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Communiqué de presse Jeudi 27 novembre 2014 22 e concours régional de critique littéraire Dix lycéens récompensés pour leur talent de critique littéraire Dix lycéens, parmi les 1 126 participants au 22 e concours régional de critique littéraire, ont été récompensés, ce jour, à Rennes. Organisée par la Région Bretagne, en partenariat avec l'Académie de Rennes et l’association “ Bruit de lire ”, cette opération offre la possibilité à des jeunes lycéens volontaires de s’essayer à la critique littéraire, sur l’un des ouvrages de la sélection Goncourt. Chaque année, la Région saisit l’opportunité des Rencontres nationales Goncourt de Rennes pour récompenser les lauréats du concours. Après une première sélection, réalisée par dix enseignants réunis en comité de lecture, le jury –composé de conseillers régionaux, de représentants du Rectorat et de membres de l’association Bruit de lire– a retenu 10 critiques, sur 1 126 textes proposés. Gaël Le Meur, conseillère régionale déléguée à la vie lycéenne et aux projets éducatifs innovants, a récompensé, ce jour, les 10 lauréats, répartis en deux catégories. Les 5 lauréats de la catégorie « Classe hors Goncourt » (ou “Classe Concours”) : À chaque rentrée scolaire, la Région propose à l'ensemble des lycées publics et privés de Bretagne de participer au concours de critique littéraire. Cette année, 50 établissements se sont ainsi lancés, et ont été soutenus à ce titre par la Région. 1 er prix : Raphaële Ardilouze, en 1ère L au lycée AR Lesage à Vannes, 2 ème prix : Emma Deunff, en 1ère L au lycée René Laennec à Pont-L'Abbé, 3 ème prix ex-æquo : Nathan Perrigault, en 1ère S au lycée Emile Zola à Rennes, 3 ème ex-æquo : Hugo Vanlerberghe, en 1 re S au lycée Ste-Anne/St-Louis à Ste-Anne d'Auray, 5 ème prix : Herwin Lumini, en Term. L au lycée Institution Saint-Malo La Providence à Saint-Malo. Les 5 lauréats de la catégorie « Classe Goncourt » : Les élèves des classes ayant participé à l’élection du Prix Goncourt des lycéens 1 sont également invités à participer au concours de critique. Cette année, 7 lycées bretons étaient représentés dans le jury. Deux élèves issus de ces établissements ont produit les 3 e et 4 e meilleurs textes. 1 er prix : Lauriane Esther, en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse, 2 ème prix : Clara Sanchez, en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse, 3 ème prix : Cyprien Meyer, en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse, 4 ème prix : Hugo Le Bris, en 1 re S au lycée Fulgence Bienvenüe à Loudéac, 5 ème prix : Camille Lebossé, en 1ère L au Lycée Sévigné à Cesson-Sévigné. 1 57 lycées ont participé à l’élection du Goncourt des Lycéens 2014: 56 lycées français (dont 7 lycées bretons) et 1 lycée étranger (un CEGEP du Canada). - 1 -

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Communiqué de presseJeudi 27 novembre 2014

22e concours régional de critique littéraire

Dix lycéens récompensés pour leur talent decritique littéraireDix lycéens, parmi les 1 126 participants au 22e concours régional decritique littéraire, ont été récompensés, ce jour, à Rennes. Organisée par laRégion Bretagne, en partenariat avec l'Académie de Rennes et l’association“ Bruit de lire ”, cette opération offre la possibilité à des jeunes lycéensvolontaires de s’essayer à la critique littéraire, sur l’un des ouvrages de lasélection Goncourt. Chaque année, la Région saisit l’opportunité desRencontres nationales Goncourt de Rennes pour récompenser les lauréats du concours.

Après une première sélection, réalisée par dix enseignants réunis en comité de lecture, le jury –composé deconseillers régionaux, de représentants du Rectorat et de membres de l’association Bruit de lire– a retenu10 critiques, sur 1 126 textes proposés. Gaël Le Meur, conseillère régionale déléguée à la vie lycéenne etaux projets éducatifs innovants, a récompensé, ce jour, les 10 lauréats, répartis en deux catégories.

Les 5 lauréats de la catégorie « Classe hors Goncourt » (ou “Classe Concours”) :À chaque rentrée scolaire, la Région propose à l'ensemble des lycées publics et privés de Bretagne de participerau concours de critique littéraire. Cette année, 50 établissements se sont ainsi lancés, et ont été soutenus à cetitre par la Région.

1er prix : Raphaële Ardilouze, en 1ère L au lycée AR Lesage à Vannes, 2ème prix : Emma Deunff, en 1ère L au lycée René Laennec à Pont-L'Abbé, 3ème prix ex-æquo : Nathan Perrigault, en 1ère S au lycée Emile Zola à Rennes, 3ème ex-æquo : Hugo Vanlerberghe, en 1re S au lycée Ste-Anne/St-Louis à Ste-Anne d'Auray, 5ème prix : Herwin Lumini, en Term. L au lycée Institution Saint-Malo La Providence à Saint-Malo.

