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© Ismaël Fournier, 2019 Stratégie américaine et guerre hybride au Vietnam: Les succès contre-insurrectionnels américains et le spectre militaro-hybride qui engendra l'impasse militaire au Vietnam, 1960-1972 Thèse Ismaël Fournier Doctorat en histoire Philosophiæ doctor (Ph. D.) Québec, Canada

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© Ismaël Fournier, 2019

Stratégie américaine et guerre hybride au Vietnam: Les succès contre-insurrectionnels américains et le spectre

militaro-hybride qui engendra l'impasse militaire au Vietnam, 1960-1972

Thèse

Ismaël Fournier

Doctorat en histoire

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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ii

Résumé

La présente thèse porte sur la guerre du Vietnam et les facteurs fondamentaux qui ont

empêché les Forces armées américaines d’enrayer les opérations militaires communistes.

Plusieurs générations d’historiens ont souligné que l’erreur militaire la plus importante des

Américains au Vietnam a été d’adopter un concept d’opération axé sur la guerre

conventionnelle plutôt que de maximiser les opérations de contre-insurrection. Ces mêmes

opérations de contre-insurrection se sont également souvent vues critiquées pour leur

inefficacité à enrayer les opérations de guérilla du Viêt-Cong. Cette thèse va à contre-sens de

ces théories et entend montrer d’une part que les opérations conventionnelles américaines

étaient tout à fait justifiées, voire impératives, au Vietnam. D’autre part, une analyse détaillée

cherchera à démontrer que la contre-insurrection n’a nullement été la cause de l’échec

militaire américain et qu’en fait, elle a été très efficiente et engendra une défaite du Viêt-

Cong. Cette thèse suggère que les insuccès américains à préserver la République

démocratique du Vietnam ont été la résultante du concept d’opération communiste qui

maximisait les bases d’une doctrine offensive de nature hybride. Ce modus operandi hybride

avait pour caractéristique la synergie des opérations d’insurrection du Viêt-Cong avec les

opérations conventionnelles des forces régulières de l’Armée nord-vietnamienne, appuyées

par le réseau logistique complexe des communistes. Par sa synergie, ce concept a provoqué

un effet domino qui frappa en succession les éléments militaires, politiques, économiques,

médiatiques et sociaux des États-Unis. Au combat, l’impuissance des Américains à contrer

ce procédé offensif a été la conséquence de leur inhabilité à briser la synergie du système

hybride communiste, c’est-à-dire l’isolement et la destruction des éléments conventionnels,

insurrectionnels et logistiques de l’effort de guerre communiste.

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iii

Table des matières

Résumé ................................................................................................................................... ii

Table des matières ................................................................................................................ iii

Liste des figures ..................................................................................................................... iv

Liste des Annexes .................................................................................................................. vi

Liste des acronymes ............................................................................................................. vii

Avant-Propos .......................................................................................................................... x

INTRODUCTION .................................................................................................................. 1

Chapitre I: L'Art de la guerre insurrectionnelle, contre-insurrectionnelle et hybride ........... 24

Chapitre II: Search and Destroy : Le rouleau compresseur conventionnel américain et ses

impacts opérationnels ........................................................................................................... 92

Chapitre III: Les Combined Action Platoons : L’étau contre-insurrectionnel des Marines sur

le Viêt-Cong ........................................................................................................................ 164

Chapitre IV : Le CORDS, le Programme Phoenix et l’effondrement du Viêt-Cong ......... 227

Chapitre V: Le nerf de la guerre communiste : La Piste Ho Chi Minh .............................. 311

CONCLUSION ................................................................................................................... 377

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................. 396

ANNEXE ............................................................................................................................ 417

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iv

Liste des figures

Figure 1 : Schéma représentant la dynamique de la synchronisation des opérations politico-

militaires communistes selon Robert Thompson ................................................................. 31

Figure 2 : Répartition des provinces et quatre Corps de la République du Vietnam .......... 46

Figure 3 : Zones de la RVN contrôlées par les communistes et les forces gouvernementales

en 1965 ................................................................................................................................. 65

Figure 4 : Le mode de fonctionnement du dau tranh de Giap ............................................ 73

Figure 5: La synergie des trois sous-systèmes du mécanisme hybride communiste .......... 75

Figure 6: Les attaques communistes lors de l’offensive du Têt .......................................... 77

Figure 7: La prise de Hue par les forces hybrides du VC et NVA ...................................... 82

Figure 8 : Plan de l’offensive opérationnelle du NVA (et du VC) en 1965 ........................ 97

Figure 9: Carte de l’Iron Triangle et schéma de manœuvre de l’offensive ...................... 108

Figure 10: Schéma de manœuvre de l’Opération JUNCTION CITY ............................... 117

Figure 11: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Bau Bang ............................... 121

Figure 12: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille de Suoi Tre ...................................... 124

Figure 13:Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Gu ........................................... 127

Figure 14: Zone d’opération d’APACHE SNOW ............................................................ 131

Figure 15: Opérations majeures de search and destroy du III MAF, Juin 1967 ............... 152

Figure 16: Structure organisationnelle du processus de pacification (I Corps) ................ 173

Figure 17: Disposition des Combined Action Platoons dans I Corps en 1969 ................. 183

Figure 18: Commandement et contrôle des Combined Action Platoons .......................... 185

Figure 19: Schéma officiel de l’ordre de bataille d’un Combined Action Platoon ........... 187

Figure 20: Schéma de l’embuscade du CAP du lieutenant Ek au pont de Phu Bai .......... 195

Figure 21: Statistiques des opérations offensives des CAP 1966-67 ................................ 200

Figure 22: Structure organisationnelle du CORDS ........................................................... 237

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v

Figure 23: L’offensive printanière du NVA dans la RVN ................................................ 304

Figure 24: Les offensives conventionnelles du NVA dans la zone démilitarisée ............. 305

Figure 25: Le réseau logistique communiste : la Piste Ho Chi Minh ................................ 312

Figure 26 : Infiltrations mensuelles des forces communistes en 1966 et 1967 ................. 323

Figure 27: Besoins logistiques quotidiens des forces du VC et du NVA en 1966 ............ 324

Figure 28: Le réseau routier de la Piste Ho Chi Minh au Laos ......................................... 326

Figure 29: Principales bases d’opération communistes au Cambodge .............................. 328

Figure 30: Bases d’opération et zones de responsabilités des opérateurs de SHINING

BRASS/PRAIRIE FIRE ..................................................................................................... 348

Figure 31:Zones de responsabilités du SOG lors de l’opération DANIEL BOONE ........ 353

Figure 32: L’incursion initiale de l’US Army et de l’ARVN au Cambodge ..................... 361

Figure 33: L’offensive généralisée du MACV et de l’ARVN sur les bases communistes du

Cambodge ........................................................................................................................... 364

Figure 34: Total des pertes communistes au Cambodge ................................................... 368

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vi

Liste des Annexes

ANNEXE 1 : Ordre de bataille d’un bataillon régulier du Viêt-Cong .............................. 417

ANNEXE 2 : Ordre de bataille d’un régiment et bataillon de l’Armée nord-vietnamienne

............................................................................................................................................ 418

ANNEXE 3 : Vue aérienne d’un hameau stratégique au Vietnam .................................... 419

ANNEXE 4 : Actions civiques de l’USMC dans I Corps ................................................. 420

ANNEXE 5 : Fortifications et installations d’un complexe de Combined Action Platoon

statique ............................................................................................................................... 424

ANNEXE 6 : Patrouilles de Marines et du PF dans le cadre des Combined Action Platoons

............................................................................................................................................ 427

ANNEXE 7 : Des Navy SEAL assurent la surveillance de prisonniers VC ..................... 428

ANNEXE 8 : Opérateurs sud-vietnamiens du PRU .......................................................... 429

ANNEXE 9 : Mission de bombardement de B-52 dans le cadre de l’opération ARC LIGHT

............................................................................................................................................ 430

ANNEXE 10 : Cratères laissés par le bombardement d’un bombardier stratégique B-52 sur

la Piste Ho Chi Minh .......................................................................................................... 431

ANNEXE 11 : Équipes standards d’opérateurs du SOG : trois Américains et neuf Sud-

Vietnamiens ........................................................................................................................ 432

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vii

Liste des acronymes

APC Accelerated Pacification Campaign

ARVN Army of the Republic of Vietnam

BDA Bomb Damage Assessment

BRIAM British Advisory Mission

CACO Combined Action Company

CAP Combined Action Platoon

CIA Central Intelligence Agency

CIDG Civilian Irregular Defence Group

CINCPAC Commander in Chief in the Pacific

COIN Contre-insurrection

CORDS Civil Operations and Revolutionary Development Support

COSVN Central Office for South Vietnam

DIA Defense Intelligence Agency

DIOCC District Intelligence and Operations Coordinating Center

DPSA Deputy Province Senior Advisor

FLN Front de Libération nationale

GVN Gouvernement du Vietnam (Vietnam du Sud)

HES Hamlet Evaluation System

ICEX Intelligence Coordination and Exploitation

JSOC Joint Special Operation Command

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viii

JUSPAO Joint United States Public Affairs Office

LZ Landing Zone

MAAG Military Assistance Advisory Group

MAF Marine Amphibious Force

MACV Military Assistance Command Vietnam

MACVSOG Military Assistance Command Vietnam Studies and Observations

Group

MAT Mobile Advisory Team

MEDCAP Medical Civic Action Program

MNLA Malayan National Liberation Army

NVA North Vietnamese Army

OCO Office of Civil Operations

OPSEC Operation Security

PCM Parti communiste malaisien

PF Popular Force

PMESI Politique, Militaire, Économique, Social, Information

PROVN Program for Pacification and Long Term Development of South

Vietnam

PRP Peoples Revolutionary Party

PRU Provincial Reconnaissance Unit

PSA Province Senior Advisor

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ix

PSDF People’s Self Defence Force

QG Quartier-général

RD Revolutionary Development

RDVN République démocratique du Vietnam du Nord

RF Regional Forces

RVN République du Vietnam (Vietnam du Sud)

SAS Section Administrative Spécialisée

SLAM Seeking Locating Annihilating Monitoring

SOG Studies and Observations Group

TAOC Tactical Area of Coordination

TAOR Tactical Area of Responsibility

TRADOC Training and Doctrine Command

USAF United States Air Force

USAID United States Agency for International Development

USMC United States Marine Corps

VC Viêt-Cong

VCI Viet-Cong Infrastructure

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x

Avant-Propos

La décision d’écrire cette thèse de doctorat a été l’aboutissement logique de mes

expériences personnelles en Afghanistan en 2007. En 2000, j’ai joint les Forces armées

canadiennes et intégré les rangs du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment. J’ai eu l’opportunité

d’y effectuer trois déploiements outre-mer; un en Bosnie Herzégovine et deux autres en

Afghanistan à Kaboul et à Kandahar avec la Compagnie de parachutistes du 3e Bataillon.

Mon second séjour en Afghanistan dans la Province de Kandahar fut particulièrement violent

alors que nous avons été confrontés à l’insurrection des Talibans dans le district de Panjwai.

Soucieux de ne pas nous affronter ouvertement, les Talibans, mêlés à la population civile,

maximisaient la conduite d’embuscades et exploitaient mortiers et roquettes pour cibler nos

bases d’opération, en plus de truffer les routes de bombes artisanales pour neutraliser nos

véhicules blindés. Après l’explosion de mon blindé sur l’un de ces engins explosifs lors d’une

opération nocturne, j’ai été sévèrement blessé et évacué en Allemagne avec deux de mes

camarades. Nous avons malheureusement perdu deux de nos frères d’armes, Nicolas

Beauchamp et Michel Lévesque, ainsi qu’un interprète afghan lors de cet incident.

Cette expérience m’incita à m’intéresser davantage aux conflits insurrectionnels et à

mieux cibler comment les guérillas opèrent et de quelle manière elles ont été neutralisées par

le passé. Huit chirurgies et des séquelles physiques permanentes m’ont forcé à quitter

l’infanterie pour joindre les rangs du renseignement militaire, domaine où j’appris à analyser

les doctrines militaires classiques. En tant qu’analyste tactique et opérationnel, j’ai pu avec

les années approfondir mes connaissances en matière de tactiques et stratégies militaires. J’ai

eu l’opportunité de mettre en pratique ces connaissances en étant déployé au Koweït dans le

cadre des opérations militaires visant l’État islamique (EI) en Irak. L’analyse des opérations

de l’EI augmenta mon degré de connaissance en matière de guerre insurrectionnelle et de

conflit hybride, ce qui m’a motivé davantage à écrire une thèse sur le sujet. J’ai choisi le

théâtre d’opération de la guerre du Vietnam car ce dernier représente à mes yeux un des cas

les plus complexes en matière de guerre de guérilla et de guerre hybride dans l’histoire. J’ai

pris avantage de mes expériences passées dans l’infanterie et mes connaissances dans le

domaine de l’analyse tactique pour écrire cette thèse qui traite d’une guerre qui, à mon

humble avis, demeure très incomprise par beaucoup d’intéressés, qu’ils soient instruits ou

profanes.

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xi

« How horrible is war »1

-Lieutenant Général Thomas « Stonewall » Jackson

1 S.C. Gwynne, Rebel Yell, New York, Scribner, 2014, p. 503.

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1

INTRODUCTION

« [The North Vietnamese] approach emphasized

that all forms of warfare occur simultaneously, even as a

particular form is paramount. Debates about Vietnam that

focus on whether U.S. forces should have concentrated on

guerrilla or conventional operations ignore this complexity. In

fact, forces that win a mosaic war are those able to respond to

both types of operations, often simultaneously ».1

-Counterinsurgency Field Manual 3-24

1. Mise en contexte

La guerre du Vietnam, qui opposa les États-Unis à la République démocratique du

Vietnam du Nord (RDVN), est un conflit qui a profondément marqué les sociétés américaine

et vietnamienne. Plus de 58,000 soldats américains et 250,000 soldats sud-vietnamiens ont

été tués lors des combats. Pour leur part, les Forces armées nord-vietnamiennes et la guérilla

du Viêt-Cong (VC) ont déploré la mort de plus d’un million de soldats. Environ deux millions

de civils sud et nord-vietnamiens ont également péri au cours des hostilités.2 Celles-ci se sont

conclues avec la chute de Saigon et la prise de la République du Vietnam (RVN) par les

communistes en 1975. Dès le dénouement de ce violent affrontement de la Guerre froide, de

nombreuses études et analyses ont été publiées dans le but de cibler pourquoi les Forces

armées américaines se sont montrées incapables de vaincre de manière définitive les armées

communistes. L’essentiel de ces études brossa un portrait plutôt négatif des performances

militaires américaines en matière de contre-insurrection (COIN)3 et de tactiques au combat.

Cette thèse de doctorat vise à remettre en question cette soi-disant incapacité américaine à

pratiquer de la COIN avec succès au Vietnam et cherchera parallèlement à expliquer

1 Headquarters, Department of the Army, FM 3-24 Counterinsurgency, Washington, Department of the Army,

2010, p. 1-17. 2 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, The Vietnam War, New York, Alfred A. Knopf, 2017, p. xvii. 3 Le terme « contre-insurrection » est aussi connu sous le terme de « contre-guérilla » ou de « pacification » (ce

dernier est néanmoins plus spécifique à la population civile). Il s’agit d’une doctrine militaire visant à éliminer

une guérilla (ou insurrection). Cette doctrine est fort complexe à exécuter et nécessite des initiatives qui diffèrent

de celles d’une guerre conventionnelle classique comme celles de la Corée ou du Pacifique (voir le chapitre 1).

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2

pourquoi les États-Unis ne sont pas entièrement parvenus à enrayer les opérations militaires

communistes lors de la guerre du Vietnam. L’analyse académique de ce conflit a rangé les

historiens au sein de deux écoles de pensée : orthodoxes et révisionnistes4. Pour la plupart

des orthodoxes, la guerre du Vietnam ne pouvait être gagnée par Washington. À leurs yeux,

l’atteinte des objectifs stratégiques américains qui visaient à préserver la chute du Vietnam

du Sud aux mains des communistes ne pouvait se concrétiser par le biais de moyens

militaires. Pour leur part, les révisionnistes tendent plutôt à souligner que la guerre du

Vietnam aurait pu être gagnée. Selon eux, la défaite a été la résultante du leadership douteux

des dirigeants politiques à la Maison-Blanche, d’une stratégie militaire erronée et d’une

couverture médiatique dénuée d’objectivité qui entraîna la perte du soutien populaire

américain à la guerre.5 Il demeure impossible pour les révisionnistes de prouver avec

certitude que les États-Unis auraient gagné la guerre du Vietnam advenant un correctif des

stratégies exploitées lors du conflit.

Néanmoins, cette réalité s’applique également aux orthodoxes qui, à leur tour, ne

peuvent prouver que les Américains auraient inévitablement perdu la guerre malgré l’amorce

d’un changement majeur de stratégie. Toutes ces affirmations, qu’elles soient orthodoxes ou

révisionnistes, demeurent spéculatives et ne peuvent s’avérer définitives. Toutefois,

l’approche révisionniste, bien qu’abondamment critiquée par les orthodoxes (citons en

exemple Marilyn Young6), tend à sortir des sentiers battus. Ceci s’explique grandement par

la déclassification récente de documents Top Secret communistes et américains qui forcent

plusieurs remises en question sur la situation opérationnelle au Vietnam et en Asie du Sud-

Est pendant la Guerre froide. À défaut d’une victoire américaine, certains historiens

révisionnistes, comme Mark Moyar, expliquent que l’acharnement de Washington à

combattre au Vietnam a eu des effets stratégiques très bénéfiques en empêchant la croissance

de l’hégémonie communiste en Asie. À titre d’exemple, l’ancien Ministre de la Défense

4 Quantité d’historiens et autres hauts diplômés se penchant sur la guerre du Vietnam sont rangés au sein des

camps orthodoxe et révisionniste. Du côté orthodoxe, nous retrouvons notamment Lewis Sorley, Russel

Weigley, A.J. Langguth et Stanley Karnow. Du côté révisionniste, citons entre autres Mark Moyar, James S.

Robbins et Gregory Daddis. 5 Gary R. Hess, Vietnam: Explaining America's Lost War, Oxford, Wiley-Blackwell, 2015 (2008), p. 11-12. 6 Dans son étude publiée en 1991 (Vietnam Wars 1945-1990), Marilyn Young critique Washington ainsi que le

gouvernement sud-vietnamien qui, selon elle, se sont montrés ineptes à élaborer une stratégie cohérente au

Vietnam. Ce constat est caractéristique de la vision des historiens orthodoxes.

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indonésien, Abdul Haris Nasution, affirma que son pays n’aurait jamais été en mesure

d’empêcher son pays de tomber aux mains des communistes sans la détermination américaine

à ne pas abandonner la République du Vietnam pendant toutes ces années (de 1955 à 1975).7

La présente thèse se plongera au cœur du débat révisionniste et se penchera plus

particulièrement sur les aspects hybrides et contre-insurrectionnels de la guerre du Vietnam.

Bien que révisionniste, cette thèse ne suggère pas que la guerre aurait été assurément gagnée

par les États-Unis si les correctifs à certains problèmes militaro-tactiques avaient été

apportés. Elle ne cherche pas, non plus, à minimiser l’excellence au combat des régiments

communistes. S’ils avaient été confrontés à un adversaire moins résilient, les Américains

auraient probablement gagné la guerre, et ce, malgré l’imperfection de leur concept

d’opération. La thèse vise plutôt à analyser la problématique en se penchant sur la gestion de

l’aspect hybride du conflit ainsi que les facteurs tactiques et humains qui ont miné la conduite

des opérations américaines dans un contexte de guerre hybride.

Depuis la conclusion du conflit, plusieurs auteurs ont constamment dépeint

l’ensemble des Forces armées américaines comme inepte à pratiquer une COIN cohérente et

professionnelle au Vietnam. Plusieurs autres ont été plus loin en soulignant la complexité du

contexte militaro-opérationnel du conflit, ce qui les a incités à affirmer qu’aucune COIN

n’aurait été applicable au Vietnam. Cette thèse propose de montrer qu’au contraire, les

préceptes de contre-insurrection américains ont été des plus efficaces et qu’ils sont allés

jusqu’à provoquer une défaite sans équivoque de l’insurrection viêt-cong, tout en gagnant

l’appui de la population civile sud-vietnamienne. Il ne s’agit point de suggérer que les

doctrines contre-insurrectionnelles américaines ont été appliquées à la perfection; à l’image

7 Mark Moyar, Triumph Forsaken: The Vietnam War, 1954-1965, Cambridge, Cambridge University Press,

2006, p. 282. Plusieurs pays d’Asie et d’Océanie redoutaient le spectre de l’expansionnisme communiste dans

la région et, en conséquence, appuyèrent avec vigueur l’effort de guerre américain au Vietnam. Parmi ces pays

nous retrouvions : la Thaïlande, la Malaisie, Taiwan, la Corée du Sud, les Philippines, la Birmanie, l’Australie,

la Nouvelle-Zélande, le Japon et l’Inde. Ces États ont affirmé que la présence américaine au Vietnam était vitale

à leur propre sécurité contre les communistes. En bref, malgré l’éventuelle chute de la République du Vietnam,

la détermination de Washington à combattre au Vietnam a forcé les communistes à concentrer leurs efforts là

où les éléments militaires américains se trouvaient. Cette particularité devait permettre aux pays asiatiques

avoisinant de gagner un temps précieux, ce qui leur permit d’être mieux préparés face à l’expansionnisme

communiste en Asie. Globalement, non seulement la vision révisionniste croit en la possibilité que la guerre

aurait pu être gagnée par les États-Unis, elle cerne en l’apparente défaite américaine des résultats stratégiques

qui, ultimement, ont résulté en l’essoufflement de l’expansionnisme sino-soviétique en Asie.

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de l’application de leurs doctrines conventionnelles, l’exécution des opérations de COIN a

laissé transparaître maints défauts. Néanmoins, ces derniers ne justifient nullement la critique

des historiens qui blâment la défaite américaine sur l’inexploitation de préceptes contre-

insurrectionnels de qualité. À cet effet, beaucoup d’historiens ont mésinterprété la nature

même du conflit sur le plan tactique et opérationnel. Certains auteurs, notamment Lewis

Sorley, Andrew F. Krepinevich, John Nagl et quantité d’autres, tendent à affirmer que

l’armée s’entêta à transposer un concept d’opération militaire purement conventionnel sur un

théâtre d’opération vietnamien essentiellement insurrectionnel.8 Il convient de mentionner

que le commandant du MACV (Military Assistance Command Vietnam), le général William

Westmoreland, a préféré concentrer les efforts américains sur une stratégie ayant pour base

le principe de guerre d’attrition. Ce faisant, les progrès n’étaient pas évalués en fonction du

terrain géographique gagné mais plutôt sur le nombre d’ennemis éliminés lors des combats.

De ce plan d’action découla la tactique dite de search and destroy qui visait à traquer, fixer

et détruire les bataillons communistes par le biais d’effectifs et d’une puissance de feu

supérieure.

Sorley et Krepinevich soutiennent qu’il aurait fallu limiter les opérations

conventionnelles et maximiser les opérations de pacification qui visaient à détruire

l’infrastructure politique et militaire de la guérilla VC tout en séparant cette dernière de la

population civile. D’autres auteurs comme Gregory Daddis tendent plutôt à défendre la

stratégie américaine en mentionnant à quel point Westmoreland adapta sa stratégie en

maximisant les opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Certains, comme

Mark Moyar, vont jusqu’à avancer que la guerre du Vietnam était plus conventionnelle

qu’insurrectionnelle.9 En bref, il existe un schisme entre historiens qui se penchent sur

l’aspect militaire de la guerre du Vietnam. Cette dernière était-elle insurrectionnelle ou

conventionnelle? L’état-major américain était-il justifié de favoriser une doctrine

conventionnelle ou aurait-t-il dû mettre plus d’attention sur ses opérations de pacification

8 Lewis Sorley est reconnu pour avoir notamment écrit Westmoreland The General who Lost Vietnam en

2011. Andrew Krepinevich a pour sa part fait paraître The Army and Vietnam en 1988. John Nagl a de son

côté fait publier Learning to Eat Soup with a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam en

2005. 9 Mark Moyar a notamment fait publier Triumph Forsaken en 2006 et Phoenix and the Birds of Prey en 2007.

Gregory Daddis a notamment écrit Westmoreland's War: Reassessing American Strategy in Vietnam en 2013

et Withdrawal: Reassessing America's Final Years in Vietnam en 2017.

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comme il l’a fait après l’offensive du Têt en 1968? La réponse suggérée à ce questionnement

est très hétérodoxe, car en fait, la guerre du Vietnam nécessitait une exploitation synergique

et synchronisée des deux stratégies : conventionnelle et contre-insurrectionnelle. Cette

situation s’explique par le caractère militaro-hybride propre à la guerre du Vietnam. Notons

que ce type de conflit n’est pas unique au Vietnam; la guerre de Sept Ans, communément

appelée French and Indian war par les habitants des 13 Colonies, constitue un exemple type

de guerre hybride. La guerre d’Indépendance américaine consistait aussi en une guerre à

caractère hybride. Le conflit à l’est de l’Ukraine avec les séparatistes pro-russes en 2014

représente également un exemple probant de confrontation militaire de type hybride. Lors

d’une guerre hybride, une force armée combattra une force hostile qui à la fois, exploitera

tactiques et stratégies conventionnelles et insurrectionnelles. Les forces hybrides auront

comme modus operandi de viser chacun des centres de gravité de la force adverse : politique,

militaire, économique, social et la guerre de l’information (PMESI)10. Du côté

insurrectionnel au Vietnam, les secteurs ruraux sud-vietnamiens étaient infestés d’insurgés

viêt-cong qui infiltraient les villages et la population civile.

Du côté conventionnel, l’US Army et les Marines étaient confrontés à plusieurs

divisions du NVA (North Vietnamese Army)11 qui bénéficiaient d’un équipement de pointe,

en plus d’une compétence au combat rivale de la leur. Or, lorsque confrontés à une menace

hybride, les commandants se doivent de synchroniser leurs opérations conventionnelles et

contre-insurrectionnelles de telle manière que les initiatives politico-militaires de

l’adversaire soient contenues ou avortées. Appliquer un tel concept d’opération nécessite des

moyens et plus particulièrement un savoir-faire qui, bien qu’à la portée des Américains, a été

longtemps ignoré ou mal appliqué par l’état-major au Pentagone. D’une part, les Forces

étatsuniennes se sont démarquées le moment venu d’exécuter des opérations

conventionnelles au Vietnam. Bien que la puissance aérienne de l’United States Air Force

(USAF) ait eu beaucoup à y voir, les grandes confrontations militaires conventionnelles ayant

opposé Américains et armées communistes se sont constamment soldées par une victoire de

l’US Army ou des Marines. D’autre part, maints éléments des Forces militaires des États-

10 Headquarters, Department of the Army, op, cit., p, vi. 11 Pour identifier l’Armée nord vietnamienne, nous utiliserons le terme original utilisé par les Américains

« NVA » (North Vietnamese Army) au lieu de l’ANV (Armée nord-vietnamienne) afin d’éviter toute

confusion avec le l’acronyme ARVN utilisé pour l’Armée de la République du Vietnam.

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Unis ont montré qu’ils bénéficiaient des compétences requises le moment venu d’implanter

un plan de COIN viable qui réussit à enrayer ou contenir les opérations insurgées. En effet,

l’USMC (United States Marine Corps), la 173rd Airborne Brigade et le programme CORDS

(Civil Operations and Revolutionary Development Support)12 ont initié plusieurs opérations

contre-insurrectionnelles calquées sur celles des Français et des Britanniques lors des guerres

de décolonisation. Malgré de nombreuses limitations opérationnelles, ces opérations ont

gravement endommagé l’infrastructure politico-militaire des Viêt-Cong, exposant de ce fait

la vulnérabilité de ces derniers aux opérations de COIN. Une analyse exhaustive de la gestion

contre-insurrectionnelle du conflit par les Américains tendrait-elle à montrer que ces derniers

surent appliquer d’excellents préceptes de COIN au Vietnam? Une telle analyse briserait-elle

la croyance selon laquelle aucune doctrine de COIN n’ait pu s’appliquer au théâtre

d’opération vietnamien? En quoi le facteur hybride de la guerre, si souvent négligé par

beaucoup d’historiens, a-t-il constitué un facteur dans l’incapacité des États-Unis à

définitivement stabiliser le théâtre d’opération sud-vietnamien? Gérer un conflit aussi

complexe nécessite une gamme d’initiatives tactiques et opérationnelles trop souvent

survolées par les historiens.

2. Problématique

Cette thèse proposera que la réelle problématique militaire rencontrée au Vietnam n’a

pas résulté de la prétendue incapacité américaine à exécuter de la COIN avec succès mais

plutôt de quatre facteurs indissociables. Le premier se résume à l’incapacité des Américains

à uniformiser leur concept d’opération sur le théâtre opérationnel sud-vietnamien. Bien que

les Marines, la 173rd Airborne Brigade et le CORDS exploitaient des doctrines de COIN de

grande qualité, ces principes n’ont pas été appliqués de façon uniforme au sein des districts

sud-vietnamiens pour un long moment. Ce manque d’uniformité des concepts d’opération

doctrinaux mina la capacité des Américains à pacifier rapidement l’ensemble des secteurs

ruraux. Le deuxième facteur : l’incapacité du MACV à synchroniser adéquatement les

opérations militaires conventionnelles et contre-insurrectionnelles dans un conflit de nature

hybride. Si les opérations conventionnelles et de COIN ne sont pas exécutées de façon

12 Le CORDS était une organisation regroupant plusieurs entités civiles et militaires américaines et sud-

vietnamiennes ainsi que la Central Intelligence Agency (CIA). La mission du CORDS visait à exécuter un

programme de pacification rurale dans les campagnes du Vietnam du Sud, détruire l’infrastructure viêt-cong

et rallier les paysans sud-vietnamiens à la cause du gouvernement sud-vietnamien.

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synchronisée lors d’un conflit hybride, les gains tactiques et opérationnels acquis se voient

systématiquement annulés, et ce, en un court laps de temps. Cette dynamique a perturbé les

efforts américano-sud-vietnamiens sur le théâtre d’opération. Le troisième facteur: l’absence

de dynamisme des commandants militaires sud-vietnamiens et la dépendance de leurs

subordonnés à l’appui du MACV. Le commandement de l’Armée sud-vietnamienne (Army

of the Republic of Vietnam/ARVN) afficha énormément de réticence à émuler de manière

professionnelle les doctrines contre-insurrectionnelles enseignées par les Américains. Bien

qu’il y ait eu une amélioration marquée après l’offensive du Têt, le problème ralentit le

processus de pacification dans certains districts. Enfin, le quatrième facteur se résume à

l’incapacité du MACV à respecter une des lois fondamentales de l’art de la guerre : bloquer

les lignes d’approvisionnement et de communication de la force ennemie, une règle cruciale,

tant lors de conflits conventionnels qu’insurrectionnels et, de facto, hybrides.

Ne pas occuper des points géographiques stratégiques au Laos et au Cambodge pour

bloquer la Piste Ho Chi Minh a définitivement sonné le glas d’une possible victoire

américano-sud-vietnamienne au Vietnam. Ce facteur, bien que fréquemment mentionné, est

malheureusement souvent banalisé par les historiens. Pourtant, le manque de proactivité des

Américains à initier de vastes opérations défensives et d’interdiction au Laos et au Cambodge

constitue un des principaux problèmes derrière leur incapacité à systématiquement conserver

l’initiative tactique et opérationnelle au Vietnam. D’aucuns se contentent d’affirmer que

l’occupation de la piste Ho Chi Minh n’aurait pas changé grand-chose au conflit. À bien des

égards, cette affirmation est fallacieuse, particulièrement si l’on prend en compte à quel point

une simple incursion américaine de quelques semaines au Cambodge a perturbé de façon

majeure les opérations militaires communistes dans la République du Vietnam.

3. État de la question

Quantité d’auteurs se sont penchés sur les causes de la défaite des États-Unis au

Vietnam. Toutefois, peu d’entre eux ont abordé le sujet de façon similaire à ce que nous

proposons. John Nagl est l’auteur d’une thèse doctorale intitulée Learning to Eat Soup with

a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam. Dans son ouvrage, l’auteur

effectue un comparatif entre le développement et la pratique des doctrines de COIN

exploitées par les Américains et les Britanniques au sein des théâtres malaisiens et

vietnamiens. Nagl débute son analyse en décrivant les stratégies britanniques, avant de se

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pencher sur celles du MACV. L’auteur y analyse une série de facteurs : la situation

géostratégique, les origines de l’insurrection, la stratégie des organes politiques et militaires

de l’insurrection, les initiatives contre-insurrectionnelles des Britanniques, l’adaptation et les

innovations tactiques et stratégiques de ces derniers, ainsi que leurs initiatives politiques. Fort

des résultats obtenus, il termine en procédant à l’évaluation de la qualité des stratégies contre-

insurrectionnelles britanniques et détermine à quel point l’Armée britannique s’avéra une

institution capable d’apprendre et de s’adapter aux situations changeantes. Pour donner suite

à cet exercice, il s’attaque au volet américain au Vietnam en analysant les mêmes facteurs.

Nagl conclut son étude analytique avec une évaluation de la qualité des stratégies contre-

insurrectionnelles du MACV. Il en déduit que l’Armée américaine n’était pas une institution

capable d’apprendre et de s’adapter aux situations changeantes13, une conclusion qui diffère

de ce que nous déduirons dans cette thèse.

En 2010, David Strachan-Morris a présenté une thèse de doctorat intitulée Swords

and Ploughshares: an Analysis of the Origins and Implementation of the United States

Marine Corps’ Counterinsurgency Strategy in Vietnam Between March 1965 and November

1968. Strachan-Morris y analyse la stratégie de COIN privilégiée par les Marines au Vietnam

entre 1965 et 1968. L’auteur souligne que la nature politique de la guerre et la réalité à

laquelle se sont vus confrontés les Marines sur le terrain incitèrent les commandants séniors

des Marines à muter leur stratégie de pacification. L’auteur indique que cette mutation avait

pour base les grandes lignes des doctrines privilégiées par les stratèges contre-

insurrectionnels franco-britanniques. Strachan-Morris déduit que les Marines cherchaient à

renforcer la sécurité de leurs secteurs de responsabilité en tentant de gagner l’appui de la

population locale. Il qualifie de déficiente l’unité de mesure exploitée pour mesurer les

progrès effectués sur le terrain. Néanmoins, Strachan-Morris explique qu’une analyse des

archives de l’USMC tend à révéler que les Marines ont conduit une campagne de COIN «

efficace et appropriée » dans les limites imposées par la carence de certaines ressources et

leur inhabilité générale à influencer l’ensemble du champ de bataille dans la RVN.14

13 John Nagl, Learning to Eat Soup with a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam,

Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. xxii-xxiii. 14 David Strachan-Morris, “Swords and Plougshares: An Analysis of the Origins and Implementation of the

United States Marine Corps’ Counterinsurgency Strategy in Vietnam between March 1965 and November

1968”. Thèse de Doctorat, Wolverhampton, Université de Wolverhampton, 2010, p. 329-336.

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Maints éléments de la présente thèse s’apparentent fortement à celles de Strachan-

Morris. Néanmoins, nous analyserons le problème opérationnel d’une perspective beaucoup

plus étendue avec le CORDS et le facteur hybride. Citons également Gregory Daddis qui a

fait publier Westmoreland’s War: Reassessing American Strategy in Vietnam. Dans cette

étude, Daddis affirme que Westmoreland a été responsable d’un large éventail de manœuvres

opérationnellement productives. Daddis mentionne que Westmoreland accorda beaucoup

d’attention à la formation de l’ARVN et élabora un plan de COIN visant bel et bien à gagner

l’appui de la population rurale au Vietnam. Daddis expose divers facteurs très intéressants

mais n’examine pas en profondeur l’aspect hybride du conflit, en plus de banaliser largement

les Combined Action Platoons (CAP)15 de l’USMC qu’il ne semble pas avoir analysé en

profondeur. Tout comme la nôtre, l’approche de Daddis va à contrecourant des études

généralement rédigées sur Westmoreland qui s’est fait régulièrement pointer du doigt comme

l’un des grands responsables de la défaite américaine au Vietnam. Lewis Sorley, l’un des

détracteurs de Westmoreland, a souligné dans son ouvrage Westmoreland: The General Who

Lost Vietnam, que le général américain s’est retrouvé dans une position de commandement

qui dépassait ses compétences ce qui a causé l’embourbement vietnamien.16

Sorley affirme que le général américain a sous-estimé son adversaire, n’a pu saisir la

complexité du conflit et s’est entêté à exploiter une stratégie conventionnelle sur un théâtre

d’opération insurrectionnel. Citons également une étude écrite en 1988 par Andrew F.

Krepinevich intitulée The Army and Vietnam. L’auteur mentionne notamment qu’il faut

imputer la défaite du MACV au Vietnam à l’exploitation de doctrines erronées, appuyées sur

les modus operandi exploités pendant la Deuxième Guerre mondiale. Krepinevich soulève

aussi que la doctrine insurrectionnelle des communistes au Vietnam a empêché l’application

de doctrines conventionnelles; il aurait plutôt été préférable d’exploiter une doctrine contre-

insurrectionnelle misant sur l’exploitation d’infanterie légère, une puissance de feu minimale

et une résolution des problèmes politiques et sociaux handicapant la qualité de vie de la

population sud-vietnamienne. L’auteur déduit que jusqu’à la toute fin du conflit, les leaders

militaires américains ont refusé de reconnaître cette réalité. La présente thèse cherchera à

15 Les Combined Action Platoons (CAP) consistaient en une initiative contre-insurrectionnelle des Marines

qui visait à assurer la protection de la population rurale contre les insurgés viêt-cong en déployant de manière

permanente une section de Marines auprès des forces paramilitaires sud-vietnamiennes dans les villages. Ce

concept sera analysé en profondeur dans le chapitre 3. 16 Lewis Sorley, Westmoreland The General who Lost Vietnam, Boston, Mariner Books, 2011, p. xix.

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montrer qu’il n’en fut rien. Citons également une étude récente de Max Boot nommée The

Road Not Taken. Dans ce volume, l’auteur se penche sur le colonel Edward Lansdale, un

spécialiste de la contre-insurrection qui conseillait le Président sud-vietnamien Ngo Dinh

Diem. Boot y souligne notamment que la chute du Président Diem consiste en une des plus

grandes erreurs stratégiques des Américains au Vietnam. Boot affirme que Washington a

sciemment ignoré les recommandations et les conseils de Lansdale qui encouragea la

maximisation des opérations de contre-insurrection au Vietnam.17 De son côté, l’auteur

Edward Miller publia en 2013 Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate

of South Vietnam. Miller y affirme que les visées politiques de Washington et du Président

Diem n’étaient pas aussi aux antipodes que l’ont affirmé d’autres historiens et journalistes

par le passé. Il expose également à quel point la Maison-Blanche et Diem ont sous-estimé la

complexité des opérations générales de pacification au Vietnam.18

Pour sa part, Jeffrey Race est l’auteur d’un volume titré War Comes to Long An. Race

passa environ deux ans avec les Forces armées américaines au Vietnam et concentra ses

études sur le secteur de Long An, situé près de Saigon. Il se penche sur les stratégies

communistes et américaines dans la région et souligne le manque de préparation du MACV

à gérer la situation opérationnelle au Vietnam. Du côté communiste, il expose la capacité

supérieure de ces derniers à comprendre les besoins de la population civile, ce qui fut moins

le cas des dirigeants politiques à Saigon.19 De son côté, l’auteur David Elliot publia The

Vietnamese War: Revolution and Social Change in the Mekong Delta, 1930-1975. L’étude

se penche presque exclusivement sur la perspective communiste de la guerre et les opérations

du Viêt-Cong dans la région du Delta du Mékong entre 1930 et 1975.20 En ce qui a trait aux

auteurs étudiant les opérations clandestines du MACV au Cambodge et au Laos, il convient

de citer Black Ops Vietnam: The Operational History of MACVSOG de Robert Gillespie.

L’étude traite des opérations du MACVSOG (Military Assistance Command Vietnam Studies

and Observations Group), qui chapeauta les opérations clandestines du SOG (Studies and

Observations Group) au Laos et au Cambodge. En exploitant une gamme de documents

17 Max Boot, The Road not Taken, New York, Liveright Publishing Corporation, 2018, p. xxxix. 18 Edward Miller, Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate of South Vietnam, Cambridge,

Harvard University Press, 2013, p. 17. 19 Jeffrey Race, War Comes to Long An, Los Angeles, University of California Press, 1972, p. x-xiv. 20 David Elliott, The Vietnamese War: Revolution and Social Change in the Mekong Delta, 1930-1975, New

York, Routledge, 2006, p. xv.

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récemment déclassifiés, Gillespie nous trace une des premières études complètes relatant des

opérations clandestines du MACVSOG. L’auteur conclut que les opérations du SOG ont été

tactiquement efficaces mais opérationnellement limitées. Gillespie spécifie qu’ultimement,

l’unité n’a pu parvenir à achever sa mission originale qui consistait à bloquer l’acheminement

d’approvisionnement et de renforts communistes dans la RVN. En ce qui trait au CORDS,

une des études les plus complètes a été publiée tout récemment en 2017. Elle s’intitule The

Theory and Practice of Associative Power. Son auteur, Stephen B. Young, un vétéran, était

un administrateur du programme CORDS. Il relate son expérience tout en faisant une analyse

du programme, pour conclure que ce dernier constituait un succès pour les Américains qui

réussirent à contenir le Viêt-Cong et développer les secteurs ruraux sud-vietnamiens. Son

analyse exhaustive est très révélatrice de l’efficacité opérationnelle du programme. Enfin,

citons Eric Bergerud qui a notamment fait publier en 1993 The Dynamics of Defeat: The

Vietnam War in Hau Nghia Province. Dans cette étude, l’auteur mentionne que certaines

théories militaro-opérationnelles alternatives ont été tentées dans la Province de Hau Nghia

au Vietnam.

Bergerud souligne que l’intervention américaine était vouée à l’échec, compte tenu

du manque de légitimité du gouvernement à Saigon et que le Viêt-Cong offrait une alternative

plus attrayante pour la paysannerie sud-vietnamienne. Bergerud tend à généraliser les

résultats de sa recherche sur la Province de Hau Nghia à l’ensemble du Vietnam du Sud, ce

qui est problématique en termes de représentativité de la situation opérationnelle dans la

RVN. Dans l’ensemble, les auteurs susmentionnés abordent divers facteurs qui toucheront

aux volets théoriques de la présente thèse. Celle-ci se démarque néanmoins par son analyse

à contre-courant des divers volets contre-insurrectionnels (CORDS, le programme Phoenix21

et CAP), jumelée à son analyse des facteurs conventionnels, insurrectionnels logistiques et

hybrides. En bref, il existe peu d’études sur la guerre du Vietnam qui montrent la viabilité

des préceptes de contre-insurrection américains tout en cherchant à cibler comment le facteur

hybride du conflit affecta la conduite des opérations communistes et américaines.

Finalement, en ce qui a trait au programme Phoenix, citons les œuvres de Mark Moyar

21 Le programme Phoenix était une initiative visant à anéantir l’infrastructure politique du Viêt-Cong par le

biais des forces spéciales américano-sud-vietnamiennes, des forces de police sud-vietnamiennes et via

l’assistance d’informateurs et de transfuges communistes. Le programme Phoenix sera analysé en détail dans

le chapitre 4.

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(Phoenix and the Birds of Prey: Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam) et de

Dale Andrade (Ashes to Ashes: The Phoenix Program and the Vietnam War). Dans ces

études, les deux auteurs exposent les opérations de Phoenix et vont à l’encontre des

mouvances historiques et populaires qui tendent à dépeindre l’offensive ciblant les cadres

communistes comme un programme d’assassinat.

4. Hypothèse

Un des objectifs de cette thèse vise à montrer que le processus de pacification se

trouvait à la portée des stratèges américains et qu’il a été possible de l’appliquer avec succès

au Vietnam. L’analyse des doctrines contre-insurrectionnelles de l’USMC, de la 173rd

Airborne Brigade et du CORDS nous montrera que leur efficacité contre l’insurrection était

due au fait qu’elles s’inspiraient des préceptes contre-insurrectionnels français en Algérie et

britanniques en Malaisie. Un des aspects théoriques à être exploré sera celui de l’application

au Vietnam des doctrines du stratège et lieutenant-colonel français David Galula. Lors de la

guerre d’Algérie, ce dernier a révolutionné la COIN en développant une doctrine qu’il a

consignée par écrit dans Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice. La doctrine de

Galula a fortement inspiré la rédaction du dernier manuel doctrinal de COIN des Forces

armées américaines : le FM 3-24. Les bases de cette doctrine ont d’ailleurs été exploitées

avec beaucoup de succès en Irak par le général David Petraeus entre 2007 et 2011 et contre

les FARC en Colombie. La justesse de la doctrine du lieutenant-colonel français était telle

aux yeux du général Petraeus que ce dernier a surnommé Galula le « Clausewitz de la contre-

insurrection ».22

Même le général Westmoreland, également impressionné par les doctrines de Galula,

a invité ce dernier aux États-Unis afin qu’il éduque l’armée américaine et les forces spéciales

sur les dynamiques de la COIN.23 De son côté, l’Ambassadeur américain à Saigon, Henry

Cabot Lodge a reconnu l’impasse engendrée par la quasi-exclusivité accordée aux missions

de search and destroy ainsi que la nécessité d’exploiter les doctrines contre-

insurrectionnelles françaises au Vietnam. Dans une lettre au Président Lyndon Johnson,

22 Gregor Matthias, David Galula : Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire,

Paris, Economica, 2012, p. 1. 23 Ibid., 178-180.

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Lodge mentionne que les États-Unis gagneraient à exploiter les doctrines du général Jacques

Massu, l’un des architectes de la défaite insurrectionnelle algérienne lors de la bataille

d’Alger, et de David Galula.24 La doctrine de Galula comportait huit grandes étapes. La

première : détruire et expulser les forces insurgées du district visé. Ensuite, déployer

suffisamment de forces statiques pour empêcher le retour des insurgés. En troisième lieu,

assurer un contact et un contrôle serré de la population (pour la séparer des insurgés).

Quatrièmement, détruire l’organisation politique de l’insurrection. La cinquième étape :

organiser des élections locales avant de mettre à l’épreuve les élus afin d’évaluer leur réel

dévouement. La septième étape consistait à organiser un parti politique représentatif de

l’ensemble de la population. Finalement, convertir ou éliminer le résiduel de la guérilla.25

L’analyse des sources montrera que la 173rd Airborne Brigade ainsi que les Marines et leurs

Combined Action Platoons ont su appliquer avec beaucoup de succès la troisième étape du

processus doctrinal de Galula, c’est-à-dire assurer un contact et un contrôle serré de la

population (pour la séparer des insurgés).

Les Marines ont été déployés en permanence dans plusieurs secteurs ruraux de leur

zone d’opération et ont assuré la scission de la population civile et des insurgés. De son côté,

la 173rd Airborne Brigade en fit tout autant au sein des secteurs qu’on lui avait attribués. Pour

leur part, les sources relatives aux opérations du CORDS révèleront que l’organisation réussit

à appliquer les troisièmes et quatrièmes étapes du processus doctrinal de Galula. Nous

montrerons que le succès du CORDS est grandement attribuable à son contact direct avec la

population et à l’initiation d’un des programmes les plus controversés de la guerre du

Vietnam : le programme Phoenix. Ce dernier constitue sans aucun doute l’opération la plus

incomprise et la plus mésinterprétée de la guerre du Vietnam. Il s’agira de démontrer

comment le CORDS et Phoenix, de l’aveu même de commandants communistes, enraya ou

limita sévèrement la capacité à opérer des forces de combat communistes, de même que leur

infrastructure politique. Du côté des doctrines britanniques imitées par les Américains, nous

nous tournerons vers Sir Robert Thompson. Ce dernier, nommé conseiller sur la situation au

Vietnam auprès de Richard Nixon et d’Henry Kissinger, est considéré comme un des plus

24 U.S. State Department, Henry Cabot Lodge, Memorandum: Proposal by H,C, Lodge March 26, 1968,

Washington D.C., 1983. 25 David Galula, Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice, New York, Frederick A, Praeger

Publisher, 1964, p. 78-98.

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grands spécialistes de la COIN du 20e siècle. Thompson est reconnu comme l’un des

principaux architectes responsables de l’élimination de l’insurrection communiste en

Malaisie au cours des années 1950. Sa doctrine de COIN a été d’une telle efficacité qu’une

délégation de conseillers britanniques dirigée par Thompson a été formée et envoyée au

Vietnam pour conseiller le président sud-vietnamien Ngo Dinh Diem. Cette mission fut

nommée BRIAM (British Advisory Mission). L’application sud-vietnamienne des grandes

lignes des doctrines britanniques sous la direction de Diem entre 1960 et 1963 connut des

succès opérationnels outrageusement sous-estimés par beaucoup d’historiens et de

journalistes. Cette réalité a été exhaustivement exposée par Mark Moyar dans son étude

intitulée Triumph Forsaken et sera également analysée dans le premier chapitre de la présente

thèse. Du côté des Marines, de la 173rd Airborne et du CORDS, l’application des doctrines

de Thompson a eu un impact significatif sur la vie des Sud-Vietnamiens touchés par les

programmes de pacification et sur les insurgés cherchant à infiltrer les secteurs ruraux. La

doctrine de COIN britannique exploitée en Malaisie accordait beaucoup d’importance à la

sécurité et la qualité de vie de la population civile. La doctrine usait extensivement

d’opérations psychologiques.

Ces dernières visent à convaincre la population et les insurgés à pleinement collaborer

avec les forces gouvernementales. Pour la population, il s’agit notamment de la convaincre

que l’insurrection est une cause perdue en l’éliminant et en augmentant la qualité de vie des

civils. Pour les insurgés, il s’agit de leur infliger suffisamment de défaites, à les isoler et à

leur offrir des programmes d’amnistie afin de les convaincre de déposer les armes et faire

défection. L’analyse des sources américaines et communistes indiquera jusqu’à quel point le

MACV et l’ARVN ont, ultimement, réussi à atteindre cet état des choses au Vietnam au cours

des années 1970. Nous montrerons comment la sécurité des civils sud-vietnamiens,

directement touchés par ces programmes de pacification, s’est vue améliorée. Nous

chercherons également à exposer comment ces initiatives ont contribué à détourner les civils

sud-vietnamiens de la cause des insurgés du Viêt-Cong et jusqu’à quel point ces derniers se

sont vus privés du refuge, des caches et de l’approvisionnement préalablement fournis par la

population civile. Néanmoins, les percées américaines en matière de pacification n’auraient

jamais suffi à la tâche. L’aspect hybride du conflit nécessitait des Américains une attention

tout aussi marquée des aspects conventionnels de la guerre. La thèse propose d’exposer à

quel point cet aspect conventionnel, si souvent dénoncé par les historiens, rendait tout à fait

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justifiable les opérations de search and destroy privilégiées par Westmoreland. Au cours de

la présence américaine au Vietnam, des centaines de milliers de soldats réguliers de l’Armée

nord-vietnamienne ont infiltré le Vietnam du Sud via la Piste Ho Chi Minh longeant le Laos

et le Cambodge. Des divisions entières du NVA se sont déployées au cœur de la République

du Vietnam pour assister le VC et combattre l’ARVN ainsi que les Forces américaines.

L’application quasi exclusive de méthodes de COIN, tel que suggéré par les historiens

susmentionnés, aurait constitué en fait une véritable catastrophe pour les Américains et leurs

alliés sud-vietnamiens. En effet, aussi alerte et compétente soit-elle, aucune force militaire

déployée dans un cadre de mission contre-insurrectionnelle ne posséderait la capacité de

repousser l’assaut de forces conventionnelles adverses composées d’entière divisions,

brigades ou bataillons. Cette étude justifiera en partie le concept d’opération conventionnel

américain tout en ciblant ses failles. Il s’agit d’exposer à quel point ces lacunes ont été la

résultante des facteurs militaro-hybrides intrinsèques au conflit. Au Vietnam, les éléments

communistes ont créé un concept d’opération caractérisé par la synergie des opérations de

ses forces régulières (le NVA) et de ses forces irrégulières (le VC).

Ce processus hybride voyait les divisions régulières du NVA et les plus larges

formations VC attirer les forces américaines loin des secteurs peuplés. Ce procédé facilitait

l’infiltration du VC et de son infrastructure politique à l’intérieur des villages sud-

vietnamiens. Les secteurs ainsi capturés par le VC devenaient des bases d’opérations pour

les plus larges formations VC et pour le NVA. Ceci assura aux communistes des bases

d’approvisionnement, du renseignement, des recrues et l’appui des civils (forcé, volontaire

ou tacite). Lorsque les Forces militaires américaines cherchaient à sécuriser ces bases

d’opérations communistes, ils y déployaient des brigades pour déloger l’adversaire. Une fois

les éléments communistes surclassés, ceux-ci finissaient par quitter la zone d’opération.

Néanmoins, aucune force militaire statique n’était ensuite assignée pour demeurer avec les

villageois en vue de les protéger d’un éventuel retour des Viêt-Cong. Inévitablement, ces

derniers reprenaient rapidement le contrôle du secteur si durement gagné par les Américains;

une des conséquences du manque de synchronisation des opérations conventionnelles et

contre-insurrectionnelles des Américains au Vietnam. Les Français ont confronté exactement

le même problème lors de la guerre d’Indochine; bien que les Forces militaires françaises

détenaient la capacité de vaincre les divisions conventionnelles du Vietminh (le précurseur

du Viêt-Cong), dans la plupart des circonstances, elles se montraient incapables de

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simultanément contrôler la population vietnamienne.26 Lorsque les Forces américaines

traquaient les éléments conventionnels nord-vietnamiens dans les zones plus isolées, le NVA

engageait le combat pour subséquemment se désengager et trouver refuge au Laos et au

Cambodge, deux pays interdits d’accès aux Américains. Les gouvernements laotien et

cambodgien ont déclaré leur neutralité lors du conflit, ce qui ne les empêcha point de tolérer

tacitement la présence communiste au sein de leur territoire. Washington a préféré respecter

cette prétendue neutralité, ce qui ne l’a point empêché de la violer également en y déployant

des unités de forces d’opérations spéciales. La Maison-Blanche s’obstinait à ne pas déployer

de troupes régulières sur la Piste Ho Chi Minh, ce qui a permis aux unités communistes de

bénéficier d’une zone permanente de repli et d’un renflouement continuel en matière

d’effectifs, d’armes et de munitions. Ceci a facilité l’acheminement des 84,000 soldats

communistes qui ont déclenché l’offensive du Têt en 1968.27

En bref, le système militaro-hybride communiste constituait une entité mécanique

composée essentiellement de trois piliers ou sous-systèmes fonctionnant en parfaite

symbiose: les systèmes conventionnels, insurrectionnels et de réapprovisionnement

logistique. Les effets tactiques engendrés par cette dynamique synergique ont rendu possible

l’offensive du Têt, en plus d’épuiser psychologiquement les éléments politico-militaires

américains. Lors d’un conflit hybride de cette nature, il est impératif de disloquer cette

synergie hybride, faute de quoi, le conflit s’éternisera indéfiniment, en un éternel cycle de

recommencement. Dans le contexte militaire caractéristique du Vietnam, il était essentiel

pour les Américains de synchroniser leurs opérations conventionnelles et contre-

insurrectionnelles tout en isolant et brisant les trois piliers du processus de synchronisation

hybride des communistes. Là se situait, nous le croyons, le réel problème de nature militaro-

tactique pendant la guerre du Vietnam. Cette stratégie généra l’impasse militaire américaine

qui, inévitablement, frappa durement les cibles privilégiées d’une menace à caractère

hybride, c’est-à-dire les éléments politiques, économiques et sociaux de la puissance ou

superpuissance visée. C’est ce qui, ultimement, devait susciter le découragement politique

de Washington à poursuivre la guerre.

26 Williamson Murray et Peter R. Mansoor, Hybrid Warfare, Cambridge, Cambridge University Press, 2012,

p. 9. 27 James S. Robbins, This Time We Win, New York, Encounter Books, 2010, p. 165.

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Ainsi, cette thèse soumet l’hypothèse suivante : d’une part, la conduite d’opérations

conventionnelles s’est montrée pleinement justifiée au Vietnam considérant le modus

operandi hybride des communistes. D’autre part, la défaite militaire américaine n’est pas le

produit de l’inaptitude des forces militaires du MACV à exécuter leurs opérations de COIN;

de fait, ces dernières s’appliquaient très bien au théâtre d’opération vietnamien et ont

pratiquement éliminé l’insurrection. En fait, l’incapacité des Américains à stabiliser

militairement la situation a plutôt eu comme source leur inaptitude à complètement disloquer

la synergie des éléments conventionnels, insurrectionnels et logistiques propres au concept

d’opération hybride des communistes au Vietnam.

5. Méthodologie et sources

La méthodologie privilégiée se basera sur un principe de déduction et d’inférence.

Nos sources feront d’abord l’objet d’une analyse de contenu. Ensuite, les données extraites

se verront insérées et traitées au sein d’une grille de lecture qui nous permettra d’arriver à

des déductions et d’inférer des conclusions. Ce processus méthodologique permettra, par

exemple, de cibler jusqu’à quel point les opérations du CORDS, des Marines et de la 173rd

Airborne Brigade ont entravé les opérations communistes et gagné l’appui de la population

civile concernée. À titre d’exemple, une analyse effectuée dans un secteur occupé par les

CAP des Marines est susceptible de résulter en une déduction différente de celle d’un secteur

exclusivement ciblé par des opérations de search and destroy. Si ces manœuvres se voyaient

effectuées dans un secteur rural subséquemment occupé par les forces statiques des Marines,

nous pourrions probablement déduire que la dispersion des forces communistes dans les

secteurs habités s’avérerait compliquée, voire impossible.

Advenant de tels résultats à la suite de l’analyse des sources, nous serons à même de

conclure que la synchronisation des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles

s’avérait possible et aurait constitué un succès lorsqu’appliquée. Cette grille déductive

permettra également de cibler comment les trois sous-systèmes du processus de combat

hybride des communistes ont fait obstacle aux Américains pour stabiliser le théâtre

d’opération vietnamien. Par exemple, nous exposerons dans la grille les éléments qui

rendaient essentiels l’accès des forces communistes à la Piste Ho Chi Minh et l’impact

opérationnel de cette dernière sur les opérations de combat communiste au Vietnam. En

exploitant la même grille, nous analyserons les impacts de l’incursion américaine au

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Cambodge pour neutraliser les sites de réapprovisionnement de la Piste. En analysant les

impacts opérationnels de cette action sur les avantages tactiques apportés par

l’approvisionnement continuel de la piste Ho Chi Minh, il nous sera possible de déduire

jusqu’à quel point le système hybride communiste dépendait de ses lignes de communication

pour faciliter ses opérations militaires. En bref, il s’agit d’arriver à des déductions basées sur

des causes et les effets qui en ont résulté sur le théâtre d’opération. Notre méthodologie

déductive a notamment été exploitée par l’historien Mark Moyar dans ses deux études sur la

guerre du Vietnam : Triumph Forsaken : The Vietnam War, 1954-1965 et Phoenix and the

Birds of Prey : Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam. Dans Triumph

Forsaken, Moyar indique qu’une des plus grandes erreurs américaines au Vietnam a été

d’avoir abandonné Diem à son sort le 1er novembre 1963 lors de son renversement.28 Pour

cette étude, les multiples sources de Moyar comportent notamment des archives de la CIA,

du MACV et des groupes politiques communistes.

La méthodologie déductive de Moyar l’a amené à déduire que le programme contre-

insurrectionnel de Diem fonctionna très bien dans les secteurs ruraux et que la chute du

programme est allée de pair avec l’assassinat de Diem par ses généraux. Par son analyse,

Moyar montre avec clarté qu’à défaut d’être parfait, le système d’hameaux stratégiques de

Diem et les actions offensives de l’ARVN ont déstabilisé le VC, rendu littéralement à court

de moyens pour contrer les initiatives contre-insurrectionnelles du Président sud-vietnamien

en 1963.29 Dans Phoenix and the Birds of Prey, Moyar exploite la même méthodologie

déductive en analysant l’efficacité du programme Phoenix. Pour cette analyse, Moyar se

penche entre autres sur des archives du CORDS, de la CIA et des communistes. Son examen

des sources l’amène à conclure que le programme Phoenix décapita bel et bien une grande

partie de la structure politique du VC et que, contrairement à la croyance populaire, le

programme a été conduit de manière légale dans le cadre d’un conflit militaire.30 En bref,

Moyar analyse ses sources, fait les corrélations qui s’imposent, établit des faits, puis élabore

sa déduction. Nous nous proposons d’utiliser cette méthodologie pour la présente thèse.

28 Moyar, op. cit., p. 286-287. 29 Ibid. 30 Mark Moyar, Phoenix and the Birds of Prey: Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam,

Lincoln, University of Nebraska Press, 2007 (1997), p. 392-398.

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En ce qui a trait aux sources, la présente étude en comportera une très grande variété.

Parmi celles-ci, nous retrouverons plusieurs manifestes doctrinaux contre-insurrectionnels et

les mémoires des stratèges franco-britanniques. Ainsi, du côté français, les écrits de David

Galula seront exploités. En 1964, il publiait son manifeste contre-insurrectionnel

Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice. Galula y traite des stratégies et tactiques

qu’il considère impératives d’adopter si les forces contre-insurrectionnelles veulent contenir,

diminuer et, ultimement, vaincre une insurrection armée. Concrètement, Galula s’attarde sur

les conditions préalables au succès d’une insurrection, la constitution des doctrines

privilégiées par les guérillas, les stratégies et tactiques à employer pour contrer ces dernières

et les huit étapes à suivre pour annihiler une insurrection. Du côté britannique, maints écrits

de Robert Thompson seront exploités. Thompson a fait publier sa doctrine de COIN en 1966,

un manuel titré : Defeating Communist Insurgency: Experiences from Malaya and Vietnam.

Thompson s’attarde entre autres aux concepts régissant la conduite des opérations de

subversions, les insurrections communistes, les principes de base d’une COIN, sa structure

administrative, le renseignement, les hameaux stratégiques et la scission des insurgés avec la

population civile.

Thompson se penche sur deux modèles: la Malaisie et le Vietnam. L’auteur a

également fait publier No Exit From Vietnam. Il y explique pourquoi les Américains n’ont

pu y atteindre leurs objectifs politico-militaires. Une grande quantité de sources proviennent

des archives du War College localisées à Carlisle en Pennsylvanie et du centre d’Archives

nationales à College Park près de Washington D.C. Les sources du War College sont

constituées des rapports de John Paul Vann (un des chefs d’orchestre du CORDS) et de

quantité de rapports officiels issus de divers administrateurs du programme CORDS. Les

Archives nationales de College Park ont permis l’accès aux papiers du général William

Westmoreland, à des milliers de pages des archives du U.S. Marines Corps History and

Museum Division et des General Records of US Forces in South East Asia. Ces annales

décrivent respectivement les opérations des Combined Action Platoons des Marines et du

CORDS. L’essentiel des nombreuses pages d’archives dédiées au programme Phoenix

provient également des Archives nationales qui ont aussi permis l’accès à des centaines de

pages de documents communistes saisis par les forces américaines et sud-vietnamiennes. Ces

sources traduites en anglais seront d’une grande utilité car elles permettent d’analyser la

perception communiste des opérations de pacification américaine et sud-vietnamienne. Nous

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exploiterons aussi plusieurs milliers de pages d’archives numériques de l’History Vault de

ProQuest qui détient également quantité de documents communistes capturés et beaucoup

d’archives du CORDS et du MACV. ProQuest détient également maints rapports de Robert

Thompson lorsqu’il était un des conseillers de Richard Nixon. Quelques archives numériques

du Texas Tech University font également partie du corpus de sources. Nous y trouvons

d’autres documents du MACV et des opérations clandestines du MACVSOG au Laos et au

Cambodge. Nous consulterons également les archives audios du successeur de

Westmoreland au Vietnam, le général Creighton Abrams. Ces enregistrements ont été

consignés par écrit de la main de Lewis Sorley dans un volume intitulé; The Vietnam War

Chronicles 1968-1972 : The Abrams Tapes. Certaines archives d’Abrams proviennent

également du War College. Des archives de la division historique du Joint Chief of Staff

(l’état-major de la Défense américaine) et de la CIA (Central Intelligence Agency) seront

aussi exploitées. À cet effet, Thomas Ahern, ancien opérateur de l’Agence, constituera une

de nos sources privilégiées.

La CIA mandata Ahern pour qu’il écrive six volumes devant exposer le rôle de la

CIA lors de la guerre du Vietnam. Ces six volumes déclassifiés en 2009 comportent un total

de 1600 pages. Ces sources sont importantes car elles fournissent des détails exhaustifs sur

la conduite des opérations de pacification et les opérations clandestines visant la Piste Ho

Chi Minh au Laos et au Cambodge. L’ensemble des sources susmentionnées comporte

maints avantages car elles permettent d’analyser tous les aspects militaires nécessaires à

l’élaboration de la thèse. La plus grande limitation imposée par ces sources réside sur le plan

de l’accessibilité et de la lisibilité de certains documents ou sections de documents. Bien que

la loi d’accès à l’information ait rendu possible l’accès à une vaste gamme de documents, les

dossiers anciennement classifiés Top Secret comportent de nombreux paragraphes encore

censurés. L’inaccessibilité de quelques documents dans leur intégralité pourrait causer des

problèmes d’analyse si les détails censurés contenaient des éléments cruciaux au

développement de l’hypothèse. Qui plus est, de nombreuses sources sont presque illisibles,

compte tenu de l’encre vieillissante des documents dactylographiés. Nonobstant ces défauts,

la grande majorité de nos sources sont lisibles et non censurées.

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Plan et structure de la thèse

La présente thèse ne verra pas ses volets présentés de manière chronologique mais

plutôt thématique. Les facteurs analysés ne peuvent être exposés de façon chronologique; les

opérations des CAP, de Phoenix et du CORDS s’exécutaient simultanément au sein des

divers districts sud-vietnamiens. Les dynamiques hybrides caractéristiques au théâtre

d’opération comportent des éléments thématiques (conventionnel, insurrectionnel et

logistique) qui ne peuvent se décrire sur une base chronologique. En conséquence, l’analyse

d’un chapitre pourrait nous amener à exposer des évènements s’étant déroulés quelques

années avant les évènements du chapitre précédent. Pour sa part, le cadre temporel de l’étude

(1960-1972) est représentatif de la période historique principalement analysée. Bien que des

éléments datant des guerres de décolonisation des années 1950 soient brièvement analysés,

le cœur de la thèse débute avec l’application de la doctrine contre-insurrectionnelle

britannique dans la RVN par Diem en 1960 et se termine avec l’offensive printanière du

NVA en 1972. La chute de la République du Vietnam en 1975 et l’introspection militaire

d’après-guerre des Américains ne sont que très brièvement mentionnées en fin de thèse.

L’étude sera subdivisée en cinq chapitres.

Le premier propose d’abord une courte description académique des principes

d’insurrection, de contre-insurrection et de guerre hybride tout en menant une analyse

subséquente de leur application sur trois théâtres d’opération : l’Algérie, la Malaisie et le

Vietnam. Les volets dédiés à l’Algérie et à la Malaisie seront très courts car ils visent à faire

une simple démonstration au lecteur profane des impacts d’une tactique de contre-

insurrection (destinée à être exploitée au Vietnam) dans un théâtre autre que celui de la RVN.

Ce volet de la thèse se penchera notamment sur les pratiques d’insurrection et de COIN

rencontrées au Vietnam sous Ngo Dinh Diem. Le chapitre se terminera avec l’analyse des

principes hybrides du général nord-vietnamien Vo Nguyen Giap et de leurs effets lors de

l’offensive du Têt. À la lecture du premier chapitre, le lecteur bénéficiera d’une bonne mise

en contexte des premières opérations de COIN au Vietnam juste avant l’intervention militaire

américaine. Le lecteur sera également au fait des dynamiques militaires tactiques et

opérationnelles propres à la guerre du Vietnam. La capacité des communistes à maximiser

les principes de guerre hybride ayant été la résultante de l’incapacité américaine à en briser

la synergie, le second chapitre visera à exposer l’absence de convergence entre les opérations

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conventionnelles et contre-insurrectionnelles des Américains. Nous y exposerons comment

le manque de synchronisme des opérations militaires américaines a facilité le processus de

guerre hybride des communistes. Parallèlement, le lecteur comprendra pourquoi

Westmoreland a été totalement justifié d’initier des opérations agressives de search and

destroy. Le troisième chapitre se penchera sur la COIN d’inspiration franco-britannique de

l’USMC et de la 173rd Airborne Brigade dans leur secteur d’opération respectif. Ce volet

démontrera que la pacification des secteurs ruraux de ces deux unités a permis de sécuriser

la population civile de l’influence du VC qui n’était nullement invulnérable aux stratégies de

COIN. Ce chapitre solidifiera également notre argumentation vis-à-vis de la faisabilité des

opérations de COIN américaines au Vietnam. Cette même argumentation se verra renforcée

davantage dans le chapitre 4 qui traitera de la contre-insurrection du CORDS dans les

secteurs ruraux de la RVN ainsi que du programme Phoenix. L’effet dévastateur du CORDS

et de Phoenix sur le VC à la suite de l’offensive du Têt montrera à quel point le problème

militaire américain n’a rien eu à voir avec l’application de mauvais concepts contre-

insurrectionnels. Parallèlement, nous exposerons comment l’insurrection viêt-cong s’est vue

démantelée pièce par pièce via ces deux programmes de COIN.

Les chapitres 2 à 4 permettront de cibler comment l’incapacité américaine à briser la

synergie des sous-systèmes conventionnels et non conventionnels du système hybride de

Giap a facilité la continuation des opérations communistes au Vietnam. L’ordre des chapitres

2 à 4 se justifie par la nécessité d’expliquer en premier lieu les initiatives militaires

conventionnelles des Américains et leurs impacts sur le théâtre d’opération sud-vietnamien.

Il conviendra ensuite avec le chapitre 3 de se pencher sur l’analyse concrète des opérations

contre-insurrectionnelles plus localisées de l’USMC et des impacts du manque d’opérations

conventionnelles lors de la conduite de COIN par les Marines. Par après, il sera logique au

chapitre 4 de se centrer sur la contre-insurrection généralisée dans l’ensemble de la RVN

avec le CORDS et les impacts bénéfiques d’une campagne contre-insurrectionnelle conduite

de manière synchronisée avec les opérations conventionnelles. Les effets opérationnels et

stratégiques engendrés par l’incapacité d’isoler le troisième sous-système, c’est-à-dire

l’élément logistique et la Piste Ho Chi Minh, seront traités dans le cinquième et dernier

chapitre. La conclusion inclura une rétrospective des éléments analysés, suivie d’un constat.

Ce dernier aboutira sur le fait que l’impasse militaire rencontrée au Vietnam n’était en rien

la conséquence d’une campagne contre-insurrectionnelle inepte des Américains. En réalité,

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leur défaite a été le résultat de leur incapacité à isoler et neutraliser systématiquement les

trois éléments synergiques clés du concept d’opération hybride des communistes.

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Chapitre I: L'Art de la guerre insurrectionnelle, contre-

insurrectionnelle et hybride

“Making war upon rebellion was messy and

slow, like eating soup with a knife”31

-T.E. Lawrence

“If we plan for a long haul, we may get quick

results. If we go for quick results, we may at best get a

long haul”32

-Sir Robert Thompson

La guerre du Vietnam s’est grandement démarquée des conflits purement

conventionnels ayant caractérisé le début du 20e siècle marqué par la Première Guerre

mondiale; un conflit basé sur le statisme, l’artillerie et les opérations défensives à grande

échelle. La Deuxième Guerre mondiale a vu l’essor des doctrines militaires tactiques qui

privilégient la guerre conventionnelle de mouvement et les opérations militaires combinées.

Les chars et l’infanterie initiaient assauts frontaux et attaques de flanc de manière

synchronisée tout en bénéficiant de l’appui accru de l’artillerie et de l’aviation. Bien que

divers secteurs d’opérations se soient distingués par leur caractère à saveur insurrectionnelle,

la Seconde Guerre mondiale marqua profondément les doctrines militaires modernes des

armées qui, encore aujourd’hui, exploitent une doctrine conventionnelle basée sur les

préceptes doctrinaux allemands préconisés dans le Truppenführung. Ce dernier a été écrit en

1933 par des généraux et tacticiens allemands et constitue encore aujourd’hui la base de toute

doctrine de guerre conventionnelle moderne exploitée notamment par les armées de l’OTAN

et la Russie. Ces mêmes doctrines conventionnelles ont été exploitées par l’Armée

américaine lors de la guerre de Corée qui a eu un fort impact sur la gestion stratégique de la

guerre du Vietnam par les politiciens américains. Néanmoins, le conflit au Vietnam a brouillé

de nombreuses cartes et a déconcerté maints stratèges et tacticiens militaires aux États-Unis.

Jamais auparavant les Forces militaires américaines n’avaient été confrontées à un conflit où

31 T.E, Lawrence, Seven Pillars of Wisdom. Blacksburg, Wilder Publications, 2011 (1922), p. 91. 32 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April

1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, College Park, Maryland Political Affairs

& Rel. Folder: 016488-002-0192, p. 6.

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leur adversaire exploitait l’amalgame de préceptes de guerre conventionnelle et non

conventionnelle. En fait, préalablement à la guerre du Vietnam, la dernière implication

militaire américaine dans un conflit de nature hybride se situe lors de la guerre

d’Indépendance contre la Grande-Bretagne. Les forces coloniales américaines ont elles-

mêmes imposé des offensives militaires hybrides aux Britanniques en exploitant leurs forces

régulières continentales de concert avec leurs forces irrégulières composées de milices

coloniales. Avec l’aide de la France, les Américains sont parvenus à décourager la Grande-

Bretagne de continuer la guerre, ce qui aboutit sur la victoire des forces du général

Washington contre les Britanniques. La guerre civile qui stigmatisa le pays le siècle suivant

a pour sa part été un conflit quasi exclusivement conventionnel. La guerre de Sécession a vu

l’émergence de grands généraux éduqués à West Point qui marquent encore aujourd’hui la

culture militaire des États-Unis. Parmi ces généraux, citons Ulysse S. Grant, William

Tecumseh Sherman, Thomas « Stonewall » Jackson, James Longstreet et Robert E. Lee. Ces

leaders militaires ont grandement inspiré la logique de guerre américaine basée sur

l’offensive et l’attrition.

Les deux guerres mondiales et la guerre de Corée ont dramatiquement renforcé cette

conceptualisation américaine de la guerre. Ce facteur explique pourquoi la machine de guerre

américaine moderne a été bâtie et spécifiquement conçue pour exploiter des doctrines

militaires conventionnelles sur le champ de bataille. Les guerres passées et le spectre d’un

troisième conflit mondial contre l’Union soviétique justifia pleinement ce concept doctrinal.

Les aspects militaires relatifs aux insurrections et à la guerre irrégulière n’ont pas constitué

une priorité pour les tacticiens américains. Lors du déploiement des premières forces de

combat américaines au Vietnam, une dure réalité s’imposa rapidement à l’US Army et aux

Marines; le Vietnam n’était pas la Corée, pas plus que le Japon ni l’Allemagne. Cette guerre

allait inévitablement nécessiter l’initiation d’opérations de COIN. Or, la planification et

l’application d’opérations contre-insurrectionnelles nécessita -et nécessitera toujours- une

compréhension complète du concept même d’insurrection. En quoi consiste exactement ce

concept qui a compliqué la conduite des opérations conventionnelles au Vietnam?

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1.1. Insurrection et guerre irrégulière

Le manuel de doctrine contre-insurrectionnelle américain, le FM 3-24, définit une

insurrection comme un « mouvement organisationnel conçu pour renverser un

gouvernement » en exploitant « subversion et conflits armés ». Le manifeste doctrinal

spécifie qu’une insurrection constitue en fait une entité qui cherchera à « affaiblir le contrôle

et la légitimité » du gouvernement au pouvoir ou de la force d’occupation par le biais

d’actions politico-militaires cinétiques sur une période prolongée (protracted struggle).

Parallèlement, les forces d’insurrection chercheront à « augmenter leur contrôle » politico-

militaire aux dépens du gouvernement visé par les attaques insurgées.33 Bien que communes

à travers l’histoire, les guerres d’insurrection telles que définies par le FM 3-24 ont connu un

regain de popularité au 20e siècle. Les États-Unis réussirent à vaincre une insurrection aux

Philippines en 1902, le nouveau régime bolchevique en Russie a dû s’affairer à combattre

des forces contre-révolutionnaires et T.E. Lawrence exploita des tactiques de guérilla pour

combattre les forces militaires de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale.

L’ère moderne des insurrections débuta après la Deuxième Guerre mondiale avec la montée

des mouvements nationalistes et le déclin des puissances impériales.34

Les guerres insurrectionnelles diffèrent de beaucoup des guerres conventionnelles, un

facteur qui a troublé à de nombreuses reprises les stratèges militaires chargés d’étouffer une

insurrection. À cet effet, David Galula souligne dans son manifeste doctrinal pourquoi il y a

eu tant de confusion lors de la gestion de guerres d’insurrection et si peu le temps venu de

régir des conflits de nature conventionnelle. Galula explique que lors du déclenchement

d’une guerre conventionnelle, la « transition abrupte » du statut de paix à un statut de guerre

et « la nature même de la guerre » clarifie rapidement l’essence du problème pour les

belligérants. L’objectif sans équivoque consiste à anéantir les forces militaires de son

adversaire et à saisir son territoire. Les facteurs de nature politico-économiques sont relégués

au second plan et ont pour fonction d’appuyer les actions de nature militaires.35 Il en va tout

autrement des guerres insurrectionnelles; la transition du statut de paix au statut de guerre

s’opère de manière graduelle, les problèmes opérationnels caractéristiques au conflit ne sont

33 Headquarters Department of the Army, FM 3-24 Counterinsurgency, Washington, 2006, p. 1-1. 34 Ibid., p. 1-3,1-4. 35 Galula, op. cit., p. 62.

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jamais clairement définis, la population constitue un objectif clé et les actions politiques et

militaires ne peuvent se voir dissociées; l’aspect militaire, bien « qu’essentiel », ne peut

constituer la forme d’action principale lors d’une insurrection.36 Les indicateurs de victoire

diffèrent également lors de ce genre de guerre. La destruction des forces adverses, la capture

de son territoire et la capitulation d’un des belligérants a généralement scellé l’issue des

guerres de nature conventionnelle. Lors d’une insurrection, la destruction des forces

insurgées et de son infrastructure politique ne sont pas des garants de victoire; l’insurrection

peut éventuellement se reconstituer et continuer le combat. Galula souligne que lors d’une

insurrection, une victoire consiste en « l’isolement permanent » des insurgés de la

population.37 Nous le verrons plus loin, c’est précisément ce que les Britanniques réussirent

à accomplir lors de leur campagne de COIN en Malaisie. Tel qu’il sera démontré dans les

prochains chapitres, la sécurité de la population est à la base de tout succès lors d’une COIN.

Les insurrections se caractérisent toutes comme étant des guerres qualifiées

« d’irrégulières ». Une guerre irrégulière constitue un conflit qui opposera des forces

militaires exploitant des tactiques conventionnelles contre un adversaire qui refusera

d’affronter ouvertement les forces régulières. Ces dernières seront visées par des attaques

subversives faites d’embuscades (hit and run) et d’opérations visant des cibles non

combattantes. En termes plus académiques, le Joint Staff des forces militaires américaines

définit la guerre irrégulière comme suit :

A violent struggle among state and non-state actors for legitimacy and

influence over the relevant populations. [Irregular Warfare] favors

indirect and asymmetric approaches, though it may employ the full range

of military and other capabilities, in order to erode an adversary’s power,

influence, and will. What makes [Irregular Warfare] different is the focus

of its operations - a relevant population - and its strategic purpose – to

gain or maintain control or influence over, and support of [the population]

…the focus of [Irregular Warfare] is on the legitimacy of a political

authority to control or influence [the population].38

D’ores et déjà, nous sommes à même de constater que la population civile semble incarner un

élément important de l’effort de guerre des forces irrégulières. Les éléments politiques de

l’insurrection exploiteront un amalgame de techniques d’intimidation, de coercition et de

36 Ibid. 37 Ibid., p. 57. 38 David Jordan, Kiras, D. James, Lonsdale J. David, Ian Speller, Tuck Christopher et C. Dale Walton,

Understanding Modern Warfare, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 233.

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terrorisme afin d’obtenir la coopération des civils réfractaires à l’idée d’appuyer les forces

insurrectionnelles. Les insurgés useront de leur influence pour convaincre la population de

l’inaptitude du gouvernement à les protéger et que l’intérêt des villageois consiste à coopérer

avec les forces irrégulières.39 Ces stratagèmes ont été exploités par une multitude de forces

insurgées que ce soit en Irak avec Al Qaeda, en Afghanistan avec les Talibans, au Vietnam

avec le VC et quantité d’autres. Avec le temps, les forces irrégulières chercheront à ravir

l’initiative offensive à leur adversaire et initieront des offensives plus conventionnelles pour

éventuellement renverser de manière définitive le gouvernement en place.40 Ce concept

général tire ses racines des grandes lignes de la doctrine insurrectionnelle communiste de Mao

Zedong, plus tard exploitée par le chef d’état-major du NVA Vo Nguyen Giap.

1.1.1. La vision des doctrines insurrectionnelles de Mao et leur influence au Vietnam

Lors de la guerre sino-japonaise dans les années 1930, Mao a produit deux manifestes

élaborant ses théories en matière de guerre irrégulière. Un des manifestes s’intitulait On

Guerrilla War, l’autre; On Protracted War. Dans ce dernier, Mao souligne qu’une victoire

rapide contre les forces conventionnelles japonaises est « impossible ». Il affirme que de

maintenir une « ligne de défense tactique » contre les Japonais résultera inévitablement en une

« défaite des forces communistes ». Les Japonais étaient trop bien équipés et entraînés pour

être vaincus par le biais de manœuvres conventionnelles. Mao préconisait donc une méthode

qui plaçait la paysannerie chinoise au cœur du conflit contre les envahisseurs japonais. Les

civils devaient être « éduqués, entraînés et équipés pour combattre ». Les offensives tactiques

de la guérilla devaient se concentrer sur l’assaut des zones occupées par les forces nippones

et de leurs lignes de réapprovisionnement. Les Japonais se verraient alors confrontés à un

dilemme : redéployer leurs troupes d’occupation pour traquer les insurgés (ce qui permettrait

l’infiltration des insurgés auprès de la population) ou redéployer leurs forces pour protéger

leurs lignes de réapprovisionnement.41 En bref, Mao cherche à disperser les forces

conventionnelles, vise leurs maillons faibles et, à moins d’un avantage tactique certain, évite

tout affrontement direct. Mao a construit sa propre analyse des concepteurs doctrinaux

39 Ibid., p. 235-236. 40 Ibid., p. 236. 41 Zedong, Mao, On Protracted War, Honolulu, University Press of the Pacific, 2001 (1966), p. 196-197, 219-

222, 248-250, 255.

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insurrectionnels qui privilégiaient une approche systématiquement axée sur l’offensive ou la

défensive. Le leader chinois critiquait aussi les deux écoles de pensée et suggéra une approche

plus nuancée des deux concepts.42 Il a préféré calibrer ses initiatives offensives et défensives

en subdivisant sa doctrine en trois phases : la première : une défense stratégique qui voyait

l’implantation progressive des éléments politico-militaires communistes dans les secteurs

ruraux jugés idéaux pour lancer les éventuelles actions militaires. Il s’agissait alors de recruter,

entraîner et organiser les cadres chargés des affaires politiques de l’insurrection; infiltrer les

organisations civiles et gouvernementales clés; développer un réseau de collecte de

renseignement, ramasser des fonds (via la taxation des civils) et développer des relations pour

obtenir des appuis externes. Ultimement, l’objectif consiste à créer les conditions politico-

militaires idéales pour l’initiation de la guérilla.43 La deuxième phase: déclencher un conflit

de guérilla qui entraînera les éléments contre-insurrectionnels et le gouvernement au sein

d’une impasse stratégique. Lors de cette phase, les insurgés s’engagent dans une épreuve de

force contre les forces contre-insurrectionnelles en multipliant les attaques subversives et non

conventionnelles.

Au sein de l’arène politique, les cadres s’affairent à briser le lien de confiance de la

population civile vis-à-vis des instances gouvernementales au pouvoir. L’insurrection cherche

également à étendre sa zone d’influence géographique. Les attaques subversives ayant affaibli

à l’usure les forces gouvernementales et rallié la population civile à la cause des insurgés, il

sera alors possible de passer à la troisième phase: une large contre-offensive stratégique des

insurgés. Ces derniers effectueront la transition tactique susmentionnée qui entraînera

l’abandon des attaques de guérilla au profit d’assauts militaires conventionnels destinés à

faciliter la prise du pouvoir. Il convient de préciser que la doctrine maoïste ne nécessite pas

une exécution « séquentielle » ou une « application complète » des trois phases; l’objectif est

de saisir le pouvoir politique par la force. Si le gouvernement visé chute prématurément, les

trois phases n’auront pas à être exécutées. Parallèlement, si l’insurrection encaisse un revers,

elle peut revenir à la phase précédente.44 C’est précisément ce qui arriva aux forces

communistes en Indochine contre les Français en 1951 et contre les Américains pendant

42 David Jordan, Kiras, D. James, Lonsdale J. David, Ian Speller, Tuck Christopher et C. Dale Walton, op.

cit., p. 255. 43 Headquarters Department of the Army, op. cit., p. 1-6. 44 Ibid., p. 1-7.

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30

l’offensive du Têt en 1968. Lors de cette dernière, la défaite encaissée par l’Armée nord-

vietnamienne et le VC fut si catastrophique sur le plan militaire qu’Hanoï n’eut d’autre choix

que de reculer à la phase 2 de sa doctrine d’inspiration maoïste.45 Mao insiste sur la primauté

absolue de l’aspect politique qui, ultimement, atteints ses objectifs grâce au soutien des

opérations de nature militaire. Une des tâches primaires de ces éléments militaires est

d’assurer la protection des cadres chargés de conduire les opérations politiques de

l’insurrection visant à gagner l’appui de la population civile.46 À cet effet, Galula souligne:

If the insurgent manages to dissociate the population from the

counterinsurgent, to control it physically, to get its active support, he will

win the war because, in the final analysis, the exercise of political power

depends on the tacit or explicit agreement of the population or, at worst, on

its submissiveness.47

Mao visualisait ses forces insurgées comme des poissons nageant dans l’eau représentée par

la population civile. Cette dernière est essentielle à la victoire ultime et ne peut être dissociée

des plans stratégiques de la guérilla. Une citation d’un rapport du haut-commandement des

forces communistes dans la République du Vietnam (le COSVN/Central Office for South

Vietnam) démontre également à quel point le leadership communiste vietnamien a insisté

pour que ses subordonnés respectent ce précepte stratégique de la doctrine maoïste :

We must understand the present policy of our Party in order to trigger a

fully developed guerrilla warfare with the participation of the population

in all sectors. This policy aims to coordinate our military attacks with our

political attacks and intensify [our attacks] so as to carry our offensive

capabilities to their zenith for the initiation of the general offensive and

the uprising campaign.48

L’importance de la synergie caractéristique des opérations politico-militaires

insurgées et l’appui de la population civile est également corroborée par Robert Thompson. Il

explique que « l’objectif politique » des insurgés consiste à assurer le contrôle de la population

45 Il est à noter que la nature hybride du conflit rencontré au Vietnam entraîna les forces communistes à

exploiter une version modifiée de la doctrine maoïste. Cette doctrine fut dénommée Dau Trahn et sera décrite

dans le volet hybride du présent chapitre. 46 David Jordan, Kiras, D. James, Lonsdale J. David, Ian Speller, Tuck Christopher et C. Dale Walton, op.

cit., p. 255. 47 Galula, op. cit., p. 6. 48 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and

Analysis of Significant Viet Cong/North Vietnamese Documents, Carlisle Barracks, Pennsylvania, Folder

003233 -002-0994, p. 16-17.

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31

en se concentrant préalablement sur les « zones rurales ». Pour sa part, « l’objectif militaire »

vise à « neutraliser les forces armées du gouvernement » et à les rendre ineptes à garder le

momentum de la situation opérationnelle en leur faveur.49 Pour atteindre de tels objectifs, les

entités politiques et militaires de l’insurrection formeront une organisation conjointe qui

subordonnera les éléments militaires aux éléments politiques. Cette coopération entre les

éléments politico-militaires communistes se résume au schéma suivant :

Figure 1 : Schéma représentant la dynamique de la synchronisation des opérations

politico-militaires communistes selon Robert Thompson50

Sous la direction du Comité de district, l’organisation politique communiste au sein

de la population (A) est responsable, avec l’aide des unités de combat (B et C), d’accroître le

contrôle des insurgés sur la population. L’organisation politique (A) est aussi responsable de

fournir de la nourriture, de l’approvisionnement logistique, des recrues et du renseignement

au comité de district ainsi qu’aux unités de combat. Plus les cellules communistes s’étendent

géographiquement, plus le flot de recrues, d’approvisionnement logistique et d’unités aptes

au combat augmenteront. La réaction en chaîne qui s’ensuit aboutit sur la création

progressive de pelotons qui deviennent des compagnies appelées à évoluer en bataillons de

district (pour avoir la description de l’ordre de bataille d’un bataillon du Viêt-Cong, voir

49 Robert Thompson, Defeating Communist Insurgency, Londres, Chatto & Windus, 1966, p. 29-30. 50 Ibid., p. 30.

Comité de

district Unités régulières

communistes

(compagnies et

bataillons)

Cellules

communistes et

appui populaire

Unités communistes

locales (pelotons et

compagnies) A B

C

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32

l’annexe 1). Si l’insurrection parvient à saisir davantage de territoire aux dépens des forces

contre-insurrectionnelles, ces mêmes bataillons sont susceptibles de devenir des régiments

entiers (ce qui, ultimement, facilitera l’initiation d’opérations conventionnelles majeures au

moment opportun).51 Une fois un secteur sécurisé par les communistes, les pelotons

s’installent en permanence dans les villages et continueront d’appuyer les initiatives

politiques de l’insurrection. La zone sécurisée peut même être appelée à voir les unités

régulières de bataillons s’installer aux abords des villages et déployer leurs compagnies en

son sein. À ce stade, Thompson souligne que la guérilla opère librement au sein de la

population qui assure la continuité de l’approvisionnement en nourriture, recrues et

renseignements aux insurgés qui, de leur côté, bénéficient également du camouflage idéal

contre les forces contre-insurrectionnelles.52

À cet effet, les insurgés ne portaient pas d’uniformes, s’habillaient des mêmes

vêtements que les paysans. À moins d’être surpris les armes à la main, les membres de

l’insurrection devenaient indissociables du reste de la population. Thompson précise que

l’erreur classique des forces contre-insurrectionnelles une fois confrontées aux forces

irrégulières est de viser les éléments de combat des forces insurgées (B et C) aux dépens des

éléments politiques (A). Les éléments militaires représentent la cible la plus attrayante pour

une force militaire conventionnelle. Nous verrons dans le volet dédié à la COIN à quel point

ce concept d’opération est infructueux lors d’une campagne contre-insurrectionnelle. Afin de

mettre en valeur l’importance majeure du facteur relatif au recrutement, il convient de

mentionner une autre observation de Thompson. Ce dernier fait valoir qu’il peut être

surprenant de constater à quel point les insurgés peuvent se montrer capables de renflouer

leurs effectifs après avoir encaissé des pertes que l’on peut qualifier de catastrophiques aux

mains des forces contre-insurrectionnelles. Ce phénomène s’explique de la manière

suivante : la taille des forces insurgées est très minime si on la compare à celle de la

population sous son contrôle. À titre d’exemple, en 1964, on estimait les larges formations

militaires viêt-cong, excluant les guérillas des villages, à environ 35,000 soldats. Il a aussi

été évalué que le VC subissait des pertes annuelles de 15,000 à 20,000 soldats en 1962 et

1963. Néanmoins, le bassin de population sous le contrôle du VC avoisinait les cinq millions

51 Ibid., p. 30-31. 52 Ibid., p. 32, 33.

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de personnes à la fin de 1964.53 Une telle situation démontre à quel point l’élimination

massive et systématique d’insurgés ne constitue pas la clé de la victoire pour les forces

contre-insurrectionnelles. Le VC se fondait dans la masse et bénéficiait d’un bassin de

recrutement presque infini dans les secteurs ruraux. Lors du déploiement des forces de

combat américaines en 1965, l’insurrection VC s’étendait dans presque tous les districts de

la RVN. Pour le contrôle administratif des secteurs géographiques, le commandement

communiste organisa le territoire de la RVN en neuf Régions militaires gérées par une

infrastructure politique subordonnée au COSVN. Chacune de ces Régions possédait son

propre quartier-général (QG) politico-militaire peuplé de 200 à 700 cadres. Les régions

étaient subdivisées en 33 provinces, contrairement aux subdivisions provinciales de Saigon

chiffrées à 44. À leur tour, les Régions militaires se sont vues subdivisées en 230 districts qui

comportaient leur organisation de Parti respectif.

Le QG d’une province pouvait contenir entre 75 et plusieurs centaines de cadres; les

QG de district en comptaient habituellement une cinquantaine. Sous l’échelle de district,

l’infrastructure politique VC incluait des éléments administratifs dans la majorité des 2500

villages et 12,000 hameaux de la RVN. C’est au sein des villages et des hameaux que

l’infrastructure politique a été la plus active dans sa mission primaire : affermir la base

populaire de l’insurrection.54 En bref, les éléments politico-militaires communistes

s’incrustaient dans les zones rurales sud-vietnamiennes, dont la population contrôlée et

influencée pliait sous le joug des cadres de l’infrastructure politique communiste. Pour

contrer un tel modus operandi, les forces militaires régulières n’ont d’autre choix que

d’appliquer une doctrine militaire tactique qui échappe encore à la compréhension de

nombreuses armées au 21e siècle : la contre-insurrection.

1.2. La contre-insurrection

Le FM 3-24 définit la COIN comme une succession « d’actions militaires,

paramilitaires, politiques, économiques, psychologiques et civiques entreprises par un

gouvernement dans le but de vaincre une insurrection ».55 Pour connaître du succès à long

53 Ibid., p. 41. 54 Records of the United States Marine Corps, Background and draft material for U.S. Marines in Vietnam:

The Defining Years, 1968, Headquarters Marine Corps History and Museum Division, RG 127, Entry A-1

(1085), Box #5. 55 Headquarters Department of the Army, op. cit., p. 1-1.

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terme, une COIN nécessitera le support d’une population prête à appuyer son gouvernement.

Pour ce faire, ce dernier doit « éliminer les causes de l’insurrection ». Les forces contre-

insurrectionnelles (exemple; les forces militaires américaines au Vietnam) auront comme

objectif stratégique d’aider le pays visé à assurer de manière autonome la loi, l’ordre et

rétablir les bases nécessaires à la croissance de l’économie et des services sociaux. Ainsi, la

COIN nécessite une implication directe de ses acteurs au sein des facteurs politique, militaire,

économique, social et de l’information (PMESI).56 La COIN se distingue par la nécessité

pour les soldats déployés d’assumer des responsabilités et des tâches qui dépasseront celles

d’une mission de combat classique, habituellement associées aux guerres conventionnelles.

La COIN exigera des soldats qu’ils initient des actions militaires offensives et défensives

couplées d’actions civiques, de sécurité et de stabilité, avec pour objectif la population civile.

Les commandants militaires auront la responsabilité d’agencer ces opérations et

privilégieront l’attention portée à un ou plusieurs des facteurs susmentionnés selon leur

évaluation de la situation opérationnelle dans leur zone de responsabilité.57 Néanmoins, les

forces contre-insurrectionnelles (étrangères) ne peuvent s’attendre à « vaincre

l’insurrection »; cette tâche doit être accomplie par les forces contre-insurrectionnelles

locales dont le rôle est de rétablir la sécurité civile et leur légitimité aux yeux de la

population.58 À défaut de quoi, l’insurrection reprendra de plus belle, à la suite du départ des

forces étrangères du théâtre d’opération. Dans cette optique, le rôle de mentorat des forces

étrangères sur les forces locales dans leur éducation en matière de COIN est névralgique. Le

volet dédié à l’insurrection a démontré à quel point les éléments relatifs à la population civile

sont centraux lorsqu’on mène une campagne militaire insurrectionnelle. Ce facteur est tout

aussi important lors de la conduite d’une COIN. Généralement, les forces contre-

insurrectionnelles interagiront avec une population rurale composée d’une minorité

d’habitants pro-gouvernementaux ainsi qu’une faction proportionnellement égale d’habitants

pro-insurrection. Pour espérer vaincre l’insurrection, le gouvernement doit chercher à gagner

l’appui de la majorité représentée par la population indécise et les partisans plus passifs des

camps pro et anti-gouvernementaux. Lors d’une COIN, il est généralement insuffisant pour

56 Ibid. 57 Ibid., p. 1-19. 58 Thomas Rid et Keaney, Thomas, Understanding Counterinsurgency, New York, Routledge, 2010, p. 160.

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les forces gouvernementales de bénéficier de 51% de l’appui populaire; une solide majorité

étant habituellement nécessaire (comme ce fut le cas en Malaisie avec les Britanniques). Une

population considérée passive peut s’avérer suffisante aux succès d’une insurrection.59 Bien

que plusieurs impératifs de la guerre hybride aient échappé à Andrew Krepinevich, il

souligne bien l’importance du rôle de la population civile. À ce sujet, il précise que si les

forces contre-insurrectionnelles « minimisent l’accès des insurgés à la population », la

possibilité de recruter de nouveaux membres, d’obtenir de l’approvisionnement ainsi que du

renseignement se verra très compliquée pour la guérilla. Il rajoute que le problème se voit

aggravé pour les insurgés si la population se sent protégée de leurs représailles. Dans ces

conditions, les villageois auront tendance à divulguer des informations sur les opérations

insurgées aux forces contre-insurrectionnelles. Lorsqu’incapables d’opérer en toute impunité

au sein de la population, les forces insurrectionnelles deviennent très vulnérables.60

Krepinevich conclut avec justesse que, contraints à de telles conditions, les insurgés

se verront « forcés » de combattre à découvert pour regagner la population. En conséquence,

les forces non conventionnelles seront confrontées à la puissance de feu supérieure des forces

contre-insurrectionnelles, forçant ainsi les insurgés à se réfugier dans des zones isolées.61

Comme ce fut le cas en Malaisie, les forces irrégulières perdent à la fois leur capacité de

combattre et leur influence sur une population civile qui, au fil du temps, en vient à percevoir

la guérilla comme une entité déchue et sans importance. Cependant, tel que spécifié

précédemment, Thompson a soulevé à quel point le réflexe premier des forces contre-

insurrectionnelles est de viser les effectifs militaires de l’insurrection, et ce, aux dépens des

éléments relatifs à la structure politique de la guérilla et à la population civile. Lorsqu’elles

se limitent à affronter les forces militaires des insurgés, les troupes contre-insurrectionnelles

initieront de larges opérations de ratissage en se fondant sur du renseignement très

sporadique. Il se trouve que les forces de guérilla sont précisément conçues pour

contrebalancer des offensives du genre. Règle générale, les effectifs insurgés évitent de

concentrer leurs troupes, mais s’assurent plutôt de les disperser à travers la jungle ou d’autres

secteurs géographiques difficiles d’accès. Si les forces insurgées sont surprises, encerclées et

59 Headquarters Department of the Army, op. cit., p. 1-20. 60 Andrew F. Krepinevich, The Army and Vietnam, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1988

(1986), p. 10-11. 61 Ibid., p. 11.

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annihilées par les forces de sécurité, les dommages ne seront pas irréversibles; comme ce fut

si souvent le cas pendant la guerre du Vietnam, les insurgés s’infiltreront de nouveau dans la

zone et reconstitueront leurs forces auprès de la population civile à la suite du départ des

forces contre-insurrectionnelles.62 C’est pourquoi il est essentiel d’accorder une place

prépondérante à la sécurité de la population civile lors de l’élaboration d’une campagne de

COIN cohérente. Pour sa part, Galula s’oppose également à un concept d’opération

exploitant des méthodes conventionnelles pour gérer une COIN. L’initiation d’opérations de

ratissage est futile car les insurgés ne chercheront généralement pas à combattre ouvertement

pour conserver leur zone d’occupation. Si la pression des forces de sécurité ayant pour objet

de sécuriser la zone devient trop accablante pour les insurgés, ils quitteront le secteur

temporairement et s’installeront autre part. Il souligne également que l’encerclement des

forces insurgées est compliqué car il demeure très difficile de les localiser. Pour ce faire, il

n’existe qu’une solution pour les forces contre-insurrectionnelles : la collecte de

renseignements. La population civile demeure la principale source de collecte mais ne parlera

point si les insurgés opèrent clandestinement dans les villages.63

C’est pourquoi il est essentiel pour les forces contre-insurrectionnelles d’opérer

au cœur des bassins de population. Dans l’introduction de cette thèse, nous avons vu en

quoi consistaient les huit étapes de la doctrine de Galula, le moment venu d’exécuter une

campagne contre-insurrectionnelle. Il saisissait très bien le fonctionnement du modus

operandi des forces insurrectionnelles communistes. En 1947, lors d’un voyage en Chine,

il a été capturé par les troupes communistes de Mao qui combattaient les forces régulières

de Tchang Kaï-chek. Plutôt traité comme un « invité d’honneur » qu’en prisonnier,

Galula a profité de sa « captivité » pour observer les tactiques, techniques et procédures

au combat des insurgés communistes.64Ses constatations lors de son séjour parmi eux

l’inspira à procéder à une forme « d’ingénierie inversée » qui aboutit en son manifeste

doctrinal Counterinsurgency Warfare Theory and Practice. L’officier français y saisit

notamment l’importance de la population civile et a mis en pratique sa doctrine contre-

insurrectionnelle lors de la guerre d’Algérie. Une courte synthèse des œuvres de Galula

62 Thompson, op. cit., p. 31. 63 Galula, op. cit., p. 53. 64 Ibid., p. 38.

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en Algérie s’impose car sa philosophie doctrinale a été littéralement « copiée collée » par

les Combined Action Platoons des Marines et la 173rd Airborne Brigade.

1.2.1. L’exécution de la contre-insurrection de Galula en Algérie

Quelques mois après la défaite française en Indochine, un groupe de nationalistes

algériens a initié une insurrection qui visait à éliminer la dominance coloniale de Paris en

Algérie. Le 1er novembre 1954, le Front de Libération Nationale (FLN) et sa branche

armée, l’Armée de Libération Nationale, exécutaient une série d’attaques terroristes dans

la région des montagnes de l’Aurès au sud-est de la capitale Alger. Cette guerre d’une

violence inouïe perdura jusqu’en 1962 avec le retrait de la France d’Algérie et

l’indépendance de cette dernière. Ce conflit a vu l’émergence de nombreux tacticiens

militaires qui se sont démarqués par leur talent en matière de COIN. Parmi ces tacticiens

se trouvaient les généraux Maurice Challe et Jacques Massu, le colonel Roger Trinquier

et le lieutenant-colonel David Galula. Capitaine lors de son déploiement en Algérie,

Galula a été placé à la tête d’une compagnie d’infanterie dans un district de Kabylie.

Lorsqu’il s’affaira à pacifier son secteur d’opération, Galula insistait qu’il était essentiel

de subdiviser ses forces en deux entités distinctes : des troupes mobiles et des troupes

statiques.

Les entités mobiles se centraient uniquement sur les opérations offensives, leurs

tâches étant de traquer et anéantir les insurgés, tactique intrinsèquement liée à la première

étape de la doctrine de Galula. Les troupes statiques avaient pour leur part mission de

mettre à exécution la deuxième étape : le déploiement des forces militaires en permanence

dans les secteurs sécurisés. Dans le district de Galula, ses troupes avaient pour ordre

d’exécuter une variété de tâches afin de s’assurer l’appui continu de la population civile

et, ce faisant, la séparer définitivement des insurgés. Parmi ces occupations : assurer des

recensements, appliquer les règles restreignant la libre circulation de la population, des

biens et des matériaux, initier de la propagande et des opérations psychologiques,

collecter du renseignement et implanter les diverses réformes socio-économiques. En

bref, les troupes statiques ne pouvaient se contenter d’être des soldats; elles devaient

également s’improviser comme « travailleurs sociaux ».65 Pour pourvoir aux besoins des

65 Ibid., p. 65, 69.

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civils, Galula misait sur l’interaction des troupes de son district avec les membres de la

SAS (Section administrative spécialisée), des sections constituées d’équipes de soldats

français spécialement formés pour interagir avec la population et améliorer leur mode de

vie. Les membres de la SAS vivaient dans les villages et constituaient, à l’image du

CORDS au Vietnam, le fer de lance de la pacification. Ils construisaient des écoles, des

logis, des routes et fournissaient nourriture et soins médicaux aux Algériens. Entre le 1er

et le 25 octobre 1956, un total de 477 civils reçut les soins de la SAS dans le sous-quartier

de Galula. Sept écoles ont aussi été bâties dans son district; 922 enfants algériens les

fréquentaient en 1957. La SAS offrait aussi des opportunités d’emplois; lors de la

construction de forts, d’écoles ou de baraquements, ils employaient des ouvriers

algériens.66 Ces initiatives améliorent la qualité de vie de la population qui finit par

considérer les forces contre-insurrectionnelles et gouvernementales comme un allié

légitime. Qui plus est, ce type d’initiative possède également comme particularité de

mettre au défi les insurgés d’offrir une meilleure alternative à la population civile devenue

quasi inaccessible, compte tenu de la présence permanente des forces statiques.

Les forces statiques de Galula ne pouvaient se contenter d’améliorer la qualité de

vie de la population; cette dernière devait être contrôlée, tel qu’en temps de guerre avec

l’application de la loi martiale. Selon Galula, cette étape consistait d’abord à couper la

rébellion de sa base populaire. Pour ce faire, l’armée doit contrôler la population en

procédant à des recensements ayant comme objectif d’identifier les habitants et repérer

les étrangers dans les villages. Chaque citoyen du district de Galula était enregistré et

détenteur d’une carte d’identité infalsifiable, en plus d’être soumis à la prise de leurs

empreintes digitales. Des livrets de familles étaient aussi établis et le chef familial était

chargé de signaler tout changement. Galula perçut deux avantages à exploiter cette

technique : d’abord, permettre à ses troupes de connaître l’ensemble de la population de

son district. Ensuite, le croisement des données du recensement avec le nom des rebelles

favorisait le repérage des familles et des clans influencés par l’insurrection du FLN. Afin

d’améliorer le contrôle de la population, Galula allait même jusqu’à subdiviser les

villages de son district en secteurs avec une équipe responsable de s’occuper

spécifiquement d’une zone. Ce quadrillage permettait aux soldats de connaître

66 Matthias, op. cit., 54-59.

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individuellement chaque villageois et de repérer un potentiel intrus du FLN.67 L’armée

contrôlait également les déplacements des habitants de manière telle que l’établissement

de contacts avec de potentiels insurgés devenait quasi impossible. À cet effet, Galula a

souligné :

Personne ne peut quitter le village plus de 24 heures sans un laissez-passer.

Personne ne peut recevoir un étranger dans le village sans autorisation…

Le système paralyse les membres du FLN du village et donne un motif aux

habitants de refuser de travailler comme messager ou pour approvisionner

[l’insurrection].68

En bref, les insurgés ne pouvaient se réfugier au sein des villages ni bénéficier de

l’appui en matière d’approvisionnement, de taxes, de recrues et de renseignement

préalablement fournis par la population civile. Ces restrictions augmentaient de manière

draconienne le niveau de vulnérabilité des insurgés qui, dépourvus d’aide et de refuge,

voyaient leurs lignes de communication constituer des secteurs à très haut risque, ce qui

facilitait le déclenchement d’embuscades par les forces de Galula sur les insurgés. Galula

nous démontre à quel point la COIN comporte des facettes multidimensionnelles qui ne

peuvent se limiter au simple volet militaire. Sécuriser une zone d’opération, traquer les

insurgés et installer des garnisons au sein des villages pour protéger les civils constituent

des opérations qui relèvent des forces armées. Identifier, arrêter, interroger et juger les

insurgés et leurs cadres politiques est la responsabilité des autorités policières et

judiciaires. Assurer un contact avec la population, améliorer sa condition sociale et ses

infrastructures ainsi que la conduite d’élections sont des responsabilités assumées par les

autorités politiques. Galula spécifie que « la défaite finale des insurgés » n’est pas obtenue

par « l’addition » mais plutôt la « multiplication » des facteurs militaires, politiques,

économiques et sociaux susmentionnés. Ces facteurs sont « tous essentiels » et en

négliger un seul fera échouer la campagne de COIN.69 C’est pourquoi la synchronisation

des opérations politico-militaires et socio-économiques est essentielle lors de la conduite

des opérations. Nonobstant cela, les aspects relatifs à la sécurité rurale constituent la base

de tout succès : aussi efficaces et proactives puissent-elles être, les initiatives de nature

67 Ibid., p. 59-61. 68 David Galula, Pacification in Algeria 1956-1958, Santa Monica, RAND Corporation, 2006 (1963), p. 99-

100. 69 Galula, Counterinsurgency Warfare Theory and Practice, op. cit., p. 64.

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politique, économique, et sociale ne pourront jamais atteindre leur plein potentiel si les

forces militaires n’assurent pas la sécurité des zones d’opérations. C’est précisément ce

que Galula a réussi à accomplir dans son district. La sécurité qu’il est parvenu à établir

en sécurisant sa zone d’opération créa les conditions idéales pour une conduite sécuritaire

des missions de nature politico-économiques et sociales. Globalement, les actions

offensives et l’interaction ultérieures des troupes de Galula avec la population civile ont

engendré des résultats très intéressants : l’insurrection a été coupée de la population et

seulement neuf membres du FLN auraient échappé aux initiatives du capitaine français.

Deux déserteurs ont avoué à Galula que son secteur d’opération était considéré comme

une zone perdue par les chefs du FLN. À moins d’instructions précises, ces derniers

avaient interdit la conduite d’opérations dans ce secteur.70

Les rapports de la SAS sont également élogieux à l’endroit de Galula. La SAS

souligna notamment qu’il « réussit parfaitement dans sa mission en appliquant avec

fermeté des méthodes originales ».71 Les rapports ont aussi indiqué qu’il serait parvenu à

faire passer la majorité des civils de son district d’une position hostile à favorable aux

politiques françaises. Des huit étapes contre-insurrectionnelles de Galula, celle visant à

provoquer la scission des insurgés et de la population civile a constitué un succès

opérationnel qui inspire encore les maîtres à penser contre-insurrectionnels du 21e siècle.

Néanmoins, il n’est nullement suggéré que l’application pratique de sa doctrine revêtait

un caractère parfait, Galula n’ayant jamais été capable de mettre en pratique les huit

étapes de sa doctrine. Comme l’a indiqué David Ucko, un académicien spécialiste de

COIN, la période de Galula en Algérie exposa « les limites des capacités » d’une force

étrangère pour « exercer une influence légitime et faire pression sur la population locale ».

Ukco reconnait également les « difficultés pour les unités civiles et militaires d’accomplir

leurs missions » lorsque les différences sont « trop importantes dans les priorités et les

approches entre autorités civiles et commandement militaire ».72 Il mentionne que les

limites des accomplissements de Galula avaient pour origine « l’insuffisance des effectifs

déployés sur le terrain », les « perceptions divergentes de la presse » ne croyant pas aux

70 Galula, Pacification in Algeria 1956-1958, op. cit., p. 133. 71 Matthias, op. cit., p. 164. 72 Ibid., p. ix.

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progrès opérationnels contre l’insurrection et « l’échec du passage de relais des autorités

françaises aux autorités locales » du contrôle des opérations de sécurité et de la

« gouvernance locale ».73 Il sera fascinant de constater à quel point les embûches d’une

application sans failles des préceptes de COIN américains au Vietnam ont longtemps été

engendrées exactement par les mêmes problèmes.

1.2.2. L’exécution de la contre-insurrection britannique en Malaisie

Pour sa part, la conduite de la COIN en Malaisie par les Britanniques connut un

succès indéniable sur l’ensemble du théâtre d’opération, compte tenu qu’elle entraîna,

ultimement, une défaite complète de l’insurrection communiste qui s’étendit de 1948 à

1960. Le conflit armé a confronté le Parti communiste malaisien (PCM) à la puissance

coloniale britannique. La branche armée du PCM était le MNLA (Malayan National

Liberation Army). En 1951, le total d’insurgés au sein du MNLA culminait avec 7292

combattants, une organisation civile de masse (le Min Yuen) et un million de

sympathisants. Du côté des forces de sécurité, leur nombre proliféra en 1952 : 40 000

troupes britanniques et du Commonwealth, 67 000 policiers et 250 000 membres de la

Home Guard.74 Le modus operandi contre-insurrectionnel britannique en Malaisie se

distinguait par trois facteurs : en premier lieu, la capacité à contrôler la population.

En second lieu, le pouvoir de gagner l’appui des civils (winning the hearts and

minds) en exploitant un degré de force minimum et en leur accordant des concessions

politiques et sociales. Finalement, la capacité d’assurer aux forces contre-

insurrectionnelles un commandement unifié et un leadership dynamique. Les

Britanniques ont relocalisé des centaines de milliers de civils dans des hameaux

stratégiques désignés « nouveaux villages » qui étaient placés sous le contrôle

administratif du gouvernement. À l’image du CORDS au Vietnam, les entités militaires

et civiles se sont vues localisées et administrées conjointement, ce qui permit de

centraliser le contrôle de l’armée, de la police, de l’administration civile et de la Special

Branch (branche du renseignement attachée à la police). Tout comme Galula l’a fait dans

son district, le cadre structuro-militaire était élaboré de manière à allouer un secteur

73 Ibid. 74 Karl Hack. “Everyone lived in fear: Malaya and the British Way of Counterinsurgency”. Small Wars and

Insurgencies. Vol. 25, No 4-5, (September 2012), p. 671.

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spécifique de la zone d’opération à une unité qui y resta attachée. La police s’est vu retirer

tout rôle paramilitaire et appuya l’armée en assurant ses tâches de sécurité usuelles.

Finalement, le résiduel des forces armées se faisait assigner pour tâche de traquer les

communistes d’un état à l’autre de la Malaisie.75 Des forces de sécurité assuraient la

protection des civils dans les hameaux stratégiques. Ces derniers ne s’apparentaient pas à

des « camps de concentration » mais prenaient plutôt la forme de centres de communautés

progressistes où les villageois avaient l’opportunité de devenir propriétaires terriens, de

travailler et de s’engager politiquement dans la communauté. Robert Thompson spécifie

que les hameaux stratégiques cumulent trois objectifs. Le premier de ses objectifs vise à

protéger la population des insurgés. Ces villages étaient fortifiés, des troupes y

stationnaient en permanence et les allées et venues de la population se trouvaient soumises

à une étroite surveillance. On y développa également d’importants réseaux de

communication afin d’obtenir du renfort militaire advenant une attaque insurgée de plus

grande envergure.

Le deuxième objectif consiste à « unir la population », éliminer tout esprit

individualiste et assurer une proactivité positive de la communauté avec le gouvernement.

Enfin, le dernier objectif a pour but de favoriser les développements en matière d’affaires

socio-économiques et politiques. Tout comme Galula le prescrit, Thompson souligne

l’importance à ce stade d’initier des projets qui amélioreront le quotidien des habitants,

c’est-à-dire le développement d’écoles, de cliniques, de marchés, des méthodes

d’agriculture, de l’électricité, de la conduite d’un processus électoral, etc.76 En bref, les

hameaux stratégiques permettaient à la population de bénéficier d’une gamme de services

avantageux tout en étant protégée des attaques insurgées. Ceci nécessitait néanmoins des

déplacements de population qui ne se sont pas toujours accomplis avec enthousiasme au

sein des différentes communautés. Toutefois, c’était une des méthodes les plus

productives pour contrer l’accès des insurgés à la population et, à long terme, gagner cette

75 Karl Hack, “The Malayan Emergency as Counter-Insurgency Paradigm”, Journal of Strategic Studies. Vol.

32, No. 3, (June 2009), p. 384, 386, 388. 76 Thompson, op. cit., p. 124-127. Notons que Thompson souligne l’importance relative à la planification du

développement d’un hameau stratégique. Les sites privilégiés doivent être faciles à défendre en cas d’attaque

insurgée. De plus l’accessibilité à l’eau est importante et il fallut éviter les hameaux isolés. Thompson

recommanda également de minimiser le déplacement des civils dans de nouveaux villages en maximisant le

développement d’hameaux stratégiques dans les villages déjà existants.

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dernière à la cause du gouvernement. D’aucuns s’insurgeront de voir des civils déplacés

contre leur gré pour assurer leur protection. Néanmoins, en temps de guerre, la situation

force parfois la prise de décisions très difficiles. Aucun Londonien n’a éprouvé du plaisir

à aller se réfugier dans les métros de Londres pour se protéger des bombardements de la

Luftwaffe, mais c’était malheureusement nécessaire pour leur sécurité. Dans le cas

d’hameaux stratégiques, il est du devoir des forces contre-insurrectionnelles de s’assurer

qu’ils soient salubres et confortables (ce qui n’était pas toujours le cas avec les hameaux

stratégiques de l’Armée française en Algérie et britannique au Kenya). En Malaisie, les

hameaux stratégiques britanniques étaient très bien aménagés. À la fin du conflit, ces

hameaux constituaient de petites localités florissantes dotées d’infrastructures modernes.

À la fin de l’insurrection, très peu de familles ont choisi de quitter les nouveaux villages.

En 2002, 450 des 480 nouveaux villages existaient encore. En 2007, 1.256

millions de Chinois, Malaisiens et Indiens vivaient encore dans les anciens hameaux

stratégiques.77 78 Quoi qu’il en soit, lors de l’insurrection, ces villages réduisaient

considérablement le risque de dommages collatéraux, cette arme de prédilection de tout

insurgé pour tourner la population contre les forces de sécurité. Les villageois ne

pouvaient sortir dans la jungle qu’à certaines heures et leurs allées et venues étaient

contrôlées par les forces de sécurité. Ainsi, tout groupe de personne non identifié

découvert dans la jungle pouvait être suspecté comme hostile. Les hameaux sécurisés

compliquaient considérablement le processus de recrutement du MNLA en interdisant

l’accès à la population civile et à ses ressources. Le contrôle de la nourriture s’est aussi

avéré une stratégie très efficace pour les Britanniques. Les premières opérations de « déni

de nourriture » (food denial) ont débuté dès 1951. Dans les hameaux, les villageois ne

pouvaient emmagasiner des stocks de nourriture personnels.79 Ces mêmes villageois

77 Hack, Everyone lived in fear, loc. cit., p. 690-691. 78 Dans Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice (p. 82) Galula s’oppose à la relocalisation de la

population. Pour lui, cette initiative constitue un dernier recours qui tend à trahir les faiblesses d’un plan de

COIN. Il spécifie que cette stratégie ne doit être employée que s’il est clair que les forces contre-

insurrectionnelles ne pourront déployer suffisamment d’effectifs pour mener à bien une COIN. Il insiste en

affirmant qu’une relocalisation de la population (au sein d’hameaux stratégiques) devrait d’abord être testée et

exploitée de façon limitée afin d’y détecter les problèmes éventuels et d’en tirer les bonnes leçons. Il mentionna

également (à l’image de Thompson) que le processus doit comporter une longue phase de préparation

psychologique et logistique. 79 Nagl, op. cit., p. 98.

