mais y décrivait les effets du « progrès » qui, à ses yeux, était un déclin, car, dans l'ordre moral, il entraînait une évidente dégradation.

Notre satire illustrait donc, si nous la comprenons bien, des thèmes de la diatribe qui portent, dans la classification d'A. Oltramare, les numéros 13 et 44: « Les barbares peuvent servir d'exemple aux civilisés » et « il faut revenir à la vertu des sociétés primitives ». Mais hâtons-nous d'ajouter que ces idées ne sont pas le monopole des Cyniques et que Var-

logistes modernes, le mot Aborigines reste mystérieux: cf. Ernout-Meillet, s. v., p. 6: « Souvent expliqué comme dérivé de ab origine. (...) Mais l'emploi comme nom propre par les historiens (...) laisse à penser qu'il s'agit peut-être d'un nom de peuple ancien déformé par l'étymologie populaire ».

Sur toute cette question, cf. Della Corte 3, p. 144. Sur le caractère à la fois légendaire et savant des traditions concernant les Aborigines, cf. Gr. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 74, n. 1.

(*) Cf. A. Lesky, Λ History of Greek Literature, trad. J. Willis et C. de Heer, Londres, 1966, p. 422. A leur exemple, les poètes de la Nea et de la palliata aiment à glisser dans les monologues de leurs pièces de longs réquisitoires contre l'immoralité de leur temps: voir E, Fraenkel, Elementi plautini in Plauto, trad, par P. Munari de Plautinisches im Plautus (1922), Florence, 1960, p. 148.

(2) Cf. Boissier, p. 184, 189-191. (3) Riccomagno, p. 168.

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ABORIGINES Ο

ron pouvait les avoir prises ailleurs que chez eux i1). Empédocle pensait que les hommes du Ve siècle avant notre ère étaient des enfants comparés à nos premiers parents, leur dégénérescence étant due à une accélération du mouvement du ciel (2). Tout en reconnaissant que l'homme, à certains égards, s'était élevé depuis son apparition sur la terre, Epicure était convaincu que les maux engendrés par le progrès l'emportaient sur les difficultés toutes matérielles auxquelles devaient faire face les hommes préhistoriques qui vivaient, eux, selon la Nature (3). Les Stoïciens, enfin, à l'instar de Platon, admettaient la supériorité des primitifs sur les civilisés et la fondaient en raison: « les premiers hommes », affirmaient-ils, « étaient meilleurs et plus instruits que nous, parce que plus proches des dieux et de leur propre origine divine » (4).

Ce motif, qui relève clairement du « misonéisme » et du « complexe des générations » dont parlent certains psychanalystes (5), eut un grand

(') Spécialement chez les Stoïciens. Sur la philosophie de Varron, cf. infra. p. 136-138.

(2) Cf. L. Kobin, La pensée grecque, Paris, 1923, p. 131. (3) Voir L. Robin, op. cit., p. 400 et suiv.; J. Brun, L'épicurisme, Paris, 1962,

p. 62, 104-105; Boyancé 3, p. 241 et suiv. (4) Cf. Boyancé 3, loc. cit.; M. Pohlenz, Die Stoa, 3e éd., Gröttingen, 1964, 1,

p. 42. Posidonius, à la suite de Panétius, repoussait sur ce point la thèse du Portique: il avait foi dans le progrès et prônait la civilisation: voir A. Bridoux, Le stoïcisme et son influence, Paris, 1966, p. 141.

(5) Misonéisme: méfiance et animosité envers tout ce qui rompt avec la tradition et les coutumes. Complexe des générations: croyance en l'abâtardissement continu d'une famille, d'une race, ou de l'humanité entière; elle conduit à admettre que les pères sont toujours meilleurs en toute chose que leurs fils et qu'il y a comme une fatalité héréditaire, vrai péché originel, due à une faute de l'aïeul. Cf. C. Gr. Jung, Essai d'exploration de Vinconscient, dans L'homme et ses symboles, Paris, 1964, p. 31: « La conscience résiste naturellement à tout ce qui est inconscient et inconnu; le misonéisme est répandu chez les primitifs; l'homme ' civilisé ' réagit de la même façon devant les idées nouvelles, en élevant des barrières psychologiques contre le choc d'affronter une nouveauté »; en somme, c'est le conservatisme qui est inné en nous; Ch. Baudouin, Psychanalyse de Victor Hugo, Genève-Paris, 1943, p. 40 et suiv., 196 et suiv.; Le triomphe du héros, Paris, 1952, p. 56. Le « complexe des générations » s'exprime de façon frappante dans ces vers d'Horace (Carm., III, 6, 45 et suiv.):

Damnosa quid non imminuit diesi Aetas parentum, peior auis, tulit

nos nequiores, mox daturos progeniem uitiosiorem,

« que ne dégrade point le temps destructeur? la génération de nos pères, qui valaient moins que nos aïeux, a fait naître en nous des fils plus méchants, qui vont donner

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Ο ABORIGINES

retentissement à Eome au Ier siècle avant J.-C. C'est d'alors que datent la plupart des fresques de la vie primitive romaine que l'on rencontre dans les lettres latines; fresques colorées par une sorte de « romantisme du passé » et où, « bien souvent, le tableau idéalisé de la Eome ancienne a pour repoussoir l'immoralité et la déchéance contemporaines » i1). Var- ron — faut-il le spécifier après ce qui a été dit plus haut de son attachement au mos maiorumi — contribua largement à diffuser ce mythe des vertus de jadis et de la prééminence des anciens Bomains. Ici, comme presque toujours, l'utilisation des préceptes du Cynisme ou d'une autre philosophie repose donc chez lui en dernière analyse sur des motivations personnelles qui s'inscrivent dans un vaste courant de pensée national (on notera en passant qu'il ne s'occupe pas des primitifs en général, mais des primitifs de son pays: Aborigines). Il en va pareillement dans toutes les Ménippées et dans toute l'œuvre de Varron (2).

Il est avéré que l'évocation des primitifs était inséparable, dans l'esprit des Grecs et des Latins, du souvenir de Γ« âge d'or », auquel ils opposaient volontiers, avec amertume et nostalgie, leur propre temps (3). Ainsi, au IIIe siècle, le Péripatéticien Dicéarque découvrait chez les Sau- romates et les Hyperboréens des vestiges de cette époque bienheureuse (4).

le jour à une postérité plus mauvaise encore » (trad. F. Villeneuve). Citons d'autre part le mot de Byron: « all days, when old, are good ». Théorie combattue par Tacite quand il écrit (Ann., Ill, 55): nee omnia apud priores meliora, sed nostra quoque aetas inulta laudis et artium imitanda posterie tulit, « d'ailleurs tout n'allait pas mieux du temps de nos pères et notre âge a produit aussi bien des vertus, bien des talents dignes de servir de modèles à la postérité » (trad. H. Goelzer).

(*) J.-M. André, TiOtium dans la vie morale et intellectuelle romaine, Paris, 1966, p. 18. Cf. aussi J. Granarolo, D'Ennius à Catulle, Paris, 1971, p. 230 et suiv., qui souligne judicieusement que cette exaltation du passé « n'est jamais plus intense qu'aux époques de graves crises et de désordres ».

(2) Cf. Boissier, p. 66, 379. (3) Les Epicuriens seuls faisaient exception: leur «idéalisation de la simple

vie selon la nature » est « dégagée des fantaisies mythiques relatives à l'âge d'or, mais apparentée étroitement à celle de J.-J. Eousseau » (Boyancé 3, p. 240). Sur l'assimilation faite par Horace entre les Iles Fortunées et « l'état idyllique de l'âge d'or », cf. J.-M. André, op. cit., p. 472.

L'âge d'or nous ramène à la psychanalyse: C. G-. Jung (Essai. . ., op. cit., p. 83) y reconnaît un des grands rêves archétypiques de l'homme et lui compare le Paradis des Chrétiens. . . ou des Communistes, ainsi que la chimère caressée dans notre monde occidental d'un Etat-Providence qui assurerait la paix universelle et l'égalité de tous, ferait triompher la Justice et la Vérité, en un mot réaliserait le royaume de Dieu sur la terre.

(4) Cf. Varron, E. E., II, 1, 3; L. Eobin, op. cit., p. 240.

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ABORIGINES

Varron opérait une association analogue: en effet, parlant dans les Ees rusticae du campagnard d'antan, qui représente pour lui l'homme idéal, il rappelle que les maiores voyaient dans les « laboureurs les derniers restes de la race de Saturne » (x). Au demeurant, le titre même de notre

(*) Varron, B. B., III, 1, 5: Nec sine causa terram eandem appellabant matrem et Cererem, et qui earn colerent piam et utilem agere uitam credebant atque eos solos reliques esse ex stirpe Saturni régis. Cependant, Varron pensait bien sûr, comme tout le monde autour de lui, que les hommes de l'âge d'or ne cultivaient pas le sol: cf. Saint Augustin, G. D., VII, 19 (d'après Varron, Ant. rer. div., XVI): Saturno regnante, nondum erat agricultura et ideo priora eius tempora perhibentur (sicut Varrò ipse fa- bellas inter pretatur) quia primi homines ex his uiuebant seminibus quae terra sponte gignebat, « sous le règne de Saturne, il n'y avait pas encore d'agriculture et c'est pourquoi on dit que son époque fut la première (Varron lui-même interprète ainsi ces légendes), parce que les premiers hommes vivaient des graines que la terre produisait d'elle-même »; Varron, B. B., II, 1, 3-4: summum gradum fuisse naturalem, cum ui- uerent homines ex his rebus quas inuiolata ultro ferret terra, « (il est obligatoire que) le degré le plus eminent ait été celui de la vie naturelle, à l'époque où les hommes vivaient des produits que la terre faisait naître spontanément, sans qu'on lui fît violence ».

Ce premier stade fut, selon Varron, suivi par un stade pastoral, auquel succéda le stade de l'agriculture (Varron, B. B., I, 2, 16; II, prol., 4; II, 1, 5). Indépendamment de l'explication psychanalytique proposée dans la note précédente, le regret de l'âge d'or, pour les Romains, plonge peut-être ses racines dans une réaction collective provoquée par une transformation historique du mode de vie: il perpétuerait dans cette hypothèse le mécontentement des primitifs qui (vers 800?) furent contraints d'abandonner la cueillette pour l'élevage et l'existence libre pour le travail forcé.

Notons que la glorification de l'agriculture par Varron n'est pas isolée. Elle rejoint un lieu commun de la littérature hellénistique proclamant que l'agriculture est l'occupation naturelle d'un homme libre, une activité lucrative, saine, respectable, facile à apprendre (cf. Xénophon, Oec, V, 1 et 17; Aristote, Polit., VIII, 1318 b; Ménandre, Πλόκιον, 408 Kock; E. H. Oliver, Boman Economie Conditions to the Glose of the Republic, réimpr. anastat. de l'éd. de 1907, Rome, 1966, p. 12 et suiv.; L. Robin, op. cit., p. 326-327; M. Rostovtzeff, The Social and Economic History of the Hellenistic World, Oxford, 1941, p. 1180-1181); elle est en harmonie avec la prescription cynique de la vie selon la nature; et surtout, est-il besoin de le dire?, elle se branche sur une très puissante tradition romaine: cf. Cicéron, Off., I, 42, 3: « de tous les arts productifs, il n'y en a pas de meilleur (que l'agriculture), pas de plus profitable, pas de plus agréable, pas de plus digne d'un homme libre »; Caton l'Ancien, Agr., praef., 3; Denys d'Haï., II, LXIII; Varron, B. B., II, prol., 1 et 2; III, 1, 4-5 (cf. supra, dans les premières lignes de cette note). Corrélativement, les Romains avaient un fort préjugé hostile à rencontre du commerce: cf. E. H. Oliver, op. cit., p. 134-136.

A l'éloge de la vie aux champs s'allie la critique de la ville corruptrice et inhumaine, qui est un poncif de la satire latine: cf. Witke, p. 115, 132.

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satire est, à ce propos, révélateur: Justin témoigne que, suivant la fable, Saturne régna sur les Aborigènes (*). Ceux-ci étaient donc bien considérés — et le savant Varron ne pouvait pas l'ignorer — comme une communauté humaine de l'âge d'or.

Si nous voyons juste, Varron, dans les Aborigines, jouait donc, selon son habitude, les laudatores temporis acti et opposait le présent au bon vieux temps, le tune au nunc, comme il le fait à chaque instant dans les Ménippées. Rien qui cadre mieux avec le portrait-type que l'on peut tracer des Satiriques: dans l'excellente monographie qu'il vient de consacrer au genre de la satire, M. Hodgart remarque à juste titre que les Satiriques sont dans l'ensemble, comme Varron, ennemis du changement; qu'ils ont toujours, comme Varron, leur univers de rêve, « inversion » ou « travestissement fantastique du monde réel », qui est couramment situé dans le passé et qui, faisant une violente antithèse avec « l'horrible époque » dans laquelle ils vivent, permet de juger et de condamner celle-ci par comparaison; enfin que, dans la satire, les personnages sympathiques sont communément, en dehors des auteurs eux-mêmes, des « observateurs naïfs », en particulier des primitifs ou de « bons sauvages » (2). Mais il manquait à Varron quelque chose pour être un « Satirique complet » et un grand Satirique: c'est la passion politique. « II y a une relation essentielle », écrit M. Hodgart, « entre la satire et la politique. La plupart des auteurs célèbres de satires se sont en fait profondément intéressés à la politique. La plupart ont combattu le régime établi dans leur pays » (3). Or Varron évite de se jeter pour de bon dans la bataille politique (4). Il se garde, nous le verrons, de citer des adver-

(x) Justin, XLIII, 1-3 (cf. supra p. 2, n. 1): Italiae cultores primi Aborigines fuere, quorum rex Saturnus.

(2) Hodgart, p. 24, 28, 123, 247. Voir aussi Witke, p. 10; Highet, p. 159. (3) Hodgart, p. 33. (4) II n'était pas fait pour la guerre et la querelle; il préférait la tranquillité

de son cabinet d'études à la vie de l'homme public: s'il disait vouloir mener une existence qui conciliât Yotiosum et Vactuosum (Saint Augustin, CD., XIX, 1, qui se reporte à son De philosophia), il avait une secrète prédilection pour Yotiosum. On peut l'inférer de sa conduite lors des guerres civiles qui lui valut d'être durement moqué par César. C'est à coup sûr le sens du devoir et non sa propre inclination qui lui fit accepter (surtout dans les moments de crise) des charges officielles. Enfin, partisan de l'ordre, il ne désirait nullement la chute du pouvoir en place et eut tôt fait de rallier le parti de César quand celui-ci fut victorieux. Tout, on le constate, le détournait de la satire subversive, qui, pour M. Hodgart, est la satire authentique: il n'a pas Γ« esprit des Saturnales » qui est l'esprit de la vraie satire (nous avons vu

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saires par leur nom; il se tient d'ordinaire sur le plan de la morale et attaque des vices, non des individus (*). Comme les autres Satiriques romains, hormis Lucilius (2), observent eux aussi cette prudente réserve, on doit conclure avec M. Hodgart que les Eomains, véritables inventeurs de la satire (satura tota nostra est) (3), n'ont pas amené le genre, malgré de belles réussites, à son plein accomplissement (4).

Le sous-titre, περί άν&ρώπων φύσεως, n'a rien d'original. Il est identique ou presque identique aux titres de traités écrits respectivement par Démocrite, Straton et Zenon d'une part (5), d'autre part au sous-titre qu'un grammairien donna, également sur le tard, à VAlcibiade

— cf. supra, p. xvn — que le Τρικάρανος n'est pas, quoi qu'on en ait souvent dit, une ménippée); cf. aussi Della Corte 5, p. 115-126. Son but essentiel, quand il composait les Ménippées, était de rappeler à l'ordre et à la morale ses compatriotes qui mettaient le pays dans un grave péril en s'abandonnant à leur goût du luxe et à leurs penchants mauvais; il était d'autre part — les deux projets vont ensemble — de leur enseigner les grands principes et les grandes théories de la philosophie grecque: cf. Knoche, p. 37. Ce faisant, il obéissait à la première règle de la satire latine, genre « utilitaire », qui cherche d'abord à instruire et à améliorer le lecteur: cf. Witke, p. 2 et suiv., 271 et suiv.

Pour présenter les choses un peu différemment, disons que Varron appartient plutôt à la catégorie des «Satiriques optimistes» de G. Highet (Highet, p. 235 et suiv.) qu'à celle des « pessimistes ». Les seconds voient le mal « enraciné dans la nature de l'homme et la structure de la société »; de leur point de vue, l'homme ne peut être guéri de ses vices et ne mérite que dédain ou haine. Les premiers, au contraire, estiment, avec Socrate, que nul n'est méchant volontairement et que, convenablement éduquée, la majorité de l'espèce humaine se délivrerait de ses folies et de ses défauts. Au lieu de tempêter, ils plaisantent avec le sourire et pratiquent fréquemment l'auto-ironie. Leur modèle est Horace. Il arrive que Varron renonce à la manière douce et cingle avec une violence presque juvénalienne les tares et les agissements de ses contemporains. Mais c'est pour mieux arracher ces derniers à leur mal, en faisant naître dans leur esprit des « anticorps profitables ».

(x) Par là, il se conforme à une loi du genre. Cf. Cèbe, p. 192: « la ménippée traditionnelle (...) ne s'attache pas au particulier, mais au général; elle moleste, en vue de moraliser, des types humains, des catégories sociales, et non tel ou tel personnage défini »; Witke, p. 156; Geller, p. 64.

(2) Mais l'œuvre de Lucilius est trop fragmentaire pour que nous soyons en mesure de la bien juger. L' Apocoloquintose de Sénèque, pamphlet haineux contre un empereur mort, n'est ni un écrit vraiment « politique » ni une vraie satire, bien qu'elle emprunte la forme de la ménippée: cf. Witke, p. 152.

(3) Cf. Knoche, p. 7 et suiv.; Witke, p. 21 et suiv. (4) Cf. Hodgart, p. 37-39. Voir aussi Cèbe, p. 378. (5) Cf. Diogene Laërce, V, 59: Περί φύσεως ανθρωπινής de Straton; VII, 4:

Περί ορμής ή περί αν&ρώπου φύσεως de Zenon; IX, 46.

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de Platon ('Αλκιβιάδης ή περί αν&ρώπων φύσεως). Le problème qu'il évoque se trouve plus d'une fois au centre des préoccupations de Varron dans les Ménippées. Il est posé notamment dans Andabatae et Mutuum muli scabunt, dont deux fragments ont pour matière l'âme, le corps et leurs relations (32 et 323 Buch.). L'attention que Varron lui portait est aussi attestée par le logistoricus Tubero, dont Oensorinus révèle qu'il roulait sur l'origine de l'homme (*). Mais dans notre pièce, si l'on en juge par les bribes qui nous ont été transmises et sont notre unique élément d'appréciation, l'exposé restait en-deçà de telles spéculations: on sollicite abusivement ces textes quand on prétend comme Krahner (3) et Eiese (3) que, dans les Aborigines, Varron abordait plusieurs grandes questions de philosophie générale: nature humaine, immortalité de l'âme, nature du monde, religion, mystères, interprétation physique des dieux, droit pontifical (!), etc. Tout au plus a-t-on le droit de supposer, en s'ap- puyant sur le rapport du titre et du sous-titre, que Varron, dans cette Ménippée, se penchait sur la genèse de l'humanité et analysait les explications qu'en avaient données les philosophes, comme avant lui Zenon et comme après lui (et d'après lui) Censorinus dans son De die natali (4).

En revanche, il est certain, et le sous-titre, par son libellé même, le marque bien, corroborant la suggestion du titre, que Varron remontait jusqu'aux Aborigines pour observer notre espèce « à l'état pur », peindre la vie κατά φύσιν et découvrir ce qui convient à notre nature (projet banal: songeons à la place que tient la notion de φύσις dans la philosophie antique). Il sacrifiait donc autant, sinon plus, à la philosophie et à la morale qu'à l'histoire (5).

Nous ne disposons d'aucun moyen pour dater les Aborigines.

(1) Censorinus, De die natali, IX; cf. Probus, ad Verg., Ed., VI, 31; p. 19 K.; Boissier, p. 105; Eiese, p. 257.

(2) Krahner, p. 10. (3) Eiese, p. 27. (4) Cf. Eiccomagno, p. 140. Cet immense problème divisait les philosophes

de l'Antiquité (cf. Censorinus, De die natali, IV): les uns étaient d'avis que l'homme avait existé de toute éternité, les autres qu'il avait été créé un jour. Varron faisait partie de la seconde école: il acceptait la théorie stoïcienne, selon laquelle l'homme a été formé par le feu divin: cf. Varron, L. L., V, 61, 70; voir aussi Varron, Β. B., II, 1, 3.

(5) Contra Della Corte 1, p. 74: «la satira... doveva essere una visione storica ... ».

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* * *

1. - Texte sûr: toutes les leçons des manuscrits concordent. Extrait par Nonius de Gloss. I i1). Il saute aux yeux que nous avons affaire à un passage en prose. Un érudit allemand du siècle dernier, G. Eoeper, s'efforça de montrer, en scandant tous les fragments conservés des Ménippées, que l'ouvrage était entièrement poétique (2). Cette tentative n'a convaincu personne et n'est plus aujourd'hui mentionnée que comme une curiosité (3). Un passage du Bimarcus (57 Buch.) garantit, à notre sentiment, que Varron usait du prosimetrum dans les Ménippées. Même si, comme d'aucuns, on conteste ce témoignage vu l'incertitude du texte, on ne peut manquer, après étude des fragments, de rejeter les assertions de Eoeper et de tenir pour indéniable que, dans les Ménippées, prose et vers alternent (4). Bien entendu, cette alternance n'est pas arbitraire: ou bien elle est appelée par la nature du sujet, ou bien elle répond à des intentions d'art et d'expressivité: elle permet de passer du sublime au trivial, du pathétique au comique, du pompeux au familier et d'obtenir les effets parodiques qui sont essentiels à la ménippée (5). Cela dit, on aurait tort de se figurer que la distinction des deux types d'écriture est toujours aisée et que l'analyse stylistique y fait

(x) Cf. Lindsay, Nonius, p. 53. (2) Cf. G. Roeper, Philol., 9, 1854, p. 223-278; 15, 1860, p. 267-302; 17, 1861,

p. 64-102; 18, 1862, p. 418-486. (3) Cf. Riccomagno, p. 52; Bolisani, p. xlii; Dahlmann 1, col. 1269. (4) Cf. Riccomagno, p. 53; Dahlmann 1, loc. cit.; Della Corte 4, p. 133; Scher -

bantin, p. 89. (5) Cf. Geller, p. 60; E. Courtney, Parody and Literary Allusion in Menippean

Satire, dans Philol., 106, 1/2, 1962, p. 86-100 (p. 87). Essayons, d'après ce qu'on lit chez Courtney et d'autres (en particulier R. Helm, Lukian und Menipp, Leipzig- Berlin, 1906, p. 343, et Bolisani, p. xxxix), de reconstituer la genèse du prosimetrum: il ne viendrait pas des Sémites comme certains l'ont dit (cf. Scherbantin, p. 46 et suiv.; Highet, p. 36), mais dériverait d'une forme d'expression populaire de la Grèce, qui sortirait elle-même de la langue des mimes. Empruntant ce type de phraséologie, les Cyniques (à l'instar des premiers Sophistes: cf. Scherbantin, p. 44) auraient pris l'habitude de citer des vers en les travestissant souvent comiquement. Si cette opinion est re- cevable, le burlesque et la parodie sont à la racine même de la satire ménippée. Ils jouent en tout cas dans ce genre un rôle de premier plan, comme le prouvent les Ménippées de Varron, Γ Apocoloquintose de Sénèque, le Satyricon de Pétrone et la plupart des écrits de Lucien; pour Ménippe lui-même, cf. Witke, p. 47: « the continuous use of parody is to be assumed in his motley ».

Notons que le mélange des tons et des styles, qui conduit à faire une place de choix au burlesque, au pastiche et à la parodie, est aussi un des principaux traits

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aboutir sans hésitation i1). Mais le travail de nos devanciers a considérablement facilité la tâche en ce domaine et on peut estimer que, sauf exception, l'image du prosimetrum que nous donnent les éditions Bücheler-Heräus et Bolisani est correcte.

Selon Oehler (2) et Biccomagno (3), Varron aurait ici en vue la décrépitude mentale des vieillards retombés en enfance: il illustrerait l'idée exprimée par un proverbe courant, qu'il a lui-même choisi pour titre d'une de ses satires: Δις παίδες οι γέροντες, «les vieillards sont deux fois enfants » (4). Si c'était vrai, la satire aurait dénoncé toutes les faiblesses qu'enfante la senilitas et le fragment 1 devrait être relié au fragment 5. Mais nous ne croyons pas qu'Oehler ait trouvé la bonne réponse:

de la satire poétique latine: cf. Witke, p. 66, 69, 72, 80, 94, 100, 104, 127, 137, 268. Il va de pair avec la variété des sujets (satura = « pot-pourri »). Du reste, ainsi que G. Highet l'a montré (Highet, p. 13, 67-147), la parodie est, avec le monologue et le récit, une des trois formes typiques de la satire.

Timide préfiguration de l'extraordinaire diversité de langages qu'on remarque chez des auteurs du XXe siècle (tel James Joyce qui, dans Ulysse, combine articles politiques, poèmes en prose, poèmes en vers, exposés philosophiques, développements en diverses langues étrangères, etc.: effort vers ce «langage total» dont rêvent de nombreux artistes d'aujourd'hui), le prosimetrum passait sans nul doute aux yeux des Grecs pour une monstruosité. Ménippe l'avait adopté pour mieux faire scandale. Au contraire, cette expression mixte ne devait pas choquer les Romains réalistes, caustiques, amis de la variété. Elle permettait à Vairon de « coller » au réel et au trivial, exclus de la littérature par les poètes épiques et tragiques d'antan; de traiter sans gêne formelle n'importe quel sujet; de tirer de la poésie des effets humoristiques propres à donner à ses Ménippées l'enjouement qu'il recherchait et à les rendre aimables au public peu cultivé qu'il souhaitait atteindre par elles: voir A. Rostagni, Storia della letteratura latina, 2e éd., I, Turin, 1949, p. 463 et suiv.

(!) Cf. Bolisani, p. xlii: « non pochi sono i fr. in prosa dal linguaggio elevato, artificioso, figurato, non pochi quelli poetici in cui si segue quello umile, corrente, reale»; Geller, p. 18. On ne peut naturellement pas évaluer l'importance relative de la prose et de la poésie dans l'œuvre. Il semble toutefois que l'avantage y revenait à la prose (comme, probablement, chez Ménippe): voir Scherbantin, p. 88-89; Knoche, p. 38. Mais les fragments qui nous sont parvenus sont plus souvent en vers qu'en prose. C'est logique, eu égard aux conditions dans lesquelles ils nous ont été légués: cf. Scherbantin, p. 89: « sie fast alle von Nonius überliefert sind, mit anderen Worten (...) hier ein Grammatiker an der Arbeit war, der vor allem in der Gedichten fand was er suchte: alte, schon vergessene Wörter, seltene Wortwendungen und kühne Metaphern »; Bücheier, p. 175 (426-427).

(2) Oehler, ad loc. (3) Riccomagno, p. 159. (4) Cf. Monandre, 517 Kock. Voir d'autre part Sophocle, fr. 447 Ν2: πάλιν γαρ

αδθις παις 6 γηράσκων άνήρ, « car l'homme qui vieillit est derechef, une nouvelle fois,

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pourquoi le gâtisme des vieillards se serait-il déclaré breui temporel peu de temps après quoi? pourquoi l'imparfait ueniebat, au moins bizarre dans une semblable hypothèse (on attendrait un présent « atemporel » ou un «parfait gnomi que »)? comment justifier, dans cette même hypothèse, que Varron n'ait pas accompagné magna pars d'un senumì magna pars tout court, ce ne peut être, si on n'est pas averti, qu'« une grande partie des hommes » i1).

Une autre solution est proposée par Th. Mommsen: on aurait dans ce premier fragment une allusion moqueuse aux portraits des immortels que les hommes voulurent se donner quand il ne leur suffit plus de concevoir la divinité par la pensée (2). Après avoir cité Mommsen, E. Boli- sani (3) ajoute que, dans cette perspective, Varron, à l'exemple de Lu- cilius (4), raillerait les pratiques superstitieuses du petit peuple, qui adorait les simulacres des dieux, leur attribuant une âme (cf. le thème diatri - bique 93 Oltramare: « les temples et les objets du culte ne méritent aucun respect particulier »). En faveur de cette doctrine, on doit faire valoir que Varron, dans les Antiquitates rerwm diuinarum,, se montrait hostile aux images anthropomorphiques des dieux introduites à Rome par Tarquin l'Ancien, qui commanda pour le Capitole une statue de Jupiter à l'Etrusque Vulca; c'est Saint Augustin qui nous en informe: « Varron trouvait si mauvais qu'on fît de ce dieu même (Jupiter) des représentations figurées (...) qu'il n'hésita pas à dire et à écrire que ceux qui ont donné au peuple de telles représentations ont supprimé la crainte et accru l'erreur » (5). L'attitude de Varron en la matière est claire: « il se rallie à la théorie d'autre part bien connue chez les philosophes grecs

enfant »; Cratinos, 24 Kock; Aristophane, Nub., 1417; Théopompe, I, p. 751 Kock; Plaute, Mere, 295-296:

Senex quom extemplo est, iam nec sentit nec sapit, aiunt solere eum rursuni repuerascere,

« dès qu'on est vieux, on n'a plus ni sens ni raison; les gens disent qu'à l'accoutumée on retombe de nouveau en enfance »; Otto, s. v. senex, p. 316-317.

(*) Rétorquera-t-on qu'il ressortait du contexte perdu que les vieillards étaient en cause et que, de ce fait, Varron pouvait se dispenser de joindre ici senum. à magna parst l'argument a du prix, mais dépend d'une supposition gratuite.

(2) Th. Mommsen, Römische Geschichte, 13e éd., Berlin, 1925, p. 149. (3) Bolisani, p. 4. i4) Lucilius, 480 et suiv. Marx. (5) Saint Augustin, C. D., IV, 9: simulacrum ei fieri ipsi (seil. Ioui) etiam Vai

roni ita displicet ut (...) nequaquam (...) dicere et scribere dubitaret quod hi qui po- pulis instituerunt simulacra et metum dempserunt et errorem addiderunt. Voir aussi Arnobe, VII, 1. Cf. Boyancé 2, p. 65 et suiv.

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pour lesquels la vraie piété se passe d'images anthropomorphes qui donnent des dieux une idée dégradée. Zenon, dans sa Politela, d'inspiration en partie cynique, ne voulait ni de temples ni de statues. Chrysippe, Diogene de Babylone son élève s'opposent à l'anthropomorphisme aussi bien dans la poésie que dans l'art » i1). Quoique nous ayons de Varron, toujours chez Saint Augustin, un témoignage qui contredit celui dont il vient d'être fait état et légitime l'institution par les Anciens des statues divines (2), la conjecture de Mommsen est donc solidement fondée. Nous n'en dirons pas autant de la version développée et modifiée qu'ont jugé bon d'en tirer F. Della Corte (3) et A. Marzullo qui le suit (4): dans notre fragment, affirme le second, Varron « indiquait un culte fétichiste avec un premier signe d'association civile ». Eien dans le texte et dans l'histoire de la religion romaine primitive n'accrédite cette allégation.

Une troisième hypothèse est à envisager: Varron peut s'élever ici contre une passion immorale (desiderium) qu'il voit sévir autour de lui. Admettons qu'il en soit ainsi: cette passion à laquelle, par dérision, le Satirique attribuerait pour objets des sigilla et des pupae, afin de souligner qu'elle pousse à rechercher des biens futiles et indignes d'un homme adulte, ne serait autre que la passion des œuvres d'art, qui agitait à Eome tant de collectionneurs au Ier siècle avant notre ère, et, par extension, la passion de posséder, la passion du luxe et de la richesse, qui n'existait pas jadis, surtout du temps des Aborigines, car en ce temps-là personne n'avait rien en propre (5). A ce sujet, E. Bolisani (6) renvoie justement au vers d'Horace (8at., I, 4, 28):

Hune capii argenti splendor, stupet Albiîis aere,

ί1) Boyancé 2, p. 62, 66. Cf. Zenon, fr. 264 Arnim; Chrysippe, fr. 1076 Arnim; Diogene de Babylone, fr. 33, 13 et suiv. Arnim; C. Clerc, Les théories relatives au culte des images, Paris, 1924, p. 102 et suiv.

(2) Saint Augustin, C. D., VII, 5 (= Varron, Ant. div., fr. XVI, 6 Agahd): «les Anciens ont imaginé les statues, les attributs, tout l'aspect extérieur des dieux pour qu'en fixant leurs yeux sur ces objets ceux qui auraient eu accès aux mystères de la tradition pussent voir en esprit l'âme du monde et ses parties, c'est-à-dire les dieux véritables ». Dans les statues divines, les initiés décèlent donc les vérités les plus profondes; de même que la religion des poètes, interprétée par les Stoïciens, « le mythe incarné dans les statues » peut « lui aussi faire l'objet d'une exégèse symbolique propre à en assurer le sauvetage » (Boyancé 2, p. 73).

(3) Della Corte 1, p. 74; Della Corte 4, ρ, 144. (4) Marzullo, p. 4. (5) Cf. Justin, XLIII, 1-3; P. Gluiraud, La propriété foncière en Grèce jusqu'à

la période romaine, Paris, 1893, p. 6. (e) Bolisani, p. 5.

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« en voici un que ravit l'éclat des ciselures d'argent, tandis qu'Albius est en extase devant le bronze » (trad. F. Villeneuve). Mais il convient aussi de mentionner d'autres documents, plus explicites, qui prouvent le dédain dans lequel les philosophes tenaient la sculpture et la peinture: notamment Cicéron, Par ad., V, 36: In pari stultitia sunt quos signa, quos eaelatum argentum (...) quos Corinthia opera nimio opere délectant, « même déraison chez ceux qui apprécient exagérément les statues, l'argent ciselé, (...) les ouvrages corinthiens », et Sénèque, Ep., LXXXVIII, 18: Non enim adducor ut in numerum liberalium- artium pictores recipiam, non magis quam statuarios, aut marmorarios, aut ceteros luxuriae minis- tros, « car je ne me résous pas à mettre au nombre des arts libéraux la peinture, non plus que la statuaire, l'art des marbriers ou des autres agents du luxe » (*). Pareille condamnation des signes extérieurs de richesse est tout à fait dans le sens des idées que Varron partage avec les Cyniques et les Stoïciens (bien qu'il nageât lui-même dans l'opulence et fît probablement preuve de quelque hypocrisie en fustigeant le luxe et l'attrait du gain (2). Ces inconséquences sont monnaie courante: pensons à Sénèque. Un auteur joue toujours, dans ses écrits, un personnage qui diffère par plus d'un aspect de l'homme qu'il est pour de bon dans la vie (3). Aussi la critique « biographique » trompe-t-elle souvent et doit-

(*) Cf. d'autre part Varron, Men., 201 Buch.; Horace, Sat, Π, 7, 95; Plutar- que, De tr. an., p. 470 B; Lactance, Inst., VI, 20, 6; et voir Norden 1, p. 21 (286-287).

(2) Cf. Boissier, p. 364; Della Corte 5, p. 91. (3) A ce sujet, W. S. Anderson (The Roman Socrates: Horace and Ms Satires,

dans J. P. Sullivan, Critical Essays on Roman Literature, Londres, 1963, p. 16 et suiv.) écrit très bien: les Satiriques romains mettent en scène un «porte-parole » (« speaker »); ce « porte-parole ne s'identifie pas pleinement avec le poète, pas plus que l'amant passionné ne s'identifie pleinement avec le poète élégiaque ou lyrique. Dans toute poésie personnelle, le poète prend un masque, joue un rôle, et l'emploi qu'il se donne peut être ou non très proche de traits qui appartiennent à sa propre personnalité. Ce que nous devons demander à ce porte-parole est la consistance dramatique. Il n'importe pas de savoir dans quelle mesure il copie la biographie et les sentiments du poète, mais il est absolument essentiel qu'il reste cohérent ». Horace, dans les Satires, se présente, bien qu'il n'ait pas trente ans, comme un vieil homme expérimenté et rendu serein par le spectacle de la vie. Dans les Odes, il est tour à tour barde inspiré, amant vieillissant, ami attentionné, etc.: autant de rôles de composition. Perse ne témoigne nulle part dans ses Satires de la douceur virginale qui, nous dit -on, était la qualité dominante de sa nature. Chez les historiens mêmes, des dissemblances plus ou moins grandes se manifestent couramment entre l'homme et l'éciivain: il est certain, par exemple, que, dans sa vie, Tacite était loin de cette amertume, de cette sévérité, de ce pessimisme désespéré qui s'étalent dans les Annales:

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elle être maniée avec précaution (x). Sur l'attitude de Varron à l'égard de l'avarice et de la cupidité, cf. infra, p. 27, 98 et suiv.).

Le contexte faisant défaut, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer pour l'une ou l'autre des deux dernières explications (2), qui, d'ailleurs, ne sont que deux variantes d'une même exégèse de base: la seule différence qui les sépare est que les monuments plastiques ironiquement indiqués selon nous par pupae et sigilla ont dans celle-ci un usage profane et dans celle-là un rôle religieux.

En tout état de cause, il découle de ces considérations que Varron, dans les Aborigines, faisait bien, comme nous l'assurions plus haut, le procès des maux suscités par la civilisation et le progrès (3).

cf. E. Koestermann, Cornelius Tacitus. Annalen, Heidelberg, 1963, p. 8-10. Voir aussi M. Mack, The Muse of Satire, dans E. C. Boys, Studies in the Literature of the Augustan Age, Ann Arbor, Michigan, 1952, p. 218-231 (pour M. Mack, la satire n'exprime pas la haine et la colère du Satirique lui-même. Elle s'apparente à la rhétorique. On y entend la voix d'une persona, qui est parfois la projection du Satirique idéal, parfois un ingénu, parfois un avocat général). Toutefois, il serait excessif de soutenir que, dans la satire, tout est fiction: il est bien évident qu'un Satirique, plus que n'importe quel écrivain, se sert de son expérience vécue, fait allusion à des événements de son existence et révèle des émotions qu'il ressent pour de bon. Cela est vrai surtout de la « satire monologue »: cf. Highet, p. 277, n. 12 (supra p. 11, n. 5). Mais il est souvent difficile, voire impossible de déterminer dans un ouvrage satirique, du moins avec les méthodes traditionnelles (cf. note suivante), ce qui relève de la fiction et ce qui nous renseigne sur la personnalité et la vie de l'auteur.

(*) Les critiques psychanalytiques et au premier chef la psychocritique de Charles Mauron sont naturellement à part, puisqu'elles s'attachent à déceler ce qui, dans une œuvre, émane de l'inconscient du créateur et ainsi mettent à nu ce qui se dissimule derrière le masque, le « mythe personnel » que l'écrivain dévoile sans même le savoir; ce « mythe personnel » est ensuite contrôlé par comparaison avec les données de la biographie: cf. Ch. Mauron, La psychocritique et sa méthode, dans Orbis litterarum, suppl. II, 1958, p. 104 et suiv. Il n'est pas nécessaire de détailler ici les mérites de cette manière d'aborder les textes qui a fait ses preuves (remarquons que, sagement, elle ne prétend pas détrôner les autres types de critiques: Ch. Mauron, loc. cit., constate qu'« un phénomène complexe et obscur comme la création littéraire exige plusieurs modes d'approche qui se complètent »).

(2) L'expression in desiderium ueniebat paraît mieux en situation dans la seconde. Mais elle ne jure pas avec la première: car, ainsi que l'écrit P. Boyancé (Boyan- cé 2, p. 73), c'est pour se plier aux besoins, donc aux désirs du vulgaire que Tarquin lui offrit les dieux anthropomorphes capables de le rassurer.

(3) II y a encore lieu de se demander, avec notre ami A. Tchernia, si Varron ne flétrirait pas ici l'ambition (voir infra, fr. 4): puparum et sigillorum représenteraient alors, sur le mode sarcastique, des distinctions comme les statues honorifiques (cf. les décorations « hochets de la vanité »). Mais nous doutons que les deux

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— Puparum et sigillorum. On nommait sigilla un type de statuettes importé à Rome par les Etrusques (d'où l'épithète de Tyrrhena qui est fréquemment accolée à sigilla). Ces ouvrages étaient faits de terre cuite, d'or, d'argent, ou, quand on les destinait à des enfants, de farine et de miel. On les dédiait fréquemment aux dieux et ils prenaient place alors dans les sanctuaires ou dans des fauissae. Mais ils avaient aussi une utilisation toute laïque. On les vendait spécialement dans la uia Sigillarla. Cette même appellation de sigillarla était portée par une fête qui suivait les Saturnales. Au cours de cette solennité, on échangeait des cadeaux, parmi lesquels il y avait naturellement des sigilla (de cire ou d'argile), et on offrait aux dieux des statuettes qui tenaient lieu de substitut aux sacrifices humains d'antan. Dans les Antiquitates rerum humanarum, Varron désigne par le mot sigilla les statuettes qu'Enée prit avec lui en s'enfuyant de Troie (*).

Les pupae, qui forment une classe à part des sigilla, étaient réservées aux enfants et, comme telles, fabriquées au moyen de matières sans valeur, bois ou terre cuite. Nous en avons encore des spécimens dans nos musées. Les jeunes filles faisaient présent de leurs pupae à Vénus juste avant le mariage (2).

— Expression concise, claire et très simple, où ressortent les deux mots ironiques (sorte de duplication expressive) puparum et sigillorum. Sur ce langage, cf. infra, p. 60, fragment 10.

2. et 3. - Fragments poétiques de même sujet et de même mètre (sotadéens réguliers) qui, de toute évidence, vont ensemble. Le texte n'y fait pas difficulté. Seul petit problème: les leçons lepido ou laepido des manuscrits que Junius a justement corrigées en tepido (confusion banale de VI et du t, surtout dans les manuscrits relativement tardifs et en minuscules comme le sont ceux de Nonius. Lepido ne va pas du tout pour le sens). Les deux citations avaient été tirées par Nonius de Gloss. I(3).

mots soient susceptibles d'une telle valeur et notre interprétation nous semble plus plausible.

i1) Cf. Probus, ad Verg., Aen., II, 717; Servius, ad Verg., Aen., III, 148. (») Cf. Perse, II, 70. (3) Cf. Lindsay, Nonius, p. 45 et 53.

J.-P. CÈBK 2

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18 ABOKIGINES

Au dire de L. Eiccomagno (*), Varron, par ces vers, nous transporterait dans un Eden où évolueraient « les animaux dans leur douce existence, énumérés avec leur voix naturelle expressive », tandis que s'accomplirait « le simple sacrifice qu'Horace louait lui aussi (fgt 2) ». E. Bo- lisani, pour sa part, est d'avis que Varron y confronte notre nature et nos tendances avec celles des animaux (2).

Il ne s'agit nullement de cela, mais de Vorigine du langage humain (comme E. Bolisani, sans se soucier de la disparate, le signale d'ailleurs lui-même un peu après le membre de phrase cité à la note 2 (3)). C'est le sujet de développements bien connus qu'on peut lire chez Lucrèce (4) et Horace (5). Outre E. Bolisani, plusieurs commentateurs, dont F. Della Corte (6) et A. Marzullo (7), l'indiquent avec raison, en insistant sur le goût de Yarron pour les problèmes du langage (8), ou sur l'habitude qu'avaient les philosophes antiques de tourner leurs regards vers le monde animal (9).

Mais s'arrêter à de telles constatations, c'est rester à la surface des choses: personne, sauf erreur, n'a tiré tout le parti possible du rapprochement qui s'impose entre les deux fragments varroniens et les textes

(*) Eiccomagno, p. 168. (2) Bolisani, p. 2: « della natura e delle tendenze della schiatta umana, para

gonata con quella degli altri animali che, secondo i cinici, per molte qualità eccellono sull'uomo stesso ».

(3) Bolisani, p. 5. (4) Lucrèce, V, 1030 et suiv. (·) Horace, Sat., I, 3, 99-112. (6) Della Corte 1, p. 74; Della Corte 4, p. 144. (7) Marzullo, p. 4 et suiv. (8) Marzullo, loc. cit. (9) Cf. Norden 1, p. 55 (319), η. 114. Ainsi, les Cyniques et les Stoïciens s'adon

naient à l'étude des bêtes, qu'ils estimaient profitable à l'homme (thème 30a 01- tramare: «les animaux peuvent nous servir de modèles de simplicité»; thème 49a Oltramare: «l'homme doit à sa raison sa supériorité sur les animaux»; thème 77c Oltramare: « les animaux sont moins malheureux que les hommes ». Pour les Stoïciens, cf. M. Pohlenz, op. cit., I, p. 83-85; A. Bridoux, op. cit., p. 100). Antisthène avait écrit un traité περί ζώων φύσεως. De plus, les parallèles entre l'homme et la bête étaient pratiqués sur une grande échelle dans la physiognomonie, à laquelle croyaient, entre autres, les Stoïciens et les Péripatéticiens: cf. E. C. Evans, Physiognomies in the Ancient World, Philadelphie, 1969, passim. Sur les animaux dans la satire (ils y représentent des traits psychologiques et moraux de l'homme ou servent à ravaler celui-ci en rappelant qu'il n'est après tout qu'un mammifère — on reconnaît là une technique de base de la satire: la « technique de la dégradation »), cf. Hodgart, p. 115 et suiv.; Witke, p. 26, 72 et suiv., 101, 218; Highet, p. 177 et suiv.

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de Lucrèce et d'Horace. Personne n'a jugé bon de remarquer — fait pourtant capital — que ces derniers textes nous livrent, sur la question envisagée, la thèse des Epicuriens. En effet, seuls les Epicuriens établissaient une liaison entre le parler humain et la voix animale: ils considéraient que notre langage est issu peu à peu des sons naturels, analogues aux cris des bêtes, par lesquels les primitifs extériorisaient leurs sentiments et leurs impressions. Les Stoïciens, au contraire, voyaient dans la parole humaine une manifestation de la pensée, du logos, qui n'existe pas chez l'animal. Pour eux, dans la sphère du langage comme ailleurs, un fossé infranchissable sépare l'homme des mutae pecudes ; notre parler est radicalement différent des cris d'animaux et n'est dû ni au hasard ni à l'arbitraire: ce sont les premiers hommes ou plutôt les premiers rois qui, tout proches encore de la divinité (*), ont créé le vocabulaire, dans lequel les signes correspondent aux choses mêmes (2).

Ces réflexions procurent deux importants résultats: 1° Elles confirment que Varron, comme nous l'avons supposé,

retraçait, au moins sommairement, dans les Aborigines l'histoire de la civilisation: en effet, tant chez Lucrèce que chez Horace, l'apparition du langage s'inscrit dans une esquisse de la naissance et de l'évolution de l'humanité; elle est la première phase du développement qui fit sortir l'homme de sa condition initiale. On ne voit pas pourquoi il en irait autrement dans notre satire.

2° Elles nous donnent à penser que les fragments 2 et 3 ne sont pas à mettre au compte de Varron, mais figuraient vraisemblablement dans la tirade prononcée par un Epicurien: ce qui implique que, dans tout ou partie des Aborigines, il y avait un dialogue.

(*) Cf. supra, p. 5. (2) Cf. Boyancé 3, p. 244-247; M. Pohlenz, op. cit., I, p. 37-42, 84. De même

que les Stoïciens, Pythagore et Platon tiennent que les noms ont été attribués aux choses par des « onomatothètes »: cf. Cicéron, Tusc, I, 62; L. Eobin, op. cit., p. 223; Boyancé 3, p. 245. De cette conception se rapproche la doctrine théologique de la monogenèse du langage qu'on trouve en Inde: elle se fonde sur la certitude que l'origine de la parole est divine; que les choses ont été dotées de noms par Indra ou Brhaspati (cf. G. Mounin, Histoire de la linguistique, Paris, 1967, p. 68). Théorie voisine également dans la Bible (Genèse, II, 23): « L'éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel et il les fit venir vers l'homme pour voir comment il les appellerait » (ainsi naît une langue unique, qui se diversifie ensuite à cause du fol orgueil des hommes: c'est l'épisode de la tour de Babel). Dans un autre texte de la Bible (Genèse, I, 3 et suiv.), Dieu nomme lui-même la lumière, la nuit, le ciel, la terre et la mer.

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Pourquoi cette certitude? d'abord parce que la théorie du langage que Varron avait faite sienne était, nous en sommes sûrs, celle des Stoïciens, qui légitimait et même rendait indispensable la science étymologique dont il était un ferme partisan — alors que la conception épicurienne sapait les fondements de cette science (*); ensuite parce que, si Varron s'exprimait en son nom personnel, il n'aurait aucune raison d'adopter un accent parodique (une auto-parodie serait ici déplacée). Or cet accent est perceptible dans nos deux fragments. Il vient du heurt que fait la forme poétique recherchée avec la platitude du contenu (le sotadéen est un mètre rare: seize exemples en tout, c'est-à-dire neuf fragments (2), dans les Ménippées (3)). On songe au Catius

(!) Cf. Boissier, p. 146; M. Pohlenz, op. cit., I, p. 267. Toutefois, nos trois vers évoquent également un passage dans lequel Varron (ap. Aug., de Dial., I, 5) énonce les idées stoïciennes (donc les siennes propres) touchant la formation du vocabulaire: selon les Stoïciens, y lisons-nous, on créa d'abord les mots dont le son imite celui des choses ou des êtres mêmes qu'ils désignent. Exemples: aeris tinnitus, equorum Mnnitus, ouium balatus, tubarum clangor, strider catenarum, « tintement du bronze, hennissement des chevaux, bêlement des brebis, bruit aigre des trompettes, grincement des chaînes ». La similitude entre ce texte et le nôtre, similitude qui se poursuit jusque dans certains détails (rencontre d'ouis balat et d'ouium balatus, d'equi hinniunt et d'equorum hinnitus) ne manque assurément pas d'être troublante: n'aurions-nous pas, nous aussi, une illustration de la thèse stoïcienne relative aux premiers éléments du langage articulé et, comme dit Varron, aux quasi incunabula uerborumi il ne serait pas absurde de le penser. Mais notre manière de voir est sans conteste plus pertinente et mieux adaptée à l'argument de la satire tel qu'il se laisse déterminer. Comme le suggèrent la précision tepido lacte satur mola mactatus et l'absence d'allusions à des bruits d'objets (chaînes, etc.), nos deux fragments veulent mettre en lumière non pas le caractère onomatopéïque des verbes latins qui notent les cris des animaux, mais l'existence, chez l'animal, d'un lien de cause à effet entre le cri et le sentiment ou la sensation. Us renvoient donc à Lucrèce, non aux Stoïciens. Us ne sont pas, comme on pourrait être tenté de le croire, le pastiche railleur d'un Epicurien critiquant la théorie stoïcienne du langage, mais un exposé ironique des idées épicuriennes sur cette même question: cf. infra.

Sur la relation entre le cri de la brebis et le verbe latin qui s'y rapporte, cf. également Varron, B. B., II, 1, 7: nec multo secus nostri ab eadem uoce, sed ab alia lit- tera (uox earum non me sed be sonare uidetur) oues baelare uocem efferentes, e quo post baiare dicunt extrita littera.

(2) Cf. Bücheier, p. 558 (423). Nous excluons le fragment 19 qui se trouve dans la liste de Bücheier: cf. infra, p. 94.

(3) Les sotadéens ou sotadiques, employés à Rome avant Varron par Ennius dans son 8ota (p. 217 Vahlen2) et par Accius dans ses Sotadica (p. 38 M.) sont des tétramètree ioniques majeurs catalectiques, formés de deux ioniques majeurs (- - ~ ^) suivis de trois trochées (des substitutions sont possibles). Leur rythme est mou, comme celui des galliambes auxquels ils s'apparentent (le galliambe est un tètra-

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d'Horace (x) prenant un ton pénétré d'oracle pour débiter des recettes de cuisine bourgeoise (2).

Ainsi, dès l'entrée de notre étude, nous rencontrons la présentation dialoguée dont il est fait abondamment usage dans les Ménippées. L'emploi de ce procédé, que nous retrouvons dans plusieurs autres écrits var- roniens (3), n'est pas pour surprendre: il permet de conférer à l'exposé la vie, la variété et l'apparence de spontanéité que Varron recherchait (4); de faire passer une leçon disputando et non docendo (5); de rendre la philosophie populaire; enfin de vaincre devant le lecteur ou l'auditoire l'adversaire qu'on s'est donné, soit qu'on le terrasse personnellement dans le débat, soit qu'on le laisse se déconsidérer lui-même, sans répliquer, par les propos qu'on lui prête.

Modèles et précurseurs ne manquaient pas: citons, d'après la savante thèse d'A. Maisack (6), l'Ancienne Comédie et spécialement son άγων, la Moyenne Comédie, la Nouvelle Comédie et le mime, le dialogue socratique, le symposion, le dialogue cynique, la sillographie, la fable, la lettre (qui est une moitié de conversation), la satura et les autres genres dramatiques latins, les causeries mondaines. Certaines de ces influences furent particulièrement déterminantes pour Varron: celle de 80-

mètre ionique mineur catalectique). Ils doivent leur nom au poète Sota (IIIe siècle avant J.-C.)· Cf. Della Corte 4, p. 142, η. 32.

Les trois passages poétiques des Aborigines (fr. 2, 3 et 4) sont de Varron lui- même. Dans les Ménippées varroniennes, comme dans le Satyricon de Pétrone, le nombre des créations poétiques originales l'emporte sur celui des citations (environ deux cents contre trente). Dans Γ Apocoloquintose de Sénèque, la proportion est renversée (quatorze contre six). Chez Lucien, les textes en vers sont tous des citations. Voir Scherbantin, p. 41. Si l'usage de Lucien en la matière respecte, comme c'est probable, celui de Ménippe, nous avons là une marque d'indépendance des auteurs latins à l'égard de leur modèle cynique: cf. Scherbantin, p. 48 et suiv.