Les 5 lauréats de la catégorie « Classe Goncourt » :Les élèves des classes ayant participé à l’élection du Prix Goncourt des lycéens 1 sont également invités àparticiper au concours de critique. Cette année, 7 lycées bretons étaient représentés dans le jury. Deux élèvesissus de ces établissements ont produit les 3e et 4e meilleurs textes.

1er prix : Lauriane Esther, en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse, 2ème prix : Clara Sanchez, en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse, 3ème prix : Cyprien Meyer, en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse, 4ème prix : Hugo Le Bris, en 1re S au lycée Fulgence Bienvenüe à Loudéac, 5ème prix : Camille Lebossé, en 1ère L au Lycée Sévigné à Cesson-Sévigné.

1 57 lycées ont participé à l’élection du Goncourt des Lycéens 2014: 56 lycées français (dont 7 lycées bretons) et 1 lycée étranger (un CEGEP duCanada).

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Les critiques primées dans les classes

« Hors Goncourt »

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Catégorie "Classe hors Goncourt"Le 1er prix est attribué à :

Raphaële ARDILOUZE Élève en 1re L au lycée Alain Lesage à Vannes

Pour Le roi disait que j’étais diable de Clara DUPONT-MONOD

« Duel Royal »

« Le roi disait que j’étais diable »… mais le diable, n’est-ce pas la pire chose qui puisse arriverau roi, lui si croyant, si pieux, si calme ? L’ouragan Aliénor ravage sa vie, sa vie qu’il auraitvoulue sainte, douce, monacale, bercée par le respect. Le diable ? C’est elle. L’extrême opposédu roi. Âme du sud, cœur de guerrière, Aliénor est belle, isolée, imprenable, mais tellement

fragile.

Mais pour qui sommes-nous ? Lequel des deux nous fascine le plus ? Comment choisir ? D’un coté leroi bienveillant, amoureux, sans esprit guerrier ni cœur de poète, vénérant l'Église et méprisant le pouvoir,ce pouvoir qui, pour lui, n'a aucun sens, ce roi rêvant de paix et d'un bonheur partagé avec sa femme, et del'autre, la reine fière, ambitieuse, récitant des poèmes et des chansons d'amour outrageants, cette reinecruelle qui n'a pas peur de la guerre et rêve de conquêtes et de liberté.

Clara Dupont-Monod joue avec nos émotions, elle nous charme avec ses descriptions lyriques despaysages ou des sentiments mais nous terrorise avec ses scènes de combats sanglantes. Parfois, le roi,éperdument amoureux de sa reine, sait attendrir notre cœur mais, incapable de prendre une décision, il lerepousse. De même, Aliénor libre et endiablée nous séduit, mais la belle devenant impitoyable et l'espritgorgé de rage, ne nous inspire que répulsion.

Il aurait aimé une épouse aimante et joyeuse, telle un rubis qu'il aurait fait rougir, il vit avec unepierre tranchante qui brise sa vie jour après jour. Elle aurait aimé un roi, un vrai, doté de force physique etde pensées avides de pouvoir. Mais elle tente de faire honneur à ses ancêtres aux côtés d'un homme demots, qui n'a d'yeux que pour elle.

A la fin du roman, nous ne savons toujours pas lequel des deux personnages nous inspire le plus.Qu'importe ! Nous revenons de Bordeaux, Poitiers, Paris, et encore mieux : Antioche. Ville d'orientluxueuse, qui a su faire revivre Aliénor. Nous avons entendu des poèmes de troubadours, sommes passésparmi des foules admiratives, avons assisté à la révélation du nouveau cœur de l'abbatiale de Saint-Denis.En somme, ce roman nous a projetés au cœur du Moyen-Age pour nous faire découvrir le destin d'un roieffacé et envoûté par son épouse, et celui d'une femme de pouvoir hors du commun qui a su renverser lescoutumes et les règles de cette époque.

Cette histoire vraie, racontée avec passion et colère, est originale du fait des trois points de vuedonnés : celui de la reine, celui du roi et celui de l'oncle de la reine. Le pouvoir des femmes, déjà chanté sansretenue par les poètes de l'époque, éclate au grand jour dans des pages remplies d'espoir et de rêvesfougueux. Oui, car c'était bien là un beau rêve que d'avoir pour femme Aliénor. Son tempérament torrentielet ses origines bellicistes l'ont transformée en cauchemar. Un cauchemar. Quel univers idéal pour le diable,non ?

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Catégorie "Classe hors Goncourt"Le 2e prix est attribué à :

Emma DEUNFF Élève en 1re L au lycée René Laennec à Pont-L'Abbé

Pour Charlotte de David FOENKINOS

La jeune fille et la mort

C'est un hommage tout en pudeur et délicatesse que rend David Foenkinos à CharlotteSalomon, juive allemande et artiste avant-gardiste, morte à vingt-six ans, alors qu'elle étaitenceinte.

« Elle apprivoisait sa mélancolieEst-ce ainsi qu'on devient artiste ?

En s'accoutumant à la folie des autres ? »

Charlotte, c'est la mélancolie. Mais peut-on vraiment être autre que mélancolique, lorsque l'on n'estque la seconde Charlotte, et que le spectre d'une morte flotte sur son prénom ? Lorsque l'on est le fruit d'unarbre aux racines gangrenées par le suicide ?