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n’étaient affamés en rien ; du riz cuit et autres denrées étaient disponibles au sein de la

cuisine centrale du village. Le riz cuit présentait l’avantage de ne pouvoir être passé aux

insurgés à l’extérieur du village car il se gâtait très rapidement. Le déni de nourriture aux

insurgés a considérablement diminué le nombre de partisans pouvant fournir des aliments

à la guérilla.80 À l’image des hameaux stratégiques, d’aucuns pourraient s’offusquer de

voir une armée chercher à affamer son adversaire. En agissant de la sorte, les Britanniques

exploitaient un principe classique de COIN : la force minimum (minimum force). Il était

beaucoup plus humain d’empêcher les insurgés d’avoir accès à de la nourriture tout en

leur offrant des programmes d’amnistie pour déposer les armes que de chercher à les

bombarder avec du napalm. Aux opérations de déni de nourriture on combina une vaste

collecte de renseignement humain qui a rapidement permis aux Britanniques d’initier des

embuscades, de traquer les insurgés dans la jungle, de cibler leurs camps et de les

neutraliser.81

La stratégie s’est avérée un tel succès qu’en 1955, environ 2.5 millions de civils

vivaient dans des zones sécurisées, ces dernières étant définitivement libérées de toute

activité insurgée.82 La pénurie de nourriture et les dangers d’embuscades au sein de lignes

de communication des insurgés étaient tels que le MNLA s’enfonça dans la jungle

profonde afin d’y produire sa propre nourriture. Des détenus du MNLA ont avoué que la

baisse drastique d’activités insurgées résultait du manque d’effectifs et de la pénurie de

nourriture engendrés par les stratégies britanniques; trouver de la nourriture consumait

temps et énergie, à un point tel que les insurgés ne disposaient d’aucun temps le moment

venu de planifier des actions offensives. Ils ont également souligné le problème causé par

le manque de renseignements; comme la relocalisation avait coupé les insurgés de la

population, il était devenu très difficile d’obtenir des informations sur les activités des

forces de sécurité. À cela s’ajoute la perte d’un énorme bassin de recrutement pour

l’insurrection. Dans la jungle, les insurgés se sont retrouvés isolés, affamés et

démoralisés.83 Ces stratégies de COIN étaient dirigées successivement par le général

Harold Briggs, le feld-maréchal Gerald Templer et par Robert Thompson. Les succès

80 Ibid., p. 98-99. 81 Ibid. 82 David French, The British Way in Counter-Insurgency 1945-1967, Oxford, Oxford University Press, 2011,

p. 122. 83 Ibid., p. 123-124.

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militaires relatifs à la sécurité de la population civile ont favorisé l’exécution des actions

civiques qui, à leur tour, renforcissaient la légitimité du gouvernement aux yeux de la

population civile. Templer et Thompson ont assisté à la création d’un parti politique

d’Alliance nationale représentant l’ensemble de la diaspora malaysienne qui regroupait

également de nombreux Chinois et Indiens. Une première élection fédérale tenue en 1955

a résulté en l’acquisition de 51 des 52 sièges par l’Alliance qui a ainsi saisi toute initiative

politique au PCM. Ce dernier n’ayant plus le contrôle de la population perdit

progressivement de son attrait et devint, aux yeux des électeurs, une entité politique

dénuée de toute légitimité.84 Le PCM et MNLA se sont progressivement estompés pour

disparaître en 1960. Les succès britanniques en Malaisie n’ont pas passé inaperçus. Le

succès a été tel que Robert Thompson et une équipe de spécialistes britanniques se sont

rendus au Vietnam en 1960 afin d’y assister le gouvernement sud-vietnamien (GVN) dans

sa lutte contre les insurgés viêt-cong. Le BRIAM s’apprêtait à avoir une influence

majeure sur la conduite de la contre-insurrection sur l’ensemble des quatre zones

d’opérations de la République du Vietnam (I, II, III et IV Corps, voir la figure 2).

84 Ibid., p. 194-195.

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Figure 2 : Répartition des provinces et quatre Corps de la République du Vietnam85

85 Thomas Ahern, CIA and Rural Pacification in South Vietnam, Langley, CIA History Staff, Center for the

Study of Intelligence Central Intelligence Agency, p. xii.

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1.2.3. BRIAM : l’application de la contre-insurrection de Thompson au Vietnam

Lorsque Thompson a débarqué au Vietnam en 1960 pour diriger le BRIAM, les

Forces militaires américaines déployées dans la RVN assumaient la tâche d’appuyer le

gouvernement de Ngo Dinh Diem et les forces de sécurité sud-vietnamiennes dans leur

lutte contre l’insurrection VC. À ce stade de la guerre, le conflit était quasi exclusivement

insurrectionnel, non hybride et l’exécution de la mission américaine sous la responsabilité

du précurseur du MACV; le MAAG (Military Assistance Advisory Group) commandé

par le général Lionel C. McGarr. Avant sa nomination à la tête du MAAG en 1960,

McGarr était le commandant du Command and General Staff College à Fort Leavenworth

au Kansas. Il y a joué un rôle important lorsque l’Armée américaine chercha à

redynamiser ses doctrines de contre-insurrection. Ses efforts ont contribué à l’ébauche

des livres de doctrines FM 100-1 et FM 31-15, éventuellement publiés en 1961.1

Lorsque les membres du BRIAM ont reçu leur briefing de bienvenue des

Américains leur exposant un topo de la situation opérationnelle, un des membres de

l’équipe de Thompson a donné une sérieuse leçon à ses collègues de l’U.S. Army. Il a

interrompu le conférencier pour lui-même terminer le résumé de la situation. Incrédules,

les Américains ont demandé aux Britanniques comment ils pouvaient être au fait de ces

détails. À cette question, le membre du BRIAM lui a répondu : « c’est exactement

comment la situation était sous les Français ». Thompson a rapidement constaté que les

Américains qu’il avait côtoyés ne s’étaient pas arrêtés à analyser les archives françaises

de la guerre d’Indochine, ni à lire les doctrines de Mao.2 Néanmoins, ce n’était pas le cas

de tout le personnel du MAAG. Juste avant l’arrivée du BRIAM en 1960, une synthèse

du plan contre-insurrectionnel du MAAG montre à quel point les Américains n'étaient

pas tous des ignares en matière de COIN. Contrairement à ce qui a trop souvent été

véhiculé dans plusieurs études (notamment celles de Krepinevich The Army and Vietnam

1 Andrew J. Brittle, US Army Counterinsurgency and Contingency Operations Doctrine 1942-1976,

Washington D.C., Library of Congress, 2006, p. 313. Le FM 100-1 traite d’éléments liés aux forces militaires

et leurs liens avec le pouvoir national. Le manuel se penche aussi sur les « guerres limitées », l’appui des forces

armées en matière de sécurité, les principes de guerre dans divers contextes, les aspects relatifs à

l’environnement opérationnel et plus encore. Le FM 31-15 traite pour sa part des opérations contre les forces

irrégulières. On y parle de la planification des opérations, l’analyse de l’idéologie et des tactiques des forces

irrégulières, les actions civiques, les opérations policières, les opérations urbaines et plus encore. 2 Robert Thompson, Make for the Hills, Londres, Leo Cooper, 1989, p. 127

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et Christopher Ives US Special Forces and Counterinsurgency in Vietnam), McGarr et le

MAAG menaient un plan d’action de contre-guérilla très viable et ne cherchaient pas

exclusivement à « tuer les Viêt-Cong ». En fait, McGarr saisissait très bien les concepts

de COIN et s’est efforcé, par le biais de ses subordonnés, de les enseigner aux forces de

sécurité sud-vietnamiennes. L’analyse des papiers de McGarr démontre que le général

américain était très au fait des doctrines de Thompson et cherchait même à les implanter

avant l’arrivée de ce dernier avec le BRIAM. McGarr a noté qu’il était « essentiel que le

GVN développe un plan à l’échelle nationale » afin de coordonner les efforts de contre-

insurrection. Dans ses notes, McGarr précise que l’objectif de ce plan consiste à « séparer

en permanence la population de l’influence du Viêt-Cong », assurer l’isolement de ce

dernier puis son anéantissement, afin de regagner la « loyauté et l’appui » de la population

et rétablir un « haut degré de sécurité interne » à travers la République du Vietnam. Il a

également spécifié qu’un concept et des priorités devaient être établis pour l’éventuel

contrôle opérationnel des initiatives gouvernementales visant à neutraliser politiquement

le VC.3 Pour appliquer ce plan, McGarr établit un concept d’opération destiné à initier

une combinaison d’initiatives politiques, économiques, militaires et psychologiques au

sein de divers secteurs géographiques clés de la RVN. Les phases du plan de McGarr

ressemblent à s’y méprendre aux doctrines que Thompson s’apprêtait à appliquer avec le

BRIAM dans les secteurs ruraux.

Lorsqu’une zone se trouvait désignée pour être sécurisée, le MAAG supervisait

l’enclenchement d’une phase préparatoire visant à collecter du renseignement sur les

sympathisants communistes et les activités du VC. Lors de cette phase, une évaluation du

statut économique du secteur était également menée afin de cibler les éventuelles actions

civiques et économiques à y apporter. Les instances politiques et militaires établissaient

leurs plans pendant que les cadres politiques et les forces militaires appelées à opérer dans

le secteur se voyaient entraînées par les conseillers du MAAG. Une vaste campagne

d’opérations psychologiques était simultanément lancée pour démoraliser le VC et inciter

la population à leur refuser toute forme d’assistance. La deuxième phase prenait une

forme militaire : les forces de l’ARVN procèdent à une offensive conventionnelle pour

3 National Security Files McGarr Information Folder For Rostow, 10/25/61, South Vietnam Information

Folder, MAAG Vietnam, Geographically Phased, National Level Operation Plan for

Counterinsurgency (Short Title NCIP), Boston, John F. Kennedy Library, Folder: 002783 -002-0438, p. 1.

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sécuriser le secteur des éléments viêt-cong. Une fois la zone sécurisée, les forces

paramilitaires se déployaient dans les secteurs peuplés tandis que l’ARVN continuait de

ratisser les secteurs limitrophes (pour entraver une éventuelle contre-attaque des

formations de bataillon du Viêt-Cong). Les villages une fois sécurisés, les cadres

politiques sud-vietnamiens s’installaient dans les hameaux pour les administrer de façon

à gagner la confiance de la population. Par après, les actions civiques et les programmes

destinés à redynamiser l’économie locale s’enclenchaient. Enfin, à la suite d’opérations

psychologiques déjà renforcées par les initiatives économiques et civiques, McGarr

supputait que la population verrait en le VC une « cause perdue ».4 À la lecture de ce

concept d’opération, il serait très facile de conclure qu’il a été couché sur papier par

Robert Thompson. Néanmoins, ce n’était pas le cas; ce plan d’action a été en fait écrit par

le général McGarr qui, pour mettre son plan en œuvre, a étudié une série de contre-

insurrections. Citons entre autres celles de Birmanie, des Philippines et de la Malaisie5,

trois campagnes qui ont résulté en insurrections neutralisées.

En 1961, McGarr écrit au Commandant en Chef dans le Pacifique (Commander

in Chief in the Pacific/CINCPAC) pour lui transmettre un rapport d’introspection de sa

première année d’activité à la tête du MAAG. Le général américain montre son désir réel

d’éduquer l’Armée sud-vietnamienne en matière de COIN. Il a annoncé la publication

d’un livre de doctrine titré Tactics and Techniques for Counter-Insurgent Operations. Les

préceptes de ce manifeste ont été exploités dans les académies militaires sud-

vietnamiennes pour redynamiser l’entraînement de l’ARVN et des Rangers vietnamiens

en matière de « contre-guérilla ». Pour rédiger son manifeste, McGarr s’inspira des

développements doctrinaux de l’US Army Command and General Staff College, mais,

également de nouveau, des expériences vécues notamment aux Philippines et en Malaisie.

McGarr considérait son livre de doctrine parfaitement tissé pour être appliqué au théâtre

d’opération insurrectionnel du Vietnam.6 Néanmoins, le problème américain en matière

4 Ibid., p. 2-4. 5 National Security Files, McGarr Information Folder For Rostow, 10/25/61. Present GVT System of Control

and Coordination of Counterinsurgency Operations Lacks Completely Clear-Cut Lines of Authority, Boston,

John F. Kennedy Library, Folder: 002783 -002-0438, p. 7-8. 6 National Security Files, McGarr Information Folder For Rostow, 10/25/61. First Twelve Month Report of

Chief MAAG, Vietnam, 1st September 1961, Boston, John F. Kennedy Library, Folder: 002783 -002-0438, p.

7.

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de pacification lors de l’arrivée du BRIAM a connu une incidence sur les éléments

administratifs et de gestion des opérations civiques de la COIN. Un rapport

d’introspection des performances américaines au Vietnam de 1963 a mis à jour la

confusion régnant au sein du leadership militaire et civil, une fois le moment venu de

conceptualiser leur plan pour pratiquer de la « contre-guérilla ». Ledit rapport indique

qu’un des problèmes centraux originait de la multitude d’agences américaines mandatées

pour assister Saigon dans le renforcement de ses infrastructures et de ses initiatives socio-

économiques. Ces agences fonctionnaient de façon décentralisée et peu de directives

claires leurs étaient fournies le moment venu d’initier des projets. Personne ne semblait

être en charge et les efforts américains en matière d’assistance économique et

d’infrastructure s’avéraient « fragmentés et duplicatifs ». On recommanda d’attribuer la

régie de toutes ces agences à un seul individu capable de comprendre la gestion de la

guerre et les dynamiques relatives à la reconstruction d’un pays souffrant du « chaos

d’une révolution ».7

Dans le chapitre 4, nous verrons comment les Américains devaient rectifier ce

problème avec la création du CORDS. À l’arrivée des Britanniques au Vietnam, le

MAAG et le BRIAM ont connu quelques frictions. Cependant, les deux alliés ne devaient

pas tarder à s’entendre sur la doctrine militaire à privilégier. Bien qu’il ait poursuivi sa

collaboration avec le MAAG, Diem s’affaira à maximiser la mise en pratique du plan

d’action recommandé par Robert Thompson qui lui avait expliqué que la population civile

représentait le nerf de la guerre.8 Cette dernière devait être protégée, contrôlée et gagnée

à la cause de Saigon. Dans cette optique, le BRIAM promulgua un concept d’opération

qui incita les forces contre-insurrectionnelles sud-vietnamiennes à concentrer leurs efforts

sur les secteurs ruraux et la construction d’hameaux stratégiques. Il a également

promulgué l’utilisation de forces statiques pour assurer une présence ainsi qu’une

protection permanente des hameaux (voir l’annexe 3 pour un exemple d’hameau

stratégique au Vietnam). Thompson a expliqué aux Sud-Vietnamiens qu’il s’agissait là

7 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Vietnam, Special Subjects. South Vietnam political

situation in 1963, Hilsman-Forrestal report. Eyes Only Annex: Performance of US Mission, ProQuest Folder

9835024. 8 Notons que l’auteur Peter Busch a vivement dénoncé l’implication britannique au Vietnam. Dans son volume

intitulé All the Way With JFK? Britain, the US and the Vietnam War, Busch dénonce l’appui du gouvernement

britannique aux visées politiques de John F. Kennedy au Vietnam.

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d’un excellent moyen de collecter du renseignement sur les VC auprès de la population.

Il a recommandé aux forces régulières de l’Armée sud-vietnamienne de concentrer leurs

efforts sur les larges formations VC pour les déstabiliser, ce qui permettrait aux forces

statiques de s’établir et de consolider la structure de sécurité au sein des zones peuplées.

Thompson insistait : si l’ARVN négligeait cette facette des opérations en privilégiant des

opérations purement conventionnelles, le VC ne perdrait jamais la capacité de régénérer

ses forces.9 Thompson a exposé aux Sud-Vietnamiens les principes régissant le mode

d’opération politico-militaire du VC (figure 1) et insistait sur la nécessité d’initier les

réformes socio-économiques nécessaires pour gagner la confiance des paysans sud-

vietnamiens. Il recommanda à l’ARVN de commencer à sécuriser les villages au sein des

provinces autour de la capitale Saigon, vu que ces secteurs étaient les plus infiltrés par le

VC.

À titre d’exemple, le chef de la province de Binh Duong située au nord de Saigon,

a souligné que seulement 10 villages sur 56 constituaient des hameaux stratégiques

contrôlés par le gouvernement. Il recommanda d’étaler les opérations de pacification de

manière progressive vers le sud du pays, près de la frontière cambodgienne pour ensuite

s’étendre vers le nord.10 Thompson usa de prudence, refusant de voir des milliers

d’hameaux stratégiques se bâtir aux dépens des mesures de sécurité nécessaires à la

sauvegarde de ces villages et leur population11. Le frère et conseiller du Président Diem,

Ngo Dinh Nhu, a pris en charge le projet d’hameaux stratégiques proposé par le BRIAM

mais a toutefois fait montre d’un peu trop d’enthousiasme lors de l’initiation du projet. Il

visa la construction de 12,000 hameaux stratégiques en l’espace de 18 mois, provoquant

ainsi une véritable course entre chefs de provinces qui redoublaient désespérément

9 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April

1963. Political Affairs & Rel. BRIAM Report, 3 Jan 1962, p. 2, College Park, National Archives, Folder:

016488-002-0192, p. 2. 10 Ibid., p. 3. 11 Dans Defeating Communist Insurgency, Thompson décrit le système de villages au Vietnam comme suit :

dans les secteurs ruraux, le terme « village » est utilisé pour désigner l’entité administrative que l’on retrouve

sous l’échelle de district. Chaque village est généralement composé de deux à dix hameaux. Au Vietnam, le

village moyen était composé d’environ 5000 personnes toutes réparties dans les différents hameaux.

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d’efforts à respecter les échéanciers imposés par Nhu.12 Les premiers projets n’ayant pas

connu les résultats escomptés, plusieurs hameaux sont rapidement tombés aux mains du

VC dans I Corps, une conséquence directe des manquements en matière de sécurité.13

Lors de l’application de COIN, il convient de respecter chaque étape dictée par la

doctrine. Nous l’avons précédemment mentionné; lors d’opérations contre-

insurrectionnelles, la sécurité est à la base de tout succès. À la suite de ces incidents,

Thompson a recommandé que la construction des hameaux se fasse à un rythme allouant

la mise en place coordonnée du personnel et des infrastructures de sécurité. Malgré les

avertissements de Thompson, Nhu éprouvait énormément de difficulté à contrôler le

rythme effréné du développement d’hameaux stratégiques, causant ainsi d’autres

problèmes. Lors de la première année du programme, les Viêt-Cong initiaient beaucoup

de propagande en comparant les hameaux à des « camps de concentration ». Leurs

initiatives visaient également à infiltrer ces hameaux avec des agents et des partisans

communistes, à maintenir leurs bases d’opérations et à préserver leurs unités régulières

de combat.

En 1963, les insurgés commençaient à initier d’autres attaques concentrées sur les

hameaux stratégiques construits trop hâtivement et de surcroit, plus vulnérables en

matière de sécurité. Le VC brisait les palissades, détruisait les bâtiments construits par le

gouvernement et forçait les villageois à regagner leurs villages d’origine. À titre

d’exemple, les insurgés ont réussi à s’emparer d’un hameau stratégique dans la province

de Phu Yen qui était défendu par une compagnie de la Garde civile et la milice du village.

Les forces de défenses ont perdu 24 hommes et 35 armes ont été saisies par le VC.14 Afin

de faciliter de telles opérations, les Viêt-Cong s’acharnaient à saboter les routes dans le

but de compliquer l’accès aux lignes de communications terrestres. Ce faisant, ils

isolaient les hameaux qui, de fait, devenaient beaucoup moins susceptibles d’obtenir des

renforts.15 Néanmoins, les autorités gouvernementales initiaient des opérations visant à

12 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April

1963, Political Affairs & Rel. United States Government Memorandum to Governor Harriman, April 6, 1962,

College Park, National Archives, Folder: 016488-002-0192, p. 2. 13 Ibid. 14 Lyndon B. Johnson National Security Files 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,

op. cit. 15 Thompson, Defeating Communist Insurgency, op. cit., p. 137-138.

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rétablir l’accessibilité aux lignes de communication dans les zones contestées. De plus,

Saigon chercha à minimiser les hameaux stratégiques et les villages trop isolés. À titre

d’exemple, dans la province de Binh Duong, les villages isolés se sont vus relocalisés

dans des secteurs près des réseaux routiers, ce qui facilitait leur accessibilité et leur

défense.16 Thompson note qu’en un peu plus d’un an, le pays a passé de 2559 à 8095

hameaux stratégiques, avec pour conséquence de favoriser une trop grande dispersion des

forces de sécurité.17 Thompson estimait que cette dynamique contre-productive

constituait un problème sérieux dans plusieurs provinces mais ne il ne jugeait pas la

situation « dangereuse » à ce stade du conflit.18 Il observa d’autres problèmes également

reliés à la gestion du programme : l’appui des opérations de l’ARVN à celles des unités

de pacification n’était pas adéquat dans tous les secteurs. Par exemple, un secteur pouvait

être ratissé par l’ARVN qui subséquemment, quittait la zone sans laisser de troupes

statiques pour protéger les villageois.

Ce départ hâtif poussait souvent les forces paramilitaires à contrer par elles-

mêmes la contre-attaque des éléments de bataillons VC.19 Un rapport d’observateurs

américains est arrivé exactement à la même conclusion : trop souvent, après la

sécurisation d’un secteur, l’ARVN quittait la zone sans y stationner de troupes.20 À

maintes reprises Thompson, a insisté sur la question critique de laisser des forces statiques

après avoir sécurisé un secteur. Ceci constituait une des premières phases du principe de

« sécuriser et tenir » lors d’opérations de COIN. En s’entêtant à développer trop

rapidement son programme d’hameaux stratégiques, Nhu forçait la main de l’ARVN pour

qui subsistait comme unique alternative, de redéployer hâtivement ses troupes sur le

théâtre d’opération. Néanmoins, les résultats qui découlaient du programme à plus long

terme causèrent la satisfaction de Thompson qui jugeait que le gouvernement était sur la

« bonne voie ».21

16 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,

op. cit. 17 Thompson, Defeating Communist Insurgency, op. cit., p. 137-138 18 Ibid. 19 Ibid., p. 138. 20 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,

op. cit. 21 Thompson, Defeating Communist Insurgency, op. cit., p. 138.

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Avec le temps et une série d’ajustements, l’application des doctrines de Thompson

en matière de sécurité et d’appui à la population civile ont rapporté des dividendes

opérationnels très intéressants. En décembre 1962, Saigon contrôlait 951 villages

composés de 51% du total de la population rurale sud-vietnamienne. Ceci représentait un

gain de 92 villages et d’un demi-million de personnes en six mois. De son côté, le VC

contrôlait 445 villages dont les habitants formaient 8% de la population rurale, ce qui

représentait une perte de 9 villages et 231,000 personnes en six mois.22 Le VC se montrait

très actif dans les villages encore sous son contrôle et un mémorandum au Président

Johnson conclut que ces villages constituaient de véritables bases de réapprovisionnement

et de recrues pour les insurgés.23 Cependant, la perte de contrôle progressive de maints

districts commença à avoir des effets néfastes pour le VC mais positifs pour la population

civile. En 1963, Thompson observa que les dispositifs de sécurité étant bien implantés

dans l’ensemble des hameaux stratégiques, des réformes socio-économiques pouvaient

être amorcées sans que plane constamment le spectre d’une attaque viêt-cong.

Les villages sécurisés bénéficiaient de services pharmaceutiques, d’écoles pour

les enfants, de puits, de fertilisants et, dans certains cas, de courant électrique. Plusieurs

routes rurales ont également pu être restaurées. De plus, le contact entre instances

gouvernementales et population civile s’est vu rétabli via l’implantation d’élections pour

l’établissement de conseils municipaux dans les villages. Thompson a également observé

que les paysans semblaient « rejeter le communisme » et se sentaient « protégés, en

confiance et appuyés ». Ils étaient même préparés à combattre les Viêt-Cong avec leurs

propres moyens. Dans les secteurs plus sécuritaires, on ne rencontra aucune difficulté à

recruter des civils pour intégrer les rangs des milices chargées d’assurer la sécurité des

hameaux stratégiques.24 Ceci démontre à quel point la sécurité représente un facteur

important pour le paysan coincé au milieu d’un conflit contre-insurrectionnel. Beaucoup

d’auteurs se sont débattus pour essayer de cibler l’allégeance de la paysannerie sud-

vietnamienne : était-elle communiste ou pro-gouvernementale? La réponse est simple : le

paysan se rangera généralement dans le camp de l’entité pouvant lui offrir sécurité et

22 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,

op. cit. 23 Ibid. 24 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April

1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op., cit. p. 1.

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stabilité. C’est pourquoi il est important d’assurer une présence militaire ou policière

permanente dans les principaux villages lors de la conduite d’opérations contre-

insurrectionnelles. En appliquant les doctrines de Thompson, Diem et Nhu réussirent à

stabiliser plusieurs secteurs ruraux sud-vietnamiens. Pour maximiser la sécurité de

villages et permettre à l’ARVN de traquer les grandes formations viêt-cong, Saigon a

ordonné la création de forces paramilitaires entraînées par les forces spéciales

américaines; les Green Berets.25 Le déploiement d’hélicoptères et l’amélioration des

réseaux routiers ont permis à ces forces de maximiser leur mobilité et d’opérer plus

profondément dans la jungle pour combattre les Viêt-Cong. Thompson nota que la

réaction des VC face aux hameaux stratégiques était devenue lente et inefficace. Des 5000

hameaux stratégiques opérationnels, seulement un nombre sporadique est tombé aux

mains des Viêt-Cong. L’essentiel des attaques insurgées contre les hameaux se résumait

à des assauts anémiques à l’arme légère la nuit.26

La sécurité rurale améliorée, Thompson a constaté les énormes progrès en matière

de gestion des chefs de provinces; ces derniers étaient beaucoup plus volubiles et

enthousiastes qu’au cours de l’année précédente alors qu’ils subissaient constamment de

harcèlement du VC. En 1963, les hameaux stratégiques gagnaient en popularité et la

population se montrait de moins en moins réticente à l’idée de s’y établir. Thompson a

observé que de larges portions de la population rurale demandaient elles-mêmes à être

transférées au sein des hameaux stratégiques, et ce, sans requête « d’assistance ou de

compensation ». La sécurité des secteurs ruraux était telle que d’importants projets de

construction, notamment des commerces et des maisons construites avec des matériaux

permanents, ont été initiés dans les villes de district et au cœur des hameaux. Le trafic au

sein des routes considérées dangereuses l’année précédente s’est vu considérablement

décuplé. À l’exception des périodes nocturnes, les civils circulaient en toute liberté sur

25 L’unité américaine désignée Green Berets, (aussi appelée Special Forces) est une des plus anciennes unités

de forces spéciales de l’US Army. Le groupe a été créé au cours des années 1950 et est encore très actif au 21e

siècle. Les opérateurs des Green Berets se spécialisent dans la conduite d’opérations de reconnaissance, de

ciblage, de contre-terrorisme, en plus d’assurer l’entraînement intensif des forces militaires étrangères au

combat. De nos jours, les Green Berets constituent, avec les Rangers, le bassin de recrutement principal de

l’unité antiterroriste américaine du Delta Force. 26 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April

1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op., cit. p. 2.

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les chemins ruraux.27 Lorsque mis en présence d’hameaux stratégiques, les Viêt-Cong se

voyaient confrontés à un dilemme : s’ils initiaient des assauts sur les hameaux, ils

attaquaient aussi la population, un enjeu névralgique pour le succès des opérations de

l’insurrection. Parallèlement, s’ils n’attaquaient pas les hameaux, les Viêt-Cong perdaient

leur base populaire et n’avaient plus pour seule alternative que de se réfugier dans la

jungle. Thompson a noté que les opérations de l’ARVN et des forces paramilitaires,

combinées aux effets engendrés par les hameaux stratégiques, ont arraché l’initiative

opérationnelle aux Viêt-Cong. Près d’une trentaine de bataillons réguliers VC déployés

dans les secteurs ruraux semblaient incapables d’initier plus d’une demi-douzaine

d’attaques majeures par mois qui d’ailleurs, n’ont pas connu les succès escomptés pour

les communistes. Les observateurs américains ont noté que le VC bénéficiait de moins de

« liberté de mouvement » comparé à l’année précédente et que les insurgés manquaient

de médicaments ainsi que de nourriture.28

Thompson conclut également que les contre-performances des insurgés

découlaient de la pénurie de nourriture entraînée par l’inaccessibilité des villages et le

danger pour les troupes communistes de circuler sur les routes patrouillées par les forces

de sécurité et surveillées par les unités militaires héliportées.29 À cet effet, Saigon a mis

beaucoup d’efforts sur le développement de ses forces de sécurité qui ont augmenté en

termes de taille et de qualité. Les forces paramilitaires ont élargi leurs rangs avec la Garde

civile qui atteint des effectifs de 75,000 hommes, le Self Defence Corps a vu grimper ses

effectifs jusqu’à 100,000 membres, le CIDG (Civilian Irregular Defense Group) comptait

40,000 éléments et l’ARVN était composée de 215,000 soldats.30 Les forces

gouvernementales traquaient agressivement les VC, leur infligeant plusieurs défaites. Un

colonel conseiller auprès des forces de sécurité qui terminait sa mission de onze mois au

sein du I Corps en 1963 rapporta que les unités du Self Defence Corps défendaient avec

beaucoup plus de confiance que par le passé les villages leur étant attitrés. L’ARVN était

en mesure d’attaquer les bases d’opérations insurgées dans les recoins les plus profonds

27 Ibid., p. 3. 28 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,

op. cit. 29 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April

1963 Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op. cit., p. 3. 30 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 206.

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de la jungle (un des refuges sécuritaires pour le VC). Le colonel a également rapporté que

la population civile donnait aux forces de sécurité un plus grand volume de

renseignements sur les activités des forces insurgées. La communication volontaire de

renseignements en provenance de la population constitue un des meilleurs indicateurs du

degré d’efficacité d’une COIN. Cette transmission de renseignements aux forces de

sécurité avait comme impact des pertes importantes pour le VC. Grâce à l’information

fournie par la population, une milice d’hameau et des éléments réguliers de la 25e Division

ont été capables de repousser une attaque à grand déploiement des VC contre une série

d’hameaux stratégiques, provoquant ainsi la mort de centaines d’insurgés.31 Lorsque les

paysans se trouvaient à l’abri du VC, ils devenaient beaucoup plus enclins à parler. La

population rurale vietnamienne a connu le joug de la terreur sous la présence des insurgés

communistes. Un service de sécurité du VC (qui atteignait le nombre de 25,000 membres

en 1970) avait pour mandat d’établir une liste de cibles humaines, en plus d’organiser des

assassinats, l’enlèvement ainsi que la détention de suspects. Plus de 36,000 personnes

auraient été assassinées par le VC entre 1957 et 1972, alors que 58,499 autres auraient été

victimes d’enlèvement pendant la même période.32

Le VC visait notamment les fonctionnaires du gouvernement, les policiers et les

cadres responsables de la pacification. Lors des interrogatoires de prisonniers, on

dénombra maints cas de torture et des prisonniers condamnés à mort se sont fait éventrer

devant les habitants du village, forcés d’assister au carnage. Le VC a également attaqué

des villages, ne faisant aucune discrimination entre les forces de sécurité et les civils;

hommes, femmes et enfants ont été régulièrement et délibérément massacrés par les

insurgés. Plusieurs attaques subséquentes au lance-flamme et à la grenade sur d’autres

villages ont entraîné la mort de centaines de civils aux mains du VC.33 Jusqu’à la fin de

la guerre, ces atrocités ne se sont pas résumées à quelques incidents isolés mais pourtant,

ils n’ont pas fait l’objet d’un intérêt particulier pour les journalistes (ni pour les

manifestants pro-VC aux États-Unis) alors que ces mêmes individus et groupes

n’hésitaient pas à exposer les bévues de l’ARVN et les atrocités commises par des soldats

31 Ibid., p. 206-207. 32 Guenter Lewy, America in Vietnam, Oxford, Oxford University Press, 1978, p. 272. 33 Ibid., p. 273, 276.

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américains.34 Nous verrons dans le volet dédié à la guerre hybride comment cette guerre

de l’information étayait l’effort de guerre d’Hanoi. Quoi qu’il en soit, confronté à des

circonstances aussi inhumaines, il était tout à fait normal pour un civil de ne pas

transmettre de renseignements aux forces contre-insurrectionnelles s’il ne se sentait pas

en parfaite sécurité. Le renseignement humain est essentiel à toute contre-insurrection;

cette autre particularité explique l’importance de gagner l’appui de la population. Les

hameaux stratégiques contribuaient incontestablement à cet objectif en 1963 au Vietnam.

Il convient cependant de spécifier que les succès engendrés par les hameaux stratégiques

n’ont pas revêtu un caractère uniforme sur l’ensemble du théâtre d’opération. Rufus

Phillips, un agent de terrain de la CIA, était le conseiller en chef américain pour le

programme d’hameaux stratégiques. Phillips était à l’origine un des assistants d’Edward

Lansdale, un colonel de l’USAF opérant au sein de la CIA qui conseillait Diem et

défendait avec vigueur la nécessité d’appliquer des concepts de COIN au Vietnam.35

Phillips remarqua qu’il y avait encore des fonctionnaires sud-vietnamiens qui

développaient trop rapidement leurs hameaux. Ce faisant, les autorités « sacrifiaient la

qualité pour la quantité ». Phillips a exposé la nature chronique du problème dans le

secteur très peuplé du Delta du Mékong, localisé dans le sud du pays (IV Corps).

Cependant, il a souligné qu’en dépit de ces problèmes, le programme d’hameaux

stratégiques prouvait sa valeur dans les secteurs où le système se voyait « bien

exécuté ».36 Il est à noter que les statistiques montrant les progrès engendrés par les

hameaux stratégiques ont fréquemment fait l’objet de critiques de plusieurs qui accusaient

Saigon d’exagérer les chiffres de ses rapports de situation. À cet effet, l’auteur Mark

34 Aux États-Unis, de nombreux groupes de manifestants ont exprimé leur opposition à l’implication américaine

au Vietnam. Une de ces organisations se nommait Students for a Democratic Society, un groupe activiste de

gauche très actif lors des protestations populaires américaines. Plusieurs manifestants sont allés jusqu’à appuyer

le Viêt-Cong en brandissant le drapeau du groupe insurrectionnel communiste. Ces groupes ont vivement

dénoncé la violence engendrée par les opérations militaires américaines sur la population civile au Vietnam.

Néanmoins, les exactions perpétrées par le Viêt-Cong sur le peuple sud-vietnamien ont été, le plus souvent,

complètement ignorées par ces activistes. Cette tendance a été le reflet d’une bonne partie de la couverture

médiatique pendant la guerre. Par exemple, les médias n’ont pas soufflé un mot de la tuerie de Hue, qui vit près

de 6000 civils massacrés et enterrés vivants par le Viêt-Cong lors de l’offensive du Têt en 1968 (le sujet des

médias sera abordé de nouveau plus loin dans la thèse). 35 Rufus Phillips, Why Vietnam Matters, Annapolis, Naval Institute Press, 2008, p. xv. 36 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 207.

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Moyar précise que Phillips et la majorité des autres conseillers en matière de pacification

n’étudiaient pas exclusivement des statistiques et les rapports sud-vietnamiens pour

évaluer la situation opérationnelle. Dans chaque province, des conseillers civils et

militaires américains inspectaient personnellement de nombreux hameaux et dialoguaient

avec les civils et les employés gouvernementaux avant d’envoyer leurs propres rapports

à Phillips et aux autres agences américaines. De plus, pour évaluer la situation

opérationnelle, les Américains se fiaient beaucoup aux détails recueillis dans les écrits de

documents viêt-cong saisis, ainsi qu’aux rapports verbaux des insurgés qui optaient pour

la défection.37 Globalement, les progrès en matière de pacification, de sécurité et

d’endiguement pour les opérations viêt-cong connaissaient d’excellents progrès dans les

secteurs ruraux. Selon Thompson, le gouvernement était en voie de « gagner la guerre »

et, s’il gardait le cap, pouvait espérer complètement couper l’accès des Viêt-Cong à la

population civile au milieu de 1964, et ce, même dans la zone plus problématique du

Delta du Mékong.38

Néanmoins, Thompson a connu à juste titre certaines préoccupations. La situation

politique très instable à Saigon avait engendré de nombreuses violences de la part des

sectes bouddhistes et des forces de sécurité sud-vietnamiennes sous Diem. Ce dernier

subissait d’énormes pressions des Américains pour qu’il modère ses politiques et ses

actions contre les sectes. Combiné à cela, la situation politico-militaire faisait l’objet

d’une couverture médiatique extrêmement biaisée où plusieurs journalistes diabolisaient

Diem et mésinterprétaient dramatiquement la situation militaro-opérationnelle sud-

vietnamienne. Des journalistes comme David Halberstam et Neil Sheehan adoptaient la

fâcheuse tendance de s’improviser comme de grands spécialistes des stratégies et

tactiques militaires. Dans leurs articles, ils dépeignaient un gouvernement sud-vietnamien

ayant complètement perdu le contrôle de la situation contre les insurgés viêt-cong. Même

le Time Magazine s’est montré très inconfortable avec le manque d’objectivité des

journalistes à Saigon, ce qu’il a déploré dans un article publié le 20 septembre 1963. Le

Times reprochait aux journalistes leur « vision tunnel », leur « distorsion » de

l’information, leur mépris de Diem et leur tendance à qualifier d’hérétique tout rapport

37 Ibid. 38 Ibid.

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ou opinion ne corroborant pas leur vision de la situation.39 De son côté, Thompson

commençait à sentir la soupe chaude; il comprenait que le programme d’hameaux

stratégiques -également condamné par les journalistes- dépendait trop du leadership et de

l’administration de Diem et de son frère Nhu. À ses yeux, il n’existait aucune alternative

à Diem; sa chute du pouvoir engendrerait des effets « désastreux » pour la pacification et

tout changement au sein des instances gouvernementales risquait de transformer une

victoire en défaite. C’est pourquoi il insistait pour que Saigon s’empresse de bâtir

un « système ministériel » doté d’un « mécanisme administratif » pouvant permettre au

gouvernement de gérer le programme, advenant un changement au sein du leadership

gouvernemental à Saigon.40 Malgré ses recommandations, le système demeurait très

dépendant de Diem et de Nhu et les pires craintes de Thompson se sont concrétisées le

1er novembre 1963. Une junte de généraux de l’ARVN initia un coup d’État avec l’accord

tacite d’une poignée de politiciens américains dont l’Ambassadeur américain à Saigon

Henry Cabot Lodge.

Le putsch entraîna l’assassinat de Ngo Dinh Diem et de son frère Ngo Dinh Nhu.

Le Président Kennedy s’est montré très choqué de l’assassinat de Diem mais plusieurs

acteurs politiques de son administration, plus particulièrement l’Ambassadeur Henry

Cabot Lodge, ont encouragé le coup d’État des généraux de l’ARVN.41 Lorsque ces

derniers ont pris les rênes du pouvoir, le GVN se retrouva dans une position vulnérable

et détériorée. Le programme d’hameaux stratégiques se trouva instantanément mis en

péril à la suite de l’assassinat de ses deux principaux architectes. En dépit de cette

situation précarisée, Thompson estimait que si les généraux putschistes demeuraient unis,

on pouvait envisager de conserver l’optimisme quant à une victoire accélérée contre le

VC. Néanmoins, la situation ne s’est point améliorée; les généraux ont donné l’ordre de

39 National Security Files Vietnam Halberstam Articles9/63, Memorandum for Director of Central

Intelligence, Subject: David Halberstam’s reporting on South Vietnam, Boston, John F. Kennedy Presidential

Library, Box 204, p. 1-2. 40 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April

1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op. cit. p. 3. 41 Pentagon Papers Part IV. B. 5[Part IV. B. 5.], Evolution of the War. Counterinsurgency: The Kennedy

Commitments, 1961-1963, The Overthrow of Ngo Dinh Diem, May-Nov. 1963, College Park, National

Archives, Identifier: 5890497, container ID: 3, p. 59.

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dissoudre le gouvernement de Diem.42 De fait, le personnel dédié à gérer le programme

d’hameaux stratégiques et plusieurs fonctionnaires considérés comme étant des

« Diemistes » se sont vus limogés et jugés, ce qui devait contribuer à la chute définitive

du programme.43Beaucoup de journalistes ont dénoncé les politiques de Diem de même

que son programme de pacification chapeauté par les Américains et le BRIAM. Pourtant,

l’état de la progression de la campagne de COIN était beaucoup plus positif que le laissait

croire l’évaluation biaisée des journalistes. Des sources communistes ont confirmé que le

gouvernement détenait l’avantage de la situation avant le coup, avantage « perdu

rapidement » à la suite du putsch. Le commandement VC en charge des opérations au sud

du pays a rapporté qu’ils éprouvaient d’importantes difficultés en 1962 et lors des

premiers 10 mois de 1963, mais qu’après le 1er novembre, ils commençaient à

« raffermir » leurs forces dans les zones où ils s’étaient trouvés préalablement affaiblis.

Dans les 16 mois ultérieurs au coup, les communistes ont pu constater avec satisfaction

que 80% des hameaux stratégiques avaient été détruits et que l’essentiel de la population

rurale se trouvait dorénavant dans des secteurs contrôlés par le Viêt-Cong.44

De 1964 à 1965, le nombre de civils sous l’ascendant des communistes a passé de

25,000 à 203,345 dans la Région militaire 6 du VC.45 Dans la région centrale des hauts-

plateaux, le Viêt-Cong réussit pour la première fois à causer de sérieuses pertes aux

hameaux stratégiques; après le coup, 40% de ces derniers ont été détruits par les insurgés

en l’espace de quelques mois. Les provinces de Long An et de Dinh Tuong dont les

hameaux avaient été durement frappés préalablement au renversement de Diem ont

encaissé des pertes encore plus significatives après le coup. Pourtant, des rapports

communistes d’avant le putsch déploraient à quel point la province de Long An était

envahie d’hameaux stratégiques peuplés par nombre de civils y ayant été déplacés. Cette

situation, combinée aux combats contre les forces de Saigon, avait limité le nombre

d’hameaux détruits à 20 sur 273 avant le 1er novembre. Le désastre s’est également

répercuté au sein de la province de Dinh Tuong; après le coup d’État, 100 des 184

42 National Security Files Vietnam Vol. XXIV, Department of State Telegram to Secretary of State. ProQuest

Folder 4532045. 43 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 284. 44 Ibid., p. 284. 45 Ibid., p. 283-284.

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hameaux ont été détruits.46 À l’annonce de l’assassinat de Diem, le dirigeant nord-

vietnamien Ho Chi Minh déclara qu’il pouvait « difficilement croire que les Américains

puissent avoir été aussi stupides ».47 Le Politburo nord-vietnamien renchérit en ajoutant

que « Diem était un des individus les plus forts » dans la résistance contre le

communisme. Tous les efforts tentés pour « écraser la révolution » l’avaient été, selon le

Politburo, sous l’égide de Diem.48 En bref, l’échec du programme d’hameaux stratégiques

et de l’ensemble du projet de pacification de 1963 à 1965 n’a pas été la résultante des

efforts insurgés mais plutôt de l’insouciance et de l’absence de jugement éclairé des

dirigeants sud-vietnamiens et de certains dirigeants américains. L’application des

doctrines de Thompson et du BRIAM au Vietnam s’est avérée un succès jusqu’au

renversement du régime de Diem. Le programme a connu des ratés en début de parcours,

chose tout à fait normale si on prend en considération la complexité de la mise en pratique

des doctrines de COIN et l’agressivité notoire du VC.

Nonobstant ces problèmes, le programme aboutit aux résultats tactiques

escomptés dans bien des provinces : la population s’est retrouvée séparée de

l’insurrection qui a vu ses lignes de communication constamment menacées. Des unités

VC manquaient de nourriture et ne pouvaient bénéficier du refuge, du renseignement, des

taxes et de l’approvisionnement logistique de la population civile. Comme nous l’avons

vu précédemment, des rapports communistes et des déserteurs VC ont corroboré cet état

de la situation, conclusions n'étant donc pas uniquement basées sur de simples statistiques

de Saigon. Les journalistes susmentionnés se sont constamment acharnés à dénoncer le

programme d’hameaux stratégiques de Diem. Cependant, les doléances de journalistes ne

constituent pas des indicateurs d’échec ou de succès crédibles dans le processus

d’évaluation d’une contre-insurrection. Non seulement les dirigeants du VC ont-ils eux-

mêmes avoué la nature problématique du programme, le commandement communiste a

fait de la destruction des hameaux une priorité pour les forces de combat du VC. Si le

programme d’hameaux stratégiques de Diem et de Nhu était aussi inefficace et contre-

productif que l’ont prétendu Halberstam et Sheehan, pourquoi le VC s’est-il acharné

désespérément à les anéantir avec autant d’opiniâtreté? Pourquoi après un temps, de

46 Ibid., p. 284-285. 47 Ibid., p. 286. 48 Ibid.

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larges portions de la population civile demandaient-elles volontairement à être déplacées

dans ces hameaux? Si les villageois avaient autant d’engouement pour Ho Chi Minh et

les doctrines communistes, pourquoi se montraient-ils aussi enclins à transmettre du

renseignement sur les activités et les mouvements viêt-cong lorsqu’ils se sentaient à l’abri

de leurs représailles ? Pourquoi, après le coup d’État, le VC accéléra-t-il avec zèle son

effort de guerre pour définitivement anéantir les hameaux stratégiques? Là se trouvent les

véritables indicateurs de succès de l’application d’une COIN. Le fait est qu’un journaliste,

quoi qu’il puisse analyser une situation et se faire une opinion, n’est généralement pas un

tacticien militaire, n’a pas été éduqué dans une académie militaire et ne possède aucune

expérience en matière de leadership au combat. Cela ne signifie pas qu’un militaire est

totalement à l’abri de la mésinterprétation d’une situation en temps de guerre; de

nombreux officiers ont bien mal interprété certaines problématiques au Vietnam.

Néanmoins, l’impact démesuré d’assomptions erronées de journalistes biaisés et profanes

en matière de tactiques et stratégies militaires prit beaucoup trop d’ampleur et devait en

prendre encore davantage en 1968 lors de l’offensive du Têt. Le fait demeure que les

doctrines de Robert Thompson ont affecté les opérations VC de façon critique dans

l’ensemble des provinces sud-vietnamiennes. Une réalité beaucoup trop souvent ignorée

et mésinterprétée.

Le focus médiatique porté sur des défaites militaires de l’ARVN comme celle

d’Ap Bac, sur la condamnation des hameaux stratégiques et sur les violences entre forces

de sécurité sud-vietnamiennes et sectes bouddhistes a littéralement tordu la réalité

militaro-opérationnelle de la RVN en 1963. Parallèlement, les médias ont adopté la

tangente de minimiser les atrocités, les faux pas et les fréquentes défaites du Viêt-Cong.

Bien que spéculatif, il est intéressant de noter que l’auteur Mark Moyar va jusqu’à

affirmer que si le programme avait été de l’avant avec Diem, il est fort probable que les

États-Unis n’auraient jamais eu à déployer des forces de combat au Vietnam.49

Néanmoins, un des principaux défauts relatifs à l’administration du programme

d’hameaux stratégiques a été sa dépendance à la gestion personnalisée de Diem et Nhu,

ce qui, ultimement, a constitué un problème à la suite de leur assassinat. De tels préceptes

et doctrines se doivent d’être institutionnalisés afin que l’ensemble du gouvernement

49 Ibid.

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64

puisse en saisir les rouages et le potentiel. Les généraux du putsch n’avaient cure du

programme de COIN de Diem. Du côté politique, plusieurs dirigeants américains ont

dénoncé la dureté de Diem et remettaient en question la capacité de ce dernier à gouverner

la RVN. Parmi ces politiciens, nous retrouvions l’Ambassadeur Henry Cabot Lodge, le

Secrétaire d’État Dean Rusk et l’assistant au Secrétaire d’État pour l’Extrême Orient

Averell Harriman. Bien qu’il ne souhaitait pas l’assassinat du dirigeant sud-vietnamien et

qu’il avait des doutes sur la nécessité d’approuver un coup d’État, le Président John F.

Kennedy s’est également montré inconfortable avec plusieurs aspects de la gouvernance

de Diem. Le Procureur général des États-Unis (et frère du Président), Robert F. Kennedy,

ainsi que Maxwell Taylor (appelé à devenir Ambassadeur américain dans la RVN), et le

directeur de la CIA, John McCone, se sont catégoriquement objectés au renversement de

Diem.50 Nonobstant ces oppositions, la Maison-Blanche et l’Ambassadeur Lodge ont

laissé transparaître de grands signes d’impatience lorsque Diem refusait d’apporter des

modifications à sa façon de gouverner. Les politiciens tendaient à oublier que la RVN

vivait un état de crise tout en étant confrontée à une guérilla communiste déterminée.

Les Américains cherchaient à transposer leurs valeurs démocratiques à un

gouvernement et à une société qui n’avaient absolument rien à voir avec la culture

démocratique américaine. Cette fâcheuse tendance ne s’est pas limitée au Vietnam et a

pu être observée très récemment dans les conflits modernes du 21e siècle avec les résultats

que l’on connaît. Washington semblait souhaiter faire de la République du Vietnam une

« Petite Californie » mais la réalité militaire et socio-culturelle du pays ne se prêtait pas

à de pareilles illusions. Washington devait amèrement regretter d’avoir abandonné Diem

à son sort; sa chute provoqua une cascade d’évènements en domino qui, ultimement,

devaient nécessiter le déploiement de forces de combat américaines au Vietnam. En effet,

une succession de coups d’état subséquents à celui de Diem empira de manière drastique

la situation politico-militaire. En 1965, la situation se fit catastrophique; le Viêt-Cong

dominait les secteurs ruraux et des forces régulières du NVA commençaient à déployer

des forces massives au Sud dans le but de scinder géographiquement en deux la RVN. À

50 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 262-263.

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65

ce stade du conflit, le facteur hybride commença à prendre beaucoup plus d’ampleur. La

Figure 2 montre l’étendue des secteurs d’influence des forces communistes en 1965.

Figure 3 : Zones de la RVN contrôlées par les communistes et les forces

gouvernementales en 196551

51 Thomas Ahern, op. cit., p. 173.

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66

1.3. La guerre et les menaces de type hybride

Le livre doctrinal de l’US Army dédié à la guerre hybride (le TC 7-100 Hybrid

Threats) définit les menaces de nature hybride comme une « combinaison dynamique de

forces régulières et irrégulières » unifiée pour créer un « effet bénéfique mutuel ». Les

forces conventionnelles sont (en temps normal) « gouvernées par la loi internationale »,

contrairement aux forces irrégulières n’étant pas régulées par cette dernière. En

conséquence, les forces irrégulières bénéficient d’une plus grande liberté d’action dans le

choix de leurs cibles ainsi que dans l’intensité de la violence exploitée pour les frapper.

Le manifeste doctrinal souligne qu’une des particularités propres aux conflits hybrides

est la capacité des forces régulières et irrégulières à exploiter les vulnérabilités adverses

en initiant la transition de leur concept d’opération, c’est-à-dire de guerre conventionnelle

à guerre non conventionnelle.52 L’objectif des menaces hybrides consistera en l’attaque

des éléments politiques, militaires, économiques et sociaux de leurs adversaires tout en

maximisant l’exploitation des médias et de la guerre de l’information (PMESI). Ces

assauts multiples contre les éléments du PMESI constituent pour les acteurs hybrides des

Lignes d’Opérations.

Une série d’attaques sur le plan militaire ne créera pas la complexité

opérationnelle nécessaire pour étirer les ressources, dégrader la volonté de combattre et

réduire la capacité à manœuvrer de l’adversaire des acteurs hybrides. Au lieu de cela, ces

derniers chercheront à infliger suffisamment de pression pour provoquer une instabilité

économique, une perte de confiance de la population envers son gouvernement et

exploiter les réseaux d’information. Chacune des Lignes d’Opérations représentées dans

le PMESI sera attaquée ou exploitée par les acteurs hybrides qui, pour ce faire,

procéderont à des offensives « synchronisées et synergétiques ».53 À titre d’exemple, sur

le champ de bataille vietnamien, deux des principales Lignes d’Opérations ont été la

population civile (politique) et l’attrition des Forces armées américaines (militaire). Les

éléments conventionnels et non conventionnels des acteurs hybrides ont synchronisé leurs

opérations pour frapper ces deux Lignes d’Opérations. La situation risque de devenir

52 Headquarters Department of the Army, TC 7-100 Hybrid Threats, Washington D.C. Department of the

Army, 2010, p. v. 53 Ibid., p. 1-2.

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suffisamment compliquée pour que les forces de sécurité soient amenées à négliger la

concentration de la force nécessaire pour briser l’influence des acteurs hybrides sur une

ou plusieurs de leurs Lignes d’Opérations. À titre d’exemple, en 1965, les offensives des

forces régulières du NVA devinrent une menace si prépondérante que l’ARVN ne pouvait

participer activement aux opérations de pacification contre le Viêt-Cong, ce qui s’avéra

un élément facilitant la tâche de l’ennemi dans sa repossession des secteurs ruraux. À

l’image d’une insurrection pure et simple, l’objectif des acteurs hybrides ne constitue pas

une victoire militaire mais l’épuisement psychologique de l’adversaire par le biais d’une

guerre de longue durée (protracted war). Voilà ce que stipule le TC 7-100 à ce sujet :

Swift tactical success is not essential to victory. The dimension of time favors

those fighting the United States. An enemy need not win any engagement or

battles; the enemy simply must not lose the war. Wearing down the popular

support for U.S. operations by simply causing a political and military

stalemate can be all that is required to claim victory or to change U.S.

behavior or policy.54

Cette logique de guerre constitue la doctrine fondamentale qui, ultimement, devait

coûter la victoire aux Américains au Vietnam. Encore aujourd’hui, beaucoup de vétérans

vanteront les performances militaires américaines au Vietnam. Aucune défaite majeure

n’a été infligée aux Américains alors que leurs formations militaires étaient confrontées

à de larges formations du NVA ou du VC. Néanmoins, cela ne changea en rien l’issue de

la guerre. En étirant le conflit, les acteurs hybrides ont causé des pertes militaires

continuelles aux Américains. L’absence de progrès sur le plan militaire, l’exploitation des

médias, la pression sociale et économique qui devait s’ensuivre permit aux acteurs

hybrides d’atteindre, ultimement, leur objectif. Pour fonctionner adéquatement, les

acteurs hybrides exploiteront un de deux types d’adaptations : naturelle et dirigée. Dans

le cas des communistes au Vietnam, ils ont exploité les deux, ce qui en faisait un

adversaire encore mieux rodé pour contrer la puissance militaire américaine. Une

adaptation naturelle se produit lorsqu’un acteur hybride « raffinera son habilité » à

exploiter son pouvoir politico-économique, militaire et informationnel. Sur le plan

politique et de l’information, il exploitera des alliances régionales et stratégiques qui

favoriseront l’atteinte de ses objectifs politico-militaires.55Dans le cas des communistes,

54 Ibid. 55 Ibid.

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68

Hanoï pouvait compter sur deux puissances nucléaires en l’Union soviétique et la Chine

communiste pour l’appuyer dans sa quête. Du côté économique et matériel, l’acteur

hybride cherchera à acquérir des technologies qui lui permettront de résister aux assauts

de son adversaire.56 En ce qui concerne Hanoï, on a pu se procurer, grâce aux alliés

susmentionnés, le tout dernier modèle de missile antiaérien soviétique (le SA-2) destiné

à abattre des centaines de chasseurs américains dans le ciel nord-vietnamien. L’infanterie

communiste était équipée du dernier modèle de fusil d’assaut AK-47 soviétique

(supérieur en calibre, qualité et fiabilité à la M-16 américaine de 1965) ainsi que de canons

d’artillerie de 122 mm D-74,57 ces derniers ayant une portée de tir supérieure aux canons

d’artillerie américains. Également, en plus des vieux Mig-17, l’aviation nord-

vietnamienne a été équipée d’une flotte d’avions de chasse Mig-21, un des derniers

modèles de chasseurs soviétiques. En termes de capacités, manœuvrabilité et

d’aérodynamique, ce chasseur pouvait sans difficultés se mesurer au chasseur F-4

Phantom américain.58

Enfin, sur le plan militaro-politique, les forces hybrides communistes disposaient

d’une « organisation effective ». En d’autres termes, la machine de guerre communiste

était sous la direction du Parti communiste à Hanoï. Le NVA, composé d’unités

divisionnaires, lui était subordonné et on lui attribua divers secteurs d’opérations dans la

République du Vietnam. Parallèlement, le COSVN opérait clandestinement sous la

gouverne d’Hanoï pour gérer les opérations politico-militaires du Viêt-Cong dans chaque

région, province, district et village de la RVN.59 En bref, Hanoi a pleinement exploité le

mode de transition naturelle propre aux acteurs hybrides. Les dirigeants communistes ont

également tiré parti du mode de transition dirigé. Globalement, ce dernier se réfère à la

capacité d’un acteur hybride d’apprendre de ses erreurs lorsque confronté à son adversaire

et à posséder l’habilité d’adapter son mode d’opération afin d’invalider la suprématie

militaire de ce dernier.60 Un des meilleurs exemples de l’adoption communiste du mode

56 Ibid. 57 J.W. McCoy, Secrets of the Viet-Cong, New York, Hippocrene Books, 1992, p. 34, 328. 58 Marshall L. Michel, Clashes. Air Combat over North Vietnam 1965-1972, Annapolis, Naval Institute Press,

1997, p. 81-84. 59 McCoy, op. cit., p. 27-49. 60 Headquarters Department of the Army, TC 7-100 Hybrid Threats, op. cit., p. 1-2.

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de transition dirigée tactique au Vietnam a été la conduite des opérations militaires

insurgées qui ont succédé à l’opération STARLITE en août 1965. Des rapports de

renseignements ont indiqué aux Américains qu’une large formation VC s’apprêtait à

attaquer l’enclave de Chu Lai située dans la province de Quang Nam. Cette force

composée du 1er Régiment VC et d’une compagnie du 52e Bataillon a été confrontée à un

assaut héliporté formé de plusieurs bataillons de Marines.61 STARLITE consistait en une

offensive américaine classique qui a vu l’USMC traquer, localiser, fixer et anéantir les

forces communistes par le biais d’effectifs et d’une puissance de feu supérieure. Le VC

affronta ouvertement son adversaire américain et en subit les lourdes conséquences :

STARLITE incarna une défaite cinglante pour le VC qui y a perdu un total de 688 soldats

en plus de 263 blessés. De leur côté, les Américains ont déploré la mort de 46 Marines en

plus de recenser 204 blessés.62 Les généraux américains se sont montrés ravis du résultat

qui cadrait parfaitement avec ce que leur expérience passée leur avait appris au cours des

guerres précédentes. Néanmoins, le VC ne devait pas tarder à ajuster sa stratégie; devant

la puissance de feu des Forces américaines, les insurgés ont adapté leurs tactiques en

attaquant leur adversaire par le biais d’embuscades et d’opérations classiques de guérilla.

À moins d’un avantage certain, les troupes VC se sont désormais abstenues de

jouer le jeu des Américains et ont muté leur schème de bataille, un concept qu’ils ont

gardé jusqu’au Têt en 1968. Nous verrons d’ailleurs dans le chapitre 4 comment Hanoï

devait réajuster sa stratégie après sa défaite militaire lors de l’offensive du Têt. Il est très

intéressant de noter que même l’aviation nord-vietnamienne a exploité le mode de

transition dirigé. Possédant beaucoup moins de chasseurs que leur adversaire américain,

les Nord-Vietnamiens ont adapté leurs tactiques afin de pouvoir rivaliser avec l’USAF et

les chasseurs de l’U.S. Navy. À titre d’exemple, lorsque les chasseurs bombardiers F-105

et leur escortes (les F-4 Phantom) initiaient leur attaque au sol, les Mig nord-vietnamiens

n’intervenaient souvent qu’après la conduite de l’assaut, lorsque les escortes n’avaient

presque plus de carburant. Ils privilégiaient de s’en prendre aux chasseurs bombardiers

F-105 beaucoup moins manœuvrables que le Mig-17 et le Mig-21. Les pilotes nord-

61 Records of the Military Assistance Command Vietnam, Part 1. The War in Vietnam, 1954-1973, MACV,

Carlisle Barracks, Pennsylvania U.S. Army Military History Institute, Historical Office Documentary

Collection, Folder: 003209-048-0098. 62 Ibid.

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70

vietnamiens ont également ajusté leurs tactiques lorsqu’ils se sont vus confrontés aux

premiers modèles de chasseurs F-4. Ces derniers, n’ayant pas de canon, comptaient

exclusivement sur leurs missiles pour le combat aérien. Les aviateurs communistes

volaient si près des F-4 qu’ils ne pouvaient utiliser leurs missiles contre les Mig qui ont

abattu plusieurs chasseurs américains.63 De plus, les Nord-Vietnamiens n’ont pas tardé à

réaliser que les missiles air-air américains étaient beaucoup moins efficaces à basse

altitude, ce qui motiva les aviateurs communistes à ajuster leurs tactiques : lors de

combats aériens, les Mig plongeaient à basse altitude afin de minimiser l’avantage

technologique des Américains. Les Mig patrouillaient également à très basse altitude les

couloirs aériens privilégiés par les F-105. Les chasseurs communistes volaient en cercle

et lorsqu’un F-4 cherchait à engager un Mig, le pilote américain et son navigateur se

retrouvaient rapidement avec un autre Mig localisé sur leurs arrières. La proximité du sol

faisait en sorte que les missiles guidés par radar et les missiles infrarouges du F-4

rencontraient énormément de difficulté à cibler et toucher les Mig qui bénéficiaient d’un

canon pour le combat rapproché. Lorsque les F-105 approchaient, les Mig brisaient leur

formation en cercle et fonçaient sur les chasseurs bombardiers surchargés de bombes pour

les forcer à engager un combat aérien inévitablement désavantageux pour les aviateurs

américains.64

C’est par le biais de telles méthodes que les acteurs hybrides, quelques soient leurs

moyens (terrestres et aériens), exploitent le mode de transition dirigé. Nous avons vu

précédemment en quoi consistait la composition et le mode de fonctionnement des forces

non conventionnelles communistes; le Viêt-Cong. Pour sa part, le NVA représentait la

branche armée conventionnelle d’Hanoi. Une telle force armée se compose de forces

militaires régulières appartenant à un État. Ces forces régulières conventionnelles

assument la tâche d’atteindre leurs objectifs en exploitant des tactiques militaires

standardisées centrées sur l’offensive et la défensive. Leurs objectifs principaux : vaincre

les forces adverses sur le champ de bataille, détruire la capacité à combattre de l’ennemi

ainsi que saisir et maintenir le contrôle de territoires clés.65 Le NVA constituait une armée

conventionnelle très bien équipée, durement entraînée, hautement professionnelle et

63 Michel, op. cit., p. 20-21, 105-106. 64 Ibid., p. 89. 65 Headquarters Department of the Army, TC 7-100 Hybrid Threats, op. cit., p. 2-2.

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71

dotée d’officiers très compétents. Leur structure organisationnelle s’apparentait à celle de

toute armée conventionnelle moderne (voir l’annexe 2). Sans les éléments d’artillerie de

l’US Army et l’appui aérien soutenu de l’USAF, les armées nord-vietnamiennes auraient

à maintes reprises surclassé leur adversaire américain sur le champ de bataille. Lors de la

collaboration des deux forces (VC et NVA), le Viêt-Cong ne se contenta pas d’appuyer

les opérations des forces régulières nord-vietnamiennes. Il est arrivé plus d’une fois que

les rôles se soient vus inversés avec le NVA qui, pour appuyer le VC, intégrait plusieurs

de ses soldats dans ses bataillons. Ce faisant, les deux forces formaient une parfaite

symbiose qui facilita la conduite des opérations contre les éléments militaires américains

et sud-vietnamiens. L’amalgame des deux forces permit le déclenchement d’attaques

coordonnées entre forces régulières et irrégulières sur quantité de fronts lors de la contre-

offensive communiste de 1969.66 Trois ans plus tôt, la 620e Division d’Infanterie ainsi

que les 3e et 21e régiments du NVA contrôlaient, de concert avec le 1er Régiment VC, la

vallée du Que Son dans I Corps. En mai 1966, la 5e Division du NVA contrôlait 5000

soldats qui faisaient partie des 274e et 275e Régiments VC/NVA, du Bataillon Viêt-Cong

D445, de quatre compagnies de district et de 400 à 600 insurgés locaux.67

Dans la partie consacrée à l’offensive du Têt, nous verrons comment le NVA et

le VC amalgamaient leurs forces régulières et irrégulières au combat. Il ne s’agit là que

de quelques exemples de l’alliage constant des troupes régulières et irrégulières des forces

communistes. Même en plein combat, il était commun de voir les communistes exploiter

un tissage de « moyens réguliers et irréguliers ». Des armes antichars de dernière

génération pouvaient être exploitées de manière simultanée avec des pièges aux concepts

datant de l’Antiquité. Des armes hautement sophistiquées comme des missiles antiaériens

pouvaient être utilisées avec de l’arsenal plus primitif. Il n’était pas rare de voir des

experts venir enseigner aux forces irrégulières comment utiliser des armes modernes.68

Ces procédures ont permis au Viêt-Cong d’opposer une résistance tout aussi farouche aux

Américains que leurs comparses du NVA. À titre d’exemple, lors de STARLITE, les

unités VC se sont vues renforcées de deux batteries de canon d’artillerie de 75 mm et

66 Timothy McCulloh et Richard Johnson, Hybrid Warfare Joint Special Operation University Report 13-4,

Tampa, Joint Special Operations University, 2013, p. 75. 67 McCoy, op. cit., p. 352-353. 68 Ibid.

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72

d’une compagnie antiaérienne qui était organique69 aux bataillons insurgés. Ces armes

ont été la cause de plusieurs pertes chez les Marines.70 La coopération des forces

régulières et irrégulières ne s’est pas uniquement faite dans le but d’obtenir des résultats

tactiques. En fait, les deux entités militaires constituaient un multiplicateur de force qui

permit au leadership communiste d’exploiter la doctrine privilégiée par le Ministre de la

Défense nord-vietnamien, No Nguyen Giap, doctrine connue sous le terme dau tranh

(lutte).

Ce concept doctrinal était en fait une version extrapolée des théories de Mao

exposées précédemment. Giap décrit le dau tranh comme un effort visant à atteindre une

position stratégique avantageuse par le biais d’attaques militaires et politiques. Giap

voyait ces deux formes de guerre comme une symbiose en constante évolution avec

l’exploitation progressive de techniques de guerre conventionnelle, tout en conservant les

caractéristiques propres à une guerre insurrectionnelle.71 En terme vietnamien, la doctrine

de Giap consistait du « dau tranh vu trang (lutte armée) et du dau tranh chinh tri (lutte

politique). Il s’agit là d’un amalgame complet des diverses formes de guerre 72 ce qui

inclut les volets conventionnels, non conventionnels, politique et tous les facteurs qu’ils

englobent (PMESI). Ce graphique d’une étude sur la guerre hybride du Joint Special

Operation University résume bien le dau tranh :

69 Dans le langage militaire, le terme « organique » se réfère à une unité de combat (compagnie de char,

d’artillerie, de défense antiaérienne, etc.) qui appartient à une formation en particulier. Par exemple, si la 304e

Division du NVA possède dans son ordre de bataille la 35e Brigade d’artillerie, cette dernière est organique à

la 304e Division. Si la 35e Brigade d’artillerie est déployée et prêtée à la 325e Division du NVA, elle sera

considérée comme une unité non organique (à la 325e Division). 70 McCoy, op. cit., p. 349-350. 71 Timothy McCulloh et Richard Johnson, op. cit., p. 76. 72 Ibid., p. 76-77.

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73

Figure 4 : Le mode de fonctionnement du dau tranh de Giap73

La partie supérieure du graphique fait la démonstration du mécanisme combiné

des volets conventionnels et non conventionnels pour la portion « armée » du dau tranh.

Les éléments insurrectionnels et conventionnels unissent et convergent leurs efforts pour

déstabiliser militairement l’adversaire. Parallèlement, la partie inférieure du graphique

fait la démonstration du mécanisme relatif au volet de nature « politique » du dau tranh.

À cet effet, le dich van et les « actions contre l’ennemi » avaient pour but de convaincre

« l’audience américaine » (militaire et civile) qu’une victoire militaire était

« impossible ». Les tactiques militaires hybrides exploitées par Giap ont engendré le

statisme opérationnel qui devait contribuer à l’atteinte de cet objectif politique et socio-

psychologique. Le dan van et les « actions au sein de la population » consistaient en

l’exploitation de la population civile via les éléments politico-militaires des forces

hybrides.74 Par la complexité engendrée, cette Ligne d’Opération permettait également

aux acteurs hybrides d’étirer le conflit, ce qui accentua également la pression politique

73 Ibid., p. 76. 74 Ibid., p. 77-78.

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exercée sur leur adversaire américain. Pour sa part, le binh van touchait les aspects relatifs

à la logistique militaire. Un nouvel élément qui contribua à renforcer la pression militaire

et de facto politique sur l’armée et l’administration du Président Johnson. Le flot constant

d’approvisionnement et d’effectifs militaires en provenance de la Piste Ho Chi Minh ainsi

que l’appui logistique de la population civile étaient l’essence même du binh van. Enfin,

le centre du graphique montre comment les offensives des deux volets politico-militaires

de Giap coincent la force adverse au centre d’un étau destiné à le décourager de

poursuivre sa campagne militaire. Globalement, nous sommes à même de constater à quel

point la doctrine du dau tranh englobe les trois sous-systèmes du mécanisme hybride

communiste décrit dans l’introduction, c’est-à-dire les éléments insurrectionnels,

conventionnels et logistiques. Ces trois sous-systèmes se focalisaient sur leurs Lignes

d’Opérations tout en maximisant les bases d’une synergie constante et dynamique. Cette

synergie des sous-systèmes permettait de frapper les éléments de PMESI américains et

sud-vietnamiens. En compliquant et en étirant le conflit de la sorte, les communistes

accentuaient les pertes américaines, et ce, tant sur le plan matériel qu’humain. Cette

situation suscita l’impatience de centaines de milliers de citoyens américains qui ont fait

pression sur le Président Johnson pour que les Forces américaines se retirent du Vietnam.

La pression économique suscitée par le conflit constituait également un point

d’influence qui a saboté l’appui des Américains à la guerre : la perte de l’équipement

militaire au combat, l’acheminement de matériel pour les opérations civiques et militaires

et les fonds nécessaires pour entretenir et approvisionner les éléments militaires

américains au Vietnam ont coûté des centaines de milliards de dollars au contribuable.

Ces dépenses astronomiques empêchaient également Johnson de pleinement mettre en

œuvre le projet domestique de réformes sociales qu’il prisait tant (The Great Society). En

bref, cette succession d’offensives stratégiques qui martelaient sans relâche les éléments

de nature sociale et politico-économique américains ont été la conséquence de la doctrine

hybride du dau tranh de Giap. Contrairement à ce qu’ont véhiculé maints historiens, la

contre-insurrection n’était pas la solution principale au problème. Il n’existe qu’une

méthode pour contrer une doctrine aussi complexe que celle du dau tranh; les forces de

sécurité doivent chercher à provoquer la dislocation des trois sous-systèmes synergiques

de la structure hybride. Ce démantèlement entraînera l’isolement successif des éléments

conventionnels, non conventionnels et logistiques des acteurs hybrides. Ce faisant, leurs

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actions offensives sur leur Lignes d’Opérations se voient compromises, puis entravées,

rendant hors d’atteinte les éléments PMESI visés par le dau tranh. Si les forces de sécurité

parviennent à provoquer ce démembrement, le multiplicateur de force entraîné par la

synergie des éléments du dau tranh sera sévèrement oppressé, puis appelé à disparaître.

En d’autres termes, il s’agit de modifier l’environnement opérationnel de manière à

réduire à l’impuissance les éléments qui constituaient la force des acteurs hybrides.75

Figure 5: La synergie des trois sous-systèmes du mécanisme hybride communiste

Au Vietnam, provoquer la dislocation du sous-système logistique et des zones de

sécurité communistes au Laos et au Cambodge (voir le chapitre 5) aurait gravement

entravé la capacité du NVA et du VC à s’esquiver et à obtenir une importante quantité de

matériel, d’approvisionnement et de renforts dans la RVN. En exécutant une campagne

contre-insurrectionnelle comme celle du CORDS et des Combined Action Platoons (voir

chapitres 3 et 4), une autre phase de la dislocation pouvait s’accomplir : lors de ces

opérations, les insurgés ont perdu plusieurs de leurs bases d’opération dans la RVN, de

même que l’accès à de nombreux villages et aussi, de ce fait, l’appui d’une grande partie

de la population. Dans ces conditions, les acteurs hybrides sont exposés aux offensives

des forces contre-insurrectionnelles. L’inaccessibilité aux sanctuaires du Laos et du

Cambodge, l’absence ou le manque de réapprovisionnement de la Piste Ho Chi Minh et

75 Ibid., p. 105.

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l’incapacité à opérer dans les villages et les secteurs ruraux rendent l’exécution du dau

tranh extrêmement compliquée. Nous verrons dans les prochains chapitres que les unités

militaires américaines et sud-vietnamiennes ont été impuissantes à provoquer

adéquatement cette dislocation malgré l’excellence de leur COIN à plusieurs niveaux. À

bien des égards, l’offensive du Têt constitue l’exemple le plus probant des impacts du

dau tranh et de la guerre hybride telle qu’elle vient d’être décrite. Tous les éléments

PMESI américains ont été atteints lors de cette offensive qui a eu en grande partie pour

origine l’incapacité américaine à provoquer la fracture des systèmes synergiques du dau

tranh.

1.3.1. La guerre hybride et l’offensive du Têt

L’offensive du Têt a été lancée par les forces communistes en janvier 1968 ; une

offensive majeure où environ 84,000 soldats du NVA et du VC assaillirent simultanément

une multitude de cibles dans la RVN.76 Les forces communistes ont attaqué plus de 66

villes de district, 36 des 44 capitales provinciales et l’ensemble de ses villes principales

(voir la figure 4).77 Le plan de Giap -qui s’opposa au lancement de l’offensive qu’il jugea

trop prématurée- s’est déroulé en de multiples phases qui ont débuté en 1967 avec des

assauts le long des frontières du Cambodge et du Laos. L’objectif de ces attaques initiales

était d’attirer les formations de combat américaines et sud-vietnamiennes loin des centres

urbains. La phase subséquente a été lancée le 30 janvier 1968 ; une offensive globale à

travers la RVN qui visait les cibles militaires américaines et sud-vietnamiennes, les entités

gouvernementales et les villes principales. Une campagne de propagande majeure allait

être lancée afin d’encourager les soldats de l’ARVN à faire défection et joindre les rangs

du Viêt-Cong.78 L’objectif ultime visé était d’annihiler et de causer la désintégration

totale de l’ARVN, provoquer un soulèvement populaire général, renverser le

gouvernement sud-vietnamien et assurer la prise du pouvoir par un gouvernement

révolutionnaire communiste.79 Les communistes visaient à anéantir une « portion

76 Robbins, op. cit., p. 165. 77 William Thomas Allison, The Tet Offensive, New York, Routledge, 2008, p. 1. 78 Allison, op. cit., p. 25-25. 79Central Intelligence Agency, Research Reports CIA Intelligence Information Cable, Subject: Situation

Appraisal: Analysis of Viet Cong Tet Offensive, 12 February 1968, ProQuest Folder: 002716 -007-0389, p. 1.

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77

significative » des troupes américaines et de leur équipement afin d’entraver leur capacité

à « poursuivre leurs missions politiques et militaires ». Ce faisant, les communistes

espéraient briser de manière définitive le moral des Américains et les inciter à quitter le

Vietnam.80

Figure 6: Les attaques communistes lors de l’offensive du Têt81

80 Allison, op. cit., p. 24-25. 81 United States Military Academy West Point, « The Tet Offensive ». The Vietnam War, West Point,

https://www.westpoint.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/Vietnam09.gif, Consulté le 11

septembre 2018.

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78

Nous exposerons d’abord comment le Têt, d’une perspective militaro-tactique,

incarnait une guerre typiquement hybride avec l’amalgame de combats conventionnels et

irréguliers. Ensuite, nous verrons comment ces combats ont engendré des effets qui se

sont répercutés de manière stratégique sur les éléments PMESI américains. Du côté

militaire, les assauts communistes du Têt ont mis en scène le NVA et le VC qui ont attaqué

leurs cibles indépendamment et/ou de manière coordonnée. L’offensive s’est caractérisée

par certaines attaques qui incluaient exclusivement des unités régulières du NVA ou

irrégulières du VC. Dans d’autres cas, les deux entités militaires communistes joignirent

leurs forces pour ainsi profiter des avantages d’un bénéfice mutuel lors de la conduite de

leurs offensives. Il était parfois possible de voir des unités régulières du VC effectuer des

assauts conventionnels à l’échelle de bataillon. Une des premières attaques de l’offensive

du Têt revêtait un caractère « purement conventionnel ». Il s’agit de l’offensive majeure

lancée par le NVA sur la base des Marines de Khe Sanh, située à l’extrême nord du I

Corps, près de zone démilitarisée (voir Figure 4). Un total de deux divisions du NVA

s’est déployé autour de la base des Marines, pour un total d’environ 20,000 soldats nord-

vietnamiens, confrontés à un total de 6000 Marines. Des unités du NVA ont coupé tout

accès terrestre à la base en positionnant leurs forces le long de la Route 9.82

Advenant l’acheminement de renfort aux Marines à Khe Sanh, l’accès à cette route

était absolument nécessaire. Khe Sanh fut rapidement visé par un barrage constant de

mortier et d’artillerie. Puis, se sont succédé aux barrages des assauts conventionnels

classiques de l’infanterie nord-vietnamienne qui a même bénéficié de l’appui d’une

douzaine de chars d’assaut. Pour empêcher la prise de la base par le NVA, des chasseurs

américains ont été obligés d’effectuer plus de 24,000 sorties d’appui aérien. L’intensité

de l’assaut du NVA a été telle qu’il a fallu également demander l’assistance de

bombardiers B-52 qui ont mené 2700 missions d’appui aérien rapproché.83 Les Forces

nord-vietnamiennes devaient subir d’énormes pertes et le siège de Khe Sanh a pris fin en

avril avec la retraite du NVA. Le 1st Cavalry Division et des troupes aéroportées sud-

vietnamiennes ont sécurisé la Route 9 pour faire jonction avec les Marines à Khe Sanh.

82 Ibid., p. 33-35 83 Ibid., p. 35. Voir aussi Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff. The Joint Chiefs of Staff

and the War in Vietnam, 1960-1968 Part III. Historical Division Joint Secretariat JCS, 1970, p. 48-20-48-21.

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79

Les pertes communistes se sont chiffrées entre 10,000 et 15,000 morts.84 La bataille de

Khe Sanh a été sans contredit la confrontation conventionnelle la plus violente de

l’offensive du Têt. Cette bataille constitue un exemple probant de l’importance capitale

du facteur relatif à la guerre conventionnelle lors du conflit vietnamien. Une force de

stabilisation contre-insurrectionnelle confrontée à une offensive adverse aussi massive se

serait vue instantanément annihilée. Confrontés aux assauts répétitifs de deux divisions,

les Marines, appuyés par l’aviation, n’ont eu d’autre alternative que de procéder à des

manœuvres conventionnelles défensives qui n’avaient absolument rien à voir avec de la

contre-insurrection. À bien des égards, la bataille de Khe Sanh incarna la guerre souhaitée

par Westmoreland. L’adversaire a massé ses troupes conventionnellement pour attaquer

un objectif prédéterminé et ce faisant, a perdu sa mobilité, sa furtivité et l’élément de

surprise.85 En procédant ainsi, l’adversaire s’est montré vulnérable et exposé à la

puissance de feu des Forces américaines. Cette situation cadrait parfaitement avec les

facettes de défensive tactique des livres de doctrine de l’Armée américaine. Néanmoins,

dans la capitale sud-vietnamienne, les attaques communistes ont été à l’antithèse des

opérations purement conventionnelles des communistes lancées à Khe Sanh.

Saigon et les districts avoisinant ont été la cible d’un mélange d’opérations

conventionnelles et non conventionnelles. Ces dernières ont alterné, passant d’attaques

commandos à des assauts à l’échelle de bataillon. À Saigon 19 commandos du VC

(sapeurs) ont attaqué l’ambassade américaine dans la capitale. Il a fallu 19 heures aux

Marines et à la police militaire pour déloger les sapeurs de l’ambassade. Douze autres

sapeurs habillés en civils ont attaqué le QG de la marine sud-vietnamienne. Dix des

sapeurs ont, ultimement, été tués et les deux autres capturés. D’autres sapeurs travestis en

policiers ont également attaqué la principale station de radio de la capitale. Quelques

heures plus tard, des troupes aéroportées ont neutralisé les commandos VC barricadés

dans la station.86 À ces attaques commandos se sont ajoutés des assauts beaucoup plus

conventionnels : l’aéroport de Tan Son Nhut et le QG du MACV ont encaissé un

bombardement soutenu de mortiers et de roquettes des forces communistes. Des assauts

84 Ibid., p. 35-37. 85 Robbins, op. cit., p. 221. 86 Series of Combat Histories, The Viet Cong Tet Offensive 1968, 01 July 1969. Texas Tech University, The

Vietnam Center and Archive, Glenn Helm Collection, Folder 06, Box 09, p. 126, 129, 131, 133.

http://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=1070906001

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80

ont été lancés par le Viêt-Cong pour détruire des ponts et neutraliser les formations

d’infanterie de l’ARVN. À titre d’exemple, le 17 février, le Bataillon Quyet Thang du

VC s’attaqua au 8e Bataillon aéroporté de l’Armée sud-vietnamienne. Tout comme

l’aurait exécuté une formation de l’armée régulière, le Viêt-Cong a initié la bataille avec

un barrage de mortier succédé d’un assaut des troupes d’infanterie communistes qui ont

attaqué les positions défensives du 8e Bataillon de l’ARVN. Alors que les Sud-

Vietnamiens résistaient aux assauts répétés de leur adversaire, ils n’ont pas tardé à réaliser

que le VC avait en sa possession des batteries d’artillerie qui ont, ultimement, été

anéanties par l’aviation américaine et sud-vietnamienne. L’envoi de renforts blindés a

permis au 8e Bataillon de repousser l’assaut du VC qui devait perdre un total de 78 soldats.

Le 19 février, les 1er et 6e Bataillons du VC ont tenté d’anéantir un bataillon de Rangers

de l’ARVN dans le secteur de Phu Lam. Telle une unité régulière, le 1er bataillon initia

un assaut frontal avec le 6e bataillon en réserve. À l’image de l’attaque du Bataillon Quyet

Thang, l’assaut des VC a été précédé d’un intense tir de barrage de mortiers. Les Rangers

ont néanmoins réussi à repousser l’assaut des VC qui ont encaissé la perte de 40 soldats.87

Des attaques similaires ont été exécutées à de multiples reprises sur l’ensemble du

territoire sud-vietnamien lors du Têt. Ces assauts avaient pour modus operandi l’emploi

de troupes insurgées qui exploitaient à la fois des tactiques irrégulières avec leurs sapeurs

et régulières avec leurs bataillons VC. Des assauts hybrides de plus grande envergure qui

comprenaient VC et NVA ont aussi été initiés par les communistes lors de l’offensive. À

cet effet, la bataille pour la prise de la ville de Hue dans I Corps (voir figure 4) a constitué

un bel exemple de coopération entre forces du NVA et du VC. La bataille de Hue a été

l’un des affrontements les plus meurtriers de la guerre du Vietnam. Lors de l’offensive,

la ville a subi l’attaque de six bataillons VC et cinq régiments du NVA (ce qui représentait

une force combinée d’environ 8000 troupes régulières et irrégulières). Près de 200 cibles

ont été préalablement identifiées par les forces communistes. Cibles qui incluaient toutes

les installations gouvernementales et militaires de la ville. Des agents de renseignement

du NVA avaient également préétabli une liste de cibles humaines parmi lesquelles se

trouvaient des fonctionnaires du gouvernement, des dirigeants militaires, des

intellectuels, des étrangers et toutes personnes ayant appuyé les Américains et dénoncé

87 Ibid., p. 139-143.

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81

les communistes. Cet aspect de la bataille de Hue devait résulter en une des pires atrocités

commises pendant la guerre du Vietnam.88Avant le début de l’assaut, des agents insurgés

avaient préalablement infiltré la ville afin d’effectuer une reconnaissance pour les forces

de combat du NVA et du Viêt-Cong. L’exécution de l’opération s’est faite comme suit :

appuyé des agents clandestins déjà infiltrés dans la ville, le 5e Régiment du NVA qui

inclut les Bataillons réguliers K4A et K4B ainsi que le 21e Bataillon de sapeurs VC,

prirent d’assaut la partie sud de la ville. Deux jours avant l’attaque, des commandos du

bataillon de sapeurs avaient subversivement infiltré la ville (dans le but de faire jonction

avec les agents clandestins déjà infiltrés). L’assaut du nord de la ville était sous la

responsabilité du 6e Régiment du NVA, formé des bataillons réguliers K1, K2 et K6 ainsi

que du 12e Bataillon de sapeurs VC. À cela se sont greffées quatre compagnies d’appui

du NVA renforcées par des éléments locaux de guérilla.89 L’offensive a débuté avec un

tir de barrage de mortier et de roquette qui s’est vu succédé d’un assaut combiné des

diverses unités du VC et du NVA. Ces derniers prirent la ville dans un mouvement

conventionnel classique de tenaille (pincer move : voir la figure 7).

Les forces communistes ont rapidement pris le contrôle des bâtiments

gouvernementaux, des stations de police, de la Citadelle, puis ont attaqué la base

d’opération du MACV. Les secteurs de la ville occupés par les unités communistes ont

été témoins de l’érection de comités révolutionnaires destinés à gouverner la cité.90 Des

milliers de suspects ont été arrêtés et subséquemment torturés et assassinés. Pendant

plusieurs jours, les Viêt-Cong se sont impunément déplacés dans les rues de Hue. Alors

que les forces régulières du NVA et les sapeurs viêt-cong continuaient leur offensive dans

les secteurs non sécurisés de la ville, les éléments réactionnaires du VC initiaient des

opérations psychologiques et de recrutement (telles que rencontrées dans les villages et

les secteurs ruraux) auprès de la population. Les communistes ont déclaré avoir réussi à

recruter environ 600 jeunes citoyens de la ville de Hue. La cité était virtuellement

totalement sous contrôle communiste le soir du 30 janvier.91

88 Allison, op. cit., p. 51. 89 Series of Combat Histories, op. cit., p. 285. 90 Allison, op. cit., p. 52-53. 91 Series of Combat Histories, op. cit., p. 248, 251, 273, 291.

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82

Figure 7: La prise de Hue par les forces hybrides du VC et NVA92

Bien que leur séjour ait été bref, les forces non conventionnelles ont rapidement

cherché à affermir leur contrôle sur la population. Celle-ci a été rassemblée et « classée

par catégorie ». Les citoyens ont été forcés de créer des organisations civiques avec un

représentant qui prenait ses ordres auprès d’un responsable communiste. Cette initiative

visait à assurer un contrôle serré de la population. Les forces communistes se sont aussi

introduites dans chaque domicile, y confisquant les radios pour ainsi couper la population

du monde extérieur. L’exécution de masse de présumés opposants à la cause communiste

s’est également poursuivie.93 Trois jours après le début de l’offensive, trois compagnies

92 La Guerre du Vietnam, « Opération Hue City – 2 février au 2 mars 1968 », Opérations. La Guerre du

Vietnam. http://www.laguerreduvietnam.com/pages/operations/operation-hue-city-02-fevrier-au-2-mars-

1968.html, Consulté le 10 avril 2018. 93 Series of Combat Histories, op. cit., p. 273-276.

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d’infanterie de Marines, renforcées par un bataillon de chars de la 1st Division, se sont

déployées près de la base du MACV et ont initié une contre-attaque pour reprendre la

ville de Hue.94 S’ensuivit une violente bataille urbaine entre les Marines et les forces

combinées du NVA et du VC. Jamais les Forces militaires américaines ne devaient être

de nouveau confrontées à un combat urbain aussi violent avant la bataille de Mogadiscio

en 1993. Tout comme dans le cas de Khe Sanh, la bataille pour la reprise de Hue n’avait

absolument rien de contre-insurrectionnel. Bien que des opérations de nature insurgées

aient été combinées aux opérations offensives du NVA pour saisir et sécuriser la ville, la

reconquête de Hue par les forces américaines et l’ARVN a nécessité l’emploi d’une

doctrine de guerre urbaine, incontestablement de nature conventionnelle. Après 26 jours

de combat, Hue, véritable ruine à la suite de la bataille, a finalement été libérée par les

Marines et l’ARVN. 40% de la cité était détruite et plus de 100,000 des 140,000 habitants

étaient désormais sans-abris. Au total, 5,800 habitants ont été tués. De ces 5,800, 3000

sont morts durant les combats, les 2800 restants ont été assassinés par les communistes.95

Lors de l’offensive générale du Têt, il a fallu très peu de temps aux communistes

pour perdre l’effet de surprise engendré par le déclenchement simultané des multiples

assauts. Les Forces américaines et l’ARVN se sont vite ressaisies et n’ont pas tardé à

enrayer l’offensive. Bien qu’ils se soient rapidement retrouvés sur la défensive, les

communistes ont néanmoins fait perdurer les hostilités pendant plusieurs semaines. Au

printemps de 1968, le VC a déclenché deux nouvelles contre-offensives que l’on

surnomma « mini-Têt ».96 Ces contre-offensives demeurées caduques, comme nous le

verrons dans le chapitre 4, ont galvanisé le programme de pacification sud-vietnamien.

Militairement analysé, l’offensive du Têt devait prendre le visage d’une véritable

catastrophe pour les forces du VC et du NVA. Les objectifs susmentionnés n’ont jamais

été atteints par les communistes. Ces derniers ont surestimé leurs capacités militaires, de

même que la volonté de la population sud-vietnamienne de se soulever contre le

gouvernement à Saigon. Plus de la moitié des 84,000 effectifs communistes déployés pour

l’offensive du Têt aurait été neutralisée.97 Néanmoins, un des aspects clés relatif au

94 Ibid., p. 251. 95 Allison, op. cit., p. 55. 96 Ibid., p. 297. 97 Central Intelligence Agency Research Reports, op. cit. p. 1.

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84

processus de guerre hybride ne devait pas tarder à faire surface : le spectre de la guerre

de l’information et ses effets psychologiques sur l’adversaire. Cet élément, rappelons-le,

constitue une des Lignes d’Opérations des acteurs hybrides. D’aucuns diront que les

communistes ont fait montre d’opportunisme dans leur défaite et ont simplement tiré

avantage de la mésinterprétation des médias et de ses effets pervers pour maximiser leur

guerre de l’information. Il demeure en effet possible que cela soit le cas. Giap n’a

probablement pas immédiatement anticipé les effets socio-politiques et psychologiques

que l’offensive entraînerait car, à l’origine, il s’est opposé à l’idée d’initier l’opération.

Néanmoins, sa doctrine du dau tranh considérait le facteur socio-psychologique comme

une arme qui incarna le dich van (voir la figure 3). Lorsque la poussière retomba à la suite

de l’offensive, Giap a assurément pu percevoir le potentiel de dommage qu’aurait le dich

van dans sa lutte politique contre les Américains. À cet effet, bien que les assauts

militaires hybrides des communistes lors du Têt se soient soldés par une défaite, ils ont

frappé de manière indirecte les Lignes d’Opérations autres que militaires, c’est-à-dire :

les facteurs socio-politiques.

Les médias qui couvraient l’offensive ont dépeint une armée américaine et sud-

vietnamienne totalement dépassée par les évènements. Ce qui s’est pourtant avéré une

incontestable victoire militaire américaine et sud-vietnamienne s’est rapidement

transformé en un gigantesque fiasco politico-militaire et social. Sans s’en rendre compte,

les médias ont constitué une des Lignes d’Opérations du mécanisme politico-militaire

hybride des communistes. Stephen Young, l’un des administrateurs du CORDS au

Vietnam, a bien analysé la situation. Il a souligné que la plupart des journalistes qui

couvraient la guerre du Vietnam étaient « trop jeunes pour avoir combattu pendant la

Deuxième Guerre mondiale ou la Corée » en plus de n’avoir « aucune expérience

personnelle » en matière de combat. Il souleva qu’au Vietnam, les journalistes vivaient

une petite vie facile sans encombre dans la capitale Saigon et que la plupart d’entre eux

se rendaient sur les champs de bataille seulement après la conclusion des hostilités, « en

visite guidée ».98 Ces qualificatifs ne se prêtaient cependant pas à tous les membres de la

presse. Un des meilleurs exemples est le journaliste Joseph Galloway qui s’est

volontairement rendu en première ligne auprès des soldats américains pour couvrir la

98 Stephen Young, The Theory and Practice of Associative Power, Lanham, Hamilton Books, 2017, p. 108.

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85

bataille de la Vallée de Ia Drang en 1965. Citons également Bernard Fall, un journaliste

et politologue français qui a couvert de près la guerre d’Indochine et qui était très ferré

en matière de contre-insurrection. L’étude qu’il publia en 1961, Street Without Joy, a

sévèrement critiqué la performance contre-insurrectionnelle française lors de la guerre

d’Indochine.99 Fall est mort en 1967 lorsqu’il mit pied sur une mine alors qu’il patrouillait

avec un groupe de Marines. Toutefois, Young marqua un point dans sa description de ce

qu’il considérait comme le « journaliste typique » au Vietnam. Il a affirmé que

l’exposition aux vraies horreurs de la guerre lors du Têt a « choqué » beaucoup de ces

journalistes qui, ayant perdu toute foi dans les capacités militaires américaines, ont reflété

leurs états d’âme dans leurs reportages. Beaucoup de mésinterprétations se sont

ensuivies ; lors de la bataille de Hue, le massacre de milliers de civils par les communistes

n’a pas fait la manchette. La bataille a plutôt été dépeinte comme un assaut sans

discrimination des Marines qui détruisaient la ville et ses bâtiments en exploitant sans

retenue leurs armes de haut calibre. Bien que le massacre de Hue passa pratiquement

inaperçu dans les actualités, les médias ont répétitivement montré les images du meurtre

d’un prisonnier VC par le chef de la police sud-vietnamienne, le général Nguyen Ngoc

Loan.

Ce geste, qui fut un crime de guerre, était impardonnable et les médias ont été

pleinement justifiés de diffuser ces images. Néanmoins, la présentation de cette vidéo,

sans pour autant exposer les crimes perpétrés par les éléments communistes, a constitué

le point culminant de la victoire politique de Giap.100 Un journaliste des plus respectés

aux États-Unis, Walter Cronkite de CBS, s’est déplacé au Vietnam après l’offensive du

Têt pour se rendre compte lui-même de la situation. Lors de sa visite, Cronkite a déclaré

au général Frederick Weyand, un des députés de Westmoreland, qu’il (Cronkite) avait

décidé que la « guerre devrait cesser pour les États-Unis ». Cronkite renchérit qu’il y avait

« trop de morts et de destruction et pas suffisamment d’espoir pour un dénouement

positif ». Weyand tenta d’expliquer à Cronkite les succès des Forces militaires

américaines contre les éléments communistes lors du Têt. Bien que Cronkite ait reconnu

99 Bernard Fall, Street Without Joy, Mechanicsburg, Stackpole Books, 1961, p. 6. Notons que Bernard Fall

publia également The Two Vietnams: A Political and Military Analysis (1963), ainsi qu’une étude sur la

bataille de Dien Bien Phu intitulée Hell in a Very Small Place (1966). 100 Young, op. cit., p. 108-109.

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86

que le général Weyand lui avait expliqué les gains militaires américains et sud-

vietnamiens, le point de vue du général du MACV n’a pas été rapporté par CBS News.

Cronkite a également été témoin des fosses communes découvertes à Hue et des crimes

perpétrés par les communistes. Confronté à cette réalité, le journaliste conclut qu’il

« ferait tout en son pouvoir pour mettre un terme à la guerre ». À son retour aux États-

Unis, il devait déclarer que la guerre était dans une impasse (stalemate) et que la

négociation constituait la seule solution. Pourtant, Young souligne avec justesse que

l’offensive a eu comme résultat de littéralement « éliminer » l’insurrection viêt-cong de

la guerre du Vietnam.101 L’intervention de Cronkite, qui semblait déjà avoir une idée

définitive de ce qu’il allait révéler comme constat avant même de se rendre au Vietnam,

ne constituait pas du journalisme qui, normalement, se doit d’être un exemple

d’impartialité. Bien que l’objectivité médiatique au Vietnam mérite d’être remise en

question sur bien des plans (particulièrement lors de l’offensive du Têt), il demeure

important de souligner que les journalistes ne portent pas l’entière responsabilité des

déboires politiques américains qui, ultimement, ont débouché sur le retrait progressif des

forces militaires du MACV de la République du Vietnam.

À bien des égards, le Président Lyndon Johnson s’est montré politiquement

amorphe et incertain à la suite de l’offensive du Têt, ce qui ne fit rien pour favoriser

l’appui populaire à la guerre. Cette réalité a été corroborée par le journaliste Peter

Braestrup. Ce dernier a couvert les guerres d’Algérie et du Vietnam pour le New York

Times et est devenu le directeur du Washington Post à Saigon. Braestrup, qui consacra

six ans de sa vie à étudier la performance journalistique lors de l’offensive du Têt, publia

un volume de 632 pages intitulé « The Big Story ».102 Braestrup a été un des plus sévères

critiques de l’absence d’objectivité des médias lors de la campagne offensive

communiste. Néanmoins, il cible également « l’ambivalence » du Président Johnson qui

s’est montré incapable de prendre une « position ferme » face à la crise. L’incohérence et

101 Ibid., p. 109-110. 102 L’œuvre de Peter Braestrup (The Big Story, New York, Presidio Press, 1994 (1977), 632 p.) lui a fait gagner

le Society of Professional Journalist’s Distinguished Service Award en 1977. Néanmoins, tel qu’indiqué par

l’éditorialiste James Robbins, la réaction globale des médias s’est résumée à un mutisme total. Selon Robbins,

les preuves de Braestrup concernant le manque d’objectivté des journalistes au Vietnam dans The Big Story

étaient trop accablantes pour qu’elles soient réfutées par la classe journalistique qui préféra simplement ignorer

l’ouvrage de Braestrup.

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87

l’ambiguïté des politiques de Johnson incita, selon Braestrup, les journalistes à se faire

leur propre opinion de la situation opérationnelle au Vietnam.103 En bref, les éléments

politiques américains sont également en grande partie responsables de la confusion

politico-sociale qui suivit l’offensive du Têt. À Hanoï, on a clandestinement qualifié

l’offensive d’échec. Giap considérait le Têt comme une défaite. Il en fut de même pour

les membres de l’état-major de l’Armée nord-vietnamienne et les généraux du NVA; pour

eux, les pertes encaissées étaient catastrophiques. Et pour la première fois, des officiers

hauts gradés du NVA ont capitulé, aucune unité n’est sortie indemne des combats et

certaines compagnies n’existaient plus que sur papier.104 À la défense de Cronkite, il

convient de préciser qu’avant le Têt, la guerre se trouvait bel et bien dans une impasse.

Néanmoins, l’annihilation du VC après l’offensive a complètement renversé la vapeur sur

le plan militaro-tactique. Nous verrons dans le chapitre 4 comment des documents

communistes saisis confirment sans ambiguïtés cette réalité. Nonobstant cela, les médias

se sont montrés incapables de saisir la situation, et pour beaucoup aux États-Unis, le Têt

a été la goutte qui a fait déborder le vase.

Il faut bien avouer que sa tendance à dire que « tout allait bien » et que « la guerre

était en train d’être gagnée par le MACV et l’ARVN »105 n’aida point l’administration du

Président Johnson. Les images du Têt ont fait perdre toute crédibilité aux déclarations du

gouvernement américain et les communistes ont pris avantage de cette situation pour

galvaniser leur effort de guerre politique. Bien que les dirigeants politico-militaires

américains aient été au courant que les communistes préparaient une offensive majeure,

ils le turent au public, chose tout à fait normale car il serait insensé de divulguer des

renseignements militaires de nature secrète à la population civile. Dans le langage

militaire, cette particularité est décrite par le terme OPSEC (Operations Security). Si des

rapports de renseignements révèlent qu’une force militaire adverse se prépare à exécuter

une attaque, il est normal de laisser cette force exécuter son plan et de lui en faire « subir

les conséquences ».106 Bien que les Américains n’aient pu déterminer l’ampleur de

l’offensive, ils se sont montrés préparés sur certains fronts. Des forces militaires

103 Robbins, op. cit., p. 248. 104 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 292. 105 Robbins, op. cit., p. 121. 106 Ibid., p. 121-122.

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américaines avaient été déployées dans les secteurs limitrophes à la capitale car on

soupçonnait qu’une offensive se préparait pour le Têt. Un des commandants américains

sur place, le lieutenant-colonel Edward C. Peter, a plus tard souligné qu’ils n’ont pas

annoncé « en fanfare » le redéploiement de leurs troupes dans une zone clé et que les

journalistes ne saisissaient simplement pas ce qui se passait.107 Un rapport de

renseignement (classé Top Secret à l’époque) produit quelques jours avant l’offensive a

confirmé : « au cours des derniers jours, il y eut des preuves accablantes » de mouvements

militaires communistes massifs qui laissaient présager une offensive majeure des Nord-

Vietnamiens dans le secteur nord de la RVN. Des troupes semblaient se masser pour se

diriger vers Khe Sanh et une large concentration de troupes avait été repérée au Laos.

D’autres indicateurs ont mis la puce à l’oreille des Américains; le NVA et le VC n’avaient

pas respecté les trêves de Noël et du Jour de l’An et des troupes ainsi que des éléments

logistiques s’étaient concentrés dans les parties sud de la République démocratique du

Vietnam du Nord. Cela suffit pour que le GVN et le MACV décident d’annuler la trêve

du Têt dans certains secteurs d’I Corps.108

D’autres rapports indiquaient le déclenchement probable d’attaques contre la

capitale Saigon et les villes de Pleiku, Kontum, Hue, Quang Tri, Da Nang et d’autres

secteurs pour janvier ou février 1968.109 L’OPSEC proscrit au leadership militaire

américain de dévoiler des renseignements Top Secret comme ceux-ci à la presse ou au

public américain. Aux États-Unis, les gens n’étaient tout simplement pas préparés

psychologiquement aux attaques perpétrées par les communistes, et ce, malgré une

défaite -peu publicisée- du NVA et du VC.110 L’OPSEC est critique à la sécurité et à la

protection des soldats déployés sur le théâtre d’opération. Néanmoins, cela constituait un

couteau à double tranchant avec l’effervescence médiatique qui suivit l’offensive du Têt

et son impact sur la population. Pour beaucoup de citoyens américains, l’effort de guerre

était financièrement « trop coûteux ». Également, la population considérait que le conflit

s’éternisait depuis trop longtemps, demandait « trop de patience » et devenait trop

107 Ibid., p. 122. 108Papers of William C. Westmoreland, #28 History File, 27 Dec 67-31 Jan 68[II], College Park, National

Archives, NND 596596, RG # 319, Entry UD 1143, Box 33. 109 Historical Division Joint Secretariat op. cit., p. 48-8. 110 Ibid., p. 122.

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« frustrant » en plus d’être trop « complexe ». À cela s’ajouta la violence de la guerre non

censurée par les médias; les images du conflit montrées à la télévision affichaient un

caractère trop « morbide » au goût de la population.111 Dans les mois qui ont suivi

l’offensive du Têt, des sondages Gallup ont montré que pour la première fois, plus de

50% de la population américaine jugeait l’implication militaire américaine comme une

erreur.112 En bref, le peuple américain a décidé que le « Vietnam n’en valait pas la

peine ».113 Bien que Giap se soit initialement opposé à l’offensive et qu’il ait perçu en

cette dernière une défaite militaire incontestable, l’aspect relatif au dich van de sa doctrine

dau tranh a, ultimement, été un réel succès. Le point culminant de cette réussite a été

atteint lors d’une annonce officielle du Président Johnson qui a eu l’effet d’une bombe.

Lors d’une déclaration présidentielle diffusée en direct à la télévision, Johnson annonça

qu’il ne présenterait pas sa candidature pour un second mandat comme Président des

États-Unis. Washington et Hanoï se sont également entendus pour entamer des

négociations afin de tenter de mettre un terme au conflit.114

L’offensive du Têt et ses effets ont fracturé la résilience psychologique du

Président américain et de la population américaine qui voulait rapatrier ses soldats aux

États-Unis. Là fut l’effet de la guerre de l’information sur les instances politico-sociales

aux États-Unis. S’ensuivit le projet de « Vietnamisation de la guerre »115 qui devait voir

l’ARVN prendre progressivement en charge la conduite des opérations militaires. Quatre

ans après l’offensive du Têt, l’ensemble des troupes américaines allait déjà avoir quitté le

Vietnam. Il ne fait nul doute qu’à la suite de l’offensive de 1968, les communistes se sont

montrés très habiles et opportunistes lorsqu’ils ont constaté l’effet médiatique provoqué

par leur défaite sur la scène internationale. Il n’en demeure pas moins que l’impact

politico-stratégique des suites de l’offensive alla de pair avec leur conceptualisation du

111 Romie L. Browlee et William J. Mullen, Changing an Army. An Oral History of General William E.

Depuy, USA Retired, Carlisle, War College United States Military History Institute, p. 125. 112 Mark, Gillespie, « Americans Look Back at Vietnam War », Gallup, Washington.

https://news.gallup.com/poll/2299/americans-look-back-vietnam-war.aspx. Consulté le 6 février 2019. 113 Romie L. Browlee et William J. Mullen, op. cit., p. 125. 114 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 301. 115 La Vietnamisation de la guerre visait à assurer la préparation de l’ARVN qui s’apprêtait à prendre en charge

toutes les opérations militaires dirigées et coordonnées par le MACV. Ce plan a été initié par le Président

Richard Nixon après qu’il ait annoncé le début du retrait progressif des troupes de combat américaines du

Vietnam en 1969.

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principe de guerre hybride développé pour vaincre une puissance militaire de loin

supérieure à la leur.

1.4. Conclusion

Le présent chapitre a fait la démonstration de la complexité des notions

d’insurrection, de contre-insurrection et de guerre hybride. Bien qu’ils puissent être

complexes lorsqu’analysés en profondeur, les principes doctrinaux conventionnels se

démarquent par leur simplicité et leur symétrie aux modus operandi de l’armée régulière

adverse lorsqu’on les compare aux principes doctrinaux hybrides. Les préceptes relatifs

à l’insurrection nous ont montré à quel point la population civile demeure un élément

essentiel à la bonne marche d’une campagne insurrectionnelle. Les principes de Mao se

résumaient à une conduite de la guerre répartie sur trois phases caractérisées par une

transition progressive des opérations de guérilla vers une campagne militaire de nature

conventionnelle. L’analyse du concept et de la pratique des préceptes contre-

insurrectionnels a démontré que la clé du succès des maîtres à penser de la COIN était

d’assurer la séparation de la population civile des insurgés. Galula et Thompson ont

démontré comment ce concept a privé les insurgés du FLN et du MNLA des ressources

essentielles fournies par la population civile. Ces doctrines de Galula et de Thompson ont

été une parade militaro-tactique aux principes de guérilla de type maoïste. L’application

de ce concept d’opération contre-insurrectionnel a été transposée sur le théâtre

d’opération sud-vietnamien avec le déploiement du BRIAM dans la RVN.

Contrairement à ce qui a été longtemps véhiculé, la mise en pratique des doctrines

de Thompson et de McGarr par Ngo Dinh Diem et son frère Nhu a dramatiquement

entravé la capacité du Viêt-Cong à opérer librement dans les secteurs ruraux. Le

programme d’hameaux stratégiques a coupé l’accès des insurgés à la population civile et

à leurs ressources, tout comme en Malaisie et en Algérie. La priorité numéro un du

commandement VC a été de chercher à anéantir le programme d’hameaux stratégiques

de Diem. La chute du programme alla de pair avec la chute du Président sud-vietnamien

et de son administration. Les succès opérationnels rencontrés par Diem et le BRIAM

représentent un exemple du potentiel de réussite d’une campagne de COIN au Vietnam.

Néanmoins, la situation opérationnelle s’est transfigurée en guerre de nature hybride avec

l’intervention de troupes régulières du NVA aux côtés du Viêt-Cong dans la République

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du Vietnam. En 1965, l’implication militaire des Américains confronta le MACV à un

adversaire qui maximisait l’exploitation d’une doctrine hybride extrapolée des principes

doctrinaux maoïstes. Le dau tranh conceptualisé par Giap maximisait la synchronisation

et la synergie des entités conventionnelles, non conventionnelles et politiques. Cette

doctrine hybride avait pour objectif de frapper les éléments militaires américains de

manière que le conflit s’éternise indéfiniment. Ceci a accentué de façon progressive la

pression exercée sur les Lignes d’Opérations des éléments PMESI américains.

L’offensive du Têt a constitué le point culminant de cette pression continue; on a pu y

voir les forces régulières et irrégulières communistes combiner leurs efforts militairement

sur le champ de bataille. Bien que l’offensive ait été un désastre militaire pour Hanoï, le

spectre de la guerre de l’information et de la guerre psychologique propre au dich van a

annihilé la volonté des instances politico-sociales américaines à continuer la guerre.

L’incapacité militaire des Américains à prévenir cet état des choses a été la résultante de

leur inhabilité à provoquer la dislocation et l’isolement des éléments du système

synergique dau tranh hybride de Giap. Il s’agit maintenant de cibler comment le concept

d’opération du général Westmoreland encouragea cet état de la situation opérationnelle

au Vietnam.

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Chapitre II: Search and Destroy : Le rouleau

compresseur conventionnel américain et ses impacts

opérationnels

“This was a type of war that we'd had no

experience with before and we were on the learning

curve. And some of our policies were kind of trial and

error in character…we members of the United States

military moved into an arena that was foreign to us.”1

-Général William Westmoreland

Commandant du MACV

“I’d give anything to have two hundred VC

under my command…They’re the finest, most dedicated

soldiers I’ve ever seen”2

-Colonel Charles Beckwith

Fondateur du Delta Force

(1st SFOD-D)3

Lors du départ des Forces armées françaises d’Indochine en 1954, les Américains

se sont immédiatement affairés à prendre le relais de leur allié français. L’Indochine a été

subdivisée avec le Laos et le Cambodge qui devinrent indépendants et le Vietnam scindé

en deux au 17e parallèle. Les États-Unis ont continuellement investi des fonds et déployé

des conseillers militaires afin d’empêcher la chute de la République du Vietnam aux

mains des communistes et de la République Démocratique du Vietnam du Nord. Un peu

plus de 10 ans après le départ des Français, les Américains ont jugé la situation

opérationnelle suffisamment instable pour initier le déploiement de forces de combat dans

la RVN. À la fin de 1965, le Pentagone avait déployé plus de 180,000 soldats au Vietnam.4

La décision du Président Lyndon Johnson de déployer des forces de combat au Vietnam

a été politiquement facilitée grâce aux pouvoirs qui lui ont été conférés après l’adoption

par le Congrès de la Résolution du Golfe de Tonkin en 1964. Cette dernière, qui donnait

1 Ewin H. Lowe, Transcending the cultural gaps in 21st century strategic analysis and planning: the real

revolution in military affairs, Canberra, Australian National University, 2004, p. 49. 2 Ward et Burns, op. cit., p. 132, 134. 3 1st SFOD-D: 1st Special Forces Operational Detachment-Delta (fondé en 1977 par le Colonel Beckwith). 4 Lewy, op. cit., p. 42.

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carte blanche au Président pour la gestion des opérations militaires au Vietnam, avait été

adoptée à la suite de deux attaques navales nord-vietnamiennes contre deux navires de

guerre américains (l’USS Maddox et l’USS Turner Joy) dans le Golfe de Tonkin.5 Bien

que la première attaque se soit bel et bien produite, de sérieuses interrogations demeurent

quant à la véracité de la deuxième. Quoi qu’il en soit, cet incident facilita l’adoption de

ladite Résolution du Golfe de Tonkin. En 1965, quatre facteurs ont incité Washington à

autoriser l’affectation d’unités de combat dans la RVN. Le premier était militaro-

stratégique : l’intense campagne aérienne initiée par Washington contre la RDVN,

l’opération ROLLING THUNDER, qui visait à dissuader Hanoi d’appuyer l’effort de

guerre du Viêt-Cong au Sud, n’a pas eu les résultats escomptés. Le deuxième facteur était

politico-domestique: en février 1965, le gouvernement sud-vietnamien se trouvait de

nouveau visé par un coup d’État de généraux de l’ARVN, ce qui devait déstabiliser encore

plus la situation politique de la RVN. Le troisième facteur était de nature militaro-

opérationnel : les forces militaires communistes s’apprêtaient à initier une offensive

majeure qui risquait de couper géographiquement la RVN en deux. Enfin, le quatrième et

dernier facteur était également de nature militaire : l’ARVN ne serait clairement pas en

mesure de repousser les offensives militaires communistes.6

En préalable au rayonnement de forces de combat, le commandant du MACV, le

général Westmoreland, inquiet de la vulnérabilité des installations aériennes américaines,

demanda le déploiement de Marines pour assurer la protection des installations de

Danang, la principale base aérienne exploitée pour initier les bombardements de

ROLLING THUNDER dans la RDVN. En suivi à cette demande de Westmoreland, 3500

Marines ont été expédiés au Vietnam le 8 mars 1965. Cet éventail de Marines n’avait pas

pour mission d’engager le combat avec les forces communistes mais uniquement

« d’occuper et de défendre » des terrains clés afin d’assurer la protection de la base

aérienne de Danang.7 Néanmoins, la mission des multiples bataillons fraîchement

déployés dans la RVN au printemps de 1965 différait quelque peu. Aux yeux du

leadership politico-militaire américain, le conflit présageait d’être de longue durée et ces

5 A. J. Langguth, Our Vietnam, New York, Simon & Schuster, 2002, p. 299-307. 6 Pentagon Papers, Part IV. C. 5[Part IV. C. 5.] Evolution of the War, Direct Action: The Johnson

Commitments, 1964-1968. Phase I in the Build-up of U.S. Forces: March - July 1965, College Park,

National Archives Identifier: 5890504, Container ID : 4, p. 4. 7 Lewy, op. cit., p. 42.

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bataillons ne devaient être que le prélude d’un déploiement beaucoup plus proéminent

des Forces américaines. Au départ, on débattait couramment quant à la stratégie à

exploiter pour contrer les opérations communistes. L’un des concepts proposés était la

stratégie « d’enclave », un modèle grandement encouragé par l’Ambassadeur américain

Maxwell Taylor. Ce dernier était un ancien général de l’US Army qui, peu de temps avant

sa retraite, a été appointé comme conseiller militaire personnel au Président John F.

Kennedy avec un rang de général cinq étoiles. Taylor agit comme un intermédiaire entre

l’État-Major des Forces militaires américaines et le Président qui trouva ses généraux trop

enclins à privilégier l’utilisation de l’arme nucléaire.8 La stratégie de l’Ambassadeur

Taylor au Vietnam consistait à déployer des forces dans les secteurs peuplés près des

côtes. L’objectif visé : « frustrer le Viêt-Cong » en lui refusant l’accès à des secteurs clés,

tout en appuyant les opérations militaires de l’ARVN.

En théorie, les éléments militaires sud-vietnamiennes devaient conserver la

responsabilité des offensives lancées contre les bataillons communistes. Afin de mettre

ce plan en pratique, un total de 17 bataillons américains s’est fait déployer au sein de cinq

enclaves mais cette stratégie ne perdura point : selon le général Westmoreland, un tel

concept d’opération entraînerait une défaite pour les unités américaines et sud-

vietnamiennes. L’ARVN avait d’ores et déjà fait montre de son inaptitude à vaincre les

forces de combat communistes.9 Une autre facette de la tactique d’enclave déplut

beaucoup à Westmoreland : elle placerait les soldats américains directement en contact

avec la population civile, ce qui ne manquerait pas d’engendrer de « graves difficultés ».10

Clairement, le leadership militaire du MACV ne semblait pas au départ saisir la nécessité

de déployer ses soldats près de la population afin de gérer les facettes contre-

insurrectionnelles de la guerre. Néanmoins, le focus du MACV se cristallisait (avec

raison) sur la conduite des opérations conventionnelles de la guerre. Cette facette s’avérait

essentielle à l’été de 1965 pour préserver l’intégrité de la RVN qui s’apprêtait à

succomber aux offensives communistes.

8 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 135. 9 Pentagon Papers, Part IV. C. 5[Part IV. C. 5.], op. cit., p. 5-6. 10 Ibid.

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2.1. L’entrée en scène des Forces américaines : le plan d’action du MACV

Au printemps de 1965, des rapports de renseignement ont confirmé la présence de

troupes VC, appuyées par des éléments réguliers du NVA dans les secteurs ruraux sud-

vietnamiens. Les troupes communistes commençaient à s’infiltrer au sein de plusieurs

secteurs clés, mouvement laissant présager une offensive conventionnelle qui mettrait

l’ARVN durement à l’épreuve au courant de l’été de 1965. Déjà en mai, des unités

régimentaires du VC ont attaqué la capitale de la province de Phuoc Long (III Corps) et

deux bataillons de l’ARVN ont également été embusqués avec succès par le VC près de

Quang Ngai dans I Corps. Au terme de cet assaut, les deux bataillons sud-vietnamiens

ont été décimés. À la mi-juin, lors de la bataille de Dong Xoai (toujours dans la province

de Phuoc Long), des bataillons d’élite de l’ARVN ont déserté leur position devant

l’avancée des unités communistes. Les pertes encaissées par l’ARVN dans la deuxième

moitié de juin étaient « sans précédents ».11 Dans I Corps, deux régiments VC ont annihilé

maints bataillons de l’ARVN, incluant un bataillon de Rangers.12

Sa proximité de la zone démilitarisée et de la RDVN rendait I Corps fort vulnérable

aux infiltrations du NVA. De plus, les forces de sécurité peinaient à garder le contrôle des

secteurs peuplés. À ce point, l’USMC allait se voir attribuer le contrôle des opérations

dans I Corps. Étant la plus grande zone géographique de la RVN, II Corps, n’avait pas

suffisamment de forces militaires pour bloquer l’essor des assauts communistes. Plusieurs

villes se trouvaient très vulnérables aux attaques du VC et du NVA. Les pertes de l’ARVN

dans II Corps étaient telles que les bataillons sud-vietnamiens ne parvenaient plus à

renflouer avec suffisamment de célérité leurs effectifs avec de nouvelles recrues prêtes et

entraînées. Des forces militaires de l’US Army et de l’Armée sud-coréenne étaient

destinées à être déployées dans II Corps.13 Les Sud-Coréens ont été déployés dans le

cadre des opérations visant à contenir le communisme en Asie du Sud-Est. La Corée du

Sud était, après les États-Unis, le plus grand contributeur étranger en termes de soldats

11 Ibid. p. 3. 12 Romie L. Browlee et William J. Mullen, op.cit., p. 131. 13 National Security Files, NSC History. Deployment of Major U.S. Forces to Vietnam, July 1965. Text of

Cable to General Westmoreland (COMUSMACV 20055), Monday, June 16, 1965, College Park, National

Archives, folder: 003221 -003-0102, p. 3-4.