{'■■) Horace, Sat., II, 4. (2) Cf. Cèbe, p. 301 et suiv. Dans notre texte, la parodie est moqueuse, sati

rique. Sur la distinction entre ce type de parodie et la parodie purement humoristique, sans arrière-pensée de censure, cf. Cèbe, p. 11; Hodgart, p. 28, 232-233.

(3) Cf. Boissier, p. 103, 351 et suiv.; Geller, p. 62. (4) Comme la plupart des Satiriques. Cf. Highet, p. 41: «le ton de l'improvi

sation — même si ce n'est qu'un faux semblant — est essentiel à ce genre d'écrit satirique » (la « satire-monologue » — cf. supra, p. 11, n. 5, et p. 1δ, η. 3 — qui est abondamment représentée dans les lettres latines).

(5) Cf. Greller, p. 63; Witke, p. 273. Sur le caractère factice de ces dialogues satiriques, qui ne sont pas autre chose que des monologues déguisés, cf. Highet, p. 63.

(6) A. Maisack, Das dialogische Element in der römischen Satire, diss. Tübingen, 1949, p. 3-19.

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crate et des Cyniques, bien sûr (*), et aussi celle du théâtre comique, qui joua un très grand rôle dans l'élaboration des Ménippées (2). O. Hir- zel n'hésite pas à dire que la Ménippée varronienne s'identifie avec le drame (atellane et mime) (3); mais c'est visiblement aller beaucoup trop loin: H. Dahlmann objecte justement qu'à la différence du drame la ménippée ne comporte pas d'action (4); on pourrait ajouter nombre d'autres arguments qui ne tombent pas moins sous le sens (5). Il convient de noter encore qu'Ennius et Lucilius avaient déjà introduit des dialogues dans leurs satires (e). Après Varron, l'entretien avec un in

terlocuteur nommément désigné ou anonyme ne disparaîtra pas de la satire poétique (sermones d'Horace (7), Perse, Juvénal), ou ménippée (Apocoloquintose de Sénèque), mais ne cessera de perdre du terrain et, abandonnant sa vivacité dramatique, deviendra, sous l'Empire, tout artificiel et rhétorique (8). Il n'est pas rare que Varron mette des vers

(*) Le dialogue était devenu le moyen d'expression caractéristique et pour ainsi dire attitré des Cyniques: cf. C. W. Mendell, Satire as Popular Philosophy, dans OPh, 15, 1920, p. 152: le dialogue « had become rather identified with that sect » (celle des Cyniques) « as had the epistle with the Epicurean ». La diatribe, spécialité cynique, est une variante du dialogue.

(2) Voir Boissier, p. 68-70; Riccomagno, p. 55-57, 63-65, 95-97; Bolisani, p. xlv- xlvii: Marzullo, p. 6, 7, 62 et suiv.; Knoche, p. 43; Scherbantin, p. 99 et suiv. Ces affinités avec la comédie ne sont pas singulières: comme le fait observer J. Grana- rolo (D'Ennius. . ., op. cit., p. 159), « à Eome il n'a jamais existé de séparation radicale entre le théâtre et les autres genres poétiques », notamment entre le théâtre et la satire: témoin Lucilius, qui emprunta beaucoup à l'Ancienne Comédie (cf. Horace, Sat., 1, 4, 1-7), à la Nouvelle, et à la palliata.

(3) Hirzel, p. 442 et suiv. (4) Dahlmann 1, col. 1274. De son côté, B. P. Mac Carthy (The Form of Varrò' s

Menippean Satires, The Univ. of Missouri Studies, 11, 1936, p. 95-107) montre que, si les Ménippées varroniennes offrent de nombreux « narrated dialogues » (dialogues recomposés par l'auteur et inclus dans la trame d'un récit ou d'une diatribe), on ne saurait assurer qu'elles comportaient des « dramatic dialogues » comparables à ceux du théâtre.

(5) M. Hodgart explique avec beaucoup de finesse et de perspicacité (Hodgart, p. 187-189) pourquoi la comédie ne peut pas fusionner avec la satire: les deux genres ont recours aux mêmes procédés; mais iJs les utilisent dans un esprit différent et à des fins différentes. Tout compte fait, on a, sauf exception, « plus de chance de trouver les éléments essentiels de la satire dans la tragédie ou dans la tragi-comédie que dans la comédie». Voir aussi Highet, p. 154-156; Witke, p. 2 et suiv.

(e) Cf. A. Maisack, op. cit., p. 8, 10, 102 et suiv., 107 et suiv., 142; Knoche, p. 18. (7) Sermo traduit approximativement le grec διατριβή. (8) Cf. A. Maisack, op. cit., p. 20-101, 142.

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dans la bouche des personnages — poètes, érudits, acteurs, etc. — qu'il fait dialoguer dans les Ménippées (x). Si les fragments 2 et 3 doivent bien être attribués à un Epicurien, ils nous offrent un exemple de cette pratique.

— grundit, mugit, balat, hinniunt, pipai: la diversité de ces verbes « techniques » a pour but de souligner la variété et la spécificité des cris qu'émettent les différentes espèces animales. A. Marzullo compare les chapelets de vocables que les auteurs comiques aiment à faire défiler dans leurs tirades (2): Varron exploite à plusieurs reprises cette ressource expressive et n'est pas le seul Satirique à l'exploiter (3). Elle est aussi mise à profit par les épigrammatistes (Martial).

P. Della Corte note avec raison que la liste de cris d'animaux dressée par Varron était peut-être plus longue que nos deux fragments ne nous le font imaginer (4).

— mola mactatus. Eemarquer l'allitération. Dans cette expression, sur laquelle L. Eiccomagno commet un contresens (5), maetare a une acception dérivée de sa valeur primitive: « pourvoir quelqu'un d'une chose bonne ou mauvaise, gratifier, donner » (avec le nom de la chose donnée à l'ablatif) (6). Exemples: Plaute, Poen., 517: mudare infortunio;

ί1) Cf. Geller, p. 60. (2) Marzullo, p. 4. Cf. par exemple Plaute, Aul., 505 et suiv.; Mere, 25-31. Sur

ces enumerations, voir aussi B. Denzler, Der Monolog bei Terenz, Zurich, 1968, p. 81-82. M. Denzler montre que Ménandre et Plaute, qui décrivent le monde extérieur dans sa bigarrure colorée, se plaisent à accumuler des mots concrets — noms de divinités, de personnes, de parties du corps, de vêtements, etc.; que Terence, au contraire, a une visible préférence pour les termes qui expriment des notions abstraites ou des dispositions de l'âme: cf. par exemple Terence, Ad., 303: uis egestas iniustitia soli- tudo infamia. Dans les fragments conservés de l'Ancienne et de la Moyenne Comédies, les listes de mots concrets, analogues à celles de Monandre, abondent (on a surtout des files interminables de noms d'aliments ou d'ustensiles de cuisine): cf. par exemple Cratinos, 98 Kock; Phérécratès, 45, 100, 148, 175 Kock; Eupolis, 14, 228 Kock; Antiphane, 142, 189, 193, 236, 275, 302 Kock; Anaxandridès, 41, 65 Kock; Eubule, 38, 63, 110 Kock. Voir aussi (pour la togata romaine) Titinius, 90, 163- 164 Ribbeck; Afranius, 142 Ribbeck.

(3) Cf. Geller, p. 7. (4) Della Corte 4, p. 145, η. 4. (5) Riccomagno, p. 68. Cf. supra, p. 18. (6) Pour une autre construction de maetare avec la même valeur (accusatif de

la chose donnée, datif de la personne à laquelle on donne), cf. Nonius, p. 341, 1. 33 (citation du De uita pop. Rom. de Varron): quod calendis luniis et publiée et priuatim fabatam pultem dis mactant.

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Ennius, αρ. Serv., ad Verg., Aen., IX, 641: mactatu' triumpJio; Piaute, Aul., 535: dotatae mactant et molo et damno uiros; Piaute, Most., 61: mala re... mactari. Voir Ernout-Meillet, s. ν. mactus macie, p. 577: emaciare, interprété comme magis auctare, est devenu dans la langue commune synonyme de afßcere, donare, et s'est dit indifféremment en bonne ou mauvaise part ( . . . ). Ces expressions appartiennent à la langue de l'époque républicaine ». On traduira donc, mot à mot: « le porc à qui on a donné » ou « qui a reçu de la mola ». Quant à ce dernier vocable, on ne lui attribuera évidemment pas la signification rituelle qu'il a banalement dans les textes (« farine sacrée ») [}). Dans l'antiquité, les porcs étaient engraissés avec les résidus de la meunerie (2). Ils ne restaient à la mamelle que pendant un court laps de temps après leur naissance (3). On pourrait donc comprendre, en suppléant par la pensée un uel entre tepido lade satur et mola mactatus: «le porc rassasié de lait (naissant) ou nourri de farine (adulte) grogne (de satisfaction) ». Mais une deuxième interprétation, que nous a suggérée notre ami Cl. Vatin, est, nous sem- ble-t-il, meilleure. Les éleveurs romains donnaient certainement à leurs porcs du petit lait. Or l'animal (adulte) de notre fragment a, lui, absorbé non pas du petit lait mais du vrai lait, non pas des résidus de meunerie mais de la vraie farine (mola). C'est une nourriture extraordinaire, une nourriture de luxe, de fête, qui lui arrache comme il se doit des grognements de plaisir. Avantages de cette solution: elle explique mieux que l'autre mola et le mot porcus n'y désigne pas, comme dans l'autre, à la fois le porcelet de quelques jours et le porc après sevrage.

— tepido lacté: tepidum est une des épithètes de nature de lac: cf. Ovide, Met., VII, 247; IX, 339; F., IV, 548, 746.

0) Cf. Thes. l., L., s. v. mola, Vili, col. 1335-1336; CIL, IV, 2604; 5745 et suiv.; NSA, 1914, p. 199; 1929, p. 198.

(2) Cf. Xénophon, Mem., II, 7, 6; Plaute, Capt., 807: Turn pistores scrofipasci, qui aluni furfuribus sues. . .

« pour les meuniers engraisseurs de truies, qui nourrissent de son leurs pourceaux » (trad. A. Ernout); P. Guiraud, op. cit., p. 512. Ils mangeaient aussi des glands, des fèves, de l'orge et d'autres céréales: cf. Varron, B. B., II, 4, 4.

(3) Cf. Varron, B. B., II, 4, 16: cum porci depulsi sunt a mamma, a quibusdam delici appellantur neque iam lactantes dicuntur, qui a partu decimo die habentur puri et ab eo appellantur ab antiquis sacres, quod turn ad sacrificium idonei, « lorsque les porcs ont été écartés de la mamelle, ils sont appelés par certains delici (« sevrés ») et on ne les dit plus lactantes (« cochons de lait »); le dixième jour après la naissance, on les tient pour purs et, à partir de ce moment -là, les anciens les appellent sacres parce qu'ils sont bons pour le sacrifice ».

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— bouts: pour de mauvaises raisons métriques et sous prétexte que la forme bonis, au Ier siècle avant notre ère, était sortie de l'usage (x), Lachmann (voir apparat critique) rétablit bos. Nous ne saurions accepter sa correction: bonis est un des multiples archaïsmes qu'on relève dans les Ménippées (ils ont pour objet de conférer à l'ouvrage cette teinte un peu désuète qui sied aux satires d'un ami du bon vieux temps); on avait de même, à date ancienne, un nominatif louis (2).

Remarquer la recherche dans l'agencement des mots (isosyllabie et chiasme): mugit bonis ouis balai (verbe-substantif sujet - substantif sujet- verbe) et le jeu de sons bonis - ouis. Ces traits de style renforcent notre conviction qu'il y a ici une parodie moqueuse.

Pour la scansion avec bonis (résolution de la première longue du deuxième pied: öuV bälät ë-), cf. Bücheier, p. 536 (402-403) et Eiese, p. 85. Pour d'autres observations sur la métrique des fragments 2 et 3 (en particulier épitrite deuxième au lieu de ditrochée dans Mnnïûnt gallina et satür mölä mäetatus), cf. Bücheier, p. 557-559 (422-424).

— Au texte du fragment 3, on peut adjoindre avec Lindsay (3) et F. Della Corte (4): Varrò asinos rudere, canes garrire, pullos pipare dixit qu'on trouve chez Nonius sous le lenirne garrire (5).

4. - Citation tirée par Nonius de Gloss. I (6). Dans les manuscrits, elle revêt les formes suivantes:

ita sublimis speribus (ou superibus, qu'on peut écarter d'emblée), iactato nomina tuo (ou nominatiuo qui n'a pas de sens et doit être rejeté) uolitantis altos nitens tr udito.

La leçon nomina tuo est inintelligible et manifestement erronée. Nous avons restitué nomina at uolitantis en nous expliquant ainsi la faute: les deux a de nomina et at ont d'abord été fondus en un seul par inadvertance (erreur courante), ce qui a provoqué une mauvaise divi-

(!) Cf. Varron, L. L., VIII, 74. (2) Cf. Varron, Ani. rer. div., XVI, ap. Aug., G. D., VII, 9. Sur les archaïsmes

dans les Ménippées, cf. Geller, p. 10. (3) Lindsay, ad lac. (4) DeUa Corte 4, p. 3. (6) Nonius, p. 450, 1. 7. (6) Cf. Lindsay, Nonius, p. 56.

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sion des mots: nomina tuo litantis. Ensuite, croyant à une omission par haplographie, un copiste a répété uo-\ nomina tuo uolitantis. La correction homines at uolitantis de certains éditeurs est donc légitime dans son principe. Mais il faut conserver nomina qui est dans les manuscrits et donne avec iactare un sens excellent (cf. Horace, Carm., I, 14, 13: voir infra, p. 30). E. Bolisani, de son côté, a tort de supprimer, entre nomina et uolitantis, la conjonction de coordination sans laquelle la mauvaise lecture et le t- du tuo des manuscrits ne se comprennent pas. Les autres corrections proposées ne méritent pas d'être discutées.

A Valtos des manuscrits nous préférons alios de Preller qui offre, à notre avis, un sens meilleur et permet de ne pas traduire uolitantis par « voltiger » qui ne convient pas. Il arrivé très souvent que les copistes prennent un i pour un t et inversement i1).

L'homme à qui Varron — ou quelqu'un d'autre — s'adresse dans cette vive apostrophe d'accent nettement cynique (2) (encore un dialogue) est sans nul doute un ambitieux. Comme l'a bien vu E. Bolisani (3), le Satirique blâme ironiquement ici le désir qu'ont beaucoup d'hommes d'échapper à leur sort et de s'élever dans le monde, en particulier par la gloire politique (4). De cette μεμψιμοιρία (« action de ne pas accepter son lot »), il est ailleurs question dans les Ménippées (5). C'est un thème

(1) Le fragment est indubitablement métrique. Nous y reconnaissons, comme Vahlen, des octonaires iambiques. Certains commentateurs, travaillant sur un texte différent, y découvrent des septénaires trochaïques ou des sénaires iambiques. Cf. Riese, ad loc.

(2) Les prédicateurs cyniques, adaptant un procédé populaire, avaient coutume de prendre directement à partie les vicieux et les stulti qu'ils s'efforçaient d' amender. Ils le faisaient parfois sur le mode ironique. Cf. la formule I nunc et. . . qui vient d'eux et a été copieusement imitée. Cf. aussi la série d'ordres sarcastiques adressés par le bon esclave Grumion au coquin Tranion dans Plaute, Most., 22-24:

Oies noctesque bibite, pergraecaminei, ... ; 63-64; et Horace, Sat., II, 3, 275 et suiv.

(3) Bolisani, p. 5. (4) Sur la soif des honneurs dans la Rome contemporaine, cf. ce qu'écrit Varron

dans le De uita pop. Bom·, (αρ. Non., p. 499, 1. 26): tanta porro inuasit cupiditas Jio- norum plerisque ut uel caelum mere, dummodo magistratum adipiscantur, exoptent, « qui plus est, une telle passion des honneurs s'est emparée de la plupart d'entre eux qu'ils souhaitent même voir le ciel s'écrouler, pourvu qu'ils obtiennent une magistrature ».

(5) Cf. aussi Horace, Sat., 1, 1, 22, 108 et suiv. Horace fustige à plusieurs reprises l'ambition politique, qu'il regarde comme une maladie, une espèce de folie, au même

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à la fois stoïcien (x) (on se souvient de la fameuse triade stoïcienne des έπι-9-υμίαι - φιλοδοξία, φιληδονία, φιλαργυρία ou φιλοπλουτία (2)), épicurien et cynique (cf. thème 12 a Oltramare: « les dons de la Fortune sont des prêts sans valeur »; 15 Oltramare: « la gloire n'est pas un bien »; 41 Oltramare: « il faut se contenter de ce qu'on a »; Bion, ap. Stob., Flor., V, 67: exhortation à fuir la μεμψιμοιρία).

Ainsi compris, le fragment 4 vérifie à son tour la conjecture que nous avons émise en entamant notre analyse: il dénonce, après le fragment 1, l'un des méfaits de la civilisation; en d'autres termes, il participe lui aussi de la condamnation du progrès qui trouvait place (quelle place exactement1? nous ne saurions le dire) dans les Aborigines.

Il n'est pas singulier que Varron soit passé d'une peinture de la vertueuse société antique à l'évocation d'un monde plus évolué mais en butte aux assauts du mal. Lucrèce en fait autant dans les vers qui nous ont occupés plus haut et, similitude notable, fustige comme Varron, après avoir traité de l'origine du langage, l'ambition, compagne de la richesse (3).

Cependant, la succession des facteurs n'est pas identique chez Lucrèce et chez Varron: Lucrèce parle, dans l'ordre, du langage, de la ri-

titre que l'avarice: cf. Horace, Sat., I, 4, 25-26; II, 3, 165-166, 179-186; Carni., Il, 16, 9-12; Έρ., II, 2, 205 et suiv.; C. W. Mendell, op. cit., p. 148, 150 et suiv.; P. Grimai, Horace de Vart de vivre à Vari poétique, dans Β AGB, 1964, p. 436 et suiv.; J.-M. André, op. cit., p. 469.

Sur le désaccord qui, au Ier siècle avant notre ère, opposait les philosophes au sujet de J 'ambition et de la gloire (les uns louant, comme le Moyen Portique, la noble φιλοτιμία et professant une véritable religion de la gloire, les autres adoptant l'attitude inverse), cf. J.-M. André, op. cit., p. 178-179.

(*) Cf. Riccomagno, p. 129. (2) Voir Norden 1, p. 74-77 (338-342). (3) Voir Boyancé 3, p. 260: Lucrèce juge que « la vie sociale a livré les humains

à l'ambition et à la cupidité », mères de la guerre. Même la musique ne trouve pas grâce devant le poète. Aux yeux d'Horace aussi, Vambitio est inséparable de Vaua- ritia (pour Lucrèce, on peut ajouter au passage cité le vers 59 du livre III:

Denique auarities et honorum caeca cupido):

cf. par exemple Horace, Carni., II, 16, 8-9, où purpura est associé à aurum: C. W. Mendell, op. cit., p. 150; J.-M. André, op. cit., p. 469. L'auteur de togatae Titinius fait, pour sa part, de l'ambition l'ennemie de la vertu en général:

Vbi ambitionem uirtuti uideas antecedere,

« où on voit l'ambition prendre le pas sur la vertu ».

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chesse et de l'ambition (x), alors que les fragments de Varron, tels que nous les avons rangés, se présentent ainsi: a) désir de posséder (cupi- ditas) ou d'avoir des statues divines; b) origine du langage; c) ambition. On peut se demander pourquoi nous avons retenu cet agencement qui fait problème et ne reflète pas la réalité historique au lieu d'aligner le texte de Varron sur celui de Lucrèce. C'est que la lex Lindsay nous y obligeait: en effet, dans une même « author sequence » du De compendiosa doctrina, notre fragment 1 se trouve avant le fragment 3 et donc aussi avant le fragment 2, puisque celui-ci fait couple avec le fragment 3. Il est vrai que les citations en cause proviennent d'un glossaire et non d'une édition originale de Varron; mais cela ne change rien à l'affaire, car Lindsay assure à bon droit (2) que, selon toute vraisemblance, les auteurs de glossaires latins procédaient comme Nonius lui-même, c'est- à-dire qu'ils ne bouleversaient pas l'ordre des passages cités (3).

Quoi qu'il en soit, pour curieuse qu'elle puisse paraître, cette légère interversion n'est pas de nature à infirmer notre interprétation de la pièce: écrivant une satire, Varron n'était pas astreint à respecter la chronologie comme Lucrèce, auteur d'un poème scientifique.

F. Della Corte, qui adopte la version suivante:

ita sublimis speribus iactato homines, at uolitantibus altos nitens trudito,

et traduit (4): « Così con sublimi speranze vanta i tuoi uomini e con ogni sforzo caccia quelli che volteggiano in alto », pense que Varron fait ici allusion à la possibilité qu'ont seuls les humains d'« émerger, de se distinguer de leurs semblables », possibilité qui est à la base du progrès (5).

(*) Entre le passage sur le langage et le passage sur la richesse s'intercalent des développements consacrés au feu et aux rois: voir Boyancé 3, p. 248 et suiv. Lucrèce s'occupe ensuite de la naissance de la justice et de la religion, puis de la découverte des métaux qui suscite les guerres, enfin des arts de la paix (fabrication des vêtements, agriculture, musique, comput du temps, poésie). Les éléments qu'on trouve chez Horace (Sat., I, 3, 99-112) sont moins nombreux: 1) découverte des armes; 2) des verbes et des noms; 3) fin des guerres, places -fortes; 4) invention des lois.

(2) Lindsay, Nonius, p. 4, 106. Cf. aussi supra, p. x, n. 2. (3) Pour tout arranger, il suffirait, bien entendu, d'admettre que l'ordre des

citations a été modifié par Nonius lui-même et, en conséquence, que nous sommes en face d'un des cas d'« anomalie » (le troisième) que nous avons plus haut énumérés (cf. supra, p. xi). Mais on ne peut que repousser cette solution de facilité, qui n'a aucune valeur probante.

(4) Della Corte 4, p. 144. (5) Della Corte 1, p. 74.

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Mais ce commentaire ne correspond ni à son texte (où uolitantibus est étrange), ni à sa traduction, qui est peu claire: que veut dire « vanta i tuoi uomini »? quel rapport y a-t-il entre cette expression et le reste du fragment? on s'explique, dans ces conditions, que F. Della Corte juge le passage « di non facile intelligenza e testualmente molto tormentato » (x).

Où doit-on situer dans l'histoire l'apparition des vices condamnés par ce fragment 4 et, peut-être, par le fragment 1 (si la cupiditas y est satirisée (2))? à une époque relativement récente: en effet, dans l'esprit de Varron, les maiores n'avaient ni le goût de la richesse et des objets précieux, ni l'amour des honneurs. Par suite, si le fragment 1 dénigre la passion de posséder, breui tempore n'y signifie pas « peu après la création de l'homme », ni même « peu après la découverte du langage articulé », mais « peu après la disparition des moeurs antiques ». Varron associe les maiores aux Aborigines dans le contraste qu'il institue entre ces derniers et les civilisés (3). La conclusion serait autre si les propos tenus en 1 et 4 étaient prêtés par Varron à l'Epicurien qu'il fait, selon nous, parler en 2 et 3 : il semble que, pour Lucrèce, un intervalle de temps assez court se soit écoulé entre la création du langage et celle de la richesse qui devait donner naissance à l'ambition (4). Mais nous avons

(*) Della Corte 4, p. 144. L'exégèse de Bücheier est moins vague, mais repose sur une leçon défectueuse (iactato homines: cf. supra, p. 26) et nous paraît beaucoup moins convaincante et moins bien accordée au texte que la nôtre (Bücheier, p. 536 (403)): « Ich beziehe es auf die steten Hoffnungen und Enttäuschungen des Menschen (etwa ein Wort der Göttervaters an die Cura) (...) wo nitens ähnlich wie Pransus par. II (fgt 422) gebraucht ist ».

(2) En revanche, si c'est des statues divines que Varron y parle, nous sommes ramenés cent-soixante-dix ans après la fondation de Rome: cf. Saint Augustin, Ο. D., IV, 31; Boyancé 2, p. 65.

(3) D'après Varron, le développement de l'immoralité à Rome ne remontait guère au-delà de sa génération: cf. par exemple Varron, B. E., III, 8 et 10. En réalité, comme cela n'avait pas échappé à d'autres, c'est dès le milieu du IIIe siècle que Rome s'enrichit et que cette richesse pervertit les mœurs: cf. E. H. Oliver, op. cit., p. 47 et suiv. Cependant, Varron n'est pas seul à retarder le début de la dégénérescence: sans aller aussi loin que lui, Tite-Live, Polybe, Salluste et Velleius Paterculus le font également: cf. E. H. Oliver, loc. cit.

(*) Encore que son expression demeure imprécise: Lucrèce, V, 1108-1109: Gondere coeperunt urbìs arcemque locare praesidium reges ipsi sibi perfugiumque,

« les rois commencèrent à fonder des villes, à choisir l'emplacement des citadelles,

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vu que 4 est probablement d'un Cynique, peut-être de Varron en personne.

— sublimisi soit «rendu altier, fier par... » (sur cette valeur de l'adjectif, cf. Horace, A. P., 165) soit plutôt, à notre avis, « porté jusqu'au ciel, exalté par ... ».

— speribus: cf. infra (350 Buch.). Archaïsme.

— iactato nomina: cf. Horace, Carm., I, 14, 13: iactes et genus et nomen inutile,

« (Tu as beau) . . . vanter ta race et ton nom inutiles ». Si, dans notre texte, le substantif est au pluriel, c'est sûrement parce que Varron a dans la pensée les tria nomina du citoyen romain (à moins qu'il ne s'agisse d'un pluriel emphatique?). A la critique de la gloire se joint ici un second thème cynique qui a fait fortune dans l'antiquité et ensuite (x), le thème 16 Oltramare: « la noblesse de naissance n'est pas un bien ».

— uolitantis: malgré sublimis, nous ne croyons pas que ce verbe ait sa signification propre de « voltiger, voleter ». Nous lui donnons l'acception qu'il a dans Cicéron, De or., I, 73, et Agr., II, 59, à savoir « s'agiter avec importance, se démener, se pavaner » (2). Varron a en vue les arrivistes concurrents de son ambitieux qui, comme lui, cherchent à se faire valoir et qu'il doit écarter de sa route s'il veut arriver à ses fins.

E. Bolisani en prend à son aise avec le texte. Il traduit: « les autres qui te font de l'ombre ». Où va-t-il chercher cette acception de uolitarei Extrapole-t-il à partir du sens que nous donnons nous-même au verbe: « tes concurrents se pavanent », donc « ils t'éclipsent, on ne voit plus qu'eux, ils te font de l'ombre »? Si oui, on avouera que l'extrapolation est un peu trop forte!

— nitens: pour cet emploi du mot, cf. C. Memmius, 1: ardua nec nitens Fortunae (eyscendere cliua, « et ne pas gravir avec effort les rudes sentiers de la Fortune » (A. Traglia, Poetae novi, Borne, 1962, p. 82).

afin d'y trouver pour eux-mêmes une défense et un refuge » (trad. A. Ernout); 1113: Posterius res inuentast aurumque repertum,

«plus tard fut inventée la richesse et découvert l'or» (trad. A. Ernout). (*) Cf. notamment la huitième satire de Juvénal et Molière, Don Juan, IV, 4:

« La naissance n'est rien où la vertu n'est pas ». (2) Forcellini (s. v.) donne pour équivalents iactare sese, efferri. Cf. également

Cicéron, Pis., XXV, 29: hominem uolitantem gloriae cupiditate.

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— iaetato, trudito: noter l'impératif futur, d'emploi normal dans les préceptes, traités didactiques, poèmes scientifiques, textes de lois, etc. Cf. Ernout-Thomas, p. 213; Cèbe, p. 81, 83, 272, 301, n. 7. La solennité de ces formes lourdes, tranchant avec la nature (sarcastique) des ordres donnés, a une résonance parodique qui souligne l'ironie. Celle-ci est également accentuée par le poétique sublimas et l'expressif uolitantîs.

* * *

5. - Texte sûr. Fragment extrait par Nonius de Gloss. I i1). Il pouvait, cela va de soi, précéder aussi bien que suivre 1-4. Il n'a aucun lien décelable ni avec eux ni avec le titre.

A quoi tend cette sortie (de Varron ou d'un autre) contre la supériorité généralement concédée aux vieillards sur les jeunes gens? peut-être à critiquer ceux qui, tels Platon dans la République (2), veulent que les responsabilités de gouvernement soient confiées à des hommes de cinquante ans au moins; peut-être à détruire l'argumentation d'un interlocuteur qui, pour justifier son opinion, a allégué qu'il était vieux, donc raisonnable, ou qu'il partageait cette opinion avec un homme âgé; mais ce ne sont que deux hypothèses parmi plusieurs.

En tout cas, il est indiscutable que Varron, dans ce texte, prend le contre-pied d'Aristote (3) et de Cicéron (4), pour qui sagesse et vertu sont l'apanage de la vieillesse (5). Il laisse entendre qu'on ne devient pas sage et vertueux avec le temps, mais par la lutte et après apprentissage.

(*) Lindsay, Nonius, p. 40. (2) Cf. L. Robin, op. cit., p. 241. (3) Aristote, Pol., 1332 b, 35 et suiv. (4) Cicéron, G. M., 33. On aurait tort d'en déduire, même si on n'accepte pas

notre chronologie, que les Aborigines furent composés après le Goto Maior. On se leurre pareillement quand on prétend que la satire Tithonus περί γήρως (qui est, elle, un éloge de la vieillesse) fut inspirée à Varron par le dialogue cicéronien, sous prétexte qu'il n'en est pas fait mention dans celui-ci: cf. Bignone, p. 323. Gontra Della Corte 4, p. 132. Aucun indice interne, répétons-le, ne nous fournit la date des Aborigines.

(5) Voir Dyroff, Der Peripatos über das Greisenalter, Paderborn, 1939, p. 75. Censorinus rapporte (De die natali, XIV, 7) que Solon pensait de même que « la sagesse et la maîtrise de la langue » atteignent leur plus haut degré d'achèvement à partir du septième âge de l'homme (quarante-neuf ans).

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Nous avons affaire (ce que semblent ignorer la plupart des commentateurs du fragment) à l'adaptation d'un proverbe connu que nous livrent Ménandre et Publilius Syrus: cf. Ménandre, 639 Kock (*):

ούχ αί τρίχες ποιουσιν αϊ λευκαί φρονεΐν, άλλ' ό τρόπος ένίων εστί τη φύσει γέρων,

« ce ne sont pas les cheveux blancs qui rendent sage, mais le caractère de quelques-uns est naturellement mûr »; Monost., 705:

πολία χρόνου μήνυσις, ού φρονήσεο^ς,

« les cheveux blancs marquent les années et non pas la sagesse »; Publilius Syrus, Sent., 590 Eibbeck:

Sensus non aetas inuenit sapientiam,

« c'est la raison et non l'âge qui découvre la sagesse » (2). Nombreux sont les fragments et les titres de Ménippées dans lesquels Vairon s'inspire de proverbes ou de façons de parler proverbiales (3).

H Cf. aussi Paroem., II, Apost., XIII, 39 n, p. 583. (2) Cf. aussi Plaute, Trin., 367: Non aetate, uerum ingenio apiscitur sapïentia,

« ce n'est point le temps, mais le naturel qui donne la sagesse » (trad. A. Ernout). Voir M. Maloux, Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, Paris, 1960, s. v. Vieillesse et sagesse, p. 546. Signalons qu'on rencontre chez Ménandre un autre proverbe qui complète la pensée: 676-677 Kock:

Εί τάλλ' άφαιρεϊν ό πολύς ε'ίω&εν χρόνος ημών, τό γε φρονεΐν άσφαλέστερον ποιεί,

« s'il est vrai que le grand âge nous ôte ordinairement tout le reste, du moins rend-il la sagesse plus sûre». Cf. Plaute, Trin., 368: Sapienti aetas condimentum, «le temps assaisonne la sagesse ».

(3) Cf. Scherbantin, p. 93; Lenkeit, p. 39. Ce trait n'est pas dû seulement à l'imitation des Cyniques (sur les adages et maximes dans la diatribe, cf. Th. W. Rein, Sprichwörter bei Lukian, diss. Tübingen, 1894, passim; G. A. Gehrard, Phoinix von Kolophon, Leipzig, 1909, p. 94 et suiv.). Il faut faire intervenir aussi: 1°) le goût romain des proverbes (cf. Scherbantin, p. 93); 2°) le fait que les proverbes appartiennent à la langue populaire, qui est largement exploitée par tous les Satiriques latins, y compris Varron, soit pour accuser le réalisme de leurs œuvres, soit pour mettre leur lecteur à l'aise en lui donnant le sentiment qu'ils sont de plain-pied avec lui, ne le jugent pas et n'entendent pas lui en imposer, mais au contraire veulent lui parler familièrement comme à un ami (Horace). La satire, qui prend ses sujets dans la vie quotidienne et se réclame de la philosophie populaire (cf. supra, p. 21; C. W. Mendell, op. cit., p. 155, 157 et passim), a tout naturellement recours à Γ« Umgangsprache » ou au parler trivial. Son style ne s'élève, à l'occasion, que pour éviter la monotonie, égayer les compo-

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Mais il n'est pas moins assuré qu'à travers cet adage s'exprime une idée chère aux Cyniques et à Varron lui-même: cf. thèmes 49-54 Oltra- mare, notamment: «la raison est la condition essentielle de la vertu » (49), et «l'énergie est une condition essentielle de la vertu» (51); thème 69 Ol- tramare: «la vertu peut être enseignée»: infra, 559 Buch. (x).

— Canterine: « un cheval hongre » (2), d'où « un bidet, une rosse » (3). Ce substantif désignait en particulier les mauvaises montures qui, aux Consualia, menées par des clowns écuyers (spatiatores), disputaient une course burlesque parodiant les courses sérieuses (4). Le mot a une résonance tout ensemble populaire (campagnarde) et dépréciative, comme le diminutif uetulus qui l'accompagne (pour uetulus, cf. infra). Détail remarquable, il était appliqué de façon métaphorique, dans le sermo

sitions par des effets humoristiques, ou souligner la gravité des thèmes abordés: cf. Witke, p. 269. On sait combien, de leur côté, les auteurs comiques et Plaute en particulier aiment user des maximes pour conférer à leurs tirades un tour à la fois familier et sentencieux: cf. Otto, p. 425-428.

(x) Cicéron se réfère lui aussi à la maxime précédemment citée (ούχ αϊ τρίχες...), mais en la transposant pour les besoins de son argumentation favorable à la vieillesse: Cicéron, G. M., XVIII, 62: non cani nee rugae repente auctoritatem adripere possunt, sed honeste acta superior aetas fructus capii auctorìtatis extrêmes, « ni les cheveux blancs ni les rides ne peuvent nous conquérir soudain le prestige; mais quand on a vécu dignement sa vie passée, on recueille le prestige comme le fruit de la fin » (trad. P. Wuilleumier). Cf. également Sénèque, Brev., VII, IO: Non est itaque quod quemquam propter eanos aut rugas putes diu uixisse: non ille diu uixit, sed diu fuit, « tu n'as donc pas lieu de conclure des cheveux blancs ou des rides de quelqu'un qu'il a longtemps vécu: il n'a pas longtemps vécu, il a longtemps été » (trad. A. Bourgery); Diogene Laërce, VII, 4, 71 (à propos de Cléanthe): Πολλάκις δέ και έαυτω επέπληττεν ών άκουσας 'Αρίστων « τίνι, £φη, έπιπλήττεις; » και δς γελά- σας ' « πρεσβύτη, φησί, πολίας μέν έχοντι, νουν δέ μή », «souvent aussi, il se morigénait lui-même; entendant ces reproches, Ariston lui demanda: ' qui donc morigènes-tu? ' Lui, en riant, répondit: ' un vieillard qui a des cheveux blancs, mais pas de cervelle ' ». Voir O. Hense, Teletis reliquiae, réimpr. anastat. de l'éd. de 1909, Tübingen, 1969, p. cxxi.

(2) Cf. Varron, B. B., II, 7, 15. (3) Sur l'étymologie de canterius, cf. V. Cocco, Lai. cantherius, cavallo castrato

e la nuova base mediterranea kanih-, curva, rotondila, dans SE, 16, 1942, p. 387 et suiv.

(4) Cf. Arnobe, VII, 41; J.-G. Préaux, Ars ludicra. Aux origines du théâtre latin, dans AG, 32, 1963, p. 63-77; Cèbe, p. 23. Voir aussi Macrobe, III, 14, 9 (portrait satirique dessiné par M. Caton du sénateur Caelius, qu'il traitait de spatiator et de fe- scenninus: «descendit de cauterio, inde staticulos dare, ridicula funder e n, «il descend de sa rosse, puis exécute une danse sur place et lance des bouffonneries »).

J.-P. CKBK

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eottidìanus et la comédie, à des hommes âgés (x). En choisissant cette tonalité, Varron entend dépouiller la vieillesse de la révérence dont on l'entoure d'ordinaire, surtout dans son pays (2); il la traite avec la franchise crue, brutale, populacière, d'un disciple des Cyniques. Impression que renforce l'aspect aphoristique de la phrase.

— Nouellus, de même que uetulus, semble avoir été primitivement un terme de la langue rustique. Il qualifie fréquemment, comme ici, un animal — nonetti boues, nouella gallina, etc. (3).

Les diminutifs sont nombreux dans les Ménippées de Varron (imitation des Comiques) et sont plus souvent dérivés de substantifs que d'adjectifs (4). Sont formés sur des adjectifs, en dehors de nos uetulus et nouellus: formonsula (176 Buch.), meliuscula (173 Buch.), misellus (205 Buch.), nigellus, paruulus, suppaetulus (375 Buch.), pusillus (279 Buch).

(!) Cf. Plaute, Cist., 307; Pomponius, 112 Kibbeck: magnus manduco camelus canterina; Apulée, Met., IX, 13; Marzullo, p. 5.

(2) Cf. Antiphane, 219 Kock: Σοφόν γέ τοί τι προς το βουλεύειν έχει το γήρας, ως δή πολλ' ίδόν τε καΐ παθόν,

« La vieillesse fait preuve de sagesse dans ses projets, pour avoir beaucoup vu et beaucoup éprouvé »; Plaute, Most., 1148 (trad. A. Ernout):

Sapere istac aetate oportet qui sKunty capite candido, « à ton âge, on doit avoir un peu de bon sens, avec ces cheveux blancs »; Publilius Syrus, Sent., 554 Kibbeck: quod senior loquitur, omnes consilium putant, « ce que dit un vieillard est regardé par tous comme l'expression de la sagesse ».

N'oublions pas que, pour leur part, les Comiques et spécialement Plaute ridiculisent les pères « barbons » qui s'opposent à leurs fils « blondins ». Cf. Cicéron, Lae., 99-100 (trad. L. Laurand): «... tous ces stupides vieillards de comédie. . . C'est, en effet, même au théâtre, un rôle des plus sots que celui des vieillards imprévoyants et crédules ». Sur les senes de la comédie, voir G. E. Duckworth, The Nature of Roman Comedy. A Study in Popular Entertainment, Princeton, 1952, p. 242-249. Sur le sens profond (psychanalytique) de l'antagonisme père-fils ou du triomphe de l'esclave callidus sur son vieux maître, cf. Ch. Mauron, Psychocritique du genre comique, Paris, 1964, passim; E. Segal, Boman Laughter. The Comedy of Plautus, Cambridge, 1968, p. 13 et suiv., 114 et suiv. (qui écrit justement, p. 119, que les Komains « étaient réputés pour leur attitude respectueuse envers les personnes plus âgées »).

(3) Cf. Varron, B. B., II, 3, 1: nouella (seil, capra) enim quam uetus utilior; II, 9, 3: catuli et uetuli; III, 7, 8; III, 9, 9; Plaute, Mere, 314: uetulus decrepitus se- nex; 525.

(4) Cf. Lenkeit, p. 39.

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— Canitudo: par synecdoque «la vieillesse». Mot très rare: on ne le rencontre qu'ici et une fois chez Plaute (l). En revanche, canities avec le même sens est commun (2). Pour le tour canitudini cornes, cf. Publilius Syrus, Sent., 270 Ribbeck: beneficia quis cornes est metus; Lucrèce, VI, 1159; Ovide, Tr., II, 15; Stace, TJieb., I, 130; Apulée, Plat., II, 6; Thés. l. L., 3, s. v. cornes, p. 1775-1776.

* * *

On se rend compte par ce commentaire qu'E. Norden allait trop vite en besogne quand, étudiant les Ménippées, il laissait de côté les Aborigines, parce que, sur cette satire, « étant donné le petit nombre de ses fragments, on n'est à même de proposer que de vaines conjectures » (3).

(*) Plaute, Fragm. ine., 7 = Paulus ex Festo, p. 62. (2) Cf. Virgile, Aen., X, 548; Horace, Oarm., I, 9, 17; II, 11, 8; Properce, I,

8, 46; Juvénal, X, 208; Apulée, Met., IV, 26; Thés. l. L., III, s. v. canities, p. 260-261. (3) Norden 1, p. 27 (292).

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AGATHO

Agathon

I

6 (6) neque auro aut genere aut multiplici scientia sufflatus quaerit Socratis uestigia

et, sans être enflé d'orgueil par son or, sa famille ou son savoir encyclopédique, il recherche les traces de So crate

Π

7 (7) numnaiïi caelatus in manu dextra scyphus, caelo dolitus, artem ostentat Mentoris?

est-ce que par hasard cette coupe ciselée, je veux dire. . . dégrossie au burin, que tu tiens de la main droite, ferait vraiment voir l'art de Mentor?

III

8 (8) quid tristiorem uideo te esse quam antidhac, Lampadio? numquid familiaris films

6 Nonius, p. 46, 1. 28: SVFFLATVM dicitur proprie tumidum, erectum et quasi iiento quodam elatius factum. Varrò Agathone: «neque... uestigia».

7 Nonius, p. 99, 1. 15: DOLITVM quod dolatum usu dicitur, quod est percae- sum, uel abrasum, uel effossum. Varrò Agathone: « numnam. . . Mentoris » et p. 436, 1. 10: CELAEE et caelare hanc habent diuersitatem quod est celare tegere, abscon- der© (...), caelare insculpere. Varrò Agathone: «numnam... Mentoris».

8 Nonius, p. 187, 1. 11: VIKGIDEMIAM ut uindemiam hoc est uirgarum ad- paratum uel demptionem uel decerptionem ob uerbera. Varrò Agathone: «quid... uirgidemiam ».

Agathone] Agatone H G L p. 167, 247, 436 || 7 caelatus: del. Biese celatus Müller \\ dolitus] politus Diibner || 8 Varrò Agathone: « quid. . . » Lindsay Buch. Bo- lisani: Varrò Agathone * * * Naevius Lampadione: « quid. . . » Boeper Vahlen || antidhac corr. Carrio: angit hac coda. || Lampadio? numquid corr. Mercerus: Lampa- dionem quid codd. || familiaris corr. éd. Non. 1526: familiäres codd. ||

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AGATHO 37

amat nee spes est auxili argentana ideoque scapulae metuunt uirgidemiam'?

pourquoi te vois-je plus chagrin qu'auparavant, Lampadion? le fils de ton maître est-il amoureux, sans escompter nulle aide financière et tes épaules craignent-elles pour cela une vendange de coups de verge?

IV 9 (11) uirgo de conuiuio abducatur ideo quod maiores nostri

uirginis acerbae auris ueneriis uoeabulis imbui noluerunt il faut éloigner les jeunes filles du banquet, car nos ancêtres ne voulaient pas qu'une jeune fille, avant d'être nubile, eût les oreilles pleines des mots de Vénus

V 10 (10) pueri obscenis uerbis nouae nuptulae aures returant

par leurs propos obscènes, les garçons ouvrent les oreilles de la jeune petite mariée

VI 11 (14) dulos (δοϋλος) esti (έση) quia meret hominem et seruum

facit c'est une passion servile (que l'amour) parce qu'il achète l'homme et en fait un esclave

9 Nonius, p. 247, 1. 24: ACERBVM incoctum praecocum: ut de pomis frequen- tius dicitur. Varrò in Agathone: «uirgo... noluerunt» et p. 521, 1. 23: INBVERE consuetudo inducere existimat, cum sit proprie maculare uel polluere inflcere. (...) Varrò Agathone: « ideo. . . noluerunt ».

10 Nonius, p. 167, 1. 5: RETVRARE aperire contra id quod dicitur opturare. Varrò Agathone: «pueri... returant » et p. 357, 1. 1: OBSCENVM est immundum (...) Varrò Agathone: « pueri. . . returant ».

11 Nonius, p. 345, 1. 6: MERET humillimum et sordidissimum quaestum ca- pit (...) Varrò Agathone: « dulos. . . facit » (...) unde et mercennarii et meretrices dicuntur.

nec corr. Carrio: haec codd. || argentana] argentarli Carrio || uirgidemiam Scaliger Bolisani Della Corte: uirgindemiam Lindsay uirgarumdemiam codd. || 9 abducatur ] abdicatur Pius abducebatur Baehrens |j ueneriis edd.: ueneris codd. || noluerunt] uo- luerunt H1 G L p. 247 || 10 obscenis] obscenos G1 p. 167 || nuptulae: nuptae H L p. 167 nupte G p. 167 \\ returant: redurant Genz p. 357 res durant E p. 357 reiu- rant AA DA restaurant BA L p. 357 habeant H G L p. 167 obturant Popma \\ 11 dulos (δούλος) esti (εστί) scripsi: Duloreste codd. Lindsay Buch. Della Corte δου-

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38 AGATHO

VII 12 (12) et pueri in aedibus saepius pedibus offensant dum

centes musteos in oarnario fluitare suspiciunt

et les enfants, dans les maisons, bronchent souvent en levant les yeux, dans la dépense, vers les nouveaux (fromages) frais qui flottent pendus

VIII 13 (13) quid multa! factus sum uespertilio, neque in muribus

piane neque in uolucribus sum

bref, me voilà devenu chauve- souris; je ne suis entièrement ni de la race des souris, ni de celle des oiseaux

IX 14 (9) haec postquam dixit cedit citu' celsu' tolutim

ayant ainsi parlé, il s'en va rapidement, le port altier, au galop

12 Nonius, p. 400, 1. 15: SVSPICERE susum aspicere (...) Varrò Agathone: « et pueri . . . suspiciunt ».

13 Nonius, p. 47, ]. 2: VESPERTILIO animal uolucre, biforme (...) Varrò Agathone: «quid... sum».

14 Nonius, p. 4, 1. 17: TOLVTIM dicitur quasi uolutim uel uolubiJiter (...) Varrò Agathone: « haec. . . tolutim ».

λοπρεπέστερον Dübner (Bull. arch. Athen, français, 1885, p. 167) Biese δουλοπρεπώς Oehler δοϋλος &ρως έστι Popma Bolisani Varrò Agathone * * * Pacuvius Duloreste Nähe (Ind. led. Bonn., 1822), || quia] qui Lindsay Buch. Bella Corte || meret Näke Bolisani Della Corte: merita codd. Lindsay Buch, méritât Faber || et seruum codd. Lindsay Della Corte: ex se seruum Müller se seruum Mercerus Bolisani. || 12 et ] ut Vahlen Biese Müller || offensum AA || récentes del. Vahlen Forcellini (s. v. Musteus) Della Corte || museos AA || caseos add. Della Corte || fluitantes Lau- renberg || ut pueri in aedibus / saepius pedibus offensant, dum recente», musteas / in carnario fluitantes suspiciunt succidias (?) Müller || 14 celsu'] altus Bolisani.

Cette satire avait pour cadre un banquet (x). Elle ne portait pas, quoi qu'en dise E. Norden, sur Γ« organisation des banquets » (2): ainsi que le montre son fragment 7, elle mettait en scène des convives

(x) Cf. Riese, p. 28; Riccomagno, p. 63, 90; Scherbantin, p. 88; Geller, p. 61. (2) Norden 1, p. 59 (324): « in hoc satura de conuiuiis instituendis agi fragmenta

indicant ».

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AGATHO 39

s'entretenant à table. Nous reconnaissons là le motif du symposion, motif très goûté de Varron et de nombreux autres écrivains antiques (Xéno- phon, Platon, Aristote, Zenon, Epicure, Aristoxène, Héraclide de Ta- rente, etc.). Le symposion n'était, à l'origine, qu'un dialogue d'un type spécial, puisqu'il dérivait du dialogue socratique (cf. supra, p. 21); mais bien vite il acquit son autonomie et ses caractères distinctifs se fixèrent (!). Les premiers symposia groupaient exclusivement des philosophes; mais cette limitation disparut sans tarder et le genre admit ensuite des commensaux de toute sorte. Spécialement réputés sont les banquets parodiques d'Horace (2) et de Pétrone (3), qui perpétuent dans les lettres latines une déjà longue tradition: il y a des banquets chez Lucilius (livres V, XX, XXVIII) et dans les Satires d'Ennius (livre III) (4). Varron, pour ses symposia, était certainement redevable à ce legs national; mais il subit aussi l'influence des Grecs et avant tout de Ménippe, qui avait lui-même écrit un symposion (parodique) (5). Autant que le dialogue, la forme de présentation vivante, animée du banquet convenait au dessein qu'il s'assignait en rédigeant les Ménippées (6).

(M Cf. A. Maisack, op. cit., p. 10. (2) Horace, Sat,, I, 8: satire dite «du repas ridicule». Cf. Cèbe, p. 224. (3) Pétrone, XXVI-LXXVIII: c'est la célèbre cena Trimalchionis. Cf. Cèbe,

loc. cit. (4) Cf. Knoche, p. 30 et suiv.; A. Maisack, op. cit., p. 104. Sur le symposion,

on consultera J. Martin, Symposion. Geschichte einer literarischer Form, Paderborn, 1931, passim; L. R. Shero, The Gena in Roman Satire, dans CPh, 18, 1923, p. 126 et suiv.; A. Maisack, op. cit., p. 10-12.

(5) Cf. Athénée, XIV, 27, p. 629; Scherbantin, p. 12. Méléagre de G-adara, contemporain de Varron et disciple de Ménippe, écrivit lui aussi un Συμπόσιον qui était une satire ménippée (cf. Athénée, XI, 502 c). Il n'en reste, à part le titre, qu'une citation. Cf. également Le Banquet ou Les Lapithes de Lucien (symposion nuptial parodique) et le Συμπόσιον de l'empereur Julien. Rappelons en outre la place concédée aux banquets (sans discussion philosophique!) dans le théâtre comique, dont nous avons dit l'influence sur Varron: cf. Ph. E. Legrand, Daos. Tableau de la comédie grecque pendant la période dite nouvelle, Paris, 1910, p. 240 et suiv.

(6) Cf. supra, p. 21; Riccomagno, p. 63: «Pour introduire la discussion, toute situation était bonne; le thème le plus fréquemment traité était peut-être celui du symposion, tiré directement de la littérature philosophique grecque » (voir aussi Riccomagno, p. 90 et suiv., 113); Riese, p. 28: « persaepe conuiuium instituisse uidetur siue philosophorum siue aliorum hominum in quo sermonum conuiualium occasione quae uoluit commode inducere poter -at »; Geller, p. 61. Sur les ressources que le motif de la « dinner-party » offre aux écrivains pour dévoiler le caractère des convives, cf. Witke, p. 70.

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Où avait lieu le symposion d'AgathoÎ sans hésitation possible à Borne, ou, du moins, en pays latin: les fragments 9 et 10, avec leur allusion aux fescennins et leur référence aux maiores, l'attestent; un autre signe se laisse découvrir dans le fragment 7: en effet, la vogue des objets ciselés importés de Grèce fut très grande en Italie au Ier siècle avant J.-C. i1).

Il ressort de là qu'Agathon, qui donne son titre à l'ouvrage, ne pouvait y intervenir personnellement, en chair et en os, s'il s'agit bien du poète tragique grec contemporain de Socrate (2). Gênés par cette difficulté, des critiques (3) la tournent en supposant que Varron, pour la circonstance, avait ramené Vâme d'Agathon sur la terre et que cette âme participait à la conversation du banquet avant de retourner en hâte dans le séjour des trépassés (4). Nous ne perdrons pas notre temps à discuter cette opinion extravagante. Débarrassés d'elle, nous sommes devant une alternative:

1° Par le nom d'Agathon, Varron peut désigner un Eomain de son entourage. C'est ce qu'avance F. Della Corte (5), qui regarde le titre de la satire comme un titre à clé, Agathon représentant L. Licinius Lu- cullus, consul de 74, homme renommé pour sa richesse, ses propriétés luxueuses, ses festins magnifiques, son activité littéraire et philosophique (6).

2° Le titre d'Agathon peut avoir pour seule fin d'indiquer le sens et l'objet de la satire, sans renvoyer à aucun de ses personnages: Agathon, en effet, prononce un bel éloge de l'amour dans le Banquet de Pla-

(!) Cf. Della Corte 1, p. 31. (2) Sur ce personnage, voir A. Lesky, op. cit., p. 353, 403, 411 et suiv. (3) Cf. Eiccomagno, p. 81 et Marzullo, p. 6. (4) Fragment 14. (5) Della Corte 1, p. 31. (β) Mais F. Della Corte n'ose pas renoncer tout à fait à la conjecture de son

compatriote L. Kiccomagno (cf. supra, n. 3): il se figure bizarrement que Varron avait fondu en un seul « entrambi i personaggi, quello storico e reale di Lucullo e quello fantastico e idealizzato di Agatone »; il admet, lui aussi, que l'esprit d'Agathon était « évoque » par Varron et récitait un long monologue avant de disparaître: cf. Della Corte 1, p. 32 (cependant il est moins afflrmatif dans son édition commentée de 1953: cf. Della Corte 4, p. 145 et suiv.: «se sia una battuta messa in bocca ad Agatone redivivo non si sa; e neppure si comprende bene se questa satira contenesse un'evocazione dell'anima di Agatone »).