On sent, sous le rythme haletant adopté par l'auteur – comme s'il reprenait son souffle à chaquephrase – toute sa fascination pour Charlotte. Ses phrases courtes laissent monter l'émotion peu à peu,tracent la vie de la jeune femme à petites touches, tantôt sobres, tantôt lyriques, et par leur teneur amènentle lecteur à s'imprégner entièrement de sa vie tragique. La rencontre entre David Foenkinos et son œuvres'apparente presque à un coup de foudre : « La connivence immédiate avec quelqu'un ». Seules lesintrusions de celui-ci dans son propre récit interrompent la plongée dans un bouillon de sentiments etd'instants, entre passion et déraison.

« Il existe un point précis dans la trajectoire d'un artisteLe moment où sa propre voix commence à se faire entendre »

Charlotte, c'est une âme exaltée et sauvage, baignée dans l'art dès son plus jeune âge, pour qui lapeinture devient obsession, mais aussi libération. Le seul moyen par lequel elle peut exister. D'être elle,enfin, alors que les nazis nient son droit à l'existence.

« Peindre pour ne pas devenir folle »

Charlotte, c'est une folie douce, celle des grands artistes qui se consument entièrement dans uneunique œuvre, un unique amour jusqu'à l'obsession, perdus dans leur solitude et rongés par un certain malde vivre.

« Elle voulait mourir, elle se met à sourire »

Charlotte, c'est l'ambiguïté, entre rage de vivre et peur de la vie. Vie, ou théâtre ? Est le titre de sonœuvre. Mais sa vie elle-même n'est-elle pas un théâtre ? Et son œuvre, le théâtre de sa vie, fixé à jamais endessins, en musiques, en textes ?

Le point final de cette élégie tombe comme une délivrance, teinté de tristesse, de souffrance maiségalement d'émotion... comme la mélancolie.

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Catégorie "Classe hors Goncourt"Le 3e prix ex-æquo est attribué à :

Nathan PERRIGAULT Élève en 1re S au lycée Émile Zola à Rennes

Pour Les tribulations du dernier Sijilmassi de Fouad Laroui

Les tribulations d'un petit lecteur

Vous me direz, lire un livre : il ne faut pas en faire toute une histoire, mais bien que je soistotalement d'accord avec vous ; lire ce livre, il faut le dire, n'est pas une mince affaire : c'est telCandide de Voltaire, un roman de Dumas ou un livre de Zola. D'ailleurs, ce livre n'en est pasvraiment un, pour un petit lecteur, tombant dans les limbes de références qu'il contient, mais

plutôt un dictionnaire d’œuvres classiques.

Mais puisque c'est celui qui m'a le moins ennuyé après avoir lu la quatrième de couverture, jerassemblais mon courage pour prendre le risque d'ouvrir ce roman aux mille péripéties inattendues : celivre n'étant qu'une suite de termes latins, arabes ou français dont le sens m'échappait.

Il fallait donc aller au bout, de ce roman, pourtant pas si grand ; voir les minutes s'écouler, parfois,très, trop lentement ; sentir les pages neuves, flotter dans l'air, interminablement, afin de comprendre... Decomprendre pourquoi on raconte l'histoire d'un homme assez sage ou assez fou, à vous de choisir, poursuivre une décision prise à trente mille pieds au-dessus de la mère nourricière à une vitesse supersonique,alors qu'il était confortablement installé dans le siège 9A d'un avion de Lufthansa ?!

Mais plus l'échéance se rapprochait, plus mon envie de lire ce roman diminuait mais quand il faut yaller...

Après de nombreuses heures de tête à tête avec ce roman … Ce fut le choc, je peux vous le dire, c'estune perle que j'ai sentie entre mes mains, comment avais-je pu ne pas ressentir les touches d'humour deFouad Laroui – qui lui permirent d'obtenir notamment le prix Goncourt 2013 de la nouvelle, pour L'affairedu pantalon de Dassoukine –. Entendre les clins d’œil faits à sa vie, à son histoire, à l'Histoire...

Cet auteur, déléguant l'action aux personnages secondaires qui divertissent le lecteur, grâce à leursvariétés – du sympathique Anas Kettani, du paysan à la charrette, de Basri, Boussa, Nadir et bien sûr de laNaïma au charismatique surnommé Saïd (bon peut-être pas tant que ça, mais bon, le l'aime bien ce Saïd) –nous fait réfléchir sur les dramatiques vérités de ce siècle. Bref, pour tout vous dire, ce livre est initiatiquepour nous : jamais plus je ne regarderai le monde de la même façon grâce au héros éponyme, AdamSijilmassi.

Pour Adam l'ex-ingénieur, pour Adam le mari, pour Adam, qui décida de retourner à ses origines,celle du très noble Hadj Maati. Pour Adam, qui nous plonge au cœur de la culture marocaine et de laterrible réalité du Maroc occidentalisé. Pour Adam, qui choisit de ne plus vivre sa vie comme un homme duXXIe siècle, mais de remonter le temps afin de comprendre ce qu'il faisait ici, dans cet avion ! A cettealtitude !! A cette folle vitesse !!!