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96

dans la RVN avec un total de 324,000 militaires déployés pour la totalité du conflit.14 Les

flancs nord et est de III Corps étaient pour leur part très vulnérables et ne disposaient pas

de suffisamment de réserves d’éléments de l’Armée sud-vietnamienne pour repousser les

assauts du VC. Au-delà des pertes majeures de l’ARVN aux mains de régiments VC dans

la province de Phuoc Long, il ne subsistait plus suffisamment de forces de sécurité pour

contrôler III Corps, alors que ce dernier s’apprêtait à devenir le secteur de responsabilité

d’une entière division renforcée de l’US Army et du 1st Australian Task Force. Les

Australiens ont été déployés au Vietnam dans le même cadre stratégique que les Sud-

Coréens, c’est-à-dire appuyer les Américains dans leur quête pour freiner l’essor

communiste dans la région. Environ 6300 soldats australiens étaient déployés dans la

RVN en 1967.15

Pour sa part, IV Corps était la zone la moins touchée par les assauts du Viêt-Cong,

ses rizières et sa surface géographique facilitaient les opérations héliportées, laissant peu

de possibilités de camouflage aux insurgés. Les 7e et 21e Divisions de l’ARVN ayant fait

montre de leur aptitude à y contrôler l’essor des forces communistes,16l’ARVN allait se

voir attribuer IV Corps comme zone de responsabilité. Cela ne constitua toutefois pas un

frein au déploiement éventuel d’éléments de l’US Army. Alors que l’été de 1965

progressait, les régiments communistes commençaient à focaliser leur attention sur les

hauts plateaux des provinces de II Corps. Les succès du VC et du NVA étaient tels que

les Américains craignaient la perte de l’entièreté des hauts plateaux. De peur que la

République du Vietnam soit scindée en deux, Westmoreland a d’urgence demandé le

déploiement de forces supplémentaires et ordonna l’initiation d’opérations majeures pour

entraver l’offensive communiste (voir la figure 8).17

14 Michael H. Liscano, Multinational Force Integration: The ROK Army’s Integration with the US Army in

the Vietnam War, Fort Leavenworth, United States Army Command and General Staff College, 2016, p. 8. 15 Ian McNeil et Ashley Ekins, On the Offensive: The Australian Army in the Vietnam War, January 1967-

June 1968, Crows Nest, Allen & Unwin, 2003, p. 5, 7-8. 16 National Security Files, NSC History, op. cit., p. 5. 17 Pentagon Papers, Part IV. C. 5[Part IV. C. 5.], op. cit., p. 3.

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Figure 8 : Plan de l’offensive opérationnelle du NVA (et du VC) en 196518

18 United States Military Academy West Point, « NVA Plan for 1965 », The Vietnam War. West Point,

https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2026.jpg,

Consulté le 19 novembre 2017.

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Confronté à de telles conditions, il était complètement utopique pour les

Américains de penser adopter une stratégie basée sur le concept d’enclaves. La situation

opérationnelle rencontrée au Vietnam à l’été de 1965 nécessitait, tel que Westmoreland

le prescrivait, d’importantes manœuvres et des contre-offensives de nature

conventionnelle. En date du 26 juin, le commandant du MACV a été autorisé à

« commettre des forces américaines » directement dans le but de porter assistance aux

forces de l’ARVN. Une journée plus tard, les Forces militaires américaines initiaient leurs

premières actions offensives majeures de la guerre : Westmoreland a ordonné la conduite

d’une opération de search and destroy aux côtés de l’ARVN et d’unités de l’Armée

australienne contre une base d’opération VC au nord-est de Saigon. Le MACV reçut du

Président Johnson les effectifs demandés; à la fin de 1965, il obtint ses 180,000 soldats.19

Du côté communiste, le renseignement américain estimait la présence dans la RVN à un

total de 215,000 insurgés viêt-cong, incluant 75,000 troupes régulières et régionales,

100,000 insurgés locaux et 40,000 troupes de soutien. Pour ce qui était du NVA, on

supputait que 12 de leurs bataillons infiltraient la RVN à chaque mois, portant ainsi leur

nombre à neuf régiments et à un total de 26,000 soldats à la fin de 1965. Le 304e Régiment

du NVA s’est même déployé avec des mortiers de 120mm, du jamais vu depuis le début

des hostilités.20

Afin de contrer cette menace et maximiser l’emploi de ses troupes, le général

Westmoreland a esquissé un concept d’opération bien précis qui amalgamait opérations

conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Un rapport du MACV synthétise les

grandes lignes qui devaient guider l’emploi des Forces militaires américaines au Vietnam.

À la base, la mission de combat américaine consistait à appuyer les troupes militaires sud-

vietnamiennes, tout en faisant de celles-ci une force apte au combat, à vaincre

l’insurrection communiste et à faciliter les efforts des politiciens à gouverner la RVN. Le

rapport du MACV reconnait que le conflit ne revêtait pas uniquement une essence

militaire mais également politique. Le facteur politique découlait de la nécessité d’obtenir

« la loyauté et la coopération » de la population en « créant les conditions » devant leur

19 Lewy, op. cit., p. 42, 49. 20 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1960-1968 Part II, Washington, Historical Division Joint Secretariat JCS, 1st July 1970, p. 23-15-23-16.

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permettre de vivre une « vie normale ». Il était également spécifié que la domination du

VC sur une grande partie des secteurs ruraux, avait pour conséquence que de nombreux

civils se retrouvaient assujettis par le VC. Il fallait donc « rétablir le contrôle » du

gouvernement sur ces secteurs géographiques et leurs habitants.21 Dans cette optique, le

MACV souligne l’importance de se focaliser sur les opérations visant le Viêt-Cong, tout

en « minimisant » les pertes au sein de la population civile. En bref, le MACV résume sa

mission comme suit:

Thus, the ultimate aim is to pacify the Republic of Vietnam by destroying the

VC, his forces, organization, terrorists, agents, and propagandists while at

the same time reestablishing the government apparatus, strengthening GVN

military forces, rebuilding the administrative machinery, and re-instituting

the services of the Government. During this process security must be

provided to all of the people on a progressive basis.22

Il est intéressant de noter à quel point l’aspect contre-insurrectionnel de la guerre

est explicite dans cette directive. Le commandement américain n’était pas insensible aux

opérations de COIN en 1965; les leaders jugeaient néanmoins que là ne résidait pas la

priorité à court terme. Tel que spécifié dans le chapitre 1, lorsqu’une armée fait de la

contre-insurrection, la sécurité est à la base de tout succès. Pour que cette sécurité ait une

chance de s’établir, il s’avérait nécessaire de procéder en mettant en pratique les

considérations de Galula sur la première étape d’une COIN : sécuriser le terrain pour

expulser les forces insurgées du secteur visé par les forces de sécurité. C’est pourquoi le

plan immédiat de Westmoreland se résuma à trois phases : d’abord, enrayer l’offensive

des forces de combat communistes (qui cherchaient à scinder le pays en deux). Ensuite,

détruire le VC et pacifier les secteurs de « haute priorité ». Enfin; « restaurer

progressivement » le pays pour le remettre sous le contrôle des instances

gouvernementales à Saigon. Les tâches spécifiquement militaires consistaient à :

défendre les bases militaires et les lignes de communication; initier des opérations

offensives contre les bases d’opération du VC; sécuriser militairement les secteurs

appelés à être pacifiés par les éléments de COIN; assurer le déploiement de forces de

21 Papers of William C. Westmoreland, #1 History File 29 Aug – 24 Oct 65. Directive Number 525-4 Tactics

and Techniques for Employment of US Forces in the Republic of Vietnam, College Park, National Archives,

NND 596559, RG# 319, Entry UD 1143, Box 26, p. 1. 22 Ibid., p. 2.

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sécurité afin de protéger les secteurs sécurisés pour la pacification; d’avoir une force de

réserve capable d’appuyer ou remplacer une unité sous contact de l’adversaire; assurer un

soutien logistique et un appui aérien aux opérations et enfin, conduire des patrouilles de

surveillance navales pour contrer les tentatives d’infiltration des insurgés.23 L’attaque des

zones d’opérations du VC consistait à chasser les insurgés de leurs bases et les forcer à

constamment se déplacer ce qui en théorie, devait leur faire perdre temps et ressources

logistiques. Si elles sont conduites de manière appropriée, ces opérations permettront de

« trouver et détruire » les bases logistiques communistes ce qui inclura les abris (bunker)

les secteurs d’entraînement et les postes de commandement (sans compter l’acquisition

probable d’une mine de renseignements). Le plan d’action du MACV spécifie qu’il est

important d’imposer une pression constante en privant le VC de ses bases d’opérations,

ce qui l’oblige à reconstituer sa réserve logistique, à réarranger son système de liaison et

de communication, reconstruire ses bunkers et ses tunnels, en plus de rétablir ses systèmes

d’alerte de défense et de sécurité. Techniquement, non seulement l’adversaire devait

épuiser « temps et ressources » mais en plus, il se voyait forcé de redéployer ses nouvelles

bases dans des secteurs plus isolés ce qui invariablement, l’éloignerait des zones peuplées.

Selon le MACV, en perdant ses bases d’opérations, le VC deviendrait

déstabilisé et vulnérable aux attaques de l’artillerie (terrestre et navale), des chasseurs

bombardiers, des bombardiers stratégiques B-52 et aux attaques amphibies. Ultimement,

cette succession d’initiatives offensives devait « entraver les opérations » du VC,

« réduire ses forces, détruire son moral » et l’empêcher de « conduire la guerre » de

manière « efficiente ».24 Sur papier, l’essentiel des procédures et objectifs susmentionnés

cadrent avec l’application de concepts de COIN. Néanmoins, le plan du MACV tend à

négliger un aspect très important lorsque vient le moment de sécuriser une base

d’opération. À la suite de la destruction de ladite base, il est nécessaire d’y laisser des

troupes statiques pour empêcher le retour des insurgés ou à tout le moins, y assurer une

surveillance constante. Si le VC choisit spécifiquement cette zone pour établir sa base,

c’est qu’il s’agit d’un terrain clé. Le plan global du MACV parle bel et bien de laisser des

troupes statiques dans les secteurs peuplés pour la phase contre-insurrectionnelle des

opérations mais n’évoque jamais la question de conserver les secteurs géographiques clés

23 Ibid., p. 3. 24 Ibid., p. 4-5.

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du théâtre d’opération. Dans l’éventualité que ces terrains clés soient habités par des

villageois, il est encore plus important d’y laisser des forces statiques car les insurgés

essaieront à coup sûr de réacquérir le terrain et la population qui y vit. Nous verrons dans

les prochaines pages comment cette problématique encouragea l’endiguement

opérationnel des Forces américaines au Vietnam. Le moment venu de cerner les forces

communistes, le plan de MACV était typique des livres de doctrine de l’armée

américaine. Lorsque les rapports de renseignements ciblaient la localisation d’une base

d’opération communiste, une « opération agressive » devait être exécutée avec des

effectifs et une puissance de feu de loin supérieurs à ceux de l’adversaire. Il fallait

préférablement attaquer le VC avec une combinaison de forces mobiles (pour l’assaut) et

de blocage (pour couper la retraite de l’adversaire), appuyées de forces de reconnaissance

pour couvrir les routes susceptibles d’être exploitées pour une retraite par les forces

communistes en fuite. On encourageait aussi fortement de maximiser l’appui de

l’artillerie et des forces aériennes lors des assauts.25

Afin d’obtenir un maximum de renseignements sur la localisation des bases

d’opération communiste, les directives du MACV soulignent la nécessité de maximiser

les contacts avec les forces paramilitaires chargées d’assurer la protection des civils. Il

fallait donc que les unités américaines élargissent leurs relations et leur coopération avec

les membres du Regional Force (RF) et du Popular Force (PF) au sein des districts et des

villages ruraux. Selon le MACV, lorsqu’une brigade de l’Armée américaine est déployée

dans une province, la « balance du pouvoir militaire » penche invariablement du côté du

gouvernement : cela a donc pour effet de requinquer le moral des forces paramilitaires et

de l’ARVN et, en conséquence, de désavantager le VC. C’est pourquoi le MACV insista

pour que le commandant américain sur place établisse une liaison avec le chef de province

afin d’y établir des plans conjoints.26 Le commandement du MACV semblait vraiment

souhaiter encourager la coopération des Forces sud-vietnamiennes avec celles des

Américains. En pratique, une telle coopération s’avérait très souvent positive. Il est vrai

qu’à plusieurs occasions, les éléments paramilitaires sud-vietnamiennes ont performé

avec beaucoup plus d’enthousiasme et de professionnalisme lorsqu’elles opéraient aux

côtés des soldats américains (cette dynamique sera démontrée dans les chapitres

25 Ibid., p. 5. 26 Ibid., p. 6-7.

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consacrés aux CAP et au CORDS). Il était également réaliste de la part du MACV de

souligner qu’une coopération entre les unités militaires américaines et paramilitaires sud-

vietnamiennes favoriserait la transmission de renseignements sur les activités du VC.

Toutefois, nous verrons dans le chapitre 4 que la coopération des éléments militaires

américains et des forces de pacification était plutôt rare, voire inexistante, dans maintes

provinces jusqu’à 1968. Dans ces conditions, la collecte de renseignement du MACV s’en

trouva défectueuse à bien des occasions et les Forces américaines et sud-vietnamiennes

ne pouvaient bénéficier de la symbiose suscitée par ce type de coopération. Quoi qu’il en

soit, les grandes lignes de la stratégie de Westmoreland et du MACV se résumaient à un

amalgame d’opérations offensives de nature conventionnelle succédées d’opérations de

pacification pour empêcher le retour des insurgés. Les unités paramilitaires sud-

vietnamiennes assureraient la pacification des secteurs ruraux et les Forces américaines,

assistées par l’ARVN, se chargeraient d’anéantir les larges formations de combat

communiste. Avec le temps, les secteurs sécurisés et pacifiés devaient géographiquement

s’étendre et résulter en la pacification générale de la RVN et la reprise du contrôle de

Saigon sur l’ensemble du territoire.27

Westmoreland subit la critique de plusieurs pour le manque d’attention porté aux

facteurs relatifs à la pacification. L’Ambassadeur Lodge pressait le commandant du

MACV d’accorder plus d’importance aux opérations antiguérilla plutôt que de maximiser

les opérations conventionnelles. Les Marines déployés dans I Corps ont également fait

montre de réserve lorsqu’ils ont été confrontés au concept d’opération du commandant

du MACV. Les Marines du III Marine Amphibious Force (III MAF), les premières forces

de combat déployées au Vietnam, avaient déjà esquissé leur concept d’opération

lorsqu’ils se sont fait assigner la tâche de protéger la base aérienne de Danang. Le

commandant du III MAF, le général Lewis W. Walt, réalisa rapidement que pour protéger

ladite base, il était impératif de contrôler les villages avoisinant qui s’étendaient jusqu’à

la province de Quang Nam. Ces villages dominés par de forte concentrations de forces

VC ne comportaient toutefois pas d’éléments réguliers de l’insurrection (bataillons ou

régiments). C’est pourquoi Walt préféra exploiter un plan d’action limité à des

« opérations de petite unité » (small unit operations) pour chasser les éléments de guérilla

27 Graham. A. Cosmas, MACV The Joint Command in the Years of Escalation 1962-1967, Washington D.C.,

Library of Congress, 2006, p. 398.

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des villages et étendre de façon graduelle les zones sécurisées de Danang et des bases

avoisinantes à Chu Lai, au sud d’I Corps et à Phu Bai au nord, près de Hue. Ce fut

d’ailleurs lors de ces opérations que les Marines ont initié leur programme de pacification

avec les Combined Action Platoons.28 Cette particularité du plan d’action des Marines ne

signifiait pas que ces derniers refusaient d’exécuter des opérations offensives

conventionnelles ordonnées par Westmoreland; les Marines ont engagé le combat à

maintes reprises contre les grandes formations communistes et ont connu beaucoup de

succès. Cependant, le général Walt, son supérieur qui commandait les Marines dans le

Pacifique, le général Victor Krulak, ainsi que le commandant en chef de l’USMC, le

général Wallace Greene, croyaient tous que la clé du problème se trouvait dans la

pacification et la population civile. Les trois commandants des Marines estimaient qu’en

coupant la population civile des forces régulières du NVA et du VC, l’ennemi serait

confronté à un choix; mourir de faim dans les montagnes ou combattre au sein des plaines

ou l’artillerie du III MAF et l’aviation pourraient les neutraliser.29

Beaucoup de frictions avait cours entre le général Krulak et Westmoreland. Ce

dernier critiquait les Marines, allant jusqu’à dire « qu’ils avaient peur de combattre ».

Lors d’une rencontre entre officiers, le général des Marines louangeait les CAP de

l’USMC, faisant ainsi enrager le commandant du MACV qui rétorquait en vociférant à

Krulak : « Your way will take too long ». Krulak répliqua avec la même ardeur à

Westmoreland : « Your way will take forever ».30 Lorsque comparée à l’approche

privilégiée par Westmoreland, celle des Marines démontre à quel point l’USMC se

montrait plus ouverte aux principes de guerre maximisant les concepts de COIN.

Néanmoins, le contexte hybride de la guerre faisait en sorte que les Marines n’étaient pas

pleinement justifiés de rejeter du revers de la main le concept d’opération du commandant

du MACV. Les bases d’opérations du Laos se trouvaient à portée des unités communistes

dans I Corps; à moins de scinder leurs lignes de communications, il était utopique de

28 Ibid., p. 402. Le général Lewis Walt a été désigné commandant du III MAF en mai 1965. Sa mission

originale consistait à assurer la protection de la base aérienne de Danang au sein d’I Corps. Quelques mois

plus tard, ses responsabilités se sont élargies alors que le III MAF initia des opérations de combat contre le

VC et le NVA. Dès le départ, Walt a fait comprendre au Président Johnson l’importance que revêtait les

opérations de COIN et les actions civiques pour le III MAF au Vietnam. 29 Ibid., p. 402-403. 30 Robert Coram, Brute. The Life of Victor Krulak U.S. Marines, New York, Back Bay Books, 2010, p. 290.

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croire qu’ils mourraient de faim. Qui plus est, une attaque massive des éléments

communistes sur les bases de pacification des Marines aurait littéralement donné raison

au commandant du MACV et à ses théories. Des forces contre-insurrectionnelles ne sont

pas conçues pour contrer une attaque complexe et structurée d’une force militaire

conventionnelle bien équipée et bien entraînée. Parallèlement, Westmoreland ne pouvait

se permettre de minimiser l’importance des CAP; nous verrons dans le prochain chapitre

à quel point ce concept s’inséra bien dans la mosaïque hybride de la guerre du Vietnam.

Toutefois, considérant le danger engendré par la menace des formations régulières du

NVA et du VC à l’été de 1965, le MACV a eu raison de vouloir maximiser les opérations

conventionnelles. Qui plus est, malgré la gravité de la situation, force nous est de constater

que le commandant du MACV accordait tout de même une place prépondérante à la

pacification des secteurs ruraux dans son plan d’action. Il ne fait aucun doute que

Westmoreland privilégiait la guerre conventionnelle à la COIN. N’empêche qu’on ne

pouvait taxer le commandant du MACV d’ignorance en matière de contre-insurrection.

Vétéran de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée, Westmoreland

ne bénéficiait pas d’expérience de combat de nature contre-insurrectionnelle. Mais cette

carence n’empêcha en rien son intérêt envers la COIN. Lorsqu’il occupait la fonction de

directeur de l’Académie militaire de West Point, il a initié un programme d’entraînement

sur les principes d’insurrection et sur la guerre contre-insurrectionnelle destiné aux cadets

de l’Académie. À l’époque où il était commandant en second du MACV, sous le général

Paul Harkins, il a dirigé une mission en Malaisie afin d’étudier les tactiques de contre-

insurrection britanniques décrites au chapitre 1.31 Lors d’un séjour à Hong Kong au début

des années 1960, Westmoreland a fait la connaissance de David Galula. Le général

américain s’est montré fortement impressionné par les théories du lieutenant-colonel

français et, tel que spécifié plus tôt, l’invita à enseigner aux États-Unis.32 En bref, bien

qu’attaché aux principes de guerre classique, le commandant du MACV n’était pas aussi

fermé aux préceptes de COIN que le prétendent moult historiens. Lorsqu’analysé en

termes théoriques, son concept d’opération au Vietnam semble généralement s’accorder

à un plan de contre-insurrection tel que décrit dans le chapitre précédent. Qui plus est, le

31 Gregory A. Daddis, No Sure Victory, Measuring US Army Effectiveness and Progress in the Vietnam War,

New York, Oxford University Press, 2011, p. 69. 32 Mathias, op. cit., p. 173.

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plan du général américain semble, à première vue, permettre la possibilité de contenir les

éléments réguliers du VC et du NVA : si les forces américaines se montraient bel et bien

capables de surclasser et chasser les forces communistes de leurs bases d’opérations par

le biais d’une puissance de feu et d’effectifs supérieurs, il serait techniquement très

difficile pour le VC et le NVA de rétablir de nouvelles bases en un court laps de temps.

Parallèlement, les villages avoisinant se trouvaient hors de portée car protégés par des

forces paramilitaires. De plus, les lignes de communication étroitement surveillées par les

forces de sécurité rendent toute circulation très hasardeuse pour les unités communistes.

Sur papier, ces théories esquissées par le MACV semblaient très sensées. Néanmoins, ce

ne fut pas aussi simple le moment venu d’appliquer ces préceptes sur le champ de bataille;

les dynamiques de la machine synchronique hybride des communistes ont sévèrement

compliqué l’application du plan américain.

Tel que discuté précédemment, un des problèmes relatifs au concept d’opération

américain était de ne pas accorder d’importance aux gains géographiques remportés à la

suite des combats. Également, l’abandon de terrains géographiques clés constituait un

problème chronique sévèrement compliqué par l’accès continu des bases d’opération

communistes sur la Piste Ho Chi Minh au Laos et au Cambodge. Nullement insensible au

problème engendré par la piste, Westmoreland voulait lui-même déployer des divisions

au Laos pour bloquer l’accès à la Piste aux unités communistes. Néanmoins, Washington,

soucieux de ne pas étendre géographiquement le conflit, a refusé d’acquiescer à la requête

du commandant du MACV (voir le chapitre 5 pour plus de détails). Ce dernier croyait

profondément en la guerre d’attrition et les effets conséquents aux pertes communistes,

une fois ceux-ci confrontés à la puissance de feu américaine. Pour le général américain,

les pertes encaissées à long terme par le VC et le NVA dépasseraient leur capacité à

régénérer leurs effectifs. Cependant, Westmoreland n’osait pas s’avancer sur l’échéancier

nécessaire pour atteindre un tel objectif compte tenu qu’il s’était vu refuser l’accès à la

Piste Ho Chi Minh et aux bases d’opérations communistes du Laos et du Cambodge.33

Cette stratégie d’attrition, très dépendante des opérations de COIN, connut ses limites.

Nous avons vu dans le chapitre 1 que la population civile constituait un bassin de

recrutement intarissable pour les communistes. En ce qui a trait aux renforts en

33 Ibid.

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provenance de la RDVN, plusieurs études ont démontré à maintes reprises que le facteur

relatif au taux de natalité et l’arrivée à l’âge minimal de jeunes Nord-Vietnamiens aptes

à commencer leur service militaire dépassait de loin les dizaines de milliers de soldats

communistes morts au combat.34 En ce sens, la Piste Ho Chi Minh qui déployait ces

troupes causait un problème supplémentaire à la stratégie d’attrition privilégiée par

Westmoreland. Nonobstant cela, l’analyse des opérations de search and destroy montre

hors de tout doute la nécessité pour le MACV d’initier le type d’opération de combat

recommandé dans ses directives; à défaut d’initier ces opérations, des divisions et des

régiments entiers de forces militaires nord-vietnamiennes auraient submergé les forces

contre-insurrectionnelles dans les secteurs ruraux.

Les prochaines pages consisteront en une analyse de trois opérations militaires de

search and destroy à grand déploiement : CEDAR FALLS qui a eu lieu dans l’Iron

Triangle, JUNCTION CITY qui eut comme champ d’action la War Zone C et APACHE

SNOW, mieux connue sous le nom d’Hamburger Hill, qui s’est déroulé sur le terrain de

l’Hill 937. L’analyse de ces opérations de search and destroy démontrera à quel point la

guerre du Vietnam possédait les caractéristiques d’un conflit militaire qui nécessita des

opérations conventionnelles dignes des guerres de Corée et du Pacifique. La complexité

et la disposition des positions défensives retrouvées dans les bases d’opérations

communistes lors de ces offensives ne présentaient aucune alternative aux tacticiens

américains, mis à part d’exploiter une doctrine conventionnelle. Néanmoins, au-delà du

facteur doctrinal militaire, l’analyse de ces trois opérations et d’une série d’autres

offensives, dépeindra également à quel point le manque de synchronisation entre les

opérations régulières et contre-insurrectionnelles (clear and hold), jumelé à

l’inaccessibilité aux bases d’opérations au Laos et au Cambodge ont sabordé le plan de

Westmoreland. Bien qu’une logique de guerre conventionnelle soit justifiée de la part du

MACV, il était illusoire d’imaginer vaincre les communistes si le terrain qu’on leur

34 Lewy, op. cit., p. 84. Lewy spécifie que la RDVN avait environ 1.8 millions de mâles âgés de 15 à 34 ans; en

1968, 45% de ces mâles étaient au service de l’Armée nord-vietnamienne et approximativement 120,000

nouveaux mâles atteignaient l’âge requis pour le service militaire. Le nombre total de personnes pouvant emplir

les rangs du VC et du NVA s’estimait alors à 2.3 millions de soldats. Il a été calculé que même avec la

continuation des pertes encaissées aux mains des Américains en 1968, il faudrait au moins 13 ans pour venir à

bout des nouveaux effectifs du VC et du NVA. Si les pertes encourues étaient moindres que celles rencontrées

en 1968, on calcula qu’Hanoi aurai pu assurer indéfiniment le renflouement de ses effectifs.

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arrachait n’était pas sécurisé en permanence et qu’ils conservaient leurs sanctuaires à

l’extérieur de la RVN.

2.1.1. La bataille pour le contrôle de l’Iron Triangle : Opération CEDAR FALLS

En mai 1966, le général Westmoreland a ordonné qu’une offensive majeure soit

initiée au nord de la province de Tay Ninh dans III Corps pour le début de l’année 1967.

L’opération, destinée à être lancée le 8 janvier, serait multi-divisionnaire et inclurait le

parachutage d’éléments aéroportés. Comme l’auteur Guenter Lewy l’a précisé :

Westmoreland considérait que le système logistique des communistes était leur « talon

d’Achille ». Le commandant du MACV jugeait que si les Américains pouvaient

« neutraliser les bases ennemies » tout en « prévenant le réapprovisionnement du matériel

capturé ou détruit », la victoire pouvait être à portée de main.35 C’est dans cette

perspective que le commandant du MACV devait décider de déclencher une offensive

baptisée Opération CEDAR FALLS. L’objectif de cette offensive : sécuriser un secteur

géographique surnommé The Iron Triangle.

Ce triangle était délimité à partir du sud-ouest par la rivière Saigon, à l’est par la

rivière Thi Thin et au nord par le biais d’une ligne provenant de l’ouest qui passait de Ben

Cat jusqu’au village de Ben Suc sur la rivière Saigon (voir la figure 9). En tout et pour

tout, l’Iron Triangle englobait une superficie de 100 kilomètres carrés. Au nord du

triangle se trouvait la réserve forestière de Thanh Dien.36 L’Iron Triangle, localisé à une

vingtaine de kilomètres de Saigon, était une base d’opération lourdement fortifiée abritant

le QG de la Région militaire 4 du Viêt-Cong, QG d’où on dirigeait les opérations politico-

militaires et terroristes du VC dans les régions de Saigon et de Gia Dinh.37 L’accès au

Iron Triangle permettait également aux insurgés de contrôler des lignes de

communication clés pour le déplacement de troupes. Le village de Ben Suc constituait

l’un des principaux camps de base du VC. Il s’agissait d’un QG majeur pour la collecte

35 Lewy, op. cit., p. 65. 36 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, Washington D.C., Department of the Army, 1989, p. 15. 37 Lyndon B. Johnson National Security Files 1963-1969, Vietnam Southeast Asia Analysis Reports 2/67 –

5/67, Austin, Lyndon B. Johnson National Library, ProQuest Archives Folder 002795-026-0437, p. 18.

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de taxes qui finançaient en partie l’effort de guerre du Viêt-Cong. C’était également un

énorme centre d’entrepôt logistique communiste.38

Figure 9: Carte de l’Iron Triangle et schéma de manœuvre de l’offensive39

38 173rd Airborne Brigade, Iron Triangle Operation Niagara-Cedar Falls 5-25 Jan 67, Washington, D.C.,

U.S. Army Center for Military History, Folder: 003229-005-0236, p. 167. 39 United States Military Academy West Point, « The Iron Triangle », The Vietnam War. West Point,

https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2029.jpg,

Consulté le 15 novembre 2017.

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Un total de 16,000 soldats américains et 14,000 soldats de l’ARVN seraient impliqués

dans l’Opération CEDAR FALLS.40 Le MACV envisageait d’étendre des bataillons blindés

et mécanisés d’un côté de la rivière Saigon afin de former une force de blocage qui couperait

la retraite aux VC. On a surnommé ladite force « l’enclume » (the anvil). Simultanément,

une autre force héliportée se déploierait de l’autre côté de la rivière pour attaquer et coincer

les insurgés. Cette seconde force, surnommée quant à elle « le marteau » (the hammer), reçut

pour mission de fermer l’étau en attaquant l’adversaire qui se buterait à l’enclume incarnée

par les forces de blocage déployées sur les arrières du VC.41 Afin de cibler avec précision la

localisation de l’Iron Triangle, les analystes américains ont maximisé l’exploitation du

renseignement. CEDAR FALLS a été la première opération à bénéficier du « pattern activity

analysis » du renseignement américain. Cette procédure consistait à marquer les cartes

topographiques des postes de commandements des activités significatives de l’adversaire.

Plus les activités se succédaient, plus il était possible pour les analystes de cibler les habitudes

(patterns) des insurgés.

Pour collecter le renseignement relatif à ces activités, les analystes exploitaient une

gamme d’outils : des photos de reconnaissance aériennes, des capteurs électroniques, des

rapports de patrouilles, des appareils infrarouges, le renseignement humain, les localisations

des assauts des insurgés sur les forces paramilitaires, ainsi que des documents ennemis

capturés. Ces sources fournissaient beaucoup d’informations sur les activités et les intentions

du VC. L’identification des priorités en matière de renseignement de l’ennemi contribuait

également à guider les analystes américains quant aux prochaines cibles des forces

insurgées.42 Ce fut précisément ce type de collecte de renseignement qui servait généralement

aux Américains pour cibler la localisation des bases d’opération communistes dans la RVN.

CEDAR FALLS ne faisait pas exception à cette règle et a permis aux Américains d’esquisser

leur plan d’action et leur schéma de manœuvre. Ces procédures en matière de collecte de

renseignement se sont d’ailleurs montrés très précis pour CEDAR FALLS; des 177 secteurs

clés du VC découverts par les Américains, 156 se trouvaient localisées dans un rayon de 500

40 James Westheider, Fighting in Vietnam: The Experiences of the U.S. Soldier, Mechanicsburg, Stackpole

Books, 2007, p.18. 41 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 16-17. 42 Ibid.., p. 17-18.

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mètres des localisations préalablement rapportées par le renseignement.43 Le plan soumis à

Westmoreland pour sécuriser la zone se résumait comme suit : les forces militaires

américaines allaient « attaquer l’Iron Triangle et la réserve forestière de Thanh Dien » dans

le but de neutraliser « les forces ennemies » ainsi que leurs « infrastructures, installations »

et le « QG de la Région militaire 4 ». Plusieurs villages étaient également répartis dans le

secteur géographique de l’Iron Triangle. L’assaut américain planifiait une phase qui

nécessiterait l’évacuation de la population civile de ces villages.44 Enfin, le plan prévoyait de

faire de l’Iron Triangle une zone de bombardement sans restriction (free fire zone) afin

d’empêcher un éventuel retour des insurgés dans la zone clé.45 La première phase de

l’opération de combat devait durer du 5 au 7 janvier avec le déploiement et l’assaut (the

hammer and the anvil) des 1st et 25th Infantry Division. La phase 1 prévoyait également le

déploiement de forces de l’ARVN autour de la zone d’opération afin d’empêcher toute

retraite des éléments VC déployés dans l’Iron Triangle.

La deuxième phase de l’opération devait être initiée le 8 janvier avec le déploiement

de forces héliportées ayant pour mission de sécuriser Ben Suc. La troisième phase se mettrait

en branle le 9 janvier pour se concrétiser avec l’initiation, à partir de Ben Cat, d’un assaut

blindé destiné à scinder en deux l’Iron Triangle. Simultanément, un autre assaut héliporté

aurait lieu à l’extrémité nord de la forêt de Thanh Dien afin de compléter l’encerclement des

Viêt-Cong.46 Ces phases subséquentes tomberaient sous la responsabilité de la 173rd Airborne

Brigade et du 11th Armored Cavalry Regiment. Toutes les unités susmentionnées étaient

subordonnées à la 1st Infantry Division commandée par le général William E. Depuy, un des

43 Ibid., p. 18. 44 Ibid., p. 18-19. 45 Westheider, op. cit., p. 19. Westheider spécifie que les secteurs désignés comme free fire zone pouvaient

atteindre des tailles avoisinant les 500 kilomètres carrés. Ces zones pouvaient être continuellement bombardées

par l’aviation et l’artillerie sans au préalable en demander l’autorisation aux échelons de commandement

supérieurs. La population civile localisée dans un secteur désigné comme free fire zone était normalement

déplacée dans un secteur sécuritaire, loin des bombardements. À la suite de l’évacuation, toute personne

localisée dans ce secteur était considérée hostile, ce qui encouragea les Américains à maximiser leur puissance

de feu lors des bombardements. Néanmoins, beaucoup de civils ont fait le choix de demeurer ou de retourner

dans la zone interdite. Dans ces conditions, il était très difficile de discriminer avec précision les personnes

encore présentes dans la zone de tir, ce qui entraîna régulièrement la mort de civils. 46 Lyndon B. Johnson National Security Files 1963-1969, Vietnam Southeast Asia Analysis Reports 2/67 –

5/67, op. cit., p. 18.

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commandants en second de Westmoreland.47 À maintes reprises, on reprocha aux Américains

la planification et l’exécution d’opérations comme celle décrite ci-haut pendant la guerre.

Pourtant, des méthodes contre-insurrectionnelles n’auraient préparé en rien les Américains à

confronter ce à quoi ils devaient faire face une fois dans l’Iron Triangle. En plus du QG de

la Région militaire 4, la zone abritait le 272e Régiment VC, les 1er et 7e Bataillon de la Région

militaire et environ deux autres bataillons locaux. Le renseignement américain soupçonnait

aussi la présence des 2e, 3e et 8e Bataillon du 165e Régiment VC dans la zone d’opération.48

Avec un tel nombre d’effectifs et d’installations, l’Iron Triangle constituait une base

d’opération puissamment fortifiée défendue par de multiples bataillons réguliers de

l’insurrection VC. La prise d’un complexe de cette envergure justifiait pleinement

l’exécution d’une opération militaire conventionnelle telle que planifiée par le

commandement américain pour CEDAR FALLS. L’opération a été initiée tel que prévu,

entre le 5 et le 7 janvier, avec le déploiement des éléments de blocage. Subséquemment, les

troupes héliportées se sont dirigé vers le village de Ben Suc afin de le sécuriser.

Des hauts parleurs installés sur les hélicoptères transmettaient des instructions aux

villageois pour qu’ils se déplacent vers le centre du village. Après les avoir triés, les soldats

américains ont immédiatement procédé à l’évacuation des hommes âgés entre 15 et 45 ans

dans un centre d’interrogatoire à Phu Cuong. Lorsque les soldats ont terminé la fouille du

village, ses habitants pouvaient regagner leur domicile afin d’y rassembler leurs effets

personnels et leurs animaux de ferme en prévision de leur évacuation deux jours plus tard.

Une fois la partie nord de l’Iron Triangle sécurisée, les hauts parleurs des hélicoptères

intimaient également aux villageois de ne pas s’enfuir et de demeurer dans leur domicile.

Des pamphlets jetés par la voie des airs ont également avisé les villageois de se préparer à

quitter la zone pour être rassemblés dans un camp temporaire dans le secteur de Ben Cat.

Néanmoins, cette phase de l’opération a suscité beaucoup de confusion; des éléments mal

informés du 11thArmored Cavalry Regiment ont immédiatement commencé à évacuer les

villageois et à incendier leurs domiciles, entraînant de ce fait plus de 1000 villageois à se

diriger vers Ben Cat sans leurs possessions. Ils ont donc dû être renvoyés dans leur village

47 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 137. 48 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 19.

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112

afin d’y récupérer leurs effets. Tous les villageois, y compris leurs bestiaux, ont finalement

été évacués le 12 janvier à Phu Cuong.49 Dès ses premiers balbutiements, l’offensive a laissé

transparaître des problèmes de communication et de préparation. Bien que l’évacuation des

villageois de Ben Suc se soit effectuée sans réelles embuches, ce qui devait se produire au

nord de l’Iron Triangle trahit un manque de préparation en ce qui a trait aux aspects autres

que ceux de combat. De plus, le centre d’accueil destiné à accueillir la population exilée à

Phu Cuong n’était pas adéquat. Les agences civiles responsables se sont avérées incapables

d’ériger le camp à temps pour accueillir l’ensemble des villageois. Devant cette situation, le

commandement américain n’eut d’autre alternative que de céder une partie de ses troupes

pour terminer la construction du centre de réfugiés temporaire de Phu Cuong qui, une fois

complété, accueillit un total de 6108 personnes.208 Cela étant fait, les militaires ont pu vaquer

à leur tâche de combat. Lors des phases initiales de l’offensive, les Américains ont débuté

une campagne de guerre psychologique en larguant des millions de pamphlets

supplémentaires destinés aux insurgés. Ces tracts offraient des programmes d’amnistie aux

VC désireux de se rendre aux forces de sécurité. Lors de CEDAR FALLS, 471 insurgés ont

fait défection grâce à ces opérations psychologiques.50

Lors de l’offensive sur l’Iron Triangle, quatre bataillons américains ont pris d’assaut

la forêt Thanh Dien. Le VC n’engagea pas le combat, laissant ainsi le champ libre aux

Américains qui ont pu fouiller le secteur sans entraves. En une journée, 28 tonnes de riz, 725

grenades et 14 armes ont été confisqués aux communistes. Dans le secteur du village de Ben

Suc, 262 tonnes de riz et 135 armes ont également été saisies.51 Les unités américaines

déployées à Ben Suc ont été relevées par l’ARVN, ce qui leur a permis de poursuivre leurs

opérations de search and destroy dans les secteurs limitrophes.52 Lors de la progression des

forces d’infanterie, ces dernières ont pu bénéficier d’un appui aérien soutenu; la 7thAir Force

a contribué de manière significative aux opérations en localisant et bombardant plusieurs

camps de base du VC ainsi qu’en appuyant l’infanterie lorsque sous contact avec l’adversaire.

Un total de 10 missions de bombardements de B-52 a également été mené à bien. Ces frappes,

nécessaires pour neutraliser les zones plus fortifiées ont été particulièrement efficientes le

49 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 139. 50 Ibid., p. 140. 51 Ibid, p. 141-142. 52 Ibid.

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moment venu de détruire les bunkers et les souterrains du VC. Au sol, l’infanterie découvrit

d’elle-même de nombreux autres camps de base, tunnels, caches de riz et armes légères.

Néanmoins, les contacts avec le VC demeuraient sporadiques, ce qui pouvait en partie

s’expliquer par les bombardements de l’aviation et la volonté des insurgés de s’exfiltrer du

secteur. Plus l’opération progressait, plus il semblait clair que les Viêt-Cong s’assureraient

de limiter tout contact contre leur ennemi. Malgré cette situation, les Américains continuaient

de saisir d’importantes quantités d’armes, de munitions et d’approvisionnement logistique au

VC. En date du 12 janvier, un total de 1800 tonnes de riz a été confisqué, de concert avec

plus de 189 armes légères et près de 1000 grenades à fragmentation. Le 14 janvier, un

bataillon américain a localisé un énorme camp de base communiste qui abritait des fusils

d’assaut, des mines, des grenades et des munitions. Une autre unité a même découvert une

usine de fabrication de mines.53 En date du 15 janvier, des éléments ingénieurs ont commencé

à détruire le village de Ben Suc. Le 16, les unités américaines continuaient à sécuriser l’Iron

Triangle sans affrontement majeur contre le VC qui concentrait ses efforts en ayant recours

à des tireurs d’élites pour ralentir les Américains.

En date du 17, les ingénieurs déployés à Ben Suc conclurent la destruction du village

en faisant détonner 5 tonnes d’explosifs qui visaient à neutraliser définitivement le labyrinthe

de couloirs souterrains serpentant sous le village. En date du 26 janvier, CEDAR FALLS

prenait fin avec le départ de l’ensemble des forces d’infanterie de la zone de l’Iron Triangle.

Quelques éléments d’infanterie sont demeurés sur place pour assurer la protection des

ingénieurs qui finissaient leurs travaux de démolition.54 CEDAR FALLS a originalement été

considéré comme un grand succès pour le MACV. L’opération a fait payer aux Américains

un tribut de 72 morts et 337 blessés. L’ARVN comptait pour sa part 11 morts et 8 blessés.

Du côté des Viêt-Cong, on a dénombré 750 morts, 280 prisonniers et plus de 500 soldats qui

ont choisi de faire défection (une première depuis l’intervention américaine au Vietnam). Les

communistes ont perdu 590 armes individuelles et plus de 2800 engins explosifs, incluant

mines, grenades, mortiers et obus d’artillerie. Plus de 60,000 cartouches de munitions

d’armes légères ont également été saisies au VC. Au-dessus de 1000 bunkers, 525 tunnels et

plus de 500 bâtiments ont été détruits. Un total de 3700 tonnes de riz, approvisionnement

53 Ibid., p. 141-142, 145. 54 Ibid., p. 142-144.

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suffisant pour nourrir 13,000 VC pendant un an, a aussi été saisi.55 De plus, en fouillant les

réseaux souterrains, les Américains ont pu mettre la main sur les archives et les plans de la

Région militaire 4 du VC. Plus de 235,000 pages de documents communistes ont été analysés

par le MACV. Ces pages contenaient notamment l’état des forces des unités VC, les noms

de ses membres, les villes et villages dans lesquels ils opéraient, leurs zones de

rassemblement et des renseignements sur les plans communistes à venir. Enfin, la perte des

villageois priva les insurgés d’une force de labeur avoisinant les 6000 travailleurs.56 La perte

de cette main-d’œuvre a fait très mal au Viêt-Cong qui, dans ses rapports, déplorait les

opérations américaines dans le secteur de l’Iron Triangle. Un document capturé du VC

souligne que ce type d’opération offensive américaine effectuée dans leurs arrières affectait

négativement l’effort des travailleurs civils chargés d’assumer les tâches de soutien

logistique vitales à l’effort de guerre communiste. Le document spécifie que dans certains

secteurs, il devenait impossible d’obtenir du personnel et de l’approvisionnement dans les

villages.57

Du côté des contacts entre Américains et communistes lors de l’offensive, les

régiments et bataillons VC déployés dans l’Iron Triangle ont limité au maximum leurs

contacts et n’ont pas cherché à organiser une défense structurée et organisée de leur base

d’opération. Ils auraient apparemment reçu la directive de ne pas chercher à engager

directement le combat avec les Américains.58 Ceci n’est guère surprenant si on prend en

compte la doctrine des insurgés VC et des forces hybrides décrites au chapitre 1. Soucieux

de ne pas répéter les erreurs commises lors de l’Opération STARLITE, le VC s’en est tenu à

son mode de transition dirigé, ne cherchant aucunement à affronter les Américains lorsqu’il

se trouvait dans une position de vulnérabilité. Néanmoins, les forces chargées d’empêcher la

fuite des insurgés n’ont pas été en mesure d’entraver considérablement la retraite du VC. Le

55 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 74. 56 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 145-146, 167-168. 57 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and

Analysis of Significant Viet Cong/North Vietnamese Documents: Within a Viet Cong Stronghold:

deliberations of the Supply Council, Chau Thanh District, Binh Duong Province, January 1967, Carlisle

Barracks, War College, ProQuest Archives Folder: 003233 -001-0165. 58 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 74.

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rapport post-action de l’opération souligne cependant que le terrain caractéristique à la

géographie de l’Iron Triangle compliquait la conduite de l’opération de blocage. Il était très

difficile d’atteindre certains secteurs de l’Iron Triangle, même par la voie des airs. De plus,

peu de routes praticables n’étaient pas piégées ou minées par le VC. Les 100 kilomètres

carrés de jungle touffue de l’Iron Triangle n’ont pu être complètement scellés par les forces

américaines et sud-vietnamiennes, et ce, malgré le déploiement de l’équivalent d’une entière

division.59 L’analyse des rapports post opération des combats nous montre qu’en général, le

MACV a été très satisfait des résultats de l’opération CEDAR FALLS, considérée comme

une des opérations de search and destroy des plus militairement efficaces. Jamais une

opération offensive américaine n’avait causé la neutralisation d’autant de Viêt-Cong (ce qui

inclut morts, blessés, prisonniers de guerre et transfuges). Les pertes matérielles et logistiques

mentionnées précédemment ont également, selon le MACV, fait la démonstration de la

justesse de ce type d’opération pour enrayer la capacité du VC à opérer. À la suite de

l’opération, un des commandants déclara : « a strategic enemy enclave had been decisively

destroyed ».60 Néanmoins, si on l’évalue à moyen et long terme, CEDAR FALLS s’avéra un

échec opérationnel destiné à faire très mal aux Américains et aux Sud-Vietnamiens.

Tel que mentionné précédemment, le plan américain prévoyait de faire de l’Iron

Triangle une zone de bombardement sans restriction afin d’y empêcher un éventuel retour

du VC. Ce plan n’a pas tardé à s’avérer impraticable, les Américains ayant grandement sous-

estimé l’étendue des complexes souterrains du VC dans l’Iron Triangle. Sous les ruines de

Ben Suc, un total de 1700 mètres du réseau souterrain est demeuré intact malgré les efforts

des ingénieurs. À peine deux jours après la conclusion des hostilités, des éléments héliportés

sont parvenus à repérer plusieurs Viêt-Cong qui rôdaient librement dans les secteurs sécurisés

de l’Iron Triangle. La végétation (préalablement détruite par les bombardements et les

ingénieurs) ne tarda pas à foisonner de nouveau. Le VC s’affairait à reconstruire ses bunkers,

une manœuvre rendue possible par la proximité de leurs bases d’opération au Cambodge.

Quelques mois après la conclusion de CEDAR FALLS, l’Iron Triangle avait recouvré son

statut de complexe défensif fortifié destiné à servir de tremplin pour le déploiement des

59 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 167. 60 Nigel Cawthorne, Vietnam: A War Lost and Won, Londres, Sirius, 2017, p. 232.

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troupes communistes lors de l’offensive du Têt.61 En fait, les attaques les plus dévastatrices

du Têt ayant eu lieu dans la périphérie de Saigon provenaient toutes de l’Iron Triangle.62 Peu

après CEDAR FALLS, les Américains n’ont pas tardé à enclencher une seconde opération

de search and destroy en février 1967. MACV l’a baptisée Opération JUNCTION CITY.

2.1.2. Objectifs COSVN et War Zone C : Opération JUNCTION CITY

L’Opération JUNCTION CITY devait constituer la plus grande opération militaire

des Américains depuis le déploiement de leurs forces de combat en 1965. L’objectif de la

mission visait à effectuer une opération de search and destroy en vue de neutraliser le

COSVN ainsi que les installations et les effectifs de la 9e Division VC et du 101e Régiment

du NVA. La zone d’opération était sise au cœur d’un secteur géographique baptisé War Zone

C. Cette base communiste se nichait dans le III Corps, au nord-ouest de l’Iron Triangle, tout

près de la frontière cambodgienne. Un total de deux divisions américaines comprenant 22

bataillons d’infanterie, 14 bataillons d’artillerie et 4 bataillons de l’ARVN devait être

impliqué dans l’opération qui se verrait également appuyée d’une insertion de troupes

parachutistes, une première depuis la guerre de Corée. Tout comme l’Iron Triangle, la War

Zone C était une véritable base fortifiée qui, depuis plus de 20 ans, constituait un véritable

sanctuaire pour les insurgés communistes.63 L’opération se déroulerait en deux phases : la

première visait à déployer au nord de la War Zone C des forces de blocages disposées en

« fer à cheval » afin de stopper toute tentative de retraite des forces du NVA et du VC au

Cambodge. La 1st Infantry Division se positionnerait sur les secteurs nord et est du fer à

cheval alors que de son côté, la 25th Infantry Division s’affairerait à en bloquer la portion

ouest. En plus d’effectuer des opérations de blocage et d’interdiction, les brigades et

bataillons des 1st et 25th Division initieraient pendant trois semaines des missions de search

and destroy dans leurs secteurs respectifs d’opération. Subséquemment, une nouvelle

offensive de search and destroy devait s’enclencher vers le nord avec d’autres troupes

61 Ibid. 62 Sorley, op. cit., p. 179. 63 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 83.

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d’assaut de la 25th Division et des éléments de reconnaissance blindés afin de piéger les forces

communistes dans la zone (voir la figure 10).64

Figure 10: Schéma de manœuvre de l’Opération JUNCTION CITY65

La phase 2 de l’opération verrait les unités continuer leurs avancées respectives dans

la War Zone C. À l’image de l’Iron Triangle, le secteur était truffé de fortifications telles que

bunkers, tranchées, tunnels et autres positions défensives. Certains secteurs fortifiés étaient

suffisamment vastes pour contenir des bataillons entiers du VC et du NVA. Également très

renforcés, les bunkers n’étaient pas uniquement de simples sacs de sable empilés les uns sur

les autres : à l’image des secteurs fortifiés japonais pendant la guerre du Pacifique, plusieurs

64 Headquarters 1st Infantry Division, After Action Report –Operation Junction City, 8 May 1967, Washington

D.C. U.S. Army Center for Military History, ProQuest Archives Folder: 003229-002-0760, p. 1-2. 65 Sixteenth Infantry Regiment Association, « Operation JUNCTION CITY 22 February-15 April 1967 »,

Vietnam and Cold War II 1965-1970, Sixteenth Infantry Regiment Association.

http://www.16thinfassn.org/history/regimental-maps/vietnam-cold-war-ii-1965-1990/operation-junction-city-

22-february-15-april-1967/, Consulté le 12 décembre 2017.

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bunkers communistes de la War Zone C étaient construits de béton. Le renseignement

américain se trouvait très au fait de la disposition des places fortifiées de la zone de bataille.

L’information fournie par des déserteurs, des documents saisis et diverses sources ont

confirmé la nature des fortifications de la zone et les défenses établies pour protéger le

COSVN. Les sources du renseignement américain ont confirmé de surcroit que le NVA et le

VC maximiseraient l’utilisation de mines, de pièges et de manœuvres retardatrices pour

contrer l’avancée des Forces américaines.66 La conduite des opérations a rapidement

démontré que le VC ne se contenterait pas d’effectuer des manœuvres retardatrices; des

assauts dévastateurs des forces communistes s’apprêtaient à frapper les éléments de combat

américains. Tel que planifié, les unités américaines chargées d’assurer le cordon autour de la

zone se sont placées en position pour exécuter la phase 1 de JUNCTION CITY. Une

combinaison de 9 bataillons insérés en parachute et par voie héliportée s’est déployée pour

former le fer à cheval destiné à couper la retraite aux communistes. Les opérations de search

and destroy préliminaires prévues pour cette phase ont également été exécutées par ces unités

mais leurs contacts avec le NVA et le VC devaient prendre un caractère sporadique. Le 23

février, deux escadrons de reconnaissance blindés et celles de la 25th Infantry Division

localisées au sud de la zone ont enclenché leur assaut vers le nord de la War Zone C pour

ratisser l’intérieur du fer à cheval en vue de traquer, puis neutraliser le COSVN ainsi que les

unités VC et du NVA.

Pendant que ces forces d’assaut américaines progressaient vers le nord, les troupes

déployées pour former le gigantesque cordon continuaient à sécuriser leurs secteurs et à

améliorer leurs positions défensives advenant la retraite des unités communistes vers le

Cambodge.67 Lors des premiers jours de l’opération, le NVA et le VC se sont faits très

discrets. Les Forces américaines n’ont pas tardé à découvrir plusieurs camps de base qu’elles

se sont affairées à détruire. Ces bases recelaient d’importantes quantités d’armes, de

munitions, de riz et d’autres éléments logistiques. Dans un de ces camps, on a retrouvé

d’imposants quartiers souterrains et une énorme position défensive fortifiée. On a aussi

déniché à la surface des tunnels maintes cuisines. Dans l’une d’elles, on trouva un calendrier

portant une marque sur le 23 février, date à laquelle les unités américaines entraient dans le

66 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p.21- 22. 67 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 103-105.

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secteur. De la nourriture était encore en cours de préparation; signe tangible aux yeux des

Américains que les communistes avaient fui leur base sur un mouvement de panique. Lors

de leur progression dans la zone, les Américains ont découvert la section des affaires

militaires du COSVN, un complexe abritant une école et un centre de propagande. 68 Bien

qu’il y ait eu quelques contacts avec le VC et le NVA, il a fallu attendre le 3 mars pour qu’une

violente confrontation oppose Américains et combattants communistes. Une compagnie de

la 173rd Airborne Brigade est tombée sous contact contre un bataillon du 70e Régiment VC

et des éléments de guérilla locaux.69 L’affrontement, quoique bref, a été très violent : les

communistes ont perdu 39 soldats alors que les Américains ont dénombré 20 morts et 29

blessés dans leurs rangs.70 Des éléments de la 1st Division ont pour leur part découvert la base

de transmissions et de communications ainsi que le QG administratif du COSVN.71

De leur côté, les deux escadrons blindés qui ratissaient la zone en progressant vers le

nord, ont fait converger leur axe d’avance vers l’ouest le 6 mars afin de sécuriser un secteur

longeant la frontière cambodgienne. Le 11 mars, des éléments blindés sont tombés sur la

position défensive d’une compagnie Viêt-Cong qui affronta les Américains avec des armes

automatiques et antichars. Déployés dans des positions renforcées et des bunkers fortifiés,

les insurgés bénéficiaient de la protection d’un réseau de tranchées. La position défensive

VC devint la cible d’une succession d’attaques aériennes. Des hélicoptères de combat Huey

gunships patrouillaient continuellement afin de contrer toute tentative de fuite des insurgés

vers le Cambodge.72 Nonobstant ces manœuvres, les VC réussirent tout de même, une fois la

nuit tombée, à se replier de l’autre côté de la frontière. Malgré l’utilisation constante de fusées

éclairantes et le tir régulier de l’artillerie et des mini-gun des hélicoptères gunships, les Viêt-

68 Ibid., p. 106, 109. 69 Department of the Army, Operation Junction City – HQ, 173rd Airborne Brigade, 8 August 1967,

Washington D.C., Army Center for Military History, ProQuest Archives Folder: 003229-003-0353, p. 10. 70 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 109-110. 71 Department of the Army, Operation Junction City – HQ, 173rd Airborne Brigade, 8 August 1967, op. cit., p.

10-11. 72 Department of the Army, Combat After Action Report – Operation Junction City, conducted by 11th

Armored Cavalry Regiment, 15 1967, Washington, D.C , U.S. Army Center for Military History, ProQuest

Archive Folder: 003229-003-0774, p. 33.

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Cong ont, ultimement, réussi à s’exfiltrer, puis à se replier au Cambodge.73 La position

défensive était construite au-dessus d’un imposant réseau sous-terrain de 15 pieds de

profondeur. Les Américains y ont découvert deux larges presses d’une capacité de tirage de

5000 feuilles l’heure, utilisées par le COSVN pour imprimer leur propagande. Le 17 mars à

minuit, la phase 1 de l’opération JUNCTION CITY était terminée. 835 troupes du NVA et

VC avaient été tuées, 15 autres capturées et une énorme quantité de matériel logistique avait

été saisie.74 Lors de la phase 2 de JUNCTION CITY, trois batailles majeures ont opposé

Américains et communistes. Une fois de plus, ces batailles ont démontré à quel point il est

illusoire de prétendre qu’il a été inadéquat d’exploiter des doctrines militaires

conventionnelles au Vietnam. L’un des trois engagements a été la bataille d’Ap Bau Bang II,

un secteur de la War Zone C qui était truffé d’insurgés.

L’attaque initiée par le VC a été digne des livres de doctrine conventionnelle de toute

armée régulière professionnelle. Une troupe de blindés du 3rd Squadron, 5th Cavalry

Regiment, appuyée par une unité de la 1st Brigade, 9th Infantry, essaima avec 129 soldats, six

chars et 20 blindés M-113. Leur tâche : sécuriser un secteur pour installer une base d’appui

d’artillerie (fire base). Une fois sur place, les Forces américaines ont été la cible de tirs

d’armes automatiques, d’armes antichars et de mortier. Plusieurs blindés M-113 ont été

touchés et mis hors service par les tirs du VC. Bien que deux des chars se soient aussi vus

touchés, ils ont pu continuer le combat. Moins d’une demi-heure après le tir de barrage,

l’infanterie du 273e Régiment VC enclenchait un assaut en provenance du sud et du sud-ouest

des positions américaines. Un deuxième assaut fut lancé du nord, ce qui devait coincer les

Américains dans une position identique à celle décrite dans leur propre doctrine offensive

(hammer and anvil, voir la figure 11).75

73 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 110. 74 Ibid., p. 110-111. 75 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit, p. 129-132.

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Figure 11: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Bau Bang76

Les troupes du VC ont également bénéficié d’une base de feu qui, dans les doctrines

conventionnelles, vise à fixer sur place les forces adverses par le biais d’un tir nourri et

continu. Lorsque les forces chargées de l’assaut approchent de la position adverse, la base de

feu converge son tir de manière à ne pas toucher les forces amies. Certains M-113 se sont

vus submergés par l’infanterie VC ce qui, en désespoir de cause, a forcé les équipages des

blindés à demander que des tirs d’artillerie soient ouverts en direction de leurs propres

76 Department of the Army. General Donn A. Starry. Mounted Combat in Vietnam. Washington D.C.

Department of the Army, 1978, p. 98.

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véhicules, et ce, au risque d’être pulvérisés. Lors de leur avance au contact, les VC

maximisaient l’emploi d’armes antichars et ont ainsi neutralisé d’autres M-113. Les assauts

communistes ont été repoussés sur les deux flancs américains à maintes reprises, ce qui

n’empêcha guère le VC d’entreprendre de nouveaux assauts contre les troupes assiégées. Aux

premières lueurs de l’aube, le VC manœuvrait en vue d’initier une attaque finale mais leurs

troupes avaient été repérées par les Américains qui ont alors demandé de l’appui aérien et un

tir soutenu de l’artillerie. Les chasseurs américains ont largué des bombes à fragmentation,

du napalm et des bombes de 500 livres sur le 273e Régiment VC.77 Le résiduel du régiment

viêt-cong devait battre en retraite par suite des bombardements. La bataille d’Ap Bau Bang

II a couté la vie à un minimum de 227 VC (des indices tendent à prouver que plusieurs

cadavres avaient été évacués par les communistes). Une importante quantité d’armes et

d’équipement ont également fait l’objet d’une saisie. Du côté des Américains trois soldats

ont été tués au combat et 63 autres blessés.78 Il a fallu 29 frappes aériennes, 29 tonnes de

bombes et près de 3000 obus d’artillerie pour repousser les assauts du 273e Régiment VC.79

Le deuxième affrontement majeur de la phase 2 a été la bataille de Suoi Trei près du

centre de la War Zone C. Le commandement américain y déploya des hélicoptères afin

d’envoyer des soldats du 3rd Battalion, 22nd Infantry et du 2nd Battalion, 77th Artillery

sécuriser une autre zone devant servir de base pour des canons d’artillerie. Aussitôt au sol,

trois hélicoptères ont été pulvérisés et six autres endommagés par l’explosion de charges

enfouies sous la zone d’atterrissage, tuant 15 soldats et en blessant 28 autres. Toutefois,

contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, la détonation n’a pas été suivie d’un assaut

immédiat du VC. Des périmètres de sécurité ont été établis à l’est et à l’ouest de la zone par

les compagnies américaines et on érigea rapidement des positions défensives. Peu de temps

après, une patrouille déployée pour sonder le secteur s’est faite annihilée par une force

massive du VC. Environ 650 obus de mortier ont ensuite été tirés sur le périmètre américain

qui subit l’assaut du VC. L’ennemi encercla les Américains qui se trouvaient également

ciblés par des armes antichars et des mitrailleuses légères (voir la figure 12).80 Constamment

frappés par le tir des armes indirectes du VC, les artilleurs américains ont procédé à un tir de

77 Ibid., p. 132-135. 78 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 76. 79 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies.

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p.135. 80 Ibid., p. 135-138.

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123

contre-batterie dans une tentative visant à neutraliser le mortier adverse. Plusieurs troupes

d’infanterie étant sur le point d’être submergées par le VC, des artilleurs américains se sont

vus forcés de s’improviser comme soldats d’infanterie pour assister leurs confrères du 3rd

Battalion. Il a fallu une fois de plus recourir à un appui aérien soutenu et à d’intenses barrages

d’artillerie pour ralentir l’avancée des unités communistes. Malgré ces bombardements, les

attaquants ont persisté avec acharnement à essayer de capturer la position américaine. Un des

pelotons d’infanterie s’est vu submergé par une véritable « vague humaine » de Viêt-Cong.

Le secteur nord-est du périmètre de bataille s’est quasi fait noyer par une marée de soldats

communistes.81 L’intensité des assauts VC était tel que les Américains n’ont eu d’autre

alternative que de se repositionner pour créer une deuxième ligne défensive, près des

éléments d’artillerie situés au centre du périmètre de bataille (voir la figure 12). Le VC

encerclait la zone de bataille et, dans certains secteurs, s’est approché jusqu’à quelques

mètres des derniers retranchements défensifs des Américains. Comme s’il s’agissait de

canons de chars, les artilleurs du 2nd Battalion n’ont eu d’autre choix que d’effectuer du tir

direct sur l’infanterie ennemie avec leurs canons d’artillerie.82

81 Ibid., p. 138. 82 Department of the Army Vietnam War Studies, General Donn A. Starry, op. cit., p. 101-102.

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124

Figure 12: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille de Suoi Tre83

Les parties nord, ouest et sud du secteur tenaient encore bon. Toutefois, dans la partie

est, les soldats américains amorcèrent une retraite, tout en continuant désespérément à

repousser l’avancée du VC. Ultimement, des unités d’infanterie et blindés de la 3rd Brigade

américaine ont été dépêchées en renfort pour secourir les troupes américaines sur le point

d’être anéanties. Les premiers renforts ont attaqué l’est du périmètre, une offensive qui

n’empêcha pas les Viêt-Cong de poursuivre leur assaut. Quelques minutes après l’arrivée des

premiers renforcements, des éléments d’infanterie mécanisée et des chars américains

surgirent au sud-ouest du périmètre. Les troupes ont marché sur le VC qui s’est fait

83 Ibid., p. 136.

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125

violemment décimer par le tir nourri des canons de 90mm des chars et les tirs soutenus des

mitrailleuses lourdes de l’infanterie mécanisée. Le résiduel du VC n’eut d’autre choix que de

procéder à une manœuvre de repli.84 La bataille de Suoi Trei a coûté la vie à un minimum de

647 Viêt-Cong. Pour leur part, les Américains ont perdu 31 soldats, 109 autres ont été blessés.

Des documents communistes découverts sur place ont dévoilé l’identité des forces en

présence : il s’agissait du 272e Régiment de la 9e Division VC, renforcé par des éléments

d’artillerie. Ce régiment était considéré comme une unité d’élite du Viêt-Cong qui était

d’ailleurs l’une des formations communistes les mieux organisées et équipées.85 Le dernier

affrontement majeur de la phase 2 de JUNCTION CITY a été la bataille d’Ap Gu. Le 26

mars, le 1st Battalion, 26th Infantry s’est fait assigner la mission de diriger un assaut en

profondeur dans la War Zone C tout près de la frontière cambodgienne. Cette unité devait

sécuriser la zone visée afin de permettre le déploiement subséquent et sécuritaire des

éléments du 1st Battalion, 2nd Infantry. Subséquemment, l’ensemble des forces

susmentionnées devait effectuer des opérations de search and destroy dans le périmètre.86

Soupçonnant la présence d’unités VC dans le secteur, le renseignement américain

s’attendait à un contact avec la force ennemie. Les compagnies du 1st Battalion héliportées

dans la zone (Landing Zone (LZ) George) commencèrent le ratissage du secteur. Aucun

contact initial avec le VC n’a eu lieu avant le jour suivant. Le lendemain, un peloton de

reconnaissance est tombé sous contact tout près de la frontière.87 Le lieutenant qui

commandait le peloton a été tué et l’intensité du contact a nécessité un tir soutenu de

l’artillerie.88 La compagnie B du 1st Battalion, dépêchée pour assister le peloton embusqué,

s’est retrouvée elle-même embusquée par ce qui semblait être un bataillon entier de Viêt-

Cong. La compagnie B étant immobilisée par le tir d’armes antichars, de roquettes, de

mortiers et de mitrailleuse, la compagnie A du 1st Battalion a à son tour été déployée pour

assister la compagnie B assiégée. Le commandant du bataillon, le colonel Alexander Haig

(le futur Secrétaire d’État du Président Ronald Reagan), s’est lui-même déployé auprès de

84 Ibid., p. 102, voir aussi Department of the Army, Lieutenant General Williams Rogers, op. cit., p. 138-140. 85 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., 138-140. 86 Ibid., p. 138-140. 87 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 10. 88 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 140, 142.

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ses deux compagnies pour assurer le commandement des opérations. En combinant leurs

forces et en bénéficiant d’un appui aérien et du tir de l’artillerie, les deux compagnies

américaines réussirent à gagner l’avantage sur le VC.89 La plupart des troupes américaines

assiégées ont été en mesure de retraiter à l’arrière mais le VC quitta ses bunkers, cherchant

envers et contre tout à maintenir le contact avec les Américains. Néanmoins, la perspective

de nouveaux bombardements les a fait, ultimement, reculer. Un bataillon américain

supplémentaire, le 1st Battalion, 16th Infantry, a été dépêché en renfort et les deux bataillons

se sont activés à ériger des positions défensives dans le secteur du LZ George et à préparer

des patrouilles de reconnaissance pour la nuit.90

Un peu avant l’aube, un unique obus de mortier tomba près du périmètre. Comprenant

qu’il s’agissait d’un tir de calibrage, le colonel Haig ordonna à ses troupes de se mettre à

l’abri. Quelques instants plus tard, une pluie d’obus de mortier crépitait sur le périmètre

défensif. Les artilleurs américains enclenchèrent des tirs de contre-batterie qui se sont avérés

plus inefficaces qu’à l’habitude. Lorsqu’interrogé par ses supérieurs après la bataille, le

colonel Haig a reconnu que bien qu’il se soit attendu à une attaque du VC après le tir de

barrage, ses expectatives ne se comparaient en rien à ce qui se passa subséquemment.91 La

rafale de tir de mortier d’une quinzaine de minutes a été succédée d’une attaque initiale de

l’infanterie VC sur la partie nord-ouest des positions défensives des deux bataillons

américains (voir la figure 13). Trois bunkers n’ont pas tardé à tomber aux mains des

communistes qui combattaient leurs adversaires au corps à corps. La pression exercée par

l’infanterie VC s’accentua, forçant le déploiement de la réserve et des éléments de

reconnaissance du 1st Battalion, 26 Infantry. Ces derniers ont pris une position de blocage

derrière les compagnies B et C qui luttaient avec acharnement pour rétablir leur périmètre

défensif. Parallèlement, les unités communistes ripostaient en initiant des attaques de

diversion à partir de l’est et l’ouest du périmètre (voir la figure 13).92

89 Ibid., p. 143. 90 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 10. 91 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 144. 92 Ibid., p. 145.

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127

Figure 13:Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Gu93

À toutes les 15 minutes, des chasseurs américains bombardaient la zone de bataille

de bombes à fragmentation, permettant ainsi à l’infanterie de reprendre son souffle par

moments.94 Entretemps, des hélicoptères de combat tapissaient également la zone d’un tir

nourri de mitrailleuses mini-gun et de roquettes. L’intensité du tir et des bombardements

commençait à porter fruits, ralentissant les assauts répétitifs du VC. L’artillerie américaine

intensifia son tir sur le flanc est du périmètre, le secteur où se concentrait l’effort principal

93 Ibid., p. 141. 94 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 14.

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de l’assaut viêt-cong. Les bombes de l’aviation explosaient à une trentaine de mètres à peine

des troupes américaines, au point qu’il leur était possible d’observer les corps des soldats VC

s’empiler les uns sur les autres tout autour du périmètre défensif. À un point culminant,

l’intensité et la violence des bombardements était telle que les Viêt-Cong s’enfuirent,

plusieurs allant même jusqu’à se délester de leurs armes afin de pouvoir s’extraire au plus

vite de la zone d’abattage.95 Les Américains ont alors enclenché une contre-attaque pour

poursuivre le Viêt-Cong qui tomba dans une nouvelle zone d’abattage de l’artillerie et de

l’aviation américaine qui avait même mis des B-52 à contribution. À 8 heures du matin, le

périmètre défensif était sécurisé. Une fois la bataille terminée, les Américains ont dénombré

un total de 491 morts VC, uniquement au cœur de leur périmètre défensif. Au total, 609

communistes ont été tués au cours de la bataille d’Ap Gu. Les Américains, pour leur part, ont

perdu 17 soldats, 102 autres ont été blessés. Un total de 15,000 obus d’artillerie américaine

a criblé le périmètre. Pour sa part, l’aviation a effectué 103 sorties et a largué plus de 100

tonnes de bombes autour de la zone défensive américaine.96

Ces combats de la phase 2 de JUNCTION CITY ont fait office de prélude à une phase

3 ayant pour objectif de sécuriser ce qui subsistait de la War Zone C, tâche qui a duré environ

trois semaines. Néanmoins, les survivants du VC sont demeurés introuvables. De petites

poches de résistance ont provoqué quelques escarmouches mais rien qui pouvait se comparer

aux violents combats de la phase 2. De nombreux bunkers et structures insurgés ont été

localisés et détruits. À ce stade de l’opération, l’essentiel des pertes américaines a été la

résultante de pièges et de mines posés par les VC. Il semblait que ces derniers avaient

vraisemblablement abandonné la War Zone C. JUNCTION CITY a officiellement prit fin à

minuit le 14 mai 1967. Lors de la bataille, tous les régiments de la 9e Division VC ont été

impliqués dans les combats. Un total de 2728 soldats communistes a péri pendant l’opération.

139 VC ont choisi la défection et 34 autres ont été faits prisonniers. Une centaine d’armes de

haut calibre, 491 armes individuelles ainsi que des milliers de cartouches, grenades et mines

ont été saisies. Plus de 5000 bunkers et structures militaires ont été détruits et 800 tonnes de

riz confisquées. Le renseignement américain put également mettre le grappin sur près d’un

95 Department of the Army. Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies.

Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 145-146. 96 Ibid., p. 146-148.

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demi-million de pages de documents communistes. Du côté américain, on dénombra un total

de 282 morts et 1576 blessés. Côté matériel, les pertes se chiffraient à trois chars, 21 blindés

M-113, quatre hélicoptères et cinq canons d’artillerie.97 En général, JUNCTION CITY et la

perte de la War Zone C ont fait très mal à l’insurrection VC. Le COSVN s’est vu forcé de

relocaliser sa base d’opération au Cambodge, une complication quant au contrôle des

opérations de guérilla dans la RVN. La perte de nombreux documents a également beaucoup

nui à l’insurrection; les informations qu’ils recelaient étaient très sensibles et révélatrices

d’une manne d’informations classifiées qui sont tombées dans les mains des analystes

américains du renseignement. Ces documents renfermaient notamment des listes d’effectifs,

des ordres de batailles, la localisation de bases d’opérations et autres détails pouvant mieux

cibler les opérations du VC dans le secteur de l’Iron Triangle. L’insurrection a aussi perdu

une grande partie de ses infrastructures de même qu’un imposant réseau de communication

qui leur donnait accès au centre de la RVN dans III Corps et à la région de Saigon. Cette

situation a contraint le commandement VC à conceptualiser de nouveaux plans d’actions qui

ont retardé considérablement la conduite des opérations insurgées dans la campagne sud-

vietnamienne.98

Néanmoins, les Américains ne sont jamais parvenus à détruire le COSVN. Ce dernier

a perdu sa base d’opération mais ses leaders et l’infrastructure politique de l’organisation

sont parvenus à s’enfuir au Cambodge malgré les nombreux cordons de sécurité des Forces

américaines. Un des commandants américains de l’opération, le général John H. Hay, a

souligné que cet échec résultait de plusieurs facteurs. D’abord, la proximité du sanctuaire

personnifié par le Cambodge était très avantageuse pour les leaders du COSVN. Également,

le général Hay a spécifié qu’établir un cordon de sécurité complètement étanche avec

suffisamment de troupes dans une jungle aussi dense constituait une « difficulté extrême ».

De plus, le déploiement initial des troupes américaines qui a précédé l’offensive dans la War

Zone C n’a pas échappé à l’attention du VC. Dans ces conditions, il a été difficile pour les

Américains de bénéficier de l’effet de surprise espéré pour surprendre le COSVN.99

Toutefois, les Américains ont eu la présence d’esprit de ne pas répéter les erreurs commises

dans l’Iron Triangle à la suite de l’opération : bien qu’il n’y ait point de villageois dans le

97 Ibid., p. 149, 151. 98 Ibid., p. 151. 99 Ibid., p. 151-153.

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secteur, des troupes statiques sont demeurées dans la War Zone C. Côté infrastructure, trois

pistes d’atterrissage pouvant accueillir des C-130 Hercules ont été construites dans la zone;

on bâtit un pont pour faciliter l’accès au secteur et des zones d’atterrissage pour hélicoptères

ont été développées. Côté troupes, on a construit deux bases pour déployer en permanence

des forces spéciales et des forces paramilitaires sud-vietnamiennes. Ces initiatives ont

contribué à dissuader le retour du COSVN dans le secteur. De ne pas initier les mêmes

initiatives dans l’Iron Triangle a pour sa part facilité le retour du VC dans cette zone. Des

documents communistes ainsi que des transfuges VC ont confirmé que JUNCTION CITY a

pris le visage d’un véritable « désastre » pour leurs forces. À la lumière des pertes encaissées,

JUNCTION CITY aurait convaincu le COSVN que persister à baser des forces régulières

aussi près des bassins de population constituait de la folie. À partir de ce moment, les

éléments communistes devaient maximiser l’exploitation de leurs bases d’opérations

localisées au Cambodge, à l’abri des forces terrestres américaines.100

2.1.3. Opération APACHE SNOW : la bataille pour l’Hill 937 (Hamburger Hill)

L’opération offensive qui visait à ravir l’Hill 937 au NVA a fait couler beaucoup

d’encre en plus d’entrer dans l’histoire comme l’une des batailles les plus violentes de la

guerre du Vietnam. Cette opération a reçu l’approbation du successeur de Westmoreland : le

général Creighton Abrams.101 L’Hill 937 était sise au nord d’I Corps dans le secteur de la

Vallée de l’A Shau, à proximité de la frontière laotienne. APACHE SNOW, une opération

multi-régimentaire qui impliquait des unités de la 3rd Marine Division, de la 101st Airborne

Division et de la 1ère Division de l’ARVN, a connu ses prémices en mai 1969, plus d’un an

après l’offensive du Têt. Pour leur part, les Marines ont déployé deux bataillons dans la vallée

du Da Krong au nord-ouest de la vallée de l’A Shau pour mener à bien leur mission : bloquer

les lignes de communication du NVA vers le Laos. De son côté, la 101st Airborne et l’ARVN

100 Ibid., p. 153. 101 Lewis Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes 1968-1972, Lubbock, Texas Tech University Press,

2004, p. xviii. Creighton Abrams était un officier éduqué à West Point qui gradua la même année que

Westmoreland en 1936. Abrams a servi au sein du 4th Armored Division lors de la Deuxième Guerre mondiale.

Le bataillon de char qu’il commandait a souvent constitué l’avant-garde de la 3e Armée du général George S.

Patton. Le char de combat américain M1 Abrams, qui constitue encore le fer de lance des régiments blindés

américains au 21e siècle, a été baptisé en l’honneur du général Creighton Abrams. Nous verrons au chapitre 4

qu’il était un fervent défenseur des principes de contre-insurrection et de guerre hybride.

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ont respectivement déployé quatre bataillons dans la Vallée de l’A Shau avec pour rôle de

sécuriser l’Hill 937 (voir la figure 14).102

Figure 14: Zone d’opération d’APACHE SNOW103

L’importance militaro-tactique et opérationnelle de l’Hill 937 n’était pas négligeable.

Deux bataillons du NVA dominaient le secteur de l’A Shau, entravant ainsi la capacité des

Forces américaines et sud-vietnamiennes à bloquer les points d’accès de la RVN en

provenance du Laos. Une profusion de renforts du VC et du NVA, ainsi que de

l’approvisionnement logistique passaient par le secteur de l’A Shau, ce qui en faisait un

terrain clé pour les unités communistes.104 De plus, les Américains craignaient qu’en laissant

ce terrain stratégique aux mains du NVA, les éléments communistes fortifieraient leur

102 Richard M. Nixon National Security Files, 1969-1974, Vietnam: Subject Files, Section A. Hamburger Hill

(Hill 937), May 21-June 18, 1969/Memorandum for the President, College Park, Richard M. Nixon

Presidential Materials Project, National Archives, Box 67, p. 1. 103 Ibid. 104 Ibid.

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présence militaire dans la région, ce qui pouvait potentiellement faciliter la conduite

d’offensives contre les villes de Hue, Quang Tri et d’autres centres urbains disséminés le

long de la côte.105 Dans ces conditions, l’opération initiée par le MACV pour ravir la zone

aux forces régulières de l’Armée nord-vietnamienne possédait, à tout point de vue, un

caractère militairement justifiable. Les bataillons communistes stationnés sur l'Hill 937

faisaient partie du 29e Régiment du NVA, aussi connu sous le nom de « la fierté d’Ho Chi

Minh ». Les bataillons du NVA y avaient érigé des positions défensives complexes formées

de bunkers fortifiés, de tranchées et de réseaux souterrains faisant office de protection pour

les troupes d’infanterie contre les frappes aériennes américaines.106 Le NVA se trouvait très

avantagé par ses positions défensives positionnées en hauteur au cœur de l’Hill 937 et de la

montagne d’Ap Bia sise au sud d’Hamburger Hill. Cette particularité du système défensif

avantageait les soldats nord-vietnamiens d’un atout tactique inestimable contre un adversaire

forcé de gravir la colline dans le but de la sécuriser. Pour capturer Hamburger Hill, les soldats

de la 101st Airborne allaient devoir sécuriser une succession de places fortes disposées en

hauteur, tout en se faisant marteler par le mortier, les roquettes RPG-2 (rocket-propelled

grenade)107 les mitrailleuses lourdes et les armes légères du 29e Régiment du NVA.

L’offensive a débuté le 9 mai avec un violent tir de barrage de l’artillerie américaine,

succédé d’une cascade de frappes aériennes de l’aviation sur les positions nord-

vietnamiennes. Au cours de cette phase initiale, l’artillerie a pilonné l’Hill 937 d’un total de

21,732 obus. Pour leur part, les chasseurs américains ont effectué 272 sorties et ont lâché

plus d’un million de livres de bombes sur la position, incluant du napalm et des bombes de

type bunker buster. Ce type de bombes était conçu pour exploser quelques secondes après la

pénétration de l’engin dans les bunkers et les tunnels du NVA.108 Lorsque l’infanterie de la

101st Airborne enclencha son offensive le 10 mai, elle s’est vue appuyée par un tir constant

de mortiers et des assauts répétitifs des hélicoptères gunship. Ces forces héliportées ont

également utilisé leurs hauts parleurs pour inciter les soldats du NVA à se rendre, une

105 Kelly Owen Carl Boian, Major General Melvin Zais and Hamburger Hill, Fort Leavenworth, School of

Advanced Military Studies, 2012, p. 27. 106 Ibid. 107 Le RPG-2 est un lance-roquette antichar portatif manufacturé en URSS au cours des années 1950. Son

successeur, le RPG-7, a également été utilisé par les communistes au Vietnam et est encore abondamment

exploité par plusieurs armées et groupes terroristes au 21e siècle. 108 Richard M. Nixon National Security Files, op. cit., p. 2.

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initiative qui est demeurée sans effets sur les soldats ennemis ciblés par cette stratégie. Les

Forces américaines et de l’ARVN entourèrent Hamburger Hill pour l’attaquer sur de

multiples fronts.109 Puis, les éléments américains ont assailli les parties nord, sud et sud-ouest

de la montagne pendant que l’ARVN se ruait à l’assaut des parties sud-est et nord-est.110 De

leur côté, les Nord-Vietnamiens sont parvenus à déployer des renforts en provenance du

Laos, et ce, malgré les opérations d’interdiction des Marines. Lors de leurs assauts, les

Américains et Sud-Vietnamiens se sont vus constamment embusqués par les soldats du NVA

camouflés et tapis dans leurs positions défensives. Les assaillants se faisaient pilonner par

les Ak-47, les grenades et les RPG-2 des forces de défense qui exploitaient également leurs

mortiers. À maintes reprises, il s’est avéré nécessaire de faire appel à de l’appui aérien

supplémentaire venant des hélicoptères et des chasseurs ainsi qu’à des tirs d’artillerie pour

assister l’infanterie américaine et sud-vietnamienne.111

L’escalade était fort difficile pour les Américains forcés de manœuvrer sur le terrain

pentu, embroussaillé d’un fouillis touffu de branches de bambou et d’une végétation

constituée entre autres de hautes pousses d’herbe d’éléphant. Ces obstacles naturels

contribuaient à immobiliser les Américains dont les pertes s’accumulaient rapidement. Au fil

de la bataille, les troupes tentaient de manœuvrer en déployant des ingénieurs chargés de

créer une zone d’atterrissage pour les hélicoptères afin d’évacuer les blessés. Néanmoins,

compte tenu de l’intensité du tir des forces de défense, les ingénieurs devaient subir la perte

d’un équipage lors de leur tentative pour créer cette zone d’atterrissage.112 Lorsque le

momentum et les opportunités s’y prêtaient, les forces du NVA, abandonnant leur statut de

force défensive, entreprenaient d’initier des contre-attaques ayant pour objectif de

déstabiliser les unités américaines. Le matin du 13 mai, une base d’artillerie défendue par

une compagnie d’infanterie américaine s’est faite encerclée par deux bataillons du NVA

109 Ibid., p. 2. 110 Department of the Army Headquarters, XXIV Corps, Combat Operations After Action Report (RCS: MAC

53-32) (KI), 27 August 1969, San Francisco, Department of the Army. 111 Department of the Army Headquarters 2nd Battalion (AM) 501st Airborne Infantry 2nd Brigade 101st

Airborne Division, Combat Operation After Action Report, Operations Apache Snow, 22 June 1969, San

Francisco, Department of the Army, 1969. Voir aussi 22nd Military History Detachment, Narrative of

Operation “Apache Snow” 101st Airborne Division, 1969, p. 4, 6. 112 22nd Military History Detachment, Narrative of Operation “Apache Snow” 101st Airborne Division, 1969,

p. 6-7.

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appuyés par des tirs de mortier et de RPG-2. À la suite de violents combats, les Américains

sont parvenus à repousser les communistes qui ont encaissé la perte de 40 de leurs soldats.

Pour leur part, les Forces américaines ont perdu 22 soldats et ont dénombré 61 blessés, en

plus d’avoir cinq de leurs canons d’artillerie neutralisés.113Cette initiative offensive du NVA

est typique de ce qu’une force militaire conventionnelle cherchera à exécuter lorsqu’elle se

trouve en position défensive. Le statut de défense se doit d’être temporaire; le but consistera

toujours à chercher à ressaisir l’initiative, puis de passer à l’offensive. De plus, en agissant

de la sorte, le NVA a perturbé (bien que légèrement) la capacité des Américains à bénéficier

de l’appui d’une partie de leur artillerie. Le 14 mai, trois compagnies américaines se sont

approchées du complexe défensif d’Ap Gia, puis y ont exécuté une série de manœuvres de

feu et mouvements, renforcés par l’appui de leur artillerie et de l’aviation. Le NVA riposta,

ne ménageant pas son tir et maximisant l’emploi de ses armes automatiques et RPG-2. À

15h00, une des compagnies a rapporté que deux de ses sections avaient atteint le sommet

d’Ap Gia.

Néanmoins, les pertes américaines étaient telles qu’ils n’ont eu d’autre choix que de

se replier pour évacuer leurs blessés. Le 15 mai, les Forces américaines persistaient dans leur

progression pour s’emparer de l’Hill 937 et Ap Gia. Lors de cette journée, toutes les unités

américaines se sont vues confrontées à de très violents contacts avec les forces défensives du

NVA. Les pertes américaines continuant de s’accumuler, une compagnie a dû se résoudre à

demander l’appui aérien d’hélicoptères de combat. Toutefois, mésinterprétant la situation au

sol, les pilotes ont lancé leurs roquettes sur les troupes américaines plutôt que sur le NVA.114

Dans la confusion des combats, ce type d’incident, surnommé « friendly fire » par les

Américains, se produisait malheureusement de façon régulière. Pendant la bataille

d’Hamburger Hill, les hélicoptères de combat américains ont fait feu à cinq occasions sur

leurs propres troupes.115 Pour ralentir la charge américaine, le NVA avait pré-positionné des

mines Claymore116 et des explosifs (pouvant être détonnés à distance) sur les pentes menant

113 Ibid., p. 8-9. 114 Ibid., p. 9-11. 115 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 391. 116 La Claymore est une mine anti-personnel manufacturée aux États-Unis depuis les années 1960. Lors de la

guerre, les communistes créèrent des copies de la Claymore. Cette dernière, détonnée à distance manuellement,

est de forme rectangulaire et contient plusieurs centaines de billes d’acier pouvant être projetées jusqu’à 100

mètres de distance au cœur d’un arc avoisinant les 60 degrés. Cette mine, très utile lors de la conduite

d’embuscades, est encore abondamment utilisée par diverses forces armées au 21e siècle.

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à leurs positions défensives. Pour les Américains, force leur a été de constater à quel point le

système défensif du NVA avait été savamment préparé. Les bunkers nord-vietnamiens

disposés en rangées concentriques maximisaient l’avantage offert par le terrain montagneux

de l’Hill 937. Les troupes américaines éprouvaient également énormément de difficulté à

repérer les bunkers minutieusement camouflés par leurs occupants. À de nombreuses

reprises, le combat prit l’allure d’affrontements au corps à corps et les Américains, payant le

tribut de plusieurs morts et blessés, avançaient de bunker en bunker, infligeant eux-mêmes

des pertes sévères au NVA. Les combats des jours subséquents ont ragé tout aussi

violemment et devaient nécessiter, une fois de plus, le tir constant de l’artillerie et de

l’aviation. Ces bombardements ne paraissaient pas causer souci au NVA qui se catapultait

hors de ses bunkers dès l’accalmie des frappes aériennes et du tir de l’artillerie.117 Le 17 mai,

les Américains s’apprêtaient à saisir le sommet de l’Hill 937. Des compagnies américaines

se sont déployées à l’ouest des retranchements défensifs du NVA pour établir une base de

feu avec du tir de mitrailleuses lourdes et des canons de 90mm. L’assaut du complexe

défensif allait être exécuté par trois autres compagnies américaines de la 101st Airborne.

Fidèles à leurs procédures, les Américains ont fait précéder l’assaut d’un violent

barrage d’artillerie sur les positions du NVA. Des chasseurs circulaient au-dessus du

périmètre, prêts à appuyer les troupes au sol. À peine l’assaut des trois compagnies

enclenchée, le NVA riposta et un échange de tir cacophonique s’ensuivit. Les opérateurs

radios peinaient à communiquer entre eux tellement le vacarme des explosions et des tirs

était assourdissant. Ultimement, les Américains ont fait usage d’obus à gaz lacrymogène afin

de forcer les soldats nord-vietnamiens à évacuer leurs bunkers. La tactique a fonctionné et a

exposé les soldats du NVA aux tirs américains. Les combats se sont poursuivis et les

Américains continuaient à sécuriser la succession de bunkers de l’Hill 937 et d’Ap Gia. Les

troupes d’assaut ont mis à jour de nouveaux complexes de bunkers dont plusieurs s’étaient

affaissés par suite des frappes aériennes. Des dizaines de corps de soldats nord-vietnamiens

gisaient dans les ruines des positions défensives communistes.118 Alors qu’ils sécurisaient le

secteur, les Américains ont découvert la présence de différents types de bunkers. Certains

plus petits, d’une dimension de 4 pieds par 4 pieds, renforcés avec du bois et bordés de

tranchées latérales étaient percés de meurtrières pour faciliter le tir. Ils ont également trouvé

117 22nd Military History Detachment, op. cit., p. 12-13. 118 Ibid., p. 15-16, 19.

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d’autres bunkers plus sophistiqués qui servaient à la fois de complexes défensifs renforcés et

de dortoirs. Le 20 mai, les Forces américaines réussirent à saisir la montagne d’Ap Gia pour

enfin neutraliser ce qui subsistait du 29e Régiment du NVA dans cette zone du périmètre de

bataille. On a recensé un total de 630 corps nord-vietnamiens. La fouille du secteur et les

opérations de poursuite des Américains vers le Laos les ont amenés à découvrir d’autres

bunkers et complexes défensifs qu’ils se sont assurés de détruire. La fouille des secteurs

adjacents a aussi permis de mettre la main sur de larges dépôts d’armes et de munitions.119

Les opérations de search and destroy se sont poursuivies jusqu’au 7 juin, mais, à compter de

ce moment, le NVA paraissait perdre son intérêt dans la poursuite de la bataille et les contacts

sont devenus très sporadiques. Cette même journée, une fois Hamburger Hill sécurisé,

l’Opération APACHE SNOW tira à sa fin.120

Il a fallu un total de 11 jours aux compagnies d’infanterie de la 101st Airborne pour

sécuriser la montagne d’Hamburger Hill, 10 assauts ont été repoussés par le NVA avant que

ses soldats se résignent à abandonner le secteur. Lorsque les Américains ont enfin atteint le

sommet, ils ont trouvé les derniers bunkers désertés; ce qui restait du 29e Régiment du NVA

s’était faufilé à l’arrière de la montagne pour trouver refuge au Laos.121 Plus de 1000 soldats

nord-vietnamiens ont été tués lors de l’opération. Les Américains, pour leur part, ont compté

plus de 500 blessés dans leurs rangs et déploré la mort d’une centaine de soldats. Soixante-

douze de ces soldats ont perdu la vie au moment de la prise d’Hamburger Hill.122 Aussitôt la

montagne sécurisée par les Américains, ces derniers l’ont abandonné et ont redéployé leurs

troupes autre part. Un mois plus tard, sans la moindre interférence, le NVA reprenait

possession d’Hamburger Hill et de ses positions défensives.123

2.1.4. L’introspection des batailles conventionnelles : l’aspect militaro-tactique

L’analyse des opérations CEDAR FALLS, JUNCTION CITY et APACHE SNOW

révèle plusieurs faits tactiques, opérationnels et stratégiques importants. Tout d’abord, ces

opérations ont démontré la nature quasi conventionnelle d’une portion considérable des

opérations militaires communistes au Vietnam. Comme nous en avons fait mention

119 Ibid., p. 23-25. 120 Ibid., p. 27. 121 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 391, 393. 122 Richard M. Nixon National Security Files, op. cit., p. 2. 123 Stanley Karnow, Vietnam A History, New York, Penguin Books, 1985, p. 601.

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précédemment, une quantité d’historiens ont prétendu que la guerre du Vietnam était un

conflit d’insurrection qui nécessitait avant tout de la « contre-guérilla ». Pourtant, en aucune

façon des opérations de contre-guérilla n’auraient préparé les soldats américains à la violence

des combats qu’ils ont rencontré lors de ces trois opérations. De la COIN n’aurait nullement

permis à l’infanterie américaine de sécuriser une série de places fortes défensives qui, en fait

de structure et de complexité, avaient peu à envier aux positions prises d’assaut par les

Marines lors de la guerre du Pacifique. Enfin, des préceptes contre-insurrectionnels

n’auraient nullement aidé l’US Army à repousser les offensives structurées du VC et du NVA

qui ont maximisé l’emploi de doctrines conventionnelles classiques lors de l’attaque des

positions défensives américaines. D’une perspective militaro-opérationnelle, le

commandement américain aurait fait preuve d’un manque de jugement sans précédent s’il

avait décidé d’ignorer ces bases d’opérations afin de se concentrer à pratiquer uniquement de

la contre-insurrection. Un tel cours d’action aurait outrageusement facilité la capacité et la

liberté d’action des unités communistes dans toute la RVN et résulté, à plus d’une occasion,

en une succession d’offensives similaires à celles du Têt ou du mini-Têt. Dans ces conditions,

le MACV se devait de prendre la responsabilité d’initier ces opérations de nature

conventionnelle.

Avant l’offensive sur l’Iron Triangle, le renseignement américain détenait des

informations qui situaient le 272e Régiment VC, les 1er et 7e Bataillon de la Région militaire

4, de même que des bataillons locaux dans la zone d’opération. Ajoutons à cela la présence

des 2e, 3e et 8e Bataillon du 165e Régiment VC. Bien que ces unités aient décidé, pour la

plupart, de ne pas engager le combat contre les Américains, leur seule présence dans le

secteur nécessita la planification et l’exécution d’un plan d’action en respect des bases d’une

doctrine militaire conventionnelle classique. Lors de JUNCTION CITY, la mission des

Américains consistait à localiser et neutraliser le COSVN, protégé par le 101e Régiment du

NVA et la 9e Division VC qui comptait une unité d’élite du Viêt-Cong; le 272 Régiment VC.

D’une part, s’il a été possible pour le renseignement américain de localiser la base

d’opération du COSVN dans la War Zone C, il s’avérait logique et impératif pour le MACV

d’initier une offensive majeure pour chercher à neutraliser le QG du Viêt-Cong. D’autre part,

considérant les unités communistes déployées dans le secteur pour protéger le COSVN,

l’emploi de multiples bataillons d’infanterie, d’artillerie et blindés américains prit tout son

sens. Les doctrines conventionnelles utilisées par l’US Army visant à sceller la zone et

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coincer l’adversaire en tenaille (hammer and anvil) constituaient la meilleure option tactique

offerte pour neutraliser la force hostile opérant dans la War Zone C. Lors d’APACHE

SNOW, plusieurs bataillons du NVA étaient déployés au sein de positions défensives

structurées sur les collines de l’Hill 937 et d’Ap Gia; donc, à cette occasion, il a été tout aussi

fondamental d’exploiter un processus offensif basé sur les préceptes d’une guerre

conventionnelle. Globalement, les forces présentes lors de ces trois opérations ne consistaient

aucunement en de petits groupes d’insurgés locaux opérant au sein d’hameaux ou de villages.

Lors de ces affrontements, les effectifs communistes étaient multiples, motivés, très bien

équipés et leurs dispositifs défensifs construits et conçus pour repousser des assauts

conventionnels de troupes d’infanterie. Les Américains, rappelons-le, ont débusqué et détruit

un total d’environ 1000 bunkers et un réseau souterrain de 525 tunnels dans l’Iron Triangle.

En moins de deux semaines, les Forces américaines avaient déjà localisé neuf kilomètres de

tunnels, 200 bunkers et 500 mètres de tranchées dans ce seul secteur. À l’est de la zone, le

503rd Infantry a fait la découverte d’un camp de base triangulaire mesurant 100 mètres de

chaque côté. À l’intérieur du périmètre, les Américains ont découvert la présence de 55

bunkers, tous interconnectés par des tranchées. Comme pendant la guerre du Pacifique, à

plusieurs occasions, les soldats américains ont dû employer des lance-flammes pour

neutraliser les VC des bunkers.124

Toujours dans l’Iron Triangle, l’USAF et l’artillerie ont bombardé un gigantesque

complexe de bunkers subséquemment sécurisé par l’infanterie qui devait y découvrir un

réseau défensif de bunkers en béton construits au-dessus de trois étages de souterrains

interreliant chacun des bunkers. Des pièges, des obstacles, des explosifs, des mines Claymore

et une force VC équipée d’armes automatiques de haut calibre protégeaient le complexe

défensif.125 Au cœur des bunkers et de leurs positions défensives, les communistes avaient

également à leur disposition des armes antichars, incluant des RPG-2 et des canons sans

recul. À ce dispositif élaboré se rajoutait des mines classiques disposées autour de la position

défensive. Le VC et le NVA ont souvent privilégié le développement de positions défensives

renforcées et complexes pour conduire leurs opérations de défense et de protection de la

force. L’Iron Triangle ne faisait pas exception à cette règle avec sa série de fortifications

124 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 10, 24, 166, 187. 125 Ibid., p. 185.

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sophistiquées construites en béton. Un officier américain qui a participé à l’opération

CEDAR FALLS déclara :

In the Iron Triangle, I have seen reinforced concrete pill boxes with heavy

machineguns mounted on rails. The machinegun could be easily moved on

its tracks to fire from any point along the thirty foot aperture. These

particular positions were also supported by tactical wire and antipersonnel

minefields.126

Cette simple description s’accorde en partie à l’élaboration d’une position défensive

complexe. Plusieurs bunkers fortifiés abritant des mitrailleuses lourdes seront disposés de

manière à immobiliser les attaquants et à les forcer dans une zone d’abattage ou un champ

de mines qui favorisera la neutralisation de l’offensive ennemie. Par sa complexité, sa

disposition et son architecture, le complexe défensif communiste de l’Iron Triangle ne

laissait aucun doute sur le type de combat destiné à y être exploité. Le complexe de l’Hill

937 constituait également un exemple probant de position défensive renforcée conçue pour

de la guerre conventionnelle classique. Nous avons été à même de constater à quel point le

NVA profitait de l’avantage offert par le terrain montagneux d’Hamburger Hill pour ériger

ses positions défensives concentriques. L’Hill 937 et la montagne d’Ap Gia étaient truffés de

bunkers, de places fortes, de tranchées et de réseaux souterrains camouflés qui, par moments,

ont résisté aux frappes aériennes de l’USAF. La disposition du réseau défensif du NVA a

forcé les Américains et Sud-Vietnamiens à effectuer une succession d’assauts frontaux sur

360 degrés autour de la montagne.

Lors de la pratique de guerre conventionnelle, un assaut frontal est une des tactiques

causant le plus de pertes et d’attrition aux forces offensives. Le NVA a maximisé les effets

de cette particularité tactique et conventionnelle par l’élaboration complexe de son système

de défense. Qui plus est, lorsque l’opportunité lui en a été offerte, le NVA n’a pas hésité à

abandonner temporairement son statut de force en défense pour passer à l’offensive dans le

but de neutraliser des pièces d’artillerie américaine. Ces actions de contre-attaque sont

typiques d’une doctrine défensive conventionnelle moderne. À titre comparatif, l’analyse des

confrontations qui ont opposé les Marines aux Japonais dans le Pacifique montre à quel point

la doctrine de défense conventionnelle du NVA et du VC affichait de fortes similitudes avec

celle de l’Armée nipponne. Par exemple, lors de la bataille d’Okinawa, les Marines se sont

126 McCoy, op. cit., p. 189.

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trouvés confrontés aux positions défensives du général Mitsuru Ushijima dont le complexe

défensif était composé de bunkers et d’un réseau de tranchées savamment positionnés. La

disposition en hauteur du secteur défensif donnait sans conteste l’avantage du terrain aux

Japonais qui ont forcé les Marines à initier des assauts frontaux. Les Japonais avaient pris

soin de poser des mines et des obstacles, rendant ainsi les Marines extrêmement vulnérables

aux tirs de mitrailleuses des bunkers ainsi qu’aux tirs d’artillerie d’Ushijima.127 En bref,

APACHE SNOW et CEDAR FALL ont démontré à quel point les éléments de combat

communistes constituaient une force militaire montrant volonté et capacité d’exploiter les

bases d’une doctrine de défense classique. Cette dernière n’était pas en accord avec des

principes de guérilla mais s’apparentait plutôt à une logique de guerre conventionnelle. Un

constat similaire s’impose lorsque l’on analyse JUNCTION CITY et les opérations de nature

offensive du VC lors de la phase 2 de l’opération. Les batailles d’Ap Bau Bang, de Suoi Trei

et d’Ap Gu ont vu les forces communistes exploiter des doctrines offensives qui ne

s’accordaient en rien aux tactiques d’embuscades et de hit and run caractéristiques d’une

guérilla. Lors d’Ap Bau Bang, le VC a confronté les forces d’infanterie mécanisées

américaines en exploitant du mortier et en les attaquant sur de multiples fronts.

Ce faisant, ils ont imité la doctrine classique des Américains consistant à coincer son

adversaire dans un étau (hammer and anvil). Le VC est même allé jusqu’à établir une base

de feu pour appuyer les troupes d’assaut, une tactique militaire classique encore exploitée

aujourd’hui au sein des armées modernes. Lors de la bataille de Suoi Trei, le VC a fait

précéder son assaut d’un barrage massif de tirs de mortier, succédé d’une brillante manœuvre

d’encerclement visant à attaquer l’adversaire sur tous les fronts. À bien des égards, la

disposition des forces et le type d’assaut offensif des communistes à Suoi Trei s’apparentaient

à une version considérablement miniaturisée de la bataille de Khe Sanh lors de l’offensive

du Têt ou de Dien Bien Phu contre les Français. L’encerclement complet d’une force adverse

dans le but de l’annihiler est également une forme d’offensive conventionnelle classique que

l’on retrouvera dans la majorité des livres de doctrines tactiques. Lors de la bataille d’Ap Gu,

le VC a également fait précéder son assaut sur LZ George d’un tir intense de mortier suivi

d’un enchaînement d’assauts et de manœuvres de diversion pour faciliter l’assaut principal à

l’est de la position. À l’image de la bataille de Khe Sanh, la puissance aérienne de l’USAF a

127 Max Hastings, Nemesis The Battle for Japan, 1944-1945, Londres, Harper Perennial, 2007, p. 409.

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empêché le périmètre américain d’être submergé par les assauts répétitifs du Viêt-Cong.

Lorsqu’il s’avère nécessaire pour une force en détresse d’avoir recours à la fois à des

hélicoptères de combat, des chasseurs et des B-52 pour éviter l’annihilation, il est difficile de

concevoir qu’il ne s’agit pas d’un conflit conventionnel. Le même parallèle peut être fait

lorsqu’on analyse la bataille de Khe Sanh au cours de l’offensive du Têt. Non seulement les

Nord-Vietnamiens ont encerclé la base tout en la bombardant au mortier et à l’artillerie, mais

en plus, ils ont effectué des manœuvres classiques de feu et mouvement appuyées par des

chars. Toujours lors du Têt, la prise de la ville de Hue par les régiments NVA et VC a été

rendue possible par le biais d’une manœuvre de double enveloppement qui constitue

également une tactique conventionnelle classique. Ces assauts du NVA et du VC, savamment

planifiés, ont montré que les unités communistes possédaient la capacité d’exploiter leur

infanterie à l’échelle régimentaire lors d’opérations offensives complexes, tout en

coordonnant leurs assauts avec l’appui de chars et du tir indirect de leur mortier et de leur

artillerie. Ces doctrines tactiques offensives sont enseignées à l’Académie militaire de West

Point et s’accordent aux préceptes généraux de guerre conventionnelle conceptualisés par les

Allemands avant l’éclosion de la Blitzkrieg pendant la Deuxième Guerre mondiale.128

Tout ce qui a fait défaut aux Nord-Vietnamiens pour miroiter les doctrines

conventionnelles de leur adversaire américain était une aviation capable d’appuyer leurs

troupes au sol et des hélicoptères. L’ensemble des batailles décrites précédemment ne

constitue qu’un fragment de la totalité des affrontements majeurs des Forces militaires

américaines contre le VC et le NVA au Vietnam. Des situations similaires à celles décrites

ci-haut ont été légion. Nous avons pu constater à quel point les unités militaires américaines

se sont montrées dépendantes de leur artillerie et de leur puissance aérienne pour survivre

aux initiatives offensives du VC et du NVA. Les Américains ont rapidement compris que

l’aspect conventionnel de la guerre ne pouvait être négligé. À cet effet, la première

confrontation qui a opposé l’US Army aux troupes régulières de l’Armée nord-vietnamienne

a été la bataille de la Vallée de Ia Drang. Ce premier contact violent avec le NVA devait

rapidement faire comprendre aux leaders du MACV qu’ils se trouvaient confrontés à une

128 Pour de plus amples renseignements sur les préceptes doctrinaux allemands et l’origine des doctrines

conventionnelles modernes combinant feu, mouvement, artillerie, blindés et infanterie, il est recommandé de

lire le Truppenführung.

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armée conventionnelle professionnelle apte à rivaliser avec leurs unités de combat. La

bataille de la Vallée de Ia Drang qui a eu lieu à la mi-novembre de 1965, opposa un bataillon

de 450 soldats du 7th Cavalry à une force de 3000 soldats réguliers du NVA.129 Malgré de

continuels tirs de barrages d’artillerie, les compagnies du 7th Cavalry n’ont pas tardé à être

encerclées et quasi submergées par l’infanterie du NVA. Harold Moore, le colonel

commandant du bataillon, n’a eu d’autres alternatives que d’ordonner à son opérateur radio

de transmettre le code Broken Arrow » au QG américain. Ce code signifie qu’une unité

américaine est sur le point d’être annihilée et que tous les éléments aériens doivent

abandonner leur mission originale pour porter assistance à l’unité en détresse.130 Le 7th

Cavalry a survécu au NVA grâce aux bombes et au napalm largués sur leurs positions ce

jour-là. La bataille de Ia Drang a clairement démontré dès le départ aux Américains le genre

de combat que s’apprêtait à lui offrir le NVA. Les combats subséquents à ceux de Ia Drang

n’ont différé en rien, ce qui justifie l’adoption du concept d’opération du MACV. Toutefois,

ce concept d’opération a dû s’accomplir en prenant en considération les facteurs militaro-

hybrides de la guerre.

Bien que justifiées, les opérations militaires conventionnelles ne s’accordaient pas

toutes aux opérations de contre-insurrection et d’interdiction. Ces dernières recelaient la

même importance si les Américains espéraient stabiliser la RVN et éliminer l’influence des

communistes dans les secteurs ruraux. Dans le chapitre 1, nous avons pu voir à quel point il

était important pour les forces de sécurité de laisser des troupes statiques au sein des secteurs

sécurisés par les forces mobiles. Il s’agit là des deux premières phases de la doctrine contre-

insurrectionnelle de Galula. Thompson insistait aussi à maintes reprises sur l’importance de

« sécuriser et tenir » le secteur clé pour empêcher le retour des insurgés. Le général McGarr

qui commandait le MAAG s’accorda très bien à la doctrine de Thompson et du BRIAM qu’il

a aidé à appliquer avec les hameaux stratégiques. Westmoreland lui-même comprenait la

nécessité de laisser des troupes statiques pour couper la population des insurgés après qu’un

secteur ait été sécurisé par les forces conventionnelles. Les directives et les phases

opérationnelles du MACV exposées précédemment ne laissent aucun doute sur la vision du

général américain en cette matière. Néanmoins, les Américains semblent avoir expérimenté

129 Matthew S. Muehlbauer et David J Ulbrich, Ways of War, New York, Routledge, 2014, p. 463-464. 130 Harold G. Moore et Joseph L. Galloway, We Were Soldiers Once…And Young, New York, Harper

Perennial, 1992, p. 8.

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énormément de difficulté à appliquer sur le terrain ce qu’ils préconisaient dans leurs

directives et leur concept d’opération. CEDAR FALL reflète un bon exemple du problème.

L’Iron Triangle était une base d’opération névralgique pour le Viêt-Cong. En plus d’abriter

un complexe défensif pouvant accueillir plusieurs bataillons du VC, le secteur constituait une

base logistique majeure pour les communistes; on y a confisqué des milliers de tonnes de riz

en plus des armes et des munitions saisies par les Américains. Plutôt que de déployer une

garnison permanente avec les villageois préalablement évacués dans l’Iron Triangle, le

MACV a décidé d’abandonner le secteur qui est devenu un tremplin pour l’offensive du Têt.

Les dirigeants militaires américains croyaient que faire de l’Iron Triangle une zone de

bombardement sans restriction (free fire zone) éloignerait le VC du périmètre. Pourtant, les

troupes communistes ne devaient pas tarder à réoccuper leurs positions défensives ainsi que

le village de Ben Suc et ses nombreux tunnels. Malgré une opération militaire de grande

envergure dans l’Iron Triangle, les communistes ont pu continuer à bénéficier de leur base

d’opération, un facteur qui a facilité la continuité des opérations insurgées dans III Corps.

CEDAR FALLS s’est déroulé en 1967; quelques années d’expérience auraient pu

laisser croire que les Américains auraient appris de leurs erreurs le moment venu d’exécuter

les opérations subséquentes aux offensives de search and destroy. Mais il n’en fut rien.

L’Opération APACHE SNOW conduite en 1969 a connu un dénouement identique avec

l’abandon d’un terrain clé par les Forces américaines. En ne laissant ni garnison, ni base

d’opération avancée pour garder le secteur sécurisé, la porte demeurait grande ouverte au

NVA qui, sans difficulté aucune, se repositionna dans son complexe défensif. Aux États-

Unis, on a sévèrement pointé du doigt les dirigeants militaires américains; le Sénateur

démocrate du Massachusetts, Edward Kennedy, ne ménagea pas ses critiques en qualifiant

l’opération de « folie ».131 Néanmoins, le MACV s’est défendu d’avoir ordonné la prise

d’Hamburger Hill. Le commandant de la 101st Airborne, le général Melvin Zais, a précisé

que l’Hill 937 s’insérait dans sa zone d’opération, et qu’il était de son devoir de l’attaquer, là

où l’ennemi se trouvait. Dans un rapport post-opération, le général Zais souligne:

It is true that Hill 937, as a particular piece of terrain, was of no tactical

significance. However, the fact that the enemy force was located there was

of prime significance. While Allied forces were not oriented on terrain and

131 Lewy, op. cit., p. 144-145.

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had no mission to seize and hold any particular hill…the enemy had to be

engaged where he was found if the mission was to be accomplished.132

Le général Zais rajouta qu’il était insensé de patrouiller la Vallée de l’A Shau et de

simplement ignorer l’Hill 937. À cet effet, le général précise: « If we just sit, they try to

overrun us. They’d kill us. It’s just a myth that we can pull back and be quiet and everything

will settle down ».133 Tactiquement parlé, le général Zais a très bien résumé la situation et a

raisonné les critiques qui ne comprenaient pas encore à quel adversaire les États-Unis étaient

confrontés. Dans les faits, la prise d’une position défensive comme celle de l’Hill 937 aurait

eu le potentiel de causer beaucoup plus de victimes américaines sans l’appui aérien et

d’artillerie apporté par les chasseurs et les artilleurs américains. On ne peut comparer en rien

la prise d’Hamburger Hill aux événements qui se sont passés lors des batailles de Guadalcanal

et d’Iwo Jima dans le Pacifique. Ces affrontements ont respectivement coûté la vie à plus de

7000 et 6800 Marines. Même en termes de proportions (effectifs en place), les pertes

américaines encaissées lors de ces deux batailles surpassent Hamburger Hill. Néanmoins, la

population américaine était saturée des images non censurées montrant l’agonie des soldats

morts et blessés sur l’Hill 937. Quelle aurait été la réaction du public américain s’il avait été

exposé aux images non censurées des batailles de Guadalcanal et d’Iwo Jima?

L’effet médiatique moderne a joué gros sur la pression exercée sur les dirigeants

militaires américains au cours des années 1960. Pour sa part, la Vallée de l’A Shau était un

terrain géographiquement et militairement stratégique. À cet effet, le général Zais se trompait

(ou omit de le souligner) lorsqu’il a prétendu que l’Hill 937 ne représentait aucune valeur

tactique. Par cette déclaration, il est possible que le général américain cherchait à défendre le

redéploiement de ses parachutistes de la 101st Airborne à l’extérieur de la Vallée de l’A Shau

après la bataille. Ce cours d’action a constitué une grossière erreur tactique qui devait entraîner

d’importantes répercussions opérationnelles avec l’inévitable retour du NVA dans la zone. La

raison fondamentale derrière l’enclenchement de l’opération, rappelons-le, était de scinder les

lignes de communication du NVA qui transitait sur l’Hill 937 afin de passer du Laos à la RVN.

De là, les éléments communistes pouvaient projeter leurs forces et leur logistique militaire

dans l’ensemble d’I Corps.

132 Ibid., p. 145. 133 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 393.

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Dans cette optique, Hamburger Hill représentait incontestablement un terrain clé, voire

une zone vitale et devait non seulement être sécurisé, mais également occupé en permanence

par les Forces américaines ou sud-vietnamiennes. En abandonnant le secteur, les Américains

ont contribué à leurs propres malheurs et facilité le concept d’opération hybride des

communistes. La prise de terrains clés ou de zones jugées vitales revêt un caractère essentiel

lors d’un conflit militaire, qu’il soit conventionnel ou insurrectionnel. L’un des défauts les

plus criants de la stratégie du MACV a été de ne pas accorder d’importance à ces fameux

terrains clés et zones vitales. Mais le problème n’en restait pas là. L’accès aux sanctuaires du

Cambodge et du Laos ont rendu futiles les victoires américaines d’APACHE SNOW, CEDAR

FALLS et JUNCTION CITY. Les troupes survivantes du NVA localisées au sommet

d’Hamburger Hill ont réussi à déjouer les Marines chargés d’empêcher leur retraite et ont pu

regagner leur havre de sécurité dans la campagne laotienne. Lorsque le MACV a lancé son

offensive sur l’Iron Triangle lors de l’Opération CEDAR FALLS, les VC, minimisant leurs

contacts avec les Forces américaines, se sont repliés dans leurs bases d’opération au

Cambodge. Lors de l’Opération JUNCTION CITY, le COSVN s’est redéployé au Cambodge

pendant que ses régiments viêt-cong retardaient, par le biais d’assauts répétés, la progression

des Américains dans le secteur de la War Zone C.

Cette tendance à fuir la RVN lorsque les communistes rompaient le contact avec les

Américains connut son origine dès la première bataille entre forces régulières :

immédiatement après la fin du premier affrontement entre le NVA et l’US Army dans la

Vallée de Ia Drang, les soldats nord-vietnamiens sont allés se réfugier au Cambodge.134 Nous

avons évoqué dans le chapitre 1 l’incapacité des Américains à provoquer la dislocation de la

structure synergique du système hybride des communistes. Les forces conventionnelles du

NVA ainsi que l’accès aux bases de ravitaillement et de logistique au Laos et au Cambodge

forment deux des trois sous-systèmes. En n’interdisant pas l’accès de leurs bases de

ravitaillement aux communistes, les batailles d’Hamburger Hill, de l’Iron Triangle, de la War

Zone C et de la Vallée de Ia Drang ont constitué des coups d’épée dans l’eau. S’accrocher à

ce concept d’opération a entraîné le MACV dans une spirale continue qui était destinée à

générer une succession de batailles ne menant à rien. Si les bases d’opération localisées à

l’extérieur de la RVN étaient devenues inaccessibles aux forces communistes, des opérations

134 Lewy, op. cit., p. 57.

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telles que CEDAR FALLS, JUNCTION CITY et APACHE SNOW auraient entraîné des

répercussions catastrophiques pour les forces communistes en leur bloquant toute

échappatoire. En fait, en interdisant les bases d’opération communistes au Laos et au

Cambodge, il est fort probable que les opérations susmentionnées n’auraient jamais été

enclenchées compte tenu que l’accès à la République du Vietnam, au NVA et aux renforts du

VC, serait devenu sévèrement limité. Ainsi coincées, les dizaines de milliers de troupes

communistes déjà déployées dans la RVN se seraient vues acculées et contraintes de

combattre jusqu’à la fin. L’obstruction de la Piste Ho Chi Minh aurait sévèrement entravé le

réseau logistique et le réapprovisionnement des communistes dans la RVN. Les tentatives

américaines pour enrayer ce sous-système seront décrites avec détails au chapitre 5. Nous

pouvons néanmoins d’ores et déjà constater l’effet opérationnel et tactique résultant de l’accès

des unités communistes aux bases de ravitaillement du Laos et du Cambodge. Le NVA et le

VC ont sabordé le concept de search and destroy du MACV. La chimie ininterrompue des

régiments de l’Armée nord-vietnamienne avec ses bases de réapprovisionnement a eu pour

ultime conséquence l’échec des Américains à isoler et neutraliser le sous-système

conventionnel de la machine de guerre hybride communiste.

2.2. L’équilibre et la synchronisation des opérations conventionnelles et contre-

insurrectionnelles

Bien qu’elles soient nécessaires, les manœuvres conventionnelles de search and

destroy ne pouvaient s’effectuer indépendamment des opérations de contre-insurrection,

notamment lorsque le terrain abritait de la population civile. Précédemment, nous avons été

à même de constater que le concept d’opération du général Westmoreland accordait une place

prépondérante aux opérations de pacification. Néanmoins, le MACV a éprouvé énormément

de difficulté à concilier opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.

L’Opération CEDAR FALLS apporte un bref aperçu du traitement réservé aux civils le

moment venu de sécuriser une base d’opération du Viêt-Cong. La population évacuée du

périmètre était envoyée dans des secteurs de relocalisation n’ayant rien de semblable aux

hameaux stratégiques de 1963. La stratégie visant à évacuer les civils d’une zone hostile

pour, ultimement, en faire une zone de tir sans restriction devait rapidement devenir très

contre-productive. Tout au long du conflit, ce modus operandi a forcé le déplacement de

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200,000 à 400,000 villageois.135 Plusieurs d’entre eux n’étant pas en mesure de s’installer

dans un camp de relocalisation se sont vus déplacés dans les villes côtières, à l’est du pays.

Ce rapatriement constituait pour le VC un excellent moyen d’infiltrer les villes. De plus,

l’évacuation des civils loin des zones de bombardements faisait office d’une excellente

source d’indication pour le VC qui pouvait prédéterminer au fil des migrations de la

population où et quand les Américains prévoyaient lancer leurs prochaines opérations

offensives.136 Pour espérer contrer à la fois les opérations conventionnelles et

insurrectionnelles des communistes, le MACV devait chercher à trouver un juste équilibre

dans la conduite de ses opérations au sein des quatre Corps. Dans son étude intitulée

Westmoreland’s War, Gregory Daddis, souligne bien cette particularité. Pour que les efforts

de pacification américaine soient un succès, il aurait fallu que le MACV « équilibre son

approche » lors de sa gestion des problèmes politiques (COIN) et militaires (conventionnel).

Le problème devait faire surface dès 1965 alors que l’Ambassade américaine à Saigon

déplorait « l’efficacité limitée des programmes de pacification » à la suite d’opérations

conventionnelles.