Il n'est pas douteux que Varron, dans les Ménippées, donne parfois à certains de ses contemporains (ou à lui-même) les noms des grands personnages du mythe ou de l'histoire: cf. Norden 1, p. 60 (324).

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ton (*). Quoi de plus normal que d'inscrire son nom en tête d'une satire- symposion qui roulait sur l'amour et le mariage, comme le font voir tout de suite les fragments 9, 10 et 11 (si nous entendons bien celui-ci)? Dans ce cas, nul besoin de considérer que le poète grec se manifestait dans la composition, fût-ce sous les dehors d'un fantôme. Malgré l'objection de F. Della Corte (3), qui veut que, d'une satire portant un nom de personne, la personne en question ne soit jamais absente, cette hypothèse est parfaitement admissible. Autre exemple: dans la ménippée intitulée Parmeno, Parménon n'apparaît pas. Varron ne le mentionne que pour faire deviner la teneur de la pièce, à partir du proverbe grec Εΰ μεν άλλ' ουδέν προς την Παρμ,ένοντος ύν (3).

C'est à la seconde solution que nous accordons, quant à nous, nos suffrages: les ressemblances sont très vagues entre Agathon et L. Licinius Lucullus qui, soit dit en passant, n'avait rien d'un disciple de Socrate et s'était malhonnêtement procuré — Varron écrit pessimo publieo — ses fastueux domaines ("): traits qui ne correspondent pas à la peinture du fragment 6. Mais, quand elles le seraient moins, l'identification de F. Della Corte demeurerait problématique.

Nous ne saurions reconstituer, sinon dans ses grandes lignes, la matière de la satire et n'arrivons pas à rétablir en toute certitude la succession originelle des débris qui en restent (la disposition des lemmes et citations de Nonius — lex Lindsay — nous apprend uniquement que le fragment 6, p. 46, 1. 28, venait avant le fragment 13, p. 47, 1. 2. Maigre butin). Néanmoins, l'étude de détail permet de corriger en partie, on le verra, le numérotage de Bücheier que reproduisent presque tous les commentateurs .

On peut d'entrée de jeu poser en principe qu'Agathe) développait fidèlement les vues de son auteur sur la passion amoureuse. Varron, par patriotisme, était, à l'inverse des Cyniques (5) et de nombreux autres (6),

(!) Platon, Conv., Ill E-XIX. (2) Della Corte 1, p. 32. (3) Cf. Geller, p. 73 et suiv. (*) Cf. Varron, B. E., I, XIII, 6. f5) Thème 73 Oltramare: « le Sage ne se marie pas ». (e) En particulier Théophraste. Cf. Saint Jérôme, Jovin., 47 (trad. P. Frédérix):

« Le philosophe Théophraste passe pour l'auteur d'un excellent livre sur le mariage et qui traite de la question de savoir si un homme doit prendre femme ou non. L'auteur conclut qu'un homme sage pourrait le faire dans le cas où la dame serait belle, bien élevée, de parents honorables et où lui-même serait en bonne santé et riche; mais à ceci il ajoute: ' ces choses sont rarement réunies dans un mariage; aussi l'hom-

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favorable au mariage (x), même s'il en évoque, désabusé, les embarras dans une de ses satires (2): comme tant de Eomains du temps, il aurait pu prendre à son compte, en l'atténuant par un « souvent », car il croyait aux bons mariages chers au cœur de la bona Venus (unions à la mode ancienne de deux êtres réglant leur vie sur les préceptes des maiores), la formule bien connue de Ménandre: « le mariage, si on regarde la vérité en face, est » souvent « un mal, mais c'est un mal nécessaire » (3).

me sage devrait-il s'abstenir ' ». Epicure disait de même que le Sage ne doit ni se marier ni avoir des enfants: cf. Diogene Laërce, X, 117-119; J. Brun, L'épicurisme, op. cit., p. 100. On connaît d'autre part la caricature que la Nouvelle Comédie et la palliata romaine font de la vie conjugale, surtout quand l'épouse est une uxor dotata: cf. notamment Ménandre, 65, 402-404, 582, 583, 648, 654 Kock; Caecilius Sta- tius, 136-155 Warmington (Remains of Old Latin); G. Michaut, Histoire de la comédie romaine, Plante, I, Paris, 1920, p. 256-269; Gr. E. Duckworth, op. cit., p. 255 et suiv., 282 et suiv.; E. Perna, L'originalità di Plauto, Bari, 1955, p. 211 et suiv. C'est un des motifs que la Nea a hérités de la Moyenne Comédie. Cf. Antiphane, 292, 329, 352 Kock:

"Ώς ϊστι το γαμείν έσχατον τοϋ δυστυχειν, « prendre femme, c'est le dernier degré du malheur »;

Ούκ ε"στιν ουδέν βαρύτερον των φορτίων όντως γυναικός προίκα πολλήν φερομένης,

« il n'y a pas en vérité charge plus lourde qu'une femme richement dotée »; 'Οφθαλμών άνθρωπος ισχυρώς, κακά πάμπολλα πάσχων, εν αγαθόν πάσχει μόνον, δτι ούχ όρα γυναίκα τούτον τον χρόνον,

« un homme qui souffre gravement des yeux ne connaît, dans l'accablement de ses maux, qu'une joie: celle de ne pas voir sa femme tout ce temps-là »; Anaxandridès, 52 Kock: « qui pense au mariage pense mal, car, à force de penser, il se marie; et c'est le commencement de tous les maux de la vie»; Eubule, 116-117 Kock; Amphis, 1 Kock; Aristophon, 5 Kock; Alexis, 146, 262, 302 Kock.

(*) Cf. le fragment 167 Buch.; Riccomagno, p. 160 et suiv. (2) Fragment 83 Buch. Si Varron se déclare en faveur du mariage, c'est sans

doute avant tout parce qu'il n'ignore pas l'alarmante dépopulation et la diminution du nombre des citoyens libres qui sévissent en Italie. Ces fléaux, qui préoccupaient déjà Tiberius Gracchus et contre lesquels luttèrent plus tard César et Auguste, avaient pour cause, dans une large mesure, la proportion élevée et sans cesse croissante des célibataires: cf. E. H. Oliver, op. cit., p. 67-72; fragment 235 Buch.

(3) Ménandre, 651 Kock: Το γαμεΐν εάν τις τήν άλήθειαν σκοπη, κακόν μέν έστιν, άλλ' άναγκαϊον κακόν.

Cf. aussi Ménandre, 325, 7 et suiv. Kock (fragment du Μισογύνης): « une femme dépensière est ennuyeuse, car elle ne laisse pas celui qui l'a épousée vivre à sa guise. Mais il y a quelque profit à attendre d'elle, par exemple des enfants; ou bien, si son

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En revanche, il jugeait sans conteste que l'amour-passion, l'amour de l'amant pour sa maîtresse, l'amour que personne, dans la Rome du Ier siècle avant notre ère, n'eût cherché dans le mariage, cet amour-là est un mal à fuir (l). En quoi il faisait écho à la thèse des Cyniques (2), des Stoïciens (3), des Epicuriens (4) et se montrait, ainsi qu'il était facile de le prévoir, respectueux de la doctrine officielle romaine (5). Combattue pour la première fois par Térence, cette doctrine ne sera vraiment ébranlée puis délaissée qu'à partir de l'âge augustéen, quand les i)oètes élé- giaques auront rendu à l'amour-passion la place qu'il mérite dans la vie des hommes, y compris dans leur vie matrimoniale. L'attitude de Varron à l'égard de l'amour est, somme toute, bien résumée par cette sentence de l'auteur de mimes Publilius Syrus: « quand on aime, on n'est

mari tombe malade, elle le soigne avec dévouement; elle reste auprès de lui dans l'adversité; elle l'enterre quand il meurt, après l'avoir enseveli décemment »; et le discours de Metellus Numidicus aux Romains pour les engager à se marier: Aulu- Gelle, I, VI: « Si sine uxore possemus, Quirites, esse, omnes ea molestia careremus. Sed quoniam ita natura tradidit ut nec cum Ulis satis commode, nec sine Ulis ullo modo uiui possit, saluti perpetuae potins quam breui uoluptati consulendum ».

(*) Cf. les fragments 204 et 205 Buch. J. Granarolo assure (D'Ennius . . . , op. cit., p. 238) que, tout comme Catulle, Varron ménippéen, «loin de différencier l'amour conjugal de l'amour-passion (selon les conceptions de la Rome ancienne: cf. Caton l'Ancien!) les confond sciemment ». Aucun texte varronien, sans excepter ceux que J. Granarolo allègue (les fr. 9 et 10 de notre Agatho et le fr. 187 Buch.) n'autorise, estimons-nous, une pareille affirmation. Si nous avions à caractériser les sentiments que, d'après Varron, les époux nourrissent l'un pour l'autre dans un mariage réussi, nous parlerions d'affection mêlée de respect, d'attachement calme, sérieux et plus ou moins teinté de puritanisme, de soumission docile de la femme à l'homme, mais non d'amour-passion véritable (du moins au sens où l'on prend banalement cette expression).

(2) Thème 87 Oltramare (cf. Diogene Laërce, VI, 67): «l'amour passionné est un mal ». Antisthène disait: « si je rencontrais Aphrodite, je l'étranglerais de mes mains ».

(3) Cf. Cicéron, Parad., V, 36; Perse, V, 161-174. C'était un lieu commun stoïcien que d'opposer l'esclavage insensé de l'amour à la vraie liberté: cf. Witke, p. 106; infra, p. 64.

(4) Cf. Diogene Laërce, X, 117-119: Epicure était d'avis que «l'amour n'est pas un don des dieux »; Lucrèce, IV, 1060 et suiv.; J. Brun, L'épicurisme, op. cit., p. 100; Boyancé 3, p. 208-210. Sur les philosophes et l'amour, cf. également Norden 1, p. 20 (86),

(5) Voir P. Grimai, L'amour à Borne, Paris, 1963, p. 129, 198; J.-M. André, op. cit., p. 114, n. 26: « la condamnation de l'amour-passion chez Caton rejoint celle de Diogene ».

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pas sage; quand on est sage, on n'aime pas » i1). Elle implique réprobation radicale d'une conduite dont les « vices » sont éloquemment dénoncés par plus d'une tirade de Plaute (2): conduite qui vous ôte le sens, vous prive de votre libre arbitre, met en pièces votre patrimoine, vous perd de réputation et vous rend indifférent à ce qui doit compter d'abord pour un vrai Eomain: res, fides, fama, uirtus, decus (Plaute, Most., 144- 145; cf. Lucrèce, IV, 1123-1124) (»).

H Publilius Syrue, Sent, 117 Ribbeck: cum âmes non sapias, aut cum sapias non âmes.

Cf. aussi la locution fixée amens amansqtie (Otto, s. v. amare, p. 18, 6) et Servius, ad Verg., Ed., VIII, 66: amantes insanos uocamus.

(2) Cf. Plaute, Mere, 18-38 (sur ce texte, on lira l'intéressante analyse de J.-M. André, op. cit., p. 109 et suiv., qui nous semble cependant insister trop sur le tragique des plaintes de Charinus — elles parodient selon nous la tragédie — et qui attribue totalement à Plaute ce qui se trouvait sans doute déjà en grande partie chez Philemon: le prologue du Mercator, surtout pour l'idée, doit être assez proche du modèle grec: cf. P. J. Enk, Plauti Mercator, Leyde, 1932, p. 7, 26. Aussi ne souscrivons- nous pas à l'affirmation de J.-M. André: « cette représentation paraît spécifiquement romaine; elle tranche sur les maximes anodines de la Nea »); Most., 142 et suiv. (amour assimilé aux intempéries qui délabrent et font crouler les maisons); Ba., 62-67, 117; Trin., II, 2; Truc, 22-94; Ph. E. Legrand, op. cit., p. 100 et suiv. Cf. aussi Terence, Eun., 57-63; Monandre, 48 Kock: «L'amour obscurcit la raison de tout le monde, semble-t-il, à la fois des gens raisonnables et des gens mal avisos »; Afranius, Vopis- cus, 348 Ribbeck: « les amoureux, qui n'ont pas l'esprit intact, entendent comme les sourds ».

Cette condamnation se relie à l'idée, bien représentée dans la Nea et la palliata, que l'amour, pour se développer, réclame Votium, que c'est un passe-temps de riche oisif. Théophraste le disait aussi: fr. 114 Wimmer: «comme on demandait à Théo- phraste ce qu'est l'amour, il répondit: ' c'est la passion des âmes désœuvrées ' (πάθος . . . ψυχής σχολαζούσης) ». Pour la Nea et la palliata, cf. Ménandre, Dyskolos, 341 et suiv.; Héros, 15 et suiv.; Plaute, Trin., 658; Terence, Heaut., 109. Voir J.-M. Jacques, op. cit., p. 86, n. 1; J.-M. André, op. cit., p. 103 et suiv.

Néanmoins, dans la palliata, l'amour n'inspire pas que des diatribes ou des lamentations: on le loue quelquefois dans de véritables hymnes. Par un contraste piquant, les lamentations sont le fait de jeunes gens épris, les hymnes le fait de vieillards qui ont depuis longtemps passé l'âge d'aimer: cf. par exemple Plaute, Cas., 217 et suiv.

(3) La critique du mariage et de l'amour-passion ressortit, cela va sans dire, à la misogynie. Il y aurait une monographie à écrire sur le rôle joué dans la littérature universelle par ce ressentiment qui anime l'homme contre la femme, se rencontre déjà, en Grèce, chez Hésiode (mythe de Pandore: Trav., 69-105) ou Simonide de Samos (VIIe siècle avant J.-C: cf. Hodgart, p. 79 et suiv.; Highet, p. 39, 226 et suiv.; Witke, p. 26) et fait dire à un personnage de Ménandre que la plus sauvage

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D'après Mercklin, Agatho serait un logistoricus et non une ménippée. E. Bolisani a réfuté cette assertion en alléguant le tour visiblement plaisant de l'ouvrage (σπουδογέλοιον) et la forme poétique qu'affectent certains de ses fragments (*). Profitons de l'occasion pour rappeler trois propriétés des logistorici (2): a) les logistorici ont un titre et un sous-titre latins (3); b) ils sont intégralement en prose; c) on n'y décèle nulle trace de plaisanterie ou d'enjouement: ils sont de bout en bout sérieux.

Pas plus que les Aborigines, V Agatho ne se laisse dater (4).

* * *

6. - Texte sûr (aucune divergence entre les manuscrits). Tiré par Nonius de Varron II (5). Fragment poétique à mettre au compte de Var- ron lui-même: ce ne peut être une citation (6). De même que dans les deux fragments suivants, les vers sont des sénaires iambiques réguliers.

de toutes les bêtes sauvages est la femme (Monandre, 488 Kock; cf. Monandre, 535 Kock: « II (Prométhée) a modelé la femme, Dieux vénérables!, espèce abominable, haïe de tous les dieux à mon avis »). M. Hodgart (loc. cit.) en a subtilement démonté les ressorts: faiblesse de l'homme devant la femme; peur qu'ont les hommes des femmes (on peut voir ici se profiler l'image psychanalytique de la « mauvaise mère », dévorante, despotique, frustrante, dé virilisante: cf. Ch. Baudouin, Psychanalyse..., op. cit., p. 132 et suiv.; Le triomphe. . ., op. cit., p. 72 et suiv.; M. L. Franz, Le processus d'individuation, dans L'homme et ses symboles, op. cit., p. 178; B. This, La psychanalyse, Tournai, 1960, p. 126 et suiv.; P. Daco, Les triomphes de la psychanalyse, Verviers, 1965, p. 390); crainte qu'ont les hommes d'être trompés par leurs femmes, etc. En procèdent les thèmes de la ruse, de la vanité, de la domination, de la frivolité et de l'impureté féminines qui n'ont cessé depuis toujours d'alimenter la satire. Il y a une contre-partie: à la dépréciation de la femme perverse et désagréable fait pendant Γ « éloge » de la femme idéale (phénomène banal d'« ambivalence »; pour les Chrétiens, antithèse d'Eve et de la Vierge Marie). Mais il ne faut pas perdre de vue que l'éloge, élaboré par des hommes, est une manière pour ceux-ci de faire la leçon aux femmes, de leur enseigner comment eux, les hommes, aimeraient les voir agir. La distinction entre deux catégories de femmes, les unes dignes et vertueuses, les autres mauvaises, est, on le verra, dans les Ménippées: celles-ci sont les Komaines du siècle de Varron, celles-là les matrones de la vieille Rome.

(!) Bolisani, p. 9. (2) Cf. Riese, p. 32 et suiv.; Boissier, p. 104-105. (3) Cf. supra, p. xiv, n. 5. (4) Contra Della Corte 1, p. 32: il aurait été composé entre l'année du triomphe

de Lucullus (66: cf. supra, p. 40) et celle de sa mort (56). On attend les preuves. (5) Lindsay, Nonius, p. 15. (β) A ce sujet, cf. supra, p. 20-21, n. 3.

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Pour la fréquence d'emploi, ce type de mètre vient de loin avant tous les autres dans les Ménippées. Modelé sur le trimètre iambique qui est, nul ne l'ignore, le mètre du dialogue dans le drame grec, il représente la forme rythmique la plus proche du discours (λεκτικόν) et de la prose. En cette qualité, il sert pour les passages parlés (diuerbia) de la palliata, c'est-à-dire principalement pour les textes qui apportent des informations (prologues, monologues d'exposition, etc.) ou dans lesquels «le comique d'expression domine » (x). Il était logique que Varron lui réservât une place d'honneur dans les Ménippées, étant donné:

1° le caractère même de l'œuvre, qui ne s'apparente pas moins au sermo familier que les Satires et les Epîtres d'Horace et, par conséquent, rase couramment la prose en ses parties poétiques (a);

2° le fait que Ménippe avait peut-être déjà pratiqué le trimètre iambique en sus de l'hexamètre dactylique (3).

Dans les sénaires iambiques de ses Ménippées, Varron respecte la tradition métrique de Plaute: cf. F. Della Corte, Varrone e Levio di fronte alla metrica tradizionale della scena latina, dans A AT, 70, 1934-35, p. 383; J. Granarolo, D'Ennius. . ., op. cit., p. 78. Preuve de sa fidélité aux formes littéraires du passé dont il y a quantité de signes dans son œuvre.

Au dire de quelques auteurs, l'homme ici campé serait Agathon en personne (4). Bien que ce dernier, on vient de le voir, ne participe sûrement pas au banquet décrit par Varron, leur supposition pourrait à la rigueur s'admettre: on concevrait très bien que l'écrivain eût tracé, dans l'introduction de la pièce, le portrait du poète dont le nom lui procure son titre; à ce poète, d'ailleurs, le signalement du fragment 6 s'appliquerait convenablement (s). Mais une particularité de l'expression nous

(*) J. Collart, Plaute, La farce du fantôme, coll. Erasme, Paris, 1970, p. 13. Cf. aussi W. Beare, The Roman Stage, 3e éd., Londres, 1964, p. 222. Sur le grand problème des cantica et des diuerbia, originalité du théâtre comique latin (Plaute), voir Gr. E. Duckworth, op. cit., p. 375-380; W. Beare, op. cit., p. 219 et suiv.

(2) Cf. Scherbantin, p. 85, 97 (il signale justement que, de tous les mètres antiques, le trimètre ou sénaire iambique est le moins propre à l'expression des émotions); sur le sermo merus, phraséologie attitrée de la satire, cf. Witke, p. 59, 269. Voir aussi supra, p. 32, n. 3.

(3) Cf. Knoche, p. 38. (4) Kiese, p. 95; Della Corte 1, p. 31; Marzullo, p. 5. (5) Cf. Della Corte 1, p. 31: « Vi sono. . . frammenti che si adattano tipicamente

alla persona del greco (fr. 6 neque auro . . . ) e che corrispondono esattamente a quel concetto che già gli antichi si eran formati su questa persona, leggendo Piatone e Aristotele ». Cf. Della Corte 4, p. 145.

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empêche de faire nôtre cette suggestion: c'est le présent quaerit. Eu égard au contexte, en effet, quaerit ne doit pas être tenu pour un présent « historique » ou « de narration »: dans notre passage, Varron ne parle pas d'un Grec mort depuis plus de trois siècles, mais d'un des protagonistes de son symposion, c'est-à-dire d'un Eomain de son époque; en sorte que les mots quaerit Socratis uestigia sont à prendre au figuré et non au pied de la lettre. Ils ne signifient pas que le dit personnage fréquenta Socrate et recueillit ses leçons de sa bouche même, mais qu'il était à Rome, au Ier siècle avant notre ère, un adepte de la philosophie socratique. Au sujet de ses grands contemporains, Lucrèce et Caton le Jeune, Varron aurait pu écrire de même, pour l'un: quaerit Epicuri uestigia, et, pour l'autre: quaerit Zenonis uestigia i1).

Nous repousserons donc également l'interprétation d'E. Bolisani (2) qui, s'appuyant sur un passage de Platon (3), identifie Alcibiade dans notre disciple de Socrate. Quant à déterminer à qui Varron pensait, nous ne nous y aventurerons pas: nous avons dit le scepticisme que nous inspire une tentative comme celle de F. Della Corte faisant de Lucullus le héros de la satire (4).

Il est compréhensible que Varron ait fait intervenir dans YAgatho un partisan de Socrate: ayant à traiter de l'amour, il ne pouvait passer sous silence la thèse socratique célèbre que développe le Banquet de Platon (banquet qui prend place, on s'en souvient, dans la demeure d'Aga- thon). Ce représentant du Socratisme était, bien entendu, affronté à des sectateurs d'autres philosophies, dont un Cynique, qui lui donnaient la réplique. Malheureusement, il ne subsiste à peu près rien de leur débat.

— Dans l'allusion à la multiplex seientia, on reconnaît un thème cynique: la condamnation des doctrinaires et du savoir des spécialistes. Thème déjà préfiguré par le mot illustre de Socrate proclamant qu'il ne savait rien. Varron était très fier de son bagage scientifique et de sa culture encyclopédique (5); il ne songea certainement jamais à laisser

(1) Acception usuelle des tours uestigia alicuius sequi, uestigiis alicuius ingredi ou insistere: « marcher sur les traces de quelqu'un, l'imiter ».

(2) Bolisani, p. 9. (3) Platon, Alcib., 104 b-c. (4) Si l'on tient absolument à lancer un nom, ce pourrait être, par exemple,

celui du chevalier romain C. Agrius dont Varron a fait un interlocuteur de ses Res Busticae et qu'il qualifie dans cet ouvrage (I, 2, 1) de socraticus (sur cet emploi de l'adjectif, cf. la ménippée Hercules socraticus).

(5) Cf. Knoche, p. 41-42; Scherbantin, p. 80, 84.

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là les savantes études qui le passionnaient et assurèrent son renom. Mais il se fait volontiers l'écho de ce que prêchent les Cyniques touchant l'inutilité des arts libéraux, de la physique, de la rhétorique, etc., et tient avec eux que la morale seule doit importer aux philosophes dignes de ce titre i1). Encore qu'il ne partage pas toutes ses idées, Socrate, précurseur du Cynisme, est à ses yeux un de ces philosophes authentiques, un de ces grands penseurs qu'il admire (2). Le primat ainsi donné à la morale ne détonne en rien chez un Eomain de vieille roche et conservateur comme l'était Varron; inutile de s'étendre sur ce truisme (3). Pour Varron, comme pour tous les Eomains du même bord, la science est re- commandable si, légitimant l'éthique, elle permet à l'homme de mieux régler sa conduite et d'échapper à la cécité de l'entendement. Mais elle ne vaut rien quand elle ouvre sur la spéculation métaphysique indémontrable et la vaine subtilité des raisonneurs ou, simplement, si elle est poursuivie pour elle-même, sans liaison avec la pratique: les recherches de tout genre auxquelles il consacra le plus clair de son activité intellectuelle étaient des recherches empiriques, appliquées, utilitaires, et par là bien romaines (4).

Sa position est en gros celle des Stoïciens (5), qui diverge assez peu de celle des Epicuriens: « La conscience morale », écrit J. Brun, « ne se confond pas chez lui (Epicure) avec la conscience intellectuelle et la science (...) ne s'identifie pas à la conscience. Elle la prépare tout au plus dans le cœur de l'homme naguère trop crédule, mais le Sage n'en a que faire et ne la cultive pas pour elle-même; elle n'est même pas ce qu'elle était chez Platon: une propédeutique à la réflexion sur le monde

(!) Thèmes 1-9, 48 Oltramare. Cf. Oltramare, p. 103; Riccomagno, p. 85; Kno- che, p. 41.

(2) Cf. ce que lui fait dire Cicéron (Ac. Post., I, 4, 15): « Socrates rnihi uidetur primus a rebus occultis et ab ipsa natura inuolutis, in quibus omnes ante eum philo- sophi occupati fuerunt, auocauisse philosophiam et ad uitam, communem adduxisse », « le premier, à mon avis, Socrate détourna la philosophie des questions mystérieuses et voilées par la Nature elle-même, dans lesquelles s'absorbèrent tous les philosophes avant lui; il la fit aller vers la vie de tous les jours ». Voir Della Corte 5, p. 47 et suiv.; infra, 207 Buch.

(3) Cf. Cèbe, p. 252, 267, 294. (*) Cf. Della Corte 5, p. 237. (6) Geller, p. 46: «Varron n'attaque que les déformations et les aberrations du

savoir. Il semble suivre la ligne du Portique, qui considère les έγκύκλιαι τέχνοα comme des προπαιδεύματα à la véritable παιδεία qui est la philosophie » (cf. Norden 3, p. 670 et suiv.; Mras, p. 410, 413).

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des idées; Epicure ne s'est guère occupé de mathématiques, d'astronomie ni de musique, car "ce ne sont pas des vantards et d'habiles parleurs que forme la science de la Nature, ni des gens qui font étalage de connaissances enviées par la foule, mais des hommes modestes qui se suffisent à eux-mêmes, et qui sont fiers des biens qu'ils portent en eux-mêmes et non de ceux qui sont dus à des circonstances fortuites " » i1).

— Sufflatus: « enflé, bouffi d'orgueil ». Le verbe sufßare sera plus tard employé par Perse (IV, 20) avec la même acception imagée:

« Dinomaches ego sum » suffla,

où suffla = die sufflatus ou te sufflans: « dis en te gonflant: " Je suis Dinomaches " » (2). Dans ce sens, on trouve d'habitude inflatus (Cicéron, Mur., 33; 49; PMI., XIV, 15; Tite-Live, XXIV, 32, 3; Juvénal, VIII, 42: inflatum plenumque Nerone propinquo, «bouffi d'orgueil et tout plein de sa parenté avec Néron »). Cf. également l'emploi de tumere signifiant « être gonflé d'orgueil »: Juvénal, VIII, 40; Tacite, H., I, 16.

— auro aut genere: ces mots nous ramènent eux aussi à la diatribe: cf. les thèmes 16 et 20 Oltramare: « la noblesse de naissance n'est pas un bien » (3); «la richesse n'est pas un bien » (4). Mais de tels topoi n'appartiennent pas en propre aux Cyniques: on les rencontre dans toutes les philosophies antiques.

Pour genere, cf. Horace, Carm., I, 14, 13 (supra, p. 30): iaetes et genus. . .

— On notera la limpidité et la simplicité presque prosaïque de l'expression malgré multiplici (cf. infra, p. 140) et sufflatus.

* * *

7. - Pas de problème sérieux au sujet du texte. Les corrections de Eiese, Müller et Dübner ne s'imposent nullement: en fait, on n'a au-

i1) J. Brun, Uépicurisme, op. cit., p. 52 et suiv. (cf. p. 115). Cf. aussi H. Bergson, Extraits de Lucrèce, Paris, 1955, p. xiii: « Epicure n'est pas un savant. Il rnépiise les sciences en général, tient les mathématiques pour fausses, dédaigne la rhétorique et les lettres. C'est que l'essentiel pour lui est de vivre heureux; en cela consiste le privilège du Sage et la philosophie n'a pas d'autre objet que de nous conduire au bonheur par le plus court chemin ».

(2) Cf. F. Villeneuve, Essai sur Perse, Paris, 1918, ad loc. (3) Cf. supra, p. 30. (4) Cf. supra, p. 15-16.

J.-P. t'EBE

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cune raison valable pour retoucher la version des manuscrits. Sénaires iambiques et création originale de Varron (cf. supra, p. 45 et 20-21, n. 3). Extrait par Nonius de Varron II i1).

— Encore deux vers qui doivent relever d'un motif cynique (38 Oltramare): «il faut fuir le luxe de la vaisselle » (2). On ne sait pas comment ils se branchaient sur l'argument central. E. Bolisani (3) les rapproche d'un passage d'Horace:

Gommixit lectum potus mensaue catillum Euandri manibus tritum deiecit; ob Inane rem

(...) minus hoc iucundus amicus sit mihif (4)

Mais nous ne voyons pas quelle relation instituer au juste entre les deux textes (5) et le parallèle d'E. Bolisani nous semble plus que fragile. En revanche, nous sommes d'avis, comme l'érudit italien, que la question posée a un accent ironique. Nous comprenons ainsi: la coupe que tient le banqueteur interrogé est d'un travail rudimentaire et ne supporte pas la comparaison avec les chefs-d'œuvre finement ciselés d'un Mentor (6). Il y a comme un jeu de mots implicite sur dolitus, volontairement substitué par Varron à l'ordinaire dolatus, et politus que dolitus évoque à la fois par son sens et par sa sonorité. A caelatus correspondrait normalement cado politus ; on a caelo... dolitus. Autrement dit, l'expression caelo dolitus ajoute une nuance essentielle à caelatus: elle confère au passage une tonalité moqueuse. S'il en allait différemment, si le tour caelo dolitus était synonyme de caelatus (« ciselé » pour celui-ci, « travaillé au ciseau » pour celui-là), nous serions devant un pléonasme de la dernière platitude, indigne de Varron et, en tout état de cause, injustifiable. Une phrase où Cicéron oppose dolare et polire garantit que notre conjecture ne reste pas en l'air: neque (...) perpoliuit illud opus (...) sed (...) dolauit, « et il n'a pas donné à cet ouvrage le poli de la

(x) Lindsay, Nonius, p. 43. (2) Cf. Knoche, p. 40. (3) Bolisani, p. 9. (4) Horace, Sat., I, 3, 90 et suiv.: « un ami, pris de vin, a pissé sur le lit, il a fait

tomber de la table un petit plat usé par les mains d'Evandre: pour cela (...) il m'en deviendrait moins cher? » (trad. F. Villeneuve).

(5) E. Bolisani demeure muet là-dessus. (e) Cf. Bücheier, p. 537 (403-404).

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perfection, il l'a seulement dégrossi » (x). Dolitus est un hapax tiré d'un verbe inusité *dolio, -ire. Oolare, « façonner avec la dolabre, dégrossir », est courant (Comiques, Cicéron, etc.) (2).

L'homme dont Varron reproduit les paroles est, croyons-nous, un connaisseur, partisan de la civilisation « moderne », et ami du luxe: donc un défenseur de la cause adverse. A cet avocat du diable, le Satirique prête malignement des propos qui le jugent: il lui fait railler sans délicatesse la pauvreté de la vaisselle dans laquelle on le sert. Varron n'aurait pas été conséquent avec lui-même s'il avait toléré la richesse de la vaisselle, alors qu'il ne cesse de s'élever contre le luxe en général et le luxe de l'habitation en particulier (cf. supra, p. 15). Un fragment de son De uita populi Romani prouverait, si c'était nécessaire, qu'il la considérait du même œil que les Cyniques: il y prône la simplicité de l'appareil domestique dont se contentaient les maiores: itaque ea sibi modo ponere ac sospendere quae utilitas postular et: trulleum, matellionem, peluim, nas- siternam, non quae luxuriae causa essent parata (3).

— Mentor: fameux ciseleur grec du Ve siècle avant notre ère, auteur d'un grand nombre de vases d'argent et de bronze. Ses créations étaient très prisées à Eome sous la Eépublique et au début de l'Empire, d'autant plus que l'Italie n'avait alors aucun atelier de ciseleur (4). Voir Cicéron, Verr., IV, 38; Pline, N. H., VII, 39, 2; Martial, III, 41, 1; IV, 39, 5; VIII, 51, 2; IX, 59, 16; Juvénal, VIII, 104. Varron possédait une statue façonnée par Mentor (Pline, N. H., XXXIII, 55, 1); l'orateur L. Crassus acheta 100.000 sesterces deux coupes ornées par cet artiste.

— Noter l'ordre recherché des mots dans le premier vers: eac- latus (adjectif A) in marni (substantif S') dextra (adjectif A') scypJius (substantif S). Mais, pour le reste, ce fragment n'est pas plus « poétique » que le précédent.

i1) Cicéron, De or., II, 13, 54. (2) Cf. Plaute, Mil., 938; Pomponius, 83 Kibbeck. (3) Nonius, p. 547, 1. 3: «c'est pourquoi ils ne mettaient sur leurs tables et ne

suspendaient à leurs murs que des ustensiles exigés par le besoin: cuvette, vase de nuit, bassin, arrosoir, et non des objets acquis par amour du luxe ».

(4) Cf. J. M. C. Toynbee, Some Notes on Artists in the Roman World, dans Latomus, 9, 1950, p. 389-394.

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* * *

8. - Extrait par Nonius de Varron II (*). Sénaires iambiques (cf. supra, p. 46). Aucune difficulté quant au libellé du fragment lui-même. La correction de Carrio, antidhac, s'impose, tout comme la leçon Lampa- dio f numquid de Mercier — l'accusatif Lampadionem, serait un solécisme: on ne peut avoir qu'un vocatif; familiäres est inacceptable: il faut sans conteste lire familiaris (confusion fréquente des voyelles e et i); enfin, pour uirgidemiam, nous n'avons pas d'hésitation, vu que la forme est chez Plaute (cf. infra-, uirgarumdemiam n'est attesté nulle part et n'entre pas dans le vers; uirgindemiam est une variante peu importante due à l'analogie de uindemiam); Y argentarli de Carrio est possible (accord avec auxili), mais il vaut mieux conserver Γ argentarla des manuscrits qui est parfaitement intelligible.

Une question essentielle est cependant posée par notre texte, ou plutôt par le passage de Nonius qui le contient. Pour beaucoup, en effet, ce discours, plein de traits qui émanent de la palliata et adressé à un esclave qui porte un nom d'esclave de comédie, ne serait pas de Varron et n'aurait rien à faire dans le recueil qui nous occupe. Parce que l'adverbe antidhac n'avait plus cours au temps de Varron (2), il y aurait lieu d'en accorder la paternité à Naevius qui, justement, écrivit une pièce intitulée Lampadio (3). Pour cela, il suffit d'admettre que chez Nonius, après Varrò Agatlione, venait une citation aujourd'hui perdue, puis Naevius Lampadione que suivaient nos quatre vers (cf. apparat critique). Cette conjecture ne nous satisfait pas: elle conduit à soutenir sans raison assez forte (4) que tous les manuscrits de Nonius présentent une lacune de taille et à leur faire subir une correction dont le bien fondé n'est pas démontré. Nous avons noté que les situations de la comédie et les emprunts à la comédie foisonnent aussi bien dans les Ménippées varroniennes que dans les autres satires latines (5). Il n'est donc pas trop

i1) Lindsay, Nonius, p. 58. (2) Cf. Bücheier, p. 173 (424): déjà Turpilius et Terence emploient antehac dis

syllabique. (3) Bücheier, loc. cit.; Vahlen 1, p. 13; 0. Eibbeck, Com. Bom. Fragm., 3e éd.,

Leipzig, 1873, p. 16. (*) La ressemblance à'Agathone et de Lampadione n'est pas assez prononcée

pour justifier, sans autres arguments, l'hypothèse d'un saut du même au même. (B) Cf. supra, p. 22.

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hardi de laisser la tirade à Lampadion dans VAgatho, sans même imaginer, compromis qui pourrait tenter certains (*), que Varron y cite Nae- vius: elle ne fait nullement tache dans une pièce consacrée à l'amour (2). Nous sommes là, pour ainsi dire, en présence d'un « cas concret » où l'écrivain faisait appel à l'expérience que son public et lui-même avaient du théâtre comique. S'agissant de l'adverbe antidhac, rien n'interdit de considérer que Varron s'en est servi de propos délibéré: les archaïsmes, répétons-le, sont nombreux dans les Ménippées (3). A l'appui de l'authenticité, on peut encore alléguer deux fragments des Eumenidcs (134 et 135 Buch.) dans lesquels un esclave qui porte le même nom — Strobile — que celui de VAulularia plautinienne se fait questionner à peu près comme notre Lampadion. Cela dit, nous ne savons évidemment ni par qui ce dernier était interrogé ni quel rôle il jouait dans la trame de la satire.

— Antidhac (= antéhac) se rencontre chez Piaute {Aul., 396; Ba., 539).

— Lampadio: ce nom ne figure pas seulement dans la liste des titres de Naevius, mais aussi dans la Cistellaria de Plaute, où il désigne l'esclave de Dérniphon. Comme la majorité des noms de la palliata, c'est un « nom parlant »: il révèle la fonction de son possesseur; de même que Phaniscus (de φανός, «la torche»), Lampadio est un aduersitor, c'est-à-dire un esclave chargé de raccompagner, la nuit, son maître chez lui en l'éclairant (synonyme: Lampadiscus, qu'on lit dans la Cistellaria, au v. 544) (4).

i1) Comme il a tenté E. Bolisani (Bolisani, p. 9). (2) Contra Bücheier, loc. cit.: « Ein antidhac konnte Varrò in eigenen Versen

sich nicht mehr erlauben (...), es sei denn in einer Exemplifikation der älteren Komödie, die hier wenig wahrscheinlich ist, oder in einer Parodie, wogegen der Inhalt jener Verse spricht ».

Kemarquons que les Satiriques latins, quand ils traitent de l'amour, vont couramment chercher leurs exemples dans la palliata: cf. Horace, Sat., II, 7, 89-94; Perse, V, 161-173; infra, p. 64.

(3) Cf. Geller, p. 10; supra, p. 25 (bouts). (4) Cf. E. A. Sonnenschein, T. Macci Plauti Mostellaria, 2e éd., Oxford, 1907,

p. 61. D'autres noms, beaucoup plus nombreux, de la palliata indiquent non pas une fonction, mais la particularité dominante d'un caractère (quelquefois au moyen d'une antiphrase amusante: exemple: Thrason, «Le hardi», pour un pleutre): voir G. Mi- chaut, Histoire de la comédie romaine, II, Plaute, II, Paris, 1920, p. 212-213; G. E. Duckworth, op. cit., p. 347 et suiv.; Cèbe, p. 156.

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Varron cite le Lampadio de Naevius dans son De lingua Latina (VII, 107).

— Familiaris. . . uirgidemiam: sorte de condensé de palliata, où sont rassemblées trois des situations typiques de ce genre comique: amours de Vadulescens, vaine recherche d'argent à emprunter ou à escroquer, menace de châtiment corporel pour l'esclave trop peu zélé. Baison de plus pour affirmer que le passage a été écrit par Varron et n'appartient pas à quelque pièce de théâtre, où un tel résumé serait curieux.

— Le début de la tirade n'est pas sans rappeler celui de la satire IX de Juvénal, qui imite également la comédie:

Scire uelim quare totiens miM, Naeuole, tristis occurras, fronte obducta ceu Marsya uictus (x).

On comparera des passages comme:

Plaute, Ba., 669: Quid uos maestos tarn tristisque esse conspicor? (2)

Plaute, Cos., 172: Salue, mecastor. 8ed quid tu es tristis, amabof (3)

Plaute, Cas., 630 et suiv.: LY- Ν am quid est quod Jiaec hue timida atque exanimata exsiluitf Pardalisea! — PA- Perii! unde meae usurpant aures sonitumf — LY- Respiee modo ad me. — ΡΑ- Ο ere mi! — LY- Quid Ubi

quid timida es ?

Plaute, Cist., 53 et suiv.: . . . numquam ego te tristiorem

nidi esse; quid, cedo, te obsecro, tam abhorret Mlaritudoì (5)

(x) Juvénal, IX, 1 et suiv.: « J'aimerais savoir, Névolus, pourquoi je te rencontre si souvent chagrin, le front sévère, tel Marsyas vaincu ».

(2) « Pourquoi vous vois- je si affligés et si chagrins? » (3) « Salut, par Castor. Mais pourquoi es-tu chagrin, s'il te plaît? » (4) « Qu'y a-t-il donc? Pourquoi celle-ci s'est-elle sauvée de la maison trem

blante et morte de peur? Pardalisque! — Je suis morte!. . . D'où vient le nom qui frappe mon oreille? — Tourne-toi seulement de ce côté et regarde-moi. — Ah! mon bon maître! — Qu'est-ce que tu as? pourquoi cette frayeur? » (trad. A. Ernout).

(5) «... jamais je ne te vis plus triste. Pourquoi donc, dis-moi, je te prie, as-tu perdu à ce point ta belle gaieté? » (trad. A. Ernout).

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Plaute, Merc, 135 et suiv.: CH- Quae te malae res agitanti — AC- Multae, ere, te atque me. CH- Quid est negotìf — AC- Periimus (*).

Terence, Bun., 304 et suiv.: . . . Quid tu es tristisf quidue es alacrisf

unde is? (2)

— Familiaris filius: «le fils du maître». Cette locution existe chez Plaute (3). On trouve aussi dans la palliata erilis filius qui a le même sens (4). Dans l'un et l'autre cas, l'adjectif équivaut à un génitif ad- nominal d'appartenance: familiaris filius = filius familias. Sur ce tour, cf. Ernout-Thomas, p. 39, § 58. Comparer lar familiaris, res familiaris, uinum dominicum, « le vin du maître », erilis permities, « ruine de ton maître » (5), erilis patria (6). Trait de la langue familière (7).

— Spes. . . argentarla-, même substitution de l'adjectif au génitif (mais la valeur est ici celle d'un génitif explicatif ou de définition: cf. Ernout-Thomas, p. 37). On relève chez Plaute: inopia argentarla, « disette d'argent » (8) et auxilium argentarium, « secours en argent » (9). Spes auxili argentarla veut dire, littéralement: « une espérance de secours constituée par de l'argent, sous forme d'argent ».

(*) « Qu'est-ce qui t'agite ainsi? Mauvaises nouvelles? — Terribles, Maître, pour toi et pour moi. — Qu'est-ce que c'est? — Nous sommes perdus » (trad. A. Ernout).

(2) « Pourquoi es-tu chagrin? pourquoi es-tu agité? d'où viens-tu? » Cf. aussi Afranius, 212-213 Eibbeck:

Quid istuc estì quid flesi quid laerimas largitusi, « qu'est-ce donc? pourquoi pleures-tu? pourquoi verses-tu des larmes en abondance? »

(3) Cf. Plaute, ^ls., 267; Gapt., 273. (4) Cf. Plaute, Ba., 233, 351, 366, 931; Gas., 1014; Ep., 20, 164; Most, 83,

349, etc.; Térence, Ad., 301; Andr., 602; Eun., 962. (5) Plaute, Most, 3. (6) Plaute, Ba., 170. (7) Cf. J. B. Hofmann, Lateinische Umgangsprache, 3e éd., Heidelberg, 1951, p. 160. (8) Plaute, Ps., 300. La situation dépeinte dans ce texte est voisine de celle

qu'analyse l'interlocuteur de Lampadio. Le jeune Calidore se plaint de son sort: nimV miser sum, nummum nusquam reperire argenti queo; ita miser et amore pereo et inopia argentarla,

« je suis vraiment trop malheureux: je ne peux trouver nulle part une pièce d'argent; ainsi, malheureux que je suis, je meurs et d'amour et de cette disette d'argent ».

(fl) Plaute, Ps., 104.

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— Scapulae metuunt: personnification plaisante d'une partie du corps comme on en remarque beaucoup chez Plaute. Cf. Plaute, As., 315 et suiv.:

. . . scapulae gestibant mïhi liariolari quae occeperunt sibi esse in mundo malum (!);

Ep., 125: paratae iam sunt scapulis symbolae (2); Poen., 153: meae istuc scapulae sentiunt (3); Bud., 635-638: prière parodique de Démonès à l'esclave Trachalion au nom de. . . ses jambes, ses talons et son dos, c'est- à-dire de ce qui, dans son anatomie, est exposé à recevoir des coups (4). C'est une des particularités originales — et populaires — du théâtre plautinien: rien de pareil dans la Nea et Plaute pousse le procédé beaucoup plus loin, lui confère beaucoup plus de relief que les auteurs de l'Ancienne Comédie (5).

— Virgidemia se rencontre chez Plaute, dans le Rudens (6). S'il faut bien y voir, comme nous le pensons, un néologisme amusant de Plaute fabriqué d'après uindemia, nous disposons d'un indice supplémentaire pour assurer que le fragment 8 n'est pas un extrait de Nae- vius, mais un pastiche réussi de la palliata plautinienne dont le mérite revient à Varron.

9-11. - Trois textes en prose. La plupart des commentateurs y insistent à l'envi — et à juste titre — les deux premiers sont purement latins de contenu. Varron qui, dans les Ménippées, se plaît à illustrer les débats théoriques par des exemples tirés du réel ou de l'histoire, y fait allusion à des usages de son pays (7). Mais cette constatation élé-

(*) « Mes épaules me démangeaient: elles se sont mises à prédire qu'il y avait pour elles une raclée dans l'air ».

(2) « Voici un régal tout prêt pour mes épaules » (trad. A. Ernout). (3) « Mes épaules s'en rendent compte ». (4) Cf. Cèbe, p. 90. (5) Cf. E. Fraenkel, Elementi..., op. cit., p. 95-101; Plaute personnifie égale

ment des objets de toute espèce. (6) Plaute, Bud., 636:

ut Ubi ulmeam uberem esse speres uirgidemiam, « aussi vrai que tu espères récolter en abondance des coups de verge d'orme ».

(7) Cf. notamment Bolisani, p. 8; Knoche, p. 40.

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mentaire demande à être complétée: il faut tâcher de déterminer qui, dans la satire, évoque ainsi de vieilles coutumes nationales. La réponse à cette question que, singulièrement, nos prédécesseurs n'envisagent pas n'est guère ardue: c'est manifestement ici un laudator temporis acti, peut-être Varron, qui, donnant la réplique aux autres orateurs du banquet, fait l'apologie des bonnes mœurs du passé. Il est loisible d'imaginer que sa harangue opposait « aujourd'hui » à « autrefois », nunc à tune, opposition qui, nous l'avons vu, tient du leitmotiv dans les Ménippées i1). Ces observations tombent tellement sous le sens que nous nous dispenserons de les développer.

De même, il serait superflu d'expliquer longuement le sort que nous faisons au fragment 11: de la manière dont nous le comprenons, il énonce un jugement sur l'amour qui correspond à celui des Cynico- stoïciens et des Romains traditionalistes, donc de Varron. Par suite, il convient de l'associer aux fragments 9 et 10 (mais il va de soi que nous ne saurions restituer l'ordre exact de la série 9-11, ni fixer la longueur des passages qui séparaient l'un de l'autre les trois textes).

9 et 10. - C'est à la cérémonie romaine du mariage que renvoient les fragments 9 et 10: les «propos obscènes« de 10 ne sont autres que les célèbres couplets fescennins débités en cette circonstance (2). Pour le Gonuiuium de 9, L. Riccomagno écrit qu'il « sembra escludere le vergini all'uso greco » (3). En réalité, si Varron prend la peine de spécifier que les vierges doivent « être tenues à l'écart du banquet », c'est au con-

(*) Cf. supra, p. 8; Knoche, p. 39. (2) Sur les fescennins et leurs divers offices magico -religieux — défense contre

Yinuidia, rite « de passage » et de fécondité, etc. — cf. Festus, p. 76 L.; Catulle, LXI, 126 et suiv.; Sénèque, Med., 107 et suiv., 113; Servius, ad Verg., Aen., VI, 695; F. Ramorino, Frammenti filologici, I, 1, La poesia in Borna nei primi cinque secoli, dans BFIC, 11, 1883, p. 500-504; G. Wissowa, dans BE, VI, 1909, s. ν. Fescennini uersus, col. 2222-2223; P. Lejay, Horace, Satires, Paris, 1911, p. 697-699; E. Cocchia, La letteratura latina anteriore all 'influenza ellenica, Naples, 1924-25, p. 45-47; F. Marx, Bömische Volkslieder, dans BhM, 78, 1929, p. 398-426; P. Fabbri, Stornelli e fescennini, dans AeB, 16, 1913, p. 174-185; P. Grimal, L'amour..., op. cit., p. 72; Cèbe, p. 22, 24, 32 et suiv. Notre texte atteste que les fescennins bravaient généralement la décence: on connaît le rôle magique (fécondant) de l'obscénité: cf. Cèbe, p. 20, 34. Même témoignage chez Ovide (F., Ill, 675, 695: les ioci ueteres obscenaque dicta dont parle le poète « appartenaient originellement à la famille des vers fescennins »: Cèbe, p. 27).

(3) Riccomagno, p. 90.

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traire qu'il pense à un banquet romain où les femmes étaient admises, et précisément au festin nuptial (*).

— Ces deux fragments proviennent de Varron II (2). Le principal problème de texte qui mérite d'y retenir notre attention concerne la leçon returant. En raison de sa rareté, qui a conduit à la supposer fautive, elle a été diversement corrigée (cf. apparat critique). Mais nous avons pour la garder, outre le consensus de la majorité des manuscrits, un motif péremptoire: le lemme de Nonius qui introduit la citation de Varron est sans contredit returare. Pour le reste, notons après Büche- ler (3) qu'au Veneris des manuscrits il importe de substituer ueneriis. Les autres variantes découlent d'erreurs de lecture banales.

— 9: Virgo... uirginis: singuliers collectifs. Varron semble laisser entendre ici qu'à l'inverse de ce qui avait cours au temps des grands ancêtres, les jeunes filles, à son époque, ne sont pas toujours exclues des banquets de mariage. Il nous apprend en tout cas que, durant ces banquets, les convives n'hésitaient pas à tenir des conversations erotiques (en rapport avec la licentia fescennina).

— Maiores nostri: une des nombreuses marques de respect pour le mos maiorum qui frappent dans les Ménippées (4).

— acerbus: « qui n'est pas à maturité », en parlant des produits de la terre ou des petits d'animaux; d'où, pour les êtres humains, « qui n'est pas encore nubile ». Adjectif ancien, de la langue paysanne. On le retrouve, avec la valeur figurée que lui donne Varron, chez Tertullien (5).

(*) Sur cette coutume, cf. Cicéron, Verr., I, 66; Cornélius Népos, Praef., 6; Della Corte 1, p. 31; Della Corte 4, p. 146. Sur la célébration du mariage romain, en particulier sur le festin qui clôturait l'accomplissement du rite proprement dit et se prolongeait jusqu'à la nuit tombante (la mariée gagnait ensuite la demeure de son époux), voir J. Carcopino, La vie quotidienne à Borne à Vapogée de l'Empire, nouv. éd., Paris, 1963, p. 103-105. Cf. aussi J. Granarolo (D'Ennius . . ., op. cit., p. 239, n. 2): « si c'était une coutume romaine que d'admettre les femmes aux banquets, ce n'était qu'à l'occasion de son mariage qu'une jeune fille pouvait entendre pour la première fois les obscénités dont étaient truffés les chants fescennins ».

(2) Cf. Lindsay, Nonius, p. 55, 66. (3) Bücheier, p. 536 (403). (4) Cf. supra, p. 4; infra, p. 137. (5) Tertullien, Virg., 11.

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— imbuere: soit «imprégner, pénétrer», d'où « remplir » ί1), soit « souiller, tacher » (2). La première acception est ici certainement la meilleure.

— Noter la simplicité de la formulation; la légère coloration rustique a'acerbae, bien adaptée à la nature du texte et à la personnalité de celui qui le prononce; la netteté du schéma syntaxique (quod causal annoncé par ideo)', le jeu en chiasme des sonorités (a et u) dans uirginis acerbae auris ueneriis uocabulis.

— 10: Pueri: il incombait aux jeunes garçons d'honneur des nup- tialia, on le voit par ce fragment, d'échanger les rituelles moqueries fes- cennines (pendant qu'on accompagnait en cortège la jeune mariée chez son époux); ils participaient aussi aux autres chants choraux de la cérémonie: cf. les chants amoebées du chœur des jeunes filles et du choeur des jeunes gens attendant le cortège nuptial dans Catulle, LXII, et Catulle, LXI, 12 et suiv.:

Tollite, ο pueri, faces; flammeum uideo uenire. Ite, concinnile in modum « Io Hymen Hymenaee, io,

io Hymen Hymenaee ». Ne din taceat procax Fescennina iocatio . . . ,

« Enfants, levez vos flambeaux; je vois venir le voile couleur de flamme. Allez, chantez tous en mesure: "Io Hymen hy menée, io! Io Hymen hyménée! " N'imposons pas silence plus longtemps aux saillies licencieuses des vers fescennins » (trad. G. Lafaye. C'est nous qui soulignons).

— nuptula: hapax. Un des multiples diminutifs que Varron, à l'exemple des Comiques, a glissés dans les Ménippées (cf. supra, p. 34). Nous y sentons une sympathie légèrement attendrie (3). L'expression

0) Cf. Quinte-Curce, IV, 10, 17: imbuere aures promissis, «remplir les oreilles de promesses ».

(2) Cf. Cicéron, Phil., XIV, 3, 6: imbuti gladii; Accius, 553 Eibbeck: uenae ui- scerum J ueneno imbutae; 433 Ribbeck: créais me amici morie imbuturum manusì

(3) Sur les valeurs possibles du diminutif, cf. A. Haury, L'ironie et Vhumour chez Cicéron, Leyde, 1955, p. 67: « L'esprit passe aisément de la quantité à la qualité. Souvent le diminutif exprime, avec la petitesse, la tendresse ou le mépris »; P. de La-

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noua nupta dont noua nuptula dérive est une expression consacrée, comme « jeune mariée » qui la traduit en français: cf. Varron, De uita pop. Rom., II, 94 (Nonius, p. 112, 1. 23); R.R., II, 4, 9; Logist., 73 (Servius, ad Verg., Aen., IV, 45); Plaute, Cas., 798, 815; Catulle, LXI, 95, 96, 100, 110. La locution correspondante pour les hommes est nouus ma- ritus: cf. Varron, Men., 187 Buch. (*); De uita pop. Rom., II, 95, 96 (Nonius, p. 182, 1. 19; 302, 1. 6).

