contrôle des armes à feu
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Le contrôle de la circulation illicite des armes à feu
Problème régional-depuis la colonie-la doctrine de Monroe-le trafic des drogues illicites
L'évaluation de la ICG
Origines des armes en circulation en HaïtiFAd'H + MiliceDisposition constitutionnelleContrebandeArmes artisanales ou créolesPNH
Le problème des agences privées de sécurité
Pistes de solutionSimplification de la procédure d'enregistrementMeilleur contrôle des agences privéesRestriction des permis de port.Importation et vente exclusive par une institution autonome d'État intégrant des membres de la société civile.Exigence d'une expertise minimaleCalibres et modèles exclusifs aux forces publiquesFront diplomatique Sud
Un défi régional
Le trafic des armes à feu et leur circulation illicite est par nature même un problème régional
voire mondial. Après tout, il s'agit d'échanges, de commerces, dans le sens noble de ces
activités comme dans ses versions les plus perverses. Dès le début de la colonisation
européenne de “notre Amérique”, le trafic a été au coeur de cette extraordinaire et terrible
aventure: échange de produits américains contre ceux des métropoles européennes, mais
également d'êtres humains capturés jusque sur les côtes africaines. En somme, notre région
et nos sociétés ont été littéralement façonnées par les premiers balbutiements de la
mondialisation et leur cortège de violence.
Déjà à cette époque, à côté des échanges imposés par les métropoles, légaux quoique
illégitimes, la contrebande a su contourner les barrières étatiques ou opérer avec la
complaisance des autorités coloniales.
L'émergence des USA, comme nouveau colosse d'abord hémisphérique puis mondial, a
poursuivi cette unification forcée de notre partie du monde. La doctrine de Monroe, les
occupations militaires qui étaient leur logique conséquence ont contribué à accélérer cette
dynamique. Elle a été parachevée par les bonds technologiques qui ont affecté les transports,
la communication, la productivité et la capacité de projection de la puissance militaire très loin
des frontières des puissances néocoloniales.
Nous sommes aujourd'hui placés devant cette réalité souvent déplaisante qui a fait de notre
monde un “village global”, mais qui a gardé ses criantes inégalités, ses beaux quartiers et ses
terrifiantes et gigantesques poches de misère infra-humaine où le respect de l'autre n'en finit
pas d'agoniser; ces communautés luxueuses barricadées et paranoïaques et ces banlieux et
bidonvilles où la violence est banale.
La réponse effective aux dérives nocives de cette globalisation ne saurait être un retour à un
isolationisme illusoire et voué à l'échec ou la mise en quarantaine des nations ou des
groupes les plus vulnérables, mais plutôt une solidarité, non plus fondée uniquement sur des
principes moraux, mais plutôt sur la nécessité de s'adapter à ce nouvel environnement, seule
garantie de notre survie.
Le cas spécifique d'Haïti
Il est indéniable qu'il existe en Haïti, comme d'ailleurs dans nombre de pays de la région une
circulation illicite d'armes à feu qui accompagne et alimente une montée de la criminalité et
de la violence.
Il importe de rappeler que ce pays a été le théatre d'une guerre de libération particulièrement
violente et qui a pour longtemps convaincu les nouveaux citoyens que l'indépendance, la
liberté et les armes étaient indissolublement liées. Les menaces que les puissances
coloniales et esclavagistes de l'époque ont exercées sur la nouvelle nation pendant tout le
19ème siècle, et à vrai dire presque tout au long de sa brève histoire, ont contribué à
renforcer cette conviction.
Malheureusement, cette conception a également eu des conséquences néfastes sur la vie de
la nouvelle nation. Tout d'abord, elle a conduit à la monopolisation de la politique haïtienne
par une caste militaire, peu apte à l'administration et résumant la politique à un rapport de
forces armées. Très vite la nécessité de défendre l'indépendance contre une agression
externe a dégénéré en une tendance à trancher systématiquement par les armes, les
divergences et contradictions internes, quelque soit leur nature. Nul doute que cette tendance
a servi de prétexte à dépeindre Haïti et son histoire comme particulièrement, voire
pathologiquement, violentes et chaotiques. Bien que ce ne soit pas le thème de notre
intervention, nous tenons à préciser que cette affirmation ne résiste pas à la plus sommaire
analyse historique.
La naissance des nations est toujours un processus lent, malheureusement marqué par la
violence et le tumulte. Il suffit pour s'en convaincre, d'examiner celles des états-nations de
l'Europe. En vérité, même si l'on fait commencer l'Histoire au début du 19ème siècle, il
apparait clairement qu'en matière de violence interne ou d'agression, notre pays se classerait
loin derrière ceux qui prétendent lui donner des leçons.
Il reste néanmoins que les malheurs de la population haïtienne trouvent en grande partie leur
origine dans l'instabilité permanente provoquée par cette conception de la politique comme
rapport de force armée. Les fractures internes résultant de cette conception ont été
indéniablement à l'origine de la honteuse capitulation des dirigeants haïtiens face à la
ahurissante exigence de la France du paiement de “la dette de l'Indépendance”. Elles
expliquent également les nombreuses humiliations infligées à notre pays par la politique des
cannonières pratiquées par certaines puissances européennes, ainsi que les pertes de
souveraineté inaugurées par l'occupation américaine de 1915-1934. Car jamais, il importe de
le rappeler, Haïti n'a été occupée suite à une défaite militaire “classique”. Mais là encore,
l'histoire d'Haïti n'a rien d'exceptionnelle ou de singulière, elle confirme une règle universelle
selon laquelle toute nation divisée s'effondre et s'ouvre à la domination étrangère.