Toujours selon le rapport de l’Ambassade, cette contre-productivité constituait une

des « causes majeures » de l’absence de progrès avec la contre-insurrection.137 Il était très

ardu de concilier les deux types d’opérations et même les Marines ont rencontré des

difficultés au début du conflit. Citons l’exemple du village de Cam Ne, un complexe de six

hameaux localisés au sud-ouest de la base de Danang, où une compagnie d’infanterie

renforcée des Marines a été déployée pour exécuter une mission de search and destroy. Ce

secteur se trouvait depuis longtemps sous le contrôle du VC qui avait renforcé la défense du

village avec des tranchées, des réseaux souterrains, des mines et des pièges. Au cours d’une

tentative d’approche, les Marines ont été la cible d’un tir nourri d’armes automatiques en

provenance du village, ce qui a coûté la vie à trois Américains et en blessa quatre autres.138

Après un violent échange de tirs, les insurgés localisés dans les hameaux se sont repliés. Les

Marines ont sécurisé le village dont plusieurs huttes avaient pris feu pendant les hostilités.

Une fois les villageois rassemblés, les Marines ont incendié ou fait exploser les huttes

135 James Westheider, op. cit., p. 235. 136 Ibid. 137 Gregory A. Daddis, Westmoreland’s War, New York, Oxford University Press, 2014, p. 12. 138 Lewy, op. cit., p. 52.

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rescapées de l’incendie pour bloquer l’accès aux tunnels et aux réseaux souterrains. Dans une

des huttes utilisées comme poste de tir par le VC, les Marines ont découvert le cadavre d’un

enfant de 10 ans. Beaucoup de civils ont également été blessés lors du combat.139 Tel que

spécifié par l’auteur Guenter Lewy dans America in Vietnam, ce type d’opération de search

and destroy revêtait un caractère « typique » et s’est répété à maintes reprises pendant le

conflit. Une fois le VC implanté dans un village, il ne tardait pas à l’ériger en place fortifiée.

En conséquence, lorsque des combats s’ensuivaient, les civils se retrouvaient coincés au beau

milieu des échanges de tirs entre unités américaines et viêt-cong.140 L’incident de Cam Ne

s’est également vu empiré par un reportage de CBS, exemple typique de la désinformation

trop fréquente pratiquée par plusieurs médias au Vietnam. Morley Safer, un journaliste de

CBS sur place, a fait passer à l’antenne les images des Marines brûlant le village sans faire

aucune référence aux combats qui venaient tout juste de s’y dérouler.

Le journaliste n’a pas plus fait mention de l’embuscade du VC, des morts américains

ni du complexe défensif des insurgés niché au cœur du village de Cam Ne. Il rapporta plutôt

à tort que le VC avait quitté le village « depuis longtemps », que les Marines avaient reçu

l’ordre d’incendier le village et qu’ils ont tué un bébé. Il a ensuite fait porter la caméra sur

les femmes et les enfants en pleurs et devait déclarer: « This is what the war in Vietnam is all

about ». Ce reportage a profondément choqué les gens aux États-Unis et des groupes

pacifistes, comme le Students for a Democratic Society, n’ont pas tardé à comparer les

Marines aux Nazis.141 Il est intéressant de noter qu’un journaliste du Daily News de Chicago,

Keyes Beech, un vétéran militaire de la Deuxième Guerre mondiale, également présent lors

de la bataille de Cam Ne, a confirmé que les Marines s’étaient vus embusqués par des tirs

automatiques en provenance du village qui abritait une centaine de Viêt-Cong. CBS News

n’en a fait nulle mention, escamotant le témoignage de Beech.142 Ce type de reportage de

139 Ibid., p. 52-53. 140 Ibid., p. 53. 141 Coram, op. cit., p. 298-299. Safer était un des premiers journalistes à marquer la communauté américaine

avec son controversé reportage. Malgré le témoignage des Marines et d’un autre journaliste également sur place

(Keyes Beech) qui allait complètement à l’encontre des faits rapportés dans le reportage de Safer, CBS endossa

l’histoire de son journaliste. Tout juste avant l’incident de Cam Ne, Safer a été observé à la base de Danang

passant d’une unité à l’autre cherchant spécifiquement à se joindre à un groupe de Marines se préparant à

effectuer une mission de search and destroy. Son reportage a outragé les Marines qui ont participé au raid de

Cam Ne, de même que le Président Johnson à Washington. 142 Ibid., p. 299.

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CBS donnait aux opérations de search and destroy une image excessivement négative qui

devait devenir un réel apport à la guerre de l’information des dirigeants communistes. Bien

qu’éthiquement très déplorable de Morley Safer, le problème originel résidait dans la

présence du VC dans le village de Cam Ne. Bien qu’ils en aient été chassés par les Marines,

rien ne faisait obstacle à leur éventuel retour au sein des hameaux. Si les directives du MAVC

avaient été appliquées à la lettre, des forces paramilitaires auraient été installées dans le

village pour le garder mais ce ne fut pas le cas. Une fois celui-ci sécurisé, les Marines n’y

ont pas laissé de troupes pour freiner le retour des insurgés, procéder à une reconstruction et

gagner l’appui de la population civile. Lewy a souligné que les évènements de Cam Ne ont

exposé la « réalité de la guerre de contre-insurrection au Vietnam et les difficultés

rencontrées » le moment venu de faire comprendre au public américain la vraie nature de ce

conflit ».143 Pour sa part, le reportage de Safer n’a rien fait pour arranger la situation. Lewy

associe le manque de sécurité dans les secteurs ruraux comme ceux de Cam Ne aux

déploiements des troupes américaines dans les secteurs isolés pour exécuter les opérations

de search and destroy. Il soulève que ces opérations apportaient très peu de bénéfices à la

sécurité des secteurs peuplés.144

Andrew Krepinevich, Max Boot, Lewis Sorley et de nombreux autres auteurs sont

arrivés à la même conclusion. Le constat de ces auteurs ne prend pas en compte toutes les

variables : il est vrai qu’il s’avérait désavantageux de ne pas laisser plus de troupes statiques

demeurer dans les secteurs ruraux pour assurer la pacification des zones peuplées.

Néanmoins, ces auteurs ne prennent pas en compte les capacités militaires conventionnelles

du NVA ni les larges formations du VC. Nous l’avons mentionné précédemment; si les

troupes américaines auraient suivi à la lettre le plan original proposé par les généraux des

Marines désireux de faire exclusivement de la pacification, les secteurs ruraux se seraient

rapidement fait submerger par des divisions entières de forces communistes. Cette

dynamique sera exposée davantage au sein du prochain chapitre avec les Combined Action

Platoons qui excellaient pour les opérations de COIN mais ont fait montre d’une extrême

vulnérabilité lorsqu’ils étaient confrontés à des assauts conventionnels. À cet effet, il a été

démontré à quel point le NVA et le VC ont fait la preuve de leur compétence et de leur

professionnalisme en matière de guerre conventionnelle. Nous avons également pu constater

143 Lewy, op. cit., p. 53. 144 Ibid.

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l’ampleur des dépôts logistiques à l’intérieur des bases d’opérations communistes. Ces bases

et cet approvisionnement logistique constituaient tout ce dont le NVA et le VC avaient besoin

pour projeter leurs forces régulières à l’intérieur de la RVN. Cette situation, combinée à celle

de Cam Ne et de multiples autres villages, expose l’importance vitale pour les Forces

américaines et sud-vietnamiennes d’exploiter de manière synchronisée les opérations

conventionnelles et contre-insurrectionnelles. L’emploi combiné de forces paramilitaires et

de CAP montrera dans le chapitre 3 à quel point il était possible d’éviter des incidents comme

ceux de Cam Ne. Le degré de sécurité, de reconnaissance et d’appréciation de la population

dans les Combined Action Platoons étaient tels qu’il aurait été très difficile pour un Morley

Safer de pondre une histoire falsifiée comme celle de Cam Ne. Nous constaterons comment

les villageois appréciaient la présence des Marines au sein des CAP. Toutefois, l’ensemble

du théâtre d’opération ne reflétait pas partout les effets bénéfiques générés par les Combined

Action Platoons. Les Américains ne cessaient de sécuriser et de sécuriser à nouveau plusieurs

secteurs, compte tenu qu’ils avaient négligé auparavant de laisser suffisamment de forces

statiques pour empêcher le retour des insurgés.

La province de Binh Dinh dans II Corps constitue un bel exemple du problème. Afin

de déloger le VC d’un secteur particulier, le MACV a initié en 1966 les Opérations MASHER

(plus tard rebaptisée WHITE WING) et THAYER I/IRVING.145 Ces actions offensives ont

joint des unités américaines, sud-coréennes et l’ARVN. Lors de ces combats, le 1st Cavalry

Division a confronté le Viêt-Cong dans une succession d’opérations de search and destroy

d’une durée de six semaines. Comme à Cam Ne, plusieurs villages métamorphosés en

complexes défensifs VC ont été évacués et détruits. Après avoir sécurisé un secteur dans la

Vallée d’An Lao, les Américains ont avisé la population locale qu’aucune force militaire ne

demeurerait sur place pour leur protection. Néanmoins, ils ont offert aux villageois désireux

de quitter la zone de les relocaliser dans un secteur contrôlé par le GVN. Des 8000 habitants

du secteur, 4500 ayant opté pour quitter les lieux se sont vus escortés par les Américains qui

les ont évacués à bord de leurs hélicoptères.146

145 Ibid. 146 Headquarters Department of the Army Office of the Adjutant General/HQ 1st Cavalry Division, Operation

Report Lessons Learned Report 2-66, 11 March 1966 U.S. Armed Forces in Vietnam, Part 3, Vietnam:

Reports of US Army Operations, Washington D.C. U.S. Army Center for Military History, ProQuest Folder:

003229-001-0075, p. 2.

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151

Bien qu’il soit bénéfique de vouloir évacuer la population de la zone si aucune force

statique ne devait rester sur place, 3500 personnes sont tout de même demeurées dans le

village. À la suite du départ des Américains, le VC n’aurait aucune difficulté à réoccuper les

villages de la Vallée d’An Lao et d’exploiter la population qui avait fait le choix de demeurer

dans les hameaux. Un rapport post-opération de MASHER/WHITE WING se targue d’avoir

libéré 140,000 paysans sud-vietnamiens qui sont retombés sous le contrôle du Gouvernement

sud-vietnamien. Le rapport rajoute que tout semblait indiquer que le GVN « avait

l’intention de rétablir un gouvernement civil » dans cette région.147 Il est clair que la

coordination des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles faisait cruellement

défaut lors de cette opération. Abandonner près de la moitié de la population d’un secteur à

l’influence du VC après avoir sécurisé une vallée entière était contraire à toute logique

contre-insurrectionnelle. De plus, ne pas assurer le déploiement immédiat de forces statiques

et d’éléments gouvernementaux pour rétablir la sécurité civile dans les secteurs d’opération

de MASHER/WHITE WING pour donner suite aux combats était une pratique des plus

contre-productive.

Ce procédé n’était en aucun point conforme au concept d’opération établi par

Westmoreland en 1965 et tend à expliquer pourquoi les secteurs sécurisés par les Américains

devaient constamment être sécurisés de nouveau. Bien que les opérations aient entrainé

l’élimination de cinq bataillons communistes dans la Province de Binh Dinh, la sûreté rurale

demeura problématique. En 1966, le GVN n’avait ni les forces ni les capacités requises pour

amorcer les opérations de pacification destinées à succéder aux opérations conventionnelles

américaines.148 Pour remédier au problème, on a éventuellement conçu le CORDS mais

l’organisation n’est pas devenue complètement opérationnelle avant 1967. L’Opération

MASHER/WHITE WING n’est qu’un exemple du problème qu’à fait naître le manque de

synchronisation des opérations : les Opérations MALHEUR et MALHEUR II ont également

démontré le manque total d’équilibre et de symbiose entre les initiatives conventionnelles et

contre-insurrectionnelles des Américains. MALHEUR était une autre opération de search

and destroy qui a eu lieu dans le district de Duc Pho (province de Quang Ngai) en mai 1967.

147 Ibid., p. 3 148 Lewy, op. cit., p. 57-58.

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MALHEUR était en fait l’une de 15 opérations de search and destroy similaires initiées par

le III MAF et l’U.S. Army dans I Corps149 (voir figure 15).

Figure 15: Opérations majeures de search and destroy du III MAF, Juin 1967150

La surabondance d’activités des communistes dans I Corps au printemps de 1967 incita le

MACV à y déployer Task Force Oregon, formé d’un total de neuf bataillons de l’US Army,

pour y assister les Marines normalement responsables de ce Corps. Ceci devait permettre aux

Marines d’effectuer une série d’autres opérations au nord d’I Corps (voir figure 15).151 Lors

de MALHEUR, des éléments appartenant à la 101st Airborne Division, à la 25th Infantry

149 Records of the U.S. Marine Corps in the Vietnam War, Operations of U.S. Marine Forces, Vietnam, June

1967, Jun 01, 1967 - Jun 30, 1967, Washington, D.C., U.S. Marine Corps Historical Center, ProQuest Folder:

003214-003-0599, p. 24-25. 150 Ibid., p. 25. 151 Records of the U.S. Marine Corps in the Vietnam War, Part 1, Fleet Marine Force, Pacific Command

Histories, 1964-1973, Operations of U.S. Marine Forces, Vietnam, May 1967. Washington D.C., U.S. Marine

Corps Historical Center, ProQuest Folder: 003214-003-0523, p. 7.

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Division et à la 196th Light Infantry Brigade ont initié des opérations de search and destroy

qui bénéficiaient d’un appui accru des forces aériennes et des canons à haut calibre des

navires de l’US Navy. Près de 400 VC ont été tués, 64 autres capturés. De leur côté, les

Américains ont déploré la mort de 51 soldats.152 Initié le mois de juin suivant, MALHEUR

II a été militairement encore plus productif avec la mort de 488 soldats du NVA et du VC

contre 30 morts américains.153 Ces victoires ont été remportées à un prix fort élevé pour la

paysannerie sud-vietnamienne : l’utilisation extensive d’artillerie navale, de bombes et de

napalm ont eu comme résultat de tuer de nombreux civils et ont causé d’importants

dommages aux secteurs ruraux. Pour tenter de séparer la population des insurgés, les

Américains ont initié des opérations psychologiques qui n’ont pas eu les effets escomptés.

Préalablement aux opérations MALHEUR et MALHEUR II, l’aviation américaine a largué

23 millions de tracts aux paysans. Ces feuillets de propagande exposaient aux villageois

« l’hypocrisie » du VC qui prétendait se soucier de leur bien-être tout en n’hésitant point à

installer ses positions défensives au cœur même des villages. Les tracts accusaient

notamment les VC de lâcheté devant leur refus « d’affronter les forces gouvernementales sur

le champ de bataille » de même que leur tendance à préférer « exploiter des femmes et des

enfants comme boucliers humains ».

Les tracts cherchaient également à inciter les villageois à « refuser les demandes du

VC » et à exprimer aux insurgés leur désir qu’ils aillent plutôt combattre à l’extérieur des

villages. Ces initiatives de guerre psychologique ne devaient connaitre aucun succès.154 Là

n’était pas la façon de séparer la population des insurgés ni d’initier des opérations

psychologiques. Le VC était reconnu pour exploiter des techniques de coercition inhumaines

contre les villageois qui refusaient de se plier à leurs exigences. Bien que l’essai n’ait rien

couté, il était très naïf de la part des Américains d’imaginer que le VC allait simplement plier

bagage parce que les villageois le leur demandaient. Cette manœuvre aurait dépourvu

l’infanterie du Viêt-Cong de sa source de survie et de sa protection en plus d’équivaloir à

demander à l’infanterie américaine de combattre sans son artillerie et son aviation. Bien qu’il

s’agisse d’opérations militaires très délicates, il fallait sécuriser les secteurs ruraux et les

152 Ibid., p. 26. 153 Headquarters Department of the Army, MACOI 1967 Wrap-Up A Year of Progress, Washington D.C.,

U.S. Army Military Institute, p. 21. 154 Lewy, op. cit., p. 69-70.

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villages en minimisant les dommages aux infrastructures civiles, un fait sur lequel Robert

Thompson et David Galula ont insisté à maintes reprises. Pourtant, en 1962, le MAAG

produit un rapport introspectif qui devait résulter sur le développement de procédures très

précises le moment venu de sécuriser un village. Mis à part les Marines dans I Corps, ces

procédures ont rarement été respectées lors des opérations de search and destroy. D’abord,

le rapport soulignait qu’il fallait déployer un cordon et des forces de blocage autour du village

pour empêcher la retraite des insurgés qui y opéraient.155 L’analyse de multiples rapports

post-opération démontrent que le VC parvenait presque toujours à s’éclipser lors de la prise

d’un village, détail qui trahissait un manque d’effectifs pour effectuer les cordons ou un

déploiement inadéquat des unités américaines autour du village. La phase subséquente

consistait à déployer les troupes d’assaut pour sécuriser le village. Le rapport du MAAG

spécifie qu’on devait effectuer cette démarche avec prudence car la population civile se

trouvait dans le village. Les troupes d’assaut devaient approcher préférablement dans un

rayon de 360 degrés ou à tout le moins, via les accès principaux au village. Les équipes

d’assauts avaient pour consigne de sécuriser le village de façon systématique, hutte par hutte.

Tout Viêt-Cong repéré lors de la sécurisation du village devait être éliminé.156

Les opérations décrites précédemment démontrent à quel point les Forces américaines

ont eu recours à l’artillerie et aux bombardements aussitôt qu’ils étaient engagés dans un

contact contre le VC. En installant leurs positions défensives à l’intérieur des villages, les

Viêt-Cong portaient une grande part de responsabilité en lien avec la mort de civils.

Néanmoins, l’emploi d’artillerie et de bombardements par les Américains devait causer

énormément de pertes au sein de la population. Bien qu’extrêmement dangereux, il était du

devoir des unités américaines de sécuriser les villages en minimisant leur puissance de feu et

en maximisant les principes de combat urbain classique. Ces préceptes visent à sécuriser une

zone bâtie en fouillant chaque maison, tout en exploitant des manœuvres de tirs de couverture

d’armes légères couplées de tactiques de feu et mouvement, si confrontés à une force hostile

dans le village. Bien que les bataillons américains aient semblé utiliser des bribes de cette

technique, ils se sont montrés beaucoup trop dépendants de leur aviation et de leur artillerie.

155 Papers of William C. Westmoreland, #1 (History Backup) 30 Mar 62 – Nov 63 [II] Lessons Learned

Number 25, 13 November 1962, College Park, National Archives, NND 596610, RG# 319, Entry UD 1143,

Box 38. 156 Ibid., p. 6.

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155

On convient que de telles armes aient épargné la vie de nombreux soldats américains. En

revanche, elles ont causé la mort de nombreux villageois sud-vietnamiens. Une fois le village

sécurisé, les Américains adoptaient la fâcheuse habitude de quitter la zone habitée. Cette

tendance a entraîné les résultats que l’on connaît avec l’inévitable retour du VC et du NVA

dans les secteurs. À la suite des opérations MALHEUR, aucune troupe ne devait demeurer

sur place; les Américains ont évacué 8885 villageois et ont brûlé les villages pour empêcher

l’accès aux tunnels et aux positions défensives. Ce faisant, ils espéraient également

décourager les villageois de regagner leurs villages,157 ce qui, inévitablement, en faisait à

nouveau des instruments du VC. L’ensemble des opérations de search and destroy initiées

dans la RVN a été effectué selon les mêmes doctrines et paramètres. Ce type de modus

operandi a eu comme conséquence de créer une nuée de plusieurs dizaines de milliers de

réfugiés sud-vietnamiens. À titre d’exemple, dans III Corps, le problème des réfugiés est

devenu très problématique pour les Américains et les Sud-Vietnamiens qui ont récolté le fruit

de leur mauvaise coordination des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.

Certains villageois se sont vus exilés de force par les éléments militaires américains et sud-

vietnamiens. D’autres ont quitté les secteurs sur une base volontaire afin d’échapper aux

bombardements et aux VC.158

Lorsqu’interrogés, les réfugiés ont qualifié l’aide qui leur avait été apportée de « trop

peu trop tard », en plus d’être distribuée de manière « inéquitable ». Généralement, les

villageois se trouvaient déplacés dans des secteurs inadéquats. La plupart des réfugiés ont

déclaré que les secteurs et les conditions dans lesquels ils se retrouvaient étaient pires que

celles auxquels ils étaient soumis dans leur village.159 Ce qui s’est passé dans le hameau de

Suoi Cat II constitue un exemple probant du problème. Suoi Cat II était localisé dans le

district de Long Thanh, au sein de la province de Bien Hoa dans IV Corps. Un total de 506

habitants répartis au sein de 109 familles peuplait le hameau. Parmi les habitants se trouvaient

150 réfugiés originellement évacués du hameau de Ba Ky localisé dans un secteur à haut

risque. Les Forces militaires américaines ont évacué 138 familles du secteur de cette zone

afin de les relocaliser à Suoi Cat II. Néanmoins, sous prétexte qu’ils « ne pouvaient recevoir »

157 Lewy, op. cit., p. 70. 158 John Paul Vann Papers, Memorandum for Mr. Calhoun, Subject: Refugees in Region III, 2 January 1968,

Carlisle, War College Archives, Box 1, 1968 folder, p. 1. 159 Ibid., p. 2.

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toutes les familles, le gouvernement de district n’accepta que 21 des familles dans le village;

on dit aux paysans s’étant vu refuser l’accès au village de regagner Ba Ky. Les familles qui

sont restées à Suoi Cat II vivaient dans des conditions beaucoup plus difficiles qu’à Ba Ky.160

Ils se sont fait donner un lopin de terre microscopique pour leurs cultures et bien qu’ils

possédaient des rizières et des terres à Ba Ky, ils n’osaient point y retourner dû aux Viêt-

Cong qui y pullulaient. Les familles peinaient à se dénicher du travail, et si elles en trouvaient,

on les rémunérait avec des salaires de famine insuffisants pour subvenir aux besoins de leurs

proches. Une fois interrogées, ces familles ont déclaré que leur plus cher désir était de

retourner dans leur village d’origine et de bénéficier de la protection permanente de forces

paramilitaires dans leur hameau afin d’assurer leur sécurité et les aider à avoir « une meilleure

vie ».161 Toujours dans la province de Bien Hoa, l’impact des opérations de search and

destroy a affecté le hameau de Cay Da, habité par 1468 habitants répartis au sein de 286

familles. 216 de ces familles étaient composées de paysans anticommunistes qui ont quitté

volontairement leur village situé dans une zone de combat. Leurs conditions de vie dans le

hameau de Cay Da s’apparentaient à celles des villageois de Suoi Cat II. À deux reprises, des

obus américains sont tombés sur leur village pourtant situé dans une zone jugée sécurisée.

Ces incidents ont coûté la vie à un total de 4 enfants, en plus de résulter en l’incendie et la

destruction de plusieurs maisons.162

Ce type d’incident fréquent ne faisait rien pour gagner les paysans sud-vietnamiens à

la cause du GVN et des Américains. Globalement analysée, cette situation expose également

le manque de préparation du MACV et des autorités sud-vietnamiennes qui auraient pu éviter

ces déportations et ce type d’incidents en suivant simplement à la lettre les directives établies

par Westmoreland en 1965. Avec du recul, cette situation nous permet de mieux discerner

l’importance des hameaux stratégiques de Diem avant l’implication militaire américaine.

Bien que le CORDS et les CAP (tel que démontré dans les deux prochains chapitres)

constituaient des exemples à suivre en matière de contre-insurrection américaine, les

doctrines appliquées lors de ces programmes n’ont pas, dès le départ, été parfaitement

uniformisées au sein du théâtre d’opération sud-vietnamien. L’ensemble des opérations

160 Ibid., p. 19. 161 Ibid. 162 Ibid., p. 20.

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157

offensives décrites précédemment et la conduite des manœuvres de COIN menées

ultérieurement en sont la preuve vivante. Plusieurs unités américaines se sont entêtées à

coordonner de façon très douteuse leurs opérations de search and destroy avec leurs

opérations de COIN en 1968 et 1969. Dans la province de Quang Ngai, les combats entre le

VC et les Forces américaines devaient décimer des villages entiers occupés par les insurgés.

L’un des hameaux a reçu un total de 648,000 livres de bombes et 2000 obus d’artillerie en

deux jours. Afin que le VC ne puisse le réoccuper à nouveau, les ingénieurs américains ont

par après détruit ce qui subsistait du village. Un total de 2452 civils a été blessé, environ la

moitié d’entre eux par les éléments américains, l’autre moitié par le VC. Environ 15,000

personnes ont perdu leur maison ce qui devait porter le nombre de réfugiés dans la région à

plus de 100,000.163 En décembre 1968, le commandant de la 9th Division, le major-général

Julian J. Ewell, a été choisi pour mener l’Opération de search and destroy SPEEDY

EXPRESS, dans le secteur du Delta du Mékong (IV Corps). Ewell ne croyait pas au principe

de pacification et a fait valoir que la seule façon d’éradiquer le contrôle du VC des secteurs

ruraux était par le biais d’une « force brute ». Le général Ewell a fait signifié à ses colonels

que leurs troupes ne seraient pas exfiltrées des secteurs de combat tant et aussi longtemps

qu’ils ne « tueraient pas un nombre acceptable d’ennemis ».164

Le général américain est même allé jusqu’à établir des quotas. Si ses colonels ne

pouvaient respecter ses quotas minimaux de VC tués, ils devenaient susceptibles d’être

« relevés de leur commandement ».165 Afin d’enlever au Viêt-Cong son contrôle des secteurs

ruraux, Ewell a initié une mission appelée Night Hunter. Son modus operandi se résumait à

déployer des hélicoptères Huey escortés par des hélicoptères gunship Cobras qui

patrouillaient côte à côte les secteurs ruraux du Delta du Mékong à la nuit tombée. Les Huey

étaient équipés d’instruments aptes à détecter les mouvements humains au sol et les tireurs

d’élite à leur bord tiraient des balles traçantes vers les secteurs ou du mouvement au sol était

détecté. Ce manège guidait le tir des pilotes de Cobras qui étaient alors en mesure de diriger

le feu de leur mini-gun et de leurs roquettes sur les présumés Viêt-Cong. De fait, les troupes

héliportées n’avaient aucun moyen de savoir si les Vietnamiens ciblés au sol étaient bel et

bien des VC. S’ils apercevaient les Vietnamiens se mettre à courir à la vue de leurs

163 Ward et Burns, op. cit., p. 356. 164 Ibid. 165 Ben Connable, Embracing the Fog of War, Santa Monica, Rand Corporation, 2012, p. 109.

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158

hélicoptères, les Américains assumaient qu’il s’agissait d’insurgés. Un commandant de

peloton du Viêt-Cong a plus tard déclaré que Night Hunter a fait beaucoup plus de victimes

civiles que de VC, ceux-ci ayant tendance à tenir leurs positions. Si les civils fuyaient, c’est

tout bonnement qu’ils avaient peur des hélicoptères. Les Huey et les Cobras ayant détruit

plusieurs villages lors de Night Hunter, on comprendra le réflexe de fuite des civils à la vue

des hélicoptères. Ewell s’est vu gratifier du surnom « the Butcher of the Delta », un sobriquet

qui a rendu le général américain empli de fierté. SPEEDY EXPRESS aurait causé la mort de

10,899 VC.166 Cependant, considérant les tactiques exploitées, ce chiffre demeure très

douteux, sans compter que cette stratégie n’a fait qu’empirer la situation des réfugiés sud-

vietnamiens. L’établissement de tels quotas alourdit d’une énorme pression les épaules des

colonels commandants des bataillons d’Ewell, une charge qui encourageait le ciblage aveugle

de villages et d’individus qui, pour la plupart, n’étaient fort probablement pas des Viêt-Cong.

Si l’on considère les règles inhérentes à la conduite de la guerre, qu’elle soit conventionnelle

ou contre-insurrectionnelle, le modus operandi du général Ewell ne respectait aucune forme

d’éthique militaire. Non seulement de tels procédés entravent toute possibilité de gagner

l’appui de la population civile, mais facilitent aussi la tâche des éléments de propagande du

VC, le moment venu de recruter de nouveaux membres pour joindre l’insurrection. Dans leur

ensemble, les opérations susmentionnées ont démontré à quel point les offensives de search

and destroy étaient mal coordonnées avec les opérations de nature contre-insurrectionnelle.

Néanmoins, en dépit de toute son imperfection, la stratégie américaine a causé

énormément de problèmes aux communistes, ternissant l’aura d’invincibilité qu’on leur avait

trop souvent, à tort, attribuée. La nature même des opérations de search and destroy

américaines a créé une impasse non seulement pour les unités du MACV, mais également

pour le Viêt-Cong et l’Armée nord-vietnamienne qui ont été victimes d’une violente attrition.

De nouvelles recherches ont récemment démontré que la situation était critique à un point tel

aux yeux de moult dirigeants à Hanoi, que plusieurs d’entre eux envisageaient d’initier des

pourparlers de paix avec les Américains.167 Nonobstant cela, la non convergence des

opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles a dramatiquement retardé la

pacification des secteurs ruraux et la sécurité des civils de façon uniforme à travers le théâtre

d’opération sud-vietnamien. Si le MACV avait coordonné ses opérations conventionnelles

166 Ward et Burns, op. cit., p. 356-357, 360. 167 Daddis, Westmoreland’s War, op. cit., p. 86.

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159

de manière disciplinée, de concert avec les opérations du CORDS, la situation opérationnelle

aurait fort probablement engendré une pression encore plus forte sur les dirigeants

communistes à Hanoi. Divers facteurs tendent à expliquer la dépendance américaine à leur

puissance de feu. Dans son analyse des problèmes militaro-opérationnels relatifs à la guerre

du Vietnam, Robert Thompson explique que la maximisation de la puissance de feu à la

disposition du MACV était tout simplement trop tentante pour ne pas être pleinement

exploitée. De plus, l’utilisation de cette puissance de feu donnait l’impression aux

Américains qu’ils atteindraient plus rapidement leurs objectifs opérationnels et d’attrition de

l’adversaire. D’autre part, cette philosophie guerrière s’accordait avec la doctrine militaire

offensive des Forces armées américaines qui maximisait l’emploi d’armes modernes et de

haut calibre lors d’opérations conventionnelles. D’une perspective stratégique, en exploitant

ces doctrines dans la RVN et en optimisant les effets de la campagne de bombardement

ROLLING THUNDER dans la RDVN, les Américains espéraient décourager Hanoi et

l’inciter à s’asseoir à la table de négociations pour mettre un terme au conflit.168 Il était

néanmoins très contre-productif de la part des Américains de ne pas minimiser leur puissance

de feu dans les secteurs habités et de ne pas initier le déploiement immédiat de troupes

statiques à la suite d’opérations conventionnelles.

Notons que l’exploitation de la puissance de feu américaine lors d’opérations de

search and destroy telles qu’APACHE SNOW ou JUNCTION CITY était militairement

compréhensible, considérant l’absence de villages et d’hameaux dans les secteurs de combat.

Il en alla tout autrement dans les secteurs habités qui auraient nécessité des frappes beaucoup

plus chirurgicales.Thompson affirme que l’optimisation de la puissance de feu américaine et

la minimisation du déploiement de troupes statiques américaines dans les villages s’explique

par ce simple fait : les « Forces américaines n’étaient pas entraînées » pour la conduite

d’opérations « de petites unités » dans les zones peuplées. Le spécialiste britannique indique

qu’à cet effet, les Marines ont été les seuls à démontrer une capacité à opérer de la sorte avec

la population civile. Les Combined Action Platoons de l’USMC se focalisaient sur la

protection de la population à la suite d’une opération de search and destroy, non au

redéploiement des villageois qui devenaient ainsi fatalement des réfugiés.169 Bien que le

MACV se soit montré mal à l’aise le moment venu d’utiliser ses troupes pour des opérations

168 Robert Thompson, No Exit From Vietnam, New York, David McKay Company, Inc. 1969, p. 134-135. 169 Ibid., p. 138.

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160

statiques, il aurait été tout indiqué d’exploiter l’ARVN pour ce type d’opération. Par ailleurs,

il s’agissait d’un des plans originaux du MACV en 1965. Néanmoins, le commandement

militaire américain ne parut pas motivé à appliquer son propre plan d’action. À cet effet,

Thompson établit un lien entre l’exploitation de la puissance de feu américaine et

l’implication limitée de l’ARVN dans les opérations militaires américaines. Contrairement

aux troupes sud-coréennes lors de la guerre de Corée, l’ARVN n’était pas sous le

commandement direct des Américains au Vietnam. Cette particularité causa beaucoup de

frustrations aux commandants du MACV et compliqua souvent la conduite des opérations

militaires conventionnelles avec l’Armée sud-vietnamienne.170 Minimiser l’implication de

l’ARVN encouragea les Américains à opérer comme bon le leur semblait au cours de la

conduite des opérations, ce qui, à bien des égards, leur donnait, carte blanche le moment venu

d’appliquer le concept de bataille et la puissance de feu à exploiter. Ne pas maximiser

l’emploi de l’ARVN constituait une erreur car, d’une part, ils personnifiaient d’excellents

candidats pour la phase visant à assurer la protection des secteurs sécurisés. D’autre part, les

directives du MACV décrites en début de chapitre soulignent qu’un des objectifs principaux

des Américains consistait à faire de l’ARVN une force apte à combattre.

Si l’on se penche sur les aspects relatifs à la guerre conventionnelle, la minimisation

de l’utilisation de l’ARVN contrevenait aux directives originales établies par le MACV en

plus d’entraver le développement d’une armée sud-vietnamienne autonome et expérimentée.

Ce manque se ferait cruellement sentir en 1975, lors de la chute de la République du Vietnam

aux mains du NVA. En ce qui a trait aux aspects relatifs à la contre-insurrection, les soldats

de l’ARVN étaient indiscutablement plus familiers avec la culture et la langue de la

population locale que leurs collègues américains. Lors d’une COIN, les éléments relatifs à la

connaissance de la culture de la population sont très importants car ils permettent une

meilleure communication et interaction entre forces contre-insurrectionnelles et civils. En

exploitant l’ARVN à ces fins, le déplacement systématique de villageois vers des camps de

réfugiés, à la suite d’opérations de combat aurait pu être minimisé. À l’image des CAP des

Marines, le déploiement conjoint de quelques pelotons d’infanterie de l’US Army avec les

éléments sud-vietnamiens dans les villages à la suite des opérations de search and destroy

aurait été un élément facilitateur pour la pacification des secteurs, sans pour autant

170 Ibid., p. 135.

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161

handicaper les effectifs conventionnels américains. D’une part, les villageois auraient pu

demeurer dans leur village en sécurité avec l’ARVN, les forces paramilitaires sud-

vietnamiennes et les éléments américains pour les protéger. D’autre part, les secteurs auraient

été beaucoup plus prompts à demeurer sécurisés; le VC se voyant interdire l’accès à ses

fortifications et position défensives dans les villages. Cette mise en pratique des opérations

aurait limité de manière draconienne la nécessité de continuellement sécuriser de nouveaux

des secteurs préalablement ratissés par les Américains, tout en réduisant les pertes militaires

et civiles au combat. Cela dénote un manque d’opportunisme flagrant de la part des leaders

militaires du MACV. Ce manque de coordination des opérations conventionnelles et contre-

insurrectionnelles devait avoir un autre effet pervers qui a fait particulièrement mal aux

Forces américaines. Les mines et les pièges ont été responsables de 50% des pertes

américaines (morts et blessés combinés) lors de la guerre du Vietnam.171

Ces pièges, communément appelés booby traps par les Américains, étaient

majoritairement posés par des civils conscrits par le Viêt-Cong. Ne possédant pas de troupes

déployées en permanence dans les villages, à la suite des opérations de search and destroy,

les civils conscrits n’avaient aucune difficulté à déplacer des explosifs et les matériaux

nécessaires à l’installation de pièges dans les secteurs avoisinant les villages. Ces pièges ont

causé de « sévères problèmes psychologiques » chez les soldats américains.172 Ces troupes

se trouvaient très vulnérables lorsqu’elles quittaient leurs bases d’opérations avancées pour

patrouiller les secteurs ruraux. Ce type de perte aurait été sévèrement limité si l’essentiel des

villages s’était vu sécurisé en permanence à la suite des opérations de search and destroy. Le

chapitre 3 réservé aux CAP montrera comment les Marines, ayant gagné la confiance des

civils, recevaient ponctuellement des alertes des villageois lorsqu’un piège était installé dans

le périmètre du village. En négligeant cet aspect des opérations, les Américains s’exposaient

aux tactiques de guérilla du VC qui « constatèrent avec joie » que plus de la moitié de leurs

dispositifs improvisés ont fait mouche en tuant ou blessant un ou plusieurs soldats

américains.173 Le manque de convergence des opérations de pacification et conventionnelles

devait couter cher aux civils sud-vietnamiens et à l’effort de guerre du MACV.

171 McCoy, op. cit., p. 337. 172 Ibid., p. 337-338. 173 Ibid., p. 335.

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162

2.3. Conclusion

Le présent chapitre a cherché à démontrer à quel point la guerre du Vietnam n’était

en rien un conflit d’insurrection classique. Nous avons pu démontrer que la situation

opérationnelle caractéristique à ce théâtre d’opération justifiait pleinement l’emploi de

doctrines militaires conventionnelles de la part du général Westmoreland. Quantité

d’historiens ont injustement dénoncé les méthodes du commandant du MACV qui aurait dû,

selon d’aucuns, amenuiser les opérations de search and destroy et décupler les opérations de

pacification. Or, il a été démontré qu’un tel cours d’action n’aurait en rien permis de stabiliser

la RVN. Bien que le commandant du MACV ait accordé beaucoup d’attention sur les

initiatives de pacification lors de l’esquisse de son concept d’opération, il ne lui restait aucune

alternative une fois dans le feu de l’action : lors du déploiement de ses troupes de combat au

printemps de 1965, Westmoreland devait impérativement initier des opérations militaires

conventionnelles grande échelle. Le NVA et le VC, qui surclassaient les troupes de l’ARVN

sur tous les fronts, s’apprêtaient à scinder la RVN en deux. Le déploiement de multiples

régiments d’élite du Viêt-Cong et d’éléments réguliers du NVA dans des bases d’opérations

fortifiées près des frontières du Laos et du Cambodge réclamaient également l’initiation

d’opérations conventionnelles.

La structure défensive de ces bases a nécessité des assauts conventionnels similaires

à ceux initiés par les Marines lors de la guerre du Pacifique et de celle de Corée. Le moment

venu d’amorcer leurs offensives, le NVA et le VC ont appliqué des doctrines militaires

purement conventionnelles, obligeant une réponse tactiquement symétrique des Américains.

Un programme de pacification et de contre-insurrection n’aurait entravé en rien la bonne

marche des opérations communistes, retranchés qu’ils étaient dans ces bases d’opérations.

Ces secteurs abritaient le leadership du COSVN, le QG de la Région militaire 4, d’importants

réseaux logistiques et servaient de tremplin pour projeter les bataillons communistes en

provenance de la piste Ho Chi Minh dans l’ensemble de la RVN. Ne pas attaquer ces

complexes aurait facilité l’initiation systématique d’opérations similaires à celles du Têt et

du mini-Têt sur l’ensemble du théâtre d’opération. Néanmoins, nous avons pu constater que

la conduite des opérations conventionnelles américaines a trahi de profondes lacunes et

défaillances. À cet effet, la sécurisation de terrains clés s’est avérée très problématique pour

les Américains. L’opération CEDAR FALL dans l’Iron Triangle a été conclue sans qu’on

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163

laisse de troupes interdire la reprise du secteur par les communistes. Ces derniers, ayant repris

possession du périmètre, ont réexploité l’Iron Triangle pour projeter leurs troupes dans la

République du Vietnam lors de l’offensive du Têt. L’Hill 937 constituait pour sa part un

secteur clé qui servait de relais et de base logistique aux bataillons du NVA lorsqu’ils

déployaient leurs troupes dans le nord de la RVN, via le Laos. À la suite de la bataille

d’Hamburger Hill, les Américains ont abandonné le secteur qui a été récupéré par les

communistes. Les opérations de search destroy ont également fait la preuve du manque

flagrant de coordination entre les opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles

des Américains. Les opérations MASHER/WHITE WING ainsi que les Opérations

MALHEUR ont résulté en une multitude de réfugiés et ont laissé quantités de secteurs et de

villages sécurisés sans troupes statiques pour y empêcher le retour du VC. Des opérations

comme celles de SPEEDY EXPRESS ont également trahi le profond manque de

compréhension et la contre-productivité opérationnelle de certains commandants américains,

le moment venu d’effectuer des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.

Ultimement, l’accès continuel des bases d’opérations communistes au Laos et au Cambodge

devait saper le plan de guerre d’attrition de Westmoreland.

En ayant constamment accès à ces bases, les communistes ont pu se redéployer en

toute sécurité hors de portée des troupes terrestres américaines, tout en bénéficiant d’un

ravitaillement logistique et d’un renflouement continu de forces fraîches. Dans de telles

conditions, les opérations de search and destroy équivalaient à éteindre avec acharnement un

incendie sur lequel on n’empêchait cependant personne d’y verser l’huile qui l’alimentait. En

conséquence, malgré une attrition des plus brutales du VC et du NVA, les Américains ont

échoué à isoler et neutraliser le sous-système conventionnel de la machine militaro-hybride

des dirigeants communistes. Quant à la réussite des opérations de pacification, celle-ci ne

dépendait pas uniquement de la protection des forces contre-insurrectionnelles contre les

assauts des larges formations communistes; le succès de la COIN dépendait tout autant des

opérations statiques des forces contre-insurrectionnelles à l’intérieur des secteurs peuplés

sécurisés. Bien que plusieurs éléments de l’US Army s’y soient très mal pris pour combiner

les deux types d’opérations, les Marines se sont promptement démarqués de leurs collègues

de l’Armée. Le III MAF a démontré qu’il était tout à fait possible d’assurer la protection de

la population civile et de gagner son appui après avoir sécurisé un secteur d’opération. C’est

dans cette optique qu’ont été créés les Combined Action Platoons de l’USMC.

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164

Chapitre III: Les Combined Action Platoons : L’étau

contre-insurrectionnel des Marines sur le Viêt-Cong

“The…Marines who serve in Combined Action

Platoons are believable to peasant because they are not

the callous professional soldier the peasant learned to

hate and fear when the French Foreign Legion was in

Vietnam. [The] Marines are sincerely idealistic in their

outlook toward the people.”1

-Lieutenant-Colonel William R.

Corson, USMC. Commandant

des Combined Action Groups

“You cannot defeat an idea with a bullet. You

can defeat an idea only with a better idea.”2

-General Victor Brute Krulak

USMC. Commandant des

Marines dans le Pacifique

Lors du déploiement des unités de combat américaines au Vietnam, l’USMC a, dès

le départ, fait connaître sa priorité d’action au général Westmoreland. Les Marines avaient

volonté de minimiser les opérations de search and destroy décrites au chapitre précédent

pour, en contrepartie, maximiser les opérations de contre-insurrection. D’ores et déjà, nous

avons fait mention des frictions existant entre les Marines et le commandement du MACV:

Westmoreland s’est montré profondément irrité que les Marines sacrifient plusieurs de leurs

compagnies pour effectuer des opérations de COIN statiques, en vue de donner suite au

ratissage d’un secteur. L’antipathie du commandant du MACV vis-à-vis des Combined

Action Platoons était telle qu’il a dépêché un lieutenant-colonel à Washington pour se

plaindre de la situation. Cet envoyé avait reçu comme mandat d’exposer au chef d’état-major

des Forces militaires américaines, le général Earle Wheeler, les « déficiences » du Corps des

Marines au Vietnam. De son côté, le général Lewis W. Walt, commandant des Marines dans

I Corps, un officier doté d’une forte personnalité, devait avoir de sévères divergences

d’opinions avec Westmoreland. Walt était un fervent défenseur du principe de pacification

qui visait à gagner l’appui de la population civile. Bien que Westmoreland adhérait au même

1 William R. Corson, The Betrayal, New York, Norton & Company, 1968, p. 190. 2 Coram, op. cit., p. 285.

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principe, il a justifié sa condamnation du concept d’opération des Marines par le fait qu’il ne

disposait pas de suffisamment de troupes pour appliquer un programme similaire à celui de

l’USMC à l’ensemble de la RVN.3 Dans son évaluation globale de la conduite des opérations

des Marines au général Wheeler, le commandant du MACV exprime ses doutes sur le III

MAF :

As you perhaps appreciate, the military professionalism of the Marines

falls short of the standards that should be demanded by our armed forces.

Indeed, they are brave and proud, but their standards, tactics, and lack of

command supervision throughout their ranks require improvement in the

national interest.4

Le manque de confiance de Westmoreland envers les Marines a atteint son paroxysme

en 1968 alors qu’il devait ordonner le déploiement d’un quartier-général avancé du MACV

à Phu Bai dans I Corps. Pour le commandement des Marines, ce geste était perçu comme une

intrusion du commandement de l’US Army dans ses plates-bandes, ce qui a exacerbé les liens

déjà difficiles entre les deux organisations.5 Les Marines n’étaient pourtant pas insensibles

aux opérations conventionnelles. En fait, l’USMC constituait la force militaire la plus

éclairée le moment venu de comprendre le type de conflit auquel les Américains se trouvaient

confrontés. Le commandant des Marines dans le Pacifique, le général Victor Krulak a

souligné : « You cannot win militarily. You have to win totally, or you are not winning at

all ».6 Il rajouta qu’en interdisant l’accès des insurgés à la population civile, le VC perdrait

sa source de survie. Quant aux opérations conventionnelles, Krulak affirmait qu’advenant

une offensive majeure des larges formations communistes, ses Marines seraient très disposés

à les affronter. Néanmoins, le général des Marines considérait que le nerf de la guerre se

situait dans les villages sud-vietnamiens et non au sein des montagnes de la RVN.7

Contrairement à l’ensemble des forces de l’US Army, les Marines tentaient réellement

d’exécuter les deux types d’opérations (conventionnel et contre-insurrectionnel) dans les

3 Records of the United States Marine Corps/Headquarters Marine Corps History and Museum Division,

Background and Draft Material for U.S. Marines in Vietnam: The Defining Years 1968 The Tragedy of

Marines and Army Schism in Vietnam, College Park, National Archives, RG#127, Entry A-1(1085), Box 23,

p. 1. 4 Ibid., p. 2. 5 Ibid., p. 4-5. 6 Coram, op. cit., p. 304. 7 Ibid.

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règles de l’art. Toutefois, considérant les effectifs du III MAF, il s’avérait difficile

d’appliquer ce concept hybride à la lettre. La situation opérationnelle a forcé les Marines à

exécuter une grande quantité d’opérations de search and destroy (voir la figure 15 du

précédent chapitre), limitant ainsi l’exécution uniforme d’opérations de contre-insurrection

comme celle des CAP. Krulak a spécifié être prêt à affronter les unités conventionnelles nord-

vietnamiennes même si l’ensemble du III MAF avait été déployé dans un cadre de COIN.

Néanmoins, il est douteux que les Marines auraient eu la capacité de résister longtemps aux

assauts de régiments réguliers du NVA. Nous avons vu dans le précédent chapitre à quel

point les forces conventionnelles communistes se montraient efficientes à effectuer des

assauts qui acculaient des bataillons complets des unités américaines au pied du mur. Des

centaines de soldats américains doivent leur vie aux bombardements incessants de leur

aviation et de leur artillerie. Faute de cet apport, des bataillons entiers de l’US Army et des

Marines auraient été neutralisés par le VC et le NVA. De petites unités de peloton de 30 à 40

soldats dispersées à travers la RVN pour effectuer de la COIN n’auraient tout simplement

jamais été en mesure d’affronter les régiments communistes susmentionnés, et ce, même avec

l’appui soutenu des éléments aériens et de l’artillerie.

Nonobstant cela, les Marines étaient déterminés à exécuter une campagne de COIN

dans I Corps, en dépit des critiques et des complaintes du leadership du MACV. La volonté

ferme des Marines à effectuer de la COIN s’explique en grande partie par leur héritage

historique. Dès le 18e siècle, les Marines, contrairement à l’Armée, ont été déployés dans des

théâtres d’opérations ayant incité leurs dirigeants à développer leurs connaissances en

matière d’insurrection et de contre-insurrection. Ces conflits à « basse intensité » ont été

surnommés « Small Wars » par les Marines, terme utilisé pour désigner le premier manuel

doctrinal de contre-insurrection de l’USMC. L’essentiel des procédures contre-

insurrectionnelles modernes des Marines a été développé à la fin du 19e siècle et au cours des

30 premières années du 20e siècle. Ce développement professionnel a connu sa croissance

aux Philippines et au sein des Caraïbes dans ce qu’on a surnommé « The Banana Wars »,

conflits s’étant déroulés en Haïti, à Cuba, en République dominicaine et au Nicaragua. En

1899, aux Philippines, les Marines s’affairaient à neutraliser une insurrection qui menaçait

deux bases navales américaines. Après avoir capturé la ville de Bogac, les Marines devait

rétablir le gouvernement local avant d’opérer la traque des insurgés philippins dans les

secteurs ruraux. En assurant la protection de la population contre les insurgés et en initiant

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167

une succession d’actions civiques, ils sont parvenus à gagner sa confiance.8 Déjà, les rapports

post-opérations des Marines insistaient sur l’importance de la coopération des instances

militaires et civiles et la nécessité de se pencher sur les aspects culturels, politiques, sociaux

et économiques du pays en question. Lors de leurs opérations de COIN à Cuba9 entre 1906

et 1912, les Marines ont appris l’importance de travailler conjointement avec les forces

militaires locales et celles de la police. L’USMC attribuait ses succès cubains à cette

coopération des forces de sécurité qui facilitait la chasse aux insurgés. Ils y ont également

saisi l’importance des règles d’engagement, une série de directives incitant les Marines qui

opéraient au sein de la population à user de discernement le moment venu d’utiliser leurs

armes.

Enfin, Cuba a enseigné aux Marines l’importance de patrouilles couplées

d’embuscades de petites unités. Les Marines ont compris que ces tactiques exerçaient

énormément de pression sur les insurgés et leurs lignes de communication (tactique appelée

à être exploitée avec les CAP). Les Marines ont de nouveau utilisé ces tactiques avec

beaucoup de succès dans les autres théâtres d’opérations des Banana Wars.10 Les opérations

de l’USMC en Haïti devaient aboutir avec la capture du chef rebelle Charlemagne Peralte,

une prise rendue effective par la capacité des Marines à opérer et à interagir directement avec

la population civile haïtienne. En République dominicaine, de 1916 à 1924, les Marines ont

traqué des bandits dans le secteur de Santo Domingo. Parallèlement, ils ont formé la

gendarmerie locale du gouvernement en place.11Au cours des années 1920, le Nicaragua a

été un véritable laboratoire contre-insurrectionnel pour les Marines confrontés à la guérilla

8Leo J. Daugherty, Counterinsurgency and the United Sates Marine Corps, Volume 1, The First

Counterinsurgency Era, 1899-1945, Jefferson, McFarland & Company, Inc., 2015, p. 26-27. 9 Allan McPherson, Encyclopedia of U.S. Military Interventions in Latin America Volume I, Santa Barbara,

ABC-CLIO, 2013, p. 519. À la suite de la guerre hispano-américaine et du départ des troupes espagnoles, les

Marines ont occupé Cuba jusqu’en 1902. Pendant leur séjour, les Américains se sont affairés à réorganiser

l’économie cubaine, et à revigorer les systèmes de santé et d’éducation du pays. L’Amendement Platt (initié

par le Sénateur républicain du Connecticut Orville H. Platt) interdisait notamment à Cuba d’établir de traités

avec un État susceptible de menacer son indépendance, autorisait les États-Unis à intervenir pour sauvegarder

l’indépendance de Cuba et permit aux Américains d’installer une base à Guantanamo. 10 Daugherty, op. cit., p. 40-41. 11 Papers of John F. Kennedy, Memorandum for the Naval Aide to the President. Subject: Marine Corps

experience and capability in the conduct of guerilla and anti-guerilla type operations. Boston, John F.

Kennedy Presidential Library, President's Office Files. Subjects: counter-insurgency, Digital Identifier:

JFKPOF-098-006, p. 1. https://www.jfklibrary.org/Asset-Viewer/Archives/JFKPOF-098-006.aspx.

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du chef rebelle Augusto César Sandino. Plongés au cœur de ce conflit, l’USMC a développé

ses capacités et connaissances en matière d’opérations de COIN dans un environnement

tropical. Ils ont aussi fortifié leurs opérations de petites unités (conçues lors de la campagne

cubaine) qui n’ont pas tardé à devenir une caractéristique du concept de contre-insurrection

des Marines. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, des officiers des Marines ont été

détachés avec des unités de commandos britanniques, ce qui inspira l’USMC à développer

les Marine Corps Raiders battalions.12 Ce groupe devait être une des premières unités de

forces spéciales des Forces militaires américaines. Dans le Pacifique, en Chine et en Corée,

les Marines ont également continué à effectuer des opérations de petites unités. À la suite de

la Deuxième Guerre mondiale, les unités de reconnaissance des Marines ont persisté à

maximiser l’entraînement de leurs forces en matière d’opérations irrégulières. Parmi celles-

ci; l’infiltration du territoire adverse via l’océan à partir de sous-marins, le déploiement de

forces dans une zone hostile par voie aéroportée la nuit et la conduite d’opérations de

reconnaissance, de pathfinder (reconnaissance avancée), de démolitions et de petites unités

derrière les lignes ennemies.13

Ainsi, avec les années, les Marines ont fortifié leurs capacités offensives de contre-

guérilla, tout en développant leurs connaissances en matière de contact humain lors de la

conduite d’opérations de COIN. Cette expérience acquise par les Marines au fil du temps n’a

pas été remisée pour ensuite tomber dans l’oubli, une fâcheuse tendance que l’on rencontre

encore au 21e siècle au sein de nombreuses armées. Dès le début des années 1930, l’USMC

a publié un manuel doctrinal baptisé Small Wars Manual. Considérant à quel point les guerres

de décolonisation décrites au chapitre 1 constituent l’âge d’or du développement des

principes modernes de COIN, la lecture du Small Wars Manual démontre le degré

d’avancement sur leur temps des doctrines de COIN des Marines. Le manuel de l’USMC

cible l’essentiel des variables propres à la compréhension d’une situation contre-

insurrectionnelle et à la gestion des opérations de COIN. Notamment, on y spécifie

exactement comment la force ennemie procédera dans les secteurs d’opérations des forces

de sécurité. Les insurgés maximiseront les tactiques de guérilla en exécutant des embuscades

au moment opportun et en se fondant au sein de la population civile, évitant de ce fait la

12 Ibid., p. 2. 13 Ibid., p. 2-3.

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possibilité d’être identifiés. Le manuel cible le problème relatif aux partisans de l’insurrection

qui ne manqueront pas d’informer les formations insurrectionnelles sur les mouvements des

forces de sécurité. On y souligne la complication engendrée par l’amalgame de partisans

hostiles et d’agents insurrectionnels « imbriqués » parmi la population civile victime de

coercition.14 Pour contrer le problème, le manuel spécifie qu’il était essentiel pour les

Marines de « tenir tous les points stratégiques du pays », d’assurer la protection de ses lignes

de communications et de déployer une force suffisamment grande pour repousser les

offensives adverses.15 Le Small Wars Manual va jusqu’à spécifier que les difficultés

rencontrées par les forces contre-insurrectionnelles vont bien au-delà des aspects purement

militaires : les problèmes sont également tangibles au sein des aspects de nature

économiques, politiques et sociaux. En conséquence, le livre de doctrine des Marines précise

qu’appliquer uniquement « des mesures purement militaires » ne sera d’aucune utilité pour

« restaurer la paix et un gouvernement fonctionnel ».16

En bref, selon le Small Wars Manual, les actions militaires peuvent être subordonnées

aux actions de nature politique. Le manuel soulève aussi l’importance des actions politico-

économiques et sociales qui restaureront les conditions de vie de la population. Ces

opérations civiques étant sous la responsabilité d’agences gouvernementales, il s’avérait vital

pour les forces militaires de jouer un rôle prépondérant dans la solution des problèmes socio-

économiques. Il devenait donc capital pour les forces militaires de travailler de concert avec

les organisations civiles.17 Le Small Wars Manual traite également de l’importance de se

familiariser sur la culture de la population locale avec laquelle les Marines interagiront. On

y spécifie aussi que les Marines se doivent de respecter la population civile; s’aliéner l’appui

du peuple ne pouvait que causer du tort aux forces déployées. De plus, on y insiste sur la

nécessité d’identifier les personnes influentes dans les villages afin de faciliter le contrôle

des opérations de contre-guérilla. Enfin, on y accorde beaucoup d’attention à l’importance

de s’acclimater avec les secteurs et districts appelés à être patrouillés par les forces statiques

des Marines.18 Dans son ensemble, le Small Wars Manual offrait aux Marines les

14 U.S. Marine Corps, Small Wars Manual, Washington, Government Printing Office, 1940, p. 14. 15 Ibid., p. 15. 16 Ibid. 17 Ibid., p. 15-16. 18 Ibid., p. 26-28, 41-43.

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« connaissances de base nécessaires » pour opérer dans un environnement de conflit à basse

intensité. Le manuel et ses directives ont été conçus pour aider les officiers à penser de

manière constructive le moment venu de combattre des insurrections et de stabiliser un pays

en crise, sans s’appuyer de façon exclusive sur les aspects de nature militaire.19 Dès le début

des années 1930, là en était la philosophie doctrinale de contre-insurrection de l’USMC. Tout

au long des conflits subséquents, la continuité du développement des connaissances des

Marines en matière de COIN a renforcé leur détermination à exploiter ce modus operandi

lors de confrontations avec une guérilla. Globalement analysé, le principe même de contre-

insurrection et ses préceptes fondamentaux font partie à part entière de l’ADN des Marines.

Même en 2003, lors de l’invasion américaine de l’Irak, l’USMC a immédiatement cherché à

initier des opérations de COIN identiques aux CAP après leur victoire sur les forces

régulières de l’Armée irakienne. Tout comme au Vietnam, les Marines ont subi de sévères

critiques de la part de leurs homologues de l’US Army lorsqu’ils ont cherché à privilégier ce

concept d’opération.20 Considérant son historique, il n’y avait pourtant rien de surprenant à

ce que l’USMC cherche à mettre en application ses doctrines contre-insurrectionnelles dès le

déploiement initial de ses troupes en Irak. Il en a également été ainsi lors du déploiement du

III MAF dans le secteur de Danang au Vietnam en 1965.

Bien que son historique soit aussi riche que celui de l’USMC, celui de l’US Army

démontre que les soldats de l’Armée américaine ont été beaucoup plus promptement

exploités dans l’exécution de missions nécessitant l’emploi de doctrines conventionnelles

classiques.21 Ceci tend à expliquer l’incompréhension ou le dédain de plusieurs officiers de

l’US Army le moment venu d’exploiter des concepts de COIN. L’Armée n’était cependant

pas complètement hostile aux principes de COIN; nous l’avons constaté précédemment dans

le descriptif du concept d’opération contre-insurrectionnel du général McGarr avec le

MAAG. Le présent chapitre montrera également que des éléments de l’Armée américaine,

notamment la 173rd Airborne Brigade, ont en fait exécuté une COIN qui n’avait rien à envier

à celles des Marines au Vietnam. Néanmoins, le principe même de Combined Action

Platoons tant prisé par l’USMC puise sa source dans la culture et le bagage historique des

19 Daugherty, op. cit., p. 352. 20 Thomas E. Rick, Fiasco: The American Military Adventure in Iraq, 2003 to 2005, New York, The Penguin

Press, 2006, p. 311-317. 21 Ibid., p. 222.

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Marines. Dès 1965, on a assisté au déploiement des premiers CAP dans les secteurs ruraux

d’I Corps. Il a cependant fallu l’émergence de problèmes reliés à la sécurité lors des

opérations civiques du III MAF pour que son quartier-général se décide à démarrer le

programme de CAP.

3.1. Le prélude des CAP : les actions civiques et la contre-insurrection du III MAF

dans I Corps

Dès le début de leur déploiement au Vietnam, les Marines se sont affairés à initier

une succession d’opérations civiques avec pour objectif de gagner la confiance de la

population sud-vietnamienne. L’essentiel des efforts civiques et de pacification découlait au

départ du III MAF. Néanmoins, à la fin de 1965, plusieurs organisations américaines ont

contribué aux opérations civiques des Marines en leur fournissant le matériel nécessaire à la

réalisation de divers projets de construction. Parmi ces organisations, on retrouvait l’USOM

(United States Operations Mission), le CARE (Cooperation for American Relief

Everywhere), et l’HANDCLASP, un groupe d’aide de l’U.S. Navy.22 D’autres groupes se

sont greffés pour assister les Marines dans leurs efforts civiques. Parmi ceux-ci; citons

l’USAID (United States Agency for International Development), le JUSPAO (Joint United

States Public Affairs Office) et l’Ambassade américaine. Ces organisations travaillaient de

front avec le quartier-général des forces du III MAF (et du MACV dans les autres Corps) et

les autorités politico-militaires sud-vietnamiennes.

Forts de l’appui et de la coopération de toutes ces organisations, les Marines ont établi

cinq objectifs visant à sécuriser I Corps : le premier consistait à assurer la sécurité des

villages. Dans cette optique, il fallait entraîner les forces paramilitaires, organiser les défenses

des villages et y initier des opérations psychologiques destinées à acquérir l’appui de la

population. Le deuxième objectif consistait à rétablir les gouvernements municipaux à

l’intérieur des villages. Pour ce faire, une série de recensements a été initiée, on déployait les

politiciens dans les villages tout en assurant leur sécurité contre les représailles du VC. Le

troisième objectif visait à redynamiser l’économie locale. Pour y arriver, le III MAF a planifié

d’assister les Sud-Vietnamiens, le moment venu d’établir des marchés, de protéger les

récoltes de riz des interventions du VC et d’améliorer les réseaux de communication. Le

22 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic

of South Vietnam April 1966-April 1967, Washington D.C., HQ USMC, 1970, p. 9.

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quatrième objectif avait comme but d’améliorer la qualité de la santé publique. Dans cette

optique, les Marines ont initié des opérations appelées Medical Civic Action Program

(MEDCAP) et, le moment venu, ont contribué à fournir des denrées alimentaires à la

population rurale. Enfin, le cinquième objectif : l’amélioration du système d’éducation

publique. Le III MAF a mis sur pied des cours de langue anglaise, a bâti de nouvelles écoles

et a donné accès à des classes de métiers aux Vietnamiens.23 Pour rendre ce programme

tangible, les organisations susmentionnées ont joint leurs efforts, de manière que chaque

palier hiérarchique des institutions militaires et gouvernementales puisse contribuer au

processus de pacification (voir la figure 16).

23 Ibid., p. 43-44.

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Figure 16: Structure organisationnelle du processus de pacification (I Corps)24

24 Ibid., p. 45.

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Tel que démontré dans le tableau, chaque organisation jouait un rôle, et ce, des

éléments de Corps de l’USMC et de l’ARVN jusqu’aux unités de police nationale et aux

compagnies de Marines et de forces paramilitaires. Les opérations étaient gérées à partir de

tous les paliers administratifs : régions, provinces, districts et villages. Lorsque les troupes

des Marines ont débarqué en mars 1965, les opérations civiques endossaient un caractère plus

modeste. De mars à juillet 1965, les traitements médicaux offerts aux villageois constituaient

la principale forme d’action civique offerte par les Marines aux civils. En juillet 1965,

approximativement 29,000 civils ont reçu des traitements des Marines qui patrouillaient de

village en village pour effectuer leur MEDCAP. Une des principales opérations s’est déroulée

dans le secteur de Le My avec le déploiement d’un MEDCAP régulier, un site médical qui a

attiré de nombreux paysans sud-vietnamiens venant de milles à la ronde. Lors de ces

opérations, les Marines ont fait d’une pierre deux coups : d’une part, ils profitaient des

opérations MEDCAP pour établir des contacts et un réseau pour la collecte de renseignement

auprès de la population. D’autre part, ils formaient des citoyens locaux en soins infirmiers,

ce qui, ultimement, devait permettre aux Sud-Vietnamiens de gérer de manière autonome les

cliniques médicales (voir l’annexe 4 pour des images des opérations civiques des Marines).25

Approximativement 75% des problèmes médicaux traités par les Marines consistaient

en infections cutanées, une résultante d’un manque d’hygiène personnelle chez les paysans.

Pour pallier au problème, les Marines distribuaient d’importantes quantités de savon aux

villageois des secteurs ruraux, initiative fort appréciée par la population civile. De plus, les

unités du III MAF ont distribué une très large quantité de vêtements et de nourriture dans

l’ensemble d’I Corps.26 Le soutien apporté à la population, quoique parfois très simple, s’est

avéré suffisant pour que la communauté sud-vietnamienne en vienne à apprécier la présence

des Marines. À titre d’exemple, le 19 juillet 1965, une compagnie de Marines a acheté un

jeune buffle des rivières pour assister une famille de fermiers dans le besoin au sein du village

d’Hoa Thinh, près de Danang. De son côté, un orphelinat supervisé par des religieuses s’est

vu approvisionné de larges quantités de farine par le GVN. Néanmoins, les nonnes n’ayant

pas de four pour cuisiner le pain, un boulanger malhonnête mettait comme condition pour

25 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, Washington D.C., Historical Branch G-3 Division HQ USMC, 1968, p. 26-27. 26 Ibid., p. 27.

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opérer la cuisson de leur pain que les religieuses consentent à lui céder la moitié de leur

farine. Les manigances du boulanger une fois révélées au grand jour, les Marines ont eux-

mêmes fourni des fours aux religieuses qui ne devaient pas tarder à cuire 1000 livres de

pain.27 Le 3rd Battalion, 9th Marines a quant à lui distribué des centaines de livres de savon

liquide, céréales, farine de maïs, huiles de cuisson et autres denrées aux paysans. Ils ont

également fourni aux fermiers vietnamiens de quoi nourrir leur bétail. Quoique simples, de

telles opérations renforcissaient les liens de confiance entre la population civile et les

militaires américains, en plus d’être un incitatif de taille pour la population civile à prévenir

les Marines des dangers les guettant. Le 10 juillet 1965, les paysans du hameau de Le My

rapportaient aux Américains que la Route 545, située près du village, était minée. Deux jours

plus tard, des civils du secteur de Thinh Tay informaient les Américains de la présence d’une

compagnie entière du VC localisée à 1200 mètres du QG de district de Hieu Duc. Le 24 juillet

suivant, dans le secteur de Kinh Than, une femme a confié qu’elle avait pu observer 100

insurgés VC équipés d’armes automatiques et de grenades rodant près de sa propriété.

D’autres informations fournies aux Américains ont également permis de débusquer plusieurs

pièges destinés à tuer des militaires autour du village d’An Trach.

En novembre 1965, le 3rd Battalion a reçu un flot supplémentaire de renseignements

des paysans sur les activités du VC. Ce renseignement a permis au bataillon de Marines

d’embusquer les VC dans le secteur du hameau de Bich Bac, au sud de Danang. À cet effet,

les villageois n’ont pas hésité à dénoncer les insurgés qui opéraient dans le hameau et à porter

à la connaissance des Américains qu’il ne s’agissait là que d’un fragment des Viêt-Cong

opérant dans le secteur. De fait, les insurgés opérant dans le village faisaient partie d’un

groupe plus large de VC qui opérait à l’ouest de Bich Bac. Les villageois ont indiqué aux

Américains la route empruntée par les communistes lorsqu’ils tentaient d’éviter les

patrouilles de l’USMC. Forts de ce renseignement, les Marines ont réussi à piéger les

combattants VC rendus impuissants à tirer ne serait-ce qu’un seul coup de feu. Dix insurgés

ont été capturés grâce au renseignement fourni par la population de Bich Bac.28 Globalement,

toutes ces actions civiques visaient à identifier l’USMC comme un « protecteur bienveillant »

prêt à « travailler main dans la main » avec le GVN pour améliorer le mode de vie des

27 Ibid., p. 31. 28 Ibid., p.32, 49- 51.

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paysans dans les secteurs ruraux.29 Une fois qu’on réussit avec succès à projeter cette image,

les civils se montraient plus qu’enclins à appuyer les Américains. Cet échange de bons

procédés facilitait la protection des Marines et encourageait les bases d’une bonne relation

entre Américains et Vietnamiens. Si les gestionnaires d’une COIN espèrent avoir du succès,

il est impératif que leurs forces de sécurité atteignent ce statut avec la population civile. À

défaut de quoi, cette dernière tendra à faire montre de neutralité ou à appuyer les forces

d’insurrection. En maximisant la conduite d’opérations civiques, les militaires américains

amplifiaient leur chance de gagner l’appui de la population civile. Un des aspects

fondamentaux des actions civiques qui visait à appuyer la population sud-vietnamienne

prenait la forme de la construction rurale des infrastructures civiles. Afin de redynamiser

l’érection de ces infrastructures, le GVN a mis sur pied, en 1965, le « Programme de

Développement révolutionnaire » (Revolutionary Development Program). Le personnel

désigné pour mettre en application ces programmes dans les secteurs sécurisés était nominé

au rang de Revolutionary Development Cadre (RD Cadres). Ces cadres organisés au sein

d’équipes de 59 opérateurs formaient des Revolutionary Development groups (RD Groups).

L’USMC ne devait pas tarder à cibler l’importance du RD et dès 1966, s’assurait de

coordonner ses actions civiques de manière à s’arrimer avec les cadres du RD. Il en alla de

même au sein des CAP; les Marines pourvoyaient leur soutien aux cadres du RD déployés

dans le village qui leur était attribué.30

Le mois d’août 1965 a vu la synchronisation des opérations civiques des Marines

atteindre un point culminant. Un des premiers secteurs peuplés de la zone de Danang à être

contrôlé en permanence par des troupes du III MAF comportait quatre villages et de multiples

hameaux. Le commandant sur place, le lieutenant-colonel Verle E. Ludwig, a immédiatement

cherché à entrer en contact avec les chefs de villages afin de cibler les principales nécessités

de la population. En retour de l’appui de ses Marines, Ludwig a demandé qu’on lui fournisse

du renseignement sur les activités du VC. La présence permanente des Américains dans les

villages et les opérations de contre-guérilla effectuées dans les secteurs limitrophes ont

convaincu les habitants des hameaux que le III MAF possédait la capacité de les protéger du

VC. Les villageois ont donc demandé à leurs dirigeants si les Marines pouvaient protéger

29 Ibid., p. 32-33. 30 Ibid., p. 9-10, 40.

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leurs rizières et le fruit de leur culture des taxes du VC. Les Marines ont accepté la requête

des villageois, ce qui devait aboutir sur l’initiation de l’opération GOLDEN FLEECE.31 Cette

manœuvre consistait à déployer des effectifs américains au sein des rizières, une stratégie qui

forçait à l’affrontement et au combat les troupes du VC avides de s’approprier le riz des

villageois. GOLDEN FLEECE arrachait de facto le contrôle de rizières aux VC qui, depuis

la chute de Diem en 1963, y opéraient impunément. GOLDEN FLEECE ne correspondait en

rien à une opération classique de search and destroy. Le III MAF privilégiait plutôt le

déploiement de cordons de sécurité et la conduite de patrouilles et d’embuscades nocturnes

exécutées par de petites sections de Marines qui prenaient ainsi le VC par surprise dans les

rizières.32 GOLDEN FLEECE a incarné un réel succès pour le III MAF : lors de la récolte

du riz à l’automne de 1965, une seule rizière est tombée aux mains du VC. Ces derniers ont

perdu approximativement 90% du riz non affiné qu’ils auraient normalement dû extorquer

aux paysans sud-vietnamiens du secteur de Danang.33 Ce modus operandi de GOLDEN

FLEECE a été de nouveau exploité par le III MAF au cours d’opérations militaires

subséquentes pour protéger les rizières d’I Corps.34 Les Marines ne devaient pas tarder à

enclencher GOLDEN FLEECE II, une version améliorée de son prédécesseur.

Lors de cette opération, non seulement les Américains assuraient le déploiement de

cordons de sécurité et la conduite d’embuscades, mais ils protégeaient et escortaient

également les paysans pendant leurs récoltes. L’opération la plus productive de GOLDEN

FLEECE II a été l’œuvre du 3rd Battalion, 4th Marine dans la région de Phu Bai. Les Marines

de cette unité ont rendu possible la récolte et l’entreposage de 93 tonnes de riz sans qu’aucune

perte ne soit rapportée. Cette quantité de riz aurait permis de nourrir neuf bataillons VC

pendant un mois.35 Par le biais de telles opérations, les Marines permettaient aux villageois

de bénéficier pleinement de la récolte de leur riz, faisant ainsi naître deux bénéfices socio-

économiques majeurs : d’une part, de telles opérations contribuaient à améliorer les

conditions de vie des villageois. D’autre part, elles favorisaient la redynamisation de

31 Ibid., p. 37. 32 History and Museum Division Headquarters, U.S. Marine Corps. The Marines in Vietnam 1954-1973,

Washington D.C., Library of Congress, 1985, p. 57. 33 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 38. 34 History and Museum Division Headquarters, U.S. Marine Corps, op. cit., p. 57. 35 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic

of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. 29.

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l’économie des secteurs ruraux qui devenait moins sujette aux opérations de taxations des

communistes. Sur le plan militaro-tactique, de telles initiatives enlevaient au VC une source

de revenus et de nourriture. Ce type de modus operandi s’avérait beaucoup plus constructif

que de bombarder des villages au napalm et à l’artillerie. La construction rurale continuait à

prendre de l’expansion dans I Corps au cours de l’automne 1965. Les Marines ont initié des

programmes d’infrastructure, mettant de l’avant la construction d’écoles, de puits et

d’hôpitaux au sein de divers secteurs de leurs zones de responsabilité. Néanmoins, certains

problèmes ont commencé à émerger. Le 1er novembre 1965, un effort majeur de

reconstruction ayant été mis en branle dans le district de Hoa Vang, près de Danang, la

protection de l’équipe de réédification était assurée par un déploiement des forces

paramilitaires du 59th Regional Force Battalion et du Popular Force. Pendant ces travaux,

les forces paramilitaires effectuaient dans le village des opérations psychologiques couplées

à un recensement. À la fin de novembre, les recensements étaient complétés et les écoles

prêtes à recevoir de jeunes Vietnamiens. Toutefois, la reconstruction s’est arrêtée net avec

l’assaut régulier de VC sur les forces paramilitaires qui se sont montrées incapables de se

mesurer aux insurgés, une situation qui a forcé les équipes de reconstruction à assurer leur

propre défense.

Un incident similaire s’est produit dans les secteurs avoisinant. Une force

paramilitaire chargée de la protection d’équipes de reconstruction s’est faite attaquer par une

force de 50 à 60 Viêt-Cong, rendant nécessaire le déploiement d’un bataillon de Marines

pour sécuriser les environs du village. L’un de ces villages était Cam Ne (ce qui nous ramène

au reportage falsifié de Morley Safer mentionné au chapitre précédent). Le redéploiement de

ces équipes de reconstruction dans ces secteurs n’a pas été possible avant 1966.36 Considérant

les effectifs américains déployés dans I Corps, il était impossible pour le III MAF de

dépêcher des troupes dans chaque secteur où on s’investissait dans des efforts de

reconstruction. Bien que ces initiatives aient favorisé le succès des opérations de pacification,

l’absence d’effectifs suffisants de l’ARVN pour travailler en coopération avec les Marines

causait de sérieux problèmes à la bonne marche des opérations de reconstruction.37 Malgré

36 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 45-46. 37 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic

of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. 32.

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tous les efforts des Marines en matière d’actions civiques, les paysans sud-vietnamiens ne

pouvaient se commettre à appuyer pleinement le GVN sans obtenir en garantie l’assurance

que leurs familles seraient protégées. Le QG du III MAF a réalisé les deux faits suivants :

d’abord, le paysan devait être « psychologiquement assuré » que le GVN et l’USMC avaient

bel et bien l’intention de s’investir à combattre le VC jusqu’à la fin. Ensuite, les paysans

devaient se voir rassérénés par la présence de forces militaires aptes à les défendre en échange

de leurs divulgations sur les activités des unités communistes. Sans ces deux facteurs, le III

MAF aurait eu bien peu à espérer en matière d’appui de la population civile aux Forces

américaines. Le VC continuerait à dominer les villageois et les projets civiques

n’apporteraient aucune amélioration tangible à la situation opérationnelle d’I Corps.38

Malgré la bonne volonté de plusieurs chefs de villages ou de districts, il demeura très difficile

d’empêcher le VC de dominer les secteurs peuplés sans la présence constante de forces de

sécurité dans les villages. Le QG des Marines a cité un exemple concret du problème : un

bataillon de Marines opérant dans le district de Quang Tri, près de Chu Lai, a exécuté un

programme d’action civique, ses pelotons s’investissant dans l’assistance de la population

civile par le biais de MEDCAP et la distribution d’autres commodités.

Le chef du hameau de Tri Binh, un dénommé Truong, se démarquait par son appui

aux opérations civiques des Marines. Très charismatique, Truong ne cachait pas son hostilité

envers les VC. Son influence et son charisme paraissaient affecter positivement l’ensemble

du district, à un point tel que les Marines voyaient en lui un « potentiel catalyseur » qui

endommagerait sévèrement l’influence du VC dans l’ensemble de Quang Tri.39 Une

patrouille de Marines déployée dans le village de Truong pour effectuer des opérations

MEDCAP a remarqué qu’il avait même été jusqu’à installer des pancartes anti-viêt-cong dans

son village. Les Marines opéraient régulièrement dans le hameau de Truong pour d’autres

MEDCAP et activités civiques. Dans l’ensemble, l’humeur et les conditions de vie de la

population du district paraissaient s’améliorer au contact des Marines et de leurs actions

civiques. Néanmoins, la situation s’est rapidement envenimée : deux insurgés ont embusqué

Truong, puis l’ont abattu de quatre balles, dont une dans la tête. À lui seul, ce meurtre a fait

s’écrouler, tel un château de cartes, tous les efforts d’actions civiques des Marines. La perte

38 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 53-54. 39 Ibid., p. 54.

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180

d’un chef d’hameau de l’envergure de Truong a montré aux villageois des secteurs ruraux du

district que les forces de sécurité étaient incapables d’assurer leur protection. Dans de telles

conditions, la population refusait de se commettre à appuyer le GVN, et ce, malgré la

conduite d’actions civiques.40 Le III MAF a rencontré des problèmes similaires dans le

secteur de Danang. Dans le district de Quang Nam, le programme de pacification devait

tourner à la catastrophe. Comme la mission des Marines consistait à rétablir le contrôle du

gouvernement dans les secteurs densément peuplés du sud de Danang, le III MAF y a initié

un important projet de reconstruction rurale. Ce secteur géographique abritait un centre

économique majeur pour le nord de la RVN, en plus d’importantes lignes de communications

qui revêtaient un aspect essentiel pour les Marines. Néanmoins, l’infrastructure politique du

VC s’était également incrustée dans l’ensemble des secteurs d’opération visés par les

Marines. Danang étant à risque, les neuf villages situés au sud de la ville constituaient des

cibles de priorité pour les efforts de pacification et de reconstruction des Marines. Cette

initiative prenait un visage menaçant pour le VC qui craignait pour la survie de son

infrastructure politique advenant le succès des opérations civiques. En conséquence, entraver

les projets d’action civiques et de pacification du III MAF est devenu le but premier du

commandement VC dans le secteur.41

Les Forces américaines et sud-vietnamiennes ont uni leurs efforts pour implanter les

opérations civiques au sein des neuf villages. Les éléments sud-vietnamiens se sont affairés

à construire de nouvelles infrastructures pour les villageois tandis que les Marines se

chargeaient des MEDCAP et de la distribution de vêtements et de nourriture. Il ne fallut que

très peu de temps pour que des problèmes surgissent. En effet, les forces de sécurité étaient

insuffisantes pour assurer la protection des villages pendant la conduite des actions civiques

et des projets de construction. De leur côté, les Marines devaient se concentrer sur leurs

opérations conventionnelles contre les larges formations communistes, ce qui limitait les

forces que le III MAF aurait pu être en mesure de dédier à des opérations de protection dans

les secteurs ruraux. Du 21 au 28 décembre 1965, le VC a sévèrement endommagé le projet

d’action civique américano-sud-vietnamien. Les insurgés ont lancé une succession d’attaques

qui ciblaient spécifiquement les travaux de reconstruction dans les villages. Lors de ces

40 Ibid., p. 54-55. 41 Ibid., p. 55-56.

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opérations, plusieurs membres des équipes de constructions ont été assassinés par le VC.

Cette stratégie a connu un grand succès, si l’on considère le retard considérable occasionné

sur la conduite des actions civiques dans les neuf villages concernés.42 Une fois de plus,

l’absence de forces de sécurité déployées en permanence au sein des villages a prouvé

l’inutilité d’entreprendre des projets civiques. Ultimement, de tels efforts étaient condamnés

à l’échec tant qu’ils ne seraient pas fusionnés à une force de protection prête à repousser les

éventuels assauts du Viêt-Cong. Un des bataillons déployés dans I Corps était le 2nd

Battalion, 3rd Marines, sous le commandement du lieutenant-colonel David Clement. Ce

dernier a saisi que pour sécuriser la zone de responsabilité de son bataillon et y appliquer ses

actions civiques, il devrait combattre les VC déployés à l’intérieur du village de Le My. La

situation opérationnelle caractéristique de la zone de responsabilité de Clement lui permettait

d’utiliser ses compagnies de manière qu’elles assurent une présence permanente au sein du

complexe de Le My. Les Marines de Clement se sont vus intégrés aux forces paramilitaires

du PF déjà déployées dans le village. Cette combinaison de force en était trop pour le VC qui

n’a pu conserver bien longtemps son contrôle du village du Le My.43 Les opérations statiques

et les actions civiques du bataillon de Clement se sont répercutées jusqu’au village de Hoa

Than avec pour effet de galvaniser la population civile sud-vietnamienne du secteur. Le chef

du village d’Hoa Than a exprimé dans une lettre à quel point la population éprouvait de la

reconnaissance envers les efforts des Marines à pacifier leur région :

We the people of Northwest Hoa Vang District wish to express our feelings

toward the…Marines…We are very pleased with [their] battalion. We

believe in US Marine Corps power. The [Marines]…cleared our zone of

[VC]. Then with [their] power [they] defended and held our zone, keeping

the [VC]from invading us. To present an example of the fighting power

and will of the American Government, the [VC]in [Le My] Village have

all been flushed out…the [VC]have not dared come back to harass us

anymore…Also we are very happy because you helped us rebuild our

bridges in [Le My]…And we are very thankful towards your doctors.44

Des sondages réalisés dans d’autres villages ont démontré que bien que la population

appréciait les efforts civiques, la sécurité constituait leur préoccupation principale. À titre

d’exemple, les citoyens du village de Ky Xuan ont déclaré qu’ils se sentaient en sécurité

42 Ibid., p. 56. 43 Ibid., p. 57. 44 Ibid., p. 58.

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contre le VC le jour mais que ce n’était pas le cas dès la nuit tombée. Ils ont exprimé leur

désir d’avoir des troupes des Marines déployées « en tout temps » dans leur village.45 La

conduite des opérations dans le village de Le My et la situation rencontrée dans ceux tels

que Ky Xuan a eu beaucoup à voir avec le développement et l’initiation du programme de

Combined Action Platoon. Le III MAF a compris que pour compléter avec succès ses

opérations civiques, il fallait séparer la population du Viêt-Cong, gagner la confiance et

l’appui des civils et, pour ce faire, déployer ses Marines en permanence dans les villages.

À défaut d’adopter ce concept d’opération, les efforts de pacification du III MAF et ses

initiatives visant à gagner l’appui des communautés rurales n’aboutiraient à rien. C’est dans

ce contexte que des stratégies comme celles du lieutenant-colonel Clement devaient

inspirer le III MAF à adopter le programme de Combined Action Group.

3.2. Le développement et le concept des Combined Action Platoons

En juillet 1965, les Marines déployaient leurs premiers CAP dans le secteur de la base

aérienne de Danang. L’objectif officiel : assurer la sécurité des villages et des hameaux en

les protégeant de l’influence et des actes terroristes du Viêt-Cong. Parallèlement, le

programme visait à assister le gouvernement sud-vietnamien dans l’implantation des lois

locales, de gagner l’appui de la population envers les gouvernements locaux et le GVN, en

plus d’améliorer les conditions de vie de la population en général.46 En 1969, le programme

atteint son apogée avec un effectif de 2000 Marines et membres de la Navy ainsi que 3000

forces paramilitaires du Popular Force. Toujours en 1969, 114 CAP étaient opérationnels au

sein des cinq provinces d’I Corps, englobant un total de 350 hameaux habités par un total de

135,000 villageois.47 Mais jamais les CAP ne devaient dépasser le nombre de 114 complexes.

Chaque province d’I Corps disposait d’un Combined Action Group (CAG) subdivisé en

Combined Action Compagnies (CACO), à leurs tours subdivisées en Combined Action

Platoons. Considérant l’étendue du territoire et les millions de Vietnamiens vivant dans les

provinces d’I Corps, nous pouvons d’ores et déjà souligner que le programme n’avait pas

45 Ibid., p. 59. 46 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural

Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, Combined Action Platoon Fact Sheet, 17 November

1969, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry 33104, Box 5. 47 Ibid.

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l’impact opérationnel majeur souhaité sur l’ensemble de la zone d’opérations des Marines.

Néanmoins, ces derniers cherchaient à concentrer leurs efforts sur les principaux bassins de

population localisés dans les secteurs côtiers d’I Corps (voir la figure 16).

Figure 17: Disposition des Combined Action Platoons dans I Corps en 196948

Afin d’assurer la sécurité des villageois dans ces CAP, les Marines favorisaient un

concept unique qui ne devait pas être exploité avec autant de zèle par l’ensemble de l’US

Army dans ses opérations de COIN. Ce concept consistait à déployer une section d’infanterie

des Marines dans un village, puis de l’intégrer dans un peloton des forces paramilitaires de

la PF. Cette force conjointe était ensuite placée sous le contrôle opérationnel du chef de

district local. Dans cette optique de déploiement, les Marines conseillaient et entraînaient les

membres du PF tout en opérant de concert avec eux, le moment venu d’initier des opérations

offensives contre le VC. En retour, les Marines tiraient bénéfice de leurs contacts quotidiens

48 Ibid.

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avec les soldats du PF qui étaient des résidents locaux de la zone d’opération des CAP

connaissant très bien le secteur et la population locale. En conséquence, il devenait plus facile

de collecter du renseignement sur les activités communistes et de familiariser leur allié

américain avec le secteur d’opération et sa population.49 Cette parfaite symbiose entre forces

locales et forces étrangères est exactement le genre d’acquis que doivent s’approprier les

forces contre-insurrectionnelles si elles tiennent à stabiliser leurs zones de responsabilité.

Afin d’assurer un bon commandement et un contrôle adéquat de cet amalgame de forces, le

III MAF a instauré dans le parcours de développement du programme une structure

hiérarchique élaborée. Les quartiers-généraux des Combined Action Groups se sont fait

déployer à Danang, Phu Bai et à Chu Lai, avec pour mission d’assurer le commandement,

l’administration et la supervision des opérations des CACO et des CAP qui leur étaient

subordonnés. Les quartiers-généraux des CACO, pour leur part, ont été localisés dans le

quartier-général du district où leurs Combined Action Platoons opéraient. Ces quartiers-

généraux assuraient quant à eux le commandement, l’administration et la supervision des

Combined Action Platoons.

Au sein des QG de districts, les Marines déployaient une Combined Action Team

(CAT) incluant des éléments de l’ARVN. Les CAT endossaient le rôle d’un centre

d’opération voué au chef de district sud-vietnamien, au déploiement des missions des équipes

de pacification (RD) et à la gestion des opérations de sécurité militaire du programme dans

les villages. La coordination des efforts militaires, des opérations d’appui feu, du

déploiement de renforts, des opérations de patrouilles et des évacuations médicales

s’accomplissait au sein des CAT. Cet effort coordonné s’exécutait de façon conjointe entre

les commandants des CACO et de l’Armée sud-vietnamienne, ainsi libres d’appuyer

pleinement les opérations des Combined Action Platoons. L’éventuel commandant de ces

derniers, le lieutenant-colonel William R. Corson, a soulevé que cette structure

organisationnelle « reflète les nécessités uniques » qui découlent des défis relatifs à la

conduite d’opérations militaires conjointes entre deux nations. Le système offrait l’avantage

d’une résolution rapide aux potentiels problèmes de gestion et de partages de responsabilité,

49 Ibid.

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sans pour autant affecter la décentralisation et la flexibilité des opérations des CAP.50 Les

manœuvres militaires conjointes entre différentes nations ont régulièrement fait naître des

difficultés de commandement et de contrôle. Par le biais de ce système hiérarchique structuré,

la combinaison des opérations des forces de sécurité sud-vietnamiennes et des Marines se

trouvait grandement simplifiée.

Figure 18: Commandement et contrôle des Combined Action Platoons51

Quant aux CAP, leur ordre de bataille était charpenté ainsi: un total de 14 Marines et

un membre de la Navy étaient déployés dans chaque CAP. De son côté, le Popular Force y

déployait 35 soldats répartis dans trois sections de 10 hommes et un QG de cinq soldats.

Globalement, chaque Combined Action Platoon était formé d’une force américano-sud-

50 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division. III MAF. Marine Combined Action

Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, College Park, National Archives, NND 984145, RG#127,

Box 152, p. 11. 51 Ibid., p. 12. Le FWMAF: Free World Military Assistance Forces. Ce terme servait à désigner les Forces

alliées opérant au sein du théâtre d’opération sud-vietnamien, c’est-à-dire : les Forces armées des États-Unis,

de l’Australie, de la Corée du Sud, de la RVN, de la Nouvelle-Zélande, de la Thaïlande et des Philippines.

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vietnamienne de 50 soldats (voir la figure 19).52 Lors de la conduite de patrouilles et

d’embuscades sur les lignes de communication du VC, une section d’assaut (fire team) de 4

Marines s’amalgamait aux éléments de l'une des sections (fire squad) du PF. L’objectif

ultime des Marines consistait à passer suffisamment de temps auprès des forces paramilitaires

du PF pour qu’elles puissent éventuellement prendre le relais des opérations du CAP, et ce,

sans leur présence. Une fois cet objectif atteint, les Marines pouvaient quitter le village et se

déployer dans un autre CAP pour assurer le mentorat de nouvelles forces paramilitaires.53 Au

sein des villages, la mission des Marines et du PF se résumait en six objectifs. Le premier,

détruire l’infrastructure (politique) viêt-cong du village. Le deuxième, assurer la protection

des habitants et maintenir l’ordre public. Le troisième, protéger les infrastructures du village.

Le quatrième, défendre les bases et les lignes de communication nichées dans le cœur et le

périmètre des villages. Le cinquième, organiser un réseau pour la collecte de renseignement

au sein de la population civile. Enfin, le sixième, participer aux actions civiques et conduire

des opérations psychologiques visant à détourner la population civile du VC.54

Pour défendre les hameaux et les villages, la totalité des forces du PF dans la

République du Vietnam rassemblait 150,000 soldats répartis dans 3000 pelotons et 1700

sections, disséminés dans chacun des 234 districts du pays (à l’exception d’un seul). Leur

mission consistait également à protéger des attaques du VC les infrastructures clés et les

politiciens locaux. Les forces du PF regroupaient uniquement des volontaires recrutés au sein

de leurs propres villages pour protéger les membres de leur famille. Bien qu’elle soit la force

militaire la moins bien payée, le PF causa aux communistes un ratio de pertes deux fois

supérieur à celui de l’ARVN. Lorsque les Marines se déployaient pour former un CAP, son

commandant se devait de toujours demander la permission du chef de district, le moment

venu d’amalgamer ses Marines à un peloton du PF.55 Le manque d’effectifs du PF aptes à

opérer auprès des Marines a été l’un des facteurs expliquant la lente progression du

développement de CAP. Des écoles ont été formées pour stimuler la motivation des soldats

52 Ibid., p. 2-3. 53 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,

October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, College Park, National Archives, NND

29614, RG#127, Entry UD-07D1, Box 211. 54 Corson, op. cit., p. 184. 55 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division. III MAF, Marine Combined Action

Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 4-5.

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du PF à servir dans les hameaux et pour leur publiciser la nature des CAP (aucun membre du

PF n’était forcé de servir au sein des CAP; l’enrôlement était volontaire). Les soldats du PF

intéressés à servir dans un Combined Action Platoon étaient transférés dans un centre

d’entraînement spécial à Hoa Cam pour suivre un cours de sept semaines en langue anglaise.

Ce faisant, le III MAF montrait sa volonté de faciliter la communication entre les Marines et

le PF sans constamment recourir à des interprètes.56

Figure 19: Schéma officiel de l’ordre de bataille d’un Combined Action Platoon57

56 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic

of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p.43. 57 Ibid., p. 182.

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Du côté américain, une fois venu le moment de sélectionner les Marines destinés à

opérer au sein des CAP, l’état-major de l’USMC ordonnait un filtrage très minutieux.

Considérant le haut niveau de responsabilité de chaque membre d’un CAP, chacun des

candidats devait, entre autres, rencontrer les normes suivantes : le Marine intéressé à joindre

le programme devait minimalement détenir le grade de lance-caporal, avoir servi au moins

deux mois au Vietnam s’il s’agissait de sa première mission, être volontaire et motivé à vivre

et travailler avec la communauté vietnamienne, être un Marine mature, motivé et

recommandé par sa chaîne de commandement, n’avoir aucune action disciplinaire à son actif,

exceller en termes de compétences et de bonne conduite et préférablement détenir un diplôme

d’études secondaires. En plus des critères susmentionnés, un sous-officier des Marines

intéressé à être déployé dans un CAP, se devait de cumuler de l’expérience de combat,

d’avoir fait montre de grandes qualités de leadership et enfin, d’être considéré pour une

éventuelle promotion au grade subséquent.58

Ces critères démontrent à quel point le commandement des Marines avait à cœur le

bon fonctionnement des CAP. Ce type d’opération n’est pas à la portée de tous les militaires;

un soldat avec « la baïonnette entre les dents » ne pouvait trouver sa place dans un

programme tel que celui des Combined Action Platoons. Comme souligné par Galula dans

son manifeste doctrinal, dans un contexte contre-insurrectionnel, le soldat se doit d’être « un

propagandiste, un travailleur social, un ingénieur civil, un enseignant, un infirmier et un boy

scout ».59 Les Marines dédiés aux CAP ne devaient pas receler d’haine viscérale envers les

Vietnamiens et se tenir également prêts, non seulement à aider et protéger les villageois, mais

également à vivre avec eux, manger en leur compagnie et partager leur quotidien. En serrant

les mailles du filet de cette façon, le III MAF s’assurait de ne pas recruter ce que les militaires

américains appelaient des « gook haters »60. Même le plus petit incident malencontreux

impliquant un Marine et un villageois sud-vietnamien pouvait amplifier le potentiel de

répercussions désastreuses sur la bonne marche des opérations d’un CAP. Et pour cause. Il

aurait suffi de peu pour que les soldats déployés dans les villages perdent définitivement la

58 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, Force Order 3121.4B Standard

Operational Procedure for the Combined Action Program, College Park, National Archives, NND 984145,

RG#127, 1953-1993, Box 161, p. 11-12. 59 Galula, Counterinsurgency Warfare, op. cit., p. 65. 60 Le mot “gook” était un terme péjoratif utilisé par les Américains pour désigner leur adversaire japonais

pendant la Guerre du Pacifique. Le terme a également été utilisé en Corée et au Vietnam.

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confiance de la population civile. C’est pourquoi on devait se montrer très sélectif lors de

l’assignation de Marines pour le programme. En regard de la formation des Combined Action

Platoons, ces derniers se subdivisaient en deux structures: les CAP statiques et les CAP

mobiles. Le modèle statique consistait en un éventail de Marines déployés dans une

installation fixe à l’intérieur même du village destiné à être protégé ; une installation fortifiée

d’une superficie avoisinant les 100 mètres carrés abritant les Marines et les membres du PF.

Ces derniers y érigeaient des bunkers, des postes d’observation et de tir, des dépôts de

munitions, un bunker de commandement et une petite infirmerie. Chacune des places fortes

et bunkers étaient interreliés via un réseau de semi-tranchées. Une tour de guet de 50 à 65

pieds permettait une observation constante du périmètre entourant le complexe statique du

CAP et les secteurs avoisinant le village. La position était de surcroît ceinturée de barbelés,

de mines Claymore, de fusées éclairantes déclenchées par contact (trip flares) et de pièges

(voir l’annexe 5 pour des photos de CAP statiques).61 Chacun des CAP se faisait attribuer un

secteur de responsabilité déjà sous le contrôle des forces chargées des opérations

conventionnelles, secteur dénommé Tactical Area of Coordination (TAOC).

Toutes les patrouilles, embuscades ou autres opérations à l’intérieur du TAOC d’un

CAP se voyaient coordonnées avec le commandant des forces militaires conventionnelles

responsables de leur propre secteur d’opération (Tactical Area of Responsibility/TAOR). À

la nuit tombée, les sections d’assaut des Marines et celles du PF quittaient leur camp de base

afin de conduire des opérations de reconnaissance ou des embuscades sur les lignes de

communication du Viêt-Cong.62 Le deuxième type de CAP était quant à lui mobile. La

mission des CAP mobiles revêtait un caractère identique à celle des CAP statiques, sans

toutefois posséder de base d’opération statique. Au fil de ces opérations constamment

mobiles, les Marines se mouvaient en continuels déplacements, chargés du minimum

d’équipement requis afin d’assister le PF dans la conduite de patrouilles de reconnaissance

et d’embuscades. Ces CAP se voyaient également attribuer un TAOC. Contrairement aux

Marines des CAP statiques, leurs homologues des forces mobiles vivaient dans un camp

quelconque le jour, complétaient leur mission la nuit pour ensuite se redéployer dans un autre

camp. Le commandement des Marines voulait que ces CAP mobiles interagissent avec un

61 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,

October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, op. cit. 62 Ibid.

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maximum d’hameaux et de villages dans leur TAOC attitré. Pendant la journée, les Marines

des CAP mobiles s’affairaient à préparer leur prochaine mission, à initier des opérations

civiques et médicales pour assister la population civile et à donner de l’instruction aux forces

paramilitaires. À la nuit tombée, ces mêmes Marines quittaient le village pour se déployer au

sein d’un autre site du TAOC.63 Plutôt que d’exploiter des places fortes le moment venu de

protéger les villages, les CAP mobiles déployaient leurs forces dans les secteurs extérieurs

donnant accès au village. Ce faisant, ils formaient un périmètre destiné à devenir une zone

d’embuscade qui piégeait le VC. La localisation de ces points d’embuscades différait d’une

mission à l’autre, contribuant ainsi à confondre l’adversaire.64 Lorsque les Marines

comparaient les deux concepts de CAP, leur préférence allait vers le concept de CAP mobile

qu’ils jugeaient tactiquement plus efficace que le concept de CAP statique. Les secteurs

géographiques du TAOC couverts par les éléments mobiles étaient beaucoup plus larges que

ce qui pouvait être contrôlé par les éléments statiques. De plus, le Viêt-Cong rencontrait

beaucoup plus de difficulté à contrer les Marines et les forces paramilitaires des CAP

mobiles; ces derniers n’utilisaient jamais les mêmes routes et ne privilégiaient aucun secteur

en particulier, une stratégie qui déstabilisait à répétition le VC toujours dans la totale

ignorance du moment où il se ferait embusquer par les Marines.

Avec les CAP statiques, il était plus facile pour les insurgés d’embusquer les Marines

et le PF car, ultimement, les communistes savaient que les Marines regagneraient

éventuellement leur camp de base statique, ce qui n’était pas le modus operandi des CAP

mobiles. Le VC se trouvait incapable d’embusquer les Marines, compte tenu de leurs

déplacements constants en des parcours aléatoires (de la perspective VC) d’une zone à l’autre

de leur secteur d’opération. Via le système de CAP mobile, les Marines ont aussi observé

que les communistes jouissaient de beaucoup moins de liberté de mouvement dans leur zone

d’opération, un facteur qui compliquait souvent la jonction de troupes VC avec celles du

NVA. Les chefs d’hameaux que nous avons vus précédemment vivre dans la peur de

demeurer la nuit dans les villages se montraient beaucoup plus enclins à y rester lorsqu’ils

savaient que des CAP mobiles opéraient dans le secteur. Lorsque les Marines de CAP de ce

63 Ibid. 64 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural

Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, op. cit.

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type manœuvraient dans un secteur spécifique du TAOC, on observait une chute des attaques

terroristes du VC sur les autorités locales et les forces de police.65 L’effet de surprise

engendré via les embuscades des CAP mobiles vint à dissuader les Viêt-Cong de s’aventurer

trop près des secteurs peuplés, patrouillés par les Marines. Dans plusieurs secteurs, le VC

considérait trop élevé le prix à payer pour s’approcher des villages et, de ce fait, les contacts

avec les Marines ont complètement cessé.66 Concernant les relations avec la population

civile, les Marines des CAP mobiles interagissaient avec plus de villageois, se mêlaient à

eux, assuraient leur protection, apprenaient leurs coutumes et développaient une relation

amicale favorisant les bases d’une confiance mutuelle.67 Il est à noter que les forces statiques

pouvaient accomplir sensiblement les mêmes actions que leurs collègues des forces mobiles.

Toutefois, la surface géographique à la portée du contrôle des CAP statiques était fort limitée,

ce qui explique les succès plus généralisés des CAP mobiles. De plus les infrastructures

défensives des CAP statiques nécessitaient la présence constante de Marines et de membres

de la Popular Force pour assurer la défense du complexe, un facteur qui restreignait les

troupes déployées, désireuses d’initier des embuscades.

Ultimement, le VC a fini par réaliser qu’il pouvait opérer à son gré dans les secteurs

ruraux s’il s’assurait au préalable de ne pas approcher le périmètre d’un village protégé par

un CAP statique. Enfin, compte tenu que le statut de « position défensive » des CAP statiques

les rendait plus vulnérables, le Viêt-Cong pouvait conduire des opérations de reconnaissance

pour cibler les points faibles du complexe défensif du camp statique avant de lancer un assaut

pour s’en saisir. Lors de l’offensive du Têt, le VC est parvenu à détruire plusieurs bases

d’opération de CAP statiques en exploitant cette méthode. Néanmoins, jamais le VC n’a

réussi à anéantir un CAP mobile.68 L’ensemble de ces particularités explique pourquoi les

Marines privilégiaient le concept mobile des Combined Action Platoons. Dans les prochaines

pages, nous verrons comment la destruction de CAP statiques par les communistes lors du

Têt a prouvé l’importance de viser à la fois les unités de guérilla du Viêt-Cong et les forces

65 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,

October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, op. cit. 66 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural

Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, op. cit. 67 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,

October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, op. cit. 68 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural

Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, op. cit.

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militaires conventionnelles du NVA. Avec une panoplie d’unités régulières communistes

libres de projeter leurs forces dans l’ensemble de la campagne sud-vietnamienne, la chute de

CAP statiques serait vraisemblablement advenue bien plus fréquemment. Nous sommes une

fois encore à même de cibler l’importance que revêt la nécessité de maximiser de manière

synchronisée la conduite d’opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.

Nonobstant ce détail, le système de CAP respectait les bases fondamentales de la doctrine

contre-insurrectionnelle de David Galula. Les opérations de contre-insurrection menées par

les Marines dès 1965 par le biais de ses CAP ont rapidement causé de sérieux ennuis à

l’insurrection viêt-cong.

3.3. Déploiement du premier Combined Action Platoon et extension du programme

Bien que les secteurs en périphérie de la base de Danang aient été sécurisés lors de

leur arrivée au Vietnam en mars 1965, les Marines ne devaient pas tarder à constater que les

Viêt-Cong contrôlaient l’ensemble des secteurs ruraux. Les communistes avaient su prendre

profit de la dégringolade contre-insurrectionnelle des forces de sécurité sud-vietnamiennes à

la suite de la chute de Diem et des hameaux stratégiques en 1963. À l’arrivée des Marines

dans I Corps, le VC s’était déjà littéralement incrusté en profondeur dans les basses terres et

les secteurs côtiers du nord de la RVN. À l’exception des centres urbains, les seuls moments

propices où l’on pouvait circuler en toute sécurité dans les secteurs étaient pendant la journée.

Dès la nuit tombée, les forces de sécurité sud-vietnamiennes s’éclipsaient dans leurs

retranchements défensifs, laissant ainsi le VC sillonner en toute immunité les secteurs

peuplés d’I Corps.69 Trois villages de Phu Bai, dans le secteur de responsabilité des Marines,

ne faisaient pas exception; à la nuit tombée, ces agglomérations devenaient contrôlées par le

VC et l’ont été pour plusieurs années. Les insurgés y ont positionné des mortiers qu’ils

mettaient à profit pour harceler les positions des Marines près de la base aérienne de Danang.

En date du 21 juin 1965, les Marines ont pour la première fois pénétré dans les villages afin

d’y effectuer une patrouille de présence. Leur mission consistait à initier un contact avec les

dirigeants officiels des villages et d’effectuer une évaluation de la situation. Au cours de la

semaine suivante, des contacts similaires se sont établis entre les chefs de villages et les

69 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 2.

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Marines. Résultat : les chefs de village ont accepté que les Marines déploient des équipes

médicales pour soigner les villageois. Lentement mais sûrement, la population commençait

à accepter de plein gré l’aide médicale des Marines.70 Chacun des villages comptait un

peloton de 30 membres du PF, destinés à former les premiers CAP auprès des Marines.

Néanmoins, préalablement à la mise sur pied du premier CAP, les forces paramilitaires

n’osaient pas patrouiller les secteurs avoisinant les villages et les dirigeants locaux ne

s’aventuraient pas à passer la nuit dans les hameaux, de crainte d’être assassinés par les

insurgés. Ces derniers continuaient librement de collecter des taxes, d’effectuer des

opérations de propagande et de terroriser les villageois. Les Marines n’arrivaient tout

simplement pas à collecter du renseignement auprès de la population ou du PF, ces derniers

vivant dans la crainte des inévitables représailles des insurgés. Lors d’une rencontre avec les

chefs de villages, les commandants de l’USMC sur place se sont fait dire sans réserve aucune

que leur assistance était grandement « appréciée » des villageois qui vivaient déjà beaucoup

mieux qu’avant l’arrivée des Marines.

Toutefois, les dirigeants soulevaient que le réel problème résidait dans « la sécurité ».

Ils ont expliqué aux Américains que les habitants du village « étaient loyaux envers le

GVN », qu’ils assisteraient les Marines au meilleur de leurs possibilités. Nonobstant cela, le

spectre de représailles était trop énorme et, de plus, les chefs de village ont fait valoir que les

soldats du PF ne faisaient tout simplement pas le poids face aux Viêt-Cong.71Après cette

rencontre, les Marines ont réalisé que leurs efforts de patrouille et d’aide médicale avaient

été vains et qu’ils négligeaient l’aspect névralgique d’une COIN : la sécurité de la population.

C’est à cet instant qu’est arrivée la recommandation de déployer des troupes en permanence

à l’intérieur des villages du secteur de Phu Bai.72 Soucieux de ne pas étendre l’ensemble de

leurs forces dans les villages, le commandement local de l’USMC a développé l’idée

d’amalgamer diverses forces réduites de leurs Marines aux éléments paramilitaires du PF

dans les villages. Le plan une fois soumis au commandant de bataillon des Marines sur place

a reçu sa prompte adhésion mais n’a toutefois pas obtenu l’approbation (ni la désapprobation)

70 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,

1953-1993 MDEC. Amphibious Warfare School. Modification to the III MAF Combined Action Program in

the Republic of Vietnam, 19 December 1968, College Park, National Archives, NND 9841145, RG#127, Box

119, p. C-1-C-3. 71 Ibid., p. C-4-C5. 72 Ibid., p. C-5.

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de sa chaîne de commandement. Cela a suffi cependant pour initier les premiers déploiements

de Marines dans les villages, en appui au PF. Le 25 juillet 1965, le lieutenant Paul R. Ek s’est

vu assigné en tant qu’interprète au 3rd Battalion, 4th Marines. Sa connaissance de la langue

en faisait le candidat idéal pour travailler au sein d’un CAP, ce qui a incité le commandant

de bataillon des Marines à le mettre en charge du tout premier Combined Action Platoon

(voir annexe 6).73 Une fois déployés dans les trois villages de Phu Bai, Ek et ses Marines se

sont mis immédiatement au travail. Au cours des premières semaines, Ek s’est activé à

entraîner ses Marines à comprendre la culture, la religion, les coutumes et la langue des

Vietnamiens. Il a révisé avec eux les tactiques de base d’opération de petites unités et les

actions offensives sous contact ennemi. L’entraînement a duré quelques semaines et, en août,

les Marines et le PF initiaient leurs premières patrouilles conjointes dans les secteurs

avoisinant les trois villages de Phu Bai. Pour sa part, le chef de province de Thua Tien a

donné le feu vert, approuvant le déploiement des forces du PF auprès des Marines en vue

d’actions offensives. Pour sa part, le général Victor Krulak, informé des progrès de

l’initiative contre-insurrectionnelle des Marines, a donné sa bénédiction pour que le

programme aille de l’avant.74

Ainsi, Ek et ses Marines ont continué à entraîner les membres du PF, patrouillaient

avec eux, les traitant avec le plus grand respect. Les résultats de cette coopération se sont

avérés très positifs. En prenant la peine de connaitre les paysans (membres des familles des

soldats du PF), les Marines ont réalisé qu’il était tout à fait possible de gagner l’appui des

villageois. Sur le plan offensif, la coopération des Marines du lieutenant Ek et du PF a généré

d’excellents résultats contre le VC. Le 29 novembre 1965, le lieutenant Ek a déployé une

partie de son CAP dans le but d’initier une embuscade contre le VC près du pont de Phu Bai.

Deux sections du CAP s’étaient préparées à initier de manière coordonnée l’embuscade qui

devait également bénéficier de l’appui de frappes d’artillerie. Sommairement analysée,

l’embuscade s’est déroulée comme suit : une patrouille nocturne des VC se mouvait vers les

villages du secteur de Phu Bai lorsqu’elle s’est trouvée embusquée de front par une section

de Marines et de PF. Sur son flanc droit, le VC a subi le tir simultané de l’autre section de

CAP, coinçant les insurgés au centre d’un tir croisé. Le chemin de retraite du VC ayant déjà

été préétabli par les Marines, ceux-ci ont veillé à fournir à leur artillerie les coordonnées

73 Ibid. 74 Ibid., p. C-7-C-8.

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topographiques du secteur de repli anticipé de l’ennemi. Les survivants des VC ont vu leur

retraite coupée par l’artillerie qui effectua un tir de blocage. L’aire de repli du VC s’est

littéralement métamorphosée en une zone d’abattage qui a maximisé les pertes des forces

insurgées (voir la figure 20).75

Figure 20: Schéma de l’embuscade du CAP du lieutenant Ek au pont de Phu Bai76

75 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 3. 76 Ibid., p. 2b.

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Cette tactique d’embuscade exploitée par le tout premier CAP a constitué une des

méthodes privilégiées des Marines, destinée à devenir pratiquée à répétition par l’ensemble

des autres Combined Action Platoons appelés à voir le jour. Le 25 septembre, le lieutenant

Ek s’est fait remplacer par le capitaine John J. Mullen, l’un des premiers officiers des Marines

à proposer l’idée de déployer des CAP dans I Corps. Il a continué dans la même lancée que

le lieutenant Ek, ordonnant toutefois la mise en place d’ajustements qu’il jugeait importants :

chaque village devait être occupé en permanence par les Marines; les patrouilles de nuit et

les embuscades devaient être maximisées, il fallait assurer une garde à 100% active au sein

des villages à la tombée de la nuit et également intensifier l’entraînement conjoint avec les

membres du PF. Le commandant de bataillon des Marines y est allé aussi de ses propres

directives : sécuriser la population civile en permanence pour la séparer des VC, implanter

et maintenir un programme d’action civique dans les villages, de concert avec les autorités

locales, afin d’améliorer les conditions de vie de la population ; mettre sur pied un réseau

pour la collecte de renseignements et, enfin, entraîner les membres du PF de manière à ce

qu’ils puissent prendre le relais des opérations sans s’appuyer sur la présence des Marines.77

En somme, les règles officielles de la conduite des opérations des CAP mentionnées

précédemment ont été établies dès les premiers balbutiements du programme dans le secteur

de Phu Bai. En adoptant ces méthodes littéralement calquées sur les préceptes doctrinaux de

Galula, les Marines facilitaient la conduite des opérations de COIN dans les villages et les

secteurs avoisinant. Dans les zones du CAP de Phu Bai, on a expérimenté de plus en plus de

contacts avec les VC. Ceux-ci tombaient ponctuellement sous embuscade, un jeu auquel ils

n’étaient pas familiers, compte tenu qu’ils avaient généralement l’habitude d’être eux-mêmes

les instigateurs d’embuscades contre les Américains. Devant les succès des Marines et du

PF, la population civile commençait à ressentir un sentiment de confiance envers les forces

de sécurité chargées d’assurer leur protection. La police nationale déployée dans la région

des villages de Phu Bai, jusque-là inactive, commençait à fournir du renseignement aux

forces des CAP. Il en alla de même pour la population civile qui se risquait également à

donner de son plein gré aux Marines du renseignement sur les activités insurgées. De leur

côté, les dirigeants des villages de Phu Bai qui, préalablement au déploiement des CAP,

77 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,

1953-1993 MDEC Amphibious Warfare School, Modification to the III MAF Combined Action Program in

the Republic of Vietnam, 19 December 1968, op, cit., p. C-9-C-10.

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refusaient de passer la nuit dans les hameaux, commençaient à s’y sentir en sécurité et

demeuraient dans leur domicile une fois la nuit venue. Le chef de la province de Thua Thien

a été si impressionné par les succès du premier CAP qu’il a ordonné le déplacement d’un

peloton (30 soldats) supplémentaire de forces paramilitaires qu’il a mis à la disposition du

capitaine Mullen. Ce dernier devait découvrir qu’en fait, le chef de la province lui avait

envoyé un de ses pelotons de PF les plus aguerris. Ce constat a incité Mullen à ne déployer

que trois Marines en soutien au peloton qu’on a chargé de cueillir du renseignement sur le

VC pendant le jour et de l’embusquer pendant la nuit.78 À compter de novembre 1965, 75%

des opérations offensives du CAP de Phu Bai s’initiait grâce à la collecte de renseignements.

Dès lors, les activités de propagande ainsi que la collecte de taxe du VC ont complètement

cessé dans les villages de Phu Bai. De plus, les Marines et les habitants des hameaux

s’acceptaient sans réserve les uns les autres. C’est également à partir de novembre 1965 que

les pelotons des CAP ont été subdivisés selon les standards définis à la figure 19.79

À la mi-décembre 1965, le programme a pris de l’expansion dans le secteur de

Danang; trois autres villages sont tombés sous la responsabilité de CAP. De janvier à avril

1966, les opérations contre-insurrectionnelles se sont poursuivies, donnant des résultats tout

aussi constructifs. Les contacts et embuscades contre le VC s’élargissaient incontestablement

à l’avantage des Marines et du PF. Les conditions de vie et les ressources disponibles pour

la population civile continuaient de s’améliorer et prendre de l’ampleur. Les villages une fois

sécurisés, le GVN devenait apte à contribuer de manière beaucoup plus proactive au

développement des infrastructures pour la communauté rurale. Le succès global de ce

premier ensemble de CAP atteint un niveau suffisant pour que le commandant du III MAF,

le général Lewis W. Walt, ordonne au capitaine Mullen de sélectionner un second TAOR

pour le développement d’une toute nouvelle compagnie de plusieurs CAP.80 Avec le temps,

le secteur de responsabilité des Marines commençait à rayonner et aller au-delà des limites

du secteur de Danang. En 1966, le nombre de Marines déployés dans I Corps passa de 9000

à un total de 40,000, ce qui incluait le III MAF, la 3rd Marine Division et le First Marine Air

Wing. D’autres CAP se sont développés au fil des mois, ce qui incitait l’USMC à développer

78 Ibid., p. C-10-C-11. 79 Ibid., C-11. 80 Ibid., p. C-12-C14.

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de nouvelles techniques pour sécuriser les villages destinés à devenir un TAOC des Marines.

Le moment venu de sécuriser un village, les Marines des CAP exploitaient des tactiques

beaucoup plus subtiles que leurs collègues de l’US Army. En février 1966, la 3rd Marine

Division a testé un concept baptisé COUNTY FAIR. Plutôt que de larguer des tracts à la

population civile et bombarder les secteurs avec du napalm (actions qui non seulement

trahissaient une intervention américaine mais causaient aussi la mort de civils), le concept de

COUNTY FAIR visait à déployer subtilement une unité de Marines tout autour du village

pour former un cordon de sécurité. Ce déploiement s’exécutait dans la plus grande discrétion

afin de ne pas alerter le VC. Ceci fait, des unités de l’ARVN et des cadres politiques entraient

dans le village, regroupaient ses habitants, les interrogeaient, les identifiaient, les

nourrissaient et procédaient à des opérations psychologiques. Parallèlement, les forces de

l’ARVN quadrillaient le village et le sécurisaient de façon systématique afin d’y trouver les

potentiels dépôts logistiques, tunnels et insurgés cachés et camouflés à l’intérieur du

périmètre. Ce procédé, préalable au déploiement d’un CAP, causait de sérieux problèmes aux

VC. L’analyse de documents communistes saisis démontre que le commandement

communiste avait ordonné la mise en pratique de deux plans de contingences pour faire face

aux opérations de type COUNTY FAIR initiées dans un village qui se trouvait sous leur

contrôle.