Mêlant aventure et méditation, sociologie et théologie, idéalisme et amour, tristesse et humour,complot et révolte, le roman Les Tribulations du dernier Sijilmassi doit absolument être lu pourcomprendre l'énigme de la vitesse du monde.

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Catégorie "Classe hors Goncourt"Le 3e prix ex-æquo est attribué à :

Hugo VANLERBERGHEÉlève en 1ère S au lycée Sainte-Anne/Saint-Louis à Sainte-Anne d'Auray

Pour Meursault, contre-enquête de Kamel DAOUD

Mais qui est donc « l'Arabe » ?Je termine la lecture de Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud et je dois dire que, ayantcommencé le livre, je n'ai pu le lâcher qu'à la fin, ne serait-ce qu'en raison de la langue superbe,ce fameux « butin de guerre » que Kamel Daoud a su si bien exploiter.

Tout grand roman nous invite à ce genre de réécriture. Comment lire Madame Bovary sans sedemander quel fut le destin de la fille d'Emma ? Aussi, comment lire L’Étranger sans vouloir connaître lavie de l'Arabe ? Mais c'est évidemment le parti de l'écrivain qui intéresse et nul ne pourra désormais lireL’Étranger de Camus avec le même regard. Là où Camus n'évoque que « l'Arabe », surgit un homme dont lefrère, très jeune au moment où l'Arabe est tué, passe sa vie à essayer de chercher cet aîné et à le fairerevivre. L'écrivain connaît très bien l’œuvre de Camus, L’Étranger, bien sûr, mais aussi La Chute, puisquece frère de l'Arabe fait son récit dans un bar sous forme d'une confession, qui n'est pas sans rappeler cetautre roman. Le « Meursault » du titre, évidemment, c'est le Meursault de Camus, ce personnage connu detous, qui ne laisse personne indifférent. En prenant L’Étranger comme tremplin et en s'emparant de sonnarrateur, Kamel Daoud a réussi un exploit à la fois critique et hautement littéraire. Pour lui, le fait quel'ultime crime de Meursault, d'après ceux qui le jugent, fut de ne pas avoir pleuré à l'enterrement de samère, produit avant tout un désir d'écrire. Meursault, dans L’Étranger, doit répondre du fait de ne pasavoir « pris les larmes » à l'enterrement de sa mère. Haroun doit, dans ce livre, expliquer pourquoi lui n'apas pris les armes pour libérer son pays. L'Arabe portera désormais le nom Moussa, qui fait si joliment échoà Meursault. On croit entendre Camus quand il explique que « très peu de gens autour de [lui] savaientlire.»

Utilisant l'arme du langage et de l'écriture, Daoud évoque en filigrane l'histoire de l'Algérie depuisl'Indépendance, toutes ses ombres pesantes, l'absence de retour sur le passé, la relation difficile aux femmesdans la société algérienne, et une soumission folle à la religion et à ses intolérances. Meursault, contre-enquête côtoie le texte de Camus par des citations, mises entre guillemets dans le texte, et par des reprisesd'éléments de l'original, tournées avec science et humour. Meursault, contre-enquête ne se contente pas des'approprier L’Étranger pour s'en venger, ce livre porte en lui une colère lyrique tempérée de percutantesanalyses de société. La scène de l'interrogatoire est sûrement le moment le plus drôle, le plus ludique, deMeursault, contre-enquête : Haroun, tout comme Meursault, est arrêté, et il doit faire face non pas à unprocureur, mais à un colonel de l'AFN, qui lui demande non pas s'il croit en Dieu mais s'il croit à laRévolution. Finalement, ce qu'il y a de plus émouvant dans Meursault, contre-enquête, c'est cette langueque Daoud fait sienne, pas le français des colons, mais un français rêvé, celui de la littérature, de la liberté,de la justice. Comme le dit son porte-parole, Haroun, ce n'est ni un néo-colonialisme, ni une nostalgie.

Vous l'aurez compris, Meursault, contre-enquête est LE livre polémique à lire absolument !

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Catégorie "Classe hors Goncourt"

Le 5e prix est attribué à :

Herwin LUMINI Elève en Term. L au lycée Institution St-Malo La Providence à Saint-Malo

Pour Tristesse de la terre d’Éric VUILLARD

La vérité toute nueBuffalo Bill. Un nom qui, à lui tout seul, évoque l'Ouest Sauvage et sa conquête, le Far West, lecow-boy américain par excellence. Un nom qui, à lui seul, symbolise une époque. Un nom quin'est même pas celui de l'homme qui le porte.

Tristesse de la terre nous raconte plus d'une seule histoire. De prime abord, c'est celle de lanaissance du spectacle de masse avec le Wild West Show de Buffalo Bill, simple employé de chemin de ferdestiné à devenir une légende. Tout commence en 1883 : une mise en scène grandiose, une machine àdivertir itinérante qui bientôt captive les foules de l'Amérique à l'Europe, de New York à Paris en passantpar la Lorraine, une révolution dans l'art du divertissement qui sans cesse redouble d'innovation. Maislorsque cette innovation mène à exhiber des Indiens dans le Show pour le plaisir du public, on voit surgirun autre récit adroitement mêlé au premier : celui d'un peuple et de son agonie.