Toujours reste-t-il, que depuis sa naissance et jusqu'à l'aube du 20ème siècle, Haïti a été une
nation en armes: de la machète du cultivateur, jusqu'aux canons des généraux et autres
seigneurs de guerre, en passant par les armes à feu détenues par les citadins et les multiples
factions politiques, aucun citoyen ne se concevait désarmé.
La première occupation américaine
Le 19 juillet 1915, les fusillers-marins américains (US Marines Corps) envahissent Haïti et
l'occupent pratiquement sans faire face originellement à une résistance armée. Le délitement
de la cohésion nationale et l'éclatement de la glorieuse armée indigène de libération en
d'inombrables factions luttant pour le pour un pouvoir central désormais illusoire, rendaient
une telle résistance impossible, face à un ennemi dont la puissance de feu avait d'ailleurs
depuis longtemps dépassé celle des forces locales.
Évidemment, la première mesure de l'armée d'occupation a été le désarmement et la
dissolution des forces publiques nationales. Très vite a suivi la saisie des armes détenues par
la population. Puis dans un mouvement, connu par toute notre région, une résistance armée
à l'occupant a pris naissance, essentiellement dans la population paysanne. Celle-ci
réagissait viscéralement à une présence militaire occidentale longtemps crainte et détestée,
mais également à l'accaparement de ses terres et l'introduction d'un travail forcé institué par
l'occupant et rappelant le temps honni de l'esclavage.
Pour faire face à cette résistance, les forces d'occupation allaient déployer une double
stratégie, bien connue des pays de notre région, mais universellement appliquée aux quatres
coins du globe. D'abord une répression féroce, exercée par les forces étrangères elle-
mêmes, puis la création d'une force de supplétifs locaux, chargée de les accompagner puis
de les remplacer dans la subjugation et l'asservissement de la population nationale. Les pays
de “notre Amérique” reconnaîtront tous cette méthode, communément subie, de Cuba au
Nicaragua. Elle n'est cependant pas très différente de celle appliquée dans d'autres parties
du monde et notamment en France pendant l'occupation nazie, avec la création des milices
de Vichy.
Haïti post-occupation
Après le départ officiel des Marines, en 1934, la nouvelle puissance tutélaire acouchée par la
doctrine de Monroe, allait poursuivre ses objectifs en laissant dan son sillage et en héritage,
une force dite nationale, dont le rôle n'était pas fondamentalement différent des occupants
étrangers: maintenir sous contrôle une population jugée rétive et arbitrer la vie politique
haïtienne, au gré de la volonté des dirigeants politiques et économiques du nouvel empire.
Le différents régimes politiques qui se sont depuis succédés dans notre pays allaient tous se
conformer à ce nouveau paradigme, de gré ou de force et avec des nuances et fortunes
diverses.
Cependant, tous allaient poursuivre et compléter au fur et à mesure le désarmement des
citoyens haïtiens. Tout d'abord, les armes d'épaule à canon rayé, tout comme les armes de
poing devenaient l'apanage exclusif de la force publique et unique, héritée de l'occupant. Seul
était laissé à une minorité de citoyens dont l'appartenance sociale ou la proximité au régime,
le privilège de posséder des armes de chasse, sous strict contrôle des autorités militaro-
politiques.
La dictature des Duvalier
Les contradictions font avancer l'Histoire, selon une vérité aujourd'hui admise par tous, mais
qui ne précise pas si ces avancées constituent ou non un progrès. Le régime totalitaire qui
s'installe en Haïti en septembre 1957, avec l'aide fes forces armées, illustre bien cette vérité.
Tout d'abord, François Duvalier s'applique à noyauter cette force, puis à la purger des
officiers hostiles à son régime ou simplement indépendants. Ces purges se réalisent souvent
avec une rare brutalité. Cependant, le dictateur ne conteste pas ouvertement l'hégémonie
américaine, il veut surtout que la force publique soit mise au service de son régime, en
somme qu'elle ait deux maîtres plutôt qu'un. Parallèllement aux purges mentionnées plus
haut, il procède en secret à la mise sur pied d'escadrons de la mort chargés d'éliminer ses
opposants, puis à partir de 1959, à la création officielle d'une milice duvaliériste pour
contrebalancer l'influence de l'armée mise en place pendant l'occupation.
Ces initiatives ne manquèrent pas d'occasioner des frictions parfois sérieuses avec
l'administration américaine. Cependant, jamais elles n'atteinrent le point de rupture. Duvalier
professait et pratiquait un anti-communisme féroce, qui faisait de lui un allié sûr dans la
guerre froide. Celle-ci se déployait partout dans le monde et atteignait une intensité nouvelle
dans notre région avec l'arrivée au pouvoir à Cuba, de Fidel Castro.
Du point de vue qui nous intéresse, il faut souligner le paradoxe qu'en même temps que la
possession et la circulation des armes à feu étaient controllées avec la plus grande rigueur,
leur omniprésence dans la vie politique haïtienne n'avait jamais été si grande, depuis 1915.
En effet, si les citoyens ordinaires ne pouvaient pratiquement plus posséder d'armes à feu,
ces dernières étaient largement distribuées aux milliers de recrues de la nouvelle milice et
aux sbires du régime.
La circulation illicite d'armes était réduite à celle pratiquée par des groupuscules tentant
vainement, mais avec entêtement de renverser par la force un régime qui ne tolérait plus la
moindre opposition démocratique et pacifique.
Il faut noter cependant que durant la seconde phase de la dictature duvaliériste, 1971-1986,
Haïti commença à devenir un point de transit de drogues illicites vers les USA. Ce nouveau
trafic entraîna tout naturellement celui des armes à feu, toutefois sur une échelle plutôt
réduite.