Le premier plan consistait à cibler une faille dans le cordon de sécurité des Marines

pour tenter de s’infiltrer subversivement à l’extérieur du périmètre. Advenant un cordon trop

serré, le VC devait s’assurer de détenir suffisamment d’eau et de nourriture pour tenir trois à

cinq jours dans les abris souterrains localisés sous le village.81 Dans le cas où les forces de

sécurité s’installaient en permanence, tout de suite après l’opération, pour y former un CAP,

la situation des VC terrés et non localisés par l’ARVN menaçait de devenir très précaire,

faute d’échappatoire vu la présence constante des soldats ennemis. Les concepts de CAP et

de COUNTY FAIR ont connu énormément de succès au cours des mois subséquents au

déploiement original des Marines. Forts de ce modus operandi et des succès du CAP original

de Phu Bai, les Marines devaient maximiser l’exploitation de cette doctrine dans divers

secteurs géographiques d’I Corps. En février 1966, il y avait suffisamment de CAP pour

81 Headquarters U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 75.

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officiellement désigner le tout premier Combined Action Company opérationnel dans les

secteurs de DaNang et de Chu Lai. Le concept a par la suite été répandu dans le reste des

secteurs côtiers des provinces d’I Corps.82 Néanmoins, l’année 1966 a également coïncidé

avec le déploiement massif d’unités régulières du NVA dans le nord de la zone d’opération

des Marines, ce qui devait aboutir sur la succession d’opérations offensives conventionnelles,

tel que décrit au chapitre précédent. Bien que ces déploiements du NVA aient justifié le

concept de guerre de Westmoreland, les Marines ont souvent déclaré que cette initiative du

général nord-vietnamien Vo Nguyen Giap avait pour origine l’efficacité des Combined

Action Platoons. Le chef d’état-major nord-vietnamien aurait déclaré qu’afin de forcer les

Marines à abandonner leurs opérations de pacification, il aurait ordonné le déploiement d’une

grande partie de ses forces régulières dans le secteur nord d’I Corps.83 Quoi qu’il en soit,

c’est exactement ce qui se produisit : la multitude de régiments réguliers nord-vietnamiens

déployés dans la zone d’opération des Marines devait faire en sorte que ceux-ci n’ont jamais

réussi à développer les 74 CAP qu’ils espéraient instaurer pour la fin de l’année 1966.84

Nonobstant cela, les CAP que le III MAF a réussi à établir ont causé au VC le même

genre d’entrave tactique que le CAP original du lieutenant Ek. De plus, la coopération des

membres du PF avec les Marines avait des impacts extrêmement bénéfiques sur les forces

paramilitaires associées aux CAP. À titre d’exemple, le PF avait comme réputation d’afficher

le plus haut degré de désertions des forces de sécurité sud-vietnamiennes avec un taux quatre

fois plus élevé que celui de l’ARVN. D’août à décembre 1966, près de 40,000 membres du

PF avaient déserté, carrément plus du quart du total de la force paramilitaire sud-

vietnamienne (PF uniquement). Cette situation contrastait grandement avec le nombre de

désertions survenu au sein des CAP : au cours de la même période, aucune désertion n’a été

enregistrée parmi les PF qui opéraient côte à côte avec les Marines.85 Ceci tend à démontrer

le potentiel de succès et de motivation des forces paramilitaires si elles opèrent de concert

avec des éléments compétents et professionnels comme ceux des Marines. Cette particularité

transparaît également lorsqu’on analyse les statistiques au combat du PF et des Marines. En

décembre 1966 et janvier 1967, les 26,000 troupes du PF déployées dans I Corps auraient

82 Ibid. 83 Michael E. Peterson, The Combined Action Platoons, New York, Praeger, 1989, p. 31. 84 Ibid. 85 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,

1953-1993, FMFPAC to II MEF, College Park, National Archives, NND 984145, RG#127, Box 146.

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neutralisé 499 VC au prix de 157 soldats tués et 231 blessés. Au cours de la même période,

2211 Marines et PF des CAP ont neutralisé 52 VC et capturé 61 insurgés. Aucun membre

des Marines ou du PF des CAP n’a été tué au cours de ces opérations. À partir de janvier

1966, les unités de CAP affichaient un ratio d’ennemis tués de 14 pour 1. Pour leur part, les

membres du PF qui n’opéraient pas au sein des CAP et auprès des Marines cumulaient un

ratio d’ennemis tués de seulement 3 pour 1.86 Les patrouilles et les embuscades des CAP

gagnaient en intensité de 1966 à 1967 et ont été la source de nombreuses embûches pour les

VC dans les secteurs peuplés (voir la figure 21).

Figure 21: Statistiques des opérations offensives des CAP 1966-6787

Ces statistiques illustrent bien que les Marines et les PF des CAP se sont révélés très

actifs le moment venu d’initier des patrouilles et des embuscades contre le VC. Plus les mois

progressaient, plus les membres du PF acquéraient de l’expérience, ouvrant ainsi la porte sur

86 Ibid. 87 Ibid.

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l’initiation plus fréquente d’embuscades. On menait ces guet-apens préférablement de nuit

moment de prédilection pour les mouvements du VC sur leurs lignes de communication. En

revanche, ces manœuvres nocturnes ne freinaient en rien la conduite d’opérations de

reconnaissance et d’embuscades durant la journée. Lorsque le taux de VC tués est analysé,

nous constatons à quel point les opérations de COIN des CAP n’engendraient pas un nombre

de pertes similaire à une opération conventionnelle. Cette particularité n’a absolument rien

d’anormal, le concept de CAP allant de pair avec ce que les Marines ont décrit dans le Small

Wars Manual comme un conflit à « basse intensité ». Dans le cas des CAP, le but cherché

n’est point d’infliger un maximum de pertes à l’adversaire, mais plutôt de l’empêcher

d’accéder aux secteurs peuplés en lui interdisant l’accès aux villages et à ses lignes de

communication. Dans cette optique, les opérations de reconnaissance et les embuscades

comme celle du lieutenant Ek constituaient le fer de lance des initiatives militaro-tactiques

du programme contre-insurrectionnel des Marines. Il suffit de résumer deux opérations

d’embuscades des CAP pour comprendre le type de contacts auxquels les Marines et le PF

étaient confrontés lorsque le cadre de leurs missions les amenait à affronter le VC.

Le premier cas s’est produit dans un CAP du secteur de responsabilité du 4th CAG.

Ayant été prévenus par un villageois de l’existence d’activités VC dans le secteur du hameau

de Ngai An, les Marines, appuyés du PF, se sont déployés au secteur désigné pour embusquer

un groupe qui s’est avéré être un peloton entier du Viêt-Cong. Par le biais du tir constant

d’une mitrailleuse M-60, d’un lance-grenade M-79 et d’armes légères, l’équipe d’embuscade

a bloqué l’accès au village et a forcé la retraite des communistes. Deux insurgés et un soldat

du PF ont péri pendant l’embuscade. Bien que les pertes encaissées par le VC soient minimes,

l’accès au village et à sa population leur a été prohibé. Le deuxième incident s’est également

produit dans le secteur de responsabilité du 4th CAG : une patrouille de CAP en déplacement

afin d’initier une embuscade a repéré quatre VC musardant dans leur périmètre d’opération.

Le CAP a embusqué les insurgés en utilisant ses armes légères, son M-79 et des obus de

mortier. Un VC est instantanément tombé au combat, les survivants répondant d’abord au tir

avec leurs AK-47, pour finalement briser le contact et chercher à fuir vers le nord-ouest de

la position des Marines. Ces derniers ont par radio demandé le déclenchement d’une mission

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de tir de l’artillerie qui a largué des obus sur le chemin de repli des insurgés,88 empêchant ces

derniers d’approcher du périmètre du village. En somme, voilà à quoi se résumait l’essentiel

des opérations offensives des CAP au cours de leurs patrouilles des secteurs de villages

placés sous leur responsabilité. L’analyse des rapports post-opération des quatre CAG

démontre que de tels scénarios se sont répétés à des centaines de reprises lors de la conduite

d’opérations de patrouilles et d’embuscades des CAP. Ces interventions, sans être

spectaculaires, étaient fidèles à la marche à suivre pour empêcher l’accès aux villages des

forces insurgées du VC. En 1967, le programme continuait à prendre de l’ampleur. Au cours

de cette même année, les généraux Walt et Krulak ont nommé le lieutenant-colonel William

R. Corson commandant des opérations de l’ensemble des quatre CAG. Corson était un

vétéran de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée. Son expertise en matière

de COIN au Vietnam devait éventuellement l’amener à travailler conjointement avec des

hauts gradés du Pentagone et de hauts conseillers de la Maison-Blanche. En décembre 1968,

I Corps comptait une centaine de CAP. Néanmoins, l’expansion croissant très vite causait

quelques problèmes au programme. Il fallait recruter plus de Marines au sein des unités

régulières dont les commandants se montraient peu enclins à laisser partir leurs meilleurs

éléments pour les voir ensuite intégrés dans les rangs des CAP.89

Nonobstant cela, le programme n’a pas perdu de son essor, là où les Marines

l’appliquaient. Toutefois, la mission des Marines et du PF allait bien au-delà des opérations

d’embuscades et d’interdiction contre le VC. Les CAP devaient également se démener pour

gagner la confiance et l’appui de la population civile. C’est dans cette visée que les Marines

ont déclenché une succession d’opérations civiques en parallèle aux manœuvres offensives

décrites précédemment. Ces interventions visaient à gagner ce que les Américains appelaient

« the heart and minds of the people ». Bien que ce terme puisse aujourd’hui sembler cliché,

c’est exactement ce que les Marines ont réussi à accomplir, non seulement dans les CAP,

mais aussi dans plusieurs secteurs d’I Corps. Au sein même des villages, les Marines et le

PF s’assuraient d’accomplir les six objectifs globaux des Combined Action Platoons. À cet

effet, le lieutenant-colonel Corson a très bien résumé comment les Marines et le PF ont atteint

88 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 4nd Combined Action Group,

October 1968 to 4nd Combined Action Group, August 1969, College Park, National Archives, NND 29614,

RG#127, Entry UD-07D1, Box 358. 89 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,

1953-1993 MDEC, Amphibious Warfare School, op. cit., p. B-2.

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203

les objectifs susmentionnés. Le premier, détruire l’infrastructure politique du VC dans les

villages, a été rendu possible grâce à trois particularités propres aux doctrines de CAP. Dans

le chapitre 1, nous avons vu comment Robert Thompson a décrit le rôle de l’infrastructure

politique du VC dans les villages. Il était de la responsabilité desdits cadres politiques de

fournir des recrues, de la nourriture, de l’approvisionnement et du renseignement aux forces

de combat de l’insurrection. Les actions des Marines au sein des CAP ont donné une

dimension particulièrement hasardeuse à cette fonction. Leur présence permanente, 24 heures

sur 24 dans les hameaux, sabotait la dynamique interrelationnelle liant les cadres politiques

communistes aux forces de combat qui dépendaient de leur appui. Bien qu’il ne soit pas

impossible pour des cadres politiques d’infiltrer les villages de CAP, il leur était néanmoins

extrêmement difficile d’y effectuer des opérations de recrutement.90 Qui plus est, les Marines

appliquaient les techniques prônées par David Galula dans les villages en assurant un

recensement complet de chaque villageois au sein des hameaux. En septembre 1967, des 75

hameaux occupés par des CAP, 69 ont pu compléter leurs opérations de recensement. Pour

les 6 CAP restants, bien qu’ils opéraient depuis six mois à peine, cela n’a pas empêché leur

programme de recensement d’être à un stade très avancé. Ces opérations ne se limitaient pas

simplement à compter combien de villageois vivaient dans les hameaux. Elles s’étendaient

également à l’élaboration de registres, de documentation, allant jusqu’à la prise des

empreintes digitales des villageois.91

Comme Galula l’a expliqué, cette initiative permettait d’identifier les villageois et de

faciliter le repérage d’intrus. Ce procédé, combiné à la présence permanente des forces de

sécurité, donnait l’opportunité aux Marines de répertorier et connaître chacun des résidents

du village et de cibler de potentiels cadres communistes pouvant chercher à s’infiltrer.

Conséquence : le taux de recrutement du VC a chuté de manière draconienne dans les

secteurs occupés par les CAP. Corson mentionne qu’au sein des 50 CAP originaux, la « perte

inexpliquée » de villageois qu’on attribuait au recrutement VC entre six mois et un an se

situait à moins d’un dixième d’un pour cent par 170 personnes. Corson n’attribue pas toutes

ces disparitions aux tentatives de recrutement communiste. Néanmoins, il souligne que

90 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, III MAF. Marine Combined Action

Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 14-15. 91 Corson, op. cit., p. 185.

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sommairement analysées, ces statistiques démontrent qu’au sein de la base populaire des

CAP qui comptait environ un total de 170,000 personnes, le VC est parvenu à recruter plus

ou moins 170 civils dans ses rangs.92 La présence des Marines empêchait les cadres

communistes d’extorquer, de voler ou d’acheter de la nourriture et d’autres nécessités à la

population civile pour nourrir les forces de combat du VC. Corson affirme que les CAP, en

coopération avec les opérations militaires conventionnelles des Marines (GOLDEN

FLEECE), ont empêché le VC de s’accaparer 75% des quatre dernières récoltes de riz dans

I Corps. De plus, des observateurs disposés au sein des marchés dans les CAP appliquaient

la consigne reçue d’empêcher la vente d’abondantes quantités de riz à de potentiels agents

du VC, une tactique qui complexifiait encore davantage l’acquisition de nourriture pour les

insurgés. Cette initiative a facilité l’arrestation de multiples sympathisants VC par les

Marines. Non seulement cette tactique empêchait le VC d’obtenir du réapprovisionnement

de nourriture, mais elle constituait un excellent moyen de collecter du renseignement auprès

des sympathisants communistes. Des insurgés capturés et des transfuges ont admis que « le

Viêt-Cong était conscient des dangers » générés par les tentatives de collecte

d’approvisionnement et de nourriture dans les hameaux protégés par des CAP. Un cadre VC

a avoué quant à lui que les Marines avaient forcé ses troupes à éviter les CAP pour rediriger

leurs opérations vers d’autres villages.93

La dernière action initiée par des Marines, avec pour résultat de saboter la capacité à

opérer des cadres communistes, a été la conduite d’opérations de reconnaissance et

d’embuscade des CAP décrites précédemment. Les patrouilles du PF et des Marines

empêchaient les troupes de combat du VC d’escorter les cadres politiques communistes

jusqu’au village. L’atteinte des objectifs 2 à 4 (protection de la sécurité publique, de

l’infrastructure du village et des lignes de communication) a également été rendue possible

par la présence permanente des Marines et les opérations offensives exécutées nuitamment

dans le périmètre du village.94 Quand venait le moment d’évaluer le degré d’efficacité des

CAP à assurer la protection de l’infrastructure des villages et de son leadership politique, le

Lieutenant-Colonel Corson s’appuyait sur les faits suivants : dans les hameaux sans CAP,

92 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, III MAF, Marine Combined Action

Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 15. 93 Ibid., p. 186. 94 Ibid.

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moins d’un chef d’hameau sur cinq se sentait « suffisamment en sécurité » pour passer la nuit

dans sa maison. Au sein des villages défendus par un CAP, plus de quatre chefs d’hameau

sur cinq se sentaient suffisamment protégés pour demeurer dans leur demeure sur une base

permanente. Seulement 29% des villages sans CAP disposaient d’un conseil politique

d’hameau pour gouverner la communauté. Du côté des villages auxquels on greffa un CAP,

93% disposaient d’un conseil d’hameau fonctionnel.95 Le cinquième objectif, qui visait à

créer un réseau pour la collecte de renseignement, a également connu beaucoup de succès au

sein des CAP. Nous avons mentionné précédemment que la population civile se montrait très

réticente à donner des renseignements sur le VC, par crainte d’inévitables représailles,

souvent meurtrières, des insurgés. Les hameaux stratégiques motivaient largement les

villageois à divulguer de leur plein gré du renseignement aux forces contre-

insurrectionnelles. Sans que ce soit un élément de surprise, les CAP ont créé le même effet.

Préalablement aux déploiements des Marines dans les villages, la population se montrait fort

réticente à parler aux Forces américaines car celles-ci, une fois leur patrouille de présence

terminée, ne demeuraient pas dans les hameaux.

La sécurité offerte par les CAP mettait la population en confiance, tant et si bien que

les Marines n’avaient même pas à investir d’efforts pour recruter des villageois en vue

d’établir un réseau de collecte de renseignement. Les défaites successives infligées aux

insurgés par les Marines lors de leurs embuscades autour des villages ont fortement terni

l’aura d’invincibilité du Viêt-Cong. Les CAP offraient sécurité et stabilité aux civils, ce qui

les motivait à informer les Marines sur les agissements communistes.96 Dans les secteurs

ruraux, les enfants arrivaient constamment à repérer les mouvements et les actions du VC.

Sur une base assidue, les jeunes Vietnamiens informaient les Marines sur les activités

communistes ou sur leurs trouvailles en lien avec des caches d’armes du VC. Les petits

Vietnamiens rapportaient également aux Marines des items dérobés aux insurgés. À titre

d’exemple, au sud de Danang, deux jeunes Vietnamiens ont informé une patrouille de

reconnaissance des Marines à l’effet qu’ils avaient surpris des VC occupés à enfouir

furtivement des munitions dans une fosse à proximité. Les Marines se sont mis en marche et,

95 Records of the U.S. Marines Corps. History and Museum Division, III MAF. Marine Combined Action

Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 16-17. 96 Corson, op. cit., p. 187.

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une fois parvenus au site désigné, ont découvert deux caisses remplies de munitions

fraîchement huilées.97 Dans la même veine, après qu’une famille se soit portée volontaire

pour être transférée dans les villages du secteur de Phu Bai contrôlés par les Marines, un

enfant dudit groupe les a approchés pour leur offrir de mener leur patrouille à une cave qui

abritait un groupe de sept VC. Le caveau une fois localisé, les Marines l’ont désagrégé à

coups de charges explosives. La manœuvre a permis aux Marines de découvrir deux autres

entrées à cette cave ; ils y ont débusqué, puis tué six des sept VC et ont capturé le survivant.

Sept armes, des munitions et des vêtements ont fait l’objet d’une saisie dans cette cave.98 Un

lien de confiance tacite s’est créé entre les enfants des villages et les Marines. Cette

dynamique relationnelle devait inciter les parents à mieux connaître les Marines déployés

dans leur village, ce qui a favorisé les relations paysans-Américains. Ces liens de confiance

ont enhardi les adultes qui fournissaient de leur propre chef des informations sur les activités

du VC.99 De nombreux autres rapports de civils ont fourni du renseignement semblable aux

Américains, ce qui contribuait à la protection des Marines opérant au sein des CAP.100

Parallèlement, les informations divulguées aux Marines et aux PF cautionnaient

l’élaboration d’embuscades contre le VC, ce qui, ultimement, contribuait à la sécurité du

villageois et à sa qualité de vie. Comme aboutissement logique de cette pratique, les

villageois et les Marines parvenaient à une parfaite symbiose qui facilita l’autoprotection

mutuelle des civils et des militaires. Le sixième et dernier objectif, qui consiste à participer

aux actions civiques et à initier des opérations psychologiques pour gagner l’appui de la

population, a aussi été mené avec beaucoup de succès au sein des CAP. Une particularité

propre aux Marines installés au sein des villages était de ne pas initier de projets d’actions

civiques avant d’avoir fait preuve de leur crédibilité et de leur capacité à protéger les

villageois contre les VC. L’unique action du genre originellement mise en place par les

Marines au commencement des opérations d’un CAP a été une campagne de MEDCAP.

Corson souligne qu’une fois les Marines « adoptés » par les villageois, les possibilités de

projets d’actions civiques se voyaient uniquement « limitées par l’imagination et l’initiative

des Marines dans le peloton ». En combinant leurs efforts, les Marines et le PF se sont activés

97 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic

of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. 32. 98 Ibid., p. 32-33. 99 Corson, op. cit., p. 186. 100 Ibid., p. 32-33.

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à construire des écoles, des ponts, des enclos pour les bestiaux, à réparer des routes, à

introduire de nouvelles techniques d’agriculture, à améliorer les systèmes d’irrigation et bien

d’autres projets. Considérant le fait que ces plans se bâtissaient de concert avec la population

des villages, les Marines respectaient le rythme de travail des paysans, évitant de faire

pression pour chercher à construire les infrastructures trop rapidement. Faute d’agir ainsi, les

villageois cessaient de travailler pour mieux observer les Marines travailler à une cadence

accélérée.101 Qui plus est, contrairement aux autres agences d’aide et aux forces de l’US

Army, les Marines n’entreprenaient pas d’imposer des projets de construction civiques dans

les CAP, mais plutôt de communiquer avec la population afin de s’enquérir de ce qu’elle

considérait prioritaire pour l’amélioration de son quotidien.102 Le lieutenant-colonel Corson

soulève qu’un des problèmes relatifs aux projets de construction des actions civiques résidait

dans l’acquisition des matériaux nécessaires. Généralement, les Marines finançaient les

projets à même leur propre budget, ce qui dans les circonstances, ne tenait d’aucune logique.

Les matériaux auraient dû être fournis par l’USAID qui opérait au Vietnam dans le cadre de

la restructuration des infrastructures du gouvernement à Saigon. Bien que l’USAID

contribuait aux actions civiques générales des Marines dans I Corps, Corson rapporte que

l’organisation ne se montrait guère coopérative, le moment venu de fournir des fonds pour

les projets de construction des CAP.103

Cette particularité trahit le manque d’unité entre les organisations militaires et civiles

lors de la gestion des aspects civiques de la COIN au Vietnam. À cela s’ajoutait le mépris du

MACV pour les opérations de CAP des Marines. Non seulement les CAP ne figuraient pas

dans la liste de priorité du MACV, mais de plus, les commandants de l’US Army sont allés

jusqu’à menacer les Marines de leur couper les vivres s’ils ne cessaient pas leurs

« sottises ».104 En ce qui a trait aux opérations psychologiques, les CAP ont connu, encore

une fois, beaucoup de succès auprès des villageois qu’ils protégeaient. Le comportement

affable des Marines dans les villages a dénaturé l’image de « bandits impérialistes » dépeinte

par les cadres politiques du VC. Les victoires successives des Marines et du PF contre les

insurgés lors des patrouilles et embuscades autour du village étayaient également la conduite

101 Ibid., p. 188-189. 102Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, III MAF, Marine Combined Action

Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 20. 103 Corson, op. cit., p. 189. 104 Ibid., p. 178.

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des opérations psychologiques, car les paysans en venaient à déduire que les Marines étaient

plus forts que les Viêt-Cong. Alors, si on suit cette logique de pensée paysanne, dans ces

conditions, pourquoi supporter le VC? Comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, les

paysans sud-vietnamiens ne démontraient pas qu’ils étaient assoiffés de communisme, mais

affichaient plutôt une tendance à appuyer le parti capable de leur prodiguer sécurité et

stabilité. Dans les cas des CAP, bien peu de place était laissée à l’ambiguïté le temps venu

de cibler le parti le plus apte à offrir ces deux commodités aux paysans. Au sein des CAP,

les opérations psychologiques ont encouragé un nombre considérable de VC à faire défection

et à joindre les rangs du GVN. La perte de crédibilité des communistes continua de grimper

aux yeux de la population car les insurgés se montraient incapables de « rétablir le contrôle »

de leurs opérations dans les hameaux occupés par les CAP.105 Si nous excluons les

évènements (qui seront traités plus loin) survenus au sein de plusieurs CAP lors de l’offensive

du Têt, l’affirmation de Corson s’avérait bel et bien véridique : en très grande majorité, les

CAP sont demeurés inaccessibles aux insurgés. Avant même sa nomination à la tête du

programme, Corson a proposé à l’ennemi une trêve assortie d’un défi : il a convié les VC à

un débat philosophique sur le marxisme qui se tiendrait dans un des villages. Les cadres du

Viêt-Cong ont ignoré la proposition du lieutenant-colonel Corson, ce qui n’a contribué en

rien à redorer le blason de la crédibilité du VC aux yeux de la population civile.106 Les liens

de confiance et de camaraderie qui se tissaient entre les Marines des CAP et la population

civile du secteur de Phu Bai placée sous protection a atteint des proportions qui ont dépassé

toutes les espérances des concepteurs du programme. Corson cite le témoignage du sergent

Mac McGahan qui opérait dans un CAP :

I’d say the people are completely pro-American and anti-VC in this

area…Eight out of fourteen [Marines] here have [extended their tour of

duty] for another six months. Now if the VC come in and [tries] to collect

taxes we get an informer here within ten minutes and catch them with a

blocking force…our people are prospering, building houses…and sending

their kids into Danang to school…During Tet, we got twenty or more

invites a day for dinner.107

105Ibid., p. 189-190. 106 Peterson, op. cit., p. 40. 107 Ibid., p. 193-194

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Dans le CAP de Binh Nghia, les habitants se sont aussi attachés aux Marines, les

invitant constamment à partager leurs repas. Ils étaient impressionnés de voir les Marines

enrayer les opérations du VC qui avait passé des années à traquer et vaincre le PF.108 Ce

même CAP est éventuellement devenu la cible d’une attaque majeure impliquant plus d’une

centaine de VC et des sapeurs. Bien que les communistes aient été repoussés par les Marines

et le PF, cinq Américains et six Sud-Vietnamiens ont trouvé la mort pendant l’affrontement.

Peu de temps après, on a organisé pour les six Sud-Vietnamiens et les cinq Américains

tombés au combat une cérémonie funéraire dans le village. Les villageois ont fait participer

les survivants américains à la cérémonie où les moines ont rendu hommage aux Marines

décédés.109 Dans ses écrits, Corson nous relate également l’épisode du sergent Michael F.

Flynn. Bien qu’exceptionnel, ce récit démontre à quel point la population rurale sud-

vietnamienne recelait le potentiel d’appuyer l’entièreté des efforts américains contre le VC

si l’exemple du sergent Flynn et des CAP s’était multiplié. Lors de sa première mission,

Flynn a passé 21 mois au Vietnam, un séjour presque deux fois plus long que les 12 mois

requis pour la complétion d’une mission. Pendant son séjour, il a profité du temps passé

auprès des Vietnamiens pour apprendre leur langue, en plus de jouer un rôle important dans

la pacification de Le My, l’un des premiers hameaux à être sécurisé par les Marines.

Lorsqu’un CAP s’est organisé dans le hameau de Loc An, Flynn s’est porté volontaire

pour le commander, mais sa requête a été rejetée par sa chaîne de commandement.

Ultimement, cette dernière est revenue sur sa décision quand les villageois de Loc An ont

acheminé une lettre au commandant de bataillon de Flynn, corroborant à quel point le sergent

des Marines était apprécié de la population. En décembre 1966, Flynn a choisi de prolonger

sa mission pour une troisième fois, une demande requérant une fois de plus l’approbation de

sa chaîne de commandement qui a donné son feu vert. Flynn a déclaré à un journaliste que si

sa requête en vue de continuer son engagement pour une troisième année était refusée, il

retournerait aux États-Unis pour parfaire sa langue vietnamienne à l’université, pour ensuite

revenir au Vietnam afin de contribuer à la reconstruction du pays. La nuit suivante, le sergent

Flynn s’est fait tuer par un Viêt-Cong. Profondément choqués, les habitants de Loc An et le

hameau de 2800 personnes ont proclamé un deuil général d’un an pour pleurer la mort du

108 Bing West, The Village, New York, Pocket Books, 2003 (1972), p. 123. 109 Ibid., p. 157, 159.

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sergent Flynn. De surcroît, les résidents de Loc An se sont enhardis jusqu’à signifier aux VC

qu’ils ne permettraient à aucun de leurs agents d’entrer dans le hameau.110 Bien que le VC

aurait pu user de coercition pour obtenir ce qu’il désirait, les villageois se sentaient protégés

par la proximité d’un CAP déployé auprès d’eux. La réaction des habitants de Loc An en dit

beaucoup sur les dynamiques interactionnelles inhérentes à une bonne COIN. Si les forces

contre-insurrectionnelles interagissent de manière courtoise avec la population locale, si elles

se donnent la peine d’apprendre ses coutumes et sa langue tout en la protégeant et en

améliorant sa qualité de vie, les résultats ne pourront que se révéler positifs. Cette dynamique

relationnelle explique pourquoi le III MAF se montrait si sélectif une fois parvenu à l’étape

de sélectionner les Marines appelés à opérer dans un CAP. Lorsque l’ensemble des Marines

du 3rd Battalion, 4th Marine et les membres du premier CAP opérant dans les villages de Phu

Bai et ses environs ont été redéployés dans d’autres secteurs, un des chefs de village a déclaré

que la population « était triste et avait le cœur brisé ». Le chef soulignait que les villageois

se sont rassemblés sur une étendue de 300 mètres le long de la route empruntée par les

Marines qui quittaient le secteur de Phu Bai. Les Marines ont eux-mêmes remarqué que

plusieurs des habitants ne pouvaient retenir leurs larmes alors qu’ils sillonnaient la route du

départ.111

À la lecture de ces témoignages, il est difficile de figurer que ces évènements se sont

tenus pendant la guerre du Vietnam. Et pour cause, car ce n’est pas l’image que la couverture

journalistique de cette guerre a exposé à la population américaine (et mondiale). Pourtant, tel

fut bel et bien l’effet des CAP sur la population civile sud-vietnamienne. Le peu d’importance

accordé au programme par le MACV ne contribuait en rien à la publicisation des effets plus

que bénéfiques des Combined Action Groups sur la population rurale sud-vietnamienne.

Évalué globalement, le concept des CAP embrassait toutes les bases de la doctrine de COIN

développée par David Galula et Robert Thompson. L’ensemble des CAP répartis au sein des

Combined Action Groups prodiguaient sécurité et stabilité aux civils sud-vietnamiens, en

plus d’entraver la capacité du VC à exercer ses opérations insurrectionnelles dans les zones

rurales. Néanmoins, c’est lors de confrontations face à des opérations conventionnelles à plus

grands déploiements que les CAP ont montré les limites de leurs capacités. L’offensive du

110 Ibid., p. 196-197. 111 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 58.

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Têt a exposé la vulnérabilité du concept de CAP. Nonobstant cela, ces derniers ont démontré

la valeur du renseignement qu’ils étaient en mesure de recueillir par le biais de leurs bonnes

relations avec la population civile. Ce sont les Combined Action Platoons qui ont fourni les

premiers rapports de renseignement concret sur l’éventuelle offensive majeure du Têt de

1968. Les informations qui découlaient de la collecte de renseignements des CAP recelaient

un caractère suffisamment alarmant pour que le III MAF annule la trêve du Têt dans divers

secteurs d’I Corps.112 Lorsque l’offensive s’est enclenchée, plusieurs CAP se sont fait

attaquer avec beaucoup d’acharnement par le NVA. Les vétérans ayant servi au sein des CAP

se sont montrés convaincus du fait que l’attention portée aux CAP par le NVA lors du Têt a

exposé le degré de nuisance engendré par ce programme pour les forces communistes. Le

quartier-général du III MAF a également confirmé cette affirmation. Dans les faits, de janvier

à octobre 1967, 14% de toutes les attaques ennemies dans I Corps ont été dirigées contre les

CAP; de novembre à la mi-janvier 1968, 47% des attaques ont pris les CAP pour cible.113

Le 2 février, à peine quelques jours après le début de l’offensive du Têt, le CACO de

Cam Lo et le CAP P-1 se sont fait attaquer par un bataillon entier du NVA. Grâce à un

renforcement d’une compagnie d’infanterie, les Marines et le PF ont pu repousser l’assaut

du NVA. Les Nord-Vietnamiens ont perdu 111 soldats tandis que 43 autres se faisaient

capturer. Un scénario similaire s’est produit le 6 février dans les CAP B-3 et B-4 localisés

dans le secteur de Danang. Le 31e Régiment du NVA s’est attaqué au CAP B-3 qui était

renforcé par les éléments d’infanterie et des chars d’un bataillon de Marines réguliers. Pour

sa part, le CAP B-4, aussi appuyé par d’autres Marines, subissait l’attaque de deux

compagnies du NVA et, dans les deux cas, les CAP sont parvenus à en repousser les assauts.

Le 8 février, le CAP E-4, aussi situé dans le secteur de Danang, s’est aussi fait attaquer par

un régiment entier du NVA. S’en est suivi un combat qui a perduré une quinzaine d’heures

au cours duquel les Marines ont bénéficié d’un appui aérien soutenu. Les communistes se

sont fait, ultimement, repousser et un total de 288 soldats du NVA ont perdu la vie pendant

la bataille. Une force de réaction rapide de 15 Marines du CACO E a pour sa part été annihilée

; un seul de ces Marine a survécu à l’assaut. Les Américains devaient en fin de compte

abandonner le CAP E-4.114 Un autre CAP qui venait tout juste d’être activé dans le secteur

112 Peterson, op. cit., p. 56. 113 Ibid., p. 56-57. 114 Ibid., p. 58.

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de Chu Lai a subi l’attaque d’une compagnie entière du NVA. Les Marines ont réussi à

repousser les communistes et ont tué 10 soldats nord-vietnamiens. Plusieurs CAP n’ont pas

rencontré autant de succès le moment venu de contrer les assauts ennemis. Lors de leur

déplacement vers la ville de Hue, les communistes ont attaqué le CAP situé dans la région

de Phu Bai avec une force combinée du VC et du NVA. Ces derniers ont été capables de

submerger les forces défensives du CAP, ce qui a obligé les Marines à demander, ultimement,

qu’on tire de l’artillerie directement sur leurs propres positions pour repousser les

communistes. En mars, le CAP H-5 a été visé par 200 soldats communistes qui sont parvenus

à saisir la position des Marines; ceux-ci n’ont eu d’autre choix que de recourir aussi à

l’artillerie, aux chasseurs et à un avion Spectre Gunship pour assurer leur survie. Une équipe

de réaction rapide de Marines a finalement réussi à reprendre le CAP H-5.115 Un autre CAP

a été la cible d’une force de 150 à 200 communistes qui bénéficiaient de l’appui de mortiers

et du tir de canons antichars sans recul. Pour faire exploser les défenses des Marines, ils ont

utilisé des torpilles Bangalore similaires à celles utilisées par les Américains pour percer les

défenses allemandes lors du Débarquement de Normandie.

Aussitôt le périmètre défensif troué, les forces d’assaut se sont ruées vers le bunker

de commandement et le dépôt de munition des Marines et du PF. Aucune force de réaction

n’a pu se déplacer avec suffisamment de rapidité pour prêter main forte aux assiégés. Un

total de quatre Marines et 4 PF ont été tués lors de l’assaut, neuf Marines et huit PF blessés

au combat.116 Ce CAP, qui comptait à l’origine une force combinée de 48 Marines et PF, a

encaissé un taux de perte supérieur à 50% au cours de cette offensive d’un total de sept

minutes.117 Les CAP n’étaient tout simplement pas conçus pour repousser des attaques

complexes et sophistiquées de régiments ou bataillons entiers de forces communistes. Le

déploiement de renforts substantiels et un appui aérien soutenu auraient été nécessaires pour

protéger ou reprendre possession des sites de CAP. Ce qui s’est passé avec les Combined

Action Platoons durant le Têt témoigne qu’il était illusoire de penser qu’on pouvait se limiter

à faire exclusivement de la contre-insurrection et des opérations de pacification au Vietnam.

Omniprésent, le spectre conventionnel de la guerre n’a pas été imposé par la logique de

115 Ibid. 116 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, III MAF. Marine Combined Action

Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 23. 117 Ibid.

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guerre des Américains mais plutôt par les communistes et leur concept d’opération hybride,

qui forçaient ainsi la tenue de combats conventionnels et insurrectionnels. La pression

exercée sur les CAP pendant l’offensive a également fait la démonstration de la nécessité de

combiner les opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Ce que maints

Américains se plaisaient à appeler The Other War lorsqu’on parle de contre-insurrection au

Vietnam n’avait tout simplement pas lieu. Sans l’apport des forces conventionnelles des

Marines pendant l’offensive du Têt, l’ensemble des CACO et leurs CAP auraient fort

probablement tous été anéantis par les forces du NVA et du VC. À l’image des hameaux

stratégiques de Diem, les communistes n’auraient pas dédié des régiments et des bataillons

entiers à la destruction de CAP si le programme avait constitué un pétard mouillé à leurs

yeux. Quoi qu’il en soit, le choc causé par le Têt aux multiples CAP incita le commandement

du III MAF à apporter quelques modifications au programme. À cet effet, la prise de plusieurs

complexes défensifs des CAP par les forces communistes est ce a qui incité les Marines à

transformer une quantité d’unités, jusqu’alors statiques, en CAP mobiles. Ce concept

avantageait les Marines, les rendant beaucoup plus furtifs et mobiles lors de leurs opérations.

Tel que spécifié plus tôt, aucun CAP mobile n’a été annihilé par le VC ou le NVA.

Antérieurement au Têt, le programme se déroulait suffisamment bien pour que le III

MAF envisage de redéployer ses Marines dans de nouveaux CAP et de laisser les sites

originaux exclusivement sous la responsabilité du PF. Aux yeux du III MAF, le degré de

sécurité rencontré dans ces CAP, leur viabilité et l’essor de leurs programmes socio-

économiques et politiques étaient assez satisfaisants pour justifier la mise en pratique de ce

type de transition. Néanmoins, l’offensive du Têt a complètement brouillé les cartes en

exhibant les limites du programme. Les CAP ayant subi les plus grandes pertes se sont fait

immédiatement renflouer par de nouvelles forces des Marines et du PF. Une riposte

nécessaire si les Marines souhaitaient conserver la crédibilité des CAP en matière de sécurité

aux yeux de la population civile. Les combats qui ont impliqué les compagnies de Combined

Action Platoons lors de l’offensive du Têt devaient démontrer aux Américains que les forces

paramilitaires, appuyées leurs seules ressources, ne pourraient assurer la survie des CAP.118

La présence américaine s’avérait encore nécessaire pour préserver l’intégrité et la survie des

multiples CAP d’I Corps. Qui plus est, le concept est devenu, à bien des égards, victime de

118 Ibid., p. 24.

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214

son propre succès; à la suite de la succession d’opérations conventionnelles déclenchées dans

I Corps, après l’introduction massive de forces du NVA (voir chapitre 2), un flot gigantesque

de réfugiés a spécifiquement cherché à trouver asile au sein des CAP. Leur réputation de

véritables havres de protection pour les paysans a entraîné une surpopulation dans plusieurs

CAP. À titre d’exemple, un des sites passa de 4800 à 7600 habitants, dû à l’afflux de

réfugiés.119 Opportuniste, le VC a su prendre avantage de cette situation en infiltrant les

hameaux protégés par des CAP. Le but de ces intrusions visait à y semer la discorde, une

manœuvre facilitée par la situation ambiante d’une population confrontée aux inévitables

problèmes engendrés par le surpeuplement. Dans l’ensemble, ces facteurs ont incité le III

MAF à retarder le redéploiement de leurs Marines vers d’autres CAP.120 Un rapport

introspectif de l’USMC démontre à quel point le PF demeurait dépendant des Marines malgré

l’entraînement, de même que le mentorat offerts par ces derniers. L’analyse de pertes (morts

et blessés) démontre que les Marines portaient l’essentiel des activités de combat sur leurs

épaules.

En 1968, 1.5 Marines s’est fait tuer au combat pour 1 PF (193 Marines pour 127 PF),

et ce, même si le ratio des forces en présence favorisait les Forces sud-vietnamiennes avec

un ratio de 0.7 Marine pour 1 PF. Lors de la même période, 1.8 Marine a été blessé au combat

pour chaque PF blessé (635 Marines pour 360 PF). Globalement, les pertes de l’USMC

étaient 2.4 fois plus grandes que celles encaissées par le PF. Ceci trahissait un défaut relatif

à la conduite des opérations des CAP : les Marines agissaient davantage comme les acteurs

principaux d’une initiative contre-insurrectionnelle qui, originalement, devait consister en

une mission d’appui et de mentorat aux forces du PF pour les amener à accéder à l’autonomie.

121 Mais cela n’indique pas que le programme ait pris la forme d’un échec en soi. Les analyses

statistiques du CORDS ont démontré qu’entre janvier 1967 et mars 1968, les hameaux dotés

d’un CAP ont gardé un statut de sécurité stable, contrairement aux autres groupes

d’habitations qui ont vu leur statut de sécurité chuter jusqu’à 30% lors de la même période.

119 Ibid. 120 Ibid. 121 Records of the United States Marine Corps Headquarters Marine Corps History and Museum Division,

Background and Draft Materials for “U.S. Marines in Vietnam: The Defining Years: 1968. A Systems

Analysis View of the Vietnam War 1965-1972, College Park, National Archives, NND 014002, RG# 127,

Entry A-1(1085), Box 5, p. 13-14.

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215

Il en alla de même pour les statistiques reliées au développement des infrastructures des

hameaux : les chiffres avantagent les villages dotés d’un CAP avec une augmentation de 16%

de leur développement infrastructurel, contrairement aux autres villages qui ont subi des

chutes allant jusqu’à 13%. Également, les secteurs peuplés protégés par un CAP affichaient

un taux de survie supérieur à ceux qui ne bénéficiaient pas de cette protection.122 Le CORDS

et le III MAF rapportent aussi qu’une fois l’ensemble des activités et performances de combat

passées sous la loupe de l’analyse, les CAP ont surpassé en qualité les autres Popular Force,

le RD et, en de multiples occasions, d’autres unités américaines.123 Bien que les éléments

d’insurrection cherchaient à éviter les hameaux sous la protection des CAP, il en fut tout

autrement pour les plus larges formations communistes, et ce, même avant l’offensive du

Têt. L’acharnement de ces importantes formations à vouloir anéantir les CAP constitue un

autre indicateur de l’efficacité du programme. Du 1er novembre 1967 au 31 janvier 1968,

49% des attaques initiées par les communistes dans I Corps prenaient les CAP pour cibles.

En février 1968, lors du Têt, 38% des attaques ont été dirigées contre les CAP.124 Michael

Peterson a cité un vétéran des CAP qui a fait sa propre introspection des succès du

programme :

I think we accomplished a lot…We managed to keep the VC out of all the

hamlets in Phu Thu District…in which six CAPs operated with a force…no

more than 75 Marines…I do not recall any of our CAPs ever calling in

artillery, other than illumination…and no gunships, and no jet air-strikes.

Considering the number of kills, POWs, enemy weapons capture, Chieu

Hoi’s [returnees], and intelligence…I do not see how there could have

been anything more efficient going for us.125

Ce témoignage reflète l’ensemble de ce que beaucoup de vétérans ont exprimé en

procédant à leur propre évaluation des CAP. Si on le soumet à une analyse globale, le concept

de Combined Action Group a révélé ses limites dans le cadre du théâtre d’opération

122 Ibid., p. 14. 123 Ibid. 124 Ibid., p. 36. 125 Peterson, op. cit., p. 86. Le programme Chieu Hoi était la principale initiative d’opérations psychologiques

et d’amnistie du MACV et du GVN pour convaincre les insurgés du VC de joindre les rangs du gouvernement

sud-vietnamien. Si un insurgé du VC déposait les armes via le programme Chieu Hoi, il pouvait être gracié et

servir au sein des rangs des forces militaires sud-vietnamiennes s’il le désirait. Le programme Chieu Hoi

constituait également un excellent moyen d’obtenir du renseignement sur les positions et les opérations

communistes au sein du théâtre d’opération de la RVN.

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caractéristique à la guerre du Vietnam. Les quelques CAP crées ont été insuffisants pour

générer un impact significatif sur l’ensemble de la conduite des opérations des Marines.

Jamais les CAP n’ont atteint un effectif dépassant les 2500 Marines. Un total de 79,000

Marines était déployé dans les provinces d’I Corps, statistique qui démontre à quel point le

III MAF ne pouvait faire des CAP son effort de guerre principal. L’auteur Michael Peterson

affirme que cette statistique indique que l’effort des Marines en matière de contre-

insurrection a essentiellement pris une forme uniquement symbolique.126 Néanmoins, le QG

du III MAF n’avait pas d’autres alternatives; la présence de multiples régiments de l’Armée

régulière nord-vietnamienne et du VC a forcé l’état-major des Marines à conserver l’intégrité

de l’essentiel de ses forces pour des opérations conventionnelles. I Corps, rappelons-le, était

la zone d’opération située le plus au nord de la RVN, un secteur à proximité de la RDVN et

de la zone démilitarisée, où les combats les plus fréquents et les plus soutenus de la guerre

du Vietnam se sont conduits. Les deux divisions de 20,000 soldats nord-vietnamiens qui, lors

de l’offensive du Têt, ont entouré la base de Khe Sanh, opéraient dans ce secteur. Tel que

spécifié dans le chapitre 2, la violence et la fréquence des combats ont connu une escalade

telle dans I Corps, que le MACV a été obligé de déployer des forces de l’US Army dans le

sud de la zone d’opération pour assister les Marines.

Considérant l’étendue de la surface géographique d’I Corps et le nombre d’effectifs

à la disposition du III MAF, ce dernier se trouvait sévèrement limité dans sa capacité à

déployer plus de troupes pour ses CAP. Il est vrai que dans un scénario idéal, il aurait été

préférable que le III MAF déploie des CAP dans l’ensemble des secteurs ruraux d’I Corps.

Ce faisant, les Marines auraient créé une véritable toile; un réseau opérationnel qui aurait

sévèrement limité l’accès des VC à leurs lignes de communication et à l’ensemble des zones

peuplées de la zone d’opération. Parallèlement, il aurait été impératif pour les Marines

d’initier des opérations de search and destroy pour contrer les formations régulières

communistes. Ne pas procéder ainsi aurait condamné les CAP au sort de nombre d’entre eux

lors de l’offensive du Têt. Toutefois, rien de cela ne devait se produire; le MACV exerçait

énormément de pression sur le commandement du III MAF qui se trouvait handicapé à

étendre son programme, faute d’appui de Westmoreland. À cela s’ajoutait un manque

d’effectifs de soldats de l’ARVN exploités pour la conduite d’opérations militaires

126 Ibid., p. 123.

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conventionnelles. Nonobstant cela, dans la mesure des moyens mis à leur disposition; les

Marines se sont montrés fidèles aux accomplissements de leurs prédécesseurs en matière de

COIN au cours des conflits militaires passés. Bien qu’insuffisamment répandu pour exercer

une influence majeure sur le théâtre d’opération vietnamien, le programme de CAP a

démontré hors de tout doute une indubitable réalité : d’une part, il était tout à fait possible et

réalisable pour les Américains de gagner l’appui de la population civile sud-vietnamienne,

en échange d’un traitement courtois et de l’assurance d’obtenir protection et sécurité. D’autre

part, le programme a démontré qu’il était tout à fait concevable de séparer la population civile

des insurgés viêt-cong. Forts de leur expérience en la matière, les Marines ont démontré les

effets militairement bénéfiques d’une COIN gérée et appliquée avec tact, professionnalisme

et intelligence. Contrairement au leitmotiv de nombreux historiens orthodoxes, il était tout à

fait faisable d’exécuter des opérations de COIN au sein du théâtre d’opération vietnamien si

les forces de sécurité s’y prenaient comme il le fallait.

Mis à part l’aspect conventionnel propre au conflit, en aucune façon le facteur

insurrectionnel de la guerre du Vietnam et l’insurrection VC ne constituaient des cas

spéciaux; les éléments insurgés se sont montrés extrêmement vulnérables lorsque confrontés

aux doctrines franco-britanniques exploitées par les Marines. Il en est allé de même lors de

l’application de ces doctrines pendant la conduite du programme d’hameaux stratégiques de

Diem. Nous avons vu dans le chapitre 2 comment l’US Army pratiquait sa COIN entre 1965

et 1968. Loin d’émuler le travail constructif de leurs collègues de l’USMC, l’Armée a plutôt

fait sienne la pratique d’évacuer les villages et de recourir au napalm et à l’artillerie pour

anéantir le VC qui s’y agitait. Toutefois, là n’était pas le concept d’opération de toutes les

formations de l’US Army. Une unité de parachutistes s’est particulièrement distinguée des

autres formations de l’Armée dans la conduite de ses opérations de COIN. La 173rd Airborne

Brigade a exécuté une campagne contre-insurrectionnelle littéralement calquée sur le

principe de Combined Action Platoon de l’USMC.

3.3. La contre-insurrection de la 173rd Airborne Brigade

L’opération de COIN de la 173rd Airborne Brigade a été exécutée en 1969 dans la

Province de Binh Dinh sise dans II Corps. Ces déploiements ont eu pour cadre l’opération

WASHINGTON GREEN visant à sécuriser plusieurs secteurs du II Corps. Avec plus d’un

million d’habitants, Binh Dinh, la deuxième plus grande province de la RVN, représentait

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218

une priorité pour les plans de pacification du MACV. On a déployé la 173rd Airborne Brigade

dans les quatre districts les plus au nord de la zone d’opération. Le contrôle de ces districts

par les communistes perdurait depuis les 10 à 20 dernières années.127 À l’exemple des

Marines, la Brigade de parachutistes a opté pour déployer ses troupes de manière dispersée

avec de petites unités de combat atteignant parfois une taille aussi minime que celle d’une

section. À l’image des CAP, ces unités réduites étaient déployées conjointement avec de

petites unités des forces paramilitaires sud-vietnamiennes (RF et PF). Le commandement

américain comptait sur l’expertise de ses soldats pour chapeauter le mentorat des unités

paramilitaires sud-vietnamiennes. Des rapports introspectifs de la 173rd Airborne Brigade

soulignent que l’Armée n’a pas suffisamment cherché à appuyer le GVN, le moment venu

de « consolider ses gains » en cherchant à gagner « l’allégeance de la population ». Le

rapport spécifie également que personne n’avait encore « considéré l’effet » de l’appui

américain s’il se concentrait sur les efforts visant à développer les villages et les hameaux

sud-vietnamiens.128 Bien qu’il apparaisse positif que des éléments de l’US Army

questionnent les effets potentiels d’une bonne COIN, il a tout de même fallu attendre 1969

avant une remise en question des tactiques de certaines unités. L’analyse du 173rd Airborne

Brigade va plus loin en spécifiant ce qui suit :

The essential of the entire effort of the brigade…is the philosophy…of the

Commanding General that a number of kills and a number of operations

are not adequate parameters of progress, but rather the objective is to

provide safety to the people and their property in an opportune

environment.129

Dans l’exercice de ses fonctions lors de la pacification, le commandement de l’Armée

assurait une coopération et une coordination de ses opérations, de concert avec le chef de

district. De manière à assurer la protection des hameaux et faciliter les projets de

reconstruction, les forces de la Brigade se sont subdivisées en pelotons, puis se sont fait

attitrer une zone d’opération respective. Chaque peloton renforcerait une unité paramilitaire

127 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division. General Records

204-57: Quang Nam Correspondence 1969 Thru 204-57: Rifle Shot Operations 1969, 173rd Airborne Brigade

Participating in Pacification in Northern Binh Dinh Province, College Park, National Archives, NND

974305, RG# 472, Entry 33104, Box 5, p. 1. 128 Ibid., p. 2-3. 129 Ibid., p. 4.

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et serait déployé près d’un village afin d’en interdire l’accès aux VC.130 Ce concept

d’opération littéralement « copié collé » sur le principe de CAP des Marines a été pratiqué

pendant plusieurs mois dans les districts attitrés au 173rd Airborne Brigade. Le rapport

d’évaluation du commandant de Brigade, le général John W. Barnes, décrit en détail les

effets positifs engendrés par ces doctrines dans les zones de responsabilités de ses bataillons.

Barnes commence par souligner les raisons pour lesquelles il a autorisé l’entièreté de sa

Brigade de se concentrer sur la pacification sans chercher à initier des opérations

conventionnelles. Les seules grandes formations communistes présentes près des secteurs

nord de la province de Binh Dinh étaient le 2e Régiment VC et le 18e Régiment du NVA.

Ces derniers ne se montraient guère enthousiastes à opérer au sein de la population des

districts du nord de Binh Dinh. Cette situation a donc encouragé Barnes à courir le risque

d’employer 100% des effectifs de sa Brigade de parachutistes à l’exécution des opérations

de pacification dans sa zone d’opération. Bien que la population ne soit pas visée par les

larges formations communistes, il en était tout autrement des éléments d’insurrection du VC.

Plusieurs petites unités de Viêt-Cong opérant dans les montagnes harcelaient les

villageois, leur extorquaient de la nourriture, de l’argent, en plus de recruter des paysans

contre leur gré dans le but de gonfler leurs effectifs. Avant l’arrivée de la 173rd Airborne

Brigade, ces forces insurgées contrôlaient et influençaient la grande majorité de la

population des quatre districts du nord de la Province de Binh Dinh.131 Une fois les Forces

américaines déployées, la première étape était de ceinturer d’un cordon de sécurité et de

forces de blocage les 24 hameaux tombés sous la responsabilité des bataillons de la Brigade.

Ceci fait, les forces paramilitaires pénétraient dans le village pour le sécuriser des VC et des

sympathisants communistes susceptibles de s’y trouver. Par la suite, les forces paramilitaires

escortaient les cadres du RD qui entreprenaient les premières opérations de pacification.132

Les pelotons américains pouvaient par la suite rejoindre les forces paramilitaires dans les

hameaux pour effectuer des opérations militaires et civiques conjointes avec leurs alliés sud-

130 Ibid., p. 6. 131 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division. General Records

204-57: Quang Nam Correspondence 1969 Thru 204-57: Rifle Shot Operations 1969, Pacification Progress

Report 173rd Airborne Brigade Presentation by BG Barnes – 24 June 1969, College Park, National Archives,

NND 974305, RG# 472, Entry 33104, Box 5, p. 1. 132 Ibid., p. 2-3.

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vietnamiens. Barnes a spécifié qu’à l’exemple des Marines, ses troupes n’enclenchaient

aucun projet civique ou de construction avant d’avoir pu faire voir à la population civile que

l’Armée pouvait bel et bien les protéger des VC. Barnes spécifia à ses colonels que la mission

de ses hommes ne consistait pas en une traque de l’adversaire et en son anéantissement,

comme par le passé (Opération CEDAR FALL), mais plutôt de demeurer auprès de la

population et d’empêcher le retour des insurgés dans les hameaux. Le général a également

spécifié à ses subordonnés que l’essentiel des opérations offensives se limiterait à

l’exécution de patrouilles « agressives » dans les secteurs avoisinant les hameaux.133 Une

des premières initiatives des Américains et des unités paramilitaires a été de convaincre les

chefs de villages et la communauté que les forces de sécurité étaient là pour rester et que

dorénavant, le GVN les protégerait du VC sur une base permanente. Lorsqu’ils ont été

exposés au concept d’opération du déploiement américain dans leurs villages, les paysans

sud-vietnamiens ont affiché une réaction qui a dépassé les espérances du général Barnes. La

population qui habitait le hameau de Qui Thuan, situé dans le district de Tan Quan

(auparavant contrôlé à 90% par le VC), était à prédominance catholique. Quelques années

auparavant, le VC ayant forcé son entrée dans le village, avait terrorisé la population et

détruit son église.

La plupart des habitants ont opté pour la fuite vers les divers camps de réfugiés

dispersés dans la province de Binh Dinh. Lorsque le prêtre de la paroisse a acquis la certitude

que les forces de sécurité avaient bel et bien l’intention de demeurer en permanence au sein

des hameaux, il a approché le chef de district pour lui affirmer que si les forces de sécurité

reconstruisaient l’église, il était certain que la communauté catholique du village (chiffrée à

approximativement 6000 personnes) reviendrait s’installer à Qui Thuan.134 Une fois que la

demande du prêtre a obtenu l’assentiment du chef de district, la nouvelle s’est rapidement

répandue. Déjà, plusieurs exilés se redirigeaient vers leur domicile dans le hameau de Qui

Thuan. Suffisamment d’habitants sont revenus dans le village pour que le chef de district

acquiesce à la demande des villageois de rénover l’école des enfants et de construire d’autres

bâtiments. Bien que les matériaux nécessaires à la construction soient distribués par les

Américains, les villageois ont eux-mêmes fourni la main-d’œuvre nécessaire pour

133 Ibid., p. 1-2. 134 Ibid., p. 3.

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l’exécution des projets. La seule requête issue de la population a été d’avoir des troupes

gouvernementales déployées avec elle en permanence pour protéger « le fruit de leur

travail ».135 La présence permanente du PF/RF et des éléments du 173rd Airborne Brigade

n’a fait que stimuler la sécurité d’esprit des villageois. Afin d’exprimer leur reconnaissance,

les habitants ont formé une milice volontaire de 130 personnes pour assister les forces

paramilitaires et les soldats américains déployés avec eux.136 Barnes cite un autre exemple

concluant de la réussite des opérations de pacification de sa Brigade. Toujours dans le district

de Tan Quan, on trouvait le hameau de Tien Chan. Localisé près de l’océan, Tien Chan était

un village prospère de pêcheurs jusqu’au jour où le gouvernement s’est vu forcé de contrôler

ce secteur de la province pour empêcher les infiltrations maritimes du VC, de même que son

approvisionnement. Privé de leur moyen de subsistance, les habitants de Tien Chan n’ont eu

d’autre choix que l’exil, ce qui, parallèlement, a entraîné la chute de la moitié de l’économie

du district de Tan Quan. Lorsque les forces combinées de l’US Army et du RF/PF se sont

déployées dans le hameau de Tien Chan, seulement 42 habitants s’y trouvaient. Réalisant

qu’il faudrait plus qu’une garantie de sécurité contre le VC pour inciter les villageois à

revenir dans le hameau, les Américains ont élaboré une stratégie pour relancer l’économie

locale. Dorénavant, les pêcheurs pourraient pêcher le poisson en passant à travers les secteurs

interdits.

Néanmoins, les pêcheurs de chaque bateau devaient être identifiés préalablement à

leur sortie en mer. Lors du passage des pêcheurs en secteurs interdits, un navire américain

les escortait, puis, la journée de pêche terminée, les marins du hameau se représentaient aux

Américains pour être de nouveau escortés à travers la zone de restriction. Il a fallu peu de

temps pour que cette simple initiative et la présence permanente de forces de sécurité incite

plusieurs habitants de Tien Chan à réintégrer leur hameau. En l’espace de deux mois, Tien

Chan passa de 42 à 1459 habitants. Sur une base journalière, une cinquantaine de bateaux et

200 civils s’affairaient à pêcher du poisson. Le hameau adjacent de Cong Thanh a exprimé

son désir de se joindre à la flotte de pêcheurs, ce qui devait ajouter 50 bateaux et 250

personnes aux opérations de pêcherie du secteur de Tien Chan.137 Grâce à cette série

d’initiatives, l’économie du district de Tan Quan a connu un grand essor qui galvanisait la

135 Ibid. 136 Ibid. 137 Ibid.

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population civile et l’encourageait à accorder sa pleine confiance envers la capacité du GVN

à améliorer sa qualité de vie. Qui plus est, la courtoisie et les initiatives de pacification des

Américains se sont montrées bénéfiques pour la protection de la force : un jour, le chef du

hameau de Tien Chan a reçu un avertissement de villageois à l’effet que des VC, infiltrés

parmi un groupe de pêcheurs, ourdissaient d’installer une mine Claymore destinée à cibler

les Américains, une fois la nuit tombée. Les noms des VC ont été rapportés au chef du

hameau, ce qui s’est soldé par l’arrestation de trois insurgés. 10 jours auparavant, ce même

groupe avait réussi à tuer deux soldats américains à l’aide d’une mine Claymore.138 Citons

un dernier exemple de l’impact de la présence permanente du 173rd Airborne Brigade dans

sa zone d’opération. Dans le district de Noai Nhon, le hameau de My Duc était déserté depuis

des mois, le secteur ayant subi de nombreuses attaques du VC qui en avaient rendu les

bâtiments inhabitables. Le chef du district a fait montre d’un véritable enthousiasme lorsque

les Américains et les forces paramilitaires se sont déployés dans le village. Selon lui, cette

initiative encouragerait le retour des villageois, redynamiserait l’économie et réduirait le

nombre de réfugiés dans la région.

Une fois déployées dans le hameau, les Forces américaines et sud-vietnamiennes

l’ont occupé seules pendant un temps. Lorsque la population a réalisé que les forces de

sécurité avaient bel et bien l’intention de rester en permanence dans le hameau, des paysans

ont commencé à y affluer et à y faire paître leurs bestiaux. Néanmoins, l’accès au hameau

était problématique, compte tenu d’un large cours d’eau dont le pont qui en permettait jadis

la traversée avait été détruit par le VC des mois auparavant. Les Américains ont fourni les

matériaux nécessaires aux paysans qui ont reconstruit le pont. Une fois le pont reliant à

nouveau les deux berges, les Vietnamiens ont commencé à affluer davantage et, appuyés de

l’aide américaine, ils ont rebâti le hameau de My Duc où 150 familles se sont installées. Les

rizières ont pu être exploitées par les fermiers, le chef du hameau s’est réinstallé dans la

localité désormais protégée en permanence par les Forces américaines et sud-

vietnamiennes.139 Pour justifier ce qu’il qualifie de succès dans sa description des opérations

de COIN de ses soldats, Barnes évoque la popularité du programme de défection Chieu Hoi

dans les districts de ses bataillons, ses succès contre l’infrastructure politique du VC qui

138 Ibid. 139 Ibid., p. 4-5.

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peinait à opérer dans les villages et la popularité du Programme d’information volontaire.

Ce dernier invitait la population à fournir du renseignement aux forces de sécurité ou à leur

ramener des armes et des munitions appartenant au VC, moyennant même un paiement,

dépendant de la nature de l’information ou selon le matériel rapporté. Plus de 1400 citoyens

des villages ont rapporté armes et informations aux troupes du général Barnes. Ce dernier

souligne également qu’il devenait fréquent de voir la population alerter les Américains de la

présence de pièges et engins improvisés installés par le VC autour des hameaux.140 Tout

comme avec les Marines, des histoires comme celles de Qui Thuan, Tien Chan et My Duc

démontrent qu’il était possible pour les forces de l’US Army de gagner la confiance de la

population si elles s’abstenaient d’utiliser du napalm et de l’artillerie pour arriver à leur fin.

D’aucuns ont souvent craint le choc des cultures suscité par le contact serré des Forces

américaines avec la population civile sud-vietnamienne. Nous avons déjà fait le constat que

même Westmoreland a fait montre d’un certain malaise quand on lui a proposé le plan

original d’enclaves; le général américain ne croyait pas que ce soit une bonne idée de

déployer les troupes américaines trop près de la population. Pourtant, là résidait la clé du

problème lorsque l’on parle des opérations de COIN.

En émulant les doctrines des Marines, le 173rd Airborne Brigade a réalisé qu’il était

tout à fait possible de coexister avec la population civile tout en favorisant les bases d’un

appui et d’un respect mutuel entre Américains et Vietnamiens. Nous avons mentionné dans

le chapitre précédent à quel point les pièges et engins explosifs improvisés ont causé des

pertes significatives aux Forces américaines. Le simple fait d’appuyer la population civile,

de la protéger et de la soustraire à l’influence du VC contribuait clairement à sauver des vies

américaines. À maintes reprises au cours de la guerre, les soldats américains ont blâmé la

population rurale sud-vietnamienne de ne pas les avoir prévenus de la présence de pièges ou

de VC dans les secteurs avoisinant. C’est ce genre de situation qui a encouragé l’incident du

massacre du village de My Lai par une compagnie de l’US Army en 1968.141 Plusieurs des

soldats peinaient à réaliser que cette attitude de la population rurale était la résultante de la

140 Ibid., p. 5. 141 En 1968, une compagnie de l’US Army a massacré plusieurs centaines de civils sud-vietnamiens dans le

village de My Lai. L’incident a éventuellement été publicisé et devait susciter énormément d’émoi aux États-

Unis et à travers le monde. Ce massacre a grandement terni l’image de l’Armée américaine au Vietnam et n’a

en rien contribué à gagner l’appui populaire des Sud-Vietnamiens et de la population américaine sur le plan

domestique.

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liberté d’action du VC et de sa dominance politique et subversive au sein des villages. En

assurant une présence permanente dans les villages et en gagnant la confiance des habitants,

les Américains maximisaient leurs chances d’être avertis par la population, advenant la

possibilité d’une action hostile du VC. Il a fallu plusieurs années à l’US Army pour que

certaines de ses unités se résignent enfin à imiter les doctrines de leurs camarades des

Marines. Les accomplissements de la 173rd Airborne Brigade dans les districts de la province

de Binh Dinh tendent à contredire la théorie de John Nagl qui soutient que l’Armée

américaine, contrairement aux Forces britanniques en Malaisie, était une institution

« incapable d’apprendre » lors de son déploiement au Vietnam.142 Les opérations contre-

insurrectionnelles de la 173rd Airborne Brigade nous démontrent que l’US Army, bien

qu’elle n’ait pas l’historique contre-insurrectionnelle des Marines, recelait le potentiel

d’accomplir des opérations de COIN opérationnellement efficaces au Vietnam.

3.4. Conclusion

Le présent chapitre a démontré que le III MAF et l’ensemble du Corps des Marines

s’est montré beaucoup plus disposé à pratiquer de la contre-insurrection que leurs comparses

de l’US Army. Dès leur déploiement au Vietnam en mars 1965, dans les secteurs d’I Corps,

les Marines se sont affairés à initier une succession d’opérations civiques destinées à

améliorer la qualité de vie des paysans sud-vietnamiens et à gagner leur appui pour combattre

le VC. Les premières opérations se sont résumées à des initiatives MEDCAP et à des

distributions d’aide et de nourriture. Le déploiement d’organisations civiles de

reconstruction a aidé le III MAF et le GVN à démarrer des projets de reconstructions

civiques qui ont mené à la construction d’écoles, d’hôpitaux, de puits et de réseaux

électriques dans certains secteurs. Bien que la population rurale se soit montrée

reconnaissante de ces initiatives des Marines, il lui était difficile de donner ouvertement son

appui à l’USMC et au GVN. Cette particularité s’explique par le fait qu’aucune force de

sécurité statique ne demeurait dans les villages pour assurer la protection des villageois et

des équipes de reconstruction. Le VC, soucieux de conserver sa mainmise sur les villages et

les secteurs ruraux ne rencontrait ainsi aucune difficulté à attaquer les travailleurs et à

militairement surclasser les forces paramilitaires déployées dans les villages.

142Nagl, op. cit., p. xxii.

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225

Confronté à cette situation et face à l’insistance des civils, le III MAF a mis sur pied le projet

de Combined Action Group qui cadrait parfaitement avec les traditions historiques de

l’USMC. Cette initiative a permis le développement de 114 CAP qui ont assuré la protection

permanente des villageois, des cadres politiques et des infrastructures. Les Marines et le PF

ont coupé aux cadres et aux insurgés VC l’accès à la population en assurant l’exécution de

patrouilles de reconnaissance et d’embuscades qui avaient souvent pour origine le

renseignement fourni par la population civile reconnaissante du travail des Marines. Le

système de CAP a démontré la faisabilité de séparer les forces insurgées de la population

civile et de gagner cette dernière à la cause des Américains et du GVN. Toutefois, le spectre

hybride de la guerre du Vietnam ne devait guère tarder à faire surface. Bien que les CAP se

soient montrés efficaces dans un contexte de COIN, il en a été tout autrement lors de la

conduite d’opérations conventionnelles communistes. Plusieurs CAP sont tombés lors de

l’offensive du Têt. L’exécution d’assauts complexes de bataillons entiers du NVA et du VC

a nécessité le déploiement urgent de forces conventionnelles pour appuyer les Marines et le

PF des Combined Action Platoons. Les assauts répétés des unités régulières communistes

sur les CAP ont démontré d’une part que le programme faisait figure de véritable embûche

au bon fonctionnement des opérations d’insurrection du VC.

D’autre part, ces assauts ont prouvé hors de tout doute qu’un concept d’opérations

exclusivement basé sur le déploiement de CAP dans les secteurs d’I Corps aurait constitué

une catastrophe pour les Marines. L’omniprésence des éléments réguliers du NVA dans un

secteur sis à une telle proximité de la zone démilitarisée et de la RDVN a obligé le III MAF

à prioriser la conduite d’opérations conventionnelles. Cette particularité, combinée à

l’incapacité du PF à prendre immédiatement en charge de manière autonome les premiers

CAP, ont limité le nombre de villages pouvant être amalgamés au programme. L’application

synchronisée d’opérations conventionnelles suivies d’opérations statiques permanentes ont

démontré leur potentiel d’efficacité dans I Corps. Néanmoins, considérant les effectifs

disponibles et la menace engendrée par le NVA, il a été impossible pour le III MAF d’assurer

une exécution parfaitement équilibrée des opérations conventionnelles et contre-

insurrectionnelles. Le MACV n’aidait en rien la situation, si l’on considère sa répulsion du

programme de CAP. Toutefois, la performance des unités de la 173rd Airborne Brigade a

fait montre que la conduite appropriée d’opérations de COIN se trouvait à la portée de l’US

Army. Pour sa part, le programme de CAP a démontré à quel point les théories de Galula et

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226

de Thompson charpentaient la base d’une campagne de contre-insurrection savamment

dirigée et qu’elle s’appliquait au Vietnam. Bien que le programme de CAP soit

géographiquement limité, il en a été tout autrement pour le CORD qui englobait l’ensemble

de la campagne de contre-insurrection du MACV et du GVN dans tous les Corps et toutes

les provinces de la République du Vietnam. Le CORDS et le programme Phoenix qu’on

devait y annexer ont littéralement scié les jambes de l’insurrection viêt-cong en plus

d’engendrer une défaite sans équivoque de l’insurrection communiste.

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227

Chapitre IV : Le CORDS, le Programme Phoenix et

l’effondrement du Viêt-Cong

“Apparently, no one considered simply telling

the truth about the Phoenix Program –that this program

was actually winning the war.”1

-Lieutenant-Colonel John L.

Cook, Conseiller du programme

Phoenix

“A remarkable success in the development of

associative power to defeat a powerful insurgency was

achieved [with] the CORDS program…Its success in

defeating the Viet Cong was accomplished in the

Spring of 1972.”2

-Stephen B. Young, Conseiller

du CORDS

Si l’on exclut les efforts de pacification du III MAF dans I Corps, la poussée

américaine visant à implanter un système de contre-insurrection concret n’a vu le jour qu’à

compter de 1967 avec l’élaboration du CORDS. Bien que Westmoreland ait accordé

beaucoup d’attention aux volets relatifs à la COIN dans son concept d’opération original,

nous avons vu qu’il a préféré concentrer ses efforts sur la conduite d’opérations

conventionnelles. Pourtant, lors du déploiement des troupes de combat américaines au

Vietnam, maints discours ont été tenus sur les initiatives d’importance à privilégier pour

gagner l’appui de la population civile et la protéger du VC. En 1966, alors que les unités

conventionnelles américaines réussissaient à prévenir la chute de la RVN aux mains des

communistes, de nouveaux débats étaient soulevés à Washington quant aux tactiques et

stratégies à prioriser par le MACV. Ces débats militaro-tactiques trouvaient leur source dans

deux facteurs centraux : les incessantes requêtes des commandants militaires à vouloir

augmenter le nombre d’effectifs de soldats déployés et leur dessein d’intensifier la campagne

1 John L. Cook, The Advisor: The Phoenix Program in Vietnam, Atglen, Schiffer Publishing Ltd, 1997, p.

227. 2 Young, op. cit., p. 17.

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228

aérienne ROLLING THUNDER dans la RDVN. Considérant l’incapacité des généraux à

stabiliser la situation dans la RVN, et ce, en dépit des moyens déjà mis à leur disposition, ces

réclamations ont embrasé l’ire du Secrétaire à la Défense Robert McNamara. Compte tenu

de l’impasse où se trouvait acculé le conflit au Vietnam, McNamara jugeait qu’il était temps

de consacrer davantage d’énergie aux efforts de pacification. Le deuxième facteur central au

cœur des nouveaux débats était lié à l’incapacité du MACV à causer suffisamment de pertes

aux communistes pour qu’Hanoï ne soit plus en mesure de déployer des forces fraîches dans

la RVN.3 À ce stade du conflit, les opérations de pacification n’étaient qu’une stratégie

« corollaire » aux opérations conventionnelles majeures contre les forces du NVA et du VC.

L’un des constituants qui a aussi joué en faveur de la mise en pratique de COIN a été le retour

à Saigon de l’Ambassadeur Henry Cabot Lodge. En dépit de son rôle dans le renversement

du Président Diem, on considérait Lodge comme un fervent partisan de la COIN.4 C’est

d’ailleurs lui qui a proposé au Président Johnson de mouler la stratégie militaire américaine

à celle de David Galula et du général Jacques Massu, un des architectes de la défaite du FLN

lors de la bataille d’Alger. L’Ambassadeur américain montrait beaucoup de détermination

dans sa volonté d’inciter le MACV à maximiser ses opérations de contre-insurrection et de

pacification.

Il a rédigé un rapport exposant ce en quoi consistait sa vision des dix points à

parachever si les Américains souhaitaient assurer une pacification susceptible de stabiliser

les secteurs ruraux. Sans le savoir, par ce rapport, Lodge préétablissait les points destinés à

forger le modus operandi du CORDS pour les années subséquentes. Si on les survole dans

l’ensemble, les dix points se résumaient à ce qui suit : en premier lieu, « saturer » l’esprit de

la population avec une « idéologie attractive » apte à surclasser les concepts communistes.

En second, organiser la gestion politique des villages avec en tête de l’organigramme des

chefs d’hameaux soutenus par un comité protégé et appuyé par les forces constabulaires et

l’armée qui exerceraient des tactiques de sécurité policière. Ces comités devaient inclure des

représentants à tous les échelons, tant militaire, politique, économique que social. Le

troisième et le quatrième point consistaient en l’organisation des recensements, puis

l’attribution de cartes d’identité aux villageois. Le cinquième point reposait sur l’action de

3 Robert Komer Bureaucracy Does its Thing: Institutional Constraints on U.S.-GVN Performance in

Vietnam, Santa Monica, Rand Corporation, 1972, p. 135-136, 139. 4 Ibid., p. 136-137.

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229

forcer l’émission de permis, dans le but de contrôler la circulation des biens et de la

population. Le sixième item impliquait l’imposition d’un couvre-feu lorsque jugé nécessaire,

alors que le septième dictait d’appréhender les insurgés dans les villages. Le huitième point

prévoyait l’exécution d’actions civiques, une fois les villages sécurisés pour passer ensuite

au neuvième point : organiser les défenses des hameaux afin de repousser les attaques

mineures du VC. Enfin, venait le dixième point : la tenue d’élections locales, une fois les

neuf étapes précédentes consolidées.5 L’essentiel de ces points s’apparente beaucoup aux

huit étapes clés et aux préceptes doctrinaux contre-insurrectionnels de David Galula. Il tombe

sous le sens que l’Ambassadeur Lodge était un adepte de la philosophie doctrinale du

lieutenant-colonel français. En adoptant ces points doctrinaux, le CORDS s’apprêtait à

prouver à quel point les Américains avaient su saisir la théorie derrière l’application de

bonnes doctrines de COIN et de pacification. La difficulté était d’institutionnaliser et

d’uniformiser ces doctrines au sein de l’ensemble du système militaire américain. De son

côté, en 1966, le Président Johnson lui-même insistait pour que les efforts de guerre

américains se concentrent davantage sur ce qu’il appelait (à tort) the other war.6

Afin d’implanter un programme de pacification viable à travers toute la RVN, la

Maison-Blanche devait ordonner la création d’une véritable « machinerie » bureaucratique

qui permettrait une gestion appropriée de l’ensemble des opérations non conventionnelles.

Pour la première fois depuis l’implication militaire américaine au Vietnam, le processus de

pacification captait véritablement l’attention des hautes sphères politiques à Washington.7 Le

9 mai 1967, Johnson nomma Robert Komer à la tête des opérations de pacification destinées

à faire naître ce qui deviendrait le CORDS.8 Komer, qui par sa forte personnalité s’est vu

affublé du surnom « Blowtorch » par l’Ambassadeur Lodge9, était déjà depuis longtemps un

membre actif de la communauté du renseignement américain. Il s’est fait assigner de

5 Pentagon Papers, Part IV. C. 8[Part IV. C. 8.], Evolution of the War. Direct Action: The Johnson

Commitments, 1964-1968. Re-emphasis on Pacification: 1965-1967, op. cit., p. 12. 6 Ibid., p. iv. 7 Ibid., p. 137. 8 Patrick V. Howell, “Unraveling CORDS: Lessons Learned from a Joint Inter-Agency Task Force (JIATF).”

Mémoire de maîtrise, United States Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, 2009, p.

20-21. 9 Frank Leith Jones, Blowtorch: Robert Komer, Vietnam, and American Cold War Strategy, Annapolis, Naval

Institute Press, 2013, p. 3-4.

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230

multiples rôles reliés au renseignement militaire lors de la Guerre froide et a exercé beaucoup

d’influence sur les stratégies et politiques américaines en matière de sécurité nationale. Il

s’est montré particulièrement actif lors des présidences de John F. Kennedy et de Lyndon

Johnson.10 Le Président estimait le temps venu de centraliser complètement la gestion des

opérations de pacification des agences impliquées et il le confirma en confiant les rênes du

pouvoir à un seul dirigeant. Un rapport introspectif des opérations d’appui à la pacification

avait, rappelons-le, abouti sensiblement aux mêmes conclusions en 1963 (voir le chapitre 1).

Le Secrétaire à la Défense Robert McNamara partageait le même avis que le Président.

McNamara considérait que les opérations conventionnelles avaient permis de sauvegarder la

RVN en prévenant sa chute aux mains des communistes qui avaient débordé les forces de

l’ARVN sur tous les fronts. Fort des succès du MACV pour entraver l’offensive

conventionnelle communiste et confronté à la stagnation des opérations contre-

insurrectionnelles, le Secrétaire à la Défense s’est montré d’avis qu’il était temps de passer à

une stratégie alternative avec la pacification. Dans un mémorandum au Président, il résume

ainsi sa perception de l’importance de la pacification au Vietnam:

Central to success…is the pacification program. Past progress in

pacification has been negligible…one of the main reasons for this lack of

progress had been the existence of split responsibility for pacification on

the U.S. side. For the sake of efficiency…this…must be eliminated. [A

pacification…reorganisation [should] result in the establishment of a

Deputy…who would be in command of all pacifications staffs in Saigon

and all pacifications activities in the field.11

Néanmoins, il a fallu plusieurs études, enquêtes et opinions d’experts pour emporter

la décision de la Maison-Blanche d’approuver la création d’un organisme comme celui du

CORDS. Avant sa nomination, Komer insistait sur la nécessité d’assurer la protection des

civils pour que la pacification fonctionne. À cet effet, dans un mémorandum au Président, il

souligne :

Key aspects of pacification deserve highest priority and greater emphasis.

Unless we and the GVN can secure and hold the countryside cleared by

military operations, we either face an ever larger and quasi-permanent

military commitment or risk letting the VC infiltrate again…since the

military are moving ahead faster than the civil side we need to beef up the

10 Ibid. 11 Ibid., p. 91-92.

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latter to get it in phase. There’s little point in the military clearing areas the

civil side can’t pacify…security is the key to pacification; people won't

cooperate, and the cadre can’t function till an area is secure.12

Komer a ciblé à la lettre la clé du problème; sans une coordination plus serrée entre les

opérations conventionnelles, pacificatrices et privées de troupes statiques pour assurer la

protection rurale, on condamnait les Forces américaines à mener des traques perpétuelles

contre le VC. Dans ces conditions, les secteurs sécurisés et les efforts de pacification

continueraient de stagner. Il a également cerné les raisons expliquant pourquoi la pacification

des secteurs ruraux avait été si peu productive dans la RVN. En premier lieu, il a pointé du

doigt la priorité accordée aux opérations conventionnelles. Komer ne considérait pas cette

dynamique comme un facteur de faute, au contraire. Compte tenu de la situation

opérationnelle, il jugeait rationnel d’accorder plus d’importance aux opérations de search

and destroy. Toutefois, il fallait admettre que cette particularité affectait négativement les

opérations contre-insurrectionnelles. En second lieu, il souligne à quel point les assauts du

VC et du NVA, spécifiquement dirigés contre les efforts de pacification, limitaient

l’expansion des programmes civiques.

Dans un troisième temps, il évoquait l’existence de problèmes inhérents au modus

operandi de la pacification en soi. En quatrième lieu, il attribuait les problèmes de gestion de

la pacification au manque de personnel qualifié en tête des opérations. Enfin, il concluait que

Washington et Saigon n’avaient pas développé de plan, de programme ou de structure

organisationnelle adéquats pour mener à bien une campagne de pacification.13 Afin de

remédier à ces nombreux problèmes, Komer devait proposer une succession de mesures dont

l’une consistait à mettre en place une protection 24 heures sur 24 des villages via le

déploiement de forces de sécurité statiques. Cela aurait pour effet de faciliter le travail des

cadres du RD, sécuriser la population civile et cimenter la crédibilité du GVN. En bout de

ligne, cette mesure revenait à reproduire le concept des CAP dans I Corps. Néanmoins, pour

assister les troupes paramilitaires du RF et du PF, Komer envisageait utiliser l’ARVN plutôt

que l’US Army. Il souhaitait aussi briser la mainmise des cadres VC sur la population (via

l’éventuel programme Phoenix) et maximiser les efforts civiques du RD en vue de se

12 Pentagon Papers, Part IV. C. 8[Part IV. C. 8.] Evolution of the War. Direct Action: The Johnson

Commitments, 1964-1968 Re-emphasis on Pacification: 1965-1967, op. cit., p. 65-66. 13 Ibid., p. 67-68.

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concilier l’appui populaire.14 L’évaluation de Komer a reçu du renfort par le biais des

résultats d’une autre étude ordonnée par le chef d’état-major de l’Armée de terre à

Washington. Cette étude consacrée aux efforts de pacification au Vietnam a été titrée

Program for Pacification and Long Term Development of South Vietnam (PROVN), un

ouvrage qui devait grandement influencer les dirigeants politico-militaires américains dans

leur démarche de conceptualisation du CORDS. À l’origine, on a réservé rigoureusement à

l’armée l’usage du PROVN; ses concepteurs ont reçu la stricte directive de n’en souffler mot

à quiconque opérant à l’extérieur du Département de la Défense. Le PROVN affirmait que

1966 était une année clé, probablement la dernière chance des Américains « d’assurer un

éventuel succès » au Vietnam.15 Le PROVN stipulait ce qui suit:

Victory can only be achieved through bringing the [rural] Vietnamese to

support willingly the GVN. The critical actions are those that occur at the

village, district, and provincial levels. This is where the war must be fought;

this is where that war and the object which lies beyond it must be won.16

Pour faciliter ces opérations, le PROVN recommandait que les Américains

concentrent leurs manœuvres au sein des provinces, délèguent une série de pouvoirs

administratifs aux dirigeants provinciaux, tout en mettant la construction rurale au cœur de

l’effort principal des opérations conjointes du MACV et du GVN. Le rapport recommandait

aussi une gestion plus serrée et une implication davantage directe des Américains au sein de

la machine administrative sud-vietnamienne chargée de mettre en application les

programmes de pacification. Enfin, l’Ambassadeur américain devait détenir toute l’autorité

nécessaire, une fois le moment venu de gérer les ressources, les activités et l’utilisation des

éléments américains lors des opérations de pacification.17 Tout comme Komer, le PROVN

insistait sur la nécessité d’assurer la sécurité permanente des villages afin de faciliter la

reconstruction rurale et les autres initiatives civiques qu’on se devait d’exécuter en

coordination avec les forces de sécurité américaines, sud-vietnamiennes et le GVN. En ce

sens, le PROVN comptait également beaucoup sur l’ARVN en tant qu’appui pour l’ensemble

des activités civiques.18

14 Ibid., p. 68-69. 15 Ibid., p. 74 16 Ibid., p. 74-75. 17 Ibid., p. 75. 18 Ibid., p. 76.

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233

Un autre groupe d’étude baptisé Priority Task Force a été créé, cette fois-ci par

l’Ambassadeur américain à Saigon. À la suite d’un séjour au Vietnam, l’équipe d’analystes

devait parvenir à la même conclusion que le PROVN. Tout d’abord, on considérait totalement

défaillante la sécurité instaurée dans les secteurs ruraux afin d’entraver la liberté d’action du

VC. Ajoutons à cela l’état des gouvernements locaux au sein des villages et les élus fragilisés

par l’instabilité qui en résultait. Autant de facteurs qui faisaient obstacle à la bonne marche

des opérations de pacification. Le groupe à l’origine de l’étude jugeait aussi que les

Américains ne s’impliquaient pas suffisamment auprès des Vietnamiens, le temps venu de

les appuyer au cours des opérations de pacification. On a également conclu que depuis le

programme d’hameaux stratégiques de Diem, on notait l’absence de réel plan de pacification

structuré dans la RVN. Le Priorites Task Force faisait aussi ressortir que le programme

contre-insurrectionnel en place ne captait pas les dynamiques politiques, économiques et

sociales qui auraient dû inciter la population à appuyer activement les programmes de

pacification. De surcroît, le groupe d’étude dénonçait l’attribution des tâches en matière de

gestion et d’exécution des opérations de pacification qu’il n’hésitait pas à qualifier de

brouillonne et d’ambiguë, tant du côté américain que sud-vietnamien.

L’étude affirmait aussi que le personnel chargé des opérations n’avait pas reçu

d’entraînement adéquat et manquait de motivation. Enfin, on a mis en évidence le manque

de cohérence au sein de la structure organisationnelle du programme de pacification en place,

ce qui ne manquait pas de compliquer la conduite des opérations.19 Un dernier groupe d’étude

baptisé Role and Mission Study Group, créé en juillet 1966, s’est vu confier pour exercice

d’établir les rôles et les tâches de chaque organisation militaire au cours des opérations de

pacification. La grande majorité des recommandations du Role and Mission Study ont été

adoptées par ce qui allait devenir le CORDS. Ces consignes encourageaient entre autres de

maximiser les opérations conjointes entre les éléments militaires américains et du GVN (lors

des opérations de pacification), en vue d’améliorer les performances des forces de sécurité

sud-vietnamiennes. On recommandait d’assigner des unités de l’ARVN afin d’assurer la

protection des cadres du RD et on a prescrit que la Police nationale (Special Branch) devait

constituer l’organe principal exploité pour provoquer la destruction de l’infrastructure

politique du VC. Finalement, le groupe insistait sur l’importance de cinq éléments : en

19 Ibid., p. 80-81.

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premier lieu : le programme de RD et le rôle de ses cadres. En deuxième lieu : la création

d’une organisation clé derrière les « efforts militaires et civils » visant à empêcher la

coercition du VC. En troisième lieu : restaurer la sécurité publique, en plus d’initier les

programmes de développement politico-économiques. En quatrième lieu : affermir l’autorité

du GVN dans les secteurs ruraux. Enfin, gagner l’appui de la population civile.20 Robert

Komer, l’USAID, le JUSPAO et la CIA ont manifesté leur accord avec l’ensemble des

propositions du Role and Mission Study. Du côté du MACV, on semblait prêt à passer de la

théorie à la pratique pour mener les opérations contre-insurrectionnelles. Westmoreland a

concédé que les Forces alliées se trouvaient à l’aube d’une nouvelle phase qui succéderait

aux opérations conventionnelles et les jugeait fructueuses contre les unités communistes. Le

général a conceptualisé un plan mettant en valeur les forces du MACV qui œuvreraient à

maximiser leur appui aux opérations du RD et à la sécurité de la population. En théorie, les

Forces américaines serviraient « d’écran » et faciliteraient les opérations de l’ARVN

mandatée pour protéger la mission de pacification des cadres du RD. Parallèlement, d’autres

forces continueraient de traquer les larges formations communistes.21

Le 23 octobre 1966, lors d’une conférence à Manille, le Président Johnson et son

homologue sud-vietnamien Nguyen Van Thieu ont convenu de focaliser l’attention de leurs

forces sur l’appui aux opérations de pacification. À la suite de la conférence, le MACV et

l’État-Major américain passaient de la parole aux actes en ordonnant la formation d’équipes

d’entraînement mobiles désignées à assurer la formation les éléments militaires concernés,

afin de les aguerrir à opérer auprès de la population et à effectuer des opérations de

pacification.22 On a implanté ces décisions au moment où les Forces américaines mettaient

une conclusion aux Opérations CEDAR FALL et JUNCTION CITY dans III Corps. La

confiscation des bases d’opérations du VC dans ces secteurs aurait dû, en théorie, limiter

l’habilité des insurgés à se cacher et à opérer, encourageant davantage de ce fait le MACV à

se focaliser sur les efforts de pacification.23 Dans le chapitre 2, nous avons été en mesure de

constater que rien de tout cela ne devait se produire; l’Iron Triangle est demeuré une base

d’opération opérationnelle des forces communistes et devait servir de tremplin pour de

20 Ibid., p. 84-85. 21 Ibid., p. 86-87, 89-90. 22 Ibid., p. 116. 23 Ibid., p. 117.

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nombreuses autres opérations du VC dans les secteurs jouxtant la capitale. De plus, la

coopération entre entités militaires et le RD ne fonctionnait pas aussi rapidement que

l’auraient souhaité les concepteurs du CORDS. Quoi qu’il en soit, l’ensemble des

recommandations exposées précédemment façonna ce qui est devenu le précurseur du

CORDS; l’Office of Civil Operations (OCO) né en novembre 1966. Au départ, l’OCO ne

regroupait pas les éléments militaires mais uniquement les agences civiles et d’opérations

psychologiques mandatées pour assister la population civile et inciter les VC à faire

défection. Ces agences comprenaient l’USAID, le JUSPAO ainsi que le programme

d’opérations psychologiques Chieu Hoi. Le député de l’Ambassadeur américain à Saigon,

William Porter, supervisait l’ensemble des opérations de pacification de ces agences et du

RD.24 Néanmoins, les responsables américains et sud-vietnamiens devaient rapidement

prendre conscience que le programme échouait à rencontrer les résultats espérés. Seulement

400 hameaux supplémentaires ont été sécurisés en une année, portant le nombre total

d’hameaux considérés comme pacifiés à seulement 4400, un nombre représentant à peine le

quart de l’objectif fixé par les dirigeants américano-sud-vietnamiens.25

À cela se sont ajoutés des problèmes de coordination entre les différentes agences et

le manque d’appui des éléments du MACV qui, techniquement, ne comptait pas sous sa

responsabilité les diverses organisations de pacification. Après 4 mois d’activités peu

concluantes de l’OCO, le Président Johnson a ordonné la fusion des organisations civiles et

militaires chargées des opérations de pacification qui basculeraient dorénavant sous la tutelle

du MACV. À la même date, par le Mémorandum d’Action pour la Sécurité nationale 362, le

Président officialisait la création du CORDS.26 Désormais, la structure hiérarchique du

MACV plaçait deux députés sous Westmoreland: un général trois étoiles et un civil (Robert

Komer) à la direction du CORDS. Komer, bien qu’il soit civil, détiendrait dorénavant les

mêmes pouvoirs qu’un général et regrouperait sous son commandement les éléments

militaires attachés au programme de pacification du MACV. Le 28 mai 1967, le CORDS, la

première organisation de pacification hybride des Forces militaires américaines, débutait ses

opérations dans la RVN.27

24 Howell, op. cit., p. 20-21. 25 Ahern, op. cit., p. 241. 26 Ibid., p. 250. 27 Howell, op. cit., p. 21.

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4.1. Le fonctionnement et la structure organisationnelle du CORDS

Dirigé à partir du QG principal situé à Saigon, le CORDS opérait dans chacun des

quatre Corps et 44 provinces de la RVN. Sous le commandement de Robert Komer, on

retrouvait le Chief of Staff du MACV. Ce dernier avait la responsabilité de superviser les

opérations des éléments d’état-major (J1 à J6) et du CORDS. Le Chief of staff regroupait les

conseillers séniors du CORDS de chacun des quatre Corps. Puis, un cran plus bas, on trouvait

le Chief of Staff des divisions et des brigades, leurs éléments d’état-major (G1 à G6) et ceux

du CORDS. Toujours en dessous du Chief of Staff, on trouvait les Province Senior Advisors

(PSA), dont le rôle était de superviser les opérations du CORDS dans leur province

respective, en plus d’assumer la responsabilité de diriger leurs subordonnés de districts qui

portaient le titre de District Senior Advisors. Chacune des 44 provinces recelait en son sein

un quartier-général du CORDS dirigé par son PSA et comptait un député portant le titre de

Deputy Province Senior Advisor (DPSA). Approximativement 13,000 personnes faisaient

partie du CORDS qui regroupait 1400 civils, 5700 militaires, 6000 Vietnamiens et 300

opérateurs étrangers.28 La figure 22 donne une version graphique de la structure

organisationnelle du CORDS.

28 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group.

General Records US Weekly Returnee Reports 1969 thru Plans/1970/Supplements, Phases Etc. 1970. College

Park, National Archives, NND 45603, RG#472, Box 7.

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237

Figure 22: Structure organisationnelle du CORDS29

29 Ibid.

Les éléments d’état-major se définissent comme suit: le J1/G1 est responsable de gérer les effectifs et le

personnel militaire de la division et de la brigade. Le J2/G2 est responsable de tout ce qui est relatif au

renseignement militaire (military intelligence). Le J3/G3 est pour sa part en charge des opérations, ce qui inclut

la coordination des opérations militaires et l’attribution des éléments et tâches spécifiques pour faciliter

l’exécution des opérations. Le J4/G4 se charge de tous les éléments relatifs à l’approvisionnement logistique

des forces militaires déployées. Pour sa part, le J5/G5 est chargé des éléments relatifs à la planification et aux

stratégies appelées à être exploitées par les forces militaires sur le champ de bataille. Enfin, le J5/J6 est

responsable de tout ce qui touche les éléments de communications radios, un élément clé lors de la conduite de

combats. Bien qu’ils ne soient pas sur le graphique du CORDS, il existe également le J7/G7, responsable de

l’éducation et de l’entrainement; le J8/G8 responsable des finances et le J9/G9, responsable des opérations de

coopération militaire et civile. Ce concept est encore pleinement exploité au sein des armées modernes du 21e

siècle et facilite la gestion coordonnée des différents organes militaires responsables de gérer la conduite des

opérations.

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238

Si le Province Senior Advisor était militaire (normalement un colonel ou un

lieutenant-colonel), son Deputy Province Senior Advisor devait obligatoirement être un civil

et vice-versa. Le travail des PSA et DPSA revêtait un caractère essentiel au bon

fonctionnement du CORDS. Le PSA supervisait une gamme d’activités militaro-civiles ainsi

que les opérations du RD. Lors de l’établissement des Combined Action Platoons des

Marines, les cadres du RD représentaient le gouvernement sud-vietnamien et leur mandat

était de chapeauter et faciliter les opérations civiques et le bien-être des villageois.

Néanmoins, la création du CORDS devait décupler leurs tâches. Dorénavant, les cadres du

RD endosseraient la responsabilité de fournir l’ensemble des services gouvernementaux

destinés à l’amélioration des conditions de vie de la population rurale, de recruter des

villageois pour gonfler les rangs des milices de défense et faciliter la mise en place

d’initiatives de développements socio-économiques. Pour sa part, l’ARVN recevait pour

mission d’assurer la protection des cadres du RD en déployant des forces dans leur secteur

d’opération, en plus de servir d’écran, d’initier des patrouilles de nuit, des embuscades et de

participer aux actions civiques. Toutefois, les commandants de l’ARVN ne se montraient

guère motivés à l’idée d’exécuter ce type d’opérations.

Le problème relié à l’ARVN est rapidement devenu manifeste. Le général Depuy,

responsable du secteur des opérations du MACV (J3), a révélé que les progrès en matière de

pacification apparaissaient plus probants dans les secteurs de responsabilité des Forces

américaines et sud-coréennes. Le général a aussi souligné que les zones sous la responsabilité

de l’ARVN affichaient des progrès d’appui à la pacification « modestes » ou

« inexistants ».30 Cette improductivité ne facilitait aucunement le travail des PSA

responsables de la supervision des opérations du CORDS.31 Pour atteindre un degré

satisfaisant de sécurité dans les secteurs ruraux, l’organisation misait sur les éléments

paramilitaires du PF et du RF qui, pour arriver à suffire à la tâche, subissaient un entraînement

optimisé et ont vu leurs effectifs considérablement augmentés entre 1967 et 1970. Ces

effectifs allaient devenir éventuellement fortifiés par le programme Phoenix et

l’élargissement d’une autre force paramilitaire, le People’s Self Defence Force (PSDF)

30 Ahern, op. cit., p. 246-247. 31 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records US Weekly Returnee Reports 1969 thru Plans/1970/Supplements, Phases Etc. 1970, op. cit.

Page 252: CorpusUL: CorpusUL Home - Stratégie ......ANNEXE 6 : Patrouilles de Marines et du PF dans le ca dre des Combined Action Platoons..... 427 ANNEXE 7 : Des Navy

239

constitué d’une milice volontaire de villageois chargée d’assister le GVN dans la défense des

hameaux.32 Une autre organisation de taille devait accorder ses services pour renforcer les

opérations de pacification du CORDS : la CIA. Le quartier-général de l’Agence américaine,

basée à Langley en Virginie, a transmis au commandant du MACV à Saigon un communiqué

informant qu’on engagerait des ressources à la disposition du programme. Le chef de station

de la CIA à Saigon, Lou Lapham, devait s’assurer que tous ses agents se commettent avec

« agressivité » à l’appui des opérations du RD et de la pacification.33 Robert Komer a établi

quatre objectifs principaux pour le CORDS. Le premier : attaquer l’infrastructure politique

du VC, une tâche dévolue aux éléments militaires attachés au programme Phoenix. Le

deuxième : assurer l’expansion du programme du RD. En troisième lieu : moderniser les

forces de police. Enfin, la quatrième étape : commencer la planification pour les opérations

de pacification de 1968. Ces manœuvres allaient s’enclencher subséquemment à l’offensive

du Têt, avec le plan de pacification accéléré destiné à faire très mal aux unités résiduelles de

l’insurrection. Komer a aussi montré la volonté d’optimiser les opérations psychologiques

du Chieu Hoi, d’inciter les communistes à faire défection, d’améliorer le traitement des

réfugiés, de maximiser la participation de l’ARVN dans les opérations de pacification et de

se focaliser sur les réformes agraires.34

Lorsque venait le moment d’évaluer le degré de progrès des opérations de

pacification dans les secteurs ruraux, le CORDS médita sur une série de critères qui, une fois

solidement déterminés, permettraient de diagnostiquer jusqu’à quel point un village ou un

secteur se trouvait contrôlé par le GVN ou le VC. Dans le processus d’analyse des données,

il s’agit de se concentrer sur les « manifestations les plus significatives » du degré de

domination des belligérants, c’est-à-dire le degré de contrôle des administrateurs politiques

et des unités de défenses sud-vietnamiennes versus celui de l’infrastructure politique et

militaire du VC. Le CORDS devait établir ce qu’il a désigné comme des « indicateurs de

contrôle » qui lui permettaient d’évaluer quel parti imposait son ascendant sur le secteur en

question.35 Du côté du GVN, l’évaluation était assez simple; on considérait le village

militairement sécuritaire si les forces paramilitaires pouvaient empêcher le VC d’y opérer.

32 Ibid., p. 115-116. 33 Ahern, op. cit., p. 251. 34 Ibid., p. 252. 35 John Paul Vann Papers, Memorandum. Subject: Study of the Situation in the Countryside, 24 January 1970,

Carlisle, War College, Vietnam War Study, Box 1, 1970, (1 Jan-21 Mai) Folder, p. 10-12.

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240

Dans ces conditions, la sécurité était classée comme « adéquate » par les Américains. Du

côté politique, le village se trouvait considéré sous le contrôle du GVN si les chefs politiques

du village pouvaient opérer et passer la nuit en toute sécurité dans leur hameau. Le moment

venu d’évaluer le degré de contrôle des éléments VC, les Américains cherchaient à identifier

les points suivants : du côté militaire, on considérait le village sous contrôle VC si les

insurgés du village se montraient « aptes au combat » et si leurs positions défensives étaient

fonctionnelles. Si le village était sujet à des attaques VC de la taille de peloton, dans le secteur

direct ou avoisinant le hameau en question, le secteur était également considéré comme étant

contrôlé par les communistes. Sur le plan politique, on estimait le village sous le contrôle du

VC si son infrastructure politique contrôlait la population ou si elle entravait suffisamment

la capacité de gouverner des dirigeants sud-vietnamiens. Si un village n’affichait qu’un seul

des deux indicateurs pour le contrôle du village par le représentant du GVN et aucun critère

de contrôle VC, il était classé sous influence sud-vietnamienne. Il en allait exactement de

même du côté du degré d’influence VC. Les hameaux dont les deux camps répondaient à un

des deux indicateurs ou à aucun d’entre eux étaient considérés sous le contrôle simultané du

VC et du GVN, et en conséquence, le secteur devenait « contesté ».36

Un système informatique fort complexe nommé Hamlet Evaluation System (HES) par

les Américains et créé par la CIA à la demande du Secrétaire à la Défense Robert McNamara,

servait d’outil d’évaluation pour les quatre indicateurs. Obsédé par les chiffres, les

statistiques et les données quantitatives, McNamara avait émis comme directive qu’on

élabore un système qui lui permettrait d’expertiser les progrès des opérations de

pacification.37 Par le truchement du HES, on évaluait sur une base mensuelle chaque hameau

selon les indicateurs susmentionnés. Un conseiller de district américain, qui s’appuyait en

grande partie sur des sources sud-vietnamiennes pour catégoriser les hameaux, comptabilisait

les données.38 Le moment venu d’évaluer le degré de contrôle d’un hameau, le HES

catégorisait de la lettre A à la lettre E les villages habités. Par exemple, un hameau de

catégorie A incarnait ce que les Américains appelaient un « super hamlet », c’est-à-dire un

hameau ou tout se passait à la perfection sur les plans de la sécurité et du développement. Un

hameau classé B était perçu comme un high grade hamlet, ce qui ce qui se traduisait par une

36 Ibid., p. 12-13. 37 Young, op. cit., p. 144. 38 Ibid., p. 13, 15.

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241

classe de hameau doté d’une sécurité effective 24 heures sur 24, affichant un développement

« adéquat », habité par une population avec à sa tête des élus municipaux en fonction, ainsi

que des écoles fonctionnelles, de l’aide médicale (etc.) et, bien sûr, un milieu épuré

d’activités VC.39 Dans un hameau de catégorie C, le contrôle militaire du VC avait été

« brisé » et le secteur se situait à un niveau « relativement sécuritaire », de jour comme de

nuit. Comme la plupart des éléments d’infrastructure politique du VC avaient été identifiés,

on n’assistait point à des opérations ostentatoires de l’insurrection. La taxation du VC pouvait

encore être perçue; les chefs d’hameau demeuraient généralement dans leur domicile pour la

nuit. Les écoles et les programmes de restructuration de l’économie y étaient fonctionnels.

Ces hameaux étaient considérés sous le contrôle du GVN. Dans un hameau de catégorie D,

les activités du VC étaient « réduites » bien qu’il puisse s’y passer des actions terroristes et

de taxation du VC. Les forces de sécurité assuraient une présence dans le hameau et la

population se montrait généralement capable de participer aux opérations de restructuration

initiales du village. Des équipes médicales opéraient périodiquement dans le hameau et les

activités en matière d’éducation et d’actions civiques pouvaient progressivement être initiées.

Bien qu’il existât encore une contestation entre les deux belligérants pour le contrôle du

hameau, on le considérait tout de même sous le contrôle du GVN.40

Les hameaux de catégorie E profitaient d’une « certaine » présence du GVN.

Toutefois, le VC pouvait y pénétrer fréquemment la nuit pour harceler la population et les

chefs de villages et l’infrastructure politique du VC y était « largement intacte ». Les

programmes de pacification du GVN faisaient leurs premiers pas dans ces hameaux

contestés par le VC et les forces gouvernementales. Finalement, il subsistait une dernière

catégorie d’hameaux dénommée VC hamlet par le CORDS, des villages subissant sans

équivoque l’ascendant du VC. Les représentants du GVN et les conseillers américains du

CORDS ne s’y aventuraient pas à moins d’y conduire une opération militaire. L’essentiel de

la population de ce type d’hameau appuyait le VC, de gré, tacitement ou de force.41 D’autres

données passaient par la compilation pour faciliter le processus d’analyse du HES;

ponctuellement, à chaque mois, pour chacun des villages passés au crible de l’évaluation, on

39 Commander United States Military Assistance Command Vietnam. Command History Volume II, 1967, op.

cit., p. 623. http://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=168300010724>. 40 Ibid., p. 624 41 Ibid.

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242

devait répondre à quatre questions: la première, à quelle taille estimait-on la plus grande unité

ennemie présente autour du village en question? La deuxième, durant le mois, est-ce qu’on

jugeait la route principale unissant le village à la capitale de province suffisamment

sécuritaire pour y circuler le jour? Troisième question : des forces amies (externes) avaient

elles opéré dans le village pendant le jour? Finalement, la quatrième et dernière question

d’évaluation : est-ce que de l’artillerie alliée ou des frappes aériennes avaient été menées sur

le village ou ses environs pendant le mois d’évaluation? Sur les hameaux, on posait 21 autres

questions, toujours sur une base mensuelle; l’essentiel de ces interrogations visait à identifier

le degré d’activité et de liberté d’action des chefs de villages et des cadres du RD. Les

questions ciblaient également le degré d’activités terroristes du VC, de même que l’efficacité

des éléments paramilitaires et de la Police nationale à respectivement repousser le VC et

entraver les opérations de son infrastructure politique.42 En bref, voilà en quoi consistait le

genre d’informations collectées et exploitées par les opérateurs du CORDS afin de pouvoir

nourrir de leurs données mensuelles la machine informatique du HES.

D’aucuns ont formulé beaucoup de reproches et bien du scepticisme vis-à-vis du HES

et de ses données statistiques. Il est vrai que le plus grand défaut reproché au système reposait

sur son incapacité à mesurer le degré de satisfaction ou d’insatisfaction de la population

civile, de même que son degré d’allégeance envers le GVN. Les données saisies originaient

au départ du jugement des évaluateurs du programme sur le terrain. Bien qu’il n’existe

aucune « base scientifique » pour identifier les erreurs statistiques susceptibles de résulter

des données du HES, John Paul Vann, un des leaders les plus respectés du CORDS, jugeait

le HES tout de même fiable. Selon Vann, les données « dérivaient d’un système d’évaluation

bien établi » qu’il considérait « raisonnablement précis ».43 Stephen Young, un des

administrateurs du CORDS, souligne de son côté que lorsqu’une large quantité de données

devenait disponible, il s’avérait alors possible de cibler les tendances opérationnelles avec

une « certitude considérable ». En 2009, deux académiciens de l’Université Yale ont eux-

mêmes conclu que, vues de « certaines perspectives », les rapports du HES se révélaient

d’une « qualité des plus acceptables ».44 Les témoignages de transfuges et la capture de

42 Young, op. cit., p. 141-143. 43 John Paul Vann Papers, Memorandum. Subject: Study of the Situation in the Countryside, 24 January 1970,

op. cit., p. 15. 44 Young, op. cit., p. 144.

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243

documents communistes (dont le contenu sera dévoilé plus loin) composaient également

d’excellents indicateurs, le temps venu d’évaluer le degré d’efficacité des opérations de

pacification sur l’effort de guerre du VC. Au-delà de ces données, les impacts du CORDS

ont heurté le VC de façon dramatique, tout particulièrement après l’offensive du Têt en 1968.

Comme cela a été le cas à l’apogée des hameaux stratégiques de Diem, la destruction des

initiatives de pacification du CORDS est rapidement devenu l’effort de guerre principal du

COSVN.

4.2. La conduite des opérations de pacification du CORDS : les problèmes initiaux

Au cours des premières opérations du CORDS, les choses ne sont pas allées

rondement, ce qui dans les circonstances, était tout à fait normal. Et pour cause. Jamais dans

leur histoire les Forces militaires américaines et sud-vietnamiennes n’avaient appliqué une

stratégie contre-insurrectionnelle aussi élaborée. L’analyse des 15 premiers mois du

programme tend à démontrer qu’on a effectivement été confronté à maintes difficultés, mais

là ne doit pas s’arrêter l’étude. Beaucoup trop d’analyses sur la pacification et les aspects

militaires de la guerre du Vietnam s’interrompent avec le Têt et la fin des années 1960. Si

l’on analyse les impacts du CORDS à long terme jusqu’en 1972, force est de constater que

le programme a littéralement éliminé le Viêt-Cong. Néanmoins, en 1967, la conduite des

éléments du CORDS dans plusieurs districts et provinces n’incitait pas à croire que

l’organisation s’apprêtait à acculer l’insurrection au pied du mur. À titre d’exemple, les

événements qui se sont tramés dans le district de Cu Chi, situé au sein de la province de Hua

Nghia, dans III Corps, ont brossé un portrait représentatif des problèmes rencontrés lors de

l’application des opérations du CORDS.

Compte tenu de l’ample surface géographique du programme, il serait impossible

d’exposer l’ensemble des problèmes rencontrés par les opérateurs du CORDS dans chacun

des districts de la RVN. Cependant, Cu Chi apporte un avant-goût des événements survenus

dans l’essentiel des secteurs sud-vietnamiens au cours des premiers mois du programme. On

avait investi beaucoup d’efforts au sein du district de Cu Chi pour enrayer les opérations du

VC et gagner l’appui de la population civile. Ces efforts ont été fortement stimulés par le

déploiement du 25th Infantry Division de l’US Army dans Cu Chi en janvier 1966.

Préalablement et jusqu’à ce jour, le VC dominait presque l’entièreté du secteur, et ce, en dépit

du fait que cette zone constituait une priorité en matière de pacification pour le MACV. Une

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244

large quantité de ces unités communistes avaient été déployées à partir de l’Iron Triangle.

Des documents saisis ont confirmé que le district de Cu Chi comptait le plus grand nombre

d’insurgés du Viêt-Cong, soit un total de 10,769.45 Le 7e Bataillon VC y rayonnait largement,

subdivisé en petites unités ayant pour mission d’exécuter des opérations de guérilla. Les

communistes y avaient établi un quartier-général avancé du COSVN, ce qui facilitait le

commandement et le contrôle ainsi que le réapprovisionnement de leurs forces. Le GVN

éprouvait maints tracas à contrôler Cu Chi; l’accès des forces de sécurité aux routes

principales était ardu et plein de complications. La pression exercée par les insurgés dans le

district revêtait une intensité telle qu’il était monnaie courante pour les hélicoptères de ne pas

pouvoir trouver un secteur sécuritaire pour s’y poser. Avec le déploiement du 25th Infantry

Division, la situation devait s’améliorer de manière draconienne, particulièrement pendant la

première moitié de 1966. Les Américains ont établi une base d’opération au nord de la ville

principale du district de Cu Chi et ont initié une succession d’opérations de search and

destroy, forçant ainsi les larges formations VC à se réfugier dans les secteurs plus isolés du

district. Puis, la Division américaine a commencé à converger ses opérations vers d’autres

secteurs.

Cu Chi était alors jugé suffisamment sécuritaire pour y amorcer des opérations de

pacification. Ce qui subsistait du VC s’est adapté à la présence américaine, apprenant à éviter

tout affrontement ouvert contre la 25th Infantry Division.46 À la suite du redéploiement des

forces de la Division américaine dans d’autres secteurs, les embûches ne devaient pas tarder

à ressurgir. Entre janvier 1967 et mars 1968, le HES enregistrait une baisse majeure de la

sécurité dans Cu Chi. Un total de 10 hameaux sur les 30 évalués ont vu leur cote chuter,

passant de « sécurisés » à « contestés ». Durant la même période, les cinq hameaux

catégorisés B ont vu leur statut dégringoler. De plus, pour cinq des neuf hameaux classés C,

leur statut périclita avant qu’on les considère finalement comme perdus. On a attribué ces

contre-performances à l’incapacité des forces de sécurité de Cu Chi à protéger les zones

peuplées. Les éléments américains portaient comme tâche de neutraliser les larges formations

45 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records 1601-04 USAID/CORD Spring Review PSG 64/70 1970 thru 1601-10A Various Province

Briefs 1970 Evaluation Report A Study of Pacification and Security in Cu Chi District, Hau Nghia Province,

College Park, National Archives, NND 994025, RG#472, Box 8, p. 1-2, 10-11. 46 Ibid.

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245

du NVA et du VC, sans pour autant que cela freine l’infiltration clandestine des unités

communistes dans Cu Chi pour l’offensive du Têt. En regard de la population, les lacunes

des forces paramilitaires à la sécuriser en permanence favorisaient la liberté d’action du VC

dans la zone. Règle générale, l’ARVN avait comme mission d’appuyer les forces

paramilitaires en servant d’écran contre les larges formations du VC et du NVA. Toutefois,

aucune force régulière sud-vietnamienne n’était déployée en permanence dans le District de

Cu Chi ; les activités de l’ARVN adoptaient des fréquences « discontinues » et limitées à

quelques sections du district. Cette particularité résultait du manque d’effectifs disponibles

pour assurer le déploiement permanent des forces régulières destinées à appuyer les

opérations de pacification.47 Cette situation facilitait les opérations communistes dont le

leadership reconnaissait pourtant les problèmes engendrés par la présence de Forces

régulières américaines et sud-vietnamiennes dans les secteurs. À cet effet, un rapport

introspectif du 95e Régiment du NVA saisi par les Américains en 1967 a exposé les durs

impacts de la présence d’éléments de combat réguliers sur la synchronisation des opérations

conventionnelles et insurrectionnelles des forces communistes.

À titre d’exemple, le rapport spécifie que les communistes, qui contrôlaient 260,000

civils sur 360,000 dans la région de Phu Yen (III Corps), ne soumettaient plus désormais que

20,000 civils. Le rapport attribue cet état des choses au couplage des opérations de ratissage

des Forces régulières américaines et sud-vietnamiennes, de même qu’aux opérations de

pacification. Le plan d’action suggéré : « écraser le plan de pacification de l’ennemi » et

rapatrier les villageois transférés dans les villages protégés à leurs anciennes résidences. Le

rapport souligne qu’il s’agissait là d’une « tâche stratégique de la Révolution », en plus d’une

« situation de vie ou de mort pour la Révolution ».48 L’introspection du 95e Régiment expose

à quel point les pertes causées par les Forces régulières américaines ont engendré une

succession de problèmes qui ont fortement heurté le potentiel des communistes à coordonner

leurs opérations hybrides. On y rapportait également que la « coordination entre les trois

types de troupes communistes : forces régulières, locales et de guérilla » s’était avérée

dysfonctionnelle et qu’on n’a pas su exploiter la « relation entre guerre de guérilla et guerre

47 Ibid., p. 3-4. 48 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series Translation and

Analysis of Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents, Problems of a North Vietnamese Regiment,

Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0131, p. 26.

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246

de mouvement ». Les communistes ne faisaient pas uniquement porter le poids de ces

problèmes aux Américains mais également au manque de leadership des officiers supérieurs

du NVA.49 Le rapport déplorait aussi l’incapacité des troupes de guérilla à convaincre la

population civile de se retourner contre le GVN. À cet effet, l’auteur du document mentionne

qu’au cours des années antérieures, les opérations de prosélytisme visant à gagner l’appui

des paysans fonctionnaient très bien à l’époque où les troupes du 95e Régiment appuyaient

les forces de guérilla en les protégeant des opérations régulières américaines.50 Ceci démontre

l’importance des opérations régulières américaines dans les secteurs de pacification et tend

aussi à expliquer les problèmes rencontrés dans le district de Cu Chi. Si les unités

conventionnelles du NVA et les larges formations du VC se faisaient décimer, les forces de

guérilla s’en trouvaient du même coup sévèrement affectées. Le rapport du 95e régiment

évoque également les problèmes générés par les efforts de pacification enclenchés dans le

secteur de Thon Bac. L’auteur du document y spécifie que si les troupes du Régiment étaient

parvenues à demeurer près de la population en « augmentant les activités subversives » pour

« affaiblir et détruire les forces ennemies », les difficultés occasionnées par les opérations de

pacification auraient pu être contrées.

En conséquence, le rapport recommandait que les forces du 95e Régiment

coordonnent leurs opérations avec les forces de guérilla locales afin de cibler spécifiquement

les initiatives de pacification de la région de Thon Bac.51 En temps normal, les éléments

paramilitaires détenaient la capacité de repousser le résiduel des forces du VC décimées par

les Forces américaines. Dans le district de Cu Chi, il est clair que ce n’était pas le statut de la

situation opérationnelle; les unités du RF y maintenaient essentiellement une posture

défensive, une manœuvre qui laissait le champ libre aux unités VC pour patrouiller les

secteurs avoisinant les villages en toute impunité. Au cœur des villages, les forces de police

et les cadres du RD qui devaient normalement démanteler l’infrastructure politique du VC

ne se montraient pas très proactifs au sein des hameaux de Cu Chi.52 La nature sporadique

49 Ibid., p. 4. 50 Ibid., p. 11. 51 Ibid., p. 14-15 52 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records 1601-04 USAID/CORD Spring Review PSG 64/70 1970 thru 1601-10A Various Province

Briefs 1970, Evaluation Report A Study of Pacification and Security in Cu Chi District, Hau Nghia Province,

op. cit., p. 4.

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247

des opérations de l’ARVN combinée à l’absence de troupes américaines dans les secteurs

clés laissait pleine liberté a trop d’éléments du VC d’opérer dans les secteurs du district. Les

forces paramilitaires se sont montrées incapables de se mesurer à tant d’effectifs

communistes, ce qui explique pourquoi les éléments du RF et du PF optaient de demeurer en

sécurité au sein de leurs avant-postes. En conséquence, le VC se retrouvait également en

pouvoir d’opérer au cœur des villages avec suffisamment d’effectifs et d’influence pour

empêcher les forces de police et du RD d’exécuter leurs tâches.53 Lors des élections

municipales, aucun élu n’a été choisi dans Thai My, un village contrôlé par le VC. Bien que

des élections se soient tenues dans le village contesté de Trun Lap, aucun des élus ne se

montrait hardi au point de risquer sa vie en osant passer la nuit dans son hameau. Dans ces

localités, les responsables choisis par le peuple n’ont initié aucun projet pour améliorer le

quotidien de leurs administrés. Dans les trois villages les plus sécurisés du district, tous les

hameaux ont été en mesure de tenir des élections mais l’ensemble des élus n’osait plus passer

la nuit chez soi. Pour sa part, le chef du village de Tan An Hoi s’impliquait avec dévouement

dans son travail; la population appréciait ses efforts à un tel point qu’elle a voté à l’unisson

pour l’amener au pouvoir. Malheureusement, cet élu du peuple s’est fait assassiner par des

agents du VC le matin du 5 mai 1967.

Deux autres politiciens municipaux de la région se sont fait abattre le même matin.

Confronté à ces exécutions sommaires, le chef du hameau de Xom-Hue, pétri d’effroi,

s’enfuit du secteur pour aller vivre à Saigon. Le jour des élections, il n’a même pas osé se

remanifester dans son hameau et aucun des habitants ne s’est risqué à exercer son droit de

vote. Lorsqu’on a nommé un candidat par défaut pour devenir le chef du hameau, l’élu a

éclaté en pleurs, non pour exprimer sa joie mais plutôt son épouvante car il savait que cette

nomination le plaçait sur la liste noire du VC.54 Par contraste, l’état de la situation au sein

des hameaux du village de Tan Phu, une des localités les plus sécurisées de Cu Chi, différait

notablement. À titre d’exemple, dans le hameau de Tan Bac, le RF et le RD sont parvenus à

assurer la sécurité du hameau et de ses secteurs, facilitant ainsi le travail du chef élu par la

communauté. Extrêmement motivé, l’élu s’est trouvé en mesure de travailler sans contrainte

dans son bureau tout en arrimant son travail à celui des forces de sécurité chargées de contrer

53 Ibid. 54 Ibid., p. 12-14.

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248

les activités communistes. Seuls les villages et les hameaux de cette localité ont pu se targuer

de posséder une organisation politique municipale fonctionnelle et effective.55 De son côté,

la Police nationale (Special Branch) des secteurs ruraux de Cu Chi ne se montrait pas très

proactive. On a assigné à chaque village un policier chargé de collecter du renseignement

pour faciliter l’identification des sympathisants et membres de l’infrastructure VC de la

localité. Ne disposant de quasi aucun agent, de très peu d’informateurs et de sympathisants,

ces policiers se sont montrés tout simplement inaptes à identifier les éléments d’infrastructure

du VC. N’osant pas s’aventurer dans les villages de nuit, ils n’appuyaient d’aucune façon les

activités de pacification du RD. Plusieurs de ces policiers allaient jusqu’à traiter la population

avec suffisance, en plus de lui voler de la nourriture. Les conseillers américains pour le

CORDS se sont proposés de resserrer la discipline au sein du Special Branch afin de ramener

l’ordre au sein de l’organisation.56 Du côté du RD, trois groupes de cadres se sont fait assigner

au district de Cu Chi en 1967. Néanmoins, maints cas de corruption ont entravé la bonne

marche du programme. À titre d’exemple, dans le village de Tan An Hoi, le cadre en chef du

RD et une partie de son personnel ont siphonné les fonds et les matériaux destinés aux projets

de construction pour leur gain personnel. En dépit du limogeage du cadre en chef, ce

problème endossait un caractère récurrent au sein des divers districts et provinces de la RVN.