Avec ce livre, Éric Vuillard déchire le voile plus qu'il ne le lève, sur la véritable histoire de laConquête de l'Ouest, un génocide trop souvent oublié au profit des bataille fantasques et trépidantes entreCow-boys et Indiens, qui ont fait la renommée et la richesse du Wild West Show. Loin d'être de simplesvoisins dans l'Histoire Américaine, le spectacle de masse et le massacre des Indiens sont des frères, dont ona souvent peine à croire le lien de parenté. Ce lien, Vuillard le met avec brio en pleine lumière. Souvent, etdès les premières pages, il parle de ces vestiges de la civilisation Indienne arrachés à leurs morts et à leurTerre pour être exposés aux yeux des curieux contre quelques sous. Parmi ces vestiges, des hommes. Etalors même que continuent les tueries dans lesquelles leur peuple disparaît peu à peu, Buffalo Bill engagecertains des Indiens survivants dans le Wild West Show. Pour subsister, ils sont condamnés à rejouer surscène encore et encore des reconstitutions de leur propre génocide, des batailles fictives au dénouementparfois falsifié où les Rangers affrontent les Indiens et remportent héroïquement des victoires qui jamaisn'ont été réelles.

Plus d'un siècle après ces années 1880, l'auteur braque un projecteur sur le massacre des Indiens(occulté à l'époque par le Wild West Show qui racontait une tout autre histoire) ; il nous fait écouter les crisde douleur de tout un peuple, des cris qui s'étaient perdus dans les hurlements de la foule hystérique venuepour le spectacle.

En 160 pages, Eric Vuillard nous montre le sang derrière les paillettes, l'Histoire derrière la légende,William Cody derrière Buffalo Bill. Un homme, à qui a échappé son propre personnage. On peine àreprocher à ce livre le récit d'un massacre sordide qu'on appellera plus tard une bataille, celle de WoundedKnee, ou encore les détails du mépris dont ont fait l’objet les corps des Indiens après avoir été dépouillés,quand l'objectif est bel et bien, non plus de nous émerveiller, mais de nous révéler ce qui trop longtemps aété passé sous silence – une vérité peut-être pas si facile à entendre.

Oui, cette histoire, c'est celle de la Vérité toute nue, débarrassée de la somptueuse et si lourde robede l'héroïsme, du politiquement correct, du happy end lucratif. Ainsi dévêtue, on la découvre laide, maisc'est avec un intérêt certain, que pour la première fois nous la voyons vraiment. C'est aussi l'histoire deBuffalo Bill, ou plutôt de William Cody, qui fut peut-être parmi les tout premiers à découvrir que lespectacle est également un monstre, une créature à l'appétit insatiable qui dévore ses propres enfants.

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Les critiques primées dans les classes

« Goncourt »

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Catégorie "Classe Goncourt"Le 1er prix est attribué à :

Lauriane ESTHER Elève en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse

Pour Pas pleurer de Lydie SALVAYRE

Guerre-Massacres-Séparation-Lâcheté mais surtout... PAS PLEURERToute son enfance, Lydie Salvayre a entendu sa mère raconter sa jeunesse, l'Espagne et le fameuxété 36. Mais c’est seulement après avoir lu « Les grands cimetières sous la lune » de G. Bernanosque l'histoire de sa mère Montse prend une autre dimension, elle s'inscrit dans l'Histoire. Montsedevient alors le témoin des événements de l'été 1936, dans une Espagne déchirée entre

communisme, anarchisme et franquisme.

Il a suffit d'une phrase « Vous êtes bien modeste », prononcée par un riche propriétaire terrien pourque Montse, 15 ans, devienne une « mauvaise pauvre », c'est-à-dire « une pauvre qui ouvre sa gueule ». Il asuffit que son frère rentre de Lérida, commune autogérée, des idées libertaires plein la tête, pour queMontse se laisse entraîner et découvre Barcelone, le luxe, le plaisir et la liberté.

A ce récit plein de vie, l’auteur mêle un récit beaucoup plus sombre. C'est celui de Georges Bernanos.En 1936, l'écrivain catholique, monarchiste, dont le fils est phalangiste, est le témoin des atrocitéscommises par les Franquistes avec le consentement de l'église espagnole.Comme il le dit lui-même, « il y a quelque chose de mille fois pire que la férocité des brutes, c'est la férocitédes lâches ». Alors, malgré les conséquences possibles, il va témoigner de ce qu'il voit dans un ouvrage« Les grands cimetières sous la lune ».

La dichotomie entre les deux récits qui s'entremêlent, l'un pessimiste, l'autre scolaire, donne durythme au récit. Cette opposition, on la retrouve souvent dans les romans de Lydie Salvayre, elle l'expliquedans l'émission « l'humeur vagabonde » sur France Inter, comme étant l'expression d'une vision del'Espagne à la fois comique et tragique. Vision que l'on retrouve d'ailleurs dans la littérature espagnole, àtravers les personnages de Sancho Panza et de Don Quichotte.