La transition démocratique
Le départ hâtif de Jean-Claude Duvalier pour l'exil, le 7 février 1986, allait créer une situation
nouvelle à tous les points de vue et contribuer comme nous le verrons, à un réarmement mal
controlé de la société haïtienne. Ce réarmement et la circulation d'armes qu'il a entraîné, a
pris des formes aussi diverses que les causes qui l'ont provoqué.
Il faut savoir tout d'abord que la milice duvaliériste a été dissoute dans la plus grande
confusion, sans qu'elle ait été préalablement et systématiquement désarmée. Une bonne
partie de son armement disparate s'est donc retrouvé “dans la nature”, ou plus précisément
entre les mains de citoyens et groupuscules divers.
Il est avéré, que dans tous les pays, les bouleversements politiques affaiblissent pour un
temps plus ou moins long, le contrôle étatique de la sécurité publique et du territoire national.
Il s'ensuit inmanquablement des délits et crimes de toutes sortes et notament des
importations illicites, incluant celle des armes. Il faut également souligner, que profitant d'une
atmosphère socio-politique particulièrement agitée et plus spécialement des luttes intestines
au sein des forces armées, les réseaux internationaux de traficants de drogues ont intensifié
leur activité en Haïti. Tout naturellement, la circulation illicte des armes à feu a connu la
même évolution.
On ne saurait également passer sous silence la ratification, par référendum, de la
Constitution du 29 mars 1987. L'Article 268-1 de cette Constitution stipule en effet que: “Tout
citoyen a droit à l'autodéfense armée, dans les limites de son domicile...” Cet article avait été
inspiré par la tradition historique de citoyenneté armée, à laquelle nous avons déjà fait
allusion, et qui avait été presque totalement éradiquée par la dictature des Duvalier. Un autre
facteur non négligeable dans la rédaction de cet article était l'inquiétude de la minorité
privilégiée face à la bruyante émergence des masses populaires urbaines sur la scène
politique nationale. Toujours est-il, qu'on assista à une augmentation significative de la
circulation des armes à feu, dans un contexte où l'État haïtien pouvait difficilement la
contrôler, compte tenu de l'effervescence politique provoquée par le départ du dictateur.
En l'absence de données statistiques fiables, résultant de la faiblesse des institutions
étatiques, il n'est pas possible d'avancer des chiffres précis sur le nombre d'armes à feu,
licites ou illégales qui circulent aujourd'hui en Haïti. Il est évident cependant que jamais
depuis l'ocupation de 1915, il n'y a eu autant d'armes en circulation dans le pays. Elles
contribuent au sentiment d'insécurité clairement perceptible dans la société haïtienne mais
également à une augmentation bien réelle des meurtres et autres homicides ainsi que à celle
de crimes tels que le kidnaping et aggressions diverses.
Relever le défi sécuritaire posé par cette circulation d'armes, implique de bien en cerner les
contours avant de proposer des pistes de solution tant aux niveaux national que régional.
Origines des armes à feu en circulation en Haïti
Importations par l'État haïtien
Comme dans la plupart des pays de la région, il n'existe pas d'industrie d'armement en Haïti.
Depuis l'Indépendance, et même pendant la guerre de libération, le pays a dû importer les
armes à feu nécessaires à sa défense nationale, comme aux besoins sécuritaires des
citoyens.
Ces armes avaient des origines diverses, mais principalement européenne, jusqu'au début du
20ème siècle. A partir de 1915, les États-Unis sont devenus, et de loin, le principal
“partenaire” d'Haïti, tant du point de vue économique que sécuritaire. Ainsi, la source quasi
exclusive des armes à feu en circulation dans le pays est devenu le grand voisin du Nord.
Ainsi, comme dans de nombreux pays de la région, l'armée américaine a équipé les forces
qu'elle avaient formées dans les pays occupés, avec la partie de son arsenal devenu
désuette.
L'armée haïtienne s'est vue dotée successivement de fusils de guerre Springfield, puis de M1
Garand, de M1 Carbine, ainsi que de mitraillettes Thompson. Les armes de poing étaient soit,
de revolvers calibre 38 pour les hommes de troupes, ou des Colt 45 pour les officiers. Plus
tard, sont arrivés les M14, toujours fournis par les USA.
Durant la dictature de François Duvalier, certaines frictions s'étant développées entre le
régime haïtien et l'administration de Kennedy, Duvalier a dû rechercher d'autres sources
d'armement pour ce qui était devenu “son armée”, mais également pour la milice
nouvellement créée et dont les effectifs étaient beaucoup plus nombreux. Ainsi, des armes
d'origines diverses sont apparues sur la scène locale. Cependant, ces importations
autonomes n'ont jamais été très importantes. La solution généralement adoptée a consisté à
armer les miliciens avec l'équipement des militaires au fur et à mesure que celui-ci était
modernisé. Parallèllement, la campagne de désarmement arbitraire des citoyens a également
permis d'alimenter la milice avec les armes confisquées.
A la mort de François Duvalier, son fils Jean-Claude, lui a succédé comme Président-à Vie.
Les frictions de l'administration américaine avec le régime haïtien s'étaient grandement
atténuées avec la disparition de Kennedy. On était alors en pleine guerre froide, les États-
Unis s'engageaient de plus en plus dans la guerre du Vietnam et la dictature haïtienne se
montrait un allié particulièrement dévoué dans la lutte anti-communiste et anti-populaire, ce
qui correspondait parfaitement à la politique américaine du moment.