Dans l’ensemble du district, les Américains ont observé que le programme du RD

négligeait grandement ses deux tâches les plus prioritaires, c’est-à-dire assurer la sécurité des

villageois (auprès des forces paramilitaires) contre les activités de la guérilla et viser

l’infrastructure politique VC (de concert avec le Special Branch). Ces efforts s’avéraient

impératifs pour que le RD puisse faciliter les opérations des élus municipaux et la conduite

des actions civiques. Lorsque le PSA de la Province d’Hau Nghia a commenté le travail des

cadres du RD dans Cu Chi en 1968, il dénonça leur absence totale d’implication dans les

hameaux, de même que leur fâcheuse tendance à les déserter sans y remettre les pieds. Tout

programme préalablement mis de l’avant au sein du hameau, ayant comme prémices la

présence du RD se voyait subséquemment abandonné.57 Les groupes de cadres assignés aux

secteurs de Xon Hue et de Mui Lon abandonnaient leurs hameaux dès la nuit tombée.

L’infrastructure VC ne sentait en aucune façon quelque pression que ce soit résultant des

55 Ibid., p. 14. 56 Ibid., p. 15-16. 57 Ibid., p. 25-28.

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opérations du RD. Un document communiste saisi mit en évidence l’inefficacité des

opérations du RD et des forces paramilitaires déployées dans le secteur de Xon Hue. Le

document en faisait état par ces mots:

« Although the hamlet of Xon Hue has been captured by the enemy...we can

still remain [near the village] and recruit new members ... for the party…at

night, we control the hamlet ... In the near future, we will reoccupy this

strategic hamlet and reaffirm our authority».58

À un moment, les cadres du RD ont fait montre de plus de proactivité ; on les jumela

aux forces paramilitaires sud-vietnamiennes. À titre d’exemple, lorsque les cadres du RD

opéraient conjointement avec la 636e Compagnie du RF au sein du hameau de Tan Bac, les

villageois ont rapporté que par suite de cette unification, leur hameau était devenu sécuritaire.

Si le RD et les forces paramilitaires occupaient le village la nuit durant, le VC se retrouvait

très limité dans sa capacité d’infiltrer le hameau. Le CORDS en déduit que l’absence de

sécurité dans les autres hameaux provenait d’un manque de coordination similaire entre le

RD, les unités paramilitaires et les Forces régulières américano-sud-vietnamiennes.59 Ce

concept d’opérations conjointes assurait le meilleur modus operandi comme le démontre un

autre modèle conséquent, issu de la coopération du RD et des forces paramilitaires. Dans le

district de Tieu Can sis dans la Province de Vinh Binh (IV Corps), un bataillon du VC a lancé

un assaut pour se saisir du hameau de Tan Truong Giong, défendu par la milice locale du

PSDF, elle-même supervisée par une équipe de cadres du RD.

À la suite d’un combat de trois heures et l’intervention d’éléments aériens, le VC a

opté pour une manœuvre de retraite. Seuls deux membres des forces de défenses ont été tués

au cours de cet affrontement. Une soixantaine de tombes improvisées renfermant les

dépouilles du corps d’insurgés VC seraient éventuellement mises à jour dans les environs de

Tan Truong Giong. Le lendemain de l’attaque, 20 villageois se portaient volontaires pour

joindre les rangs du PSDF. Comme l’a fait remarquer le vétéran de la CIA Thomas Ahern,

cet épisode « exemplifie l’énergie synergétique » d’une équipe de cadres du RD

« disciplinée, compétente, bien équipée », d’une milice d’hameau correctement déployée

dans ses positions défensives et d’un chef de district prêt à appuyer ses forces paramilitaires.

58 Ibid., p. 28. 59 Ibid., p. 28-29.

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250

Environ 3000 villageois ont quitté leur domicile pour rejoindre le hameau de Tan Truong

Giong.60 Bien que positif comme rapport post-incident, le déplacement de 3000 villageois

démontre à quel point il s’avérait difficile d’uniformiser les opérations de COIN sur

l’ensemble du territoire d’IV Corps. Le fait de ne pas maximiser la doctrine exploitée par les

Combined Action Platoons explique pourquoi le CORDS expérimentait, au fil de ses

premiers mois d’opération, des difficultés considérables à mettre en pratique sa stratégie de

pacification. Sans protection adéquate, il était utopique de croire que les cadres du RD

pourraient s’activer à faciliter les opérations du GVN et traquer l’infrastructure politique du

VC dans les villages. Plusieurs complications ont surgi lors de la conduite d’opérations

synchroniques entre forces conventionnelles et paramilitaires. À de fréquentes reprises, les

Forces américaines exécutaient leurs opérations unilatéralement et indépendamment des

manœuvres des unités paramilitaires. À titre d’exemple, les éléments réguliers américains

érigeaient des barrages routiers en vue de contrôler et d’identifier la population rurale qui y

circulait.

Or, on exécutait ces opérations sans la présence de membres du Special Branch ou du

PF/RF. Il en allait de même dans certains villages dont le contrôle des habitants se faisait par

des soldats américains; ceux-ci menaient ces opérations sans la présence des forces

paramilitaires et de police qui détenaient pourtant l’atout d’être familiers avec la population

dudit village.61 À la fin mai 1968, le rapport d’évaluation du CORDS pour le district de Cu

Chi en est venu à la conclusion suivante : il aurait fallu qu’au moins un bataillon américain

demeure en permanence au sein du district pour contrer les éléments réguliers de l’adversaire

et assurer la protection de la population. Ce faisant, les troupes auraient été à même de

connaitre la population, le terrain, l’ennemi, les politiciens locaux du GVN, les conseillers

américains du CORDS et le commandement des forces du PF/RF. Ce mode d’opération aurait

également facilité les manœuvres de nuit des forces de sécurité et favorisé la mise en place

d’un réseau plus efficace de collecte de renseignement, tout en aplanissant les opérations de

60 Thomas Ahern, Vietnam Declassified. The CIA and Counterinsurgency, Lexington, The University Press of

Kentucky, 2010, p. 207-208. 61 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records 1601-04 USAID/CORD Spring Review PSG 64/70 1970 thru 1601-10A Various Province

Briefs 1970, Evaluation Report A Study of Pacification and Security in Cu Chi District, Hau Nghia Province,

op. cit., p. 36-37.

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251

pacification. Puis, à mesure que les troupes communistes se verraient progressivement

coincées et expulsées de Cu Chi, la zone d’opération pourrait s’étendre aux secteurs

limitrophes.62 Cette synthèse des principaux avatars survenus dans le district de Cu Chi

caractérise bien l’ensemble des problèmes rencontrés lors des opérations du CORDS dans

plusieurs autres districts. Un an après le lancement du programme, il est devenu clair que le

CORDS peinait à synchroniser ses opérations avec celles des forces conventionnelles et

qu’on était à court d’effectifs pour protéger adéquatement les cadres du RD et les élus

municipaux. De plus, on mettait en cause une discipline et une motivation carencées au sein

des effectifs paramilitaires et des éléments du Special Branch. Néanmoins, l’analyse des

opérations du CORDS ne faisait pas ressortir uniquement du négatif, bien au contraire.

Lorsque les forces en présence se donnaient la peine de coordonner leurs opérations avec

régularité et discipline, le programme révélait son potentiel. Le VC lui-même a reconnu les

dommages subis aux mains du CORDS. Les lignes d’un document qui leur a été saisi relatent

les déboires engendrés, tant par le programme de défection Chieu Hoi que par les actions

civiques et les efforts du GVN pour séparer la population des insurgés.

Ce rapport décrit aussi le système d’élus politiques du village et leur coopération avec

les forces chargées d’assurer la sécurité de la population civile. Les communistes s’y

plaignent également des activités contre-insurrectionnelles du CORDS dans le village de

Xuan Phuong. On y fait état de la coopération entre les forces politico-militaires et celles

chargées des opérations civiques qui ont notamment bâti un marché, une école et un hôpital

dans le village. Les écrits saisis au VC dénoncent la « propagande » engendrée par les

opérations Chieu Hoi, les offres d’amnistie faites aux combattants et cadres politiques

communistes, de même que le problème relatif à l’imposition de règles visant la « restriction

de mouvement » de la population.63 Dans les pages du rapport, les communistes déplorent

avec insistance la capitulation de 68 cadres et membres de la guérilla aux troupes

gouvernementales. Un total de 94 cadres dont 11 membres du Parti communiste ont fait

défection pour joindre les rangs du GVN. Le document relate les impacts négatifs desdites

défections sur la protection de la force des éléments communistes opérant dans le secteur.

62 Ibid., p. 41-42. 63 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and

Analysis of Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents Files containing pacification and Viet Cong

reaction, January 1968, Carlisle, War College, Folder: 0032330-001-0293, p. 3.

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252

Ces transfuges auraient divulgué aux Américains les procédures d’opérations du VC dans

leur zone d’opération ce qui, comme il est consigné dans le rapport, « crée maintes

difficultés » pour « la Révolution ».64 Le document saisi brosse aussi le portrait des

opérations agressives des forces paramilitaires opérant dans le secteur du village de Xuan

Thinh. La compagnie de soldats du RF déployée dans la zone conduisait sans cesse des

opérations offensives et d’autres visant à contrôler les villages avoisinant. Le rapport du VC

reconnaît également le succès de ces mêmes forces paramilitaires qui facilitaient

l’organisation d’une machinerie administrative dans le hameau de Tu Nham. Les

communistes expriment aussi leur amertume face à la perte de contrôle totale du village Song

Cau qui a fait l’objet de multiples opérations des forces de sécurité; le rapport précisait même

qu’il faudrait reprendre à compter du début le processus d’infiltration et de contrôle leur ayant

originalement permis de contrôler le village. Concrètement, cela signifiait relancer une

campagne pour recruter et entraîner de nouveaux agents. Enfin, le rapport capturé soulignait

la situation très précaire des membres de la guérilla dans le secteur de Song Cau. Les

dernières lignes du document consistaient en une requête officielle de l’auteur à ses

supérieurs, faisant appel à leur appui et à leur assistance.65

Ceci ne constitue qu’un exemple du potentiel de problèmes que les opérations de

COIN du CORDS mettaient en scène. Ce type de rapport démontre bien que,

lorsqu’appliquées avec professionnalisme, les doctrines contre-insurrectionnelles inspirées

des Franco-britanniques possédaient le potentiel de faire très mal au VC qui, répétons-le,

n’était ni invulnérable, ni un cas unique si on le compare à d’autres insurrections. Plus loin,

nous verrons que d’autres rapports communistes dévoilent des exemples supplémentaires de

la vulnérabilité du VC lorsqu’il se trouvait confronté à ce modus operandi. Dans l’ensemble,

bien que ces opérations aient comporté certains résultats positifs ainsi que des

développements encourageants, l’impact du CORDS lors de la première année de ses

opérations peut être qualifié de moyen. Cette incidence passable découlait de problèmes

analogues à ceux rencontrés dans le district de Cu Chi. Et pourtant, deux éléments

s’apprêtaient à faire basculer radicalement cette conjoncture militairement décevante; le

développement du programme Phoenix et l’offensive du Têt. Tel que spécifié au chapitre 1,

64 Ibid., p. 4-5. 65 Ibid., p. 5.

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253

le Têt neutralisa littéralement les effectifs de combat du VC. À partir de 1969, ce qui

subsistait de l’insurrection allait voir ses effectifs renfloués par le NVA, lui-même confronté

à une redynamisation des opérations contre-insurrectionnelles du CORDS. Bien que certains

autres problèmes persistaient au cours de 1968, le nouveau plan de pacification accéléré du

GVN s’apprêtait à porter un très dur coup à l’insurrection VC.

4.3. Les opérations du CORDS après l’offensive du Têt

Lors de l’offensive du Têt, la défaite militaire du VC a causé énormément de

dommages à la campagne insurrectionnelle communiste dans la RVN. Tel que mentionné

précédemment, environ la moitié des 84,000 effectifs communistes déployés dans le cadre

de l’offensive ont été neutralisés et les opérations du mini-Têt ont infligé de lourdes pertes

au VC. Lors des offensives du mini-Têt de mai à août 1968, environ 1000 communistes ont

fait défection et 5000 insurgés et membres des forces du NVA tombaient au combat sur une

base hebdomadaire. L’attrition occasionnée sur l’infrastructure politique du VC a également

généré la perte de plusieurs centaines de cadres par semaine.66 Assisté par les Américains et

le CORDS, le GVN a initié une série de mesures destinées à prendre avantage de l’extrême

vulnérabilité de l’insurrection VC dans les mois suivant les offensives du Têt et du mini-Têt.

Déjà, en juin 1968, on enclenchait un nouveau programme d’assistance militaire basé sur les

recommandations de l’Ambassadeur américain à Saigon, Ellsworth Bunker.67 Désormais, les

soldats des forces paramilitaires équipés jadis d’armes de la Deuxième Guerre mondiale, se

verraient pourvus du fusil d’assaut M-16 des Américains.68 À l’époque, bien qu’inférieure

au AK-47, la M-16 offrait tout de même une capacité offensive de loin supérieure aux vieilles

mitrailleuses Thompson, armes obsolètes mais tout de même létales dont on réserverait

dorénavant l’usage aux milices de villages comme celles du PSDF. De son côté, Komer a

entrepris une véritable « bataille bureaucratique » pour forcer les planificateurs militaires à

porter plus d’attention aux opérations de sécurité locale des forces du RF/PF. Il insistait pour

66 Ahern, Vietnam Declassified, op. cit., p. 306. 67 Howard B. Schaeffer, Ellsworth Bunker: Global Trouble shooter, Vietnam Hawk, Chapel Hill, University

of North Carolina Press, 2003, p. 229. Nommé Ambassadeur des États-Unis à Saigon en 1967, Bunker a

cherché avec ardeur à mettre en application les directives de la Maison-Blanche au Vietnam. Il s’assurait de

demeurer en communication constante avec le Président sud-vietnamien Nguyen Van Thieu afin de

coordonner avec vigueur les initiatives politico-militaires américaines et sud-vietnamiennes. Il s’appuyait

également de façon constante sur le jugement du général Creighton Abrams. 68 Young, op. cit., p. 128.

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que les forces conventionnelles synchronisent leurs combats contre les larges formations

communistes de manière à faciliter la tâche des forces paramilitaires dans les villages et les

secteurs avoisinant. De son côté, le Président sud-vietnamien Nguyen Van Thieu a fait part

à l’Ambassadeur Bunker de son intention de « changer la stratégie de pacification rurale »

du GVN. Bien qu’ils bénéficient d’une milice du PSDF, tous les villages ne s’étaient pas fait

assigner des troupes de protection permanentes (comme au sein des CAP). De plus, les cadres

politiques du RD se mouvaient constamment, ne cessant de se déplacer d’un village à l’autre.

Désormais, Thieu réclamait que chaque village dispose de ses cadres et de ses forces de

défense paramilitaires, et ce, sur une base permanente.69 La sélection des villages à sécuriser

en priorité serait fixée en fonction de l’importance stratégique du secteur géographique de la

localité ; en d’autres termes, selon la densité de population, la présence de lignes de

communication principales et le degré d’importance politico-économique du secteur en

question. L’objectif visait à améliorer la situation au sein des hameaux catégorisés D et E

pour les amener à se hisser au niveau d’hameaux de catégorie C pour la fin de 1969.70

À l’instar de Komer, Thieu a ordonné que l’on effectue les opérations

conventionnelles en conjoncture des opérations de COIN. Ce faisant, il souhaitait sécuriser

de manière progressive les secteurs ruraux en exploitant la théorie de la « tache d’huile »,

c’est-à-dire sécuriser systématiquement un secteur et passer au suivant, de manière à étendre

géographiquement la pacification. Gardant cet objectif à l’esprit, Thieu a assigné des officiers

et des cadres politiques séniors dotés de la motivation à appliquer avec professionnalisme la

nouvelle stratégie. Ce plan du Président Thieu allait devenir l’Accelerated Pacification

Campaign (APC), un projet ayant reçu une prompte approbation de Komer, qui, de son côté,

pouvait compter sur l’apport d’un nouveau député : William Colby.71 Ce nouvel élément,

ancien chef de station de la CIA à Saigon, était en 1963 l’un des plus fervents critiques de la

décision d’abandonner le Président Diem à son sort. Colby disposait d’un fort vécu : lors de

la Deuxième Guerre mondiale, il était un opérateur du précurseur de la CIA : l’OSS (Office

69 Ibid., p. 128-129. 70 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural

Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, General Records. 1603-03A: PRU Correspondence

1979 thru 1603-03A: Reports – VC/NVN Propaganda Analysis 1970, Memorandum GVN 1969 Pacification

Development Plan, 21 December 1968. College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Box 12, p.

2. 71 Ibid., p. 128-129.

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of Strategic Services). En 1944, il a été parachuté clandestinement en France, alors qu’elle

était occupée par les Nazis, afin de préparer la Résistance à appuyer les opérations du

débarquement de Normandie. Il a aussi effectué des opérations de sabotage contre les

Allemands en Norvège.72 Il a joint les rangs de la toute nouvelle CIA après la guerre et était

destiné à devenir le successeur de Komer à la tête du CORDS. Pour ce qui est du général

Westmoreland, on l’a rapatrié aux États-Unis dans les mois suivant l’offensive du Têt. En

juin 1968, le MACV était désormais sous le commandement du général Creighton Abrams.

Ce dernier, un ardent défenseur du principe de pacification et de contre-insurrection, croyait

également en la nécessité de combiner les opérations conventionnelles et contre-

insurrectionnelles.

À cet effet, il n’était plus question d’other war avec le nouveau commandant du

MACV. Lorsqu’il évoquait les opérations régulières et irrégulières, Abrams utilisait, à juste

titre, le terme « One War ». Il insistait aussi sur la conduite d’opérations de search and

destroy qu’il a rebaptisées « clear and hold », autant de notions qui nous ramènent aux deux

premières étapes des stratégies contre-insurrectionnelles prônées par David Galula. Le

nouveau chef du MACV devait mettre en branle un concept d’opération destiné à la mise en

en scène des forces conventionnelles qui traqueraient et élimineraient des troupes

communistes; simultanément, des opérations menées par de petites unités (comme celles des

Marines) s’affaireraient à conduire des patrouilles et initier de multiples embuscades contre

le VC. Abrams considérait ces opérations incontournables pour protéger les populations

villageoises.73 Il voulait aussi que les forces de sécurité se focalisent sur l’infrastructure

politique du VC. Le général américain a démontré qu’il assimilait bien les préceptes

doctrinaux de Robert Thompson. À cet effet, il a mentionné :

72 John Plaster, SOG The Secret Wars of America’s Commandos in Vietnam, New York, Nal Caliber, 1997, p.

2. 73 Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes 1968-1972, op. cit., p. xix. Lewis Sorley expose le débat qui

oppose divers historiens sur les initiatives du général Abrams. Plusieurs académiciens ont indiqué que les

changements opérationnels initiés par Abrams étaient plus « évolutifs » que « révolutionnaires ». Selon eux, cet

état des choses était en grande partie la résultante de l’offensive du Têt et des pertes massives encaissées par

les communistes qui les ont forcé à éventuellement muter leurs stratégies pour revenir à un concept

d’insurrection à plus basse intensité. Néanmoins, Sorley souligne avec raison que ce n’était pas le cas; après le

Têt, les communistes ont initié une succession d’opérations offensives avec le mini-Têt lors de l’été de 1968 et

lors du Têt de 1969. Ce ne fut pas avant l’été de 1969 que le COSVN s’est décidé à limiter les opérations

offensives du VC avec l’adoption de la Résolution 9 (détails à venir dans les prochaines pages).

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Thus operations should be focused on destruction of the VC infrastructure

and local forces while preventing main forces from reaching the population

centers. The enemy main forces are blind without the VC infrastructure.

They cannot obtain intelligence…food, and they cannot prepare the

battlefield.74

Pour sa part, l’APC a été lancé en novembre 1968 par le GVN. Au même moment,

William Colby remplaçait Robert Komer à la tête du CORDS. Les directives d’opération du

nouveau programme de pacification ont été de nouveau exposées par Thieu qui établit une

série d’objectifs visant à anéantir l’insurrection VC. Ces directives mettent en évidence

l’impact destructeur des opérations conventionnelles alliées sur le VC pendant et après le

Têt. Puis, on y a greffé la redynamisation des opérations de pacification qui commençaient

déjà, en été 1968, à acculer le VC dans des manœuvres défensives. À la suite d’une ultime

offensive communiste lors du Têt de 196975, la situation est devenue désespérée à un point

tel que les dirigeants du COSVN ont ordonné un retour aux opérations subversives (phase 2

de la doctrine de Mao). Dès ce moment, les activités communistes se sont concentrées sur les

aspects politiques (insurrectionnels) plutôt que militaires. Le VC manifestait sa volonté de

revenir à la base en concentrant ses efforts en actions d’influence sur la population civile,

tout en maximisant les opérations de ses cadres politiques et des petites forces de guérilla.76

En opérant ainsi, le VC espérait colmater la brèche creusée par les opérations

conventionnelles et contre-insurrectionnelles alliées, puis, progressivement, reprendre le

contrôle des secteurs ruraux de la RVN. Voilà pourquoi Thieu, désireux de ne laisser aucun

répit aux communistes, jugeait primordial de s’attaquer aux opérations de « coercition et de

contrôle de l’ennemi » sur la population civile.77 Concrètement, l’APC comportait huit

74 Ibid., p. 202. 75 L’offensive du Têt de 1969 s’est produite un an après l’attaque originale de 1968. Lors de cette campagne

(de loin moins ambitieuse que la première), les forces combinées du NVA et du VC ont visé les secteurs de

Danang et de Saigon. L’offensive a été rapidement repoussée par le MACV et l’ARVN qui infligèrent de

lourdes pertes aux communistes. Ce fut l’un des derniers assauts majeurs du VC lors de la guerre du Vietnam.

Il fallut attendre l’offensive printanière de 1972 du NVA avant de voir les communistes tenter une campagne

de combat de grande envergure contre la RVN (voir la fin du présent chapitre). 76 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural

Development Support, MR1, Phuong Hoang Division. General Records 1603-03A: PRU Correspondence 1979

thru 1603-03A: Reports – VC/NVN Propaganda Analysis 1970, Memorandum GVN 1969 Pacification

Development Plan, 21 December 1968, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Box 12, p. 1. 77 Ibid.

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objectifs. Le premier : utiliser les forces paramilitaires et policières dans les villages afin de

sécuriser 90% de la population. Le second : éliminer 33,000 cadres de l’infrastructure VC

via le programme Phoenix. Le troisième : établir et faire élire des gouvernements locaux dans

chaque village sécurisé. Le quatrième : amener les effectifs des forces de sécurité locales à

2,000 000 de membres. Le cinquième objectif consistait à rallier 20,000 communistes à la

cause du GVN. Le sixième : abaisser le nombre de réfugiés à moins de 1,000 000 et

relocaliser au moins 300,000 civils. Le septième : augmenter le tempo des opérations

psychologiques dans les villages. Enfin, le huitième et dernier objectif impliquait

d’encourager l’essor de l’économie rurale.78 Dans l’ensemble, la liste d’objectifs ciblés par

le général Abrams concordait avec les finalités du Président Thieu. Bien que tous les objectifs

de la liste n’étaient pas destinés à être atteints de manière expéditive, les progrès

opérationnels du GVN allaient s’avérer très positifs. Déjà, à la fin de 1968, l’Ambassadeur

Bunker reconnaissait que la situation opérationnelle en matière de pacification allait en

s’améliorant. Dans un communiqué au Président Johnson, Bunker indiqua qu’il y avait

encore place à l’amélioration vis-à-vis de l’efficience du GVN à gérer le programme.

Pour combler cette lacune, l’Ambassadeur a allégué qu’il fallait poursuivre le

développement des forces paramilitaires et se centrer davantage sur les conditions de vie de

la population rurale. Cependant, Bunker considérait que des progrès « indéniables » avaient

été accomplis dans l’ensemble de ces domaines et que le rythme de progression des

opérations de pacification s’accélérait fortement.79 Bunker a établi qu’en septembre 1968, les

forces paramilitaires du RF/PF disposaient désormais de 385,000 soldats et que les effectifs

de la Police nationale avaient vu leurs rangs gonflés par l’enrôlement de 20,000 constables

pour atteindre un total de 80,000. Les fonds pour les programmes de pacification ont doublé

grâce à un budget dépassant le milliard de dollars américains. Au début de 1969, 1,106,853

Sud-Vietnamiens se trouvaient intégrés au sein des milices du PSDF et 659,701 d’entre eux

entraînés à utiliser des armes à feu. Jamais dans l’histoire de la RVN un nombre aussi élevé

de citoyens n’avait été recruté pour combattre les communistes.80 Les milices du PSDF se

composaient de volontaires, sans qu’aucune conscription n’ait eu lieu, ce qui démontre la

78 Ibid., p. 2-3. 79 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1960-1968 Part III, op. cit., p. 52-51. 80 Young, op. cit., p. 132.

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volonté de la population rurale de se défendre et de combattre l’insurrection VC. En janvier

1969, les opérations de pacification permettaient au GVN d’assurer une sécurité accrue au

cœur de plus de 1000 hameaux, dont près de la moitié localisés dans le Delta du Mékong. Un

accomplissement qui remplissait l’un des objectifs de base de Saigon. Les civils habitant des

secteurs catégorisés sécuritaires ont augmenté de 1.7 million, pendant que le pourcentage de

la population sous la domination du VC dégringolait à 12.3% pour l’ensemble de la RVN.

Lors des élections de 1969, on a pu installer 544 chefs d’hameaux dans leur localité

respective pour gouverner. Plus de 8600 cadres de l’infrastructure communiste ont rejoint les

rangs du GVN par le biais du programme Chieu Hoi coordonné par le CORDS.81 L’année

1969 a été témoin d’améliorations croissantes de la situation opérationnelle pour le GVN et

le MACV. Stephen Young, un des administrateurs du CORDS, a lui-même soulevé les

impacts du programme sur la progression de l’APC, de même que ses effets sur le VC dans

IV Corps. Young a été déployé dans le district de Chau Thanh situé dans le secteur du Delta

du Mékong. Les villages ayant subi l’envahissement du VC lors de l’offensive du Têt ont vu

les forces de sécurité s’y redéployer, recruter et armer des volontaires pour étendre les rangs

du PSDF.

Le VC s’est éclipsé des villages et des projets civiques se sont enclenchés, dont la

rénovation d’écoles et de ponts préalablement détruits par les insurgés. Young a déclaré qu’il

pouvait rouler sur les routes sans contraintes de sécurité aucunes pour se rendre d’un village

à l’autre. Dès l’aube de 1969, le VC ne représentait plus un obstacle dans le district de Chau

Thanh, ni même dans le village de Long Ho, pourtant jadis le fief d’un dénommé Pham Hung,

un dirigeant sénior du Parti communiste dans la région.82 À l’été de 1969, la sécurité autour

du Delta du Mékong se trouvait améliorée à un point tel qu’il était possible de se déplacer

sans escortes le jour, d’une capitale provinciale à l’autre. Le déploiement permanent de forces

de sécurité, combiné à l’incapacité du VC à bénéficier de l’appui des forces conventionnelles

communistes, entravait sérieusement la fonctionnalité opérationnelle des insurgés dans IV

Corps. Préalablement au Têt, les communistes exerçaient leur domination sur le district de

Tam Binh, situé dans la province de Vinh Long mais, lors de l’offensive, la plupart des VC

opérant dans ce secteur ont été tués. Conséquemment, il n’a guère été difficile pour le

81 Ibid., p. 134. 82 Ibid., p. 159-160.

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CORDS de recruter la majorité des survivants communistes via le programme Chieu Hoi.

Grâce au déploiement permanent de forces paramilitaires et au recrutement de volontaires

pour élargir les rangs du PSDF lors de l’APC, les accès aux villes de districts jalonnant le

canal de Mang Thit demeuraient désormais ouverts, de jour comme de nuit. Le secteur n’était

plus soumis aux embuscades ou aux engins explosifs du VC. Les habitants des hameaux les

plus peuplés, implantés des deux côtés du canal, ne ployaient plus l’échine sous la pression

des forces de guérilla et des cadres du VC. Comme spécifié dans les directives de l’APC,

chaque hameau profitait dorénavant de la protection d’un peloton de forces paramilitaires

assisté par la milice locale du PSDF.83 Les progrès en matière de pacification ne se limitaient

pas à IV Corps; Young souligne à quel point l’année 1969 s’est avérée tout aussi positive

pour l’ensemble de la RVN. Le contrôle des cadres communistes sur la population rurale est

passé de 12.3% à 3%. Les habitants cultivaient 5.1 millions de tonnes de riz sans que le VC

puisse en tirer parti. Environ 47,000 soldats et cadres communistes ont changé de camp en

se joignant au GVN. En 1968, le NVA et le VC avaient pu lancer un total de 126 offensives

avec des unités de tailles de bataillon ou plus, alors qu’en 1969, ils en ont initié uniquement

un total de 34. De son côté, au cours du même laps de temps, l’ARVN enclenchait près de

7000 opérations de bataillon au sein de toute la RVN.

En 1967, 400,000 Sud-Vietnamiens s’étaient vus forcés de quitter leurs villages,

compte tenu des opérations conventionnelles opposant Américains et communistes. En 1969,

le nombre de réfugiés a chuté à 114,000 pour toute la RVN.84 Bien que les résultats positifs

de l’APC aient été en large partie galvanisés par les pertes catastrophiques du VC lors du Têt

et des offensives subséquentes, la structure organisationnelle du programme et sa gestion

parallèle avec les opérations du CORDS ont eu également beaucoup à y voir. En 1989,

William Colby publiait ses mémoires basés sur son expérience en tant que chef de la CIA et

du CORDS au Vietnam. Par ses écrits, il s’affiche comme un fervent défenseur des qualités

du programme de pacification de l’APC et du CORDS. Dans son autobiographie, Colby

explique comment l’APC a contribué à appuyer le GVN dans l’organisation convenable de

ses stratégies de pacification, incluant la combinaison des opérations militaires et civiles.

Thieu gérait sa campagne de concert avec le CORDS en transposant la structure

83 Ibid., p. 163-164. 84 Ibid., p. 180.

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organisationnelle de l’organisation à sa propre structure politico-militaire, avec pour résultat

la constitution d’une pyramide hiérarchique : à son sommet, le Président Thieu, puis, en

niveaux d’ordre décroissant ses subalternes, un groupe hiérarchique composé de son Conseil

national, ses Commandants régionaux, ses quatre Conseils régionaux et des 44 Conseils de

Provinces. Des représentants de chaque Ministère en provenance de Saigon assumaient la

coordination de leurs opérations avec les chefs de province, ce qui ouvrit la porte à la

centralisation des opérations au sein de chaque province. Des membres du CORDS

travaillaient côte à côte avec chacune des entités susmentionnées afin de gérer les opérations

de pacification.85 Le Président Thieu et le Premier Ministre s’enquéraient personnellement

de la situation en inspectant les provinces afin de s’assurer qu’on appliquait bel et bien les

directives de l’APC. Colby précise que ces visites allaient bien plus loin qu’une simple

tournée d’usage ; de fait, elles représentaient autant d’occasions pour les leaders politiques

d’inspecter les villages pour vérifier à quel point les statistiques positives du HES

corroboraient les rapports des activités sur le terrain. Les conseillers du CORDS jouaient un

rôle important lors de ce processus. Colby soumettait les rapports de ses subordonnés au

Président sud-vietnamien ou aux membres de son cabinet qui ramenaient à l’ordre les

dirigeants n’appliquant pas le programme selon les directives.

Colby fait mention que les conseillers du CORDS ne se privaient point de critiquer et

d’exposer les dirigeants qui ne mettaient pas en pratique le nouveau concept d’opération du

GVN.86 À cet effet, l’analyse de plusieurs centaines de pages de rapports post-déploiement

de conseillers américains du CORDS prouve à quel point les Américains ne ménageaient pas

leurs critiques lorsque leurs alter egos sud-vietnamiens ne se montraient pas à la hauteur de

leur tâche. Bien que les membres vietnamiens du CORDS concernés par ces dénonciations

aient parfois fait montre d’une profonde irritation face à la sévérité des Américains, cette

surveillance étroite encourageait une application plus disciplinée et rigoureuse du nouveau

plan de pacification. Colby a déclaré que la négligence relevée lors des programmes

précédents était désormais chose du passé; les responsables sud-vietnamiens réalisaient que

Thieu faisait montre d’un très grand sérieux dans sa volonté d’appliquer de manière stricte le

processus de pacification. Désormais, il y aurait des comptes à rendre au Président advenant

85 William Colby, Lost Victory, Chicago, Contemporary Books, 1989, p. 260-261. 86 Ibid., p. 261.

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261

un manque de rigueur dans la mise en œuvre du programme. De leur côté, les chefs de village

nouvellement élus ont reçu pour consigne d’assister dorénavant à un cours d’une durée de

six semaines afin de bien comprendre le mode de gouvernance du GVN et la façon de

l’appliquer au sein des secteurs ruraux. Ceci facilitait l’exécution des directives de

pacification au cœur des différents districts. Colby a spécifié qu’il survenait parfois des

problèmes nécessitant des ajustements, ce qui s’explique si on considère l’ampleur du

programme. Néanmoins, ce système semblait réellement provoquer les impacts escomptés

par les Américains et le GVN. En 1969, le CORDS comptait désormais 5000 militaires

américains. Une partie des éléments gérait l’administration des opérations à partir de Saigon

tandis que l’autre voyait ses membres déployés au sein de petites équipes de cinq personnes

appelées Mobile Advisory Teams (MAT), des formations réduites opérant conjointement

avec les forces paramilitaires des villages à travers toute la RVN. Les MAT fournissaient un

appui aux opérations visant à initier des embuscades et empêcher les infiltrations du VC ; ils

entraînaient les milices du PSDF, leur enseignant entre autres comment obtenir de l’appui

aérien. À l’exception du programme Phoenix, il n’était plus question dorénavant de se

focaliser sur le nombre de soldats ennemis neutralisés mais plutôt d’assurer la sécurité des

secteurs ruraux et de maximiser la défection des insurgés.87

Dans ses écrits, Colby poursuivait son témoignage sur les progrès constatés de visu

lors de ses tournées d’inspection au sein des Provinces de la RVN. Par exemple, il a observé

que le chef de la province de Quang Nam prenait les opérations de pacification avec beaucoup

de sérieux. Le leader vietnamien allait jusqu’à inviter chaque nouveau transfuge VC à souper

avec lui afin d’expliquer sa vision et de les rassurer à l’effet qu’on les traiterait très bien.

Ainsi mis en confiance, les transfuges divulguaient au chef de province d’excellents rapports

de renseignement sur les activités communistes. Ils allaient même jusqu’à inciter leurs

anciens camarades, toujours dans les rangs du VC, à joindre ceux du GVN.88 À un certain

moment, un des districts de Quang Nam a été jugé suffisamment sécuritaire pour que Colby

invite le Premier Ministre sud-vietnamien à y passer la nuit. Tout au long de leur parcours

sillonnant les secteurs ruraux du district, ils ont été escortés non pas par des troupes régulières

américaines ou sud-vietnamiennes mais par les forces paramilitaires locales.89 Rappelons

87 Ibid., p. 262, 265, 269-270. 88 Ibid., p. 275. 89 Ibid.

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qu’il est ici question du chef du CORDS, député du commandant du MACV, et du Premier

Ministre, le numéro deux après le Président Nguyen Van Thieu. Cette anecdote en dit long

sur le statut de sécurité régnant dans maints districts sud-vietnamiens. Afin de publiciser

auprès du public américain les progrès en matière de pacification dans la RVN, Colby

conviait fréquemment des journalistes à se joindre à lui lors de ses tournées d’inspection des

provinces. Afin qu’ils saisissent bien le statut de la situation opérationnelle, Colby invitait

ces journalistes à poser le plus de questions possibles aux conseillers et administrateurs du

programme de pacification (tout en gardant le nom des conseillers américains et sud-

vietnamiens secret pour des raisons de sécurité). Le journaliste Stewart Alsop (frère du

journaliste Joseph Alsop), un vétéran parachutiste de la Résistance française lors de la

Deuxième Guerre mondiale, a passé la journée avec Colby et John Paul Vann à circuler dans

la Province d’An Xuyen. Ils ont effectué des arrêts à de multiples villages au cœur de

plusieurs districts. Ce dont Alsop a été témoin lors de sa tournée l’inspira à titrer son

article ainsi: « They Might Just Make It ». Colby souligne qu’il s’agissait « d’une des

remarques les plus positives » sur la situation rencontrée au Vietnam à paraître dans les pages

d’un média américain de l’époque.90 Un autre journaliste (dont le nom n’est pas mentionné)

ayant fait une tournée des districts avec Colby lui a fait remarquer lors du voyage de retour

en hélicoptère que le calme dont il avait été témoin ne lui permettrait pas de pondre une

« histoire dramatique » pour son article.

Bien que cette déclaration trahisse la recherche de sensationnalisme de nombreux

médias, le journaliste en question est demeuré très réceptif lorsque Colby lui a expliqué la

situation. Le chef du CORDS a informé le reporter qu’il lui suggérait de questionner une

femme âgée d’un village pour comprendre à quel point sa situation s’était vue

« dramatiquement » améliorée depuis l’application des programmes de pacification post-Têt.

L’année précédente, cette femme aurait fort probablement été dans un camp de réfugiés à se

demander où ses fils pouvaient bien être. Colby spécifia qu’aujourd’hui, cette femme était de

retour dans son village, dans une « maison rebâtie par un de ses fils » qui avait accepté l’offre

d’amnistie (Chieu Hoi) du gouvernement. La vieille dame était également « protégée par son

autre fils », dorénavant membre des forces paramilitaires déployées dans le village pour

empêcher le retour du VC. Le journaliste a accepté les explications de Colby, mais les deux

90 Ibid., p. 272-273.

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hommes ont avoué ne pas savoir comment publiciser l’opération de pacification de manière

qu’on obtienne une véritable attention médiatique envers le programme. Cette triste

dynamique s’exemplifie par la visite d’une journaliste qui tenait coûte que coûte à

accompagner Colby lors d’une tournée. Pendant la journée passée en compagnie du chef du

CORDS, elle n’a pas manifesté le moindre intérêt pour les progrès du programme de

pacification préférant interviewer un membre du Conseil provincial, insistant pour lui

soutirer ses plaintes face à « la dominance de l’armée » au sein « des affaires et de la

hiérarchie de sa province et de la nation ».91 Lorsqu’on consulte la plupart des articles

médiatiques et reportages télévisés du temps, on réalise bien vite que les médias

manifestaient beaucoup plus d’intérêt aux combats conventionnels qu’aux progrès en matière

de pacification. Un des meilleurs exemples en lien avec ce phénomène est illustré par la

bataille d’Hamburger Hill qui devait avoir de fortes répercussions aux États-Unis. Il en est

allé de même lors de crimes commis par les troupes américaines. Le massacre de My Lai a

fait (avec raison) la manchette au sein des médias. Néanmoins, on ne sentait aucun juste

équilibre lors de la transmission de l’information. Tout comme les CAP, les progrès en

matière de pacification et de COIN n’avaient tout simplement pas la cote pour la majorité de

la classe journalistique au Vietnam. L’intérêt de quelques correspondants ne suffisait point à

contrebalancer les effets pervers de la guerre de l’information sur l’effort de guerre américain

au Vietnam.

Il est vrai qu’un conflit à basse intensité offre des histoires beaucoup moins

percutantes qu’une guerre conventionnelle. Nous avons constaté au chapitre 3 à quel point

les opérations offensives des Marines au sein des CAP semblaient banales lorsque comparées

aux opérations majeures de search and destroy décrites au chapitre 2. Si on ajoute à la hausse

du nombre de secteurs sécurisés l’absence d’action, d’explosions et de réfugiés, il apparaît

que cela constitue des indicateurs de qualité lorsque vient le moment d’évaluer les progrès

du programme de pacification du CORDS et du GVN. Malheureusement, ce n’est pas là le

genre d’histoire qui excitait l’intérêt de la plupart des médias. David Galula a rencontré le

même type de difficultés lorsqu’il tentait d’exposer son modus operandi aux gens de la

presse. Quoi qu’il en soit, au fil du temps, le programme de pacification du CORDS s’ajustait

et progressait, s’accordant beaucoup plus à ce que l’on attend d’une opération de COIN,

91 Ibid., p. 273.

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c’est-à-dire une campagne qui vise à assurer la protection de la population, à la séparer des

insurgés, à augmenter son niveau de vie et à faciliter l’appui des civils au gouvernement

légitime. Un dirigeant sud-vietnamien qui travaillait avec Colby lui a fait part que le nouveau

programme de pacification était l’opération contre-insurrectionnelle la mieux conceptualisée

et la plus structurée depuis le programme d’hameaux stratégiques supervisé par Ngo Dinh

Nhu, le frère de Diem.92 De leur côté, les Forces militaires américaines s’impliquaient

davantage au cœur des opérations de pacification. Malgré les inévitables dérogations (citons

le triste exemple du général Ewell relaté au chapitre 2), les éléments conventionnels du

MACV ajustaient réellement leur concept d’opération aux nouvelles réalités opérationnelles

dans plusieurs districts. Les accomplissements de la 173rd Airborne Brigade dans la province

de Binh Dinh ont été démontrés précédemment. En outre, d’autres constituants de l’US Army

déployés dans le II Corps devaient suivre l’exemple des Marines dans le but d’appuyer les

opérations de pacification du CORDS. À titre d’exemple, des compagnies d’infanterie ont

implanté dans la province de Quang Ngai ce que le MACV intitulait The Infantry Company

Intensive Pacification Program.

La procédure d’exécution de ce programme se déroulait ainsi: une compagnie

d’infanterie subdivisait ses forces de manière à former plusieurs sections appelées à être

déployées aux côtés de formations paramilitaires qui se voyaient assigner un hameau

spécifiquement choisi par le chef de la province de Quang Ngai. Le hameau une fois pacifié

demeurait occupé par les Forces américaines jusqu’à ce que les forces paramilitaires

deviennent aptes à prendre le relais des opérations. Dans ses rapports, l’US Army reconnaît

que l’Infantry Company Intensive Pacification Program s’inspirait du concept de Combined

Action Platoon des Marines.93 Ce programme faisait foi de l’action mise en pratique par un

nombre divers d’unités américaines lorsqu’elles décidaient de passer de la parole aux actes;

dorénavant, les forces conventionnelles s’appliqueraient à faciliter et appuyer les opérations

de pacification du CORDS et de l’APC, tel qu’ordonné par le général Abrams. Ce type de

manœuvre, une fois combiné à la traque des larges formations résiduelles du VC et du NVA,

92 Ibid., p. 270. 93 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural

Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, General Records 205-57: Neutralization

Correspondence 1969 thru 205-57: Overview Files 1969, Memorandum I Corps Field Overview (RCS-

MACCORDS-32.01) for October 1969, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry:

33104, Box 3, p. 3.

Page 278: CorpusUL: CorpusUL Home - Stratégie ......ANNEXE 6 : Patrouilles de Marines et du PF dans le ca dre des Combined Action Platoons..... 427 ANNEXE 7 : Des Navy

265

a eu comme rapide conséquence d’acculer les communistes dans leurs derniers

retranchements. Mais les revers du VC ne cessaient pas là. Bien que le CORDS et l’APC

facilitaient les opérations de plusieurs unités américaines visant à interdire l’accès des

villages aux forces de guérilla, les cadres communistes parvenaient malgré tout à influencer

la population civile, une ruse leur permettant de continuer à appuyer les éléments de combat

du VC. Mais, le programme Phoenix, spécifiquement conçu pour démanteler l’infrastructure

politique du Viêt-Cong, s’apprêtait à exacerber de manière draconienne la situation déjà

précaire de l’insurrection communiste.

4.4. Le programme Phoenix : structure et mode de fonctionnement

Dans les lignes du chapitre 1, nous avons constaté l’importance des cadres du VC au

sein de la structure organisationnelle de l’insurrection communiste. Robert Thompson a bien

dépeint de quelle façon les cadres politiques facilitaient la confluence entre les forces de

combat de la guérilla et la population civile. N’oublions pas que cette dernière représentait

pour le VC une manne vitale d’assistance, d’approvisionnement logistique, de

renseignements et de nouvelles recrues. Une fois dépourvues desdits cadres, les formations

communistes souffriraient de la perte de cet appui impératif à la bonne marche de leurs

opérations militaires. On a spécifiquement conçu le programme Phoenix pour mettre un

terme à cette association militaire et civile : la cible des opérateurs du programme était

nommée VCI, un acronyme américain pour le terme Viet-Cong Infrastructure. La charpente

de cette infrastructure se composait d’un concept hiérarchique élaboré qui passait des

échelons nationaux jusqu’aux paliers d’hameaux. Elle englobait le Peoples Revolutionary

Party (PRP) qui, à l’échelle nationale, incorporait le COSVN tandis que, parallèlement, le

PRP opérait avec le National Liberation Front (NLF(VC)) au sein des hameaux. On y a

amalgamé The Alliance of National Democratic and Peace Forces, un front « supposément

composé » d’éléments nationalistes prêts à former un gouvernement de coalition avec

Saigon. Le PRP, le COSVN, le VC et l’Alliance recevaient leurs directives politiques du

Parti communiste Lao Dong à Hanoi.94

94 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division. General Records

204-57: Phoenix Committee Target Sub-Committee 1969 thru 204-57: PSYOPS 1969 Operations Phung

Hoang, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 4, p. 7-8.

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À la suite de l’offensive du Têt, Hanoï a ordonné l’élection de « conseils de

libération » communistes au sein des villages de la RVN. Ces conseils, au nombre de 2000,

contrôlés par le PRP, constituaient l’organe politico-administratif communiste appelé VCI

par les Américains. Aux côtés des éléments du VCI, on retrouvait les forces de sécurité

assurant leur protection, les cadres chargés des finances et des taxations ainsi que d’autres

membres dont le mandat consistait à assurer la gestion et le contrôle de la population civile.95

À ce stade, il convient de souligner qu’un membre du PRP ou du COSVN ne se voyait pas

automatiquement catalogué comme membre du VCI; être attaché aux forces de combat du

VC par exemple l’exclurait du groupe cible privilégié par les opérateurs du programme

Phoenix. Toutefois, on pouvait faire de ce type de membre une cible d’opportunité

susceptible d’offrir beaucoup de renseignements aux Forces alliées. Du côté de Phoenix, on

a désigné comme éléments chargés de neutraliser les membres de l’infrastructure les forces

spéciales sud-vietnamiennes du Provincial Reconnaissance Unit (PRU), les cadres du RD,

les forces de police du Special Branch, de même que des Navy SEAL américains (voir les

annexes 7 et 8).

Les forces régulières et paramilitaires pouvaient également être appelées à appuyer

les activités du programme. Une phase expérimentale, nommée Intelligence Coordination

and Exploitation (ICEX), a été créée pour, ultimement, faire place au Programme Phoenix

qu’on a lancé en décembre 1967.96 Techniquement, Phoenix ne constituait pas un organisme

mais plutôt un « programme de coordination » résultant de la synchronisation d’opérations

de comités aux échelons provinciaux, de districts et de villages. On a installé des bureaux

administratifs chargés de gérer la conduite des opérations de Phoenix à chacun de ces trois

paliers administratifs. Un ou plusieurs représentants de chaque entité politico-militaire

opérant au sein du programme se faisait assigner dans chacun de ces bureaux. Le contrôle

opérationnel de Phoenix au sein des districts et des provinces incombait officiellement à leurs

chefs respectifs. Néanmoins, la réelle gestion du programme tombait sous la responsabilité

95 Ibid. 96 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970 MACCORDS Realignment of Phuong

Hoang Management Responsibilities, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205,

Box 5, p. 1.

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267

des officiers du renseignement (S2) américains et sud-vietnamiens. Une imputation partagée

par les responsables du District Intelligence and Operations Coordinating Center

(DIOCC).97 La principale fonction du DIOCC impliquait d’effectuer la collecte de

l’information pertinente, susceptible de permettre la planification d’opérations contre les

cadres communistes à l’œuvre dans les villages du district. Le mandat confié au DIOCC

couvrait également l’amélioration de la coordination des activités entre les différentes

agences de renseignement du district. Quant au chef du district, on lui donna la responsabilité

de la conduite des opérations du DIOCC. Il déléguait ses responsabilités au S2 qui, pour sa

part, gérait les opérations auprès des dirigeants des cadres du RD, des forces spéciales sud-

vietnamiennes, des services de police, du Chieu Hoi (programme de défection) et des forces

paramilitaires.98 L’apport américain consistait en un lieutenant et un capitaine désignés

comme Phoenix DIOCC Coordinators afin de superviser les opérations. De concert avec le

DIOCC sud-vietnamien, ils coordonnaient les échanges de données en matière de

renseignements entre les agences de collection de district, des forces paramilitaires, des

unités régulières américaines et des conseillers militaires américains de l’ARVN.

Grâce au renseignement recueilli par les organisations susmentionnées, ces

coordinateurs développaient les plans d’opérations avec pour objectif de capturer une cible

dans un village. Chaque DIOCC était subordonné au Province Intelligence and Operations

Coordinating Center (PIOCC) qui maintenait un centre d’opération tactique pour superviser

les opérations de renseignement de la province. Dans les faits, le PIOCC constituait le centre

d’opération provincial du programme Phoenix et cumulait les tâches suivantes : compléter

des rapports destinés aux autorités gouvernementales, assurer la coordination des opérations

des différents DIOCC, gérer le traitement des prisonniers, fournir les « listes noires » de

cadres ciblés pour les opérations des forces de sécurité et, enfin, assurer la liaison avec les

centres d’opérations Chieu Hoi.99 On déploya également des conseillers américains pour

97 Ibid. 98 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (G): GVN Agencies 1970 thru 1603-03A (H): VIDCC. The Functions of a DIOCC –US Tactical

Unit relationship, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 11, p. 1. 99 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

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268

étayer la conduite des opérations du PIOCC. De plus, plusieurs de ces conseillers étaient

aussi délégués auprès de la plupart des agences responsables de mettre en application les

opérations du programme Phoenix.100 Le 1er juillet 1969, la gestion de Phoenix a

officiellement échu au contrôle du MACV qui a placé le programme sous la responsabilité

du CORDS.101 Contrairement à ce qui a été véhiculé à de trop nombreuses reprises, Phoenix

ne constituait pas un programme d’assassinat créé pour tuer des cadres communistes. Bien

que l’objectif du programme soit bel et bien de neutraliser l’infrastructure politique du VC,

il n’avait pas comme fin en soi de délibérément tuer ses dirigeants. Les leaders du programme

Phoenix cherchaient plutôt à exploiter leurs troupes de sécurité et leurs forces spéciales pour

traquer et capturer les cadres du VC. Comprenons bien que ce cours d’action n’était pas le

fruit d’un élan d’altruisme de la part des concepteurs du programme; dans les faits, un cadre

mort ne se trouvait pas en mesure de divulguer du renseignement sur les activités subversives

de l’infrastructure politique communiste. Voilà pourquoi, lors d’opérations lancées pour

capturer un cadre localisé dans un village, les forces spéciales ou le Special Branch tâchaient

de ramener leur cible vivante au quartier-général.

Néanmoins, les membres de l’infrastructure VC bénéficiaient régulièrement de la

protection de gardes du corps, ce qui provoquait fréquemment des combats entre VC et forces

de sécurité. À maintes reprises, ces affrontements causaient la mort du cadre ciblé par

l’opération. Compte tenu de ce type d’opération, Phoenix devait faire couler beaucoup

d’encre et est devenu sujet de profondes mésinterprétations de la part de beaucoup de

politiciens, journalistes et observateurs civils. Pourtant, nous serons à même de constater que

le programme n’était qu’un chaînon, une initiative supplémentaire de COIN rendue

nécessaire si les Américains voulaient entraver la bonne marche des opérations subversives

des communistes. La destruction de l’infrastructure politique de l’insurrection constitue,

207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970. MACCORDS Realignment of Phuong

Hoang Management Responsibilities, op. cit., p. 2-4 100 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records Phung Hoang 1968 thru Vietnamization/C/S Letter 1969 Phung Hoang 1969 End of Year

Report, College Park, National Archives, NND 003062, RG#472, Entry: PSG, Box 3, p. A-7. 101 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970 MACCORDS Realignment of Phuong

Hoang Management Responsibilities, op. cit., p. 2.

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269

rappelons-le, la quatrième étape de la doctrine contre-insurrectionnelle de David Galula.

Malgré son application agressive de cette doctrine dans son district en Algérie, Galula ne

s’est jamais fait accoler l’étiquette de meurtrier ou d’assassin. À bien des égards, le concept

de Phoenix a été le précurseur de ce que le Joint Special Operation Command (JSOC) a

exécuté au Moyen-Orient lorsque les forces spéciales américaines et britanniques ont

démantelé pièce par pièce l’infrastructure de commandement d’Al Qaeda en Irak, à partir de

la moitié des années 2000. Le JSOC, qui regroupait notamment des opérateurs américains du

Delta Force et du DEVGRU (SEAL Team Six) en plus des SAS (Special Air Service) et SBS

(Special Boat Service) britanniques, a traqué les dirigeants et gestionnaires de l’organisation

terroriste. À quelques exceptions près, la mission des opérateurs du JSOC n’a pas été

d’assassiner mais plutôt de capturer leur cible pour en extraire un maximum de

renseignements.102

Tout comme au Vietnam avec les SEAL et le PRU, il advenait fréquemment que les

opérations du JSOC dégénéraient en de violents combats entraînant la mort de la cible visée

par les opérateurs américano-britanniques. Pourtant, ceci ne faisait pas pour autant un

« programme d’assassinat » des opérations du JSOC. En ce qui a trait aux interrogatoires des

communistes capturés par Phoenix, les concepteurs du programme ont insisté sur le fait que

la torture ne constituait pas une méthode efficace pour extraire de l’information d’un cadre

capturé. Plusieurs allégations ont été faites contre le programme Phoenix qui, selon maints

journalistes et observateurs externes, maximisait l’exploitation de la torture pour forcer la

divulgation de renseignement. À cet effet, des conseillers américains qui opéraient au sein de

Phoenix ont affirmé ce qui suit :

Interrogators are well aware that data or confessions extracted by force are

without value, for such reports almost invariably are incorrect or without

any foundation at all. A suspect threatened with force supplies what he

thinks the interrogator wants, not what the true situation is. Only skilled

questioning by trained intelligence operative results in intelligence data that

stands up under analysis and can be usefully exploited.103

La perception de brutalité que d’aucuns croyaient inhérente au programme Phoenix

originait largement des commentaires de prétendus vétérans du programme. Mark Moyar cite

102 Mark Urban, Task Force Black, New York, St. Martin Griffin, 2010, p. 35-40, 70-72. 103 Ibid.

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270

dans Phoenix and the Birds of Prey la façon dont ces individus narraient les « crimes

sinistres » de Phoenix aux journalistes, à des membres du Congrès américain, des auteurs et

des étudiants qui n’ont pas tardé à répandre la nouvelle. De minutieuses enquêtes ont été

menées afin d’investiguer ces accusations; chacune d’elles s’est avérée être de nature

falsifiée. Plusieurs de ces prétendus vétérans qui « opéraient » dans les rangs du programme

Phoenix n’ont, dans les faits, jamais servi une seule journée au Vietnam ou au sein des Forces

armées américaines. La majorité des autres n’avaient même pas occupé les fonctions soi-

disant remplies au Vietnam. Comme dans chaque guerre, il est malheureusement survenu des

incidents malencontreux. À titre d’exemple, Moyar souligne qu’il est advenu que les forces

de sécurité sud-vietnamiennes aient exécuté sans procès un cadre du GVN qui se trouvait être

en réalité un cadre du VC démasqué. En temps normal, ce cadre aurait été jugé et passible de

la peine de mort.104 Néanmoins, tout comme le massacre américain du village de My Lai, ces

actions déplorables d’opérateurs de Phoenix ne constituaient en rien la norme ou le modus

operandi de l’ensemble des forces en présence. Citons par exemple le lieutenant-colonel John

L. Cook, un conseiller américain qui a effectivement opéré au sein de Phoenix pendant une

période de 25 mois. Cook n’exécutait pas ses fonctions à Saigon, confortablement installé

dans un bureau pourvu d’air climatisé, mais plutôt au cœur des villages et secteurs ruraux

pour confronter directement l’infrastructure VC.

La profonde incompréhension suscitée par Phoenix l’a incité à publier son

témoignage dans un livre intitulé The Advisor : The Phoenix Program in Vietnam. Cook y

explique à quel point le public américain n’avait tout bonnement pas l’heure juste lorsqu’on

abordait le sujet de Phoenix. L’auteur a également brisé ce qu’il soutient être le « mythe »

d’une organisation viêt-cong « libératrice ». Fort de son vécu et de ce dont il a été témoin,

Cook avait plutôt tendance à coller l’étiquette d’assassins aux membres du VC. Il soutient

que Phoenix ne représentait en rien un « programme d’assassinat » et qu’ironiquement, le

Programme consistait en la meilleure contre-mesure, le moment venu d’empêcher les cadres

du VC de perpétrer des atrocités.105 Dans les faits, presque l’intégralité des cadres du VC qui

ont péri lors d’opérations du programme Phoenix s’est vue neutralisée lorsque l’opération de

capture dégénérait en affrontement entre forces de sécurité et éléments de combat du VC.106

104 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 389-390. 105 Cook, op. cit., p. 9-10.

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271

Nonobstant cela, la nature même du programme reste encore incomprise par beaucoup

d’observateurs au 21e siècle. Plusieurs références populaires existent toujours quant à la

« nature assassine » du programme. Du côté éducationnel, le problème persiste également. À

titre d’exemple, un documentaire exhaustif diffusé en 2017 à la PBS, The Vietnam War,

quoique très intéressant, tend à dépeindre Phoenix comme un programme de torture et

d’assassinat. L’incompréhension persiste et continuera fort probablement de persister, et ce,

malgré le témoignage à contre-courant de la croyance populaire de vétérans ayant réellement

participé au programme.

4.4.1. L’exécution des opérations du Programme Phoenix

Lors du lancement officiel de Phoenix à la fin de 1967, on comptait 12.3% du peuple

sud-vietnamien vivant dans les hameaux contrôlés par le VC. À cela, ajoutons un autre 11.4%

de la population qui habitait les secteurs contestés où le VC avait la capacité d’infiltrer et

d’influencer la population. Au total, près du quart des habitants de la RVN était à la portée

ou en contact avec l’infrastructure VC et ses cadres. En 1967, selon les évaluations du

MACV, environ 80,000 cadres communistes opéraient dans les secteurs encore sous

influence communiste à cette époque.107 Les concepteurs du programme n’étaient pas dupes;

il serait impossible d’éliminer complètement l’infrastructure politique du VC. L’objectif

avait plutôt pour fin de provoquer l’entrave des opérations politiques de l’insurrection en

neutralisant un maximum de cadres.108 Au cours des 11 premiers mois de 1968, les rapports

américains soutiennent que Phoenix a neutralisé 13,404 cadres. En novembre 1968, 366

cadres ont fait défection, 1563 autres ont été faits prisonniers et 409 autres se sont fait tuer

au cours d’opérations visant à les capturer.109 Afin de traquer ces cadres et d’en faire tomber

un si grand nombre, une gestion très disciplinée des opérations de collecte de renseignement

107 Records of the United States Forces in South East Asia Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Record

Operation Phung Hoang Rooting Out the Communist’s Shadow Government, College Park, National

Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 4, p. 2. 108 National Security Council Files Richard M. Nixon Presidential Material Project, Sir Robert Thompson

(1970) Memorandum for Dr. Kissinger, Subject: Sir Robert Thompson’s Publication and Lecture Problem,

College Park, National Archives, Folder: 102564-018-0001, Box 92. 109 Records of the United States Forces in South East Asia Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

Operation Phung Hoang Rooting Out the Communist’s Shadow Government, op. cit., p. 2.

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d’agents déployés sur le terrain était de rigueur. En ce sens, les agences civiles et militaires

américaines et sud-vietnamiennes échangeaient leurs rapports de renseignements sur une

base régulière. Ces rapports se trouvaient étayés par ceux des dirigeants politiques locaux,

par les cadres du RD et l’ensemble des unités de renseignement des forces régulières et

paramilitaires déployées sur le terrain. On encourageait aussi la population civile à identifier

les cadres communistes. Dans l’ensemble, une grande partie du renseignement récolté

provenait des habitants des secteurs ruraux.110 L’information glanée faisait l’objet d’analyse

d’experts américains et sud-vietnamiens en matière de renseignement militaire. L’expertise

de ces spécialistes assurait à la chaîne de commandement le très haut degré de qualité des

méthodes d’analyses et d’exploitation des données effectuées par les opérateurs vietnamiens.

On prenait toutes les précautions pour valider que l’information transmise sur un potentiel

cadre faisait l’objet d’une double vérification et qu’elle corroborait d’autres données. À titre

d’exemple, la police ne procédait pas à l’arrestation d’un suspect taxé d’être communiste par

un voisin en se fiant uniquement sur cette accusation.

Néanmoins, si de multiples sources rapportaient les mêmes informations, si un

transfuge de l’infrastructure communiste dénonçait le suspect et si on découvrait des

documents compromettants à son domicile, la police procédait alors à son arrestation. Si les

preuves et les témoignages semblaient consistants, le suspect se voyait accusé, puis jugé.

Cette procédure a été rendue possible grâce à la coopération des agences de renseignements

qui coordonnaient leurs opérations et partageaient leurs informations. Selon les concepteurs

de Phoenix, cette dynamique comptait pour l’un des rouages les plus importants à la bonne

marche du programme.111 Lorsque le renseignement collecté se voyait jugé suffisamment

crédible par le DIOCC, on initiait une opération en vue de capturer le cadre communiste dans

le village désigné. Ces opérations pouvaient mettre en œuvre une pratique aussi élémentaire

que d’envoyer un policier à vélo procéder à l’arrestation du cadre dénoncé par des transfuges

du VC. Dans d’autres cas, une opération ayant suffisamment d’envergure forçait le

déploiement de deux ou trois bataillons de troupes, appuyés par des chars, de l’artillerie et

l’aviation. À titre d’exemple, près de 5000 troupes ont été dépêchées à Vinh Loc, sis au sud-

est de Hue, afin de capturer un cadre communiste et les éléments de combat VC qui

110 Ibid., p. 3-4. 111 Ibid., p. 10-11, 14.

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l’appuyaient. Après 10 jours de recherches et d’interrogatoires, on a estimé que 80% des

communistes du secteur ont été soit tués, capturés ou convaincus de faire défection (le rapport

ne spécifie pas si le cadre ciblé a été capturé).112 Dans la Province de Quang Tri, le

renseignement diffusé à partir du PIOCC devait entraîner un exploit similaire; on a pu

identifier 80 membres du VCI grâce à plusieurs sources de renseignements. Succès amplifié

par le fait qu’une seule section des forces de sécurité a suffi pour infiltrer de nuit le village

abritant les 80 cibles. Au total, 50 des 80 cadres visés ont pu être capturés lors de

l’opération.113 Ces exemples démontrent que les opérations de Phoenix fournissaient

l’opportunité aux forces de sécurité d’effectuer d’importants coups de filet. Lors d’opérations

à plus large déploiement, les troupes conventionnelles de l’ARVN sécurisaient le village en

question, puis escortaient les policiers armés d’une liste noire recelant le nom des suspects

VC. Une fois ceux-ci identifiés, ils ne se voyaient pas « assassinés » mais plutôt interrogés

par les policiers qui réussissaient ainsi à leur soutirer du renseignement précieux, en vue

d’identifier d’autres cadres communistes.114

Pour mener à bien ces opérations, les forces de sécurité exploitaient une tactique de

cordon et fouille qui facilitait la capture des cadres inhabilités à s’échapper du secteur par

cette stratégie. Via le PIOCC, le chef de la province d’un village soumis à une opération de

cordon et fouille procédait à la catégorisation (selon leur importance), puis à l’interrogatoire

des suspects détenus. Le chef de province répondait également du bon traitement de la

population civile au sein du village ciblé.115 Cette gestion était régie de concert avec les

éléments de district du DIOCC. On transmettait immédiatement tout renseignement collecté

aux agences de renseignement opérant de concert avec Phoenix. Tous les villageois

112 Ibid., p. 5. 113 National Security Council Files Richard M. Nixon Presidential Material Project, Sir Robert Thompson

(1970) Memorandum for Dr. Kissinger, Subject: Sir Robert Thompson’s Publication and Lecture Problems,

op. cit. 114 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

Operation Phung Hoang Rooting Out the Communist’s Shadow Government, op. cit., p. 14. 115 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records

204-57: AIK Funds 1969 thru 204-57: J.P. PSC Minutes – Thua Thien 1969, Cordon and hold Operations.

College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 1, p. 3.

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274

considérés innocents étaient libres de regagner leur village une fois l’opération terminée.116À

l’image du CORDS, tout n’était pas parfait en regard de l’application du programme Phoenix.

Lors d’opérations de cordon et fouille, bien que les forces de sécurité soient munies d’une

liste de suspects, il advenait que le contenu de cette feuille soit flou et ne permette pas de

viser une cible de grande valeur (high value target). On attribuait cette situation à la carence

de renseignement disponible, une insuffisance attribuée au « manque d’efforts coordonnés »

des éléments des DIOCC et des PIOCC, de même qu’à des sources de renseignement

déficientes. Ce problème résultait également de lacunes au niveau des compétences des

forces de sécurité, le moment venu de traquer, cibler et capturer une cible.117 À cet effet,

l’unité sud-vietnamienne la plus redoutée des communistes a été, sans contredit, celle des

forces spéciales du PRU (voir l’annexe 8). Avant 1967 et l’émergence de Phoenix, le

Provincial Reconnaissance Unit était sous le contrôle de la CIA qui devait conserver la

mainmise sur l’encadrement de l’unité lorsqu’on l’amalgama à ICEX, puis à Phoenix.

Le PRU comptait 5000 opérateurs; des exécutants qui menaient des opérations

spéciales dans l’ensemble des provinces de la RVN. Le PRU cumulait quatre tâches

spécifiques : collecter de l’information sur le VCI, conduire des opérations paramilitaires

visant à neutraliser le VCI, participer aux opérations planifiées par les DIOCC et PIOCC, et

enfin, conduire des opérations de reconnaissance et de ciblage.118 Les hommes recrutés

comme membres de l’unité l’étaient généralement parmi d’anciens soldats de l’ARVN, du

VC ou encore des forces spéciales de l’Armée sud-vietnamienne. Plusieurs membres du PRU

étaient réputés pour leur haine du VCI qui, dans bien des cas, s’était rendu responsable de

massacres perpétrés contre leur communauté. Cette particularité rendait l’unité très

imperméable à l’infiltration des communistes. Les membres du PRU opéraient

clandestinement en petites sections de six hommes, portant souvent les mêmes vêtements que

116 Ibid., p. 3-4. 117 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03(AS): GVN Directives 1969 thru 1603-03(CS): QTR. Review 1969, The Phoenix Program in II Corps,

1 May 1968 College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 3, p. 8-9. 118 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A: PRU Correspondence 1970 thru 1603-03A: Reports – VC/NVN Propaganda Analysis 1970,

Military Intelligence Provincial Reconnaissance Units (C) Short Title: PRU (U), College Park, National

Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 12, p. 1-2.

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le Viêt-Cong et allant parfois jusqu’à utiliser des AK-47 plutôt que les M-16 américaines. Ce

modus operandi compliquait l’identification des opérateurs du PRU pour le VC. Les

membres de cette force spéciale étaient soumis à un entraînement sévère dispensé par leurs

superviseurs de la CIA et des Marines.119 Les forces spéciales du PRU opéraient de manière

suffisamment clandestine pour que l’ensemble des Forces américaines ignore jusqu’à leur

existence. Même les dirigeants du CORDS n’étaient pas au fait de toutes leurs activités.120 Il

arrivait fréquemment que le PRU opère conjointement pendant des périodes pouvant aller

jusqu’à six mois avec des opérateurs américains des Green Berets, Navy SEAL et des troupes

d’élite des Marines (Marine Force Recon). L’ensemble de ces forces spéciales prêtées à la

CIA appuyaient le PRU et s’assuraient également que les rapports post-opérations des agents

sud-vietnamiens comportent une teneur véridique.121 Inévitablement, l’apport prodigué par

ces unités spéciales américaines en matière d’expertise pour la conduite de missions de

reconnaissance et de tactiques au combat a hautement amélioré les capacités du PRU à

capturer et neutraliser leurs cibles. Le PRU possédait la capacité d’opérer dans des secteurs

normalement évités par les forces régulières; ses opérateurs étaient également familiers avec

le terrain et la population civile de leurs zones d’opérations.

Le PRU constituait souvent la source optimale pour se procurer du renseignement sur

les activités de l’infrastructure politique VC. Les membres de l’unité ont développé un réseau

de collecte de renseignement en recrutant des informateurs sélectionnés en fonction de leur

hostilité envers les communistes; ceux-ci une fois investis dans leur rôle d’indicateurs leur

signalaient la localisation de cadres communistes dans les villages. Le PRU exploitait aussi

les rapports de renseignement d’anciens VC et des cadres du programme Chieu Hoi qui

traçaient des cartes révélant les secteurs procommunistes au sein des villages.122 À titre

d’exemple, dans la province de Long An, un ancien chef d’une unité d’action spéciale du VC

a réussi à obtenir la localisation et l’itinéraire de son successeur. En transmettant

l’information aux opérateurs du PRU, ces derniers ont pu élaborer un plan et initier une

embuscade pour surprendre leur cible. Le leader VC étant sous la protection d’un garde du

corps, un échange de tir s’en est suivi qui a résulté en la mort des deux communistes. Ce

119 Andrew Finlayson, Marine Advisors With the Vietnamese Provincial Reconnaissance Units, 1966-1970,

Quantico, United States Marine Corps History Division, 2009, p. 8-11. 120 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 170. 121 Ibid., p. 165-166. 122 Finlayson, op. cit., p. 53-54.

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leader était le septième chef de l’unité d’action spéciale du VC neutralisé par le PRU. En

exploitant le renseignement de ses sources et informateurs, le PRU a découvert que l’unité

spéciale communiste s’apprêtait à initier une attaque dans leur secteur d’opération. À la

lumière du renseignement collecté, les opérateurs ont initié une nouvelle embuscade sur la

route appelée à être utilisée par le VC en cas de retraite. Lors du passage des soldats

communistes, un violent combat s’est engagé, entraînant ainsi la mort du huitième chef de

l’unité d’action spéciale du VC.123

À l’image des opérations des CAP, ces offensives ne revêtaient pas un caractère

particulièrement éclatant. Néanmoins, elles entravaient sérieusement la capacité du

leadership communiste à exercer ses fonctions dans les secteurs ruraux. Le PRU a exploité

ce type de tactique d’une province à l’autre de la RVN. Maints conseillers américains du

PRU ont affirmé que leurs opérateurs avaient capturé ou tué des centaines de communistes en

six mois ou un an sans subir une seule perte dans leurs rangs. Selon les conseillers de la CIA,

les forces du PRU se montraient très proactives au sein de l’ensemble des provinces de la

RVN, exécutant des opérations semblables à celles décrites précédemment plusieurs fois par

mois. Chaque unité capturait ou tuait généralement 10 à 20 cadres communistes

mensuellement. Considérant les effectifs du PRU chiffrés à 5000 soldats subdivisés en

équipes de six opérateurs, ces résultats étaient somme toute très positifs pour le GVN.

Certains conseillers ont également souligné que des opérations du PRU ont résulté en la

capture ou la mort de 100 à 500 communistes en une seule journée. Ces opérations, très

dommageables pour le VC, n’ont pas été publicisées à l’époque; à l’exception de la CIA, peu

de gens en avait eu connaissance.124

Conséquemment aux ravages infligés dans leurs rangs, les communistes ne devaient

pas tarder à redouter les PRU; quantité de rapports capturés font état des problèmes créés par

l’unité spéciale sud-vietnamienne.125 Certains leaders du VC, suffisamment excédés par le

PRU, ont tenté d’initier des contremesures spécifiquement conçues pour entraver la bonne

marche des opérations de l’unité. À titre d’exemple, dans la Province de Quang Tri, les

opérations du PRU ont causé une telle suite de dommages au VCI que les Nord-Vietnamiens

123 Ahern, CIA and Rural Pacification in South Vietnam, op. cit., p. 300-301. 124 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 173. 125 Ibid., p. 249.

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ont formé et déployé une unité spéciale de sapeurs pour détruire la base d’opération des forces

spéciales sud-vietnamiennes.126 Un document du COSVN fait état des dommages importants

que leur a infligé le PRU (sans directement nommer le nom de l’unité). Ce rapport spécifie:

“The situation in liberated rural area has become increasingly insecure

because of many deficiencies which have enabled enemy agents to actively

operate deep in the heart of our areas and help the commandos launch

surprise attack which inflicted many casualties on us…by exploiting the

“Chieu Hoi”, defectors and a number of cadres who had been arrested, the

enemy had been able to attack many of our positions causing serious losses

to us…”127

Ce même rapport souligne que plus de 15 villages, en plus de divers secteurs et

districts, ont été soumis aux attaques des « commandos » (PRU).128 Bien qu’un des plus

grands atouts des PRU soit leur capacité à établir des réseaux d’informateurs pour la

cueillette de renseignement, il arrivait régulièrement que le DIOCC du district ne soit pas

impliqué dans la gestion de la collecte de renseignement du PRU. Des conseillers américains

ont partagé avoir vécu bien des difficultés en fait de coopération avec les membres des

DIOCC. Régulièrement, il advenait que les différentes agences refusent de partager le

renseignement collecté, de crainte de ne pas se voir attribuer le crédit du succès d’une

opération découlant dudit renseignement.129

Cette dynamique contreproductive (encore rencontrée au 21e siècle) ne se bornait pas

aux DIOCC et au PRU; de nombreux problèmes de discipline et de coordination des

opérations entre les divers DIOCC et PIOCC ont été fréquemment rapportés par les

conseillers américains de Phoenix. À titre d’exemple, dans la province de Phu Yen, on a

observé un important degré d’absentéisme du personnel assigné au PIOCC et aux DIOCC.

Plusieurs chefs de district faisaient montre de bien peu de motivation à participer au

programme et les opérations de cordon et fouille étaient très mal exécutées. Les Américains

ont également noté le manque de coopération entre les agences de renseignement, ce qui

126 Finlayson, op. cit., p. 15-16. 127 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of

Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents, A COSVN Directive for Eliminating Contacts With

Puppet Personnel and Other “Complex Problems,” Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0731, p. 3. 128 Ibid. 129 Finlayson, op. cit., p. 7-8.

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entravait le ciblage de membres du VCI.130 Des incidents similaires ont été observés dans la

province de Pleiku; très peu de chefs des DIOCC rendaient visite au PIOCC et la

coordination des agences laissait à désirer. De son côté, un conseiller américain a soulevé

que malgré ses excellents rapports avec son comparse sud-vietnamien, il ne pouvait ignorer

d’occasionnelles divergences d’opinion sur l’interprétation des informations collectées pour

le renseignement. Il souligne également l’entêtement des Sud-Vietnamiens qui refusaient

souvent de suivre les recommandations de leurs conseillers américains. Il advenait même

que les Américains court-circuitent la chaîne de commandement et traitent directement avec

le GVN, tâche qui incombait normalement aux PIOCC et aux DIOCC. L’analyse de

plusieurs dizaines de rapports des coordinateurs américains de Phoenix démontre qu’on a

expérimenté des problèmes analogues dans maints districts et provinces.131

Les administrateurs du programme ont aussi évoqué le manque de coordination des

opérations de Phoenix et des forces régulières; la gravité du problème variant d’un district à

l’autre des provinces de la RVN. Par exemple, au sein du district de Ninh Hoa, dans la

province de Khanh Hoa (II Corps), « peu sinon aucun problème » n’a été rencontré avec les

Forces militaires sud-coréennes qui y étaient déployées. La coopération entre les deux

organisations avait atteint un stade des plus satisfaisants, favorisée en cela par le déploiement

d’un officier de liaison sud-coréen attaché en permanence au DIOCC. Un des conseillers

américains du DIOCC a affirmé que la contribution des Forces sud-coréennes au programme

a « excédé les gains » qu’elles ont elles-mêmes tiré de Phoenix. Néanmoins, au sein des

districts d’An Nhon et de Phu Cat, dans la province de Binh Dinh, les militaires sud-coréens

coopéraient avec Phoenix uniquement lorsque le DIOCC leur fournissait du renseignement.

Jamais, en retour, les spécialistes du renseignement sud-coréens ne partageaient les résultats

de leur collecte avec le DIOCC. Des problèmes équivalents ont été observés dans trois

130 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records,

1603-03(A4-1): Posters 1970 thru 1603-03A (B3): Quarterly Adv. Conf. 1970, Status of Phung Hoang

Program in Phu Yen Province, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box

8, p. 1. 131 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records,

1603-03(A4-1): Posters 1970 thru 1603-03A (B3): Quarterly Adv. Conf. 1970, Briefing Input to Quarterly

Phung Hoang coordinators Center, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry:33205,

Box 8, p. 2.

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districts de la province de Phu Yen.132 Il arrivait également qu’il surgisse des troubles de

coordination entre les Forces américaines et les gestionnaires de Phoenix. Ce manque de

planification concertée était la résultante d’une collecte de renseignements anémique issue

des éléments sud-vietnamiens. À titre d’exemple, le G2 (commandant du renseignement à

l’échelle de brigade) de la 4th Infantry Division a rapporté qu’à quelques exceptions près, les

PIOCC et les DIOCC ne se sont pas montrés en mesure de « fournir suffisamment

d’informations sur les activités du VCI » et que sa propre cellule de renseignement s’était

avérée la pourvoyeuse d’une base de données beaucoup plus exhaustive de l’infrastructure

communiste. Dans d’autres cas, lors d’opérations offensives, les forces régulières

réclamaient des listes noires afin d’identifier de possibles cadres communistes. Il advenait

ponctuellement que les PIOCC et DIOCC n’acquiescent pas aux demandes des unités

tactiques sous prétexte que les listes n’étaient « pas disponibles », ou encore périmées.133

Dans d’autres secteurs, la coopération entre les forces régulières et Phoenix se

révélait tout simplement inexistante. Dans IV Corps, plusieurs unités de l’ARVN ne

coopéraient pas avec les coordinateurs du programme. Bien que la majorité du temps la 9e

Division de l’ARVN se soit montrée coopérative avec Phoenix, les 7e et 21e Divisions

affichaient plutôt un vif désintérêt pour le programme, allant même jusqu’à entraver le travail

de ses agents. Lors d’opérations offensives, ces unités de l’ARVN sont parfois allées jusqu’à

prendre le contrôle de bureaux de DIOCC et flanquer leur personnel à la porte.134 Même

certains coordinateurs américains ont fait montre de bien peu de motivation, lorsqu’il

s’agissait d’implanter et de mettre en pratique le programme Phoenix dans IV Corps.

132 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General

Records.1603-03(AS): GVN Directives 1969 thru 1603-03(CS): QTR. Review 1969, The Phoenix Program in

II Corps, 1 May 1968, op. cit., p. 14. 133 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A: Neutralization Goals 1969 thru 1603-03(A4): Phuong Hoang Publicity 1969, Memorandum to

Director, Phoenix Staff, Saigon, Subject: Participation of Tactical Units in Phuong Hoang Activities, 25

February 1969, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 2, p. 2. 134 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970 Quarterly

Phoenix Coordinators’ Conference – MACCORDS 25 July 1970 Remarks Presented by IV CTZ Phoenix

Coordinator, College Park, National Archives, NND 974306 RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 16.

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280

Pendant un certain temps, les équipes de Navy SEAL ont été les seules unités américaines

du secteur à opérer avec zèle dans le cadre de Phoenix. Ce sont les éléments de cette force

spéciale qui traquaient agressivement les cadres communistes dans les secteurs ruraux. Les

SEAL se voyaient perçus comme éminemment redoutables par les communistes et leurs

opérations ont causé des pertes sévères au VC.135 Toutefois, les opérations des SEAL

trahissaient certaines failles quant à la coordination des opérations; bien que les opérateurs

américains pourchassent les membres de l’infrastructure dans le cadre du programme

Phoenix, leur traque se faisait séquentiellement de manière indépendante. Fréquemment, les

DIOCC n’étaient pas au fait des opérations menées par les SEAL, ces derniers faisant

généralement cavaliers seuls en ne rapportant pas les résultats de leurs opérations aux

DIOCC. Ces manquements ont été signalés aux commandants de l’US Navy afin que des

ajustements soient apportés.136 Toutefois, les relations entre les diverses organisations du

CORDS et de Phoenix n’ont pas toujours endossé une allure aussi perpétuellement

problématique. On a procédé à des ajustements dans l’ensemble des quatre Corps de la RVN

et, avec du temps et de la patience, la situation devait grandement s’améliorer.

En 1970, la coordination des opérations prit du mieux et les effets de Phoenix se sont

fait incontestablement sentir par le VC dans IV Corps. La situation est devenue

suffisamment alarmante pour pousser les chefs de l’infrastructure communiste de toute la

zone du Delta du Mékong à ordonner une étude exhaustive de Phoenix, son organisation,

son personnel et ses techniques.137 Au sein du II Corps, d’autres éléments de la 4th Infantry

Division et de la 173rd Airborne Brigade devaient développer une relation très constructive

avec les membres de Phoenix. Des présentations détaillées sur Phoenix ont été faites par le

G2 du I Field Force Vietnam pour le bénéfice de chacun des bataillons tactiques du II Corps.

À la suite de ces présentations, l’appui de ces bataillons aux opérations de Phoenix a

augmenté progressivement. Le G2 du 4th Infantry Division a mis sur pied une cellule

exclusivement destinée à l’infrastructure VC et des représentants de cette cellule

135 Darryl Young, The Element of Surprise: Navy SEALs in Vietnam, New York, Ballantine Books, 1990, p.

xxiv. 136 Ibid. 137 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970. Phoenix

Conference IV Corps, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 2.

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281

s’entretenaient trois fois par semaine avec le coordinateur américain de Phoenix de la

province de Pleiku. Des éléments de la Division apportaient continuellement leur appui aux

opérations de Phoenix au sein des provinces de Kontum, Pleiku et de Darlac. La cellule de

renseignement du 173rd Airborne Brigade a également crée une section exclusivement

destinée à la collecte de renseignements relatifs à l’infrastructure VC. L’officier en tête de

ce détachement a même suivi un cours d’orientation sur les opérations du programme

Phoenix à Vung Tau. De plus, des éléments de Task Force South (localisés dans les secteurs

de Dalat et de Phan Thiet) assuraient la coordination de leurs plans avec les PIOCC et les

DIOCC et appuyaient les opérations de Phoenix.138 Dans l’ensemble du II Corps, les rapports

et la coordination des opérations entre coordinateurs américains et sud-vietnamiens ont

définitivement pris leur essor en 1970 lorsque le général sud-vietnamien Ngo Dzu, un

officier motivé et doté d’un leadership très agressif, y a été nommé commandant des Forces

sud-vietnamiennes.

Dzu insistait sur l’importance de la coordination des opérations américano-sud-

vietnamiennes. En ce sens, il a nommé des députés voués à opérer au sein de chaque

organisme de pacification, puis a désigné le colonel Nguyen Viet Dam comme député

principal du programme Phoenix pour II Corps. Le coordinateur américain de la région a

souligné qu’à la suite de cette nomination, la coordination des opérations entre conseillers

américains et sud-vietnamiens est passée « d’excellente à remarquable ».139 Dans III Corps,

la situation était similaire; le coordinateur américain du programme était le colonel James B.

Egger. À l’été de 1970, il écrivait ce qui suit dans un rapport introspectif : « I consider the

cooperation between the combat units and the Phoenix…program in MR III to be

138 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970, Quarterly

Phoenix Coordinators’ Conference – MACCORDS 25 July 1970 Remarks Presented by IV CTZ Phoenix

Coordinator, op. cit., p. 1-2. 139 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970 Briefing Folder

for Colonel Tart Phoenix Coordinator Military Region 2, College Park, National Archives, NND 974306,

RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 1-3.

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outstanding ».140 Le colonel américain attribuait ce succès à l’échange systématique du

renseignement collecté par chacune des unités. Lorsque les formations régulières

s’apprêtaient à mener une opération offensive, on suggérait aux commandants d’unité

d’assigner leur officier S2 (renseignement) et S3 (opérations) de bataillon à des rencontres

avec les Province Senior Advisors du CORDS (qui chapeautait Phoenix, rappelons-le). Ces

réunions avaient pour but de faire bénéficier les unités régulières des tout derniers rapports

de renseignement, en plus d’encourager la coopération des agences et des unités tactiques.141

Le colonel Egger a fait valoir que les rapports entre Phoenix et les troupes régulières se

trouvaient suffisamment coordonnés pour enfin troquer le terme « the other war » pour celui

de « this war ». Tout comme dans II Corps, le G2 établit une branche spécifiquement dédiée

à la collecte et l’analyse de renseignements reliés à l’infrastructure VC.142 Dans la province

de Long Khanh, les responsables de Phoenix ont initié l’opération CUTOFF 1, une entreprise

appelée à faire très mal au VC. En se basant sur le renseignement collecté, chaque DIOCC

du III Corps a préparé une liste d’hameaux à cibler.

Via les PIOCC, ces listes étaient ensuite soumises aux chefs de provinces, un

processus qui aboutissait, ultimement, sur la sélection de 38 hameaux. Fidèles aux

procédures de Phoenix, des éléments réguliers de l’ARVN et de l’US Army ont serré le

cordon autour des hameaux pour juguler les tentatives de fuite des cadres communistes. Pour

leur part, les forces spéciales du PRU et de la police sécurisaient le village. Une fois les

suspects identifiés, puis appréhendés, les villageois pouvaient vaquer à leurs occupations.

Lors de CUTOFF 1, on a procédé à l’arrestation de 168 VC responsables de

l’approvisionnement des troupes communistes. Bien qu’ils ne fassent pas partie de

l’infrastructure politique du VC, ces éléments constituaient un atout essentiel à la bonne

140 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970. Remarks of Col.

James B. Egger, MR III Phoenix Coordinator, At Quarterly Phoenix Coordinators’ Conference, 25 July 1970,

College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 14. 141 Ibid., p. 14-15. 142 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970. Remarks of Col.

James B. Egger, MR III Phoenix Coordinator, At Quarterly Phoenix Coordinators’ Conference, 31 October

1970, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 15.

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283

marche des opérations des forces de combat du Viêt-Cong. Pendant les mois qui ont suivi

CUTOFF 1, le taux de neutralisation de membres de l’infrastructure s’est avéré « le plus

haut jamais enregistré » dans la province de Long Khanh pour une période de trois mois.143

Du côté d’I Corps, sans surprise, les CAP et les Marines se montraient très enclins à

collaborer avec les éléments de Phoenix. À titre d’exemple, le coordinateur américain du

DIOCC du district de Tam Ky a fait valoir la « contribution incommensurable » de six

équipes de CAP mobiles aux opérations de Phoenix. Le renseignement collecté et les

opérations offensives de ces CAP mobiles ont grandement appuyé le DIOCC de Tam Ky.

Chacune des équipes de CAP a présenté une requête en vue d’obtenir les listes noires du

DIOCC, de même que leurs rapports de situation sur les caches d’armes et les activités du

VC dans leur zone d’opération. Le coordinateur du DIOCC a souligné que ces CAP

constituaient les unités les plus proactives et les plus fiables, le moment venu d’initier des

opérations basées sur leur collecte de renseignement. De leur côté, les Marines et les

membres du PF relayaient le renseignement recueilli au DIOCC ou au chef de District.144

La coordination des opérations de Phoenix et des Marines ne se limitait pas seulement

aux CAP. Bien qu’il leur ait fallu un peu de temps pour ce faire, le leadership américano-

vietnamien d’I Corps a déclaré son appui au programme Phoenix et a transmis des directives

claires à ses subordonnés qui ont reçu l’ordre d’apporter leur soutien au programme. À partir

de 1970, les effets bénéfiques de cette coopération commençaient à émerger. Les cellules de

renseignement des Marines et de l’ARVN collaboraient avec leurs cellules sœurs des

DIOCC. Le chef de la Province de Quang Tin a même créé une force de réaction rapide de

216 membres qu’il a mise à la « disposition exclusive » du PIOCC. Les six premières

opérations de cette force ont permis la neutralisation de plus de 70 membres de

l’infrastructure politique VC. Phoenix, qui lors de son lancement en 1967 s’était vu

143 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records Phung Hoang 1968 thru Vietnamization/C/S Letter 1969, Phung Hoang 1969 End of Year

Report, op. cit., p. B-2-5. 144 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

204-57: Quang Nam Correspondence 1969 thru 204-57: Rifle Shot Operations 1969, Memorandum, Subject:

CAP Participation in Phoenix/Phung Hoang Program, College Park, National Archives, NND 974306,

RG#472, Entry: 33104, Box 5.

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littéralement ignoré par les commandants d’I Corps, faisait dorénavant partie en 1970 des

principales priorités du leadership américain et sud-vietnamien.145 Les nouveaux succès de

Phoenix s’expliquent par l’attention portée à corriger les errements sur les plans de la

discipline et de la coordination évoqués précédemment. Les administrateurs américains ont

entrepris de superviser de plus près la gestion des opérations des coordinateurs de districts

sud-vietnamiens. Diverses rencontres chapeautées par des PIOCC se sont tenues entre les

multiples DIOCC afin de faciliter la coordination des opérations et le partage de

renseignements. Toujours sous l’égide des PIOCC, des inspections régulières des secteurs

d’opérations devaient dorénavant être effectuées par les coordinateurs, assurant ainsi la

bonne marche des opérations. Ce faisant, tout problème rencontré sur le plan de la gestion

des DIOCC était systématiquement rapporté au PIOCC qui veillait à rectifier la situation.

On a également déployé des équipes d’entraînement pour former les opérateurs du

programme et améliorer leurs techniques de ciblage. Des équipes de spécialistes du

renseignement se voyaient aussi détachées aux DIOCC dans le but d’améliorer les

mécanismes de collecte et d’exploitation de renseignement des coordonnateurs sud-

vietnamiens.146

Fort de ces ajustements, Phoenix est devenu une arme redoutable forgée contre

l’infrastructure politique du Viêt-Cong dans l’ensemble de la RVN. À cet effet, l’examen

global des opérations exécutées au sein d’I Corps constitue un exemple probant des succès

du programme Phoenix contre le VCI. Au cours de 1968, 4423 membres de l’infrastructure

politique communiste ont été tués, capturés ou ont fait défection. Sur ce nombre, on comptait

plus de 90% des membres appartenant au PRP ou considérés comme des membres influents

de l’infrastructure. La totalité des pertes communistes représente approximativement 11%

du total du leadership de l’infrastructure VC et environ 16% de l’ensemble du leadership du

PRP d’I Corps.147 Plusieurs indicateurs opérationnels commençaient à esquisser les effets

145 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970 The Phung Hoang

Program in MR-1 is Thriving, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9,

p. 1-2. 146 Ibid., p. 3-5. 147 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records

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des offensives de Phoenix sur l’infrastructure VC. Des rapports de renseignement, des

documents communistes saisis et les rapports d’interrogatoires attestaient que dans maints

secteurs, le moral des cadres communistes se trouvait à un niveau « extrêmement bas ». Le

taux de membres de l’infrastructure ayant fait défection via le programme de transfuge Chieu

Hoi a grimpé de 49% au cours de la deuxième moitié de 1968. Les rapports affichaient

également qu’un « nombre significatif de cadres » se trouvaient inhabilité à opérer librement

au sein de leur zone de responsabilité, et ce, même une fois la nuit tombée. Certains cadres

ne parvenaient même plus à pénétrer dans leur zone de responsabilité. De plus, le taux

d’attrition infligé par Phoenix aux membres de l’infrastructure devait forcer les communistes

à déployer de nouveaux jeunes cadres inexpérimentés, totalement dépourvus de l’expertise

de leurs prédécesseurs. Dans plusieurs cas, la situation est devenue si précaire qu’un seul

cadre gérait les responsabilités normalement attribuées à deux ou trois de ses pairs.148 Les

rapports communistes ont également dévoilé que le commandement VC, de plus en plus

tourmenté par les progrès de Phoenix, cherchait désespérément à développer des plans de

contingences pour contrecarrer le programme.

Au nord d’I Corps, les opérations de Phoenix infligeaient suffisamment de

dommages pour que l’infrastructure VC devienne impuissante à contrôler une partie

significative de la population de cette zone. Seules les provinces de Quang Tri et de Thua

Thien ne cumulaient pas de résultats aussi accablants. Les administrateurs américains de

Phoenix attribuaient ce succès aux opérations de cordons et fouille et à la coopération entre

les forces régulières et celles dédiées aux opérations de Phoenix.149 Le commandement du

programme a également constaté que l’impact combiné de Phoenix et des forces régulières

sur l’infrastructure politique du VC a encouragé la population civile à se dissocier de

l’insurrection et à cesser leur collaboration.150 Cette dynamique nous ramène aux notions de

base de Thompson et de Galula; si la population perçoit chez les éléments contre-

insurrectionnels une force supérieure capable d’assurer sa protection et de supplanter les

forces d’insurrection, ces dernières se voyaient vite condamnées à perdre leur assise

204-57: Quang Nam Correspondence 1969 thru 204-57, Phoenix I Corps, College Park, National Archives,

NND 974305, RG# 472, Entry 33104, Box 5. 148 Ibid. 149 Ibid. 150 Ibid.

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286

populaire. Une fois de plus, le VC a démontré à quel point il était vulnérable lorsque

confronté à de telles doctrines contre-insurrectionnelles. D’autres documents saisis à

l’ennemi étalaient à quel point le moral des cadres coulait à pic; certains d’entre eux allaient

jusqu’à remettre en doute leur affiliation au système communiste. Des transfuges du VCI ont

avoué la même chose par suite de leur défection via le programme Chieu Hoi.151 À l’automne

de 1968, une nouvelle campagne offensive a été amorcée par le III MAF afin de cibler

spécifiquement l’infrastructure VC. Du 15 octobre au 23 décembre 1968, 3,285 membres de

l’infrastructure ont été annihilés dans I Corps. Les opérations conjointes menées avec les

membres de Phoenix devaient connaître énormément de succès au cours de cette période. À

titre d’exemple, dans les Provinces de Thua Thien et de Quang Nam, plusieurs cadres se sont

vus neutralisés et parallèlement, diverses unités VC ont été militairement battues par les

forces régulières.152 De nombreuses autres opérations de moindre envergure effectuées par

les forces régulières et les éléments de Phoenix se sont tenues dans maints districts. Pour

planifier et exécuter ces opérations, les Marines exploitaient le renseignement et les

ressources fournies par les DIOCC. Ce type d’offensive a abouti sur de « modestes résultats »

si on les compare aux larges campagnes offensives.

Néanmoins, à l’image des CAP, ces missions de petite envergure revêtaient une

« valeur significative » pour les efforts de pacification.153 Le bureau américain de Phoenix

dans I Corps considérait que « l’efficience opérationnelle » de l’infrastructure politique du

VC avait été « sérieusement endommagée ».154 Le rapport introspectif de Phoenix pour la

fin de l’année 1969 jugea les impacts du programme similaires à ceux d’I Corps dans

l’ensemble des Provinces de la RVN. Du 1er janvier au 31 décembre 1969, 19,534 cadres ont

été neutralisés comparativement à 15,776 pour 1968. Le rapport spécifiait que les résultats

de 1969 représentaient « une amélioration significative », considérant que les nouveaux

critères établis pour catégoriser un insurgé comme membre du VCI s’avéraient beaucoup

plus stricts qu’en 1968. Quoiqu’intéressants comme chiffres, ces statistiques n’éveillaient

pas la satisfaction chez les responsables de Phoenix qui, au début de 1969, s’étaient fixés un

151 Ibid. 152 Ibid. 153 Ibid. 154 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records

204-57: Quang Nam Correspondence 1969 Thru 204-57, Phoenix I Corps, op. cit.

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objectif de 21,600 cadres neutralisés. Ils attribuaient ce déficit aux six premiers mois moins

productifs de l’année. Nonobstant cela, ces pertes causaient beaucoup de préjudices au VC.

La « qualité des neutralisations » s’est haussée d’un cran aux yeux des leaders du programme

car quantité de cadres capturés ou tués occupaient des positions séniores aux échelons de

districts, de provinces et de régions militaires. Parmi ces cadres de haut niveau, on comptait

21 membres du COSVN. Au total, 21% des cadres neutralisés étaient catégorisés en tant que

leaders et administrateurs séniors, ce qui haussait l’amélioration de 8% comparé à 1968.155

Plusieurs observateurs ont remis en doute les chiffres de Phoenix. L’accumulation de

statistiques pour analyser les progrès de Phoenix s’accordait à ce que le Secrétaire à la

Défense Robert McNamara fixait comme exigences en tant qu’outil d’évaluation pour

l’ensemble du conflit. Toutefois, il était notoire que les forces de sécurité sud-vietnamiennes

prenaient en compte des éléments des forces de combat du VC (et même des civils) afin de

brosser un portrait des statistiques sur les membres neutralisés de l’infrastructure.

Parallèlement, ils ont également catégorisé par erreur des combattants VC qui, dans les faits,

faisaient partie des cadres de l’infrastructure.

Il advenait aussi fréquemment que le VC rapatriait les corps de ses membres pour les

enterrer, une pratique qui empêchait les forces de sécurité de tenir fidèlement à jour leurs

statistiques.156 Tenant compte de telles circonstances, les chiffres ne constituaient pas la

référence la plus exacte, le moment venu d’évaluer les progrès de Phoenix. Néanmoins, bien

que les chiffres ne soient pas exacts à 100%, l’attrition causée par le programme sur

l’infrastructure du VC s’est reflétée par le biais d’une variété d’autres indicateurs déjà

indiqués : le manque de proactivité des cadres dans les secteurs ruraux; leur incapacité à

opérer librement dans leurs zones d’opérations; la nomination de jeunes cadres sans

expérience; l’attribution de tâches à une seule personne, alors qu’en temps normal celles-ci

relevaient de la responsabilité de deux ou trois cadres. Ajoutons à cela le témoignage des

transfuges et les informations très révélatrices de documents communistes commentant les

effets pervers du programme sur l’infrastructure et le moral des troupes. Nous verrons plus

loin comment la Résolution 9 du COSVN, un plan d’action lancé pour contrecarrer les

155 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records Phung Hoang 1968 thru Vietnamization/C/S Letter 1969, Phung Hoang 1969 End of Year

Report, op. cit., p. 7-8. 156 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 390.

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opérations de pacification du CORDS et de Phoenix, accordait beaucoup d’attention à

l’anéantissement du programme. Via Phoenix, les Forces alliées ont désamorcé une large

portion de l’infrastructure politique du VC. Bien que ces répressions aient majoritairement

affecté des cadres d’échelons inférieurs, elles n’en demeuraient pas moins dommageables

pour autant ; les directives des cadres séniors opérant loin des villages ne pouvaient être

exécutées sans la présence des cadres juniors. Mark Moyar cite plusieurs sources

communistes faisant état du très haut degré de dommages à l’infrastructure VC, autant

d’avatars attribués au PRU, aux forces paramilitaires et de police. Ces mêmes sources

communistes rapportent les préjudices engendrés par les opérations des forces

conventionnelles et du RF/PF sur leur gouvernement clandestin. Les communistes peinaient

tellement à remplacer leurs cadres qu’ils se voyaient forcés d’utiliser des Vietnamiens de la

RDVN pour effectuer les tâches jadis dévolues à leur personnel de haut niveau. Or, les Nord-

Vietnamiens n’étant guère familiers avec la population rurale sud-vietnamienne, celle-ci

n’appréciait nullement leur présence dans ses villages, un autre facteur en cause pour

compliquer davantage le travail des nouveaux cadres-substituts.157

La chute drastique des opérations de recrutement au sein des secteurs ruraux de la

RVN s’est révélée un autre indicateur des embûches générées par le programme. Cette

succession d’avaries a entraîné les résultats auxquels on est en droit de s’attendre d’une

campagne de COIN savamment menée selon les règles de l’art ; l’infrastructure politique du

VC échouait à collecter ses taxes, soutirer du renseignement et assurer l’appui logistique

nécessaire à la bonne marche des opérations communistes. Parallèlement, cet état des choses

compliquait la conduite des offensives des unités régulières du NVA qui comptaient

également sur l’appui des cadres communistes.158 Soumis à des interrogatoires, les cadres

ayant choisi la défection ont confirmé les multiples tracas suscités par Phoenix. Le rapport

d’interrogatoire d’un transfuge en novembre 1970 a été particulièrement révélateur. L’ancien

cadre a tout d’abord affirmé qu’il avait été bien traité par les membres de Phoenix qui ont

géré sa défection à travers le programme Chieu Hoi. Le délateur a ensuite précisé que la

situation réelle contrastait grandement, comparé au contenu des lectures de propagande

communiste auxquelles il avait été soumis. Il a renchéri que le VC craignait le programme

157 Ibid., p. 390-391. 158 Ibid., p. 392

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289

Phoenix qui s’appliquait à « détruire ses organisations » et entraver l’accès de ses cadres à

la population civile. Conséquemment, l’élimination du programme avait pris beaucoup

d’importance pour le VC. Le transfuge a rapporté qu’en vue d’y arriver, le VC projetait de

cibler les principaux agents du programme et d’isoler les éléments opérant auprès de la

population civile.159 Son témoignage a aussi mis ses interrogateurs au fait que les insurgés,

qui n’avaient pas à traiter avec les villageois, avaient reçu des instructions très précises : les

contacts avec la population leur étaient prohibés car les agents de Phoenix opéraient partout

dans les secteurs ruraux et s’amalgamaient aux civils. L’ancien Viêt-Cong a également

spécifié que les commandants de l’insurrection ont lancé à leurs membres un avertissement

selon lequel Phoenix constituait « une organisation très dangereuse » en lien avec le

programme de pacification.160

La simple instruction formelle d’éviter tout contact avec la population civile

témoigne de l’efficacité du programme Phoenix à entraver la conduite des opérations

insurgées du VC. Rappelons que le leadership de l’insurrection du FLN avait soumis des

instructions similaires à ses troupes qui devaient minimiser leurs opérations dans le district

de Galula en Algérie. D’autres documents saisis soulignent que dans certains cas, les secteurs

d’opérations des cadres étaient tellement dangereux que plusieurs membres de

l’infrastructure ont décidé de se retirer de leur secteur d’opération, préférant exercer leurs

fonctions à distance, dans des secteurs isolés.161D’autres papiers capturés au Cambodge ont

exposé les problèmes engendrés par Phoenix. Dans ces documents, le VC avoue que les

activités du Programme ont été la cause de bien des difficultés et de beaucoup de dommages

encaissés. La situation est devenue telle que le Département de Sécurité du Viêt-Cong a

publié un communiqué classifié « top urgent » qui visait spécifiquement à « ordonner le

159 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1602-08: US/GVN Insp. Team Visits, Jul-Dec 1970 thru 1603-03A (A4): Publicity, Preliminary Interrogation

of Hoi-Chanh, College Park, National Archives, NND 974305, RG# 472, Entry 33104, Box 7, p. 2. 160 Ibid. 161 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A: Neutralization Goals 1969 thru 1603-03(A4): Phuong Hoang Publicity 1969, Memorandum for:

Chief of Staff, Subject: Enemy Counteraction to APC, College Park, National Archives, NND 974306,

RG#472, Entry: 33205, Box 2, p. 2.

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sabotage » de l’organisation de Phoenix.162 Pour parvenir à cette fin, quatre cours d’action

devaient être privilégiés ; d’abord, étudier le mode de fonctionnement du programme

Phoenix et localiser ses agents afin de les assassiner ou de les recruter. Ensuite, chercher à

déployer subversivement des cadres VC au sein de la population afin d’infiltrer les éléments

administratifs de Phoenix qui opéraient dans les centres urbains. Simultanément, ces mêmes

cadres devaient tenter de se glisser insidieusement au sein des milices populaires et des

organisations administratives municipales des villages. Une fois ce résultat atteint ; il fallait

discréditer les administrateurs de Phoenix aux yeux de la population et des organisations

administratives. Enfin, on planifiait d’augmenter les opérations de sécurité de la force

destinées à protéger les cadres contre les agents de Phoenix.163 Un autre rapport communiste

déplorait l’habileté des agents de Phoenix à cibler ses cadres. Le rapport spécifiait aussi que

les membres du personnel de renseignement du Programme incarnaient les « ennemis les

plus dangereux de la Révolution » présents au sein des secteurs ruraux.

Les feuillets communistes renchérissaient, soulignant qu’aucune autre organisation

ne parvenait à leur causer autant de problèmes et de difficultés. Le dirigeant nord-vietnamien

Ho Chi Minh devait lui-même avouer se sentir « bien plus inquiet » des succès américains

contre le VCI que de ceux obtenus contre ses forces régulières.164 1970 prenait un tour

extrêmement précaire pour l’insurrection. De concert avec le CORDS, Phoenix s’affirmait

comme l’un des catalyseurs des déboires opérationnels du VC. Rajoutons à cela l’intrusion

de Forces américaines au Cambodge à l’été de 1970, avec pour mission d’éliminer le réseau

logistique communiste; une initiative qui exacerba davantage les ennuis du VC (voir le

chapitre 5). Il serait difficile de nier l’impact tangible de Phoenix, tout particulièrement si

l’on tient compte des événements lors des négociations de paix entre Hanoï et

Washington. Pendant ces pourparlers à Paris, les représentants communistes ont demandé

162 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

1603-03A: Correspondence – Da Nang City [1 of 3] 1970 thru 1603-03A: Correspondence – Phoenix ICTZ,

Incoming 1970, The VC plot to sabotage the Phung Hoang Plan, College Park, National Archives, NND

974305, RG# 472, Entry 33104, Box 8. 163 Ibid. 164 Finlayson, op. cit., p. 27.

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291

aux Américains d’ordonner la cessation de toutes les opérations reliées au programme

Phoenix dans la RVN.165

4.5. La défaite du Viêt-Cong et l’émergence de la guerre conventionnelle du NVA

Le statut d’urgence instauré par la situation opérationnelle et les actions du CORDS

et de Phoenix a incité le COSVN à publier en juillet 1969 la Résolution 9; une liste de

directives à suivre avec pour objectif que les unités insurgées deviennent dorénavant aptes à

contrer les initiatives de pacification du GVN et du MACV. Une copie de la Résolution 9

(classée « secret absolu » par les communistes) a été capturée par les Forces américaines,

permettant ainsi au MACV et au GVN de constater l’effet perturbateur du CORDS et de

l’APC sur les opérations communistes. Dès la lecture des premières lignes de la Résolution

9, il apparait clair que les communistes cherchaient à mettre un bémol sur leurs insuccès. Au

départ, le document ne tarit pas d’éloges envers les régiments communistes alors qu’on y

louange les « glorieux succès » des opérations offensives de la dernière année. On y porte

beaucoup d’attention sur la destruction des Forces américaines afin d’accentuer la pression

domestique des Américains sur Washington.

Mais la poutre maîtresse de la Résolution 9 est sans contredit le programme de

pacification et l’obligation de le contrer par tous les moyens. Une des missions prioritaires

établie par la Résolution consistait en l’initiation d’une offensive majeure visant à vaincre la

stratégie de sécuriser et tenir de l’ennemi, sa politique de pacification et ses positions

défensives.166 La Résolution 9 y allait de cette mention à de multiples reprises au fil des 99

pages du document. Bien que banalisé au début du document, l’APC est spécifiquement ciblé

par les auteurs qui insistent sur la nécessité de le détruire. On y trouve également plusieurs

mentions liées à l’importance de contrecarrer les opérations psychologiques et d’amnistie de

l’adversaire (Chieu Hoi) en plus d’assurer la domination des secteurs ruraux et des lignes de

165 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)

Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records

207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970, Review of the Operational Results and

Recommendation for Reorganizing the Operating System of PH Plan, College Park, National Archives, NND

974306, RG#472, Entry: 33205, Box 5, p. 1. 166 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of

Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents, COSVN Resolution No 9, Carlisle, War College, Folder:

003233-001-0846, p. 1-2, 18.

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communications contrôlées par l’ennemi.167 À sa façon, le COSVN reconnaît le contrôle

exercé dorénavant par les éléments de sécurité sud-vietnamiennes sur la population civile et

la perte de l’influence des cadres du VC sur cette dernière. Les auteurs de la Résolution 9

spécifient:

“We must annihilate the puppet forces that oppress the people, the cruel

tyrants, the pacification personnel; we must coordinate these activities with

military proselyting activities to break up, bit by bit, the puppet local

forces…”168

Cette simple déclaration démontre que le VC cherchait à revenir aux bases de l’insurrection,

c’est-à-dire gagner l’appui de la population civile et la soustraire à l’influence des forces de

sécurité du gouvernement. Les auteurs insistent également sur la nécessité de coordonner les

opérations insurrectionnelles et conventionnelles qui procuraient tant de succès aux

opérations communistes par le passé :

“The provincial troops, sub-region troops and elements of the main force

must properly apply the principle of troop concentrating and dispersing.

When concentrated, they will wipe out enemy units…when dispersed, they

will support the [revolutionary] movement, motivate the people to rise

up...eradicate pacification agents…disband the civilian self-defence

personnel…seize control of the population…and expand the liberated area.

There should be close coordination between combat and military

proselyting activities.169

L’effort conjugué des unités régulières et contre-insurrectionnelles américaines et

sud-vietnamiennes a suscité la cassure de la synergie tellement nécessaire entre le VC et le

NVA. Cet extrait de la Résolution 9 démontre à quel point il était crucial pour les

communistes de récréer cette synergie. La mention sur les « agents de la pacification » est en

fait une référence aux agents clandestins du programme Phoenix et du RD qui entravaient

sévèrement la liberté d’action et la capacité d’opérer de l’infrastructure politique du VC. À

maintes reprises, les écrits de la Résolution 9 traduisent une volonté primordiale de supprimer

et anéantir les informateurs ennemis, les agents de sécurité et les espions afin de consolider

les zones arrière de l’insurrection.170 Le COSVN déplore le contrôle des forces de sécurité

167 Ibid., p. 27. 168 Ibid., p. 31. 169 Ibid., p. 32. 170 Ibid., p. 62.

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des secteurs ruraux, des jungles et montagnes avoisinantes. Il prévient également les

membres de l’insurrection que les forces ennemies combineront leurs capacités

conventionnelles et contre-insurrectionnelles en faisant référence aux forces régulières, aux

« commandos » (PRU/Navy SEAL), aux initiatives économiques et aux opérations

psychologiques.171 En bref, la Résolution 9 du COSVN a forcé l’insurrection VC à faire

marche arrière pour revenir à la phase 2 de la doctrine maoïste décrite au chapitre 1, c’est-à-

dire, troquer le plan de campagne offensive générale initié lors du Têt de 1968 pour un statut

de guerre de guérilla et d’opérations subversives. Même le NVA s’est adapté à ce changement

de stratégie; les Américains se sont rendu compte que des bataillons entiers de l’Armée nord-

vietnamienne se voyaient systématiquement subdivisés en petites unités qu’on fusionnait

fréquemment aux unités de guérilla VC. Leur objectif ne tendait plus à affronter les

Américains par le biais d’attaques de divisions mais plutôt d’exécuter des opérations mobiles

de petite envergure qui cibleraient les forces paramilitaires des villages, désormais aux mains

des Forces alliées.172

Bien que le COSVN ait tenté de démontrer son enthousiasme et son esprit positif en

déclamant « la déconfiture des Forces alliées », l’essentiel des directives transmises dans le

document trahissait la situation précaire de l’insurrection VC à l’approche de 1970. Au sein

des rangs communistes, le moral des troupes ne se situait pas non plus à son zénith ; un autre

rapport saisi qui déplorait le nombre croissant de déserteurs au sein des unités VC en 1969

en fait foi. Les dissidents appréhendés ont été expédiés dans des camps de rééducation en

vue de les endoctriner et de les motiver à rejoindre les rangs de l’armée. Néanmoins, le

rapport spécifie que ces efforts se sont avérés inefficaces; la majorité des déserteurs ont refusé

de réintégrer leur unité et ont, ultimement, été renvoyés chez eux. De plus, maints cadres qui

opéraient au sein des pelotons et des compagnies des forces de combat devaient fermement

décliner les ordres de continuer à servir au sein de l’armée, et ce, malgré une succession de

séances d’endoctrinement.

171 Ibid., p. 15. 172 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records Meeting with Gen. LR (JGS) 1969 thru Enemy Incidents 1969 Campaign X and the Mini-

War, College Park, National archive, NND 45603, RG#472, Entry: A1 456, Box 5, p. 3.

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294

Les auteurs du rapport attribuent ce phénomène à la pression engendrée par les

combats, la peur de la puissance aérienne et de l’artillerie des Américains ainsi qu’à la

longueur du conflit qui semblait s’éterniser et auquel on ne semblait pas pouvoir prédire de

fin. Ils attribuaient également ces problèmes à la peur qui habitait les soldats à l’idée de

mourir et de ne pas revoir leurs familles.173 Plusieurs soldats, sans pour autant être des

déserteurs, refusaient catégoriquement de joindre les rangs des plus grandes unités de

combat. Des responsables du VC ont cherché à inciter de nouvelles recrues à joindre leurs

rangs en leur offrant de servir dans l’armée pour une période de six mois. Dans certains

secteurs, la moitié des effectifs du VC se sont engagés sous ces termes. Pourtant, cela n’a pas

empêché de nouvelles désertions; une compagnie entière engagée pour six mois a vu avant

peu ses rangs désertés par chacun de ses membres.174 La situation a déclenché maints

problèmes au VC, notamment de plus en plus de difficultés à renouveler les effectifs de ses

régiments.175

Le rapport spécifie également que lors des opérations de search and destroy des

Américains, plusieurs soldats du VC refusaient de combattre, dissimulant leurs armes et se

mêlant à la population civile dans le but de s’échapper. De plus, toujours dans les rapports

capturés, leurs auteurs récriminaient à propos des problèmes de réapprovisionnement du VC;

il y avait pénurie d’armes, de nourriture et de vêtements pour équiper les troupes. On y

trouvait aussi des détails sur la quasi-impossibilité pour les communistes d’acheter quoi que

ce soit dans les marchés ruraux et sur le fait qu’il ne leur restait qu’une infime quantité de

riz. La précarité de le situation atteint un niveau tel que le rapport est allé jusqu’à évoquer le

mot « famine ». On y rapporte que les carences en matière de vêtements et de nourriture

affectaient de façon considérable le moral des troupes. Confrontés à l’incapacité du

leadership VC de leur procurer le minimum vital, une grande quantité de soldats

communistes ont signifié leur volonté de regagner leurs foyers et cultiver leurs terres. Les

chefs communistes évoquaient amèrement l’effet domino engendré par l’attitude négative de

ces soldats qui entraînait quantité de leurs camarades à déserter.176 Les politiciens d’Hanoï

173 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of

Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents It is better to return home and cultivate the land than to

join the Revolutionary Army, Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0741, p. 3. 174 Ibid., p. 4. 175 Ibid. 176 Ibid., p. 5.

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se sont souvent targués de leur ferme disposition à prolonger le conflit aussi longtemps qu’il

le faudrait pour vaincre leur adversaire. Néanmoins, ce n’était pas les leaders communistes

tels Ho Chi Minh, Le Duan et Pham Van Dong qui vivaient l’insoutenable pression

psychologique des combats en première ligne contre les Américains. La longueur du conflit

et l’absence claire de progrès contrastaient grandement avec les grands discours des

politiciens qui haranguaient leurs troupes en leur promettant une victoire finale à portée de

main. Dans ces circonstances, le moral de plusieurs soldats communistes commençait, avec

raison, à flancher. En 1970, les Forces alliées sont parvenues à capturer une copie de la

nouvelle directive du COSVN; la Résolution 14. Tout comme pour la Résolution 9, les

consignes insistaient sur la nécessité de revenir à un concept de guerre de guérilla pour venir

à bout du programme de pacification de l’adversaire. On y stipulait également que les

opérations offensives communistes de l’automne 1969, en plus de manquer d’agressivité,

n’avaient pas été suffisamment soutenues. Le COSVN jetait le blâme sur l’inefficacité,

qualifiée encore plus grande que jadis, de la coordination des opérations entre les forces en

présence (tel que prescrit dans la Résolution 9).

On y déplorait aussi la lenteur des déplacements des forces de guérilla et locales, de

même que le bas niveau de leurs progrès. De plus, la Résolution 14 dénonçait l’échec des

Comités du Parti et des commandants militaires à « vaincre le plan de pacification de

l’ennemi », gagner l’appui de la population civile et d’accentuer la pression des opérations

insurgées dans les secteurs jugés plus vulnérables.177 Les auteurs fustigeaient aussi les cadres

et responsables du Parti qui n’appliquaient pas les directives spécifiquement établies par le

COSVN dans la Résolution 9 pour éliminer le plan de pacification des Alliés. La Résolution

14 évoquait les victoires communistes qualifiées de « limitées » ; malgré maintes difficultés,

l’ennemi avait réussi à atteindre ses objectifs les plus pressants, dont l’instauration du

programme de pacification, tout particulièrement les programmes Phoenix et Chieu Hoi,

ainsi que la formation des forces paramilitaires destinées à protéger les villageois.178 Le

COSVN a confirmé que ces gains leur procuraient beaucoup de difficultés, en plus d’entraver

la bonne marche de leurs opérations. La nouvelle directive réitérait l’importance de la

177 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of

Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents A preliminary report on activities during the 1969

Autumn Campaign, Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0741, p. 1. 178 Ibid, p. 1-8-9.

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destruction du programme de pacification en « renforçant les mouvements de guerre de

guérilla » dans les divers secteurs d’opérations.179 Tout comme pour la Résolution 9, le

COSVN œuvrait à conserver son enthousiasme en établissant le topo de la situation

opérationnelle. Cette stratégie n’a toutefois pas empêché les responsables communistes de

faire porter le blâme à leur personnel pour leur manque de proactivité et leur incapacité à

suivre leurs directives. L’impossibilité pour les forces de guérilla de se déplacer avec aisance

dans les secteurs ruraux, jumelée à leur impuissance de coordonner les opérations de leurs

forces était la résultante des opérations combinées des forces conventionnelles et contre-

insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes. De 1970 à 1972, les opérations du

CORDS, Phoenix et des Forces régulières alliées continuaient de provoquer l’érosion de ce

qui personnifiait naguère une insurrection communiste des plus dominantes. D’autres

documents saisis démontrent l’ampleur de la perte de contrôle croissante des secteurs ruraux

de la RVN par les communistes. Un membre du Comité de Parti pour la Sous-Région 5 du

VC180 a affirmé que « les forces révolutionnaires » étaient sévèrement éprouvées, une

conséquence de la perte de cadres séniors au sein des districts et des villages, ainsi que du

recrutement anémique de nouvelles recrues.

Le leader VC déplorait également l’incapacité des unités communistes d’obtenir une

victoire majeure. Le Comité de la Sous-Région a admis que leurs forces étaient « pauvres en

qualité et en quantité » et incapables d’établir des contacts avec la population. Le Comité a

également fait état de l’inhabileté des forces de guérilla régulières d’opérer près des secteurs

peuplés et de l’inefficacité des membres locaux de la guérilla à organiser la population de

manière à appuyer les opérations communistes. Le commandement a convenu en ces mots

que les unités armées, les forces locales, les milices et les forces de guérilla communistes

« continuent à subir des pertes » et demeurent « incapables de renouveler leurs effectifs ».