— returant: verbe probablement forgé par Varron. E. Bolisani (2) traduit: «... aprono ad osceni canti le orecchie della sposa novella. . . ». Nous voyons pour notre part dans obscenis uerbis un ablatif de moyen. Les dictionnaires usuels (F. Gaffiot, E. Benoist-H. Goelzer) rendent ici returare par «remplir, bourrer à satiété» (peut-être à cause de V imbuì de 9). Mais c'est faire trop bon marché du témoignage de Nonius et de l'éty- mologie (cf. Ernout-Meillet, s. v. obturo, p. 695: re-turo «déboucher»). En dehors de notre passage, returo ne figure que chez Arnobe (I, 52: avec le sens de «déboucher, ouvrir»). J. Granarolo (D'Ennius . . . , op. cit., p. 239, n. 1) compare finement notre tour «dessiller les yeux».

— Même simplicité de l'expression qu'en 9, mais avec ici un soupçon de recherche raffinée dans returant et de familiarité voulue dans nuptulae. Langage de la conversation élégante au Ier siècle avant J.-C. (cf. infra, p. 62-63, n. 1).

11. - Extra quotation. La citation mère vient d'un recueil des livres I-XX de Lucilius (Lucilius I de Lindsay) (3).

Le texte est corrompu et nous ne prétendons pas l'avoir restitué de façon inattaquable.

Plusieurs critiques conservent le Duloreste des manuscrits. Näke (cf. apparat critique) y reconnaissait le titre — bien réel — d'une tragédie de Pacuvius et voyait dans les mots quia meret. . . un extrait de cette pièce. Il supposait donc entre Agathone et quia meret une lacune

briolle, L'emploi du diminutif chez Catulle, dans BPh, 29, 1905, p. 277-288; J. B. Hofmann, op. cit., p. 139; Cèbe, p. 155. Sur les multiples nuances que Plaute sait faire exprimer par ses diminutifs (affectifs, « continués », dépréciatifs, erotiques, etc.), voir A. Traina, Gomoedia. Antologia della Palliata, 2e éd., Padoue, 1966, p. 34, 39, 73-79, 84-85, 98, 101-102.

(*) Voir Lenkeit, p. 39. (2) Bolisani, p. 6. (3) Cf. Lindsay, Nonius, p. 73.

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qu'il comblait partiellement ainsi: Agathone *** Pacuuius Duloreste: « quia mer et. . . ».

F. Bücheier a impeccablement réfuté cette analyse (*). A la suite de notre citation, fait-il observer, Nonius écrit: Idem Eumenidibus. . . Idem ne peut désigner que Varron. Par conséquent, le texte qui nous intéresse est de Varron, non de Pacuvius.

Appartiendrait-il à une ménippée qui portait le même titre, Dulo- r estes, que la tragédie de Pacuvius et faudrait-il, de ce fait, l'enlever à VAgatho"! O. Bibbeck le soutient (2). Mais F. Bücheier, avec raison, ne partage pas son point de vue: il est gratuit, dit-il, d'admettre qu'il y a un manque dans notre texte de Nonius et qu'on doit rétablir: Varrò Agathone * * * * Duloreste: «quia... ». Conclusion: le fragment 11 a sa place dans VAgatho (3).

Cependant Bücheier est moins heureux dans la partie positive de son raisonnement (4): «rien ne nous interdit», écrit-il, «de découvrir dans la satire de Varron une allusion à la pièce tragique Dulorestes et un enchaînement de ce genre: caedis piaculum ipsum deum parem, cum] Duloreste qui méritât, hominem et seruum facit (5). Le travail d'Apollon chez Admète avait pour cause un meurtre (Euripide, Aleni., 5), de même que le nom et les peines de Δουλορέστης viennent de l'expiation du meurtre de sa mère ». Une telle construction n'est assurément pas dénuée d'ingéniosité. Mais elle fait retenir méritât qui, on le verra, n'est pas acceptable (6) et isole tout à fait le fragment des autres, lui donnant un sens qui n'a rien de commun avec le thème de l'amour.

Tout en permettant de saisir la bévue du scribe et en changeant à peine le texte des manuscrits, la leçon que nous adoptons offre, à l'opposé, une signification qui ne jure pas avec l'orientation globale de la satire. D'autre part, cette leçon, sous l'angle de l'expression, est au moins aussi satisfaisante que celle de Bücheier.

H Bücheier, p. 536-537 (403). (2) O. Ribbeck, Trag. Bom. Fragm., 3e éd., Leipzig, 1873, p. 281. (3) Bücheier, loc. cit. (4) Ibid. (5) « L'expiation d'un meurtre met le dieu lui-même à égalité avec ] Dulorest

es qui travaille pour un salaire: elle fait de lui un homme et un esclave ». (e) Bücheier optera plus tard, dans son édition des Ménippées, pour merita:

cf. notre apparat critique.

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Tablant sur le fait que les Ménippées renferment quantité de mots et de locutions grecs (*), nous reprenons la suggestion de Popma, mais:

1° nous supprimons έρως qui est clairement de trop et doit rester sous-entendu: on ne voit pas comment Δούλος έρως εστί. serait devenu Duloreste;

2° nous latinisons les deux vocables grecs: Oulos esti. Ce n'est pas faire preuve d'une excessive hardiesse: en effet, le grec est souvent

(*) Voir l'index uerborum de Riese (Riese, p. 278-309) et Bücheier, p. 172. Par cet emploi des mots grecs, la forme des Satires Ménippées de Varron s'ap

parente à celle de Lucilius et des neoteroi (mais, ainsi qu'on le verra, Varron est sévère pour la « manie grécisante » de la nouvelle école et, à l'instar de Lucilius, use des héllénismes avec modération et naturel: il en use comme en usaient, dans la vie même, ses compatriotes instruits qui, nul ne l'ignore, étaient bilingues). Horace, au contraire, s'interdira, au nom de la latinitas, tout « violent emprunt de mots grecs nouveaux », toute fabrication d'« hybrides gréco-latins » et toute citation grecque (W. S. Anderson, op. cit., p. 10. Les autres règles auxquelles Horace obéit dans ses Sermones sont celles de la breuitas et de la concinnitas). Comme Lucilius, Varron adopte la manière d'un « urbane raconteur » (W. S. Anderson, op. cit., p. 6), qui, pour le plaisir du lecteur et de l'auditeur, varie ses effets, crée des néologismes, joue avec les mots et les images, donne ici et là dans la grossièreté ou l'inconvenance, prend à la langue populaire ses proverbes et ses tours expressifs (mais non ses incorrections), et, en poésie, sait exploiter avec adresse la valeur musicale et la suggestion de chaque mètre. On reconnaît dans cette écriture l'adaptation du « parler de la conversation cultivée (...) avant son appauvrissement par le mouvement classique » (Knoche, p. 43 et suiv.). En revanche, Varron annonce l'Horace des Sermones par le tour philosophique de ses Ménippées. Sur la nouveauté de la satire horatienne par rapport à celle de Lucilius (opposition de la sapientia socratique à la libertas lu- cilienne, et du doctor au lusor, aussi bien dans l'expression que dans Je contenu), cf. W. S. Anderson, op. cit., passim. La Ménippée de Varron est, pour ainsi dire, à mi- chemin entre les deux genres, tout en se distinguant d'eux nettement par le prosi- metrum. La critique moderne met l'accent sur une autre divergence, stylistique elle aussi, entre Varron et Lucilius: bien qu'il ne laisse pas de subir l'influence du mouvement poétique contemporain (emploi de la polymétrie et de mètres grecs adoptés conjointement par les neoteroi en particulier: cf. L. Alfonsi, Poetae novi, Come, 1945, p. 50 et Append. V, p. 176-177), Varron, qui ne jure que par la poésie ancienne (cf. supra, p. 46) et place Ennius sur le pinacle, montre dans les Ménippées un penchant certain pour les ornements et les bigarrures de l'asianisme, que Lucilius condamne au nom du bon goût, et s'abandonne à son impetus, négligeant quelque peu Yars et le labor limae; son style, plus pittoresque que vraiment artistique, pèche par un excès d'abondance et de variété; abusant des mots rares, il tombe fréquemment dans l'obscurité; il multiplie les sententiae; en somme, plus d'une fois, il «en fait trop»; et ses vers ne sont pas tous d'excellente facture. Voir Norden 2, p. 194 et suiv.; Bignone, p. 340 et suiv.; Knoche, p. 44; F. Della Corte, dans Dahlmann 5, p. 28-29; J. Gra-

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transcrit en caractères latins dans les codices de Nonius (*): cf. par exemple peri tropon (= περί τρόπων, 60 Buch.), trope (= τροπή, 61 Buch.), Exhautuestos (titre de Caecilius Statius), etc. Cette sorte de graphie doit correspondre aux passages qui, dans l'archétype (unique, on s'en souvient), furent copiés sous la dictée et non d'après lecture (on décèle plus d'une trace de cette pratique dans les manuscrits de Nonius (2)).

Nous avons donc pleinement le droit de penser que sous Duloreste se cache un Dulos esti qui équivaut à Δούλος έστι. Cela posé, la transformation de Dulos esti en Duloreste par suite d'une mauvaise lecture et d'une mauvaise division ultérieure des mots ne fait pas difficulté (d'autant moins que les copistes n'entendaient pas le grec (3)).

Comme nous le notons plus haut, il faut absolument, d'autre part, conserver meret, qui fournit à Nonius son lemme. Le remplacer par me- ritat ou autre chose est indéfendable, quelle que soit la leçon des manuscrits pour le fragment lui-même (4). Il convient enfin de ne pas renoncer à et: rien n'autorise E. Bolisani à lui préférer se, qui d'ailleurs n'améliore pas le sens.

— Si notre version est la bonne, Varron évoque dans ce fragment 11 une situation qui sera celle des Elégiaques romains: au grand

narolo, D'Ennius . . ., op. cit., p. 248-249, 261, 267, 336, 369, 395; Geller, p. 64. Nous ne pouvons qu'esquisser ici ces vues, dont plusieurs fragments présentés dans ce premier fascicule permettent déjà de contrôler la justesse. Il est naturel que Varron ait souvent refusé le travail minutieux que s'imposaient les neoteroi: non seulement parce qu'il n'approuvait qu'une faible partie de leurs canons esthétiques et, pour l'essentiel, était de leurs adversaires (il ne partageait pas, notamment, leur goût des opera parua — ses Ménippées, on l'a vu, ne comptaient pas moins de cent cinquante livres!), mais également parce que leur souci de la perfection «aurait entravé » son idéal « de prédication morale et d'efficacité pratique et rapide » (J. Gra- narolo, D'Ennius..., op. cit., p. 249). Eépétons, d'autre part, que la majorité de ses Ménippées vit le jour dans les camps militaires, ce qui n'était guère propice ati labeur réclamé par les neoteroi. Loin de nous le désir de minimiser l'ouvrage par ces considérations: tout mutile qu'il est, son charme et son pouvoir évocateur restent perceptibles, comme nous essayons de le faire voir dans notre commentaire; il doit même dans une large mesure son attrait et son piquant aux outrances de ses recherches formelles; mais il faut avouer que, sur le plan de l'art pur, il le cède aux poèmes d'un Lucilius et, plus encore, d'un Catulle ou d'un Horace.

(1) Cf. Lenkeit, p. 19, 75. (2) Cf. Lenkeit, p. 19. (3) Cf. Lenkeit, p. 75. (4) Ajoutons qu'avec le qui merita de Bücheier le texte devient à peu près inin

telligible.

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scandale des traditionalistes, ceux-ci, on le sait, imitant les adulescentes de la comédie, se proclament et sont pour de bon les humbles esclaves de leur domina (seruitiwm amoris) (^. Situation dont Varron a sans doute eu connaissance plus encore par ses lectures grecques et par le théâtre national que par sa propre expérience vécue, car elle ne devait guère exister à Eome de son temps, malgré l'effort de Térence pour enseigner aux Eomains les beautés et les richesses spirituelles de l'amour authentique (2).

Mais on retiendra surtout que l'idée exprimée dans notre sententia se raccorde à ce poncif de la philosophie cynico-stoïcienne: «les passions asservissent » (thème 84 Oltramare). D'où il résulte en premier lieu, ainsi qu'on l'a vu, que l'amour passionné est un mal (thème 87 Oltramare), en second lieu que le Sage seul, qui n'a pas de passion, est libre, tout puissant et capable d'accéder à l'Amitié et à l'Amour véritables (thème 61 Oltramare). Cf. Horace, Sat., II, 7, 83-94 (sermon cy- nico- stoïcien de Davus au poète; trad. F. Villeneuve): «Qui donc est libre? le Sage, l'homme qui possède l'empire de soi-même, celui que n'épouvantent ni la mort, ni les chaînes, qui est fort pour lutter contre les passions, pour mépriser les honneurs (...). De ces traits, en est-il un que tu puisses reconnaître comme t 'appartenant? Une femme exige de toi cinq talents, elle te tourmente, elle te ferme sa porte et t'asperge d'eau froide; puis elle te rappelle (3). Soustrais ton cou à un joug honteux; allons, dis: " je suis libre, oui, libre! " Tu ne le peux, car un maître sans douceur harcèle ton esprit, te donne rudement de l'éperon si tu es fatigué et te fait changer de direction malgré tes efforts contraires » (4). Ailleurs Horace, par le truchement du Cynique Damasippe (dont il raille les ma-

(1) Cf. P. Grimai, L'amour. . ., op. cit., p. 160 et suiv.; J.-P. Boucher, Etudes sur Properce. Problèmes d'inspiration et d'art, Paris, 1965, p. 90; E. Segal, op. cit., p. 111: pour un Komain, l'esclavage était pire que la mort; « to be a " slave of love ", even metaphorically, was also un-Roman behavior ».

(2) Cf. supra, p. 43. (3) Allusion évidente à la palliata: cf. supra, p. 53, η. 2. (4) Quisnam igitur liber f sapiens, sibi qui imperiosus,

quern neque pauperies, neque mors neque uincula terrent (. . . ). Quinque talenta

poscit te mulier, uexat, foribusque repulsum perfundit gelida, rursus uocat; eripe turpi colla iugo; « liber, liber sum », die age ! non quis; urget enim dominus mentem non lenis et acris subiectat lasso stimules uersatque negantem.

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nières mais approuve la doctrine), assimile l'amour à la folie (*). De son côté, Perse montre, en s'inspirant de Térence, combien il est ardu de secouer le joug de la passion amoureuse (2).

— Pour l'acception que nous donnons à meret, cf. Plaute, Most., 281 : uxores quae nos dote meruerunt, « des femmes qui vous ont achetés avec leur dot »; Horace, Carm., IV, 12, 16: nardo uina merebere, « tu achèteras du vin avec du nard »; Sénèque, Ep., CXXII, 12: cenarum bonarum adsectator, quas improbitate linguae merebatur, « amateur de bons dîners, qu'il achetait grâce à la méchanceté de sa langue ». En employant ce terme imagé, Varron songe, croyons-nous, aux esclaves que l'on achetait sur le marché (3): l'amour, dominus intraitable (cf. les vers d'Horace que nous venons de citer), est par là identifié avec les domini humains; tout se passe comme s'il vous achetait lui aussi, sans faire de sentiment, sur le marché aux esclaves (4).

— Pour le sens de δούλος, « d'esclave, servile », cf. Euripide, Tr., 673: δοϋλον ζυγόν, «joug de la servitude»; Sophocle, Tr., 53: γνώμαι δοΰλαι, « pensées d'esclave ».

— Même genre d'écriture qu'en 9 et 10. Eemarquer la disposition des mots en chiasme dans meret hominem et seruum facit (verbe - complément direct - attribut du complément direct - verbe). Dulos esti semble sortir de quelque formule proverbiale.

12. - «Extra quotation». La citation mère provenait d'un recueil des œuvres de Salluste (5). La correction en ut de Vet des manuscrits n'a rien d'impératif; offensum est manifestement une mauvaise lecture (6), tout comme museos (7). La leçon de Laurenberg (fluitantes au lieu de

0) Horace, 8at., II, 3, 250 et suiv. (2) Perse, V, 157-175; cf. supra, p. 43, n. 3. (3) Cf. Varron, L. L., IX, 52, 93: itaque in hominibus emendis, si natione alter

est melior, emimus pluris. (4) Traduction d'E. Bolisani (Bolisani, p. 8; pour le texte, cf. notre apparat

critique): « amore è come uno schiavo in quanto s'adatta ad umili servizi e da uomo libero si muta in schiavo ».

(5) Cf. Lindsay, Nonius, p. 77. (β) Confusion fréquente d'à et d'u, d'm et de nt. (7) La présence de récentes montre qu'on ne saurait lire autre chose que m«-

eteos; au demeurant, l'adjectif museus, « des Muses », serait aberrant dans notre phrase.

J.-P. CÈBE 5

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fluitare) est paléographiquement critiquable et se fonde sur un argument grammatical erroné: après un verbe sentiendi comme suspicere, l'infinitif est fréquemment employé là où on attendrait le participe (*). Les autres tentatives qui ont été faites pour amender le texte consistent en des ajouts et des suppressions qui le violentent à l'excès (2). Tel que nous l'établissons, il est en prose.

Nous ne discernons pas avec netteté quelle dépendance il y avait entre ce fragment et le reste de la pièce. Il peint de façon alerte et suggestive une petite scène divertissante de la vie quotidienne: allusion métaphorique aux hommes qui, tout occupés par leurs désirs ou leurs chimères (en amour?), perdent de vue le réel et font des faux pas? ou satire de la gourmandise?

— récentes musteos: presque un pléonasme. Aussi Vahlen, For- cellini et F. Della Corte suppriment-ils récentes qu'ils regardent comme une glose; mais ils n'ont pas pour cela des preuves assez solides: Varron a très bien pu vouloir rendre sa notation plus frappante en utilisant deux mots dont l'un, plus commun, explique l'autre; dans les Res rusticae (II, 11, 3), il parle de fromages molles ac récentes (tour assez proche de notre récentes musteos). Musteus signifie « frais, nouveau ». Le substantif manque. E. Bolisani (3) sous-entend caseos et renvoie à Pline (N.H., XI, 97), qui dit du fromage de Nîmes, de la Lozère et du Gévaudan: sed bre- uis ac musteo tantum commendatio (4). D'autres, à cause de carnarium (mais ce mot veut dire, en général, « dépense, garde-manger ») et peut- être aussi à cause de Varron, R.R., II, 4, 3 (5), suppléent petasunculos,

(*) Cf. Vairon, Men., 447 Buch.: cubare uideas; 457 Buch.: aspieio . . . sequi; Ernout-Thomas, p. 239.

(2) Voici en particulier ce qu'écrit F. Bücheier (Bücheier, p. 537 (403)) au sujet de la tentative de Vahlen (Vahlen 1, p. 79) et de Eoeper (Philol., 18, 1862, p. 447, n. 31; cf. supra, p. 11): «Vahlen et Roeper ont donné une structure métrique au fragment et pueri . . . Cela ne peut s'admettre que si, en même temps, on écrit pedis offensant (comme par exemple Quintilien, VI, 3, 67, disait caput eum ad fornicem Fabium offendisse). Mais une telle modification ne paraît pas justifiée, car on ne dispose d'aucun critère pour une rédaction métrique de ces mots ».

(3) Bolisani, p. 10. (4) « Mais il dure peu et ne vaut que tant qu'il est frais ». (5) Quis enim fundum colit nostrum quin sues habeat et qui non audierit patres

nostros dicere ignauum et sumptuosum esse qui succidiam in carnario suspendent po- tius ab laniario quam e domestico fundoi, « qui en effet cultive notre domaine sans posséder des porcs et sans avoir entendu dire que nos ancêtres traitaient de paresseux et de dépensier celui qui suspendait dans son garde-manger des quartiers de porc venant de la boucherie plutôt que du domaine familial? ».

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« jambons » (x) ou succidias, « quartiers de porc salé ». La solution d'E. Bolisani est, à notre avis, la plus plausible, compte tenu des adjectifs (mais ce n'est pas une raison pour introduire caseos dans le fragment comme le fait F. Della Corte). De nos jours encore, les paysans suspendent souvent les fromages frais enveloppés dans des feuilles ou enfermés dans des cages d'osier à claire-voie.

* * *

13. - Aucun problème de texte. Extrait de Varron II (2). Prose. Suivant certains commentateurs italiens dont nous avons déjà ment

ionné la théorie (3), Varron, dans ce fragment, sacrifierait au genre de la nekuia (genre très apprécié des Cyniques et des Satiriques latins — nous y reviendrons): il donnerait la parole à l'esprit d'Agathon «reduce dai luoghi bui », auquel il aurait prêté l'apparence d'une chauve-souris (4). A. Marzullo suggère que, par là, il raille peut-être la métempsycose (5). Nous avons dit quel cas nous faisions de telles suppositions.

E. Bolisani a raison de les condamner (6). Mais il témoigne d'une timidité exagérée quand il refuse de risquer lui-même une opinion. Car notre texte fait immédiatement venir à l'esprit trois conjectures dignes d'intérêt:

1° II pourrait appartenir à la catégorie des fables animales, même si nous ne connaissons pas d'apologue antique que nous verrions

(!) Kiese, p. 96; Bücheier, p. 537 (403). (2) Cf. Lindsay, Nonius, p. 15. (3) Cf. supra, p. 40. (4) La formule entre guillemets est de L. Riccomagno (Eiccomagno, p. 81),

qui fait observer que, dans les Oiseaux d'Aristophane, le chœur relate comment l'âme de Chéréphon, surnommé « La chauve-souris », fut évoquée par Pisandre de même que Tirésias par Ulysse (Aristophane, Av., 1553-1564; cf. 1290). En fait, dans ces vers d'Aristophane, Chéréphon n'est pas appelé νυκτερίς parce qu'il est un fantôme (cri et vol de la chauve-souris comparés par Homère au bruit et au vol des fantômes), mais parce que, de son vivant, il avait la peau couleur de buis: cf. Norden 1, p. 60 (324): « Aristophanes in av. 1290. 1564 Chaerephontem νυχτερίδα dioit, ut adnotant interprètes, δια την χροιάν, πύξινον (Eupol., fr. 239, I, p. 322 Κ.) »; Norden en déduit justement qu'on ne saurait rapprocher du nôtre le texte des Oiseaux « pr opter nerba neque in muribus plane neque in uolucribus sum ».

(5) Marzullo, p. 6. (6) Bolisani, p. 10.

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facilement figurer dans une composition comme Agatho (x). On n'ignore pas que plusieurs Satiriques latins, Ennius en tête, ont introduit des fables dans leurs ouvrages (2); et qui n'a lu la charmante fable du rat de ville et du rat des champs narrée par Horace dans le cadre d'un sym- posion {Sat., II, 6, 79-117)?

2° Varron pourrait encore reproduire ici les propos d'un personnage mythologique changé par quelque dieu en chauve- souris. Le fragment 13 resterait alors tout à fait dans la ligne du thème fondamental de la satire: il donnerait un exemple des châtiments divins que provoqua l'amour, de ces châtiments qui ne se comptent pas dans les Métamorphoses d'Ovide. Cette hypothèse, de prime abord, est tentante, en raison, notamment, de factus sum qui invite à se représenter une métamorphose. Mais, malheureusement, elle n'a pas d'assise ferme dans la légende qui nous a été léguée; les seules victimes d'un courroux d'immortel qu'on y trouve transformées en chauves- souris sont les filles de Minyas. Or nous ne saurions avoir affaire à l'une d'elles: a) à cause du masculin factus sum; b) parce qu'elles durent leur punition non pas à l'amour, mais au fait qu'elles avaient travaillé pendant les fêtes de Dionysos (3).

3° II est enfin judicieux — et c'est la solution à laquelle, personnellement, nous nous arrêtons — de penser avec E. Norden (4) que notre fragment était inclus dans le discours que tenait, durant le banquet, « un homme qui n'en était pas un », en d'autres termes un inverti. Nous savons en effet que les Grecs comparaient les eunuques à des chauves- souris (5). On tire de là logiquement que la même association devait valoir aussi pour les homosexuels, êtres hybrides, à la fois hommes et femmes (γυναικανήρ, άρρενό-9-ηλυς). Ainsi interprété, le passage ne mettrait pas une note discordante dans un débat sur l'amour, où il est à présumer que Varron ne négligeait aucune des formes de cette passion

i1) E. Norden (Norden 1, p. 60 (324)) marque bien la distance qui sépare de notre fragment les fables ésopiques où il est question de chauves -souris: celles-ci incarnent chez Esope l'hypocrisie.

(2) Cf. Knoche, p. 16 et suiv. Sur le rôle joué par les animaux dans la satire, cf. supra, p. 18, n. 9.

(3) Ovide, Met., IV, 407-415. (*) Norden 1, p. 59 (323). (5) Platon, Besp., Y, 479 c; Cléarque, ap. Athen., X, 452 C et suiv.; Lucien,

Eun,, 8.

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(rappelons qu'Agathon lui-même était inverti i1)). Assurément, nous n'avons pas la preuve que les Romains traitaient parfois les homosexuels de uespertiliones', mais ce mot, avec le sens figuré que nous lui attribuons, peut être un hapax; sachant ou imaginant ses lecteurs familiarisés avec le parallèle grec entre la chauve-souris et l'eunuque ou l'homosexuel, Varron a pu transposer de sa propre initiative le grec νυκτερίς, sans se référer à un précédent latin (peut-être aussi donnait-il des éclaircissements sur cette petite énigme dans la partie perdue de la satire qui suivait immédiatement le fragment 13).

Varron et tous les Boinains fidèles comme lui aux traditions ances- trales jugeaient sévèrement l'effémination et la pédérastie, surtout la pédérastie « passive » (3). Le Cynisme les y encourageait, qui réprouvait formellement Γ« amour grec » (3).

Ultime suggestion, que nous signalons uniquement pour épuiser la série des possibles, car, à nos yeux, elle n'a aucune chance d'être vraie: la chauve-souris de notre texte serait Varron, à la fois prosateur (in mu- ribus) et poète (in uolucribus) dans les Ménippées (4).

— 13 précédait peut-être 9-11: il serait concevable que l'intervention du laudator temporis acti achevât la discussion. Mais, comme nous n'en sommes pas certain, nous avons préféré ne pas bouleverser l'ordre que ces quatre fragments ont dans les autres éditions.

— Expression simple et claire, qui s'apparente à celle de 9-12.

* * *

14. - Texte sûr. Nous ne comprenons pas pourquoi E. Bolisani a éprouvé le besoin de remplacer celsu"1 qui va très bien par altus, faisant disparaître en partie l'allitération eedit citu1 celsu\ Sur citv? et celsu\

(M Cf. Aristophane, Thesm., 30-265, principalement 130-143. (2) Cf. les termes d'insulte cinaedus, pathicus, prostibulum ou delieiae popli

(Piaule, Aul., 285; Most., 15); Varron, Men., 44 Buch.; P. Grimal, L'amour..., op. cit., p. 121; Cèbe, p. 132, 134-137, 160, 177 et suiv., 195, 211.

(3j Thème 88 Oltramare: « la pédérastie est un vice ». Cf. G. A. Gehrard, op. cit., p. 140 et suiv.; Philon, De spec, leg., Ill, 37.

(4) Cf. Lucien, Bis ace, 33 (c'est le Dialogue qui parle): ούτε πεζός είμι ουτ' επί των μέτρων βέβηκα, άλλα ίπποκενταύρου δίκην σύνθετόν τι και ξένον φάσμα τοις άκούουσι δοκώ, « je ne suis pas en prose, je ne marche pas non plus en cadence; mais, pareil à un hippocentaure, je parais à ceux qui m'écoutent un monstre d'une nouvelle espèce ». Lucien décrit ici son prosimetrum.

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cf. ce qu'écrit H. Geller: « la chute de la consonne finale -s après une voyelle brève précédée de consonne semble être la règle dans les Mé- nippées, si la métrique le permet » i1). Fragment en vers (hexamètre dactylique) et création originale de Varron. C'est une extra quotation. La «leading quotation» sort d'une édition des vingt-et-une pièces «var- roniennes » de Plaute (Plautus I de Lindsay) (2).

Nous retrouvons ici, comme il se doit, le pseudo-fantôme d'Aga- thon: c'est lui qui, d'après les érudits italiens dont il a été question plus haut (3), quitterait précipitamment notre terre pour rejoindre les Enfers.

Non moins invraisemblable est la doctrine de G. Boissier (4): il imagine un deus ex machina qui, après avoir dénoué l'intrigue et tout arrangé, s'envole vers les cieux. Mais VAgatho, étant un Symposion, n'avait pas d'intrigue et ne requérait apparemment aucune action personnelle de la divinité.

De son côté, E. Bolisani (5) se contente de noter qu'il serait peut-être bon d'établir une corrélation entre ce fragment (qu'il numérote 9 comme tous les autres éditeurs) et le fragment 8 (tirade à Lampadio). On ne saurait pourtant, quoi qu'il semble donner à croire, regarder 14 (ou 9) comme inspiré par la comédie au même titre que 8: son mètre n'est pas un mètre comique et ce n'est visiblement pas un morceau de dialogue.

Dans ces conditions, nous estimons que le plus raisonnable est de le déplacer, comme nous l'avons fait, jusqu'à la fin de la satire: il se trouvait selon nous dans le dernier épisode du banquet et peignait le départ d'un convive dont il serait vain, bien entendu, de rechercher l'identité.

Eeste à étudier l'expression, son timbre, sa couleur. Là-dessus, K. Mras émet une excellente remarque (6): dans notre hexamètre, dit-il, on sent l'influence de la poésie — entendons de la grande poésie. En effet, c'est vers la grande poésie (épopée) que nous sommes invités à diriger nos regards et par la locution haec postquam dixit (7) et par le tour

i1) Geller, p. 23. Cf. Kiese, p. 88. Trait de la vieille langue (Plaute). (2) Cf. Lindsay, Nonius, p. 7 et 11. (3) Cf. supra, p. 40. (4) Boissier, p. 72 et suiv. (5) Bolisani, p. 9. (β) Mras, p. 393. (7) Cf. les tours épiques haec ubi dicta dédit. . ., haec locutus . . ., dixerat et. . .,

sic fatus. . ., uix ea fatus erat. . ., haec ait et. . ., sic memorai. . ., etc. On comparera surtout Virgile, Aen., III, 463 (quae postquam notes sic ore effatus amico est) et X, 298-299 (quae talia postquam / effatus. . .).

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allitérant à trois termes cedit citu1 celsu1 (*). Au contraire, l'adverbe to- lutim, qui appartient au répertoire des Comiques et des Satiriques (2), contraste avec les autres mots du vers et provoque une espèce de chute. On a là quelque chose qui ressortit au mélange des tons et à la parodie littéraire (style héroï-comique). Parodie souriante, sans intention de censure et visant simplement à égayer la fin de l'ouvrage (disparate plaisante entre la solennité de la phraséologie et le genre familier de la satire; peut-être aussi entre la solennité de la phraséologie et la nature ou la condition du personnage mis en scène (3)).

Comme presque tous les hexamètres dactyliques des Ménippées varroniennes (une seule exception), celui-ci a une césure penthémi- mère, césure choisie par l'écrivain pour des raisons d'harmonie: voir Della Corte 5, p. 153.

* * *

En résumé, les débris subsistants de VAgatho peuvent, à notre sentiment, être disposés et analysés comme suit:

— 6: présentation d'un des convives, qui est un adepte de la philosophie socratique.

— 7: intervention dans le débat qui s'est engagé au cours du banquet d'un ami du luxe, homme d'esprit «moderne», qui dédaigne la tradition nationale d'austérité et de puritanisme.

— 8: tirade inspirée par la comédie et adressée à l'esclave d'un adulesoens. Son office dans l'économie de la pièce n'est pas clair.

— 9-11: propos tenus par un laudator temporis acti (Varron?), qui, en réponse aux autres orateurs, fait l'éloge des coutumes ances- trales et, à la façon des Cyniques, flétrit l'amour-passion.

— 12: petite scène de la vie familière: les enfants qui trébuchent parce que, tels l'astrologue de la fable, mais pour un autre motif

(*) Cf. Cèbe, p. 86, 106 et suiv. Sur l'emploi (poétique) de l'adjectif citus au lieu de l'adverbe cito avec un verbe de mouvement, cf. Marouzeau, Stylistique, p. 138; Geller, p. 15; un bon exemple est Catulle, 63, 30: citus adit. . . chorus.

(2) Plaute, As., 706; Novius, 49 Ribbeck; Lucilius, 313-314 Marx. (3) Sur la bigarrure des tons et la parodie dans la satire, cf. supra, p. 11, n. 5

et 32-33, n. 3. Sur la distinction entre parodie satirique et parodie (ou burlesque) humoristique, cf. supra, p. 21, n. 2. Sur les différentes techniques et les différents effets de la parodie, cf. Cèbe, p. 9 et suiv.

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72 AGATHO

(la gourmandise), ils regardent en l'air. Impossible de dire où elle se situait au juste et quelle était sa fin véritable.

— 13: passage du discours prononcé par un homosexuel. A placer peut-être avant 9-11.

— 14: départ d'un invité i1).

(x) Voici, pour information, l'essentiel de la théorie que développe au sujet d'Agatho F. Della Corte dans son premier travail sur les Ménippees de Varron (Della Corte 1, p. 32). Nous en avons discuté chemin faisant les principaux points:

« In un banchetto, ove si disputi di moralità e sovratutto del grande problema di come vada trattata l'innocenza e la pudicizia dei bimbi e delle donne, giunge di improvviso la rievocazione di questo Agatone, al quale, conforme le esigenze di una satira che rechi per titolo un nome di persona, possiamo bene attribuire in prima persona gran parte del discorso, sovratutto attribuire il discorso rivolto al servo Lam- padione (fr. 8), discorso che, sebbene possa appartenere ad una commedia neviana, tuttavia non stona con un discorso di un poeta tragico (...) come pure non stonerebbe il fr. 14» (notre fr. 11) «pur esso attribuito ad altra opera scenica, forse ad una tragedia di Pacuvio.

Il discorso ο monologo di Agatone improntato appunto nella sua forma greca ad un magniloquente tono drammatico, potrebbe terminare con la scomparsa improvvisa dello spirito evocato (fr. 9: haec postquam . . . ) » (notre fr. 14).

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AGE MODO

Aux actes!

I 15 (15) Argo citiremem

Argo aux rames rapides

II 16 (16) Aenea

Enee III

17 (17) terra culturae causa attributa olim particulatim homini- bus, ut Etruria Tuscis, Samnium Sabellis

la terre fut jadis, pour être cultivée, attribuée aux hommes par lots, comme l'Etrurie partagée entre les Toscans, le Samnium partagé entre les Sabelliens

15 Charisius, p. 118, 1. 8 K.: Argo hanc Argo Varrò Menippeus in Age modo: « Argo citiremem ».

16 Charisius, p. 66, 1. 24 K.: quamuis Veteres hic Aenea dixerint sine s, ut Varrò in Age modo, et p. 120, 1. 26 K.: Aenea hic Aenea sine s Varrò dixit in Age modo.

17 Philargyrius, ad Verg., G., II, 167: De Sabellis Varrò in Age modo sic ait: « terra. . . Sabellis ».

17 culture Vaticanus 3317 fol. saec. XI

Varron a donné pour titre à cette satire une formule vive d'exhortation à agir: formule quasi proverbiale, qui appartenait primitivement à la terminologie du sacrifice (*) et fut ensuite adoptée par le sermo cot- tidianus (2) puis par les écrivains (3).

(1) Le sacrificateur demandait au prêtre: « agonei » et le prêtre répondait: « hoc age ». Cf. Varron, L. L., VI, 12; Ovide, F., I, 322.

(2) Voir J. B. Hofmann, op. cit., p. 37. (3) Sur sa signification: Servius, ad Verg., Aen., II, 707: hortantis aduerbium

ut plerwmque « agite facite » dicamus. Cf. Plaute, Mil., 215: age si quid agis, « au tra-

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Cet appel est évidemment destiné d'abord aux Bomains, que Var- ron voudrait voir abandonner leur oisiveté et les vices qu'elle engendre i1). Mais il s'adresse aussi à l'humanité entière: en effet, il nous apporte l'écho de plusieurs thèmes diatribiques: «agir c'est lutter, vivre c'est combattre », « le travail est un bien » et « l'énergie est la condition essentielle de la vertu » (2).

Les trois fragments subsistants ne vont pas à rencontre de cette interprétation du titre: bien analysé, le dernier d'entre eux (17) l'accrédite, on le verra, pleinement; dans le cas contraire, eût-il été rapproché par Philargyrius d'un passage où Virgile exalte la robustesse et l'ardeur de plusieurs peuples d'Italie, dont les Sabelliens: «Notre pays a produit une race ardente, les Marses, et la jeunesse SabeUienne, et le Ligure habitué à la vie dure, et les Volsques armés de l'épieu » (3)? Il est donc logique d'admettre que, dans les deux autres bribes de textes (15 et 16), Enée et les Argonautes évoqués par leur fameuse nef symbolisent le labeur courageux et l'apprentissage indispensables pour parvenir à la vertu et à l'indépendance morale (autarheia) qui seule procure le bonheur (4).

Semblable exploitation de la légende n'est pas unique dans l'enseignement des Cyniques et dans les Ménippées de Varron: remémorons- nous, par exemple, le rôle de Sage idéal, de modèle des vertus que le Cynisme fait jouer à Hercule (5). En cela, du reste, ni les Cyniques ni Varron ne se singularisent: les Anciens avaient coutume de demander au mythe et à la poésie, principalement à la poésie homérique, des leçons de toute sorte. Les Pythagoriciens, pour purifier leurs âmes, lisaient

vaii, voyons, au travail » (trad. A. Ernout); 928; Ep., 196; Pers., 659; SU., 715; Trin., 981; Capt., 930: hoc agamusl; Térence, Eun., 282: age modo, i; Horace, Sat., II, 3, 152: hoc age; Virgile, Aen., I, 753: immo age; II, 707; V, 58: ergo age, agite; III, 169: surge, age; III, 462; V, 548: uade age; V, 635: quin agite; VI, 343: die age; VI, 756: nunc age; Valerius Flaccus, II, 55: quin agite; II, 565: uerum age; III, 212: perge age. Equivalent du grec άλλ' άγε, άγε δή. Voir Otto, s. υ. agere, 3, p. 9-10. L. Eic- comagno fait observer qu'un tel titre est bien dans la manière de Varrò Menippeus (Eiccomagno, p. 42). Cf. aussi Della Corte 1, p. 89.

i1) Sur les mauvais effets de Yotium, cf. J.-M. André, op. cit., passim. (2) Thèmes 52 h, 52 i et 51 Oltramare. (3) Virgile, G., II, 167 et suiv. (trad. E. de Saint-Denis):

Haec genus acre uirum, Marsos pubemque Sabellam assuetumque maio Ligurem Volscosque uerutos extulit.

(4) Thème 26 Oltramare. (5) Thème 51 a Oltramare: « Hercule est le héros de l'énergie morale ».

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et commentaient Homère et Hésiode (*); Socrate faisait quelquefois de même (2); Plutarque nous apprend que les Péripatéticiens Héraclide du Pont et Ariston de Ohio se servaient de la mythologie dans leurs dialogues sur la nature de l'âme (3); le Stoïcien Cléanthe proclamait que la poésie est le meilleur moyen de révéler les plus hautes vérités philosophiques, et c'était un lieu commun de saluer en Homère le plus grand des directeurs de conscience; ainsi, Horace écrit au début de son épî- tre I, 2: «Pendant que tu déclamais à Eome, Lollius Maximus, j'ai relu à Préneste l'historien de la guerre de Troie: ce qui est beau, ce qui est laid, ce qui est profitable, ce qui ne l'est point, il nous le dit plus pleinement et mieux que Chrysippe et que Crantor » (trad. F. Villeneuve) (4).

* * *

15. - Eeste d'un passage en vers: on y reconnaît la fin d'un hexamètre dactylique (5). En citiremem, hapax, l'imitation de la grande poésie est patente (épopée). Varron aime les composés expressifs de ce genre. Peut-être ce goût fut-il favorisé chez lui par l'influence de Mé-

0) Cf. L. Robin, op. cit., p. 65. (2) Cf. L. Robin, op. cit., p. 183. (3) Cf. Plutarque, De aud. poet., I; Boissier, p. 100. (4) Horace, Ep., I, 2, 1-4:

Troiani belli scriptorem, Maxime Lotti, dum tu déclamas Romae, Praeneste relegi; qui quid sit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non, plenius ac melius Chrysippo et Crantore dicit.

Nombreux sont les personnages homériques qu'Horace met en scène dans ses 8er- mones. Les exégèses allégoriques du mythe ne manquent pas non plus chez les Epicuriens: pour établir qu'il est absurde de redouter les châtiments de l'Enfer, ils affirment que ceux-ci sont tout bonnement la transposition figurée des maux qui frappent ici-bas les victimes des passions: Tantale apparaît ainsi comme le type du superstitieux, Sisyphe comme le type de l'ambitieux, etc. Nous rencontrons ces grands réprouvés dans d'autres doctrines, où ils tiennent parfois un autre emploi: par exemple, pour les Cyniques, Tantale est le modèle des avares (cf. Horace, Sat., I, 1, 68 et suiv.; Virgile, Aen., VI, 602). Vues sous cet angle particulier, les Erinnyes en viennent à représenter pour les Stoïciens les trois passions fondamentales (cf. supra, p. 27). On trouvera un complément d'information dans Norden 1, p. 65-68 (330- 333); cf. aussi Riccomagno, p. 88; Boyancé 2, p. 59 (qui rappelle que, par cette méthode allégorique, les Stoïciens ont sauvé la poésie du discrédit jeté sur elle par Platon).

(5) Cf. Bücheier, p. 180 (432).

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nippe: E. Bolisani signale l'emploi par ce dernier de l'adjectif άλμοπό- τιν, « qui boit l'eau de la mer », pour qualifier la cité carienne de Mindos (x).

Il ressort de la forme métrique utilisée et de la résonance du mot citiremem que Varron, dans le passage qui renfermait notre fragment, haussait le ton et embouchait la trompette épique: nous serions étonnés s'il n'avait pas recouru à ce style pour chanter les aventures du « navire fatidique » qui inspirèrent tant de poètes. Etait-ce une parodie (humoristique bien entendu)? Probablement. Mais cette parodie ne devait pas être exempte d'intentions morales sérieuses: elle devait avoir pour objet à la fois de faire sourire le lecteur et de décrier les contemporains de l'auteur, en opposant leur veulerie à la grandeur des personnages du mythe: le genre héroï-comique a très souvent cette double fin (2).

Donc Varron, dans Age modo, rendait hommage à l'héroïsme des Argonautes, comme le fera plus tard Valerius Flaccus (3). D'autres écrivains antiques ne nourrissaient pas pour eux la même admiration: surtout sensibles à ce que leurs mobiles avaient d'intéressé, ils maudissent

(: ) Bolisani, p. 11. (2) Cf. Hodgart, p. 232-233 (mais ce genre peut aussi, à l'opposé, vouloir « se

moquer de l'héroïsme et échapper à l'extrême adulation de l'épopée qui a été de règle dans l'éducation humaniste depuis la Renaissance »: Hodgart, loc. cit.; déjà la Batrachomyomachie, parodie savoureuse de V Iliade composée sans doute au Ve siècle avant notre ère par un inconnu, attaquait les valeurs célébrées par l'épopée homérique: elle ne raillait pas seulement le style d'Homère, mais voulait montrer que la guerre, envisagée comme il convient, « est essentiellement ridicule, que les guerriers humains sont semblables à une vermine qui se chamaille et que les poètes qui glorifient leurs prouesses exaltent le côté absurde, animal de la nature humaine »: Highet, p. 81-83); Cèbe, p. 320: les parodies juvénaliennes « n'ont pas pour seule destination de dérider le lecteur; elles cherchent, en plus, à rendre mieux perceptible la marge qui sépare les Romains de l'Empire des hommes éminents, héros légendaires ou grands ancêtres, dont la haute poésie perpétue la mémoire, autrement dit à faire voir combien la réalité contemporaine est éloignée de l'idéal et à stigmatiser par une antithèse implicite l'immoralité de la société du Ier-IIe siècle de notre ère » (voir à ce propos F. J. Lelièvre, Parody in Juvenal and T. 8. Eliot, dans CPh, 53, 1, 1958, p. 22-26).

Il arrive quelquefois dans la satire que le « style noble » ne vise pas à égayer, ne soit pas parodique, mais serve à faire prendre conscience de la gravité du thème traité: cf. Witke, p. 269; supra, p. 32, n. 3.

(8) En revanche, dans les lies rusticae (II, 1, 6), il propose une explication rationaliste de leur histoire: les béliers « à la toison d'or » auraient été ainsi nommés en raison du prix que les gens de l'époque accordaient à ces animaux; les vols commis par Thyeste et Jason n'auraient pas d'autre explication.

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l'invention du navire, périlleux instrument de la cupidité qui a pour fille la guerre i1).

16. - Nul n'était mieux désigné que le fondateur légendaire de l'Urbs pour être pris comme exemple dans une satire qui glorifiait le travail et la force d'âme. Comme les héros grecs qui entreprirent la première expédition maritime, il eut à voyager sur la mer et rencontra pour accomplir sa mission bien des traverses. Héros latin par excellence, personnifiant la pietas, il faisait toujours, quoi qu'il lui en coûtât, ce que lui commandaient les dieux et la loi morale.

* * 17. - Texte sûr. Prose. Nous n'entendons pas ce fragment comme A. Marzullo (2): il y dé

cèle des « précisions historiques avec des divagations linguistiques com-

(*) Sur cette critique de la navigation, véritable topos, cf. en particulier le thème 83 b Oltramare: « l'avidité est cause des durs travaux, des voyages dangereux en mer et des guerres meurtrières »; Tibulle, I, 3, 39-40; I, 9, 9; Ovide, Am., II, 16, 16-18; Sénèque, N. Q., V, 18, 6 et suiv., notamment: uela uentis damus bellum pe- tituri. (...) Quid exercitus scribimus directuros aciem in mediis fluctibusì quid maria inquietamusl (...) Nos sine ulla parsimonia nostri alienique sanguinis mouemus ma- num et nauigia dedueimus, salutem eommittimus fiuctibus quorum félicitas est ad bella per ferri. (...) Sic Gras sum auaritia Parthis dabit: per hominum et deorum iras ad au- rum ibitur; Virgile, Bue, IV, 31 et suiv.: après le retour de l'âge d'or, ramené par le célèbre enfant providentiel, « quelques traces de l'ancienne malice subsisteront, pressant les hommes d'affronter Thétis sur des nefs, de ceindre les places de murailles, d'ouvrir dans la terre des sillons. Alors il y aura un second Tiphys » (pilote d'Argo) « et, pour transporter V élite des héros, une seconde Argo; il y aura même une autre grande guerre. . . » (trad. E. de Saint-Denis). Juvénal (I, 10-11) se moque de la «méchante peau d'or volée» (furtiuae. . . aurum / pelliculae) et de Jason devenu négociant à la saison d'hiver (mercator Iason: VI, 153). Il arrivait également que les navigateurs fussent non pas blâmés mais plaints pour la dureté de leur existence: un personnage d'Antiphane (auteur de la Moyenne Comédie) s'écrie dans La femme d'Ephèse (100 et 101 Kock): «Malheureux qui passe sa vie en mer. (...) Marcher cent stades est bien plus enviable, assurément, que de naviguer un plèthre. Tu prends la mer, alors qu'on vend des cordes? » (c'est-à-dire: tu ferais mieux de te pendre); « pauvre sur terre plutôt que riche en mer »; et un héros d'Alexis (autre écrivain de la Moyenne Comédie) s'exclame (211 Kock): «celui qui sillonne la mer est atrabilaire, mendiant, ou candidat au suicide ».

(2) Les autres commentateurs n'en disent rien. F. Della Corte (Della Corte 4, p. 147) se borne à noter que, dans Age modo, « l'argomento verteva forse su racconti leggendari e mitologici ».

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me Varron les aime, c'est-à-dire l'indication de l'établissement des populations » (d'Italie) « non sans une explication approximative des to- ponymes » i1). Sans doute est-il conduit à ces réflexions par un passage du De lingua latina de Varron (V, 32), que relève aussi F. Della Corte (2): « Beaucoup de peuples habitent les contrées d'Europe. Celles-ci ont d'ordinaire reçu soit un nom légué par la tradition, comme celui de Sabini et de Lucani, soit un nom tiré de celui des habitants, par exemple Apulie et Latium, soit un nom ayant la double origine, par exemple Etrurie et Tusci » (3). Mais, si on y regarde de près, il saute aux yeux que notre texte n'a rien à voir avec l'onomastique. Quant aux éclaircissements fournis par A. Marzullo sur les « précisions historiques » dont il fait mention, ils ne dépassent pas le niveau d'une paraphrase élémentaire.

La solution du problème est donnée, à notre avis, par les mots cul- turae causa et attributa particulatim: ils évoquent sans conteste la répartition des terres qui eut lieu après Vâge d'Or mythique, lorsque Jupiter imposa aux hommes la loi du travail et les contraignit à cultiver le sol pour assurer leur subsistance: pendant l'âge d'or, comme dit le poète, « point de cultivateur qui travaillât les champs; il eût été même sacrilège de placer des bornes ou de diviser la campagne par une limite (...): la terre produisait tout d'elle-même, avec plus de libéralité, sans être sollicitée »; quand Jupiter eut mis fin à ce paradis, alors « un travail acharné vint à bout de tout, ainsi que le besoin pressant dans une dure condition » (4). Elucidé de cette manière, le fragment 17 est en parfaite conformité avec le sujet de la satire tel que nous l'avons défini (5).

(*) Marzullo, p. 8. (2) Della Corte 4, p. 147 (avec des considérations sur l'étymologie exacte d'

Etruria et de Tusci). (3) Europae loca multae incolunt nationes. Ea fer e nominata aut translaticio no-

mine ut 8 abini et Lucani aut declinato ab hominibus ut Apulia et Latium aut utrum- que ut Etruria et Tusci.

(4) Virgile, G., II, 125 et suiv. (trad. E. de Saint-Denis): Ante Iouem nulli subigebant arua coloni; ne signare quidem aut partiri limite campum fas er at; in medium quaerebant; ipsaque tellus omnia liberius, nullo poscente, ferebat. (...)

Labor omnia uicit improbus el duris urgens in rebus egestas.

Cf. également le texte des Bucoliques cité supra, p. 77, n. 1 (« ouvrir dans la terre des sillons »).

(5) Un argument subsidiaire est apporté par un autre texte de Varron (L. L., V, 6, 34) qui unit le substantif ager, « champ » (cf. culturae causa), au verbe agere

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Les exemples que Varron propose — ut Etruria Tuscis, Samnium Sabellis — prennent dans ce cadre tout leur sens et viennent à leur tour justifier notre théorie: pour rendre raison & Etruria Tuscis, il faut rappeler que la technique du partage des terres par les agrimensores avait été apprise aux Eomains par les Etrusques, ses fondateurs, qui étaient censés la tenir eux-mêmes de la divinité. On lit à ce sujet dans le recueil des agrimensores deux témoignages des plus éloquents: « On sait que la terre fut écartée de l'éther. Or, quand Jupiter s'adjugea la terre d'Etrurie, il décida et ordonna que la campagne fût divisée et que Von bornât les domaines. Sachant la cupidité des hommes (...)> il voulut que tout fût séparé par des limites »; et d'autre part: « aussi cette méthode de mesure des terres fut-elle en premier lieu établie par la discipline des haruspices étrusques » (!). A la façon des Etrusques, Bomulus, si l'on en croit Varron et d'autres, morcela plus tard le territoire de Rome (2). Passons à

(cf. age modo): ager dictus in quam terrain, quid agebant et unde quid agebant fructus causa.

i1) Gromatici ueteres, I, p. 350 Lachmann: Scias mare ex aethera remotum. Gum autem Iuppiter terram Aetruriae sibi uindicauit, constitua iussitque metiri campos signarique agros. Sciens hominum auaritiam (...) terminis omnia scissa esse uoluit; I, p. 166, 10 et suiv. Lachmann: unde primum haec ratio mensure constituta ab Etru- scorum aruspicum disciplina.

(2) II en fit trois lots: l'un d'eux formait le domaine de l'Etat (ager publicus), un autre était destiné aux temples, le troisième fut distribué aux citoyens à raison de deux jugères par chef de famille: cf. Denys d'Haï., II, 1, 74; Plutarque, Borri., 27; Varron, B. B., I, 10, 2. Les opérations de ce genre, écrit Varron (De geom., 3 = Martianus Capella, VI, 228), eurent pour conséquence d'apporter la paix aux peuples qui, jusque-là, erraient et se querellaient (prius quidem dimensiones terrarum terminis positis uagantibus ac discordantibus populis pacis utilia praestitisse). Dans notre fragment 17, il ne s'agit donc pas d'une simple répartition des terres entre les différents peuples (l'Etrurie revenant aux Etrusques, le Samnium aux Sahelliens, etc.), mais d'un découpage analogue à celui de Romulus, c'est-à-dire d'un partage des diverses contrées entre les membres des communautés qui les occupaient. En sorte qu'on se fourvoierait si on voulait faire dire ici à Varron qu'au commencement la propriété fut collective, les terres appartenant à des peuples entiers (sur cette question, que nous laisserons de côté, cf. P. Ghiiraud, op. cit., p. 1 et suiv. Sur la situation économique de Rome avant la conquête étrusque, cf. J.-P. Lévy, The Economie Life of the Ancient World, Chicago et Londres, 1967, p. 47: l'économie était alors essentiellement pastorale; les modes de culture restaient très primitifs — jachère un an sur deux; les pâturages étaient sans doute possédés collectivement par les gentes, tandis que la culture était une entreprise familiale).