L'arrivée de Jean-Claude Duvalier à la présidence allait confirmer la tendance à l'amélioration
des rapports entre les deux gouvernements. Un des résultats de cette amélioration a été une
nouvelle vague d'importation d'armes à feu par le régime haïtien. Ces armes ont été
acquises, soit directement des États-Unis, soit de pays alliés à la puissance nord-américaine
et avec l'approbation de celle-ci. La milice ainsi que les forces armées ont été équipées de
fuils de guerre FAL, de fusils d'assaut Galil et M16 ainsi que de pistolets-mitrailleurs Uzi et de
pistolets semi-automatiques Taurus.
Les armes précédentes n'ayant pas été détruites, ces nouvelles acquisitions ont
considérablement augmenté la taille de l'arsenal disponible en Haïti, ainsi que son caractère
disparate.
Suite au coup d'État militaire de 1991 contre le Président Aristide, l'armée américaine
mandatée par les Nations Unies a de nouveau occupé Haïti en 1994, entraînant la
débandade des Forces Armées d'Haïti et des groupes paramilitaires qu'elles avaient mis sur
pied pendant les 3 ans du coup. Cependant, si les armes et équipements lourds des militaires
Haïtiens, sont rapidement passées sous contrôle américain et ont été ensuite détruites, cela
n'a pas été le cas pour les armes individuelles, en dépit des déclarations rassurantes des
autorités d'occupation. Il est vrai qu'un désarmement systématique était difficile vu l'absence
d'un inventaire sérieux de l'arsenal accumulé pendant des décennies par les gouvernements
haïtiens successifs.
Progressivement, l'armée haïtienne a été vidée de ses effectifs et une partie de ceux-ci a
intégré la Police Nationale Haïtienne nouvellement créée. La PNH a également hérité de
certaines des armes à feu précédemment détenues par les militaires. Il faut noter, que
beaucoup de ces armes (fusils de guerre et d'assaut) étaient peu adaptées à des missions de
police. Mais, comme au lors du démantèlement de la milice en 1986, beaucoup de ces armes
ont servi à constituer des arsenaux clandestins ou ont intégré un marché parallèlle et illégal. A
preuve, l'État haïtien s'est trouvé forcé d'importer de nouvelles armes de poing pour
compléter l'équipement de la police haïtienne. Ceci a contribué à augmenter de nouveau le
nombre et la diversité des armes à feu en Haïti.
Notons également que pendant les années du coup, des armes ont été illégalement
importées par le régime de facto et ses alliés locaux en contournant l'embargo imposé par les
pays membres de l'OEA.
Importation par des groupes ou individus
La transition inaugurée par le départ de Jean-Claude Duvalier, allait se révéler tumultueuse et
souvent violente. Elle entraînait en même temps l'apparition d'une véritable obsession
sécuritaire chez beaucoup de citoyens haïtiens. Ceux-ci jugeaient la force publique officielle
incapable de garantir la sécurité de leur vies et de leurs biens et ont donc décidé d'assurer
leur propre protection armée. Ils pouvaient invoquer le droit à l'autodéfense consacré par
l'Article 268-1 de la Constitution de 1987. Les plus favorisés par leur fortune ou leurs relations
avec le pouvoir en place, ont généralement importé des armes à feu avec l'autorisation des
militaires haïtiens et ont obtenu de ceux-ci des permis de port d'arme.
Mais de nombreux citoyens honnêtes, ont préféré importer clandestinement leurs armes, soit
pour contourner les tracasseries bureaucratiques soit pour éviter de payer les frais souvent
élevés et arbitraires associés à l'importation légale et à l'enregistrement des armes à feu.
Beaucoup craignaient également que les armes déclarées et enregistrées par l'autorité
publique, ne fasse l'objet de confiscations subséquentes, comme cela avait été le cas sous
les Duvalier. La grande majorité de ces armes provenaient des USA, en exploitant le laxisme
des lois américaines sur l'achat et la possession des armes à feu. Celles-ci étaient achetées
légalement par des parents ou amis de la diaspora haïtienne, puis exportées clandestinement
vers Haïti, souvent après avoir été camouflées dans des articles parfaitement anodins.
A partir de 1986, un nouveau phénomène est apparu en Haïti: les agences privées de
sécurité. L'opinion publique haïtienne s'est unaniment élevée contre la création de ces
organisations qui faisaient rennaître les traumatismes subis sous le règne de la milice
duvaliériste. Mais après le tollé initial provoqué par la tentative de création de la première
agence, le gouvernement militaire installé après le départ de Duvalier, a profité de la baisse
de la vigilance populaire, pour autoriser discrètement la formation de ces entreprises. Dès le
début, le contrôle de l'État sur les agences privées de sécurité a été très inefficace.
Originellement, le personnel de ces agences n'était autorisé à utiliser que des fusils de
chasse de calibre 12 ou des revolvers de calibre 38. Très vite cependant, certaines agences
ont pu se doter de fusils d'assaut et de pistolets-mitrailleurs ou semi-automatiques, souvent
illégalement achetés à la force militaire. De 1986 à nos jours, le nombre de ces entreprises a
augmenté de façon exponentielle et elles font aujourd'hui partie du paysage sécuritaire
haïtien. Toujours est-il, qu'elles ont contribué à l'importation et donc à la circulation légales ou
non des armes à feu dans notre pays.
Par ailleurs, un climat socio-politique fiévreux s'étant installé dans le pays durant la longue
transition démocratique, l'État haïtien a vu diminuer ses capacités de contrôle tant sur les
frontières maritimes, terrestres et aériennes que sur la sécurité publique à l'intérieur du
territoire dont il avait la charge. Le transit de drogues illicites à travers Haïti n'a cessé
d'augmenter et avec lui le trafic illicites des armes à feu. Les réseaux transnationaux de
trafiquants ont systématiquement alimenté leurs divers associés locaux pour que ceux-ci
puissent afronter leurs concurants aussi bien que les forces de l'ordre locales. Des armes
nouvelles ont fait leur apparition en Haïti, notament des fusils d'assaut AK-47 et des pistolets-
mitrailleurs MAC. Ces armes n'avaient jamais été en dotation dans la force publique
régulière, ni dans la milice. Ainsi, un nouveau réseau d'importation, ayant pour origine la
région caraïbéenne et l'Amérique du Sud, s'est progressivement mis en place.