Néanmoins, la prose employée pour le récit de Bernanos peut nous paraître un peu trop classique etlassante. Par opposition, la prose de Montse est vivante et donne du dynamisme au récit . En effet, la mèrede la narratrice, espagnole exilée en France, s'exprime en Fragnol, un mélange hybride de français etd'espagnol. Cette langue, sa fille en a longtemps eu honte. Mais elle a, à présent, une autre vision de celangage, comme elle l'exprime dans l'émission « La grande Librairie », le 30 octobre dernier, « loind'abîmer le français […] cette langue, elle (Montse) l'oxygène, la poétise, elle l'érotise, elle la rendinventive. »il en résulte des phrases drôles et savoureuses pour le plus grand bonheur du lecteur !

L'écrivaine nous livre un roman avant tout historique, qui nous permet de découvrir des événementsméconnus de la guerre d'Espagne. Son originalité est de nous donner deux versions des faits. L'une, celle deBernanos, est académique, classique. L'autre version touchera les jeunes lecteurs, car il s'agit de la visiond'une adolescente de quinze ans qui ne s'intéresse pas à la politique, qui n'est pas une héroïne et qui poseun regard sur la jeunesse catalane à laquelle pourront s'identifier tous les lycéens.

A travers ce livre, Lydie Salvayre et sa mère nous donnent une magnifique leçon de vie : quels quesoient les épreuves, les douleurs, les mauvais coups du sort, il faut continuer à avancer, se montrercourageux et surtout... pas pleurer !

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Catégorie "Classe Goncourt"Le 2e prix est attribué à :

Clara SANCHEZ Elève en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse

Pour Constellation d'Adrien BOSC

Des étoiles qui n'ont pas brillé de la même façon

Il y a 65 ans, le 27 octobre 1949 à 20h06, le « constellation F-BAZN », qui assure la liaison entreParis et New York, décolle avec à son bord 48 personnes. Quelques heures plus tard, l'avions'écrase... Il n'y a aucun survivant. Le 1er novembre, l'accident fait la une de tous les journaux, ence jour de fête des morts, on lit partout que la célèbre violoniste Ginette neveu et le boxeur Marcel

Cerdan ont péri dans ce crash.

C'est l'histoire que choisit de raconter Adrien Bosc dans son premier roman Constellation...Constellation comme le nom de l'avion, mais peut-être aussi pour nous faire penser à 48 constellations àprésent éteintes.Au fil des chapitres, nous pouvons apprendre à connaître les passagers, de l'histoire de Kay Kamen, lecréateur de la montre Mickey et des produits dérivés de Disney à celle du pilote Jean de la Noüe, nousdécouvrons leur vie et événements qui les ont poussés à monter dans cet avion.Enfin quelqu'un qui s'intéresse aux autres victimes, aux membres de l'équipage comme Charles Wolfer etCamille Fidency, les co-pilotes.Enfin, on parle des autres passagers : Hannah Abbott qui revenait de Syrie avec son mari, Joseph Aharon,un avocat israélien de 45 ans ; Ernest Lowenstein qui se rendait à New-York, dans le but de se réconcilieravec son ex-femme ; Amélie Ringler, la bobineuse de Mulhouse, dont le corps a été confondu avec celui deGinette Neveu, une « malédiction » selon l'auteur...

C'est un sujet osé pour l'auteur. Comment écrire un livre sur un événement qui s'est produit plus detrente ans avant sa naissance ? Comment raconter la vie de personnes que l'on n'a pas connues ? Peut-êtreen recherchant de vieux articles dans des magazines de 1949, comme Ironwood Daily Globe ; en contactantle fils d'Ernest Lowenstein, ou en se rendant dans l'archipel des Açores, sur le Mont Rodondo pourdécouvrir la plaque indiquant « lieu où est tombé, le 27 octobre 1949, un avion d'Air France, dans lequel apéri l'ensemble des passagers. Donne-leur, Seigneur, le repose éternel... », comme nous explique AdrienBosc dans son roman.

Avec Constellation, le jeune auteur se démarque des autres nominés du Prix Goncourt des Lycéens,car même si le destin du F-BAZN et de ses passagers est tragique, il choisit étonnamment de commencerchaque chapitre par une citation « L'avion ! L'avion ! Qu'il monte dans les airs, qu'il plane sur les monts,qu'il traverse les mers » (Guillaume Apollinaire, Poèmes retrouvés), puis mêle les péripéties du LockheedConstellation et l'histoire des passagers. Pour lui, c'est comme « écrire leur légende minuscule est offrir àquarante-huit hommes et femmes, comme autant de constellations, vie et récit ». Cette composition faitque le récit est prenant et que l'on ne se lasse pas de le lire tout au long de ses 200 pages.

Grâce à Constellation, Adrien Bosc fait briller ces quarante-huit étoiles de façon égale.

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Catégorie "Classe Goncourt"Le 3e prix est attribué à :

Cyprien MEYERÉlève en Seconde au lycée Bellevue à Toulouse

Pour Meursault, contre-enquête de Kamel DAOUD

N'y a-t'il pas un autre étranger ?