Pour Lucrèce (V, 1110 et suiv.), la propriété fut attribuée par les rois en fonction de la beauté, de la force et de l'esprit de chacun: cf. Boyancé 3, p. 248.

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Samnium Sabellis: le nom des Sabelliens est, on le sait, inséparable du uer sacrum, qui représente pour ainsi dire la forme initiale, rituelle, de la colonisation, avec les divisions de territoires qu'elle implique (x).

On s'aperçoit qu'il ne faut pas trop presser le sens du mot culturae dans culturae causa: on aurait tort d'en déduire que notre texte se place, chronologiquement, au stade de l'agriculture qui, dans la reconstitution var- roïiienne de l'histoire, suit, on s'en souvient, le stade pastoral (2). C'est effectivement en vue du travail agricole que les terres furent divisées durant la préhistoire italienne; mais, d'après Varron, elles le furent avant même que ne débutât l'étape de l'économie pastorale (3). Cela ne signifie pourtant pas qu'en écrivant la phrase terra culturae causa. . . Varron n'avait pas en tête une arrière-pensée; qu'il ne voulait pas rendre un hommage discret à l'agriculture, occupation jadis (olim) donnée aux hommes par le maître des dieux, et rabaisser implicitement l'élevage qu'il regrettait de voir s'étendre depuis peu (nunc) en Italie au détriment de l'agriculture (4): « c'est pourquoi », lisons-nous dans les Res rusticae, « sur cette terre où les pasteurs qui ont fondé notre ville enseignèrent l'agriculture à leurs descendants » (œuvre pie, conforme à la volonté des dieux), « là leurs descendants, à cause de leur cupidité, ont, violant la loi, converti les terres arables en prairies, ignorant que l'agriculture et l'élevage sont deux choses différentes » (5). Somme toute, il nous semble que le fragment 17 n'est pas sans évoquer en filigrane le problème très actuel des latifundia et de Yager publicus qui inquiétait Varron: bien qu'il possédât lui-même d'immenses troupeaux (e), il était capable de comprendre la gravité du péril (et ce n'était pas seulement un péril moral) que faisaient courir à son pays le déclin de l'agriculture et la ruine des petits propriétaires obligés de vendre leurs domaines: voilà pourquoi, sans aucun doute, il appartint en 59 à la commission de vingt membres chargée d'appliquer la lex Julia agraria. L. Eiccomagno exagère donc lorsqu'il soutient que Varron, dans les Ménippées, n'envisage nulle

(x) Cf. J. Heurgon, Trois études sur le uer sacrum, coll. Latomus, 26, Bruxelles, 1957. (2) Cf. supra, p. 7, n. 1. (3) II faut souligner au demeurant que l'agriculture existait vraisemblable

ment déjà, si imparfaite qu'on l'imagine, au stade pastoral: cf. E. H. Oliver, op. cit., p. 39.

(4) Sur la glorification de l'agriculture chez Varron, cf. supra, p. 7, n. 1. (5) Varron, B. B., II, praef., 4: itaque in qua terra culturam agri docuerunt pas-

tores progeniem suam, qui condiderunt urbem, ibi contra progenies eorum propter aua- ritiam contra leges ex segetibus fecit prata, ignorantes non idem esse agri culturam et pastionem. Sur cette évolution, voir E. H. Oliver, op. cit., p. 51-67.

(e) Cf. Varron, B. B., II, praef., 6; II, 8, 6.

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part « la contrapposizione dei poveri e dei ricchi, con tendenza alla satira sociale contro la proprietà » (x); mais il est bien vrai que, sur ce plan, Varron montre une grande retenue et prend ses distances par rapport aux Cyniques anarchistes et défenseurs du prolétaire: il est pour la propriété, pour la classe possédante (2), contre la révolution, et se figure que tout s'arrangerait si, par quelque magique retour en arrière, les Bo- mains restauraient le mode de vie équilibré des maiores. Utopie, assurément, mais n'oublions pas que cette utopie commanda pour une large part la politique d'Auguste (3).

Au risque de subtiliser un peu, nous dégagerions volontiers de notre passage une dernière suggestion cachée. Varron parle de l'Etrurie. Or cette province — comment pourrait-il n'y pas songer quand il fait allusion à son brillant passé? — offrait au Ier siècle avant notre ère un aspect désolé, malgré la richesse de son sol (4): là aussi, là surtout, l'élevage avait tué l'agriculture libre qui ne nourrissait plus son homme.

— Particulatim, littéralement « par morceaux », correspond à ui- ritim que Varron emploie dans le texte relatif aux mesures agraires de Romulus: cf. p. 79, n. 2 (5).

— Noter le jeu élégant des sonorités: allitérations culturae causa, Samnium Sabellis, alternant avec des homéotéleutes : olim particulatim. Même style qu'en 9-13.

(') Riccomagno, p. 147; cf. Scherbantin, p. 74. (2) F. Della Corte (Della Corte 5, p. 219) écrit qu'il n'eût pas accepté une part

de responsabilité dans les distributions de terres ordonnées par la lex Iulia agraria si ces distributions avaient gravement lésé les intérêts des propriétaires de latifundia.

(3) Cf. Dahlmann 5, p. 4: « on ne peut insister assez sur le fait que sans lui (Varron) la renouatio augustéenne aurait été inconcevable» (elle dépend en fait beaucoup plus de lui que de Cicéron à qui on en attribue souvent presque tout le mérite).

(4) Cf. Plutarque, Tib. Gracehtis, XI, 7: « comme il allait à la guerre de Nu- mance, en passant par la Toscane, il trouva le pays presque désert et ceux qui y labouraient la terre ou y gardaient les bêtes pour la plupart esclaves barbares, venus de pays étrangers » (trad. Amyot); E. H. Oliver, op. cit., p. 59. Touchant la fertilité de l'Etrurie, cf. Varron, B. B., I, 9, 6.

(5) A. Marzullo (Marzullo, p. 8) prétend sans preuves que particulatim est « foggiato sul linguaggio comico » (est-ce à cause Particulatim, « par morceaux », qu'on lit dans Plaute, Ep., 488? mais on relève aussi ce mot chez Cicéron, Leg., I, 36, et Lucrèce, IV, 554. Sur les adverbes en -Um, cf. A. Meillet-J. Vendryès, Traité de grammaire comparée des langues classiques, 2e éd., Paris, 1948, p. 219 et suiv.). En dehors de notre passage, particulatim figure dans les textes suivants: Varron, ap. Serv., ad Verg., G., II, 267; B. B., II, praef., 2; Cicéron, ad Her., I, 9, 14; Sénèque, Ep., XXIV, 14; Columelle, VII, 5, 4; Végèce, Milit., III, 11; Apulée, De mundo, 333, p. 155, 16 Thomas; Julius Paulus, Dig., Vili, 3, 23; Scaevola, Dig., XLVI, 3, 90. Plutôt qu'un terme familier il faut y voir un terme juridique.

J.-P. CÈBE 6

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AIAX STRAMËNTIGIVS

Ajax de paille

18 (18) hac re aeger medicos exquisitim conuocabat ut conualesceret

souffrant de ce mal, il convoquait, après recherche, des médecins pour le guérir (x)

18 Nonius, p. 513, 1. 26: EXQVISITIM Varrò Aiace Stramenticio: «hac re. .. conualesceret ».

Aiace stramenticio ] stramentitio H1 AA Aïce stramentio Bamb. CA || 18 hac re Turnebus XXVIII 12 Oehler Buch. BoUsani Della Corte: acre AA G H L Monte- pess. Riese Lindsay atre Bamb. Hac re uel acre del. Duentzer (Diar. litt, ant., 1848, p. 490) II exquisitim ] exquisitum Bamb. || conuocabat Turnebus Biese Buch. Boli- sani Della Corte: conuocabas G H L Lindsay conuocauas Bamb. || conualesceret Bamb. G H L Biese Buch. Bolisani Della Corte: conualesceres Popma Lindsay

Le fragment 18 a été tiré par Nonius d'Alph. Adv. (2). Son texte, que nous proposons après Bücheier et d'autres, peut être considéré comme certain. Bien que Eiese et Lindsay gardent Vacre des manuscrits, la correction hac re de Turnèbe s'impose (variante orthographique au départ. La disparition de l'Ä- initial et la mauvaise division des mots qui s'en est suivie proviennent sans doute du fait que le passage, dans l'archétype, fut copié sous la dictée (3)). Il arrive, à vrai dire, que l'accusatif neutre singulier de l'adjectif acer soit employé adverbialement (4); mais avec aeger il formerait un curieux assemblage. Au contraire, le groupe hac re aeger est entièrement satisfaisant. On trouve la même construction Jaeger avec un ablatif chez Cicéron: homines aegri morbo graut,

(*) Et non: « pour qu'un malade guérisse, on appelle les médecins en consultation... », comme l'écrit A. Marzullo (Marzullo, p. 8), dont le texte est pourtant identique au nôtre.

(2) Cf. Lindsay, Nonius, p. 30; supra, p. xn. (3) Cf. supra, p. 63. (4) Cf. Salluste, Hist., TV, 76; Perse, V, 127.

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AIAX STRAMEKTICIVS 83

« des personnes souffrant d'une grave maladie » (x), et chez Cornélius Népos: aeger uulneribus, « souffrant de ses blessures » (2). Exquisitum du Bambergensis est une coquille négligeable. Beste le flottement dans les personnes des verbes. La deuxième personne (conuocabas, conua- lesceres) est possible. Avec elle, on aurait un extrait de dialogue. Mais, comme il est plus probable que le fragment 18 appartenait à un récit, mieux vaut, à notre avis, adopter la troisième personne.

La majorité des commentateurs notent, légitimement, qu'Aiax stra- menticius était une pièce parodique. Pour les uns (3), il se référerait directement à la mythologie. Les autres, dont nous partageons les vues, sont d'avis qu'il démarquait, quoique rédigé par endroits en prose comme le montre l'unique fragment conservé (4), une tragédie portant sur la légende d'Ajax (5). De telles parodies tragiques, où se laisse découvrir l'influence du théâtre comique (6) et des tragédies humoristiques du Cynisme (7), étaient nombreuses dans notre recueil, les vestiges que nous en avons reçus le prouvent assez (8).

Mais Aiax stramenticius est-il une ménippéel F. Eitschl et P. Della Corte le nient (9): si on les en croit, cet ouvrage serait à placer au nombre des ρ s eudo -tragédies que Saint Jérôme recense dans son catalogue des écrits varroniens: pseudo-tragoediarum libros VI (10). On l'admettrait à la rigueur, n'était une difficulté que F. Della Corte a tort de prendre à la légère: il affirme comme allant de soi que la prose devait alterner avec les vers aussi bien dans les pseudo-tragédies que dans les Ménippées ou les Hebdomades seu imaginum libri (n). Bien n'est plus contestable.

0) Cicéron, Cat., I, 31. (2) Cornélius Népos, Milt., VII, 5. (3) En particulier Dahlmann 1, col. 1274; Bignone, p. 333. (*) Cf. Bolisani, p. 12: « la riduzione poetica dell'unico fr. non par possibile ». (ò) Cf. notamment Mras, p. 393; Riccomagno, p. 64, 87-88, 98; Bolisani, loc. cit. (6) Singulièrement de la phlyake, de l'hilarotragédie rhintonienne et du mime. (7) Cf. F. Ritschl, BhM, 12, 1857, p. 152; Riccomagno, loc. cit.. On peut

comparer en particulier le Ψενδαίας d'Apollodore de Gela (fr. 5 Kock: Pollux, X, 138): cf. Riese, p. 98.

(8) Cf. Riccomagno, loc. cit. (9) Cf. F. Ritschl, loc. cit.; Della Corte 1, p. 88 (F. Della Corte a-t-il changé

d'opinion depuis? on ne sait. En tout cas, dans son dernier ouvrage sur les Ménippées — Della Corte 4, p. 148 — , il ne dit pas s'il demeure d'accord avec Ritschl sur la question débattue).

(10) Cf. supra, p. vu, n. 2. (n) Sur le prosimetrum dans les Hebdomades, cf. Boissier, p. 341 et suiv.

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Personnellement, nous avons la certitude qu'une pseudo-tragédie était d'un bout à l'autre en vers (*) et que, par conséquent, il n'y a aucun motif sérieux pour exclure des Ménippées une composition dont la seule citation que nous possédions est en prose.

Eevenons-en maintenant aux particularités qui rattachent Aiax stra- menticius à la tragédie. Si le fragment 18 ne renvoie à ce genre ni par son contenu ni par son style, il en va différemment — on ne l'a pas bien marqué jusqu'ici — du titre de la satire. Il suffit pour s'en persuader de mettre en regard a'Aiax stramentieius quelques titres de tragédies latines: Aiax mastigophorus de Livius Andronicus; Hector profi- ciscens de Naevius; Andromacha aechmalotis et Medea exul d'Ennius.

Mais il faut encore tenter de résoudre une question fondamentale: que signifie au juste Aiax stramenticiusi comment doit-on y comprendre slramenticiusi Scaliger avait déjà donné la bonne réponse: cet adjectif évoque un mannequin (2), de même que faeneus dans une expression de Cicéron — hommes faeneos, « des mannequins de foin » (3) — et stra- mineus dans l'image par laquelle Ovide présente les fantoches des Argei — stramineos Quirites, « les Quirites de paille » (4). Selon Scaliger et E. Bolisani, le mot devrait être interprété dans son sens propre. Paraphrasant Eiese (5), E. Bolisani écrit qu'il convient d'imaginer « l'un des habituels épouvantails des jardins, terrible autant que l'avait été Ajax alors que, possédé par une folie sacrée à cause de l'outrage fait à Cas- sandre, il attaquait (...) des troupeaux qu'il prenait pour des hommes » (e). Passons sur la bévue que renferment ces lignes (E. Bolisani confond Ajax fils de Télamon et Ajax fils d'Oïlée. C'est sûrement du

(!) Cf. Eiese, p. 31 et suiv.; Riccomagno, p. 19; Bolisani, p. 12. (2) On rejettera catégoriquement la thèse d'A. Dieterich (Pulcinella, Leipzig, 1897,

p. 118), qui traduit Aiax stramenticius par «Ajax à la massue de paille », et on se gardera de mettre, à sa suite, Aiax stramenticius en relation avec le fragment d'une atellane de Novius (Phoenissae) où, parodiant la tragédie, un personnage dont nous ignorons le nom menace un autre personnage de l'occire avec sa massue de paille (claua scirpea): cf. 0. Kibbeck, Com. Rom. Fragm., op. cit., p. 324, 79; P. Frassi- netti, Atellanae Fabulae, Rome, 1967, p. 87, 78. Contra Marzullo, p. 8.

(3) Cicéron, Or. Fragm., A, VII, 3, p. 934, 32 Halm (p. 241, 25 Müller). Cf. Asconius, p. 62.

(4) Ovide, F., V, 621. Voir aussi Pétrone, LXIII. (5) Riese, p. 98: a nisi forte simplidus de stramenticiis hortorum agrorumque

custodibus cogitabitur, qui feris et auibus perinde terribiles sunt ac pecudi olim fuit Aiax iïle insaniens ».

(6) Bolisani, p. 12.

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AIAX STRAMENTICIVS 85

premier, le « grand Ajax », que notre satire rappelle le souvenir: son accès de folie était devenu quasi proverbial et tenait du lieu commun littéraire (x); il était le héros de plusieurs tragédies latines (2); enfin Varron en personne parle ailleurs dans les Ménippées de sa démence (3)). Même purgée de cette erreur, la doctrine d'E. Bolisani n'emporte pas la conviction. Pour notre part, il nous semble bien préférable de donner à stra- mentioius une acception figurée analogue à celle du faeneus cicéronien. Aiax stramentidus désigne dans notre esprit un homme qui n'a d'Ajax que la maladie, en d'autres termes un émule d'Ajax dans l'aliénation mentale, non dans la grandeur; un Ajax de rien, un Ajax pantin, un pauvre fou à plaindre ou à mépriser mais non à craindre. Cette exégèse trouve un appui dans la valeur péjorative que revêt souvent faeneus, « vil » ou « sot » (4). A partir de là, on peut definii· sommairement le sujet d'Aiax stramenticius: il avait trait au fléau dénoncé par le fameux paradoxe stoïcien πας άφρων μαίνεται (5). Nous retombons donc ici sur cette utilisation symbolique de la légende qui a un peu plus haut retenu notre attention (6).

Dans le personnage auquel fait allusion le fragment 18, on reconnaît souvent, en se fondant sur VAiax du titre, ce Léonymos qui, au dire de Pausanias, fut blessé en combattant l'armée de Locres à la tête des gens de Crotone et qui, sur le conseil de la Pythie, se rendit dans l'île Leukè où il vit les deux Ajax (7). On s'étonne qu'une identification si manifestement fantaisiste ait obtenu tant de succès.

(M Cf. Plaute, Capt., 615; Horace, 8at., II, 3, 187-207. (2) Livius Andronicus, Aiax mastigophorus (cf. p. précédente); Ennius, Aiax;

Accius et Pacuvius, Armorum iudicium (cf. infra la satire portant ce titre). Un passage du De lingua Latina (VI, 2, 6) atteste que Varron connaissait la pièce d'Ennius: Enni Aiax: « lumen tubarne in caelo cernof ».

(») Fr. 125 Buch. (4) Thés. l. L., VI, s. v. faeneus, p. 164. (5) De son côté, F. Bücheier (Bücheier, p. 537 (404)) pense qu'Aiax stramen-

ticius « wird am natürlichsten wohl auf die von Stoischer Paradoxie erkünstellte Tollheit bezogen ».

(s) Cf. supra, p. 74 et suiv. (7) Pausanias, III, 19, 12: «La guerre ayant éclaté entre Crotone et Locres,

en Italie, ceiix de Locres, en raison de leurs liens d'amitié avec les Opuntiens, firent appel à Ajax, fils d'Oïlée, pour qu'il les aidât dans la bataille. Aussi Léonymos, qxii commandait l'armée de Crotone, attaqua-t-il l'ennemi là où il entendait dire qu'Ajax était posté en première ligne. Il fut blessé à la poitrine et, affaibli par sa blessure, se rendit à Delphes. Quand il fut arrivé, la Pythie l'envoya à l'île Leukè, di-

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86 AIAX STKAMENTICIVS

Qui est le malade de notre texte? mais tout simplement un fou inconnu, un Aiax stramenticius — qu'il s'agisse d'un aliéné véritable ou d'un homme qui se croyait aliéné. Il est normal que, conscient de son état, ce malheureux, entre deux crises si c'était un vrai fou, ait fait appel aux médecins pour recouvrer la santé: le héros des Eumenides, nous le verrons, s'adresse lui aussi aux médecins quand il se figure avoir la tête dérangée (*); et c'est à un médecin que le vieillard des Ménechmes de Plaute demande de soigner le faux dément qu'il prend pour son gendre (2). Le vocabulaire dont Varron se sert — aeger, conualesceret — n'infirme pas cette façon de voir: en effet, dans le passage cité des Ménechmes, la folie est, comme dans le fragment varronien, assimilée à une maladie: 889: «de quelle maladie avais-tu dit qu'il souffrait?»; 895: «je veux qu'il soit guéri))-, 897: «je le guérirai)); 911: «ta maladie)); 949: ^guérir)); 959: «je n'ai jamais été malade » {*). Bien entendu, les traitements prescrits par les praticiens convoqués exquisitim ne pouvaient manquer d'échouer l'un après l'autre: Varron ne croyait pas plus que les Cyniques aux vertus de la médecine, qu'il considérait comme un art inutile, sinon nuisible, exercé par des charlatans (4); le seul remède efficace contre la folie était, à ses yeux, l'enseignement philosophique qui mène à la sagesse.

sant qu'il y verrait Ajax et serait par lui guéri de sa blessure. Plus tard, guéri, il revint de l'île Leukè, où il avait vu, disait-il, Achille, Ajax fils d'Oïlée et Ajax fils de Télamon ». Cf. Scholie ad Plat., Phaedr., 243 a.

Mettent cette anecdote en relation avec la satire varronienne: Eiese, p. 98 (« ar- gumentum saturae fortasse ridicule commutatum ex fabula quae legitur apud Pausan., III, 19, 12 »; mais cf. supra, p. 84, n. 5); Della Corte 1, p. 88 (« il ne serait pas improbable que l'unique fragment fût relatif à Léonymos avant que celui-ci ne vît Ajax »); Della Corte 4, p. 148 (ici, Della Corte traduit, en partant du même texte que nous: « malade, pour se guérir de cette blessure, il appelait les médecins en consultation » et poursuit: « du titre, il devrait résulter que Γ Ajax de l'île Leukè n'était pas autre chose qu'un fantoche fait de paille »(!)); Marzullo, p. 8.

(x) Fr. 156 et 161 Buch. Nous attribuons à ces textes une signification personnelle et inédite qui nous paraît inattaquable et que nous justifierons le moment venu.

(2) Plaute, Men., 889 et suiv. Sur cette parodie de consultation médicale, cf. Cèbe, p. 47, 53.

(3) a Quid esse Uli morbi dixeras? »; «ego ilium curari uolo »; «curabo»; a morbo (...) tuo »; « curare »; « numquam aegrotaui ».

(4) Cf. la ménippée intitulée Quinquatrus et les thèmes 9 et 74 e Oltramare: « il faut renoncer à l'étude de la médecine »; « le Sage est un médecin ».

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AIAX STKAMENTICIVS 87

Comme Ajax avait perdu le sens à cause de son orgueil et de son ambition, E. Bolisani suppose que Varron fustigeait dans Aiax stramen- ticius un des principaux motifs de l'universelle déraison: le désir d'arriver et de faire parler de soi (x). Peut-être.

— Eœquisitim: mal traduit par E. Bolisani (« avec insistance »). Hapax. Comparer tolutim (fr. 9) et particulatim (fr. 17).

— Remarquer le jeu phonique conuocabat - conualesceret. Même style qu'en 9-13.

Cf. supra, fr. 4.

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ΑΛΛΟΣ ΟΥΤΟΣ ΗΡΑΚΛΗΣ

Cet autre Héraclès

I 19 (19) quern mater peperit Ioni puellum

(ce héros) que sa mère donna pour enfant à Jupiter

II 20 (20) cum de Inuicto Hercule loqueretur eumdem esse ac Martern

probauit (Varron) parlant de l'Invincible Hercule a démontré qu'il s'identifiait avec Mars

19 Priscianus, VI, p. 231, 13 K.: non est tarnen ignorandum quod etiani hic pueras et Me et haec puer uetustissimi protulisse iimeniuntur et puellus puella. Lu- cilius Varrò in satura quae inscribitur "Αλλος οΰτος Ηρακλής: «quern... puellum».

20 Macrobius, III, 12, 5: Salios autem Herculi ubertate doctrinae altioris ad- signat (seil. Maro) quia is deus et apud pontiflces idem qui et Mars habetur. Et sane ita Menippea Varronis adfìrmat quae inscribitur "Αλλος οδτος Ηρακλής in qua cum. . . probauit.

Ι λυ "Αλλος οδτος Ηρακλής ] om. Η αλλά ος Ό2 αλοκουτος ερακαες L αλλουκουτως ηρακλης L in mg. ηρακαης Κ || 19 quem Della Corte (qui grauida pro glossa habet et del.): grauida quas Ρ grauidae quae D grauidaque ceti. coda, et edd. || aluo post mater add. Lachmann (Lucr., IV, 1275) metri causa || 20 de Inuicto Hercule Mommsen (CIL, I, p. 150) Biese Buch. Bolisani Della Corte: de Hercule Ρ de multo Hercule ceti. codd. de Hercule multa ceti. edd.

Le titre de cette satire a été diversement compris par les commentateurs.

D'après Oehler (x), le second Héraclès de Varron serait Thésée qui, effectivement, se vit, dit-on, décerner ce nom glorieux, devenu après lui proverbial (2).

(*) Oehler, ad loc. (2) Cf. Ptolémée Héphaïstios, Bibl. de Photius, 151 Bekk.: «on rapporte aussi

qu'il (Ménédème d'Elide) combattit aux côtés d'Hercule dans la guerre contre Au-

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"Αλλος ούτος 'Ηρακλής 89

Krahner (χ) et Biese (2) portent leur choix sur le Stoïcien Cléanthe, successeur de Zenon, alléguant le témoignage de Diogene Laërce qui nous apprend que ce personnage fut surnommé δεύτερος Ηρακλής en raison des sacrifices qu'il consentait pour la philosophie (3).

Selon Bücheier (4), la solution du problème serait donnée par les paroemiographi grecs — Diogenianos enseigne que, généralisant l'appellation d'abord conférée à Thésée, on qualifiait α'άλλος ούτος Ηρακλής les hommes « forts et puissants » (5) — et dans une glose de Servius qui s'appliquerait à notre ouvrage: « alors, comme dit Varron, tous ceux qui avaient agi courageusement recevaient le nom d'Hercule; voilà pourquoi nous lisons " Hercule de Tirynthe, d'Argos, de Thèbes, de Libye " » (6).

gias et que, tué dans la bataille, il fut enseveli à Lépréon, près d'un pin; qu'Hercule, ayant institué des jeux en son honneur, fut affronté à Thésée; que ce combat n'eut pas de vainqueur et qu'en conséquence les spectateurs dirent de Thésée: ' cet autre Héraclès ' ». Autre information chez Eustathe (ad Horn., II., E, 638, p. 589, 41): «il faut noter aussi que l'on connaît différents Hercule, comme le révèle celui qui dit que dans l'expression άλλος οδτος 'Ηρακλής, désignant proverbialement Thésée, on ne sait s'il s'agit d'Hercule Dactyle du mont Ida ou d'Hercule fils d'Alcmène. C'est Aelius Dionysius qui parle ainsi. Pausanias, quant à lui, indique qu'à^oç ούτος Ηρακλής est une expression proverbiale relative à Thésée ou à un des Dactyles du mont Ida. Certains y reconnaissent Héraclès d'Egypte, d'autres le fils d'Alcmène ». Voir Paroem., I, p. 190 et suiv.

(1) Krahner, p. 7. (2) Riese, p. 98 et suiv. (3) Diogene Laërce, VII, 169 et suiv.: Cléanthe, ancien pugiliste, remplissait

la nuit les baquets d'un maraîcher pour avoir les moyens de payer le jour les leçons de son maître Zenon: φασί Ss και Άντίγονον αύτοϋ πυθέσθαι οντά άκροατήν δια τί αντλεί; τον δ' ειπείν 'Αντλώ γαρ μόνον; τί δ'ούχί σκάπτω; τί δ' ούκ άρδω και πάντα ποιώ φιλοσοφίας ένεκα; και γαρ ό Ζήνων αυτόν συνεγύμναζεν εις τοΰτο και έκελευεν όβολον φέρειν αποφορας. Καί ποτέ άθροισθέν το κέρμα έκόμισεν εις μέσον των γνωρίμων καί φησι · Κλεάνθης μέν καί άλλον Κλεάνθην δύναιτ' αν τρέφειν, ει βούλοιτο · οι δέ έχοντες δθεν τραφήσονται παρ' ετέρων έπιζητοϋσι τα επιτήδεια, καίπερ άνειμένως φιλοσοφοΰντες. "Οθεν δή και δεύτερος Ηρακλής ό Κλεάνθης έκαλεϊτο.

Variante de cette interprétation chez L. Riccomagno (Riccomagno, p. 126, il. 2): « on pourrait aussi émettre l'hypothèse qu'il s'agit ici d'un philosophe cynique, lequel, luttant contre le vice, est devenu pour ainsi dire ' un autre Hercule ' ».

(4) Bücheier, p. 537 et suiv. (404 et suiv.). (6) Cf. Diogenianos, I, 63: άλλος οΰτος Ηρακλής· επί τών ισχυρών καί κραταιών

ή παροιμία. Cf. Paroem., loc. cit. (6) Servius, ad Verg., Aen.., VIII, 564: tune, sicut Varrò dicit, omîtes qui fece-

rant fortiter Hercules uoeabantur; (...) hinc est quod legimus Herculem Tirynthium, Thebanum, Libyum.

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90 "Αλλος οδτος Ηρακλής

Pour Brunetti enfin, Varron tournerait en dérision les vantards mégalomanes qui n'hésitent pas à mettre en parallèle avec les exploits d'Hercule la moindre de leurs actions i1).

De ces quatre essais d'élucidation, le meilleur est sans conteste celui de Bücheier, qui a bien discerné le caractère proverbial de la formule άλλος ούτος 'Ηρακλής (2). Cependant l'explication qui suffit à Bücheier ne répond pas entièrement à notre attente: car, si le titre qui nous intéresse fait, selon toute probabilité, allusion aux hommes vigoureux (physiquement et moralement), il doit désigner aussi le dieu Mars (il est courant qu'un titre ait deux ou plusieurs sens). On l'infère à bon droit du texte de Macrobe, qu'E. Bolisani (3) commente ainsi: Varron, écrit-il, s'appuie sur l'identification bien connue du Marmar italique avec Héraclès et désire faire entendre que le mythe d'Hercule, chargé par elle d'une valeur neuve, en est venu à symboliser certains des idéaux romains les plus nobles. F. Della Corte (4) puis A. Marzullo (5) ajoutent que cette « fusion » des deux immortels découla sans doute d'analogies entre leurs rituels (6) et surtout, plus simplement, de l'épithète Inuictus qui leur était commune (7).

Soit. Mais en se limitant à cet aspect des choses on méconnaît de nouveau, nous semble-t-il, un trait important de la satire. K. Mras nous paraît être dans le vrai quand il admet qu' "Αλλος οντος 'Ηρακλής illustrait l'idée que se faisaient les Stoïciens du Panthéon traditionnel (8) —

(1) Cf. Anthologie de Planude, VI, 100 Jacobs: dans cette pièce, un fanfaron, ayant tué une souris, prend Jupiter à témoin et se pare du titre de « second Hercule ».

(2) Cf. Della Corte 1, p. 89; Della Corte 4, p. 148. "Αλλος οΰτος Ηρακλής peut encore se dire d'un ami fidèle et correspond dans ce cas au latin alter ego: cf. Aristote, Eth. Eudem., VII, 12 (1245), où on lit άλλος Ηρακλής, άλλος αυτός (mss. ούτος); Eth. Magn., II, 15 (1213), où on a bien άλλος οΰτος Ηρακλής. Sur la genèse de cette autre acception du tour, voir Paroem., loc. cit.

(3) Bolisani, p. 13 et suiv. (4) Della Corte 4, loc. cit. (5) Marzullo, p. 8. (e) Ainsi, les Saliens étaient en même temps prêtres d'Hercule et de Mars: cf.

Servius, ad Verg., Aen.., VIII, 285: sunt Salii Martis et Herculis, quoniam Chaldaei stellam Martis Herculem dicunt, quos Varrò sequitur; Mythographus Vaticanus, III, 13, 8; CIL, XIV, 3601; 3609, 18; 3612; 3673; 3674; 4253; 4258.

(7) Cf. Boehm, BE, VIII, 1912, s. v. Hercules, col. 589. J. Marquardt {Rom. Staatsverwaltung, 2e éd., 1957, III, p. 377) invoque pour sa part le fait que les deux immortels avaient un office apotropaïque et jouaient un rôle dans les cultes agraires.

(8) Mras, p. 411; cf. Riccomagno, p. 126.

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"Αλλος ούτος Ηρακλής 91

ils considéraient, on le sait, que chaque dieu du polythéisme incarnait un des attributs, une des « puissances » de la divinité unique, c'est-à-dire de Zeus ou encore de la Nature, et, de la sorte, « récupéraient » le polythéisme en le dépassant (x). Cela est d'autant plus croyable que Varron, en matière de théologie, adhérait au système stoïcien (2). Dans cette perspective, Hercule et Mars sont assimilés l'un à l'autre parce qu'ils représentent les forces de division, de désunion du Dieu (3). Le plus raisonnable est donc de supposer qu' "Αλλος ούτος Ηρακλής touchait à une question de métaphysique religieuse, en union avec un problème éthique: on n'a pas oublié que, pour les Cyniques et Varron, Hercule est le héros de l'énergie et un des sauveurs de l'humanité (4).

(x) Cf. par exemple Sénèque, Ben., IV, 8, 1. Voir P. Grimai, Sénèque, Paris, 1948, p. 63-65.

(2) Cf. Boyancé 2, passim et plusieurs textes de Varron, entre autres: Varron, Logist. Curio de cultu deorum, 40 = Saint Augustin, C. D., VII, 9: Iouern (...) non alium possunt existimare quam mundum (...). In hanc sententiam etiam quosdam uersus Valerti Sorani exponit idem Varrò in eo libro quem seorsum ab istis de cultu deorum scripsit, qui uersus hi sunt:

Iuppiter omnipotens regum rerumque deumque progenitor genitrixque, deum deus, unus et omnes;

exponuntur autem in eodem libro ita ut eum marem existimarent qui semen emitteret, feminam quae acciperet; Iouemque esse mundum et eum omnia semina ex se emittere et in se recipere; qua causa, inquit, scripsit Soranus: «Iuppiter progenitor genitrixque », nee minus cum causa unum, et omnia idem esse. Mundus enim unus, et in eo uno omnia sunt; Ant. rer. div., 1. XVI — Saint Augustin, G. Ό., VII, 9: louis qui etiam Iuppiter dicitur deus est habens potestatem causarum, quibus aliquid fit in mundo (...); merito ergo rex omnium Iuppiter habetur; VII, 12: Iuppiter uocatur Pecunia quod eius sunt omnia.

(3) Et non, comme le prétend Sénèque (Ben., IV, 8, 1), parce qu'Hercule est invincible (quia uis eius inuicta sit). Cf. Plutarque, Is. et Osir., 40: Hercule est un « πνεΰμα διαιρετικόν »; Heraclite, Quaest. homer., 1910, c. 69, p. 90, 4: "Αρην όνομάσας το νεϊκος.

(4) Cf. supra, p. 74; Bolisani, p. 15: « Èrcole, secondo i Cinici, è precisamente l'eroe dell'energia morale (...), l'eroe che la tradizione e l'arte raffigurano come il benefico redentore dell'umanità, in quanto per la sua origine bastarda e quindi aborrita, e per le sue faticose vittorie sui mostri, simboleggianti le umane passioni, ben meritava di essere considerato il protettore della squallida setta (cfr. Luciano vit. auet. 8; Dion. or. Vili) »; Riccomagno, p. 149 et suiv.

Vairon, s'inspirant des Stoïciens, tient Hercule pour une divinité authentique mais d'origine humaine, autrement dit pour un de ces hommes qui ont « reçu l'apothéose en raison de leurs bienfaits » (Boyancé 2, p. 61). Dans cette catégorie de dieux, il fait une distinction entre ceux qu'il qualifie de priuati (particuliers à une nation) et ceux qu'il nomme communes (adorés par tous les hommes); Hercule est, natu-

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92 "Αλλος ούτος 'Ηρακλής

Peut-on faire un pas de plus et prétendre, avec K. Mras, que l'ouvrage parodiait le mythe, comme Gatamitus, Cycnus, etc. i1)? Non, à coup sûr. Bien ne légitime cette conjecture, qui choque la vraisemblance. La position de L. Riccomagno est plus critiquable encore: non seulement il regarde notre satire comme une parodie religieuse, mais on a l'impression qu'il décèle dans cette parodie une manifestation du scepticisme qu'aurait inspiré à Varron, de même qu'aux Cyniques, le polythéisme officiel (2): tout, à commencer par ce qu'il a écrit lui-même (3), atteste que Varron n'avait pas répudié la foi de ses pères (4), même s'il

Tellement, du second groupe (cf. Boyancé 2, p. 63). Voir Varron, Ant. rer. div., 1. XIV = Servius, ad Verg., Aen., VIII, 275; Horace, Oarm., III, 3, 9 et suiv. Contrairement à ce que soutient G. Boissier (Boissier, p. 186 et suiv., 213), il n'y a aucun « éyhéniérisnie » dans cette conception: cf. Boyancé 2, p. 61 (« le propre de celui-ci » — Γ« évhémérisme » — « est de ravaler les dieux vraiment divins eux-mêmes, ceux qui furent toujours des Olympiens, Zeus, Héra, etc., au rang des humains, et non d'élever des héros au rang des dieux. La théorie des Stoïciens est si peu sceptique d'esprit qu'elle sera, précisément, invoquée à l'appui de l'apothéose d'Auguste par Horace, empruntant les exemples classiques justement d'Hercule et des Dioscures, auxquels il joindra Romulus»). Un texte des Antiquités Divines (= Saint Augustin, C. D., IV, 23) enseigne qu'Hercule aurait été amené à Rome, avec Mars, Janus, Jupiter, etc., par Romulus.

(*) Mras, p. 393; cf. Scherbantin, p. 72. (2) Riccomagno, p. 86: « la comparsa umoristica degli dei nella satira, atte

stante lo spirito settico introdottosi nel Cinismo con la Sofistica, è motivo spiccato e comune in Varrone, che ritrae verisimilmente da Menippo la parodia dei numi e degli eroi » (c'est nous qui soulignons). Il se peut que l'expression de L. Riccomagno ait trahi sa pensée; qu'il n'ait pas voulu dire que Varron, dans le domaine religieux, approuvait les refus des Cyniques (thèmes 92, 92 a, 93 Oltramare: « toute préoccupation religieuse doit être écartée »; « toute crainte causée par des croyances anthro- pomorphiques doit être écartée »; « les temples et les objets du culte ne méritent aucun respect particulier »): il met ailleurs en relief la « sincera venerazione » avec laquelle Varron se tourne, dans les Ménippées et les Res rusticae, vers les antiques divinités campagnardes du Latium (p. 167). Dans ce cas, on conviendra que sa phrase est pour le moins ambiguë et risque de donner une fausse idée de la position religieuse de Varron.

(3) Cf. en particulier Varron, Ant. rer. div., 1. I = Saint Augustin, G. D., IV, 2: cura Varrò deos ita coluerit colendosque censuerit ut in eo ipso opere (...) dicat se ti- mere ne pereant. . . ; 1. XII = Nonius, p. 510, 1. 12: etenim ut deos colere débet com- munitus ciuitas, sic singulae jamiliae debemus; Men., 181, 240, 265, 357 Buch.

(4) Cf. Dahlmann 1, col. 1271; Knoche, p. 37, 41. B. Mosca (Mosca, p. 69) ne voit pas les choses comme nous: d'après lui, Varron, comme citoyen et comme homme politique, aurait fait grand cas de la religion, qui « sert à tenir le peuple ferme et uni » — d'où ses proclamations en faveur des rites et croyances traditionnels; mais, dans son for intérieur, il aurait ri, en bon scientifique, des illusions de ses com-

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"Αλλος ούτος Ηρακλής 93

l'interprétait en philosophe (x): c'est une des divergences essentielles qui le séparent des Cyniques contempteurs de la religion (2).

F. Della Corte émet l'opinion que Varron fut peut-être conduit à rédiger "Αλλος ούτος 'Ηρακλής par la consécration de Vaedes Herculis

patriotes dévots — d'où ses parodies mythologiques. Nous avons dit, dans un précédent travail, pourquoi cette thèse ne nous convenait pas: nous n'avons pas le droit, y écrivions-nous, de « taxer ainsi l'honnête Varron de duplicité » et de ne pas prendre au sérieux son apologie de la religion d'Etat, fût-elle en partie intéressée; chez lui, la parodie religieuse est sans nul doute purement humoristique et « aussi peu blasphématoire que celle d'un Plaute »; « on mesure » ici « une fois de plus les méfaits » du préjugé « qui veut que toute parodie religieuse soit obligatoirement sacrilège » (Cèbe, p. 233). On dédaignera de même, à plus forte raison, l'imputation tendancieuse — et calomnieuse — de Saint Augustin peignant Varron comme «un ennemi caché du paganisme qui a voulu ruiner sa religion rien qu'en l'exposant »: « Varron n'est pas l'habile politique dont parle Saint Augustin, qui cherche à nuire au polythéisme sans courir aucun danger et en ayant l'air de le servir» (Boissier, p. 211 et suiv.).

Remarquons en passant qu'il est vain de chercher à deviner, comme fait B. Mosca, les arrière -pensées secrètes d'un auteur. La critique littéraire ne doit tenir compte que de ce qui a été exprimé (consciemment ou inconsciemment) par cet auteur et des documents formels qu'on détient à son sujet. En littérature, le problème de la sincérité est le plus souvent insoluble et n'a pas même à être posé. L'intérêt de l'étude n'est pas là. Cf. supra, p. 15 (à propos de Γ« hypocrisie » de Varron). Sur la religion de Varron, que nous ne saurions analyser ici à fond, voir également Boissier, p. 186-217; Della Corte 5, p. 135-146.

(x) Nous songeons, bien entendu, à la fameuse doctrine, empruntée aux Stoïciens, des trois théologies: cf. Varron, Ani. rer. div., 1. I = Saint Augustin, G. D., VI, 5 et suiv.; VII, 6 et 9; Boyancé 2, passim. Varron accorde la prédominance à la théologie civile (alors que les Stoïciens laissent les trois théologies sur le même plan), mais il est notable qu'il « ne rejette ni la théologie des poètes ni encore moins celle des philosophes » (Boyancé 2, p. 62). En somme, ce qu'il blâmait dans la religion établie et raillait à l'occasion dans ses parodies mythologiques, c'étaient les défauts trop humains des dieux de l'anthropomorphisme, « les oripeaux dont la fantaisie humaine avait coutume d'affubler les dieux et les héros » (Cèbe, p. 243). Cela n'entamait en rien ses convictions religieuses profondes, d'autant que les fables de la mythologie (grecque) ne passaient pas à Rome pour des dogmes et des articles de foi.

(2) Cf. supra, p. 81; Oltramare, p. 97-107; Bolisani, p. xxii-xxxv; Knoche, p. 37-41; Cèbe, p. 199: «à la différence des Cyniques, il (Varron) est conservateur, ' réactionnaire ', et nullement révolutionnaire. (...) Il rêve de faire revivre les vertus

des vieux Romains, leur patriotisme, et, ce faisant, d'assurer le salut et la grandeur de son pays»; 233: «l'écrivain romain, descendant d'une vieille et illustre famille, farouche défenseur du mos maiorum, diffère radicalement de l'affranchi syrien (Mé- nippe) et de ses disciples qui, au nom des droits de l'individu, repoussent les contraintes imposées par le groupe ».

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94 "Αλλος οδτος Ηρακλής

Pompeiani près du Circus Maximus (*). Encore une assertion incontrôlable et, à notre avis, sans valeur.

* * *

19. - Nous reproduisons le texte justement amendé par F. Della Corte (2), qui légitime en ces termes sa correction: « grauida est suspect parce que, dans le cod. Sangallensis, il est attribué au vers précédent de Naevius: Gereris grauida Proserpina. C'était probablement une glose marginale que le Sangallensis a considérée comme se rapportant au premier vers, tandis qu'elle va, pour d'autres copistes, avec le vers suivant » (à savoir le nôtre). «L'alternance de que (ou q.) avec quas ou quae n'infirme pas la validité de que qui est confirmé par presque tous les manuscrits; ceux qui ont voulu assainir le passage ont tenté un accord avec mater quae. Mais que correspond paléographiquement à que (= quem) et se rapporte à puellum, c'est-à-dire à Hercule; le grauida en revanche, relégué dans la marge, est de ce fait à regarder comme une glose entraînée par pep er it ». Cette restitution donne un hendécasyllabe phalécien à césure penthémimère (3). Avec grauidaque mater, on a un sotadéen amputé de sa première syllabe (4). Pour bâtir un tetrametre ionique mineur acatalectique débutant par un pyrrhique, Lachmann (voir apparat critique) insère aluo après mater (5). Mais cette addition ne se justifie nullement.

Vers original et non citation. Pour l'archaïsme puellus, cf. supra, p. 25; noter la redondance et le jeu de sonorités dans peperit puellum. Varron donne ainsi à son expression une légère couleur épique.

L'histoire de la conception et de la naissance d'Hercule est si connue que nous pouvons nous dispenser de la raconter.

i1) Vitruve, III, 3, 5; Pline, N. H., XXXIV, 57; DeUa Corte 4, p. 148 (qui rappelle qu'à Pharsale le mot d'ordre des Pompéiens était Hercules Inuictus: cf. Appien, B. C, II, 76).

(2) Della Corte 6, p. 146. Auparavant, F. Della Corte avait lu (Della Corte 4, p. 6):

grauis quem peperit Ioui puellum. (3) Pour la théorie de Varron relative à ce mètre, cf. Della Corte 6, loc. cit. (4) Cf. Riese, p. 99; Bücheier, p. 558 et suiv. (423 et suiv.). (5) F. Bücheier (Bücheier, p. 179 (431)) décompose ce même vers en deux di-

mètres.

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ΑΜΜΟΝ ΜΕΤΡΕΙΣ

Περί φιλαργυρίας

tu mesures du sable Sur l'amoxjr de l'argent

21 (21) quern secuntur cum rutundis uelites leues parmis antesignani quadrati s multisignibus tecti

il est suivi par les vélites légers avec leurs petits boucliers ronds et par les soldats de première ligne que protègent leurs (boucliers) carrés aux multiples insignes

21 Nonius, p. 552, 1. 29: VELITES leuis armatura. Titinius (...) Varrò "Α.μ.π.φ.: «quern. . . parmis» et p. 553, 1. 8: ANTESIGNANORVM proprietà» aperta est. Varrò "Α.μ.π.φ.: « quern. . . tecti ».

"Αμμον μετρεϊς Junius Popma Mercerus Laurenberg Oehler Riese Bolisani: δμουμε- μειο G L p. 117 αααου μααεις Η L p. 179 αααου μεααεις G p. 179 δμοιμεμθις H L p. 395 αμουμενεισε Bamb. p. 552 et 553 G p. 552 H p. 552 Ξ1 p. 553 L p. 552 et 553 αμουμεμεις G H2 p. 553 άλλ' ου μοι ε'νευσε Turnebus XXI 20 άλλοις μέλεις Turnebus XXIX 2 άμοϋ μενεϊς Both άλλ' ού μένει σε Buch. Della Corte άλλ' ού μενεϊ σε Terzaghi || περί φιλαργυρίας] περί φιααρτυραν G L p. 117 ρεριαο GH L p. 179 περί φιλλρτυρια H p. 395 περί φιλαρτυριλ L p. 395 περί φιααργυρια G p. 395 περί μαρτυρίας Bamb. H L p. 552 et 553 Turnebus XXI 20 περί μλρτυριας G p. 552 ||

21 cum rutundis ] cum retundis G1 p. 552 cum rututundis L p. 552 cum rotun- dis Bamb. p. 552 et 553 D Ρ p. 552 G p. 553 Bolisani quem rutundis H p. 552 H1 p. 553 || leues parmis ] parmis leues Quieherat \\ parmis Bamb. G H L p. 553 edd. praeter Vahlen: pareans BA CA Bamb.2 G2 H2 L2 p. 552 parcans G1 p. 552 parens AA E1 L1 p. 552 Ρ parmeis Vahlen p. 86 || antesignani ] antesignani Bamb. CA DA L1 || multisignibus corr. Lachmann (Lucr., II, 402): multis insibus codd. multi insignibus Meineke, p. 737

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96 "Αμμον μετρεϊς

II

22 (22) etenim quibus seges praebeat domum, escam, potionem, quid desideremus?

et de fait, puisque les champs nous procurent gîte, nourriture, boisson, que pourrions -nous désirer?

III 23 (23) quaero a te utrum hoc adduxerit caeli temperatura an

terrae bonitas

dis-moi, en est-on arrivé là grâce au climat ou à la bonne qualité du terrain?

IV 24 (24) nos barbari quod innocentes in gabalum sufflgimus ho-

mines; uos non barbari quod noxios obicitis bestiis

bien sûr, nous sommes des barbares, car nous clouons des innocents sur la croix; mais vous n'êtes pas, vous, des barbares, puisque ce sont des coupables que vous jetez aux bêtes

22 Nonius, p. 395, 1. 29: SEG-ETEM etiam ipsam terrain dicimus. Vergilius (...) Varrò "Α.μ.π.φ.: « etenim . . . desideremus ».

23 Nonius, p. 179, 1. 9: TEMPERATVKA pro temperie Varrò "Α.μ.π.φ.: « quaero. .. bonitas ».

24 Nonius, p. 117, 1. 12: GrABALVM crucem dici ueteres uolunt. Varrò "Α.μ.π.φ.: « nos. . . bestiis ».

22 escam] aescam G || 23 quaeio a te Boeper (Philol., XV, p. 291) Buch.: quaero te G H L Biese quaero ex te Junius Popma Bolisani quaero utrum te Quì- cherat \\ hoc ] hue Quicherat || adduxerit ] adduxarit G1 || terrae ] terrai Boeper (Philol., XV, p. 291) || 24 quod innocentes] quod nocentes Mercerus || uos codd. Buch. Bolisani Della Corte: et uos Vahlen Biese uos nonne Lindsay || quod noxios obicitis bestiis Buch. Bolisani: quid noxios obuestis G L qui noxios Both quod noxios absoluitis Bentinus soluistis Mercerus consuestis Oehler consuitis Voll- behr (Diar. litt, ant., 1847, p. 531) qui noxios absoluitis Biese qui noxios subestis Lindsay quid? noxios obicitis bestiis Della Corte.

Le titre de l'ouvrage dont nous abordons l'étude est conjectural. Et pour cause: non seulement il varie selon les manuscrits et les différents passages d'un même manuscrit qui le contiennent, mais il se présente partout comme une suite inintelligible de caractères grecs. Aussi

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"Αμμον μετρεϊς 97

les éditeurs modernes en proposent-ils plusieurs lectures. Le débat, cependant, peut être circonscrit à deux de leurs hypothèses: άμμον μετρεϊς de Junius et άλλ' ού μένει (ou μένει) σε (ou σοι) de Bücheier, F. Della Corte et A. Terzaghi. Les autres ne résistent pas à l'examen.

Le sous-titre, en revanche, ne prête pas à la discussion: on le tire sans peine, moyennant de petites retouches, des formes plus ou moins erronées qu'il revêt dans les manuscrits.

Qu'on la traduise par: « mais la mort ne t'attend-elle pas? » (*), « mais l'argent ne t'attendra pas » (2) ou « mais la mort ne t'attend pas » (3), la formule άλλ' ού μένει (ou μενεΐ) σε (ou σοι) a une signification satisfaisante et qui ne jure pas avec le sujet de la pièce défini par le sous- titre: elle évoque le temps très bref dont l'avare dispose pour jouir de ses biens et l'impossibilité pour l'homme de rien emporter avec lui dans la mort. On n'est donc pas surpris que de nombreux auteurs la choisissent.

Pourquoi préférons -nous néanmoins άμμον μετρεϊς! ce n'est pas, comme E. Bolisani (4), parce qu' άλλ' ού μένει σε serait, par lui-même, assez explicite et « n'aurait pas justifié l'opportunité d'un sous-titre » (περί φιλαργυρίας) (5). Nos arguments ont, croyons-nous, plus de poids:

1° άλλ' ού μένει σε, qui ne peut être qu'un tour proverbial (6), ne se rencontre nulle part ailleurs dans les lettres antiques (7);

2° par suite, ce tour, s'il existe, devait être très peu usité (chose étonnante pour un proverbe!). Dès lors, l'ellipse du sujet que Norden,

(x) Norden 1, p. 28 (293); Bücheler, p. 538 (404). Pour un emploi similaire de μένειν, cf. Eschyle, Oho., 103 et suiv.: το μόρσιμον γαρ τόν τ* ελεύθερον μένει /και τον προς άλλης δεσποτούμενον χερός. Bücheier, dans son édition, adopte σε et, dans ses Kleine 8chriften (loc. cit.), σοι.

(2) A. Terzaghi, Per la storia della satira, 2e éd., Messine, 1944, p. 29 et suiv. (3) Marzullo, p. 9. (4) Bolisani, p. 16. (5) En premier lieu, άλλ' ού μένει σε n'est pas, et de beaucoup, aussi limpide

que le déclare E. Bolisani; d'autre part, la présence ou l'absence des sous-titres dans les Ménippées varroniennes ne dépend pas du degré d'intelligibilité des titres, mais simplement de la distribution des satires entre les trois recueils dont se servit Nonius: dans l'un de ces volumes, nous l'avons vu, toutes les pièces, quels que fussent leurs titres, ont été sous-titrées par l'éditeur (cf. supra, p. xn et suiv.); dans les deux autres, on a un titre seul, dont le sens, plus d'une fois, n'est pas évident et gagnerait à être précisé par un sous-titre.

(6) Cf. Della Corte 4, p. 150: «la satira 'sull'avarizia' ha per titolo un proverbio greco ».

(7) Cf. Norden 1, p. 27 (293): « prouerbium nusquam alibi traditum ad expli- candum diffîcillimum est ».

J.-P. CÈBE

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98 "Αμμον μετρεΐς

Bücheier, Terzaghi et Della Corte considèrent comme normale fait difficulté: ainsi dépouillé de son élément principal, le titre varronien eût été incompréhensible ou du moins trop hardiment ambigu pour la plupart des lecteurs (à preuve le flottement entre les restitutions de Bücheier et de Terzaghi: l'un supplée θάνατος, l'autre χρήματα; et ce ne sont pas les seuls ajouts possibles!). Sans doute, Varron cherche à piquer la curiosité par ses titres, mais pas à ce point-là!