En même temps on a assisté à une montée générale de la criminalité et de l'incivisme et de
nombreux gangs armés se sont constitués dans l'ensemble de la société, mais
particulièrement dans les bidonvilles greffés sur les centres urbains principaux et surtout Port-
au-Prince. Intégrant presque exclusivement de jeunes hommes déshérités et déseuvrés, ces
nouvelles organisations criminelles se sont lancées dans des activités délictueuses diverses:
rackets, assassinats, vols et cambriolages à mains armée et plus récemment le kidnapping.
Dans tous les cas, les armes à feu obtenues de manière illégale ou criminelle ont joué un rôle
prépondérant. Évidemment, elles ont été également employées dans les nombreux
règlements de compte entre les gangs, contribuant non seulement à ensenglanter les
communautés infestées par ces groupes mais également à établir dans l'ensemble de la
population un sentiment généralisé d'insécurité.
La production locale
La population haïtienne est constituée très majoritairement de pauvres, incapables d'exercer
leur droit constituionnel à l'auto-défense armée par l'importation ou l'acquisition d'armes
régulières. Pour autant, cette frange de la population subissait en première ligne les
conséquences de l'augmentation de la criminalité et a tenté de s'en protéger. Ainsi est née
une production locale et artisanale d'armes à feu dites “créoles” qui en plus des armes
importées ont alimenté la circulation illégale d'armes à feu. En vérité, à côté de ces citoyens
hônnètes, des petits délinquants se sont également approvisionés sur ce nouveau marché.
La question de ces armes créoles improvisées, mérite qu'on s'y arrête. Si la pratique de leur
fabrication continuait à se généraliser, elle représenterait une menace sérieuse à la sécurité
publique. Tout d'abord parce que si leur fiabilité est douteuse, leur léthalité ne peut être
contestée, d'ailleurs autant pour leurs utilisateurs que pour leurs cibles éventuelles. Ensuite,
elles sont par définition impossibles à enregistrer et difficiles à contrôler par l'autorité
publique, car ne comportant ni numéro de série, ni même de marque de fabrique. Ces armes,
présentées par certains comme “démocratiques” posent un défi non négligeable à la sécurité
publique.
La circulation interne d'armes à feu
Peu importe leurs origines diverses, mentionnées plus haut, toutes ces armes ont intégré la
circulation interne des armes à feu.
C'est une vérité établie, que plus le nombre d'armes à feu est élevé, plus augmente la
difficulté pour un état même dictatorial d'en contrôler la circulation, leurs échanges légaux ou
non, et les incidents violents auquels ces armes sont associées.
Dans le cas d'Haïti, cette tendance allait connaître une forte intensification avec les
bouleversements socio-politiques enclenchés par le départ de Duvalier le 7 février 1986, le
délitement progressif de l'État haïtien et l'augmentation du transit illicite des drogues.
Par ailleurs, la chute du Président-à-Vie, ouvrait ipso facto la course au pouvoir politique. Les
organisations, partis, groupes et associations dont le fonctionnement et la création avaient
été durement réprimés pendant trois décennies, se sont mis à pousser comme des
champignons. Si la plupart de ces groupes voulait atteindre leurs objectifs de manière
pacifique, quelques uns continuaient à adhérer au principe du rapport de force armé et se
sont illégalement équipés à cet effet. Il faut également souligner de nouveau, que la milice
duvaliériste avait été démobilisée du jour au lendemain, sans que ses armes aient été
systématiquement confisquées et sécurisées. Certaines de ces armes sont restées aux
mains des ex-miliciens, d'autres se sont retrouvées dans les circuits de trafic illégal d'armes à
feu.
Plus grave encore du point de vue de la sécurité publique, les militaires haïtiens ont renoué
avec leur tradition d'immixion dans la vie politique. Diverses factions au sein de l'armée,
souvent fondées sur les différentes garnisons contrôlant la zone métropolitaine de Port-au-
Prince, se sont lancées dans des lutte intestines ouvertes ou larvées, au gré des ambitions
personnelles de leurs commandants ou des alliances nouées par eux avec des politiciens
civils locaux. Ainsi, le bataillon des casernes Dessalines, la Garde Présidentielle, la Police de
Port-au-Prince et la force anti-guérilla des Léopards se sont affrontées pendant des jours,
dans ce qui aurait pu être qualifié de guerre interne, plutôt que civile. Les perdants de cette
confrontation ont abandonné armes et uniformes dans les rues ou en ont négocié la vente
aux plus offrants.
Quoi qu'il en soit, les divers épisodes évoqués plus haut, ont contribué à réarmer la société
haïtienne de manière incontrôlée et augmenté significativement le climat et le sentiment
d'insécurité qui prévalent aujourd'hui dans le pays.
La situation actuelle
Les armes à feu sont aujourd'hui très présentes sur la scène nationale et la capacité du
contrôle de leur circulation illicite par l'État n'a fait que diminuer. Les quelques tentatives de
désarmement par le régime du Président Aristide, la MINUSTAH et l'administration Préval
sont restées bien en deçà du défi posé par cette circulation.