Les groupes politiques visant à endoctriner la population civile ont été étiquetés de

« faibles », de petite envergure et « incompétents ». Le Comité reconnaissait le contrôle

179 Ibid. 180 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of

Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents The Decline of VC Capabilities in Sub-Region 5,

COSVN, in 1969-1970, Carlisle, War College, Folder 003233-001-0741, p. 1-3.

La Sous-Région 5 a été créé en 1967 par le COSVN qui voulait former une « ceinture d’acier » autour de

Saigon en préparation de l’offensive du Têt. Le territoire comprenait des secteurs de la Province de Bien Hoa,

Phuoc Long et de Long Khanh en plus de secteurs localisés dans l’Iron Triangle.

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exercé par les forces gouvernementales sur la population civile tout en déplorant l’incapacité

des troupes communistes à changer cet état des choses.181 Lorsque le VC a pu initier des

opérations offensives dans la région, le Comité de la Sous-Région les qualifia

d’inconsistantes et les jugea sans impacts. Dans certains secteurs, on estimait « inefficaces »

les contremesures destinées à entraver les initiatives alliées. En revanche, les leaders

communistes considéraient les opérations alliées on ne peut plus efficientes; adoptant une

cadence ininterrompue, elles frappaient constamment les effectifs VC en profondeur, via de

multiples azimuts.182 Le journal personnel d’un commandant du Viêt-Cong datant de la fin

de 1970 expose également les problèmes rencontrés par l’insurrection. Il reconnaît les ennuis

causés par le programme Chieu Hoi qui est parvenu à convaincre des sapeurs VC de joindre

les rangs du GVN. Ces sapeurs ont enseigné leurs tactiques aux Forces alliées qui les

exploitaient contre le VC. Dans son carnet, le commandant VC déplore les difficultés

engendrées par les opérations de ces sapeurs.183

Il y souligne également les effectifs « limités » de ses forces, le fait qu’il ne puisse

obtenir de renforts et les difficultés rencontrées pour contrer les initiatives offensives

américaines. La santé de ses soldats commençait à dépérir; beaucoup sont tombés malades

sans qu’on dispose d’approvisionnement médical pour pallier au problème. De plus, le

commandant a spécifié qu’il ne bénéficiait plus de beaucoup de marge de manœuvre; il

subsistait bien peu de terrain considéré sécuritaire pour permettre à ses troupes de se déplacer

sans risques majeurs. Il témoigne également du peu d’armes à leur disposition alors qu’en

revanche, l’ennemi détenait une puissance de feu « bien supérieure ». Il reconnaît

« l’efficacité » des tactiques adverses mettant ses troupes « en grand danger ». Enfin, le

rapport du commandant expose ses soucis quant à la situation opérationnelle et sa désolation

quant au manque de cadres.184 L’interrogatoire de maints prisonniers de guerre communistes

a révélé sans équivoque à quel point plusieurs soldats du VC et du NVA commençaient à

perdre leurs illusions. Ils ont rapporté que l’incursion américaine au Cambodge (voir le

chapitre 5) a eu un « effet dévastateur »; dès les premières semaines de l’opération, le VC

181 Ibid., 1-2, 6-7. 182 Ibid., p. 3. 183 John Paul Vann Papers, Excerpts from a diary of a VC commander, 17 Dec 1970. Carlisle, War College,

Box 1, Jun-Dec 1970 Folder. 184 Ibid.

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s’en est trouvé « complètement démoralisé ». Cette pression psychologique ne s’est résorbée

qu’au moment où Washington a annoncé que les opérations militaires américaines au

Cambodge seraient limitées.185 Les prisonniers interrogés ont admis que la destruction des

bases d’opération cambodgiennes a fait très mal à l’insurrection et que si la pression

continuait de s’accentuer, le VC ne serait plus en mesure de poursuivre le combat. Plusieurs

autres ont avoué qu’à ce stade du conflit, si le Viêt-Cong cherchait à lancer une contre-

offensive, l’organisation se verrait « désintégrée ». D’autres sont allés jusqu’à dire que

« l’ARVN avait gagné dans la RVN ».186 Les opérations américaines au Cambodge, lorsque

combinées aux effets de la campagne de pacification du CORDS et du GVN, ont eu comme

conséquence d’entraver encore plus sérieusement la capacité du VC à opérer et à se

réapprovisionner, une réalité qu’on voit dépeinte à maintes reprises lors de l’analyse des

documents communistes. Deux prisonniers du VC ont respectivement déclaré ce qui suit:

“I thought we have come South to take over territory liberated by the [VC]

but now I see nothing but bombing and shelling, death and suffering for the

Army. I can’t see any people in liberated areas”187

“Before being influenced by propaganda, I had the idea the [VC] was

winning everywhere; now with this large-scale operation, I think it over and

I feel I had been misled by propaganda”188

Les exemples susmentionnés ne constituent qu’une fraction des rapports et

témoignages communistes sur les problèmes générés par les opérations contre-

insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes. Les directives de la Résolution 9 ne

bridaient nullement la capacité des Forces alliées d’augmenter le nombre d’hameaux

sécurisés au sein des secteurs ruraux. Non seulement les initiatives anti-pacification des

communistes n’ont eu aucun effet, mais en plus, leur capacité à opérer et initier des opérations

de guérilla n’a jamais cessé de péricliter. Le CORDS a observé que de 1968 à 1970, les

incidents terroristes reliés au VC n’ont cessé de chuter. Il en est allé de même pour le nombre

185 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records Elections 1971 thru People’s Army 1971. NVA PW’s Taken in Cambodia: May-June 1970

(U), College Park, National archives, NND 45603, RG#472, Entry: A1 456, Box 20, p. i. 186 Ibid., p. 4-5. 187 Ibid., p. 6. 188 Ibid.

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de victimes civiles tuées, blessées ou enlevées par les insurgés.189 William Colby a expliqué

au nouveau Secrétaire à la Défense, Melvin Laird, que les troupes régulières sont parvenues

à éloigner les larges formations communistes des secteurs ruraux, ce qui représentait un agent

facilitateur en lien avec les progrès continus du programme de pacification. À l’aube de

1970, la plupart des objectifs de pacification visés étaient atteints, ce qui implique 90% de la

population vivant dans des hameaux bénéficiant d’une sécurité acceptable et 50% qui

habitaient des secteurs considérés « complètement sécurisés ».190 Ces progrès ont eu lieu

alors que sous la direction du nouveau Président américain Richard Nixon, les troupes

américaines commençaient à quitter la RVN.191

Le processus de Vietnamisation de la guerre qui verrait l’ARVN prendre le relais des

opérations militaires débutait, ce qui n’a point freiné la continuité des progrès en matière de

pacification. Les Américains attribuaient la poursuite de la montée des succès contre-

insurrectionnels aux efforts des forces paramilitaires et des milices locales chapeautées par

le CORDS. Afin d’assurer la continuité des succès de ces forces de combat, le Secrétaire à la

Défense Laird a approuvé l’adoption d’un budget spécial en soutien à l’augmentation des

effectifs du RF/PF. En 1970, les forces du RF se chiffraient désormais à 253,892 soldats et

celles du PF à 460,437 hommes; les pertes infligées aux forces de guérilla du VC ne cessaient

d’augmenter. De leur côté, les milices locales du PSDF commençaient à causer suffisamment

de problèmes aux VC pour que ces derniers répliquent en faisant de ces forces locales une

cible privilégiée pour l’insurrection.192 En 1970, la conduite des opérations de pacification a

189 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command

Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,

General Records 1601-10A IV Corps/Phong Dinh/Trip Report 1970 thru 1601-11A Pacification Fact Sheets

1970, Pacification: End-December. College Park, National Archives, NND 994025, RG#472, Box 9, 190 Historical Division joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, Washington, Historical Division Joint Secretariat JCS, 1st July 1970, p. 431-432. 191 Alan Dobson, US Foreign Policy since 1945, Routledge, New York, 2006 (2001), p. 41. Lors de l’élection

de Nixon, celui-ci a concédé que les États-Unis ne pouvaient plus s’ingérer dans tous les conflits internationaux;

le gouvernement souffrait devant les coûts exorbitants de la guerre du Vietnam, de la pression du Congrès et de

l’impatience de la population civile. En 1969, la situation a incité le Président à adopter la « doctrine Nixon »

visant à limiter la projection des Forces militaires américaines dans le globe. Dorénavant, les États-Unis

assureraient la continuation de la dissuasion nucléaire en plus d’honorer leurs engagements en cas de

confrontation non nucléaire. Néanmoins, Washington ne fournirait pas nécessairement les troupes requises pour

repousser une éventuelle agression communiste. 192 Historical Division joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 431-432.

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300

suivi les mêmes lignes directrices qu’en 1969. Tous les programmes de COIN ont été

conservés; les Américains et Sud-Vietnamiens travaillaient constamment à les améliorer. En

décembre 1970, 95.1% de la population rurale vivait dans des hameaux avec un degré de

sécurité considéré comme acceptable et 84.6% dans des secteurs « complètement sécurisés ».

Avec le départ des Américains, l’augmentation des effectifs des forces paramilitaires s’est

poursuivie; le PF a atteint le demi-million de soldats et le PSDF comptait près de 4 millions

de membres à la fin de 1971.193 Ces forces, rappelons-le, constituaient la principale ligne de

défense des villageois contre ce qui subsistait du VC. Les rapports communistes

précédemment cités évoquent les problèmes engendrés par les forces paramilitaires sud-

vietnamiennes. Pour leur part, les neutralisations de l’infrastructure politique du VC via le

programme Phoenix allaient grandissantes lors de la deuxième moitié de 1970. Au cours de

cette année, le VC a démontré à quel point il n’exerçait quasi plus de contrôle dans l’ensemble

des secteurs ruraux; on se préparait à tenir de nouvelles élections au sein des hameaux et des

villages de la RVN, dont certains s’apprêtaient à voir leurs habitants voter pour la toute

première fois. Finalement, 2,100 villages et 10,200 hameaux ont pu élire leurs représentants

municipaux, soit 97% des secteurs peuplés de la RVN.194

Jamais le VC n’a été en mesure d’interférer afin d’empêcher la conduite de ces

élections. En juin, des élections provinciales ont également été tenues sans connaître d’heurts

majeurs venant des Viêt-Cong, si ce n’est quelques incidents terroristes sans impacts

concrets.195 En 1971, la situation est devenue suffisamment stabilisée pour que le GVN, dans

le cadre de son plan de sécurité et de développement, désigne les milices locales du PSDF au

rang de principales forces de défense des hameaux et des villages. La population rurale se

trouvait à un stade où elle pouvait se dévouer avec encore plus d’attention à l’amélioration

du quotidien de sa communauté, à devenir une participante active lors des élections et à

contribuer au développement de l’administration publique de ses villages. À cet effet, le

conseiller du CORDS Stephen Young a rapporté que les éléments administratifs des secteurs

ruraux pouvaient désormais, sur tous les plans, s’autogouverner en toute autonomie.196 On

établit également des plans pour augmenter les effectifs de forces de police à 122,000

193 Ibid., p. 441, 444-446. 194 Ibid., p. 448. 195 Ibid. 196 Young, op. cit., p. 222.

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constables déployables dans les hameaux et les villages. Le plan du GVN, basé sur ses

accomplissements en matière de sécurité rurale, a démontré que Saigon souhaitait dorénavant

porter davantage d’attention aux efforts de nature politique, sociale et économique afin de

consolider son contrôle sur la RVN. Il était aussi de la volonté du gouvernement que l’Armée

sud-vietnamienne se sépare progressivement des opérations de contre-insurrection du

CORDS et du gouvernement pour se concentrer sur la véritable menace qui planait

dorénavant sur la RVN, c’est-à-dire les armées régulières du NVA. En 1971, la liberté

d’action du VC continuait à se voir entravée de manière draconienne; grâce aux opérations

visant l’infrastructure du VCI, les actes de sabotage et terroristes ont périclité de 75% dans

les zones sécurisées et de 50% dans les zones classées moins sécuritaires. Les forces de police

s’apprêtaient à remplacer les troupes paramilitaires des zones sécurisées afin de permettre

leur redéploiement dans les secteurs jugés encore instables.197 Le VC n’avait plus les moyens

de ses ambitions au cœur des secteurs ruraux; les insurgés ne détenaient tout simplement plus

la capacité d’exercer leur coercition du passé pour intimider une population civile qui, de

plus en plus, percevait l’insurrection comme une cause déchue. À ce stade du conflit, le cours

d’eau incarné par la population dans lequel les insurgés frayaient se tarissait de plus en

plus.198

Ainsi confrontée aux opérations contre-insurrectionnelles du CORDS et de Phoenix

sur le long terme, la doctrine insurrectionnelle maoïste s’est effectivement retrouvée échec

et mat. Peu de temps après sa nomination à la Maison-Blanche, le Président Nixon devait

approuver l’embauche de Robert Thompson en tant que son conseiller personnel en matière

de contre-insurrection pour le Vietnam. Alors que l’APC avançait et que les opérations du

CORDS et de Phoenix se trouvaient à la cime de leurs capacités, Thompson s’est montré très

impressionné par les progrès politico-militaires dont il a fait le constat au Vietnam. Lors

d’une visite, il a souligné à quel point le statut en matière de sécurité à Saigon et dans les

secteurs ruraux contrastait comparé à ses séjours précédents. Il a reconnu le contrôle exercé

par le GVN au sein des secteurs ruraux et attribué cette réussite aux opérations de pacification

américano-sud-vietnamiens et à la position très désavantagée dans laquelle s’était retrouvé

le VC. Thompson soutenait qu’une telle situation encouragerait la population civile à appuyer

197 Ibid., p. 222-225. 198 Ibid., p. 193.

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son gouvernement et les opérations des forces paramilitaires.199 Dans son rapport, Thompson

a confirmé les problèmes rencontrés par le VC, très affligé par ses pertes au combat, la

défection de ses soldats et de ses cadres et par la chute du recrutement. Il a été en mesure

d’observer que dans la Région militaire 5, un secteur où le VC assurait encore un certain

contrôle, le renflouement des effectifs de l’insurrection nécessitait tout de même 20 à 30%

d’éléments du NVA. Dans l’ensemble des autres secteurs de la RVN, l’état des choses prenait

une allure encore plus problématique pour le VC qui devait compter sur un taux d’effectifs

du NVA représentant 70 à 80% des formations insurgées.200 Ceci n’a rien fait pour faciliter

les opérations du VC; les militaires nord-vietnamiens, bien qu’ils soient d’excellents soldats

pour la guerre conventionnelle, se sont montrés très médiocres en termes de troupes de

guérilla. Leur culture différait de celle des Sud-Vietnamiens, ce qui devait créer de nombreux

malaises lorsqu’ils étaient amalgamés au VC sur de longues périodes.

Leur accent différait de celui des sudistes qui s’en moquaient régulièrement. De plus,

contrairement aux VC, les soldats du NVA n’étaient pas familiers avec les secteurs

d’opération. Ils souffraient également du mal du pays et se montraient moins résistants aux

maladies rencontrées au Sud.201 Thompson a lui aussi soulevé les luttes intestines opposant

le NVA et le VC, particularité qu’il attribuait à l’antagonisme entre Vietnamiens nordistes et

sudistes et à la haine éprouvée par la population envers le NVA. Thompson a également

confirmé ces mêmes informations retrouvées au sein de maints documents communistes : le

VC souffrait de problèmes logistiques entravant davantage sa capacité à combattre.202 Malgré

l’assistance du NVA, les Viêt-Cong n’arrivaient pas à renflouer la totalité de leurs effectifs

décimés. Thompson a déclaré que les opérations alliées avaient « presque complètement

éliminé » la menace militaire du Viêt-Cong et que les actions de pacification avaient

« tari leur base de recrutement » au sein de la population civile. Thompson trouvait

remarquable de voir plusieurs unités spécifiques du VC autrefois redoutées, désormais

réduites à des effectifs de moins de 10 hommes. Dans d’autres cas, des unités similaires se

199 Richard M. Nixon. Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1970) (2of 2) Visit to Vietnam

October28th – November 25th, 1969, College Park, National Archives, Folder 102564-018-0215, p. 1. 200 Ibid., p. 1-2. 201 Murray et Mansoor, op. cit., p. 282. 202 Richard M. Nixon. Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1970) Visit to Vietnam

October28th – November 25th, 1969, op. cit., p. 2.

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sont vues simplement dissoutes, cessant complètement d’exister.203 À la demande du

Président Nixon, Thompson est de nouveau parti au Vietnam pour une tournée d’inspection

de plusieurs semaines. Confronté à la réalité de la situation opérationnelle existant au sein de

la RVN en 1971, Thompson a transmis une lettre au Conseiller du Président pour la Sécurité

nationale, Henry Kissinger. Dans cette lettre, Thompson souligne qu’il y avait aux États-Unis

une nette incompréhension de ce qui se passait réellement sur le terrain au Vietnam. À cet

effet, il a mentionné: “There is a great disparity between the situation in South Vietnam and

what many in the U.S. believe it to be. This is no longer a credibility gap but a

“comprehensibility gap””.204 Il est clair qu’en 1971, le VC se trouvait submergé et dominé

par les forces contre-insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes. Le COSVN n’a eu

d’autres alternatives que de s’appuyer de plus en plus sur le NVA pour être en mesure de

poursuivre son effort de guerre devenu à tout point de vue anémique. Cependant, jamais les

journalistes n’ont exposé cette situation et, comme l’a spécifié Thompson, l’ensemble des

Américains est demeuré dans l’ignorance du statut précaire de l’insurrection VC.

À la fin de 1971, la réelle menace à la survie de la RVN était incontestablement le

NVA. En avril 1972, une offensive majeure a été lancée par les Nord-Vietnamiens dans la

RVN. L’essentiel des troupes de combat américaines ayant quitté le Vietnam, les leaders

militaires communistes ont pris la liberté de conceptualiser un plan d’action strictement

conventionnel. Bien qu’il soit encore présent, le VC, dorénavant majoritairement composé

d’éléments du NVA, n’a joué aucun rôle significatif au cours de cette campagne militaire.

Les divisions du NVA ont attaqué la RVN dans trois secteurs : au nord, via la zone

démilitarisée; dans les plateaux centraux, à partir du Laos et le secteur sud, via le Cambodge

(voir figure la figure 23).205 L’offensive printanière de 1972 a démontré hors de tout doute

que la guerre du Vietnam prenait dorénavant l’allure d’une guerre exclusivement

conventionnelle. Bien que l’envergure de cette offensive ne se compare pas à celle du Têt en

1968, le NVA s’est montré très agressif lors de cette campagne qui s’apparentait davantage

203 Richard M. Nixon, Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1970) (1 of 2) Report to the

President on South Vietnam, College Park, National Archives, Folder 102564-018-0215, p. 2. 204 Richard M. Nixon, Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1971) Memorandum for the

President, Subject: Sir Robert Thompson Comments on Vietnam, College Park, National Archives, Folder:

102564-018-0391, p. 1. 205 Young, op. cit., p. 235-236.

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à une blitzkrieg qu’à une campagne militaire hybride. À partir de la zone démilitarisée, un

total de trois divisions d’infanterie du NVA, appuyées par des régiments blindés équipés de

chars soviétiques T-54 et des régiments d’artillerie armés de canons de 130 millimètres, ont

pris d’assaut les positions de l’ARVN (voir la figure 24).206

Figure 23: L’offensive printanière du NVA dans la RVN207

206 Ibid., p. 236-237. 207 United States Military Academy West Point, « The Spring Offensive ». The Vietnam War, West Point.

https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2033.jpg.

Consulté le 19 novembre 2017.

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Figure 24: Les offensives conventionnelles du NVA dans la zone démilitarisée208

Du côté sud, trois divisions du NVA, assistées par deux autres divisions

indépendantes, ont respectivement pris d’assaut les provinces de Binh Dinh et d’An Loc,

alors que le reste des forces s’affairait à bloquer tout mouvement des régiments de l’ARVN.

Dans les plateaux centraux, les divisions du NVA ont réussi à prendre le contrôle de trois

districts et tenté, tout comme en 1965, de scinder la RVN en deux. Lors de cette offensive,

Hanoï a déployé les dernières divisions qu’il lui restait.209 L’ARVN a résisté avec

acharnement aux multiples assauts conventionnels du NVA. Ultimement, les Forces sud-

vietnamiennes ont pu tenir leurs positions grâce aux bombardements successifs des B-52 qui

ont annihilé des régiments entiers du NVA. Dans certains secteurs, les B-52 bombardaient

les Nord-Vietnamiens pendant des périodes de 24 heures. Maintes unités du NVA ont pris

panique et se sont enfuies de la zone de bataille. Grâce à l’appui des bombardiers, l’ARVN

208 Ibid. 209 Young, op. cit., p. 238-239.

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est parvenu à initier plusieurs contre-attaques contre l’Armée nord-vietnamienne qui a vu ses

unités décimées. En juin 1972, les pertes du NVA se chiffraient à 48,000 soldats et 400 chars.

Le général Abrams a déclaré à juste titre que sans l’apport des B-52, il aurait été impossible

d’enrayer l’offensive nord-vietnamienne.210 Afin de neutraliser les unités communistes, les

bombardiers stratégiques américains ont effectué 4759 missions de bombardements dans la

RVN, la RDVN, le Cambodge et le Laos.211 En revanche, Abrams a également souligné que

les B-52 à eux seuls n’auraient pas suffi à la tâche si l’ARVN n’avait pas combattu avec

détermination les divisions du NVA.212 Lors de l’offensive, il a été clair que les efforts de

pacification des dernières années portaient fruit; au cours des combats, l’ensemble des

secteurs ruraux a appuyé le gouvernement. Les forces paramilitaires et les milices de villages

ont tenu tête au NVA qu’ils ont combattu avec beaucoup de succès. L’offensive printanière

d’Hanoi a été remportée par les Sud-Vietnamiens et les Américains. Alors que l’offensive

faisait rage, le MACV retirait 100,000 de ses soldats du Vietnam.

En août 1972, il ne restait plus que 42,000 militaires américains dans la RVN.

L’insurrection communiste était pratiquement vaincue, une invasion conventionnelle multi-

divisionnaire s’était vue repoussée, l’économie sud-vietnamienne se trouvait productive et le

système politique demeurait stable et fonctionnel dans l’ensemble de la RVN.213 Les

hostilités militaires subséquentes à celle de l’offensive printanière n’ont pas impliqué le VC

dont l’impact réel sur le champ de bataille est devenu très sporadique. L’insurrection

communiste, autrefois puissante, ne devait assumer aucun rôle important dans ce qui devait

provoquer la chute de la République du Vietnam. Trois ans ont suffi à Hanoï pour reconstituer

ses forces par suite de la défaite cinglante de 1972. Au printemps de 1975, ce sont les troupes

du NVA, non celles du VC, qui ont de nouveau initié une campagne multi-divisionnaire dans

la RVN. Cette fois, aucun B-52 ne devait porter secours à l’ARVN qui a vu chacun de ses

régiments systématiquement anéantis par les unités conventionnelles communistes. À cet

effet, bien que le Président Gerald Ford ait manifesté la volonté d’ordonner le déploiement

de B-52 pour enrayer l’invasion communiste, le Congrès américain, qui cherchait à

210 Ibid., p. 239. 211 Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes 1968-1972, op. cit., p. 872-873. 212 Young, op. cit., p. 244-245. 213 Ibid., p. 245-246.

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307

réaffirmer ses pouvoirs,214 s’opposa à la requête du Président, abandonnant de ce fait la RVN

à son sort.215

4.6. Conclusion

Le présent chapitre a cherché à démontrer qu’à compter de 1966, les dirigeants

politico-militaires américains ont compris la nécessité de converger leur attention sur les

opérations de pacification rurale de la RVN. L’envergure des opérations conventionnelles a

permis d’empêcher la chute de la RVN aux mains des larges formations du VC et du NVA.

Néanmoins, l’incapacité américaine à contrôler les secteurs ruraux et enrayer les opérations

de guérilla de l’insurrection VC a forcé la mise sur pied de nouvelles stratégies qui ont abouti

sur la création du CORDS. Celui-ci regroupait l’ensemble des organisations militaires et

civiles nécessaires à l’application d’opérations de pacification et de contre-insurrection.

Malgré quelques difficultés au début de l’implémentation du programme, les opérations du

CORDS ne devaient pas tarder à porter fruit. La population civile est progressivement

devenue protégée par des forces paramilitaires qui assuraient sa défense et facilitaient la

continuité des opérations civiques et politiques au sein des villages. Quant à l’APC, le

gouvernement à Saigon l’a lancé à la suite de la débâcle du VC lors des offensives du Têt et

du mini-Têt, ce qui a galvanisé la campagne de pacification dans la RVN. Lorsque les troupes

régulières américaines et sud-vietnamiennes ont commencé à opérer de manière synchronisée

avec les forces chargées d’assurer la protection des villages, les opérations du CORDS s’en

sont trouvées renforcées. Les forces régulières, pour leur part, exploitaient le renseignement

collecté par le CORDS et traquaient les larges formations communistes, facilitant ainsi le

214 93rd Congress, H. J. Res. 542. The War Powers Act of 1973-Public Law 93-148 Joint Resolution.

Washington, 1973, p. 555-556. Excédé et frustré de voir ses pouvoirs marginalisés depuis l’adoption de la

Résolution du Golfe de Tonkin en 1964, le Congrès américain vota le War Powers Act en 1973 (aussi appelé

War Powers Resolution). Ce dernier abrogeait la Résolution du Golfe de Tonkin et soulignait que le « jugement

collectif » du Congrès et du Président devrait être appliqué le moment venu d’introduire des éléments militaires

américains dans un secteur hostile. La Résolution indiquait que le pouvoir constitutionnel du Président

d’introduire les Forces armées américaines en terrain hostile nécessiterait trois facteurs : en premier lieu, une

déclaration de guerre. En second lieu, une autorisation spécifique et statutaire (du Congrès) ou une situation

d’urgence nationale engendrée par une attaque contre les États-Unis, ses territoires ou sur ses Forces armées.

Enfin, la Résolution spécifiait que le Président détenait l’autorité de déployer des troupes pour un total de 60

jours. Passé ce délai, si le Congrès n’approuvait point le déploiement, le Président avait l’obligation de rapatrier

ses troupes militaires dans les 30 jours suivants. 215 Robert R. Tomes, US Defense Strategy from Vietnam to Operation Iraqi Freedom, New York, Routledge,

2007, p. 54.

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travail des forces paramilitaires qui pouvaient combattre les petites forces de guérilla du VC

et traquer les cadres de l’infrastructure politique communiste. À cet effet, le programme

Phoenix a constitué un des plus grands catalyseurs derrière l’éventuelle chute du VC. Les

forces spéciales américaines et du PRU ont infligé des pertes sévères à l’infrastructure

politique communiste qui en est venue à percevoir Phoenix comme la plus grande menace à

sa survie. Le programme infiltrait des agents et des informateurs dans l’ensemble des villages

et secteurs ruraux de la RVN, accentuant la pression sur les cadres communistes

constamment embusqués par les opérateurs de Phoenix. Par leurs efforts combinés aux

opérations du CORDS, Phoenix et l’APC ont ravagé les effectifs de guérilla du VC qui voyait

ses pertes déjà décuplées par suite des offensives du Têt et du mini-Têt. La situation a forcé

le COSVN à publier la Résolution 9 qui ordonnait aux troupes communistes de revenir à un

concept d’opération basé sur un conflit de basse intensité, c’est-à-dire : abandonner les

offensives à grands déploiements et se focaliser sur des opérations subversives destinées à

contrer la principale menace de l’insurrection; le programme de pacification du MACV et du

GVN. De l’aveu même des dirigeants du COSVN, les unités viêt-cong ont fait chou blanc

dans leurs tentatives visant à implanter les directives de la Résolution 9. Les formations de

guérilla se sont avérées incapables de reprendre le contrôle de la population rurale, ont perdu

davantage de territoire aux mains du GVN et se sont retrouvées de plus en plus isolées.

De multiples rapports communistes font état des problèmes engendrés par les

opérations du CORDS, de l’APC et de Phoenix. Ces mêmes documents soulignent

l’incompétence de leaders du VC qui se voyaient forcés de remplacer leurs cadres neutralisés

par des candidats sans expérience. Ces recrues n’osaient pas opérer au sein de leurs zones de

responsabilité et ont fait montre de leur incompétence à fournir l’approvisionnement

nécessaire à leurs troupes. De surcroît, plusieurs de celles-ci refusaient d’opérer en première

ligne, désertant et joignant par milliers les rangs du GVN. Au début des années 1970, le VC,

littéralement vaincu sur le champ de bataille, devait compter sur le NVA pour renouveler ses

effectifs. L’insurrection n’a jamais retrouvé son dynamisme et sa force d’antan ; le NVA a

pris le relais des opérations et l’aspect hybride de la guerre est mort pour faire place à un

conflit strictement conventionnel. L’offensive printanière des communistes a vu le NVA

déployer de multiples divisions qui exploitaient un concept d’opération conventionnel quasi

digne d’une offensive allemande de la Deuxième Guerre mondiale. Le VC, quant à lui, n’a

joué qu’un rôle mineur et s’effaçait de plus en plus. Ultimement, l’insurrection a perdu

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l’appui de l’ensemble de la population civile qui percevait le Viêt-Cong comme une cause

perdue. Cette même population a montré son appui au GVN en contribuant aux combats

contre les forces conventionnelles du NVA forcées de battre en retraite à la suite des

bombardements successifs des B-52. Les offensives subséquentes et la chute ultime de la

RVN en 1975 devaient de nouveau voir le Viêt-Cong jouer un rôle obscur; le NVA et son

concept d’opération conventionnel ont causé la défaite des Forces sud-vietnamiennes qui,

cette fois, devaient composer sans l’assistance des Américains.

Quoiqu’en disent de nombreux historiens orthodoxes, les Américains et les Sud-

Vietnamiens ont vaincu l’insurrection du Viêt-Cong. En négligeant l’analyse des aspects

micro-tactiques de la guerre présentés au chapitre 2, en limitant l’attention portée aux

opérations de contre-insurrection des CAP et en écartant l’analyse des opérations du CORDS

et de Phoenix à partir de 1969, plusieurs dynamiques hybrides et insurrectionnelles ont

échappé à maints historiens. Maints d’entre eux ont limité la granularité de leur analyse

micro-tactique, se focalisant principalement sur les aspects politico-stratégiques de la guerre,

ce qui les a amenés à déduire à tort que les Américains s’étaient montrés incapables d’enrayer

les opérations insurrectionnelles du Viêt-Cong. Une défaite comme celle encaissée par le VC

ne s’officialise pas à bord d’un cuirassé en présence de généraux et de dignitaires, comme

cela s’est déroulé lors de la défaite japonaise, à la suite de la guerre du Pacifique. D’une part,

jamais le VC n’aurait admis sa défaite. D’autre part, lors de la débandade de l’insurrection,

la guerre s’est poursuivie, mais n’endossait plus les bases d’un conflit hybride, compte tenu

de l’émergence de la guerre conventionnelle du NVA en 1972.

Ainsi, contrairement à ce qui a trop souvent été véhiculé, les Américains se sont

montrés très conscientisés en matière de contre-insurrection pendant la guerre du Vietnam.

Bien qu’il ait été nécessaire de procéder à maints ajustements et que le programme de

pacification ait pris du temps à s’uniformiser sur l’ensemble du théâtre d’opération, les succès

américains en matière de COIN au Vietnam sont indéniables. Avec le CORDS et Phoenix,

ils ont élaboré un concept d’opération contre-insurrectionnel qui embrassait les bases des

doctrines de David Galula et de Robert Thompson. Ce dernier, qui n’avait pourtant aucune

leçon à recevoir de quiconque en matière de COIN, a lui-même reconnu les succès décisifs

des Américains et du gouvernement sud-vietnamien en matière de contre-insurrection, de

même que la neutralisation du Viêt-Cong et de ses capacités à combattre dans l’ensemble de

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la RVN. Si les Américains ont échoué à provoquer la dislocation des forces conventionnelles

du système militaro-hybride des communistes, il en a été tout autrement de l’insurrection

VC. Cette dernière s’est vue incontestablement disloquée du système hybride de Giap qui en

1972, ne comptait plus que deux éléments pleinement opérationnels; ses forces

conventionnelles et son réseau logistique qui exploitait la Piste Ho Chi Minh.

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311

Chapitre V: Le nerf de la guerre communiste : La Piste

Ho Chi Minh

“Amateurs think about tactics, but professionals

think about logistics.”1

-Général Robert H. Barrow,

Commandant de l’USMC, 1979-

1983

“The history of war proves that nine out of ten

times an army has been destroyed because its supply

lines have been cut off…”2

-Général Douglas MacArthur,

US Army, Général de l’Armée

Un des plus grands succès stratégiques des forces communistes du NVA et du VC a

sans contredit été leur sempiternelle habileté à maintenir l’exploitation de leur réseau

logistique terrestre incarné par la Piste Ho Chi Minh. Cette voie assurait l’acheminement de

renforts, d’approvisionnement logistique, d’armes et de munitions infiltrés dans la RVN via

un véritable labyrinthe de pistes longeant le Laos et le Cambodge. Nous avons pu constater

à quel point l’accès aux bases d’opérations communistes localisées au sein de ces deux pays

revêtait un caractère essentiel à la survie de nombreuses formations du VC et du NVA

militairement surclassées par les Américains. Toute la logistique et les ressources médicales

nécessaires à l’emploi de ces troupes transitaient également au moyen de la Piste.

L’approvisionnement de l’ensemble des gigantesques dépôts découverts par les Américains

lors des opérations CEDAR FALL et JUNCTION CITY avait pu se faire grâce au passage

fourni par la Piste. C’est donc dire que cette route constituait le nerf de la guerre pour les

formations communistes; se voir couper l’accès au réseau terrestre rayonnant de la Piste Ho

1 Martin J. Alperen, Foundations of Homeland Security: Law and Policy, Hoboken, Wiley, 2011, p. 447. 2 H.W. Brands, The General vs. the President: MacArthur and Truman at the Brink of Nuclear War, New

York, Anchor, 2017, p. 163.

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312

Chi Minh aurait rendu utopique pour le NVA et le VC de conserver son rythme de bataille et

tenir tête aussi longtemps aux Américains.

Figure 25: Le réseau logistique communiste : la Piste Ho Chi Minh3

3 United States Military Academy West Point, « South Vietnam Enemy Situation, Early 1964 », The Vietnam

War, West Point. https://www.westpoint.edu/history/SitePages/Vietnam%20War.aspx, Consulté le 19

novembre 2017.

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313

Maints auteurs et analystes, notamment Gregory Banner, John Prados, Tin Bui

(colonel nord-vietnamien à la retraite) et Doan Chuong (directeur de l’Institut des Études

stratégiques à Hanoï), ont postulé dans le sens que bloquer la Piste Ho Chi Minh n’aurait rien

changé à l’issue de la guerre. Pourtant, lorsqu’on analyse le conflit en fonction des

dynamiques exposées dans cette thèse, tout nous amène plutôt à croire qu’un tel cours

d’action aurait provoqué la dislocation du troisième sous-système hybride des communistes,

c’est-à-dire, l’élément d’appui logistique. Pour des raisons obscures, beaucoup

d’observateurs semblent minimiser l’importance du facteur logistique lors de la conduite

d’opérations militaires, particulièrement au Vietnam. Pourtant, sans logistique, le

réapprovisionnement des forces militaires déployées en première ligne est voué à un échec

certain. L’absence de renouvellement de ravitaillement engendre invariablement l’incapacité

de fournir des armes, des munitions, du matériel médical, des rations, des renforts ainsi que

des ressources pétrolifères. Dépourvue de ces éléments essentiels, même la force armée la

mieux entraînée, la mieux équipée et la mieux dirigée se verra sévèrement handicapée et

forcée de limiter ses opérations pour, ultimement, battre en retraite. N’en déplaise à d’aucuns,

cette réalité militaro-stratégique est une règle de base inhérente à l’art de la guerre et les

communistes n’y échappaient pas plus que les autres.

Il suffit de prendre comme exemple l’Afrika Korps du Feld-Maréchal Erwin Rommel

lors de la Deuxième Guerre mondiale. Rommel, bien qu’ayant longtemps disposé d’un

incontestable avantage militaire sur ses adversaires en Afrique du Nord, a perdu une

importante quantité de panzers et de pièces d’artillerie au cours des combats contre les Alliés.

Les systèmes logistiques italiens et allemands ne parvenaient plus à réapprovisionner

adéquatement les forces du Feld-Maréchal; la Royal Navy coulait sans relâche les navires

italiens destinés à réapprovisionner Rommel, via la Méditerranée, en Afrique du Nord. De

son côté, la Luftwaffe rencontrait échec sur échec à dépêcher une quantité suffisante de

pétrole pour les chars qui subsistaient au sein des effectifs de Rommel. Bien qu’il ait reçu

quelques troupes en renfort, ce dernier a été incapable de les équiper ou de leur fournir des

transports, une situation qui originait des opérations d’interdiction des Forces alliées.4 Celles-

ci ont disloqué le système logistique des Forces de l’Axe en Afrique et cela a été suffisant

4 Charles Messenger, Rommel Leadership Lessons from the Desert Fox, New York, Palgrave Macmillan,

2009, p. 128-129.

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pour acculer Rommel au pied du mur. Cette circonstance a été le prélude d’une retraite

infernale de l’Afrika Korps qui, ultimement, s’est vu contraint d’abandonner le continent

africain. Citons également en exemple la campagne allemande pour envahir l’Union

soviétique dans le cadre de l’opération BARBAROSSA. Lors des premières phases de la

campagne, les forces militaires de la Wehrmacht trônaient, à l’apogée de leur puissance.

Pourtant, l’auteur David Stahel souligne avec justesse que l’aspect logistique a constitué l’un

des principaux « talons d’Achille » des formations allemandes. Les effectifs responsables du

réapprovisionnement de la Wehrmacht se sont avérés insuffisants et peinaient à conserver le

même rythme effréné que les panzers déployés en première ligne. Cette situation, amalgamée

à d’autres facteurs militaro-tactiques, a causé de sérieuses embûches à la bonne marche des

opérations militaires allemandes lors de BARBAROSSA qui, ultimement, s’est soldé par un

échec.5 Dans l’Atlantique, les U-Boat de la Kriegsmarine se sont acharnés pendant des

années à scinder la ligne de réapprovisionnement logistique des Alliés, ne laissant à ces

derniers nulle autre alternative que de développer de savantes contre-mesures en vue de

poursuivre l’acheminement de leurs renforts et leur matériel en Europe. Lors de la guerre de

Corée, les troupes chinoises et nord-coréennes lancées dans des manœuvres de contre-attaque

pour chasser les Américains de la Péninsule se sont montrées militairement moins efficaces,

une fois positionnées à une plus grande distance de la Chine.

Cette particularité trouve également son explication dans un facteur de nature

logistique. Une fois les formations communistes éloignées de la sorte de leurs bases

d’opérations, leur ligne de réapprovisionnement s’étirait dangereusement, perturbant ainsi le

momentum de leurs opérations. Il en a été de même du côté de l’US Army et des Marines.

Préalablement à la retraite américaine du nord de la péninsule, les Chinois et les Nord-

Coréens planifiaient de laisser les Forces alliées s’introduire en profondeur au sein de la

Corée du Nord afin qu’elles élongent leurs lignes de réapprovisionnement et se retrouvent

piégées par la venue de la saison hivernale.6 Cette stratégie a favorisé un changement

draconien du momentum de bataille qui ne devait pas tarder à tourner à l’avantage des unités

communistes. Le général Matthew Ridgway, un des principaux commandants américains lors

5 David Stahel, Operation Barbarossa and Germany’s Defeat in the East, Cambridge, Cambridge University

Press, 2009, p. 127-138. 6 Bruce Cumings, The Korean War: A History, New York, Modern Library, 2010, p. 25.

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de la guerre de Corée, a souligné à juste titre que « la logistique constitue l’élément clé de

la guerre moderne ».7 À bien des égards, les succès militaires des Américains lors des deux

guerres mondiales, de même que leur habilité à assurer le statu quo pendant la guerre de

Corée, résultent en grande partie de la capacité des États-Unis à exploiter un puit sans fond

de ressources logistiques.8 Au Vietnam, aurait-on pu envisager possible que les Américains

assurent la défense de la RVN si les régiments communistes leur avaient bloqué l’accès à la

majorité des ports et aéroports de l’ensemble du pays? La totalité du dépôt logistique

américain installé au sein de ces sites névralgiques leur permettait de déployer et projeter des

millions de tonnes d’armes, de munitions, de rations, d’éléments pétrolifères, de ressources

médicales, de tentes, de sacs de sable, de vêtements et autres nécessités destinées aux Forces

américaines et sud-vietnamiennes. À cela s’additionnaient les matériaux affectés aux actions

civiques, les chars, les hélicoptères et les pièces d’artillerie, également déployés à partir des

ports et des aéroports de la RVN. Sans oublier les chasseurs de l’USAF basés eux aussi dans

ces aéroports.

Imaginons que les troupes américaines aient été dépourvues d’une large quantité de

ces éléments essentiels à leur effort de guerre; aucune argumentation niant le fait qu’elles

n’auraient jamais été en mesure d’opérer au sein du théâtre d’opération sud-vietnamien ne

saurait tenir. Pourtant, considérons un instant les conclusions de maints journalistes,

analystes et historiens. Si on transpose la réalité militaro-stratégique citée plus haut aux

opérations logistiques de la Piste Ho Chi Minh, il semble qu’étrangement, cette simple

évidence ne s’applique pas aux communistes. Comme si, une fois de plus, d’aucuns semblent

les parer d’une aura d’invincibilité. À l’image de l’élément insurrectionnel, le VC et le NVA

n’affichaient pas plus d’invulnérabilité aux opérations d’interdiction que d’autres armées

soumises aux mêmes types d’offensives sur leurs réseaux logistiques. Bien que la Piste Ho

Chi Minh représentait un couloir de réapprovisionnement fort complexe et savamment

développé, il s’avérait tout de même fort vulnérable. Néanmoins, plusieurs facteurs ont

empêché les Américains de disloquer ce sous-système de la machine de guerre hybride des

formations communistes.

7 Charles R. Shrader, U.S. Military Logistics, 1607-1991: A Research Guide, Westport, Greenwood Press,

1992, p. 3. 8 Ibid.

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5.1. Le réseau logistique communiste et le fonctionnement de la Piste Ho Chi Minh

Que ce soit contre les Français lors de la guerre d’Indochine ou versus les Américains

au Vietnam, le système logistique des unités communistes a toujours fait figure de priorité

pour eux. En vue de combattre, une énorme quantité d’armes, de munitions, de nourriture et

d’autres nécessités s’avérait indispensable pour permettre aux communistes de tenir tête à

leur adversaire. On enfouissait armes et munitions à l’intérieur de caches tandis que le reste

de l’approvisionnement logistique reposait abondamment sur les taxations imposées à la

population civile. Néanmoins, pour conserver un rythme de bataille capable de soutenir le

tempo des opérations de divisions du NVA contre les Américains, ces deux cours d’action se

sont révélés insuffisants, et ce, même pour des opérations d’intensité moyenne. De telles

campagnes de divisions requéraient des dizaines de milliers de porteurs et autres constituants

logistiques pour s’attacher de près aux pas des forces de combat. En vue de faciliter le

réapprovisionnement de ces forces, les communistes ont déployé un rayonnement de

plusieurs dépôts logistiques majeurs le long des routes exploitées par le NVA et le VC, ainsi

qu’au cœur de bases d’opérations.

La Piste Ho Chi Minh facilitait le déploiement de la logistique qui provenait

habituellement de la RDVN. La préparation d’une offensive des forces du NVA demandait

du temps; il fallait au bas mot de deux à trois mois pour déployer les troupes et les rendre

aptes au combat. Lors des affrontements, ces forces exploitaient de formidables quantités de

munitions et de ressources. La situation dégénérait tant et si bien que les dépôts logistiques

tarissaient à vue d’œil. D’où la nécessité d’acheminer continuellement de nouveaux

ravitaillements pour fournir les troupes en mal de réapprovisionnement.9 En 1954, à la suite

de la guerre d’Indochine, les routes d’infiltrations revêtaient une porosité suffisante pour que

les incursions communistes au sud se fassent directement à partir de la zone démilitarisée.

Le 29 mars 1961, des troupes de l’ARVN ont capturé des documents indiquant que d’octobre

à mars, 1840 communistes ont infiltré la RVN via la zone démilitarisée.10 Au début 1960, il

était également monnaie courante que des unités communistes s’introduisent le plus aisément

du monde dans la RVN via l’océan Pacifique. Le 5 juin 1961, on a capturé sur la plage d’An

9 McCoy, op. cit., p. 51. 10 Michael Lee Lanning et Dan Cragg, Inside the VC and the NVA, New York, Ivy Books, 1992, p. 76.

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Don cinq cadres communistes en provenance de la RDVN. Un des prisonniers a avoué qu’il

s’agissait de son 17e périple dans la RVN et qu’à chaque passage, il avait convoyé et

acheminé renforts et documents.11 En 1965, alors que les troupes américaines se déployaient

par milliers dans la RVN, la zone démilitarisée devenait plus compliquée à traverser. Les

voies d’accès par la mer, dorénavant patrouillées par les navires et les aéronefs de l’US Navy,

rendaient ce mode d’infiltration beaucoup trop hasardeux. La seule option alors disponible

aux communistes se limitait à la pleine exploitation de la Piste Ho Chi Minh.12 Tant et aussi

longtemps que la Piste demeurerait libre d’accès et dépourvue d’éléments militaires

américains, rien ne freinerait les communistes capables de conserver le momentum nécessaire

pour la continuité des opérations de combat dans la RVN. Bien que le Laos et le Cambodge

soient techniquement des États « neutres » ne prenant pas officiellement le parti d’Hanoï ou

de Saigon, la réalité s’avérait plutôt différente. Le gouvernement du Laos s’est trouvé

confronté au Pathet Lao, un groupe politique et paramilitaire procommuniste qui non

seulement contrôlait une grande partie des secteurs ruraux laotiens, mais bénéficiait aussi de

l’appui et de l’entraînement militaire de la Chine communiste et de la RDVN.13

En août 1960, le gouvernement laotien de droite du général Phoumi a été renversé et

remplacé par un gouvernement « neutraliste » sous la direction de Souvanna Phouma, un

homme d’état pour qui combattre le Pathet Lao ne constituait pas une priorité. Pour tout dire,

Phouma tolérait plutôt les activités de ce groupe à l’intérieur de son territoire. Le général

Phoumi, à qui les États-Unis conservaient leur appui, a éventuellement repris le contrôle du

gouvernement laotien. Ultimement, afin de satisfaire tous les partis en cause, un

gouvernement de coalition « neutre » dirigé par Phouma devait prendre les rênes du

pouvoir.14 Une fois Phouma définitivement installé à la gouvernance, Hanoï s’est senti libre

de continuer à violer le statut de neutralité du Laos; le NVA opérait impunément dans les

campagnes du pays, ce qui facilitait l’exploitation de la Piste Ho Chi Minh localisée à l’est

du territoire. Du côté du Cambodge, le pays se trouvait également dirigé par un gouvernement

« neutraliste » ayant à sa tête le Prince Norodom Sihanouk. À l’époque de Diem, les

11Ibid., p. 76-77. 12 Ibid. 13 Thomas Ahern, Undercover Armies: CIA and Surrogate Warfare in Laos 1961-1973, Washington D.C.,

Central Intelligence Agency, 2006, p. 12-15. 14 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 117.

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évènements qui se déroulaient au Vietnam sont devenus une source de graves inquiétudes

pour Sihanouk. L’ethnicité différente entre les Khmers cambodgiens, les Thaïlandais et les

Vietnamiens, créait une animosité naturelle parmi ces groupes. L’expansion du conflit

vietnamien, l’implication américaine et l’appui du gouvernement thaïlandais aux États-

Unis15 mettaient Sihanouk mal à l’aise car il craignait de voir le pays « coincé » entre ses

deux ennemis traditionnels : la Thaïlande et le Vietnam.16 Qui plus est, Sihanouk manifestait

un extrême inconfort face à l’assassinat de Diem et soupçonnait les Américains (à raison)

d’avoir trempé dans cette triste affaire. Soucieux de ne pas subir un sort similaire à celui de

Diem, Sihanouk s’est distancé de Washington. Il a limité la présence diplomatique des États-

Unis dans le pays, a annulé tous les programmes d’aide économique de Washington et devait

ordonner le départ de tout le personnel américain y étant associé. Sihanouk ne devait pas

tarder à officiellement annoncer la neutralité de son pays face au conflit vietnamien.

Puis, bien qu’il ait longtemps nié l’avoir fait, Sihanouk a tacitement autorisé les

communistes à opérer au sein du Cambodge. Avec l’initiation de l’opération MARKET

TIME qui a forcé un blocus de la côte sud-vietnamienne par l’US Navy, les communistes ne

pouvaient ravitailler leurs troupes localisées dans les III et IV Corps via l’océan.17 Pour

pallier au problème, Sihanouk a autorisé l’utilisation du port de Sihanoukville afin de faciliter

le déploiement de réapprovisionnement destiné aux communistes qui transitait sur son

territoire. Ce manège devait se poursuivre jusqu’à son renversement en mars 1970.18 Fortes

et enhardies de l’appui non officiel et tacite des gouvernements du Laos et du Cambodge, les

unités communistes ont été capables d’assurer le momentum du réapprovisionnement de leurs

troupes dans la RVN. Afin de préserver cet élan, le NVA et le VC exploitaient les bases d’une

organisation logistique structurée et élaborée. Dans la plupart des cas, le COSVN endossait

15 L’appui de la Thaïlande aux États-Unis s’inscrivait dans le cadre de l’Organisation du traité de l'Asie du Sud-

Est (Southeast Asia Treaty Organization (SEATO) en anglais). Huit pays furent membres de l’Organisation:

les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Australie, le Pakistan, les Philippines, la Nouvelle-Zélande et

la Thaïlande. Il s’agissait globalement d’un pacte de défense, similaire à celui de l’OTAN, qui visait à assurer

la protection de l’Asie du Sud-Est contre toute menace, plus particulièrement celle engendrée par les forces

communistes en Asie. 16 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 212. 17 Ibid., p. 216. 18 Thomas Ahern, CIA’s Estimates of Arms Traffic Through Sihanoukville, Cambodia, During the Vietnam

War, Washington D.C., Center of the Study of Intelligence, 2004, p. xi, 3.

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la responsabilité de gérer les aspects logistiques de l’effort de guerre du NVA et du VC. Au

total, le COSVN contrôlait trois agences qui régissaient les aspects logistiques : la Section

des aspects financiers et économiques, de même que les Services arrière et la Section

d’approvisionnement des troupes de premières lignes. Les fonctions des trois agences

s’interreliaient et leurs efforts faisaient l’objet d’un contrôle étroit et d’une coordination

constante. La Section des Finances et de l’Économie du COSVN gérait les fonds assurant le

financement de la logistique des opérations militaires.19 Les Services arrière constituaient

une véritable mosaïque d’éléments bureaucratiques baptisés « comités » par les

communistes. Des éléments de ce groupe contrôlaient la logistique d’unités comptant des

effectifs de 300 à 3000 soldats et s’affairaient à appuyer les unités régulières du NVA. Les

Services arrière assuraient la charge des programmes de manufactures, des ateliers de

réparation et des sites médicaux, en plus d’être responsables de l’achat, du transport, de

l’entreposage et de la distribution d’importantes quantités de réapprovisionnement de tout

acabit aux éléments de combat communistes.20

La Section d’approvisionnement pour les troupes de premières lignes avait comme

mission de fournir de nouvelles recrues, des travailleurs civils, de la nourriture, de l’argent

et les installations nécessaires pour la bonne marche des opérations des forces de combat.21

Les travailleurs civils regroupaient des hommes et des femmes conscrits, organisés en

compagnies et en pelotons. Ils convoyaient des munitions et de la nourriture pour les troupes

régulières, évacuaient les soldats blessés, déplaçaient le matériel logistique capturé aux

points de collectes désignés et construisaient dépôts logistiques et positions défensives.22 Les

trois Services de réapprovisionnement logistique du COSVN opéraient à partir de la RDVN,

de la Piste Ho Chi Minh, des bases d’opération de la RVN et des villages des secteurs ruraux

contrôlés par les cadres du VCI. De tous ces secteurs, la Piste était la pièce maîtresse du

système logistique communiste. Originalement appelée « la Route de Truong Son » par les

Nord-Vietnamiens, la Piste Ho Chi Minh a été mise en chantier en avril 1959. Elle était

constitué d’environ 2000 kilomètres de sentiers qui jalonnaient le Laos et le Cambodge pour

19 Ibid., p. 55. 20 Ibid. 21 Ibid., p. 57. 22 Central Intelligence Agency, Memorandum The Vietnamese Communist Will to Persist, Lubbock, Texas

Tech University, Central Intelligence Agency Collection, The Vietnam Center and Archives, Folder 192, Box

14, p. V-10, https://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=04114192001.

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aboutir dans la RVN. Le Comité central du Parti communiste nord-vietnamien avait alors

pris la décision d’infiltrer clandestinement des milliers de vétérans communistes de la guerre

d’Indochine au sein de la RVN. Dans le but d’introduire un nombre aussi substantiel

d’agents, le Comité central a créé un groupe spécial baptisé « 559e Groupe de Soutien »

ou « Groupe 559 ». De concert avec les services de renseignements nord-vietnamiens, le

Groupe 559 assurait l’entraînement et le déplacement des agents et de leur

approvisionnement logistique à travers ce qui est devenu la Piste Ho Chi Minh.23 Conçu pour

fonctionner malgré le spectre des attaques aériennes américaines, le Groupe 559 constituait

une armée en soi avec des effectifs destinés à atteindre 50,000 troupes subdivisées au sein de

15 unités régimentaires baptisées binh trams (sites de communication et de liaison).24 Chacun

des binh trams se composait d’un régiment commandé par un colonel à qui on attitrait une

zone de responsabilité englobant un tronçon de 24 à 32 kilomètres de la Piste. Leur tâche

consistait à entretenir les sentiers et défendre leur zone de responsabilité des incessants

bombardements de l’USAF et des opérations clandestines des forces spéciales américaines.25

On a mis à la disposition de chacun de ces régiments deux bataillons antiaériens

équipés de canons et de missiles sol-air soviétiques SA-2. L’ordre de bataille des binh trams

comptait également de multiples bataillons d’ingénieurs, de transports, de transmissions, de

sécurité, de soutien médical ainsi qu’une unité chargée des rations.26 La tâche de réparer la

Piste bombardée par les Américains et d’assurer le mouvement continuel des camions et de

l’approvisionnement dépêchés au sud a échu aux ingénieurs des binh trams. Ces derniers se

chargeaient également d’ériger les abris temporaires et les camps de base destinés à abriter

les soldats du NVA qui s’empressaient de gagner le couvert du Laos et du Cambodge à la

suite de leurs combats contre les Américains. À défaut d’être à l’abri des attaques aériennes,

ces bases d’opérations se trouvaient hors de portée des tirs d’artillerie et des unités régulières

américaines.27 Afin de minimiser les pertes encaissées lors des bombardements des B-52, le

NVA camouflait et dispersait ses troupes sur des kilomètres lorsqu’elles bivouaquaient dans

les camps érigés par les binh trams. Cette particularité compliquait le travail des forces

23 John L. Plaster, SOG A Photo History of the Secret Wars, Boulder, Paladin Press, 2000, p. 45-46. 24 Lee et Cragg, op. cit., p. 84. 25 Plaster, op. cit., p. 46. 26 Lee et Cragg, op. cit., p. 84. 27 Ibid., p. 46-47.

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spéciales américaines dont plusieurs opérateurs ne sont jamais revenus de leur mission au

Laos et au Cambodge, compte tenu que le NVA imbibait littéralement la Piste.28 L’aviation

américaine omniprésente forçait les communistes à effectuer les déplacements des transports

logistiques nuitamment, afin de limiter les chances de détection. Le NVA déployait des

sentinelles à chaque 200 ou 300 mètres tout au long de la route. Avec la complicité des

ténèbres, lorsqu’aucun réacteur de chasseurs bombardiers n’était audible, un coup de feu des

sentinelles annonçait que la route était sécuritaire. Les camions, complètement camouflés par

du feuillage, se déplaçaient généralement par groupes de 100. Sous un ciel dégagé, les

convois se voyaient subdivisés en plus petits groupes. Habituellement, les transports

parcouraient environ une trentaine de kilomètres par nuit. Les chemins empruntés étant

constamment les mêmes, les chauffeurs, une fois familiers avec l’itinéraire, pouvaient

conduire sans même allumer leurs phares.29 Le matériel et les renforts ainsi acheminés par

ces camions permettaient aux unités du NVA et du VC d’initier leurs opérations

divisionnaires ainsi que l’offensive du Têt de 1968.

Les premières infiltrations substantielles ont débuté dès la création de la Piste en 1959

et n’ont cessé de croître au fil des ans. Des documents communistes démontrent qu’à la fin

de 1960, on estimait les forces de combat du VC à 10 bataillons comprenant 5500 soldats qui

allaient renforcir les 30,000 forces locales de guérilla déjà enrôlées dans la RVN. À la fin de

1963, les effectifs réguliers du VC se chiffraient à 35,000 soldats répartis dans 30 bataillons.

Ces forces préalablement localisées dans la RDVN se composaient majoritairement de

vétérans du Vietminh ayant combattu les Français.30 Les documents communistes révèlent

qu’Hanoï a pris la décision de déployer des forces du NVA au sud dès décembre 1963, peu

après la chute du Président Diem. Afin de faciliter le déploiement des troupes régulières, les

ingénieurs du Groupe 559 se sont activés dès 1964 à élargir la Piste Ho Chi Minh. Au mois

d’avril, des unités régulières du NVA préparaient déjà leur déploiement au sud via la Piste,

un fait confirmé par des prisonniers du 95e Régiment du NVA.31 En octobre 1964, les

28 Ibid., p. 47-48. 29 Ibid., p. 49. 30 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of

Significant Viet Cong/North Vietnamese Documents North Vietnam’s Role in the South, Carlisle, War

College, Folder: 003233-001-0499, p. 10. 31 Ibid., p. 12.

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premières unités tactiques du 95e Régiment quittaient la RDVN, longeaient la Piste pour

infiltrer la RVN. En octobre et décembre 1964, d’autres larges formations du NVA,

notamment les 32e et 101e Régiments, ont emboîté le pas au 95e Régiment. Ces déploiements

ont précédé l’initiation des bombardements américains de la RDVN ayant débuté en février

1965 et le déploiement des premières forces de combat américaines, au mois de mars de la

même année.32 Ce qui précède déconstruit la théorie avancée par tant d’historiens et de

journalistes qui soutient qu’Hanoï avait déployé ses forces régulières du NVA au sud en

réponse au déploiement massif des Forces américaines dans la RVN. Entre novembre 1964

et la fin de 1965, 10 régiments du NVA subdivisés en 30 bataillons infiltraient la RVN par

le truchement de la Piste Ho Chi Minh. À la fin de 1965, le NVA constituait environ 30% du

total des unités communistes opérant dans la RVN; en 1966, au moins 55,000 et possiblement

86,000 troupes nord-vietnamiennes infiltraient la RVN. La figure 26 illustre les pénétrations

mensuelles des soldats communistes dans la RVN pour 1966 et 1967. Les chiffres classés

« accepté » proviennent du renseignement fourni par au moins deux prisonniers de guerre ou

transfuges des unités communistes. Le renseignement peut également provenir de documents

capturés ou d’une combinaison des deux sources d’informations. Les chiffres catégorisés

« possible » proviennent d’autres estimations de la CIA qui ne découlent pas nécessairement

de documents ou de transfuges.

32 Ibid.

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Figure 26 : : Infiltrations mensuelles des forces communistes en 1966 et 196733

Ces chiffres suffisent à exposer le potentiel stratégique de la Piste Ho Chi Minh en

tant que voie de passage pour acheminer la grande majorité de ces troupes. En 1968, 44,000

troupes du NVA se sont introduites dans la RDV.34 Au cours de cette même année, lors de

l’offensive du Têt, 84,000 membres des unités communistes ont exploité la Piste pour

s’expansionner dans la RVN. En 1969, 100,000 troupes du NVA opéraient au sein de la

RVN.35 En 1970, 48,400 troupes supplémentaires se sont infiltrées au sud, via la Piste. De

1960 à 1970, vu d’une perspective globale, on a estimé le nombre de soldats communistes

déployés dans la RVN à environ 700,000.36 Considérant la taille des effectifs positionnés,

l’approvisionnement de l’ensemble de ces troupes constituait un défi titanesque. La CIA a

catalogué les besoins logistiques communistes en cinq classes. La classe 1 représentait le

ravitaillement en nourriture, la classe 2 les armes, la classe 3 les éléments pétrolifères, la

33 Central Intelligence Agency, Capabilities of the Vietnamese Communists for Fighting in South Vietnam, 13

November 1967, Lubbock, Texas Tech University, Central Intelligence Collection, The Vietnam Center and

Archive, Folder 152, Box 12, p. 7. https://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=04112152001. 34 Robert Gillespie, Black Ops Vietnam, Annapolis, Naval Institute Press, 2011, p. 142. 35 Lee et Cragg, op. cit., p. 77. 36 Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes, op. cit., p. 452-453.

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324

classe 4 englobait le réapprovisionnement en vêtements, ressources médicales, transports,

équipements de transmissions et ingénieurs et enfin, la classe 5 classifiait le renouvellement

des munitions.37 La figure 27 illustre les besoins logistiques quotidiens des formations

communistes par classe et sources d’approvisionnement (interne (RVN) et externe (RDVN))

à la mi-1966.

Figure 27: Besoins logistiques quotidiens des forces du VC et du NVA en 196638

37 Central Intelligence Agency, Memorandum The Vietnamese Communist Will to Persist, op. cit., p. V-13. 38 Ibid., p. V-13-V-14.

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325

D’une part, le graphique illustre à quel point le volet relatif à la contre-insurrection

revêtait un caractère névralgique au sein de la RVN. Les besoins en termes de nourriture

(classe 1) prenaient des proportions gigantesques avec un total de 118 tonnes courtes

réquisitionnées (236,000 livres). Ces victuailles trouvaient quasi exclusivement leur source

à l’interne, c’est-à-dire dans les secteurs ruraux de la RVN et les villages. Ceci explique

clairement l’impératif primaire de séparer la population civile des insurgés et d’initier des

opérations de déni de nourriture comme celle menée par GOLDEN FLEECE. D’autre part,

le graphique illustre à quel point la grande majorité de l’approvisionnement en armes (classe

2) et en munitions (classe 5) dépendait de sources externes qui tiraient aussi profit de la Piste

Ho Chi Minh pour convoyer leur matériel dans la RVN.

Une quantité significative d’armes soviétiques, du Bloc de l’Est et de la Chine

communiste était infiltrée dans la RVN à partir de la RDVN et de la Piste Ho Chi Minh. Déjà,

en janvier 1966, environ 30% des forces de combat du VC étaient partiellement équipées

avec les versions chinoises d’armes automatiques Kalachnikov. Des mortiers et divers

modèles de canons sont venus gonfler cet arsenal.39 Afin de faire passer l’ensemble de ces

armes à ce qui représentait en 1966 environ 280,000 troupes communistes, il a été nécessaire

d’élargir davantage la Piste Ho Chi Minh en partance du Laos. Bien que les sentiers de la

Piste se rendaient jusqu’au Cambodge, le Laos recelait l’essentiel des routes et sentiers

permettant d’acheminer renforts et réapprovisionnement dans la RVN. Au cours de la saison

sèche de 1965, 6000 tonnes d’éléments de réapprovisionnement ont défilé sur les sentiers du

Laos. Lors de la saison sèche de 1966, 15,100 des 17,000 tonnes d’éléments logistiques ont

également transité par le Laos. La figure 28 met en évidence les nombreuses routes et artères

de la Piste Ho Chi Minh au Laos.40

39 Ibid., p. V-14-V-15. 40 Central Intelligence Agency, Memorandum The Vietnamese Communist Will to Persist, op. cit., p. I-16-I-

17.

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326

Figure 28: Le réseau routier de la Piste Ho Chi Minh au Laos41

41 Ibid., p. I-19-I-20.

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327

Bien que le Laos constituait un terrain névralgique pour le réapprovisionnement des

éléments communistes, le Cambodge faisait également figure de zone géographique

stratégique pour les opérations logistiques du VC et du NVA. Sous l’approbation du Prince

Norodom Sihanouk, la ville portuaire de Sihanoukville est devenue le point d’entrée principal

du Cambodge pour l’acheminement d’armes et de munitions. En 1969, le général Abrams a

reçu l’information que depuis 1966, on suspectait 34 navires de manœuvres de déchargement

d’approvisionnement au bénéfice des régiments communistes. Les Américains ont obtenu

des renseignements encore plus détaillés sur 12 de ces navires qui transportaient d’énormes

cargaisons de munitions. De novembre 1966 à octobre 1968, ces navires ont débardé 12,000

tonnes de matériaux, un chiffre aisément susceptible de doubler si l’on tient compte du fret

des autres cargos.42 Ces chargements d’armes provenaient de l’Union soviétique et de la

Chine communiste qui, pour justifier leurs actes, alléguaient fournir cet armement au

gouvernement cambodgien. Néanmoins, cette décharge revêtait une nature très improbable;

de fait, la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine a supputé que l’usage de munitions

par l’Armée cambodgienne se chiffrait autour de 350 à 450 tonnes par année.43

On se trouvait bien loin du compte, considérant les 14,000 tonnes de munitions

dépêchées par les gouvernements chinois et soviétique. Il aurait fallu beaucoup de candeur

pour croire qu’elles demeuraient entre les seules mains du gouvernement cambodgien. La

DIA a signalé que moult prisonniers de guerre, transfuges et agents ont confirmé qu’un flot

important d’armes a été dépêché dans la RVN via le Cambodge, et ce, avec l’assentiment

tacite de politiciens cambodgiens. Cet approvisionnement quittait Sihanoukville, puis on

l’entreposait au sein des bases d’opérations localisées près de la frontière de la RVN. La part

du lion des armes et munitions utilisées par les communistes au sein des III Corps, IV Corps

et possiblement du II Corps, provenait en grande partie du Cambodge.44 À cet effet, la Piste

demeurait névralgique; les sentiers du Laos convergeaient jusqu’au Cambodge et donnaient

un accès direct aux principales bases d’opérations et à la RVN (voir la figure 29). Nonobstant

cela, la CIA a évalué dans un rapport destiné au Conseiller à la Sécurité nationale Henry

Kissinger, que les routes du Laos endossaient « un rôle beaucoup plus important » pour le

42 Sorley, The Abrams Tape, op. cit., p. 94. 43 Ibid. 44 Ibid., p. 94-95.

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réapprovisionnement de l’adversaire.45 Dans leur globalité, les secteurs géographiques

laotiens et cambodgiens constituaient des secteurs clés pour les communistes et leur système

de réapprovisionnement.

Figure 29: Principales bases d’opération communistes au Cambodge46

45 Ahern, CIA’s Estimates of Arms Traffic Through Sihanoukville, Cambodia, During the Vietnam War, op.

cit., p. 19-20. 46 Central Intelligence Agency, Capabilities of the Vietnamese Communists for Fighting in South Vietnam, op.

cit., p. 14.

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5.2. Les contre-mesures américaines pour bloquer la Piste Ho Chi Minh

La principale contre-mesure des Américains afin de couper le flot de renforts et

d’approvisionnement logistique aux unités communistes a pris la forme d’une exploitation

de bombardements aériens soutenus. À l’abri de leur neutralité, le Laos et le Cambodge se

dressaient comme autant de secteurs géographiques prohibés pour les Forces terrestres

américaines, ce qui n’empêchait toutefois d’aucune façon les communistes d’y opérer en

toute impunité. Néanmoins, les Américains violaient également cette prétendue neutralité en

initiant plusieurs opérations militaires clandestines qui demeurent encore aujourd’hui très

classifiées par le Pentagone. Les forces spéciales du Studies Obversation Group (SOG)

opéraient subversivement dans les campagnes du Laos et du Cambodge afin de traquer les

formations communistes et guider les bombardements des chasseurs et des B-52 de l’USAF.

Le SOG se composait essentiellement de Green Berets, de Navy SEAL, de Commandos de

l’USAF, opérant également aux côtés de Montagnards et de forces spéciales sud-

vietnamiennes.47 Mis à part l’incursion des Forces régulières américaines au Cambodge en

1970, les opérateurs du SOG ont été les seules forces militaires terrestres américaines

autorisées (quoique non officiellement) par Washington à opérer au sein des frontières

laotiennes, cambodgiennes et nord-vietnamiennes.

Les opérations du SOG soulevaient suffisamment d’inquiétude chez les dirigeants

communistes pour qu’ils ordonnent le développement d’opérations de contre-espionnage

spécifiquement conçues pour contrer les opérateurs du SOG.48 Toutefois, Washington

comptait beaucoup plus sur son aviation que sur ses forces spéciales pour enrayer l’utilisation

du réseau logistique communiste. Dès décembre 1964, l’aviation américaine initiait

l’opération BARREL ROLL qui consistait à bombarder des routes d’infiltration à l’intérieur

du Laos. Au cours des premiers mois de 1965, le Président Johnson a ordonné que l’on

accentue les bombardements de manière à couper définitivement l’accès des réseaux

d’infiltration laotiens ouvrant l’accès à la RVN.49 Cependant, les Américains ont rapidement

compris que les bombardements n’avaient pas les effets escomptés. Lors de l’esquisse de son

plan d’opération, le général Westmoreland a envisagé de déployer la 1st Cavalry Division en

Thaïlande pour qu’elle positionne ses troupes à travers le réseau logistique au Laos et ainsi

47 Plaster, op. cit., p. 18. 48 Richard Shultz, The Secret War Against Hanoi, New York. Perennial, 2000, p. xvii, 49. 49 Ahern, Undercover Armies: CIA and Surrogate Warfare in Laos 1961-1973, op. cit., p. 213, 216.

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bloquer l’accès des unités communistes à la Piste Ho Chi Minh. Le général William Depuy

souligne que le MACV a bel et bien initié les préparatifs et la coordination de ce déploiement

de la 1st Cavalry Division. Toutefois, le Département d’État s’est opposé à ce plan.

Westmoreland insistait : il pouvait déployer un corps complet de troupes directement sur la

Piste et forcer ainsi les communistes à livrer combat aux Américains pour préserver l’accès

à leur précieux réseau de réapprovisionnement. Ce plan, qui aurait nécessité plus de troupes,

a également été refusé.50 Dans ses mémoires, le commandant du MACV a confié :

I contemplated moving into Laos to cut and block the infiltration routes of

the Ho Chi Minh Trail, and in 1966 and 1967 my staff prepared detailed

plans for such an operation. I recognized that blocking the trail would

require at least a corps-size force of three divisions, and I would be unable

for a long time to spare that many troops from the critical fight within South

Vietnam.51

Même si Westmoreland avait bénéficié de plus de troupes en 1966 et 1967,

Washington ne se serait pas montré plus enclin à acquiescer à la requête du commandant du

MACV. Un général américain a mentionné avec ironie qu’en 1968, alors que le MACV

disposait de suffisamment de troupes pour initier une telle opération, le « climat politique »

qui sévissait aux États-Unis (pression politico-civile post-Têt) n’aurait pas permis

l’enclenchement d’une telle campagne au Laos.52 Bien que cela ne se soit jamais produit, le

déploiement de troupes conventionnelles américaines au Laos aurait été militairement

avantageux. Malgré qu’aucune analyse militaro-tactique ne soit généralement offerte,

plusieurs observateurs, dont Mark Atwood Lawrence, ont conclu qu’étendre le conflit au

Laos et au Cambodge n’aurait mené à rien. Plus précisément, Atwood Lawrence souligne

qu’aucune initiative américaine n’aurait pu enrayer le flot logistique communiste via la Piste.

Il mentionne que l’essentiel de l’approvisionnement en nourriture provenait de la population

civile sud-vietnamienne, ce qui est corroboré par les statistiques présentées à la figure 27. Il

mentionne également qu’une partie de l’approvisionnement provenait de l’océan et du

Cambodge.53 Néanmoins, Atwood Lawrence néglige de mentionner que les navires et les

aéronefs de l’US Navy patrouillaient activement les secteurs côtiers sud-vietnamiens. Il

50 Brownlee et Mullen, op. cit., p. 133, 162. 51 Combat Studies Institute, Selected Papers of General William E. Depuy, Fort Leavenworth, Training and

Doctrine Command (TRADOC), 1973, p. 350. 52 Ibid. 53 Mark Atwood Lawrence, The Vietnam War: A Concise International History, Oxford, Oxford University

Press, 2010, p. 100.

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aurait été tout simplement impensable de réapprovisionner les communistes par voie

maritime tout en espérant conserver le même rythme effréné d’opérations offensives. De

plus, l’auteur ne fait nulle mention du plan de Westmoreland (décrit dans les prochaines

pages) qui prévoyait déployer quatre divisions pour bloquer la Piste au Laos. Bien

qu’Atwood Lawrence soit justifié d’affirmer que le Cambodge et le port de Sihanoukville

constituaient des secteurs de réapprovisionnement clés, la Piste Ho Chi Minh au Laos

demeurait le véritable nerf de la guerre communiste avec sa proximité à la RDVN. La Piste

incarnait un véritable oléoduc logistique qui ne pouvait s’interrompre sans avoir de sérieuses

répercussions opérationnelles pour le VC et le NVA. Il aurait été purement utopique de voir

les communistes faire passer leur corridor de réapprovisionnement à travers quatre divisions

ennemies déployées en positions défensives renforcées.54 Celles-ci se seraient vues appuyées

par des chars, des blindés, de l’artillerie, de l’infanterie, des ingénieurs, des chasseurs, des

B-52, des barbelés, des zones d’abatage, des champs de mines, des forces mobiles de contre-

attaque et un terrain géographique fort complexe. Un déploiement d’une telle envergure du

MACV sur la Piste aurait forcé Hanoï à faire de cette zone névralgique son effort de guerre

principal.

Paradoxalement, une fois déployées dans un tel environnement au Laos, les Forces

militaires américaines se seraient retrouvées dans leur élément. La tactique de bloquer les

lignes de communications logistiques d’une armée comme celle du NVA relève de doctrines

classiques de guerres conventionnelles parfaitement maîtrisées par les éléments militaires

américains. Le blocage de la Piste Ho Chi Minh n’aurait pas nécessité de programmes

complexes de contre-insurrection, de pacification ou de contacts constants avec la population

civile pour la séparer des insurgés. Ce qu’exige habituellement en partie la conduite

54 Notons que quatre divisions renforcées, telles qu’elles étaient configurées par l’US Army lors de la guerre du

Vietnam, constituaient une force avoisinant les 100,000 soldats (moins d’un cinquième du total de troupes

américaines déployées au Vietnam en 1968). En termes de guerre conventionnelle, le ratio minimum nécessaire

pour attaquer de front une position défensive est de trois pour un. En conséquence, pour espérer effectuer une

percée, il aurait fallu un minimum de 300,000 soldats communistes pour initier un assaut contre une telle

position, ce qui représente près de la moitié du total des troupes qui ont été déployées dans la RVN via la Piste

Ho Chi Minh entre 1960 et 1970 (tel que mentionné plus haut). Qui plus est, il aurait été impératif pour les

communistes de garder la Piste opérationnelle advenant une percée, mission qui se serait avérée militairement

irréalisable dans de telles circonstances. Rappelons que deux divisions de 20,000 soldats du NVA, appuyées

par de l’artillerie et des chars, ont été incapables de saisir une base isolée et en terrain ouvert de seulement 5000

Marines à Khe Sanh lors de l’offensive du Têt.

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d’opérations militaires conventionnelles des forces en présence, c’est l’initiation d’opérations

d’interdiction visant à entraver l’accès des forces adverses à leurs ressources logistiques.

Dans cette optique, la requête de Westmoreland de déployer de larges effectifs au Laos pour

effectuer des opérations défensives et de blocage trouvait toute sa justification. En fait, le

commandant du MACV aurait été taxé de négligence s’il n’avait pas cherché à étendre une

portion de ses effectifs au Laos. Dès 1961, on envisageait de déployer une force de

l’Organisation des Nations Unies de cinq divisions le long de la zone démilitarisée et du

Laos. L’idée a perduré jusqu’en 1964, puis mise au rancart, compte tenu de contraintes

politiques et logistiques.55 Westmoreland et son état-major ont échafaudé d’autres plans pour

enrayer l’exploitation de la Piste. Le plan original consistait à déployer la 1st Cavalry Division

au Laos mentionné précédemment. Le deuxième projet conceptualisé en 1968, baptisé EL

PASO I, prévoyait de répandre deux divisions américaines et de l’ARVN à partir de la zone

démilitarisée pour capturer le secteur de Tchepone au Laos, une zone clé pour les

communistes. Simultanément, une quatrième division américaine se serait déployée de la

Thaïlande à l’Ouest pour faire jonction avec les trois autres divisions à Tchepone. C’est à ce

moment que les forces militaires thaïlandaises se seraient étendues à leur tour pour aller

combattre les unités nord-vietnamiennes au sud du Laos. On a baptisé le troisième plan EL

PASO II; une réplique exacte d’EL PASO I mais dotée d’effectifs moindres.56

Un autre plan a été soumis par le général Bruce Palmer de l’US Army: déployer un

total de 5 divisions (deux américaines, deux sud-coréennes et une sud-vietnamienne) le long

de la zone démilitarisée et trois autres divisions le long de la frontière laotienne jusqu’à la

Thaïlande. Palmer prévoyait aussi l’envoi d’une division américaine supplémentaire dans le

but de stabiliser la situation au sein des hauts-plateaux centraux et la région de Saigon. Les

divisions des Marines dans I Corps auraient joué le rôle de réserve stratégique pour la zone

démilitarisée, en plus de poser une menace de débarquement amphibie pour la RDVN,

forçant ainsi le NVA à initier des opérations de défenses côtières.57 Palmer affirmait que ce

concept stratégique aurait permis aux Forces alliées de combattre les communistes sur le

terrain de leur choix et forcé le NVA à confronter directement les Américains, Sud-Coréens

55 William Westmoreland, A Soldier Reports, New York, Garden City, Doubleday, 1976, p. 137, 154. 56 Ibid., p. 330-331. 57 Harry G. Summers, American Strategy in Vietnam: A Critical Analysis, Mineola, Dover Publications Inc.,

2007 (1983), p. 76.

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et Sud-Vietnamiens pour être à même d’infiltrer leurs forces dans la RVN. Palmer renchérit

en ajoutant que le VC se serait ainsi vu privé d’une grande partie du soutien nécessaire pour

opérer. Sans oublier que le répit opérationnel, ultimement, engendré par ce concept

d’opération aurait invariablement facilité la relance des efforts socio-économiques et

politiques de la RVN.58 De surcroît, si cette stratégie avait été adoptée, la conduite

d’opération de search and destroy se serait trouvée fortement diminuée, restreignant de ce

fait les dommages collatéraux et les pertes américaines dans la RVN. Advenant l’adoption

des concepts d’opération d’EL PASO I et II ou encore de celui du général Palmer, le NVA

n’aurait pas tardé à s’enliser dans une situation très précaire. Dans le chapitre 2, nous avons

constaté que, bien que très résilient, le NVA se révélait inapte, sauf pour une brève période,

à rivaliser avec les Américains à qui une puissance de feu immensément supérieure conférait,

ultimement, l’avantage. Lorsque la pression exercée par les Américains devenait intenable,

le NVA brisait le contact pour se réfugier au Laos ou au Cambodge. Si de tels combats se

seraient produits en plein Laos, on peut prédire que le NVA n’aurait guère été en mesure de

performer différemment contre les Américains; fidèles à leurs habitudes, les unités

communistes auraient combattu avec acharnement mais se seraient en définitive vues forcées

de battre en retraite dans la RDVN.

La doctrine militaire conventionnelle américaine aurait alors dicté aux formations de

combat de l’US Army d’initier la construction de positions défensives renforcées par des

éléments de réserves ou des forces de réaction rapide habilitées à initier des contre-attaques

lors d’une tentative d’assaut des formations communistes sur les positions de défense.

L’épaulement de l’artillerie et un appui aérien qui auraient maximisé l’attrition des éléments

offensifs communistes seraient venus renforcer les troupes défensives. Advenant leur

déploiement dans un contexte de bataille classique tel que celui ci-haut cité, les Forces

militaires américaines auraient alors inévitablement nagé dans leur zone de confort. Quant

aux unités communistes et à leur Piste, la seule voie de contournement possible se serait

trouvée à l’ouest du Laos et à travers la Thaïlande. D’ailleurs, ce scénario d’action n’aurait

pu être envisagé par Hanoï, considérant le niveau de gravité de potentielles répercussions

politiques. Bien que le Laos et le Cambodge toléraient tacitement la présence communiste

sur leur territoire, cette situation aurait endossé un caractère dramatiquement différent

58 Ibid.

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advenant la pénétration du NVA en Thaïlande, un allié de Washington.59 D’autre part, bien

que la Piste Ho Chi Minh soit camouflée par les jungles très denses de l’est du Laos, il en

aurait été tout autrement à l’ouest du pays ou sur le territoire est de la Thaïlande; des secteurs

dépourvus de couverts naturels, constitués de terrain plats, sans oublier la Rivière du Mékong

qui séparait le Laos de la Thaïlande.60 Dans de telles circonstances, les bombardements des

B-52 auraient causé des pertes catastrophiques aux convois logistiques communistes. Nous

avons vu au chapitre 4 qu’en dépit du flot constant de renforts et de logistique communiste

dans la RVN, l’insurrection VC était destinée à se faire éventuellement neutraliser par les

Américains et les Sud-Vietnamiens. On ne peut qu’imaginer l’impact dramatique d’un

déploiement de divisions américaines au Laos sur les Viêt-Cong dans la RVN. Acculés au

fond de cette impasse, nul doute que les communistes auraient tenté de maximiser

l’exploitation de leur réapprovisionnement via le Cambodge. Dans de telles circonstances,

établir un blocus naval pour interdire l’accès aux ports cambodgiens se serait avéré nécessaire

pour enrayer le flot de réapprovisionnement communiste.

Ce plan, nous le verrons plus loin, a été proposé par le Pentagone au Président Nixon.

Néanmoins, du fait que les navires de réapprovisionnement soient soviétiques et chinois,

Washington, usant de prudence, devait mettre au rancart ce plan de contingence. Ainsi,

malgré les multiples requêtes et protestations de Westmoreland, l’effort principal des

opérations militaires avec pour cible la Piste Ho Chi Minh devrait demeurer l’exploitation

des éléments aériens américains et du SOG. Pour toute sa puissance, l’USAF a peiné à freiner

la chaîne logistique communiste. L’opération ROLLING THUNDER, pendant laquelle

l’aviation américaine a bombardé la RDVN, cumulait pour objectifs de décourager Hanoï

d’appuyer l’effort de guerre des unités communistes dans la RDV et de briser la chaîne

logistique qui s’étendait du nord jusqu’au sud. Après deux ans de bombardements intensifs,

la RDVN a, contre toute attente, réussi à continuer de réapprovisionner les troupes

communistes au sud. Un rapport de la CIA expose que l’appui militaire de l’Union soviétique

et de la Chine a favorisé la résilience des dirigeants nord-vietnamiens.

59 Gregory Banner, The War For The Ho Chi Minh Trail, Fort Leavenworth, US Army Command and

General Staff College, 1993, p. 89. 60 Ibid.

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Grâce à ses alliés communistes, Hanoï a pu tirer parti de suffisamment de canons

antiaériens, de missiles sol-air SA-2, de Mig et de radars sophistiqués pour compliquer la

conduite des opérations d’interdiction de l’USAF. La CIA a également fait ressortir que la

Corée du Nord commençait à fournir des aviateurs en appui aux Nord-Vietnamiens.61 Dans

ses rapports, la CIA note que les bombardements n’altéraient en aucune façon la volonté

d’Hanoï de prodiguer son appui à l’effort de guerre du VC. En fait, les leaders communistes

qualifiaient de « tolérables » les dommages économiques résultant des bombardements.62

Afin d’optimiser l’effet de ses bombardements, Washington a entrepris d’exploiter une des

armes les plus redoutables de son arsenal militaire: le bombardier stratégique B-52. Dans

cette visée, le Pentagone a initié dès 1965 une mission aérienne de longue durée baptisée

Opération ARC LIGHT (voir l’annexe 9). Cette campagne spécifique aux B-52 impliquait

d’exploiter les bombardiers pour appuyer les opérations militaires du MACV en Asie du Sud-

Est.63

En 1968, une campagne aérienne appelée COMMANDO HUNT mettant en scène des

chasseurs bombardiers de l’USAF a également été lancée pour bombarder des cibles au

Laos.64 Les pilonnages des B-52, en plus de viscéralement terroriser les communistes, ont

été à l’origine de sérieuses séquelles psychologiques chez les soldats du NVA et du VC. Les

Viêt-Cong sillonnaient la Piste, conscients de l’épée de Damoclès perpétuellement suspendue

au-dessus de leur tête. Truong Nhu Tang, un transfuge majeur du Viêt-Cong, a rapporté

qu’aucune difficulté ou privation ne saurait surclasser la terreur psychologique suscitée par

les bombardements des B-52.65 Au fil de leurs opérations aériennes en Asie du Sud-Est, les

Américains ont largué plus du triple de tonnage de bombes (3 millions de tonnes) de ce qui

a été largué sur la totalité des divers théâtres d’opération de la Deuxième Guerre mondiale.66

Tang a précisé que même à un kilomètre de distance, l’onde de choc d’un bombardement de

B-52 suffisait à rendre inconscient et à déchirer littéralement les tympans des soldats

61 Central Intelligence Agency, Research Report Memorandum for the Director, Subject: The War in Vietnam,

Washington, Central Intelligence Agency, 1967, ProQuest Folder: 002734-004-0001, p. 19. 62 Ibid., p. 19-20. 63 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1960-1968 Part III, op. cit., p. 52-19. 64 Gillespie, op. cit., p. 153. 65 Truong Nhu Tang, A Viet Cong Memoir, New York, Vintage Books, 1986, p. 167. 66 Gillespie, op. cit., p. 170.

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communistes, parmi lesquels plusieurs sont devenus sourds à perpétuité. Une distance d’un

demi kilomètre suffisait pour que s’effondrent les murs d’un bunker renforcé, enterrant

vivants les soldats qui s’y réfugiaient.67 Les cratères des bombes pouvaient atteindre jusqu’à

30 pieds de largeur et frôler les 30 pieds de profondeur. Pendant les pires campagnes

aériennes, les communistes subissaient des bombardements quotidiens, et ce, pendant des

semaines successives. Tang a raconté qu’une délégation soviétique s’est fait surprendre par

un bombardement de B-52 au cours d’une visite. Bien que personne ne se soit fait tuer à cette

occasion, les membres de la délégation en ont littéralement mouillé leurs pantalons et

chevrotaient, agités de « tremblements incontrôlés ». Tang a souligné que le temps et

l’habitude aidant, les vétérans ont appris à subir ces interminables largages avec fatalisme;

les membres du VC et du NVA se sont « résignés » et acceptaient qu’à tout moment, ils

étaient susceptibles d’aller « rejoindre leurs ancêtres ».68 Bien que les bombardements ont

résulté en de nombreux morts et blessés, Tang a mentionné qu’aucun leader militaire ou civil

d’importance n’a été tué entre 1968 et 1970. De fait, il arrivait couramment que les

communistes soient avertis à l’avance des bombardements des B-52.

Lorsque les bombardiers décollaient de leurs bases d’Okinawa et de Guam, les

Soviétiques, à l’affut de leurs déplacements, identifiaient leur azimut, de même que leur

vitesse de croisière. Le renseignement soviétique relayait ensuite les données recueillies au

COSVN qui informait les unités potentiellement ciblées par les bombardements afin qu’elles

se déplacent perpendiculairement à la trajectoire anticipée des B-52. Pour leur part, les

bombardiers décollant de la Thaïlande se faisaient détecter par les radars nord-vietnamiens

qui, en cascade, relayaient les mêmes informations à leurs troupes. Bien que ces

avertissements permettent la fuite de plusieurs unités communistes, leurs bases d’opération

et leurs dépôts logistiques se faisaient parfois complètement anéantir par les B-52. Tang a

témoigné qu’à leur retour, un champ de cratères remplaçait ce qu’ils appelaient jadis « leur

domicile » (voir l’annexe 10).69 Malgré la terreur inspirée par les B-52, les soldats du NVA

et du VC ont fait montre de beaucoup de résilience. À titre d’exemple, un transfuge a relaté

que seulement 40 hommes de son bataillon de 440 soldats ciblés par une attaque de B-52 ont

67 Tang, op. cit., p. 167. 68 Ibid., p. 168, 171. 69 Ibid., p. 168.

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337

survécu au bombardement. Malgré le profond choc engendré par cette hécatombe

apocalyptique, les 40 survivants se sont ressaisis avec promptitude, allant jusqu’à initier une

embuscade contre un convoi adverse.70 Bien que les bombardements soient la cause

d’importantes pertes chez le VC et au NVA, ils se sont avérés très insuffisants pour empêcher

le flot de renforts et de logistique au sud. La CIA a estimé que les troupes nord-vietnamiennes

qui circulaient sur la Piste pour infiltrer la RVN via le Laos en 1966 ont perdu 10 à 20% de

leurs effectifs, mais la plupart de ces estimations penchent davantage du côté du 10% que du

20%. Qui plus est, on a attribué 80% de ces pertes à la malaria et aux autres périls risqués

lors d’une traversée aussi périlleuse dans la jungle. En somme, la CIA a évalué à moins de

10% les pertes communistes attribuables aux attaques aériennes. Néanmoins, ces statistiques

ne comptabilisent pas les désertions massives déclenchées par les bombardements

américains.71 Les attaques aériennes obligeaient les communistes à minimiser l’utilisation

des camions, astreignant ainsi leurs troupes à marcher. Comme autres stratégies

d’ajustements pour parer aux bombardements américains, les communistes ont dû maximiser

les déplacements nocturnes afin de restreindre toute détection et éviter de concentrer les

troupes pour prévenir le plus possible des pertes massives. Immanquablement, tous ces

retournements retardaient le déploiement de forces fraîches au sein de la RVN.72

Des documents saisis ont mis à jour la crainte des communistes face aux dommages

potentiels susceptibles d’être infligés à leurs troupes et à leurs installations par les B-52. Le

VC a dû à maintes reprises relocaliser ses bases d’opérations permanentes pour limiter les

dommages attribuables aux bombardements. La pression exercée par les B-52 a été telle que

le VC a considéré infiltrer des éléments de ses quartiers-généraux au sein de secteurs de

population afin de se protéger des attaques incessantes des bombardiers américains.73 Du

côté du MACV, l’année 1967 n’a en rien amélioré la situation. À prime abord, 90,000 soldats

du NVA ont réussi à traverser le Laos pour pénétrer dans la RDV. Puis, au cours de cette

même année, le colonel communiste Dong Sy Nguyen, nommé au commandement du

Groupe 559, devait déployer de nouveaux QG avancés au Laos, près de la Vallée de l’A Shau

où devait se tenir la bataille d’Hamburger Hill deux ans plus tard. Le renseignement

70 Sorley, Vietnam Chronicles, op. cit., p. 401. 71 Central Intelligence Agency, Research Report. Memorandum, Subject: North Vietnamese Infiltration

Losses, Washington, Central Intelligence Agency, 1967, ProQuest Folder: 002734-005-0001. 72 Ibid. 73 Papers of William C. Westmoreland, #1 History File, 29 Aug-24 Oct 65, op. cit. (PQ 003223-005-0663).

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américain a évalué à 5372 le nombre de camions affairés à transporter la logistique

communiste au Laos. Le Groupe 559 n’a eu de cesse d’améliorer et d’agrandir la piste qui

s’est rapidement transformée en un enchevêtrement encore plus complexe de sentiers de

tailles multiples destinés à s’étendre progressivement sur des centaines de kilomètres. Malgré

les interventions des B-52, le Groupe 559 devait réussir à construire 2959 kilomètres de

sentiers praticables pour les véhicules : 275 kilomètres de routes principales, 822 kilomètres

de chemins de connexion, 576 kilomètres de voies de contournement et 450 routes d’entrées

et secteurs d’entreposage.74 Le Groupe 559 est allé jusqu’à créer une nouvelle route passant

par la zone démilitarisée, permettant ainsi à plusieurs régiments du NVA de s’infiltrer dans

la RVN en utilisant cette voie d’accès.75 Nonobstant ces progressions du côté communiste,

l’USAF estimait qu’elle causait d’importantes pertes à leurs forces et à leurs transports

logistiques. Entre novembre 1967 et janvier 1968, les aviateurs ont localisé 15,441 camions,

en ont attaqué un peu moins de la moitié pour en neutraliser un total de 1646. Le Secrétaire

à la Défense Robert McNamara, plus sceptique, estimait qu’à peine 2% des véhicules avaient

été neutralisés par les bombardements aériens. De bien maigres résultats pour ainsi dire. De

plus, sans que les Américains soupçonnent quoi que ce soit, les communistes ont pu procéder

au déplacement de 81,000 tonnes de réapprovisionnement destinées aux offensives à venir.76

Désireux de maximiser la précision des bombardements, les Américains ont essaimé

des centaines de capteurs au Laos et dans la RDVN; des dispositifs technologiques capables

de détecter les mouvements des véhicules et des troupes communistes et de cibler leurs routes

de prédilection. Lesdits capteurs ont été propagés par la voie des airs ou au sol (via les

opérateurs du SOG). Néanmoins, considérant la taille des secteurs géographiques à couvrir,

un déploiement satisfaisant de capteurs demeurait trop complexe pour que le système soit

adéquatement efficace et exploité à fond par les Américains.77 Pour bloquer les infiltrations

communistes, Robert McNamara a également conçu le dessein de créer une barrière le long

de la zone démilitarisée. Dans cette optique, le Pentagone a initié le programme anti-

74 Gillespie, op. cit., p. 109. 75 Central Intelligence Agency, Research Report A Record of North Vietnamese Infiltration, Washington,

Central Intelligence Agency, 1966, ProQuest Folder: 002734-003-0715, p. 4-5. 76 Gillespie, op. cit., p. 110. 77 Central Intelligence Agency, Research Report Detection of Infiltration During a Cease Fire in Vietnam,

Washington, Central Intelligence Agency, 1968, ProQuest Folder: 002734-006-0428, p. 12-13.

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infiltration DUEL BLADE par lequel on projetait d’ériger une ligne défensive entrecoupée

de capteurs et de places fortes le long de la frontière avec la RDVN, jusqu’à la côte et l’océan

Pacifique. Bien que le projet soit enclenché, des difficultés devaient surgir à profusion pour

compléter la construction des infrastructures qui se trouvaient constamment sujettes aux tirs

d’artillerie et de mortier des Nord-Vietnamiens. Lorsque le siège de la base des Marines de

Khe Sanh a débuté pendant l’offensive du Têt, on a suspendu cette construction.78 DUMP

TRUCK, un nouveau projet de barrière et de capteurs destinés à guider les attaques aériennes

et détecter les infiltrations en provenance du Laos, a été enclenché dans le secteur de la zone

démilitarisée. Ces capteurs, très utiles le moment venu de détecter le flot des forces du NVA

qui attaquaient la base de Khe Sanh, facilitaient également la détection des mouvements

communistes dans la Valée de l’A Shau. À l’été de 1968, la campagne aérienne au Laos et

dans la RDVN continuait à prendre de l’ampleur; en juillet, les missions aériennes effectuées

contre les communistes se chiffraient à 14,647, un fort contraste avec la moyenne atteinte

lors des mois précédents, soit 9149 missions mensuelles. De juillet à septembre 1968, 38,334

missions aériennes ont été lancées, comparé aux 27,447 frappes des trois mois précédents.

En moyenne, les sentiers de la Piste Ho Chi Minh au Laos se sont fait bombarder 4,596 fois

par mois.79

Malgré ces pilonnages, le NVA a réussi l’infiltration de plus de 30,000 soldats par

mois, de juin à août 1968. En juin, le MACV estimait que les effectifs des formations

communistes présentes dans la RVN se chiffraient à 215,000 soldats, faible contraste en fait

si on compare aux 222,000 hommes qui y opéraient en 1965. La CIA a toutefois observé

qu’en 1965, le NVA formait seulement 26% du total des troupes déployées alors qu’en 1968,

ce chiffre tripla presque avec 70%. La qualité des soldats déployés allait également déclinant,

selon les observations de la CIA.80 Ces tendances statistiques démontrent que l’attrition

causée par les Américains sur le VC et le NVA se révélait tout de même, jusqu’à un certain

point, efficace. Néanmoins, les chiffres exposent aussi on ne peut plus clairement l’incapacité

d’entraver le flot de forces fraîches dans la RVN et la réalité à l’effet que les bombardements

ne suffisaient pas à enrayer le système de réapprovisionnement humain et matériel des

78 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1960-1968 Part III, op. cit., p. 52-16. 79 Ibid., p. 52-17-52-18. 80 Ibid., p. 52-18.

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communistes. En 1969, on a largué plus de 433,000 tonnes de bombes sur l’est et le sud du

Laos. Sur une base quotidienne, plus de 500 avions de chasse américains ont multiplié les

missions de bombardement dans le ciel laotien.81 En 1970, l’USAF estimait que ses aviateurs

avaient réussi à neutraliser 31,954 des 66,196 tonnes d’approvisionnement logistique

communiste sur la Piste Ho Chi Minh. On a également évalué que 15,226 tonnes de ces

apports logistiques ayant été consommées pendant le déplacement des troupes, seulement

28.6% du total de l’approvisionnement original a atteint sa destination dans la RVN.

Néanmoins, à l’image de McNamara auparavant, les analystes de la CIA et de la DIA se

montraient plutôt sceptiques une fois mis au fait des statistiques de l’USAF qu’ils jugeaient

trop optimistes. Les deux agences de renseignement américaines ont scindé de 75% les

supputations statistiques de l’USAF.82 En ce qui a trait au Cambodge, il a fallu attendre

l’avènement au pouvoir de Richard Nixon pour que les Américains y initient des opérations

de bombardements. Dès le jour de son inauguration, Nixon a demandé qu’on lui soumette

des options pour bloquer l’acheminement de réapprovisionnement logistique adverse en

provenance du Cambodge.

Le commandant du Joint Chief of Staff, le général Earle Wheeler, a immédiatement

proposé le blocus naval des ports pour empêcher l’acheminement de réapprovisionnement

sino-soviétique via le port de Sihanoukville. Wheeler a également conseillé la conduite de

bombardements similaires à ceux effectués au Laos. Ultimement, Nixon a approuvé

l’initiation de missions de bombardements de B-52 pour cibler les bases d’opération du

COSVN le long de la frontière du Cambodge et de la RVN. Fort de l’approbation

présidentielle, on a initié l’opération MENU, nom de code de la mission de bombardement

des B-52 au Cambodge.83 MENU a été subdivisée en cinq phases principales :

BREAKFAST, LUNCH, DINNER, SUPPER et SNACK. BREAKFAST prévoyait un total

de 68 sorties de B-52 contre un secteur géographique cambodgien surnommé « The Fish

Hook », situé dans le secteur de la Base 352, limitrophe aux Provinces de Kien Tuong et Hau

Nghia. La Base 352 était un important dépôt logistique en plus d’une base d’opération

majeure du COSVN et des unités communistes au Cambodge. Avec LUNCH, on prévoyait

81 Gillespie, op. cit., p. 170. 82 Ibid. 83 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 218-220.

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que les B-52 effectuent 32 sorties dans le secteur tri-frontalier du Cambodge, du Laos et de

la RVN.84 Cette zone abritait la Base 609 qui recélait aussi un autre complexe logistique

majeur. Des éléments du Groupe 559, des agents de renseignement, des officiers de

logistique, le 40e Régiment d’artillerie et 1500 soldats du NVA y opéraient. La Route 110 en

provenance du Laos passait par ce secteur très fréquenté par les transports communistes qui

convoyaient hommes et matériel dans II Corps.85 DINNER projetait en termes d’actions 54

autres sorties au-dessus du Fish Hook.86 Quant à SUPPER, l’opération consistait en un total

de 36 bombardements de la Base 740 située à l’ouest des Provinces de Quang Duc et de

Darlac. Enfin, SNACK réservait à l’ennemi 47 sorties sur la Base 351, située au nord-ouest

de la Province de Phuong Long (voir la figure 29).87 Bien que les rapports des opérateurs du

SOG déployés au Cambodge pour évaluer les dommages de MENU annonçaient que les B-

52 ont infligé des dommages significatifs, ces avaries ne revêtaient pas un caractère

généralisé. Par exemple, un complexe majeur a été frappé lors de BREAKFAST mais sans

que le COSVN soit neutralisé. Toute les bombes ont atteint leur cible; il y a eu de multiples

explosions secondaires, 35 bunkers et 11 huttes ont été détruits lors de BREAKFAST.

Néanmoins, plusieurs tranchées, tunnels et positions antiaériennes sont demeurés intacts.88

Lors d’une des sorties de DINNER, 159 bunkers et 70 structures ont été détruits. Tout comme

lors de BREAKFAST, une quantité d’infrastructures sont demeurées intactes; 83 bunkers, 60

entrées de tunnels, 55 tranchées et 30 positions aériennes restaient opérationnels.89 Lors de

84 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the Secretary of Defense, 21 April

1969, Subject: B-52 Strikes Against Targets in Cambodia (TS), College Park, National Archives, Richard M.

Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p. 1. 85 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the Secretary of Defense, 11 April

1969, Subject: Authority for B-52 Strikes Against Targets in Cambodia (TS), College Park, National Archives,

Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p. 1. 86 Richard M. Nixon National Security Files, Dinner. Memorandum Operation Dinner, College Park,

National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.

1. 87 Richard M. Nixon National Security Files, Supper, Memorandum for the President, Subject: B-52

Operation in Cambodia, College Park, National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject

Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.1. 88 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the President, 14 August 1969,

Subject: Bomb Damage Assessment From Operation Dessert Alpha and Breakfast Delta (TS), College Park,

National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.

3. 89 Richard M. Nixon National Security Files, Dinner. Memorandum Subject: B-52 Strikes in Cambodia, 26

August 1969, College Park, National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-

1974, Section B, Box 3, p. 2-3.

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SUPPER, on a rapporté la destruction de quelques bunkers et entrées de tunnels, sans aucun

dommage observé sur le personnel et les véhicules au sol. Pour sa part, SNACK a abouti sur

la destruction de 13 structures, un nombre indéterminé de bunkers, et maintes entrées

souterraines.90 En gros, voilà ce à quoi se résumaient les dommages de l’opération MENU;

les B-52 ont largué un total de 108,823 tonnes de bombes sur les bases d’opérations

communistes. La mission de bombardement a perduré pendant 14 mois supplémentaires où

les bombardiers ont effectué un total de 3875 sorties.91 Bien que l’opération a causé des

dommages, tout comme au Laos, ce n’était nullement suffisant pour enrayer le flot

d’approvisionnement communiste dans la RVN. Malgré la violence des bombardements, il

était courant qu’une partie des forces du NVA demeure opérationnelle à la suite des diverses

phases de MENU, un fait appelé à être démontré plus loin lors de l’analyse des opérations du

SOG au Cambodge. L’absence de troupes régulières terrestres au sol a exposé les limites

imposées par une campagne qui reposait, quasi strictement, sur l’exploitation de bombardiers

stratégiques.

Six ans de bombardements sur les pistes du Laos et du Cambodge n’ont pas suffi à

enrayer le flot d’approvisionnement communiste dans les quatre Corps de la RVN. Alors que

les bombardements s’intensifiaient, les infiltrations du NVA allaient en progressant. Les

régiments communistes se mouvaient au Cambodge malgré l’intensité des attaques

aériennes. Il advenait fréquemment que des troupes régulières américaines déployées le long

de la frontière avec le Cambodge repéraient des convois entiers des unités communistes

cahotant à l’intérieur de secteurs cambodgiens, zones auxquelles leur gouvernement leur

interdisait l’accès.92 Une situation excessivement frustrante pour les militaires américains

contraints d’opérer dans des conditions aussi restrictives. Pourtant mis au fait de l’impasse,

Washington s’obstinait à empêcher toute intervention pour scinder les lignes de

communications logistiques communistes à l’aide de divisions conventionnelles. De leur

côté, les tentatives en vue d’affliger le réseau logistique communiste dans la RDVN ne

90 Richard M. Nixon National Security Files, Supper. Memorandum for the President. Subject: Bomb Damage

Assessment on B-52 Operations in Cambodia, 22 August 1969, Park, National Archives, Richard M. Nixon

Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.4-5. 91 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 221. 92 Murray et Mansoor, op. cit., p. 280.

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connaissaient guère plus de succès qu’en 1965, à l’époque de l’initiation de ROLLING

THUNDER. En 1972, à la suite de frustrantes négociations qui stagnaient avec Hanoï, les

Américains ont mis en marche l’opération LINEBACKER où pour la première fois, les B-

52 ont bombardé des cibles directement dans la RDVN. Entre le 9 mai et le 15 juin 1972, le

Vietnam du Nord a été soumis à 14,621 missions de bombardements aériens et 836 attaques

navales.93 LINEBACKER II devait prendre le relais au mois de décembre suivant avec ce

que l’on a surnommé the Christmas Bombing. À première vue, les résultats généraux de

LINEBACKER ont paru des plus positifs : les lignes de chemins de fer nord-est et nord-ouest

en provenance de la Chine qui assuraient le réapprovisionnement des Nord-Vietnamiens se

sont fait détruire et condamner. De plus, des routes de trafic destinées aux transports

logistiques communistes dans la RDVN ont aussi été ravagées, forçant l’utilisation de routes

alternatives et de traversiers. Enfin, on estime qu’environ 1100 barges servant de transports

logistiques se sont fait neutraliser. Dans l’ensemble ces bombardements ont

considérablement réduit la capacité des troupes communistes à exploiter leurs lignes de

communication pour déplacer leur réapprovisionnement.94 Sans compter que les

bombardements infligeaient de très sévères dommages aux réseaux électriques et aux dépôts

de pétrole nord-vietnamiens. En effet, les réserves de pétrole communistes déclinaient

dramatiquement, chutant de 103,000 à 40,000 tonnes métriques.95

Quant aux centrales électriques de Lang Chi et de Uong Bi qui pourvoyaient plus de

40% des besoins totaux en énergie électrique de la RDVN, elles ont nécessité des réparations

extensives. La majorité des centrales industrielles du pays sont devenues inhabilitées à opérer

à leur pleine capacité. Néanmoins, en dépit de ces dommages substantiels, la RDVN

demeurait tout de même en état de poursuivre ses opérations dans la RDV. La DIA a observé

que le flot de réapprovisionnement logistique destiné aux troupes communistes a, contre

toute attente, réussi à atteindre le sud. Toujours selon des estimations de la même source,

malgré les bombardements, le statut des dépôts logistiques du NVA restait somme toute

positif et tout ce matraquage de bombes n’a pas empêché la mise en place des phases initiales

de l’offensive printanière d’avril 1972. Il a fallu attendre le mois de juin, lors de l’offensive,

93 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1971-1973 Part I, Washington, Historical Division Joint Secretariat JCS, 1st July 1970, p. 414-416. 94 Ibid. 95 Ibid, p. 415-416.

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pour voir le flot de réapprovisionnement logistique du NVA affecté.96 Le pouvoir d’entraver

le système logistique du NVA pendant l’offensive printanière n’a pas uniquement résulté des

bombardements, mais a aussi été le fruit des opérations terrestres menées par les Forces

régulières de l’ARVN. En améliorant le commandement et le contrôle de leurs opérations,

en assurant une coordination de leurs attaques avec les éléments d’appui-feu, les actions

offensives de l’ARVN ont sévèrement endommagé les lignes de réapprovisionnement et la

logistique du NVA.97 Ceci met en évidence l’importance des troupes terrestres lors de la

conduite d’opérations qui visent les lignes de communication et de réapprovisionnement des

forces adverses. L’aviation, bien que puissante, constitue en fait un complément aux

opérations d’interdiction de l’armée de terre. En dépit de l’importance de son rôle, le moment

venu d’entraver la bonne marche du système logistique communiste, l’USAF a peiné à suffire

à la tâche. C’est dans cette optique qu’on a mis à contribution les forces spéciales du SOG

dans le but d’optimiser l’efficacité des opérations d’interdiction au Laos et au Cambodge.

Bien que perturbateurs pour les formations communistes, les impacts opérationnels des

actions du SOG se sont montrés tout aussi limités que ceux de l’aviation militaire américaine.

5.3. Les opérations clandestines du SOG

Avant même le déploiement de forces militaires de combat au Vietnam, le Président

John F. Kennedy soulignait avec insistance l’importance des guerres irrégulières et du

principe de COIN. À la fin des années 1950, les agents de la CIA étaient déjà très actifs en

Asie du Sud-Est. Lors de la présidence de Dwight D. Eisenhower, la CIA opérait déjà en

Indonésie lors d’opérations visant à enrayer l’influence communiste dans ce pays.98 Au

Vietnam, à l’époque où William Colby occupait le poste de chef de station de la CIA au début

des années 1960, Kennedy avait autorisé l’expansion des opérations de l’Agence dans le Laos

et la RDVN. L’objectif de ces actions clandestines consistait à détecter les infiltrations

communistes au sud et multiplier le réseau d’agents et de saboteurs de la CIA dans la

RDVN.99 En ce sens, le National Security Action Memoranda 52 (NSAM 52) a autorisé la

96 Ibid., p. 416-417. 97 Ibid., p. 417. 98 Andrew Roadnight, United States Policy Towards Indonesia in the Truman and Eisenhower Years, New

York, Palgrave Macmillan, 2002, p. 161-163. 99 John Plaster, SOG The Secret Wars of America’s Commandos in Vietnam, New York, Nal Caliber, 2010

(1997), p. 3.

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CIA à employer des forces d’opérations spéciales pour entraîner et conseiller les opérateurs

sud-vietnamiens destinés à exécuter les missions subversives de Colby.100 Dans une base

située près de la ville de Nha Trang, les opérateurs américains ont entrainé le South

Vietnamese 1st Observation Group commandos à qui a échu la mission d’initier des

opérations de reconnaissance sur la Piste Ho Chi Minh, une voie de circulation qui ne cessait

de croître et de prendre de l’ampleur. Ce groupe de forces spéciales sud-vietnamiennes a

initié 41 missions de reconnaissance sur les routes d’infiltration au Laos. Néanmoins, ces

équipes d’opérateurs se montraient « trop prudentes » pour collecter un volume satisfaisant

de renseignement sur la Piste. La CIA a également formé des tribus de Montagnards afin de

les déployer pour qu’ils reconnaissent la Piste. Toutefois, leur analphabétisme se dressait en

obstacle, le temps venu de lire les cartes topographiques fournies par la CIA.101

Les efforts de l’Agence sont demeurés infructueux, attisant vite l’impatience

croissante de Kennedy. L’incident de la Baie des Cochons en 1961 a incité le Président à

remettre en doute la capacité de la CIA à exécuter des opérations paramilitaires. Ses insuccès

au Laos et dans la RDVN n’ont fait qu’aiguillonner cette perception de Kennedy vis-à-vis

l’Agence de renseignement. Conséquemment, les NSAM 55, 56 et 57 ont transféré la

responsabilité des opérations subversives en Asie du Sud-Est des mains de la CIA à celles de

l’Armée. C’est dans ce contexte qu’en 1963, le CINCPAC a proposé la mise en marche de

l’OPLAN 34A au Secrétaire à la Défense McNamara.102 L’OPLAN 34A proposait le

déclenchement d’une campagne paramilitaire clandestine impliquant quatre objectifs :

premièrement, collecter du renseignement via des opérations de reconnaissance et de captage

de transmissions. Puis, deuxièmement, procéder à des opérations psychologiques ciblant le

leadership et la population nord-vietnamienne. En troisième lieu, initier des mouvements de

guérilla contre les communistes (au Laos et dans la RDVN). Enfin, le quatrième et dernier

objectif consistait à initier des opérations de sabotage et d’embuscades, en plus de désigner

des cibles logistiques et économiques pour le profit de l’aviation américaine.103 McNamara

100 Papers of John F. Kennedy, Presidential Papers. National Security Files. Meetings and Memoranda

National Security Action Memoranda [NSAM]: NSAM 52, re: Report of the Vietnam Task Force JFKNSF-

330-002, Boston, John F. Kennedy Presidential Library and Museum, https://www.jfklibrary.org/Asset-

Viewer/Archives/JFKNSF-330-002.aspx. 101 Plaster, SOG, op. cit., p. 4. 102 Gillespie, op. cit., p. 6-7. 103 Ibid., p. 8.

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a approuvé le programme de l’OPLAN 34A qui est devenu opérationnel sous le Joint Chiefs

of Staff en janvier 1965. Le major John Plaster, vétéran du SOG, a spécifié que la mission de

l’OPLAN 34A constituait l’opération militaire clandestine la plus importante des Américains

depuis celle du précurseur de la CIA pendant la Deuxième Guerre mondiale; l’OSS.104 Le

bras de fer de l’OPLAN 34A était formé du SOG, lui-même composé des Green Berets, de

Navy SEAL, de Commandos de l’USAF, de troupes d’élite des Marines et de forces spéciales

sud-vietnamiennes. Les opérateurs du SOG avaient l’autorisation d’opérer dans la RVN, le

Laos, le Cambodge, la RDVN, la Birmanie, dans plusieurs provinces de Chine du Sud et sur

l’Île d’Hainan.105 En mars 1965, l’organisation responsable des opérations du SOG, le

MACVSOG, a donné son aval au lancement des opérations au Laos qui ont débuté le mois

d’octobre suivant. La mission des opérateurs ciblait spécifiquement les routes d’infiltration

communistes du Laos vers la RVN et les phases initiales de l’opération prévoyaient des

missions de reconnaissance et de sabotage. Les forces spéciales ont établi des bases dans la

RVN et au Laos ; les infiltrations et exfiltrations s’exerçaient via les voies terrestres et

aériennes.

Lorsque les opérateurs localisaient des cibles d’opportunité ou de haute valeur, leur

tâche consistait à transmettre les coordonnées des objectifs à l’USAF à qui on assignait la

mission de bombarder le secteur.106 Bien qu’avant l’automne 1965 aucun opérateur américain

ne soit autorisé à opérer à l’extérieur de la RVN, la situation n’a pas tardé à évoluer avec la

mise sur pied d’équipes mixtes d’opérateurs au sein du SOG; les équipes déployées avaient

généralement pour composantes trois Américains et neuf Sud-Vietnamiens opérant

conjointement dans les jungles du Laos (voir l’annexe 11).107 On menait ces actions dans le

cadre de l’opération SHINING BRASS, plus tard rebaptisée PRAIRIE FIRE.108 En 1966, les

forces de SHINING BRASS ont reçu l’autorisation d’augmenter leur ordre de bataille à 20

équipes de reconnaissance désignées comme Spike Teams. Celles-ci ont établi leurs bases à

Phu Bai (FOB-1), Kontum (FOB-2), Khe Sanh (FOB-3) et Danang (FOB 4),109 tandis que le

104 Plaster, SOG, op. cit., p. 6. 105 Ibid., p. 6-7. 106 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos,

Lubbock, Texas Tech University, Sedgwick Tourison Collection, The Vietnam Center and Archives, Folder

15, Box 07, p. D-1. http://www.vietnam.ttu.edu/virutalarchive/items.php?item=2860715001. 107 Ibid., p. D-21. 108 Ahern, Undercover Armies, op. cit., p. 217. 109 Gillespie, op. cit., p. 79-81.

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couloir nord-sud de la Piste Ho Chi Minh au Laos a été le secteur de responsabilité des

opérateurs attachés à SHINING BRASS (voir la figure 30). Lors de la conduite de leurs

missions, les opérateurs du SOG s’assuraient de minimiser leur empreinte et d’opérer de

manière à ne pas se faire repérer. Ces infiltrations duraient normalement un minimum de 5

jours, et ce, une fois par mois pour chacune des équipes. Au moment où un contact

s’établissait entre les communistes et les forces spéciales du SOG, on exfiltrait ces dernières

d’urgence du Laos.110 Ceci s’explique par les ressources minimales dont disposaient les

opérateurs du SOG pour contrer des régiments entiers des unités communistes. Bien que

composées d’opérateurs de haute qualité, les équipes du SOG n’auraient pu se frotter bien

longtemps aux larges formations du NVA ou du VC. Les opérateurs se déployaient le long

des routes d’infiltrations et formaient des roadwatch teams pour coopérer avec des éléments

de reconnaissance aérienne en vue de pointer l’emplacement des convois logistiques

communistes pour le bénéfice des chasseurs et des bombardiers.

Si on les conduisait avec succès, ces opérations s’exécutaient sans trop de fracas. À

titre d’exemple, l’Équipe Echo du SOG a repéré un secteur de concentration de troupes du

NVA dans les jungles du Laos. On a transmis le positionnement des troupes au contrôleur

aérien avancé qui a relayé l’information à des chasseurs bombardiers A-6 et F-105. Ces

derniers ont procédé au bombardement de la cible, entraînant ainsi la mort d’environ 200

soldats du NVA, la destruction de deux canons antiaériens et de deux dépôts de pétrole. Des

frappes aériennes simultanées sur les secteurs adjacents ont abouti sur des dommages

similaires pour les communistes.111 L’information relayée par les roadwatch teams facilitait

non seulement les frappes aériennes mais également la mise à jour de la cartographie de la

Piste Ho Chi Minh soumise à une constante expansion. Néanmoins, on a dédié seulement 10

équipes de SOG aux opérations de reconnaissance spécifiques au développement de la Piste;

bien qu’il ait pu en déployer davantage, le MACVSOG disposait de peu de secteurs adéquats

au Laos pour infiltrer ses forces spéciales. Sans l’envoi possible de plus de troupes au Laos,

il demeurait fort complexe de collecter un volume satisfaisant de renseignement sur la Piste

et les opérations logistiques communistes.112

110 Ibid.., p. 77. 111 Ahern, Undercover Armies, op. cit., p. 253. 112 Ibid., p. 254.

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Figure 30: Bases d’opération et zones de responsabilités des opérateurs de SHINING

BRASS/PRAIRIE FIRE113

113 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,

September 1968, Lubbock, Texas Tech University, Dale W. Andrade Collection, The Vietnam Center and

Archive, Folder 02, Box 06, p. G-IV-C-1,

https://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=24990602001.

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La CIA a fait comprendre au MACVSOG que les forces de sécurité responsables de

la protection de la Piste rendaient toute pénétration des secteurs clés très hasardeuse pour les

roadwatch teams du SOG. Leur incapacité de déployer un volume suffisant d’opérateurs a

entraîné comme conséquence que l’essentiel des cibles majeures de la Piste, qu’elles soient

statiques ou mobiles, échappaient à la détection des Américains. Mis en face des insuccès de

ses opérations clandestines au Laos, Washington persistait tout de même à s’opposer au

déploiement de troupes conventionnelles pour scinder les lignes de communications

communistes. La Maison-Blanche s’en est tenue à son plan initial en laissant la CIA et le

MACVSOG poursuivre ses opérations subversives, de concert avec l’USAF.114 Néanmoins,

bien loin des bureaux de la Maison-Blanche, la situation devenait de plus en plus complexe

sur le terrain; les défenses antiaériennes nord-vietnamiennes devenaient de plus en plus

efficaces sur la Piste et de nombreux appareils de reconnaissance destinés à appuyer les

opérations du SOG ont été abattus au-dessus des jungles du Laos. Le laps de temps nécessaire

pour la transmission des coordonnées de cibles détectées par le SOG aux éléments aériens

responsables des bombardements dans des secteurs isolés pouvait requérir jusqu’à 18 heures.