Il nous avait habitués à des nouvelles et des chroniques de presse dans lesquelles il critique lepouvoir politique ainsi que la religion, qui, selon lui, étouffent l'Algérie. Kamel Daoud, 44 ans,journaliste au quotidien d'Oran et amoureux de son pays, nous offre son premier roman

Meursault, contre-enquête. Quand on lui demande d'où lui vient l'idée d'un tel roman, Daoud indique quec'est une façon de répondre à la question agaçante souvent posée par les Français : « Est-ce que Camus est àvous ou est-ce qu'il est à nous ? » (Tous les passages entre guillemets sont les propos tenus par l'auteur dansl'émission Bibliothèque Médicis, diffusée le 26 septembre dernier sur la chaîne Public Sénat).

Car Meursault, contre-enquête est écrit sur les traces de L’Étranger d'Albert Camus. L'étranger,c'est Meursault. En 1942, il tue avec froideur et sous le soleil l'Arabe. Pour Kamel Daoud, il n'est pasquestion de laisser la victime anonyme : « J'ai essayé un petit peu d'investir la brèche […] et de fabriquer dusens à partir de ce petit défaut majeur dans l’Étranger de Camus. »

L'histoire de l'Arabe est racontée par son frère haroun. Attablé dans un bar, l'alcool coulant à flot,dans le va-et-vient des serveurs, Haroun nous livre un déluge de paroles. Il s'exprime en français, cettelangue qu'il qualifie de libre et le lecteur qu'il tutoie est son confident.

Ainsi, Haroun donne à son frère un nom. Moussa, un physique, des émotions, une famille... une vie.De cette amanière, Daoud rend hommage au peuple algérien anciennement colonisé, car dit-il : « Si onconnaît le nom, on reconnaît l’humanité ». Certes Haroun attribue une identité à Moussa, mais aussi, etsurtout, il est à la recherche de sa propre identité. Toute sa vie, Haroun a en effet dû endosser aux yeux desa mère le rôle de Moussa, le fils disparu. Il s'est aussi toujours senti loin de son pays, coincé par la religionet le pouvoir. Il est étranger à sa vie et confie : « J'ai vécu comme une sorte de fantôme observant les vivantss'agiter dans un bocal ». Même si la vengeance de Haroun était prévisible, Kamel Daoud a eu la délicatessede ne pas reproduire « le petit défaut majeur » de Camus.

Le personnage de Haroun est parfois ennuyeux, tellement il se complaît dans ses lamentations, cetteimpression étant renforcée par l'écriture sous forme de monologue. Le tourment de Haroun, le tourment deDaoud, le lecteur les ressent avec de nombreux retours désordonnés dans le passé, comme si le narrateurs'égarait. Toutefois, en considérant son lecteur comme son interlocuteur, Haroun nous embarque avec luidans le récit. On est ancré dans la situation d'énonciation, le style est direct. Le discours argumentatif est sibien mené que le narrateur pourrait obtenir notre approbation. On s'imagine alors attablé dans un bar,l'alcool coulant à flot...

Avec Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud réalise un véritable exploit. En donnant l'écho àL’Étranger, il prolonge au fil du temps l’œuvre de Camus et sa réflexion sur l'absurde, la justice, l'homme,ainsi que celle sur la France et l'Algérie aux passés partagés. Ce n'est pas souvent que l'on rencontre unetelle interconnexion entre deux littéraires et deux écrivains de générations différentes ! « A l'avenir,L’Étranger et Meursault, contre-enquête se liront tel un diptyque », prédit Le Monde des Livres (28 juin2014).

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Catégorie "Classe Goncourt"Le 4e prix est attribué à :

Hugo LE BRISÉlève en 1re S au lycée Fulgence Bienvenüe à Loudéac

Pour Constellation d’Adrien BOSC

Hasard ?« Un concours infini de causes détermine le plus improbable des résultats. Quarante-huit personnes,autant d’agents d’incertitudes englobés dans une série de raisons innombrables, le destin est

toujours une affaire de point de vue. Un avion modélisé dans lequel quarante-huit fragments d’histoiresforment un monde » (page 37). Cette citation pourrait à elle seule résumer ce roman.

Constellation, ou comment Adrien Bosc, dans ce premier roman, nous amène à lier ces quarante-huitdestins, ces histoires de vie opposées, certaines remplies de gloire, d’autres plus anonymes, mais qui n’endemeurent pas moins captivantes. Comment un enchaînement de faits aussi insignifiants peut conduire àune fatalité atroce. Dans le roman, Adrien Bosc s’attache à délier ces destins confondus.

Nous sommes le 27 octobre, le nouvel avion d’Air France, le F-BAZN autrement appelé le « Constellation », lancé par l’extravagant M. Howard Hughes, accueille trente-sept passagers. Parmi eux,Marcel Cerdan, le virtuose de la boxe, et Ginette Neveu, la virtuose du violon. Le 28 octobre, au large desAçores, l’avion ne répond plus. Il est retrouvé carbonisé le lendemain matin, aucun survivant.

Dès les premiers chapitres, on comprend que l’histoire est narrée sous forme d’alternance, entredéroulement du vol jusqu’au déroulement de l’enquête, mais un chapitre sur deux brosse le portrait d’un destrente-sept passagers de l’avion, du plus connu Marcel Cerdan, à celui de ces bergers basques partis vivreleur rêve américain. Il ne faut pas oublier les onze membres de l’équipage, parmi eux Jean de la Noüe,ancien de l’aéronaval et pilote chevronné.