Le sentiment d'insécurité des citoyens et l'augmentation bien réelle de la criminalité associés
à cette omni présence des armes à feu préoccupent la population haïtienne. De nouveaux
gangs armés ne cessent d'éclore, souvent galvanisés par l'intégration des déportés des USA
et du Canada. Ces gangs ont leurs propres agendas, mais sont souvent instrumentalisés par
les réseaux internationaux du trafic de drogues et des opérateurs politiques locaux. Leurs
activités criminelles se sont grandement diversifiées, pour inclure notament le kidnapping,
jusque là inconnu en Haïti et qui induit une véritable paranoïa dans la société. En outre, les
grands réseaux de kidnapping comptent souvent dans leurs rangs des membres de la Police
Nationale, ce qui contribue à alimenter la méfiance de la population envers l'unique force
publique chargée de la protéger.
Le pouvoir judiciaire haïtien a sans doute été le plus affecté par les trois décennies de la
dictature duvaliériste et les années chaotiques qui ont suivi sa chute. Résultat: l'impunité
règne quelle que soit la nature des crimes que les tribunaux avaient pour devoir de
sanctionner. On achète son innocence, les évasions de condamnés se multiplient. Les lois de
la République sont désuètes et ne peuvent en conséquence gérer la nouvelle réalité
nationale, qu'il s'agisse du trafic des drogues, du blanchiement d'argent, de l'enrichissement
illicite et autres crimes financiers ou du trafic des armes à feu. Les citoyens continuent de
croire qu'ils doivent eux-mêmes se défendre face à la montée de la criminalité et s'arment de
plus en plus et le plus souvent de manière illégale. Cette approche contribue à alimenter le
problème de l'insécurité au lieu de le solutionner de manière durable.
Faute d'apporter une réponse systématique au problème posé par la circulation des armes à
feu, Haïti va connaître une évolution inexorable vers plus de violence et plus de criminalité.
Pistes de solution (niveau national)
International Crisis Group a estimé à 200.000 le nombre d'armes à feu en circulation en Haïti.
Nous avions initialement considéré cette estimation comme exagérée. Bien que ne disposant
toujours pas de statistiques nationales fiables, nous estimons aujourd'hui ces chiffres
raisonables, voire sous-estimant l'étendue du problème. Il ne saurait être résolu sans un
inventaire le plus exhaustif possible des armes enregistrées auprès de l'État haïtien.
Armes détenues par les institution étatiques.
Il est simplement intolérable que l'État haïtien ne dispose même pas d'un registre fiable et
constamment mis à jour des armes à feu mises au service de la force publique. Compte-tenu
du caractère disparate de l'arsenal accumulé par l'État depuis 1915, cet inventaire est certes
difficile mais loin d'être impossible. Après tout, le parc de véhicules automobiles circulant sur
les routes nationales est plus important et tout aussi disparate; il est pourtant assez
adéquatement géré par les institutions étatiques. Un système analogue devrait être
rapidement mis en place pour inventorier en premier lieu les armes importées et détenues par
l'État haïtien, faute de quoi le contrôle de la circulation illicite des armes à feu restera une
illusion dangereuse.
D'autre part, renouant avec la tradition de leurs prédécesseurs militaires, les policiers haïtiens
se croient autorisés à importer, acquérir et porter le nombre et le type d'armes à feu qui leur
plait. Ainsi par exemple, des armes confisquées au cours de fouilles ou de perquisitions, sont
illégalement incorporées dans l'arsenal personnel des policiers impliqués. Ces armes à feu
alimentent un trafic illégal à destination des citoyens honnêtes, mais également des gangs
criminels opérant dans le pays. Tout comme celui de la drogue, ce commerce illicite contribue
à la corruption de la police nationale.
Exception faite de l'arme de service, propriété de l'État, le policier doit être astreint aux
mêmes procédures que tous les citoyens pour acquérir et porter des armes à feu. De même,
les policiers ne devraient pas porter et utiliser des armes de guerre (fusils d'assaut et
pistolets-mitrailleurs) à moins qu'ils n'appartiennent à des unités spécialisées comme l'Unité
de Sécurité Présidentielle, l'Unité de Sécurité Générale du Palais National, ainsi que les
équipes du S.W.A.T. et du C.A.T. L'Inspection Générale de la Police Nationale devrait veiller
au strict respect de cette réglementation par les agents de police.
Il faudrait également opérer progressivement la standardisation de l'armement de la Police
Nationale. Le caractère disparate de cet arsenal pose de sérieux problèmes logistiques et
facilite les échanges illicites. Idéalement, un modèle et un calibre unique devrait être choisi
pour équiper exclusivement les forces de police. Les citoyens ordinaires ne seraient plus
autorisés à posséder ce modèle d'armes de poing. Cette opération serait coûteuse à n'en pas
douter et sa réalisation exigerait une planification rigoureuse. Cependant ces coûts et ces
efforts seraient à notre avis amplement compensés par la réduction des problèmes
logistiques et du trafic illicite des armes.
Armes détenues par les agences privées de sécurité
Nous avons mentionné le climat de désordre dans lequel la privatisation de la sécurité s'est
développée en Haïti. Les agences privées ont poussé comme des champignons et leur
effectif dépasse aujourd'hui celui de la police nationale. Leurs activités se sont également
diversifiées en même temps que leur armement. Originellement ces agences avaient pour
seule fonction la protection statique des établissements commerciaux et des banques. Elles
étendent maintenant leurs activités aux résidences privées, au convoyage de fonds, aux
organismes autonomes de l'État, aux ambassades et même aux écoles. De même est né le
rôle de gardes-du corps, accompagnant les nantis et même les cadres de la fonction publique
dans leurs déplacements. L'État haïtien n'exerce qu'un faible contrôle sur les effectifs de ces
agences privées, la source de leur armement et la formation de leur personnel. Tout se passe
comme si le simple fait d'être armés pouvait compenser leur manque éventuel de
compétence à remplir leurs fonctions dans le respect de la sécurité publique et des droits des
citoyens.