Avec άμμον μετρεΐς, on échappe à ces objections. En effet, il s'agit cette fois d'une expression proverbiale bien attestée, qui a de nombreux équivalents et dérivés, en Grèce et à Borne. On en jugera par les références qui suivent (*):

Homère, II., IX, 385: ούδ' ε!' μοι τόσα δοίη δσα ψάμαθός τε κόνις τε; Zenobius, I, 80 et Diogenianus, I, 38: άμμον μετρεΐν· επί των αδυνά

των και ανέφικτων; Mantissae prouerbiorum, I, 13 : άμμον μετρεΐν · επί, των άνήνυτα

ποιούντων; Virgile, G., II, 106: discere quain multae Zephyro turbentur

Jiarenae; Horace, Carm., I, 28, 1: te maris et terme num,eroque carentis Ji

arenae I mensorem; Ovide, Α. Α., I, 254: numero cedet harena meo; Tr., I, 5, 48; IV,

1, 55; V, 1, 31; Calpurnius, Ed., II, 73: tenues citius numerabis harenas; Ammien Marcellin, XIV, 11, 34: harenarum numerum, idem,. . . et

montium pondera scrutavi putabit; Boëce, Consol., II, 2, 1: Si quantas... pontus harenas.

On peut encore tenir compte, comme nous l'indique notre ami P. Veyne, du traité d'Archimède au roi Hiéron sur le nombre des grains de sable, Ό ψαμμίτης, titre que le latin rend par Arenarius.

Pour le sens, la locution άμμον μετρεΐν convient aussi bien, sinon mieux, qu' άλλ' ού μένει σε (2): elle suggère un nombre infini d'objets (άμμον) impossible à évaluer (μετρεΐν) et, par là, une tâche interminable, irréalisable, stérile. Elle peut donc s'appliquer sans audace abusive aux occupations des avares et des cupides, toujours désireux de posséder davantage, oubliant de vivre, et passant leur journée à compter leur

Ο Cf. Paroem.i I, p. 27; II, p. 7, 746; Otto, s. v. harena, p. 159, 1; J. Taillardat, Les images d'Aristophane, 2e tirage, Paris, 1965, p. 377.

(2) Contra Bücheler, loc. cit.: «άμμον μετρεΐς, welches Sprichwort... auf die Geldgier wenig passt ».

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"Αμμον μετρεΐς 99

fortune. Ainsi employée de façon imagée, elle ne détonne pas au milieu des titres varroniens: elle a bien ce cachet d'originalité et cette valeur allusive dont nous parlions précédemment. Mais notre argumentation serait nulle si le texte de Junius était paléographiquement mauvais. Il n'en est rien, cela va sans dire: on conçoit que, sous la plume de copistes ignorant le grec (*), άμμον μετρεΐς ait été estropié jusqu'à devenir αααου μεααεις (2) ou même δμουμεμειο (3).

Quoi qu'on pense de notre raisonnement, une certitude s'en dégage, nous semble-t-il: c'est qu'en tout état de cause la satire sur l'avarice avait pour titre, comme "Αλλος ούτος 'Ηρακλής, un de ces proverbes grecs qu'affectionnait Varron.

Celui-ci, nous l'avons déjà constaté, plaçait l'avarice et la cupidité parmi les vices capitaux de la société contemporaine (4). Un tel sentiment n'était pas rare chez les Anciens. La φιλαργυρία ou φιλοπλουτία est, redisons-le, une des trois έπιθυμίαι dominantes auxquelles s'en prend le Portique (5); les Cyniques proclamaient que «l'avidité est le plus grand des maux », qu'elle suscite de durs travaux, des voyages périlleux en mer et des guerres meurtrières, que les avares ne savent pas profiter de ce qu'ils ont (6); et la « sagesse populaire » faisait chorus, produisant des sentences dont voici quelques échantillons (7): «la cupidité renferme en elle tous les vices » (8); «la cupidité pousse les hommes à commettre n'importe quel méfait » (9); « la cupidité est la racine (ou la mère) de tous

H Cf. supra, p. 63. (2) On prendra garde que, dans αααου μεααεις, il y a autant de lettres que

dans άμμον μετρεΐς. (3) Aucun des autres proverbes grecs connus (cf. Paroem.) ne peut faire notre

affaire. (4) Cf. Biccomagno, p. 165; Knoche, p. 41; Varron, Logist. Oatus de liberis edu-

candis, 4: ex quo perspicuum est maiorem curam Jiabere nos marsuppii quam uitae nostrae, « d'où il apparaît que nous nous soucions plus de notre bourse que de notre vie ».

(5) Cf. supra, p. 27. (6) Thèmes 83, 83 a et 83 b Oltramare. Cf. aussi Diogene Laërce, VI, 50: την

φιλαργυρίαν είπε (seil. Διογένης) μητρόπολιν πάντων των κακών, « il (Diogene) disait que l'argent est la source de tous les maux ».

(7) Cf. Otto, s. v. avarus, avaritia, p. 51; Paroem., I, p. 461. (8) Caton, ap. Gell., XI. 2, 2: Ex quo libro {de moribus) uerba haee sunt: auari-

tiam omnia uitia habere putabant. (9) Rhétorique à Herennius, II, 22, 34: auaritia hominem ad quoduis maleficium

impellit.

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les maux » (*). Avant Varron, Lucilius avait caricaturé un avare uniquement intéressé par sa bourse (2). Après lui, Horace ne se lassera pas de mettre la cupiditas et Vauaritia en accusation, les alliant à la folie (3).

Comme les quatre citations d' "Αμμον μετρεΐς sont isolées dans le De compendiosa doctrina, la lex Lindsay ne joue pas et l'ordre des fragments ne peut être qu'arbitraire. C'est pourquoi nous avons gardé celui de Biicheler.

Nous ne saurions dater exactement la composition (mais cf. infra, p. 102).

* * *

21. - Extrait par Nonius de Gloss. I (uelites) et de Varrò I (antesignani) (4). Le texte n'appelle pas de longues observations. Les variantes sont ou orthographiques (rotundis) ou clairement fautives. Il n'y a pas lieu d'intervertir leues et parmis comme le fait Quicherat. Avec notre version, septénaires trochaïques scazons (création de Varron et non citation).

Ces images militaires ne sont certainement pas sans se raccorder au thème d'ensemble de la satire. On vient en effet de voir que les Cyniques faisaient naître la guerre de la cupidité; les Stoïciens admettaient également cette filiation, ainsi qu'en témoignent des textes de Chry- sippe, Philon et Sénèque (5). On sait que, de leur côté, les Elégiaques

(*) Saint Jérôme, Ep., XII, 6; CXXV, 2: radix omnium malorum auaritia; Appendix prouerb., V, 17: ή φιλοχρημοσύνη μήτηρ κακότητος άπάσης.

(2) Lucüius, 243-246 Marx. Cf. Oltramare, p. 95; Cèbe, p. 199. (3) Cf. notamment Horace, Sat., I, 1, 28-46, 61-75, 93-97, 108-119; I, 2, 19-22;

I, 4, 28-32; I, 6, 107-110; II, 2, 55-62; II, 3, 108-121, 124-126, 142-160; II, 6, 6-13; Ep., I, 1, 33-35; I, 2, 44-54; I, 5, 12-15; I, 16, 63-65; II, 1, 118-138; II, 2, 157, 205.

(4) Cf. Lindsay, Nonius, p. 34. (5) Chrysippe, ap. Plut., De Stoic, rep., 33, p. 1049 E: «car aucune guerre ne

naît en ce monde sans intervention du vice, mais l'une éclate à cause du goût du plaisir, l'autre à cause de la cupidité. . . »; Philon, De decal., par. 28, II, p. 205: « car les guerres des Grecs et des Barbares entre eux et les uns contre les autres (...) ont émané d'une seule source, le désir soit des richesses, soit de la gloire, soit du plaisir »; Sénèque, Ep., IV, 10 et suiv.: « s'il ne s'agit que de chasser la faim et la soif, on n'est pas obligé (. . . ) de courir les mers, de suivre la carrière des armes. Ce que réclame la Nature s'acquiert sans peine. (...) On s'épuise pour le superflu. C'est le superflu qui (...) nous contraint à vieillir sous la tente» (trad. H. Noblot). Voir Norden 1, p. 30 (295); supra, p. 77, n. 1.

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"Αμμον μετρεΐς 101

latins, en particulier Tibulle, associent la guerre, les voyages et l'esprit de lucre (x)·

F. Della Corte (Della Corte 1, p. 73) et A. MarzuUo (Marzullo, p. 10) ont une autre idée: ils songent au motif que développe Horace dans les premiers vers de sa satire 1,1 — la jalousie éprouvée par le marchand à l'égard du soldat qui n'est pas contraint de supporter pour s'enrichir les désagréments des voyages en mer:

« Militia est potior. Quid enimf concurritur; horae ino mento cita mors uenit aut uictoria laeta » (2).

Et F. Della Corte d'imaginer que Varron fait louer successivement, comme plus tard Horace, la vie campagnarde et l'armée, la vie campagnarde étant célébrée par un usurier comparable à cet Alfms qui, dans la deuxième épode d'Horace, s'abandonne un instant à son rêve de félicité bucolique avant de retourner à ses affaires: peut-être, écrit-il, la mé- nippée varronienne « si svolga presso a poco sullo schema diatribico, con la funzione poetica del faenerator Alfìus di Orazio ». Ces parallèles sont-ils sérieux? reposent-ils sur des bases stables? au lecteur de se prononcer. Nous leur dénions, quant à nous, toute crédibilité.

— V elites: division spéciale d'infanterie légère introduite dans la légion, nous apprend Tite-Live, en 211 (mais cette information est sujette à caution (3)). Elle était composée de jeunes citoyens recrutés parmi les plus pauvres. Armés d'une parma plus petite que celle des cavaliers et de sept javelots de quatre pieds, ils avaient pour mission principale de freiner l'élan de l'ennemi ou de l'ébranler avant le choc par des escarmouches préliminaires. Ils étaient répartis dans les rangs de l'infanterie lourde à raison de vingt par centurie, et n'avaient pas d'officier en propre. Dans le camp, ils étaient chargés de la garde extérieure des portes. La légion en compta d'abord douze cents, puis quinze cents (légion renforcée) (4).

(!) Cf. Tibulle, I, 10, 7-14. Pour Properce, cf. J.-P. Boucher, op. cit., p. 20 et suiv. Voir aussi infra, p. 106, n. 1.

(2) Horace, Sat., I, 1, 7 et suiv.: «le métier militaire vaut mieux; car enfin, on s'entre-choque et dans la faible durée d'une heure vient une prompte mort ou une victoire fructueuse » (trad. F. Villeneuve). Cf. Della Corte 4, p. 150.

(3) Tite-Live, XXVI, 4: institutum ut uelites in legionibus essent. Cf. F. Lam- mert, dans BE, 2e sér., VIII A 1, 1955, s.v. vêles, col. 624.

(4) Cf. F. Lammert, loc. cit.; R. Cagnat, dans DA, V, s.v. velites, p. 671.

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On assure d'habitude que leur corps fut dissous par Marius lorsqu'il réorganisa l'armée i1). Dans ce cas, secuntur serait un présent historique et la marche ou la course que décrit notre passage se situerait chronologiquement soit pendant l'enfance de Varron, soit avant sa naissance: il avait douze ans au temps de la réforme marienne, ayant vu le jour en 116.

Mais un érudit anglais, J. V. Bell, a récemment pris parti contre la théorie classique (2). Sur la foi d'un texte où Frontin relate la journée qui, en 86, opposa les hommes de Sulla à ceux d'Archelaos, lieutenant de Mithridate (3), il prolonge jusqu'à l'époque du commandement oriental de Lucullus (74 avant J.-C.) l'existence du corps des vélites, que LucuHus précisément aurait supprimé (4). J. Harmand est sévère pour M. Bell, dont il juge l'argumentation « fragile », parce qu'appuyée sur un document « suspect » (5). Si toutefois, malgré cette sentence, M. Bell avait vu juste, comme nous sommes enclin à le penser, notre fragment contribuerait à vérifier sa doctrine: on a en effet l'impression que Varron, en l'écrivant, avait en tête non pas quelque action ancienne, historique, de l'armée nationale, mais, pour ainsi dire, une image typique, « générique », actuelle de cette armée telle qu'il la connaissait, servant ou ayant servi naguère sous ses enseignes; qu'en conséquence il y avait encore des vélites quand fut composée la satire "Αμμον μετρεΐς. La chose n'est pas indifférente: si la datation de M. Bell peut être retenue, elle nous fournit pour notre pièce un intéressant terminus mite, que/m.

— Antesignani: ils combattaient, leur nom le prouve, en avant des enseignes qu'ils protégeaient. Comme le marque la distinction opérée par Varron entre rutundis parmis et quadratis, ils ne se confondent pas avec les vélites, contrairement à ce qu'on a parfois soutenu (6). Antesignani est synonyme ici d^hastati (7). Plus tard, durant la guerre civile,

(J) Voir E. Cagnat, loc. cit.; J. Harmand, L'armée et le soldat à Rome de 107 à 50 avant notre ère, Paris, 1967, p. 39. La dernière intervention des vélites aurait eu lieu pendant la campagne contre Jugurtha: cf. Salluste, Jug., XL VI, 7 et CXV, 2.

(2) J. V. Bell, Tactical Reforms in the Roman Republican Army, dans Historia, 14, 1965, p. 421 et suiv.

(3) Frontin, Strat., II, 3, 17. (4) On lit dans le récit de Frontin: uelites et leuem armaturam. (5) J. Harmand, op. cit., n. de la p. 40 (M. Harmand se demande si, dans le

passage de Frontin, il ne faut pas remplacer uelites par milites). (6) Voir Masquelez, dans DA, I, s.v. antesignani, p. 288. Cf. d'ailleurs Tite-

Live, XXVII, 18, 2: uelites antesignanique. (7) Cf. v. Domaszewski, dans RE, I, 2, 1901, s.v. antesignani, col. 2355-2356.

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le mot, selon plusieurs historiens, aurait reçu chez les Césariens une valeur nouvelle: il aurait désigné des unités d'élite extérieures au cadre régulier des cohortes dans la légion, des espèces de commandos ou de compagnies d'assaut. Mais M. Rambaud s'élève avec raison contre cette opinion: le nom d'antesignani, dit-il, n'avait pas changé radicalement de sens dans l'armée de César: il était donné à « une partie des cohortes, celles qui se trouvaient en première ligne dans certaines formations, notamment Yacies duplex; en ce cas, comme dans d'autres, les signa des troupes de première ligne étaient portés derrière elles. Parmi les antesignani, il y avait sûrement les Inastati » (x).

Les boucliers carrés des antesignani sont des scuta réglementaires ornés de divers emblèmes comme c'était la coutume (2).

— La situation dépeinte par Varron peut être soit le mouvement d'une troupe formée en colonne (agmen) soit un bond des unités de première ligne entraînées par leur chef. F. Della Corte penche pour la solution de V agmen: « qui si può trattare », écrit-il, « di una marcia di avvicinamento; il primo a levare il campo è il dux (Polyb. 6, 40), quem se- cuntur tutti gli altri che si dispongono in ordine di marcia. All'avanguardia vanno i velües » (3). De fait, en deux endroits, Tite-Live montre les antesignani s'avançant dans V agmen derrière les uelites (4) et « con Yacies triplex della coorte, prima delle insegne della legione, vengono gli antesignani, così detti perché posti ante signa » (ce commentaire atteste que F. Della Corte ne rapporte pas le fragment 21 à une période antérieure aux mesures militaires de Marius et partage, sur la dissolution du corps des vélites, l'avis de M. Bell). Mieux vaut cependant, à notre sens, adopter la deuxième interprétation, qui s'accorde mieux avec les visées du texte telles que nous les concevons, et se figurer un

(*) M. Ranïbaud, César, De bello ciuili, I, dans coll. Erasme, Paris, 1962, p. 81. Cf. César, B. C, I, 43, 3; III, 75, 5.

(2) Sur la décoration des boucliers romains, cf. M. Albert, dans DA, 1/2, s. v. cli- peus, p. 1254: ils étaient ornés « de dessins gravés ou en relief plus ou moins saillant. Ces dessins, qui décoraient le clipeus aussi bien que le scutum, avaient pour but de distinguer les soldats les uns des autres. Chacun, dit Végèce (Mil. Rom., II, 3), avait sur son bouclier un emblème différent et au revers son nom avec l'indication de sa cohorte et de sa centurie. On peut distinguer une grande variété de ces emblèmes (signa, digmata) sur les boucliers de la colonne Trajane. Ici c'est un foudre ailé, là une guirlande, ailleurs un ou plusieurs croissants avec des étoiles, une ou plusieurs couronnes de laurier ».

(3) Della Corte 4, p. 151. (4) Tite-Live, XXVII, 18, 2 et XXXVIII, 22, 9. Cf. v. Domaszewski, loc. cit.

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épisode de bataille. Un paragraphe de Tite-Live nous y autorise: on y voit des vélites unis, pour le combat, aux antesignani (x), dispositif normal, puisque les vélites appuyaient l'infanterie lourde et qu'on les engageait de différentes manières, au gré des circonstances. Si le corps des vélites survécut à la réforme de Marius, cette sorte d'« amalgame » continua sans nul doute d'avoir cours, en dépit des modifications de Varies. F. Della Corte croit trouver confirmation de son exégèse dans le vers 5 de Yépode horatienne précédemment citée: neque excitatur classico miles truci (2) qui, dit-il, nous fait assister à « una sveglia e una levata al campo militare ». Ce rapprochement n'est pas moins superficiel et forcé que ceux dont nous avons, dans une analyse antérieure, dénoncé la faiblesse.

On prendra garde, faut-il le souligner?, à la « romanité » du fragment: cf. supra, fr. 9 et 10.

— Multisignis est un hapax expressif. Pour l'orthographe ru- tundis, cf. Lucrèce, II, 402. Kemarquer les jeux de mots et de sons ue- lites leues et antesignani multisignibus, la lourdeur voulue de quem se- cuntur cum et l'agencement des mots dans le vers (cf. supra, fr. 7):

rutundis uelites leues parmis (adj. A, subst. S', adj. A', subst. S); antesignani quadratis multisignibus tecti (subst. S, subst. 8', adj. A', adj. A).

Les Latins goûtaient ce genre d'effets, surtout en poésie. Catulle en étendra l'usage, qui demeure assez discret avant lui: cf. J. Granarolo, L'œuvre de Catulle, Paris, 1967, p. 261, n. 2; D'Ennius . . ., op. cit., p. 145.

* * *

22 et 23. - Extra quotation ajoutée par Nonius à des passages de Plaute (tirés du Plautus I de Lindsay) (22) et citation extraite de Gloss. IV (23) (3). Prose. Aucun problème de texte pour 22. Pour 23, au contraire, deux questions sont à envisager:

1° doit-on conserver le quaero te des manuscrits ou insérer une préposition entre le verbe et le pronom? avec la première solution, te

(*) Tite-Live, XXIII, 29, 3: «l'armée romaine se déploya sur trois lignes: une partie des vélites fut placée au milieu des antesignani, l'autre fut accueillie derrière les enseignes; la cavalerie entoura les ailes ».

(2) « Qui n'est point réveillé, soldat, par une sonnerie menaçante » (trad. F. Villeneuve).

(3) Lindsay, Nonius, p. 57, 76.

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est complément direct à? adduxerit et on peut traduire: « je demande si ce qui t'a mené à cet état de chose est le climat. . . ». E. Norden, partisan de cette interprétation, a montré que l'ordre des mots n'était pas un argument contre eue, en d'autres termes que la transposition de Qui- cherat — utrum te pour te utrum — n'avait pas de raison d'être (*). Il nous paraît cependant plus naturel de rattacher te à quaero et de comprendre: « je te demande si ce qui a mené à cet état de chose est le climat ... ». Il est alors nécessaire, compte tenu de la construction du verbe, de suppléer une préposition, qui peut être a(b), de, ou e(x); nous avons retenu a, comme Boeper et Bücheier, parce que c'est sa disparition qui s'explique le mieux (confusion avec V-o de quaero).

2° Quicherat fait-il bien en remplaçant hoc par huc% Assurément, hue est beaucoup plus utilisé que hoc et le supplante presque entièrement après Terence (2). Mais, étant donné que hoc est encore attesté au temps de Cicéron, puis chez Virgile, Sénèque, et dans la langue populaire de l'Empire, la correction de Quicherat est, selon nous, mal fondée. Hoc est, si l'on veut, la lectio dißeilior. Il importe de la garder et d'y voir soit un des multiples archaïsmes des Ménippées, soit, de préférence, un trait du parler familier (3).

Il y a également plusieurs manières de saisir le sens et la portée des deux textes.

F. Della Corte les met dans la bouche de son usurier, déjà mentionné, qui y chanterait, comme l'Alfius horatien, les louanges de l'agriculture (4). Nous avons dit ce que nous pensions de cette théorie appliquée au fragment 21. Elle n'est pas meilleure ici: les paroles que rapportent les fragments 22 et 23 ne sont prononcées à coup sûr ni par un usurier ni, d'ailleurs, par une seule et même personne.

C'est aussi chez Horace, mais dans les Satires, qu'O. Heinze cherche l'explication des deux passages (5): il avance que, dans sa satire I, 1, 28

(x) Norden 1, p. 29 (295) (te mis au début de la proposition « per έμφασιν »). (2) Ibid. (3) On pourrait se demander si hoc n'est pas l'accusatif neutre singulier du pro

nom démonstratif hic et le complément direct d'adduxerit, le fragment signifiant: « dis-moi si ce qui a fait naître cette situation est le climat. . . ». Sans doute, addu- cere a parfois un nom de chose pour régime (cf. Tite-Live, XLI, 27, 11; Sénèque, N. Q., V, 18, 2), mais, dans ce cas, il veut dire « amener » au sens propre (adducere aquani, par exemple) et non « faire naître, provoquer ».

(4) Della Corte 1, p. 73; Della Corte 4, p. 151. (5) Ο. Heinze, De Horatio Bionis imitatore, diss. Bonn, 1889, p. 17.

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et suiv., Horace fait dériver aussi bien le travail des champs que les métiers du soldat et du marin de Vauri sacra fames. Et il renvoie, pour corroborer ses dires, à des textes grecs comme celui-ci: « c'est par amour pour l'argent que tu te fatigues à retourner la terre, que tu navigues, entouré de périls, sur la mer, que tu es soldat, t 'attendant d'une heure à l'autre à tuer ou à être tué » (*). Dans cette optique, l'agriculture ne serait pas prônée par Varron, mais tomberait sous les coups de la condamnation qu'il lance contre la φιλαργυρία.

Eu égard au respect que Varron professait pour le mode de vie des paysans — le mode de vie des maiores (2) — pareille doctrine est irrecevable. En réalité, loin de marier agriculture et cupidité, Varron les oppose. Après avoir blâmé les désirs insensés de l'avare et du cupide, il enseigne aux hommes le chemin à suivre pour vivre bien; ce chemin va tout droit vers la campagne et l'agriculture. Autrement dit, Varron, à l'exemple des Cyniques, recommande ici le retour à la vie simple de la Nature et l'abandon de tous les besoins artificiels, qui est l'unique source de l'indépendance morale (autarcie), condition de la félicité (thème 26 Oltramare). Transcrivons, pour appuyer ces remarques, trois thèmes fondamentaux de la diatribe (28-30 Oltramare):

« II faut restreindre nos besoins autant que nous le pouvons »; « il faut revenir à la simplicité de la Nature »; « nous devons satisfaire nos besoins aussi simplement que possible ».

Dogmes qui, à l'évidence, sont en complète harmonie avec l'idéal « rustique » des vieux Eomains et qui ne pouvaient manquer de susciter l'enthousiasme de Varron (3).

Dans le fragment 22, c'est, croyons-nous, un agriculteur qui constate, en vrai sage, la supériorité de sa condition sur les autres: pourvoyant à toutes ses nécessités naturelles, elle lui donne la plénitude du bonheur et de la liberté (4). On se remémore l'Ofellus d'Horace et le prin-

(1) Gnomol. Byz., dans Wachsmuth, Stud. ζ. d. griech. Fiorii., p. 200, n. 207: δια φιλαργυρίαν μετά πόνων γεωργεϊς, πλεϊς μετά κινδύνων τήν θάλασσαν, στρατεύη καθ5 ώραν φονεύειν ή φονεύεσθαι προσδοκών. Les autres textes sur lesquels s'appuie O. Heinze se trouvent reproduits dans Norden 1, p. 30 et suiv., n. 70 (295-296).

(2) Cf. supra, p. 7, n. 1. (3) Cf. aussi Virgile, G., II, 493 et suiv.; infra, Serranus; Norden 1, loc. cit. (4) Cf. Bücheler, p. 538 (405); Riccomagno, p. 168.

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cipe qui voulait, dans l'ancienne Rome, qu'une collectivité rurale vécût des seules ressources du domaine, sans rien acheter au dehors.

— Quibus a pour antécédent un nos sous-entendu; praebeat: subjonctif causal; desideremus : subjonctif d'affirmation atténuée i1). Seges: non pas « la récolte », mais « la terre préparée et prête à recevoir la semence ou déjà ensemencée » (2): premier sens, technique, du mot. Noter la simplicité du vocabulaire et la clarté du tour: elles traduisent l'équilibre serein de l'homme qui parle.

— Domum, escam, potionem: allusion indirecte au luxe de l'habitation et au luxe de la table que Varron fouaille fréquemment, on le sait, dans les Ménippées (3) et qui sont des leitmotive de la satire latine. L'absence de coordination et la structure de l'énoncé soulignent l'importance des trois termes de l'énumération, qui prennent ainsi plus de poids et se détachent avec plus de relief.

Dans le fragment 23, A. Marzullo discerne une aspiration voisine de celle d'Horace s'écriant: « Hoc erat in uotis. . . » (4). Mais, avec la meilleure volonté du monde, comment accepter cette comparaison sans faire bon marché du sens précis de notre texte? Bien qu'il respecte davantage le contenu de la phrase varronienne, E. Bolisani en fausse malgré tout la signification lui aussi: « la douceur du climat », commente-t-il, « ne va pas toujours de pair avec la qualité du terrain, mais il arrive souvent que, là où le climat est moins bon, le sol soit plus productif. Mais, pour l'essentiel, le fragment veut dire que la terre n'est jamais avare pour qui la. cultive dans les règles de l'art » (5).

On se rapprochera de la vérité, estimons-nous, si on note que Varron ne met pas en scène un paysan, mais un profane, ignorant les choses de la terre, qui pose une question propre à faire sourire les connaisseurs: les connaisseurs antiques jugeaient, en effet, que, dans la culture, le climat joue un rôle aussi grand que la qualité du sol. Virgile en est garant: « avant de fendre avec le fer une plaine qui nous est inconnue », lisons - nous dans les Géorgiques, « ayons soin d'étudier au préalable les vents, le climat qui varie d'un ciel à l'autre, les modes de culture traditionnels

i1) Cf. Ernout-Thonias, p. 201. (2) Ernout-Meillet, s. v. segcs, p. 920; Festus, 460, 22; Caton, Agr., 29. (3) Cf. supra, p. 14-15, 51. (*) Marzullo, p. 10. (5) Bolisani, p. 17.

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et les dispositions ancestrales des terrains, les productions que donne chaque région et celles qu'elle refuse » (*). Si bien qu'à l'interrogation du fragment 23 une réponse et une seule pouvait être faite (par quelque spécialiste: le paysan de 22, Varron lui-même ou un autre), à savoir en substance: « pour obtenir ce que tu admires (ce beau domaine, cette belle récolte), il a fallu tout ensemble un climat propice et une terre favorable. Un agriculteur averti et diligent doit tenir compte de ces deux facteurs ». Puis venait sans doute — et là nous rejoignons E. Bolisani — une conclusion de ce genre: « quand on a bien étudié le climat et le sol, on n'est jamais trompé dans ses espérances par la Nature et on a la plus belle de toutes les existences ».

Une fois de plus, Varron recourt dans ce passage au dialogue (2), que nous retrouverons d'ailleurs dans le fragment suivant. Sa prose est, comme en 22, limpide et sans recherche.

— Quaero a te: expression de la langue familière, à rapprocher de die mihi. Cf. infra, 89 Buch.: quaero a uobis. . . (texte qui plaide en faveur de notre leçon avec la préposition a); 295, 507 Buch.; Piaute, Most., 551: Sed die mihi...; Juvénal, VIII, 56: die mihi, Teucrorum proies . . .

* * *

24. - Extrait par Nonius de Gloss. II (ou I?) (3). Prose. Mais, pour Vahlen et Riese, avec un texte différent, octonaires iambiques. Ce fragment altéré a été diversement restitué par les éditeurs modernes: au lieu d'innocentes que donnent les manuscrits, certains rétablissent no-

(1) Virgile, G., I, 50 et suiv. (trad. E. de Saint-Denis): Ac prius ignotum ferro quant scindimus aequor, uentos et uarium caeli praediscere morem cura sit ac patrios cultusque habitusque locorum, et quid quaeque ferai regio et quid quaeque recuset.

Cf. aussi Pline, N.H., XVII, 2, 8; pour le climat Varron, B. B., I, 2, 4: quae salubriora illa fructuosiora; I, 4, 3: utilissintus autem is ager est qui salubrior est quant alii; pour la nature du sol Varron, B. B., I, 5, 3: cognitio fundi. . . ; I, 6, 1: alius ager bene natus, alius maie; I, 9, 1: terra, inquam, cuius modi sit refert. Voir E. H. Oliver, op. cit., p. 97.

En marge de ces observations: Varron déplorait l'insalubrité qu'avait développée en Italie le déclin de l'agriculture (régions devenues pestilentielles, eaux stagnantes, moustiques, etc.). Cf. Varron, B. B., praef., 2; I, 4, 3; I, 11, 2; Cicéron, Agr., II, 26-27, 36, 98; E. H. Oliver, op. cit., p. 80.

(2) Cf. supra, p. 21. (3) Lindsay, Nonius, p. 46.

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"Αμμον μετρεις 109

centes et, à la place de notre obicitis bestiis (conjecture de Bücheier), plusieurs ont absoluitis, consuestis, ou consuitis.

La solution que nous empruntons à Bücheier (mais en substituant un point à son point d'interrogation final) nous paraît s'imposer eu égard à l'organisation et au sens de la phrase. Noxios est appelé par innocentes, qui fait avec lui antithèse; de même, obicitis bestiis, paléographi- quement correct (saut du même au même qui a conduit à la forme comprimée obuestis), fait pendant, en contraste, à in gabalwm, suffigimus. L'homme dont Vairon nous transmet les propos est originaire de l'un des pays où, à l'époque, la crucifixion se pratiquait communément — une contrée d'Asie ou Carthage, par exemple (*). Cet étranger réplique ironiquement à un Romain qui s'est permis de dénigrer les coutumes de sa patrie « barbare »: il fait mine, par dérision, de prendre au sérieux cette condamnation, d'y adhérer personnellement (de même qu'ils se flattent de ne faire que des guerres « justes », les Romains assurent qu'ils ne supplicient que des coupables; les barbares, au contraire...)· C'est pour n'avoir pas senti cet accent particulier que les commentateurs ont été si gênés par innocentes - noxios et par le fragment en général.

On peut déduire de la riposte ainsi entendue que Varron n'était pas poussé par son indéniable orgueil national à mépriser les autres peuples et qu'il souscrivait à deux maximes cyniques (thèmes 14 et 14 a Oltramare): «les barbares peuvent servir d'exemple aux civilisés» et « les mœurs des pays étrangers sont l'indice que les actions condamnées par l'opinion doivent être considérées comme naturelles ». Au demeurant, s'il avait pris une autre position, il n'eût pas été conséquent avec lui-même, puisqu'il est, nous l'avons vu, pour le primitivisme et contre la civilisation. Il est vrai qu'il a satirise les religions exotiques (cf. infra, Eumenides). Mais on aurait tort d'attribuer de semblables sorties à sa xénophobie. Il n'est pas plus xénophobe que la grande masse des Romains qui l'était peu (2) — ce qui ne l'empêche pas de vouloir la suprématie et la domination de son pays: il n'y a pas incompatibilité. Simplement, il combat les importations étrangères qui, à commencer par les religions de l'Est, menacent les valeurs traditionnelles dont il est le champion. Quant au reste, il approuve les conceptions des Cyniques et des Stoïciens sur la fraternité humaine et regarde le monde entier comme une seule grande cité (cf. infra, Άν&ρωπόπολις).

(!) Sur la crucifixion, cf. E. Caillemer - G. Humbert - E. Saglio, dans DA, 1/2, s. ν. Crux, p. 1573-1575.

(2) Cf. Cèbe, p. 66, 223, 247-248, 379.

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110 "Αμμον μετρεΐς

D'après Bücheier (x) et Norden (2), la discussion dont nous n'avons reçu que ce court passage aurait lieu entre un grand propriétaire terrien et un homme politique, tous deux Bomains, qui s'accuseraient mutuellement de sauvagerie, ayant eu l'occasion ou, du moins, possédant le pouvoir l'un de crucifier ses esclaves, l'autre de faire jeter des condamnés dans l'arène. Le mot barbari qui, tout en étant au figuré, retient sans nul doute quelque chose de sa couleur première et le ton même de la phrase orientent plutôt, nous semble-t-il, vers notre explication qui, l'ironie mise à part, est également celle de G. Boissier (3), d'E. Bolisani (4), et d'A. Marzullo (5).

■ — Innocentes - noxios: l'idée qui se cache sous le sarcasme est, si nous ne nous trompons, la suivante: quand on parle de sauvagerie, peu importe, quoi qu'en dise le Eomain fier de l'être, la culpabilité ou l'innocence des gens que l'on supplicie. De toute manière, ce sont des créatures humaines. Qu'on les mette en croix innocentes ou qu'on les donne coupables en pâture aux fauves, la barbarie est la même ou peu s'en faut.

— Sur la damnatio ad bestias, le plus cruel des trois sum/ma supplicia romains, les deux autres étant la (tremotio et la crux, cf. Β A, VII, s.v. Poena, p. 540, 6°.

— Gabalus: mot celtique, synonyme de patibulum ou crux. Il appartient au sermo plebeius. Cf. Ernout-Meillet, s.v. gabalus, p. 407.

— La disjonction ^innocentes et d'homines a pour objet de faire mieux ressortir les deux mots et la notion de scandale qu'ils impliquent. Eemarquer d'autre part le parallélisme oratoire et l'asyndète qui souligne l'opposition des deux énoncés parallèles.

— On ne saurait sans risque d'erreur chercher à déterminer la place et la fonction qu'avait ce texte dans une satire sur la cupidité. En tout cas, la tentative faite dans ce sens par F. Della Corte est rien

H Bücheier, p. 538 (404). (2) Norden 1, p. 29 (295). Mais Norden a des doutes: « in Ms tenebria certi nihil

dispicio ». (3) Boissier, p. 72: « un admirateur des mœurs du temps, qui ne trouve rien

de meilleur que Kome et son luxe, aborde chez des barbares qui lui font la leçon ». (4) Bolisani, loc. cit. (5) Marzullo, p. 11: « vivace battibecco tra persone di diversa civiltà; situazione

ben naturale per i Eomani che già si affermavano nella conquista di popoli orientali e nordici ».

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"Αμμον μετρεΐς 111

moins qu'encourageante. Citons-le: «che (...) sia proprio un avaro ed usuraio quegli che parla » (toujours la comparaison avec Alfius, naturellement!) «mi pare evidente dal fr. 24: nos barbari (...). All'accusa di barbarie l'usuraio risponde che non è affatto barbaro, anzi perfettamente legale, se un debitore (sic) non è pagato, che il creditore (sic) divenga suo schiavo, e subisca, in quanto tale, tutte le punizioni del suo stato, non esclusa la pena di morte per crocifissione. Barbarie sarà piuttosto quella che si usa con i gladiatori, i quali sono costretti a combattere e a morire in bocca alle fiere, senza colpa alcuna. Innocentes e noxìi sono qui detti κατ'

άντίφρασιν, come si conviene ad un discorso sarcastico » (*).

(*) Della Corte 1, loc. cit.. Mais il a depuis renoncé à cette interprétation: cf. Della Corte 4, loc. cit.

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ANDABATAE

Les gladiateurs aveugles

I

25 (28) mortales multi rursus ac prorsus meant

bien des mortels vont en arrière et en avant

II

26 (29) edepol idem caecus, non luscitiosus est

pardieu! cet homme-là n'a pas la vue basse! il est aveugle!

III

27 (30) non mirum si caecuttis, aurum enim non minus prae- stringit oculos quam ό πολύς άκρατος

pas étonnant que tu y voies trouble! l'or aveugle tout autant que « le vin pur pris en abondance »

25 Nonius, p. 384, 1. 35: RVRSVS retro. Vergilius (...) Varrò Andabatis: « mortales. . . meant ».

26 Nonius, p. 135, 1. 12: LVSCIOSI qui ad lucernam non uident et moeopes uocantur a Graecis. Varrò (...) Andabatis: «edepol... est».

27 Nonius, p. 34, 1. 29: PRAESTRINGrERE dictum est non ualde stringere et claudere. Plautus (...) Varrò Andabatis: «non mirum... άκρατος».

Andabatis Nonius: Andabata Priscianus (cf. 31, 34) || 26 tu quidem Müller || cecus G || es Müller \\ 27 caecutis H1 L || ό πολύς άκρατος corr. Mercerus: om. H ό om. L ποαυς αυκρατος G L ο πολύς αυκρατος codd. ceti.

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ANDABATAE 113

IV 28 (27) nee manus uisco tenaci tinxerat uiri castas

et elle (la cupidité) n'avait pas poissé de sa glu tenace les mains pures de l'homme

V 29 (25) anima ut conclusa in uesica, quando est arte ligata, si

pertuderis, aera reddet de même que l'air enfermé dans une vessie qu'un lien fortement serré obture émet un son si on la crève

VI 30 (26) candidum lacté e papilla cum nuit signum putant

partuis, quod hic sequatur mulierem e partu liquor lorsque le lait blanc s'écoule d'une mamelle, on voit là un indice d'enfantement, parce que, dit-on, ce liquide vient à la femme de l'enfantement

VII 31 (31) sed quiduis potius homo quam caruncula nostra

mais l'homme est tout ce que tu voudras plutôt que notre misérable chair

28 Nonius, p. 267, 1. 14: CASTVM a furtis et rapinis abstinens. Varrò Andabatis: « nec manus . . . castas ».

29 Nonius, p. 241, 1. 28: AER sonus. Varrò Andabatis: «anima... reddet». 30 Nonius, p. 483, 1. 7: LACTE nominatiuo casu ab eo quod est lac (...) Varrò

Andabatis: «candidum. . . nuit» et p. 486, 1. 6: PARTI et PARTVIS pro partus (...) Varrò Andabatis: « candidum. . . liquor ».

31 Priscianus, VI, p. 209, 2: Itaque eius quod est caro diminutiuum caruncula est, ut uirgo uirguncula ratio ratiuncula. Varrò in Andabata: «sed... nostra» et Lexicon saec. XII exaratum apud Maium in class, auctt. VIII, p. 319: Haec car- nula, ae (...), quod etiam haec caruncula, ae dicitur; unde Varrò: « sed. . . nostra ».

28 tinxerat uiri castas ] tinexerat L casta G L uiris castas seu auaritia Costa auri casta Oehler tincta erat uiri casta Meineke, p. 737 tinxerat sibi casta Vollbehr (Diar. litt, ant., 1847, p. 531) 29 arte] arcte Junius quandoque siue arcte Meineke, p. 737 || religata Buch. Della Corte || pertuderis ] percuderis Aldina perculeris Junius pertuderit Mercerus || reddit Oehler || 30 lacté e papilla Oehler Riese BoUsani: lacté papilla coda, lact e papilla Bücheier || cum fluit G edd.: confluit Bamb. H L p. 483 || putane G p. 486 || partuis ] a partu Carrio (Emend., II, 16)

J.-P. OÈBE

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114 ANDABATAE

Vili

32 (32) in reliquo corpore ab hoc fonte diffusast anima, hinc animus ad intellegentiam tributus

dans le reste du corps, Y anima (« le souffle vital ») est diffusée à partir de cette source; de là émane aussi Y animus (« l'esprit ») qui nous a été accordé pour la compréhension

IX

33 (33) idque alterum appellamus a calendo calorem alterum a feruendo febrim

de ces deux états, nous appelons l'un « chaleur » de calere (« être chaud »), l'autre « fièvre », de fernere (« être bouillonnant »)

X

34 (35) sed quod haec loca aliquid genunt

mais parce que ces parties (du corps) produisent quelque chose

XI

35 (34) et me Iuppiter Olympiae, Minerua Athenis suis my- stagogis uindicassent

et Jupiter à Olympie, Minerve à Athènes m'auraient sauvé de leurs mystagogues

32 Nonius, p. 426, 1. 28: ANIMVS et ANIMA hoc distant: animus est quo sa- pimus, anima qua uiuimus (...) Varrò Andabatis: «in reliquo... tributus».

33 Nonius, p. 46, 1. 21: FEBKIS proprietatem a feruitate morbi uel mali ut a calendo calorem uel caldorem Varrò Andabatis aperiendam putat: « idque . . . febrim ».

34 Priscianus, X, p. 528, 25: GIGNO genui, pro quo geno uetustissimi protu- lisse inueniuntur. Varrò in Andabata: «sed... genunt».

35 Nonius, p. 419, 1. 9: VINDICARE liberare, trahere. Vergilius (...) Varrò Andabatis: « et me. . . uindicassent ».

32 in reliquo ] in teliquo H1 in relJicuo Vahlen, p. 174 \\ diffusast Vahlen edd. recent.: diffusa est edd. veti, diffusus G H L \\ ad intellegendum Oehler || 33 que H L Bücheier Bolisani: ideoque Roth Biese || calorem] caldorem Müller calorem uel caldorem Biese || 34 haec loca] haec sola Popma Krahner, p. 20 \\ 35 Olimpie G L \\ mystagotis G L

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ANDABATAE 115

Au Ier siècle avant notre ère, on appelait andabatae des gladiateurs équipés d'un casque à visière sans ouverture. Leurs coups tombaient en général dans le vide et provoquaient l'hilarité du public de l'arène (*).

Il est évident que Varron donne au substantif une valeur métaphorique. Mais à quoi renvoie au juste sa métaphore? aux âmes qui, voyageant dans le ciel, les unes vers les astres, les autres vers la terre, se rencontreraient et se livreraient bataille (suggestion de Krahner d'après le fragment 25 (2))? certainement pas! à l'universalité des hommes, comme le veulent Turnèbe, E. Norden et A. Marzullo (3)? pas davantage: la pièce, à notre avis, n'a pas des visées aussi larges et il faut faire un sort à l'idée de pugilat incluse dans le titre. Tout compte fait, la solution la plus plausible est, estimons-nous, celle de Eiese, pour laquelle se déclarent également L. Eiccomagno, E. Bolisani et B. Mosca (4): «en ce qui me concerne », écrit Eiese, « je suppose que cette satire renfermait (...) une λογομαχία de philosophes aux opinions divergentes; car Ménippe et ses disciples tenaient pour assuré qu'il est dans les habitudes des philosophes de " combattre les yeux fermés à la manière des andabatae " (Hier., Jovin., I, 36) ». On ne saurait mieux dire; et cette théorie est d'autant plus digne d'intérêt que les disputes de philosophes ne manquent pas dans la suite des Ménippées varroniennes. Ainsi que nous l'avons fait observer nous-même, « Varron, dans ses Satires Ménippées, berne (...) les théoriciens, de quelque camp qu'ils soient, qui, à force de ratiociner, faussent et déforment tout. (...) Ce dont il fait avant tout grief aux doctrinaires, notamment aux Epicuriens et aux Stoïciens, c'est la manie qu'ils ont de s'affronter en de vaines querelles, qui dénotent

(*) Saint Jérôme, Helvid., 5: more andabatarum gladium in tenebria uentilans, « agitant son glaive dans le noir à la façon des andabatae »; Jovin., I, 36: melius est tarnen clausis, quod dicitur, oculis andabatarum more pugnare. . ., «il vaut cependant mieux combattre, comme on dit, les yeux fermés, à la façon des andabatae. . . »; Ruf., II, 19: duo andabatas digladiantes inter se me spedasse fateor, «j'avoue avoir regardé deux andabatae qui combattaient entre eux»; Cicéron, Fam., VII, 10, 2; Otto, s. v. andabata, p. 24; Otto, Nachträge, p. 95; L. Friedlaender, 8. G., II, 5e éd.. p. 330. Plus tard (cf. Lydus, Mag., I. 46), on appela aussi andabatae les soldats κα- τάφρακτοι. Sur l'étymologie du mot (deux éléments gaulois anda + bâta = caecus + pugnalisi), cf. Ernout-Meillet, s. v. andabata, p. 50; Walde- Hofmann, I, p. 46.

(2) Krahner, p. 20. (3) Turnèbe, Advers, libri, XVII, 23 (il propose ce sous-titre: de hominum cae-

citate et errore); Norden 1, p. 22 (287): « iocose sic uocat homines nocturnos qui tene- bris menti offusis quasi opertis oculis errant et labuntur»; Marzullo, p. 11.

(4) Eiese, p. 100; Riccomagno, p. 46, 142; Bolisani, p. 20; Mosca, p. 50.

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116 ANDABATAE

à la fois leur intransigeance et l'étroitesse de leur entendement » (!). Souvenons-nous d'autre part que, dans les Académiques, Cicéron, en une espèce d'hommage à Varron, protagoniste de ce dialogue, caricature à son tour, en imitant la manière des Ménippées, une rixe de Stoïciens et d'Epicuriens: «Zenon crie et le fameux Portique est tout entier dans l'effervescence. (...) Epicure, de son côté, ayant fait venir en renfort de ses jardinets (...) une cohue de combattants ivres (...), presse vivement l'adversaire » (2).

Que cette attitude soit typiquement romaine, nul n'en disconviendra: G. Boissier n'a pas tort d'affirmer qu'« on était sûr de plaire aux vieux Eomains en se moquant un peu des sages de la Grèce » et que « personne ne pouvait être plus frappé de ces querelles (de philosophes) que les Eomains, grands partisans de l'ordre et de l'unité » (3). Il n'en demeure pas moins que l'exemple était venu de Grèce: non seulement on déduit à bon droit du Iuppiter tragoedus de Lucien que Ménippe avait tourné en ridicule la pugnacité des philosophes dogmatiques trop sûrs d'eux et de leur système (4), mais on sait que les Silloi de Timon, Sceptique pyrrhonien, ouvraient sur une bagarre homérique de philosophes, tous frappés d'un mal commun, « une logo-diarrhée qui dégénère en logomachie » (5). Ces modèles helléniques n'étaient pas plus tendres avec les victimes que leur postérité latine, bien au contraire: en particulier, la censure varronienne, ici comme ailleurs, est beaucoup moins radicale et virulente que celle des Cyniques: les Cyniques raillent la philosophie pour l'abattre; Varron la raille, mais ne met pas en cause sa légitimité; il veut qu'elle soit connue du plus grand nombre (6); il travaille à la défendre et à l'illustrer; c'est uniquement les outrances des philosophes de métier, inférieurs à leur noble mission, qu'il critique. Somme toute, ses idées en la matière concordent avec celles que nous lui avons trouvées à l'endroit de la science (7) ou de la religion (8). La doctrine des

(*) Cèbe, p. 252. (2) Cicéron, Ac. Post., Ill, 7, 15: clamât Zeno et tota ilia Portions tumultuatur.

(...) Contra ille, conuocata de hortulis in auxilium (...) turba temulentorum, (...) instat acriter. Cf. Mras, p. 400 et suiv.; Cèbe, p. 255-256.

(3) Boissier, p. 85 et suiv.; cf. Riccomagno, p. 141; Boyancé 3, p. 39-40 (qui cite Cicéron, Fin., II, 25, 30).

(4) Cf. Scherbantin, p. 79-80. (5) L. Robin, op. cit., p. 379 et suiv. Cf. Highet, p. 36 et suiv. (e) Cf. Scherbantin, loe. cit.; supra, p. 8, n. 4. (7) Cf. supra, p. 47 et suiv. (8) Cf. supra, p. 92-93.

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ANDABATAE 117

Ménippées se signale, on le voit, par son homogénéité; elle ne recèle ni contradiction ni disparate; elle est telle qu'on pouvait l'attendre a priori d'un savant à l'esprit posé, méthodique, lucide, ennemi des intempérances de tout genre.

Il n'est aucun des vestiges conservés de l'ouvrage qui ne prenne aisément place dans le cadre tracé par Eiese d'un débat philosophique (dialogue ou symposioni) accompagné d'insultes. Mieux encore: moyennant quelques regroupements, on arrive à imaginer avec plus ou moins de clarté quelques phases de la discussion. Toutefois, il y a bien entendu de très grandes chances pour que les fragments ne se soient pas succédé exactement dans l'ordre que nous leur avons donné. Cet ordre n'a pas d'autre fin que de réunir ceux qui, dans notre pensée, vont ensemble. Il ne dépend pas, on s'en est aperçu, de la disposition des lemmes de Nonius: ceux-ci ne nous fournissent que des citations isolées, qui échappent à la lex Lindsay.

De la dispute des philosophes relèvent 26 et 27. 28-34 et, probablement, 25 s'inséraient dans un ou plusieurs des

exposés débités par les philosophes participant à l'entretien. 35 a toutes les apparences d'un morceau de la conclusion. Presque tous les commentateurs évitent de proposer un schéma

de la satire: ainsi, Ε. Β oli sani et F. Della Corte se contentent d'indiquer, le premier que certains fragments nous apportent l'écho de controverses animées, voire houleuses entre des philosophes (x), le second, démarquant Turnèbe, que Varron, dans les Andabatae, pourfend les vices « qui aveuglent et pour lesquels nous luttons sans voir » (2). Seul A. Gercke se risque à rebâtir l'ouvrage dans ses grandes lignes (3): les Andabatae auraient mis aux prises deux interlocuteurs — un pessimiste- sceptique, Varron en personne — et un admirateur enthousiaste de la science, qui aurait eu le dessous pour finir (26, 27). Dans l'analyse de détail, Gercke, nous le constaterons, a magistralement rectifié des bévues commises avant lui; mais il se trompe dans cette reconstitution générale, dont nous nous efforcerons chemin faisant de montrer les faiblesses.

Nous ignorons à quelle date Varron rédigea les Andabatae (cf. infra, p. 121).

(x) Bolisani, loc. cit. (2) Della Corte 4, p. 152. (3) A. Gercke, Varros Satire Andabatae, dans Hermes, 28, 1893, p. 135-138.

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118 ANDABATAE

* * #

25. - Extrait par Nonius d'Alph. Adv. (*). Le texte ne pose pas de problème. Il n'est nullement incomplet comme le prétend le Thés. I. L. qui ajoute, sans aucun motif, sententias proferentes après multi. Sénaire iambique (vers original et non citation).

Le sens de l'expression est clairement figuré. Plutôt que les mouvements confus des -phûoso^hes- andabatae (interprétation d'E. Bolisani), elle peint d'après nous l'agitation stérile de la multitude, c'est-à-dire de ceux qui, restant à l'écart de la philosophie (stulti), ne savent pas diriger leur vie et y font autant de pas en arrière que de pas en avant. Elle devait être proférée par un des orateurs que Varron faisait disserter: elle ne serait pas incongrue dans une pareille bouche, puisque le reproche qu'elle énonce est un cliché des philosophies antiques (2); et elle y serait comique, puisque l'orateur en question n'est lui-même qu'un andabata.

A. Gercke, quant à lui, attribue cette observation désabusée à Varron: ce dernier y exhalerait sa misanthropie d'Académicien sceptique, persuadé que l'espèce humaine est incapable de progrès (3). Mais Varron n'était pas un Sceptique ni même un vrai Probabiliste (il se recommandait d'Antiochus d'Ascalon, non de Camèade); et il n'aurait pas composé ses Ménippées s'il avait à ce point désespéré de l'homme: nous avons plus haut insisté sur l'aspect positif, encore qu'utopique, de ses satires (4). Il ne juge pas l'humanité incurable; il indique même à tout moment le remède qui guérirait les maux dont il s'afflige: c'est le mos maiorum assaisonné de philosophie. En outre, il est incontestable que la condamnation du fragment 25 ne touche pas tous les hommes, mais exclusivement ceux d'entre eux qui vivent sans règle et sans plan (nous avons multi mortales et non omnes mortales ou mortales tout court). En définitive, quoique Varron pût prendre cette sentence à son compte (car il ne ménageait pas les stulti), ce n'est sans doute pas lui qui la prononce: comme dans la majeure partie de la pièce, il s'efface derrière un de ses personnages dont il reproduit les paroles.

L'examen du style sentencieux, recherché, qui contraste avec la banalité du fond, nous fait aboutir au même résultat: on est ici dans

(x) Lindsay, Nonius, p. 76. (2) On se rappelle notamment le passage dans lequel Sénèque assimile les stulti

à des fourmis qui montent et descendent le long des arbres, ne sachant que faire de leur vie: cf. Sénèque, Tranq., XII, 2.

(3) A. Gercke, op. cit., p. 138. (4) Cf. supra, p. 8, n. 4, et p. 80 et suiv.

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ANDABATAE 119

l'orbite de la parodie (cf. fr. 2 et 3), l'auto-parodie étant à exclure. D'où le recours à l'expression poétique. On prendra garde: 1°) à l'emploi de mortaUs qui vient des grands genres (épopée, tragédie) et du verbe rare meo (!); 2°) aux jeux phoniques — allitérations (mortales - multi - meant) et homéotéleutes (rursus - prorsus) — qui créent une impression de balancement, accentuant l'effet de l'image (2). Rursus ac prorsus est une sorte de locution consacrée qui évoque, comme nous l'avons dit, une agitation brouillonne: cf. Terence, Hec, 315 (trad. J. Marouzeau):

Trepidari sentio et eursari rursum prorsum,

«j'entends qu'on s'agite et qu'on court deçà delà». — Pour l'exégèse de Krahner (duels d'âmes), cf. supra, p. 115.

26 et 27. - Ces deux fragments nous plongent donc dans l'escarmouche de propos blessants à laquelle se livraient les philosophes-<mda- batae. Le couple caecus-caecuttio engage à considérer qu'ils n'étaient pas totalement coupés l'un de l'autre. Mais, comme les maillons de la chaîne qui les reliait ont disparu, il y a diverses manières raisonnables de concevoir leurs rapports:

— Première hypothèse: un des jouteurs prend les dieux et l'auditoire à témoin de la cécité (morale) d'un adversaire, à qui lui-même ou quelqu'un d'autre criera plus loin: « Non mir um si caecuttis . . . ».