Ce roman entre fiction et réalité découle des nombreuses recherches documentaires de l’auteur qui estlui-même archiviste. On sent au fil des pages que l’auteur s’est véritablement pris de passion, voired’obsession pour cette histoire. Adrien Bosc sentira même le besoin, soixante-quatre ans plus tard, de serendre sur les lieux du crash, afin de faire revivre dans son imagination ces quarante-huit hommes etfemmes, que le destin a rassemblés malgré leurs différences. Il pense aussi au fil des pages à ceux qui ont vuleur destin lié à cette tragédie, en commençant par les trois personnes qui, de par le droit de priorité duchampion, ont vu leur billet annulé. Il évoque la célèbre chanteuse Edith Piaf, l’amante de Marcel Cerdanqui a vu que son impatience de le revoir pouvait lui être tragique. Il parle de Margarête Froehemel, qui sesuicida à l’annonce de la mort de Ginette Neveu, son idole.

Dans ce roman, Adrien Bosc fait donc revivre ces personnages que le temps a oubliés, même si à forcede vouloir tout lier, tout analyser, Adrien Bosc a tendance à nous perdre, à faire intervenir peut-être tropd’éléments. L’histoire n’en demeure pas moins captivante.

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Catégorie "Classe Goncourt"Le 5e prix est attribué à :

Camille LEBOSSÉÉlève en 1ère L, au lycée Sévigné à Cesson Sévigné

Pour Karpathia de Mathias MÉNÉGOZ

Bon pour une escapade pittoresque... en Transylvanie !

Karpathia : un roman-fleuve de exactement 697 pages, dont l'intrigue prend place en Transylvanieet traite du meltingpot social de cette dernière au XIXe siècle. Il faut bien avouer qu'à la lecture decette description, ce premier roman de Mathias Ménégoz, scientifique de formation, n'est pas

particulièrement alléchant. Détrompez-vous, car les personnages complexes et attachants, les énigmeshaletantes et les nombreuses batailles aussi épiques que sanglantes font de Karpathia un véritable romand'aventure et vous feront oublier le nombre (assez conséquent, il faut bien l'avouer) de pages que vous aurezà tourner.

L'intrigue du roman est la suivante : en 1833, Alexander Korvanyl, comte et capitaine dans l'arméeautrichienne, quitte ses fonctions pour rejoindre avec Cara, sa jeune épouse, son château de Transylvaniedepuis longtemps déserté par sa famille. Là-bas, il découvre un territoire peuplé de différentes ethnies, deserfs qui ne parlent pas la même langue et n'ont pas les mêmes coutumes. Il devra faire face aux difficultésliées à ces différences et aux terribles événements qu'elles vont engendrer, ainsi qu'à une mystérieuseorganisation dont le but est de l'éliminer.

Le style de Mathias Ménégoz, fluide comme de l'eau, simple mais truffé de métaphores et dedescriptions, procure à nous-autres lecteurs une lecture agréable et sans accroc. On y découvre les paysagessomptueux d'une région du monde méconnue où, encore aujourd'hui, on « croise plus de charrettes tiréespar des chevaux que de véhicules à moteur », dixit l'auteur lui-même. Il confie également que ce sont cettebeauté et l'aspect très singulier de la Transylvanie, découverts durant un voyage, qui l'ont fasciné et l'ontpoussé à faire évoluer le comte Korvanyl, Cara, les serfs Valaques, Magyars et Saxons, la belle Auranka et lestrès nombreux personnages de son roman dans ce pays reculé. Cette fascination est traduite dans sesdescriptions : « La lumière s'accordait parfaitement avec le relief » ; « Ils pouvaient voir les vallées du lac,les collines environnantes, et au-delà, toute l'étendue de la moitié nord des domaines, la partie la plussauvage et montueuse. »

Cependant, malgré tous ces éloges, il me faut aborder les (rares) points négatifs de Karpathia, car,nous devons nous l'avouer, le récit parfait n'existe pas. Et de toute façon, comme l'a dit Einstein, tout estrelatif, la perfection est donc extrêmement subjective. Pour revenir à Karpathia, le récit souffre delongueurs non négligeables. En effet, la première partie du livre, qui concerne la rencontre et le mariaged'Alexander et Cara, ainsi que leur voyage vers la Transylvanie et leur installation au château, est beaucoupmoins trépidante que la deuxième, où tous les rouages de l'intrigue se mettent en place, et on sesurprendrait presque à vouloir sauter des passages (c'est mal!). De plus, la grande quantité de personnages,aux noms transylvains pour certains imprononçables, nous perd un peu et nous oblige parfois à retournerquelques pages en arrière pour nous rappeler l'identité dudit protagoniste.

Mais Karpathia reste, en somme, un excellent roman d'aventure et d'histoire, à l'intrigue singulièreet très bien menée. Avis aux courageux !

Pour clore cette critique, je vous propose une petite expérience exotique : essayez de lire à voix hautele nom de la première compagnie de navigation créée sur le Danube en 1932, déniché dans le roman, parmide nombreux mots barbares : Donaudampfschiffarhtsgesellschaft. Bon courage !

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