En fait, les autorités nationales devraient vérifier et sanctionner par un certificat, la qualité de
la formation donnée aux agents par les compagnies de sécurité. Les exigences devraient être
particulièrement élevées pour les gardes-du-corps, qui par la nature de leur travail sont
appelés à cotoyer la population. Tout excès de zèle ou maladresse de leur part pourrait
entraîner de graves dommages collatéraux. L'État devrait également limiter le nombre
d'armes détenues et déployées par les agences, car certaines des tâches de protection
qu'elles remplissent peuvent fort bien être assurées avec un équipement non-léthal.
Armes détenues par les particuliers
Nous l'avons précédemment indiqué, le climat d'insécurité, l'instabilité socio-politique et le
manque de confiance dans l'efficacité de la force publique, ont conduit de nombreux citoyens
à se prévaloir de leur droit constitutionnel à l'auto défense armée. En conséquence, le
nombre d'armes à feu détenues par les citoyens a connu une augmentation fulgurante depuis
1987.
On peut s'interroger sur la sagesse de l'inscription de l'Article 268-1, dans la Charte
Fondamentale: une société plus armée est-elle nécessairement une société plus sûre ?
Toujours est-il, que malheureusement, l'État haïtien ne s'est pas doté des instruments légaux
et institutionnels pour gérer rationnellement la nouvelle réalité créée par la ratification de cet
article. La détention d'armes à feu est sujet à simple déclaration à la police alors que l'Article
devrait stipuler l'enregistrement de l'arme auprès d'une institution créée à cet effet. Cette
déclaration devrait comporter la marque, le type, le calibre de l'arme ainsi que son numéro de
série. Ainsi, les autorités haïtiennes pourraient constituer une banque de données décrivant
les armes légalement détenues par les citoyens et identifiant leurs propriétaires, tout comme
cela se fait pour les véhicules.
Dans la situation actuelle, il n'existe toujours pas de loi sur les armes à feu. Ne sont précisées
ni les conditions à remplir pour posséder de telles armes, ni pour être autorisé à les porter. De
même, les lois sont encore muettes sur la possession d'armes non-enregistrées, d'armes
illégales ou non autorisées ou l'utilisation d'armes à feu dans la perpétration de crimes. Le
vote et l'application d'une telle loi est une priorité qui a été jusqu'ici totalement ignorée par les
pouvoirs haïtiens.
Tout devrait être mis en oeuvre pour faciliter et encourager l'enregistrement des armes à feu
par les citoyens honnêtes qui les détiennent. Adoptant une approche contraire, la Police
Nationale a établi une procédure inutilement compliquée pour cet enregistrement. Tout
d'abord il importe de rappeler que dans un régime démocratique la police n'est nullement
habilitée à édicter des règlements mais seulement à en assurer le respect par les citoyens.
Ensuite, de nombreux citoyens ont été rebutés par les tracasseries bureaucratiques
imposées par la police et ont préféré ne pas enregistrer leurs armes. D'autres ont choisi de
contourner les lourdes formalités administratives, en payant de fortes sommes à des policiers
véreux, contribuant ainsi à alimenter la corruption au sein des forces de l'ordre.
Il faut noter par ailleurs, qu'aucune exigence de compétence n'est faite aux citoyens qui
veulent posséder une arme à feu, hors il est notoire qu'une arme mal maîtrisée représente un
grand danger pour le propriétaire et son proche entourage mais également pour le public en
général. En vérité, seule la capacité du citoyen à payer détermine le nombre et le type
d'armes qu'il peut acquérir. La loi devrait imposer un apprentissage même sommaire du
maniement sécuritaire des armes à feu comme condition à l'émission du certificat définitif
d'enregistrement.
Si la Constitution établi le droit du citoyen à l'autodéfense armée, elle le circonscrit “dans les
limites de son domicile”. L'État haïtien devrait limiter la circulation des armes, en particulier
celle des revolvers et pistolets, en cessant d'octroyer des permis de port d'arme, sur la simple
base de la capacité de payer du contribuable. Le citoyen désireux d'obtenir une telle
autorisation devrait prouver de manière convaincante la nécessité pour lui de circuler avec
une arme à feu. Il devrait également être tenu de suivre une formation rigoureuse sur l'usage
sécuritaire d'une telle arme et faire la démonstration de sa capacité à l'utiliser de avec
efficacité et discernement.
Pour leur part, les chasseurs devraient en outre faire la preuve de leurs connaissances sur
les saisons autorisées ainsi que le nombre de prises journalières à ne pas dépasser.
Pour terminer, la très sommaire réglementation sur les armes à feu, émise en 1989 par le
gouvernement militaire d'alors, interdit formellement la possession et l'utilisation par les civils
de toute arme pouvant tirer par rafales. Or, en 2004, plusieurs entrepreneurs locaux ont
publiquement demandé à l'État de légaliser les armes de guerre en leur possession. A notre
connaissance, ces déclarations n'ont pas été suivies de la confiscation de ces armes
illégales. Cette situation devrait être corrigée dans les meilleurs délais, faute de quoi on
pourrait assister à des tentatives d'autres secteurs de la société d'acquérir le même type
d'armes. La loi sur les armes à feu devrait confirmer l'interdiction de ces armes, de même que
leurs versions semi-automatiques dites “civile”. La loi devrait également prévoir de lourdes
peines pour la détention de ces armes, dont le danger pour la sécurité publique n'est plus à
démontrer.
Armes détenues par les gangs et autres groupes criminels
Nous avons signalé l'apparition de gangs armés, en particulier dans les bidonvilles de Port-
au-Prince et autres centres urbains. Le phénomène n'est pas exclusif à Haïti, mais affecte
toute la région.