— Deuxième hypothèse: un des jouteurs a dit d'un adversaire: « edepol idem oaecus ... ». L'adversaire lui « renvoie la balle » en s'excla- mant: «mais l'aveugle, c'est toi! et ce n'est pas étonnant (non mirum si caecuttis). . . ».

— Troisième hypothèse: edepol idem caecus s'applique à l'assaillant de 27 et a pour but de souligner combien il sied mal à cet homme-là de dénigrer la mauvaise vue d'autrui, étant donné que lui-même. . . (dans ce cas, on intervertirait 26 et 27) (3).

(*) Avant l'Empire, meare n'apparaît que chez Plaute (SU., 442) et Lucrèce (IV, 371).

(2) Comparer Ennius, Trag., 104 Kibbeck: rursus prorsus reciprocal fluctus fe- ram,, et Naevius, B. P., 5 a: Eortim sectam secuntur multi mortales. Sur mortaUs, cf. Marouzeau, Stylistique, p. 199-202.

(3) "Voici l'idée que nos devanciers, quand ils en proposent une, se font de 26 et 27: E. Norden (Norden 1, loc. cit.): giocose sic (seil, andabatas) uoeat homines noc- turnos qui tenebria menti offusis . . . (cf. supra, p. 115, n. 3): fr. 29 edepol idem...; jr. 30 non mirum si... »; Bolisani, p. 20 et suiv.: «apprezzamento forse di V.

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120 ANDABATAE

La première hypothèse est à nos yeux la meilleure. Mais, quelle que soit la réponse choisie, les deux textes ont en gros même portée et même piquant: voilà des hommes qui ne voient pas mieux les uns que les autres et qui osent se traiter mutuellement d'aveugles! c'est, comme on dit, « l'hôpital qui se moque de la charité »; on pense aux héros de Térence qui se flattent d'être seuls perspicaces, alors qu'ils sont seuls à ne pas être instruits de la vérité.

On pourrait être tenté d'admettre que le jugement de 26 était prononcé par Varron en personne (!). Mais cette conjecture n'est que spécieuse: il est très improbable que Varron ait interrompu le dialogue de ses andabatae (dans lequel il n'intervenait sûrement pas lui-même) pour livrer au lecteur des réflexions de son cru; et le style de 26 n'est pas celui qui conviendrait à une réflexion de cette nature.

— 26: extrait par Nonius de Gloss. V (2). Sénaire iambique: adaptation d'un passage de Plaute (cf. infra). Les substitutions de Müller ont pour objet de respecter intégralement le libellé de ce passage. Mais: 1°) nous avons certainement affaire à un vers unique et non à deux vers comme chez Plaute. Pour laisser à ce vers sa structure métrique, il ne faut pas remplacer idem par tu quidem; 2°) les manuscrits offrent des textes identiques, qu'il n'y a pas lieu de modifier. Il importe, en particulier, de ne pas toucher à luscitiosus, qui est l'adjectif utilisé par Plaute. F. Della Corte l'avait, à tort, remplacé par lusciosus qui détruit le vers (3), mais il est revenu à la bonne leçon dans son dernier commentaire (4).

— Le passage de Plaute dont Varron s'inspire est dans le Miles gloriosus (322 et suiv.):

edepol tu quidem caecus, non luscitiosu's.

Cette imitation donne à la satire une couleur en même temps familière et plaisante, sans diminuer sa causticité. Sur les emprunts de Varron au théâtre comique, cf. supra, p. 22, 52.

stesso sopra uno dei contendenti, che da esso prende le mosse per insultare l'avversario »; Della Corte 1, p. 29: « due frammenti, i quali appunto trattano della cecità umana (...) molto probabilmente brani di uno stesso discorso »; Della Corte 4, p. 152: «la cecità è argomento del fr. 29 (...) e del fr. 30 ». Pour Gercke, cf. supra, p. 117; infra, p. 122.

(*) Cf. la η. précédente (Bolisani). (2) Lindsay, Nonius, p. 135. (3) Della Corte 1, p. 29. (*) Della Corte 4, p. 7.

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— Lusoitiosus est la forme ancienne et classique de l'adjectif, lusciosus sa forme tardive. Voilà pourquoi Nonius écrit successivement les deux formes i1). Dans son premier travail sur les Ménippées, on vient de le voir, F. Della Corte rétablit lusciosus: cet adjectif, à l'en croire, aurait été à dessein employé par Varron (au lieu du luscitiosus de Plaute), parce qu'il contiendrait un jeu de mots: on y découvrirait une allusion à un personnage connu, « cui la vista s'era acciecata per il troppo oro », Lucius Luscius, centurion de Sulla, qui s'enrichit à la guerre et fut condamné peu avant 64. Conclusion: la satire Andabatae aurait été composée entre 80-79 (elle est sans conteste postérieure au séjour de Varron à Athènes) et 65-64. Quand bien même lusciosus serait correct, nous rejetterions le rapprochement boiteux qui est à la base de ces déductions chronologiques, nous souvenant que Varron ne pratique pas l'èvo- μαστί κωμωδεϊν dans les Ménippées (2). Il n'est pas nécessaire de s'étendre davantage, puisque F. Della Corte abandonne et lusciosus et Lucius Luscius dans son ouvrage de 1953.

— 27: extra quotation faisant suite à des citations de Lucilius (tirées du Lucilius II de Lindsay) (3). La correction de Mercier est inattaquable (voir plus bas). Prose.

L'imputation ici décochée (φιλαργυρία) n'est pas sans gravité, "Αμ- μον μετρεΐς nous l'a prouvé, s'agissant surtout d'un homme qui se pique de tendre inlassablement vers la sagesse. On s'aperçoit qu'elle a trait non pas aux théories de cet homme, mais à ses mœurs. Nous rencontrons là quelque chose d'analogue à ce qu'on relève sans cesse dans la caricature politique romaine, où les sarcasmes concernent les travers individuels de l'homme d'état satirise beaucoup plus fréquemment que son action au service de la communauté (4). Ce procédé, admissible à la rigueur, pour mesquin et vil qu'il soit, dans le monde de la politique, devient scandaleux quand on s'occupe de philosophie ou de science. Il trahit par lui-même l'indignité des « penseurs » campés par Varron, qui, loin de montrer la sérénité convenable et de critiquer des idées, non des personnes, se conduisent à la façon du bas peuple ou des stulti: les stulti, en effet, avaient coutume d'ironiser sur les « agissements des soi-disant sages dont la vie contredisait les principes. (...) Parce qu'il prévoyait des traits de cette espèce, Sénèque n'osa pas tenter la conversion de Mar-

(!) Bücheier, p. 538 (405), η. 1. Même flottement à la p. 135 de Nonius. (2) Cf. supra, p. 8, et suiv. (3) Lindsay, Nonius, p. 13. (4) Cèbe, p. 378 (cf. p. 60, 66, 86, 140 et suiv., 163-169).

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cellinus, redoutable persifleur: « tous mes arguments », écrit-il, « il les préviendra. Il fouillera dans nos écoles et mettra les philosophes en face de leurs faiblesses: libéralités acceptées, maîtresses, plaisirs de la table. Il me fera voir l'un en commerce adultère, l'autre à la taverne, un autre à la cour. Il me jettera à la tête nos charlatans. . . » (Sénèque, Ep., XXIX, 5-7) » (!). Sénèque lui-même fut ainsi vilipendé, sous prétexte qu'il ne mettait pas sa morale en application (2).

Dans ces conditions, A. Gercke fait injure à Varron quand il se figure que ce dernier, dans le fragment 27, cloue au pilori son interlocuteur (l'optimiste), qui se serait vanté d'être riche. Cela suffirait à rendre sa conjecture peu vraisemblable, même si elle ne s'intégrait pas dans une reconstruction fallacieuse des Andabatae et même s'il n'était pas à présumer que Varron, dans le corps de cette pièce, évitait d'intervenir en son nom propre. Ajoutons, entre parenthèses, que l'allusion supposée de l'optimiste à son état de fortune n'est guère en harmonie avec le contexte que Gercke échafaude: qu'aurait-elle à faire dans un débat sur la validité du savoir humain?

Ό πολύς άκρατος nous donne à penser que le philosophe qui essuie le cinglant outrage rapporté par Varron est un Epicurien: en effet, les adversaires de la philosophie épicurienne la dénaturaient volontiers d'une manière tendancieuse et, se fondant sur les excès des viveurs qui se disaient abusivement ses adeptes, la ramenaient à « la légitimation des plaisirs sensuels », spécialement « des festins et des beuveries collectives »: Cicéron, par exemple, ne se fait pas faute de décrire l'Epicurien comme «un jouisseur ami de la bouteille » (3), ainsi qu'on l'a vu par le texte antérieurement cité des Académiques («une cohue de combattants ivres ») (4); et le Stoïcien Chrysippe voyait déjà dans Γ ' Ηδνπά&εια, «le doux traitement », manuel de gastronomie d'Archestratos de Gela, la « citadelle » de la philosophie épicurienne: cf. P. Boyancé, Β AGB, 19, 1960, p. 512; J. Granarolo, WEnnius. . . , op. cit., p. 12. Par suite, le sermonneur indélicat que Varron met en scène pourrait bien être un Stoïcien.

— La proposition aurum enim . . . associe deux proverbes grecs (Varron transpose l'un et cite textuellement le début du deuxième):

i1) Cèbe, p. 169-171. (8) Sénèque, Vit., XVII. (3) Cèbe, p. 256. (4) Cf. supra, p. 116.

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α) Τυφλός ό πλούτος, que Monandre et Antiphane adaptent ainsi: « la richesse est aveugle et rend aveugles ceux qui fixent les yeux sur elle » (x); «la richesse, comme un mauvais médecin, nous prend avec une bonne vue et nous rend tous aveugles » (2);

b) Ό πολύς άκρατος ολίγ' αναγκάζει φρονεΐν, que nous lisons dans un fragment de Ménandre (3) et dont nous avons des équivalents dans divers textes grecs et latins, notamment:

Eubule, 135 Kock (= Athénée, II, 43 f): τον δ' olvov ημών τω φρο- νεΐν έπισκοτεΐν, « le vin obscurcit notre jugement »;

Alexis, 'Επίτροπος, 82 Kock (= Athénée, X, 443 f): Πολύς γαρ οίνος πολλ' άμ,αρτάνειν ποιεί,

« car beaucoup de vin est cause de beaucoup d'erreurs »; Pline, N.H., XXIII, 41: sic quoque in prouerbium cessit sapien-

tiatn uino obumbrari, « ainsi, il est également devenu proverbial que le vin obscurcit notre jugement »;

Pétrone, V, 5 (trad. A. Ernout): nec perditis addictus obruat uino mentis calorem,

« qu'il n'aille point se vendre à la débauche et noyer dans le vin la chaleur de son génie » (4).

Ce n'est pas la première fois que nous tombons sur ces faits de langue (proverbes et mots grecs) (5).

— Caecuttio: verbe expressif, dérivé de caecus comme balbutio de balbus. On ne le trouve qu'ici, dans le Γεροντοδώάσκαλος (193

(*) Ménandre, 83 Kock: τυφλον ό πλούτος και τυφλούς

<(τούς)> έμβλέποντας εις εαυτόν δεικνύει. Voir Paroem., II, p. 223.

(2) Antiphane, 259 Kock: ό δε πλούτος ήμδς, καθάπερ ιατρός κακός, πάντας βλέποντας παραλαβών τυφλούς ποίει.

Cf. aussi Antiphane, 250 Kock: έπισκοτεΐ γαρ τω φρόνειν το λαμβάνειν,

« car la recherche du profit obscurcit le jugement ». (3) Ménandre, 779 Kock (= Monost., 420): «le vin pur pris en abondance vous

laisse peu de jugement ». (4) Cf. Otto, s. v. vinum, p. 372; Norden 1, p. 22 (288). (5) Cf. supra, p. 32, n. 3; p. 62, n. 1.

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Buch.), chez Apulée (Apol., 2), Martianus Capella (I, 2), et des auteurs chrétiens (x).

— Varron blâmait l'abus des boissons fortes et louait les maiores d'avoir consommé le vin à petites doses (2). Il partageait donc le mépris affiché par l'orateur de 27 pour les cupides et les ivrognes. Mais, redisons-le, il ne pouvait pas approuver un homme qui se servait de semblables arguments dans une réunion de philosophes.

De cette distinction opérée entre les idées et les manières découle un important corollaire qui explique la méprise de Gercke: c'est que Varron, dans les Andabatae, ne prête pas toujours à ses personnages des opinions critiquables (cf. déjà le fragment 25). Bien souvent, il est d'accord avec eux et instruit le lecteur par leur intermédiaire. S'il les nomme andabatae, ce n'est pas en raison de leurs thèses, mais en raison de leur sotte pugnacité et de leurs discordes futiles: alors qu'ils devraient s'écouter avec tolérance et tâcher de concilier leurs vues (plus proches ordinairement qu'ils ne le prétendent), ils se ruent les uns sur les autres en aveugles fanatiques et s'assènent des coups qui ne portent pas. Il les traite à peu près comme Horace traitera les Stoico -cyniques: Horace n'aime pas ces prêcheurs excessifs et se gausse d'eux dans ses Satires en parodiant leurs discours; il ne leur reproche pas leurs théories, qui sont en gros les siennes, mais leur langage et leur comportement, « parce qu'ils dogmatisent, grossissent tout, ne sont ni réalistes ni bienveillants, n'apprécient pas l'humour et ne s'intéressent qu'au profanum uulgus » (3); tout en les raillant, il administre grâce à eux à son public une leçon profitable. Bon exemple de σπουδογέλοιον.

*

28. - Extra quotation glissée parmi des citations de Virgile (tirées du Virgil de Lindsay) (4). Texte indiscutable. Septénaire trochaïque sca- zon (création originale et non citation).

L. Havet traduit uiscum par « filet », sens effectivement possible de ce nom (s), et en infère que notre fragment est relatif à la chasse, qui

(1) Cf. Marzullo, p. 12. On peut hésiter entre caecuttiunt et caecutiunt: voir Len- keit, p. 62.

(2) Cf. Varron, De vita pop. Boni., 147 (= Nonius, Ν. Η., XIV, 96). (3) Cèbe, p. 264. (4) Lindsay, Nonius, p. 68. (5) Cf. infra, Parmeno, fr. 385 Buch.

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n'existait pas durant l'âge d'or (aurea aetas serait le sujet sous-entendu de tinxerat) i1). Cette interprétation est insoutenable (2): non seulement la phrase varronienne, comprise et complétée de cette façon, devient étrange et n'a plus de lien avec les autres fragments des Andabatae, mais L. Havet ne tient pas compte du commentaire de Nonius à propos de castum (a furtis. . . abstinens) et semble ignorer deux vers de Lucilius qui règlent la question comme le notait déjà Bücheier (3). Ces vers r

eprésentent un cupide:

omnia uiscatis manibus leget, (pmnia sumet), omnia, crede mihi. . . (4).

Ils attestent que l'on disait traditionnellement d'un homme intéressé ou avare: « il a les mains collantes » (comme nous disons « les mains crochues » ou «prenantes»), expression dont procède le manus uisco.., tinxerat de Varron. Cela posé, le sujet sous-entendu de tinxerat est forcément un mot comme auaritia ou aurum (5).

28 est donc une variation sur le motif de la cupidité que nous avons abordé avec 27 et cette variation nous ramène à un thème central de la pensée varronienne: l'exaltation du passé et de la vie primitive, opposés à la corruption des contemporains (6). Qui, dans notre passage, se livrait à cet éloge des maioresì peut-être le virulent moraliste de 27, qui tonne contre l'or, peut-être un de ses compagnons. N'importe: une telle prise de position vérifie que les tirades récitées par les acteurs des Andabatae ne sont pas sans refléter les convictions de l'auteur.

A Gercke est, naturellement, d'un avis tout différent: selon lui, l'interlocuteur optimiste de Varron féliciterait ici un inconnu de ne jamais s'être sali les mains. N'épiloguons pas: les défauts de cette exégèse sont trop patents pour qu'il soit utile de les énumérer.

— La forme est volontairement frappante. D'où le passage à la poésie. Eemarquer d'une part les allitérations en chiasme uisco te-

(1) Havet 3, p. 5 et suiv. (2) Cf. Geller, p. 9. (3) Bücheier, p. 554 (419). (4) Lucilius, 796 et suiv. Marx: « de ses mains collantes, il enlèvera tout, pren

dra tout, absolument tout, crois-moi ». (5) F. Della Corte (Della Corte 4, p. 153) ne se sert pas, lui non plus, du passage

ci-dessus mentionné de Lucilius: « questo vischio », dit-il, « può essere inteso in senso traslato, come in Plauto (Bacch., 50: uiscus merus uostrast blanditici; 1159: tactus sum uehementer uisco) ».

(6) Cf. supra, Aborigines, p. 4 et suiv.

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naci tinxerat uiri et la redondance uiseo tenaci qui renforcent la suggestion, d'autre part la place en relief de castas rejeté loin de manus.

— Vir = homo. Pour cette valeur (poétique) du substantif, cf. Ovide, Met., I, 286.

* * *

29 et 30. - A. Gercke a très bien déchiffré ces deux fragments. Mais, n'ayant apparemment pas lu son article, les critiques continuent de commettre sur eux des contresens.

A l'instar du grand Norden, ils assurent d'habitude que 29 vise à faire comprendre comment l'âme s'échappe du corps, en d'autres termes comment nous mourons (cf. les tournures animam efflare, expirare, effundere) (*). Norden se réfère, pour étayer sa conjecture, à plusieurs textes, dont un de Jamblique, où on voit l'âme enfermée dans le corps comme l'air dans une outre (2).

Tout cela est mensonger: puisque le mot aer, comme le précise Nonius, est synonyme ici de sonus, anima ne désigne pas le souffle vital, mais Vair, le vent en général (il est d'ailleurs singulier que Norden et ses partisans n'aient pas été arrêtés par le caractère saugrenu de leur doctrine: peut-on parler sans plaisanter du bruit que ferait l'âme en quittant le corps!). Et la comparaison qui nous occupe n'a rien à voir avec la mort: elle a pour but d'expliquer un phénomène physique, le tonnerre (3). A. Gercke le démontre péremptoirement, en s'appuyant sur un grand nombre de témoignages (4) et en établissant que le bruit auquel Varron fait allusion est celui d'une vessie qui éclate (5).

(x) Cf. Norden 1, p. 23 (288); Bolisani, p. 21; Della Corte 1, p. 30; Della Corte 4, p. 152.

(2) Jamblique, Stobaei ecl. phys., I, 49, p. 384, 12 W. (41, p. 280, 19 M.): ει δέ παρέσπαρται μεν και ένεστιν ή ψυχή τφ σώματι καθάπερ εν άσκφ πνεΰμα περιερχομένη.

(3) Varron se penche sur ce phénomène dans une autre Ménippée, le Περί κεραυνού.

(4) Spécialement Lucrèce, VI, 121 et Sénèque, N. Q., II, 27, 3 et II, 28, 2. (5) Cf. Horace, 8at., I, 8, 46:

Nam, displosa sonat quantum uesica, pepedi diffissa nate ficus,

«car, avec le fracas d'une vessie qui explose, je lâchai un bruit par ma partie postérieure» (trad. F. Villeneuve).

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La manière dont Varron, au moyen d'une image concrète, introduit cette explication du tonnerre doit également retenir notre attention: nous sommes en présence d'un genre particulier de raisonnement, le raisonnement fondé sur l'expérience, que l'on trouve à la base d'une assertion comme: « il n'est pas de fumée sans feu ». C'est sans doute un Stoïcien (mais peut-être aussi un Péripatéticien ou un Epicurien) qui se livre à cette argumentation par analogie i1).

Quoi qu'il en soit, une intention polémique de Varron est vraisemblable: en homme qui connaît les frontières de notre savoir et de notre intelligence, il veut railler la confiance orgueilleuse de ceux qui misent sur la toute-puissance de l'entendement humain; il veut nous faire toucher du doigt nos déficiences en indiquant que, pour résoudre quantité de problèmes, nous n'avons pas d'autre ressource que l'expérience et sommes contraints de renoncer à la preuve pour nous rabattre sur la comparaison. N'allons cependant pas trop loin dans cette direction: Varron, nous l'avons noté, n'a jamais été le Sceptique que peint A. Gercke. Son hostilité envers la multiplex scientia n'est pas absolue (2). Il ne nie pas la possibilité de la connaissance (3) — se fût-il adonné autrement à ses savants travaux? Il a seulement une claire vision des bornes de cette connaissance et désire nous ôter toute illusion à son égard. Bref, il ne considère pas, contrairement à ce que soutient A. Gercke, que l'homme est condamné à errer en aveugle, en andabata. On se rend compte de nouveau que Gercke, excellent dans le détail, s'est fourvoyé dans la synthèse.

Le fragment 30 rentre dans la même catégorie que 29: on y reconnaît un exemple pour ainsi dire classique et très souvent cité de raisonnement empirique par analogie. Ainsi, Aristote déclare: το δέ οίον εί

ν1) Stoïciens, Epicuriens et Péripatéticiens avaient, à des nuances près, la même théorie au sujet du tonnerre et des éclairs. Cette théorie repose justement sur l'analogie que l'on rencontre dans notre texte et dans Lucrèce, VI, 130 et suiv.:

nec mirum, cum, plena animae uensicula parua saepe dei haut paruum sonitum displosa repente,

« rien là d'étonnant, puisqu'une petite vessie pleine d'air peut de même produire un grand bruit en explosant tout à coup » (trad. A. Ernout).

(2) Cf. supra, p. 47 et suiv. (3) Cf. Della Corte 5, p. 190.

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τις ε'ίπειεν « σημεΐον οτι νοσεί " πυρέττει γαρ » ή « τέτοκεν οτι γάλα έχει » άναγ- καΐον (Χ); et Lucrèce, au livre V, écrit:

sicut nunc femina quaeque cum peperìt dulci repletur lacté (2).

Ce type de raisonnement était classé par les Stoïciens dans le groupe des jugements hypothétiques, sous l'appellation de ση μείον έκκαλυπτικόν (« indice propre à faire découvrir » (3)). L'orateur de 30 est donc probablement un Stoïcien encore. Il se sert, fait notable, du terme technique signum qui traduit le σημεΐον du grec.

En regard de la brillante analyse d'A. Gercke, les commentaires de L. Eiccomagno et d'E. Bolisani ont piètre allure. Transcrivons-les néanmoins, pour information: « il Nostro, amante della buona ed onesta vita famigliare si compiaceva spesso di descrivere le scene dell'allattamento, sia che ne ricercasse spiegazioni naturali... » (4); et: «la spiegazione naturale dell'allattamento può essere data a mo' di comparazione. Comunque la precisione dei dettagli ti dice l'interesse che V., come del resto quasi tutti i rappresentanti del cinismo, prende per i più comuni fenomeni naturali » (5).

— 29: extra quotation dans un ensemble tiré par Nonius de Virgile (Virgil de Lindsay) (β). Le texte des manuscrits a subi, d,e la part des modernes, des manipulations injustifiées, qu'il n'est pas besoin de discuter. Prose (pour Meineke et F. Della Corte, aristophaniens).

— Beddet: futur « atemporel ». Ce futur concurrence le présent pour l'expression des vérités générales: cf. Ernout-Thomas, p. 192; com-

(!) Aristote, Bhet., I, 2, 1537 b 15: « par exemple, si quelqu'un disait: ' la preuve qu'il est malade, c'est qu'il a de la fièvre ' ou ' elle a enfanté, puisqu'elle a du lait ', l'argument serait contraignant ».

(2) Lucrèce, V, 813 et suiv.: «ainsi maintenant toute femme après l'enfantement se remplit d'un doux lait » (trad. A. Ernout). Cf. aussi un vers de la Titthe de Caecilius Statius (Warmington, Remains of Old Latin, I, p. 542), qui sonne comme un proverbe:

Praesertim quae non peperit laete non habet, « et surtout, celle qui n'a pas enfanté n'a pas de lait ».

(3) Cf. Pseudo-Galien, Hist. Phil., 9 (Diels, Doxogr., 605); Sextus Empiricus, Pyrnh. Hyp., II, 106.

(*) Riccomagno, p. 160. (5) Bolisani, p. 20. (6) Lindsay, Nonius, p. 66.

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parer recidere sonum, « rendre un son »: Quintilien, XI, 3, 20; Horace, A.P., 348.

— 30: pour la p. 483, 1. 7, extrait par Nonius de Gloss. I et, pour la p. 486, 1. 5, extra quotation suivant des citations de Plaute (tirées du Plautus I de Lindsay) i1). Texte sûr. Une seule hésitation possible sur lacté: Vahlen et Bücheier optent pour lact e (2), mais le nominatif lacté existe aussi (cf. infra) et il n'y a pas lieu de lui préférer lact (le lem- me de Nonius est du reste lacté). Septénaires trochaïques. Ce n'est pas une citation.

— candidum: corne tepidum (supra, p. 24), une des épithètes de nature de lac: cf. la tournure proverbiale candidior lacté (3). Mais on rencontre surtout niuewm... lac: cf. Ovide, Met., XIII, 829; F., IV, 151, 780; Sénèque, Oed., 495.

— Lacté et partuis: archaïsmes qui renforcent l'aspect aphoristi- que de l'expression. Voir Forcellini, III, s.v. lac.

— Sequatur: sequi, dans ce contexte, signifie littéralement « échoir à ». Sens banal. Subjonctif de discours indirect.

* *

31 et 32. - Ces deux fragments ont pour sujet l'âme, le corps et leurs relations. Thème dont nous avons eu l'occasion de dire un mot (4). Si l'on s'en remet à A. Gercke, l'interlocuteur optimiste de Varron exposerait en 32 une partie de sa philosophie, que Varron réduirait ensuite à néant. C'est encore une contre-vérité manifeste entraînée par le parti pris que nous avons plus haut relevé. En réalité, 32 énonce fidèlement un dogme du Portique et, partant, provient selon toute vraisemblance du discours que tenait le Stoïcien des Andabatae. Ce passage du discours n'avait rien pour déplaire à Varron, qui ne le réfutait certainement pas plus loin: en effet, Varron adhérait avec quelques nuances (dues à An- tiochus) (5) à la théorie stoïcienne de l'âme conçue comme un feu, un

(*) Lindsay, Nonius, p. 25 et suiv. (2) Cf. Bücheier, p. 538 (404). (3) Ovide, Am., Ill, 5, 13; Her., XV (XVI), 248; Pont., II, 5, 37; Otto, p. 183. (4) Cf. supra, p. 10. (5) Pour le détail, cf. Boyancé 2, p. 81 et suiv.

J.-P. CEBE

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130 ANDABATAE

souffle igné source de vie: il affirme dans le De lingua Latina: anìmalium semen ignis is, qui anima ac mens (*). Par le truchement de son conférencier, Varron nous transmet donc ici, derechef, un enseignement qui lui paraît, pour tout l'essentiel, inattaquable.

Dans l'autre texte (31), assure A. Gercke, Varron donne libre carrière à son pessimisme d'Académicien sceptique. Nouvelle répercussion néfaste de la théorie dont il est prisonnier: car cette proclamation, dont il défigure complètement le sens, est étrangère à la doctrine de la Nouvelle Académie et, comme la précédente, se rattache au Stoïcisme.

— 31: texte sûr. Prose (2). L'idée est lancée avec une brutalité voulue et sous une forme frap

pante (sententia). Développée, elle peut s'exprimer ainsi: ce qui compte pour de bon en nous, ce n'est pas la pauvre enveloppe de notre corps (cf. le jeu de mots pythagoricien σώμα- ση μα ou le nom de « bourbier » que l'Orphisme donne au corps), mais le principe qui anime ce corps, fait notre individualité et nous permet de raisonner. On se remémore la préface du Bellum JugurtMnum de Salluste: « l'homme étant composé du corps et de l'âme, toutes nos activités, tous nos penchants procèdent de la nature de l'un ou de l'autre. Aussi la beauté physique, la richesse, ajoutons la force corporelle et autres choses de ce genre passent en peu de temps, mais les productions éclatantes de l'esprit sont, comme l'âme, immortelles. Enfin les avantages du corps et de la fortune ont un terme, comme ils ont un commencement; tout ce qui naît périt; tout ce qui grandit vieillit; l'âme incorruptible, éternelle, souveraine du genre humain, dirige et domine tout, sans être dominée par rien » (lignes où une inspiration stoïcisante se mêle à une inspiration platonisante: le platonisme apparaît dans le motif de l'éternité de l'âme) (3). Varron, en bon élève d'Antiochus, est moins dur pour le corps: il regarde les biens corporels comme des biens authentiques et soutient que le summum bonum

(*) Varron, L. L., Y, 59: « le principe des êtres animés est le feu, qui est souffle de vie et d'esprit ». Cf. Norden 1, p. 24 (290); J. Collart, Varron, De lingua la- Una, V, Paris, 1954, p. 181 et suiv. Voir aussi Tertullien, Ad. Nat., II, 2: unde et Varrò ignem mundi animum facit. . .

(2) On ne peut que désapprouver la tentative de Fleckeisen pour faire du fragment un hexamètre dactylique ou des sénaires iambiques en écrivant quamde pour quam ou mi homo pour homo: cf. Riese, p. 102.

(3) Salluste, Jug., II (trad. A. Ernout). Cf. J.-M. André - A. Hus, Histoire romaine, Europe universitaire, Paris, s. d. (1969), p. 44. Contra A. Rostagni, Storia della letteratura latina, I, 2e éd., Turin, 1949, p. 489: le texte serait pythagorisant.

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réside à la fois dans les biens spirituels et dans les biens corporels (*). Cependant, il ne doute pas, lui non plus, que l'âme n'ait beaucoup plus de prix que le corps.

— Caruncula: vigoureux diminutif chargé d'une valeur péjorative (cf. supra, p. 34, 59 n. 3). On le rencontre avec la même acception chez Arnobe, qui copie sans doute Varron (Nat., II, 76: in ca- runculae huius folliculo). Le grec σωμάτιον et le latin corpusculum présentent souvent aussi un sens identique, en particulier chez les Stoïciens (argument en faveur de notre interprétation). Caruncula n'est qu'un synonyme expressif de ces mots. Cf. par exemple:

Bion, fr. 13 = Stobée, Flor., V, 67: «comme nous sommes jetés hors de chez nous par le propriétaire quand le loyer n'est pas payé (...), de même je suis chassé de mon pauvre corps » (par la mort).

Epictète, Manuale, XVI: « ce cri (de corbeau) sert peut-être de mauvais présage à mon pauvre corps ... ».

Sénèque, Helv., XI, 7 (trad. E. Waltz): corpusculum hoc, custodia et uinculum animi, « ce corps infime, geôle et lien de l'âme ».

Sénèque, Ν. Q., VI, 32, 8: ego de uno corpusculo timeamì, «moi, je tremblerais pour ce seul corps misérable? »

Juvénal, X, 173: ... quantula sîîU hominum corpuscula, «à quel point les pauvres corps des hommes sont peu de chose ».

Tertullien, Resurr., 5: futile (...) istud corpusculum, «ce pauvre corps fragile ».

Lactance, Opif., XIX, 9: hoc corpusculum quo induti sumus, « ce pauvre corps dont nous sommes revêtus ».

— E. Bolisani comprend comme nous le fragment 31 (sans essayer de préciser qui le prononce (2)). E. Norden n'en parle pas (3). F. Della Corte non plus dans son premier commentaire (4); dans le second, il se borne à le traduire (5).

{l) Cf. Saint Augustin, G. D., XIX, 1-3 (trad. G. Boissier): «il (Varron) voit dans l'homme deux substances, l'âme et le corps. (...) L'homme n'est-il ni l'âme ni le corps seul, mais l'un et l'autre, en sorte que l'âme et le corps ne soient séparément qu'une partie et que leur union compose l'homme même? » C'est cette solution que Varron adopte: «il pense que l'homme n'est ni l'âme seule ni le corps seul, mais l'âme et le corps »; Boissier, p. 117 et suiv., 198, 273; Mras, p. 419.

(2) Bolisani, p. 21. (3) Cf. Norden 1, p. 22-24 (287-290). (4) Della Corte 1, p. 29-30. (5) Della Corte 4, p. 153.

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132 ANDABATAE

— 32 : extra quotation faisant suite à des vers tirés d'un recueil d'Accius (Accius de Lindsay) (x). Texte sûr. Prose.

— In reliquo corpore s'oppose à hoc fonte qui désigne le cœur, siège de l'âme, aussi bien anima qu' animus. Cf. Lactance, Opif., 17: « Var- ron donne cette définition: " V anima (« le souffle vital ») est de l'air pris dans la bouche, porté à la température de l'ébullition dans le poumon, tiédi dans le cœur, répandu dans le corps " » (2); Pseudo-Plutarque, Op. phil.j IV, 21 (trad. G. Blin et M. Keim): «l'âme est un pneuma igné, continûment répandu à travers tout le corps tant que la respiration normale de la vie reste à la disposition de ce corps (...)· La région de l'âme où toutes les autres parties se concentrent, nous la plaçons, nous » (Stoïciens), « dans le cœur et c'est Yhégémonikon ».

— Sur la distinction a'animus et d'anima, cf. Varron, Ant. rer. div., XVI, 276 ( = Saint Augustin, G. D., VII, 23); Cicéron, Tusc, I, 19, 65; Lucrèce, III, 136 et suiv.; Norden 1, p. 24 (290); Boyancé 2, p. 79 et suiv.

— Nous ne sentons pas du tout dans ce fragment l'accent railleur et satirique dont fait état F. Della Corte (3). A l'inverse, le ton et la phraséologie nous semblent être ceux d'un « cours » de professeur: noter la technicité du vocabulaire; la reprise d'ab hoc fonte par Mnc, qui détache anima d' animus ; et la précision ad intellegentiam tributus.

— E. Bolisani compare Lucilius, 635 et suiv. Marx (4). Mais ce texte de Lucilius n'a rien de stoïcien.

* * *

33. - Doit-on lire calorem ou caldoremf L. Müller choisit caldorem pour former des tétramètres hipponactéens. Mais rien ne prouve qu'il ait raison. Aussi vaut-il mieux conserver calorem et laisser le passage en prose. Ideoque pour idque n'est pas plus légitime. Extrait par Nonius de Varrò II (5).

(*) Lindsay, Nonius, p. 17. (2) Varrò ita définit: anima est aer conceptus in ore, deferuefactus in pulmone,

temperatus in corde, diffusus in corpus. (3) Della Corte 1, p. 30 (mais il n'en est plus question dans Della Corte 4, p. 152). (4) Bolisani, loc. cit. (5) Lindsay, Nonius, p. 15.

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ANDABATAE 133

II n'y a sûrement pas une complète solution de continuité entre ces considérations sur la chaleur et la mise au point (stoïcienne) qui précède sur V anima et Yanimus. On sait quel parti les Stoïciens tiraient de l'étymologie, dont ils étaient les véritables inventeurs, et combien ils jugeaient cette science fondamentale: ils avaient la ferme certitude qu'en pénétrant le sens des mots, produits du Logos, on comprend les choses mêmes (*). Il est donc logique d'admettre que c'est un Stoïcien qui parle ici.

Que pensait Varron de cette intervention? A. Gercke répond: « du mal ». Comme il était facile de le prévoir, il place 33 (et 34) dans le discours du scientiste que Varron aurait entrepris de confondre. Mais il est notoire que Varron avait un grand respect pour l'étymologie et l'a beaucoup pratiquée (2); de surcroît, il n'y a pas trace d'ironie, pas le moindre granum salis dans les dérivations proposées — elles pourraient être de Varron lui-même, encore que l'une tienne de la tautologie et que l'autre semble aujourd'hui saugrenue: les Anciens étaient moins exigeants que nous en la matière (3); enfin nous avons constaté et nous constaterons souvent encore que Varron était un sympathisant du Stoïcisme. Nous voilà ainsi ramenés à la conclusion qui achevait plusieurs de nos analyses antérieures: signe que cette conclusion mérite d'être prise au sérieux.

— Même style qu'en 32 (« cours » de professeur). La présentation des etymologies est d'un type usuel: cf. par exemple Cicéron, Nat., II, 67: mater (...) est a gerendis fructibus Ceres tamquam Geres; Varron, L. L., V, 37: a fruendo fructus; 44: V elabrum a uehendo; 70: ignis a nascendo . . .

— Isidore {Or., IV, 6, 2) fait également venir febris de feruor.

i1) Cf. M. Pohlenz, op. cit., I, p. 42; supra, p. 19 et suiv. Les Stoïciens maniaient souvent l'étymologie avec une fantaisie dont les Académiciens se riaient: cf. Cicéron, Nat., Ill, 24, 62; Cèbe, p. 257.

(2) Cf. supra, p. 20; Boissier, p. 149-154; A. Traglia, Dottrine etimologiche ed etimologie varroniane, Fondation Hardt, Entretiens, IX, Vand œuvres -Genève, 1962, p. 36- 77; R. Schröter, Die varronische Etymologie, ibid., p. 81-116; A. Michel, ibid., p. 102-103. Dans les Académiques (Ac. Post., I, 8, 32), Cicéron fait tenir à Varron ces propos significatifs: uerborum etiam explicatio probatur, quam έτυμολογίαν appellabant; post ar- gumentis quibusdam et quasi rerum notis ducibus utebantur ad probandum et ad con- cludendum id quod explanari uolebant. Dans ses recherches étymologiques, Varron est redevable non seulement aux Stoïciens (école de Pergame), mais aussi aux grammairiens d'Alexandrie: cf. A. Traglia, op. cit., p. 38 et suiv.; R. Schröter, op. cit., p. 81-84.

(3) Cf. Boissier, loc. cit.; A. Traglia, op. cit., p. 45, 66.

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134 ANDABAIAE

*

34. - La correction sola de Popma et Krahner est aberrante: loca s'impose, comme on va s'en rendre compte. Prose.

E. Bolisani, qui met 34 après 35, se figure que loca représente Olym- pie et Athènes dont il est question en 35 parce que, dans ces villes grecques, le travail philosophique était plus intense et plus productif (ge- nunt) qu'à Borne. Lourde erreur! Après genunt, il faut suppléer un membre de phrase tel que genitalia uocantur, «on les appelle génitales» (x). Nous restons dans l'étymologie; 33 et 34 sortent du même exposé ou d'exposés parallèles.

— Pour la construction de la phrase, comparer par exemple Var- ron, L. L., V, 21: terra dicta ab eo (. . .) quod teritur; hinc in messi tritura, quod turn frumentum teritur; 22 : uia (...) iter quod ea uehendo teritur.

— Le sens qu'a ici locus (« endroit particulier, partie du corps », d'où «organe») n'est pas exceptionnel: cf. Celse, V, 26, 26: aqua fouen- dus locus; aperiendus locus (« il faut faire une incision »). Loci ou loca, dans le vocabulaire médical, correspond quelquefois au grec τόπο t. == uterus: cf. Varron, L. L., V, 2, 15; Cicéron, Nat, II, 128; Pline, Ν. Π., XI, 84; Celse, II, 8; Caton, B. R., 157, 11; Forcellini, III, s. v. locus, p. 106, 7.

* * *

35. - Les variantes du texte sont négligeables. Extra quotation ajoutée par Nonius à des citations tirées d'un recueil de Virgile (Virgil de Lindsay) (2). Prose.

Nous n'avons pas mieux à offrir pour ce fragment obscur que l'explication d'E. Norden (3), complétée par E. Bolisani (4) et A. Marzullo (5). La voici: les Siciliens, nous apprend Cicéron (6), nommaient mystagogi les peïsonnes officieuses qui, dans une ville, « guident les étrangers vers ce qu'il faut voir et montrent chacune de ces curiosités » (7). Mais ce n'est pas le sens du substantif dans notre texte: pris au figuré, il désigne les

(*) Cf. Norden 1, p. 24 (290). (2) Lindsay, Nonius, p. 78. (3) Norden 1, p. 22-23 (288). (4) Bolisani, loc. cit. (6) Marzullo, p. 13. (e) Cicéron, Verr., IV, 59, 132. (7) Hospites ad ea quae uisenda sunt soient ducere et unum quidque estendere.

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ANDABATAE 135

philosophes qui se targuent d'initier leurs disciples aux mystères divins dont ils posséderaient seuls les clefs (valeur découlant de celle qu'on attribuait en Grèce à μυσταγωγός: «prêtre chargé d'initier aux mystères »). Cette exégèse trouve un robuste support dans le fait que la comparaison entre la philosophie, en ses domaines les moins accessibles, et les religions à mystères est un véritable topos (pythagoricien, orphique, platonicien, puis stoïcien) (x). Ainsi entendu, le mot a évidemment une couleur ironique comme l'ensemble de la phrase.

Reste à élucider Olympiae et Athenis. Que faire de ces noms de villes1? personne ne s'interroge comme il convient là-dessus. Varron, qui parle sans nul doute ici en son nom personnel, veut peut-être dire que si, durant son séjour dans la patrie des philosophes, en Grèce, il avait été menacé de perdre la raison au contact de certains doctrinaires (mystagogi), les deux divinités qui symbolisent le Savoir et la Sagesse l'eussent tiré de ce mauvais pas, chacune d'elles agissant dans la localité sur laquelle s'exerce tout spécialement son patronage (Jupiter à Olympie, Minerve à Athènes).

Au dire de F. Della Corte, Varron, par l'absence de préjugés et la désinvolture envers la religion dont il fait preuve dans les Andabatae (?), se serait attiré l'inimitié de prêtres grecs: nos mystagogi (2). Quant à A. Gercke, il pense que le fragment 35 moquait peut-être les prétentions métaphysiques de son scientiste, qui se serait « auch im Irrealis gerühmt » (3). Les deux suppositions sont aussi faibles l'une que l'autre. Passons.

Pour J. Granarolo enfin (D' Ennius . . . , op. cit., p. 247), mystagogis ferait allusion au clergé des religions orientales à mystères que Varron ne ménage pas dans les Ménippées. Cette solution ne manque pas de pertinence. Mais 1°) elle est coupée du contexte, et 2°) il n'y est pas tenu compte de suis.

C1) Cf. Chrysippe, suivant Cléanthe (8. V. F., I, 538; II, 1008); Sénèque, Ep., XC, 28; XCV, 64; N. Q., VII, 30; C. A. Lobeck, Aglaophamus, Königsberg, 1829, p. 124 et suiv.; L. Robin, op. cit., p. 64, 180, 227; R. Schröter, op. cit., p. 90 et 109. Dans le Phédon de Platon, la discipline morale constitue une initiation philosophique; dans les Nuées d'Aristophane, il faut une initiation préalable pour être accepté à l'école de Socrate.

(2) Della Corte 1, p. 30. Plus récemment (Della Corte 4, p. 152-153), le même auteur note que « la recherche positive » (des Andabatae) « sur la nature de l'homme, recherche conduite physiologiquement, paraît s'opposer aux intuitions mystiques ainsi qu'il ressort du fragment 34 » (notre 35).

(3) A. Gercke, op. cit., p. 138.

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136 ANDABATAE

Notre propre commentaire, nous en avons conscience, n'est pas inattaquable. Du moins, il n'est en opposition ni avec le contexte ni avec la philosophie de Varron. A la différence des Cyniques, Varron, nous l'avons vu, est fier de son bagage philosophique, croit à l'utilité de la philosophie, et ne nie pas la dette qu'il a contractée à l'endroit des penseurs de l'époque alexandrine. Il se recommande principalement de l'Académicien Antiochus d'Ascalon dont il suivit les leçons i1). Ce qui revient à dire qu'il est, comme tant de Romains, éclectique (cf. Cicé- ron, Tusc, IV, 4, 7; Horace, Ep., I, 1, 14; Sénèque, Ep., XLV, 4) et, à la manière d' Antiochus, prend son bien où il le trouve: « Philon de La- risse et surtout Antiochus d'Ascalon », écrit L. Robin, « inclinent étrangement le probabilisme vers le dogmatisme, réconcilient, sur le dos des Epicuriens, Platon avec Aristote, et cette Académie élargie avec le Stoïcisme, réduisent à des différences de vocabulaire les plus profondes oppositions de pensée » (2). Varron s'inspire donc de l'Académie pour la logique, la physique et la psychologie; du Stoïcisme pour l'éthique, la théologie et la grammaire; du Cynisme pour la morale pratique (3). Il se tourne même à l'occasion vers l'Epicurisme. La faveur spéciale qu'il accorde au Stoïcisme est dans l'ordre des choses: son premier professeur, Aelius Stilon, grammairien, était un pur Stoïcien et nul n'ignore que le deuxième, Antiochus, fut fortement marqué par la doctrine du Portique (4).

Cette ouverture d'esprit, cette absence de sectarisme s'accompagnent d'une grande liberté de jugement à l'égard des guides spirituels choisis: Varron n'hésite pas à satiriser, pour peu qu'il estime leur attitude critiquable, ceux-là mêmes dont, sur plus d'un point, il partage au demeurant les idées. Romain et traditionaliste, il croit que, pour se défaire de ses passions et vivre bien, l'homme doit compter autant sur les dieux, sur les leçons de ses pères et sur son bon sens que sur les philosophes. On perçoit de la sorte jusqu'à quel point il est partisan de la philosophie et on songe à l'Ofellus d'Horace, « campagnard sage en dehors des formules

(x) Cf. Riccomagno, p. 100, 120 et suiv.; P. Boyancé, dans BEL, 31, 1953, p. 40; Boyancé 2, p. 74 et suiv.; Marzullo, p. 65.

(2) L. Robin, op. cit., p. 435 (cf. p. 11, 413). Voir aussi Mras, p. 419 et suiv.; Dahlmann 1, col. 1174; Mosca, p. 61 et suiv.

(3) Cf. Riccomagno, p. 120 et suiv. (4) Cf. Saint Augustin, G. D., XIX, 1: Varrò asserii, auctore Antiocho, magistro

Ciceronis et suo, quem sane Cicero in pluribus fuisse stoicum quam ueterem academi- cum uult uideri; Boyancé 2, p. 79.

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et dont la Minerve était sans finesse » ί1). Toute philosophie, sans excepter la cynique, est bonne pour Varron quand elle s'accorde avec le mos maiorum et le légitime dialectiquement, mauvaise dans le cas contraire, risible quand elle se jette dans l'illogisme et le paradoxe, abandonnant le réel et cette juste mesure, ce μέσον, que prônent Aristote et, d'après lui, les Stoïciens romains instruits par Panétius (2). Récapitulons rapidement ce qui sépare, en particulier, Varron de ses modèles cyniques: « il substitue », changement décisif, « le mos maiorum à la φύσις de la diatribe. Il ne demande pas qu'on se conforme aux lois de la Nature, mais aux préceptes des Anciens (. . . ); il est conservateur, réactionnaire (...)· Bien loin de chercher à délivrer l'individu des contraintes imposées par la communauté, il rêve de faire revivre les vertus des vieux Romains » (3). En somme, il se distingue des Cyniques par sa romanité, son attachement aux valeurs du passé, son patriotisme; il refuse tout ce qui est négatif — le principal — dans le Cynisme (4).

Pour O. Hirzel (5), la philosophie de Varron aurait notablement évolué au cours de sa vie: dans ses jeunes années, au moment où il composait les Ménippées, il aurait embrassé un Cynisme teinté de Stoïcisme et de Pythagorisme. Puis, après une vraie « conversion », il serait devenu Académicien. Les choses ne se passèrent sûrement pas de cette façon: lorsqu'il rédigeait les Ménippées (il n'était pas tellement jeune alors, on s'en souvient (6)), Varron était déjà le disciple éclectique d'Antiochus que nous venons de dépeindre. Puis, son indépendance grandissant, il se rapprocha davantage du Stoïcisme et du Pythagorisme, sans renier Antiochus. Sur la fin de sa vie, il semble avoir accordé sa prédilection au Pythagorisme, puisqu'il voulut être enterré Pythagorico modo (7).

i1) Horace, Sat., II, 2, 3 (trad. F. Villeneuve): rusticus, ab normis sapiens crassaque Minerua.

(2) Cf. C. W. Mendell, op. cit., p. 141; Geller, p. 56. On sait le rôle que joue aussi la μεσότης chez Horace (voir notamment Sat., I, 1, 102 et suiv.; II, 2, 54 et suiv.; II, 3, 48 et suiv.; Ep., I, 18, 19). Sur la μεσότης dans la littérature jusqu'à Aristote inclusivement, cf. H. Kalchreuter, Die Μεσότης bei und vor Aristoteles, diss. Tübingen, 1911. Voir également S. Byl, Note sur la place du cœur et la valorisation de la μεσότης dans la biologie d' Aristote, dans AC, 37, 1968, 2e fase, p. 467-476.

(3) Cèbe, p. 199. Cf. Mras, p. 405-410; Dahlmann 1, col. 1271; Riccomagno, p. 37, 95, 163; Oltramare, p. 97-107; Bolisani, p. xxn-xxxv; Knoclie, p. 36 et suiv.

(4) Cf. Riccomagno, p. 152; supra, p. 81. (5) Hirzel, p. 442, n. 2. (6) Cf. supra, p. xvn, n. 1. (7) Pline, N. H., XXXV, 160. Cf. Riccomagno, p. 100, 139.

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138 ANDÀBATAE

En tout état de cause, ne perdons pas de vue que Varron n'est pas un philosophe professionnel, mais un homme de lettres qui se sert de la philosophie et désire, dans les Ménippées, la révéler à ses compatriotes, tout en les divertissant et en les moralisant i1).

— Les divinités dont Varron aurait reçu l'appui sont, détail intéressant, des divinités « nationales »: elles font partie de la triade capitoline. Leur intervention salvatrice évoque le sic me seruauit Apollo d'Horace (2), lui-même imité de Lucilius (231 et suiv. Marx), qui l'avait emprunté à Homère (τον δε έξήπραξεν Απόλλων).

* *

On voit au terme de cette étude que la satire des gladiateurs aveugles, si nous l'avons correctement présentée, n'était pas moins didactique que polémique et pourrait avoir pour sous-titre: « du bon usage de la philosophie et des devoirs du philosophe ».

(A suivre)

(x) Eiccomagno, p. 6, 9; cf. supra, p. 8, n. 4 et 116, n. 6. (2) Horace, Sat., I, 9, 78: « c'eet ainsi qu'Apollon m'a sauvé ».

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NOTES COMPLÉMENTAIRES

P. 17 (fr. 1) L'imparfait ueniebat a ici la valeur d'un parfait. Sur cet emploi, que les gram

mairiens ne mentionnent pas, cf. Pétrone, 12, 1. Voir Woytek, p. 84-85, qui se demande si, dans le latin populaire, le parfait et l'imparfait n'étaient pas des temps interchangeables.

P. 31 (fr. 4) Ita: cette particule «prosaïque» est évitée par les poètes raffinés, qui lui pré

fèrent sic. Cf. D. 0. Ross Jr., Style and Tradition, in Catullus, Cambridge (Mass.), 1969, p. 72-73.

Speribus: cette forme ne se rencontre qu'ici. Cf. Woytek, p. 44 et suiv. P. 34-35 (fr. 5) Noter l'ellipse du verbe (est), fréquente dans les fragments des Ménippées où

le ton est, comme ici, didactique ou aphoristique (gnome): voir Woytek, p. 109. Canitudini: datiuus sympatheticus au lieu du génitif. Trait archaïque. Voir Woyt

ek, p. 66. Les substantifs abstraits en -tudo, comme canitudo, sont archaïques ou familiers:

cf. Woytek, p. 122. Remarquer la clausule métrique (crétique-spondée): canitudinï comës] uïrtûs. Sur les emplois respectifs de nec et neque, cf. D. 0. Ross Jr., op. cit., p. 39-46. L'appartenance des diminutifs (cf. uetulus et nouellus) à Γ« Umgangsprache »

est bien connue: cf. E. Lofstedt, Syntactica, Studien und Beiträge zur historischen Syntax des Lateins, Lurid, II, 1933 (I, 2e ed., 1942), p. 336-338; J. B. Hofmann, Lot. Unigangsprache, op. cit., p. 139-141; Woytek, p. 120. Mais certains auteurs voient aussi dans le diminutif un élément essentiel du vocabulaire poétique. Il faut en rabattre. Comme vient de le montrer D. 0. Ross Jr. (op. cit., p. 22-25), le diminutif, dans la poésie latine, n'est abondamment représenté que chez Catulle et seulement dans les genres où le poète n'était pas bridé par une tradition nationale contraignante (c'est-à-dire en dehors des épigrammes). Il faut considérer cet emploi du diminutif comme une « licence » que les poetae noui se sont octroyée pour tirer parti d'un moyen expressif qui, jusque-là, n'avait pas été admis dans la poésie « sérieuse ». Par la suite, les diminutifs seront rarement utilisés dans l'élégie et l'épopée, plus fréquemment dans la satire (cf. B. Axelson, Unpoetische Wörter, Ein Beitrag zur Kenntnis der Lateinischen Dichter spräche, Lund, 1945, p. 38-45). De toute manière, ce n'est pas à l'exemple des neoteroi, mais à l'exemple des Comiques, notamment de Plaute, et en s'inspirant de la langue familière, que Varron se sert du diminutif (c'est aussi le théâtre jatin qui influence principalement Laevius en ce domaine: cf. F. Della Corte, Varrone e Levio. . ., op. cit., passim; sur la distance qui sépare le style de Laevius du style de Catulle, cf. D. 0. Ross Jr., op. cit., p. 158-159: «it is clear (...) that Laevius' vocabulary, though at first sight similar to Catullus' in some important aspects, is entirely

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140 NOTES COMPLÉMENTAIBES

différent in poetic intention and purpose, and that in his vocabulary and usage Laevius anticipated none of the principles which the neoterics developed. (...) Laevius stands far closer, in many respects, to Roman drama (...) than he does to Catullus. (...) That Laevius provides a link with the neoterics cannot be denied, but that Catullus owed more to him than a vague suggestion of certain possibilities is unlikely ». Contra L. Alfonsi, Poetae novi, op. cit., p. 179: la poésie de Catulle continuerait directement celle de Laevius. On verra plus loin (dans Papia papae) Varron railler le maniérisme dont les neoteroi font preuve dans l'usage des diminutifs.