En 1967, on a développé un transmetteur technologique (dont l’appellation fait encore

l’objet de censure dans les documents de la CIA) permettant de réduire ce délai à quelques

minutes. Au cours d’une opération, un détachement déployé dans la RDVN, équipé de ce

transmetteur, a repéré un convoi de 37 camions dans la Passe de Mu Gia. En l’espace de deux

minutes, un aéronef de commandement et contrôle a relayé l’information à six chasseurs F-

4 qui, cinq minutes plus tard, ont effectué une mission de bombardement. Des explosions

secondaires se sont poursuivies toute la nuit, preuve que le convoi frappé transportait des

munitions et des matières explosives. Trois jours plus tard, la même équipe d’opérateurs a

réussi à accomplir une mission similaire dans les secteurs avoisinant. Toutefois, les Nord-

Vietnamiens ont développé une telle habileté à camoufler leurs convois qu’il s’avérait de

plus en plus difficile pour l’aviation de bombarder les transports en mouvement avec

précision. De plus, seules 12 équipes du SOG ont été munies de ce transmetteur,115 avec pour

conséquence de limiter la capacité des opérateurs à maximiser le ciblage efficace d’éléments

communistes sur la Piste. L’ensemble du renseignement transmis au compte-gouttes par les

forces spéciales du SOG ne suffisait tout simplement pas à la tâche. Pour pallier au problème,

114 Ibid., p. 254-256. 115 Ibid., p. 257-258.

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le MACV a montré une volonté d’étendre les opérations SHINING BRASS plus en

profondeur, au sein des corridors d’opérations communistes du Laos. Néanmoins, les

hélicoptères n’ont pas obtenu l’autorisation de pénétrer à plus de 12 kilomètres à l’intérieur

des frontières laotiennes. Tout objectif dépassant cette distance devait être atteint à pied par

les forces spéciales; une règle imposée afin d’éviter un esclandre au sujet de l’implication

américaine au Laos.116 De son côté, Westmoreland, qui considérait le Laos comme « une

extension de son champ de bataille tactique au Vietnam », insistait de nouveau pour qu’on

lui donne carte blanche concernant les opérations militaires qui s’y déroulaient.

L’Ambassadeur américain au Laos, William Sullivan, « exprima ses sympathies » à

Westmoreland tout en lui faisant comprendre que lui-seul (Sullivan) et non le MACV

« déterminerait la nature et l’étendue des opérations » au sein des frontières laotiennes.117 À

défaut d’effectuer des missions de reconnaissance plus en profondeur à l’intérieur des

frontières du Laos, le MACVSOG a pu augmenter les effectifs de ses équipes d’opérateurs

en y incorporant de nouvelles recrues sud-vietnamiennes. En 1967, le rythme des opérations

de PRAIRIE FIRE s’est hissé à 37 missions par mois.118

Malgré les restrictions géographiques imposées aux forces spéciales, celles-ci sont

tout de même parvenues à collecter du renseignement de haute valeur qui a facilité le ciblage

d’éléments militaires lucratifs pour l’aviation. PRAIRIE FIRE a également donné lieu à la

destruction de plusieurs caches d’armes et infrastructures communistes attaquées de manière

directe par les forces spéciales au sol. Les opérateurs continuaient à viser les principales

lignes de communication communistes en ciblant notamment les routes 929, 922, 96 et 110

(voir la figure 28).119 Lorsque le SOG a tenté d’opérer dans la région tri-frontalière du Laos,

du Cambodge et de la RDV, la situation s’est corsée. La densité du trafic logistique

communiste dans cette région faisait qu’à chaque nuit, on pouvait détecter des véhicules

nord-vietnamiens le long des routes 96 et 110. Cette artère de la Piste revêtait un aspect à ce

point névralgique pour les communistes qu’ils ont fortifié leur mécanisme de défense dans

ce secteur. Les règles relatives à la limite de distance approuvée pour les incursions s’étaient

116 MACVSOG, op. cit., p. D-28-D-29. 117 Ibid., p. 260. 118 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,

September 1968, op. cit., p. G-IV-1. 119 Ibid., p. G-IV-1-G-IV-2.

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assouplies avec le temps et ce facteur a facilité la destruction de plusieurs cibles communistes

dans le secteur tri-frontalier.120 Néanmoins, le tronçon incarné par les routes 96 et 110 se

trouvait suffisamment protégé pour que les opérateurs du SOG ne puissent s’y déployer sans

recevoir un volume de tir trop élevé sur leurs zones potentielles d’atterrissage.121 Le MACV

a cherché à redynamiser les opérations du SOG en initiant un concept baptisé SLAM, un

acronyme pour Seeking (chercher), Locating (localiser), Annihilating (annihiler), Monitoring

(surveiller). SLAM visait à prévenir la concentration de forces ennemies sur la Piste et

maximiser les missions des opérateurs au sein des secteurs clés. Les opérateurs ont poursuivi

leurs infiltrations, positionné des mines sur la Piste, désigné leurs cibles pour l’aviation et

ont installé des capteurs acoustiques et sismiques sur les lignes de communication

communistes.122 En dépit du fait que les forces spéciales aient régulièrement réussi à localiser

des cibles d’opportunité plus en profondeur au Laos, les éléments d’état-major et politique

ne devaient pas tarder pas à entraver la bonne marche des opérations du SOG. Si une cible

détectée n’avait pas préalablement fait l’objet d’une présélection au cours de la planification

d’une mission, il fallait transmettre un message au CINCPAC et à l’Ambassadeur américain

au Laos pour obtenir leur feu vert avant de frapper l’objectif.

Parfois, la procédure nécessitait même de relayer la requête au Joint Chiefs of Staff à

Washington. Par exemple, cela se produisait lorsque l’Ambassadeur, refusant de confirmer

ou d’approuver la destruction de la cible dans l’immédiat, voulait quérir auparavant l’opinion

du Département d’État avant de donner son aval à l’opération. Si le Département d’État

approuvait la destruction de la cible, la requête se voyait finalement relayée au Joint Chiefs

of Staff et parfois, jusqu’au Président américain. Ce procédé bureaucratique sans fin pouvait

s’étaler sur une semaine. Lorsque l’autorisation de neutraliser la cible se voyait enfin

transmise aux troupes sur le terrain, il advenait très fréquemment que la cible en question se

soit relocalisée autre part.123 Dans de telles circonstances, on ne peut qu’imaginer à quel point

la manœuvre de maximiser l’effet de leur présence sur la Piste Ho Chi Minh s’avérait difficile

120 120 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos, op.

cit., p. D-29. 121 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,

September 1968, op. cit., p. G-IV-2. 122 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos, op.

cit., p. D-30. 123 p. D-29-D-30.

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pour les forces d’opérations spéciales. Bien qu’en terme bureaucratique, un délai d’une

semaine puisse sembler des plus raisonnables, il en va tout autrement pour des troupes de

combat déployées en premières lignes. À Washington, la réalité bureaucratique d’aucuns se

trouvait complètement déconnectée des réalités tactiques et opérationnelles rencontrées au

Vietnam. Plusieurs journalistes ont dépeint les leaders militaires du MACV comme des

geignards lorsqu’ils dénonçaient la micro-gestion des politiciens en lien avec l’esquisse des

concepts d’opérations militaires au Vietnam. Pourtant, des scénarios tels que celui décrit ci-

haut tendent à donner raison aux chefs militaires américains. Un interventionnisme de cette

amplitude rendait très ardu pour les éléments militaires d’accomplir leurs tâches avec

efficience sur le champ de bataille. Même lorsque les opérations de bombardements se

trouvaient possibles et menées à un rythme soutenu, les opérateurs du SOG constataient que

ces actions connaissaient leurs limites. Une des missions des forces spéciales était d’évaluer

le degré de dommages infligés par les bombardements des chasseurs et des B-52. Les

Américains nommaient ces opérations de diagnostic Bombing Damage Assessment (BDA).

Quoiqu’une mission de bombardement d’un B-52 puisse sembler très impressionnante vue

des airs, il n’en allait pas nécessairement de même dans la perspective d’une situation au sol.

À certaines occasions, les observations des équipes de BDA rapportaient le peu de

dommages infligés par suite des bombardements. Dans d’autres cas, on témoignait d’une

dévastation totale; une mer de cratères parsemés de sang et de restes humains jalonnait le

parcours des opérateurs du SOG. Dans d’autres circonstances, des bunkers ont résisté aux

bombardements et le SOG (nous le verrons plus loin) se trouvait confronté à une situation

des plus précaires: un affrontement contre des effectifs lui étant de loin supérieurs en

nombre.124 La situation opérationnelle ne s’avérait pas moins complexe au cœur des

frontières du Cambodge. Afin de cibler le COSVN et les lignes de communication

communistes au sein des frontières cambodgiennes, le MACVSOG a initié le 22 mai 1967

l’opération DANIEL BOONE. Considérant la taille du secteur géographique en question, les

effets opérationnels du SOG ont été encore plus limités au Cambodge. À l’origine, les zones

de responsabilité des opérateurs se limitaient à la région tri-frontalière du Laos, du Cambodge

et de la RVN. Puis, progressivement, elles couvraient les zones Alpha et Bravo le long de la

frontière sud-vietnamienne. On a localisé les bases d’opérations devant servir de tremplin

124 Gillespie, op. cit., p. 179.

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pour initier ces missions de reconnaissance à Dak To, Duc Co, Banh Me Thout et Song Be

(voir la Figure 31).

Figure 31:Zones de responsabilités du SOG lors de l’opération DANIEL BOONE125

125 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,

September 1968, op. cit., p. G-IV-D1.

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L’opération DANIEL BOONE comportait toute une nomenclature de restrictions : au

départ, on a limité l’essentiel des opérations au secteur numéro 1, près du Laos (voir figure

31) et les unités de reconnaissance du SOG ne pouvaient dépasser 12 opérateurs pour une

mission, dont trois Américains au maximum. De surcroît, contrairement au Laos, on a

prohibé les frappes aériennes au sein des frontières du Cambodge (avant l’arrivée de Nixon).

La liste stipulait aussi que l’infiltration et l’exfiltration des opérateurs ne pourraient se faire

qu’à pied; qu’aucun hélicoptère ne serait autorisé à se déployer à l’intérieur des frontières

cambodgiennes; que le temps passé au Cambodge par les opérateurs devait être réduit au

strict minimum; que les forces du SOG étaient tenues d’éviter tout contact avec l’armée et la

population cambodgienne; que l’objectif des opérations était de collecter du renseignement;

qu’il ne pouvait y avoir plus de trois équipes de reconnaissance déployées simultanément au

Cambodge et enfin, que le nombre total de missions ne pouvait dépasser le chiffre de 10 au

cours d’une période de 30 jours.126 Ces restrictions, une résultante de la neutralité factice du

Cambodge, entravaient toute possibilité de localiser avec précision les activités logistiques

communistes au sein des secteurs ruraux cambodgiens. L’ensemble de ces restrictions a

engendré des résultats plus qu’anémiques pour le SOG. Et pour cause. Lors des premières

infiltrations en juin 1967, un total de sept équipes de forces spéciales opéraient au Cambodge

avec pour bilan la mort de sept communistes et la capture d’un prisonnier.127

Le MACVSOG s’est montré très contrarié par ces restrictions, soulignant que de

telles limitations mettaient un solide frein au ciblage « d’éléments ennemis critiques ». De

leur côté, les opérateurs du SOG qualifiaient de « ridicule » cette méthode de combattre. Il a

fallu attendre l’automne de 1967 avant de voir certaines restrictions écartées pour la conduite

de DANIEL BOONE. Envers et contre tout, le Pentagone a réussi à convaincre le

Département d’État d’assouplir les restrictions imposées au MACVSOG au Cambodge.128

Dorénavant, on pourrait infiltrer la zone tri-frontalière jusqu’à 20 kilomètres à l’intérieur des

frontières du Cambodge; à la suite d’une requête faite au CINCPAC 48 heures à l’avance, il

devenait dorénavant possible d’effectuer des opérations dans la zone Alpha; la limite imposée

au nombre de missions est passé d’un maximum de 10 à 30 par mois; il n’y avait plus de

126 Fred Lindsey, Secret Green Beret Commandos in Cambodia, Bloomington, Author House, 2012, p. 64-65. 127 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,

September 1968, op. cit., p. G-IV-3. 128 Shultz, op. cit., p. 235, 237.

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limites imposées le moment venu de déployer des équipes de reconnaissance; cinq incursions

héliportées par mois ne dépassant pas 10 kilomètres de distance avec la RVN ont été

autorisées et enfin, à la suite d’une requête formulée au Joint Chiefs of Staff, 14 jours à

l’avance, il devenait dorénavant possible d’effectuer des missions dans la zone Bravo.

Néanmoins, il demeurait toujours interdit de procéder à des frappes aériennes au

Cambodge.129 Fortes de ces ajustements, les équipes du SOG ont réussi à localiser des forces

substantielles du NVA essaimées tout au long de la Piste Ho Chi Minh qui se prolongeait du

Laos jusqu’au Cambodge. Ils ont également localisé de nombreux bunkers, bases

d’opérations, dépôts logistiques, caches de munitions et des éléments du COSVN.130 Après

six mois d’opérations sous l’égide de ces nouvelles règles, DANIEL BOONE a initié 99

missions dans le secteur tri-frontalier du Cambodge, du Laos et de la RVN. Les opérateurs

de 63 de ces 99 opérations ont réussi à infiltrer le Cambodge pour y procéder. Toutefois, ces

missions se limitaient à des manœuvres de reconnaissance visant à porter à la connaissance

des commandants du MACV les activités des communistes au Cambodge. Au total, 103

communistes ont été tués et deux autres capturés au cours de ces opérations.131

Cependant, de telles actions n’entravaient en rien la capacité du NVA et du VC à

exploiter leurs lignes de communication au Cambodge. Lorsque les opérations aériennes se

sont vues approuvées par Nixon, il arrivait fréquemment que les forces spéciales payent le

prix fort pour apprendre jusqu’à quel point les bombardements accouchaient parfois d’effets

limités. Au cours de l’opération MENU, on a déployé de la province de Tay Ninh une équipe

de BDA du SOG. Sa mission : infiltrer le Cambodge afin d’évaluer les dommages d’un

bombardement de B-52 sur ce que les Américains croyaient être le QG principal du COSVN.

Du haut des airs, les aviateurs ont constaté que 27 explosions secondaires avaient suivi le

largage de leurs bombes sur le site. Aussitôt infiltrées par hélicoptère près dudit site, les

forces spéciales sont tombées sous contact et un violent combat s’en est suivi. La zone,

pourtant massivement bombardée par les B-52, évoquait une véritable fourmilière de soldats

du NVA qui ont déferlé sur la position des opérateurs. Le capitaine Bill Orthman,

129 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,

September 1968, op. cit ., p. G-IV-3-G-IV-4. 130 Shultz, op. cit., 237. 131 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,

September 1968, op. cit ., p. G-IV-4.

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commandant du détachement, reçut deux balles à l’estomac; le reste de son équipe a été

annihilé avant d’avoir pu trouver refuge dans un des cratères de bombes de B-52. Un des

membres d’équipage des hélicoptères a réussi à traîner Orthman jusqu’à un des Huey qui

décolla et s’exfiltra du secteur.132 C’est alors que le supérieur d’Orthman, le capitaine

Randolph Harrison, a reçu l’ordre de ses chefs de déployer un autre détachement dans le

même secteur. Au terme d’une discussion avec ses sous-officiers, Harrison et ses opérateurs

ont refusé d’obtempérer aux ordres de leur chaîne de commandement, ce qui s’est soldé par

trois arrestations pour insubordination. Néanmoins, on a éventuellement levé ces accusations,

non pas dans un élan de magnanimité mais plutôt par crainte de publiciser les opérations

clandestines du SOG.133 Un incident similaire est survenu le 24 avril alors que deux sections

renforcées d’opérateurs initiaient une mission en vue d’établir un BDA d’un autre

bombardement de B-52 ayant ciblé le COSVN. Aussitôt le bombardement complété, l’unité

s’est déployée dans la zone pour investiguer les dommages.

À peine atterris, les opérateurs se sont trouvés sous le feu d’un violent tir de

suppression soutenu du NVA. Les officiers et sous-officiers américains ont tous été tués ou

blessés lors du contact. Après deux heures de combat, les hélicoptères ont enfin réussi à

s’infiltrer et évacuer une quinzaine de rescapés. Cela a été une des opérations les plus

coûteuses en termes de vies humaines pour le SOG.134 Sur les 25 opérateurs déployés, quatre

ont été portés disparus et cinq autres ont péri au combat. Le bombardement de B-52 a échoué

à mettre les soldats du NVA et la base qui les abritait hors de combat; les rescapés de

l’opération ont rapporté que les Nord-Vietnamiens semblaient « en excellente santé » et

qu’ils combattaient avec « agressivité » au cœur d’un réseau de tranchées et de bunkers qu’on

n’a pu détruire totalement. On a également confirmé le repérage de plusieurs entrées de

réseaux souterrains intacts.135 Les pertes encaissées lors de cette opération de BDA ont

choqué le SOG et le MACV. Lorsque le général Abrams a révisé les pertes encourues par le

SOG au cours des deux premiers mois de 1969, il a constaté qu’elles se chiffraient à 15 morts

132 Ibid. 133 Gillespie, op. cit., p. 179-180. 134 Ibid., p. 181-182. 135 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the President Subject: Operation

Breakfast and Lunch, 25 April 1969/Memorandum for the President Subject: Summary of Operation

Breakfast Bravo and Coco and Lunch, College Park, National Archives, Richard M. Nixon Security Files

Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p. 1.

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et portés disparus, 68 blessés et 10 hélicoptères abattus. En retour, les pertes infligées par le

SOG aux forces du NVA étaient évaluées à 1400 morts, un chiffre n’incluant pas les pertes

encaissées lors des bombardements. Au total, environ un opérateur du SOG a été tué pour

100 soldats du NVA tombés au combat, ce qui surclassait le ratio de 15 pour 1 des unités

conventionnelles américaines contre celles des communistes dans la RVN.136 Bien que ces

chiffres puissent paraître intéressants, ils ne réglaient en rien le problème engendré par la

fluidité du système logistique communiste. De plus, la farouche opposition rencontrée par

les équipes du SOG déployées pour effectuer des missions de BDA démontre qu’en dépit de

tout le potentiel de dommages qu’ils étaient en mesure d’infliger, les B-52 se sont révélés

inaptes à anéantir complètement les régiments du NVA positionnés dans les bases

d’opération du Cambodge. De plus, bien qu’on rapporte comme détruits maints abris

souterrains et structures, les observateurs du SOG ont signalé que plusieurs autres bunkers et

souterrains étaient demeurés intacts malgré le pilonnage subi pendant une mission de

bombardement de B-52. En clair, l’aviation ne suffisait simplement pas à la tâche de scinder

les lignes de communication communistes et d’anéantir leurs bases d’opérations.

En ce qui a trait aux opérations du SOG, il ne fait aucun doute que leurs missions de

reconnaissance contribuaient, quoique de façon limitée, à l’effort de guerre du MACV. De

plus, l’ardeur de leurs efforts a fort probablement sauvé la vie de maints soldats réguliers

américains en leur évitant d’être confrontés à un nombre décuplé d’éléments du NVA qui

auraient infiltré la RVN, advenant l’absence des opérations clandestines du SOG. Robert

Gillespie spécifie avec justesse, « qu’aucun capteur ou aéronef » ne pouvait fournir un

volume suffisant de « renseignement détaillé » pour mirer avec précision le bombardement

« de cibles spécifiques lors de la campagne d’interdiction ». Il souligne également que seuls

les opérateurs du SOG étaient en mesure de « fournir de l’information » sur l’évolution du

déploiement des forces communistes et leurs intentions.137 Du côté du NVA et du VC, on

prit le SOG très au sérieux; un transfuge, ancien commandant de régiment du VC, a révélé

que les forces spéciales opéraient avec efficacité le moment venu de capturer ses soldats et

qu’ils « perturbaient leurs lignes de réapprovisionnement ». L’ancien commandant VC a

renchéri en rapportant que les opérations du SOG « affaiblissaient » ses forces et

« heurtaient » le moral des troupes car ils n’arrivaient que très rarement à les enrayer. Il a

136 Gillespie, op. cit., p. 182. 137 Ibid., p. 219-220.

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358

aussi spécifié que les VC reconnaissaient « les habilités et la bravoure de ces soldats

américains » qui détenaient la capacité d’entraver les opérations d’infiltration en provenance

de la RDVN. Il a aussi témoigné que la Piste Ho Chi Minh constituait « la veine jugulaire

logistique » que les Nord-Vietnamiens « ne pouvaient se permettre de réduire ou d’arrêter ».

Nonobstant tout cela, le transfuge a conclu en affirmant que ni les équipes de reconnaissance

du SOG, ni les missions d’interdictions aériennes agissant en appui « posaient une menace

sérieuse » à la Piste Ho Chi Minh. Ce fait s’avérait d’autant plus fondé après l’offensive

conventionnelle américaine au Cambodge, considérant que tous les éléments logistiques

découverts lors de cette campagne ont été déployés pendant les opérations du SOG et la

campagne aérienne MENU.138 Dans un rapport introspectif, le SOG a lui-même exposé les

limites de ses capacités à opérer. À titre d’exemple, on y dénonce les restrictions de la taille

des équipes d’opérateurs pour certaines missions qui auraient nécessité plus de ressources.

Les unités d’appui au SOG pour les infiltrations (par exemple, les escadrons

d’hélicoptères) ne leur étaient pas entièrement dédiées et ne pouvaient donc suivre le rythme

de leurs opérations. Aucune coordination consistante avec les agences mandatées pour

appuyer le SOG (CIA) n’a été mise en pratique, limitant ainsi l’aide que ces organisations

auraient pu être en mesure d’apporter aux opérateurs. Il aurait mieux valu que l’ARVN

appuie certaines opérations du SOG exigeant la présence de forces conventionnelles, en

complément des forces spéciales. À cet effet, le SOG a recommandé que des opérations

multi-bataillonnaires puissent être initiées lors de PRAIRIE FIRE.139 En somme, les

expériences sur le terrain ont amené le SOG à ce constat : il devenait absolument essentiel

de déployer des forces complémentaires aux leurs si on voulait affecter sévèrement le

système logistique des forces communistes. Même armées de toute leur bravoure, de tout

leur dévouement, les forces spéciales du SOG ne pouvaient tout simplement pas freiner de

leurs propres moyens le mouvement constant d’éléments régimentaires et divisionnaires du

NVA et du VC. Une seule alternative subsistait si Washington nourrissait la volonté de

disloquer une fois pour toutes le sous-système logistique de la machine de guerre militaro-

hybride des communistes : initier des opérations conventionnelles au cœur de l’artère

logistique du NVA et du VC. C’est précisément ce que le Président Nixon a ordonné en avril

138 Ibid., p. 220-221. 139 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos, op.

cit., p. D-33-D-35.

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359

1970 alors que pour la première fois, des forces régulières de l’US Army s’apprêtaient à

opérer au sein même des frontières du Cambodge.

5.4. L’incursion militaire américaine au Cambodge

Le 18 mars 1970, Norodom Sihanouk a été renversé et le pouvoir est revenu au

Premier Ministre Lon Nol. En préambule à ce renversement, le climat socio-politique était

devenu effervescent au Cambodge. Le 8 mars, on a assisté à de nombreuses manifestations

civiles au sein des provinces côtières où les contestataires exigeaient le départ des forces

communistes du territoire cambodgien. Deux jours plus tard, ces agitations reprenaient de

plus belle. D’autres manifestants ont élu pour cible de leurs revendications l’Ambassade

nord-vietnamienne à Phnom Penh et ont fracassé les fenêtres du bâtiment à coups de pierres.

Pendant qu’explosaient ces déchaînements populaires, Norodom Sihanouk subissait des

traitements médicaux en France. Lon Nol, son Premier Ministre, qui exerçait le pouvoir par

intérim, a alors pris la liberté d’exiger d’Hanoï le retrait de ses forces du Cambodge dans les

72 heures, ce qui mettait le 15 mars comme date butoir. Le 16 mars, de nouvelles

manifestations anticommunistes ont agité le pays. Finalement, le 18 mars, l’Assemblée

nationale cambodgienne a passé une résolution pour relever Norodom Sihanouk de ses

fonctions de chef d’État. La gouvernance du pays a échu à Lon Nol qui devait conserver ses

fonctions de Premier Ministre, pendant que le personnel nord-vietnamien de l’Ambassade

sise à Phnom Penh quittait le Cambodge pour regagner Hanoï.140

Le nouveau régime khmer de Lon Nol a adopté une ligne « farouchement anti-

communiste » en continuant d’exiger du VC et du NVA le retrait de leurs troupes du

Cambodge. Le mois d’avril suivant, de violents combats ont opposé les unités communistes

à celles des Khmers. Le gouvernement de Lon Nol a été jusqu’à formuler une requête aux

Nations Unies pour mettre fin aux infiltrations communistes au sein du Cambodge. De leur

côté, les régiments du NVA et du VC commençaient à diriger des attaques sur l’ancien port

de Sihanoukville (désormais baptisé Kompong Som) et d’autres provinces côtières du

Cambodge.141 La prise du pouvoir cambodgien par un régime pro-occidental a complètement

changé la position de Washington vis-à-vis de ses relations avec le Cambodge. Il n’en fallait

140 Tran Dinh Tho, The Cambodian Incursion, Washington D.C., U.S. Army Center of Military History, 1979,

p. 29-30. 141 Ibid., p. 16-17.

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360

pas plus pour que le chef du Joint Chiefs of Staff, le général Wheeler, avise le CINCPAC de

conceptualiser des plans potentiels pour intervenir militairement au Cambodge. Le

CINCPAC a été prompt à proposer des opérations offensives contre les sanctuaires

d’approvisionnement communistes, recommandant également plus d’autonomie pour le

commandement du MACV afin qu’il puisse initier des opérations de poursuite au

Cambodge.142 Après maintes discussions et analyses de la situation, les commandants

américains ont proposé de procéder à une offensive majeure dans le secteur des bases

communistes localisées dans le Fish Hook et dans la zone située au sud : le Parrot’s Beak.

Alors que le MACV s’activait au processus de Vietnamisation de la guerre, le général

Abrams a fait connaître sa volonté, à l’effet que ce soit exclusivement les forces militaires

sud-vietnamiennes qui exécutent l’opération. Néanmoins, Abrams a informé le général

Wheeler de la réticence des commandants de l’ARVN à attaquer la zone du Fish Hook sans

la participation des Américains. Malgré son insistance, Abrams n’a pas réussi à convaincre

son comparse sud-vietnamien, ce qui a obligé le commandant du MACV à soumettre un plan

d’offensive conjointe au Joint Chiefs of Staff. La campagne, originellement baptisée

opération SHOEMAKER, a ensuite été renommée TOAN THANG à la demande du GVN.143

Soumis à la pression populaire, le Président Nixon avait promis le retrait des Forces

américaines du Vietnam, un élément qui a motivé sa décision de n’autoriser à l’Armée

américaine qu’une intrusion de 30 kilomètres à l’intérieur du Cambodge. Compte tenu que

Nixon souhaitait minimiser l’empreinte américaine lors de cette offensive, c’est l’ARVN qui,

à l’origine, devait prendre en charge l’essentiel des opérations. Pour leur part, les Américains

les épauleraient par le biais de conseillers militaires chargés d’assurer la coordination des

opérations. Ces conseillers se sont amalgamés aux unités de l’ARVN qui s’apprêtaient à

entrer au Cambodge à partir des III et IV Corps; les Américains fournissaient également de

l’appui aérien, des équipes d’évacuation médicales, et de l’approvisionnement logistique.

Finalement, des éléments d’infanterie de la 1st Air Cavalry Division et de la 25th Infantry

Division américaines se sont aussi greffés aux unités de l’ARVN.144 Bien que Nixon soit

désireux de minimiser la présence américaine lors de cette offensive, il s’est finalement avéré

142 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 232-233. 143 Ibid., p. 253-254. 144 Ibid., p. 254-256.

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que la moitié des troupes déployées était américaine. Le 29 avril 1970, une force totalisant

10,000 soldats sud-vietnamiens et américains traversa la frontière de la RVN pour entrer au

Cambodge.145 L’opération initiale impliquait d’attaquer, puis neutraliser les bases

d’opération 352, 353 et 707 localisées dans la zone du Fish Hook ainsi que les bases 367 et

706 enchâssées dans le Parrot’s Beak. Les bases 350, 351 et 354 seraient aussi appelées à

être sous attaque, mais à un stade ultérieur de l’offensive (voir la figure 32 pour suivre la

première description de bataille). Cette offensive a été purement conventionnelle, d’un côté

comme de l’autre et n’impliquait en rien des opérations de contre-insurrection.

Figure 32: L’incursion initiale de l’US Army et de l’ARVN au Cambodge146

145 Ibid., p. 256. 146 United States Military Academy West Point, « Attack into Cambodia », The Vietnam War. West Point,

https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2031.jpg.

Consulté le 19 novembre 2017.

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Trois bataillons renforcés de l’ARVN ont pénétré au Cambodge à partir du III Corps

et quatre autres formations infiltraient le pays via IV Corps. Dès le premier jour dans le

Parrot’s Beak, l’ARVN a rencontré une forte résistance du NVA qui a perdu 300 soldats par

suite des frappes aériennes et 463 aux mains des soldats sud-vietnamiens. Une quantité

importante d’armes et d’approvisionnements incluant 67 tonnes de riz a été confisquée aux

communistes.147 Le 2 mai, les unités de l’ARVN qui sécurisaient le Parrot’s Beak ont reçu

du renfort de la 9e Division d’Infanterie sud-vietnamienne, de cinq escadrons de blindés et

du 4e Groupe de Rangers. Ces forces ont fait jonction, puis sont passées à la phase

subséquente des opérations : sécuriser la route principale numéro 1. Exploitant sa mobilité et

sa puissance de feu, cette force conjointe de l’ARVN a enveloppé les bases d’opérations

communistes du Parrot’s Beak préalablement pilonnées à souhait par l’artillerie américaine.

Les combats entre l’ARVN et les bataillons communistes ont ragé pendant deux jours. Au

cours de l’affrontement, l’ARVN a découvert une forte quantité de caches d’armes et de

dépôts logistiques. À la conclusion des hostilités, 1010 soldats du NVA avaient trouvé la

mort, 204 avaient été faits prisonniers et 19 avaient opté pour la défection. L’ARVN a pour

sa part perdu 66 soldats et recensé 330 blessés dans ses rangs. Plus de 1000 armes

individuelles ainsi que 60 mortiers et canons sans reculs ont également été saisis. Enfin, les

ingénieurs sud-vietnamiens ont détruit un total de 100 tonnes de munitions.148

Le 5 mai, les Forces sud-vietnamiennes se redéployaient sur la Route numéro 1 et

leurs troupes ont ainsi convergé vers le secteur nord, où une force combinée de l’ARVN et

de l’US Army avait au préalable infiltré le Fish Hook. L’assaut a été précédé de frappes

aériennes de chasseurs et de B-52.149 Suite à ce bombardement, la 1st Air Cavalry Division,

le 11th Armored Cavalry Regiment et une division de parachutistes de l’ARVN ont mis en

marche leur offensive conjointe contre les bases d’opérations du Fish Hook.150 La 25th

Infantry Division et la 1st Air Cavalry Division américaines ont amorcé une série d’assauts

respectifs sur la base d’opération 707 occupée par le COSVN ainsi que sur les bases 352 et

354 (voir la figure 32).

147 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 263. 148 Dinh Tho, op. cit., p. 58-60. 149 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 263. 150 Dinh Tho, op. cit., p. 57-58.

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Ces opérations ont causé de lourdes pertes aux communistes qui se sont également

fait confisquer une importante quantité d’armes, de munitions et d’approvisionnement

logistique. L’offensive évoluait assez rondement pour que le général Abrams ordonne qu’on

étende l’opération à l’ouest, vers la base 354 ainsi qu’au nord du Fish Hook, incluant l’assaut

des bases d’opérations 350 et 351. Abrams alimentait ainsi sa ferme résolution de saisir

l’initiative et de pousser l’offensive au nord du Fish Hook et du Parrot’s Beak jusqu’à

l’atteinte d’un degré de « destruction optimal » des forces et dépôts logistiques communistes.

Il souhaitait en outre activer d’autres offensives plus au nord en vue de cibler les base 701 et

702 et, encore plus à l’ouest, en lançant l’assaut sur les bases 704 et 709. L’extension des

opérations impliquait le déploiement de plusieurs forces, ce qui dégarnirait certaines zones

sud-vietnamiennes des troupes y étant normalement attachées. Néanmoins, Abrams

considérait qu’à court terme, le risque encouru en valait la peine.151 De plus, si on considère

l’état de décrépitude avancée du VC à cette époque, il s’avérait quasi improbable qu’un tel

cours d’action facilite, à courte échéance, une recrudescence des opérations de l’insurrection.

De fait, Abrams escomptait davantage une potentielle réaction majeure du NVA

provenant de la zone démilitarisée vers I Corps. Cependant, le spectre politico-social et

domestique de la guerre commençait déjà à rattraper les Américains. Sans grande surprise,

la presse et les groupes d’opposition à la guerre se sont rapidement insurgés contre les

opérations américaines au Cambodge, de crainte que les troupes se trouvent indéfiniment

coincées dans les tréfonds des jungles cambodgiennes.152 Le 4 mai 1970, la situation politico-

sociale s’exacerba davantage aux États-Unis lorsque la Garde nationale tua quatre

manifestants, en plus d’en blesser neuf autres, sur le campus de la Kent University en Ohio.153

Confronté à cette pression domestique, le général Wheeler, qui avait préalablement accordé

son assentiment au plan d’Abrams, a incité celui-ci à entamer un processus d’action qui lui

permettrait à la fois d’accomplir sa mission et d’annoncer la fin des opérations américaines

au Cambodge, et ce, dans les plus brefs délais. Le général Abrams ne pouvait cacher sa

déception; ses soldats saisissaient l’initiative au Cambodge et, après des mois d’inactivité au

151 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 268-269. 152 Ibid., p. 269-270. 153 Howard Means, 67 Shots: Kent State and the End of American Innocence, Boston, Da Capo Press, 2016, p.

3-4.

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sein de la RVN, les Forces alliées retrouvaient leur « esprit offensif ». Après avoir transmis

une requête au Secrétaire à la Défense et au Président, Wheeler est parvenu à obtenir

l’approbation de la Maison-Blanche pour l’expansion des opérations au Cambodge.154 À ce

stade de l’offensive, des combats faisaient rage sur la quasi-entièreté de la frontière

cambodgienne (voir la figure 33).

Figure 33: L’offensive généralisée du MACV et de l’ARVN sur les bases communistes

du Cambodge155

154 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 270, 275. 155 Dinh Tho, op. cit., p. 52

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Ainsi, les opérations offensives américaines et sud-vietnamiennes s’étendaient en

ampleur avec le déploiement de plusieurs éléments de corps et de divisions qui ont pris

d’assaut une succession de bases d’opérations supplémentaires. Le 5 mai, l’attaque

s’enclenchait sur la base d’opération 702, l’offensive située la plus au nord de la zone de

bataille. L’offensive, précédée de bombardements aériens, a été dirigée par le 4th Infantry

Division américaine et le 40e Régiment de l’ARVN. Lors de ces opérations de search and

destroy, les contacts contre le NVA empruntaient une allure sporadique, ce qui n’a pas

empêché les Forces américano-sud-vietnamiennes de saisir un volume important d’armes,

munitions, ressources médicales et vivres. Le 4th Infantry a poursuivi le ratissage du secteur

jusqu’au 16 mai avant de quitter, alors que l’ARVN y est demeurée neuf jours

supplémentaires afin de sécuriser les derniers recoins de la base 702. Au total, 276 soldats

nord-vietnamiens ont été tués et 18 autres capturés. Du côté allié, 30 soldats américains ont

péri et 16 hommes de l’ARVN sont tombés au combat. Au total, 170 soldats américains et

sud-vietnamiens ont été blessés.156 Le 6 mai, les bases 350, 351 et 354 ont vu venir leur tour

d’être ciblées par l’US Army et l’ARVN.

Fidèles à leurs tactiques, les Américains ont fait précéder l’assaut de la base 354, au

nord du Parrot’s Beak, d’un violent tir de barrage d’artillerie et de frappes aériennes. Par

après, des éléments d’infanterie mécanisée et démontée de la 25th Infantry Division

américaine se déployaient pour saisir, puis sécuriser la base d’opération 354. Lors des

combats, 167 membres des troupes communistes sont tombés au combat et on a découvert

33 tonnes de riz. Un peu plus à l’ouest, les Américains ont mis à jour un autre dépôt logistique

et y ont capturé un assortiment de 200 armes, 3000 livres de riz, 1600 livres de sel et 90

uniformes de VC.157 Le 14 mai suivant, la Brigade s’est redirigée au nord afin d’attaquer la

base d’opération 353, localisée dans le Fish Hook, alors que, parallèlement, la 1st Cavalry

Division s’affairait à sécuriser les bases 350 et 351. Lors de l’assaut de la base 351, les

Américains ont déniché un immense dépôt de munitions et de ressources logistiques. On a

baptisé le secteur « Rock Island East ».158 La quantité d’armes et de munitions découverte

156 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., p. 277. 157 Dinh Tho, op. cit., p. 78-79. 158Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., 277-278.

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dans cette zone était à ce point colossale qu’il s’est avéré nécessaire d’ordonner la

construction d’une route reliant la base 351 à la Route 14 pour permettre le transport du

réapprovisionnement. Sans cette route, il aurait fallu des jours aux hélicoptères américains

pour être en mesure d’évacuer la totalité des armes et munitions communistes à l’extérieur

de la zone.159 Afin de maximiser l’efficacité des opérations de search and destroy, la 1st

Cavalry Division a enrôlé les services de soldats cambodgiens qui convoyaient jadis le

réapprovisionnement logistique communiste du port de Sihanoukville jusqu’aux bases

d’opérations près de la frontière. Dorénavant, ces mêmes troupes guidaient les unités de

reconnaissance américaines qui s’activaient à localiser les zones précises des bases

logistiques.160 Les opérations de ratissage se sont poursuivies et les troupes exhumaient plus

de caches logistiques qu’il leur aurait été possible de détruire, un état de chose qui a forcé le

commandement du MACV à déployer un bataillon supplémentaire de la 1st Cavalry Division

dans la zone d’opération.

Du côté des Forces sud-vietnamiennes, la 5e Division de l’ARVN, transportée par

hélicoptère, a procédé à l’assaut de la base 350. De très larges dépôts d’armes, de munitions

et de riz ont fait l’objet de saisies par les forces de l’ARVN161 qui y ont également découvert

un hôpital équipé d’équipement chirurgicaux, suffisamment vaste pour prodiguer des soins à

500 soldats.162 Le 9 mai, les troupes américaines et sud-vietnamiennes initiaient une

succession d’assauts terrestres et amphibies contre les bases d’opérations 704 et 709. Au

total, 30 gunboats américains et 60 gunboats de l’ARVN ont fait jonction sur le Delta du

Mékong alors que les troupes de la 9e Division de l’ARVN prenaient d’assaut les bases 704

et 709. Cette attaque a été celle localisée la plus au sud de l’incursion cambodgienne et la

première opération sur le Delta du Mékong au Cambodge. Les Marines de l’ARVN ont

débarqué des gunboats en vue de sécuriser certains points critiques et d’évacuer des réfugiés

de la zone de bataille. Des assauts ont également été menés contre les bases d’opération 701

et 740 alors que l’ARVN sécurisait d’autres secteurs et faisait main basse sur d’autres dépôts

159 Dinh Tho, op. cit., p. 79. 160 Ibid., p. 80. 161 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., 278. 162 Dinh Tho, op. cit., p. 81.

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d’approvisionnements logistiques communistes. Pendant ce temps, les opérations

américaines contre les bases 352 et 353 localisées au sud de la Route 7 allaient bon train;

l’attaque de ces bases du NVA a été lancée à partir de trois différents azimuts, sous la

conduite des Américains et des Sud-Vietnamiens. Au cours des combats, les Forces

américaines ont repéré un gigantesque complexe logistique qu’ils ont surnommé « The

City ».163 Ce dernier, couvrant une surface de trois kilomètres carrés, était truffé

d’approvisionnements logistiques : 182 dépôts d’armes et de munitions, 18 bâtiments, un

large centre d’entraînement abritant un champ de tir, une ferme, en plus de larges dépôts de

nourriture, de vêtements militaires, de médicaments et d’équipements médicaux. L’ensemble

de cet approvisionnement était à l’état neuf et l’apparence des bâtiments et des abris

souterrains laissait présager qu’on les avait construits environ deux ans et demi au préalable

alors que d’autres dataient d’environ six mois. Voici le détail de ce en quoi consistait la

quantité d’équipements confisqués dans The City : 1282 armes personnelles (fusils d’assaut

AK-47), 202 mortiers, 319,000 munitions de haut calibre, 25,000 munitions antiaériennes,

1,555,900 munitions pour AK-47, 2,110 grenades à fragmentation, 58,000 livres d’explosifs,

400,000 munitions de 30 millimètres, 22 caisses de mines antipersonnel, 30 tonnes de riz, 8

tonnes de maïs et 1100 livres de sel. Les Américains ont également découvert un dépôt

d’équipement de transmission radio et un centre de maintenance pour les transports

logistiques communistes.164

The City constituait sans l’ombre d’un doute un des secteurs clé du réseau logistique

communiste. Sa neutralisation a porté un dur coup au VC dont, rappelons-le, plusieurs de ses

transfuges ont confirmé à quel point cette opération a brisé les reins de l’insurrection déjà

lourdement éprouvée par les opérations de pacification dans la RVN. Les manœuvres de

ratissage se sont poursuivies tout au long du mois de mai, jusqu’à juin, menant à la découverte

de nombreux autres dépôts logistiques, d’armes, de munitions et de riz. Néanmoins, jamais

on n’a pu coincer ou anéantir le quartier-général du COSVN lors de ces offensives.165 Du

côté politique, Nixon a réussi à obtenir l’appui de ses partisans au Congrès pour que

l’opération cambodgienne s’étende sur une période de six semaines. Dans le cadre de ces

163 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,

1969-1970, op. cit., 278-280. 164 Dinh Tho, op. cit., p. 76-77. 165 Ibid., p. 280.

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conditions, il s’avérait impératif pour les Américains de quitter le territoire cambodgien pour

le 30 juin. À la faveur d’une rencontre avec le Président et le général Wheeler, Abrams a reçu

ces instructions : à la suite du départ des Forces américaines du Cambodge, on poursuivrait

une campagne d’interdiction aérienne mais, en aucun cas, on n’y déploierait d’autres troupes.

Abrams a été en mesure d’autoriser la conduite d’appui aérien tactique pour les unités

américaines déployées dans la RVN près des zones restreintes cambodgiennes, mais sans

plus.166 Les opérations militaires se sont poursuivies tout au long du mois de juin au

Cambodge. Progressivement, les troupes américaines et sud-vietnamiennes commençaient à

évacuer la zone pour regagner la RVN. Le 29 juin, les dernières unités américaines quittaient

le Cambodge. De son côté, l’ARVN commençait son redéploiement à l’est vers la RVN le

20 juin. Lors de ce déplacement, l’ARVN est entrée plusieurs fois en contact avec d’autres

éléments du NVA tout en découvrant de nouveaux dépôts logistiques. Le 30 juin, l’essentiel

des troupes sud-vietnamiennes avait regagné la RVN.167 La figure 34 illustre la quantité totale

de matériel logistique détruit ou confisqué aux formations communistes.

Figure 34: Total des pertes communistes au Cambodge168

166 Ibid., p. 287, 293. 167 Dinh Tho, op. cit., p. 81-82. 168 Ibid., p. 193.

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369

Entre le 1 mai et le 30 juin, un total de 10 opérations majeures ont été initiées contre

12 bases d’opérations communistes dans les zones du Fish Hook et du Parrot’s Beak. Au

moment où l’opération prenait de l’expansion, étendant ses ramifications à l’ensemble de la

frontière cambodgienne, les éléments américains déployés au Cambodge se chiffraient à

32,000 soldats alors que l’ARVN en comptait 48,000. L’approvisionnement logistique et les

armes et munitions capturés auraient suffi à équiper 74 bataillons d’infanterie du NVA, ce

qui équivaut à une vingtaine de brigades ou 5 à 8 divisions (selon leur configuration). Le total

des ressources saisies aurait aussi permis à ces effectifs d’opérer en toute autonomie pendant

un total de 16 mois dans la RVN.169 Le nombre de mortiers et de canons sans recul suffisait

à lui seul à équiper 33 bataillons; le riz saisi aurait pu nourrir 25,200 soldats pendant un an.

La récolte soustraite aux communistes pendant les quelques semaines passées au Cambodge

comportait un plus grand nombre d’armes que la moisson d’arsenal cueillie au cours de toute

l’année de 1968 et 1969 dans la RVN. De surcroît, on a capturé dans la RVN un nombre bien

plus volumineux de munitions et de riz qu’au cours de n’importe quelle année.170

Lors de l’incursion, malgré la présence importante de plusieurs unités, l’essentiel des

troupes du NVA a refusé de combattre les Américains et l’ARVN, préférant se redéployer à

l’ouest où ils ont ciblé civils et militaires cambodgiens.171 Politiquement, l’incursion

cambodgienne a fortement sapé la crédibilité d’Hanoï qui, pendant des années, avait allégué

n’avoir aucune troupe déployée au Cambodge. Bien qu’il ne leurrait personne par ces

fallacieuses assertions, le régime communiste pouvait désormais difficilement nier la

présence du NVA au Cambodge; l’incursion a forcé l’Armée nord-vietnamienne à « faire

surface » et commettre des « actes flagrants de violence ».172 L’invasion a percuté d’un

impact dévastateur l’effort de guerre communiste en contribuant à l’enlisement, de même

qu’au manque de réapprovisionnement du VC déjà complètement débordé par les opérations

contre-insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes dans la RVN. Un ancien membre

du Parti communiste a déclaré que la perte des sanctuaires au Cambodge a été « désastreuse »

pour le VC, une réalité dépeinte lors du témoignage de prisonniers de guerre communistes

(voir le chapitre 4). L’ancien communiste a renchéri en révélant que cette opération les a

169 Lindsey, op. cit., p. 588-589. 170 Sorley, Vietnam Chronicles, op. cit., p. 455-456. 171 Lindsey, op. cit., p. 589. 172 Dinh Tho, op. cit.,p. 181-182.

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privés de leurs installations médicales, de leurs centres d’entraînement, de leur dépôt de

munitions et de leurs réserves de nourriture. Il a aussi indiqué que le Cambodge constituait

leur refuge, un secteur sécuritaire leur permettant de décompresser après un dur séjour au

front. La perte de ces bases d’opération a sevré les unités communistes de leurs sanctuaires,

autant de caches pour s’abriter d’une guerre qu’ils considéraient de plus en plus meurtrière.173

Du côté américain, on a supputé qu’au moins six à neuf mois seraient nécessaires aux

communistes pour réorganiser leurs installations logistiques et les réapprovisionner avec du

nouveau matériel. Un transfuge communiste de haut-rang, le lieutenant-colonel Nguyen

Thanh, a admis que l’incursion cambodgienne « a complètement gâché » les plans du

commandement communiste qui s’apprêtait à déployer les 7e et 9e Divisions du NVA dans

le secteur de Phnom Penh, en vue de saisir la capitale cambodgienne. Une fois ce plan

exécuté, les communistes projetaient de lancer une offensive militaire conventionnelle contre

Saigon, une opération destinée, en termes d’intensité, à se comparer à l’offensive du Têt de

1968. Cette campagne offensive a péri dans l’œuf grâce aux opérations militaires américaines

et sud-vietnamiennes dans les bases d’opérations cambodgiennes.174

Dans la RVN, la perte des bases d’opérations a contraint le VC, déjà victime d’une

violente attrition de Phoenix et du CORDS, à disperser et étendre ses troupes dépourvues de

renforts et de réapprovisionnement. La perte des bases communistes devait également forcer

un redéploiement de leurs forces de combat dans la zone démilitarisée et le Laos, ce qui a

engendré une multitude de lacunes et de difficultés supplémentaires pour le VC et le NVA.

Le moral des troupes communistes a été profondément affecté par cette campagne,

particulièrement dans les III et IV Corps, secteurs qui dépendaient le plus du

réapprovisionnement en provenance du Cambodge.175 Néanmoins, malgré tous les

dommages infligés par cette campagne militaire, le réseau logistique communiste et la

capacité à opérer du NVA ne s’en sont trouvés que temporairement affectés. À l’extérieur

des bases d’opération, 40,000 troupes nord-vietnamiennes opéraient impunément dans le

nord-est du Cambodge. Afin de pallier les pertes catastrophiques engendrées par l’incursion,

les communistes ont réajusté leur processus de réapprovisionnement en maximisant

173 Moyar, op. cit., p. 264-265. 174 Dinh Tho, op. cit., p. 173. 175 Ibid., p. 175.

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l’exploitation des pistes du Laos. Avec le temps et l’absence de troupes de sécurité statiques,

les communistes pourraient également rétablir leurs bases d’opérations au Cambodge et ainsi

réactiver leurs lignes de communication et de réapprovisionnement dans la RVN.176 Sans

l’appui des Américains, l’Armée cambodgienne s’est trouvée démunie le temps venu de

confronter les troupes aguerries du NVA près de la frontière de la RVN. À ce stade de la

guerre, il était hors de question pour Washington de déployer des troupes au Cambodge en

vue d’assister Lon Nol dans sa lutte contre les communistes qui violaient la souveraineté du

pays. Du côté du GVN, on n’a pas cherché à conceptualiser de plans pour assurer

l’interdiction continuelle des bases d’opérations communiste au Cambodge. En conséquence,

les résultats générés par l’incursion cambodgienne ont été éphémères.177 En 1971, l’ARVN

a cherché à initier une opération similaire à celles de l’incursion cambodgienne au sein des

frontières du Laos. Baptisée LAM SON 719, cette opération devait voir l’Armée sud-

vietnamienne prendre l’entière charge de son exécution. L’apport des Américains s’est limité

à des hélicoptères pour le transport de troupes et des chasseurs pour de l’appui aérien

rapproché. Tout comme au Cambodge, cette opération s’est avérée être de nature purement

conventionnelle et excluait, avec raison, toute notion de contre-insurrection.

Le 8 février, des unités d’infanterie, de Marines et de Rangers sud-vietnamiens

infiltraient le Laos afin de bloquer la Piste Ho Chi Minh. Néanmoins, le NVA, doté d’effectifs

s’élevant à 20,000 soldats, attendait les combattants de l’ARVN de pied ferme. De l’artillerie,

des chars, et des armes antiaériennes appuyaient les troupes nord-vietnamiennes et une

réserve de 16,000 soldats supplémentaires était aussi déployée au sud, prête à coincer les

forces de l’ARVN dans un gigantesque mouvement de tenaille. De plus, contrairement au

contexte ayant sévi lors de l’incursion cambodgienne, les lignes de réapprovisionnement et

de communication nord-vietnamiennes ne se trouvaient pas dispersées sur des centaines de

kilomètres compte tenu de la proximité de la RDVN.178 LAM SON 719 a coûté la vie de

1500 soldats à l’ARVN qui a également dénombré 5400 blessés. Le NVA a pour sa part

perdu16,224 soldats, 75 de ses 110 chars ont été détruits et des tonnes de dépôts logistiques

saisis ou anéantis. Les Américains ont perdu 82 hélicoptères et sept chasseurs, en plus de

176 Ibid., p. 182. 177 Ibid., p. 183. 178 Murray et Mansoor, op. cit., p. 282-283.

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dénombrer 55 morts, 178 blessés et 34 portés disparus.179 LAM SON 719 a démontré

l’évidence : lors de ses confrontations face au NVA, l’ARVN nourrissait une dépendance

tenace envers l’appui aérien américain. La preuve : les chasseurs de l’USAF et de la Navy

ont dû effectuer 90,000 sorties lors de cette seule offensive.180 Cette réalité s’est également

trouvée esquissée lors de la chute de la RVN aux mains des communistes en 1975; aucun

appui aérien américain n’a épaulé l’ARVN, ce qui devait résulter en son passage à tabac par

le NVA. Les difficultés rencontrées par les Forces sud-vietnamiennes au Laos ont eu en

grande partie pour conséquence l’absence de conseillers et de troupes américaines pour

opérer à leurs côtés. La présence de ces conseillers lors de l’offensive printanière de 1972

avait galvanisé l’ARVN (de concert avec les B-52) dans ses opérations de contre-attaque.181

De plus, ces assistants militaires s’avéraient des experts en matière de coordination des

ressources et d’opérations combinées. En situation de combat, leur expertise leur a permis de

coordonner l’appui des éléments héliportés et aériens ainsi que le commandement et le

contrôle des opérations conventionnelles impliquant chars et infanterie. Il est

malheureusement notoire que les officiers de l’ARVN ne bénéficiaient ni de la même

expertise, ni de la même confiance en leurs moyens que leurs comparses américains.182

LAM SON 719 a longtemps été exposé comme une véritable catastrophe pour les

Forces armées sud-vietnamiennes. Néanmoins, les pertes communistes cumulaient un

nombre immensément plus sévère, sans compter que l’opération a permis à l’ARVN de cibler

les coordonnées des secteurs clés du réseau de réapprovisionnement communiste, opération

impossible à exécuter du haut des airs. Les soldats sud-vietnamiens ont également pu

positionner 15,000 mines sur le réseau de transport communiste qui infiltrait la RVN.

L’opération a forcé Hanoï à redéployer trois à quatre divisions du NVA préalablement

positionnées dans la RVN pour protéger la Piste Ho Chi Minh d’une nouvelle incursion de

l’ARVN au Laos. La manœuvre a causé suffisamment de problèmes pour que l’Armée nord-

vietnamienne ne puisse initier d’attaques majeures dans la République du Vietnam pour le

reste de 1971.183 Bien que les incursions cambodgienne et laotienne aient sévèrement

endommagé le réseau logistique communiste, l’effet ne pouvait qu’être précaire sans la

179 Young, op. cit., p. 214. 180 Ibid., p. 214. 181 James H. Willbanks, A Raid too Far, College Station. Texas A&M University Press, 2014, p. 198. 182 Ibid. 183 Ibid., p. 214, 219.

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présence de troupes et de positions défensives permanentes au sein des frontières du

Cambodge et du Laos. L’obstination de Washington à empêcher Westmoreland d’exécuter

son plan d’action au Laos en 1965, la réticence à appuyer militairement Lon Nol contre le

NVA au Cambodge et le départ de l’ensemble des Forces armées américaines de la RVN ont

été autant de décisions qui devaient éteindre toute possibilité de provoquer la dislocation du

sous-système logistique de la machine de guerre communiste au Vietnam.

5.5. Conclusion

Le présent chapitre a cherché à montrer que le système logistique communiste

constituait un élément névralgique de l’effort de guerre du NVA et du VC dans la RVN. La

Piste Ho Chi Minh, qui s’initiait à partir de la RDVN, longeait le Laos, puis faisait jonction

avec les sentiers d’approvisionnement du Cambodge. Au cours du conflit, des centaines de

milliers de soldats ainsi que des tonnes d’armes, de munitions et autres approvisionnements

logistiques se sont fait convoyer via ces sentiers pour aller renforcer les éléments

communistes dans la RVN. Dès sa prise du commandement du MACV, Westmoreland a

immédiatement voulu procéder à la dislocation des lignes de communication et de

réapprovisionnement communistes au Laos en y déployant plusieurs divisions. Cette requête,

qui s’accordait à l’élaboration d’un plan d’action conforme aux règles usuelles de guerre

conventionnelle, a constamment été refusée par Washington soucieux de ne pas élargir le

conflit et de respecter la prétendue neutralité du Laos.

Ce déni a facilité l’exploitation de la Piste, constamment réparée et entretenue par le

Groupe 559. Afin d’enrayer le flot d’approvisionnement logistique communiste, la campagne

de bombardement ARC LIGHT et une série d’autres opérations aériennes ont reçu

l’approbation de la Maison-Blanche. Pour faciliter la localisation des bases d’opérations clés

du NVA et du VC, le MACV a déployé des forces d’opérations spéciales du SOG pour

effectuer des missions de reconnaissance, notamment au Laos, au Cambodge et dans la

RDVN. Ces opérateurs assuraient le ciblage des lignes de communication et des zones de

rassemblement communistes ce qui, en principe, aurait dû entraver le réseau logistique du

NVA et du VC. Néanmoins, ces efforts se sont révélés vains ; le SOG, déployé dans un

environnement extrêmement hostile, s’est souvent trouvé confronté à des régiments entiers

du NVA. Sans la présence de troupes conventionnelles alliées pour assister les opérations de

reconnaissance du SOG, leurs missions ne pouvaient suffire à la tâche. De plus, les multiples

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opérations de Bomb Damage Assessment des opérateurs du SOG ont souligné l’évidence que

les bombardements américains ne pouvaient, à eux-seuls, enrayer le réseau logistique

communiste. De l’aveu même des communistes, ce ne sont ni le SOG ni les bombardements

qui causaient une réelle menace à la Piste mais plutôt l’incursion des Forces régulières

américaines et sud-vietnamiennes au Cambodge. L’opération TOAN THANG a vu des

dizaines de milliers de soldats de l’US Army et de l’ARVN s’infiltrer dans les jungles

cambodgiennes en vue d’anéantir les bases d’opérations du réseau logistique communiste.

La quantité titanesque d’équipement détruite ou confisquée a démontré à quel point l’effort

de guerre d’Hanoï reposait sur sa base logistique. Toutefois, cette opération ne pouvait suffire

à la tâche. D’une part, les Forces américaines et sud-vietnamiennes ne laissaient aucune force

ni positions défensives statiques au sein des bases d’opérations communistes au Cambodge

en vue d’empêcher leur éventuelle réoccupation par le NVA et le VC. D’autre part, le Laos

est demeuré constamment hors de portée des Forces régulières américaines, ce qui a empêché

d’endommager avec autant de sévérité qu’on l’aurait souhaité les bases d’opérations

communistes de ce secteur.

En 1971, l’opération LAM SON 719 a cherché à répéter les succès de TOAN THANG

avec le déploiement de l’ARVN sur la Piste Ho Chi Minh au Laos. Néanmoins, cette initiative

ne devait connaitre que des résultats opérationnels limités vu le retrait des régiments de

l’ARVN du Laos à la suite de l’opération. À l’image de l’offensive printanière qui allait avoir

lieu l’année subséquente, l’Armée sud-vietnamienne a fait montre d’une grande dépendance

à l’appui des Américains une fois confrontée au NVA. Le départ des Forces militaires

américaines de la RVN et l’inoccupation des zones de ravitaillement communistes au

Cambodge et au Laos ont rendu caduque toute possibilité d’enrayer le flot éventuel de

nouvelles forces bien réapprovisionnées du NVA dans la RVN. Le déclenchement de

l’offensive printanière communiste en constituait la preuve patente ; des dizaines de milliers

de troupes conventionnelles du NVA ont attaqué le sud avec chars, infanterie et artillerie qui

ont ciblé l’ARVN sur de multiples fronts via la zone démilitarisée, le Laos et le Cambodge.

Rétrospectivement analysé, il aurait été essentiel pour les Américains de procéder au plan de

Westmoreland et de bloquer sans attendre la Piste Ho Chi Minh au Laos. Sans l’exploitation

de ce plan d’action, aucune victoire n’était possible dans le cadre du conflit hybride de la

guerre du Vietnam. Dans les faits, la guerre, aurait-elle été exclusivement conventionnelle,

cette initiative se serait avérée tout aussi nécessaire pour éradiquer l’effort de guerre

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communiste dans la RVN. Les Forces américaines déployées dans un contexte défensif tel

que celui-ci, auraient opéré dans leur élément naturel, c’est-à-dire, une guerre de nature

conventionnelle avec l’établissement d’une succession de positions défensives divisionnaires

disposées en profondeur, capables d’initier des opérations de défenses, couplées à de

violentes opérations de contre-attaques et d’appui aérien soutenus. Ces doctrines ont été

spécifiquement conçues pour contrer une offensive majeure de divisions conventionnelles de

l’Armée soviétique, la seule véritable force militaire capable de rivaliser de façon directe

avec les Forces armées américaines. Ces dernières se seraient montrées plus que capables

d’affronter l’équivalent conventionnel de l’Armée nord-vietnamienne dans un contexte

similaire sur la Piste Ho Chi Minh. Ce potentiel scénario a suscité l’inquiétude du leadership

communiste qui, ultimement, n’a jamais vu son réseau logistique menacé de façon critique à

long terme. Nonobstant ces réalités militaro-tactiques et opérationnelles, on a souligné à

maintes reprises que l’occupation de la Piste n’aurait rien changé à l’issue du conflit. Il est

difficile d’acquiescer à ce type de commentaire lorsqu’on analyse l’impact majeur de

l’opération cambodgienne qui s’est étendue sur une durée de quelques semaines seulement.

L’unique raison ayant causé le caractère éphémère des effets de l’incursion à long

terme a été la résultante de la non continuation des opérations d’interdiction au cœur même

du réseau logistique communiste. Sans le blocage continu des lignes de réapprovisionnement

d’une armée, cette dernière pourra pallier ses manques et invariablement, continuer à opérer

et à combattre. Ces règles s’appliquent à l’ensemble des guerres et conflits qui jalonnent

l’histoire, de l’Antiquité au 21e siècle. Que serait-il advenu si la Royal Navy n’avait coulé

qu’un seul des fréquents convois de navires destinés à réapprovisionner Rommel en Afrique

du Nord? Que serait-il arrivé si les Soviétiques n’avaient pas bloqué les lignes de

communication et de réapprovisionnement de la Wehrmacht lorsque la 6e Armée allemande

s’est trouvée coincée à Stalingrad? Que serait-il advenu si les Alliés n’avaient pas cherché à

contrer les opérations d’interdiction des U-Boat dans l’Atlantique? Ces questions peuvent, à

première vue, sembler incohérentes car il apparaît évident que les parties concernées

n’auraient jamais adopté des options militaro-tactiques aussi insensées et contre-productives.

Pourtant, ce non-sens militaro-tactique incarne de manière littérale les options privilégiées

par la Maison-Blanche une fois confrontée au spectre logistique communiste. Le

déploiement de divisions américaines à l’extérieur de la RVN aurait forcé le NVA à

combattre directement son adversaire s’il avait voulu conserver l’atout maître de sa précieuse

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Piste Ho Chi Minh. Dans la République du Vietnam, le NVA, perpétuellement surclassé à

long terme par son adversaire, s’est trouvé constamment poussé à chercher refuge au Laos et

au Cambodge. Confronté à un tel scénario au Laos, la seule échappatoire du NVA aurait été

de regagner la RDVN. On ne peut qu’imaginer les impacts bénéfiques de ce cours d’action

sur la stabilité et la sécurité des secteurs ruraux de la RVN qui, malgré le flot continu de

renforts communistes, a vu l’insurrection anéantie peu à peu.

Quoi qu’il en soit, rien de cela ne devait se produire ; malgré les résultats positifs de

TOAN THANG et de LAM SON 719, c’était trop peu trop tard. Le cours d’action privilégié

par les Américains pour enrayer le réseau logistique communiste a invalidé les bénéfices

potentiels de ces deux opérations à long terme. Le NVA a été en mesure de retraiter pour

panser ses plaies et ensuite, sans contraintes aucunes, réexploiter la Piste Ho Chi Minh. Cette

voie constituait un élément névralgique dans le déploiement des divisions communistes qui

ont envahi et provoqué la chute de la République du Vietnam en avril 1975. Ainsi, malgré

tous les efforts déployés, les Américains ont échoué à disloquer le sous-système logistique

de la machine militaire communiste. Lorsque les Forces armées américaines ont quitté le

Vietnam en 1972, le seul sous-système incontestablement amputé a été celui de l’insurrection

du Viêt-Cong. Les sous-systèmes de guerre conventionnelle du NVA et du système

logistique communiste demeuraient toujours opérationnels et ont, ultimement, suffi à vaincre

de façon définitive l’ARVN qui, en 1975, ne bénéficiait plus de l’appui militaire direct des

Américains.

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CONCLUSION

Cette thèse a mis en évidence les facteurs militaires responsables de l’incapacité des

Américains à stabiliser radicalement le théâtre d’opération vietnamien et à empêcher

l’inexorable chute de la République du Vietnam aux mains des communistes. Le chapitre 1

à exposé la complexité des dynamiques d’insurrection, de contre-insurrection et de guerre

hybride. La doctrine privilégiée par Vo Nguyen Giap et les éléments insurgés du VC a en

grande partie été calquée sur les doctrines de Mao Zédong. La survie et le bon

fonctionnement de l’insurrection communiste (et de toute insurrection) dépendent de la

liberté d’action des insurgés à pouvoir se mêler à la population civile et gagner son appui,

qu’il soit volontaire, tacite ou forcé. Les cadres politiques communistes se voyaient imputer

la responsabilité d’assurer la continuation du contrôle exercé sur la population et d’en tirer

les éléments nécessaires à l’effort de guerre du Viêt-Cong : renseignement, nourriture,

approvisionnement logistique, sanctuaires, sans oublier le plein de nouvelles recrues à greffer

aux forces de combat de l’insurrection. Une fois amputée de cet appui soutenu de la

population, l’insurrection perdrait ses moyens et ne serait plus en mesure de continuer à

opérer au sein des secteurs ruraux. Le concept de contre-insurrection vise à faciliter l’atteinte

de cet objectif en maintenant la scission entre insurgés et population civile.

Pour ce faire, les forces contre-insurrectionnelles doivent impérativement sécuriser

les secteurs ruraux et déployer des forces permanentes auprès des civils pour les protéger des

insurgés. Les étapes suivantes du processus à suivre pour les forces contre-insurrectionnelles

consistent à améliorer les conditions socio-économiques de la population, assurer le bon

fonctionnement du processus de gouvernance rurale et maximiser les opérations

psychologiques à l’endroit de la population civile et des insurgés. Au 20e siècle, on a vu ces

doctrines en grande partie conceptualisées et adaptées aux réalités de la guerre moderne par

une succession de stratégistes et de tacticiens. Deux des experts les plus réputés en la matière

étaient sans conteste le lieutenant-colonel David Galula qui a vu ses doctrines copiées par les

Marines au Vietnam ainsi que Sir Robert Thompson. Lors du déploiement de ce dernier avec

le BRIAM pour assister le gouvernement de Ngo Dinh Diem au Vietnam en 1960, il y a

transposé son concept d’opération. De concert avec les conseillers américains du MAAG

commandé par le général McGarr, Thompson a redynamisé les opérations de COIN des

Forces sud-vietnamiennes. Tant et si bien qu’en 1963, elles ont surpassé le Viêt-Cong qui a

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exposé sa vulnérabilité face aux doctrines qui avaient précédemment entravé les opérations

des insurrections du FLN et du MNLA. Les hameaux stratégiques ont rempli leur mission en

séparant les insurgés de la population rurale vietnamienne ; le VC rencontrait énormément

de difficultés à exploiter ses lignes de communication et perdait progressivement le contrôle

d’une grande partie des secteurs ruraux de la RVN. Malgré les ratés du départ, le GVN se

trouvait en bonne voie de vaincre le VC en 1963, une réalité corroborée par Robert Thompson

et par les communistes. Néanmoins, plusieurs médias ont dessiné un portrait fort différent de

la situation opérationnelle au Vietnam. La presse a fait preuve d’une objectivité plus que

douteuse, ne cachant pas un mépris des plus total pour Diem qui est devenu la proie de

dénonciations constantes. Le programme d’hameaux stratégiques a aussi été dénoncé par

plusieurs médias qui tendaient à troquer leur métier de journaliste pour s’improviser

tacticiens et stratèges militaires. Cette tangente, très frustrante pour les militaires de même

que pour le Président Kennedy, a soulevé un vent d’inconfort parmi d’autres médias,

particulièrement le Time Magazine, qui ne s’accordait en rien au modus operandi

journalistique de l’ensemble de la classe journalistique à Saigon.

Cette dernière, dénuée d’impartialité, n’hésitait pas à jeter le voile sur les défaites et

les atrocités commises par le VC contre la population civile qui refusait d’appuyer

l’insurrection. En revanche, les bourdes et les défaites de l’ARVN et les interventions

policières du GVN contre les violentes manifestations bouddhistes faisaient les choux gras

de la Une des tabloïdes. De plus, maints politiciens américains, dont l’Ambassadeur Henry

Cabot Lodge, exerçaient beaucoup de pression sur Diem afin qu’il modère ses politiques,

notamment contre les opposants bouddhistes. Bénéficiant de l’accord tacite des Américains,

une junte de généraux devait renverser Diem qui a été assassiné avec son frère Ngo Dinh

Nhu ; ce démantèlement du pouvoir en place a entraîné la fin du programme d’hameaux

stratégiques dans la RVN. Le VC a alors fait de la destruction des hameaux son cheval de

bataille prioritaire et il a fallu très peu de temps pour que la grande majorité des secteurs

ruraux retombent aux mains de l’insurrection VC. En 1965, la situation atteignait une

précarité telle que Washington, suivant l’adoption de la Résolution du Golfe de Tonkin, a

autorisé le déploiement de plusieurs divisions américaines au Vietnam. De nombreux mois

avant la dépêche des premières unités de combat américaines, Hanoï initiait le déploiement

des premiers régiments réguliers de l’Armée nord-vietnamienne dans la RVN. Une fois le

NVA jumelé aux forces insurrectionnelles du VC, le conflit vietnamien devait perdre son

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statut de guerre d’insurrection pour se muter de manière effective en un conflit hybride. Alors

chef d’état-major du NVA, Giap maximisait les bases du concept de guerre hybride en

exploitant la stratégie du dau tranh, une tactique conceptualisée en exploitant la synergie des

éléments de guerre conventionnelle avec le NVA, de guerre non conventionnelle avec le VC

et d’approvisionnement logistique via la Piste Ho Chi Minh. Ce processus synergétique a

entraîné l’attrition subtile et progressive de l’organe militaire américain au Vietnam, ce qui

s’est répercuté invariablement sur les organes politiques, économiques, sociaux et

médiatiques (information) des États-Unis (PMESI). L’offensive du Têt lancée en 1968 a

constitué l’apothéose du concept de guerre hybride communiste avec le déploiement conjoint

de 84,000 soldats du VC et du NVA. Ceux-ci menaient respectivement ou de façon

coordonnée des opérations subversives de petites unités ainsi que des opérations

conventionnelles aux échelles de régiment et de division sur tout l’ensemble du territoire sud-

vietnamien. Bien qu’ayant encaissé une défaite catastrophique aux mains des Forces

américaines et de l’ARVN, les communistes ont été à même d’exploiter le facteur

informationnel et médiatique du concept de guerre hybride. L’incompréhension du statut de

la situation opérationnelle combinée à l’exposition directe aux combats a choqué les

journalistes qui ont brossé le portrait d’une situation précaire et irréversible pour le GVN et

les Américains.

L’impact médiatique a été tel que l’offensive du Têt a donné l’impression au public

américain que les communistes avaient remporté une grande victoire pendant que le GVN et

les États-Unis subissaient une défaite cataclysmique. Le manque de détermination du

Président Johnson n’a fait qu’exacerber la crise politico-sociale rencontrée aux États-Unis à

la suite de l’offensive. Pourtant, les larges formations de combat du VC ont été littéralement

éliminées lors du Têt et des opérations subséquentes du mini-Têt. Le leadership communiste

ainsi que Giap, bien qu’ils ne l’aient pas admis publiquement, ont reconnu que l’offensive

avait abouti sur une défaite. Néanmoins, la pression médiatique exercée sur la Maison-

Blanche qui subissait également celle d’une population civile très mal informée et lasse du

conflit ont incité le Président Johnson à initier des pourparlers de paix avec Hanoï. Bien

qu’ayant subi une défaite militaire, les communistes ont pu clamer une véritable victoire

politique en décourageant la classe politique et sociale américaine de poursuivre la guerre en

Asie du Sud-Est. En clair, chacune des branches et Lignes d’Opérations du PMESI s’est vue

frappée et déstabilisée par Hanoï. Il est à noter que le travail d’une partie de la classe

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380

journalistique au Vietnam a eu un impact très négatif sur l’ensemble de l’effort de guerre

américain. À lui seul, cet aspect du conflit pourrait constituer les bases d’une thèse doctorale.

Après la guerre, les médias se sont défendus d’avoir exercé un impact quelconque sur la

perception du public en lien avec cette guerre, alléguant qu’ils n’avaient fait que rapporter

l’information. Pourtant, le style journalistique d’individus comme David Halberstam, Neil

Sheehan, Morley Safer et quantité de journalistes basés à Saigon trahissait une partisannerie

sans équivoque et un manque flagrant d’objectivité. À cela s’amalgamait une

incompréhension de la situation militaro-opérationnelle critiquée par une classe

journalistique très impressionnable une fois confrontée aux horreurs de la guerre.

À cet effet, citons en exemple Walter Cronkite, un journaliste d’expérience qui s’est

montré confus sur bien des aspects quand il s’est trouvé confronté aux dures réalités du

conflit. Sans la censure et le contrôle des médias lors des guerres antérieures à celles du

Vietnam, il est fort probable que bien des journalistes et citoyens américains se seraient aussi

montrés profondément choqués par ce dont ils auraient été témoins. Il est très peu probable

que les images de la Deuxième Guerre mondiale, si on les avait présentées aussi ouvertement

que celles de la guerre du Vietnam, auraient été aussi « galvanisantes » que les vidéos

propagandistes diffusées dans les salles de cinéma en Amérique du Nord. On ne peut

qu’imaginer la réaction de la population américaine si elle avait été témoin des batailles

d’Iwo Jima et de Guadalcanal, véritables boucheries de la guerre du Pacifique. Néanmoins,

il convient de souligner que plusieurs journalistes se sont acquittés avec intégrité de leur

devoir au Vietnam. Parmi ceux-ci, citons Joseph Galloway et Bernard Fall, qui brillèrent par

leur objectivité et leur contact direct sur le champ de bataille.

Dans le second chapitre, il a été démontré que la critique de nombreux historiens qui

dénonçaient sans cesse Westmoreland pour avoir privilégié l’exploitation d’un concept

d’opération conventionnel était dénuée de fondement. Nous avons constaté que lors du

débarquement des troupes américaines au Vietnam, l’ARVN se trouvait surclassée sur tous

les fronts et littéralement submergée par le NVA et le VC qui s’apprêtaient à scinder la RVN

en deux alors qu’ils initiaient une succession d’opérations offensives régimentaires et

divisionnaires. Appliquer un plan de contre-insurrection à ce stade du conflit aurait été futile

et, à coup sûr, n’aurait pas manqué de céder la mainmise d’une très grande partie de la RVN

aux formations communistes. Dans cette optique, les opérations de search and destroy se

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sont avérées impératives pour le MACV. Bien qu’il privilégiait un concept de guerre

conventionnelle, Westmoreland a accordé beaucoup d’importance aux opérations de COIN

en esquissant son concept d’opération. Néanmoins, les Américains, qui peinaient à appliquer

les plans du commandant du MACV, ont préféré concentrer leurs opérations sur la

destruction des bases d’opérations communistes et les larges formations du VC et du NVA.

Même si les éléments conventionnels américains ont réussi à freiner l’offensive communiste

et ainsi empêcher la chute de la RVN, il a été impossible pour Westmoreland de faire fi de la

présence de ces bases d’opérations. Plusieurs historiens et journalistes ont clamé que

Westmoreland aurait dû « ignorer » ces bases d’opérations et se concentrer sur la campagne

de COIN pour enrayer les opérations de guérilla du VC. Toutefois, ce que d’aucuns peinent

à saisir est qu’il s’agissait d’une guerre hybride ; un cours d’action centré sur la contre-

insurrection se serait avéré une véritable catastrophe pour les Américains, l’ARVN et le

GVN. Ces bases d’opérations communistes n’étaient pas des camps de villégiature ; elles

servaient de bases d’entraînement, de dépôts logistiques et de quartiers-généraux pour le

COSVN qui assumait la coordination et la projection des régiments communistes au sein du

théâtre d’opération sud-vietnamien.

En ignorant ces bases d’opérations et les larges formations du NVA et du VC,

Westmoreland aurait effectivement facilité la conduite d’offensives constantes comme celles

du mini-Têt dans l’ensemble de la RVN. Confrontées à cette réalité, les forces contre-

insurrectionnelles se seraient vues submergées par une succession d’offensives communistes

qui auraient sévèrement entravé la conduite des opérations de pacification. À cet effet, nous

avons été à même de constater ce qu’il est advenu aux Combined Action Platoons des

Marines lors de l’offensive du Têt. Aussi professionnelle soit sa mise en application, une

opération de COIN n’était pas conceptualisée pour que ses forces puissent combattre un

adversaire conventionnel exploitant infanterie, artillerie, de même que des assauts

bataillonnaires et régimentaires. En ce qui a trait aux bases d’opérations communistes, leurs

structures avaient été conçues de manière à assurer une défense classique de guerre purement

conventionnelle ; des principes contre-insurrectionnels n’auraient préparé en rien les

éléments d’infanterie américains aux combats qu’ils ont dû mener contre les communistes au

sein de leurs châteaux forts. La conduite des opérations CEDAR FALLS et APACHE SNOW

ne constituent que quelques exemples des capacités militaires des communistes en termes de

positions défensives ; celles-ci s’accordaient à des doctrines conventionnelles classiques

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apparentées à celles exploitées par les Japonais lors de la guerre du Pacifique. JUNCTION

CITY a pour sa part démontré les capacités des larges formations du VC et du NVA en

matière d’opérations offensives conventionnelles. Si elles n’avaient pu compter sur leur

puissance aérienne et d’artillerie, de nombreuses unités américaines auraient été submergées

et annihilées par les forces communistes. Les batailles de la Vallée de Ia Drang, d’Ap Bau

Bang, de Suoi Tre et d’Ap Gu en sont la preuve vivante. Bien que le MACV se soit vu tout

à fait justifié d’exploiter des tactiques et doctrines conventionnelles, ces opérations

offensives se sont faites au dépend des opérations de COIN qui auraient été tout aussi

justifiées. À cet effet, nous avons constaté le manque flagrant de coordination entre les

opérations militaires conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Les opérations de search

and destroy de l’US Army étaient conduites sans prendre en considération la sécurité des

civils dont des centaines de milliers sont devenus des réfugiés. On a littéralement pilonné les

villages abritant des forces du VC à grands renforts d’artillerie et de napalm, plaçant ainsi la

population civile au centre des hostilités opposant les unités de combat américaines et

communistes. Certains villages étaient d’abord sécurisés puis subséquemment abandonnés

par les forces de sécurité, procédé qui facilitait le retour du VC au sein même de secteurs

catégorisés dorénavant comme « sécuritaires ».

Cet enchaînement de reprise et d’abandon de secteurs forçait les Américains à

procéder à des opérations de ratissage récurrentes au sein de zones préalablement visées par

leurs opérations de search and destroy. En opérant de la sorte et en n’enrayant pas l’accès à

la Piste Ho Chi Minh, les Américains jouaient le jeu de l’insurrection et du NVA, en plus

d’être condamnés à un cycle répétitif de perpétuel recommencement qui enrayait toute

possibilité de consolider une bonne fois pour toutes les secteurs ruraux déjà stabilisés de la

RVN. De plus, l’abandon de secteurs et de terrains militairement clés si durement arrachés

au NVA ne faisait qu’exacerber la situation. Hamburger Hill constitue un des exemples les

plus probants du problème. En conséquence de cette procédure, les Américains ont échoué à

disloquer le sous-système conventionnel de la machine de guerre hybride des communistes.

Du côté des secteurs peuplés, le GVN envisageait bel et bien le déploiement de forces

paramilitaires pour assurer la protection des civils contre les insurgés, par suite des opérations

conventionnelles. Néanmoins, il était très rare qu’on achemine ces forces immédiatement

après le départ des unités conventionnelles américaines et sud-vietnamiennes puisqu’elles

cherchaient à poursuivre la traque des larges formations VC et du NVA, laissant ainsi le

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champ libre aux unités de guérilla du Viêt-Cong d’opérer dans les secteurs ruraux. En vue de

contrer le concept d’opération hybride des communistes, une seule option était envisageable

: assurer la protection permanente des civils tout en maintenant la continuité des opérations

conventionnelles. C’est dans cette optique qu’est né le concept des Combined Action

Platoons des Marines dans I Corps. Le chapitre 3 a exposé la volonté des Marines d’exploiter

des tactiques contre-insurrectionnelles contre le VC, tendance qui s’explique par la tradition

historique de l’USMC. Lors des premiers déploiements des Marines à Danang, en mars 1965,

on ne devait pas tarder à être témoins des premières opérations civiques de l’USMC via ses

opérations de MEDCAP. Les Marines comprenaient que s’ils voulaient assurer la sécurité de

la base aérienne de Danang, ils devaient impérativement maximiser l’interaction des

militaires avec la population civile et gagner l’appui de cette dernière en améliorant son

quotidien et en la protégeant du VC. Confrontés à une insurrection communiste déterminée,

les Marines n’ont pas tardé à réaliser la nécessité de muter leur stratégie s’ils voulaient

définitivement assurer la scission des insurgés et de la population civile, puis de maximiser

le développement des forces paramilitaires. C’est ainsi que le III MAF a autorisé le

déploiement des premiers CAP, destiné à voir les Marines étendus et positionnés en

permanence au sein des villages localisés à l’est de la zone d’I Corps.

Le concept, littéralement calqué sur les principes contre-insurrectionnels de Galula, a

causé énormément de problèmes aux VC : l’accès aux villages leur était restreint et ils se

voyaient constamment embusqués sur leurs lignes de communication. Le concept de CAP

permettait aux Marines de gagner la confiance de la population civile, tant et si bien que les

locaux n’ont pas tardé à fournir aux Américains du renseignement sur les activités insurgées.

Cette dynamique a donné naissance à une symbiose qui a facilité les bases d’une

autoprotection mutuelle entre les paysans sud-vietnamiens et les Marines. Lorsque la 173rd

Airborne Brigade a exploité le modus operandi de l’USMC dans II Corps, elle a obtenu les

mêmes résultats positifs. Sous ces conditions, les cadres politiques du VC pouvaient très

difficilement opérer à l’intérieur des villages occupés par les Forces américaines. En général,

les insurgés cherchaient plutôt à éviter les villages occupés par des CAP dans I Corps, ce qui

témoigne de la grande efficacité du concept. Cette réalité s’est trouvée dépeinte lors de

l’offensive du Têt lorsque de larges formations communistes ont spécifiquement pris pour

cibles les CAP. À l’image des hameaux stratégiques de Diem, ceci trahissait la profonde

irritation des communistes vis-à-vis des CAP. Toutefois, le principe contre-insurrectionnel

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des CAP a trahi son incompatibilité au théâtre d’opération vietnamien lorsque l’aspect

conventionnel du conflit a fait surface. Plusieurs CAP sont tombés sous les assauts réplétifs

du NVA et du VC lors de l’offensive du Têt, ce qui démontre l’importance névralgique

d’assurer le synchronisme des opérations contre-insurrectionnelles et conventionnelles lors

d’un conflit de nature hybride. Bien que le III MAF soit bien au fait de cette réalité, la nature

de la menace conventionnelle du NVA s’avérait trop prépondérante pour qu’on puisse

déployer suffisamment de Marines au sein de nouveaux CAP. De plus, le MACV ne cachait

pas son profond désaccord avec le concept d’opération du III MAF et de ses CAP qui ne

bénéficiaient pas du soutien de Westmoreland. Au total, seulement 114 Combined Action

Platoons ont été déployés, ce qui a limité les impacts opérationnels des opérations de COIN

des Marines dans I Corps. Il a fallu attendre 1967 et la création du CORDS avant de voir les

opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles américaines synchroniser leurs

opérations contre le NVA et l’insurrection VC. Le chapitre 4 a exposé qu’en 1966, les leaders

politico-militaires américains ont saisi que l’exploitation de doctrines conventionnelles ne

pouvait à elle-seule rétablir la stabilité des secteur ruraux sud-vietnamiens. Une succession

d’études et d’analyses menées par divers spécialistes ont incité la Maison-Blanche et le

Pentagone à créer une organisation capable de contrôler les divers groupes responsables

d’assurer la conduite des opérations de pacification.

De ce plan devait naître l’OCO qui, à la suite de la réunification de tous les éléments

civiques et militaires responsables de la pacification, est devenu le CORDS en 1967. Dirigé

par Robert Komer, le CORDS avait pour mission d’assurer une conduite uniforme des

opérations de pacification dans l’ensemble des provinces et districts de la RVN. En théorie,

les forces conventionnelles américaines et de l’ARVN devaient synchroniser leurs opérations

de manière à appuyer les opérations de contre-insurrection du RD et des forces paramilitaires

du RF/PF. Cependant, lors des premiers mois suivant l’initiation des opérations du CORDS,

le RF/PF, généralement laissé à lui-même, faisait face à des formations VC beaucoup trop

puissantes pour être en pouvoir de protéger adéquatement les villages des secteurs

ruraux. Les cadres du RD ne se présentaient que sporadiquement au sein de leurs villages

attitrés et aucun projet de construction ne pouvait être accompli, compte tenu du harcèlement

perpétuel des insurgés VC généralement libres d’opérer à leur guise dans les villages. Lors

des élections, les élus n’osaient pas demeurer dans les limites de leur village de peur d’être

ciblés et assassinés par les agents du VC. Sans troupes conventionnelles pour les appuyer, il

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demeurait très hasardeux pour les forces contre-insurrectionnelles d’opérer dans les secteurs

ruraux. Néanmoins, l’envoi d’éléments réguliers américains dans les zones d’opérations du

CORDS aidant, les forces paramilitaires se montraient beaucoup plus aptes à assurer la

protection des civils et conduire des opérations civiques. À titre d’exemple, nous avons pu

voir que la situation dans le District de Cu Chi est allée s’améliorant lorsqu’on y a déployé

des éléments de la 25th Infantry Division. Résultat : les larges formations VC se sont réfugiées

dans la jungle et les forces paramilitaires ont pu s’opposer aux forces de guérilla qui

subsistaient. Toutefois, la situation s’est compliquée aussitôt que la 25th Infantry Division

s’est vue redéployée sous d’autres cieux. Nous avons vu comment un rapport du 95e

Régiment du NVA a évoqué dans ses lignes les problèmes engendrés par la présence de

troupes conventionnelles américaines dans les zones de pacification des forces paramilitaires.

Dans le secteur de Phu Yen, le contrôle communiste sur la population est passé de 260,000 à

20,000 civils, le résultat direct de la présence combinée des forces régulières et contre-

insurrectionnelles, et ce, de l’aveu même du 95e Régiment du NVA. Cette situation cassait le

synchronisme des opérations hybrides des unités communistes. L’appui du NVA se trouvait

hors de portée du VC pendant que, de son côté, le NVA ne pouvait bénéficier du

renseignement et des bases d’opération que le VC aurait dû lui offrir en temps normal.

Néanmoins, le contexte sévissant à Phu Yen n’était pas représentatif de l’ensemble

de la situation opérationnelle de la RVN. Il aura fallu l’offensive du Têt pour que le CORDS

prenne réellement son élan avec l’appui apporté par l’Accelerated Pacification Plan du

gouvernement sud-vietnamien et la redynamisation des opérations du programme Phoenix.

À travers ces trois programmes, la campagne militaire de contre-insurrection des Américains

et du GVN a éliminé de façon progressive l’insurrection VC, déjà sévèrement affaiblie par

la succession de défaites encaissées lors des offensives du Têt et du mini-Têt. Les Forces

régulières américaines et sud-vietnamiennes maximisaient le synchronisme de leurs

opérations avec celles des forces paramilitaires, en servant d’écran aux forces du RF/PF et

du RD, afin de favoriser leurs opérations psychologiques, civiques et militaires. On assignait

des officiers de liaison des unités de combat américaines au sein des bureaux du CORDS

pour faciliter la collecte et l’échange de renseignements sur les activités communistes. Pour

sa part, le GVN prenait très au sérieux son nouveau plan de pacification et a assuré la

nomination de gestionnaires compétents et motivés pour sa mise en application. Peu à peu,

les villages et les secteurs ruraux de la RVN échappaient au contrôle du VC, rendu impuissant

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à s’opposer à la fois aux opérations de pacification et aux offensives conventionnelles des

Forces régulières américaines et sud-vietnamiennes. De son côté, le programme Phoenix

causait des pertes sévères à l’infrastructure politique du VC qui expérimentait de plus en plus

de difficulté à opérer au sein des villages pour appuyer les forces de combat du VC qui

subsistaient. Les cadres peinaient à assurer le réapprovisionnement des unités communistes

confrontées au manque de renseignements, de recrues, de vivres et d’autres nécessités

impératives à la bonne marche de leurs opérations. La Résolution 9 du COSVN levait le voile

sur ce problème et insistait sur l’importance cruciale de spécifiquement cibler le programme

de pacification du GVN et des Américains, en plus d’entraver les opérations des « espions »

associés au programme Phoenix. La Résolution 9 soulignait également l’obligation de

maximiser la coordination des opérations conventionnelles et irrégulières, une condition

primordiale si les communistes voulaient retrouver la route du succès. La Résolution 14 qui

a suivi quelques mois plus tard trahissait l’impatience du COSVN. On y lapidait les leaders

militaires du VC jugés ineptes à cibler les opérations de pacification et reprendre le contrôle

des villages et des secteurs ruraux.

L’analyse de plusieurs rapports post-opérations et introspectifs communistes expose

les problèmes criants du VC qui déplorait la perte de milliers de soldats et de cadres. Ces

derniers choisissaient de faire défection via le programme Chieu Hoi, refusaient de continuer

à combattre les Américains et l’ARVN, par suite des souffrances découlant d’une sévère

lacune de réapprovisionnement en nourriture, vêtements et ressources médicales. Le moral

des membres de l’insurrection est devenu profondément affecté par la situation

opérationnelle rencontrée dans la RVN en 1970. Le programme Phoenix continuait ses

ravages au sein des rangs communistes avec les forces spéciales du PRU et les Navy SEAL.

Ces derniers, ainsi que les informateurs du PRU, rendaient la conduite des opérations

insurgées beaucoup trop hasardeuses pour les nouveaux cadres inexpérimentés qui n’osaient

plus opérer au sein de districts jadis normalement attribués à trois ou quatre cadres

supplémentaires. La pression exercée par Phoenix a suffi pour qu’Hanoï demande la

suspension du programme lors des négociations initiées à Paris avec les Américains et le

GVN. En 1970, les secteurs ruraux se trouvaient suffisamment stabilisés pour que des

élections aient lieu sans que le VC puisse intervenir ; 97% des secteurs peuplés de la RVN

ont pu élire de nouveaux représentants municipaux. Impuissant à recruter de nouveaux

volontaires, le VC a été forcé de se tourner vers le NVA qui, dorénavant, pourvoirait au bas

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mot à pas moins de 70 à 80% de ses effectifs dans l’ensemble des secteurs d’opération. Robert

Thompson a personnellement reconnu le statut on ne peut plus précaire de l’insurrection VC

et a admis qu’elle se trouvait pratiquement vaincue. En 1971, le VC ne représentait plus une

réelle menace à la survie de la RVN, mais le NVA a bel et bien pris le relais. À la suite du

départ progressif des Américains, l’Armée nord-vietnamienne s’est mise en œuvre

d’exploiter un concept de guerre conventionnelle qui s’est concrétisé avec l’offensive multi-

divisionnaire du NVA au printemps de 1972. Exploitant les principes conventionnels propres

aux doctrines de guerre de mouvement, les Forces nord-vietnamiennes ont pris en charge les

opérations offensives qui, contrairement au déroulement des combats du Têt, ont vu le VC

décimé y jouer un rôle très effacé. Le statut de guerre hybride de la guerre du Vietnam a pris

fin avec la dislocation du sous-système insurrectionnel VC du système militaro-hybride

communiste. Bien que les Américains aient échoué à scinder les éléments conventionnels du

système hybride d’Hanoï, il en est allé tout autrement pour le sous-système insurrectionnel

qui s’est fait littéralement amputer du concept d’opération militaire de Giap. Toutefois, tous

les succès des Américains contre le VC n’ont réglé qu’une portion du problème.

Nous avons vu en cours de route à quel point l’inoccupation de forces divisionnaires

de la Piste Ho Chi Minh favorisait l’acheminement continu de renforts et

d’approvisionnement logistique aux soldats communistes dans la RVN. Soucieux de bloquer

cette artère, névralgique à l’effort de guerre d’Hanoï, Westmoreland a sollicité à maintes

reprises la permission de déployer des forces pour interdire l’accès de la Piste aux

communistes. Face au refus de Washington, le CINCPAC et le MACV n’ont eu d’autre

alternative que d’initier une succession de campagnes aériennes qui ont frappé la RDVN, le

Laos et plus tard le Cambodge. Dans cette visée, on a mis en œuvre l’opération ARC LIGHT

avec l’entrée en scène des B-52 et les bombardements des lignes de réapprovisionnement

présumées des communistes. En dépit de ces pilonnages, le Groupe 559, camouflé sous le

couvert des jungles luxuriantes et compactes du Laos, a réussi malgré tout à entretenir la

Piste qu’il s’affairait également à agrandir. De multiples bases d’opérations logistiques ont

été implantées au Laos et au Cambodge via la Piste, facilitant ainsi le déplacement et le

déploiement de centaines de milliers de combattants communistes dans la RVN. L’ordre

formel des autorités qui interdisait aux Forces régulières américaines d’opérer au Laos et au

Cambodge servait les intérêts des régiments du NVA et du VC qui pouvaient bénéficier d’une

zone permanente de territoire où se réfugier lorsqu’ils ne pouvaient confronter les

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Américains. Les unités communistes tiraient également parti d’un flot constant d’armes, de

munitions, de nourriture et de forces fraîches. En vue de faciliter le ciblage des bases

d’opérations pour l’aviation, le MACVSOG a clandestinement déployé des équipes

d’opérateurs, notamment dans les jungles du Laos, du Cambodge et de la RDVN. Ces forces

conduisaient des opérations de reconnaissance, de capture et de sabotage sur les lignes de

communication communistes. Bien que ces actions se soient avérées perturbatrices et d’un

appui indéniable pour l’aviation, les initiatives du SOG ne suffisaient pas à contrebalancer la

situation opérationnelle sur la Piste Ho Chi Minh. Les restrictions imposées aux forces

spéciales se sont montrées de nature encore plus contraignantes au Cambodge qui, sous

l’administration Nixon, est devenu la cible d’une campagne massive de bombardement de B-

52 sous l’égide de l’opération MENU. Les actions de Bomb Damage Assessment des

opérateurs du SOG ont cependant démontré l’impact limité des bombardements qui ne

pouvaient à eux-seuls enrayer le puissant réseau logistique communiste. La chute de

Norodom Sihanouk et la prise du pouvoir par Lon Nol a encouragé le Président Nixon à

autoriser une opération militaire majeure au Cambodge qui, pour la première fois, a vu des

troupes régulières américaines et sud-vietnamiennes opérer sur son territoire. La somme de

matériel logistique interceptée au sein du Cambodge s’est révélée titanesque, suffisante pour

équiper 74 bataillons d’infanterie communistes.

Cette opération a durement frappé l’insurrection VC, déjà victime de la pression

constante des opérations du CORDS et de Phoenix. Plusieurs transfuges et prisonniers de

guerre communistes ont reconnu que l’incursion cambodgienne avait été perçue comme une

inévitable défaite pour la cause communiste. Néanmoins, aussi dommageable soit-il, l’impact

de l’incursion s’est révélé éphémère; le redéploiement des Forces américaines et sud-

vietnamiennes dans la RVN sans laisser de troupes statiques occuper les anciennes bases

d’opérations des communistes a permis aux multiples têtes de l’hydre communiste de

repousser de plus belle. Fidèle à son modus operandi, le NVA a reconstitué ses forces et

progressivement réoccupé l’ensemble des bases d’opération perdues lors de l’incursion

cambodgienne, ce qui a rendu caduque l’opération, pourtant catégorisée comme un grand

succès. À l’exception de LAM SON 719, opération pendant laquelle l’ARVN a ciblé les

bases d’opérations du Laos en 1971, il n’y a plus eu de tentatives sérieuses des Forces

américaines et sud-vietnamiennes pour bloquer les lignes de réapprovisionnement

communistes. En conséquence, les Américains ont échoué à provoquer la dislocation du

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sous-système logistique de la machine de guerre hybride des communistes. Le départ de

l’ensemble des unités de combat américaines du Vietnam en 1972 et la reconstitution des

formations régulières du NVA devaient aboutir sur l’invasion finale de la République du

Vietnam au printemps de 1975. Contrairement à l’offensive printanière de 1972, aucun B-52

ou conseiller militaire américain n’a été déployé pour soutenir les divisions de l’ARVN

submergées par le NVA qui a saisi la capitale de Saigon le 30 avril 1975. Paradoxalement,

les Américains ont connu leurs meilleurs succès au Vietnam dans le champ où ils ont été le

plus abondamment critiqués par les historiens, analystes et journalistes, c’est-à-dire, lors de

leur conduite des opérations contre-insurrectionnelles. L’analyse des opérations de COIN

américaines nous amène à constater leur étonnante efficacité à neutraliser une des

insurrections les plus violentes de l’histoire militaire moderne. Bien que l’USMC par son

histoire recelait une prépondérance naturelle aux opérations de COIN, plusieurs unités de

l’US Army se sont montrées très compétentes au moment d’appliquer les doctrines de leurs

confrères des Marines. Pour leur part, le CORDS et Phoenix représentent à eux-seuls de

véritables accomplissements pour les Forces armées américaines qui n’ont jamais exécuté un

programme de COIN d’une telle envergure au cours de leur histoire.

Pris au centre d’une violente insurrection, le fait d’avoir démontré la capacité

d’élaborer, planifier et implanter un concept complexe doté de multiples organisations

militaro-civiles américaines et sud-vietnamiennes constitue un véritable exploit en soi.

Pourtant, beaucoup d’historiens n’accordent que quelques lignes aux opérations du CORDS

dans leur étude et qualifient le programme d’échec. Le CORDS, de concert avec le

programme Phoenix et l’appui synchronisé des forces conventionnelles, a été le catalyseur

de la chute progressive du VC qui s’est échiné dès 1969 à demeurer une force de guérilla

opérationnelle dans la RVN. Sans le CORDS et Phoenix, jamais le VC n’aurait été neutralisé.

Parallèlement, sans l’appui des forces conventionnelles, le CORDS et Phoenix n’auraient pu

enrayer l’insurrection ; le concept de guerre hybride des communistes forçait cet état des

choses. Il s’avérait tout aussi important pour les Américains et les Sud-Vietnamiens d’assurer

la synergie de leurs opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles qu’il le fallait

pour les communistes d’assurer la coordination de leurs opérations régulières et irrégulières.

Les Américains se sont montrés capables de briser une des trois composantes mécaniques du

système militaire hybride communiste en enrayant l’essentiel du Viêt-Cong. Néanmoins, cela

n’a guère suffi guère à dérégler la machinerie hybride d’Hanoï qui a été en mesure de

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continuer à s’appuyer sur deux de ses trois éléments critiques avec le NVA et son système

logistique. De plus, la guerre de l’information et les contrecoups socio-économiques et

politiques qui englobaient les aspects PMESI ont érodé la volonté des États-Unis de continuer

à combattre, ce qui constitue l’objectif stratégique d’une menace à caractère hybride.

Militairement, l’élimination du VC en 1972 n’a pu être pleinement exploitée par les Forces

armées américaines qui quittaient progressivement la RVN. Pour sa part, l’initiation

d’opérations offensives contre les bases d’opérations de la Piste Ho Chi Minh n’a pas eu les

effets escomptés car on a initié ces campagnes beaucoup trop tard pour générer un impact

opérationnel concret. En ce qui concerne l’offensive du Têt, elle se serait avérée irréaliste si

on avait autorisé Westmoreland à exécuter son plan d’action multi-divisionnaire au Laos pour

bloquer la Piste Ho Chi Minh en 1965 et si les bases d’opération cambodgiennes avaient

immédiatement fait l’objet de cibles pour les Américains. En maximisant les opérations

militaires dans les jungles isolées du Laos et du Cambodge, la RVN aurait été en mesure de

stabiliser ses institutions politiques et de redynamiser ses initiatives socio-économiques, tout

en étant moins sujette aux combats continuels qui entraînaient des pertes humaines,

matérielles, en plus de susciter la formation d’importantes poches de centaines de milliers de

réfugiés.

Même si la RVN est parvenue à atteindre un statut de sécurité des plus positifs après

l’offensive printanière de 1972, le spectre de la Piste Ho Chi Minh a rendu ces succès

éphémères. L’artère logistique communiste constituait la clé du problème rencontré par les

Américains et les Sud-Vietnamiens au Vietnam. Ultimement, la survie de la Piste et l’absence

d’un contingent permanent de plusieurs dizaines de milliers de soldats américains, tel que

celui déployé en Corée du Sud, a favorisé la chute de la RVN. En limitant l’étendue des

opérations militaires américaines en Asie du Sud-Est par peur d’une éventuelle intervention

chinoise et soviétique, le Président Johnson a handicapé l’exécution d’un concept d’opération

capable de neutraliser complètement la machine hybride communiste. Pour sa part, Nixon,

désireux d’évacuer les Forces militaires américaines du Vietnam, a limité ses opérations

terrestres au Cambodge par crainte de la réaction populaire aux États-Unis. Cette situation

n’a fait qu’exacerber davantage la stabilité à long terme de la RVN et la perspective d’une

victoire. Comment peut-il être possible de gagner une guerre si l’on n’opère pas directement

au sein de chaque théâtre d’opérations impliqué ? Lors de la Deuxième Guerre mondiale,

aurait-il été envisageable pour les Alliés de gagner le Front de l’Ouest s’ils n’avaient pas été

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autorisés à opérer en France et en Italie avec pour mission d’y neutraliser les divisions de la

Wehrmacht ? Parallèlement, aurait-il été possible d’enrayer les opérations de l’Afrika Korps

de Rommel si on avait laissé les Allemands bénéficier de leur réapprovisionnement logistique

via la Méditerranée et empêché les Alliés d’opérer en Égypte et en Lybie ? Aurait-il été

pensable pour l’US Navy de vaincre la flotte japonaise et de maitriser le Pacifique si elle

n’avait pas été autorisée à opérer dans le secteur de Midway ? Aurait-il été concevable pour

les Marines d’acculer l’Armée nipponne au pied du mur s’ils n’avaient pas été autorisés à

débarquer à Guadalcanal, Iwo Jima et Okinawa ? D’aucuns diront que l’on ne peut comparer

ces situations à celle du Vietnam, compte tenu des contextes totalement différents. Qu’à cela

ne tienne : si les scénarios militaro-stratégiques de chaque conflit diffèrent, certaines règles

inhérentes à l’art de la guerre ne sauraient se subordonner aux craintes ou aux réserves de

politiciens qui hésitent à se commettre totalement à un conflit. En d’autres termes, ces règles

de l’art de la guerre ne se dématérialiseront pas parce que la situation politico-stratégique ne

permet pas de les prendre en considération ou de les respecter. Comment pourrait-il être

faisable de vaincre une armée conventionnelle puissamment armée si on ne la prive point de

ses lignes de communication et de réapprovisionnement ? En imposant de telles restrictions

à ses chefs militaires, la Maison-Blanche n’a rien fait d’autre que gagner du temps pour la

RVN. Ce problème a été, à juste raison, maintes fois exposé par plusieurs historiens

révisionnistes.

À la suite de la guerre, les États-Unis devaient procéder à une succession de réformes

de leurs Forces armées, une restructuration qui, au fil des années, a entraîné des modifications

majeures au sein de la gestion des unités et des opérations militaires américaines. Lorsque

l’on analyse les livres de doctrine post-guerre du Vietnam et les programmes d’entraînement

du Training and Doctrine Command (TRADOC) destinés à refaçonner la conduite de la

guerre de l’Armée américaine, une tendance très révélatrice ne cesse de faire surface :

l’attention est portée sur la guerre conventionnelle alors que tous les aspects relatifs à la

COIN sont relégués aux oubliettes. Sans grande surprise, aucune mention n’est faite de la

gestion combinée d’opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles advenant une

confrontation contre une menace hybride. Plutôt que de procéder à la rétroaction des

opérations contre-insurrectionnelles et hybrides du Vietnam, le TRADOC a préféré

redynamiser ses doctrines conventionnelles en s’inspirant des leçons tirées par les Israéliens

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392

lors de la guerre du Yom Kippour.184 Le leadership militaire américain, totalement saturé par

la guerre du Vietnam, semblait déterminé à oublier tout ce qu’il a été parfois si durement à

même d’y apprendre en matière d’insurrection et de guerre hybride. Il est intéressant de noter

que cette tendance a frappé d’autres armées au 21e siècle. Lors du rapatriement des Forces

de combat de l’Armée canadienne de l’Afghanistan, le focus de l’entraînement des soldats

s’est presque exclusivement centré sur la guerre conventionnelle ; le savoir durement acquis

en matière de contre-insurrection en Afghanistan a été relégué aux oubliettes et ne constituait

qu’une très maigre portion du syllabus d’entraînement des militaires canadiens. À l’image

des Forces américaines avec les Israéliens et le Yom Kippour, les Forces canadiennes ont

choisi de tirer des leçons de la résurgence du gigantesque potentiel offensif des Forces armées

russes en Europe plutôt que de polir leurs capacités en matière de contre-insurrection. Quoi

qu’il en soit, au long des décennies ultérieures à la guerre du Vietnam, les Forces armées

américaines ont strictement revampé leurs doctrines conventionnelles qui ont

progressivement retrouvé leur tonus d’antan lors des opérations militaires lancées en Grenade

et au Panama au cours des années 1980. Puis, les États-Unis devaient réaffirmer leur

suprématie militaire lors de la Guerre du Golfe en 1991.

L’Armée irakienne, une importante puissance militaire à l’époque, a été littéralement

écrasée par les Forces armées américaines et de la Coalition au prix de pertes négligeables.

Le Président George H.W. Bush, annonçait alors avec fierté que le « syndrome de la guerre

du Vietnam » était terminé.185 Néanmoins, la réalité a rapidement rattrapé les Forces armées

américaines lors de leur déploiement en Afghanistan et en Irak en 2001 et en 2003. À

l’exception de l’USMC, les principes de COIN appris par les Américains au Vietnam, alors

complètement oubliés, les tacticiens et stratégistes militaires n’ont eu d’autre alternative que

de retourner à leur table à dessin pour y esquisser de nouvelles doctrines. Ultimement, il a

fallu l’intervention du général David Petraeus et d’une équipe de colonels pour esquisser une

doctrine (consignée dans le FM 3-24) qui éventuellement, a renversé la situation

opérationnelle en Irak. À partir de 2007, Petraeus et son équipe ont mis en pratique le FM 3-

24 au sein du théâtre d’opération iraquien en mettant en branle ce que les Américains ont

baptisé The Surge dans les secteurs avoisinant Bagdad. En moins de quatre ans, l’insurrection

184 Combat Studies Institute, op. cit., p. 70-71. 185Christopher O’Sullivan, Colin Powell: American Power and Intervention from Vietnam to Iraq, Lanham,

Rowland & Littlefield Publishers Inc., 2009, p. 72.

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d’Al Qaeda s’est essoufflée pour progressivement voir ses opérations sévèrement restreintes

par cette doctrine qui revêtait un caractère incongru aux yeux de la plupart des généraux de

l’US Army. Avant son application en Irak, ce « nouveau » concept tactique du général

Petraeus a été sévèrement dénoncé et critiqué par ses confrères. Un général du Joint Chiefs

of Staff est allé jusqu’à déclarer que ce « nouveau » concept doctrinal « violait les

fondements » des doctrines tactiques de l’Armée datant de la Deuxième Guerre mondiale.186

Considéré contraire aux principes et traditions des Forces armées américaines, le modus

operandi proposé par Petraeus a, à maintes reprises, fait l’objet de révisions avant d’être

publié. Malgré ces remaniements, le squelette de la doctrine de Petraeus est demeuré intact

avec la publication du FM 3-24. Paradoxalement, cette doctrine, calquée sur les principes de

David Galula et des Britanniques en Malaisie, tirait ses racines américaines des principes de

base exploités par le CORDS et les CAP lors de la guerre du Vietnam. Fasciné par la COIN

et le Vietnam, Petraeus s’est instruit en lisant les écrits de Robert Thompson, David Galula

et Bernard Fall. Il a d’ailleurs rédigé sa thèse doctorale sur la guerre du Vietnam, fortement

influencé par son beau-père, William Knowlton, un ancien membre du CORDS.187

Ces principes contre-insurrectionnels pourtant si durement assimilés au Vietnam

n’ayant pas survécu au temps, on a dû de nouveau les institutionnaliser au sein du système

militaire américain. Il est déplorable de noter qu’advenant un éventuel nouveau conflit

militaire de nature insurrectionnelle pour les Forces canadiennes, le même processus devra

être appliqué, et ce, au prix de la vie de plusieurs soldats. Du côté américain, bien que

l’institution militaire étatsunienne fasse souvent montre d’inflexibilité et qu’elle tende à

oublier certaines leçons du passé, elle se montre tout de même capable, envers et contre tout,

de percer les murailles de « traditions militaires » lorsque la situation exige. Elle en a fait la

démonstration au Vietnam avec le CORDS, concept aux antipodes de la culture militaire

américaine, et par la suite en Irak avec le FM 3-24 et le Surge qui en a résulté. Malgré ses

succès en Irak, Petraeus est devenu la cible de nombreuses critiques d’historiens, tel Douglas

Porch, qui qualifient le FM 3-24 et la « doctrine Petraeus » de mythe sans fondements.188

Galula et d’autres spécialistes réputés de la COIN ont subi des critiques très similaires de

186 Fred Kaplan, The Insurgents, New York, Simon & Schuster Paperbacks, 2013, p. 121. 187 Ibid., p. 17-20, 24, 27. 188 Douglas Porch, Counterinsurgency: Exposing the Myths of the New Way of War, Cambridge, Cambridge

University Press, 2013, p. 300-301.

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Porch et d’autres sceptiques. Bien que Porch se montre très critique face à la COIN sous

toutes ses formes, il ne propose aucune alternative ni piste de solution à une doctrine qu’il

juge contre-productive. D’aucuns se montrent souvent très mal à l’aise le moment venu

d’admettre les succès d’un concept et modus operandi élaborés de contre-insurrection.

Maints auteurs et analystes dénoncent la violence qu’engendre ce type de conflit sur la

population civile. Pourtant, aucun conflit militaire dans l’histoire n’a été propre ou n’a

épargné la population civile des horreurs de la guerre. Paradoxalement, le Vietnam, qui a vu

les Américains larguer plus de bombes que sur l’Allemagne nazie, le Japon et la Corée, a

constitué un conflit beaucoup moins meurtrier pour la population civile que la Deuxième

Guerre mondiale et la guerre de Corée. Pourtant, ces conflits ont duré beaucoup moins

longtemps que la guerre du Vietnam. Cette réalité est constamment ignorée par plusieurs

historiens, ce qui constitue également le cas des effets de la contre-insurrection américaine

sur le Viêt-Cong.

Cette situation fort déplorable mérite d’être rectifiée. Les succès contre-

insurrectionnels américains au Vietnam ont trop souvent persisté à demeurer dans l’ombre et

nécessitent d’autres études libérées des vieilles mentalités archaïques qui persistent

assidûment à dépeindre la performance américaine au Vietnam comme un véritable fiasco.

Au 21e siècle, un parallèle similaire peut déjà commencer à être tracé avec la conduite des

opérations contre-insurrectionnelles américaines en Irak entre 2007 et 2011. Peu de gens sont

au fait des opérations du JSOC et de la perte de contrôle par les insurgés d’Al Qaeda de

l’ensemble des secteurs ruraux iraquiens lors du Surge. Bien que le sujet soit encore très

récent et l’essentiel des documents pertinents toujours classifiés, il serait intéressant

d’assister à la publication d’une étude semblable à la présente thèse qui se pencherait sur les

succès contre-insurrectionnels des Américains en Irak. Une telle étude contribuerait à briser

le mythe perpétuel d’une Armée américaine incapable de gérer le changement et de diriger

une campagne militaire basée sur les concepts de contre-insurrection.

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417

ANNEXE 1 : Ordre de bataille d’un bataillon régulier du Viêt-Cong189

189 Image basée sur celle de J.W. McCoy, op. cit., p. 46.

Chaque compagnie possède

des effectifs de 225 soldats

et chaque peloton possède

des effectifs de 39 soldats.

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ANNEXE 2 : Ordre de bataille d’un régiment et bataillon de l’Armée nord-

vietnamienne190

190 Image basée sur celle de J.W. McCoy, op. cit., p. 37.

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ANNEXE 3 : Vue aérienne d’un hameau stratégique au Vietnam191

191 George Flanders. « Strategic Hamlet », 73rd Aviation Company.org, 73rd Aviation Company, 2013,

http://www.73rdaviationcompany.org/gallery/index.php/George-Flanders-Submitted/PICT0007, consulté le 2

mars 2015.

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420

ANNEXE 4 : Actions civiques de l’USMC dans I Corps192

192 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March

1966, op. cit., p. 30a, 38a, 68a, 72a, et;

Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic of

South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. ii, 55, 96.

Un lieutenant des Marines accueilli par de jeunes enfants dans un village

de la Province de Quang Nam. Les enfants constituaient une des

principales sources de renseignements contre le VC pour les Marines

(Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps. U.S. Marine

Corps Civil Affairs in I Corps Republic of South Vietnam April 1966-

April 1967, op. cit., p. ii).

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Un Marine donnant des cours de langue anglaise à un jeune Vietnamien. Ces cours

étaient très populaires et ont également attiré des adultes vietnamiens

(Headquarterss U.S. Marines Corps (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S.

Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p.

68a).

Des Marines assurent la protection des paysans sud-vietnamiens lors du transport du

riz dans le cadre de l’Opération GOLDEN FLEECE (Headquarterss U.S. Marines

Corps (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic Action Effort in

Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 38a).

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Un technicien médical des Marines lors d’une opération MEDCAP dans un village

sud-vietnamien (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic

Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 30a).

Un technicien médical soignant les infections cutanées des jeunes Vietnamiens dans

le cadre d’une opération MEDCAP (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine

Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 72a).

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Un ingénieur des Marines après la construction d’un nouveau puit (Historical Division

Headquarters U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-

March 1966, op. cit., p. 96).

Distribution de vêtements aux enfants par les Marines (U.S. Marine Corps

Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 69).

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ANNEXE 5 : Fortifications et installations d’un complexe de Combined Action Platoon

statique193

193 Records of the U.S. Marines Corpsm Command Chronologies, 1965-1979 4nd Combined Action Group,

October 1968 to 4nd Combined Action Group, August 1969, op. cit.

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427

ANNEXE 6 : Patrouilles de Marines et du PF dans le cadre des Combined Action

Platoons194

194 HQ USMC, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 2a.

Le lieutenant Ek (premier à partir de la droite) avec des soldats du PF. Le lieutenant

Ek a commandé le premier CAP. (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine

Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 2a).

Des Marines et des soldats du PF en discussion dans le cadre d’une patrouille autour

du CAP de Thuy Tan (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic

Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 2a).

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ANNEXE 7 : Des Navy SEAL assurent la surveillance de prisonniers VC195

Un prisonnier VC escorté par des Navy SEAL196

195 Eric Micheletti, SEALs in Vietnam, Paris, Histoire & Collection, 1999, p. 64. 196 Ibid., p. 102.

Les SEAL ont été particulièrement efficients le moment venu d’éliminer l’infrastructure VC.

Surnommés « les hommes au visage vert » par le NVA et le VC, les SEAL ont causé des pertes

sévères aux communistes. Bien que seulement neuf pelotons ne dépassant pas 150 SEAL ont été

déployés au Vietnam, ils ont été responsables de la mort confirmée de 580 VC et 300 autres morts

non confirmés. Les rapports de missions cumulent un total d’environ 4000 VC neutralisés et plus de

1000 prisonniers communistes, ce qui n’inclut pas les opérations des SEAL avec le MACVSOG et

leurs opérations conjointes avec le PRU (Young op. cit., p. xxiv et Micheletti, op. cit., p. 14).

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ANNEXE 8 : Opérateurs sud-vietnamiens du PRU197198

ANNEXE 9

197 U. S. Naval Special Warfare Archives, « Robert (Bob) K. Wagner », Bob Wagner SEAL Team One. Naval

Special Warfare Archives, http://www.navyfrogmen.com/BobWagner.html. Consulté le 11 mars 2018. 198 Finlayson, op. cit., p. 11.

Les Américains qui côtoyaient le PRU ont reconnu leur efficience à neutraliser le VCI. Les statistiques complètes

des pertes communistes engendrées par le PRU demeurent classifiées par la CIA. Les estimations disponibles

parlent de 700 à 1500 VC neutralisés par mois entre 1967 et 1972 (Finlayson, op. cit., p. 52).

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ANNEXE 9 : Mission de bombardement de B-52 dans le cadre de l’opération ARC

LIGHT199

199 La Guerre du Vietnam, « Arc Light – 18 juin 1965 – décembre 1972 », Les principales opérations

aériennes américaines au Vietnam, La Guerre du Vietnam.

http://www.laguerreduvietnam.com/pages/operations/les-principales-operations-aeriennes-americaines-au-

vietnam.html, Consulté le 13 avril 2018.

Les B-52 constituaient le fer de lance des bombardements américains en Asie du Sud-Est. Des

régiments entiers du NVA ont été anéantis par les B-52 lors de la bataille de Khe Sahn, l’offensive

printanière de 1972 et lors de quantité d’autres opérations qui incluaient également le VC. Le B-52

était une arme qui a engendré des dommages catastrophiques aux communistes qui se sont montrés

psychologiquement affectés par le bombardier stratégique américain. Néanmoins, ce ne fut pas

suffisant pour neutraliser les bases d’opération nord-vietnamiennes et la volonté de combattre du

VC et du NVA. Pour toute sa puissance et les dizaines de milliers de livres de bombes qu’il put

transporter, le B-52 a montré qu’il constituait avant tout une arme d’appui aux opérations terrestres

et qu’il ne pouvait à lui seul gagner une guerre. Bien qu’actuellement surclassé par les bombardiers

B1-B et le B-2, le B-52 a été modernisé et demeure actuellement en service au sein de l’USAF.

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ANNEXE 10 : Cratères laissés par le bombardement d’un bombardier stratégique B-

52 sur la Piste Ho Chi Minh200

200 Ward et Burns, op. cit., p. 379.

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ANNEXE 11 : Équipes standards d’opérateurs du SOG : trois Américains et neuf

Sud-Vietnamiens201

201 Frank Greco, Running Recon: A Photo Journey with SOG Special Ops Along the Ho Chi Minh Trail,

Boulder, Paladin Press, 2004, p. 103, 105.

Le SOG est toujours actif aujourd’hui et fait partie d’une branche d’opérations

clandestines de la CIA appelée Special Activities Division (Fred J. Pushies, Special

Ops, St. Paul, MBI Publishing Company, 2003, p. 20).