Ces gangs se sont équipés en armes de toutes types et calibres, en exploitant leurs relations
avec les réseaux internationaux de traficants de drogues, mais également en se servant sur
l'arsenal dispersé par la débandade de la milice et des forces armées et en cambriolant les
résidences de citoyens détenant des armes ou en appliquant d'autres types de pressions. A
titre d'exemple, les kidnappeurs exigent souvent que la rançon comprenne des armes en plus
de l'argent liquide.
Ces gangs ont contribué par leur activité criminelle à installer un climat de terreur dépassant
de loin leur capacité réelle de nuisance. Les tentatives de désarmement pacifique de ces
bandes, n'ont eu qu'un succès très limité, malgré la création par le Président Préval d'une
Commission Nationale de Désarmement de Démobilisation et de Réinsertion.
Il est vrai que le problème est complexe et ne saurait être résolu exclusivement par la
répression. Le terroir socio-économique de misère et de désespoir qui a permis l'émergence
de ces gangs et leur prolifération doit être progressivement transformé. La méfiance envers
l'État qui règne dans les communautés où ces groupes criminels s'incrustent, doit être
combattue par une politique de communication systématique, mais également par des
initiatives visant à faire reculer la misère dans ces bidonvilles et à responsabiliser leur
population afin qu'elle participe au contrôle de son environnement.
Cependant, il faut reconnaître que persistera toujours une criminalité résiduelle, qui exigera
d'être combattue et désarmée par une action décidée et systématique des forces de l'ordre.
Au nombre des groupes armés dont il faut réduire la capacité de nuisance, il faut également
compter les prétendus “combattants de la liberté” qui ont participé à la déstabilisation puis au
renversement du second régime de Jean-Bertrand Aristide. A notre connaissance ces
groupes n'ont pas rendu leurs armes et gardent encore la possibilité d'initier de nouvelles
aventures politiques armées.
Contrôle étatique de l'importation et de la vente des armes à feu
Il faut envisager la création d'un organisme d'État ayant l'exclusivité de l'importation et de la
vente des armes à feu et de leurs munitions. Une telle mesure provoquerait certainement une
opposition d'une partie des citoyens qui se rappelle encore les dérives et exactions de la
dictature duvaliériste. Il est vrai que le danger existe qu'un tel organisme devienne un
instrument de favoritisme et de corruption. Cependant, si les Haïtiens acceptent de faire
confiance aux autorités nationales pour l'équipement des forces de l'ordre en armes de
guerre, ils devraient également accepter la solution présentée plus haut. Des balises peuvent
être mises en place pour parer aux éventuelles dérives. Un certain contrôle de la société
civile sur cet organisme peut être envisagé. Le même organisme serait chargé d'administrer
le registre national des armes à feu.
Solutions régionales
Nous avons indiqué dès le début, le caractère régional du défi posé à nos sociétés par le
trafic et la circulation illicites des armes à feu. Aussi, les solutions à ce problème devraient
également être régionales.
Renforcement des contrôles aux frontières
Une des mesures qui s'impose immédiatement à l'esprit est le renforcement des contrôles à
l'exportation et à l'importation. Cependant, une telle approche est rendue difficilement
applicable, à cause de la mondialisation et la libéralisation des échanges commerciaux. On
peut également envisager un meilleur contrôle des fabricants d'armes ainsi que des arsenaux
détenus par les différents états de la région. Cette stratégie va se heurter aux puissants
lobbies industriels, aux réticences des associations de détenteurs d'armes et même aux États
qui entourent généralement leur puissance de feu du plus grand secret.
Harmonisation des réglementations régionales sur les armes à feu
Les différents pays de la région ont des différences marquées, du point de vue historique,
culturel et législatif, en ce qui concerne leur politique de contrôle des armes à feu. Tant que
ces différences subsisteront, un trafic existera des pays où ces lois sont les moins strictes
vers ceux où elles le sont plus. Les barrières tarifaires ou douanières résisteront difficilement
à ce déséquilibre.
Le trafic et la circulation illégales des armes à feu sont aussi dangereux pour la sécurité
publique et la stabilité des états, que celui des drogues, bien que leurs flux soient
généralement inverses. Ils sont étroitement liés et exigent une réponse concertée des nations
menacées par ces deux phénomènes.
Nous avons signalé que la plupart des armes à feu circulant légalement ou illégalement en
Haïti, ont pour origine les États-Unis. C'est également la situation dans la plupart des pays de
la région. Le cas du Mexique est de ce point de vue exemplaire: la grande majorité des armes
à feu utilisées par les cartels de la drogue dans leur effarante campagne de violence,
proviennent des États-Unis. Le Président Calderon a tenté de sensibiliser ses homologues
américains sur ce probléme crucial, mais jusqu'ici en vain. Seul un front uni des pays du Sud
pourra éventuellement influencer l'administration américaine, pour que cesse d'être tolérée
l'interprétation abusive du deuxième Amendement, qui permet l'accumulation incontrôlée
d'armes par les citoyens américains. Ces armes sont non seulement la cause de tragédies
parfois spectaculaires aux États-Unis mêmes, mais nombre d'entre elles alimentent la
violence dans les pays de la région. Une des premières mesures à réclamer de nos
partenaires américains serait le renouvellement du moratoire sur la vente des fusils d'assaut
semi-automatiques totalement impropres à la chasse, au tir sportif ou à l'autodéfense. Le
nombre d'armes à feu autorisé à un seul citoyen devrait être limité.
Les pays du Sud devraient également s'unir pour porter les États-Unis à modifier également
leur politique de prohibition sans nuance des drogues psychoactives, laquelle a un impact
déstabilisateur sur l'ensemble des pays de la région.