P. 49 (fr. 6) Multiplici: on peut appliquer aux composés ce qui vient d'être écrit au sujet

des diminutifs: bien que les neoteroi aient largement recouru à ce type de mots, ce n'est pas d'après leur exemple (sauf cas de parodie), mais d'après l'exemple des poètes épiques et tragiques que Varron les adopte (contra IL. Alfonsi, Poetae novi, op. cit., p. 177: Varron, dit-il, prend parfois aux neoteroi leurs adjectifs composés). L'histoire des composés latins n'a plus rien d'obscur: c'est, on le sait, Ennius qui leur fit une place de choix dans la littérature (épopée) et ses continuateurs augmentèrent ensuite leur nombre. Comme l'assure D. 0. Ross Jr. (op. cit., p. 19): « It can be assumed that compounds belong generally to tragedy and epic ». Cf. F. T. Cooper, Word Formation in the Roman Sermo Plebeius, Diss. New York, 1895, p. 298-300; C. C. Coulter, Compound Adjectives in Early Latin Poetry, dans TAPhA, 47, 1916, p. 153-172; J. C. Glenn, Compounds in Augustan Elegy and Epic, dans CW, 29, 1936, p. 65-69 et 73-77; voir aussi Norden 3, p. 176-177, 325. Sur la relation qui existe entre les composés et la haute poésie, cf. Marouzeau, Stylistique, p. 137 (en particulier: « par sa longueur même, le mot composé était fait pour remplir le grand vers de l'épopée. De plus, riches de sons, les mots composés offraient un moyen de réaliser les effets phoniques chers aux poètes latins »); Norden 2, p. 187. Les composés sont également fréquents dans la langue technique. Sur les divergences entre Varron et les neoteroi dans l'utilisation des composés, cf. J. Granarolo, D'Ennius . . ., op. cit., p. 248, n. 2: « pour le goût des énormes composés, mais aussi pour la structure de la phrase, Varron avait maintes affinités avec l'asianisme, alors que les neoteroi ne sont pas sans liens avec l'atticisme ».

neque auro: pour la forme neque, cf. supra, add. au fr. 5. P. 51 (fr. 7) Ostentat: emploi du verbe intensif ou fréquentatif avec le sens du verbe simple.

Trait de la langue familière, qui cherche sans cesse à rendre l'expression plus vigoureuse. Voir Woytek, p. 124.

Remarquer l'inversion et la disjonction artem . . . Mentoris. Sur ces procédés de mise en relief (l'un agissant par l'attente, l'autre par la surprise), cf. Marouzeau, Stylistique, p. 332.

P. 55-56 (fr. 8) Familiaris filius: sur cette substitution de l'adjectif au génitif, cf. Marouzeau,

Stylistique, p. 219. Spes . . . argentana: disjonction encore. P. 59 (fr. 9) Le groupe ideo quod est ici attesté pour la première fois (mais ideo quia est déjà

chez Plaute): cf. Woytek, p. 116, n. 108. Tour familier: cf. J. Marouzeau, Quelques aspects de la formation du latin littéraire, Paris, 1949, p. 69.

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NOTES COMPLÉMENTAIRES 141

Noter l'inversion uirginis acerbae, due au fait qu'acerbae équivaut à une proposition («si elle n'est pas nubile»: cf. Marouzeau, Stylistique, p. 328), et la clausule métrique dans nôlu'ërunt (trochée-spondée).

P. 60 (fr. 10) Pour nuptula, cf. supra, add. au fr. 5. Remarquer la clausule métrique (trochée-spondée): aurës récurant. P. 66-67 (fr. 12) La construction de suspieere avec proposition infinitive est arehaïsante et rare

(analogie à'aspicere). Voir Woytek, p. 87. Offensant, fluitare: cf. supra ostentat (add. au fr. 7). Remarquer les clausules métriques: péon 4e - spondée (pëdîbùs ôpfënsant) et

trochée-choriambe (fluitare^ suspïciûnt). P. 69 (fr. 13) Quid multa: sous-entendu dicam ou loquar (aposiopèse): trait de la langue fa

milière. Cf. Woytek, p. 110.

P. 71 (fr. 14) Pour l'emploi de citus au lieu de cito, voici ce qu'écrit J. Marouzeau, Stylistique,

p. 138: «L'adjectif a sur lui (l'adverbe) l'avantage de présenter la qualité comme attachée à l'objet, et ainsi de ne pas dissimuler la vision concrète des choses; c'est peut-être la raison qui le fait préférer à l'adverbe dans les tours du type subitus aduenit, felix uiuas, tristis incedo . . . , emploi qui, « depuis l'époque la plus ancienne et à travers toute la latinité, est caractéristique de la langue poétique et de la prose oratoire » (E. Löfstedt, Syntactiea, II, p. 368 et suiv.) ».

P. 75-76 (fr. 15) Citiremem: cf. supra, add. a\i fr. 6.

P. 81 (fr. 17) Noter l'absence de verbe (cf. supra, add. au fr. 5) et la clausule métrique (trochée-

spondée): Samniüm Sâ]bëllïs. P. 87 (fr. 18) Noter les clausules métriques: ditrochèo (eönuö^cäbät) et trochée-dactyle (côn-

ua'lëscërët). P. 104 (fr. 21) L'orthographe rutundus est familière (assimilation régressive): cf. Woytek, p. 19. Secuntur: forme de la langue parlée (amuissement de Vu consonne devant u

voyelle et o. Dans la langue écrite, cet u est conservé ou rétabli): cf. Woytek, p. 24. Velites leues: pour les sonorités de ces mots, cf. Marouzeau, Stylistique, p. 27:

u consonne, « combiné avec la légère l, (...) donne l'idée d'un flottement, d'un vol, d'une ondulation: Enn., Ann., 92: laeua uolauit auis ».

Multisignibus: cf. supra, add. au fr. 6. Noter la longueur à' antesignani et multisignibus (5 syllabes), qui contribue à

l'effet du vers (puissance menaçante). Sur l'impression produite par les mots longs, cf. Marouzeau, Stylistique, p. 96-100.

Sur la question, que nous pouvons seulement effleurer, de l'ordre des mots dans le vers, consulter, outre les travaux cités de J. Granarolo: Norden 3, III, p. 391-398;

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142 NOTES COMPLÉMENTAIRES

H. Patzer, Zum Sprachstil des neoterischen Hexameters, dans Mus. Eelv., 12, 1955, p. 77-95; C. Conrad, Traditional Patterns of Word Order in Latin Epic from Ennius to Vergil, dans HSCPh, 69, 1965, p. 195-258; D. 0. Ross Jr., op. cit., p. 132-137.

P. 107 (fr. 22) L'antéposition de la relative quibus seges. . . est un trait d'archaïsme: cf. Woytek,

p. 104. Remarquer la clausule métrique (ditrochée): desïdë'rêmus. P. 108 (fr. 23) Temperatura: les mots en -tura appartiennent à la langue familière et simple:

cf. Woytek, p. 122. P. 119 (fr. 25) Pour le groupe mortales multi, cf. Marouzeau, Stylistique, p. 202: l'emploi de

mortalis est favorisé par « le voisinage d'un mot qui exprime une idée de nombre. (...) Chez Cicéron, (...) omnes, multi mortales sont des expressions presque fixées ».

Bursus ac prorsus: la conjonction de coordination ac relève de Valtius genus dicendi. On la trouve dans la grande prose d'art et dans la poésie épique. Sur les emplois respectifs d'ac et a'atque, cf. D. 0. Ross Jr., op. cit., p. 27-38, 43-46.

P. 129 (fr. 30) Cum fluii: remarquer la place de la conjonction immédiatement avant le verbe

et faisant corps avec lui: cf. Woytek, p. 102. P. 131 (fr. 31) Quiduis: pronom de la langue familière: cf. Woytek, p. 52. Noter l'absence du verbe (est): cf. supra, add. au fr. 5. P. 132 (fr. 32) Remarquer la clausule métrique: intellegentiâm triïbutus (ditrochee). P. 133 (fr. 33) Remarquer la clausule métrique: feruôrëlfëbrïm (ditrochée). P. 138 (fr. 35) Remarquer la clausule métrique: uïndi1 cassent (trochée-spondée).

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TABLES ET INDEX

TABLES DE CONCORDANCE

Nous ne retiendrons ici que les trois grandes éditions modernes des Ménippées varroniennes, celles de Bücheier -Heraus, Bolisani et Della Corte. Comme c'est à la première que renvoient presque toujours les commentateurs, nous la prendrons comme base de référence dans la table I.

Les chiffres correspondent évidemment aux numéros des fragments.

Bücheier- Bolisani Della Notre Heraus Corte édition

1 . . . . 5.... 2 . . . . 4 2.... 3.... 3.... 2 3.... 4.... 4.... 3 4 .... 1 .... 1 .... 1 5.... 2.... 5.... 5 6.... 7.... 6.... 6 7.... 8.... 7.... 7 8.... 9.... 8.... 8 9 .... 10 .... 9 .... 14

10 .... 11 .... 10 .... 10 11 .... 12 .... 11 .... 9 12 .... 13 .... 12 .... 12 13 .... 14 .... 13 .... 13 14 .... 15 .... 14 .... 11 15 .... 16 .... 15 .... 15 16 .... 17 .... 16 .... 16 17 .... 18 .... 17 .... 17 18 .... 19 .... 18 .... 18

I

Bücheier- Bolisani Della Notre Heraus Corte édition 19 .... 20 .... 19 .... 19 20 .... 21 .... 20 .... 20 21 .... 22 .... 21 .... 21 22 .... 23 .... 22 .... 22 23 .... 24 .... 23 .... 23 24 .... 25 .... 24 .... 24 25 .... 33 .... 25 .... 29 26 .... 26 .... 26 .... 30 27 .... 27 .... 27 .... 28 28 .... 28 .... 28 .... 25 29 .... 29 .... 29 .... 26 30 .... 30 .... 30 .... 27 31 .... 31 .... 31 .... 31 32 .... 32 .... 32 .... 32 33 .... 34 .... 33 .... 33 34 .... 35 .... 34 .... 35 35 .... 36 .... 35 .... 34

II

Notre Bücheier- Bolieani Della édition Heraus Corte

1 .... 4 .... 1 .... 1 2.... 2 . . . . 3.... 3 3.... 3.... 4.... 4 4.... 1 . . . . 5.... 2

Notre Bücheier- Bolisani Della édition Heraus Corte

5 .... 5 .... 2 .... 5 6.... 6.... 7.... 6 7.... 7.... 8.... 7 8.... 8.... 9.... 8

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TABLES DE CONCORDANCE

Notre Bücheier- Bolisani Della édition Heraus Corte

9 .... 11 .... 12 .... 11 10 .... 10 .... 11 .... 10 11 .... 14 .... 15 .... 14 12 .... 12 .... 13 .... 12 13 .... 13 .... 14 .... 13 14 .... 9 .... 10 .... 9 15 .... 15 .... 16 .... 15 16 .... 16 .... 17 .... 16 17 .... 17 .... 18 .... 17 18 .... 18 .... 19 .... 18 19 .... 19 .... 20 .... 19 20 .... 20 .... 21 .... 20 21 .... 21 .... 22 .... 21 22 .... 22 .... 23 .... 22

Notre Bücheier- Bolisani Dalla édition Heraus Corte 23 .... 23 .... 24 .... 23 24 .... 24 .... 25 .... 24 25 .... 28 .... 28 .... 28 26 .... 29 .... 29 .... 29 27 .... 30 .... 30 .... 30 28 .... 27 .... 27 .... 27 29 .... 25 .... 33 .... 25 30 .... 26 .... 26 .... 26 31 .... 31 .... 31 .... 31 32 .... 32 .... 32 .... 32 33 .... 33 .... 34 .... 33 34 .... 35 .... 36 .... 35 35 .... 34 .... 35 .... 34

INDEX DES MÈTEES

Les chiffres correspondent aux numéros des fragments dans notre édition.

2 et 3: sotadéens. 4: octonaire iambique. 6-8: sénaires iambiques. 14: hexamètre dactylique. 15: fin d'hexamètre dactylique.

19: hendécasyllabe phalécien. 21: septénaires trochaïques scazons. 25 et 26: sénaires iambiques. 28: septénaire trochaïque scazon. 30: septénaires trochaïques.

INDEX DES MOTS LATINS

Les chiffres correspondent aux numéros des fragments dans notre édition.

a, ab: 23 (quaero a te), 32 (ab hoc fonte), 33 (a calendo)

abducere: 9 (abducatur) ac: 25 (rursus ac prorsus) acerbus: 9 (uirginis acerb ae) ad: 32 (ad intellegentiam) adducere: 23 (adduxerit) aedes: 12 (in aedibus) aeger: 18 (hac re aeger) aer: 29 (aera) agere: age modo, titre de satire aliquis: 34 (aliquid) alius: 4 (alios) alter: 33 (alterum) amare: 8 (filius amat) an: 23 (utrum... an)

andabata: andabatae, titre de satire anima: 29, 32 animus : 32 antesignanus: 21 (antesignani) antidhac: 8 appellare: 33 (appellamus) argentarius: 8 (spes... argentana) ars: 7 (artem) arte: 29 (uesica arte ligata) attribuere : 1 7 ( attribut a ) auris: 9 (uirginis. . . auris), 10 (nuptulae

aures returant) aurum: 6 (auro... suffiatus), 27 aut : 6 auxilium: 8 (auxili) baiare: 3 (ouis balat)

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INDEX DES MOTS LATINS

barbarne: 24 (nos barbari) bestia: 24 (obicitis bestiis) bonitas: 23 bouis: 3 (mugit bouis) breuis: 1 (breui tempore) caecus: 26 caecuttire: 27 (caecuttis) caelare: 7 (caelatus. . . scyphus) caelum, «le burin»: 7 (caelo dolitus) caelum, «le ciel»: 23 (caeli) calere: 33 (a calendo) calor: 33 (calorem) candidus : 30 (candidum lacte) canitudo: 5 (canitudini) canterius : 5 carnarium: 12 (in carnario) caruncula: 31 castus: 28 (castas) causa: 17 (culturae causa) cedere: 14 (cedit) celsus: 14 citiremis: 15 (Argo citir einem) citus : 1 4 comes: 5 (canitudini comes) concludere: 29 (conclusa) conualescere: 18 (ut conualesceret) conuiuium: 9 (de conuiuio) conuocare: 18 (conuocabat) corpus: 32 (in. . . corpore) cultura: 17 (culturae causa) cum, prép.: 21 (cum. . . parmis) cum, conj. subord.: 30 (cum fluit) de: 9 (de conuiuio) desiderium: 1 (in desiderium ueniebat) dexter: 7 (in manu dextra) dicere: 14 (dixit) diffundere: 32 (diffusast) ♦dolire: 7 (caelo dolitus) domus: 22 (domum) dum: 12 e, ex: 30 edepol: 26 ego, me, ... : 35 (me) enim: 27 equus: 3 (equi) esca: 22 (escam) esse: 8 (uideo te esse; spes est), 13 (sum),

26 (est)

et: 1, 11, 12, 35 etenim : 22 exquisitim: 18 facere: 11 (seruum facit) familiaris: 8 (familiaris fllius) febris: 33 (febrim) fernere: 33 (fornendo) fieri: 13 (factus sum) fìlius: 8 (familiaris filius) fluere: 30 (fluit) fluitare: 12 fons: 32 (ab hoc fonte) gabalum : 24 gallina: 3 genere: 34 (genunt) genus: 6 (genere... sumatus) grundire: 2 (grundit) Me, haec, hoc: 14 (haec postquam dixit),

18 (hac re aeger), 23 (hoc), 30 (hic. . . liquor), 32 (ab hoc fonte), 34 (haec loca)

hinc: 32 hinnire: 3 (hinniunt) homo: 11 (hominem), 17 (hominibus),

24 (homines), 31 (homo) iactare: 4 (iactato) idem: 26 ideo: 8, 9 imbuere: 9 (uocabulis imbuì) in: 1 (in desiderium ueniebat), 7 (in

manu), 12 (in aedibus, in carnario), 13 (in muribus, in uolucribus), 24 (in gabalum), 29 (in uesica), 32 (in reli- quo corpore)

innocens: 24 (innocentes) is, ea, id: 33 (idque) ita: 4 itaque: 1 lac, lacte (nom.): 2 (tepido lacte), 30

(candidum lacte) leuis: 21 (leues) ligare: 29 (est ligata) liquor: 30 locus: 34 (haec loca) luscitiosus: 26 mactare: 2 (mactatus) magnus: 1 (magna pars) maior: 9 (maiores nostri)

io

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INDEX DES MOTS LATINS

manus: 7 (in manu), 28 (manus ... cas- tas)

mater: 19 meare: 25 (meant) medicus: 18 (medicos) melior : 5 mer ere: 11 (mer et) metuere: 8 (metuunt) minus: 27 mirus: 27 (non mirum si) modo: age modo, titre de satire mola: 2 (mola mactatus) mortalis: 25 (mortales) mugir e : 3 (mugit) mulier: 30 (mulierem) multiplex: 6 (multiplici scientia) multisignis: 21 (multisignibus) multus: 13 (quid multa?), 25 (multi) mus: 13 (in muribus) musteus: 12 (musteos) mystagogus: 35 (mystagogis) nec, neque: 5, 6, 8, 13, 28 niti: 4 (nitens) nolle: 9 (noluerunt) nomen: 4 (nomina) non: 24, 26, 27 nos: 24 noster, -tra, -trum: 9 (maiores nostri),

31 (caruncula nostra) nouellus : 5 nouus: 10 (nouae nuptulae aures) noxius: 24 (noxios) numnam: 7 numquid: 8 nuptula: 10 (nouae nuptulae aures) obicere: 24 (obicitis) obscenus: 10 (obscenis uerbis) oculus: 27 (oculos) offensare: 12 (offensant) olim : 1 7 ostentare: 7 (ostentat) ouis: 3 papilla: 30 parere (pario): 19 (peperit) parma: 21 (parmis) pars: 1 particulatim: 17 partus: 30 (partuis, partu)

pertundere: 29 (pertuderis) pes: 12 (pedibus) pipare: 3 (pipat) plane: 13 porcus : 2 postquam: 14 potio: 22 (potionem) potius: 31 praebere: 22 (praebeat) praestringere: 27 (praestringit) prorsus: 25 (rursus ac prorsus) puellus: 19 (puellum) puer: 10 (pueri), 12 (pueri) pupa: 1 putare: 30 (putant) quadratus: 21 (quadratis) quaerere: 6 (quaerit), 23 (quaero) quam: 5 (quam. . . melior), 8 (tristio-

rem quam . . . ), 27 (non minus . . . quam), 31 (potius. . . quam)

quando: 29 -que: 8, 33 qui, quae, quod: 19 (quem), 21 (quem),

22 (quibus) quia: 11 quid: 8 (quid. . . uideo), 13 (quid multa?) quis, quae, quid: 22 (quid desidere-

miisî) quiuis, quaeuis, quiduis ou quoduis: 31

(quiduis) quod, «parce que»: 9, 24, 30, 34 recens: 12 (récentes) reddere: 29 (reddet) reliquus: 32 (in reliquo corpore) res: 18 (hac re aeger) returare: 10 (aures returant) rursus: 25 (rursus ac prorsus) rutundus: 25 (rutundis... parmis) saepe, saepius: 12 (saepius) satur : 2 scapula: 8 (scapulae) scientia: 6 (multiplici scientia) scyphus: 7 sed: 5, 31, 34 seges: 22 sequi: 21 (secuntur), 30 (sequatur) seruus: 11 (seruum) si: 27 (non mirum si)

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INDEX DES MOTS LATINS

sigillum : 1 signum : 30 spes: 4 (speribus), 8 stramenticius : Aiax stramenticius, titre

de satire sublimis : 4 süffigere: 24 (suffigimus) suolare: 6 (sufflatus) suspicere: 12 (suspiciunt) suus: 35 (suis) te, tibi, tu: 8 (te), 23 (quaero a te) tegere: 21 (tecti) temperatura: 23 tempus: 1 (breui tempore) tenax: 28 tepidus: 2 (tepido) terra: 17, 23 (terrae bonitas) tingere: 28 (tinxerat) tolutim: 14 tribuere: 32 (tributus) tristis: 8 (tristiorem) trudere: 4 (trudito)

ueles: 21 (uelites) uenerius: 9 (ueneriis uocabulis) uenire: 1 (ueniebat) uerbum: 10 (uerbis) uesica: 29 uespertilio : 1 3 uestigium : 6 (uestigia) uetulus: 5 uidere: 8 (uideo) uin dicare: 35 (uindicassent) uir: 28 (uiri) uirgidemia: 8 (uirgidemiam) uir go: 9 (uirgo... uirginis) uirtus : 5 uiscum: 28 (uisco) uocabulum: 9 (uocabulis) uolitare: 4 (uolitantis) uolucris: 13 (uolucribus) uos : 24 ut: 17, 18, 29 utrum: 23 (utrum... an...)

INDEX DES MOTS GEECS

Les chiffres correspondent aux numéros des fragments dans notre édition.

άήρ: voir index des mots latins, s.v. aer άκρατος: 27 άλλος: "Αλλος ούτος Ηρακλής, titre de

satire άμμος: "Αμμον μετρεΐς, titre de satire άνθρωπος: περί άνϋρώπων φύσεως, sous-titre

de la satire Aborigines δούλος: 11 (dulos?) είναι: 11 (esti = έστι !) μετρεϊν: "Αμμον μετρεΐς, titre de satire μυσταγωγός: voir index des mots latins,

s.v. mystagogus

à: 27 (ô πολύς άκρατος) οΰτος: "Αλλος ούτος 'Ηρακλής, titre de satire περί: voir les sous-titres des satires Abori

gines (περί άν&ρώπων φύσεως) et "Αμμον μετρεΐς (περί φιλαργυρίας)

πολύς: 27 σκύφος: voir index des mots latins, s.v.

scyphus φιλαργυρία: περί φιλαργυρίας, sous-titre de

la satire "Αμμον μετρεΐς φύσις: περί άν&ρώπων φύσεως, sous-titre de

la satire Aborigines

INDEX DES NOMS PROPEES ET DES NOMS DE LIEUX FIGURANT DANS LE TEXTE DE VARRON

Les chiffres correspondent aux numéros des fragments dans notre édition.

Aborigines: titre de satire Aenea : 1 6 Agatho: titre de satire

Aiax: cf. Aiax stramenticius, titre de satire

Argo: 15

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INDEX DES NOMS PROPKES ET DES NOMS DE LIEUX

Athenae: 35 (Athenis) Etruria: 17 Heracles, Ηρακλής: cf. "Αλλος

'Ηρακλής, titre de satire Iuppiter, louis: 19, 35 Lampadio: 8 Minerua: 35

ούτος

Mentor : 7 Olympia: 35 Sabelli: 17 Samnium: 17 Socrates: 6 Tusci: 17

INDEX GÉNÉRAL

Les chiffres renvoient aux pages.

Aborigènes (Aborigines): 2-35 (notamment 2-3; 6)

Académiciens, Académie: 118; 130; 133, n. 1; 136; 137

Adjectif: 55 (- équivalant à un génitif de nom); 71, n. 1 (- au lieu de l'adverbe); 140 (cf. 55); 141 (cf. 71, n. 1)

Aelius Stilon: 137 Afranius: 44, n. 2 Agatho: 36-72 Age d'or: 6; 7, n. 1; 78; 125 Ager publicus: 80 Agriculture: 7 (glorification de Γ-); 7,

n. 1 et 28, n. 1 (stade de Γ- dans la reconstitution varronienne de l'histoire); 80; 81; 105; 106; 108, n. 1 (déclin de Γ-)

Agrimensores : 79 Ajax: 82-87 Alcibiade: 47 Alexandrie: 133, n. 2 (grammairiens d'-) Ambition: 16, n. 3 (critique de Γ-);

26; 27 (Γ- chez Lucrèce); 29 (les maiores et Γ— ); 30; 87

Ame: 10; 129-132 Amitié: 64 Amour: 41 (Γ— dans Agatho); 42-44 (Var-

ron et Γ-); 43, n. 3 (- et esclavage); 43, n. 4 (Epicure et Γ-); 44, n. 2 (Γ- dans la Nea et la palliata); 44-45, n. 3 (- et misogynie); 47 (Γ- chez Platon); 53; 54; 57; 61; 64 (- et passion); 68 (- et châtiments divins)

Ancienne Comédie: 4 (- et primitifs); 21 (!'- modèle de Varron pour le

logue); 23, n. 2 (enumerations dans Γ-); 56 (personnifications de parties du corps dans Γ-)

Andabatae: 10; 115-134 Animaux: 18-19 (intérêt des philosophes antiques pour les — ; langage des -); 18, n. 9 (les - dans la satire); 67-68 (fables animales)

Antesignani: 102-104 Anthropomorphisme: 14 (- dans les re

présentations de dieux); 93, n. 1 Antiochus d'Ascalon: 119; 130; 136-137 Antiphane: 123 Archaïsmes (dans les Ménippées): 25;

30; 53; 94; 129; 139; 141; 142 Argonautes: 74-76 (les - symbole d'é

nergie et d'héroïsme) Ariston de Chio: 75 Aristote: 31 (- et la vieillesse); 39 (- et

le symposion); 137 (- et le μέσον) Aristoxène: 39 (<-* et le symposion) Arts libéraux: 48 (- critiqués par les

Cyniques et Varron) Asianismo: 62, n. 1 et 140 (Varron et Γ-) Astronomie: 49 (- rejetée par Epicure) Atellane: 22 (- et ménippée varronienne) Auguste: 81 Autarcie: 74, 106 (- morale); 107 (- des

collectivités rurales) Auto-ironie: 8-9, n. 4 Avarice: 16; 27, n. 5; 97-99; 125 Banquet (voir également Symposion): 38

et suiv. (- dans Agatho); 39 (banquets chez Horace, Pétrone, Lucilius,

Page 171: (Collection de l'École Française de Rome) Jean-Pierre Cèbe-Varron, Satires Ménippées _ Volume 1 (Collection de l'École Française de Rome, 9) -École Française de Rome (1972)

INDEX GENERAL

Ennius, Ménippe); 40; 47 (- de Platon); 57-58 (- nuptial romain); 70

Barbares: 4 (- exemple pour les civilisés); 109

Batrachomyomachie: 76, n. 2 Biniarcus: 11 (fr. 57 Buch, du -) Biographie (de Varron): XVII, n. 1 Biographique (critique): 15-16 Boucliers: 103 et n. 2 (décoration des -

romains) Burlesque: voir Parodie Cantica: 46, n. 1 (— de la palliata) Cameade: 118 Caton l'Ancien: 33, n. 4; 43, n. 5 ( - con

damne l'amour-passion) Caton le Jeune: 47 Catulle: 139-140 Censorinus: 10 Chaleur: 133 Chasse: 124-125 Chronologie (des Ménippées): VIII; XV-

XVIII Chrysippe: 14 (- contre l'anthropomorphisme); 100; 122 (- critique les Epicuriens)

Cicéron: 15 (- critique les arts plastiques); 33, n. 1 (- et la vieillesse); 116 (querelle de Stoïciens et d'Epicuriens dans les Académiques de -); 122 (- raille le goût des Epicuriens pour la boisson)

Ciselés (objets): 40; 51 Civilisation: 4 (méfaits de la -); 16

(procès de la -); 19; 27; 29; 109 (cf. 16)

Cléanthe: 33, n. 1; 75; 89 Climat: 107-108 (importance du - dans

l'agriculture) Cœur: 132 (- siège de l'âme pour les

Stoïciens) Comédie (voir aussi Ancienne Comédie,

Nouvelle Comédie, etc., et Théâtre): 21-22 (influence de la - sur Varron); 22, n. 5 (- et satire); 23 (enumerations dans la -); 32-33, n. 3 (proverbes dans la -); 34 (canterius, mot de la — ; diminutifs dans la -); 34, n. 2 (vieillards et adulescentes

de la -); 39, n. 5 (banquets de la -); 41-42, n. 6 (- et mariage); 46, n. 1 (diuerbia et cantica de la -); 52-53 (tirade de - dans Agathe); 59 diminutifs de la -); 64 (- imitée par les Elégiaques); 70-71; 83 (la - influence les parodies tragiques de Varron); 120 (cf. 21-22); 139

Commerce: 7, n. 1 (- décrié à Rome) Composés (mots): 75; 140-141 Connaissance (problème de la -): 127 Consualia: 33 (courses de chevaux pa

rodiques aux -) Conversation: 62, n. 1 (parler de la -

chez Varron) Corps: 10; 129-131 Cosmopolitisme (voir aussi Fraternité):

109 Crucifixion: 109-110 Cupidité: 15; 16; 28; 77; 79; 80; 98-99;

106; 121; 124; 125 Cyniques: 4 (- et civilisation); 7, n. 1 (-et vie selon la Nature); 11, n. 5 (— et prosimetriim); 13 (— et culte religieux); 15 (- et richesse); 18, n. 2 et 9 ( — et animaux); 20, n. 3 (- et poésie); 21, 22, n. 1 (- et dialogues); 26 (ordres sarcastiques chez les -); 27 (- et ambition); 30 (- et noblesse); 32 (- et proverbes); 33 (- et vertu); 34 (franchise brutale des -); 41-42 (- et mariage); 43 (- et amour); 47 (- dans Agatho); 47-48 (- et science); 49 (- et noblesse; - et richesse); 50-51 (- et luxe de la vaisselle ou de l'habitation); 57; 64 (- et passion); 65; 67 (- et nekuia); 69 (- et pédérastie); 71; 74 (utilisation de la légende par les -); 77 (- et guerre); 81 (-et propriété); 83 (- et parodies tragiques); 86 (- et médecine); 91 (- et Hercule); 92-93 (irréligion des -); 99 (- et cupidité); 100 (cf. 77 et 99); 106 (cf. 7, n. 1); 109 (- et cosmopolitisme); 116, 136-137 (- et philosophie; - et Varron)

Damnatio ad bestias: 110 Dégradation (techniques de la -): 18,

n. 9 (- dans la satire)

Page 172: (Collection de l'École Française de Rome) Jean-Pierre Cèbe-Varron, Satires Ménippées _ Volume 1 (Collection de l'École Française de Rome, 9) -École Française de Rome (1972)

H INDEX GÉNÉRAL

Dépopulation: 42, n. 2 (- en Italie au temps de Varron)

Dialogue: 19-22 (- dans les Aborigines et ailleurs chez Varron; modèles et précurseurs); 26 (- dans le fr. 4 des Aborigines); 39 (— et symposion) ; 46 (- en sénaires iambiques au théâtre); 108; 117

Diatribe (voir aussi Cyniques): XX; 22, n. 1 (- et dialogue); 32, n. 3 (-et proverbes)

Dictée (codd. écrits sous la -): 63, 82 Dieux: 13 (statues de -) Diminutifs: 33-34; 59; 131; 139 Diogene de Babylone: 14 (- contre l'a

nthropomorphisme) Diuerbia: 46 (- en sénaires iambiques) Eclectisme: 136 (- philosophique de Var

ron et d'autres Eomains) Economie: 79, n. 2 (- de Eome avant

la conquête étrusque) Effemination: 69 (critique de Γ-) Elégiaques: 43 (- et amour); 64 (serui-

tium amoris chez les -); 100-101; 139 (diminutif chez les -)

Elevage: 7, n. 1 (stade de Γ- dans la reconstitution varronienne de l'histoire); 80 (critique de Γ-); 81

Ellipse (du verbe): 139, 141, 142 Empédocle: 5 (- et la dégénérescence

de l'humanité) Enée: 17 (sigilla d'-); 74 (- symbole

d'énergie); 77 (pietas d'-) Energie: 74 (éloge de Γ-) Ennius: 39 (banquets chez -); 62, n. 1

(admiration de Varron pour -); 68 (fables chez -); 84; 140 (- et les mots composés)

Enumerations: 23 (- dans la comédie et ailleurs)

Epicuriens: 5 (- et progrès); 6, n. 3 (- et âge d'or); 19 et 20, n. 1 (- et origine du langage); 27 (-et ambition); 29; 39 (- et symposion); 41-42, n. 6 (- et mariage); 43 (- et amour); 48-49 (- et science); 75 (-et mythologie); 115 (- critiqués par Varron); 116 (rixe d'- et de Stoïciens dans les

miques de Cicéron); 122 (- et plaisirs sensuels); 127 (- et raisonnement empirique par analogie); 136

Epigrammes: 23 (enumerations dans les -) Epopée: 75; 139-140 Esclavage, esclaves: 54; 64; 65 Etrurie, Etrusques: 17 (sigilla Tyrrhe-

na); 79 (Etrusques et partages de terres); 81 (Etrurie déserte au temps de Varron)

Etymologie: 20 (Varron et Γ-); 133 (- chez les Stoïciens et Varron); 134

Eunuques: 69 (- comparés à des chauves-souris)

Evhémérisme: 91-92, n. 4 Fable: 21 (- modèle de Varron pour le

dialogue); 67-68 (- dans la satire latine)

Femmes (voir aussi Amour, Mariage, Misogynie, Uxor dotata): 44-45, n. 3 (éloge des -)

Fescennins (vers): 33, n. 4; 40; 57-59 Fétichisme: 14 Folie: 65 (amour et -); 85 (- dans Aiax

stramenticius); 86 (- soignée par la philosophie); 100 (- et auaritia chez Horace)

Foule: 118 (vaine agitation de la -) Fraternité (voir aussi Cosmopolitisme):

109 (- chez les Cyniques, les Stoïciens et Varron)

Fromage: 66-67 Générations (complexe des -): 5, n. 5 Gloire: 26 (critiques et éloges de la -) Gourmandise: 66; 72 Grec: 62 et 123 (emploi du - par Var

ron et d'autres) Guerre: 28, n. 1; 76, n. 2 (satire de la -);

77 et 100 (- et cupidité); 109 (- juste) Guerres civiles: 8, n. 4 Habitation: 51 et 107 (luxe de Γ-) Hebdomades: 83 (prosimetrum dans les -) Hendécasyllabes phaléciens: 94 Héraclide de Tarente: 39 Héraclide du Pont: 75 Hercule: 74 (- chez les Cyniques); 88-94

(- dans « Cet autre Héraclès »); 91, n. 4 (- pour les Stoïciens et Varron)

Page 173: (Collection de l'École Française de Rome) Jean-Pierre Cèbe-Varron, Satires Ménippées _ Volume 1 (Collection de l'École Française de Rome, 9) -École Française de Rome (1972)

INDEX GENERAL

Héroï-comique (style): 71; 76 Hésiode: 44-45, η. 3 (misogynie d'-) Hexamètre dactylique: 70-71; 75 Hilarotragédie: 83, n. 6 Histoire: XVIII, n. 3 (divisions de Γ-

chez Varron) Homère: 75; 76, n. 2 (- parodié); 138 Homme, humanité: 10 (origine de Γ-) Homosexualité: 68-69 (- dans Agatho;

critique de Γ-); 72 Horace: 8-9, n. 4; 14-15; 18-19 (- et

l'origine du langage); 21 (propos parodiques de Catius chez -); 22 (dialogues chez -); 39 (banquet parodique chez -); 46 (langue familière chez -); 50; 62, n. 1 (style d'-; - et Varron); 64-65 (- et l'amour); 68 (fable d'-); 75 (- et Homère); 100 (- et la cupiditas); 101; 105-106; 107; 124 (- et les Stoïco-cyniqties)

Hypocrisie: 15 (prétendue - de Varron) Imparfait: 139 (- à valeur de parfait) Impératif futur: 31 Improvisation: 21, n. 4 (- dans la satire) Insalubrité: 108, n. 1 (- de l'Italie au

Ier siècle avant J. C.) Intensif: 140 (verbe - pour le simple) Ironie: 16-17; 20, n. 1; 26, n. 2; 50;

109; 135 Jeux de mots: 50 Jugements hypothétiques: 128 (- chez

les Stoïciens) Julien (empereur): 39, n. 5 (Symposion de -)

Jupiter: 78; 79 Ju vénal: 22 (dialogues chez -); 54 (début

de la satire IX de -); 76, n. 2 (parodies de -)

Laevius: 140 Langage: 18 (origine du - et intérêt

de Varron pour le -); 19 (origine du - pour Epicuriens et Stoïciens); 19, n. 2 (monogenèse du - : Inde et Bible); 20 (origine du - selon Varron); 28 (origine du - chez Lucrèce)

Langue familière (traits de -): 34; 46; 55; 73; 108; 139-142

Langue populaire: 32, n. 3 (- dans la satire); 33

Langue rustique (traits de -): 34; 58 Langue technique: 140 (mots composés

dans la -) Latifundia: 80 Latinisation: 63 (- du grec dans les

codd. de Nonius) Légende: 68; 74-75 (- utilisée par les

philosophes); 83; 85 (cf. 74-75); 92 (- parodiée?)

Lettre: 21 (- modèle de Varron pour le dialogue); 22, n. 1 (- utilisée par les Epicuriens)

Lex Lindsay: IX-XII; XV; 28; 41; 100; 117

Livius Andronicus : 84 Logistorici (-us): XIV, n. 5 (sous-titre

latin des -); 10 (- Tubero); 45 (Agatho est-il un -!; trois propriétés des -)

Λογομαχία: 115 (- de philosophes) Lucien: 39, n. 5 (Banquet de -); 116

(- raille les philosophes) Lucilius: 13 (- et la superstition); 39

(banquets chez -); 62, n. 1 (style de -; - et Horace; - et Varron); 100 (caricature d'avare chez -); 125 (peinture de cupide chez -); 138

Lucrèce: 18-19 (- et l'origine du langage); 27 (- contre l'ambition et la richesse); 47; 79, n. 2 (- et la propriété)

Lucullus (L. Licinius): 40 Luxe: 8, n. 1 (condamnation du -);

15; 50 (- de la vaisselle); 51; 71; 107 (- de l'habitation et de la table)

Magie, magique: 57, n. 2 (rôle magique des fescennins)

Maiores, mos maiorum: 4 et 6 (admiration de Varron pour les -); 7 (- et agriculteurs); 29 (- et Aborigines); 40; 42; 58; 81; 93, n. 2; 106; 118; 137

Mariage: 17 (dons de poupées à Vénus avant le -); 41 (- dans Agatho); 42 (opinions de Varron et d'autres sur le -); 43 (- et amour-passion); 44-45, n. 3 (- et misogynie); 57-59 (cérémonie romaine du -)

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INDEX GÉNÉRAL

Marin: 106 (métier de -) Marius: 102 (réforme militaire de -) Mars: 90-91 Martial: 23 (enumerations chez -) Mathématiques: 49 (- refusées par Epi-

cure) Médecins: 86 Méléagre de Gadara: 39, n. 5 (Symposion de -)

Μεμψιμοιρία: 26 Monandre: 32 (proverbe de -); 42; 44,

n. 2; 44-45, n. 3 et 123 (misogynie chez — )

Ménippe: 39 (banquet parodique chez -); 46 (métrique de -); 75-76 (mots composés chez -); 115-116 (- raille les querelles de philosophes)

Mentor: 36; 50-51 Μέσον, μεσότης: 137 Métaphysique: 48 (critique de la -) Metellus Numidicus: 42-43, n. 3 (di

scours de - sur le mariage) Métempsycose: 67 (satire prétendue de

la -) Militaire (métier): 106 Mime: 11, n. 5 (- et prosimetrum) ; 21

(- modèle de Varron pour le dialogue); 22 (- et ménippée); 83, n. 6

Misogynie: 44-45, n. 3 Misonéisme: 5 Monologue: 11, n. 5, et 15-16, n. 3

(- dans la satire); 21, n. 4 Morale: 10 (- dans les Aborigines); 48

(primat donné par "Varron à la -) Mort: 126 Moyenne Comédie: 21 (- modèle de Var

ron pour le dialogue); 23, n. 2 (enumerations dans la -); 41-42, n. 6 (- et mariage)

Moyen Portique: 26-27, n. 5 (- favorable à la gloire)

Musique: 27, n. 3 (- condamnée par Lucrèce); 28, n. 1; 49 (- rejetée par Epicure)

Mutuum muli scabunt: 10 Mystères (religions à -): 135 (- et phi

losophie) Mythologie: voir Légende

Naevius: 52-53 (Lampadio de -); 84 Nature: 7, n. 1 (vie selon la - chez les

Cyniques); 10; 106 (cf. 7, n. 1); 137 Navigation: 77 (critique de la -) Nekuia: 67 Neoteroi: 62, n. 1 (Varron et les -);

139-140 (diminutifs et mots composés chez les -)

Noble (style -. Voir aussi Parodie): 32, n. 3, et 76, n. 2 (- dans la satire)

Noblesse: 30, 49 (indifférence à la - de naissance)

Noms: 30 (tria nomina); 53 (- « pariants » de la palliata)

Nouvelle Comédie: 21 (- modèle de Varron pour le dialogue); 41-42, n. 6 (- et mariage); 44, n. 2 (- et amour); 56

Nunc: 8, 57 et 125 (opposition tune - nunc)

Obscénité: 57, n. 2 (rôle magique de Γ-)

Oisiveté (voir aussi Otium): 74 (condamnation de Γ-)

Όνομαστί κωμωδεΐν: 9 et 121 (- absent des Ménippées de Varron)

Onomatothètes: 19, n. 2 Optimiste: 8-9, n. 4 (satirique -) Ordre des citations (chez Nonius): voir

Lex Lindsay Ordre des Ménippées de Varron: XII;

XVIII Ordres ironiques: 26 Originalité: 6 et 20-21, n. 3 (- de Varron) Orphisme: 130 (Γ- et le corps); 135 Otium: p. 8, n. 4 (otiosïim et actuosum

chez Varron); 44, n. 2 (- et amour); 74, n. 1

Ovide: 68 Pacuvius: 60 Palliata (voir aussi Plaute et Terence):

41-42, n. 6 (- et mariage); 44, n. 2 (- et amour); 46 (diuerbia de la -); 52-56 (imitation de la - dans Aga- tho); 53 («noms parlants» de la -): 53, n. 2 (exemples pris par les Satiriques dans la -); 55 (erilis filius dans la -); 64, n. 3

Page 175: (Collection de l'École Française de Rome) Jean-Pierre Cèbe-Varron, Satires Ménippées _ Volume 1 (Collection de l'École Française de Rome, 9) -École Française de Rome (1972)

INDEX GÉNÉRAL

Parménon: 41 Parodie: 11 (- essentielle à la ménippée

et à la satire poétique); 20-21 et 25 (- dans les fr. 2 et 3); 31 (- dans le fr. 4); 33 (- de courses de chevaux); 39 (- de banquet chez Horace, Pétrone, Ménippe); 44, n. 2; 71 (style héroï-comique); 76; 83 (- dans Aiax stramentieius) ; 84, n. 2; 86, n. 2 (- de consultation médicale); 92 (- de mythe?); 119

Partage des terres: 78-79 Passion: 14 (- de posséder); 27 (pas

sions fondamentales selon les Stoïciens); 64 (esclavage des passions); 75, n. 1 et 99 (cf. 27)

Patriotisme: 41 et 137 (- de Varron) Peinture: 15 (condamnation de la -) Péripatéticiens : 6 (Dicéarque et les pri

mitifs); 18, n. 9 (- et physiognomonie); 31, n. 5 (- et vieillesse); 75 (- et légende); 127 (- et raisonnement empirique par analogie)

Perse: 22 (dialogues chez -); 65 (- et l'amour)

Personnification: 56 (- de parties du corps et d'objets dans la comédie)

Pétrone: 39 (banquet parodique chez -) Philon d'Alexandrie: 100 Philon de Larisse: 136 Philosophes, philosophie (voir aussi Cy

niques, Epicuriens, Péripatéticiens, Pythagoriciens, Stoïciens): XVIII; 6 et 10 (- dans les Aborigines); 14-15 (- et statues de culte); 32, n. 3 (satire et philosophie populaire); 39 (- et symposium); 43, n. 4 (- et amour); 48 (- et morale); 49 (noblesse et richesse chez les philosophes antiques); 86 (- et folie); 115-116 (querelles de philosophes; attitude de Varron envers la philosophie); 117 (débat de philosophes dans Andabatae); 118 (critique des stulti dans la philosophie antique; philosophie et mon maiorum chez Varron); 121; 135 (philosophie et religions à mystères); 136-138 (philosophie de Varron)

Phlyake: 83, n. 6 Physiognomonie: p. 18, n. 9 (- et an

imaux) Physique: 48 (- critiquée par les Cyni

ques et Varron) Pietas: 77 (- d'Enée) Platon: 5 (- juge les primitifs supérieurs

aux civilisés); 10; 19, n. 2 (origine du langage selon -); 31 (- et la vieillesse); 39 (- et le symposion); 40 et 47 (Banquet de -); 48-49 (- et la science); 75, n. 1 (- et la poésie); 130; 135

Plaute: 32-33, n. 3 (proverbes chez -); 35 (canitudo, mot de -); 44 (- et l'amour); 46 (métrique de - imitée par Varron dans ses sénaires iambi- ques); 46, n. 1 (diuerbia et cantica de -); 53 (un Lampadio chez -); 54; 55 (adjectif pour le génitif chez -); 56 (personnification de parties du corps chez -; uirgidemia, mot de -); 65; 92-93, n. 4 (parodie religieuse de -); 120; 139 (diminutifs de -)

Poésie: 71 et 75 (imitation de la grande -); 75, n. 1 (- réhabilitée par les Stoïciens)

Politique: XVIII; 8 (satire et -; - chez Varron); 121 (caricature - romaine)

Polythéisme (voir aussi Religion): 91 (- dans le Stoïcisme); 92 (- pour Varron)

Porcs: 24 (nourriture des -) Portique: voir Stoïciens Primitifs: 2; 4 (admiration de Varron

pour les -); 5 (Platon et les -); 6 (les - dans les lettres latines); 8 (les - dans la satire en général); 19 (langage des -); 109; 125 (cf. 4)

Progrès: 4-5 et 16 (condamnation du -); 27

Propriété: 79, n. 2 (problème de la - collective); 81 (Varron favorable à la -)

Prose: 12, n. 1 (importance relative de la - et de la poésie dans les Ménip- pées)

Prosimetrum: 11-12; 62, n. 1; 69; 83

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INDEX GÉNÉRAL

Proverbes: 12; 32; 41; 73; 90; 98-99; 122-123; 128, η. 2

Pseudo -tragédies: 83-84 Psychanalyse, psychanalystes: 5 (« mi-

sonéisme » et « complexe des générations » chez certains psychanalystes); 6, n. 3 (- et âge d'or); 16, n. 1 (critique psychanalytique); 34, n. 2 (explication psychanalytique de l'antagonisme père-fils dans la comédie); 44-45, n. 3 (image psychanalytique de la « mauvaise mère »)

Psychocritique: 16, n. 1 Publilius Syrus: 32 (proverbe chez -);

43-44 (sentence sur l'amour chez -) Pythagorisme: 19, n. 2 (- et origine du

langage); 74-75 (utilisation d'Homère et d'Hésiode par le -); 130 (le corps dans le -); 135; 137

Kaisonnement: 127 (- empirique par analogie)

Reate (Rieti): 3 Récit: 11, n. 5 (- dans la satire) Religion: 10 (- dans les Aborigines); 28,

n. 1 (naissance de la - pour Lucrèce); 91-93 (- des Stoïciens et de Varron); 109 (religions orientales satirisées par Varron); 116 (cf. 91-93); 135

Révolution: 81 (Varron hostile à la -) Rhétorique: 48 (- critiquée par les Cy

niques et Varron); 49, n. 1 (- dédaignée par Epicure)

Rhinton: 83, n. 6 Richesse: 15 (condamnation de la -);

27 (- chez Lucrèce); 29 (- et maiores); 29, n. 3 (développement de la - à Rome); 49 (indifférence à la -)

Rois: 19 (- fondateurs du langage pour les Stoïciens)

Romulus: 79 (partage des terres par - ) S: 70 (anraissement d'- final) Sabelliens: 80 Sacrifice: 17; 24, n. 3; 73 Saint Augustin: 92-93, n. 4 Salluste: 130 Satire: 7, n. 1 (critique de la ville dans

la -); 8 (politique dans la -); 8, n. 4 (- genre « utilitaire »); 11 (parodie dans

la -); 11, n. 5 (variété dans la - latine); 18, n. 9 (techniques de dégradation de la -); 23 (enumerations dans la -); 32, n. 3 (proverbes et langue populaire dans la -); 67 (nekuia dans la -); 71; 107 (luxe de l'habitation et de la table dans la -); 139 (diminutif dans la -)

Satura: 21 (- modèle de Varron pour le dialogue)

Saturnales: 8, n. 4 (esprit des - dans la satire)

Saturne: 8 Scepticisme: 117-118; 127 (prétendu -

de Varron); 130 Science: 47-49 (attitude de Varron et

d'autres auteurs envers la -); 116; 121; 127

Sculpture: 15 (condamnation de la -) Sénaires iambiques: 45-46 Sénèque: 15 (- hostile aux arts plasti

ques; richesse de -); 22 (dialogues dans Γ Apocoloquintose de -); 33, n. 1; 65; 100; 121-122

Sentiendi (verbes): 66 Sillographie: 21 (- modèle de Varron

pour le dialogue) Simonide de Samos: 44-45, n. 3 (miso

gynie de -) Sincérité (voir aussi Hypocrisie): 92-93,

n. 4 Sisyphe: 75, n. 1 (- chez les Cyniques

et les Epicuriens) Socrate, socratique: 21; 39; 41; 47; 48;

71; 75 Sol: 107-108 (importance de la qualité

du - en agriculture) Solon: 31, n. 5 Sotadéen: 20; 94 Sous-titres: XIV; 45; 97, n. 5 Spatiatores: 33 (- des Consualia) Spoudogeloion: 45; 124 Statuaire, statues (voir aussi Sculpture):

28; 29, n. 2 Stoïciens: 5 (- et primitifs); 10, n. 4

(- et origine de l'homme); 14, n. 2 (- et religion des poètes); 15 (- et richesse); 18, n. 9 (- et animaux;

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INDEX GÉNÉRAL

- et physiognomonie); 19 (- et langage); 27 (passions principales selon les -); 43 (- et amour); 48 (- et science); 57; 64 (- et passions); 75 (- et légende); 75, n. 1 (cf. 27); 88; 90-91 (religion des -); 91, n. 4 (Hercule pour les -); 93, n. 1 (les trois théologies des -); 99 (- hostiles à la φιλο- πλουτία); 100 (guerre née de la cupidité pour les -); 109 (- et fraternité humaine); 115 (- critiqués par Var- ron); 122 (- et Epicuriens); 127-128 (- et raisonnement empirique par analogie); 129-132 (l'âme et le corps chez les -); 133 (- et étymologie); 135; 136 (- imités par Varron); 137 (μέσον chez les - romains; Varron et les -)

Stulti (voir aussi Foule): 121 Style (de Varron): 62, n. 1 Symposion (voir également Banquet): 21;

39; 47; 68; 70; 117 Table: 107 (luxe de la -) Tantale: 75, n. 1 (- chez les Cyniques

et les Epicuriens) Tarquin l'Ancien: 13 (- et les statues

de culte) Terence: 43; 44, n. 2; 55; 64; 65; 120 Théâtre: 21-22; 52; 53 Théologies: 93, n. 1 (les trois - des

Stoïciens) Théophraste: 41, n. 6 (-et le marii Thésée: 88 Tibulle: 101

Timon: 116 (- raille les batailles de philosophes)

Titres: XIV; XV; 45; 90; 97, n. 5 Togata: 23, n. 2 (enumerations dans

la -) Tonnerre: 126 Tragédie: 83-84 (- parodiée dans Aiax

stramenticius) ; 85 (Ajax dans la - latine); 140 (la - et les mots composés)

Travail: 74 et 77 (éloge du -); 78 (- imposé par Jupiter)

Triade capitoline: 138 Trikaranos: XVII et 8, n. 1 (le - n'est

pas une ménippée) Tune: voir Nu ne Uxor dotata: 41-42, n. 6 Vaisselle: 50-51 (luxe de la -) Variété: 11, n. 5 (- dans la satire); 62,

n. 1 (- dans les Ménippées de Varron) Vélites: 101-102; 104 Ver sacrum : 80 Vertu: 33 (Cyniques et -) Vieillards, vieillesse: 12; 31-35 Ville: 7, n. 1 (critique de la - dans la

satire) Vin: 124 Virgile: 107-108 Voyages: 101 Xénophobie: 109 Xénophon: 39 Zenon: 9; 14 (- et les statues divines);

39 (- et le symposion)

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TABLE DES MATIÈRES

PAGES Introduction ν

Liste des abréviations xix

CONSPECTVS SIGLORVM XXII

RÉPARTITION DES LIVRES DE NONIUS XXIV

Aborigines (1: p. 11; 2 et 3: p. 17; 4: p. 25; 5: p. 31) 1

Agatho (6: p. 45; 7: p. 50; 8: p. 52; 9-11: p. 57; 12: p. 65; 13: p. 67; 14: p. 69) 36

Age modo (15: p. 75; 16: p. 77; 17: p. 77) 73

AlAX STRAMENTICIVS (18: p. 82) 82

"Αλλος ούτος 'Ηρακλής (19: p. 94) 88

"Αμμον μετρεΐς (21: p. 100; 22-23: p. 104; 24: p. 108) 95

Andabatae (25: p. 118; 26-27: p. 119; 28: p. 124; 29-30: p. 126; 31-32: p. 129; 33: p. 132; 34: p. 134; 35: p. 134) 112

Notes complémentaires (1-5: p. 139; 6-9: p. 140; 10-21: p. 141 ; 22-35: p. 142) 139

Tables et index (Tables de concordance: p. A; Index des mètres: p. b; Index des mots latins: p. b; Index des mots grecs: p. e; Index des noms propres et noms de lieux: p. e; Index général: p. f) A

Table des matières ο